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Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill.

Bilinguisme lacunaire >3


Actualités: Spécial opinions > 5-7
Entrevue avec Philippe Falardeau > 11

Le mardi 18 janvier 2011 - Volume 100 Numéro 14, le seul journal francophone de l’Université McGill La porte ouverte depuis 1977
Adaptez votre vélo
à l’hiver québécois!
Le collectif «The Flat» organise un atelier
pour vous enseigner comment modifier votre
vélo (et vos habitudes) pour les adapter aux
conditions hivernales.

Où: 3480 McTavish (édifice Shatner) Salle B02


Quand: mercredi 19 janvier, 17h à 19h
Combien: gratuit!
Éditorial
Volume 100 Numéro 14 rec@delitfrancais.com

le délit
Le seul journal francophone
de l’Université McGill
rédaction

Bilinguisme à sens unique


3480 rue McTavish, bureau B•24
Montréal (Québec) H3A 1X9
Téléphone : +1 514 398-6784
Télécopieur : +1 514 398-8318
Rédactrice en chef Mai Anh Tran-Ho Il était non seulement triste de s’aperce- et d’une conférence régionale francophone
rec@delitfrancais.com Le Délit voir que ces futurs journalistes ne voyaient chaque année à laquelle ne participeraient
Mai Anh Tran-Ho pas ou refusaient de voir la différence entre que les journaux francophones n’équilibre-

L
Actualités e bilinguisme n’est plus qu’une for- une critique objective (nul ne leur reprochait raient pas les frais que ces derniers devraient
actualites@delitfrancais.com mule de politesse. Voilà la triste révé- de ne pas avoir aimé la présentation donnée payer. Il coûterait bien moins cher à un jour-
Chef de section lation que j’ai eue après avoir assisté par Josée Boileau) et un commentaire déni- nal de se retirer de la PUC et de permettre
Emma Ailinn Hautecœur à NASH 73, la conférence annuelle de la grant impertinent, mais également de voir à des rédacteurs d’assister à d’autres activités
Secrétaire de rédaction Canadian University Press (CUP). l’arrogance mal dissimulée de certains. telles les conférences organisées par la FPJQ
Francis Laperrière-Racine Plusieurs journaux étudiants à travers Le dialogue de sourds ne s’est pas arrê- (Fédération professionnelle des journalistes
Arts & Culture du Québec) ou de l’AJIQ (Association des
le Canada se sont donc donné rendez-vous té là, au début de la discussion sur les frais
artsculture@delitfrancais.com
de mercredi à dimanche à Montréal, à l’hôtel d’adhésion à la CUP. Il faut expliquer que les journalistes indépendants du Québec). Avec
Chef de section
Hyatt Regency. Parmi près de quatre-vingt- journaux francophones ont été invités à se l’argent économisé, les journaux étudiants
Émilie Bombardier
dix journaux, quatorze journaux étudiants joindre à la CUP sans avoir à payer de frais, francophones pourraient ainsi améliorer leur
Secrétaire de rédaction
francophones font partie de cette associa- bien que considérés comme membres à part situation financière précaire, les publicités se
Annick Lavogiez
tion qui se veut coopérative. Seulement sept entière. Ceci est tout à fait acceptable et logi- faisant de plus en plus rares, inutile de le sou-
Société
était présents à la conférence: Le Collectif que, puisque les services qu’offrait la CUP ligner. Les services judiciaires de fil de presse
societe@delitfrancais.com
(Université de Sherbrooke), L’Intérêt (HEC), (un fil de presse, des ateliers et des conféren- et de partenariats possibles sont intéressants,
Anabel Cossette Civitella
Polyscope (Polytechnique), Quartier Libre ces) étaient strictement en anglais. Toutefois, mais ne répondent pas aux besoins des jour-
Xavier Plamondon
(Université de Montréal), Le Réveil (Collège les journaux anglophones jugent depuis naux francophones.
Coordonnatrice de la production
production@delitfrancais.com universitaire de St-Boniface), La Rotonde quelques années que les journaux franco- Malgré le succès certain de cette pre-
Mai Anh Tran-Ho (Université d’Ottawa) et Le Délit. phones devraient à présent payer. Il faut rap- mière conférence nationale bilingue (d’excel-
Coordonnateur visuel En 2004, une proposition était passée peler ici qu’avant cet automne, les services lents conférenciers y ont participé, des inter-
visuel@delitfrancais.com pour que la CUP soit complètement bilingue n’existaient pas vraiment en français et que prètes ont été embauchés et des bénévoles
Raphaël Thézé d’ici 2014. Depuis, très peu −pour ne pas dire bon nombre de journaux ignoraient même ont été mis à profit pour faire de la traduc-
Infographe rien− n’a été fait. Ce n’est que depuis septem- l’existence de la CUP/PUC. Il a finalement été tion chuchotée), les nombreuses traductions
infographie@delitfrancais.com bre que les quelques journaux francophones décidé en session plénière que les journaux infidèles −notamment la traduction du titre
Alexandre Breton impliqués ont entamé un dialogue avec la francophones devraient désormais payer un «Bilingualism Plan» par «La Bilingualisme»
Coordonnateurs de la correction Presse universitaire canadienne (PUC), et quart des frais d’adhésion (selon leur budget), alors que le bilinguisme était justement l’un
correction@delitfrancais.com cette fin de semaine marquait la première que ceux-ci seront réévalués chaque année et des objectifs de cette conférence− et l’atmos-
Anselme Le Texier réunion des journaux francophones pour dé- qu’une conférence nationale bilingue devra phère générale des cinq journées de NASH73
Élise Maciol finir la possibilité et les structures d’un avenir être tenue au minimum tous les quatre ans. m’ont déplu.
Coordonnateur Web avec la PUC. Cette 73e conférence nationale Ces deux propositions, surtout la der- Enfin, la CUP a beau dire vouloir être bi-
web@delitfrancais.com de la CUP, familièrement nommée NASH 73, nière, sont aberrantes. Dans un premier lingue, ce désir de bilinguisme s’est avéré être
Mathieu Ménard était bilingue pour la première fois. Enfin… temps, parce que la majorité des rédacteurs davantage dans un sens que dans l’autre. Les
Collaboration un bilinguisme plutôt déficient, devrais-je de journaux étudiants, sinon la totalité, ne diverses réactions péjoratives, irrespectueuses
Marion Andreoli, Florent Conti, Rosalie dire. gardent pas leur position aussi longtemps, et, et arrogantes de la part de certains anglopho-
Dion-Picard, Justin Doucet, Édith Drouin- Différents détails avaient déjà titillé mon de surcroît, parce qu‘un diplôme de premier nes, et non reprochées par la direction de la
Rousseau, Habib Hassoun, Anthony âme francophone (des erreurs d’orthographe, cycle au Québec dure en moyenne trois ans. CUP, m’ont découragée et m’apparaissent
Lecossois, Luba Markovskaia, Devon un manque de cartons de vote pour certains Une adhésion à la CUP serait alors plus un symptomatiques du fossé qui nous sépare
Paige Willis, journaux francophones lors de la semi-plé- apport individuel pour ceux qui participe- et de l’effort artificiel que font certains pour
Couverture nière), mais l’incident de vendredi soir était la raient aux conférences qu’un investissement promouvoir et pratiquer le bilinguisme.
Victor Tangermann goutte qui a fait déborder le vase. Des tweets à long terme pour les journaux eux-mêmes. À quel prix et jusqu’où dois-je m’avan-
lancés par plusieurs participants pendant la Dans un deuxième temps, la tenue cer sur le pont avant que les anglophones ne
bureau publicitaire présentation de Josée Boileau dénigraient la d’une conférence bilingue tous les quatre ans me tendent la main? x
3480 rue McTavish, bureau B•26 rédactrice en chef du quotidien Le Devoir. Un
Montréal (Québec) H3A 1X9 faux compte Twitter a même été créé au nom
Téléphone : +1 514 398-6790 du Devoir pour alimenter cette présentation
Télécopieur : +1 514 398-8318 aux allures de Lost in Translation.
ads@dailypublications.org Le Délit, secondé par The McGill Daily, a
Publicité et direction générale alors rédigé une proposition présentée à la
Boris Shedov plénière dimanche pour qu’il soit résolu que
Gérance le personnel administratif de la CUP cesse
Pierre Bouillon de suivre le faux compte Twitter (maintenant
Photocomposition effacé), qu’une utilisation respectueuse des
Mathieu Ménard et Geneviève Robert médias sociaux soit insérée dans le prochain
The McGill Daily • www.mcgilldaily.com code de conduite de NASH et avec une atten-
coordinating@mcgilldaily.com tion particulière au #nash74, et que la CUP
Emilio Comay del Junco rédige une lettre d’excuses à Josée Boileau et
au Devoir.
Conseil d’administration de la Société des publica-
tions du Daily (SPD)
La première intervention au micro par
Emilio Comay del Junco, Humera Jabir, Whitney un rédacteur du journal The Peak de l’Univer-
Malett, Sana Saeed, Mai Anh Tran-Ho, Will Vanderbilt, sité Simon Fraser a été «It was fun. Calm down.»
Aaron Vansintjan, Sami Yasin
Un fossé s’était définitivement creusé entre
la perception de l’événement et ce qu’on en
attendait, et il n’était pas que spatial −les jour-
naux francophones étaient assis d’un côté de
L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le
la salle et les journaux anglophones, à l’autre
texte et ne se veut nullement discriminatoire. extrême. Quelques personnes ont également
Les opinions exprimées dans ces pages confirmé qu’elles trouvaient que ces propos
ne reflètent pas nécessairement celles de étaient irrespectueux et que cela projetait une
l’Université McGill.
aura de non professionnalisme et compro-
Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la mettait la réputation de la CUP. La proposi-
Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la repro-
duction de ses articles originaux à condition d’en mentionner tion a heureusement été adoptée par un vote
la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les de 22 contre 16. Un certain nombre de jour-
droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de
la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les naux trouvaient donc tout de même qu’on
produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du en faisait trop et que cette résolution (vue
papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental
Transmag, Anjou (Québec). comme une tentative de contrôle) d’adopter
Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press
(CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire
un certain jugement dans les tweets brimait Sandy Chase

francophone (CIPUF). la liberté d’expression.

xle délit · le mardi 18 janvier 2011 · delitfrancais.com Éditorial 3


Actualités
actualites@delitfrancais.com

CAMPUS

Du beurre dans les épinards


McGill va revoir à la hausse la proportion d’étudiants à la maîtrise et au doctorat
par rapport au nombre d’étudiants au baccalauréat.
Anthony Lecossois portion des étudiants qu’il repré- ter l’effort de recherche de McGill. diants que l’université à l’inten- financer les programmes de maî-
Le Délit sente au sein de l’université, ce- La proportion d’étudiants à la tion d’admettre à ses différents trise et de doctorat qui rapportent
lui-ci explique que ce sera à leur maîtrise et au doctorat oscille programmes. bourses, prix et autres mentions.

L
e plan pluriannuel d’ad- avantage. En effet, il estime que actuellement autour des 20%. Si aucun chiffre n’est don- Quoi qu’il en soit, un étudiant à
mission de l’université cette stratégie «permettra d’aug- Le Délit s’est procuré le Plan de né, il y est question d’organiser la maîtrise coûte cher et l’admi-
met l’accent sur le recru- menter le nombre de citations gestion stratégique des recrutements des visites guidées spécialement nistration ne peut se permettre
tement des étudiants post-bacca- dans les revues académiques et pour la période 2011-2016. Ce dédiées aux étudiants post-bac, d’augmenter leur proportion de
lauréat. Que ce soit dans le cadre donc le rang de l’université dans document décrit les différentes de “donner les outils aux ensei- façon trop importante au ris-
de sa stratégie marketing ou de les classements internationaux». orientations que l’université va gnants pour qu’ils puissent dé- que de ne plus être en mesure
ses décisions d’admission à pro- C’est dans ce même souci prendre dans les cinq prochaines velopper le recrutement lors de de leur fournir des conditions
prement parler, l’université veut de réputation internationale que années pour tout ce qui a trait leurs déplacements profession- de recherche satisfaisantes. Une
donc attirer des étudiants-cher- la principale Heather Munroe- aux admissions de nouveaux étu- nels à l’étranger (conférences, réalité dont l’université est bien
cheurs. Bloom expliquait lors du dernier diants. Y sont décrites les régions etc.).” consciente, en témoigne cette
 Si, au premier abord, on peut forum de l’université (les fameux cibles (la Californie ayant une po- On a longtemps accusé l’ad- note de bas de page: “La répar-
s’étonner que Zach Newburgh, Town Halls) en novembre dernier pulation plus jeune, il est prévu ministration de considérer les tition des admissions sera su-
président de l’AÉUM, soutienne et lors de son rapport annuel au de développer ce “marché”) mais étudiants au baccalauréat comme jette aux considérations d’ordre
une initiative qui réduirait la pro- Sénat qu’elle souhaitait augmen- aussi la diversité sociale des étu- des vaches à lait permettant de financier”. x

Venez nous voir les lundis au B-24 de l’édifice


Shatner! La porte est toujours ouverte.

4 Actualités xle délit · le mardi 18 janvier 2011 · delitfrancais.com


BILLET

Crise haitienne.
Chercher les causes historiques.
Justin Doucet terrain. traitement diminue progressive- être exact. En 1825, la France exi- ment acquittée en 1947. Pourtant,
Le choléra, qui a fait 3 759ment. gea une indemnité pour ses pertes l’endettement de la Perle a conti-

O
ù en sommes-nous? morts depuis que la maladie a Bilan: un séisme dévastateur; économiques (équivalente à 20 nué au cours du XIXe siècle. De

«
Disons que les progrès ont éclaté en octobre, continue à fairedix à onze millions de mètres cu- 1957 à 1986, la famille Duvalier
été modestes depuis l’an- des ravages. La porte-parole debes de décombres à évacuer; quel- fit régner un régime autoritaire
née dernière. Les donateurs inter- L’Organisation Mondiale de laques 300 000 morts; une épidé-
Le droit internatio- dispendieux qui laissa le pays plus
nationaux ont promis de donner 5,3 Santé, Fadela Chaib, a affirmé jeudimie de choléra; des organisations nal reconnaît le nécessité pauvre que jamais. On estime que
milliards de dollars pour venir en dernier que l’épidémie n’avait pashumanitaires concurrentes plutôt de prendre en compte 45% de la dette actuelle d’Haïti est
aide au Haïtiens, mais jusqu’à pré- encore atteint son point culminant,que coopératives; et finalement, le la nature du régime qui attribuable à un détournement de
sent, seuls 1,2 milliards des fonds le taux de mortalité n’ayant toujoursretour d’un dictateur sanguinaire a contracté les dettes et fonds de la part des Duvalier.
leur ont été alloués… Et Médecins pas baissé. MSF est plus optimiste etexilé depuis vingt-cinq ans, Jean l’utilisation qui a été fai- Cet endettement, responsable
Sans Frontières (MSF) déplore un annonce aujourd’hui que le nom-Claude « Baby Doc » Duvalier. tes des fonds versés. Cela de l’extrême précarité économique
manque d’outils médicaux sur le bre d’admissions dans les centres de Comment Haïti en est-il arri- implique une responsabi- haïtienne, s’élève aujourd’hui à
vé à ce point? Est-ce simplement lité des créanciers, tels les plus d’un milliard de dollars. C’est
de la malchance? organismes privés ou les cet endettement qui a empêché le
Un bref examen de l’histoire progrès du pays depuis près de 200
haïtienne s’impose. Au XVIIIe siè-
institutions financières ans. C’est également cette dette
cle, la Perle des Antilles était un
internationales» qui explique l’ampleur du désas-
comptoir de sucre et de café extrê- tre qui a envahi Haïti il y a un an.
mement lucratif pour les colons milliards de dollars aujourd’hui). Les infrastructures de santé et de
français. Inspirés par la révolution Acculée par quatorze vaisseaux et transports, qui devraient servir lors
française de 1789, les esclaves se 500 canons français, forcément, la d’un désastre naturel, étaient déjà
révoltèrent et déclarèrent leur in- nouvelle république acquiesça. Cet compromises ou désuètes, voire
dépendance en 1804. Les Haïtiens endettement est un boulet qu’Haï- non existantes. Le tremblement de
payèrent chèrement leur liberté ti traîne toujours aujourd’hui. terre et l’épidémie n’ont fait que
–150 millions de francs-or, pour La dette haïtienne fut pleine- souligner ce triste constat. x

CHRONIQUE
Gros mois de janvier
Francis L.-Racine | Le franc-parleur
Le deuxième est une gra- que l’ancien dictateur d’Haïti,
ve tragédie qui s’est passée en Jean-Claude Duvalier, alias Bébé
La Croix-Rouge Arizona où une représentante doc, avait pris un avion de Paris
Amercian Red Cross/Talia Frenkel (IFRC) démocrate a été assassinée par en direction de Port-Au Prince.
un tireur fou déclenchant une Mission: venir aider son pays à
foudre médiatique. En effet, les sortir de l’impasse politique et de
médias américains se sont achar- l’impasse de la reconstruction.
nés sur la nouvelle elle-même, L’accueil est mitigé autant en
mais, malheureusement, sur un Haïti que dans la communauté
gros n’importe quoi de l’an- internationale, espérons et croi-
cienne gouverneure de l’Alaska, sons les doigts pour que cette
Sarah Palin, qui jugeait utile de arrivée soit fructueuse pour la
démentir tout lien avec cette tra- population et pas pour les coffres
gédie. Sérieusement, comme si privés de l’ancien dictateur.
on avait pensé que les républi- Le mois de janvier n’est pas
cains étaient derrière le coup! Un encore fini qu’il nous réserve
peu de sérieux. encore des surprises: rapport
Le troisième connaît un de la commission Bastarache et
Il y a un an, LE MOIS dénouement exceptionnel. autres. Ce qu’on ne dit pas avec
de janvier avait été monopolisé L’Europe a connu les révolutions ce rapport et surtout ce que M.
dans les médias par le séisme en des œillets et de velours; nous al- Bellemare ne dit pas, c’est que,
Haïti qui avait rappelé au monde lons maintenant pouvoir comp- s’il n’a pas le droit à une copie,
entier la fragilité de ce petit État ter la révolution du petit peuple c’est parce qu’il ne portera aucun
des Caraïbes, mais aussi de la vie en Tunisie. Loin de moi l’idée de blâme. C’est un principe fonda-
humaine. juger de la petitesse du peuple mental des commissions d’en-
Cette année ne coupera pas tunisien. Le petit tient au fait que quêtes. Cette information aurait
à la tradition. En effet, ce mois- ce sont des gens ordinaires qui dû être transmise aux autres mé-
ci a été assez chargé côté politi- ont jugé leur condition insensée dias avant leur folie meurtrière
que. Non pas au Québec, mais et qui se sont révoltés contre la de l’automne… C’était presque
bien dans le monde entier avec sourde oreille du gouvernement aussi suivi par TVA qu’Occupa-
plusieurs événements importants central. Ce faisant, ils ont, grâce tion Double au nouvelles de 18h.
sur trois continents différents. au support de l’armée, pu ren- Bref, l’année sera remplie
Le premier affectera sûre- verser les autorités en place et de nouvelles croustillantes, mais
ment la politique française. Il condamner à l’exil le dictateur en le moment le plus important
s’agit de l’élection de la fille de place depuis 23 an de l’année sera le 29 avril pro-
Jean-Marie Le Pen, Marine Le Le quatrième est un coup chain. Je vous enverrai un évé-
Pen, comme présidente du Front de théâtre. En effet, les efforts nement Facebook. L’endroit:
National. Il n’est pas question de de reconstruction en Haïti trai- Westminster Abbey. Je ne vous
pointer du doigt les idéologies du nent des pieds, et le second tour en dis pas plus, ça sera un mois
Front National, mais bien de féli- des élections présidentielles sont d’avril chargé, mais contentons-
citer une femme de conviction de reportées à quelques semaines de nous de notre gros mois de jan-
son ascension au sein d’un parti la fin du mandat de l’actuel pré- vier! Il faut savoir apprécier les
politique sans discrimination sident Préval. Le choc arrive ici. bonnes choses dans la vie: la
positive. Hier, le monde entier a appris démocratie! x

xle délit · le mardi 18 janvier 2011 Actualités 5


http://princearthurherald.com

Contre
Restons humbles, restons étudiants
Florent Conti déclarer LA source alternative d’informa- ce Herald en omettant que Herald signifie carnation d’une génération qui veut exis-
tion à McGill. Or, qui, d’autant plus des «messager» et sous-entend donc une bien- ter trop tôt. Autrefois, les esprits les plus

L
e petit monde mcgillois a récem- individus au biais évident, peut prétendre veillance de la part de l’auteur vis-à-vis de brillants patientaient avant d’avoir la pré-
ment découvert la modeste entre- à un tel statut? son lecteur. À défaut de réelles opinions tention de se démarquer. On devait prouver
prise de quelques jeunes étudiants L’énormité s’est poursuivie quand le alternatives sur la vie universitaire et sur son excellence et ses capacités d’analyse.
en mal de reconnaissance: le Prince Arthur sous-titre de ce blogue déguisé en jour- la vie en général, leurs articles risquent Mais l’internet a bouleversé tout cela.
Herald. N’ayez crainte, il n’y a pas de quoi nal d’informations est passé d’un modeste de devenir un amas de prêchi-prêcha, un Aujourd’hui, nous souhaitons tous
être impressionné par ce titre, tout impo- «McGill’s premier news source» au plus pré- ramassis de discussions de café. «Un latté, être de grands esprits avant de nous en
sant et voyant qu’il soit. Tout cela reste somptueux «Canada’s premier news source». s’il-vous-plaît.» être construit un. Cette impatience se
confiné sur la toile Internet qui sait si Quant au premier article, qui se veut la Nous ne pouvons qu’encourager double de la facilité avec laquelle nous
bien créer d’éphémères microphénomè- base éditoriale fixant l’idéologie du groupe, les étudiants à avoir un esprit critique. pouvons donner notre opinion à tout va.
nes. Cependant, nous avons tout de même son titre s’est subtilement métamorphosé Néanmoins, la création si spontanée de La marque de génie ici aurait été de rester
quelques problèmes avec ce projet. Avant d’une question modérée –«Why McGill ce petit cahier de doléances étudiantes ne humble, discret, d’éviter une cacophonie
tout, il se définit explicitement comme needs the Herald?»– en une affirmation semble pas être la source d’un réel apport inutile. Ainsi serait permise notre vérita-
conservateur. Sans vouloir juger nos amis plutôt ambitieuse: «Why Canada needs the critique et constructif. ble évolution intellectuelle, à nous tous,
étudiants qui prennent si hâtivement des Herald». «La grenouille qui voulait se faire En effet, nous ne voulons pas d’un n- étudiants.
positions politiques radicales, cette opéra- aussi grosse que le bœuf», vous connaissez ième tas de textes réactionnaires réchauf- Non pas comme ces ambitieux de
tion semble excessivement exclusive. l’histoire… fant de faux débats. Malheureusement, la rue Prince Arthur, ostentatoires et
La marque d’esprit ici aurait été de Les ambitions pancanadiennes du site comme pour tous les autres blogues, bruyants, nous devrions garder le silence
conserver une ambiguïté idéologique. Internet, bien que justifiées, peuvent donc nous en lirons des micro-polémiques, pour mieux réfléchir et pour grandir intel-
Apparemment, c’est une idée de génie paraître assez présomptueuses. On ne leur nous y verrons des tempêtes dans des lectuellement. On assume souvent, et avec
que la caste de la rue Prince Arthur n’a souhaite qu’un avenir grandiose, mais tris- verres d’eau. Beaucoup d’eau. Beaucoup raison, que le silence est la plus grande
pas eue. Non, il leur a paru plus intéres- tement, il ne paraît pas si probable que ce de verres. des sagesses. Réjean Ducharme disait «Le
sant d’exacerber les différences idéolo- blogue obtienne beaucoup de succès (bien Toute cette affaire ne représente silence, c’est quand personne n’écoute».
giques qui nous séparent, nous pauvres que ses instigateurs en soient persuadés). qu’une seule et unique chose: l’état de J’ajouterai «c’est quand personne ne lit».
étudiants. Il leur a paru légitime de se Les petits Prince-Arthuriens ont créé notre société de jeunes universitaires, l’in- Laissons le Herald silencieux. x

Pour
Laissons la chance au coureur
Alexandre Breton re, c’est justement de confronter des idées
les unes avec les autres et de remettre en

M
cGill est un repaire d’activistes question les partis-pris que l’on traîne avec
radicaux de gauche contrôlant soi depuis belle lurette. Lire des articles qui
les journaux et les associations confortent sans cesse ses propres opinions
étudiantes, menaçant et terrorisant la com- —si avisées soient-elles— est intellectuelle-
munauté conservatrice de l’université. ment abrutissant.
C’est le tableau que brosse «Why Canada Le danger d’un journal explicitement
Needs The Herald», l’article d’introduction associé à un courant politique, par contre,
du nouveau journal Prince Arthur Herald. est de se transformer en un simple véhi-
Sérieusement? Je conseillerais amicale- cule idéologique et partisan. Le piège est de
ment à l’auteur d’aller faire un tour sur le procéder à l’envers; amorcer d’abord une
campus de l’UQAM et —s’il n’y succombe réflexion sur des positions idéologiques
pas d’une crise cardiaque— d’être plus par- figées, puis tenter de les justifier coûte que
cimonieux avec les hyperboles en en reve- coûte, quitte à donner dans la démagogie
nant. Il est difficile de trouver plus modéré et l’hyperbole.
que McGill. Si le Herald est capable d’éviter ces
Je passe ensuite à un second article, au écueils à l’avenir, s’il est en mesure de pro-
sujet d’Israël et de la gauche. Je suis heu- Le rédacteur en chef, Brendan Steven poser des analyses intelligentes et réflé-
reux que le sujet soit abordé de front, et Gabriel Ellison-Scowcroft chies, s’il peut s’inspirer de fondements
j’espère y trouver de bons arguments en philosophiques solides —et non d’une
faveur d’Israël. Au contraire, Russell Sitrit- Borja de Arístegui Arroyo y a écrit un arti- au sujet du classique de Mark Twain, qui ligne de parti—, alors je crois qu’il a sa
Leibovich me réserve un plaidoyer déma- cle intéressant et nuancé sur les Chrétiens s’est récemment vu charcuté sur l’autel de place sur le campus et je serai l’un de ses
gogique, intellectuellement malhonnête et victimes de violence au Moyen-Orient; la rectitude politique. lecteurs. Cependant, si j’y lis des articles du
franchement indigne d’un journal univer- Jess Weiser y signe un billet sur la tuerie Tout cela pour dire que le Herald a style «Le mariage, c’est entre un homme et
sitaire. Après deux articles, je suis prêt à de Tucson pour lequel j’aurais plusieurs finalement piqué mon intérêt. Un journal une femme parce que la Bible le dit», «Israël
jeter l’éponge. objections à formuler, mais qui illustre conservateur me paraît nécessaire, non pas est gentil et les Arabes sont méchants» (ou
Pourtant, par curiosité (morbide?), bien mon malaise quant à la manie des parce que j’en partage les préceptes, mais l’inverse, peu importe) et «Les gauchistes
je parcours quelques autres rubriques. médias de politiser l’acte d’un déséquilibré; précisément parce que je ne les partage pas. extrémistes envahissent le campus», alors
Et voilà que je suis agréablement surpris: Jon McDaniel y a publié un article solide La beauté de l’environnement universitai- j’irai voir ailleurs. x

6 Actualités xle délit · le mardi 18 janvier 2011 · delitfrancais.com


BILLET
Excellence et accessibilité pour le
système d’éducation québécois
Le 6 décembre s’est tenue la rencontre des partenaires de l’éducation afin de discuter de
financement universitaire. Les recteurs ont applaudi, et les étudiants ont claqué la porte; mais
la hausse est-elle un objectif en soi? Comment doit-on s’y prendre pour régler le problème du
sous financement chronique du réseau universitaire québécois?
Francis L.-Racine et par l’État. Si une hausse survient dans dans l’éventualité d’une hausse des frais tribuée équitablement à toutes les univer-
dix ans, elle doit être absorbée de manière de scolarité. sités pour financer les investissements en

P
remièrement, il s’agit de savoir si la proportionnelle au niveau de contribution Toutefois, il est primordial que tout infrastructures. Et pour inciter le secteur
hausse des frais de scolarité est un fixé par les étudiants et le gouvernement, l’argent supplémentaire versé par les étu- privé à investir, un retour en crédits d’im-
objectif en soi. La réponse est non. car l’éducation est une des missions fon- diants en frais de scolarité soit exclusive- pôt serait accordé. L’objectif de cette phi-
En fait, c’est plutôt un moyen d’atteindre damentales du gouvernement dont il ne ment réinvesti dans l’éducation postse- lanthropie est de financer les infrastructu-
des standards d’excellence des institutions peut se désengager. Après la fixation du condaire de manière à avoir un réel impact res vétustes des universités.
postsecondaires québécoises. À vrai dire, la taux socialement acceptable, il faut haus- sur la qualité de la formation offerte. En somme, la vitalité de l’éducation
question à se poser est: Comment conju- ser les frais de scolarité pour atteindre ce Deuxièmement, le réseau universitai- supérieure et la qualité du capital humain
guer la «hausse des frais de scolarité» avec pourcentage; et cette hausse doit être envi- re québécois est affecté par les problèmes québécois doivent se faire autour d’un
le principe d’accessibilité des études post- sagée, car il s’agit d’un signal important. liés au manque d’investissement en infras- objectif d’excellence et d’accessibilité au
secondaires pour tous les Québécois? Au Canada, la contribution étudiante est tructures du savoir et par la dégradation réseau universitaire. C’est pourquoi cha-
Pour répondre à cette question, regar- en moyenne de 25%, tandis qu’au Québec de l’environnement universitaire québé- cun des acteurs doit y mettre du sien, tant
dons les deux acteurs impliqués: l’État et elle est de 12,7%. Finalement, pour s’as- cois. Ici, l’accent est mis sur le milieu uni- au niveau de l’État par un RPR, qu’aux
les étudiants. En effet, l’État ne peut se surer du respect du principe d’accessibili- versitaire et sur la participation du secteur étudiants par leur engagement financier
désengager de son rôle dans l’éducation té, il faut se doter d’un mode de rembour- privé au financement des universités au dans l’investissement de toute une vie,
postsecondaire, car l’éducation est un bien sement proportionnel au revenu (RPR) Québec. que du milieu universitaire pour utiliser
public dont la société entière devrait pou- accessible à tous les étudiants. Il s’agit C’est un peu comme pour le séisme en ces nouvelles ressources avec rigueur et
voir bénéficier. Les étudiants sont les pre- d’une forme de remboursement des prêts Haïti, pour lequel le gouvernement fédéral discernement, et du privé par des incitatifs
miers bénéficiaires d’un meilleur réseau étudiants fondé sur la capacité financière avait promis d’égaler les dons faits par le permettant le financement des infrastruc-
d’éducation et leur formation est un inves- d’une personne à s’acquitter de sa dette public pour venir en aide aux sinistrés. Ici, tures, car il bénéficie d’une main-d’œuvre
tissement en capital humain rentable, mais d’études. En fait, il permettrait à n’importe le système s’inscrit dans la même logique. plus qualifiée. Ainsi, la hausse n’est pas
la situation financière des familles québé- quel étudiant de rembourser la différence Les investissements du secteur privé dans un objectif en soi, mais un moyen pour
coises ne doit en aucun cas être un obsta- entre ses frais de scolarité actuels et ceux les universités québécoises doivent se parvenir à l’excellence de notre réseau
cle à la poursuite des études supérieures. qui lui seraient facturés après une hausse faire de façon volontaire et surtout équi- universitaire, pour attirer les meilleurs
À partir de ces prémisses, il faut fixer seulement au moment de son entrée sur tablement. Également, le gouvernement professeurs, avoir du matériel à la pointe
le pourcentage de contribution, c’est-à-di- le marché du travail. Le système du RPR devra s’engager à investir dans le réseau de la technologie, rehausser la renommée
re le niveau relatif de contribution du gou- donne plus de souplesse dans le rem- postsecondaire un certain pourcentage de de nos universités, attirer les cerveaux et
vernement et des étudiants à un niveau boursement de la dette, puisqu’il réduit chaque dollar reçu en philanthropie par le éviter le départ des meilleurs étudiants. Le
socialement acceptable. Il s’agit de savoir le risque d’étudier dans un domaine où milieu universitaire. Ce pourcentage gou- tout pour assurer la survie et l’accessibilité
quel pourcentage du coût du service édu- la rentabilité ou la réussite est incertaine. vernemental des fonds irait dans un fond du réseau d’éducation publique pour les
cationnel doit être financé par l’étudiant En somme, le RPR assure une accessibilité collectif, dont la somme totale serait redis- générations futures. x

Politique internationale

Manifestation à
Montréal
La communauté tunisienne s’est
rassemblée pour appuyer le
mouvement révolutionnaire.
Des milliers de Montréalais d’origine tunisienne
ou tout simplement des militants pour la démcoratie se
sont rassemblés lors d’un grande marche de soutien au
mouvement de contestations en Tunisie contre le régime
dictatorial de Ben Ali. La manifestation s’est tenue au
Square Dorchester et s’est dirigée à travers le centre-ville
de la métropole. La manifestation de cette fin de semai-
ne dernière s’inscrit avec les autres à travers le monde
pour un appui grandissant à cette révolution qualifiée de
Révolution de la rue. Espérons que la démocratie s’ins-
talle sans heurts.
Protestations en Tunisie
Mathieu Santerre

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actualites@delitfrancais.com

xle délit · le mardi 18 janvier 2011 · delitfrancais.com Actualités 7


Société
societe@delitfrancais.com

Dans la p
des franc
Devon Paige-Willis
Le Délit

J
’étais un peu en retard pour mon cours
du jeudi matin. Sortie la veille pour l’an-
niversaire d’un ami, je n’aurais pas été
capable de me lever si je n’avais pas eu une
bonne tasse de café à boire. Je suis donc ar-
rivée à l’université en courant, avec du café
dans ma grande tasse Banff Tea Company,
à l’heure exacte où le cours commençait.
C’est lorsque je me suis assise à côté de
mon ami qu’il s’est exclamé: «Je ne com-
prends pas comment vous, les Québécois,
vous faites pour boire autant de café!»
Installée à Paris pour la session, je me
suis rendue compte dès le début que le
déjeuner, le «p’tit déj’», ne se prenait pas
en route, en France. Boire un super-extra-
grand-café-Second-Cup-avec-un-muffin
et grignoter des fruits ou une barre granola
ne se faisait pas non plus en plein cours.
Comme me l’a expliqué Adeline Bibet,
Parisienne en échange cette année à McGill:
«Le petit déjeuner est pris à la maison, assis,
tranquille». De plus, les gens vont dans des
cafés vers 16h, jamais seuls. Le seul café où
les gens se posent pendant des heures pour
travailler, c’est le Starbucks.
À Paris, contrairement à Montréal,
la faune étudiante ne monopolise pas les
Second Cup, les Press Café ou autres Java
U. Les étudiants travaillent chez eux et par-
fois, à la bibliothèque. Par contre, il n’y a
pas de bibliothèques ouvertes les diman-
ches, et elles ferment toutes vers 21h pen-
dant la semaine, à 17h le samedi… ce qui
m’a obligée à trouver un autre espace pour
étudier. Je me suis retrouvée à plusieurs
reprises au MacDo –ouvert jusqu’à minuit
tous les jours de la semaine, et où l’on trou-
ve du Wifi et des espressos à deux euros.
Trouver une niche où s’installer et étudier
est essentiel pour tout étudiant en échange.
Lauriane Gabelle, à McGill pour la ses-
sion tout comme Adeline, explique que la
bibliothèque de McGill est super, car «les
espaces sont plus grands, et qu’en général,
il y a plus de place pour les étudiants, et
plus d’ordinateurs que dans la bibliothèque
de Sciences Po, à Paris.»
Non seulement Adeline et Lauriane
Raphaël Thézé
aiment bien les bibliothèques de McGill,
mais elles aiment aussi la grande variété de
cours qu’on y offre et la vie étudiante mc-
gilloise. Lauriane danse le swing, et Adeline

8 xle délit · le mardi 18 janvier 2011 · delitfrancais.com


peau
ncophones
Une incursion dans la réalité des Français de France et des
Québécois francophones sur le campus.

en profite pour prendre des cours «pay as comme les Français; je me sens plus à l’aise rentes. Dans ma ville natale, Québec, tout mcgilloise, j’imagine que ça s’explique». En
you go» au Centre sportif, ainsi qu’un cours ici qu’à Toronto, par exemple» complète est plus homogène; les gens se ressemblent, fait, presque 50% des étudiants de McGill
de yoga. Adeline. Percevant une nette différence en- et leurs valeurs, leurs principes, leur langue ne viennent pas du Québec, alors qu’à
Bien qu’elles aiment la ville de tre la gente de Toronto et les Montréalais, maternelle, etc. sont tous très similaires. À l’UQAM, le taux des étudiants non-Qué-
Montréal, les bibliothèques du campus, la elles préfèrent Montréal. Par exemple, elles McGill, les élèves arrivent des quatre coins bécois est de 6%.
vie étudiante et les cours offerts à McGill, se sont souvent fait aider dans la rue quand du monde et j’ai donc fait face pour la pre- Ils ont ajouté que les francophones
un élément particulièrement important de elles étaient perdues, chose que font parfois
leur culture leur manque: la nourriture.
«Du fromage, du pain et de la charcuterie!»
s’exclame Lauriane. Quant à Adeline, elle
les Parisiens, mais avec moins d’empresse-
ment. « Dans ma ville natale, Québec, tout est plus homogène;
les gens se ressemblent et leurs valeurs, leurs principes,
ajoute que les friandises que l’on grignote
entre les repas, comme les gaufres, lui man- McGill: Un autre mon- leur langue maternelle, etc. sont tous très similaires.»
quent aussi.
La nourriture nord-américaine, en de pour les Québécois mière fois à une école très hétérogène» ex- avaient une tendance à se regrouper, mais
plus de ne pas satisfaire complètement plique Louis-Michel. Issue d’une petite vil- que «malgré tout, je connais beaucoup de
leurs attentes, coûte très cher sur le cam- francophones? le, Lac-Mégantic, Éléna a, quant à elle, vécu francophones à McGill dont les amis sont
pus. «À l’université, à Paris, un dîner com- un choc quand elle est arrivée à Montréal majoritairement anglophones. Et tout dé-
plet, sandwich de la boulangerie, fruit ou Pour approfondir ce regard sur l’expé- pour étudier. «Il faut dire que je m’atten- pendant de mes cours et sessions, je crois
yogourt et boisson, se vend pour pas plus rience des Français de France à McGill, dais à trouver beaucoup d’anglophones, et aussi avoir été avec des anglophones la
de trois euros. De plus, il existe un système j’ai parlé avec deux Québécois francopho- que la plupart de mes amis et amies étaient plupart du temps» nous explique Louis-
de Restos Universitaires, des cafétérias pour nes pour voir comment ils se sentaient à francophones. La seule différence significa- Michel. Éléna confirme que la réalité des
les étudiants, où pour 2,85 euros, on a une McGill, dans un environnement largement tive demeurait la langue d’enseignement». francophones est différente: «Par exemple,
entrée, un plat principal, du fromage, un anglophone. J’ai parlé avec Louis-Michel Est-ce qu’ils sont contents d’avoir ils ne vivent pas nécessairement en résiden-
fruit, un dessert et une boisson», explique Gauthier, U3 en Sciences Politiques et choisi McGill? Oui, pour de nombreuses ce puisque la ville montréalaise et la loca-
Adeline. «Ce n’est pas très bon, mais c’est Économie, de Québec, et Éléna Choquette, raisons. L’université est «gérée par des cen- tion d’appartement dans un milieu fran-
équilibré et vraiment pas cher pour les étu- cophone leur sont plus familières. Souvent
diants!», ajoute Lauriane. Cette dernière est
aussi surprise qu’il y ait autant de végéta-
riens à Montréal et apprécie l’initiative de
«L’Australie était trop loin, Londres était trop près. Pour aussi, ils ont des amis à l’extérieur du cam-
pus, et restent moins sur le campus après
leurs cours».
l’association Midnight Kitchen, qu’elle fré-
la culture et les paysages, j’ai choisi le Canada plutôt que En ce qui concerne le succès académi-
quente régulièrement. les États-Unis.» que, Louis-Michel concède que les confé-
Lors de leur application universitaire, rences peuvent être difficiles pour les fran-
McGill figurait en tête de liste pour les deux cophones, surtout en première année. «Ce
étudiantes parisiennes. La renommée de U3 en Sciences Politiques et Philosophie, taines d’étudiants motivés à faire bouger ne sont pas les autres élèves cependant qui
l’université et la perspective de découvrir le de Lac-Mégantic. les choses», affirme Louis-Michel. Sa seule créent cette pression; c’est nous. Nous pen-
Canada ont convaincu Adeline. Lauriane, Être Français de France à McGill ne critique? «Il n’y a pas beaucoup de liber- sons que les autres élèves vont nous juger
quant à elle, souhaitait découvrir un pays semble pas être un choc culturel trop grand. té intellectuelle dans les cours. Pour être mais finalement, ce n’est pas le cas». Du
anglophone: «L’Australie était trop loin, Qu’en est-il pour les Québécois francopho- plus précis, si un professeur voit la matière côté implication sur le campus, c’est plu-
Londres était trop près. Pour la culture et les nes qui viennent des régions? Pour Louis- d’une certaine façon, il est pratiquement tôt difficile, car la plupart des francophones
paysages, j’ai choisi le Canada plutôt que les Michel Gauthier et Éléna Choquette, deux impossible d’argumenter différemment si n’ont pas vécu en résidence. «Je remarque
États-Unis». De plus, McGill l’a attirée par étudiants de troisième année en sciences l’on désire obtenir une bonne note. J’avais une différence marquée entre les franco-
la diversité de ses cours, particulièrement politiques, c’est la réputation de McGill, connu cette liberté au Cégep et il était dom- phones qui ont vécu en résidence et les
liée à l’environnement et la vie étudiante. l’opportunité de parfaire leur bilinguisme et mage de la voir partir par la suite». Éléna, autres», conclut Éléna.
pour sa part, est d’accord pour dire que le Il semble que l’expérience d’un

«Montréal est une ville véritablement multiculturelle choix et la qualité des cours sont très éle-
vés. «J’ai l’impression que j’ai appris à lire
Québécois «chez-soi» à McGill peut être
très différente de l’expérience des autres
où,pour le meilleur ou le pire, le français et l’anglais se efficacement en anglais, ce qui me permet-
tra de lire plus rapidement à la maîtrise
étudiants à McGill, notamment à cause de
la langue d’enseignement.
disputent la majorité.» (même si j’étudie en français, l’essentiel de Il reste que McGill offre une expérien-
la littérature scientifique n’est pas traduite ce tout à fait différente pour une variété de
en français)». D’un autre côté, elle déplore gens, que ça soit pour la langue, les repas,
Les Françaises sont globalement très le désir de découvrir Montréal qui a guidé «le manque de mobilisation des étudiants les cours ou la vie étudiante. «Montréal est
heureuses de leur échange: «Les gens sont leur choix. mcgillois lorsque vient le temps de défen- une ville véritablement multiculturelle où,
super gentils, très accueillants», assure «Je n’ai pas vraiment eu de choc cultu- dre leurs intérêts financiers face au gou- pour le meilleur ou le pire, le français et
Lauriane. Accueillants, mais pas trop: «Les rel, mais j’ai connu des tas de gens qui ap- vernement du Québec. Mais étant donné l’anglais se disputent la majorité», conclue
gens à Montréal ont aussi de la retenue, partenaient à des dizaines de cultures diffé- la démographie de la population étudiante philosophiquement Louis-Michel. x

Société 9
CHRONIQUE
Virus et hémoglobine
Raphaël Thézé | Étonnante science
vivante. En théorie, n’importe quel élé-
ment ayant les mêmes propriétés chim-
iques peut se substituer à un de ceux-ci,
seulement cela n’avait encore jamais été
observé jusqu’à ce que la géomicrobiol-
ogiste Felisa Wolfe-Simon et son équipe
le prouvent. Après avoir isolé la bactérie
et l’avoir laissée se développer et se mul-
tiplier dans un milieu riche en arsenic,
mais dépourvu de phosphate, la composi-
tion chimique de la bactérie avant et après
l’expérience fut comparée par spectropho-
tométrie de masse. Conclusion? L’arsenic
s’était substitué au phosphore. Cette dé-
couverte change entièrement l’approche
des scientifiques pour la recherche de
nouvelles formes de vies extra-terrestres
en plus de fournir des réponses poten-
tielles sur l’apparition de la vie sur Terre.

Nouvelle forme de vie Thérapie Génique


Le 2 décembre, la NASA a ébranlé la La bêta-thalassémie est la con-
communauté scientifique en annonçant séquence d’une mutation génétique sur
la découverte d’une nouvelle forme de les gènes de codant, les chaînes bêta de
vie. Malheureusement, il ne s’agit pas de l’hémoglobine. C’est aussi l’une des mala-
quelques E.T. en visite sur notre planète, dies héréditaires les plus répandues dans le
mais d’une bactérie, la GFAJ-1, vivant en monde. L’hémoglobine, chargée du trans-
Californie dans les sédiments hypersalins port du dioxygène dans le sang, devient
du lac Mono. Ne soyez pas déçus, cette dysfonctionnelle et le malade souffre, Une découverte révolutionnaire
bactérie fait bien plus que survivre dans entre autres symptômes, d’anémie. Un Bruce Wetzel et Harry Schaefer
un milieu extrême, elle a transformé no- homme souffrant de cette maladie a été
tre perception de la vie sur Terre. En effet, traité par thérapie génique avec succès, tel ticulièrement long et difficile à manipuler, du vecteur pour certainwes cellules dans
aussi étonnant que cela puisse paraître, qu’annoncé il y a quelques mois dans le puis il a fallu l’insérer dans un vecteur viral le gène HMGA2, impliqué dans la régula-
elle est capable d’intégrer dans son ADN journal Nature, grâce à la collaboration de capable de s’introduire au bon endroit. Le tion de la prolifération des érythroblastes
de l’arsenic, le poison universel à toute plusieurs équipes de recherches françaises candidat est un lentivirus dérivé du VIH et (à l’origine des globules rouges), causant
forme de vie sur Terre. et américaines. La thérapie génique con- modifié pour être accepté dans le génome. une surexpression du gène et une mul-
La vie telle qu’on la trouve partout au- siste à insérer un gène médicament dans Les cellules modifiées furent injectées au tiplication accrue des érythroblastes. Si
tour de nous se compose de six éléments le code génétique du patient par un vec- patient et, plus de deux ans après, le gène l’insertion est un succès jusqu’à mainten-
majeurs et essentiels: carbone, hydrogène, teur viral rendu inoffensif. En 2007, des était présent dans plus de 10% des cellules ant, les chercheurs craignent malgré tout
nitrogène, oxygène, souffre et phosphore. cellules souches de moelle osseuse avaient de la moelle épinière, dont 3% impliquées que celle-ci ne cause une leucémie en cas
Ces éléments combinés constituent les été prélevées chez le patient âgé de 18 ans. dans la création de globules rouges. Une d’instabilité en raison de l’implication du
acides nucléiques, les protéines et les lipi- Le premier défi a été d’isoler un gène fonc- grande partie du succès du traitement est gène HMGA2 dans plusieurs types de
des, formants ainsi l’essence de la matière tionnel de la bêta-globine, un gène par- probablement due à l’insertion dominante tumeurs cancéreuses. x

BILLET
Le phénomène du chiffre 23...
societe@delitfrancais.com

... où comment remédier à une couverture médiatique médiocre.


Parce que ça vous
démange d’écrire:
Édith Drouin Rousseau
personnes de cette hypothèse était que tous véritable sensationnalisme. Trop de précau-
Mass Animal Deaths: voilà le nom d’une les médias la clament en choeur. tions pour des oiseaux tués par des feux
nouvelle carte publiée tout récemment sur Cette mascarade prouve que la diver- d’artifices.
Google. Celle-ci situe précisément tous les sité des sources est primordiale. Ceci, en Faute d’informations, des gens d’un
endroits sur le globe où on a pu assister à plus de la vitesse incroyable à laquelle les peu partout dans le monde ont décidé de
des morts massives d’animaux. Cette carte informations se propagent, démontre que creuser le phénomène, d’où la fameuse
est visiblement le résultat d’une tendance le journalisme d’investigation n’est plus. carte de Google. Il est plutôt difficile de
que je surnomme «le phénomène du chiffre Comment peut-on se dire journaliste et blâmer ces individus qui soutiennent des
23». Cette expression provient de l’ouvrage tenir pour responsables des événements thèses comme celles de complots du gou-
cinématographique du même nom dans le- pyrotechniques de la mort de ces milliers vernement américain, de l’approche de la
quel le protagoniste principal associe sou- d’animaux? La seule réponse plausible est fin du monde, d’un lien étroit entre toutes
dainement tout ce qui croise son chemin celle-ci: les médias se contentent de répé- les morts massives d’espèce animales à tra-
au chiffre 23. Très loin de vouloir dénigrer ter! vers le monde. Ces thèses ont, au moins, le
cette initiative, bien qu’elle soit un tantinet Une investigation plus développée ne mérite d’être plus développées que celles
cocasse, je tenterai plutôt d’expliquer sa rai- s’est faite qu’à la suite du renouvellement qui sont présentées dans les médias, aussi
son d’être. du phénomène en question, comme si la inusitées puissent-t-elles être.
Lorsque des oiseaux tombaient par mort de milliers doiseaux ne valait pas la Offrez-nous de l’information juste et
milliers dans le ciel de Beepee, un petit vil- peine de se creuser les méninges en pre- réaliste, ou admettez votre ignorance!
lage des États-Unis situé en Arkansas, les mier lieu. En regardant simplement les Je pense que la mort massive d’animaux
médias se sont précipités pour nous com- reportages d’un oeil critique, sans faire de n’est pas forcément un phénomène anor-
muniquer la nouvelle. «Communiquer» recherches, plusieurs faits sont d’évidentes mal. De tels événements ont déjà eu lieu à
puisque les médias n’en ont fait rien de incohérences. Ainsi, si les feux d’artifices maintes reprises dans des régions au Nord
plus. Tous alimentés par la même source, tuaient les oiseaux, nous aurions beaucoup peu habitées, mais puisque c’est arrivé à
ils ont suivi la danse en offrant tout d’abord plus de carnages à notre actif! De plus, il Beepee, les médias se sont sentis pressés de
une hypothèse complètement ridicule: faut noter cette fameuse photo d’un hom- trouver des explications. L’hécatombe doit
les feux d’artifices du nouvel an à Beepee me, digne d’un remake d’E.T, vêtu d’un cependant susciter une interrogation sur la
auraient causé l’hécatombe. La seule straté- vêtement de protection blanc et d’un mas- viabilité de l’environnement dans lequel les
gie en mesure de convaincre des milliers de que à gaz, cueillant des oiseaux morts. Du espèces évoluent. x

10Société xle délit · le mardi 18 janvier 2011 · delitfrancais.com


Arts&Culture
artsculture@delitfrancais.com

Philippe Falardeau (droite) et le comédien Fellag sur le plateau de Bashir Lazhar

CINÉMA
Pascal Ratthé

Le miroir ou l’avant-garde?
Le Délit a rencontré le scénariste et réalisateur Philippe Falardeau afin de discuter de son prochain film, Bashir
Lazhar, et de la représentation de l’Autre dans le cinéma québécois.
Émilie Bombardier retard alors qu’un artiste devrait alors que celui-ci vient de dé- univers à partir de ce que j’ima- cinéma, où l’œuvre doit se faire
Le Délit être en avant de son temps.» barquer au Québec pour obtenir ginais, ce qui me laissait de la autant le miroir d’une société
Diplômé en sciences politi- le statut de réfugié politique et liberté.» peu intéressée par l’Autre que

D
ans la foulée de la sor- que et en relations internationa- qu’il remplace une institutrice Le cinéaste rencontrait par l’avant-garde en représen-
tie de sa comédie poli- les, c’est par «La course destina- qui s’est suicidée sur les lieux Evelyne de la Chenelière après tant une diversité qui est à l’ima-
tique The Trotsky à Los tion-monde», un concours télé- de l’école. Tout en renouant avoir terminé différentes ver- ge de la réalité d’ici: «Lorsqu’on
Angeles, le réalisateur Jacob visuel diffusé par Radio-Canada, avec l’univers de l’enfance qu’il sions du scénario. Sans jamais dort, c’est rare qu’on rêve tout
Tierney avait déclenché tout que Philippe Falardeau a fait explore dans C’est pas moi, je le s’immiscer dans l’adaptation de de suite à l’environnement dans
une polémique dont lui-même ses premières armes au cinéma. jure, le cinéaste présente son sa pièce, la dramaturge a donné lequel on vit. On continue de se
n’envisageait pas l’étendue. Le Vingt films en vingt-six semai- nouveau film comme une fa- quelques idées au cinéaste et a voir dans notre ancien environ-
cinéma québécois ne s’intéresse nes depuis différentes régions ble réaliste sur le deuil: Bashir surtout fait en sorte que le pro- nement. Le jour où chacun de
pas à l’Autre, qu’il soit immi- du monde: la compétition qu’il Lazhar (incarné par le comédien tagoniste soit fidèlement repro- nos rêves intègre notre nouvel
grant ou anglophone, avait-il a remportée en 1993 lui a appris et humoriste Fellag) veut aider duit à l’écran. environnement, cela veut dire
déclaré à La Presse. Plusieurs des les rudiments d’un métier qu’il ses élèves tout en cherchant lui qu’un certain temps est pas-
œuvres financées, diffusées et pratique toujours. Après avoir même à surmonter la perte de sa Un équilibre idéal sé. Le cinéma, on peut le voir
récompensées seraient d’ailleurs participé à la production de plu- propre femme. Sans être contre les œuvres comme quelque chose d’avant-
fondées sur une «glorification sieurs documentaires et présenté Le monologue, qu’il a vu commerciales et les films de gardiste ou comme un miroir.
de la nostalgie», comme en font Pâté chinois, portant sur l’immi- mis en scène il y a quelques an- genre, Philippe Falardeau réi- Avant que le miroir reflète la
foi, selon lui, des films tels que gration chinoise au Canada, le nées, correspondait tout a fait à tère que l’état idéal du cinéma société, il est évident qu’il y a
C.R.A.Z.Y, Polytechnique et 1981. réalisateur se tourne vers la fic- ce que Philippe Falardeau envi- québécois correspondrait sim- un décalage. Je pense que nous
Il n’en fallait pas plus pour lan- tion au début des années 2000, sageait pour son prochain pro- plement à l’atteinte d’un cer- avons la responsabilité d’être un
cer le débat sur plusieurs tri- un peu par hasard. avec La moitié jet: «Ce qui m’a frappé c’était tain équilibre: «Il faudrait clai- miroir mais d’être avant-gardis-
bunes. Philippe Falardeau est- gauche du frigo, qui traite, entre que la pièce [était fondée] sur rement un meilleur équilibre te aussi. Au delà de ça, je crois
il l’exception qui confirme la autres, du chômage: «J’ai été un personnage d’immigrant et entre le cinéma de fiction et le que nous avons la responsabi-
règle? Certainement pas, vous voir un producteur pour lui pro- que ça faisait longtemps que je documentaire. Le documentaire lité de faire la meilleure œuvre
répondra-t-il, mais quelques poser un documentaire et il était voulais faire un film autour d’un ayant fondé notre cinémato- possible, ce qui émane de nous.
signes montrent que les choses plus ou moins intéressé. Il m’a tel personnage. Toutefois, la si- graphie au Québec, [...] il faut Ce qui m’intéresse davantage
vont changer peu à peu. demandé si j’avais autre chose. tuation d’immigrant ou plutôt continuer de s’assurer qu’il y chez un auteur est sa vision du
«Doit-on obliger les scéna- J’ai répondu que je voulais faire de réfugié [de Bashir] n’en était aura une façon de maintenir un monde. On devrait intégrer plus
ristes à parler des immigrants? un documentaire sur mon coloc, pas le sujet principal. C’était équilibre entre le cinéma com- intelligemment notre patrimoi-
Pas du tout. Mais peut-on dire un ingénieur au chômage, mais en toile de fond et le drame se mercial et le cinéma d’auteur. ne. J’ai un problème lorsqu’on
que globalement nous ne nous il s’était trouvé un emploi, donc passait davantage dans ce qu’il Pour l’instant, je pense que cet me dit qu’il faut faire des films
intéressons pas aux autres? c’était tombé à l’eau. [Le film vivait avec les enfants. J’aimais équilibre est assez bien. Malgré sur nous; l’un n’empêche pas
Oui, parce que c’est un fait. Je est donc devenu] une mise en cette idée de faire un film avec la crainte qu’on a de voir le ci- l’autre.»
ne me sentais pas concerné [par abyme de ce que j’ai vécu et de un immigrant qui ne soit pas néma s’américaniser, il reste que Le débat déclenché par
les propos de Tierney], mais je mon métier de documentariste. un discours sur l’immigration. Maxime Giroux, Denis Côté et Jacob Tierney continuera sans
fais partie d’une société qui C’est devenu par accident une J’aimais aussi cette idée d’un Bernard Émond continuent de doute à faire écho dans le milieu
ne s’intéresse pas aux autres. première fiction, mais je ne suis personnage qui mentait, mais faire leurs films. Je pense qu’il cinématographique et sur les
Incendies est un peu l’exception jamais revenu en arrière par la pour une bonne raison, puis- y aura une fusion plus grande tribunes.
qui confirme la règle. Et si les suite.» que [le protagoniste] va mentir à entre le cinéma commercial et le Philippe Falardeau a
gens s’approprient ce film et Après sont venus Congorama, l’école en disant qu’il a déjà été cinéma d’auteur. On l’a vu avec d’ailleurs été invité par l’Univer-
l’aiment, je crois que c’est par- une quête identitaire qui se enseignant, alors que c’était sa C.R.A.Z.Y., qui est indéniable- sité McGill à venir expliquer sa
ce qu’ils sont impressionnés de déroule entre le Québec et la femme qui était enseignante. Il ment un film d’auteur et un film vision de l’identité québécoise
voir qu’au Québec on peut faire Belgique et C’est pas moi, je le jure, ne ment pas pour un gain per- commercial accepté en tant que et de sa transposition sur les
des films qui se passent ailleurs adaptation du roman éponyme sonnel, il le fait pour sublimer tel. Et ce n’est pas une mauvaise écrans le 17 mars prochain aux
avec un lien au Québec. Il faut de Bruno Hébert. Bashir Lazhar la perte de sa femme, morte en chose si on continue à financer côtés du journaliste Brendan
être fallacieux par contre pour s’inspire d’une pièce d’Évelyne Algérie. C’est la richesse du per- des œuvres plus pointues.» Kelly, dans le cadre des ateliers
penser que deux exceptions de la Chenelière racontant la sonnage qui m’intéressait et le Il en est tout autant, se- «Lunch and Learn» présentés
prouvent le contraire. Je trouve relation d’un enseignant sup- fait que c’était un monologue lon lui, de la représentation de par l’Institut d’études canadien-
que là-dessus nous sommes en pléant algérien avec ses élèves, me permettait de construire un l’identité québécoise dans notre nes de McGill. x

xle délit · le mardi 18 janvier 2011 · delitfrancais.com Arts & Culture 11


ARTS VISUELS
La suffisance de l’être
Et si la société de demain se libérait de l’économie de masse pour revenir au petit format?
habitants le plus élevé au monde. l’écran, nous offre une vision
Raphaël Thézé Ce petit pays –sans rentrer dans aussi alarmante que fascinante
Le Délit un protectionnisme mal placé– de la mutation de l’image corpo-
a su promouvoir sa production relle que notre société subit dans

L
’exposition Small is artistique et préserver sa culture sa recherche de perfectionne-
Beautiful, présentée à la en favorisant la vente d’art local. ment esthétique, alors que l’indi-
Galerie [SAS] et née d’un Un monde où règne une appro- vidu oscille entre être humain et
projet conçu il y a deux ans et che plus réfléchie de la produc- mannequin façonné.
demi, invitent plusieurs artistes tion ouvre forcément des portes Dans une même optique de
à reconsidérer leur démarche de et donne envie d’explorer de travail de l’image, Fred Laforge
travail pour rentrer dans le petit nouvelles techniques. Un artiste explore les corps atypiques: triso-
format. La logique initiale des ar- qui a su accéder à de nouvelles miques, obèses, poilus… les reje-
tistes est transformée, leur usage dimensions est certainement tés de la société. Ils sont trans-
des matériaux, leurs techniques Serge Marchetta. À l’aide de fils, formés par l’artiste qui, à travers
ou leur environnement de tra- il construit des formes géomé- la pixellisation de l’image, joue
vail, modifiés. Cela les amène à triques, et joue avec les ombres sur la mémoire et fait oublier au
se recentrer sur une production afin de décupler la dimension de spectateur les formes du visage,
plus économique et mieux pen- l’œuvre. qui s’effacent jusqu’à en devenir
sée. Une vidéo proposée à l’en- abstraites.
L’objectif est d’amener le trée de l’exposition invite le La galerie [SAS] a su, une
visiteur à remettre la société en visiteur à écouter les artistes fois de plus, se démarquer par la
question. L’artiste reconsidère expliquer en quelques phrases ce pertinence de son exposition et
son processus de production, qu’est le petit format, selon eux. la qualité des artistes choisis. Elle
et le visiteur, son mode de vie. Leurs commentaires illustrent sera la seule galerie canadienne
Tout est mis à petite échelle: il bien la démarche personnelle présente à la foire internationale
s’agit d’une micro production, de chaque artiste, qui évoquent d’art contemporain PULSE New
adaptée aux besoins de chacun à chaque fois un aspect diffé- York 2011, où elle exposera l’ar-
et utilisant des ressources loca- rent: une économie d’espace, tiste multidisciplinaire Catherine
les. Le message évoque peut-être de dépense, de temps ou même Bolduc. Alors que la galerie
les contingences d’une société un rapprochement par rapport à [SAS] fait rayonner le potentiel
autarcique, mais sa portée éco- l’œuvre. des artistes québécois, ceux-ci
nomique est grande. Le petit Pour reprendre les mots partagent élégamment avec nous
format invite à un travail de pré- d’Ariane Thézé, «cela devient un leurs questionnements sur la
cision, où la qualité prime sur petit format à partir du moment place que nous occupons dans
la quantité et où la minutie crée où le spectateur doit se rappro- la société et sur notre rapport à
une promiscuité avec l’œuvre. cher de l’œuvre et a une place celle-ci. x
Comme le souligne Frédéric privilégiée, un point de vue uni-
Loury, directeur de la galerie, cet que. On ne peut pas être deux, Small is beautiful 2
esprit à contre-courant des ten- c’est une question de regard». Où: Galerie SAS
dances actuelles n’est pas sans Cette artiste, qui travaille essen- 372, Ste-Catherine O.
Ariane Thézé, Remake-up 4, 39 x 59 cm, 2008 rappeler l’exemple de l’Islande tiellement sur l’autoreprésen- Quand: jusqu’au 22 janvier
Gracieuseté d’Ariane Thézé
qui possède le taux d’œuvres par tation du corps et du visage à Combien: gratuit

CHRONIQUE
Résolution avortée
Rosalie Dion-Picard | Tant qu’il y aura des livres...
moment ou à un autre au cours de une assez bonne base de connais- de). Déjà, je ne connais rien à la
nos études, plus on en apprend sur sances sur, en général, toute? littérature caribéenne, nord-afri-
une question en particulier, plus on S’il est une part de fausse caine ou belge. Et si peu, si peu sur Caligula
réalise l’étendue de son ignorance. modestie dans ce déni, j’ose affir- la nôtre. Tout ceci en plus de faire
Voilà un paradoxe dans lequel mer que c’est surtout une question preuve d’une ignorance abyssale Cette semaine, la troupe de
quelques professeurs m’ont sans d’exactitude; ayant un minimum en matière de littérature française. théâtre les Exclamateurs pré-
complexe affirmé nager, ce qui m’a de culture, on est vite mis face à Si on parle de littérature anglaise, sentera Caligula en collaboration
beaucoup rassurée («Ainsi, je ne l’évidence que, pour avoir un peu américaine ou hispanophone, j’ose avec Art Neuf. Il s’agit de la célè-
suis pas seule!» me suis-je écriée, de culture sur tout en général, à peine me permettre, de temps à bre pièce existentialiste d’Albert
en extase, dans un bureau lam- il faudrait avoir plutôt deux vies autre, un petit hochement de tête. Camus mettant en scène l’empe-
brissé du pavillon des Arts). Raison qu’une. Puis, on arrive au problème En musique, en arts visuels, en reur romain éponyme. Celui-ci est
pour laquelle j’ai été étonnée de de la mesure: comment quantifier théâtre, en danse, de partout, mes empreint de perversion, de mépris
surprendre cette conversation en- la culture? (À part à l’aide d’un test connaissances sont d’une impor- et d’horreur pour les Hommes.
tre deux individus ayant étudié au sur Facebook, s’entend.) tance proportionnelle à la Terre Dans sa quête de destruction, en-
moins autant que moi: On savait déjà que «la culture, dans l’univers. traîné par ses passions, il orches-
Cette année, je n’ai «Toi, t’as quand même une c’est comme la confiture». C’est N’allez pas croire toutefois tre sa propre destruction. Est-il
pris aucune résolution. J’ai tou- bonne culture générale. aussi un peu comme le sens esthé- que c’est parce que j’ai trouvé mon simplement insensé ou bien est-
jours eu l’impression qu’une réso- - Non, je ne crois pas… Je tique: quelqu’un qui dit avoir beau- diplôme dans une boîte de céréales. ce un homme comme les autres,
lution de nouvelle année était, par veux dire, il y a beaucoup de choses coup de goût n’en a généralement En fait, ce serait plutôt l’inverse: on déchiré par sa rage?
définition, vouée à une mort certai- à connaître, et j’en connais si peu… pas. Tout comme ceux qui préten- ne m’a pas permis les généralisa-
ne quelque part en février. Tous les D’ailleurs c’est quoi, la culture gé- dent aimer les longues marches en tions ou les raccourcis, on m’a ap- Mise en scène de Pierre-Édouard
employés de centres sportifs ou de nérale?» forêt, les couchers de soleil et le pris à vérifier mes intuitions avant Chomette.
restaurants fast food vous le diront. Question fondamentale s’il en cinéma, mais qui confondent réel- de les affirmer, on a fait de moi –et
Voilà pourquoi l’énoncé «en 2011, est une. Qu’est-ce que la culture, lement fantasmes et passe-temps. de bien d’autres– une lectrice pro- Au centre Calixa-Lavallée (au
je veux améliorer ma culture géné- en général? Tout ça pour dire que, quand fessionnelle. cœur du parc Lafontaine) du 19
rale» me semble empreint d’une Tous les arts, toutes les litté- j’entends un commentaire du style Alors, vraiment, la culture en au 22 janvier 2011 à 20h. Pour
naïveté à la fois touchante et un ratures, de toutes les époques –et de «oui, mais toi, tu as étudié la général, je ne pourrais pas dire que toute information ou réservation:
peu bête. encore, on ne parle pas de culture littérature, tu dois être très culti- je suis douée. Je ne sais, à toutes (514) 776-6456
D’autant plus que, comme scientifique ou historique... Qui, vée», je m’étouffe un peu avec mon fins pratiques, même pas ce que exclamateurs@gmail.com
nous l’avons tous constaté à un vraiment, peut se vanter d’avoir cocktail, ou avec ma salive (à défaut c’est. x

12 Arts & Culture xle délit · le mardi 18 janvier 2011 · delitfrancais.com


THÉÂTRE
Un polar théâtral al dente
Le théâtre Blanc et le Théâtre l’Escaouette présentent Nature morte dans un fossé, une pièce écrite par un jeune
auteur italien prometteur, Fausto Paravidino.
Marion Andreoli monologues longs et peu aérés. mées sur un écran d’ordinateur.
Le Délit Cela requiert beaucoup de concen- Cet assemblage de natures
tration de la part des acteurs qui mortes, nous le retrouvons dans

I
talie. Après une soirée tein- interviennent vocalement ou physi- la pièce, par le biais d’images pro-
tée d’alcool et de sexe, Boy quement tout au long des monolo- jetées sur scène tout au long de la
(Christian Essiambre) percute gues. Seul bémol: le débit de paroles représentation. Pour Jean Hazel, la
un arbre avec sa voiture. Dans un des comédiens –tantôt trop rapide, nature morte contemporaine n’est
fossé, il fait une drôle de décou- tantôt trop mâché– rend difficiles la donc pas statique, contrastant avec
verte: du sang, un corps nu… une compréhension et l’assimilation de une société qui reste prisonnière de
femme sauvagement assassinée! certaines informations. ses préjugés et de ses illusions.
C’est ainsi que débute l’infernale La pièce de Fausto Paravidino
course contre la montre de l’ins- est présentée dans le programme Une société suspecte
pecteur Cop –brillamment inter- par le metteur en scène Christian À mi-chemin entre polar théâ-
prété par Kevin McKoy– qui tra- Lapointe comme un «récit de l’im- tral et critique, Nature morte dans un
que sans relâche le coupable. Seize médiat [où] les acteurs ne sont pas fossé propose une réflexion sociale
heures avant la parution du journal à jouer de façon réaliste leurs «per- et politique sur notre société. Le
du soir se met en place un véritable sonnages». Ils sont en général oc- dramaturge nous entraîne dans
casse-tête. Tour à tour, les protago- cupés à faire des actions concrètes un univers obscur où règnent dro-
nistes témoigneront. qui sont liées à la narration.» gue, prostitution et violence, et où
les gens sont avides de pouvoir et
L’immédiat conjugué à tous les Nature morte en mouvement d’argent. Cette atmosphère pesante
temps Le scénographe Jean Hazel, di- et dérangeante est rendue digeste
L’enquête prend vie sous nos recteur artistique du Théâtre Blanc, par l’humour noir et la mise en scè-
yeux. Devant nous, un décor épuré s’est inspiré du titre de la pièce pour ne décalée de Christian Lapointe.
éclairé par des néons, créant une construire son univers scénique. Si, L’une des question soulevées est
ambiance crue qui prend vie grâce de première abord, la nature morte particulièrement intéressante: la
aux différents jeux de lumière et au désigne des objets inanimés, il est façon dont on meurt pourrait-
monologue des protagonistes –le intéressant de transposer cette défi- elle être un choix? Si les victimes
travail de chorale est époustouflant. nition dans nos sociétés actuelles. connaissaient d’avance leur assas-
Nicolas Frank Vachon
Les voix tracent différents chemins Reprenant la conception de Warhol sin, leur existence consisterait à
où s’animent de nombreux per- reliant la nature morte à une socié- courir –bon gré, mal gré– vers ce au début de la pièce prennent sens par son sujet à la fois étonnant et
sonnages à travers les témoignages. té de consommation, Jean Hazel rendez-vous avec la Faucheuse. On au fur et à mesure de la représen- provocateur. x
Elles convoquent divers espaces- pense que la nature morte de notre ne peut échapper à la Mort, qu’elle tation.
temps où se superposent passé, génération serait celle des quelques soit provoquée par un autre ou par La course contre la mon- Nature morte dans un fossé
présent et futur. La magie de la minutes de gloire rendues possibles soi-même: ainsi, Boy se passe la tre s’achève, après un peu moins Où: Espace Libre
reconstitution opère sous nos yeux. grâce aux réseaux sociaux ou autres corde au cou, anticipant le dénoue- de deux heures de spectacle, sur 1945 rue Fullum
Nicolas Frank Vachon
Le texte n’a pas dû être facile interfaces du web, donnant ainsi un ment final. Tous les accessoires que une fin brutale et imprévisible. Quand: Jusqu’au 22 janvier
à se mettre en bouche, à cause des assemblage de natures mortes ani- nous présentent les protagonistes Nature morte dans un fossé rafraîchit Combien: 21,25 $

THÉÂTRE
Le cru au théâtre
Sébastien David offre dans En attendant Gaudreault/Ta yeule Kathleen un texte brut d’ambitions toujours castrées.

En attendant Gaudreault Ta yeule Kathleen


Jérémie Battaglia Jérémie Battaglia

à son nourrisson de deux mois, pour lui acheter de la dope, Dédé effet, les personnages vivent selon Un peu comme Beckett
Habib Hassoun Kathleen. Elle confesse la douleur pour venger son frère mort d’une un arbitraire quelque peu impulsif quelques soixante ans plus tôt,
Le Délit de sa solitude et de son impuis- surdose. exprimé ici par une orgie de mots Sébastien David offre un texte
sance sur un ton robotique et dans Outre quelques rares scènes pas beaux. sur le malheureux ridicule de la

P
résentée pour la première un discours sans ponctuation. d’interaction, la pièce est principa- La forme très rythmée du condition humaine.
fois dans une version moins Suite à une courte interrup- lement constituée d’un ensemble texte et le ton mécanique qu’em- Oui, sur ces attentes tou-
développée, En attendant tion, William (Sébastien David) et de monologues qui s’interpénè- ploient les personnages s’en trou- jours douloureuses, mais da-
Gaudreault est précédée d’une Dédé (Frédéric Côté) rejoignent trent les uns les autres et qui finis- vent étonnamment touchants. vantage sur un fantasme tant
autre pièce du même dramaturge Monique (Marie-Hélène Gosselin) sent par créer entre les trois per- Essentiellement sans ponctuation, décousu qu’emblématique: le
Sébastien David, Ta yeule Kathleen sur scène pour former une triade sonnages une toile sociologique le texte ne tombe pas dans le cli- fantasme d’une meilleure vie,
exposant ainsi le climat et l’épo- pas belle dont la complicité dra- d’infortunes et de déceptions. ché des discours sur les petits mal- possible ou impossible. x
que de la pièce suivante. Elle ne matique est aussi forte que l’unité Le décor est constitué de trois heurs; sa profondeur est singulière
joue pas, pour autant, un rôle se- des discours. chaises, métaphore de l’austérité et son émotion, vive. D’ailleurs, En attendant Gaudreault/Ta yeule
condaire; son discours et son récit En attendant Gaudreault pour- et du désœuvrement, mais aussi cette célébration de phrases effu- Kathleen
sont autonomes. suit la même thématique du mal- de la mobilité sociale et de l’ab- sives forme la matière du texte Où: Théâtre d’aujourd’hui
Jouée par Marie-Hélène heur individuel. Les trois person- sence d’attachement; de l’errance. de la même force que sa manière. 3900 rue Saint Denis
Gosselin, Ta yeule Kathleen, est le nages attendent Gaudreault pour Celle-ci n’est d’ailleurs pas uni- L’attente généralisée et inassouvie Quand: Jusqu’au 29 janvier
monologue d’une mère mono- des raisons différentes: Monique quement physique: elle est men- donne l’unité à l’errance des dis- Combien: 20 $
parentale qui adresse un discours est amoureuse de lui, William tale, psychiatrique dirait-on. En cours.

xle délit · le mardi 18 janvier 2011 · delitfrancais.com Arts & Culture 13


COUP DE CœUR

The King’s speech


Xavier Plamondon lencieux, incapable de prononcer Bientôt, une relation bien personnalité. Même verdict quant à
Gracieusité d’Alliance Films

VI au pouvoir, soit l’abdication


Le Délit un mot. Il souffre d’un handicap particulière s’établit entre le futur la performance de Geoffrey Rush, d’Edward VIII, son frère aîné, ainsi
depuis l’enfance, et malgré main- monarque et Lionel. Incapable de qui incarne avec brio l’Australien que la crise constitutionnelle qui a

D
ans le drame histori- tes thérapies, maintes cigarettes et respecter le protocole ou de s’abs- au tempérament peu commun. entouré l’affaire.
que The King’s Speech, maintes billes dans la bouche, le tenir de poser des questions embar- Finalement, même si le rôle d’He- On est également témoin de la
Colin Firth incarne le roi Duc doit composer avec cet obsta- rassantes, l’Australien met à rude lena Bonham Carter est relégué au montée du nazisme en Allemagne
George VI qui doit corriger son cle. Pendant ce temps, la Duchesse épreuve le tempérament bouillant second plan, il faut tout de même et des dynamiques au sein de la po-
bégaiement afin de rassembler de York, future Reine Élizabeth et impatient du Duc. Ainsi, Lionel souligner sa performance mémora- litique britannique de l’époque qui
l’empire Britannique à l’aube de la (Helena Bonham Carter), pour- insiste pour que le Duc l’appelle par ble et ses commentaires distingués. ont mené le pays en guerre. Cette
Seconde Guerre mondiale. suit ses recherches afin de trouver son prénom, et au lieu de s’adres- De surcroît, l’humour anglais, subtil dualité disparaît lorsque, à la fin du
Dès la scène d’ouverture, qui un orthophoniste capable d’aider ser à His Royal Highness, il l’appelle et incisif, aide à rythmer le film, qui film, la tension atteint son paroxys-
se déroule en 1925 au Wembley son mari. Suite à des recom- tout simplement Bertie. Peu à peu, autrement aurait pu devenir lourd. me. Le roi doit adresser un discours
Stadium lors de la British Empire mandations, elle trouve dans un grâce à des exercices de chant et La photographie est égale- à la nation, diffusé par la BBC dans
Exhibition, le spectateur éprouve quartier malfamé de Londres un des répétitions de juron, George VI ment remarquable. La caméra rend tout l’empire. La similarité entre le
de la pitié envers le Duc de York Australien aux méthodes contro- parvient à surmonter son handicap bien la morosité et le brouillard discours original de George VI et la
(Colin Firth). Devant une foule versées, l’orthophoniste Lionel en faisant preuve de courage et de Londonien, ainsi que la richesse performance de Colin Firth est frap-
immense, le futur roi demeure si- Logue (Geoffrey Rush). détermination. des décors et des costumes. Le pante. Accompagnée de la 7e sym-
Le jeu de Colin Firth, sacré spectateur appréciera cette œuvre phonie de Beethoven, la pronon-
meilleur acteur lors de la cérémonie surtout pour l’excellent amalgame ciation du discours est une scène
des Golden Globes pour son rôle de entre histoire et Histoire. D’un magistrale. À l’aube de la Deuxième
George VI, est prodigieux. Non seu- côté, on en apprend davantage sur Guerre mondiale, le roi peut enfin
lement l’acteur maîtrise-t-il l’aspect George VI, sur ses relations avec les faire entendre sa voix afin d’unir la
technique et mécanique du bégaie- membres de sa famille et sur son nation.
ment du monarque, mais il trans- amitié avec cet humble Australien. Un épisode passionnant de
met en plus à merveille l’incidence De l’autre, on comprend mieux les la monarchie britannique dans ce
psychologique de ce malaise sur sa circonstances qui ont porté George chef-d’œuvre du septième art. x

L’ÉDITO CULTUREL

Où en est la culture?
Annick Lavogiez
Le Délit De plus, les sorties culturelles les salles de danse. Difficile de lut-
telles que le cinéma possèdent un ter contre ces discours pessimistes

L
a compagnie d’analyse caractère exceptionnel, contraire- généralement ponctués de chiffres
Mintel a récemment publié ment, par exemple, aux sorties culi- de vente désastreux.
des résultats particulière- naires qui sont plus fréquentes. Il Mais que penser de ces dis-
ment intéressants comparant la fré- serait donc plus aisé d’économiser cours et de ces réactions lorsque
quentation des théâtres et des pubs sur les dépenses quotidiennes que l’on peut lire dans The Stage que la
en Angleterre pendant la récession sur les petits plaisirs que l’on s’offre culture, au fond, ne se porte pas si
économique qui a eu lieu entre 2008 uniquement quelques fois par mois. mal?
et fin 2010. Les données, présentées L’indéniable succès des spectacles à
par Natalie Woolman dans l’article grand public The Lion King et Wicked Un certain public
«Theatres trump restaurants and pubs in confirme la motivation du public à Il suffit peut-être simplement
recession, says market research», publié continuer, quelque soit le contexte de s’attarder dans certains lieux
dans le journal The Stage, montrent économique, à fréquenter salles de montréalais pour comprendre que
qu’en période de crise, 43% des spectacles et autres lieux culturels. le rapport Mintel pourrait bien
gens qui vont régulièrement dans avoir raison du pessimisme de l’élite
des pubs ont tendance à réduire Quelle réalité pour la culture? intellectuelle déçue du Salon du
leur présence dans ces lieux, tandis Si les résultats de cette étude Livre. Les cafés ne regorgent-ils pas
que seulement 21% de l’audience peuvent surprendre, c’est qu’ils toujours de jeunes et moins jeunes
des théâtres changent leurs habitu- soulèvent un questionnement inté- étudiants ou autres travailleurs qui
des culturelles. 5% d’entre eux affir- ressant et actuel vis-à-vis de cette parlent culture, discutent de leurs
ment également envisager d’aug- perte de vitesse du secteur culturel dernières lectures, se conseillent
menter leur fréquentation, contre dont une certaine élite aime à se des spectacles «à ne rater sous
1% pour les habitués des pubs. plaindre. aucun prétexte» ou encore se met-
C’est, entre autres, dernière- tent en route vers la Cinémathèque
Pas question de sacrifier les plai- ment, au Salon du livre de Montréal Québécoise pour une rétrospective
sirs culturels que l’on pouvait entendre, dans le sur Jean Epstein ou Joyce Wieland
Les lieux et événements cultu- coin des «petites» maisons d’éditions (en ce moment à l’affiche)?
rels conserveraient donc leur attrait, (Le Quartanier, L’oie de Cravan, De plus, les journaux étudiants
même en période de crise, à l’inver- etc.), des éditeurs, des auteurs, des des différentes universités montréa-
Aspirez à une grande carrière artistique se des bars, boîtes de nuit, restau- lecteurs et d’autres intellectuels plus laises ne prouvent-ils pas, eux aussi,
DEMANDES D’ADMISSION rants, etc. Les économies n’auraient ou moins élitistes se morfondre de quotidiennement, qu’il existe une
Date limite : pas lieu d’être en milieu culturel. la baisse d’intérêt du public pour les communauté qui se passionne pour
1er MARS 2011 Pourquoi? Le rapport affirme que la différents secteurs culturels, et par- la culture, quelle que soit sa forme,
Un réseau de neuf écoles au Québec raison se situe dans le fait que tant ticulièrement, évidemment, pour la et, oui, quelque soit son prix. Cette
que les industries du cinéma, du littérature. Les gens achètent moins communauté, si elle n’est pas gran-
théâtre (et pourrait-on ajouter, de de livres, ne se précipitent plus au dissante, n’en est pas pour autant à
la danse et de la littérature?) four- cinéma comme avant, les salles de négliger, ou à oublier.
niront de bons «produits» en retour théâtre se vident et les quelques Et le rapport de Mintel prou-
de l’argent investi par leur public, il films sur le ballet récemment parus vera à ceux qui ne sont pas convain-
n’y a aucune raison qu’ils régressent sur nos écrans ne suffisent pas à cus que l’avenir de la culture n’est
en termes économiques. donner envie au public de remplir pas en danger. x

14 Arts & Culture xle délit · le mardi 18 janvier 2011 · delitfrancais.com


CHRONIQUE
Un inventaire
de l’étrange
Luba Markovskaia
acheté dans une librairie d’occasion
du Plateau Mont-Royal nommée
Le Port de tête (premier indice de
fiction pour les lecteurs montréa-
lais: Le Port de tête n’est pas une
librairie d’occasion!), s’empare du
texte des livres qui le côtoient dans
la bibliothèque du protagoniste. Le
caractère fantastique de cette nou-
velle rappelle celui des nouvelles
d’Edgar Allan Poe: l’esprit du lec-
teur oscille entre l’impression d’une
présence du surnaturel et le doute
quant à la lucidité du personnage,
ce qui permet de conserver une
possibilité de réalisme.
Un cabinet de curio- Dans les parties suivantes du
sités était, depuis la Renaissance recueil, cet aspect réaliste disparaît,
jusqu’au XIXe siècle, une pièce et le lecteur est plongé sans retour
privée où l’on exposait des collec- envisageable dans un monde fan-
tions de raretés et d’objets insolites. tastique cruel, d’une beauté mor-
Ancêtre du musée, ce lieu se carac- bide et bigarrée. Un motif parti-
térisait par son éclectisme permet- culièrement troublant parcourt
tant des juxtapositions très surpre- chacune des nouvelles: le meurtre
nantes entre objets hétéroclites. Ces ou la mutilation récurrente d’un
collections étaient pourtant géné- enfant impose une certaine gravité
ralement inventoriées, et la lecture à l’imaginaire délirant du recueil.
d’un catalogue répertoriant les ob- Le décor de ce monde, ou plu-
jets dont elles regorgeaient procure tôt de ces mondes, trahit un certain
aujourd’hui un effet d’énumération culte pour l’esthétique de l’artifice,
étourdissant d’étrangeté. typique de la tradition des cabinets
C’est dans cette esthétique de curiosités dont l’une des catégo-
d’accumulation que s’inscrit Le ries d’objets se nommait artificialia.
cabinet de curiosités, recueil de On rencontre donc un marchand
nouvelles de David Dorais paru de marionnettes qui œuvre à la
en novembre dernier aux éditions création d’une maquette parfaite
L’instant même. L’auteur se com- de Bruxelles activée par un méca-
plaît dans la succession infinie nisme savant, un parc d’attractions
d’images, de lieux et de personna- où tout –jusqu’au crépuscule per-
ges plus fantasmagoriques les uns pétuel qui y règne– est le produit
que les autres. Plus qu’un simple d’une invention humaine et, dans
inventaire, toutefois, Le cabinet de un futur dystopique, des corps de
curiosités offre un véritable par- femmes en plastique vendus dans
cours dans ce musée de l’insolite, les grands magasins, des robots qui
non seulement d’un objet à l’autre, remplacent des musiciens de grou-
mais aussi entre différents lieux et pes de rock…
différentes époques. L’énumération d’éléments hé-
Les nouvelles de la partie téroclites devient presque un délire
«Première armoire» se déroulent en de l’imaginaire dans la description
Europe, au XIXe siècle; celle intitu- systématique de chacun des manè-
lée «Deuxième armoire» a lieu pres- ges du parc d’attractions dans la
que intégralement au Québec, tan- plus longue nouvelle du recueil. Le
dis que la «Troisième armoire» ren- narrateur de cette nouvelle, David,
ferme des nouvelles futuristes. Ce s’excuse même auprès de son inter-
parcours se caractérise également locuteur de s’être emporté dans ces
par une plongée progressive dans descriptions, comme s’il s’agissait là

Matière grise et
le monde onirique, voire cauche- d’un appel à l’indulgence au lecteur
mardesque, orchestré par l’auteur, de la part de l’auteur devant cette
puis en une remontée à la surface, jouissance de l’accumulation.
comme un réveil brusque après une La dernière nouvelle du vo-

pensées libres
nuit de rêves inquiétants. lume met en scène David Dorais,
«La gemme noire», première «jeune écrivain fort apprécié dans
et unique nouvelle de la partie les cercles littéraires». Elle décrit
«Dans un coffre», se passe dans sa fascination pour les cabinets
un Montréal contemporain. Le de curiosités, sa recherche achar-
personnage, qui narre la nouvelle née d’un inventaire à la BnF et la
à la première personne, est profes-
seur de littérature au Cegep –tout
genèse du recueil que nous tenons
entre les mains. Il s’agit donc d’un
par Raphaël Thézé
comme l’auteur qui s’y présente retour à l’écriture réaliste dont le
d’ailleurs avant tout comme un style prosaïque et l’humour rap-
lecteur. Arpentant les librairies à la pellent le David Dorais de la revue
recherche de lectures inusitées, il L’Inconvénient. Toutefois, un retour
contemple sa volumineuse biblio- total n’est pas garanti: comme le
thèque et dit ne pouvoir cesser de personnage de la nouvelle «Das
lire, ce qui a pour effet d’annoncer Spukhaus» qui ne peut se débar-
d’emblée le recueil d’un lecteur rasser des apparitions du parc d’at-
passionné et érudit. Dans cette pre- tractions, on demeure hanté, après
mière nouvelle, le lecteur s’engouf- avoir refermé le livre, par les spec-
fre peu à peu dans la fiction et dans tres issus de l’imaginaire de David
le fantastique: un livre mystérieux Dorais. x

xle délit · le mardi 18 janvier 2011 · delitfrancais.com Arts & Culture 15

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