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Syndrome de compression et traumatisme – M. OLIVIER, D.

DEREU • MÉDECINE D’URGENCE

SYNDROME DE COMPRESSION
ET TRAUMATISME
Michel OLIVIER, Domitille DEREU*

Toutes les parties du corps peuvent être gravement comprimées lors d’un
traumatisme. Les compressions thoraciques et abdominales étant traitées par
ailleurs, nous centrerons notre propos sur les compressions de membres.

La gravité des compressions de membres tient principalement au mécanisme


d’ischémie-reperfusion des muscles qui transforme un traumatisme
périphérique en pathologie systémique potentiellement mortelle. Plusieurs
mécanismes contribuent au décès plus ou moins précoce : un choc
hypovolémique, une toxicité cardiaque aiguë, une insuffisance rénale aiguë et
in fine un syndrome de défaillance multiviscérale. Par ailleurs, cet écrasement
survient souvent dans le cadre d’accidents graves (voiture, sport, accidents
du travail, catastrophes…) et s’intègre dans le contexte de polytraumatismes
avec atteinte simultanée des fonctions vitales.

Le syndrome d’écrasement (« Crush Injury ») est décrit pour la première fois


par Bywaters et Beall à la suite du Blitz de Londres lors de la deuxième guerre
mondiale en Mars 1941 [1]. Il associe suite à une rhabdomyolyse, membres
oedématiés, choc, urines sombres et insuffisance rénale conduisant à la mort
dans 91%. Bywaters propose, après expérimentation animale, une hydratation
saline précoce restaurant une diurèse, associée à une alcalinisation.

Lors de la guerre de Corée, la dialyse rénale réduit la mortalité à 53%. Les


évacuations précoces réduisent encore la mortalité (à 50% toutefois) pendant
la guerre du Vietnam. Depuis, les tremblements de terre (Algérie, Mexique,
Arménie, Turquie, Japon…) ou les effondrements d’immeubles (Israël) ont
permis de valider l’intérêt d’un remplissage précoce et agressif pendant la
désincarcération. En 1999 à Marmara (Turquie) la branche européenne de la
« Disaster Relief Task Force » s’est déployée dans les 6 heures et à réduit la
mortalité des 462 insuffisances rénales aiguës à 19% grâce, en particulier, à
des appareils d’hémodialyse portables [2].

Nous envisagerons successivement la physiopathologie de la rhabdomyolyse,


ses conséquences cliniques, la prise en charge préhospitalière et à l’accueil,
ainsi que certains traitements complémentaires utiles comme l’oxygénothérapie
hyperbare.

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MÉDECINE D’URGENCE • M. OLIVIER, D. DEREU – Syndrome de compression et traumatisme

I – PHYSIOPATHOLOGIE DE LA RHABDOMYOLYSE
TRAUMATIQUE

1 – L’ischémie :

Le muscle peut supporter une ischémie de 3 à 4 heures. En cas d’écrasement,


cette durée est réduite à 1 heure [3]. L’ischémie du membre secondaire à la
compression perturbe la production ou l’utilisation de l’ATP. Les systèmes
de réserve du muscle (Myoglobine pour le stockage d’oxygène et Créatine/
Phosphocréatine pour le stockage de l’énergie) ne produisent de l’ATP que
très peu de temps et la glycolyse, productrice de lactate, ne prend le relais que
30 à 40 secondes [4].

Cette diminution d’énergie perturbe l’homéostasie cellulaire. La pompe Na-K


ATPase-dépendante ne peut plus expulser le sodium de la cellule. Sodium
et eau s’accumulent dans le cytoplasme du myocyte entraînant un œdème
intracellulaire.

Le dysfonctionnement des pompes Na-K ATPase-dépendantes entraîne


une accumulation du calcium ionisé dans le cytosol dans lequel baigne la
mitochondrie, responsable de contractures ou crampes.

Protéases activées et production non contrôlée de radicaux libres attentent à


l’intégrité de la cellule [5].

Les troubles de perméabilité de la membrane augmentent encore la pénétration


massive d’eau et de sodium responsables de l’étirement des cellules.

Il en résulte une augmentation de pression interne de muscles contenus dans


des aponévroses peu extensibles. Les vaisseaux nourriciers et les nerfs sont
comprimés.

L’extravasation peut être suffisante pour induire une hypovolémie.

La production de radicaux libres et l’acidose locale aggravent les lésions


membranaires. Le contenu cellulaire, en particulier le potassium, se déverse
massivement dans le milieu extra cellulaire et plasmatique exposant au risque
de troubles du rythme cardiaques, aggravés par l’hypovolémie, l’hypocalcémie,
l’hyperphosphatémie et l’acidose lactique [6].

La reperfusion aggrave ce phénomène ainsi que la diffusion de « toxines »


dans tout l’organisme.

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2 - La reperfusion

La levée d’obstacle compressif rétablit le débit sanguin, les toxines musculaires


circulent dans l’organisme.

De plus, cette re-circulation aggrave les lésions tissulaires et augmente


l’étendue de la zone nécrotique [7].

L’arrivée massive d’oxygène au niveau du muscle strié squelettique induit la


production de radicaux libres et une augmentation de leur effet toxique.

Les radicaux libres provoquent la fixation des polynucléaires neutrophiles aux


cellules endothéliales [8]. Les monocytes et macrophages tissulaires sécrètent
des cytokines qui aggravent la réaction inflammatoire locale.

Il s’en suit un dysfonctionnement des cellules endothéliales, une augmentation


de la perméabilité et donc de l’œdème, accompagné de perturbations de la
microcirculation.

Ces phénomènes peuvent ne pas être irréversibles, y compris les nécroses, s’il
l’ischémie n’est ni trop sévère, ni trop longue.

3 – De la pathologie locale à la maladie globale :

A l’hypovolémie s’associe la diffusion générale des contenus cellulaires


(potassium, phosphore, créatine phosphokinase (CPK), myoglobine, des
radicaux libres et des cytokines. La CIVD locale résultant de ces phénomènes
et de la libération de thromboplastine tissulaire en grande quantité tend à
s’exporter vers d’autres organes.

Cœur, foie, poumon, rein sont touchés.

La sommation de tous ces éléments favorise l’apparition d’une défaillance


multiviscérale (Tableau 1).

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Traumatismes des membres


± intervention chirurgicale

Lésions tissulaires Hypovolémie


Immobilisation
Ostéoarticulaires Et anémie
Et musculocutanées hémorragiques

Mise en jeu Ischémies


Rhabdomyolyse
des processus tissulaires
hémostatiques Contamination
Translocation
bactérienne Reperfusions tissulaires
Expansion volémique
Œdème
pulmonaire
Faillite des
mécanismes Activation des médiateurs de l‛inflammation
Et rétrocontrôle

Inadéquation des apports Syndrome inflammatoire réactionnel sévère


Énergétiques et
nutritionnels
Défaillance multiviscérale précoce et/ou tardive

Tableau 1 : Conséquences générales des traumatismes de membres et de leurs


traitements [9]

4 – L’insuffisance rénale :

L’insuffisance rénale est la plus fréquente des atteintes organiques. Elle est
secondaire à l’association d’une hypoperfusion de la médullaire rénale à la toxicité
directe de la myoglobine sur le rein. Il en résulte une nécrose tubulaire aiguë. Le
Tableau 2 résume les mécanismes induisant l’insuffisance rénale aiguë.

La médullaire rénale est plus touchée que la corticale car physiologiquement


son débit est limité pour préserver le gradient osmotique et permettre la
concentration des urines. La pression partielle en oxygène dans des conditions
physiologiques est de 50 mmHg dans la zone corticale alors qu’elle n’est que
de 10 à 20 mmHg dans la médullaire. La médullaire est donc un zone à risque
d’ischémie. Ce risque est très aggravé par l’hypoperfusion de l’organisme
entraînant une vasoconstriction de la circulation rénale mal protégée. Dans une
expérimentation animale, malgré la toxicité de la myoglobine, en l’absence
d’hypovolémie, il n’y a pas eu de nécrose tubulaire et d’insuffisance rénale [10].

La myoglobine est toxique pour le rein par 3 mécanismes différents [11] :


• Aggravation de la vasoconstriction du à la structure hémique qu’elle contient
qui est vasoconstrictrice.

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• Précipitation intratubulaire de la myoglobine et de l’acide urique. Ce


mécanisme augmente avec l’acidité des urines qui elle même augmente
avec l’hypovolémie.
• Le fer de la myoglobine catalyse des réactions de radicaux libres, réactions
initiées par l’ischémie. Il en résulte un effet toxique direct sur les cellules
tubulaires.

Ces mécanismes sont comparables à ceux induits par l’hémoglobine libre


après hémolyse.

Tableau 2 : Phénomènes myocytaires au cours de la rhabdomyolyse et des


mécanismes d’insuffisance rénale aiguë [12]

Au total :
• Première étape : ischémique locale avec libération de produits toxiques
cytoplasmiques, de facteurs de l’inflammation et augmentation de la
perméabilité capillaire responsable d’hypovolémie.
• Deuxième étape : reperfusion aggravant l’hypovolémie et diffusant les
facteurs toxiques dans tout l’organisme.
• Troisième étape : insuffisance rénale aiguë par hypovolémie et toxicité
directe de la myoglobine. Atteintes d’organes vitaux pouvant entraîner une
mort plus ou moins rapide par toxicité directe, réactions à l’inflammation ou
défaillance multiviscérale.

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II- SIGNES CLINIQUES ET BIOLOGIQUES

1- Clinique :

La compression prolongée des membres par écrasement, ensevelissement,


incarcération… entraîne l’ischémie musculaire et les conséquences que
nous venons de détailler dans le chapitre précédent. S’y ajoutent des lésions
tissulaires locales directes : cutanées, vasculaires, nerveuses et osseuses au
niveau du membre, créant le « crush syndrome ». La violence des mécanismes
lésionnels induit souvent des atteintes de fonctions vitales à distance qui
définissent un polytraumatisme, compliquent la prise en charge et engagent
grandement le pronostic vital.

a. Lésions cutanées :

Elles sont immédiates sous forme de dermabrasions, ecchymoses ou


décollements cutanés. L’apparition de phlyctènes est précoce.

b. Lésions osseuses :

Il peut s’agir de fractures fermées ou ouvertes. Gustillo a classifié les fractures


ouvertes en 3 niveaux (tableau 3). La gravité des lésions cutanées aura un
impact certain sur le risque infectieux secondaire (tableau 4).

TYPE I TYPE II TYPE III

• Ouverture < 1cm • Ouverture > 1cm A - Fermeture possible


• Pas de souillure • Pas de contusion des • Contusion des parties molles
• Fracture stable partie molles • Fracture comminutive quelle que
•Contamination modé
modérée soit la lé
lésion cutané
cutanée
• Comminution modé
modérée B - Fermeture impossible
• Dépériostage
• Comminution (+++)
• Contamination importante
C - Lésion arté
artérielle à réparer
• Quel que soit le type de
fracture ou d'ouverture cutané
cutanée

Tableau 3 : classification de Gustillo des fractures ouvertes

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Lésion Nature des lésions Infection


traumatiques
Grade I Ouverture cutanée < 1 cm sans
lésion des parties molles
0 à 9%

Grade II Ouverture cutanée > 1 cm avec


lésion modérée des parties
1 à 12%
molles

Grade III A Lésions plus importantes des


parties molles
7 à 18%

Grade III B Lésions sévères des parties


molles avec foyer de fracture
22 à 42%
découvert

Grade III C Association de lésions


vasculonerveuses nécessitant
35 à 65%
une réparation chirurgicale

Tableau 4 : Risque infectieux des fractures ouvertes en fonction de la nature de la


lésion traumatique [13].

c. Lésions vasculaires et nerveuses :

Les gros troncs vasculaires sont fréquemment atteints lors d’écrasement de


membres, souvent en regard d’étirements ou de fractures comminutives, en
particulier au niveau huméral proximal, au niveau du coude ou du genou.

Les nerfs quant à eux souffrent lors de crush syndromes par ischémie ou
étirements, voire amputations partielles, les plus fréquemment touchés sont
les nerfs du plexus brachial, en particulier le radial et les branches du nerf
sciatique.

d. L’atteinte musculaire :

La rhabdomyolyse se traduit classiquement par fatigue, douleurs musculaires


et urines foncées. Fatigue et douleurs musculaires seront masqués par le coma
ou l’agitation d’un polytraumatisme. Quant aux urines, elles sont colorées
d’abord en rouge par la myoglobine (la myoglobinurie doit être suffisante
pour colorer les urines : 1000 mg/l correspondant à 200 g de muscle nécrosé).
L’acidité des urines dissocie la myoglobine en globine et ferrihémate qui
colorent ensuite les urines en rouge-brun.

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L’œdème musculaire secondaire à la compression est cliniquement palpable.


Le muscle, limité dans sont expansion par les aponévroses est dur. Cet œdème
expose rapidement au syndrome de loge avec des signes d’ischémie et
paralysies sensitivo-motrices.

L’impression clinique de tension des loges peut être confirmé par la mesure
des pressions grâce à de petits appareils de mesure (Strycker®). La pression
normale se situe entre 0 et 8 mmHg. Une pression inférieure à 30 mmHg impose
une surveillance. Entre 30 et 40 mmHg, une aponévrotomie est nécessaire en
présence de signes cliniques (abolition des pouls en particulier). Si la pression
est supérieur à 40 mmHg ou si PSA Diastolique moins Pression des loges est
inférieure à 30 mmHg, l’aponévrotomie doit être réalisée d’urgence [14,15].

e. Les complications générales

Le crush syndrome s’accompagne au plan général d’une hypovolémie avec


oligo-anurie puis d’un état de choc. Des troubles neuropsychiques et une
hyperventilation sont associés à l’état de choc traduisant l’acidose métabolique.
L’élévation majeure de la kaliémie, très souvent présente, provoque des
modifications de l’ECG et des troubles du rythme cardiaque. CIVD et SDRA
peuvent également survenir en raison des éléments toxiques diffusés dans
l’organisme lors de la reperfusion.

f. Les lésions du polytraumatisé

Crâne, rachis, thorax et abdomen peuvent être lésés dans le cadre d’un
écrasement. Nous insisterons plus particulièrement sur les fractures
hémorragiques du bassin qui accompagnent souvent les écrasements des
membres inférieurs. La recherche des ces lésions impose un examen clinique
rigoureux complété par une imagerie moderne et adaptée (tomodensitométrie
multibarette).

2- Biologie

a. Troubles ioniques et métaboliques

► Hyperkaliémie : elle est due à la libération du potassium intracellulaire


(110 mmole kg-1) de la cellule musculaire lésée, aggravée par l’hypovolémie
et la baisse du débit de filtration rénale. Elle est précoce, dès le premier
bilan hospitalier. Elle n’est pas corrélée à l’urée ou à la créatinine qui

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peuvent être normales au début. Son traitement représente une urgence


thérapeutique.

► Hypocalcémie : elle est constante. Elle devra être respectée, l’apport de


calcium ira directement dans la cellule sans remonter la calcémie.

► Hyperphosphorémie : lorsqu’elle est présente, elle aggrave


l’hypocalcémie.

► Acidose métabolique : elle est due à la libération d’acides organiques et


lactique de la cellule musculaire lésée et par l’état de choc et l’insuffisance
rénale. Elle doit être corrigé car elle aggrave l’hyperkaliémie et favorise la
précipitation intra-tubulaire de myoglobine en particulier. Elle induit une
polypnée avec hyperventilation imposant souvent une intubation devant la
détresse respiratoire induite.

► Hypoalbuminémie : apparaît dans les premiers jours du fait de l’altération


de la perméabilité membranaire capillaire et semble être, parmi d’autres,
un facteur prédictif d’insuffisance rénale (Tableau 5)

Points -4 -2 0 1 2 3 4 6 8 10

Phosphorémie - - 0,65 0,97 1,29 1,61 1,94 2,58 3,23 -


(mmoles/l)
mmoles/l)

Kaliémie (mmoles
(mmoles/l)
/l) - - - - 2,5 3,1 3,7 5,0 6,2 7,4

Albuminémie (g/l) 46 23 - - - - - - - -

CPK > 6000 UI/l - - non oui - - - - - -

Déshydratation - - non - oui - - - - -

Sepsis - - non - oui - - - - -

Tableau 5 : Score de prédiction d’une insuffisance rénale aiguë secondaire à une


rhabdomyolyse. Risque < 5% si total ≤ 5, Risque > 50% si total ≥ 7 [16]

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b. Myoglobinémie / Myoglobiurie

La myoglobine est une petite molécule (133 acides aminés) éliminée par le
rein (1/2 vie 6 heures). Il y a 4 mg de myoglobine par gramme de muscle.
La myoglobinémie normale est inférieure à 18 ng ml -1.
La myoglobinurie est négative si la myoglobinémie est inférieure à 1,5 mg
dl-1 soit une lyse de 100 g de muscle. La coloration rouge rosée des urines, qui
doit être recherchée, correspond à une myoglobinurie importante (1000mg l-1)
dans des urines alcalines. En deçà de cette dose, la myoglobinurie infra clinique
(5 à 10 mg l-1) peut être détectée par les bandelettes urinaires utilisées pour
rechercher une hématurie. Lorsque l’urine est acide, ce qui est spontanément
le cas, l’urine est colorée en brun par dissociation de la myoglobine en globine
et ferrihémate. Le risque de précipitation tubulaire dépend de la quantité de
myoglobine dans les tubules et du pH urinaire (acide).

Les pics de myoglobinémie et myoglobinuries sont souvent d’apparition rapide


dans les premiers jours après le traumatisme. Les bandelettes urinaires, bien
que pouvant réagir à une hématurie associée (dans le cadre du traumatismes)
sont des outils indispensables pour la surveillance de la myoglobinurie et la
correction du pH urinaire qui doit être ≥ 6,5 afin d’éviter la précipitation
tubulaire.

c. Enzymes musculaires

L’élévation des CPK signe la nécrose musculaire. Le pic de concentration


n’apparaît qu’au 3ème jour après le traumatisme aigu. On peut parler de
rhabomyolyse si les CPK sont supérieures à 1000 UI l-1. Des CPK à 7000
UI l-1 correspondent à une rhabdomyolyse modérée. Le risque d’insuffisance
rénale est réel pou des CPK > 16000 UI l-1.

d. CIVD

Les troubles de l’hémostase cliniques et biologiques sont fréquents et graves


dans les syndromes d’écrasement. Plusieurs mécanismes contribuent à la
CIVD : spoliation et consommation des facteurs de l’hémostase et de globules
dans le cadre du traumatisme et des incisions aponévrotiques de décharge,
dilution secondaire au remplissage, syndrome inflammatoire réactionnel
systémique, acidose métabolique, hypocalcémie, hypothermie… Leur
recherche doit être précoce et répétée.

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e. Insuffisance rénale.

L’insuffisance rénale est présente dans 31 à 52% des rhabdomyolyses


traumatiques [17], elle est le plus souvent anurique. Plusieurs facteurs sont
prédictifs d’une insuffisance rénale : hyperphosphorémie, hyperkaliémie,
hypoalbuminémie, CPK > 6000, sepsis et surtout deshydratation (Tableau
5).

En revanche, dans une étude expérimentale, une injection de myoglobine


induisant une myoglobinurie importante n’a pas induit d’insuffisance rénale
en l’absence d’hypovolémie [11].

Par ailleurs, des bicarbonates veineux < 17 mmol l-1 à l’arrivée à l’hôpital
sont facteur de risque majeur d’insuffisance rénale [18].

Dans la phase initiale du traumatisme, le taux de créatinine n’est pas


uniquement le reflet de l’insuffisance rénale, mais peut dépendre de la libération
de la créatinine du muscle (environ 5 fois le taux plasmatique [6]).

III- TRAITEMENTS

Les no0mbreuses publications retraçant l’histoire naturelle du crush syndrome


au décours des catastrophes naturelles ou des effondrements d’immeuble nous
ont appris les causes de mortalité des patients non traites (Tableau 6).

Mortalité immédiate Traumatisme crânien grave


Asphyxie
Traumatisme thoracique ou abdominal grave
Mortalité précoce Hyperkaliémie
Choc hypovolémique
Mortalité retardée Insuffisance rénale
Coagulopathie et hémorragie
Sepsis

Tableau 6 : Causes de mortalité du Crush syndrome non traité [19]

Les traitements s’attacheront à éviter les aggravations de lésions établies


(crâne, thorax), à corriger les conséquences de l’écrasement (hyperkaliémie,
choc hypovolémique) et à prévenir l’insuffisance rénale, la coagulopathie,
l’hémorragie et le sepsis.

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1 – Préhospitalier

Nous rappellerons en introduction la complexité organisationnelle de la prise


en charge précoce de nombreuses victimes dans le cadre de désastres naturels
ou de guerres imposant une organisation et des moyens relevant de la médecine
de catastrophe. Le déploiement dans les 6 heures de la branche européenne
de la « Disaster Relief Task Force » a grandement contribué à la survie de
patients traumatisés lors du tremblement de terre de Marmara en Turquie en
1999 [2]. En France, Plans Rouges et Plans Blancs permettent de déployer les
moyens nécessaires lors de survenue d’écrasements traumatiques impliquant
de nombreuses victimes.

Si le diagnostic préhospitalier de syndrome d’écrasement est difficile à


affirmer, le mécanisme lésionnel doit le faire évoquer et un traitement adapté
doit être instauré de principe le plus précocement possible.

La prise en charge médicale préhospitalière doit être axée sur 2 problèmes


vitaux :
• L’hypovolémie
• L’hyperkaliémie.

a. L’hypovolémie :

La mise en place de plusieurs voies veineuses périphériques de calibre suffisant


(16 à 14G si possible) est indispensable.
• Les Cristalloïdes : ils sont la base du traitement de l’hypovolémie du
syndrome d’écrasement. Le Nacl isotonique à 0,9% est le traitement
de choix à la posologie de 1000 à 1500 ml la première heure [20].
L’hydratation des heures suivantes sera de 500 ml h-1 alternant Nacl
0,9% et sérum Glucosé 5% afin d’éviter l’hypernatrémie. Le Ringer
Lactate est contre indiqué car il contient du potassium.
• Le sérum salé hypertonique 250 ml (Hyperhes®) n’a jamais été
évalué. Son intérêt théorique apparaît toutefois pour plusieurs raisons :
action rapide sur la volémie, induction d’un diurèse osmotique
conseillée par certaines équipes, volume réduit intéressant dans la
gestion matérielle des catastrophes.
• Les Colloïdes : les Hydroxy Ethyl Amidons sont utiles lorsque à
l’hypovolémie secondaire aux troubles de la perméabilité capillaire
s’associe un choc hémorragique avec hypotension artérielle nécessitant
un remplissage vasculaire efficace et rapide.

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b. L’hyperkaliémie :

Elle peut être très brutale, concomitante de la levée de l’ischémie et de la


reperfusion. Elle s’accompagne d’hypocalcémie, d’hyperphosphorémie
et d’acidose. La surveillance scopique est indispensable avant et pendant
la phase et désincarcération, et durant toute la période préhospitalière à la
recherche de l’apparition d’ondes T amples et pointues. En présence de signes
électriques, l’injection de chlorure de calcium, l’alcalinisation (Bicarbonate
de Na 0,84% 50 à 100 mmol) et la diurèse forcée (remplissage important par
cristalloïdes) et osmotique (Mannitol 20% 1 à 2 g kg-1 dans les 4 premières
heures) sont recommandées et à adapter à la réponse scopique.

Si l’état du patient impose une anesthésie générale avec intubation, la


succinylcholine (Célocurrine®) est contre indiquée car elle aggrave
l’hyperkaliémie.

c. Autres éléments de prise en charge préhospitalière :

• Oxygénation au masque à haute concentration, voire intubation


et ventilation contrôlée en fonction des indications crâniennes ou
thoraciques,
• Possibilité d’introduction de catécholamines à action α et/
ou β devant un choc hémodynamique majeur ne répondant pas au
remplissage,
• Immobilisation du membre comprimé ± fracturé,
• Analgésie multimodale ± sédation ou anesthésie générale,
• Protection de plaies et antibiothérapie adaptée anti staphylococcique
et germes anaérobies (amoxicilline + acide clavulanique 2 g ±
gentamycine 2 à 3 mg kg-1),
• Pansement compressif sur les plaies hémorragiques,
• Protection contre l’hypothermie.

d. Le garrot compressif, sujet à controverse :

Le garrot compressif aurait pour objectif d’empêcher la libération de


métabolites toxiques au moment de la reperfusion du membre. Aucune étude
n’a prouvé son intérêt. De plus, il peut aggraver la nécrose musculaire qui
n’est intense qu’autour de la 4ème heure d’ischémie.

Anesthésie Réanimation Urgences – LE SYMPO TOULOUSE 2008 • 171


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Le garrot semble contre indiqué avant la 6ème heure d’ischémie en préhospitalier,


en dehors, bien entendu de la prise en charge vitale d’hémorragies artérielles
massives.

Si le garrot est posé avant la levée d’ischémies très longues, il doit l’être sur
décision médicale pour éviter au patient de mourir d’hyperkaliémie. Le garrot
ne doit être que veineux et une fois posé, il sera laissé serré.

2 – Au déchocage

La phase initiale de l’accueil hospitalier s’attachera de manière concomitante


à gérer :
• Le diagnostic :
- des différentes lésions du membre ou d’un polytraumatisme,
- confirmant la rhabdomyolyse,
• Le traitement :
- des atteintes vitales initiales
- de prévention des conséquences attendues de l’ischémie /
reperfusion.

La phase diagnostique s’appuie sur la clinique, l’imagerie lourde (TDM


multibarette, artériographie) et la biologie (cf chapitre II).

La prise en charge des lésions vitales neurologiques, respiratoires ou


hémodynamiqus est bien codifiée. Nous nous attacherons donc aux points
spécifiques de la prise en charge des compressions de membres.

a. Monitorage spécifique

• Cardioscope et ECG pour surveillance des conséquences électriques


de l’hyperkaliémie,
• Voie veineuse centrale pour remplissage, administration de
catécholamines, mesure de la ScvO2 (> 70 mmHg),
• Pression artérielle sanglante pour gestion adaptée de
l’hypovolémie, et contrôles itératifs des gaz du sang,
• Sonde urinaire (si possible avec contrôle thermique) pour
surveillance de la diurèse horaire, de la myoglobinurie, et de la
température centrale,
• Capteur de pression de loges musculaires pour surveiller le risque
ischémique post reperfusion,

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• Doppler oesophagien (si le patient est intubé) ou échographie


cardiaques itératives pour optimiser le remplissage,
• Sp02 pour optimiser l’oxygénation et alerter sur l’apparition d’un
éventuel syndrome de défaillance pulmonaire aiguë secondaire au
remplissage massif.

b. Lutte contre l’hypovolémie : l’objectif principal.

C’est l’objectif prioritaire du traitement. L’expansion volémique est au premier


plan, mais les catécholamines peuvent être également nécessaires.

Lutter contre l’hypovolémie a pour but :


• De réduire le déséquilibre de perfusion qui aggrave l’ischémie initiale
et tend à « exporter » l’atteinte vers d’autres organes [6],
• D’assurer un transport d’oxygène satisfaisant vers les cellules,
• De prévenir l’hypoxie de la médullaire rénale responsable de
l’insuffisance rénale.

L’objectif de diurèse à atteindre est de 3 ml kg-1h-1, ce qui correspond en


moyenne à 7 ± 3 litres/jour et jusqu’à 12 litre/j de remplissage pour assurer
une diurèse horaire de 200 ml [21], pendant au moins 3 à 4 jours, tant que les
CPK n’ont pas chuté.

La qualité du produit de remplissage perfusé fait l’objet de propositions diverses


[21,22]. Les auteurs s’accordent toutefois sur deux principes de base :

- Solutions hypo-osmotiques à base de sérum glucosé 5%, contenant 110 à


130 mmol l-1 de chlorure de sodium ± 1,5 mmol l-1 de magnésium.
- Alcalinisation par adjonction de bicarbonate de Na+ avec pour objectif
un pH urinaire ≥ 6,5

L’adjonction de calcium est inutile en dehors de la transfusion sanguine et


dans un but hémostatique, car le calcium pénètre dans la cellule et ne corrige
pas l’hypocalcémie toujours présente qui doit donc être respectée.

L’expansion volémique massive n’est pas sans risque lorsqu’elle est associée
à une perméabilité capillaire pathologique et à un syndrome inflammatoire
majeur. La masse musculaire représente 40% du poids du corps et un
traumatisme sévère peut provoquer jusqu’à 12 litres de séquestration [22]. Ces
phénomènes expliquent les défaillances pulmonaires aiguës décrites dans le
crush syndrome ou les polytraumatismes. Ceci est une limite au remplissage

Anesthésie Réanimation Urgences – LE SYMPO TOULOUSE 2008 • 173


MÉDECINE D’URGENCE • M. OLIVIER, D. DEREU – Syndrome de compression et traumatisme

massif et impose outre une optimisation du remplissage par un monitorage


adapté, une surveillance étroite de la fonction respiratoire.
Nous rappellerons pour mémoire que le pronostic d’une hypoxémie
réfractaire est bien plus grave que celui d’une insuffisance rénale anurique sur
rhabdomyolyse, capable de récupérer après trois semaines d’hémodialyse. La
notion de bénéfice/risque du remplissage massif doit toujours être présent à
l’esprit du réanimateur.

Cette réserve sur les risques de remplissage massif émise, la réduction du risque
d’insuffisance rénale s’appuie toutefois sur la correction de l’hypovolémie,
sur l’alcalinisation et parfois l’adjonction de Mannitol. Nous abordons ces
deux derniers points dans le chapitre ci-dessous.

c. Eviter l’insuffisance rénale


• Etroite relation entre alcalinisation et correction de l’hypovolémie sur
la fonction rénale :
- La correction du débit rénal par la lutte contre l’hypovolémie prévient
le risque d’hypoxie de la médullaire rénale et dilue la myoglobine
excrétée. Remplissage et alcalinisation associés, diminuent
l’importante consommation d’énergie pour réabsorber le sodium et
les échange du Na+ avec K+ et H+.
- Par ailleurs, le pH urinaire alcalin est le déterminant principal de
la solubilité de la myoglobine et de l’hémoglobine dans les urines.
Le pH urinaire dépend du pH sanguin mais aussi de la volémie.
Alcalinisation et remplissage sont donc synergiques.

Le pH sanguin ne doit toutefois pas dépasse 7,5 car une alcalose métabolique
importante provoque une acidose cellulaire et une hypercapnie.

- L’alcalinisation peut être réalisée par perfusion de sérum bicarbonaté


à 1,4% pour maintenir l’objectif de pH urinaire ≥ 6,5. Les perfusions
alcalines seront poursuivies pendant 3 jours en moyennes, temps
nécessaire à l’élimination de la myoglobine.

d. Les diurétiques de l’anse sont utilisables.

Le furosémide présente le risque théorique d’acidifier les urines à mettre


en balance avec sa capacité à augmenter la PO2 médullaire en bloquant
les échanges tubulaires et réduisant par cela les dépenses énergétiques. Le
furosémide peut donc être associé si la volémie est contrôlée, ou en cas de
fonction cardiaque altérée et/ou de surcharge volémique impactant sur la
fonction respiratoire.

174 • LE SYMPO TOULOUSE 2008 – Anesthésie Réanimation Urgences


Syndrome de compression et traumatisme – M. OLIVIER, D. DEREU • MÉDECINE D’URGENCE

e. Le mannitol :

Recherchant les effets bénéfiques su la rhabdomyolyse, Ward rapporte


l’intérêt de l’injection de produit de contraste iodé qui pourrait venir
de son effet diurétique [16]. Cet élément est en faveur de l’absence de
restriction des indications de l’injection d’iode aux fins diagnostiques dans
les tomodensitométries des traumatisés graves (sous réserve d’un volémie
contrôlée !).

L’utilisation du mannitol, en association à l’expansion volémique peut être


justifiée par ses différentes actions résumées sur le tableau 7.

Pré rénal Augmentation du volume vasculaire


Augmentation du débit cardiaque et de la contractilité du
coeur
Possibilité de réduction de la pression des loges dans le
syndrome compartimental
Rénal Augmentation du débit de filtration glomérulaire
Augmentation de la pression et du débit intra tubulaire
Dilatation de la vascularisation rénale
Induction d’une diurèse osmotique
Tableau 7 : Effets du Mannitol dans la Rhabdomyolyse [16]

Les posologies préconisées par Better et Stein sont de 10 g de Mannitol 20%


par litre de perfusion [22].

f. Catécholamines :

Noradrénaline ou Adrénaline peuvent être utile à la réanimation


efficace des écrasements graves de membre, en particulier par l’effet α limitant
la vasoplégie massive secondaire au syndrome inflammatoire réactionnel
systémique généralisé.

3- Dans les premières 24 heures

a. L’antibiothérapie :

Le risque septique est majeur sur ce terrain ischémique. L’antibiothérapie


débutée si possible en pré hospitalier, sera poursuivie et s’appuiera sur les
recommandations de la SFAR résumées sans le tableau 8.

Anesthésie Réanimation Urgences – LE SYMPO TOULOUSE 2008 • 175


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Lésion Produits Posologie Durée


Céfazoline 2 g avant Xie Dose unique (+ 1g si
durée > 4h)
Fracture fermée
Allergie :
Vancomycine 15 mg Kg-
Kg-1 avant Xie Dose unique

Fracture ouverte TTT 48h


(grade I & II) Céfazoline 2 g avant Xie (+ 1g à 4ème h, +
1g 8ème h)
Fracture ouverte Amoxicilline/
Amoxicilline/Ac Clav + 2 g + TTT 48h
Genta 2 à 3 mg Kg-
Kg-1 avant Xie (+ 1g à 2ème h, +
avec plaie
2g/8h)
souillée
Allergie : 600 mg + TTT 48h
Clindamycine +Genta
+Genta 2 à 3 mg Kg-
Kg-1 avant Xie (+ 600mg à 4ème
h, + 600mg/6h)
Polytraumatisme Amoxicilline/
Amoxicilline/Ac Clav 2 g avant Xie Dose unique (+ 1g
à la 2ème h)
avec choc
hémorragique Allergie :
600 mg + Dose unique
Clindamycine +Genta
+Genta
2 à 3 mg Kg-
Kg-1 avant Xie

Tableau 8 : Conférence de consensus de la SFAR en matière d’antibiothérapie et


d’antibioprophylaxie dans les fractures et plytraumatismes 1992, Modifiée 1999.

b. La transfusion sanguine :

Elle est souvent nécessaire de par la spoliation et la consommation de globules


et de facteurs de l’hémostase secondaire au traumatisme, mais également aux
incisions de décharges nécessaires en cas de syndrome de loge. De plus, la
dilution par le remplissage aggrave les troubles de l’hémostase qui doivent
être corrigés. L’objectif a atteindre est 9 à 10 g d’hémoglobine. La coagulation
sera corrigée par administration de Fibrinogène ( objectif > 1g/l), de plasma
frais congelé, de plaquettes et de calcium.
Bien qu’actuellement n’ayant pas d’AMM, 200 mg kg-1 de facteur VII
activé recombinant (Novoseven®) peuvent être prescrits dans le cadre d’une
utilisation protocolée devant une hémorragie persistante malgré une chirurgie
d’hémostase bien conduite, après la correction momentanée de l’hémostase et
homéostasie correcte (pH et température).

c. La chirurgie des traumatismes :

Dans le cadre de polytraumatismes :


• la chirurgie pourra être vitale, d’hémostase dans les traumatismes
abdominaux, thoraciques ou dans les hématomes compressifs
intracérébraux

176 • LE SYMPO TOULOUSE 2008 – Anesthésie Réanimation Urgences


Syndrome de compression et traumatisme – M. OLIVIER, D. DEREU • MÉDECINE D’URGENCE

• Dans les traumatismes hémorragiques du bassin, l’embolisation devra être


discutée.

La chirurgie du membre écrasé pourra comprendre 3 phases :


• Une phase de contention osseuse faisant souvent appel à des fixateurs
externes en raison des lésions cutanées et musculaires.
• Une phase vasculaire en cas d’ischémie par section ou thrombose artérielle
ou veineuse nécessitant la réalisation de pontages.
• Une phase de fasciotomie : elle pourra être réalisée au décours de la
chirurgie osseuse et vasculaire si la tension musculaire secondaire au
traumatisme et à l’œdème est cliniquement menaçante.

La tension aponévrotique peut apparaître secondairement au remplissage


et à la reperfusion. La surveillance clinique associée à la prise de pressions
de loges grâce à un capteur adapté (FigureA) est primordiale. Elle doit être
itérative afin d’intervenir avant que la nécrose musculaire ne soit constituée.
La pression normale se situe entre 0 et 8 mmHg. Une pression inférieure à 30
mmHg impose une surveillance. Entre 30 et 40 mmHg, une aponévrotomie
est nécessaire en présence de signes cliniques (abolition des pouls en
particulier). Si la pression est supérieur à 40 mmHg ou si PSA Diastolique
moins Pression des loges est inférieure à 30 mmHg, l’aponévrotomie doit
être réalisée d’urgence [14,15].

0,3 ml de sérum physiologique


Figure A : capteur de pression de loges musculaire Strycker®

La réalisation de fasciotomies, mettant le muscle a ciel ouvert, va induire


une suffusion liquidienne et sanguine très importante, souvent masquée, au
début, par les pansements. Elle impose une prise en charge agressive dans les
apports liquidiens et les transfusions de globules et de facteurs de coagulation
massifs.

Anesthésie Réanimation Urgences – LE SYMPO TOULOUSE 2008 • 177


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► La question de l’amputation du membre peut se poser !

Il s’agit d’une décision très difficile à prendre d’emblée de par ses conséquences
fonctionnelles et psychologiques. Elle impose une discussion pluridisciplinaire
préalable et s’appuiera :
- sur l’impossibilité d’une revascularisation du membre
- ou la présence de lésions trop graves pour être correctement traitées
chirurgicalement
- et souvent associées à la mise en jeu du pronostic vital par un saignement
persistant et un syndrome inflammatoire généralisé responsable de détresses
hémodynamique et respiratoire ne répondant plus à une réanimation
agressive.

Souvent, si l’état général du patient l’autorise, un sursis à l’amputation


sera proposé, et des techniques comme l’oxygénothérapie hyperbare seront
associées pour tenter de limiter les conséquences de l’ischémie.

d. L’oxygénothérapie hyperbare

L’Oxygénothérapie Hyperbare (OHB) apparaît théoriquement apte à réduire


l’hypoxémie induite par le crush syndrome (Tableau 9). De plus l’OHB
lutte contre la prolifération bactérienne (aérobie et anaérobie) en stimulant
les macrophages et favorise la cicatrisation tissulaire par une action sur le
collagène.

Cet effet théorique bénéfique a été confirmé par un groupe d’expert se basant
sur l’analyse de travaux parus sur le sujet [24].
FiO2 0,21 1 1 1

Pression (ATA) 1 1 2 3

PAO2 (Torr) 104 673 1433 2193

PaO2 (Torr) 100 627 1267 2000

O2 Combiné 19,7 20,1 20,1 20,1


(ml/100ml)

O2 Dissous 0,3 1,88 3,8 6


(ml/100ml)
Tableau 9 : Action de l’oxygénothérapie hyperbare sur les pressions partielles
d’oxygène combiné et dissous.

178 • LE SYMPO TOULOUSE 2008 – Anesthésie Réanimation Urgences


Syndrome de compression et traumatisme – M. OLIVIER, D. DEREU • MÉDECINE D’URGENCE

Les recommandations pour les séances d’OHB sont les suivantes : O2 100%,
2,5 ATA, 90 minutes, 2 séances/jour, 6 à 7 jours.

La mise en place de capteur de pression partielle d’O2 transcutanée permet


de juger de l’efficacité des séances et a un certain intérêt prédictif sur l’avenir
du membre.

Par expérience, il n’est pas toujours facile d’amener, surtout le premier jour,
un malade instable au caisson d’OHB. Il apparaît toutefois utile, devant cet
intérêt reconnu de l’OHB, de se battre contre les difficultés pratiques pour
réaliser la première séance le plus tôt possible, et de continuer les jours suivants
les séances, matin et après midi.

e. Hémofiltration précoce et/ou hémodialyse palliative :

L’hémofiltration veino-veineuse précoce visant à éliminer la myoglobine


circulante reste à démontrer [25].
En revanche, l’hémodialyse permet de contrôler une hyperkaliémie menaçante
ou une insuffisance rénale installée.

IV – CONCLUSION

L’écrasement traumatique de membre est d’abord une pathologie régionale


grave qui peut rapidement devenir générale et mettre en jeu le pronostic vital
par le mécanisme d’ischémie/reperfusion du membre écrasé.

Ce phénomène induit :
• la diffusion de toxines du cœur (K+), du rein (myoglobine) et de facteurs
de l’inflammation pouvant induire une défaillance multiviscérale,
• la séquestration liquidienne dans le membre responsable d’une
hypovolémie délétère pour cœur et le rein et un syndrome compartimental
ischémique,
• un risque septique et hémorragique majeur compliquant la prise en
charge.

La réanimation initiale doit être agressive pour réduire d’abord l’hypovolémie


et l’hyperkaliémie, puis maintenir la diurèse afin d’éviter l’insuffisance
rénale, ensuite gérer les possibles complications générales hémodynamiques,
respiratoires, hémorragiques et septiques et les complications ischémiques
locales dues à la survenue d’un syndrome compartimental.

Anesthésie Réanimation Urgences – LE SYMPO TOULOUSE 2008 • 179


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La compression de membre est d’autant plus grave si elle survient dans le


cadre d’un polytraumatisme car l’ischémie/reperfusion aggrave les atteintes
vitales ou lorsque de nombreuses victimes sont impliquées (catastrophes)
retardant souvent la réanimation agressive initiale.

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