Vous êtes sur la page 1sur 2

Le Monde.

fr Page 1 sur 2

Editorial - Analyses article précédent article suivant

Loi du silence Analyse

Un " croisé prêt à tout "


La tentation du retour au malthusianisme
La tentation du retour au malthusianisme

Café des sports

" On nourrit, mais on trahit "


S ommes-nous trop nombreux ? Longtemps taboue, la question revient dans les débats, portée par un
double phénomène : l'insécurité alimentaire et le réchauffement climatique. Entre ceux qui doutent
des capacités de la planète à nourrir 9 milliards d'individus en 2050 - après, le chiffre devrait diminuer -
et ceux qui sont convaincus que la lutte contre le réchauffement climatique impose une moindre pression
démographique, les thèses malthusiennes font à nouveau des adeptes.

Rappelons qu'à la fin du XVIIIe siècle l'économiste (et pasteur) britannique Thomas Malthus a expliqué,
dans son Essai sur le principe de population, que la progression géométrique (2, 4, 8, 16...) de celle-ci
causerait sa perte puisque les ressources alimentaires suivaient, elles, une progression arithmétique (2,
4,6,8...).

La révolution industrielle et l'explosion des rendements agricoles allaient lui donner tort. Mais,
aujourd'hui, plusieurs facteurs se conjuguent pour la rendre à nouveau séduisante. L'économiste Daniel
Cohen a résumé la situation aux Journées de l'économie de Lyon. Au moment même où, grâce à la
mondialisation, une partie importante de l'humanité sort de la loi de Malthus et s'apprête à rejoindre le
niveau de vie des Occidentaux, la contrainte écologique nous rappelle que le monde que l'on croyait
infini ne l'est pas. En 2007, le groupe d'experts sur le changement climatique (GIEC) confirmait que " le
PIB par habitant et la croissance démographique ont été les principaux facteurs de l'augmentation des
émissions mondiales de gaz à effet de serre durant les trois dernières décennies du XXe siècle ".

Bien qu'elle s'en défende, une agence de l'ONU a estimé nécessaire, à trois semaines du sommet de
Copenhague, de revenir sur le sujet, constatant que " la crainte de paraître favorable à une régulation
de la démographie a jusqu'à une date récente fait éviter toute mention de la "population" dans le débat
sur le climat ". Pourtant, note l'ONU, " chaque naissance entraîne non seulement les émissions
imputables à ce nouvel être durant tout le cours de sa vie mais aussi les émissions produites par tous
ses descendants ". Bien sûr, les modes de vie ont aussi une influence sur le climat - certains spécialistes
jugent par exemple qu'en réduisant le nombre d'habitants par foyer, un divorce a plus d'impact sur le
réchauffement qu'une naissance -, néanmoins la question démographique est centrale. L'ONU semble
faire sien ce constat énoncé dès 1992 par l'Académie des sciences aux Etats-Unis : " De solides
programmes de planification familiale sont conformes à l'intérêt de tous les pays sur le plan des
émissions de gaz à effet de serre aussi bien que sur celui du bien-être social. "

On ne saurait être plus explicite. Les dirigeants chinois ne se privent pas de rappeler aux Occidentaux
que l'état de la planète serait pire s'ils n'avaient pas limité les naissances à un enfant par famille. En
France, le député (Verts) Yves Cochet propose de cesser de verser des allocations familiales au-delà du
deuxième enfant. Les partisans de la décroissance ont beau expliquer qu'à leurs yeux il n'y a pas trop
d'êtres humains mais trop d'automobilistes, la réponse est un peu courte. Certains en conviennent. Elle
l'est d'autant plus que, comme le rappelle Daniel Cohen dans La Prospérité du vice (Albin Michel,
2009), quel que soit le niveau de vie atteint, ce n'est pas la richesse qui fait le bonheur mais
l'enrichissement. Le toujours plus.

Comment résoudre la contradiction ? Les économistes classiques miseront sur le progrès technologique.
Après tout, Malthus a énoncé sa théorie au moment même où, pas très loin de là, l'Ecossais James Watt
inventait la machine à vapeur qui allait permettre la révolution industrielle et rendre obsolètes les
craintes malthusiennes. La croissance verte et durable n'en est qu'à ses balbutiements. De plus, certaines
solutions sont à portée de main.

Sachant qu'un kilo de boeuf nécessite jusqu'à 15 000 litres d'eau et que le bétail consomme près de la
moitié des céréales produites sur Terre, une diminution de notre consommation de viande résout une
partie du problème. Selon l'usage qui est fait des céréales, la Terre pouvait nourrir au début du XXIe
siècle entre 3,7 et 10 milliards de personnes.

Changer nos comportements alimentaires sera d'autant plus impérieux qu'il est vain de vouloir réguler la
population. Dans un petit essai très pédagogique, Vie et mort de la population mondiale (Editions Le
Pommier/Cité des sciences et de l'industrie, 2009), le démographe Hervé Le Bras note que " l'invocation
de la population mondiale donne l'illusion qu'on peut la modifier mais il n'existe aucune institution
capable d'imposer une législation destinée à limiter la croissance démographique (ou à l'encourager) "

L'aspiration des femmes à plus d'égalité et les espoirs d'ascension sociale de leurs enfants par l'éducation
sont, selon lui, les deux moteurs de la baisse de la fécondité. La parité et l'égalité des chances
constitueraient-elles deux piliers du développement durable ? Ce serait en tout cas la meilleure réponse à
apporter à Malthus qui, lui, n'envisageait pas que les pauvres puissent bénéficier de la moindre
ascension sociale.

http://abonnes.lemonde.fr/titresdumonde/091126/frame_ANA.html 25/11/2009
Le Monde.fr Page 2 sur 2

Frédéric Lemaître

Rédaction en chef

Courriel :

lemaitre@lemonde.fr

article précédent article suivant

http://abonnes.lemonde.fr/titresdumonde/091126/frame_ANA.html 25/11/2009

Vous aimerez peut-être aussi