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16 SOLIDARITÉ LE COURRIER

MARDI 10 MARS 2009

LABOLIVIE PREND LE SILLAGE DE L’AUTO ÉLECTRIQUE


LITHIUM • Les constructeurs automobiles s’intéressent à nouveau à l’électrique et lorgnent sur les réserves
boliviennes de lithium. Le président Evo Morales conditionne son exploitation à son industrialisation in situ.
BERNARD PERRIN moitié des réserves mondiales
L’électricité ne fonctionne que de ce métal aussi léger que pré-
de 19h à 22h, l’eau potable est cieux, principalement dans le
rationnée, le bus ne passe salar d’Uyuni, une étendue de
qu’une fois par semaine, et la plus de 10 000 km2, vestige
ville la plus proche, Uyuni, est à d’un lac d’eau de mer asséché.
trois heures d’une piste dé- Certaines études évoquent des
foncée... Les quelque 500 habi- réserves atteignant près de
tants qui composent la com- 6 millions de tonnes de li-
munauté de Rio Grande, au thium, d’autres parlent de
cœur de l’altiplano bolivien, 9 millions.
vont pourtant bientôt sortir de «Mais ces études n’ont pris
leur isolement et auront accès à en compte que la première
tous les services de base: le pré- couche de saumure, qui renfer-
sident Evo Morales en person- me le lithium. Or le salar alterne
ne s’y est engagé. Et pour ne pas des couches de saumure et
rester en reste, le préfet du dé- d’argile jusqu’à plusieurs cen-
partement de Potosi a assuré taines de mètres de profondeur.
que la route sera bientôt as- Ces réserves pourraient ainsi
phaltée. être vingt fois ou même cent
C’est que ce petit coin si fois supérieures», confie Saul
longtemps oublié du monde, Villegas, directeur de la section
en bordure du salar d’Uyuni à des ressources évaporistiques
plus de 3600 mètres d’altitude, au sein de la COMIBOL, l’entre-
incarne désormais le futur de la prise minière publique, chargée
Bolivie, le nouvel Eldorado... par l’Etat bolivien de l’exploita-
C’est ici que se construit la pre- tion du lithium. Si ce dernier
mière usine pilote pour l’ex- doit être le pétrole du
ploitation du lithium. XXIe siècle, «alors la Bolivie sera
son Arabie saoudite.»
Révolution énergétique De quoi susciter bien des
Le lithium? C’est le plus lé- convoitises... «Si on veut être
ger des métaux sur la planète, leaders dans la réalisation de la Merveille de la nature, le salar d’Uyuni renferme aussi la plus grande réserve de lithium, le métal roi des nouvelles batteries. BPN
et un excellent transporteur prochaine génération d’auto-
d’énergie. Il est donc appelé à mobiles, nous devons absolu-
jouer un rôle fondamental dans ment être en Bolivie», a récem- «la Bolivie vit la troisième gran- lions de dollars dans la d’années les batteries de mil- vernement ne les enchantent
l’industrie automobile du ment lâché à La Paz un de opportunité de son histoi- construction d’une usine pilote lions de voitures électriques, guère», reconnaît un expert de
XXIe siècle. A la base même responsable de la firme Mitsu- re». Et les deux premières ont à Rio Grande, sur les bords du qui n’utilisent que quelques ki- la COMIBOL. Le bras de fer ne
d’une véritable révolution bishi. Et il n’est pas le seul à le surtout été l’histoire d’un pilla- salar d’Uyuni, et de 150 000 m2 los de lithium chacune». fait donc que commencer:
énergétique: grâce à lui, les bat- penser... Le sud-coréen LG ge organisé, entamé en 1545 de piscines d’évaporation. Mais les investissements «Pour construire des batteries,
teries des voitures électriques (constructeur de batteries pour avec l’exploitation des mines «Nous développerons ici, dès la sont tout de même estimés à la Bolivie a absolument besoin
seront désormais non seule- General Motors) et le groupe d’argent et d’étain de Potosi par fin de l’année, la meilleure 300 millions de dollars. «On at- de la technologie d’une entre-
ment non polluantes, mais aus- français Bolloré frappent aussi les conquistadores, et poursuivi technologie permettant de sé- tend donc de nos partenaires prise comme Bolloré. Comme
si plus légères, plus petites et à la porte... au XXe siècle par l’exportation parer le lithium de la saumure, français, japonais ou coréens Bolloré a absolument besoin de
plus puissantes. Et donc sus- du gaz naturel par des entre- puis d’obtenir le carbonate de qu’ils investissent dès aujour- notre lithium pour construire
ceptibles de mettre un terme à Maître de ses ressources prises transnationales. lithium, la substance essentiel- d’hui, avec en contrepartie la ses batteries...»
la dépendance vis-à-vis des hy- Evo Morales est d’ailleurs En récitant volontiers la le pour la fabrication des batte- garantie d’être des clients pri- Quoiqu’il en soit, les éven-
drocarbures. encore sous le charme de sa vi- nouvelle Constitution adoptée ries. Cette technologie est com- vilégiés pour l’obtention du tuels partenaires sont avertis: la
Ce changement fondamen- site en France, le mois dernier, le 25 janvier, qui empêche la plexe, les recherches sont carbonate de lithium, dont l’in- Bolivie d’Evo Morales ne se bra-
tal dans le mode de propulsion qui lui a notamment permis de privatisation des ressources longues, mais c’est à la portée dustrie automobile dépend», de plus. «Avant de signer n’im-
des voitures intéresse de plus visiter l’entreprise présidée par naturelles, Evo Morales se de la Bolivie», poursuit Saul Vil- poursuit Saul Villegas. porte quel accord, j’irai consul-
en plus les grands construc- Vincent Bolloré. «J’ai été im- montre d’ailleurs très clair: legas. Dans cet échange, la Bolivie ter les mouvements sociaux du
teurs. Présentée au salon inter- pressionné par leur développe- «L’exploitation du lithium est ne se retrouve-t-elle pourtant département de Potosi», ex-
national de Detroit en début ment technologique», avoue le conditionnée à son industriali- Usine en construction pas simple exportatrice de ma- plique d’ailleurs le président.
d’année, la Chevrolet Volt de président bolivien, qui a pu se sation dans le pays. Et quels L’usine pilote devrait pro- tière première? Que devient la C’est le respect du contrôle so-
General Motors devrait être mettre au volant d’un prototy- que soient les partenaires, duire dès l’an prochain construction de batteries, voire cial, consacré lui aussi par la
commercialisée en 2010. Et pe de voiture électrique, la Blue l’Etat en restera propriétaire et 40 tonnes de carbonate de li- de voitures, objectif avoué du nouvelle constitution. Membre
Genève n’est pas en reste, avec Car, développée en partenariat en aura le contrôle. A terme, je thium par mois. Lorsque le président Evo Morales? «Der- de la Fédération régionale des
la présentation en grande pre- avec Pininfarina. souhaite surtout que les batte- procédé sera au point, les rière les discours politiques, il travailleurs paysans de l’altipla-
mière de la nouvelle voiture Mais la Bolivie ne bégayera ries soient fabriquées ici. D’ici usines d’industrialisation qui faut voir la réalité. Dans le do- no du sud, Leopoldo Cabrera ne
électrique de Mitsubishi, la i- pas son histoire. «Nous ne se- quelques années, j’espère seront alors construites (en maine de la construction de voit pas d’un mauvais œil l’ar-
Miev. rons plus les fournisseurs ser- même que nous produirons principe d’ici à 2015) devraient batteries, aucune proposition rivée d’entreprises étrangères,
La carte du lithium dessine viles de matières premières des voitures électriques en Bo- permettre la production de concrète n’a encore été faite de mais il avertit: «C’est le gouver-
les contours d’une nouvelle vendues à bas prix», prévient livie!» plus de 20 000 tonnes an- la part des entreprises eu- nement et nous, les mouve-
géopolitique. Et il se trouve que Saul Villegas. Le responsable de En attendant, la Bolivie a nuelles, «de quoi alimenter ropéennes et asiatiques. Les ments sociaux, qui garderont la
la Bolivie détient plus de la la COMIBOL en est conscient, pris les devants et investi 6 mil- pendant des centaines conditions posées par le gou- main sur nos richesses.» I

La Paz n’est pas pressée d’étatiser les anciennes mines EN BREF

Le nouveau credo bolivien dans le domai- de San Alberto. Il ouvre dans la foulée des et accusant Evo Morales de faire passer une CONFÉRENCE-DÉBAT
ne des ressources naturelles, dont le pays
regorge, est simple: redonner à l’Etat la
négociations avec l’ensemble des entre-
prises étrangères présentes en Bolivie afin
renégociation de contrats pour une natio-
nalisation. Pourquoi l’offensive contre Gaza?
mainmise sur les richesses du sous-sol, de réviser les contrats, qui jusque-là n’oc- Jeune enseignant en sciences politiques à l’Université Paris 8, Julien
tout en restant ouvert aux investissements troyaient que 18% des royalties à l’Etat. Dans le domaine de l’exploitation des Salingue a séjourné à plusieurs reprises dans les territoires occupés
étrangers. L’exploitation d’El Mutun, une L’espagnole Repsol ou la brésilienne Petro- mines, autre richesse du sous-sol bolivien, depuis 2001. Par ses articles dans des revues (dont Contretemps) ou
montagne du nord-est de la Bolivie qui re- bras rechignent dans un premier temps le gouvernement a joué une carte beau- sur son blog (juliensalingue.over-blog.com), le militant du Nouveau
gorge de fer et de manganèse (40 millions avant d’accepter l’inéluctable. Désormais coup plus prudente et la nationalisation du Parti anticapitaliste analyse régulièrement les perspectives du mou-
de tonnes sur une surface de 62 km2), en les pourcentages des royalties sont prati- secteur n’est aujourd’hui plus à l’ordre du vement de libération palestinien ainsi que les stratégies de la puis-
est la parfaite illustration: l’Etat bolivien a quement inversés. jour. Etatisées en 1952, les mines boli- sance occupante. Jeudi 12 mars, 20h, Julien Salingue donnera une
signé l’an dernier un accord avec l’entre- viennes ont été abandonnées par l’Etat en conférence-débat à Lausanne (Buffet CFF, salle des Vignerons) à l’in-
prise indienne Jindal Steel, qui investira Evo Morales annonce alors que ce proces- 1985 lors de la chute dramatique du prix vitation des collectifs Urgence Palestine et «Non à la Guerre». BPZ
300 millions cette année et 1,5 milliard sus de nationalisation permettra à l’Etat de des minerais. L’avenir de dizaines de mil-
d’ici à cinq ans pour exploiter le site, qui faire passer ses revenus annuels de liers de mineurs n’a alors pu être assuré
reste sous le giron de l’Etat. 300 millions à 1,2 milliard de dollars. Dans que par la constitution de centaines de co- FRIBOURG
Dans le domaine des hydrocarbures (la
Bolivie possède les deuxièmes réserves de
la foulée, il finance la mise en place de deux
piliers de son programme social avec la
opératives privées, au bénéfice d’une
concession. E-Changer: noces d’or avec le Sud
gaz naturel du continent, derrière le Vene- manne des hydrocarbures: la Renta Digni- Juan, mineur coopérativiste à Potosi, Depuis cinquante ans, E-Changer aide volontaires du Nord et mou-
zuela), la politique d’Evo Morales apparaît dad, une rente universelle pour tous les Bo- résume aujourd’hui la situation: «Ca fait vements sociaux du Sud à marier leurs destins en faveur de la jus-
plus radicale. Le 1er mai 2006, le président liviens de plus de 60 ans, et le Bono Juanci- trois décennies qu’on creuse nos galeries tice sociale. Anciennement appelée Frères sans frontières, cette
bolivien annonce en effet avec fracas la na- to Pinto, une aide annuelle à tous les sans l’aide de personne, et l’Etat voudrait association basée à Fribourg coordonne actuellement 45 coopé-
tionalisation du secteur, et investit avec écoliers du pays. aujourd’hui les nationaliser pour bénéfi- rants dans cinq pays (Brésil, Bolivie, Nicaragua, Colombie, Burkina
l’aide de l’armée le champ de gaz naturel La marche en avant de la nationalisa- cier de ses revenus? C’est exclu. Si Evo Mo- Faso). Pour fêter ces cinq décennies d’échanges horizontaux, E-
tion se poursuit, à coup de décrets prési- rales veut profiter des minerais, qu’il creu- Changer inaugurera jeudi son exposition itinérante «Donner, rece-
dentiels et de rachat d’actions. Dernier épi- se ses propres tunnels!» voir... échanger»1 dans le cadre du Festival international de films de
La Fédération genevoise de coopération sode en date: la prise de contrôle le 23 En année électorale, le président sait Fribourg. L’occasion de réfléchir, en images, en textes et en sons, aux
(FGC), qui regroupe une cinquantaine janvier de la compagnie pétrolière Chaco, donc qu’il ne peut pas s’aliéner l’appui po- défis du développement depuis en bas. Egalement prévu pour sillon-
d’organisations de solidarité Nord-Sud, filiale du groupe BP. tentiel du secteur des coopératives minières. ner le pays durant toute l’année, un Théâtre-forum du 50e tiendra sa
soutient financièrement, avec l’appui de
www.fgc.ch Et pourtant, sur la gauche du gouverne- Et la chute du prix des minerais provoquée première représentation le 15 mars, à 17h, à la salle paroissiale St-
la Ville de Genève, la rubrique «Solidarité
internationale». Le contenu de cette page ment, certains mouvements sociaux plus par la crise économique l’incitera d’ailleurs Pierre à Fribourg. Pour en savoir plus: www.e-changer.ch. BPZ
n’engage ni la FGC ni la Ville de Genève. radicaux font la moue, réclamant le départ encore moins à nationaliser un secteur ac- 1
Vernissage à 18h, Galeries du Rex, boulevard de Pérolles 7b.
pur et simple des multinationales du pays tuellement en crise. BPN

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