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Sami Aldeeb*
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saldeeb@bluewin.ch
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La sanction est une mesure de réprobation prévue par celui qui fait
la loi contre celui qui viole cette loi. À la base de la sanction, il y a
l'idée de la qualification des actes humains classés généralement en
cinq catégories: les actes obligatoires, les actes interdits, les actes
recommandés, les actes permis et les actes reprouvés. Ou plus
sommairement, l'idée du bien et du mal, du licite et de l'illicite.
Dans chaque société, c'est le groupe dominant qui détermine ce qui
est bien et ce qui est mal, ce qui est licite et ce qui est illicite. Le
bien et le mal prennent alors la coloration de la conception morale
du groupe au pouvoir. Ainsi dans une société démocratique, c'est la
majorité qui décide le bien et le mal. Dans un système dictatorial,
ceci est décidé par le dictateur; dans une société esclavagiste, par
les esclavagistes; dans une société mafieuses 1, par les parrains de la
mafia nationale (comme la mafia sicilienne), ou internationale.
Pour les Musulmans, tous les groupes susmentionnés ne font que
défendre leurs intérêts. Seul Dieu peut décider ce qui est mal et ce
qui bien, à travers les messages divins transmis par les prophètes.
L'homme ne peut intervenir que dans les domaines non réglés par
la loi religieuse ou pour déduire, par analogie à partir des normes
religieuses, d'autres normes qui s'appliquent à des cas non prévus
initialement par ces normes religieuses. Pour un non croyant, ce
système s'apparente au système dictatorial utilisant Dieu pour
mieux dominer les hommes en exploitant leurs instincts religieux
par un procédé de menaces et de promesses divins ou terrestres (al-
tarhib wal-targhib). Pour un croyant, par contre, c'est le seul
moyen pour éviter l'arbitraire des humains et leur défaillance:
- L'arbitraire: parce que la loi sert les intérêts de celui qui la
fait, et
1 Étymologiquement, le terme italien mafioso signifie beau, bien élevé, fier. En
1863, la pièce de théâtre à succès I mafiusi di la Vicaria, jouant des scènes de la vie
dans les prisons de Palerme a causé la perversion de ce terme dans le sens actuel de
malfaiteur (Pitrè, Giuseppe: La mafia e l'omertà, Brancato editore, s.l., 2002, p. 10-
11).
4
- la défaillance: parce que ce qui est bon pour les uns peut
être jugé comme mauvais par les autres.
Pour un croyant, Dieu est bienveillant, désintéressé et peut d’autant
mieux veiller sur le bien-être terrestre des humains et sur leur salut
éternel qu’il se situe lui-même sur un plan supérieur. Cette situation
lui permet d’être omniscient et de connaître les tenants et les
aboutissants de toute chose. Il est le seul à pouvoir faire la loi,
décider de ce qui est licite et de ce qui ne l'est pas, et prévoir des
sanctions à l'encontre de ceux qui violent ses interdits 2. Nous citons
ici quelques versets coraniques qui illustrent cette conception:
Ceux qui ne jugent pas d'après ce que Dieu a fait descendre,
ceux-là sont les mécréants, … les oppresseurs, ... les pervers
(5:44, 45, 47)3.
Lorsque Dieu et son envoyé ont décidé d'une affaire, il
n'appartient pas à un croyant ou à une croyante d'avoir le
choix dans leur affaire. Quiconque désobéit à Dieu et à son
envoyé, s'est égaré d'un égarement manifeste (33:36).
La parole des croyants lorsqu'on les appelle vers Dieu et son
envoyé, pour que celui-ci juge parmi eux, [consiste] à dire:
"Nous avons écouté et nous avons obéi" (24:51).
Ne dites pas, conformément aux mensonges proférés par vos
langues: "Ceci est permis, et ceci est interdit", pour fabuler
sur Dieu le mensonge. Ceux qui fabulent sur Dieu le
mensonge ne réussissent pas (16:116).
Ô vous qui avez cru! N'interdisez pas les bonnes [choses] que
Dieu vous a permises, et ne transgressez pas. Dieu n'aime pas
les transgresseurs! (5:87).
La Déclaration islamique universelle des droits de l'homme,
promulguée en 1981 par le Conseil islamique (dont le siège est à
Londres), affirme dans ses considérants:
Forts de notre foi dans le fait que Dieu est le maître souverain
de toute chose en cette vie immédiate comme en la vie ultime
[...]
Forts de notre conviction que l'intelligence humaine est
incapable d'élaborer la voie la meilleure en vue d'assurer le
service de la vie, sans que Dieu ne la guide et ne lui en assure
révélation:
Nous, les Musulmans, [...] nous proclamons cette
Déclaration, faite au nom de l'islam, des droits de l'homme
tels qu'on peut les déduire du très noble Coran et de la très
pure Tradition prophétique (Sunnah).
À ce titre, ces droits se présentent comme des droits éternels
qui ne sauraient supporter suppression ou rectification,
abrogation ou invalidation. Ce sont des droits qui ont été
définis par le Créateur - à lui la louange! - et aucune créature
humaine, quelle qu'elle soit, n'a le droit de les invalider ou de
s'y attaquer4.
Il existe à cet égard une différence entre la Bible et le Coran, textes
législatifs, et l'Évangile, texte moraliste avec très peu de normes
juridiques. Lorsque les scribes et les pharisiens amenèrent à Jésus
une femme surprise en flagrant délit d'adultère et lui demandèrent
ce qu'il pensait de la lapidation prévue par la loi de Moïse
(Lévitique 20:10; Deutéronome 22:22-24), il leur répondit: "Que
celui d'entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre".
Et comme tous sont partis sans oser jeter une pierre, il dit à la
femme: "Moi non plus, je ne te condamne pas. Va désormais ne
pêche plus" (Jean 8:4-11). Une histoire similaire est arrivée à
Mahomet. On lui amena un homme et une femme juifs qui avaient
commis l'adultère. Il s'informa de la peine prévue dans la Bible. Les
Juifs lui répondirent que la Bible prévoit la lapidation (Lévitique
20:10; Deutéronome 22:22-24) et que leur communauté avait
décidé de changer cette norme parce qu'on ne l'appliquait qu'aux
pauvres. En lieu et place de cette peine, cette communauté avait
décidé de noircir le visage des coupables au charbon, de les mener
en procession et de les flageller, indépendamment de leur statut
4 Texte dans Aldeeb Abu-Sahlieh, Sami A.: Les musulmans face aux droits de
l'homme: religion, droit et politique, étude et documents, Winkler, Bochum, 1994, p.
486-496.
6
5 Voir Muslim, récit 3212; Al-Tirmidhi, récit 3157; Abu-Da'ud, récits 3857 et
3858; Ibn-Majah, récit 2548; Ahmad, récits 2250, 4437 et 17794.
6 Voir la table analytique dans: Aldeeb Abu-Sahlieh, Sami A.: Introduction à la
société musulmane: fondements, sources et principes, Eyrolles, Paris, 2005,
p. 367-415.
7
etc. Nous nous limiterons donc aux sanctions dans cette vie à
l'égard des coupables en temps de paix:
Crucifixion
La crucifixion est probablement la sanction la plus humiliante et la
plus dissuasive. Le Coran en parle à propos de la crucifixion de
Jésus, en la niant:
[…] ils ont dit: "Nous avons tué le Messie, Jésus fils de
Marie, l'envoyé de Dieu". Or, ils ne l'ont ni tué ni crucifié,
mais il leur a semblé (4:157)12.
D'après le Coran, Pharaon recourait à la crucifixion (voir 7:124;
12:41; 20:71; 26:49). Cette sanction est prévue pour le délit de
harabah (insurrection, brigandage):
La rétribution de ceux qui guerroient contre Dieu et son
envoyé, et qui s'empressent de corrompre sur la terre, c'est
qu'ils soient tués, ou crucifiés, ou que soient coupés leurs
mains et leurs pieds opposés, ou qu'ils soient bannis de la
terre. Ils auront l'ignominie dans la [vie] ici-bas, et dans la
[vie] dernière un très grand châtiment. Sauf ceux qui sont
revenus avant que vous n'ayez le pouvoir sur eux. Sachez que
Dieu est pardonneur et miséricordieux (5:33-34).
Lapidation
Le Coran mentionne la lapidation en tant que sanction appliquée
par Dieu contre Sodome (11:82-83; 15:74; 27:58; 51:33), par
Pharaon (44:20) ou d'autres peuples qui ont précédé Mahomet
(tribu de Chuaib: 11:91; gens de la caverne: 18:20; tribu
d'Abraham: 19:46; tribu de Noé: 26:116; habitants de la Cité:
36:18).
Contrairement à une idée largement répandue, le Coran ne prévoit
pas la sanction de la lapidation contre l'adultère, mais les coups de
fouet (nous y reviendrons), même si Mahomet l'a appliquée à
l'égard des Juifs, en vertu d'une norme biblique. Toutefois Omar, le
deuxième calife, a fait admettre par une assemblée que le Coran
12 Cette opinion concernant la crucifixion rappelle Les Actes de Jean (apocryphe,
par. 90) qui mentionnent une parole de Jésus: "Je ne suis pas non plus celui qui est
sur la croix". Des écrits des premiers siècles indiquent que Simon de Cyrène aurait
été crucifié à la place de Jésus (Le Coran, traduction de Denise Masson, Gallimard,
Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1967, p. 819, note du verset 4:157).
13
7. Perspectives d'avenir
26 Ibid., p. 541-549.
27 Ibid., p. 557-565.
28 Ibid., p. 486-496.
29 Texte dans: http://www.tariqramadan.com/article.php3?id_article=258 .
23
31 http://www.tariqramadan.com/article.php3?
id_article=309&var_recherche=azhar
32 Aldeeb Abu-Sahlieh: Introduction à la société musulmane, op. cit., p. 326-348.