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Chaos capitaliste
hebdomadaire de la Fédération anarchiste, adhérente à l’Internationale des Fédérations anarchistes
é c r o i s s a n c e
o u d
lib e r t a i r e
Supplément au
Fédération anarchiste
www.federation-anarchiste.org
Spécial décroissance I
LES DÉGÂTS ÉCONOMIQUES et sociaux
du capitalisme sont considérables.
Ce système criminel fabrique en
permanence de la souffrance et sac-
cage des milliards d’existences en
maintenant un tiers de l’humanité
au niveau de vie du Moyen Âge
européen. D’un côté, des produc-
tions céréalières détournées, des
forêts abattues, des modes de vie
traditionnels détruits, des paysans
expropriés pour assurer le
« confort » de 20 % de l’humanité,
un pillage rationalisé des pays pau-
vres sous couvert d’assistance tech-
nique. De l’autre, la mise en
concurrence des salariés : sous-trai-
tance, intensification du travail,
flexibilité, précarité.
En France, 537 décès par acci-
dent du travail en 2006.
Explosion des maladies profes-
sionnelles reconnues : 52 979 en
2005.
Les suicides directement liés au L E BILAN HUMAIN se révèle désastreux. finies de la Terre. La réalité montre chaque
travail sont estimés à 400 par an. L’augmentation constante du produit inté- jour plus crûment la dépendance des écono-
Plusieurs millions de salariés rieur brut, notion purement quantitative, n’a mies modernes vis-à-vis du pétrole notam-
sont exposés, sans aucune protec- pas engendré, comme certains le faisaient ment, la vulnérabilité des écosystèmes, la
tion, à des produits reconnus pour croire, une amélioration du bien-être des multiplication des atteintes à l’environne-
être cancérogènes, mutagènes ou populations. D’abord parce que les inégalités ment, leur gravité sans précédent, leur
toxiques. sont devenues exorbitantes ; ensuite parce dimension planétaire, parfois leur irréversi-
que l’argent permet de tout acheter, sauf l’es- bilité. Nous sommes la première génération
sentiel : la richesse relationnelle, la recon- dans l’histoire à transmettre à ses enfants un
(Chiffres extraits de : Travailler naissance, la dignité. Le bilan écologique est héritage moins favorable que celui qu’elle
tue en toute impunité, Fondation du même ordre, parce qu’on a « oublié » aura reçu.
Copernic.) que tout acte de consommation est d’abord
un acte de destruction. Aujourd’hui se déve- La décroissance est incontournable
loppe la prise de conscience des dimensions En dépit des simplifications inhérentes à tout
indicateur synthétique, la notion d’em-
preinte écologique, qui reflète le rapport
L’ÉCHEC DES LUTTES internationales émissions mondiales contre 30 % colonial d’exploitation des ressources ayant
contre les émissions de gaz à effet de environ actuellement) et la non prise permis aux pays riches d’atteindre leur
serre est sans appel : entre 1990 en compte des émissions liées au niveau de développement actuel, et qui
et 2008, le taux global de CO2 dans commerce international, le mode de mesure l’impact des activités humaines sur la
l’atmosphère a augmenté de près de décompte est à lui seul une véritable planète, met en lumière l’essentiel : nous
35 % (source NOAA). Depuis 2000, arnaque : les GES sont imputés aux sommes en train de solliciter la nature au-
le rythme d’augmentation annuel de seuls pays producteurs situés de plus delà de ses capacités de régénération, d’épui-
l’ordre de 3 % dépasse même les scé- en plus au sud, et non aux consom- ser une partie du capital naturel mondial. Si
narios les plus pessimistes du Giec : mateurs (situés souvent au nord). tous les habitants de la planète voulaient
une évolution à l’opposé des efforts Aujourd’hui, plus de 30 % des émis- adopter le mode de vie « occidental », les
nécessaires pour parvenir à diviser les sions de la Chine sont d’ailleurs liées ressources de cette planète n’y suffiraient
émissions de GES par deux d’ici à à la production de biens destinés à pas. Notre mode de vie n’est pas généralisa-
2050 au niveau mondial. être exportés en Occident (Energy ble dans l’espace ; il l’est encore moins dans
Pourtant, en signant le protocole Policy, 24 juillet 2008). Avec Kyoto, le temps. Que nous dépassions de 10, 20 ou
de Kyoto (1997), un certain nombre les pays riches se sont donc avant tout 30 % les capacités biologiques de la Terre,
de pays industrialisés s’étaient enga- acheté une morale à bon compte à peu importe. Nous sommes dans une
gés à limiter leurs propres émissions coups de délocalisations vers les pays impasse ; la croissance économique n’est
de GES entre 1990 et 2012, et cer- « émergents » pour le résultat que plus possible. Il nous faut remettre en ques-
tains pays comme la France se tar- l’on connaît. À Copenhague ou ail- tion nos modes de production, de consom-
guent même de leur réussite. Outre leurs, tant que les lois du capitalisme mation, de distribution. Il nous faut
l’objectif dérisoire (moins 5 % pour et de la croissance primeront, le cli- renoncer au productivisme et au consumé-
des pays représentant alors 40 % des mat se déréglera ! risme individualiste, et au-delà sortir de
l’« économicisme », c’est-à-dire de la sou-
mission du politique à l’économique.
II Spécial décroissance
NON SEULEMENT le domaine militaire est liste américain moyen sur toute une
celui des structures hiérarchiques et année. De fait, le Pentagone est le
de domination, du culte de la violence plus grand consommateur d’énergie
et de la virilité. Non seulement l’aug- du pays, et très probablement du
mentation des dépenses militaires monde. Il utilise en douze mois
s’effectue au détriment des pro- autant d’énergie qu’il en faut pour
grammes sociaux et de santé. Mais faire fonctionner le système entier
encore le militaire pèse d’un poids de transport urbain de masse des
considérable sur l’environnement. Les États-Unis pendant 14 ans. (Source:
réacteurs nucléaires militaires sont en Andrée Michel, Surarmement, Pouvoirs,
volume responsables d’environ 97 % Démocratie, L’Harmattan, 1999.)
de tous les déchets nucléaires de Hervé Morin, ministre de la
niveau élevé de radiation et de 78 % Défense, vient de confirmer la com-
de tous les déchets nucléaires de mande de 60 nouveaux avions de
niveau de radiation faible. combat Rafale, dans le cadre du déve-
En moins d’une heure, un avion loppement durable… de l’entreprise
militaire à réaction F16, décollant Dassault. Mais ce n’est pas une rai-
pour une mission d’entraînement de son suffisante pour oublier d’étein-
routine utilise presque deux fois dre le plafonnier quand vous quittez
plus de carburant que l’automobi- votre chambre !
Partant de cette évidence qu’une crois- Le capitalisme semble jusqu’à présent avoir
sance illimitée est impossible dans un monde réussi à surmonter ses contradictions internes
qui, lui, est limité, la décroissance consiste – les inégalités sociales – par la fuite en avant
donc en un ralentissement du cycle produc- dans une croissance économique continue.
tion consommation autour de quelques axes : Celle-ci est désormais impossible, sauf à s’en-
respect du rythme de régénération des res- foncer dans un désastre écologique et humain
sources renouvelables, diminution de la irréversible. La récession, échec du capita-
consommation des ressources non renouvela- lisme, n’ayant rien à voir avec une décrois-
bles, relocalisation de l’économie, sobriété sance choisie en toute lucidité, il s’agit bien
énergétique, recyclage des matériaux, déve- d’opérer une rupture.
loppement des énergies renouvelables…
Notre décroissance sera antiétatique
Notre décroissance sera anticapitaliste C’est l’État, fondé sur la force, qui par la loi
Les dégâts causés par le capitalisme engen- protège la propriété privée (et notamment des
drent un gâchis considérable. Sur le plan
écologique : pénurie d’eau, accumulation
des déchets, déforestation, dégradation des
terres cultivables, dérèglements climatiques,
perte de biodiversité… Sur le plan humain,
déracinement, solitude, angoisse, mal-être,
stress, états dépressifs, logique du repli sur
soi conduisant au suicide… Fondé sur la
recherche de l’accumulation du profit
maximal dans le temps le plus réduit possi-
ble, le capitalisme est incapable de prendre
en compte les intérêts écologiques qui, eux,
ne peuvent se concevoir que sur le long
terme puisqu’ils résultent d’équilibres ajus-
tés finement sur des millénaires. La
« logique du vivant » consiste à maximiser
des stocks – la biomasse – à partir du rayon-
nement solaire ; celle de l’économie capita-
liste s’acharne, au contraire, à maximiser
des flux marchands en épuisant des stocks
naturels : c’est la marchandisation du vivant.
La nature fonctionne de manière cyclique ;
en créant des déchets non recyclables, l’éco-
nomie capitaliste fonctionne de manière
linéaire : elle est donc inapte à assurer la
continuité de la vie.
IV Spécial décroissance