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Master_10-11:Master_CSH 12/08/09 16:05 Page10

CULTURE

Patrimoine à Phnom Penh :


Mission impossible ?
Face à la multiplication des projets immobiliers, des architectes luttent tant bien que mal pour la conservation de la richesse
architecturale de la capitale. Aujourd’hui, ils ont un seul impératif, aller plus vite que les bulldozers.

E
n 150 ans, Phnom Penh a fait sa contraire de ce qui est généralement
mue. Le petit village fluvial s’est construit actuellement. L’air conditionné
transformé en une capitale avec 1,5 y est donc souvent superflu. Sans compter
million d’habitants où les styles architec- qu’elles constituent une plus-value pour
turaux se côtoient anarchiquement. Ni- le potentiel touristique de la ville, les tou-
chée entre un immeuble et un comparti- ristes occidentaux en étant particulière-
ment chinois, il n’est pas rare de découvrir ment friands. Ce fut le cas au Viêtnam,
une villa coloniale entourée d’un jardin qui a connu une vague de restauration
luxuriant, ou une maison dans le plus pur lorsque la population a commencé à réali-
style des années 50 et 60, âge d’or de l’ur- ser l’enjeu économique.
banisation au Cambodge. Le genre d’édi- Si certains propriétaires sont très moti-
fices que la Mission du Patrimoine tente vés, l’équipe doit parfois s’armer de pa-
de préserver de la fièvre du « développe- tience et d’arguments pour en convaincre
ment » et de l’appétit des promoteurs. d’autres de suivre leurs conseils. Par
Créée en 2005, ce programme est un exemple, dans un bâtiment de style colo-
partenariat entre le ministère de la Cul- nial du quartier de Daun Penh, derrière
ture et des Beaux Arts cambodgien et l’am- les quais, le propriétaire du deuxième

Charlotte DuCrot
bassade de France, qui finance le projet. étage est plutôt compréhensif, mais son
L’équipe, composée de quatre architectes voisin du premier souhaite transformer
et d’une archéologue cambodgiens et coor- son espace en « loft à l’américaine ». Après
donnée par un architecte français, inven- Un bâtiment colonial abritant désormais une compagnie d’assurance, dans le quartier de la poste. avoir passé l’après-midi à convaincre ce
torie, protège et valorise le patrimoine na- dernier de garder les fenêtres en bois, Ro-
tional non angkorien. Une tâche pas chives, une mémoire pour l’histoire de la comment embellir le quartier. Ce projet a main Gagnot découvre avec stupeur, deux
toujours aisée à remplir lorsqu’il s’agit de ville,quiestentraindedisparaître », ex- surtout pour vocation de former l’équipe semaines plus tard, qu’elles ont été arra-
faire valoir l’importance de préserver des plique Romain Gagnot. Quatre types de cambodgienne à prendre en charge ce type chées. Pour cette raison, il faut que
bâtiments vieux d’à peine cinquante ou constructions de bâtiments sont particu- de travaux si on lui en laisse un jour l’oc- l’équipe soit là quotidiennement pour sui-
soixante ans. « Ici,quandonparledepa- lièrement vulnérables : l’architecture tra- casion. Il y a deux semaines, Romain Ga- vre l’évolution des travaux.
trimoine, c’est Angkor, explique Romain ditionnelle khmère, les pagodes, qui sont gnot a d’ailleurs découvert, avec dépit, que
Gagnot, coordinateur actuel du projet. Or, rasées dès qu’elles sont en mauvais état, la bâtisse des années 50 situé en face de Former les futurs responsables
les constructions du siècle dernier font mais surtout l’architecture coloniale et l’ar- la poste va probablement être détruit et En 2007, un autre projet a été lancé en
aussipartiedel’histoire.C’estl’identitéde chitecture moderne des années 50-60. « Il remplacé par un immeuble moderne en parallèle : l’École du patrimoine, une spé-
laville.C’estimportantcarlesbâtiments yadesbâtimentsquisontvouésàlades- verre. « C’est un peu se battre contre des cialisation pour des architectes spécialisés
racontentl’histoiredudéveloppementetde truction alors qu’ils ont 40 ou 50 ans et moulinsàvent », se désole-t-il. Il y a douze dans le domaine du patrimoine. « Le but
laculturedesKhmers », renchérit Rattana, sont encore en bon état ! » Ces construc- ans déjà, une étude sur le développement estdeformerdesgensquivontrépondreà
architecte engagé depuis quatre ans dans tions, comme les villas coloniales, sont gé- de Phnom Penh avait été réalisée par des besoins de plus en plus importants,
le projet. néralement situées sur de grosses par- l’Atelier parisien d’urbanisme et le minis- tout en respectant les normes internatio-
celles et sont donc les premières visées. tère de la Culture cambodgien, mais au- nalesetcellesdel’Unesco », explique Syl-
Plus un travail de mémoire « Dujouraulendemain,toutpeutdispa- cune des recommandations n’a abouti. « Je vain Ulisse, coordinateur. Les cours sont
que de sauvegarde raître,c’estpourçaqu’ilfautfairevite ! », veux le développement de Phnom Penh , assurés par des professeurs de l’École d’ar-
S’ils sont censés « protéger » le patri- poursuit l’architecte. précise Rattana, mais il faut que le gou- chitecture de Chaillot, une semaine par
moine, les architectes ne pèsent pas bien À côté de ce travail de fourmi, l’équipe vernement détermine les secteurs anciens mois à Phnom Penh ou à Siem Reap.
lourd face à l’intense pression foncière qui s’investit dans l’établissement d’un plan à préserver et les secteurs où l’on peut Les élèves travaillent pendant un an sur
règne dans la capitale. Leur travail de sauvegarde et de mise en valeur de la construire des bâtiments modernes. » Le un bâtiment et son quartier et élaborent
consiste donc essentiellement à faire un place de la poste, qui date de l’époque du problème actuel viendrait d’un manque de un dossier de restauration. « L’idéal est
inventaire détaillé des bâtiments les plus protectorat français et comporte plusieurs planification urbanistique, contrairement queleurprojetdébouchesurquelquechose
remarquables. « Lebutestdecréerdesar- édifices de qualité. Il s’agit en fait d’étudier à l’époque française et au Sangkum Reastr de concret, mais c’est rarement le cas, à
Niyum de Norodom Sihanouk. « Phnom partpourdesvillasanciennesquecertains
Penhaétébienpensée, estime Romain Ga- particuliersveulentrénover », regrette Syl-
gnot. Dutempsduprotectorat,c’étaitune vain Ulisse. Ce sera peut-être le cas pour
villetrèsaérée,quadrilléeavecdesvillas, Hai Socheat Rithy, qui a choisi de s’inté-
desavenues…Danslesannées50et60,de resser à l’hôtel particulier situé en face du
grandsarchitectescommeVannMolyvann musée national, racheté par le FCC, et à
ontétéassociésàdevastesprojetsd’urba- qui elle compte proposer son projet.
nisationetdemodernisationdelaville. » Centre de formation régional, le pro-
gramme s’adresse à des architectes cam-
Restaurer et sensibiliser bodgiens, laotiens et vietnamiens, et géné-
Plus concrètement, la Mission du patri- ralement à des personnes travaillant dans
moine se charge de certaines commandes les ministères. « L’objectifestdeformerdes
de restauration. Après le centre Bophana, cadresquivontpouvoirdécideretformerà
ils inauguraient jeudi 16, la fin des tra- leur tour à l’intérieur même des struc-
vaux de la CFC, la Commission du Film tures ! », explique encore le coordinateur.
du Cambodge, située dans la même rue. « On plante une petite graine pour que
Les architectes interviennent également lapopulationprenneconscienceetagisse
comme experts auprès des particuliers qui quand elle en aura les moyens », conclut
souhaitent restaurer leur propriété. « La Romain Gagnot. À terme, l’objectif est
destructioncoûtepluscherquelarestau- d’opérer un transfert complet des respon-
rationcarlesbâtimentssontgénéralement sabilités. À condition que le projet survive
enbonétat », souligne Romain Gagnot. En lorsqu’il ne sera plus subventionné.
outre, d’après l’architecte, les bâtisses an-
ciennes sont mieux adaptées au climat, au Barbara Delbrouk

10 Cambodge Soir Hebdo n˚ 95 – 2e année, du 13 au 19 août 2009

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