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htm

Sortir du carcan walrasien :


Joseph Schumpeter et Alvin Hansen
par Murray Rothbard, traduit par Hervé de Quengo

Publié dans The Review of Austrian Economics, Volume 1 (1987) : pp. 97-108.,
disponible au format "pdf" sur le site du Ludwig von Mises Institute.
Repris dans The Logic of Action, tome II (Edward Elgar, texte 12)
[A propos de l'équilibre général, le lecteur pourra consulter avec profit l'article
de Machlup sur "Equilibre et déséquilibre."
http://herve.dequengo.free.fr/Machlup/Machlup1.htm N. d. T.]

Depuis la Deuxième Guerre mondiale, le courant dominant de l'économie néoclassique


s'inspire du paradigme de l'équilibre général énoncé par l'économiste suisse [en fait, bien
qu'il fût professeur à Lausanne, Walras était français. N. d. T.] Léon Walras (1834-1910)[1].

De nos jours, l'analyse économique consiste en une exégèse et en une élaboration


du concept walrasien de l'équilibre général, dans lequel l'économie poursuit indéfiniment
une "activité" immuable — ce que le walrasien Joseph Schumpeter a fort justement appelé
le "flux circulaire."

Comme l'économie d'équilibre est par définition un mouvement sans changement et sans
fin, à la conduite robotisée, tous les participants du marché y ont une parfaite
connaissance du présent et de l'avenir, l'incertitude inéluctable du monde réel étant
totalement évacuée du tableau. Comme il n'y a plus d'incertitude, les pertes comme
les profits disparaissent, et chaque entreprise voit son prix de vente exactement valoir ses
coûts de production.

Ce n'est certainement pas par accident que la prise de pouvoir par la théorie walrasienne
a coïncidé avec une mathématisation de fait des sciences sociales. Les mathématiques
jouissent du prestige d'être véritablement "scientifiques," mais il est difficile
de mathématiser le désordre et le flou des incertitudes, ainsi que les inévitables erreurs
de l'entreprise et de l'action humaines dans le monde réel. En revanche, dès lors que l'on
élimine de telles actions et de telles incertitudes, il est facile d'utiliser l'algèbre et les
tangentes de la géométrie pour analyser cet état d'équilibre qui est irréaliste, mais
mathématiquement facile à traiter.
La plupart des théoriciens de l'économie dominante se satisfont de passer leur temps à
expliquer les détails de l'équilibre général, en se bornant à supposer que cet état serait une
représentation précise de l'activité du monde réel.
Cependant, certains économistes ne se sont pas contentés de contempler l'équilibre
général : cette théorie-là, ils ont voulu l'appliquer au monde réel et à ses changements
dynamiques. Car des changements, il s'en produit bel et bien et, pour certains walrasiens,
il ne suffit pas de se borner à transposer l'analyse de l'équilibre général au monde réel, en
abandonnant les scories là où il faut bien les laisser persister.

En tant qu'auteur qui avait proclamé que Léon Walras était le plus grand économiste ayant
jamais vécu, Joseph A. Schumpeter (1883-1950) devait faire face à ce problème. Étant
walrasien, Schumpeter croyait que l'équilibre général était une réalité primordiale. Et
cependant, étant donné que le changement, les entrepreneurs, les pertes et les profits
existent bel et bien dans le monde réel, Schumpeter s'était donné pour but de les intégrer
dans une explication théorique du changement au sein du système walrasien.
C'était en fait un défi formidable, parce que Schumpeter, à l'inverse des économistes
de l'École autrichienne, ne pouvait pas donner la réponse que l'équilibre général ne décrit
qu'une tendance à long terme et n'apparaît jamais dans le monde de la réalité. Pour lui, il
fallait absolument que l'équilibre général fût la réalité primordiale : un point de départ
réaliste, tout comme un point d'aboutissement de sa tentative pour expliquer
le changement économique . [2]

Pour, à partir d'une perspective walrasienne, mettre sur pied une théorie du changement,
Schumpeter devait partir d'une économie dans un état réel d'équilibre général. Il devait
ensuite expliquer le changement, mais ce dernier devait toujours tendre vers un état
d'équilibre, car, sans un tel retour, l'équilibre walrasien n'aurait été réel qu'à un seul instant
du passé et ne serait plus une réalité récurrente.
Or, l'équilibre walrasien est un monde indéfiniment statique ; plus précisément,
ce qu'il dépeint ce sont les conséquences d'un ensemble figé de goûts individuels,
de techniques et de ressources de l'économie.
Dès lors, Schumpeter devait partir d'une économie qui serait prise dans le carcan
walrasien ; et le seul moyen pour qu'un changement se produise était de modifier
l'une, ou plusieurs, de ces données autrement statiques.

Par-dessus le marché, Schumpeter s'était créé à lui-même encore plus de problèmes.


Dans le modèle walrasien, les pertes et les profits sont nuls, mais les capitalistes continuent
à toucher un revenu d'intérêt, censé correspondre avec la productivité marginale du
capital : ces frais d'intérêt sont alors incorporés dans les coûts. Or, Schumpeter était
un élève trop proche de Böhm-Bawerk pour accepter cette explication grossièrement
fallacieuse de l'intérêt par la productivité. L'approche autrichienne consiste à expliquer
l'intérêt comme le taux de préférence temporelle de la société, traduisant la préférence des
participants au marché pour les satisfactions actuelles vis-à-vis de satisfactions à venir.
Il se trouvait cependant que Schumpeter avait également rejeté le concept de préférence
temporelle, et devait en conclure que, dans un état d'équilibre général, le taux d'intérêt
était forcément nul, tout comme les pertes et les profits.

Certes, Schumpeter reconnaissait que la préférence temporelle, et donc l'intérêt, existe


pour les prêts à la consommation, mais il s'intéressait à la structure de production. A ce
propos, en opposition à la théorie primitive de l'intérêt issu de la productivité, il attirait
l'attention sur le concept autrichien d'imputation, lequel fait remonter les valeurs depuis
le produit final vers les facteurs de production en ne laissant, à l'équilibre, aucun profit
net. Donc, à la manière autrichienne, Schumpeter montrait que les biens de capital
pouvaient finalement se diviser en deux facteurs originels de production : le travail et la
terre[3].
Ce qui échappait à Schumpeter, cependant, ou plutôt ce qu'il rejetait, c'était le concept
crucial de Böhm-Bawerk quant au temps et à la préférence temporelle dans le processus
de production. C'est que les biens de capital ne contiennent pas seulement de la terre et du
travail : ils contiennent de la terre, du travail... et du temps, l'intérêt correspondant
au paiement du "temps." Quand il prête à un producteur, le créancier échange bien entendu
un "bien actuel" (de l'argent immédiatement utilisable) contre un "bien futur" (un argent
qu'on ne pourra toucher que dans l'avenir). Et le fait primordial de la préférence temporelle
implique que tout le monde préférera satisfaire ses besoins maintenant que plus tard,
de telle sorte qu'un bien actuel vaudra toujours plus que l'estimation actuelle d'un bien
futur équivalent. Par conséquent, à tout instant, les biens futurs sont escomptés sur
le marché par le taux de préférence temporelle de la société.

Il est dès lors clair que ce processus fonctionne à l'occasion d'un prêt, lors d'un échange
entre créancier et débiteur ; mais l'analyse de Böhm-Bawerk sur la préférence temporelle
et l'intérêt est bien plus profonde, et va bien plus loin que le prêt, car il a montré que la
préférence temporelle et donc le rendement de l'intérêt existent en dehors du prêt, et même
en l'absence de tout prêt. Car le capitaliste, qui achète ou loue des facteurs du travail ou
de la terre et les emploie dans la production, achète ces facteurs avec de la monnaie (bien
actuel) dans l'attente qu'ils fourniront des rendements futurs, soit en biens du capital, soit
en biens de consommation. En bref, ces facteurs originels, le travail et la terre, sont les
biens futurs du capitaliste. Ou, dit d'une autre façon, travail et terre produisent des biens
qui ne pourront être vendus et donc rapporter un gain monétaire qu'à un moment
dans l'avenir ; or c'est aujourd'hui, à l'instant présent, que les capitalistes paient les salaires
et la rente du sol.
Par conséquent, dans l'analyse des partisans de Böhm-Bawerk et autres autrichiens, ce
n'est pas la valeur de leur produit à la marge, comme dans l'analyse néoclassique, que
touchent les propriétaires des facteurs de production -- c'est-à-dire les travailleurs et les
propriétaires fonciers. Ce qu'ils gagnent, c'est la valeur de leur production marginale
escomptée par le taux de préférence temporelle ou taux d'intérêt. Et c'est le capitaliste qui,
pour les services qu'il rend en payant ces facteurs avec des biens présents, à charge pour
lui d'attendre les rentrées futures, reçoit le prix de cet escompte[4]. Ainsi, à l'état d'équilibre,
la préférence temporelle et le revenu d'intérêt existent, et pas uniquement comme
rémunération des prêts mais comme le gain que doit percevoir tout investisseur capitaliste
en tant que tel.

Si Schumpeter pouvait nier la préférence temporelle, c'est parce qu'il se permettait de nier
complètement, d'une certaine façon, le rôle du temps dans la production.
Pour Schumpeter, la production ne prenait apparemment aucun temps à l'équilibre, parce
que la production et la consommation sont "synchronisées[5]". Le temps est évacué du
tableau, au point même de ne pas prendre en compte les stocks accumulés de biens du
capital, et donc toute structure temporelle de la distribution de tels biens[6]. Etant donné
que, par magie, la production est "synchronisée", alors il n'est plus nécessaire que
le travail et la terre reçoivent les avances des capitalistes [qui ne servent plus à rien en tant
que tels F. G.].
Comme l'écrit Schumpeter :

Il n'est nullement nécessaire [pour les travailleurs et les propriétaires fonciers]


de demander des "avances" en biens de consommation actuels.... L'individu n'a pas besoin
de regarder au-delà de la période actuelle.... Le mécanisme du processus économique
veille à ce qu'il approvisionne au même moment le futur.... Dès lors, toute question
concernant l'accumulation de tels stocks [de bien de consommations destinés à payer les
travailleurs] disparaît.

A partir de cet ensemble bizarre d'hypothèses, "il s'ensuit," note Schumpeter,

"que partout, même dans une économie commerciale, les moyens de production
créés par l'homme ne sont que des articles passagers. Nous ne trouvons nulle part
un stock de ceux-ci remplissant quelque fonction que ce soit."

En niant, de plus, qu'il existe "un stock accumulé de biens de consommation" qui est là
pour payer les travailleurs et les propriétaires terriens, Schumpeter nie également le fait
évident que c'est toujours à partir de l'épargne accumulée des capitalistes que se paient les
salaires et les rentes, épargne qui aurait pu être dépensée sur des biens de consommation
mais que dépenseront à la place les travailleurs et les propriétaires fonciers, avec leurs
revenus présents.

Comment Schumpeter peut-il en arriver à cette conclusion ? Une des raisons est que,
lorsque les travailleurs et les propriétaires fonciers échangent leurs services contre de la
monnaie, il nie que ceux-ci impliquent des "avances" en biens de consommation, parce
que

"Il ne s'agit que de transactions d'échange, et non de transactions de crédit. Le


temps n'y joue aucun rôle."

Ce que Schumpeter ne voit pas, c'est l'idée essentielle de Böhm-Bawerk selon laquelle
le marché du temps ne se limite pas au marché des crédits. En effet, lorsque les
travailleurs et les propriétaires fonciers gagnent de l'argent maintenant en échange
de produits qui ne rapporteront quelque chose au capitaliste que plus tard, ce sont bel et
bien des avances sur la vente finale qu'ils reçoivent, avances payées par l'épargne
capitaliste, avances pour lesquelles ils payent de fait un escompte, sous forme
de rendement d'intérêt, aux capitalistes épargnants [7].

Dans la plupart des conceptions de l'équilibre final, l'épargne nette est nulle, tandis
que l'intérêt est assez élevé pour amener l'épargne brute des capitalistes à renouveler ni
plus ni moins l'équipement en capital. Dans l'équilibre de Schumpeter, en revanche,
l'intérêt est nul, ce qui signifie que l'épargne brute est également nulle [En fait elle est
indéterminée : elle pourrait aussi bien être infinie, étant donné que dans ce cas il n'y aurait
aucune préférence temporelle F. G.]. On ne trouve dans l'équilibre schumpéterien ni
une raison pour les capitalistes de maintenir l'équipement en capital, ni les moyens pour
leur permettre de le faire. Par conséquent l'équilibre schumpéterien présente des
contradictions internes et il ne tient pas la route[8].

Lionel Robbins énonce le problème avec sa prose comme toujours limpide :

S'il n'y avait aucune rentabilité à utiliser du capital ...


il n'y aurait aucune raison pour s'abstenir de le consommer. Si les moyens
de production créés par l'homme ne procuraient pas de revenus nets, pourquoi
consacrer des ressources à les maintenir alors qu'on pourrait consacrer
ces ressources à des réjouissances actuelles ?
On ne préfèrerait pas garder le gâteau plutôt que de le manger, si il n'y avait aucun
avantage net à le conserver. Bref, c'est un taux d'intérêt qui, toutes choses égales
par ailleurs, conserve l'état stationnaire — le taux pour lequel il n'est plus rentable
de transformer revenu en capital ou capital en revenu. Si l'intérêt devait disparaître,
l'état stationnaire cesserait d'être stationnaire. Schumpeter peut prétendre qu'il n'y
aura aucune accumulation une fois l'équilibre stationnaire atteint. Mais il n'a pas
le droit de prétendre qu'il n'y aura pas de décumulation à moins d'admettre
l'existence de l'intérêt[9]. (Italiques ajoutés).

Pour revenir au problème principal de Schumpeter, si l'économie démarre


avec un équilibre général walrasien où le taux d'intérêt serait nul, comment un changement
quelconque, et en particulier le développement économique, pourrait-il se produire ?
Dans l'analyse autrichienne de Böhm-Bawerk, le développement économique passe par
un plus grand investissement, via des processus de détour de production, et cet
investissement est le résultat d'une épargne plus importante née d'une baisse générale des
taux de préférence temporelle. Avec une telle baisse, les gens sont plus enclins à s'abstenir
de consommer et à épargner une plus grande partie de leurs revenus, donc à investir
davantage de capital et dans des processus de production plus longs. Dans le cadre
walrasien, les changements ne peuvent se produire que par modification des goûts, des
technique ou des ressources. Un changement de la préférence temporelle y serait un aspect
très important d'une modification des "goûts" ou des valeurs du consommateur.

Cependant, pour Schumpeter, il n'y a pas de préférence temporelle, pas d'épargne,


à l'équilibre. Les goûts du consommateur sont par conséquent sans rapport avec
une augmentation quelconque de l'investissement, et il n'y a de plus aucune épargne ni
revenu d'intérêt qui pourraient permettre un tel investissement. Aucune modification
des goûts ou préférences temporelles ne peut entraîner de changement économique, et
aucun investissement ne peut non plus naître de l'épargne, du profit ou de l'intérêt.

Quant aux valeurs et aux goûts du consommateur autres que la préférence temporelle,
Schumpeter était convaincu que les consommateurs étaient des créatures passives, et il ne
pouvait les concevoir comme des agents actifs du changement économique[10]. En outre,
même si leurs goûts changeaient, comment un simple déplacement de la demande d'un
produit vers un autre pourrait-il provoquer le développement économique en tant que tel ?

Pour leur part, les ressources ne sont pas chez Schumpeter mieux placées pour entraîner
le développement économique que ne le sont les goûts. En premier lieu, l'offre de terrains
et de travail ne change jamais très rapidement au cours du temps et, de plus, elle ne peut
rendre compte de l'investissement nécessaire qui encourage et concrétise la croissance
économique.

Après avoir éliminé les goûts et les ressources, il ne reste qu'un instrument logiquement
possible pour expliquer le changement ou le développement dans le système d'équilibre
de Schumpeter : la technique. "L'innovation" (un changement des fonctions de production
ou des connaissances techniques) est pour Schumpeter la seule route logiquement possible
du développement économique.
Par conséquent admirer Schumpeter, comme l'ont fait beaucoup d'économistes, pour sa
vision prétendument réaliste de l'histoire économique, consistant à voir dans l'innovation
technique la source du développement et des cycles, est passer totalement à côté du sujet.
Car cette conclusion-là n'est pas chez Schumpeter un aperçu né de l'expérience réelle :
non, c'était seulement la seule issue qui lui permettait logiquement de sortir du carcan
walrasien (ou néo-walrasien) qu'il s'était fabriqué pour lui-même. C'est la seule porte de
sortie permettant à un changement économique quelconque de se produire au sein de son
système.

Cependant, si l'innovation est la seule façon de sortir du carcan Schumpeterien, comment


peut-on la financer ? Car il n'y a pas d'épargne, pas de profits et pas de rendements
d'intérêt dans l'équilibre schumpéterien. Schumpeter reste embourbé : il n'existe aucune
manière de financer l'innovation dans son système, et donc de sortir l'économie de sa
variante particulièrement contraignante du carcan walrasien. C'est pourquoi Schumpeter
doit inventer un deus ex machina, une variable exogène, située hors de son système, qui
sortira l'économie de son carcan et pourra, elle, servir de moteur au changement
économique. Et ce deus ex machina est le crédit bancaire inflationniste. Il faut postuler que
les banques augmentent la masse monétaire par un crédit à couverture partielle et, en
outre, qu'elles prêtent la nouvelle monnaie exclusivement aux innovateurs — aux
nouveaux entrepreneurs qui sont désireux et capables d'investir dans les nouvelles
techniques, les nouveaux procédés, les nouvelles industries et qui ne pouvaient pas le faire
parce que, par hypothèse, il n'y aurait pas d'épargne disponible pour leur permettre
d'investir ou d'emprunter.

En définitive, la conclusion selon laquelle ce serait l'innovation qui est l'instrument


du changement économique, et selon laquelle ce serait le crédit bancaire qui finance
les innovations, n'est pas une généralisation empirique que Joseph Schumpeter aurait
découverte du fait de sa perspicacité supérieure. En fait de généralisation empirique, ce
n'en est pas une du tout. Dans les faits, elle ne fait aucune référence authentique
à la réalité. Aussi pertinente que sa conclusion apparaisse, elle n'est que le résultat logique
des hypothèses fallacieuses de Schumpeter et de son système fermé : c'est la seule manière
logique de sortir de son carcan walrasien.

On comprend aussi pourquoi l'entrepreneur est toujours, pour Schumpeter, un perturbateur,


une force éloignant de l'équilibre, alors que, dans la tradition autrichienne de Mises et
de Kirzner, l'entrepreneur ajuste harmonieusement l'économie en direction de l'équilibre.
Dans la vision autrichienne, l'entrepreneur est l'acteur qui supporte le plus l'incertitude
du monde réel : les entrepreneurs qui réussissent engrangent les profits dans la mesure
où 'ils dirigent les ressources, les coûts et les prix vers l'équilibre. Schumpeter, lui, ne part
pas du monde réel mais de ce pays imaginaire de l'équilibre général qui est pour lui la
réalité fondamentale. Or le monde équilibré de la constance et de la certitude ne connaît ni
entrepreneurs ni profit : le seul rôle de l'entrepreneur, par déduction logique, est d'innover,
de détruire l'équilibre préexistant. L'entrepreneur ne peut pas ajuster, parce que tout est
déjà ajusté. Dans un monde de certitude il n'y a pas de place pour l'entrepreneur : seul
le crédit bancaire inflationniste et l'innovation lui permettent d'exister. Le seul rôle qui lui
soit attribué est donc d'être un perturbateur et un innovateur.

L'entrepreneur, dès lors, paie un intérêt aux banques, l'intérêt étant pour Schumpeter
un phénomène purement monétaire. Mais où donc l'entrepreneur-innovateur tire-t-il
l'argent pour payer l'intérêt ? Des recettes qu'il engrange quand les fruits de son innovation
arrivent sur le marché et quand les nouveaux procédés ou les nouveaux produits obtiennent
un revenu des consommateurs. Les profits sont donc uniquement la conséquence
de l'innovation qui a réussi, et l'intérêt n'est qu'un paiement, aux banques inflationnistes,
issu de ce profit.
Le crédit inflationniste des banques signifie, bien entendu, une hausse des prix et aussi
un redéploiement des ressources vers l'investissement dans l'innovation. Les prix montent,
suivis par des hausses de prix des facteurs tels que les salaires et les rentes.

Schumpeter a réussi, mais pas de manière bien convaincante, à s'extraire du carcan


walrasien. Mais il n'en a pas fini avec son problème. Car pour lui, il ne suffit pas
d'en sortir, de son carcan : il doit aussi s'y remettre. En tant que fidèle walrasien, il doit
faire revenir l'économie vers un autre état d'équilibre général car, après tout, un équilibre
réel est par définition un état vers lequel les variables tendent à revenir une fois qu'elles
ont été remplacées. Comment ce retour se fait-il ?

Pour qu'un économie revienne à l'équilibre, il faut que les profits et [pour lui] les intérêts
soient éphémères. Et l'innovation doit également prendre fin.
Comment est-ce possible ? D'une part, il faut que les innovations soient discontinues : elles
ne doivent apparaître qu'en vagues discrètes : car si l'innovation était continue,
l'économie ne retournerait jamais à un état d'équilibre.
Étant donnée cette hypothèse de groupements discontinus, Schumpeter trouve une issue :
lorsque les innovations sont "achevées" et que les nouveaux procédés ou les nouveaux
produits entrent sur le marché, ils font mieux que les anciens procédés ou que les anciens
produits, récoltant ainsi des profits qui permettent de payer l'intérêt. Mais ces profits, ils
les font en contrepartie de pertes sévères dans les entreprises ou dans les industries
anciennes et désormais inefficaces, qui vont alors dans le mur. Après quelque temps, les
innovations sont terminées et le processus d'imputation inexorable détruit tout profit et
donc tout intérêt, alors que les pertes soudaines des anciennes firmes ont également pris
fin. L'économie retourne à un flux circulaire constant et y reste jusqu'à ce qu'un autre
groupe d'innovations apparaisse, remettant à nouveau le cycle en route.

"Cycle" est ici le terme opératif, car, pour résoudre le processus logique de sortie
et de retour, Schumpeter a en même temps apparemment développé une théorie unique du
cycle économique.
La phase I, la sortie, ressemble à s'y méprendre à la période d'emballement typique
de la conjoncture économique : crédit bancaire inflationniste, montée des prix
et des salaires, euphorie générale et redéploiement des ressources vers davantage
d'investissement.
Puis les événements suivant "l'achèvement" de l'innovation ressemblent comme deux
gouttes d'eau à la récession ou à la dépression typique : pertes soudaines et graves dans les
anciennes entreprises, réduction des dépenses.
Enfin, la disparition à la fois de l'innovation et de l'euphorie, et en fin de compte des pertes
et de la réduction des dépenses — bref, un retour à la période calme qui pourrait
ressembler à l'état d'équilibre stationnaire.

Mais ce n'est qu'en apparence que la doctrine de Schumpeter se donne les airs
d'une théorie stimulante de la conjoncture économique, digne d'une recherche
approfondie. C'est tout simplement la seule façon logique qu'il ait pu trouver pour sortir
de son carcan walrasien et pour y retourner. En tant que tel, c'est certainement une
formulation ingénieuse, mais elle n'a pas de lien du tout avec la réalité.

En fait, même au sein de sa propre théorie, de graves défauts subsitent. Dans un monde
walrasien de certitude parfaite (hypothèse qui n'est pas modifiée par l'apparition
de l'entrepreneur), comment se fait-il que les anciennes entreprises attendent
"l'achèvement" de l'innovation pour découvrir subitement qu'elles subissent des pertes
sévères ? Dans un monde de connaissance et d'anticipations parfaites, les vieilles
entreprises connaîtraient leur destin dès le début, et prendraient très tôt des mesures pour
s'y ajuster. Dans un monde d'anticipations parfaites, il n'y aurait, dès lors, aucune perte et
donc pas de phase de récession ou de dépression. Il n'y aurait pas de conjoncture telle que
les économistes la connaissent.

Enfin, le modèle forcé de Schumpeter ne peut marcher que si les innovations arrivent par
paquets, et des paquets de ce genre, on n'en a pratiquement aucune preuve[11] :
dans le monde réel, c'est sans arrêt que les innovations se produisent. Par conséquent, il
n'y a aucune raison de postuler le retour à un équilibre quelconque, même s'il avait jamais
existé dans le passé.
En conclusion, la théorie de Schumpeter sur le développement et la conjoncture
économiques a impressionné bon nombre d'économistes avec ses discussions suggestives
et apparemment éloquentes sur l'innovation, le crédit bancaire et l'entrepreneur. Il a
semblé offrir bien plus qu'une analyse statique de l'équilibre walrasien, et fournir une
dynamique économique, une explication théorique des cycles et de la croissance.
Dans la réalité, cependant, le système apparemment impressionnant de Schumpeter n'a
aucun lien avec le monde réel. Il n'a fourni aucune dynamique économique : il n'a fait que
trouver un procédé ingénieux mais faux pour essayer de sortir du carcan statique de
Walras. Sa théorie n'est qu'un numéro d'équilibriste logique, et qui ne mène nulle part.

C'est sans aucun doute une compréhension partielle de ce fait regrettable qui a conduit
Schumpeter à faire évoluer sa théorie de la conjoncture du modèle à cycle ouvert qui
figure dans son ouvrage de 1912 Theory of Economic Development, vers son schéma à
trois cycles qui, quelque trois décennies plus tard, figure dans les deux tomes de Business
Cycles[12].
Plus précisément, Schumpeter avait compris que l'un des problèmes, lorsqu'on voulait
appliquer son modèle à la réalité, était le suivant : si ce qui détermine la durée de la
période d'emballement est la durée nécessaire pour "achever" l'innovation et l'amener
au marché, alors comment ce modèle pourrait-il s'appliquer à la vraie vie, où des
innovations simultanées peuvent nécessiter chacune une durée différente pour qu'on
la mène à bien ? Sa théorie ultérieure à trois cycles est une tentative désespérée pour
prendre en compte de tels problèmes de la vie réelle.
De façon précise, Schumpeter a alors postulé que l'économie, au lieu de sortir
de l'équilibre, et d'y revenir de façon unitaire, suit trois cycles strictement périodiques,
séparés et hermétiquement clos — celui de "Kitchine", celui de "Juglar" et celui
de "Kondratieff" — chacun ayant les mêmes caractéristiques d'innovation-inflation-
dépression. Cette évocation de cycles sous-jacents prétendument séparés, chacun
indépendant de l'autre, mais s'ajoutant tous ensemble pour donner les résultats observables
du monde réel, ne peut être tenue que pour une fuite désespérée dans le mysticisme, afin
de soutenir son modèle initial.

En premier lieu, il existe bien plus de trois innovations se produisant au même moment
dans l'économie, et il n'y a pas de raison de supposer une périodicité stricte de chaque
ensemble de changements disparates. Dans la réalité, elles n'existent pas, ces vagues
d'innovations tels que la théorie les réclame.
Ensuite, dans une économie de marché, tous les prix et toutes les activités sont en
interaction : il ne peut jamais y avoir de cycles hermétiquement clos. Le schéma
à plusieurs cycles représente une multiplication inutile et gratuite des entités, en violation
flagrante du principe du rasoir d'Occam.
Dans sa tentative pour sauver sa théorie, il affirme des propositions qui ne peuvent pas
être testées, car on pourra toujours évoquer un autre cycle pour éliminer les anomalies[13].
Dans sa tentative de sauver son modèle initial, Schumpeter n'est parvenu qu'à ajouter
de nouvelles erreurs, et plus graves, aux anciennes.

Dans les années précédant la Deuxième Guerre mondiale et au cours de celle-ci, la théorie
dynamique la plus populaire du changement économique était la lugubre doctrine de la
"stagnation séculaire" (ou de la "maturité économique") proposée par le Professeur Alvin
H. Hansen[14]. L'explication de la Grande Dépression des années 1930, pour Hansen, était
que les États-Unis s'étaient embourbés dans une stagnation permanente, dont
le capitalisme de libre-échange n'aurait su la tirer.
Une année ou deux après la publication de la Théorie générale de Keynes, Hansen avait
sauté sur le char de ce qu'on appelait alors la Nouvelle Économie pour devenir le plus
influent des keynésiens américains.
Mais la stagnation séculaire, si elle donnait au keynésianisme une touche de gauche,
n'avait aucun lien avec la théorie keynésienne. Pour Keynes, la clé de la prospérité ou de la
dépression était l'investissement privé : investissement privé florissant signifiait prospérité,
investissement faible et intermittent voulait dire dépression. Cependant, Keynes était
agnostique quant à la question de l'investissement, alors qu'Hansen apportait sa propre
gnose. L'investissement privé aux États-Unis, affirmait Hansen, était voué à une fragilité
permanente parce que :

(1) la frontière était désormais fixée ;


(2) la croissance de population se ralentissait à vue d'œil ; et
(3) il n'y aurait que peu d'inventions à venir, et le peu qu'il y aurait serait plutôt du
type conduisant à épargner du capital que celui conduisant à épargner du travail,
de telle sorte que l'investissement total ne pourrait pas croître.

Dans The Bogey of Economic Maturity, sa célèbre réfutation de la thèse stagnationniste,


George Treborgh s'était concentré sur une critique statistique[15]. Si la frontière était "figée"
depuis le début du siècle, pourquoi donc y avait-il eu un boom de presque trois décennies
jusque dans les années 1930 ? Cela faisait également plusieurs décennies que la
croisssance de la population s'était ralentie. Il était tout aussi facile de démolir la prétention
plutôt étrange et aventurée à décréter que dans l'avenir il n'y aurait plus à découvrir que
peu ou pas d'inventions supplémentaires, au moins du type qui conduit à épargner du
travail. Les prédictions sur la fin de l'innovation, qu'on nous sert de temps à autre au cours
de l'histoire, sont des cibles faciles à tourner en ridicule.

En revanche, Treborgh n'avait jamais étudié de près les prémisses de la thèse de Hansen.
A notre époque envahie par la clameur des enthousiastes d'une population en croissance
zéro, il est difficile d'évoquer un climat intellectuel où se préoccuper d’une croissance
ralentie de la de la population semblait avoir un sens. Mais en fait, pourquoi Hansen
devait-il considérer la croissance de la population comme étant ipso facto un facteur positif
pour stimuler l'investissement ? Et pourquoi le ralentissement d'une telle croissance
devrait-il entraîner un déclin ? Schumpeter, dans sa critique de la thèse de Hansen, a
judicieusement souligné qu'une croissance de la population pourrait facilement conduire à
une baisse du revenu réel par tête[16].

C'est toutefois une ironie que Schumpeter n'ait pas vu que Hansen, lui aussi, avait tenté
à sa faço, de sortir du carcan walrasien.
Hansen commençait implicitement (et non, comme Schumpeter, explicitement) par le flux
circulaire et par l'équilibre général, et il considérait ensuite les divers facteurs possibles qui
pourraient changer — ou, plus précisément, pourraient augmenter. Et on retrouve la triade
walrasienne familière : la terre, le travail et la technique. Comme l'avait noté Terborgh,
Hansen avait une vision statique des "occasions d'investissement." Il les traitait comme si
elles étaient une entité physique limitée, comme une sorte d'éponge. Elles étaient
en quantité fixe et, lorsque cette quantité-là était atteinte, les occasions d'investissement
étaient "saturées" et disparaissaient. L'hypothèse implicite de Hansen est que ces
occasions ne pouvaient être créées que par des accroissements de la terre, du travail
et des améliorations techniques (que Hansen confinait aux inventions, plutôt
qu'aux innovations au sens de Schumpeter). Ainsi, figer la frontière signifiait assécher ce
qu'on pourrait appeler les "occasions d'investissement par la terre," le ralentissement de la
croissance de la population voulait dire la fin des "occasions d'investissement par
le travail," conduisant à une situation où les innovations ne pourraient assumer tout
le fardeau restant.

De sorte qu'en fait la vision étrange de Hansen sur les effets économiques
du ralentissement de la croissance de la population, aussi tristement empirique qu'elle
puisse paraître, n'était pas du tout une généralisation tirée de l'expérience. En réalité, elle
n'avait rien à dire des changements dynamiques, du monde réel. L'effet prétendument
favorable d'une forte population n'était tout bonnement que le délayage logique de la
variante malheureuse de Hansen pour se dégager du carcan walrasien.

Notes

[1]. Avant la Deuxième Guerre mondiale, le paradigme dominant, au moins pour l'économie anglo-
américaine, était celui de la théorie néo-ricardienne de l'équilibre partiel d'Alfred Marshall.
A cette époque, Walras et ses partisans, le premier étant l'Italien Vilfredo Pareto, étaient appelés
"l'École de Lausanne." Avec la conquête walrasienne au sein du courant dominant, ce qui n'était
qu'une simple école est désormais devenu "la microéconomie."
[2]. En soutenant que Schumpeter avait été plus influencé par les Autrichiens que par Walras,
Mohammed Khan n'a pas vu le fait que le premier livre de Schumpeter, et le seul à n'avoir toujours
pas été traduit en anglais, Das Wesen und der Hauptinhalt des Theoretischen Nationalökonomie
("L'essence et le contenu principal de la théorie économique" [Leipzig, 1908]), écrit quand il était
encore étudiant de Böhm-Bawerk, était un ouvrage violemment walrasien. Das Wesen est non
seulement une apologie non mathématique de la méthode mathématique, mais c'est aussi une étude
de l'équilibre général walrasien, qui dépeint les événements économiques comme le résultat
d'interactions quantitatives mécaniques entre des entités physiques, plutôt que comme les
conséquences d'une action humaine réfléchie — ce qu'est l'approche autrichienne. Ainsi, Fritz
Machlup écrit que :

L'accent mis par Schumpeter sur la nature de l'économie comme science quantitative,
comme système d'équilibre dont les éléments sont des "quantités de biens," l'a conduit
à considérer comme inutile pour l'économie, et par conséquent comme
méthodologiquement erroné, de traiter du "comportement économique" ou des "motifs du
comportement humain."
(Fritz Machlup, "Schumpeter's Economic Methodology," Review of Economics
and Statistics 33 [mai 1951] : pp. 146-147.

Cf. Mohammed Shabbir Khan, Schumpeter's Theory of Capitalistic Development (Aligarh, Inde :
Muslim University of India, 1957).
Sur Das Wesen, voir Erich Schneider, Joseph Schumpeter: Life and Work of a Great Social
Scientist (Lincoln : University of Nebraska Bureau of Business Research, 1975), pp. 5-8.
Sur Schumpeter comme économiste walrasien, voir également Schneider, "Schumpeter's Early
German Work, 1906-1917," Review of Economics and Statistics (mai 1951) : pp. 1-4 ; et Arthur
M. Marget, "The Monetary Aspects of the Schumpeterian System," ibid., p. 112.
Sur Schumpeter comme n'étant pas un économiste "autrichien," voir aussi "Haberler sur
Schumpeter," dans The Development of Economic Thought, Henry W. Spiegel, ed., (New York :
John Wiley and Sons, 1952), pp. 742-743.

[3]. Ainsi, Schumpeter écrit que :

au cours du flux circulaire normal, la valeur totale du produit doit être imputée, remontée
aux facteurs productifs originaux, c'est-à-dire aux services du travail et de la terre ; ainsi,
toutes les recettes de la production doivent être divisées entre les travailleurs et les
propriétaires fonciers, et il ne peut y avoir de revenu permanent net autres que les salaires
et les rentes. La concurrence, d'une part, et le processus d'imputation, d'autre part, doivent
détruire tout excédent des rentrées sur les dépenses, tout excédent de la valeur d'un produit
par rapport aux services du travail et de la terre qu'il contient. La valeur des moyens
de production originels doit être attachée avec la fidélité d'une ombre à la valeur du
produit et ne saurait permettre le moindre écart permanent entre les deux....
Certes, les moyens de production créés par l'homme peuvent servir à produire des biens....
Et ces biens ont également une valeur plus élevée que ceux que l'on pourrait obtenir sans
moyens de production créés par l'homme. Mais cette valeur plus élevée doit aussi conduire
à une plus grande valeur des services employés du travail et de la terre. Aucun élément
de surplus de valeur ne peut rester attaché de manière permanente à ces moyens
de production intermédiaire.
(Joseph Schumpeter, The Theory of Economic Development : An Inquiry Into Profits,
Capital, Credit, Interest, and the Business Cycle [New York : Oxford University Press,
1961], pp. 160, 162).

[4]. Voir l'attaque contre l'analyse autrichienne, dans la perspective néoclassique de Knight, dans
Earl Rolph, "The Discounted Marginal Productivity Doctrine," dans Readings in the Theory of
Income Distribution, W. Fellner et B. Haley, eds. (Philadelphie : Blakiston, 1946), pp. 278-293.
Pour une réfutation, voir Murray Rothbard, Man, Economy, and State (Los Angeles : Nash, 1970),
1, pp. 431-433.
[5]. Sur cette prétendue synchronisation, voir Kahn, Schumpeter's Theory, pp. 51, 53. Le concept
de synchronisation de la production est un thème très anti-autrichien que Schumpeter a emprunté
à John Bates Clark, qui avait mené la fameuse bataille des années 1930 entre le concept du capital
de Clark et Knight et les conceptions autrichiennes de Hayek, Machlup et Boulding. Voir ibid.,
p. 6n. Voir aussi F. A. Hayek, "The Mythology of Capital," dans Fellner et Haley, Readings,
pp. 355-383. [Voir aussi, M. Skousen, The Production of Capital, New York University Press,
1990, pp. 28 et suivantes. NdT]

[6]. Selon Khan, pour Schumpeter

"le capital ne peut pas avoir une structure temporelle ni disparaître dans le processus
même de sa fonction consistant à commander les moyens de production."
(Khan, Schumpeter's Theory, p. 48).

Schumpeter accepte cet exploit en séparant totalement le capital de son incarnation dans les biens
du capital, et en limitant le concept à une réserve de monnaie utilisée pour acheter ces biens. Pour
Schumpeter, dès lors, le capital (de même que l'intérêt) devient un phénomène purement monétaire,
n'ayant aucune origine dans les biens réels ni dans les transactions réelles. Voir Schumpeter,
Economic Development, pp. 116-117.

[7]. Ibid., pp. 43-44.

[8]. Clemence et Doody ont essayé de réfuter cette accusation, mais le font en supposant un taux
de préférence temporelle nul. Les capitalistes se préoccuperaient alors de maximiser leurs bénéfices
d'utilité au cours du temps, sans égards pour l'instant où ils seraient récoltés. Par conséquent,
les biens de capital seraient indéfiniment remplacés. Pour ceux qui croient que tout le monde
a un taux de préférence temporelle positif, et donc escompte positivement les bénéfices futurs,
un taux de rentabilité nul conduirait rapidement à une disparition du capital et certainement
à l'effondrement de l'équilibre stationnaire. Richard V. Clemence et Francis S. Doody,
The Schumpeterian System (Cambridge, Mass. : Addison-Wesley, 1950), pp. 28-30.

[9]. Dans l'excellente critique de l'équilibre avec intérêt nul de Schumpeter, faite par Lionel
Robbins, "On a Certain Ambiguity in the Conception of Stationary Equilibrium," Economic
Journal 40 (juin 1930) : pp. 211-214. Voir aussi Gottfried Haberler, "Schumpeter's Theory of
Interest," Review of Economics and Statistics (mai 1951) : pp. 122 et suivantes.

[10]. Schumpeter écrit donc :

"Ce n'est pas la grande masse des consommateurs qui provoque la production.
Au contraire, c'est la foule qui est contrôlée et conduite par les personnalités-clés
de la production" (les italiques sont de Schumpeter) dans "Die neuere Wirtschaftstheorie
in den Vereinigten Staaten"
("La Théorie économique récente aux États-Unis") Schmollers Jahrbuch (1910), cité dans
Schneider, Joseph A. Schumpeter, p. 13.

[11]. Voir Simon S. Kuznets, "Schumpeter's Business Cycles," American Economic Review (juin
1940).

[12]. Joseph A. Schumpeter, Business Cycles : A Theoretical, Historical, and Statistical Analysis of
the Capitalist Process, 2 vols. (New York : McGraw-Hill, 1939).

[13]. Ceci ne signifie pas que toutes les propositions doivent être testables par l'expérience :
elles peuvent être évidentes en soi, ou déduites d'axiomes évidents. Mais personne ne peut dire que
les prétendus cycles de Kitchin, de Juglar et de Kondratieff seraient évidents à quel titre que ce
soit.

[14]. Voir Alvin H. Hansen, Fiscal Policy and Business Cycles (New York : W. W. Norton, 1941).
Pour un résumé clair de sa position, voir Hansen, "Economic Progress and Declining Population
Growth," dans Readings in Business Cycle Theory, G. Haberler, ed. (Philadelphie : Blakiston,
1944), pp. 366-384.

[15]. George Terborgh, The Bogey of Economic Maturity (Chicago : Machinery and Allied
Products Institute, 1945).

[16]. Schumpeter, Business Cycles, p. 74.

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