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Le garçon qui savait gazouiller

Il y avait, dans le village voisin du mien, un jeune garçon qui savait gazouiller. D’après les
mauvaises langues de mon village, c’était parce que sa mère avait une tête de linotte ; en vérité, ses
parents étaient fort pauvres et s’étaient servis, pour réchauffer son berceau, de plumes d’alouette et
non de fourrure de loup. Ils en furent récompensés par les nuits silencieuses de l’enfant.
Les années passaient, et le garçon gagnait en intelligence, en beauté et en malice. Chaque
matin, il chantait comme les oiseaux, d’une voix mélodieuse et fluide qui s’échappait sans effort de
ses lèvres. Mais si les printemps étaient de perpétuels concerts, les hivers le laissaient triste et
maussade au coin du feu.
À quinze ans, sentant arriver l’automne et s’en désolant d’avance, il passa près du port et
aperçut un bateau d’où des hommes au teint bruni déchargeaient des plantes et des fruits colorés,
des cageots d’où montait une odeur enivrante, des lots de tissus légers et chatoyants.
Ni une, ni deux, il fit ses bagages, embrassa ses parents et s’embarqua comme mousse sur un
navire en partance pour le Sud, tout étourdi par sa prochaine migration.
Il se passa quelque temps avant qu’ils atteignent les mers chaudes et les cieux radieux qu’il
espérait ; mais un matin, il se réveilla dans une atmosphère douce et vibrante, bercé par le
balancement de son hamac. Sans réfléchir, heureux, il commença à chanter.
Le capitaine se leva d’un bond.
— Terre ! Terre !
Il se précipita sur le pont et scruta l’horizon, talonné par les autres marins à présent réveillés.
Mais de terre, point en vue.
— J’aurais pourtant juré avoir entendu des oiseaux ! jura le capitaine confronté aux regards
fatigués et inamicaux de son équipage.
Le jeune garçon se garda bien de se dénoncer, riant sous cape du quiproquo qu’il avait
provoqué.
Le matin suivant, il se réveilla à nouveau avant tous les autres matelots et, encore amusé de la
méprise de la veille, se mit à gazouiller doucement.
Le capitaine se réveilla et courut sur le pont :
— Cette fois, je n’ai pas rêvé !
Mais toujours pas le moindre îlot à l’horizon. L’équipage le foudroya du regard. Le jeune mousse
laissa échapper un rire, et pour le narguer, lança un dernier petit gazouillement.
Le capitaine, qui avait décidément l’ouïe fine, l’attrapa par le col :
— C’est lui ! C’est lui qui imite les oiseaux et se moque de nous chaque matin.
On maugréa, on le tança, on le menaça, puis chacun reprit son travail tandis que le mousse,
pour punition, se voyait confier les tâches les plus ingrates.
Le lendemain matin, épuisé, il dormait encore à poings fermés. Pourtant, des chants d’oiseaux
tout proches se firent entendre.
« Il ne m’aura pas une fois de plus » songea le capitaine, qui se promit de lui en faire voir de
toutes les couleurs.
Hélas, à peine quelques minutes plus tard, chacun fut jeté hors de son hamac par une énorme
secousse. Se précipitant sur le pont, on constata avec horreur que le navire avait heurté une île
minuscule entourée de récifs acérés, et menaçait de couler.
Ils accostèrent comme ils le purent à bord des chaloupes et cherchèrent comment gagner le
continent le plus proche. Au cours des semaines qui suivirent, rationnant l’eau et cherchant en vain
de la nourriture, il envoyèrent des signaux de fumée afin d’être repérés par d’éventuels navires.
Pourtant, rien ne paraissait à l’horizon.
Plusieurs d’entre eux périrent, mais je sais par confidence que le jeune mousse eut malgré tout
une dernière utilité ; grâce à lui, la plupart des naufragés ne moururent pas de faim. Ils furent
recueillis par un baleinier et purent rentrer sains et saufs dans leurs familles.

8 juillet 16.

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