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Chapitre 6 :

Géopolitique de l'aménagement du territoire

PARTIE I : Géopolitique de l'aménagement du territoire, par Philippe Subra

I. Etudes fait par « Alternative économiques »

Géopolitique et aménagement du territoire, voilà des mots que l'on n'a guère l'habitude d'associer.
C'est tout l'intérêt de cet ouvrage que de démontrer la pertinence d'une telle approche pour
comprendre les conflits auxquels donnent lieu les projets de construction d'une infrastructure routière
ou ferroviaire, d'une centrale nucléaire ou d'une ligne à haute tension. Certes, ces conflits ne font pas
de morts, sauf accidentellement, mais ils donnent lieu à "des manifestations, des campagnes de
presse, des manœuvres en coulisse et du lobbying" et à des «relations d'alliance, de rivalité ou de
neutralité «entre une pluralité d'acteurs, parmi lesquels les riverains, qui ont eu tendance à se faire de
plus en plus entendre.
Loin de n'y voir que l'expression du fameux syndrome Nimby (not in my back yard: pas dans ma cour),
l'auteur montre comment ces conflits contribuent, à travers les débats publics auxquels ils donnent
lieu, à l'affirmation d'une démocratie participative. S'ils sont loin d'être nouveaux ou propres à la
France, ces conflits questionnent néanmoins, en raison de la double remise en cause qu'ils semblent
traduire. Celle du modèle régalien de l'aménagement du territoire, caractéristique des Trente
Glorieuses, et, surtout, celle de la notion même d'intérêt général qui, rappelle l'auteur, conditionne
l'acceptation de l'utilité publique d'un projet d'aménagement. Car face à la montée des préoccupations
environnementales, ni la croissance économique ni même la création d'emplois ne sauraient justifier
aujourd'hui, à elles seules, un projet d'aménagement.
Sylvain Allemand
Alternatives Economiques - n°265 - Janvier 2008

II. Etudes réalisé par Géo Carrefour :

C’est un excellent ouvrage que Philippe Subra nous propose en exposant la Géopolitique de
l'aménagement du territoire. Livre excellent par son niveau d'information, son niveau de réflexion qui
donne un sens à chaque information fournie, sa qualité d'écriture enfin. Dans un style qui fait parfois
penser au journalisme d'investigation dans le meilleur sens du terme, Philippe Subra met en scène les
conflits liés à l'aménagement du territoire en France et nous fait découvrir sous un jour nouveau bien
des évènements qui ont tenu la chronique au cours des dernières années. Son livre se lit comme un
roman, mais c'est un ouvrage scientifique, et cette association rare mériterait à elle seule bien des
éloges.
2Que dit ce livre ? Selon l’auteur, l'aménagement du territoire bénéficiait d'un consensus en France à
l'époque de la reconstruction puis de l'expansion économique des Trente Glorieuses, mais ce
consensus a laissé place aujourd'hui à des oppositions d'intérêts de plus en plus ressenties par les
citoyens. La cause est-elle dans la « crise de l’État-nation comme référence identitaire et affective »
(p. 39), toujours est-il que Philippe Subra note un « glissement progressif de la conflictualité dans notre
société du champ du social vers celui du territorial », ce qu'il résume d'une façon percutante dans
cette formule : « De moins en moins de grèves. De plus en plus de conflits dont l'objet est le
territoire » (p.39). Qu'il s'agisse de protester contre le départ d'un usine ou d'un service public,
d'attirer un aménagement convoité et donc de l'emporter dans une compétition désormais ouverte
entre les territoires, ou qu'il s'agisse de faire obstacle à un aménagement jugé indésirable pour les
dangers qu'il fait courir (ou dont on l'accuse, non sans exagération parfois) à l'environnement, on voit
se constituer des coalitions insolites entre des acteurs pour la défense d'intérêts communs fondés sur
le territoire. Face à des citoyens regroupés en associations et à des entreprises qui n'ont pas
forcément des intérêts convergents, les pouvoirs publics ont de plus en plus de mal à imposer leur
point de vue ou à faire valoir un arbitrage acceptable par tous. Parmi des analyses toutes
remarquables (les terrains Renault de Boulogne-Billancourt, la fermeture des maternités dans les
petites villes, le tracé du TGV Nord, la localisation du Stade de France, et bien d'autres qu'un compte-
rendu rapide ne peut mentionner), on appréciera notamment ce que Philippe Subra dit du
phénomène nimby : l'union sacrée (« la crise et le conflit fédèrent le système local des acteurs », p.
68) pour concentrer les avantages des équipements et en éviter les nuisances réelles ou supposées
constitue un égoïsme territorial contraire à l'idée de bien commun. Mais, il est parfois difficile de dire à
quelle échelle géographique le bien commun doit être défini et peut trouver la légitimité qui le
consoliderait devant les intérêts particuliers. Cette lecture géopolitique, très convaincante, qui analyse
les conflits d'acteurs pour le contrôle des territoires, conduit alors à observer les conditions même de
la compétition politique. C'est l'occasion d'analyses très perspicaces et très vivantes sur la démocratie
participative dans ses relations avec la démocratie représentative (on sait gré à l'auteur de montrer à
la fois l'intérêt du débat public et la nécessaire reconnaissance de la légitimité démocratique des élus)
et sur les nouveaux territoires politiques que sont les régions et les différentes structures
intercommunales. S'il fallait encore démontrer que l’État n'est plus le seul acteur institutionnel dans
cette affaire, ces pages y suffiraient.
3Que conclure, sinon reprendre la conclusion de l'ouvrage qui réaffirme la dimension géopolitique de
l’aménagement et résume brillamment l'argumentaire, non sans égratigner la géographie dite
« classique » qui traite de la chose comme d'une affaire technique. Cette affaire est politique. Elle
concerne la géographie. Elle est géopolitique. Philippe Subra le démontre avec une telle rigueur et
dans un style si vif et si plaisant qu'il deviendra difficile désormais de parler de l'aménagement sans
faire référence à son travail.

http://geocarrefour.revues.org/

III. Etudes écrites par « Cyber Géo » :

Philippe Subra est maître de conférences à l’Institut Français de Géopolitique à Paris 8, ancien
directeur d’études dans un cabinet d’aménagement et d’urbanisme et membre du comité de rédaction
de la revue Hérodote. Ces informations suffisent pour donner le ton général de l’ouvrage !
2Cet ouvrage comporte 327 pages organisées en 7 chapitres qui se clôturent par une conclusion forte
qui veut en finir avec une conception exclusivement technicienne de l’aménagement du territoire.
L’auteur démontre par de nombreuses illustrations et études de cas comment l’aménagement du
territoire devient aujourd’hui plus qu’hier source de conflits et de géostratégies, et ce quelle que soit
l’échelle spatiale du problème. Les situations de conflit résultent de rapports de force entre acteurs
dont les stratégies, les revendications et les jeux de représentation sont contradictoires à une échelle
donnée, mais aussi et souvent à travers les échelles spatiales ! L’auteur y parle d’ailleurs de
ménagement, aménagement (convoité ou rejeté) et déménagement (désertification) du territoire.
Aucune conclusion partielle ne termine chaque chapitre, mais la conclusion finale (pp. 301 à 315)
constitue le point fort du travail, où la géopolitique de l’aménagement de territoire prend tout son
sens.
3L’auteur explore, évoque, pose de nombreuses questions sur le dispositif français de gestion du
territoire et plus largement sur le système politique français, sur les forces contradictoires mais
aucune solution concrète n’est proposée suite à un problème évoqué et/ou pour aborder les nouveaux
défis que doit affronter la société française. A l’aide d’exemples, les enjeux, la compétition entre
acteurs et territoires, les logiques d’acteurs sont analysées, expliquées.
4Les nombreuses études de cas évoquées dans l’ouvrage seront utiles tant aux enseignants en
géographie (quelle que soit leur orientation : beaucoup d’exemples sont issus du domaine des
transports, mais d’autres concernent aussi les logements, l’industrie, le développement régional, etc.)
qu’aux étudiants voire aux praticiens de l’aménagement du territoire qui devraient non seulement y
lire la crise du modèle français et la dérision de certaines situations, mais aussi trouver matière à
réflexion sur l‘aménagement qui engendre des conflits mais ce sont aussi ces conflits qui font
l’aménagement et … l’identité territoriale !
5La seule critique que je formulerais : les exemples sont limités à la France. Certes, les problématiques
traitées sont aisément extrapolables à d’autres contextes nationaux, mais pour le lecteur étranger que
je suis, il est parfois difficile de comprendre toutes les subtilités liées non seulement aux jeux d’acteurs
politiques locaux, mais aussi aux abréviations utilisées. Difficile alors de percevoir toutes les subtilités
de la situation conflictuelle. Pour le reste, l’ouvrage se lit facilement et est très bien structuré. J’ai
particulièrement apprécié le chapitre 7 qui porte sur la régionalisation et l’intercommunalité. Le
problème de la non fusion des communes françaises me fascine géopolitiquement parlant mais aussi
géographiquement … alors qu’en Belgique la fusion des communes date déjà de 1977 …

http://www.cybergeo.eu/

IV. L’œuvre, commenté par Les « Clionautes ».

La géopolitique est partout. Pour s’en convaincre, il suffit de suivre l’actualité éditoriale des 3
dernières années. Armand Colin (mais ce n’est pas le seul éditeur, cf. Ellipses, Nathan…) a publié pas
moins de 10 titres dans la collection Perspectives géopolitiques, dirigée par Yves Lacoste. Ici, comme
le souligne René – Eric Dagorn (La géopolitique en mutation, Sciences Humaines, avril 2008, N°192), le
titre a de quoi davantage surprendre. Pourtant, l’aménagement du territoire mérite que l’on s’y
intéresse sous cet angle. Si les méthodes sont plus pacifiques (que les domaines où l’on a l’habitude
d’entendre parler de géopolitique), on est en plein cœur des rivalités de pouvoir pour le territoire. La
maîtrise du territoire par le biais des élections pimente les débats. Depuis 2005, et surtout depuis
2007, il y a véritablement territorialisation du débat politique. L’aménagement du territoire est devenu
un enjeu politique majeur, parallèlement à la mise sur le devant de la scène de la démocratie
participative (par le biais du débat public, notamment). De plus en plus de politiques d’aménagement
sont contestées au niveau local (syndrome Nimby) par les habitants. L’époque de « l’ingénieur roi »
est finie.
Philippe Subra est maître de conférences et enseigne à l’Institut français de géopolitique de
l’université de Paris 8. Il est membre du comité de rédaction de la revue Hérodote.

• Des aménagements de plus en plus contestés.


Aménager le territoire aujourd’hui implique d’abandonner une vision technicienne de l’aménagement.
La conception conservatoire du territoire (déjà illustrée par le titre de l’ouvrage de Roger Brunet. La
France, un territoire à ménager. 1993) implique que pour chaque décision d’implanter une
infrastructure, le décideur tienne compte des intérêts contradictoires des acteurs et leurs
représentations. Les riverains et les usagers d’un équipement ont bien souvent des visions souvent
opposées : vision conservatoire / vision économique visant à accroître l’attractivité du territoire. Le
territoire est un espace approprié, l’aménageur ne peut pas faire ce qu’il veut. Les politiques
d’aménagement du territoire sont confrontées à des problèmes géopolitiques de tout premier ordre :
la remise en cause du modèle français de citoyenneté et de la conception française de Nation avec la
ségrégation des populations, par exemple. Il s’agit donc d’analyser les rapports de force entre les
promoteurs du projet et ceux qui s’y opposent, de voir quelles sont leurs stratégies. Tel est le projet de
Philippe Subra dans ce volume. Pour se faire, il brosse en 300 pages l’histoire de l’aménagement du
territoire et montre comment on est passé d’un Etat aménageur tout puissant dans le contexte de
l’après seconde guerre mondiale à une politique d’aménagement de plus en plus contestée à partir
des années 1970 – 1980. Cette contestation croissante s’explique par un glissement progressif de la
conflictualité du champ social vers celui du territorial.

• Typologie de l’aménagement du territoire


Philippe Subra dégage trois types de conflits.
« Le déménagement du territoire » : ce cas de figure touche les exemples où les acteurs locaux se
sentent menacés par une décision extérieure (celle de l’Etat ou d’un groupe industriel qui décident de
la fermeture de services publics ou d’une unité de production), synonymes pour eux de
« désertification ».
L’ « Aménagement convoité » : ici, les territoires entrent en concurrence pour l’installation d’un
équipement.
L’ « Aménagement rejeté » : cette fois-ci, l’aménagement est contesté par une partie des acteurs en
raison des nuisances, y compris sociales (centre d’accueil de SDF, HLM, prisons…) que l’équipement
est susceptible d’apporter (phénomène Nimby).
L’auteur décline ensuite ces trois modèles en les illustrant avec des exemples. Si les fermetures de
services publics ou d’entreprises sont bien connues, grâce notamment au tapage médiatique qui les
accompagnent souvent (ex : 2005, Guéret), en revanche, les cas d’ « Aménagement convoité » sont
plus opaques (sauf pour les équipements à enjeux mondiaux comme ITER ou les JO de 2012). C’est là
que l’ouvrage de Philippe Subra apporte des compléments importants. Ainsi, il décortique
l’implantation du Stade de France, d’abord refusée par les maires communistes opposés à la mise en
place d’un quartier de haute technologie autour du stade. Ce rejet s’explique par leur préférence pour
des équipements industriels, plus porteurs au niveau électoral par la population qu’ils auraient pu
employée. Forts du constat de l’échec de cette politique (les entreprises industrielles préfèrent
s’installer dans des régions où elles toucheront des primes d’aide à la reconversion ou dans des
régions peu syndiquées), les élus ont du se rendre à l’évidence (fortement aidés dans leur réflexion
par l’Etat) que le Stade de France permettait de sortir l’espace local du statut de friche industrielle. Par
ailleurs, l’auteur montre bien que les choix d’implanter certains équipements à certains endroits ne
tiennent pas du hasard. Ainsi, l’installation d’une antenne du Centre Pompidou à Metz doit beaucoup
au rôle joué par J. L. Aillagon, ancien directeur de Beaubourg, devenu ministre de la Culture et étant
par ailleurs conseiller régional UMP de Lorraine. On l’aura compris, à travers ces deux exemples, les
rivalités de pouvoir politique et économique sont à la base du type d’ « Aménagement convoité ». On
est en plein cœur de la géopolitique locale dont l’enjeu est le contrôle du territoire.

• Un bel ouvrage de géopolitique


Les exemples, bien développés et bien analysés, foisonnent dans cet ouvrage. Ce volume est une
mine pour le professeur qui enseigne la géographie de la France. C’est un vrai régal que de revivre,
par le récit de Philippe Subra, les coteries et autres coups bas qui sous-tendent l’adoption d’un
équipement ici, plutôt que là ; ou bien de celui-ci, plutôt que celui-là. On regrettera, tout de même,
que l’auteur insiste beaucoup sur les enjeux de la mise en œuvre des politiques d’aménagement et
peu sur le fait que la manière d’aménager a profondément mutée. Il n’est plus question aujourd’hui
d’offrir les mêmes équipements de manière uniforme sur le territoire. Cette idée est, malgré tout,
sous-jacente dans l’ouvrage à travers les exemples des services publics et notamment celui des
maternités.
Faire la géopolitique de l’aménagement du territoire est loin d’une idée saugrenue. Les enjeux
justifient largement le choix de cette problématique. L’ouvrage de Philippe Subra trouvera donc toute
sa place au prochain Festival International de Géographie de Saint Dié des Vosges dont le thème
retenu est « Guerres et conflits : la planète sous tension ! ». Les élections municipales de 2008 qui
viennent de s’achever, montrent, s’il était encore nécessaire de le prouver, à quel point la maîtrise du
territoire est un enjeu crucial pour qui veut influencer sur les orientations de la politique nationale.

V. Commentaire de l’éditeur, « Armand Colin »

L’aménagement du territoire en France est devenu l’objet de luttes géopolitiques.


Des fractures géopolitiques se manifestent dans les crises graves que certains territoires doivent
affronter : désertification, délocalisations, restructuration des services publics, refus de la mixité
sociale par les communes les plus riches, mobilisation de riverains contre la fermeture d'une
maternité, contestation écologiste d'un projet routier, etc.
En outre, la décentralisation a déplacé les lieux de pouvoir : les maires et les départements s’effacent
au profit du président de région et des intercommunalités. Ce changement traduit une contestation
des élus et des élites, qui perdent de leur légitimité. De nouvelles concurrences apparaissent alors
entre les territoires.
Comment reconstruire l'idée d'intérêt général ? Comment conjurer les risques de l'égoïsme territorial ?
D’une politique d'aménagement du territoire paralysée par la contestation ? Quel bilan tirer des
expériences de démocratie participative, nouveau cadre d’expression des citoyens ? Qui doit décider…
et comment ?
PARTIE II :

Institut Français de Géopolitique


Soutenance d’habilitation à diriger des recherches.
Pour une géopolitique de l’aménagement : Conflits, territoires, débat public, par
Philippe SUBRA, sous la direction de Béatrice GIBLIN.

L’aménagement, du consensus au dissensus


La politique d’aménagement du territoire a longtemps bénéficié d’un très large accord dans la société
française. Accord sur les objectifs (la modernisation du pays, le développement de l’économie) et
accord sur le rôle dirigeant de l’Etat.
Depuis environ vingt-cinq ans ce consensus s’est défait. Les projets d’équipements et les politiques
d’aménagement sont devenus l’objet de conflits, de contestations et d’affrontements de plus en plus
nombreux. L’Etat a perdu beaucoup de sa légitimité en raison du discrédit des élus nationaux et de la
montée en puissance d’acteurs concurrents : les Régions et en général les collectivités territoriales,
l’Europe, mais aussi les associations et les entreprises. La prise de conscience des problèmes
environnementaux que pose le modèle de développement, l’action des militants écologistes, la
popularité croissante de leurs idées, la méfiance à l’égard de l’idéologie du progrès et des élites
scientifiques et techniques, à la suite d’une série de catastrophes écologiques et de scandales politico-
sanitaires (« vache folle », sang contaminé, etc.) ont porté des coups sévères à la culture des
ingénieurs, jusque-là hégémonique. La notion d’intérêt général, qui est à la base, juridiquement et
politiquement, de toute action publique, fait désormais problème, car quel intérêt général faut-il
privilégier : l’intérêt général économique ou l’intérêt général environnemental ? l’intérêt national, celui
de la planète ou les intérêt locaux ?
Ces changements géopolitiques et idéologiques se sont appuyés sur une série d’évolutions culturelles,
sociales et géographiques majeures : déclin de la classe ouvrière, montée en nombre des classes
moyennes, élévation du niveau de formation, importance de la notion de paysage, mobilité
géographique. Il en résulte une nouvelle donne, qui modifie profondément les conditions dans
lesquelles peuvent être mises en œuvre les politiques d’aménagement du territoire, mais aussi les
politiques d’aménagement urbain.

Trois grandes familles de conflits


Ces conflits sont loin d’être uniformes. Ils diffèrent au contraire profondément, sur toute une série de
points essentiels : les enjeux qui les expliquent et les structurent ; les types d’acteurs qui en sont
parties prenantes et le positionnement, les relations et les rapports de force qu’entretiennent entre
eux ces acteurs, leur degré d’implication dans le conflit, les logiques qui sous-tendent et expliquent
leur intervention ; les outils et les modes d’action qu’ils utilisent et en particulier les représentations
auxquelles ils font appel ; enfin l’impact qu’ils ont, en retour, sur les territoires concernés et sur les
systèmes locaux d’acteurs qui caractérisent ces territoires.
Comprendre ces situations, les gérer ou les prévenir, implique donc en préalable d’élaborer une
typologie des conflits, qui peut, me semble-t-il, se baser sur trois grandes familles ou configurations,
définies en fonction de leur logique dominante :
1- Celle de l’aménagement menacé et des conflits que j’appellerai de « déménagement du territoire »,
dans lesquels le territoire, ou plus exactement les acteurs locaux et la population, réagissent à une
décision extérieure (celle d’un groupe industriel ou celle de l’Etat) par une série d’actions défensives
et revendicatives.
Dans un premier temps (fin des années 1970, années 1980) ces conflits ont été liés au processus de
restructuration de l’industrie française provoqué par la crise économique. A partir des années 1990,
tandis que les fermetures d’usines se raréfient et qu’elles ne déclenchent plus aussi
systématiquement des conflits territoriaux de grande ampleur, apparaît un nouveau type d’enjeux
avec les politiques de restructuration de certains services publics, engagées par l’Etat. Au thème de la
« casse industrielle » succède celui de la « désertification ». Partis des villes et des régions
industrielles traditionnelles, les conflits de déménagement du territoire concernent désormais de
nouveaux espaces : le rural profond, les petites villes, parfois les villes moyennes, ainsi que des
régions relativement épargnées jusque-là par la crise de l’industrie.
Le lien avec l’aménagement se décline à plusieurs niveaux. La décision à l’origine du conflit est perçue
comme une menace mortelle pour des aménagements réalisés dans le passé et la négation des
objectifs affichés par ailleurs par l’Etat en matière d’aménagement du territoire. Celui-ci est accusé de
pratiquer une sorte d’aménagement « en négatif » ou, si l’on préfère, de « contre-aménagement du
territoire », en avalisant la décision de fermeture d’une usine ou en décidant lui-même celle d’un
service public jugé indispensable au territoire concerné. Elus, syndicats, responsables économiques
locaux critiquent l’Etat au nom de la politique d’aménagement du territoire que celui-ci est censé
mettre en œuvre. Lorsque la bataille pour la défense des emplois ou du service public est perdue (cas
le plus fréquent), le conflit débouche sur la revendication de mesures compensatoires, d’un
aménagement « réparateur », qui viendra après coup aider le territoire à surmonter la crise qu’il a
traversée et à réussir sa reconversion.
2- Celle de l’aménagement convoité, qui correspond principalement à des conflits de concurrence
entre territoires ou entre acteurs, entretient un lien encore plus direct avec les politiques
d’aménagement. Car c’est la question de l’équipement ou de l’aménagement futur, de sa localisation
ou de son contenu, qui est à l’origine du conflit et qui en est l’objet. La concurrence porte le plus
souvent sur des équipements ou des aménagements concrets : ligne TGV, tramway ou ligne de métro,
nouvel aéroport, usine, centre commercial, université, centre de recherche, grand équipement sportif
ou culturel, aménagement d’un quartier nouveau. Elle peut porter également sur l’organisation d’un
grand événement sportif ou culturel, parce que celui-ci est perçu comme porteur de développement
économique et se traduirait par la réalisation de divers équipements, ou sur l’accueil d’une institution
internationale ou européenne, d’une administration décentralisée, voire sur le classement dans une
catégorie de territoires permettant de recevoir des aides publiques (zones éligibles aux aides du
FEDER).
Le conflit oppose selon les cas deux ou plusieurs territoires entre eux, lorsqu’il s’agit de déterminer où
l’équipement sera implanté ou le tracé qu’il empruntera (infrastructure linéaire de transport), ou deux
ou plusieurs acteurs (entreprises, collectivités territoriales entre elles ou avec l’Etat, associations
d’habitants), lorsqu’il s’agit de décider qui en obtiendra le contrôle et quel sera son contenu. A la
différence des conflits de déménagement du territoire les différents acteurs territoriaux sont ici en
position offensive. L’aménagement n’est plus un patrimoine à défendre ou un substitut, une
contrepartie : il est l’objet même de la rivalité qui oppose les différents acteurs, parce que sa
réalisation est souhaitée.

Les conflits d’aménagement, miroir de la société française


Dans la troisième configuration, celle de l’aménagement rejeté, l’aménagement ou le projet
d’équipement est toujours au centre du conflit, mais cette fois parce qu’il est contesté par une partie
des acteurs, en raison des atteintes à l’environnement qu’il risque d’entraîner, au plan local (pollution
de proximité, destruction d’un écosystème, atteintes au paysage, consommation excessive d’eau) ou
au plan global (production de gaz à effet de serre), ou en raison des nuisances qu’il provoque pour les
riverains de l’infrastructure (syndrome nimby), ou encore en raison des risques qu’il induit (AZF,
Metaleurop).
Les infrastructures de transport (autoroutes, lignes TGV, ports, aéroports, canaux) et les lignes
électriques à haute et très haute tension sont particulièrement touchées, mais les projets de barrages,
les éoliennes, les incinérateurs d’ordures ménagères sont eux également à l’origine de conflits locaux
de plus en plus nombreux.
Mais il arrive aussi que les nuisances qui provoquent la mobilisation des riverains ne relèvent pas
d’atteintes à l’environnement, au sens matériel du terme, ou de la gêne physique, mais de ce qu’on
pourrait appeler, à grand renfort de guillemets : « des nuisances sociales ». Ce cas de figure, qui
semble en plein développement, correspond aux conflits ou aux mobilisations que provoquent l’arrivée
de populations non désirées, qu’elles soient réellement marginales (gens du voyage, toxicomanes,
prostituées, SDF) ou seulement considérées à un titre ou à un autre comme dangereuses (immigrés,
pauvres, présumés délinquants). La difficile application de la loi Solidarité et Renouvellement urbain et
de la loi Besson sur l’accueil des gens du voyage, les levées de bouclier que suscitent
systématiquement les projets de centres pour jeunes délinquants, de prisons ou de foyers pour sans-
abri illustrent, à travers les politiques d’aménagement, la force de la tentation de « l’entre-soi » ou,
pour parler plus brutalement, d’une forme plus ou moins discrète d’apartheid social et ethnique, qui
traverse désormais la société française.

Un problème majeur pour les aménageurs et une vraie


question géopolitique
Ces mouvements de protestation sont plus ou moins virulents, plus ou moins organisés, plus ou moins
efficaces. Certains n’ont qu’une influence marginale sur le déroulement du processus d’aménagement.
Mais d’autres ont des conséquences importantes, se traduisant par des modifications de tracés (TGV
Méditerranée, CDG Express), l’adoption de solutions techniques coûteuses pour minimiser les
nuisances et l’impact environnemental (passage en tunnel ou en tranchée couverte des autoroutes
A14 et A86 en Île-de-France), voire dans certains cas l’abandon (canal Rhin-Rhône, autoroute A400 en
Haute-Savoie, 3ème aéroport parisien, programmes HLM, équipements pour catégories marginales) ou
le gel durable du projet (bouclage de la Francilienne aux abords de Cergy-Pontoise).
La question de ce qu’on appelle désormais « l’acceptabilité sociale » des projets d’aménagement et
d’équipements est donc devenue au cours des deux dernières décennies une composante essentielle,
une donnée stratégique et incontournable de ces projets et du métier d’aménageur. L’époque de
« l’ingénieur-roi » est définitivement révolue. La mise en œuvre d’un projet d’aménagement, quelque
soit sa qualité technique ou sa justification économique ou sociale, ne peut plus se concevoir sans le
feu vert ou au moins la neutralité d’une part importante de l’opinion et des acteurs des territoires qu’il
concerne. Le problème posé est celui de la faisabilité, non pas technique ou financière, mais politique
des opérations d’aménagement.

L’intérêt d’une analyse géopolitique des questions


d’aménagement
L’application de la démarche géopolitique aux conflits d’aménagement se justifie, me semble-t-il, pour
trois raisons principales :
Il apparaît de plus en plus clairement que les décisions en matière d’aménagement du territoire ne
relèvent pas de la seule rationalité technique (à supposer que l’on puisse parler d’une rationalité
technique unique), mais sont également le résultat de rapports de forces entre des acteurs, dont les
intérêts, les logiques et les représentations différent assez largement. Il est donc impossible de
comprendre le contenu des politiques d’aménagement, quelque soit l’échelle géographique (des
politiques nationales ou européennes aux politiques communales), les difficultés rencontrées pour les
mettre en œuvre, sans prendre en compte cette dimension géopolitique, celle des acteurs, de leurs
intérêts, de leurs relations d’alliance ou de rivalité, de leurs cultures et de leurs représentations.
Si les conflits autour des projets d’aménagement sont heureusement beaucoup moins violents que les
conflits géopolitiques classiques, ils relèvent fondamentalement de la même problématique. Comme
eux, ils traduisent des rivalités de pouvoirs entre des acteurs sur du ou des territoire(s). En effet les
acteurs de l’aménagement - élus, collectivités territoriales, entreprises, services de l’Etat, associations
écologistes ou riverains - entretiennent avec le territoire qui les intéresse une relation à chaque fois
spécifique, mais toujours essentielle. Cette relation ne s’exprime pas en termes de souveraineté ou de
contrôle exclusif, mais en termes d’usage et se traduit par un projet d’appropriation ou de contrôle
plus ou moins affirmé.
Enfin les politiques d’aménagement et les questions de géopolitique locale entretiennent des relations
étroites : le contrôle de positionx de pouvoir, collectivités territoriales, appareil d’Etat, mais aussi
associations, est indispensable à tout acteur qui cherche à influencer les politiques d’aménagement ; à
l’inverse celles-ci sont un moyen particulièrement efficace d’agir sur la composition sociale d’un
territoire et donc sur les évolutions électorales. Certains élus ont su transformer le territoire qu’ils
venaient de conquérir pour asseoir leur nouveau pouvoir (Balkany à Levallois-Perret), d’autres sont
confrontés à des évolutions sociologiques périlleuses et cherchent des politiques d’aménagement qui
préservent leur emprise sur le territoire (cas de la banlieue rouge en région parisienne). Les politiques
d’aménagement sont une dimension essentielle des systèmes géopolitiques locaux qui structurent une
partie du territoire français.

Explorer les pratiques nouvelles en matière de


concertation et de débat public
Cette nouvelle donne a bien entendu des répercussions extrêmement importantes sur les dispositifs
législatifs et sur les pratiques des maîtres d’ouvrage. Elle s’est notamment traduite, pour les projets
les plus importants, par la mise en place par la loi Barnier de février 1995, modifiée par la loi de février
2002 sur la « démocratie de proximité », d’une procédure d’information et de concertation sur les
grands projets d’infrastructures, le « débat public ».
Le discours officiel sur le débat public présente celui-ci comme un moyen de parvenir à davantage
d’ « intelligence collective » et à une « meilleure décision publique ». En réalité les débats publics ne
sont pas seulement pour les acteurs l’occasion d’échanger des arguments pour ou contre le projet et
le moment où se joue le devenir de l’infrastructure. Ils sont aussi un moment où se constitue du
pouvoir et où les rapports de force et les relations entre les acteurs se modifient. Pour le maître
d’ouvrage l’enjeu est considérable, puisque son projet peut sortir du débat durablement disqualifié,
profondément modifié (voir l’exemple du CDG Express) ou au contraire validé. Pour les associations
locales le débat est une occasion exceptionnelle d’exister et de peser sur la politique d’aménagement,
mais il comporte aussi un certain nombre de risques et notamment celui de sortir d’une posture
purement contestatrice pour entrer dans une pratique de proposition et de collaboration avec les
autres acteurs. Les élus locaux, enfin, y voient généralement une menace, car la démocratie
participative dont relève le débat public est perçue comme concurrente de la démocratie
représentative qui fonde leur légitimité. Chacun est amené à changer ses pratiques, à faire évoluer sa
culture d’acteurs, ce qui n’est guère facile. Et chacun le fait en ayant en tête les stratégies qu’il entend
développer et les rivalités de pouvoir au milieu desquelles il évolue : élus face à l’Etat, associations
face aux élus, entreprises face aux uns et aux autres, et chacun à l’intérieur de son propre camp.
L’issue de la trentaine de débats publics qui se sont déroulés depuis 1997 ne s’explique pas par la
seule qualité des projets d’infrastructures proposés à la discussion. On ne peut comprendre la réalité
de ces débats sans analyse géopolitique du jeu des acteurs, du contexte territorial des projets.

Guy Baudelle (professeur, Rennes 2,


rapporteur),
Jacques Bonnet (professeur, Lyon
3, rapporteur),
Laurent Carroué (professeur, Paris 8,
rapporteur),
Jean-Pierre Duport (conseiller d’Etat),
Béatrice Giblin (professeur, Paris 8)
Yves Lacoste (professeur émérite, Paris
8).

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