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Géopolitique et aménagement du territoire, voilà des mots que l'on n'a guère l'habitude d'associer.
C'est tout l'intérêt de cet ouvrage que de démontrer la pertinence d'une telle approche pour
comprendre les conflits auxquels donnent lieu les projets de construction d'une infrastructure routière
ou ferroviaire, d'une centrale nucléaire ou d'une ligne à haute tension. Certes, ces conflits ne font pas
de morts, sauf accidentellement, mais ils donnent lieu à "des manifestations, des campagnes de
presse, des manœuvres en coulisse et du lobbying" et à des «relations d'alliance, de rivalité ou de
neutralité «entre une pluralité d'acteurs, parmi lesquels les riverains, qui ont eu tendance à se faire de
plus en plus entendre.
Loin de n'y voir que l'expression du fameux syndrome Nimby (not in my back yard: pas dans ma cour),
l'auteur montre comment ces conflits contribuent, à travers les débats publics auxquels ils donnent
lieu, à l'affirmation d'une démocratie participative. S'ils sont loin d'être nouveaux ou propres à la
France, ces conflits questionnent néanmoins, en raison de la double remise en cause qu'ils semblent
traduire. Celle du modèle régalien de l'aménagement du territoire, caractéristique des Trente
Glorieuses, et, surtout, celle de la notion même d'intérêt général qui, rappelle l'auteur, conditionne
l'acceptation de l'utilité publique d'un projet d'aménagement. Car face à la montée des préoccupations
environnementales, ni la croissance économique ni même la création d'emplois ne sauraient justifier
aujourd'hui, à elles seules, un projet d'aménagement.
Sylvain Allemand
Alternatives Economiques - n°265 - Janvier 2008
C’est un excellent ouvrage que Philippe Subra nous propose en exposant la Géopolitique de
l'aménagement du territoire. Livre excellent par son niveau d'information, son niveau de réflexion qui
donne un sens à chaque information fournie, sa qualité d'écriture enfin. Dans un style qui fait parfois
penser au journalisme d'investigation dans le meilleur sens du terme, Philippe Subra met en scène les
conflits liés à l'aménagement du territoire en France et nous fait découvrir sous un jour nouveau bien
des évènements qui ont tenu la chronique au cours des dernières années. Son livre se lit comme un
roman, mais c'est un ouvrage scientifique, et cette association rare mériterait à elle seule bien des
éloges.
2Que dit ce livre ? Selon l’auteur, l'aménagement du territoire bénéficiait d'un consensus en France à
l'époque de la reconstruction puis de l'expansion économique des Trente Glorieuses, mais ce
consensus a laissé place aujourd'hui à des oppositions d'intérêts de plus en plus ressenties par les
citoyens. La cause est-elle dans la « crise de l’État-nation comme référence identitaire et affective »
(p. 39), toujours est-il que Philippe Subra note un « glissement progressif de la conflictualité dans notre
société du champ du social vers celui du territorial », ce qu'il résume d'une façon percutante dans
cette formule : « De moins en moins de grèves. De plus en plus de conflits dont l'objet est le
territoire » (p.39). Qu'il s'agisse de protester contre le départ d'un usine ou d'un service public,
d'attirer un aménagement convoité et donc de l'emporter dans une compétition désormais ouverte
entre les territoires, ou qu'il s'agisse de faire obstacle à un aménagement jugé indésirable pour les
dangers qu'il fait courir (ou dont on l'accuse, non sans exagération parfois) à l'environnement, on voit
se constituer des coalitions insolites entre des acteurs pour la défense d'intérêts communs fondés sur
le territoire. Face à des citoyens regroupés en associations et à des entreprises qui n'ont pas
forcément des intérêts convergents, les pouvoirs publics ont de plus en plus de mal à imposer leur
point de vue ou à faire valoir un arbitrage acceptable par tous. Parmi des analyses toutes
remarquables (les terrains Renault de Boulogne-Billancourt, la fermeture des maternités dans les
petites villes, le tracé du TGV Nord, la localisation du Stade de France, et bien d'autres qu'un compte-
rendu rapide ne peut mentionner), on appréciera notamment ce que Philippe Subra dit du
phénomène nimby : l'union sacrée (« la crise et le conflit fédèrent le système local des acteurs », p.
68) pour concentrer les avantages des équipements et en éviter les nuisances réelles ou supposées
constitue un égoïsme territorial contraire à l'idée de bien commun. Mais, il est parfois difficile de dire à
quelle échelle géographique le bien commun doit être défini et peut trouver la légitimité qui le
consoliderait devant les intérêts particuliers. Cette lecture géopolitique, très convaincante, qui analyse
les conflits d'acteurs pour le contrôle des territoires, conduit alors à observer les conditions même de
la compétition politique. C'est l'occasion d'analyses très perspicaces et très vivantes sur la démocratie
participative dans ses relations avec la démocratie représentative (on sait gré à l'auteur de montrer à
la fois l'intérêt du débat public et la nécessaire reconnaissance de la légitimité démocratique des élus)
et sur les nouveaux territoires politiques que sont les régions et les différentes structures
intercommunales. S'il fallait encore démontrer que l’État n'est plus le seul acteur institutionnel dans
cette affaire, ces pages y suffiraient.
3Que conclure, sinon reprendre la conclusion de l'ouvrage qui réaffirme la dimension géopolitique de
l’aménagement et résume brillamment l'argumentaire, non sans égratigner la géographie dite
« classique » qui traite de la chose comme d'une affaire technique. Cette affaire est politique. Elle
concerne la géographie. Elle est géopolitique. Philippe Subra le démontre avec une telle rigueur et
dans un style si vif et si plaisant qu'il deviendra difficile désormais de parler de l'aménagement sans
faire référence à son travail.
http://geocarrefour.revues.org/
Philippe Subra est maître de conférences à l’Institut Français de Géopolitique à Paris 8, ancien
directeur d’études dans un cabinet d’aménagement et d’urbanisme et membre du comité de rédaction
de la revue Hérodote. Ces informations suffisent pour donner le ton général de l’ouvrage !
2Cet ouvrage comporte 327 pages organisées en 7 chapitres qui se clôturent par une conclusion forte
qui veut en finir avec une conception exclusivement technicienne de l’aménagement du territoire.
L’auteur démontre par de nombreuses illustrations et études de cas comment l’aménagement du
territoire devient aujourd’hui plus qu’hier source de conflits et de géostratégies, et ce quelle que soit
l’échelle spatiale du problème. Les situations de conflit résultent de rapports de force entre acteurs
dont les stratégies, les revendications et les jeux de représentation sont contradictoires à une échelle
donnée, mais aussi et souvent à travers les échelles spatiales ! L’auteur y parle d’ailleurs de
ménagement, aménagement (convoité ou rejeté) et déménagement (désertification) du territoire.
Aucune conclusion partielle ne termine chaque chapitre, mais la conclusion finale (pp. 301 à 315)
constitue le point fort du travail, où la géopolitique de l’aménagement de territoire prend tout son
sens.
3L’auteur explore, évoque, pose de nombreuses questions sur le dispositif français de gestion du
territoire et plus largement sur le système politique français, sur les forces contradictoires mais
aucune solution concrète n’est proposée suite à un problème évoqué et/ou pour aborder les nouveaux
défis que doit affronter la société française. A l’aide d’exemples, les enjeux, la compétition entre
acteurs et territoires, les logiques d’acteurs sont analysées, expliquées.
4Les nombreuses études de cas évoquées dans l’ouvrage seront utiles tant aux enseignants en
géographie (quelle que soit leur orientation : beaucoup d’exemples sont issus du domaine des
transports, mais d’autres concernent aussi les logements, l’industrie, le développement régional, etc.)
qu’aux étudiants voire aux praticiens de l’aménagement du territoire qui devraient non seulement y
lire la crise du modèle français et la dérision de certaines situations, mais aussi trouver matière à
réflexion sur l‘aménagement qui engendre des conflits mais ce sont aussi ces conflits qui font
l’aménagement et … l’identité territoriale !
5La seule critique que je formulerais : les exemples sont limités à la France. Certes, les problématiques
traitées sont aisément extrapolables à d’autres contextes nationaux, mais pour le lecteur étranger que
je suis, il est parfois difficile de comprendre toutes les subtilités liées non seulement aux jeux d’acteurs
politiques locaux, mais aussi aux abréviations utilisées. Difficile alors de percevoir toutes les subtilités
de la situation conflictuelle. Pour le reste, l’ouvrage se lit facilement et est très bien structuré. J’ai
particulièrement apprécié le chapitre 7 qui porte sur la régionalisation et l’intercommunalité. Le
problème de la non fusion des communes françaises me fascine géopolitiquement parlant mais aussi
géographiquement … alors qu’en Belgique la fusion des communes date déjà de 1977 …
http://www.cybergeo.eu/
La géopolitique est partout. Pour s’en convaincre, il suffit de suivre l’actualité éditoriale des 3
dernières années. Armand Colin (mais ce n’est pas le seul éditeur, cf. Ellipses, Nathan…) a publié pas
moins de 10 titres dans la collection Perspectives géopolitiques, dirigée par Yves Lacoste. Ici, comme
le souligne René – Eric Dagorn (La géopolitique en mutation, Sciences Humaines, avril 2008, N°192), le
titre a de quoi davantage surprendre. Pourtant, l’aménagement du territoire mérite que l’on s’y
intéresse sous cet angle. Si les méthodes sont plus pacifiques (que les domaines où l’on a l’habitude
d’entendre parler de géopolitique), on est en plein cœur des rivalités de pouvoir pour le territoire. La
maîtrise du territoire par le biais des élections pimente les débats. Depuis 2005, et surtout depuis
2007, il y a véritablement territorialisation du débat politique. L’aménagement du territoire est devenu
un enjeu politique majeur, parallèlement à la mise sur le devant de la scène de la démocratie
participative (par le biais du débat public, notamment). De plus en plus de politiques d’aménagement
sont contestées au niveau local (syndrome Nimby) par les habitants. L’époque de « l’ingénieur roi »
est finie.
Philippe Subra est maître de conférences et enseigne à l’Institut français de géopolitique de
l’université de Paris 8. Il est membre du comité de rédaction de la revue Hérodote.