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Littérature

De la « littérature féminine » à « l'écrire-femme » : différence et


institution
Béatrice Slama

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Slama Béatrice. De la « littérature féminine » à « l'écrire-femme » : différence et institution. In: Littérature, n°44, 1981.
L'institution littéraire II. pp. 51-71;

doi : 10.3406/litt.1981.1361

http://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_1981_num_44_4_1361

Document généré le 01/06/2016


BÉATRICE SLAMA

DE LA « LITTÉRATURE FÉMININE
A « L'ÉCRIRE-FEMME »
Différence et institution

Pour une femme, écrire a toujours été subversif : elle sort ainsi de la
condition qui lui est faite et entre comme par effraction dans un domaine qui lui est
interdit.
La Littérature est aventure de l'esprit, de l'universel, de l'Homme : de
l'homme. C'est affaire de talent et de génie, donc ce n'est pas une affaire de
femme.
Pourtant des femmes écrivent...
On leur a longtemps fixé des limites, concédé des territoires : la lettre-
conversation et le roman féminin, la plainte de la mal mariée et la chronique
du quotidien, les délicatesses du cœur et les déchirures de la passion. On a
voulu y voir des « ouvrages de dames ».
Quand des femmes sont sorties de ces limites et de ces territoires, quand
il a fallu leur reconnaître talent et génie, on a cherché la « paternité » de leurs
œuvres : l'amant, l'ami, le conseiller ou admiré, leur « mâle pensée » :
« antennes qui vibrent aux idées d'autrui » ou « femmes hommes » : femmes
par le cœur, hommes par le cerveau. Comment être femme et être écrivain?
Au xixe siècle, des femmes de plus en plus nombreuses entrent dans le
monde de la littérature et du journalisme. Elles veulent vivre de leur plume,
comme George Sand. Phénomène nouveau, c'est, à l'aube du xxe siècle, un
mouvement irréversible. Comme dans le monde ouvrier, surgit le problème
d'une concurrence nouvelle entre les sexes. L'institution s'interroge : comment
situer les femmes dans l'ordre littéraire? Quelle place ont-elles ou vont-elles y
prendre? Une « autre » littérature est-elle en train de se constituer?
Les femmes écrivains et l'institution littéraire ont toujours été prises dans
une dialectique subtile. Les femmes ont conscience de leur force subversive.
L'institution tente de l'ignorer, de la neutraliser ou de la récupérer. Les femmes
sont prises entre le désir d'être acceptées et le besoin d'affirmer leur
transgression. Pour trouver leur place, leur voix, elles doivent, au risque de se perdre ou
de se leurrer, gommer ou clamer leur différence. L'institution parce qu'elle a

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le pouvoir de légitimer semble être maîtresse du jeu : en fait il lui faut
s'adapter : tenter de classer, casser le mouvement, capter la crue.

Où l'on commence à parler de « littérature féminine »

Le ton souvent admiratif, l'intérêt de la critique pour les « dames de


lettres » du début de notre siècle, la royauté d'Anna de Noailles ou l'unanime
reconnaissance du « style génial » de Colette peuvent faire illusion. Surtout
après la hargne et l'insulte des pourfendeurs de Bas-bleus, ce déchaînement
incontrôlé du « masculinisme » de la fin du xixe siècle. Il demeure que pour les
critiques, les éditeurs, les jurys, les Académies, les historiens de la littérature,
ce micro-univers où se décident l'édition, la diffusion, les conditions de la
réception et la consécration des œuvres littéraires, les femmes écrivains ont toujours
été femmes avant d'être écrivains. Et jusqu'à une période récente, l'institution
n'a cessé de faire jouer contre elles la discrimination et l'infériorisation.
Méfiance de l'éditeur, silence \ mépris ou condescendance de la critique —
et la galanterie en est une forme 2 — exclusion. Les jurys, les Académies ont
été longtemps fermés aux femmes. Toujours jugées, rarement juges 3. Mais peut-
être est-ce dans le concept de « littérature féminine » que s'est le plus
subtilement, dès les premières années de notre siècle, institutionnalisée la différence
comme infériorité.
De la Revue qui s'interroge le 15 janvier 1906 sur la spécificité du
roman féminin aux essais, articles, chroniques de Bertaut à Bonnefon, de Rémy
de Gourmont, Maurras, Billy ou Larnac, aux préfaces de Barrés ou de
Barbusse, du bilan en 1920 par Henriette Charasson de « vingt-cinq ans de
littérature féminine » aux grandes enquêtes d'Élie Moroy en 1931 ou des Nouvelles
Littéraires en 1939 4, la « littérature féminine » devient un objet d'étude.
Incertain, le concept prend parfois une acception nettement péjorative : «
littérature féminine qui n'est guère de la littérature », il semble viser d'abord ces
« aimables succédanés du tilleul », ces « romans bien pensants » qu'on oppose
aux œuvres des femmes « qui pensent 5 ». Souvent, il désigne toute la produc-

1. Tant que Rachilde assure la rubrique « Romans » du Mercure de France, les romans de femmes
y tiennent une très grande place. Son successeur John Carpentier les réduira à la portion congrue.
2. Ainsi La Corbeille de roses ou les Dames de lettres de Jean de Bonnefon, Paris, Sté d'édit. de
Bouville, 1909.
3. En 1904, pour protester contre l'ostracisme et la discrimination et couronner Myriam Harry, des
femmes créent un Prix Fémina-Vie Heureuse décerné par un Comité entièrement féminin.
4. Parmi les questions posées par les Nouvelles littéraires du 29 juillet 1939 : « Est-ce qu'il y a deux
littératures, l'une masculine, l'autre féminine? Estimez-vous qu'il y ait des qualités littéraires masculines ou
féminines? Croyez-vous que les écrivains aient une mission sociale, croyez-vous qu'elle soit la même pour
les hommes et les femmes de lettres? Cette mission, la littérature masculine la trahit-elle? Les femmes de
lettres, dans leur œuvre, montrent-elles qu'elles ont conscience du rôle imparti aux femmes dans la vie? »
5. Jean Lionnet, L'Évolution des idées chez quelques-unes de nos contemporaines, Paris, Libr. Académ.
Didier-Perrin et C'e, 1905.

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tion des femmes de ce nouveau siècle6. Plus largement, il va recouvrir
l'ensemble des textes écrits par les femmes, de Christine de Pisan aux
contemporaines : ce que les femmes ont toujours écrit, écrivent et ne peuvent qu'écrire 7.
La « littérature féminine » est alors définie comme une littérature du
manque et de l'excès. Manque d'imagination, de logique, d'objectivité, de
pensée métaphysique; manque de composition, d'harmonie, de perfection formelle.
Trop de facilité, trop de facticité, trop de mots, trop de phrases, de mièvrerie,
de sentimentalité, de désir de plaire, trop de ton moralisateur, trop de
narcissisme. Littérature du « moi » enfermée dans ses limites, à l'écoute de ses
sentiments, de ses impressions, de ses rêves : sans doute est-ce ce qui lui donne cet
« odor difemina » (sic) que Barbey flairait avec une répulsion fascinée et cette
couleur particulière que prennent les thèmes qu'elle met en scène. Amour au
féminin, demi-teintes de cet « obscur et long travail qui se révèle par des indices
imperceptibles8, embrasement de la passion totale, du don de soi. Volupté
d'une nature sensuelle, fusionnelle où les femmes plongent, respirent, palpent,
dévorent, se pâment : intuition charnelle du concret; littérature des sens. Les
femmes écrivains, de Louise Labé, Marceline Desbordes-Valmore à Anna
de Noailles ou Colette sont des « machines à vibrer, à sentir ». Mais elles « ont
réduit le monde à n'être qu'un agrégat de sensations ». Tout est vu à travers
un filtre personnel et si Mme de Sévigné, Mme de Staël ou George Sand ont
été des miroirs de leur époque, c'est, dit-on, dans le prisme de leur point de vue.
Le style « féminin » est, selon la critique, fluide, gracile, gracieux, fleuri,
floral. Mais parfois aussi inspiré, violent, surgi de forces profondes et
incontrôlées. A l'image en somme de « l'éternel féminin ». Les femmes écrivains sont
mal à l'aise dans les règles, les contraintes, le travail. Certaines périodes où
s'épanchent librement la sensibilité et le lyrisme personnel sont favorables à
la littérature féminine. En 1900 a pu s'épanouir ce que Maurras appelle le
« romantisme féminin » et les femmes dans l'avant-guerre ont tenu « au
premier rang une place considérable » qu'elles ont perdue. Selon André Billy, à la
fin des années vingt, « la littérature moderne » est une « littérature d'homme »,
celle de Valéry et de Gide : « les femmes n'y ont aucune part ». Jugée incapable
de « renouvellement esthétique », la littérature féminine aura du mal à se
libérer de l'épithète de « médiocre » qui lui colle désormais à la peau.

6. Henriette Charasson, « Vingt-cinq ans de littérature féminine », in E. de Montfort, Vingt-cinq ans de


littérature (1895-1920). C'était aussi souligner la place des femmes dans la littérature contemporaine.
7. Jean Larnac, Histoire de la littérature féminine en France, Paris, Kra, 1929. A la même époque,
les éditions Kra présentent sous la rubrique « littérature féminine » une édition de Lettres de AT™ de Staël
à Benjamin Constant.
8. C'est ainsi que Larnac présente « la théorie toute nouvelle de l'amour » découverte dans ses romans
par M™ de La Fayette.

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Les femmes écrivains des années vingt et la différence

C'est un combat difficile pour les femmes de s'inscrire malgré tout dans,
contre cette image et ce discours. Position inconfortable, profondément double.
Les femmes ont le sentiment qu'il y a quelque chose de « révolutionnaire 9 »
dans la recherche d'une « expression autonome 10 » mais elles ont la tentation,
pour être reconnues comme « écrivains » de s'identifier, de se conformer aux
modèles et au « savoir-faire » masculins. Si elles prennent parfois des
pseudonymes masculins ou refusent la ségrégation n, c'est aussi une manière de
contester la discrimination. Quand les hommes et les femmes parlent de «
différence », ils ne parlent pas des mêmes choses. Infériorité, mystère pour les uns.
Inégalité, quête d'identité pour les autres. Les hommes disent : infériorité.
Les femmes dénoncent, comme l'a fait à la même époque Virginia Woolf,
l'inégalité de l'éducation, du mode d'existence, des possibilités d'écrire et de
publier. Elles réclament le droit « à talent égal » de faire leur carrière comme
un homme 12.
Les femmes écrivains ont le sentiment profond qu'elles ont quelque chose
de différent à écrire : seules, elles peuvent dire les femmes. Mais cette
certitude intérieure, les écrivains, les critiques la leur renvoient en écho. Un écho
si sonore qu'il semble couvrir la voix : « révélez-nous les secrets de la femme 13 ».
Invitées à se dévoiler pour le plus grand « régal » des hommes 14, comment
ne pas jouer derrière le voile, comment ne pas se dérober en se livrant? Les
femmes écrivains ne se sentent-elles pas encore enfermées dans cette «
dialectique du voile » qu'évoquait Franz Fanon : celle des colonisées pour qui le
maintien du voile est une forme de résistance contre le colonisateur?
Les femmes qui répondent en 193 1 à Élie Moroy font souvent des constats
d'échec : « Les révélations de la littérature féminine sont moins importantes
qu'on ne le dit et qu'on ne le croit. » Mais sans doute s'agit-il moins pour

9. « Toute femme qui écrit et qui publie — qu'elle le sache ou non, qu'elle le veuille ou non — est — en
un sens — une révolutionnaire par le seul fait qu'elle est sortie de l'anonymat séculaire et n'a pas craint
de dévoiler au grand jour sa pensée » Marguerite Ageorges d'Escola in Élie Moroy, La Littérature définie
par les femmes écrivains, Ed. de la Semaine de Genève, Genève, 1931.
10. « L'homme veut priver la femme de moyens d'expression autonomes. La démarche de la femme
écrivain est typique de l'évolution de la femme dans la lutte pour la reconnaissance de ses droits, de sa
valeur, de son être », Louise Bodin, « Les idées féminines », La Forge, cahiers 1 1 et 12, janv. et févr. 1919.
1 1. Des femmes n'ont pas répondu à Élie Moroy. Andrée Viollis lui précise : « Jamais je ne monte
dans un compartiment de dames seules. » A M.. Pierrau qui, dans la République du 5 mai 1934, lui demande :
« Quelles sont les femmes de lettres de talent? », Colette répond : « II y a donc des femmes de lettres? »
12. Louise Faure-Favier, « La Femme écrivain d'aujourd'hui », Mercure de France, 16 avril 1919.
13. « Puisque » les femmes « ne peuvent guère que se peindre elles-mêmes », « elles nous révèlent ainsi
les recoins les plus secrets de leur âme », Revue, 15 janv. 1906. Maurice Barrés lit dans La Nouvelle
Espérance d'Anna de Noailles une « révélation de premier ordre sur le manège intérieur, les armes et la faiblesse
de ces déesses pliantes qui, pour nous autres, demeureront toujours énigmatiques » (in Cahiers, 1904).
14. La Revue parle de « régal alléchant ».

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elles de « révéler » les énigmes de « l'éternel féminin » que d'interroger la femme
« moderne », cet être de transition, cet « archéoptéryx », partagée entre le
travail et la féminité, l'affranchissement et la servitude amoureuse15. De la
dire dans son évolution, ses conflits, ses promesses. Et d'aider à la construire.
Ce qu'elles pensent apporter de neuf à la littérature, c'est cet « autre » de leur
vécu intime. Quelque chose du côté du « dionysiaque », de la « joie de vivre par
tous les sens » 16. Un autre mode de sentir : « avec leurs entrailles 17 », un autre
rapport aux choses de la vie, au « tragique » de la quotidienneté 18, une autre
vision, une connaissance intuitive des êtres, une plongée plus avant dans
l'introspection 19. Elles sont « plus près de la vie » : « à pleines dents », « à plein
ventre 20 ». Mais plus loin aussi de la réalité, dans « une lutte sans merci avec
elle », dans la « chambre intérieure » de l'imaginaire, « refuge et révolte à la
fois 21. » Dans une société où « à talent égal, une femme est inférieure », les
femmes écrivains voudraient être enfin reconnues dans « une littérature qui ne
distingue pas entre les sexes 22 ». Mais, nombreuses, elles affirment leur
spécificité. Elles se rêvent tout à la fois égales et différentes. Différentes, c'est-à-dire
peut-être supérieures, de cette supériorité « femelle » secrète et « chaude »
qu'évoque tant de fois Colette avec humour et tendresse.

Ce qui se joue...

Ce qui se joue va bien au-delà de l'interrogation sur une spécificité


littéraire. C'est toute la « question des femmes » que l'évolution sociale, les
mouvements féministes, la « relève » des hommes par les femmes pendant la guerre
de 14-18 ne cessent de poser sous des formes diverses. Une évolution
profonde a commencé. Sous les remous de surface, le grand flux des femmes
soulève lentement le siècle.
« Lisez leurs livres, écoutez l'appel à la liberté qui y sonne comme une
âpre fanfare », écrit, au « soir d'une fin de siècle » et à l'aube de ce xxe qui
commence, Fœmina dans le Gaulois du 1er janvier 1900. « Que seras-tu,
émancipée du vingtième siècle? » Aujourd'hui « rivale et antagoniste de l'homme »,
« ne sera-t-elle pas amère, cette solitude vers quoi tu marches...? » On retrouve,
vingt ans plus tard, le même sentiment de commencement exaltant mais incer-

15. L. M. Compain compare les femmes du début du siècle « génération sacrifiée » à ces êtres
(l'archéoptéryx) qui, par leurs transformations douloureuses, nous dit l'histoire naturelle, préparaient des
races nouvelles (les oiseaux). « Nous, de même, nous préparons des races nouvelles de femmes. » L'un
vers l'autre, Stock, 1903.
16. Lucienne Gaulard-Eon, in E. Moroy, ouvrage cité.
17. Jeanne Perdriel-Vaissière, ibid.
18. Nicole Stiebel, ibid.
19. Dominique Dunois, ibid.
20. Maryse Choisy, ibid.
21. Céline Arnauld, ibid.
22. Marie-Paule Salonne, ibid.

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tain. Le temps est venu de renoncer à une dépendance qui est aussi une
protection : « travailleuse des lettres », il faut entrer dans cette « société d'âpre
concurrence qui se prépare entre les sexes » et se préparer à vivre « comme un
homme 23 ». Exaltation et inquiétude tissent le discours double des femmes.
Du côté des hommes, les vieilles certitudes vacillent : obscurément, celle
de l'incontestable suprématie mâle, de l'indispensable recours à l'homme.
Celle aussi d'être seuls dans la production matérielle et intellectuelle. Pour
eux aussi, la concurrence des sexes est un fait nouveau. Les écrits de femmes
apparaissent comme un symptôme et un symbole de la montée des femmes et
certaines de leurs déclarations sonnent comme une inquiétante remise en
question du mode de penser et des valeurs masculines 24. Le « destin
intellectuel de la femme » serait-il, comme l'envisage Valéry, de prendre la
relève intellectuelle des hommes : « le domaine des arts » tombera-t-il « un
jour tout entier sous la puissance féminine25?». Inquiétude vite dé-jouée,
refoulée. Peut-être est-ce là une des fonctions de cette nouvelle institution,
la « littérature féminine » : exorciser cette peur, remettre les femmes à leur
place — la seconde. Baliser, circonscrire, clôturer ce territoire qu'elles se
mettent à occuper. La première « histoire de la littérature féminine en
France » est en ce sens éclairante et caricaturale. Elle s'achève comme elle
commence : sur la question de l'infériorité des femmes. Fait de « nature »?
« Le cerveau féminin est-il grevé d'une infirmité physiologique? » Résultat
d'un processus social? Larnac répond, avec beaucoup de ses contemporains :
« Ce n'est pas la société qui fait la femme ce qu'elle est 26. »

Du « on ne naît pas femme... » à la «féminitude »

En 1949, la célèbre formule du Deuxième Sexe inverse cette affirmation.


Simone de Beauvoir souligne sans indulgence les limites des femmes qui « vers
la libération » ont cherché un « salut dans la littérature » mais en cherche
les causes dans la condition que la société leur a faite 27. C'est parce que la
femme vit « en marge du monde masculin » qu'« elle ne peut le saisir dans
sa figure universelle »; sans prise sur lui, elle ne peut qu'« exhiber » sa seule
réalité : sa propre personne. Mais parce que la femme ne fait rien, ne se fait
rien être, elle ne « découvre » qu'une « idole imaginaire bâtie avec des clichés ».
Dans cet « univers des hommes » qu'est le monde de la culture où « elle ne
23. Louise Faure-Favier, art. cité.
24. « Les femmes écrivains de notre époque veulent prouver que ce mode primitif de la connaissance »
.— la sensation — « est supérieur à l'autre » — l'intelligence — « si pénible, si long ». Elles veulent renverser,
à leur profit, l'échelle des valeurs intellectuelles. « Est-ce que sentir n'est pas plus que comprendre? » s'écrie
M"* Delarue-Mardrus. Et toutes s'appliquent à railler l'esprit masculin, géométrique et lent, incapable de
ces intuitions foudroyantes dont les femmes ont le secret. Larnac, ouvr. cité, p. 240.
25. Paul Valéry, « Destin intellectuel de la femme », Conférence à l'Union Nationale des Femmes,
10 août 1928, in Remarques extérieures, Paris, Éd. des Cahiers libres, 1929.
26. Larnac, ouvr. cité, p. 263 et 270.
27. Le Deuxième Sexe, Gallimard, 1949, t. II, p. 547 à 559.

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fait que balbutier », elle « n'ose s'aventurer sur des chemins inédits ». Chantres
de l'idéal bourgeois du bonheur, les femmes écrivains exaltent, sous couvert
de poésie la « mystification » destinée à persuader les femmes de « rester
femmes ».
Simone de Beauvoir désigne aux femmes écrivains les chemins de la liberté
et de la création : transcendance, solitude, dévoilement de la réalité entière
(et non de sa seule personne), de la contestation de la condition humaine (et
non de la seule condition féminine). « Émerger enfin du monde pour le recréer
à neuf. » II faut se dépouiller de la femme qu'on est « devenue » : narcissique,
timorée, mystifiée, repliée sur soi-même. Les femmes doivent surmonter « la
spécification millénaire qui les cantonne dans leur féminité ». « On ne naît pas
femme, on le devient » : l'ère de l'infériorité congénitale s'achève. Mais pour
sortir enfin de l'infériorité, pour atteindre la liberté du « créateur », faudrait-il
donc aussi cesser d'être « femme »? C'est l'ambiguïté d'une formule qui a
cristallisé la prise de conscience d'une génération d'intellectuelles et relancé
la « question des femmes ».
Avec Marguerite Yourcenar, Nathalie Sarraute, Simone de Beauvoir,
Marguerite Duras, cette génération d'écrivains et « novateurs » qui s'impose
à la critique, s'oriente-t-on vers la reconnaissance d'une « seule littérature »
qui transcende les sexes? Mais les femmes écrivains continuent à être en butte
à la discrimination 28 et la confrontation de points de vue sur « la
psychologie de la littérature féminine29», en 1956, enrichit le débat plus qu'elle ne
le renouvelle. Indifférenciation, assimilation — parfois vécue comme une
promotion — au sexe dominant? Affirmation et interrogation d'une différence?
Les deux courants continuent à coexister chez les femmes écrivains. Clivage
réel? Au niveau des textes, les frontières s'estompent. L'institution a réussi à
dévaloriser aux yeux des femmes elles-mêmes ce « sous-ensemble M » dit de
la « littérature féminine ». Elle n'a pu étouffer des voix et stériliser une quête
d'identité. Des femmes écrivains — certaines veulent l'ignorer ou le rejeter —
continuent à explorer sous des formes diverses et neuves un « autre » côté des
choses : du côté des femmes.
Les choses ont changé pour les femmes, du matin du siècle aux années
soixante. Et, après l'éclat du Deuxième Sexe, reprend et commence un long
travail de mise à nu de la condition féminine et de démystification du discours

28. Ainsi Christiane Rochefort : « sous prétexte que j'étais une femme, on ne me posait pas les mêmes
questions et on ne me jugeait pas avec les mêmes critères » et elle avoue avoir souhaité s'appeler Camille
ou Dominique, « des prénoms hermaphrodites qui n'alertent pas les critiques sur le sexe de l'auteur ».
Elle, 23 juin 1969. Marguerite Duras proteste : « Pendant vingt ans, on a parlé de mes livres comme livres
de femmes, jusqu'au jour où j'ai refusé de répondre à des interviews qui portaient justement sur le fait d'être
femme et d'écrire » in Suzanne Horer, Jeanne Socquet, La Création étouffée, « Femmes en mouvement »,
éd. Pierre Horay, 1973.
29. « Psychologie de la littérature féminine », Table ronde, n° 99, 1956. Même manière de caractériser
la littérature féminine : ainsi « inaptitude à... », « égocentrisme », « attitude strictement réceptive » « parler
serait en quelque sorte leur forme de passivité la plus active » « le livre qu'elles écrivent (...) n'est pas une
arme de combat mais une entreprise de défoulement » (Georges Piroué, Le roman revendicatifféminin).
30. Expression de Geneviève Serreau dans La Création étouffée, ouvrage cité.

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social sur la femme : images, rôles, stéréotypes. Le plus souvent sur le terrain,
avec les méthodes et les concepts de la sociologie alors en plein développement.
Recherche essentiellement menée par des femmes 31.
Les choses ont aussi changé ailleurs. Du côté des colonisés. Du côté
des noirs. Et l'on commence à mieux comprendre ce qui se joue dans les
écrits de femmes. « La littérature féminine de notre temps a d'abord revendiqué
pour la femme le droit d'être un homme. Elle commence à revendiquer le
droit d'être une femme 32. » « N'entrerions-nous pas dans une ère de fémini-
tude33? » Ce qui peut apparaître encore comme une tendance à la veille de
1968, va trouver après l'explosion et les retombées de mai, une force neuve,
un jaillissement vital, une allégresse, comme l'émerveillement d'une
découverte et d'une naissance : celles d'une « écriture féminine ».

Manifeste pour une écriture féminine

Des femmes trouvent des accents in-ouïs pour parler de leur écriture 34.
Des textes explosent. Des militantes fondent la maison d'édition « des
femmes » 35. Jusqu'alors, des hommes ont tenté de définir, de codifier une
« littérature féminine » et des femmes ont dû répondre, se situer par rapport
à ces définitions, à partir de leurs présupposés et de leurs critères de
jugement. Ce sont des hommes qui posaient les questions, instaurant ainsi la
scène où se définissent des rapports de force.
Ce sont aujourd'hui des femmes, aux prises avec le travail de l'écriture,
qui vont tenter, dans ce travail même sur les mots et les formes, de définir
ce qu'est, ce que pourra être une « écriture féminine », de théoriser leur
pratique H. Les femmes ne sont plus sur la défensive. Leurs articles, leurs essais
sur « l'écriture féminine » sont des chants d'amour et d'orgueil, une incantation
de la « différence », un hymne au « féminin ».
Une écriture qui s'affirme contre. Contre le Logos, le discours masculin

31. C'est le moment aussi où, sous la direction de Pierre Grimai, est publiée en 4 volumes une
Histoire Mondiale des femmes, Nouvelle Librairie de France, 1965 à 1967, où Jeanine Moulin publie chez
Seghers en 1963 une première anthologie de la poésie féminine en 2 volumes, où se crée, sous la direction
de Colette Audry la collection « femme » chez Gonthier en 1963 qui édite notamment Une chambre à soi
de Virginia Woolf (1929) et La Femme mystifiée de Betty Friedan. Pour la première fois, des textes de
Colette figurent au programme de l'agrégation des lettres (1967-1968).
32. Robert Kanters, « Trois femmes », Figaro littéraire, 15 décembre 1966.
33. Robert Sabatier, « Féminitudes », Figaro littéraire, 8 décembre 1966.
34. Le passage de « littérature » à « écriture » n'est pas un simple effet de mode. Le signifiant «
écriture », avec Barthes et Derrida, renvoie alors à un processus de production, à un travail sur le langage, dans
sa différe(a)nce. Il rompt avec la conception d'une « littérature de la représentation ».
35. En 1897, des femmes avaient fondé un quotidien écrit, fabriqué, imprimé par des femmes : La
Fronde.
36. Même si elles s'en défendent : « elle se compromet, se rationalise, se " masculinise " en s'expliquant »
(Xavière Gauthier, « Existe-t-il une écriture de femmes? » Tel Quel n° 58, été 1974) « Impossible à présent
de définir une pratique féminine de l'écriture (...) on ne pourra jamais théoriser (...), elle excédera toujours
le discours qui régit le système phallocentrique. » (Hélène Cixous, La jeune née, Union Générale d'Éditions
10/18, p. 169) M. Duras a dénoncé à plusieurs reprises « le piège du théorique » -

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qui détient la Loi, prescrit ses normes, recouvre le désir de la femme, lui impose
ses mots « sensés » « impuissants à traduire ce qui se puise, clame, se suspend,
floué 37 » dans le discours hystérique de la femme, de la sorcière de la folle.
Les femmes, pour se libérer» doivent dire « autrement ». Pour accéder à la
connaissance, des hommes ont volé le feu du ciel. Les femmes doivent se faire
« voleuses de langue 38 ». Inventer un « autre » langage, une écriture neuve.
Écriture de la naissance, de la rupture, du oui. Oui à la vie, oui à la différence,
oui au corps enfin retrouvé. Une écriture du flux « très près de l'inconscient 39 ».
Écriture de la subversion. Chant de lutte, champ de la lutte des sexes et de la
lutte des femmes contre la société, cette écriture « à venir » — recherche et
conquête — est un moyen de la transformation radicale du statut des femmes,
de leur prise de conscience, du retour sur la scène de l'histoire de ce refoulé :
la femme. Écriture de la mutation et de la promesse : celles d'une société
autre où les femmes ne prendront pas le pouvoir mais où elles restitueront à
l'humanité enfermée dans le « même », sa moitié occultée, humiliée, castrée,
la richesse de son « altérité », ce « féminin » que chacune et chacun pourront
enfin reconnaître en soi.

Masculin/Féminin

Écriture des femmes en lutte pour une libération et une identité ou


écriture du «féminin»? Ambiguïté d'un propos qui met l'écriture féminine du
côté de Shakespeare, Joyce ou Genêt et ne la reconnaît ni en George Sand
ni en Colette. Retrouvons-nous là, déplacé, renouvelé, le clivage qu'institue
parfois l'histoire littéraire entre un « viril » et un « féminin » qui ne se
confondraient pas avec le sexe40?
Cette dichotomie entre « masculin » et « féminin » paraît incontournable.
Comment alors éviter les stéréotypes institués? Comment échapper aux pièges
d'une « nature », d'une « essence »? Dans la jubilation d'une dénonciation et
d'une affirmation, des femmes inversent la valeur des signes, permutent les
rôles. Elles offrent aux femmes une image qui les réconcilie avec elles-mêmes
et leur donne l'orgueil de ce qui les dévalorisait hier41. Mais ni les stéréotypes
37. Luce Irigaray, Speculum de l'autre femme, Éd. de Minuit, 1974, p. 1 76.
38. C'est le titre d'un essai de Claudine Hermann, Paris, éd. «des femmes »,1976.
39. Hélène Cixous, La jeune née, « Le rire de la Méduse » in « Simone de Beauvoir et la lutte des
femmes », L'Arc, n° 61, 1975.
40. Ainsi : la poésie féminine de Lamartine, la « féminisation de l'héroïsme » dans les romans de
chevalerie, le talent « viril » de Germaine de Staël ou de Marguerite Yourcenar — les romans de la « maturité
virile » de Lukacs. Ainsi dans son Histoire du roman moderne (Albin Michel, 1962), Albérès précise que
« seuls l'usage, les mœurs et la tradition ont donné au mot " viril " un sens symbolique qui contraint à
l'employer ici ». Mais « on ne saurait en exclure les femmes ». Pas plus que les romanciers ne sont étrangers
au féminin. Il distingue du côté du « viril », « le sentiment tragique du destin », « le sens essentiel et
primordial de la vie humaine », du côté du féminin « la complexité pathétique et les détails de l'existence ».
41. S. Horer, La Création étouffée, ouvr. cité : « La virilité reste valorisante, la féminité dévalorisante.
Avant toute conquête, il s'agit de retourner cette échelle de valeurs », Parole de femme d'Annie Leclerc
(Grasset, 1974) paraît exemplaire, dans l'impact même qui a été le sien.

59
ni le statut de la « différence » ne sont vraiment questionnés. Faut-il « saisir » la
différence ailleurs, au niveau de « l'économie pulsionnelle libidinale » et de la
« jouissance » dans une bisexualité fondamentale, « présence de l'autre en
soi qui n'annule pas les différences mais les déplace 42 ». L'Écriture féminine
serait alors cette tentative de faire surgir le féminin refoulé 43, pour inscrire un
« effet femme », ce savoir muet de l'esclave qui en sait plus que le maître, qui en
sait « trop long sur l'insuffisance et la défection de l'autre masculin ** ».
Ce dévoilement de la subordination du « féminin » à l'ordre « masculin »
éclaire une face cachée de la subordination des femmes dans la société et
de leur force de contestation. Il ne saurait en masquer d'autres 45. Inversant la
hiérarchie des valeurs, il est aussi un discours de la supériorité du féminin.
Comment lire ces déclarations triomphantes : le désir est aux femmes,
l'écriture est aux femmes, seules les femmes écrivent, les hommes qui écrivent
sont aussi des femmes46? Fulguration d'une découverte ou contestation
parodique dans le retournement même du discours dominant? Sans doute
l'excès est-il imposé aux femmes par ce qu'Althusser, après Lénine, jouant
avec la métaphore de la canne et du bâton, appelle « la contre-courbure » :
« On est bien forcé, puisqu'il faut forcer les idées à changer, de reconnaître
la force qui les maintient en état de courbure, en leur imposant par une contre-
force qui annule la première, la contre-courbure qu'il faut pour les redresser 47. »

Écriture féminine année zéro?

L'écriture féminine se veut sans origine, sans passé 48 : écriture féminine


année zéro. A l'égard de la « littérature féminine » — du concept fabriqué par
les hommes mais aussi de toutes les femmes qui ont écrit avant elles — les
théoriciennes, les chercheuses d'écriture ont une réaction de rejet. «
Sauterelles », « enfants terribles », « clowns », ces « écrivantes » auraient « singé »
la parole de l'homme pour payer leur droit d'entrée dans le monde masculin
de la littérature49. Les femmes écrivains d'hier se sont moins «déguisées en
42. H. Cixous, La jeune née, p. 156-158.
43. Refoulement qui rejoindrait le discours actuellement tenu à partir des recherches des généticiens :
« le sexe universel, le sexe premier est femelle et la masculinisation résulte » d'une « lutte visant à étouffer
cette féminisation originelle », D' Escoffier-Lambiotte « Sexe, hormones, cerveau », Le Monde, 8 novembre
1978. Cf. Le Fait féminin sous la direction d'Evelyne Sullerot, Paris, Fayard, 1978.
44. Julia Kristeva — « Unes femmes », Cahiers du Grif, n° 7 juin 1975. Hélène Cixous, entretien
avec Lucette Finas, Le Monde, 13 mai 1977.
45. Les recherches des féministes tentent d'élucider ces formes d'oppression sociale et familiale :
travail domestique gratuit, corps-marchandises, fonction dans la production et la reproduction des forces
de travail, etc.
46. Cf. Marguerite Duras dans Les Parleuses (éd. de Minuit, 1974) et Hélène Cixous dans La jeune
née : « ce n'est pas une provocation : cela signifie que la femme admet qu'il y ait de l'autre » (p. 158).
47. L. Althusser, « Soutenance d'Amiens » in Positions, Éd. Sociales, 1976.
48. « Jusqu'à présent les femmes ne prenaient pas la parole, n'écrivaient pas », H. Cixous, La jeune née,
ibid., p. 252.
49. « Les sauterelles écrivaines des années 30 », « leurs mots ridés, économiques », Emma Santos,
La Malcastrée, Maspero, 1973, rééd. « Des femmes ». Cf. M. Duras, Les Parleuses, La création étouffée,
ouvr. cités, cf. « comme c'est l'homme qui a dit ce qu'était la vérité de tous, et la vérité des femmes, c'est

60
hommes » qu'elles n'ont tenté de s'identifier à leurs valeurs, leurs critères
esthétiques. Elles ont moins parlé « comme l'homme » que pour lui,
observateur, destinataire, fronton fidèle à renvoyer, à réfléchir tout ce que nous te
lançons, interlocuteur né 30... ». Elles ont été aussi femme et « homme » à la
fois : sexe clandestin qui verse dans le sexe officiel, « hermaphrodisme
mental 51 ». A-t-on vraiment entendu les mots que disaient ces femmes pour tenter
de définir leur « littérature féminine » : littérature du « fluide », du «
dionysiaque », des « entrailles », du « ventre » maternel 52? N'étaient-ce pas déjà
hier les « paroles de femmes » d'aujourd'hui? Sont-ils masculins ce désir de
briser le huis-clos des définitions et des mots, de fuir « la zone perfide de la
logique », ce besoin d'arracher la femme aux images aliénantes qui l'empêchent
d'être, cette révolte contre sa condition, ce désir de faire surgir de « l'ancienne »,
la « nouvelle » femme — à naître : la « jeune née » ne sort-elle pas de «
l'archéoptéryx »? Quel secteur fouillaient inlassablement ces femmes, sous les
remous et les écumes d'un « océanique féminin »? Que voilait-dévoilait Colette
en subvertissant la dichotomie du corps et du cœur? La voix des femmes a
déjà été « clameur », « cri de Pythie » surgi des « forces incontrôlées du
subconscient 53 » et leurs mots charnels parlaient aux sens. De Renée Vivien,
Nathalie Barney, Lucie Delarue-Mardrus, Colette à Violette Leduc, Françoise
Mallet-Joris, des femmes ont saisi ce message « foudroyant » de femme à
femme, « le lent mâle écarté », ont dit leur amour et leur désir de « la pareille »,
chanté le corps semblable et la volupté « éparse » et « chaude », évoqué la vie
à deux, de douceur et de menace partagée. Des femmes écrivains se sont laissé
tenter hier par une institution qui leur entrouvrait ses portes, en reconnaissant
le talent « sans sexe » de quelques-unes : elles ont été flattées d'être sorties
du troupeau des femmes-femmes de la littérature féminine. Aujourd'hui, des
femmes se laisseront-elles prendre, pour des raisons apparemment inverses,
Cette logique de mise à distance des autres femmes écrivains 54?
Les limites et les silences de la « littérature féminine » sont à lire autre-

Fhomme qui parle toujours par sa bouche », « toute la littérature féminine a été soufflée à la femme par la
parole de l'homme », Annie Leclerc, Parole de femme, ouvr. cité, « les femmes parlantes, écrivantes ne
pouvaient se mouvoir qu'entre la frivolité la plus bonne femme ou l'imitation servile des normes établies la plus
grisâtrement mâle », Michèle Perrein, Le Mâle aimant, Julliard, 1975. Cf. également Hélène Cixous :
« cette espèce d'écrivantes » ou « la femme singifie ».
50. Colette, La Naissance du Jour (1928). Cf. A. Laabi — « La reprise en main du destin culturel
est régi par un rigoureux rapport d'acculturation. Le colonisé ne découvre pas encore sa culture pour lui-
même mais pour l'autre » (souligné par moi) « Réalités et dilemmes de la culture nationale ». Souffles,
n° 4, 1966.
51. Colette, « Le Pur et l'Impur » (Ces plaisirs..., 1932). Cf. Eugénie Lemoine-Luccioni in Sorcières,
n° 7, « Écritures », 1977, p. 13-14 : « Elle singe l'homme, dit M. Duras. Non. Elle est aussi, cet homme-là.
Mais elle ne s'y réduit jamais. Dans l'acte d'écrire, elle s'efforce d'assumer son double. » « Qu'il soit homme
ou femme, l'écrivain ne peut se contenter de son double; l'autre lui faut et il le lui faut. »
52. Cf. notes 16, 17, 20.
53. Maurras, Larnac parlent ainsi des poèmes de Marceline Desbordes-Valmore, d'Anna de Noailles.
54. Une collection « une édition féministe de... » sous la direction de Claudine Hermann a été créée
à la maison « des femmes ». Elle permet la réédition de textes introuvables. Leur « décodage » reste pour
l'instant décevant.

61
ment. La chaleureuse lucidité de Virginia Woolf a, dès 1929, ouvert le chemin
d'une lecture qui prendrait en compte les entraves, les compromis, le poids
des formes et des normes avec lesquels des femmes se sont battues, écorchées,
censurées pour faire passer comme elles l'ont pu alors, sous un discours
parfois trop convenu, trop convenable, sous les masques, la dénégation ou
l'interdit, un écrire de femme. Ce « savoir de l'esclave » ne se donne-t-il pas à lire,
même dans les ruses et l'in-su? Ne faudrait-il pas poser à ces textes la question
fulgurante d'Hélène Cixous : «Et toi, comment as-tu vécu la déchirure?»
Il est impossible en écriture comme en politique de sauter une première
étape : celle de l'expérience et de la révolte personnelles. L'écriture, dans
son rythme vital, la douleur et l'ivresse des mots, surgit de ce vécu intime et
social. Les écrivaines d'aujourd'hui ont-elles franchi cette étape? Interrogation
d'une expérience individuelle ou écoute d'un « inconscient féminin singulier »,
c'est en se faisant « l'aventurière de sa propre aventure » ou l'exploratrice de
l'interdit que la femme écrivain parle encore de la « féminine condition » ou
ouvre à d'autres femmes l'espace de leur désir et lève les censures. Les
ouvertures et les limites sont aussi celles d'une époque. Sans doute faut-il comprendre
celles d'hier pour reconnaître celles d'aujourd'hui : retrouver ses racines
même s'il faut les couper. Après le « romantisme du cœur » et le «
romantisme des sens », sans doute sommes-nous entré(e)s, après 1968, dans celui
« du corps et de la jouissance », dans un « romantisme de l'inconscient » et
de la parole « fluide ». Avec sa charge de libération et de nouveau. Avec aussi
ses complaisances et ses pièges.

Les mots du Père et le corps de la mère

Écriture de rupture? Oui. Parce que, dans les années soixante-dix, les
femmes font de la jouissance la métaphore de leur écriture et de l'écriture la
métaphore de leur jouissance. Écriture de la plongée, à bout de souffle, voix,
rythmes, intensités. Un dire qui ne dit pas vraiment, qui cherche, écoute,
s'écoute et passe « d'inconscient à inconscient ».
Mais cette écriture qui veut être retour au « corps maternel 55 »,
retrouvailles avec la mère, touche, pour prendre son envol, la terre des hommes.
Celle du savoir « masculin » d'une époque — la nôtre. Celle de Marx, de Freud,
de Saussure, de Lacan. Celle des philosophes de « l'autre » et de la «
différence, d'Hegel à Derrida ou Lefebvre. Celle des théoriciens et des
révolutionnaires de « l'écriture 56 », de Mallarmé à Artaud, à Blanchot. Celle des
philosophes du « désir » et de « l'économie libidinale », de Deleuze à Lyotard.
Celle aussi des découvreurs de l'acculturation et de la négritude. Tous ces

55. « Réponse à l'appel pulsionnel de la mère archaïque », J. Kristeva, « Unes femmes », art. cité.
56. L'écriture de la jouissance, c'est, selon J. Kristeva, celle de l'avant-garde littéraire, de Mallarmé
à Lautréamont, de Joyce à Artaud. Cf. Oscillation du « pouvoir » au « refus », Tel Quel, n° 58, 1974.

62
discours ont rendu possible ce discours. C'est dans ces discours, même si
c'est pour disloquer ce dans57, qu'il a fallu, qu'il faut chercher, inventer un
langage propre.
La question de « l'écriture féminine » s'est posée au carrefour du
linguistique, du psychanalytique, du politique. Le « langage » a occupé un moment
le devant de la scène. Sortir du mutisme, prendre la parole, une « parole de
femme » qui devrait « logiquement ébranler l'histoire », se libérer du langage
masculin pour trouver d'autres mots, « dire autrement » est présenté par
certaines comme un travail urgent, colossal, dangereux, révolutionnaire58. Pour
d'autres femmes qui pensent que le langage est « universellement valable »,
il faut « voler l'outil 59 ».
Le discours sur la recherche d'un langage féminin dans les « blancs »,
les « trous », les failles du discours masculin, se fait dans la clôture et les
« signifiants » du discours lacanien, tel qu'en sa « royauté » il dissémine alors
dans la production intellectuelle d'avant-garde. Mais la psychanalyse travaille
et pénètre plus profondément le discours sur l'écriture féminine et les « textes »
de femmes60. Parce qu'elle a fini par imposer l'omniprésence du sexe, de la
sexualité, dynamiter le vieux tabou chrétien du corps et de la chair, du désir
et de la jouissance, fait surgir après le « doute » scientifique, le « soupçon »
analytique et initié à « la traversée des apparences », la psychanalyse
freudienne a fait reculer « les frontières de l'avouable » et fait exploser les limites de
l'écriture. Des femmes ont pris conscience d'elles-mêmes dans ce refoulement,
cette censure dont la psychanalyse a dévoilé les mécanismes : « l'inconscient est
pour une part le féminin censuré de l'histoire 61 ». L'écriture féminine veut être
un des lieux où, opère la révolution que la psychanalyse a imposée souterrai-
nement. Là est sa sève, sa fécondité, sa liberté mais aussi son risque.
Difficile « sortie » de l'ombre des Pères : il a fallu, il faut se battre contre
le « logophallocentrisme » dans la fascination du Logos et du Phallus,
retrouver ou trouver la « féminité » contre la « mascarade » mais aussi contre le
mimétisme ou les pièges du « continent noir » et de « l'a-femme », transgresser
les interdits sans se laisser enfermer dans de nouveaux codes. Il n'est pas
facile de se libérer des « idées reçues » surtout quand elles sont les plus
brillantes de notre époque, des « mots de la tribu » quand ils sont ceux de
l'intelligentsia parisienne et de la « modernité ». Déjà, certaines formules, certaines
affirmations rendent un son creux, « bibelots d'inanité sonore », entre la
présomption théorique et la naïveté d'une vérité enfin révélée.

57. « II est temps qu'elle disloque ce " dans ", qu'elle s'invente une langue pour lui rentrer dedans »,
Hélène Cixous La jeune née, p. 177.
58. Marie Cardinal, Autrement dit, Grasset, 1977, p. 54.
59. Simone de Beauvoir, « Les femmes s'entêtent », Temps Modernes, n™ 333-334, 1974.
60. Même si les femmes ont à combattre un discours qui apparaît comme le dernier bastion «
scientifique » de « l'infériorité » des femmes, le « manque » de pénis prenant le relais de l'absence d'âme ou du
moindre volume du cerveau féminin. Comme dernier coup aussi porté à la double image de la femme : Eve
privée de son sexe et de sa « libido », plus que jamais condamnée à la mascarade, Marie, mère coupable.
61. Luce Irigaray, Le Monde, 1er novembre 1974.

63
Mais c'est sur le terrain du « politique » que l'écriture féminine et son
« discours d'accompagnement » — qui la précède plus qu'il ne l'accompagne —
prennent leur force d'affirmation et leur couleur d'utopie. Celui de 1968, de la
parole libérée et de l'espoir d'une « révolution culturelle », celui des
mouvements de libération des colonisés, des minorités, celui des luttes de femmes.
Celui aussi de la crise d'un monde en sursis qui se sait mortel et semble courir
à l'abîme. Dans ce vieux monde usé, les femmes paraissent une force neuve,
aux virtualités non encore employées. En peu d'années, l'étalon d'or de nos
civilisations — le modèle masculin — a perdu de son éclat et de sa crédibilité
jusque dans ses tentatives de réaliser ses rêves les plus nobles d'une société
meilleure. Son mode de vie, ses valeurs sont en procès. Dans ce climat
d'impasse, les femmes ont besoin de croire en elles, dans leur force de relève. Les
hommes aussi. La « force tranquille » du féminin contre la déraison et la
démesure masculines 62. Cette espérance souffle dans le discours de l'écriture
féminine : libération des femmes mais aussi salut de l'univers. Elle donne
cette incantation prophétique à tant de textes de femmes : l'écriture avenir,
la femme à-venir, la vie à-venir : rêve d'un avenir au féminin. Écriture d'an-
noriciation qui apporte la « bonne nouvelle ». Il y a quelque chose de la Messie
dans cette « jeune née ».

«L'écriture-femme » et les rumeurs du monde

« Maladie infantile » de discours qui, au moment où s'engage le combat,


semblent désigner l'écriture comme l'arme de la libération? Illusion romantique
d'une écriture de la différence qui, par le retour d'une « économie
pulsionnelle libidinale » refoulée, aurait une telle force de subversion » contre le
pouvoir, l'argent, tous les ordres sociaux répressifs 63 » qu'elle serait « capable
de bouleverser des rapports de production, des relations sociales et un
régime politique 64 »? Mythe narcissique d'un « âge d'or » : société soro-

62. « Maintenant il n'y a que les femmes qui puissent opérer les grandes transgressions organiques,
politiques, je ne crois pas que les hommes en soient capables », Marguerite Duras in La Création étouffée,
ouvr. cité. Cf. Roger Garaudy, Pour l'avènement de la femme, Albin Michel, 1981. Garaudy souhaite une
société enfin « féminisée » qui s'orienterait vers le pacifisme, le refus de la croissance à tout prix, la naissance
d'un « art de vivre », la révolte contre « la centralisation étatique ». Pour que l'humanité s'enrichisse de sa
dimension féminine, il faudra « la plus grande révolution culturelle de tous les temps ».
63. Annie Leclerc, Nouvelles Littéraires, 26 mai 1976. Cf. également Hélène Cixous, « Le rire de
la Méduse », art. cit., p. 45 : « Parce que son " économie " pulsionnelle est prodigue, elle ne peut pas en
prenant la parole, ne pas transformer directement et indirectement tous les systèmes d'échange fondés
sur l'épargne masculine. Sa libido produira des effets de remaniement politique et social beaucoup plus
radical qu'on ne veut le penser. »
64. Cf. article de M. C. Granjon « Les femmes, le langage, l'écriture », Raison présente, n° 39, 1976.
Mais Hélène Cixous — « Je ne pense pas non plus que la révolution va se faire par le langage » (à Catherine
Clément in La jeune née, p. 291). De même J. Kristeva écrit en 1974 dans Tel Quel, n° 58 : « Le sujet
d'une nouvelle pratique politique ne peut être que le sujet d'une nouvelle pratique discursive », mais en 1977
dans « Écriture, féminité, féminisme » Revue des Sciences Humaines n° 168 : éviter que « l'écriture devienne
le stéréotype de la libération ».

64
rale de « femmes élues 65 » ou monde nouveau par le féminin réconcilié? Les
femmes au nom de qui l'on parle « ne risquent-elle pas », comme le dit
M. Duras du prolétariat, « d'être submergées par une phraséologie
fantastique66»?
Mais quelque chose de très important s'est passé, se passe, dont
l'écriture féminine est le symptôme et le héraut. Quelque chose qui circule de
femme à femme dans des groupes, dans des pratiques militantes. Des femmes
disent, vivent entre elles, leurs luttes, leur corps, leur sexualité. Des femmes
ont ouvert le grand registre où chacune reconnaîtra quelque chose, écrira
quelque chose 67. Une parole qui délie la parole. Une écriture qui appelle
l'écriture. Il fallait à un itinéraire individuel, à une aventure singulière la naissance
de ce vécu collectif pour donner ces accents et ces résonances aux manifestes
pour une écriture féminine. Dans le champ de prise de conscience et de lutte
où elle apparaît, en ce temps qui advient de la décolonisation des femmes 68,
l'écriture féminine, recherche d'avant-garde, nouveau mode de sentir et de jouir,
annonce, prépare la transformation d'un mode d'être, de vivre.
Elle a pu se complaire dans l'illusion et la méconnaissance. Illusion dans
la toute-puissance des femmes et de leur libido. Illusion d'une ouverture qui
peut devenir enfermement : la « chambre à soi » peut être aussi tour d'ivoire.
Méconnaissance des enjeux et des risques mortels de notre époque. Mais on
ne peut se leurrer longtemps sur la « radicale » subversion d'un langage,
d'une plongée dans l'inconscient ou dans la jouissance pré-œdipienne. On ne
peut se griser longtemps de mots recréés et de corps retrouvé. On ne peut
exulter et ex-ister dans une Byzance de femmes « entre elles » quand battent
aux fenêtres les rumeurs du monde. Le temps est venu de se poser, de poser
d'autres questions. « Pourquoi, des poèmes, quels chants, quand les femmes
sont tuées? Quand le désir politique est premier, urgent, comment des
poèmes? « Comment élaborer une dynamique lutte-jouissance? une alliance
agir-chanter. » « J'ai des questions. Je n'ai pas de réponses. » Le temps est
venu de sortir de l'illusion romantique. ((Écrire-femme : Ne pas prendre
l'écriture comme fin69. »
II a fallu depuis ce « soir de fin de siècle » (et même bien auparavant)
ce long chemin — et aucune femme encore n'est arrivée à son bout — vers
l'instruction, la contraception, le travail, les responsabilités extérieures, les

65. « Les femmes élues » poème de Lucie Delarue-Mardrus in Nos secrètes amours. Cf. « Nous ne
faisons jamais la loi, la morale. La guerre. N'ayons pas raison. Pas de droit pour te/me critiquer. Si tu/je
juge, notre existence s'arrête. Et ce que j'aime en toi, en moi, en nous n'a plus lieu. » (Luce Irigaray,
Ce sexe qui n'en est pas un, Éd. de Minuit, coll. « Critique », 1977). Dans « Unes femmes » art. cit.,
J. Kristeva évoque cette « terre promise d'une société enfin harmonieuse qu'on s'imagine constituer en
tant que femmes seules qui auraient le fin mot de l'énigme d'une société imaginaire, sans contradictions ».
66. Les Parleuses, op. cit., p. 14.
67. Monique Wittig, Les Guérillères, Éd. de Minuit, 1969, p. 74.
68. « Ça ne s'arrêtera plus, ça ira plus vite que la révolution. C'est parti de tous les pays du monde,
c'est foudroyant » (M. Duras in La Création étouffée, op. cit.).
69. Hélène Cixous, « Poésie, e(s)t Politique », Des femmes en mouvements hebdo, n° 4, 30 novembre
1979.

65
droits juridiques et politiques, il a fallu que des femmes s'engagent dans ces
batailles vers l'égalité, il a fallu que des femmes se battent pour la libre
disposition de leur corps, il a fallu que les colonisés se lèvent et que les noirs
exaltent la beauté de leur négritude pour qu'un autre langage soit possible
aux femmes d'aujourd'hui.
Il a fallu que soit dit « la femme est le prolétaire de l'homme » mais aussi
que s'effrite l'espoir têtu qu'a fait vivre le marxisme, d'une solution qui
réglerait avec la question du prolétariat la question des femmes, il a fallu la
déception des luttes traditionnelles où, plus encore que les hommes, les femmes se
sont senties flouées, il a fallu la crise idéologique et économique, la réalité
impossible à cacher dans notre monde d'aujourd'hui de milliards d'êtres
humains qui ont faim pour que des femmes et des hommes soient acculé(e)s
à repenser tous les problèmes du social et du privé, du politique.
Nous sommes aujourd'hui sur cette scène où plus rien désormais ne
pourra se faire sans les femmes. Ici et ailleurs, les mouvements de femmes
ont engagé de profonds changements. Il faudra repenser les rapports entre
femmes. Comment ne pas reproduire les conflits, l'opposition sourde pour
la dominance? Repenser les rapports de sexes. La femme est la prolétaire. La
femme est noire. C'est encore parler comme. Le rapport de la femme à l'homme
ne pourra être résolu comme avec le capitaliste ou le blanc. Il nous faudra
tenter nous, différentes, avec eux hommes, différents, d'inventer de nouveaux
rapports qui ne continuent pas dans le privé l'exploitation, l'appropriation,
l'étouffement.
Nous sommes une force immense, encore largement souterraine.
Écriture du désir — désir du corps, désir de changer le monde —, l'écriture
des femmes peut être une étincelle, la libido devient une force quand elle pénètre
des « millions de taupes ». Mais les sorcières n'ont pas de baguette magique
et nous ne referons pas le monde avec nos seuls mots ni seules. Les
changements se font aussi ailleurs et autrement sans doute que le rêve notre occi-
dentalocentrisme. Comment repenser notre « sortie » dans le monde de tous?
Comment ici et maintenant tisser les luttes autonomes de femmes avec les
luttes de tous ceux qui veulent vivre autrement, comment les transformer par la
présence des femmes?
Le chemin est long encore. Il faudra chercher, recommencer, tenter de
construire d'autres formes d'existence, d'autres valeurs, non nous contenter
de brandir des valeurs « féminines » qui n'appartiennent aux femmes, aux
mères que parce qu'elles sont les valeurs des opprimées que ni l'appropriation
ni la place aux leviers de commande n'ont encore corrompues. Comment
éviter que des femmes au pouvoir n'adoptent — comme elles l'ont souvent
fait — les valeurs du pouvoir? Il nous faudra affronter la société telle qu'elle
est, non laisser aux hommes — à des hommes — le savoir, la maîtrise, la théorie,
l'organisation, la décision.
Comment ne pas recommencer les erreurs d'hier? Comment ne pas nous

66
laisser absorber, résorber? comment ne pas permettre au système, aux
institutions de se reformer, de se refermer? Comment ouvrir, aller plus loin?
L'écriture des femmes est aussi un champ de ces enjeux, une tentative de
réponse à ces questions. Elle est politique.

La brèche et l'institution

Dans la brèche ouverte par des femmes, l'institution s'est engouffrée.


Alors que des militantes du groupe « Psychanalyse et Politique » ouvrent en
1974 la maison d'édition « des femmes », chaque grande maison traditionnelle
tient à créer sa propre collection. Au box-office, la femme se vend bien. On
lui consacre davantage de placards publicitaires et de comptes rendus. Enquêtes,
colloques, numéros spéciaux de revues, cours et thèses universitaires
s'interrogent sur l'écriture des femmes. La critique salue la « parole de femme »,
« l'avènement de la femme », les « chantres de la féminité ». La nouvelle
instance de légitimation qu'est devenue l'émission Apostrophes lui donne sa
consécration. L'Académie cède mais ne se rend point : si elle a tardé à
accueil ir « la première venue », c'est que « l'écrivain » capable de forcer ses portes a
tardé à venir70... Dans notre civilisation de diffusion de masse, l'écriture des
femmes a été, le temps de quelques saisons, largement accueillie et répercutée
par les mass media. On ne saurait plus parler — là où se font et se défont les
modes — de « féminin » dans une acception péjorative et la « littérature
féminine» avec ses connotations sentimentales apparaît comme une vieille lune,
reléguée sans doute dans la presse toujours dite du cœur qui se porte bien et
les kiosques de gare où l'on recommence à vendre Delly. Beaucoup de femmes
continuent pourtant à penser que l'écriture n'a pas de sexe et que la question
d'une « écriture de femme » ne se pose pas 71.
La création de collections « femmes » apparaît ambiguë. Victoire des

70. Jean d'Ormesson salue « un des événements les plus considérables d'une longue et glorieuse
histoire » : « être une femme ne suffit plus pour être empêchée de s'y asseoir » (sous la Coupole). Il ne s'agit
pas d'un « tribut à la mode » mais de la reconnaissance de la « fermeté » d'une écriture et de la « hauteur »
d'une pensée. Mais, dans le geste même qui semble consacrer la fin d'une discrimination, Jean d'Ormesson
ne peut refouler le plaisir insolent d'un « sexisme quotidien » : « les traditions — comme les femmes — sont
faites pour être à la fois respectées et bousculées » (sic). Auparavant, Marguerite Yourcenar avait concédé
à l'Académie des circonstances atténuantes pour la non-élection de Mme de Staël, George Sand et Colette.
71. Ainsi Geneviève Serreau : « l'acte d'écrire n'est ni masculin ni féminin » « L'acte d'écrire échappe
totalement aux menues et grandes misères de la condition de sous-développée, de colonisée qui est ailleurs,
objectivement celle des femmes », in La Création étouffée, ouvr. cité, p. 223. « Écrirej c'est dénoncer
des phrases telles que « on est un homme ou une femme » (Viviane Forrester). « Je n'ai pas conscience
d'écrire en ma qualité de femme » (Marthe Robert). « Qui suis-je? Que suis-je? Voilà des questions que je
ne me suis jamais posée en écrivant. Au niveau où se produisent les drames intérieurs que je m'efforce de
montrer, j'ai la conviction qu'il n'y a aucune différence entre les hommes et les femmes » (...) « ces
distinctions » (qualités ou défauts dits féminins ou masculins) sont fondées sur des préjugés, de pures
conventions » N. Sarraute, in Quinzaine Littéraire, n° 192, août 1974 : « Questions à des écrivains (sur la différence
et la spécificité d'un écrivain — homme ou femme — au travail). Marguerite Yourcenar répond simplement
« Non ». En 1977, Marie Cardinal dans Autrement dit, p. 83, et des collaboratrices de Sorcières (n° 2,
p. 6-7) diront : je ne crois pas qu'il y ait une écriture féminine ou une écriture masculine.

67
« filles » sur les pères? concession sans grande conséquence? nouveau « ghetto
de femmes »? entreprise rentable qui touche un nouveau public et répond à
de nouvelles attentes? désir de ne pas abandonner un secteur aussi vaste à la
seule maison « des femmes » qui semble « occuper tout le terrain 72 »? C'est
souvent par rapport à celle-ci, contre elle — contre le discours militant ou le
discours sur la « féminité » — ou sur son terrain, malgré les divergences, que
semblent se définir les orientations de ces collections 73. La plupart de ces
collections se présentent comme partie prenante dans la quête d'identité des
femmes, leurs luttes, l'affirmation d'une « spécificité » de leur écriture. Mais
avec des moyens exigus, dans les contraintes du « marché draconien » de
l'édition 74. Des femmes écrivains, constituées en Association internationale,
s'interrogent encore, lors de leur premier Congrès à Paris en juin 1976 : « comment
se faire éditer? comment vivre de sa plume? » La maison d'édition « des
femmes » a joué un rôle essentiel en créant un nouveau rapport aux textes
de femmes, en éditant des centaines de titres.
Son projet : publier « tout le refoulé, le censuré » « des maisons
d'éditions bourgeoises ». Pour être éditée, disaient ses fondatrices, « il suffit d'être
femme et d'être en lutte ». Mais il faut se battre sur le marché, avec les moyens
commerciaux de diffusion, sur les grandes foires internationales du Livre.
« C'est une lutte quotidienne pour des femmes de publier des textes écrits par
des femmes, tous politiques, fictions, essais, documents. » II y a les limites d'un
financement, les difficultés autogestionnaires, les exigences contractuelles, les
choix inévitables, les exclusions, les conflits, parfois avec des femmes écrivains
et des groupes militants féministes. Son succès même lui pose un problème :
conçue comme contre-institution, la maison « des femmes » ne risque-telle
pas de devenir une institution? Elle le sait et s'en défend. Elle dénonce le
détournement, la manipulation, l'exploitation des mass media, le danger de
normalisation. Elle veut rester une maison « pas comme les autres » prise dans une
activité politique multiple avec « l'hebdo », la « librairie » : ce qui ne va pas
sans sensation de monopole sur le « mouvement » des femmes.
Les discours sur « l'écriture féminine » révèlent à des femmes le désir,
la liberté d'écrire. Mais affleure le risque de nouveaux critères de jugement,

72. Cf. Le Monde, 18 novembre 1977, « Ces femmes qui éditent des femmes » : « Comment les
responsables des principales collections voient leur rôle. » Sont représentées les collections, « Femme » (Denoël-
Gonthier) créée en 1963, « Autrement dites » (Éd. de Minuit) créée en 1977, « Elles-mêmes » et « Femmes
dans leur temps» (Stock) créées en 1973 et 1976, «Voix des femmes» (Stock 2) créée en 1977, «Le
temps des femmes » (Grasset) créée en 1976. Les éditions « des femmes » ont refusé de répondre. « Féminin
futur » (UGE 10/18) se joint à ce refus la distinction n'étant pas assez faite « entre la pratique de " des
femmes ", maison d'édition qui ne compte que sur ses propres forces et dont le travail est autonome et,
d'autre part, les collections insérées dans le système des éditeurs classiques ». D'autres collections se sont
constituées depuis : ainsi « Mémoire de femme » (Syros), « Libre à elles » (Seuil).
73. Cf. les réponses des animatrices du « Temps des femmes » et de « Femme » : « discours militant
stérilisant », « créer un territoire accueillant où aucune femme n'aurait à se demander si elle est conforme »
— refus de textes qui admettraient quelque chose qui serait une « nature », une « essence » féminine —
« publier des textes lisibles et non pas écrits pour- et par une petite élite ».
74. Cf. « Autrement dites » (Luce Irigaray) : choix de textes qui à la fois disent l'exploitation
individuelle et collective des femmes et affirment la nécessité d'un autre rapport au corps, au langage, au désir.

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d'un nouveau terrorisme. Au moment même où l'on croit les supprimer ou les
subvertir. Y aura-t-il une « écriture-femme » et des écrits de femmes qui ne
mériteront pas le label de « féminins »? des femmes qu'on accusera d'écrire
comme des hommes75? Quelles nouvelles instances de légitimation
légiféreront-elles — même malgré elles? Quel pouvoir est en jeu? Le regard de l'homme
va-t-il être doublé, remplacé par le regard de « l'autre femme »? A la peur de
ne pas être considérée comme « écrivain » faudra-t-il ajouter pour certaines
l'angoisse de ne pas être reconnue « femme »? La tentation du mimétisme, du
conformisme à de nouveaux codes, de nouveaux modèles ne risque-t-elle pas
de figer, d'uniformiser ces écritures de femmes qui se cherchent; de faire de ce
« corps innombrable » un phénomène de mode qui se démodera comme « le
cœur innombrable » d'Anna de Noailles, de faire advenir non « la femme »
mais de nouvelles idoles imaginaires bâties avec de nouveaux clichés?
Le rapport de notre époque à la « différence », à « l'autre » a changé.
L'institution reflète et consacre ce changement.
Phénomène complexe : reconnaissance et tentative de « récupération » à
la fois. Ainsi, sous la pression des mouvements de femmes a-t-on en France
institué un ministère de la Condition féminine et lancé sur la foire
internationale l'officielle Année de la Femme. Comment critique et mass media
auraient-elles ignoré, dans ces conditions, la recherche littéraire d'une spécificité
féminine? Comment les mass media n'auraient-elles pas saisi ce moment enfin
venu de « révélations » sur la femme 76, n'auraient-elles pas tenté de reprendre,
sous le clinquant du « nouveau », le vieux discours sur la différence féminine
que la société n'a jamais cessé de tenir? Comment la critique aurait-elle risqué
de méconnaître une percée d'avant-garde, une écriture de la « modernité »?
Ambiguïté de notre époque. La large diffusion sur les ondes, le petit écran,
la presse a informé, déformé, transformé. Certaines idées qui étaient celles
d'un petit nombre de femmes, de militantes ont pénétré peu à peu, vulgarisées,
apprivoisées, aménagées. Elles ont contribué à modifier des structures
mentales, déconstruire des images. Les femmes se regardent autrement et les
hommes ne peuvent plus les regarder comme avant. Et pourtant, cette caisse
de résonance sonne faux, banalise, légalise. Où est la subversion de la «
différence » quand elle devient cliché publicitaire, rengaine radiodiffusée?
Désamorcée, aseptisée, consommée, digérée. Si l'institution s'est engouffrée dans la
brèche, c'est sans doute aussi pour la colmater.
75. « Le plus souvent (les femmes) se sont évacuées en tant qu'elles-mêmes (ex. Marguerite Yourcenar).
Chemin plus carrossable sans aucun doute », Birgit Pelzer, Cahiers du Grif, n° 7. Dans Sorcières, n° 7,
1977, Xavière distingue des textes qui se veulent poétiques, survivance peut-être de «la poétesse,
gracieuse et charmante » et des textes « recherchés, à la moderne, formels, hermétiques » « illisibles » : « les
premiers me semblent imiter " la femme ", les derniers imiter " l'homme ". Elle ressent " vraiment comme
des textes de femmes " un troisième type de textes : " sauvages, vrais, travaillant récriture-matière, la
déplaçant dans un mouvement nécessaire, vital, des textes concrets, des textes forts, des textes libres, qui
me bouleversent ».
76. Ce n'est pas le « régal alléchant » dont rêvait la Revue en 1906. La réaction de Mauriac
écrivant à la rédaction des Temps Modernes après la parution du Deuxième Sexe : « Maintenant je sais tout sur
le vagin de votre patronne » préfigure le voyeurisme inquiet de bien de nos contemporains.

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La spécificité et la différence
Des hommes hier ont institué au nom de la différence une « spécificité
féminine » pour marginaliser les femmes dans la littérature. Aujourd'hui, des
femmes font de cette spécificité un étendard et de la différence une supériorité.
Simone de Beauvoir a libéré les femmes de l'indignité de naître — inférieure —
femme. « L'écriture féminine » a voulu leur rendre la dignité de naître et de
devenir femme. « Femme? » Sous des formes nouvelles, le vieux débat sur la
« nature », ou la « société » resurgit-il, et cette fois entre des femmes 77.
Cet « avènement de la femme », où le situer? du côté de « la femme qui est
mais n'ex-iste pas »? ou de la « nouvelle » femme telle qu'elle se fera et que
l'aidera à se faire cette « écriture neuve, insurgée » « dans le moment venu de sa
libération 78 »? La Femme? ou « des femmes » collectivement transformées
et singulières? Cette « féminité » que veut inscrire Pécriture-femme, ancrée
dans une libido et un savoir (mais cette libido et ce savoir d'esclave seront-ils
les mêmes quand les femmes ne seront plus esclaves?) ferait-elle renaître sous
un nouveau plumage le vieux phénix d'un « éternel féminin »?
La reconnaissance de cette « féminité » devient-elle le critère de la
spécificité d'une écriture féminine 79? S'il y a, depuis que les femmes écrivent, une
spécificité, c'est que l'écriture passe par le corps et tente de répondre aux
problèmes que pose la société à l'individu(e). Les femmes écrivent avec leurs cœurs-
corps de femmes du dedans. Dans les espaces, les formes d'existence, dans les
rôles et les images qui les enferment et qu'elles contestent. Ce sont les leurs,
et jusqu'à une période relativement récente, ils avaient peu changé comme,
malgré les mutations sociologiques, était restée relativement restreinte la
frange de femmes qui avaient accès à l'écriture. Elles ont écrit leurs désirs,
leurs frustrations, leurs rêves, leur révolte. L'amour était « la grande affaire »
de leur vie et leur écriture s'exaltait dans « ce désert illimité 80 » appel, attente,
besoin de l'autre, toujours floués, toujours recommencés. Elles ont écrit, elles

77. Cf. Questions féministes n° 1, éd. Tierce, 1977, « Variations sur des thèmes communs » : crainte
d'un « retour à l'essentialisme » : « le mot femme, je ne peux plus, je n'ai jamais pu l'entendre. C'est avec
qu'ils m'ont insultée ». « La réalité " femmes " est sociologique (politique), le fruit d'un rapport entre deux
groupes, et d'un rapport d'oppression. » « Pour nous, l'analyse doit être d'abord celle du rapport de force
qui transforme les femmes en femmes », « ne pas nous laisser envahir par l'insidieuse question de
l'identité, des valeurs " spécifiques " à chaque sexe, ne pas nous laisser engloutir dans la seule valorisation de
notre " culture " de sexe ». « Pas de femme, de féminité, d'éternel féminin. » « II y a un groupe social chargé
des basses besognes... », « les femmes » c'est un rapport de force supposant la double journée, la
disqualification professionnelle, la plus basse paie, la charge exclusive des vieux, des infirmes et des enfants. Les
uns disent : la femme. Nous disons : « les femmes ».
78. Hélène Cixous, La jeune née, p. 179. Cf. également : « les nouvelles femmes, celles après lesquelles
plus aucune relation intersubjective ne pourra être la même », Le rire de la Méduse, p. 48; et « on ne peut
pas plus parler de " la femme " que de " l'homme " », La jeune née, p. 152.
79. « II n'y a pas encore, à quelques rares exceptions près d'écriture qui inscrive de la féminité. » Au
xxe siècle, « et c'est bien peu, je n'ai vu inscrire de la féminité que par Colette, Marguerite Duras et Jean
Genet », Hélène Cixous Le rire de la Méduse, p. 4 1 -42, art. cité.
80. Colette, La Vagabonde. Cf. Marguerite Duras in La création étouffée, ouvr. cité, p. 186 : « Ce
stage gigantesque dans l'amour a fait la richesse de la femme, richesse insondable. »

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écrivent avec leurs découvertes, leurs conflits, avec leur regard neuf sur ce
monde qui s'ouvre à elles81. De leur point de vue. Avec cette seconde voix
harcelante, rabâchante, présente-passée-future, cette « sous-conversation » de
l'imaginaire qui invente, relance, excède, recrée ce qui n'est « qu'une vie de
femme». Femmes : identités sexuées et actantes sociales.
Cette spécificité, des femmes la reconnaissent82. Elles s'y retrouvent et
s'y transforment. Des hommes aussi : ils la rejettent ou l'ignorent, y découvrent
l'altérité et s'y découvrent83.
N'est-ce pas cela la « littérature », l'ouverture à un univers singulier,
différent qui aurait été, sans l'écriture, fermé à l'autre à jamais? Les femmes
ouvrent, fendent de leur différence singulière, de leurs écritures plurielles, cet
immense domaine jamais totalement défriché qui n'appartient pas plus aux
hommes qu'il n'appartiendrait aux femmes. La marginalité est subversive.
La marginalisation ne l'est pas84. N'est-ce pas ce que souhaite l'institution,
aussi prête à saluer « l'écriture féminine » aujourd'hui qu'à cantonner hier
les femmes dans la « littérature féminine 85 »?
Des femmes ont cru se trouver dans l'égalité : mot-Révolution, mot-
fraternité, mot-justice. Nous trouverons-nous dans ce seul mot ambigu :
différence? L'orgueil de ce qu'on nous a si longtemps opposé comme une tare
à nous, aux colonisés, aux noirs, la revendication du droit à la différence ont,
à notre époque, soulevé les humilié(e)s, les offensé(e)s. Ce n'est qu'une étape.
Nous sommes des identités, debout. Mais tout continue. L'oppression fondée,
même si elle s'en défend, sur la différence — de classe, de développement, de
peau, de sexe. Et les luttes pour en finir avec les différences instituées par
l'oppression. Notre spécificité est aussi celle d'une lutte contre la spécificité
d'une oppression.
Nous tenons à notre différence 86, nous la clamons. Devons-nous nous y
enfermer? N'oublions pas, avec Fanon, que les valeurs-refuge d'hier peuvent
devenir les valeurs-prison de demain.

81. Nous n'avons pas encore en France une Doris Lessing, une Eisa Morante. Mais Les Carnets
d'or. Les Enfants de la violence ou La Storia montrent ce que peut inscrire de neuf, de spécifique le
regard d'une femme sur le monde et l'histoire en train de se faire — et dont elle est actrice.
82. « Qui nous tiendra pour femme? — Des femmes », Colette, Le Pur et l'Impur.
83. Cf. l'impact de « l'effet Cixous » — profondeur d'une traversée, affleurement de l'interdit
révélation d'une jouissance « autre », sortilèges de l'écriture — sur Le Nouveau désordre amoureux de Pascal
Bruckner et Alain Finkielkraut, Seuil, 1977.
84. Marguerite Duras à propos du « cinéma féminin » : « on continue la ségrégation. On n'a plus besoin
de ça pour s'affirmer », La Création étouffée, ouvr. cité p. 183. Doris Lessing, de passage à Paris, dit
souhaiter ne pas être enfermée dans un ghetto de femmes et être lue aussi par des hommes, Le Monde,
26 novembre 1976.
85. « Quand l'écriture est pointée comme écriture de femme : " ça, c'est un livre de femme " est-ce que
ce n'est pas toujours une façon pour les hommes de ne pas se sentir concernés par ce que nous leur
racontons? Or, nous sommes persuadées que ce que nous leur racontons ça les concerne aussi, que ça
s'adresse à eux, que ça devrait les rencontrer », Annie Leclerc in Autrement dit, Grasset, 1977, p. 83. « Le
jour où il nous sera accordé une " écriture féminine ", elle risque fort de se retrouver du côté de la dentelle
et de la tapisserie », Anne in Sorcières, n° 7, p. 7.
86. « Sous cette répression, sous cette censure, il y a une différence à laquelle je tiens plus qu'à ma
vie », une femme (Antoinette) à Benoîte Groult, Quotidien des femmes, 6 mars 1976.

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