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Philippe BOURMAUD, Philippe CAUvET, Laurent COLAnTOnIO, Fabien COnORD,
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Jérôme GRÉvY, Laurent hABLOT, Laure LÉvÊQUE, Christine MAnIGAnD,
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Annie MOLLARD-DEsFOUR, nicole PELLEGRIn, Denise TURREL, solange vERnOIs,
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hélène YÈChE.
IsBn : 978-2-84287-594-7
28 €
Vert et orange
Sous la direction de
Jérôme GRÉVY, Christine MANIGAND & Denise TURREL
Première partie
Représentations et pratiques sociales
L’orange et le vert au Moyen Âge
Laurent HABLOT
Université de Poitiers
d’or – celle d’Adam, celle de Pâris et celle des attributs du pouvoir – condi-
tionne en grande partie la résurgence symbolique et chromatique de l’orange.
En raison de ces différents paramètres que nous allons développer,
l’orange apparaît comme un parfait témoin des processus de valorisation
d’une couleur dans les pratiques sociales et les identités politiques au Moyen
Age.
1
M. Pastoureau, Jésus chez le teinturier : couleurs et teintures dans l’Occident
médiéval, Paris, 1997, p. 154 et note 109.
2
Sur ce discrédit du roux, voir notamment les nombreux travaux de Michel
Pastoureau, Jésus chez le teinturier, op. cit., p. 146 et suiv. ; « Les couleurs de
Judas » ; Une histoire symbolique du Moyen Age occidental, Paris, 2004 ; « Tous les
gauchers sont roux », Le genre humain, t. 16-17, 1988, p. 343-354 ; « Formes et
couleurs du désordre : le jaune avec le vert », Médiévales, 1983, n° 4, p. 62-73.
3
J. F. Willems, Collection des « keuren » ou statuts de tous les métiers de Bruges,
Gand, 1842, p. 91 et G. De Poerk, La draperie médiévale en Flandre et en Artois.
Technique et terminologie, Bruges, 1951, t. I, p. 188, cités dans Pastoureau, Jésus
chez le teinturier, op. cit., p. 154, note 108.
4
M. Pastoureau, Jésus chez le teinturier, op. cit., p. 146 et suiv.
22
L’orange et le vert au Moyen Âge
5
Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française, dir. A. Rey, Paris,
1998, p. 2473.
6
Sur ces pigments et leur usage dans la miniature voir par exemple C. Mediavilla,
Calligraphie, Paris, 1993, p. 62-73 et G. Garrigou, Naissance et splendeurs du
manuscrit monastique, Nancy, 1994, p. 43-51.
7
Voir sur le sujet M. Pastoureau, « Le temps mis en couleurs : des couleurs
liturgiques aux modes vestimentaires (XIIe-XIIIe siècles) », Bibliothèque de l’École
des chartes, 157-1, janv.-juin 1999, p. 111-135.
23
Laurent HABLOT
8
Sur l’origine de ce terme chromatique lire Le Robert, op. cit., p. 2473-2474. Le
terme de pomme, du bas latin poma, désigne à l’origine tout type de fruit comestible
issu de l’arbre. Il est progressivement appliqué à la pomme, en latin malum, pour
contourner la lecture étymologique l’associant à l’adjectif malus. Sur l’origine du mot
pomme voir Le Robert, op. cit., p. 2834-2835.
9
B. Schnerb, Jean sans Peur, le prince meurtrier, Paris, 2005, p. 341.
24
L’orange et le vert au Moyen Âge
10
Sur la diffusion de cette littérature dans l’Occident médiéval voir M.-R. Jung, La
légende de Troie en France au Moyen Age, analyse des versions françaises et
bibliographie raisonnée des manuscrits, Bâle, 1996.
25
Laurent HABLOT
est offert par la fondation, le 1er janvier 1395 de l’ordre de la Pomme d’or.
Cette société chevaleresque rassemble quarante nobles auvergnats qui se
jurent assistance mutuelle et prennent pour devise une pomme d’or avec
autour le mot LA PLUS BELLE ME DOIT AVOIR, allusion évidente à la pomme
du jugement de Pâris11.
L’ensemble de ces références contribue certainement à faire de l’orange
le fruit de l’Arbre du paradis qui est autant la pomme d’or des Hespérides que
le fruit de la discorde.
L’amalgame entre l’Arbre de la connaissance et l’oranger est fréquent au
Moyen Âge, soit pour évoquer un espace paradisiaque, soit en référence à la
faute originelle et à son rachat. En témoignent de nombreuses représentations
de cet arbre, identifiable à son port simultané de fleurs et de fruits (et d’épi-
nes pour le bigaradier) et réputé être fécond toute l’année, qui se multiplient à
partir de la seconde moitié du XVe siècle, qu’il s’agisse de miniatures à
l’instar des Heures de Marguerite d’Orléans, peintes vers 1430 (figure 1)12,
de celles d’Etienne Chevalier, peintes vingt ans plus tard (figure 2)13 ou
encore des Grandes Heures d’Anne de Bretagne au début du siècle suivant14,
de tapisseries comme la Dame à la licorne tissées vers 148015 ou de peintures
de chevalet tel que le Retable de l’Agneau mystique achevé en 143216. Le
fruit lui-même, devenu symbole de fécondité, est mis en scène dans la
peinture comme dans la très célèbre Annonciation de Van der Weyden de
143417 ou sur le tableau non moins connu des Époux Arnolfini de Jan Van
Eyck, vers 143418.
Fruit du paradis, la pomme d’or/d’orange se retrouve parfois en
concurrence avec la pomme ou la grenade, entre les mains du Christ enfant
dans les bras de sa mère, nouvel Adam incarné par une nouvelle Ève et
chargé de racheter les péchés des hommes. Mais cette pomme d’orange dans
les mains du Christ renvoie encore à la pomme d’or, attribut du pouvoir, que
l’iconographie médiévale place dans les mains des puissants, soit comme une
simple boule dorée soit sous la forme plus élaborée de l’orbis terrarum figuré
en carte OT19 qui, comme le souligne Jean Fréron, désigne « le roy [qui] est
11
A. Bossuat, « Un ordre de chevalerie auvergnat : L’Ordre de la Pomme d’Or »,
Bulletin historique et scientifique de l’Auvergne, 46, 1944, p. 83-98.
12
Paris, BnF, ms. lat. 1156 B, f° 166.
13
Jean Fouquet, Heures d’Etienne Chevalier, Chantilly, Musée Condé, folio de la
fontaine des apôtres et folio de saint Jean à Patmos.
14
Paris, BnF, ms. lat. 9474, f° 168.
15
Tapisseries de la Dame à la Licorne, Paris, Musée national du Moyen Age.
16
Hubert et Jan Van Eyck, Retable de l’agneau mystique, Gand, cathédrale Saint-
Bavon.
17
Rogier Van der Weyden, Triptyque de l’Annonciation, Paris, Musée du Louvre.
18
Jan Van Eyck, Les Époux Arnolfini, Londres, National Gallery.
19
Sur le sujet voir notamment F. Garnier, Le langage de l’image au Moyen Age,
t. II, Paris, 1989, p. 163 et suiv.
26
L’orange et le vert au Moyen Âge
ainsi fait car il se siet en une chaiere vestu de pourpre, coronne a son chief, en
sa main destre un sceptre, en la senestre la pomme d’or ».
De multiples autres lectures sont d’ailleurs possibles et l’on peut supposer
que dans la figuration précoce de cet arbre dans le décor marginal des Heures
de Marguerite d’Orléans, peintes vers 1430, l’oranger a surtout comme
fonction l’évocation de l’Orient20.
20
Paris, BnF, ms. lat 1156 B, au folio 148 : la lutte des cigognes et des pygmées, au
folio 166 : saint Jean-Baptiste et au folio 174 : Marie-Madeleine.
21
Les traités, notamment anglais, de la fin du Moyen Age et du début de l’époque
moderne mentionnent la couleur tanné, orange foncé mais son emploi reste
excessivement rare (M. Pastoureau, Traité d’héraldique, Paris, 1993, p. 105).
22
Les devises du duc Jean de Berry vers 1416 : l’ours, le cygne et la branche
d’oranger, détail du dais surmontant le siège du duc, Très Riches Heures du duc de
Berry, Chantilly, Musée Condé, f° 2r, le mois de janvier. J. Favière, « Histoires
d’oranges de Jean de Berry à Jacques Cœur », Mélanges J. Y Ribault, Cahiers
d’archéologie et d’histoire du Berry, 1996, p. 149-153.
23
J. Favière, « Histoires d’oranges… », art. cité, p. 149-153, compte de 1413-1415,
Nouvel An 1414 : « Pour 858 feuilles d’orenges pour faire la livrée de mondit
seigneur le duc ledit jour, pesants 36 marcs 2 onces 12 esterlins (pour près de 9 kilos
d’or) ».
24
L. Pannier, « Les joyaux du duc de Guyenne », Revue archéologique, XXVI,
1874, p. 71, article 16.
25
Voir par exemple le décor emblématique des Très Riches Heures du duc de Berry
(Chantilly, Musée Condé, Ms. 84) en particulier le dais du duc sur le mois de janvier
(fol. 2).
27
Laurent HABLOT
26
E. Gondret-Lebailly, « Le Dauphin Louis, duc de Guyenne, et les arts précieux
(1409-1415) », Bulletin monumental, t. 163-164 (2005), p. 357-374. Compte de 1415 :
« Gauvin Trente, marchand de Luques, pour une chambre de drap de Damas blanc
brodé d’or et de soye a ours et oranges portants feuilles et pommes, qui est la devise
de Mons. De Berry... et de 8 pieces de tapisseries d’Arras brodées a ladite devise d’or
et de layne, que mondit seigneur a fait donner a Mons. De Berry » ; J. Guiffrey,
Inventaire de Jean de France, duc de Berry (1401-1416), Paris, 1894-1896, inventaire
de 1415, articles 1220, 86, 87, 88, 532, 534, 538, 547, 1148.
27
C’est peut-être le cas du Boèce, De consolation de philosophie, Paris, Musée du
Louvre, départ. des Arts graphiques, inv. 9838.
28
C. de Mérindol, « De l’emblématique et de la symbolique de l’arbre à la fin du
Moyen Age », dans L’arbre, histoire naturelle et symbolique de l’arbre, du bois et du
fruit au Moyen Age, Cahiers du Léopard d’Or, Paris, 1993, voir planche 8, p. 122, et
du même : « Le sceau de Jacques Cœur », RFHS, nº 54-59, 1984-1989, p. 161-168 ;
« Nouvelles observations sur l’hôtel Jacques Cœur à Bourges : l’hommage au roi »,
BSNAF, 1989, p. 189-210 ; « L’hôtel Jacques Cœur à Bourges, la demeure d’un
bourgeois homme du roi, nouvelles lectures », BSNAF, 1994, p. 109-127 ; « La
décoration de la porte piétonnière de l’hôtel Jacques Cœur à Bourges », RFHS, n° 65,
1995, p. 108-120. Et J. Favière, « Histoires d’oranges… », art ; cité, p. 149-153.
29
L. Germain, La souche et l’orange, emblèmes du roi René, Caen, 1896 et C. de
Mérindol, Le roi René et la seconde maison d’Anjou, Emblématique, art, histoire,
Paris, 1987. Voir cette devise mise en scène sur une lettrine de lettre d’anoblissement
produite par René d’Anjou dans les illustrations de mon article consacré au vert dans
le même recueil, fig. 3.
30
Une clef de voûte de la chapelle du manoir des Rivettes, près d’Angers, ayant
appartenu à Jeanne de Laval porte ses armes, postérieures à la mort du roi, entourées
d’une branche d’oranger avec fleurs et fruits. En 1471, le roi René avait commandé à
ses gens du manoir de Gardanne de décorer d’orange des rameaux de houx pour
recevoir son épouse, cité dans C. de Mérindol, Le roi René, op. cit., p. 144-145 et
notes.
28
L’orange et le vert au Moyen Âge
31
H. S. London, Royal Beast, Londres, 1958, p. 59. Cette devise se retrouve sur le
livret de pièce musicale à la gloire d’Henri VIII composé sur le thème de sa devise de
la rose Tudor, entre 1509 et 1533 (Londres, B. L., Royal Ms. 11. E. xi, fol. 2).
29
Laurent HABLOT
30
L’orange et le vert au Moyen Âge
Fig. 3 – Les Très Riches Heures du duc de Berry, Le calendrier. Le mois de janvier
par les frères de Limbourg. L’orange apparaît dans l’emblématique de Jean, duc de
Berry, aux côtés de l’ours et du cygne, quelques années avant sa mort en 1416, peut-
être en relation avec l’ordre de la Pomme d’or fondé en Auvergne quelques décennies
plus tôt, peut-être aussi pour évoquer les angoisses spirituelles du vieux duc sentant la
mort venir. Chantilly, musée Condé, f° 2r © RMN-Grand-Palais (domaine de
Chantilly) / René-Gabriel Ojéda.
31
Laurent HABLOT
choses ne sont pas si simples. Il convient donc de faire le point sur cette
question en s’attachant d’abord au problème de la (re)production de cette
couleur qui semble avoir conditionné en partie son interprétation symbolique
et, dans une moindre mesure, son emploi iconographique et emblématique.
32
Sur le sujet voir, entre autres publications du même auteur, M. Pastoureau, Jésus
chez le teinturier : couleurs et teintures dans l’Occident médiéval, Paris, 1997, « Le
vert, du chimique au symbolique », p. 72 et suiv. C’est pourtant ce mélange qui
composait tous les verts de la célèbre tapisserie de l’Apocalypse d’Angers qui ont,
aujourd’hui, tous viré au bleu.
32
L’orange et le vert au Moyen Âge
bac d’urine ou de vinaigre) qui donne une belle teinte mais très corrosive
souvent associée à une couche protectrice à base de safran, du vert de vessie à
partir du jus de neprun (prune du Latium) conservé dans une vessie de porc,
du vert de bourdaine ou vert d’épine qui donne un vert teinté de bleu. À cette
liste s’ajoutent les verts obtenus grâce au prunellier, au lis (vert de flambe),
aux pétales de rose ou à l’iris33.
Les verts de très haute qualité ne manquent donc pas dans l’enluminure
où leur exploitation renseigne également sur leurs fonctions symboliques, en
contradiction parfois avec leur signification textile !
33
Sur la production de la couleur verte dans la miniature médiévale, voir
C. Mediavilla, Calligraphie, Paris, 1993, p. 62-73 et G. Garrigou, Naissance et
splendeurs du manuscrit monastique, Nancy, 1994, p. 43-51.
34
Voir sur le sujet M. Pastoureau, « Le temps mis en couleurs : des couleurs
liturgiques aux modes vestimentaires (XIIe-XIIIe siècles) », Bibliothèque de l’École
des chartes, 157/1, janv.-juin 1999, p. 111-135.
33
Laurent HABLOT
35
Vitrail de la crucifixion, cathédrale de Poitiers, vers 1155-1160.
36
Sur les jardins au Moyen Âge, voir les travaux d’Élisabeth Antoine, par exemple
« Les jardins d’agrément au XIVe siècle », dans Paris et Charles V, dir. F. Pleybert,
Paris, 2001, p. 151-165.
37
Je renvoie ici à la communication de Madame Pellegrin dans ce même volume.
Voir notamment L’annonce aux bergers par le maître de Bedford (Vienne,
Nationalbibliothek, ms. 1855, f° 65 v°). Le Journal d’un Bourgeois de Paris rapporte
qu’au printemps 1418, des gens de l’hôtel du roi étaient partis couper du mai au bois
de Boulogne (cité dans A. Forgeais, Collection de plombs historiés trouvés dans la
Seine, Paris, 1863, p. 39) et dans ses mémoires, Pierre de Fénin rapporte qu’à l’arrivée
devant Compiègne, le bâtard de Bourbon et ses gens « avaient chacun un chapeau de
feuillage vulgairement dit de may sur leur tête armée » (J. B. de Vaivre, « A propos
des devises de Charles VI », Bulletin monumental, nº 141, 1983, p. 95).
38
Chantilly, musée Condé, ms. 84, f° 5 v°.
39
Psautier de Robert de Lindesey. Londres, Society of Antiquaries, ms. 59,
f° 38 v°.
34
L’orange et le vert au Moyen Âge
40
Heures d’Etienne Chevalier, Chantilly, Musée Condé, Le mariage de la Vierge.
41
Jan Van Eyck, Les Époux Arnolfini, Londres, National Gallery.
42
V. Gay, Glossaire archéologique du Moyen Age et de la Renaissance, 2 volumes,
Paris, [1887] 1928, art. Bâton de lit, p. 130.
43
Sur cet événement voir F. Autrand, Charles VI, la folie du roi, Paris, 1986, p. 299
et suiv.
44
M. Pastoureau, « Formes et couleurs du désordre : le jaune avec le vert »,
Médiévales, n° 4, 1983, p. 62-73.
35
Laurent HABLOT
Le vert du blason
Si l’on en croit l’auteur d’un traité de blason des années 1430,
la dernière couleur que l’on rencontre en armoirie est le vert. En blason, on la
nomme sinople. Elle est vert comme les prés, les bois, les champs et la
verdure du jardin. Mais certains la trouvent pâle et de peu de prix. D’autres
affirment qu’elle est la moins noble des couleurs du blason. Pourtant, parmi
les vertus, le vert signifie joie, hardiesse et jeunesse. Et en pierreries, il est
semblable à l’émeraude, pierre très précieuse. Au sein des couleurs, le vert est
moyen entre le bleu et le noir et trouve sa complexion dans l’un et dans
l’autre : humide comme le bleu, froid comme le noir. Cependant, quand
certains disent que le vert est la moins noble des couleurs, cela s’entend en
peinture et en teinture, mais non pas du vert franc et naturel qui se trouve au
milieu des herbes, des arbres et des montagnes. Car il n’y a plus belle chose à
voir que cette verdure : elle réjouit le cœur et la vue et fait chanter les oiseaux.
Et pour ce aussi est le mois de mai le plus délectable de tous45.
En dépit de tout ce qu’il comporte de théorique, ce traité ne véhicule pas
trop d’erreurs sur les applications héraldiques de cette couleur. Les compta-
ges effectués par Michel Pastoureau démontrent en effet que le vert/sinople
reste la couleur la moins prisée des six couleurs héraldiques que sont l’azur,
le gueules, le sable, le sinople, l’or et l’argent. Apparue tardivement pour
colorer les figures, elle ne se trouve composant le fond d’armoiries que dans
le courant du XIIIe siècle46. D’abord désignée sous le nom de vert, cette
couleur se voit attribuer, dans le courant du XIV e siècle, le terme de sinople
jusqu’alors attaché au rouge47. Peut-être par souci de ne pas confondre la
fourrure vair, alors très usitée par le blason, et la couleur verte 48.
Servant surtout à colorer les éléments « naturels » et végétaux de l’écu, le
vert suffit également à faire de tout oiseau vert un papegau, un perroquet.
C’est encore la couleur centrale de l’escarboucle, pierre précieuse magique et
rayonnante des romans de chevalerie (dans laquelle on retrouve cette idée de
mouvement), et progressivement confondue avec l’émeraude. Elle orne le
cœur des armes de Navarre dont l’escarboucle se transforme progressivement
en chaînes, commémorant mythiquement la prise du camp enchaîné des
Sarrasins à Las Navas de Tolosa en 1212. La pierre d’escarboucle devient
dans les récits du XVe siècle l’émeraude arrachée du turban du sultan
Miramamolin49. Car au XVe siècle, lorsque naissent ces légendes, le vert,
45
Sicile, Le blason des couleurs en armes, livrées et devises, éd. H. Cocheris, Paris,
1857.
46
M. Pastoureau, Traité d’héraldique, Paris, 1993, p. 113-121.
47
Le mot sinople vient du latin sinopis (rouge, de couleur rouge) lui-même forgé
sur le nom d’une ville d’Asie Mineure, Sinopa (patrie de Diogène) où la terre était
ocre rouge, cité dans Pastoureau, Traité…, op. cit., p. 103, n. 19.
48
Ibid., p. 103 et G. J. Brault, Heraldic Terminology in the XIIth and the XIIIth
Centuries, with special Reference to Arthurian Literature, Oxford, 1972, p. 275-276.
49
M.-L. Surget, « Les armes d’Evreux-Navarre dans les miniatures », RFHS, n° 76,
2006, p. 106.
36
L’orange et le vert au Moyen Âge
50
Voir sur cette question la communication de Philippe Bourmaud dans le présent
ouvrage. Plusieurs sources s’accordent pour avancer que du temps de Mahomet, les
premiers drapeaux brandis par les guerriers musulmans étaient verts, allusion au
paradis verdoyant, où des sources d’eau couleraient en abondance, où les fidèles
porteront des habits de soie verts (Coran 18 : 31). Avant l’islam, la légende d’al-
Khadir (celui qui est vert), témoigne de l’importance de cette couleur pour ce peuple.
Il semblerait que longtemps seuls les califes ont été autorisés à porter un turban de
cette couleur.
51
M. Pastoureau, L’armorial des chevaliers de la Table ronde, Paris, 2006, p. 40.
Voir le recensement complet de ces chevaliers arthuriens de différentes couleurs dans
G. J. Brault, Early Blazon, op. cit., p. 31-35. Voir aussi les exemples cités par M. de
Combarieu, « Les couleurs dans le cycle du Lancelot-Graal », Senefiance, n° 24,
1988, p. 451-588.
52
N. Civel, « Les insignes héraldiques des Troyens dans l’armorial Lebreton »,
dans Une histoire pour un royaume, éd. M. Aurell et alii, Paris, 2010, p. 409-433.
53
M. Pastoureau, « ... Le jaune avec le vert », art. cité.
54
Sur la mode aristocratique du vert, voir C. de Mérindol : « Couleur étoffe et
politique à la fin du Moyen Âge. Les couleurs du roi et les couleurs d’une cour
ducale », dans Recherches sur l’économie de la France médiévale. Les voies fluviales.
La draperie, actes du 112e congrès national des sociétés savantes, Paris, 1989, p. 220-
249.
37
Laurent HABLOT
tation des puissants avant de connaître une nette régression, passé le règne de
Charles VII, supplantée par de nouvelles couleurs à la mode et beaucoup plus
« sérieuses » comme le noir et le bleu55.
À l’époque du « Prince Noir », dont le surnom n’apparaît d’ailleurs que
tardivement, le comte/duc de Savoie Amédée VI se fait déjà surnommer le
comte vert en raison de ses livrées et de son ordre du Collier à cette couleur56
tandis qu’à compter du règne de Charles V, dans les années 1370, le vert
entre dans la trilogie des couleurs royales – rouge, blanc, vert, pour n’en plus
sortir avant les années 1480. Ces couleurs « savoyardes » puis « italiennes »
ont en effet aussi été celles du roi de France57. Elles sont particulièrement
mises en valeur sous le règne de Charles VI où elles habillent le roi, son
personnel, colorent ses emblèmes et sont adoptées par tous ceux qui
souhaitent d’une façon ou d’une autre se rattacher au roi qu’il s’agisse des
Bourgeois de Paris58, de son gendre Richard II d’Angleterre, de ses oncles et
neveux, les ducs de Bourgogne ou d’Orléans. Le vert est une couleur à la
mode à la cour de France et entre tour à tour dans l’emblématique de Jean
sans Peur, en alliance avec le blanc et le vert, dans celles des Orléans ou du
maréchal Boucicaut, fondateur d’un ordre de L’écu vert à la dame blanche59.
De nombreux emblèmes princiers ou devises retiennent des végétaux de
cette couleur, à commencer par le genêt et les feuilles de hêtre ou de mai de
Charles VI qui renvoient, comme les autres devises du roi, au thème de la
résurrection60. Mais c’est aussi le cas du chêne de Philippe le Hardi, du
55
Sur le succès de ces deux couleurs, voir M. Pastoureau, Bleu, histoire d’une
couleur, Paris, 2000 et du même auteur, Noir, histoire d’une couleur, Paris, 2009.
56
Sur cette emblématique voir D. Boulton, The knights of the Crown, the
Monarchical Orders of Knighthood in Later Medieval Europe 1325-1520,
Woodbridge, 1987, rééd. corrigée 2000, p. 249-270 ; M. Pastoureau, « L’emblé-
matique princière à la fin du Moyen Âge, essai de lexique et de typologie », dans
Héraldique et emblématique de la maison de Savoie (XIe-XVe s.), éd. B. Andenmatten
et alii, Lausanne, 1994, p. 11-43 ; du même « De la croix à la tiare. Amédée VIII et
l’emblématique de la maison de Savoie », dans Amédée VIII-Félix V, Premier duc de
Savoie et pape (1383-1451), A. Paravicini Bagliani dir., Lausanne, 1992, p. 89-104.
57
Sur l’usage de ces trois couleurs par le roi de France voir L. Hablot, La devise,
mise en signe du prince, mise en scène du pouvoir, Turnhout, à paraître, p. 470 et
suiv. ; et H. Pinoteau, La symbolique royale française Ve-XVIIIe siècles, La Roche-
Rigault, 2003, p. 110 et suiv.
58
Voir par exemple l’entrée d’Isabeau de Bavière à Paris en 1392 (Jean Froissart,
Chroniques, Livre II, Londres, British Library, ms. Harley 4379, f° 3).
59
Sur ces emblématiques voir L. Hablot, La devise…, op. cit., devisier.
60
Ibid. À en croire les comptes de l’Ecurie, la devise de la feuille de mai apparaît
en 1399. Associée à la couleur verte, cette devise complète fréquemment le genêt et
renvoie aux feuilles de hêtre des bois (désigné par le mot May ou arbre de may)
fréquemment utilisées pour réaliser des couronnes de feuillages portées lors des fêtes
du Mai. Colette Beaune signale une distribution de 491 houppelandes vertes et noires
à genêt et mai brodés sur la manche gauche en 1400. Dans les comptes de l’Ecurie
c’est surtout en 1402 que le mai est à l’honneur. Il décore des selles, des ceintures, des
38
L’orange et le vert au Moyen Âge
épées. Les inventaires de 1420 et 1421 le mentionnent sur de nombreux articles. Il est
important de souligner que le mai semble faire son apparition avec une nouvelle
combinaison chromatique : vert/blanc/rouge/noir. Depuis 1390 en effet, Charles VI
avait substitué, au vert/blanc, la combinaison rouge/blanc/noir en alternance avec la
combinaison rouge/vert/blanc/noir. La combinaison tricolore, excluant le vert, semble
liée aux périodes de crises politiques ou peut-être tout simplement à certaines périodes
de l’année. La combinaison quadricolore apparaît dès 1393 puis disparaît au profit de
la combinaison tricolore. On la retrouve en 1398. Un article du compte de 1399
mentionne deux selles dont on précise qu’elles sont décorées d’éléments bordés de
drap de quatre couleurs, « c’est assavoir rouge, blanc, vert et noir, faiz de nouvelle
devise ». L’union du vert et du mai semble aller de soi puisque cette feuille évoque la
fête du 1er mai où chacun s’habille de vert, mais elle révèle aussi sans doute une
certaine disposition d’esprit du souverain. Signe de fête, cette devise témoigne peut-
être des périodes de raison qui alternent avec celles de crises.
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Voir par exemple la lettre d’anoblissement de Jehannon Roy (1475), Aix, Bibl.
mun., ms. 1804.
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L’orange et le vert au Moyen Âge
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