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Présentation du questionnement
L’homme est-il maitre de la nature ?
L’homme est-il maître de la nature? (fichier XMind, logiciel libre de droits à télécharger)
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Corpus d’images :
La représentation du jardin
du Moyen Âge au XVIIe siècle
Sont ici proposées des références à quelques peintures, enluminures, illustrations autour du
thème des jardins. Le terme est ici compris dans son acception commune, à savoir comme « un
terrain généralement clos, où l’on cultive des végétaux utiles ou d’agréments ». Le terme doit
donc se différencier de la notion de nature, par définition illimitée, et qui n’est pas obligatoire-
ment façonnée par la main de l’homme ; il est aussi à ne pas mettre sur le même plan que la
notion de paysage, qui, s’il est bien le reflet de la volonté de l’homme, est par définition large et
ouvert. À travers l’espace du jardin, se pose toujours la question d’un raffinement, d’un accom-
plissement, d’une maitrise parfaite de l’homme sur la nature ; c’est pourquoi, dans ses origines,
est-il toujours question de la transposition d’un espace divin, comme nous le rappelle l’étymolo-
gie de paradis, et les jardins présents dans le texte biblique.
Suivant la nature du projet retenu avec les élèves, il est possible dans tous les cas de procéder
par une démarche comparatiste, qui permette de repérer les points communs et les différences
entre ces différentes iconographies. Il peut s’agir alors d’un classement de toutes les images
ou du choix d’une répartition de duos d’images, préalablement sélectionnés, entre différents
groupes. Une attention particulière peut être portée à la dimension plastique, aux contraintes de
dimension, de supports, de matériaux, qui sont particulièrement signifiantes pour un art pictural
naissant. Ce sont des compétences de lecture communes au français et à l’histoire des arts qui
peuvent ainsi être travaillées, le programme de ce dernier enseignement mettant l’accent sur
« la démarche comparatiste ». Les élèves peuvent enrichir cette première confrontation lors
d’une mise en commun avec le reste de la classe et rechercher des textes littéraires à mettre en
rapport avec ces images.
Ce travail pourrait mener à l’élaboration d’une exposition ou à la construction d’un diaporama
pour chacun des groupes. Les élèves, par ce biais, pourraient devenir les médiateurs de connais-
sances sur le domaine et travailler des compétences langagières articulant écriture et oral.
Le jardin courtois
Les illustrations ci-après sont téléchargeables avec les droits libérés sur le site de la BnF
accessible sur authentification via Éduthèque
• La Teresida, vers 1460, gouache, 13,5 x 15,5 cm, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek.
L’homme entretient un rapport particulier avec l’arbre, fait à la fois de fascination et de respect.
À travers cette relation se joue toute la maitrise que l’homme veut imposer à la nature, et les
limites de celle-ci.
L’arbre, qu’il soit cultivé ou abattu pour en faire un matériau de construction, devient
dès les origines le symbole d’une emprise de l’homme sur la nature et du progrès de
la civilisation. Le lit fabriqué par Ulysse est ainsi à l’image de l’intelligence de l’homme
et de la civilisation grecque naissante. De la même façon, l’architecte Pouillon dans
un récit historique fait revivre la construction de l’abbaye du Thoronet et la façon dont
les moines construisent le monastère au milieu d’une nature sauvage. L’abattage du
chêne devient le symbole de cette colonisation de la nature. Mais l’arbre sacrifié par
l’homme garde toute sa noblesse, empreint qu’il est d’un rapport profond, essentiel
à son environnement. Figure tutélaire de la Nature, force païenne de vie et de des-
truction, dépassant les limites temporelles de l’existence humaine, il devient objet
de fascination pour l’homme, d’adoration et parfois de crainte, Ainsi apparaît-il dans
Texte n°1
Quand il sortit du bain, on aurait dit un immortel.
Il se rassit dans le fauteuil qu’il venait de quitter,
En face de sa femme, et lui dit ces paroles :
« Malheureuse, c’est toi entre toutes les faibles femmes
Qui a reçu des dieux le cœur le plus indifférent :
Aucune autre que toi ne pourrait aussi patiemment
Se tenir loin de l’homme qui, après tant de souffrances
Et vingt années d’absence, enfin retrouve sa patrie !
Allons ! nourrice, dresse-moi un lit, et que j’y dorme
Encore seul ; car, c’est un cœur de fer qu’elle a ! »
La sage Pénélope alors lui répondit :
« malheureux, ce n’est point indifférence ni hauteur,
Ni dépit de ma part : je sais ce que tu fus
Quand tu quittas Ithaque sur la barque aux longues rames.
Mais allons ! Euryclée, dresse le lit solide
Qu’il avait fait lui-même, hors de la forte chambre !
(…)
Elle parlait ainsi pour l’éprouver ; Ulysse alors,
En gémissant, dit à sa fidèle compagne :
Texte n°2
Saint jean le Baptiste, vingt-quatrième jour de juin
Dans un fracas, un cri grave come un râle, un souffle fort comme un coup de mistral,
le chêne du chevet de l’église future s’est abattu dans le soleil du matin, en soulevant un
nuage de poussière de fleurs. Nous l’avions sacrifié. Depuis trois jours, deux convers se sont
relayés, deux bourreaux de chêne. Joyeux, avec des « han » rauques, le grand Philippe et le
petit Bruno ont frappé à tour de rôle dans sa chair qui rougissait, une palie d’arbre. La peau
sombre, arrachée, découpée, sur tout le pourtour du tronc, découvrait les muscles, les nerfs et
les artères. La cognée, jetée vers le ciel, retombait en bruit mat entraînant les mains, les bras,
le torse et la tête de l’homme planté sur ses jambes fixées comme avec des racines. La cognée
tendue en haut, puis en bas, tirait les muscles longs de Philippe ; des muscles de lierre ou de
glycine, et ceux courts et noueux de Bruno, en racine de bruyère et d’Olivier. A cause de l’arme
forgée par Antime la lutte était inégale. Enfin, hier, le géant de cent pieds, de cent ans, s’est
laissé arracher à sa branche haute. Ce matin, c’était la fin. Comme des juges cruels, les bras
croisés, rangés le long du Champ nous étions tous descendus pour voir et pour aider. Lorsque
le moment fut venu, Luc attela les mules à la corde du milieu et les hommes s’emparèrent
des deux autres cordes. Philippe frappait au cœur, au premier craquement, tous ont tiré au
commandement de Luc. Au troisième effort, la cime oscilla, hésita le temps d’une respiration,
puis le grand mouvement s’amorça, tellement lent au début que çà n’en finissait pas, enfin de
plus en plus vite les branches et les feuilles balayèrent le ciel en tournant sur la rotule des
fibres. Un grand silence suivit. Dans ce désordre nouveau le chêne n’arrêtait plus de tenir de la
place, de compliquer le sol.
(…) Le chêne mutilé, resta seul, couché dans le cimetière. Dans un mois les plateaux, bien
calés pour sécher, seront rangés contre les ateliers. Dans dix ans, l’arbre abattu de la Saint-
Jean sera nos portes, nos tables, nos stalles.
Retrouvez Éduscol sur Fernand Pouillon, Les pierres sauvages, 1964.
Texte n°3
LE BANYAN
Le Banyan tire.
Ce géant ici, comme son frère de l’Inde, ne va pas ressaisir la terre avec ses mains,
mais, se dressant d’un tour d’épaule, il emporte au ciel ses racines comme des paquets
de chaîne. A peine le tronc s’est-il élevé de quelques pieds au-dessus du sol qu’il écarte
laborieusement ses membres, comme un bras qui tire avant le faisceau de cordes qu’il a
empoigné. D’un lent allongement le monstre qui hale se tend et travaille dans toutes les
attitudes de l’effort, si dur que la rude écorce éclate et que les muscles lui sortent de la peau.
Ce sont des poussées droites, des flexions et des arcs-boutements, des torsions de rein et
d’épaules, des détentes de jarret, des jeux de cric et de levier, des bras qui, en se dressant
et en s’embrassant, semblent enlever le corps de ses jointures élastiques. C’est un nœud de
pythons, c’est une hydre qui de la terre tenace s’arrache avec acharnement. On dirait que le
banyan lève un poids de la profondeur et le maintien de la machine de ses membres fendus.
Honoré de l’humble tribu, il est, à la porte des villages, le patriarche revêtu d’un
feuillage ténébreux. On a, à son pied, installé un fourneau à offrandes, et dans son cœur même
et l’écartement des branches, un autel, une poupée de pierre. Lui, témoin de tout le lieu,
possesseur du sol qu’il enserre du peuple de ses racines, demeure, et, où que son ombre se
tourne, soit qu’il reste seul avec les enfants, soit qu’à l’heure où tout le village se réunit sous
l’avancement tortueux de ses bois les rayons roses de la lune passant à travers des ouvertures
de sa voûte illuminent d’un dos d’or le conciliabule, le colosse, selon la seconde à ses siècles
ajoutée, persévère dans l’effort imperceptible.
Quelque part la mythologie honora les héros qui ont distribué l’eau à la région, et,
arrachant un grand roc, délivré la bouche obstruée de la fontaine. Je vois debout dans le
Banyan un Hercule végétal, immobile dans le monument de son labeur avec majesté. Ne
serait-ce pas lui, le monstre enchaîné, qui vainc l’avare résistance de la terre, par qui la
source sourd et déborde, et l’herbe pousse au loin, et l’eau est maintenue à son niveau dans la
rizière ? Il tire.
Paul Claudel, Connaissance de L’Est, 1907.
Texte n°4
Devant l’arc en plein cintre supporté par des colonnes doubles qui donne accès au
couvent de Mariabronn, un châtaignier, fils esseulé du Midi, apporté là jadis par un pèlerin
venu de Rome, dressait tout au bord du chemin son tronc puissant. Sa couronne arrondie
s’étendait au-dessus de la route en un geste de tendresse et respirait dans le vent comme
une poitrine qui s’enfle. Au printemps, alors que tout, autour de lui, était déjà verdoyant et que
les noyers du cloître avaient eux-mêmes revêtu leur jeune feuillage rougeâtre, ses feuilles se
faisaient attendre longtemps encore. Puis, à l’époque des nuits les plus courtes, il dressait
hors des touffes de feuilles, comme de pâles rayons blancs et verts, son étrange floraison.
À ses senteurs âcres et fortes les souvenirs se levaient, les cœurs se serraient. En octobre, la
cueillette des fruits et la vendange étaient déjà terminées quand, de sa couronne jaunissante,
tombaient dans le vent d’automne ses châtaignes hérissées de piquants qui ne mûrissaient
pas chaque année. Les gamins du couvent se battaient pour les ramasser et l’adjoint du prieur,
le père Grégoire, originaire du pays latin, les faisait griller au feu de sa cheminée. Au-dessus
de l’entrée du monastère il laissait lentement onduler sa nature, le bel arbre étranger au cœur
plein de tendresse, cet hôte un peu frileux venu d’un autre climat, que des liens mystérieux
apparentaient aux sveltes colonnettes de grès accouplées au portail, à la parure fleurissant
aux cintres des fenêtres, aux corniches et aux piliers ; chéri des Français et des Latins, cet
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Texte n°5
Le hêtre de la scierie n’avait pas encore certes, l’ampleur que nous lui voyons. Mais sa
jeunesse (…) ou plus exactement son adolescence était d’une carrure et d’une étoffe qui le
mettaient à cent coudées au-dessus de tous les autres arbres, même de tous les autres
arbres réunis. Son feuillage était d’un dru, d’une épaisseur, d’une densité de pierre, et sa
charpente (dont on ne pouvait rien voir, tant elle était couverte et recouverte de rameaux plus
opaques les uns que les autres) devait être d’une force et d’une beauté rares pour porter avec
tant d’élégance tant de poids accumulé. Il était surtout (à cette époque) pétri d’oiseaux et de
mouches ; il contenait autant d’oiseaux et de mouches que de feuilles. Il était constamment
charrué et bouleversé de corneilles, de corbeaux et d’essaims ; il éclaboussait à chaque
instant des vols de rossignols et de mésanges ; il fumait de bergeronnettes et d’abeilles ;
il soufflait des faucons et des taons ; il jonglait avec des balles multicolores de pinsons, de
roitelets, de rouges-gorges, de pluviers et de guêpes. C’était autour de lui une ronde sans
fin d’oiseaux, de papillons et de mouches dans lesquels le soleil avait l’air de se décomposer
en arcs-en-ciel comme à travers des jaillissements d’embruns. Et, à l’automne, avec ses
longs poils cramoisis, ses mille bras entrelacés de serpents verts, ses cent mille mains de
feuillages d’or jouant avec des pompons de plumes, des lanières d’oiseaux, des poussières
de cristal, il n’était pas vraiment un arbre. Les forêts, assises sur les gradins des montagnes,
finissaient par le regarder en silence. Il crépitait comme un brasier ; il dansait comme seuls
savent danser les êtres surnaturels, en multipliant son corps autour de son immobilité ; il
ondulait autour de lui-même dans un entortillement d’écharpes, si frémissant, si mordoré, si
inlassablement repétri par l’ivresse de son corps qu’on ne pouvait plus savoir s’il était enraciné
par l’encramponnement de prodigieuses racines ou par la vitesse miraculeuse de la pointe de
la toupie sur laquelle reposent les dieux.
Jean Giono, Un roi sans divertissement, 1948.
Annexe
La racine de l’Odyssée, c’est un olivier.
Cet olivier, Homère, j’en suis sûr, l’a rencontré dans un de ses voyages, et pourquoi
pas à Ithaque même ? Quel bel arbre ! Aussi fier, aussi pur, aussi radieux, j’allais dire
presque aussi saint, dans la force de sa fibre tendue, que l’un de ces êtres parfaits, de ces
irréprochables plants humains, dont l’art hellène a perpétué au milieu de nous le témoignage.
On parle d’un marin qui jette l’ancre, dit le poète, et moi, je vois ici un être vivant qui est
capable de m’enraciner pour à jamais avec lui à ce coin de propriété. De quelle intensité il
est attaché à ce qu’il aime et quelle éloquence de ce feuillage d’argent dans la lumière à
parler de ses racines ! Arbre sacré, enfant de Zeus, médiateur entre la substance et l’azur, ah
! Je le sens ! Désormais ce n’est plus à une autre industrie que la tienne que je demanderai
cette grâce qui est l’huile ! Ah ! Si les dieux m’avaient accordé une autre épouse que celle-ci
invisible, la Muse, en qui m’est dénié tout ce qui fait la vie des autres hommes, c’est à ton fût,
immortel, que je voudrais amarrer la couche nuptiale. De tes branches je ferais mon toit et
j’en enclorais l’ombre par un mur. Nul dans ce sanctuaire dont tu es l’âme ne serait admis
à pénétrer que moi seul et celle que j’aurais choisie. Et si le sort, un jour, pèlerin d’un rêve
inextricable, ne refusait pas au bâton de l’aveugle ce qu’il accorda à la rame du navigateur,
c’est là que m’attendrait, inviolablement fidèle entre les prétendants à l’époux, Pénélope, ma
patrie !
Paul Claudel, Préface à L’Odyssée, 1949.
L’opposition entre la nature sauvage et la nature maitrisée est une perspective pour parcourir la
Matière de Bretagne.
Si la symbolique semble évidente, avec d’un côté la forêt, lieu du merveilleux,
des créatures maléfiques et donc du Mal, et de l’autre côté le jardin, lieu de la
courtoisie, de la spiritualité et donc du Bien – représentation du paradis qui trouve
son achèvement dans le cloitre des monastères, les textes qui appartiennent à la
Matière de Bretagne dessinent un paysage plus complexe. Les forêts et les jardins
que parcourent les chevaliers se révèlent ambivalents. Si la forêt est le lieu commun
de l’aventure, des adversaires redoutables, pour Yvain comme pour Lancelot, elle
est aussi celui de la rencontre amoureuse (Laudine, Viviane). Si la forêt est l’espace
où les héros perdent leur humanité - ainsi d’Yvain dans sa folie, elle est aussi le lieu
où les héros se retranchent pour échapper à la violence du monde, comme Perceval
dissimulé aux dangers de la chevalerie, Tristan et Iseut réfugiés dans la forêt du Morois
pour vivre leur amour. Si le verger est associé à la courtoisie, lieu de l’Amour du Roman
de la Rose, il devient celui du danger pour Lancelot et Guenièvre ainsi que pour Tristan
et Iseut. Plus étonnant, dans Erec et Enéide, de Chrétien de Troyes, le verger nommé
« Joie de la Cour » se révèle en réalité le lieu d’une aventure merveilleuse, « un mal
trespas » dont les chevaliers ne reviennent pas.
Texte n°1
Je ne sais rien en matière d’aventures,
et je n’en ai jamais entendu parler.
Mais si tu voulais aller jusqu’à une fontaine près d’ici,
tu n’en reviendrais pas sans quelque difficulté
[...]
Près d’ici tu vas tout de suite trouver
un sentier qui t’y mènera.
Va tout droit et suis-le bien,
si tu ne veux pas gaspiller tes pas,
car tu pourrais facilement te fourvoyer :
il y a bien d’autres chemins.
Tu verras la fontaine qui bout,
et qui est pourtant plus froide que du marbre.
Le plus bel arbre que Nature
Texte n°2
Il marcha tant qu’il se trouva très loin
des tentes et des pavillons.
Alors il lui monte un tourbillon
dans la tête, si puissant qu’il perd la raison ;
puis il déchire ses vêtements et s’en dépouille
et s’enfuit par les champs et les vallées,
laissant ses gens en plein désarroi,
qui se demandent avec étonnement où il peut bien être.
[...]
Il eut suffisamment de raison
pour ravir au valet son petit arc
et les flèches qu’il tenait dans sa main.
Cependant il ne se souvenait plus
de quoi que ce fût qu’il ait pu faire auparavant.
II guette les bêtes dans les bois,
il les tue, et puis il mange
la venaison toute crue.
Il demeura si longtemps dans la forêt,
comme un homme privé de raison et sauvage.
[...]
L’ermite défrichait.
En voyant s’approcher cet être tout nu,
il put bien se rendre compte, sans le moindre doute.
qu’il était loin d’avoir toute sa raison.
[…]
Après avoir mangé, il se lance encore une fois
dans le bois, et il part en quête de cerfs et de biches.
Et l’homme de bien le craignait beaucoup ;
lorsqu’il le voit partir, il prie Dieu
de le protéger et de le prendre en Sa garde,
de manière à ce qu’il ne vienne plus de son côté,
Mais il n’y a aucune créature qui, si peu de sens qu’elle ait,
ne revienne volontiers
à l’endroit où on lui a fait du bien.
Par la suite, il ne se passa pas un jour entier,
aussi longtemps qu’il fut dans cette démence,
qu’il ne lui apportât quelque bête sauvage
jusque devant sa porte.
Voilà la vie qu’il mena alors.
Chrétien de Troyes, Le Chevalier au lion (Yvain), 1180.
Texte n°3
Le roi les conduit hors de la cité fortifiée
dans un verger proche ;
[...]
Mais je ne dois pas omettre,
sous le prétexte que cela fatiguerait et épuiserait ma langue,
de vous donner du verger une description
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Texte n°4
Et lui s’en va le long d’un sentier,
seul, sans aucune compagnie,
jusqu’au moment où il découvrit un lit en argent
couvert d’un drap à liseré d’or,
à l’ombre d’un sycomore
et, sur le lit, une demoiselle
au corps délicat et au visage empreint
de toutes les grâces imaginables.
Elle s’était assise là, toute seule.
[...]
Erec s’en approche,
car il voulut la voir de plus près.
Pendant ce temps, les gens vont s’asseoir
sous les arbres dans le verger.
Mais voici qu’arrive un chevalier
revêtu d’une armure vermeille,
un chevalier merveilleusement grand,
et s’il n’avait pas été d’une taille si inquiétante.
il n’y aurait eu sous le ciel plus bel homme que lui,
mais il était plus grand d’un pied,
au dire de tout le monde,
que nul autre chevalier connu.
Avant même qu’Erec l’eût vu,
il l’apostropha : « Vassal ! Vassal !
Vous êtes fou, sur le salut de mon âme,
d’avancer vers ma demoiselle.
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Texte n°5
Vous entendrez maintenant ce qui m’a retenu
si longtemps dans ce verger.
[...]
Cette demoiselle assise là
m’aima dès l’enfance, et je l’aimai en retour.
L’un et l’autre y trouvions notre plaisir
et l’amour crût et gagna en perfection
jusqu’au jour où elle me demanda
un don, mais sans le nommer.
Qui pourrait rien refuser à son amie ?
N’est pas ami celui qui ne fait pas
sur-le-champ toutes les volontés de son amie,
sans rien négliger et sans se ménager,
dès lors qu’il en a la possibilité.
Je l’assurai donc de faire sa volonté
[...]
Je lui promis, mais quoi ? Je ne le sus.
Puis voilà qu’arriva le jour où je devins chevalier :
le roi Evrain, dont je suis le neveu,
m’adouba en présence de nombreux gentilshommes
dans ce verger où nous nous trouvons maintenant
Ma demoiselle qui est assise là
me rappela aussitôt ma parole,
me disant que je lui avais promis
de ne jamais quitter ce verger,
avant que n’y arrivât un chevalier
qui pût me vaincre par les armes.
[…]
Ainsi, ma demoiselle pensa
me retenir pour un long séjour,
car elle n’imaginait pas qu’un jour viendrait
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Texte n°6
il advint qu’un matin Fénice
entendit chanter le rossignol.
Un bras autour de la taille, l’autre autour du cou,
Cligès l’enlaçait avec douceur
et elle lui pareillement.
Elle lui a dit : « Cher et doux ami,
prendre du bon temps,
dans un verger me ferait du bien.
Je n’ai vu briller lune ni soleil
depuis plus de quinze bons mois.
S’il se pouvait, j’aurais plaisir
à voir dehors la lumière du jour,
car je suis claustrée dans cette tour.
S’il existait près d’ici un verger
où je puisse aller me distraire,
cela me ferait souvent grand bien.
[...]
et il va ouvrir une porte,
mais je ne saurais vous décrire
la façon dont elle était faite.
Lui seul était capable de la faire.
Personne n’aurait eu l’idée
qu’il y eût là ouverture ou fenêtre,
aussi longtemps que la porte était fermée
tant elle était bien camouflée.
[...]
Par la porte elle entre dans le verger
qui est conforme à ses désirs.
Au milieu du verger se trouvait une ente
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Texte n°7
Derrière le château de Tintagel, un verger s’étendait, vaste et clos de fortes palissades. De
beaux arbres y croissaient sans nombre, chargés de fruits, d’oiseaux et de grappes odorantes.
Au lieu le plus éloigné du château, tout auprès des pieux de la palissade, un pin s’élevait, haut
et droit, dont le tronc robuste soutenait une large ramure. À son pied, une source vive : l’eau
s’épandait d’abord en une large nappe, claire et calme, enclose par un perron de marbre
; puis, contenue entre deux rives resserrées, elle courait par le verger et, pénétrant dans
l’intérieur même du château, traversait les chambres des femmes. Or, chaque soir, Tristan,
par le conseil de Brangien, taillait avec art des morceaux d’écorce et de menus branchages.
Il franchissait les pieux aigus, et, venu sous le pin, jetait les copeaux dans la fontaine. Légers
comme l’écume, ils surnageaient et coulaient avec elle, et, dans les chambres des femmes,
Iseut épiait leur venue. Aussitôt, les soirs où Brangien avait su écarter le roi Marc et les félons,
elle s’en venait vers son ami.
Elle s’en vient, agile et craintive pourtant, guettant à chacun de ses pas si des félons se sont
embusqués derrière les arbres. Mais, dès que Tristan l’a vue, les bras ouverts, il s’élance vers
elle. Alors la nuit les protège et l’ombre amie du grand pin.
[…]
Le roi fit ainsi, contre son cœur. La nuit tombée, il laissa ses veneurs dans la forêt, prit le nain
en croupe, et retourna vers Tintagel. Par une entrée qu’il savait, il pénétra dans le verger, et le
nain le conduisit sous le grand pin.
« Beau roi, il convient que vous montiez dans les branches de cet arbre. Portez là-haut votre
arc et vos flèches : ils vous serviront peut-être. Et tenez-vous coi : vous n’attendrez pas
longuement. »
[…]
Cette nuit, la lune brillait, claire et belle. Caché dans la ramure, le roi vit son neveu bondir
par-dessus les pieux aigus. Tristan vint sous l’arbre et jeta dans l’eau les copeaux et les
branchages. Mais, comme il s’était penché sur la fontaine en les jetant, il vit, réfléchie dans
l’eau, l’image du roi. Ah ! s’il pouvait arrêter les copeaux qui fuient ! Mais non, ils courent,
rapides, par le verger. Là-bas, dans les chambres des femmes, Iseut épie leur venue ; déjà,
sans doute, elle les voit, elle accourt. Que Dieu protège les amants ! Elle vient. Assis, immobile,
Tristan la regarde, et, dans l’arbre, il entend le crissement de la flèche, qui s’encoche dans la
corde de l’arc.
Elle vient, agile et prudente pourtant, comme elle avait coutume. « Qu’est-ce donc ? pense-t-
elle. Pourquoi Tristan n’accourt-il pas ce soir à ma rencontre ? aurait-il vu quelque ennemi ? »
Elle s’arrête, fouille du regard les fourrés noirs ; soudain, à la clarté de la lune, elle aperçut à
son tour l’ombre du roi dans la fontaine. Elle montra bien la sagesse des femmes, en ce qu’elle
ne leva point les yeux vers les branches de l’arbre :
« Seigneur Dieu ! dit-elle tout bas, accordez-moi seulement que je puisse parler la première !»
Elle s’approche encore. Écoutez comme elle devance et prévient son ami :
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« Sire Tristan, qu’avez-vous osé ? M’attirer en tel lieu, à telle heure ! Maintes fois déjà vous
m’aviez mandée, pour me supplier, disiez-vous. Et par quelle prière ? Qu’attendez-vous de
moi ? Je suis venue enfin, car je n’ai pu l’oublier, si je suis reine, je vous le dois. Me voici donc :
que voulez-vous ?
– Reine, vous crier merci, afin que vous apaisiez le roi ! »
Joseph Bédier, Le roman de Tristan et Iseut, 1900.
Texte n°8
Au fond de la forêt sauvage, à grand ahan, comme des bêtes traquées, ils errent, et rarement
osent revenir le soir au gîte de la veille. Ils ne mangent que la chair des fauves et regrettent
le goût de sel. Leurs visages amaigris se font blêmes, leurs vêtements tombent en haillons,
déchirés par les ronces. Ils s’aiment, ils ne souffrent pas.
Un jour, comme ils parcouraient ces grands bois qui n’avaient jamais été abattus, ils arrivèrent
par aventure à l’ermitage du Frère Ogrin.
[...]
– Me repentir, sire Ogrin ? De quel crime ? Vous qui nous jugez, savez-vous quel boire nous
avons bu sur la mer ? Oui, la bonne liqueur nous enivre, et j’aimerais mieux mendier toute ma
vie par les routes et vivre d’herbes et de racines avec Iseut, que sans elle être roi d’un beau
royaume.
[…]
Iseut se releva ; ils se prirent par les mains. Ils entrèrent dans les hautes herbes et les
bruyères ; les arbres refermèrent sur eux leurs branchages ; ils disparurent derrière les
frondaisons.
[…]
L’été s’en va, l’hiver est venu. Les amants vécurent tapis dans le creux d’un rocher : et sur le
sol durci par la froidure, les glaçons hérissaient leur lit de feuilles mortes. Par la puissance de
leur amour, ni l’un ni l’autre ne sentit sa misère.
Mais quand revint le temps clair, ils dressèrent sous les grands arbres leur hutte de branches
reverdies. Tristan savait d’enfance l’art de contrefaire le chant des oiseaux des bois ; à son gré,
il imitait le loriot, la mésange, le rossignol et toute la gent ailée ; et, parfois, sur les branches
de la hutte, venus à son appel, des oiseaux nombreux, le cou gonflé, chantaient leurs lais dans
la lumière. Les amants ne fuyaient plus par la forêt, sans cesse errants ; car nul des barons ne
se risquait à les poursuivre, connaissant que Tristan les eût pendus aux branches des arbres.
Joseph Bédier, Le roman de Tristan et Iseut, 1900.
Annexe
Ce jardin ainsi livré à lui-même depuis plus d’un demi-siècle était devenu extraordinaire et
charmant. Les passants d’il y a quarante ans s’arrêtaient dans cette rue pour le contempler,
sans se douter des secrets qu’il dérobait derrière ses épaisseurs fraiches et vertes. Plus d’un
songeur à cette époque a laissé bien des fois ses yeux et sa pensée pénétrer indiscrètement
à travers les barreaux de l’antique grille cadenassée, tordue, branlante, scellée à deux piliers
verdis et moussus, bizarrement couronnée d’un fronton d’arabesques indéchiffrables.
Il y avait un banc de pierre dans un coin, une ou deux statues moisies, quelques treillages
décloués par le temps pourrissant sur le mur; du reste plus d’allées ni de gazon ; du chiendent
partout. Le jardinage était parti, et la nature était revenue. Les mauvaises herbes abondaient,
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aventure admirable pour un pauvre coin de terre. La fête des giroflées y était splendide. Rien
dans ce jardin ne contrariait l’effort sacré des choses vers la vie ; la croissance vénérable était
là chez elle. Les arbres s’étaient baissés vers les ronces, les ronces étaient montées vers
les arbres, la plante avait grimpé, la branche avait fléchi, ce qui rampe sur la terre avait été
trouver ce qui s’épanouit dans l’air, ce qui flotte au vent s’était penché vers ce qui se traine
dans la mousse ; troncs, rameaux, feuilles, fibres, touffes, vrilles, sarments, épines, s’étaient
mêlés, traversés, mariés, confondus ; la végétation, dans un embrassement étroit et profond,
avait célébré et accompli là, sous l’œil satisfait du créateur, en cet enclos de trois cents
pieds carrés, le saint mystère de sa fraternité, symbole de la fraternité humaine. Ce jardin
n’était plus un jardin, c’était une broussaille colossale, c’est-à-dire quelque chose qui est
impénétrable comme une forêt, peuplé comme une ville, frissonnant comme un nid, sombre
comme une cathédrale, odorant comme un bouquet, solitaire comme une tombe, vivant
comme une foule.
Victor Hugo, Les Misérables, 1862.
Corpus :
La poésie baroque, l’homme et la nature
La nature versatile que le poète baroque observe autour de lui fait écho à sa propre nature incer-
taine et changeante. Il comprend qu’il fait partie intégrante d’un monde en perpétuelle mutation
dont le sens profond lui échappe. Il part donc à l’aventure d’un monde instable et mouvant, d’une
vie multiple et inconstante qui lui permettra, tout en saisissant l’aspect fugace des choses, de
mieux se connaître et se comprendre.
Il sait qu’il n’y a pas de monde plus inconnu que le monde qui l’entoure. La fragilité de la vie et
l’inconstance de l’univers interrogent de façon nouvelle une nature à la fois proche et lointaine
qui devient à elle seule un univers de signes mystérieux. L’eau en mouvement est à ce titre une
matière privilégiée : elle est mobile et plastique, propre aux métamorphoses. Elle est aussi le
lieu des reflets et des miroitements et des figures renversées. L’association des motifs de l’eau
et du miroir suscite aussi l’incertitude car on ne sait plus laquelle des images est le reflet de
l’autre. Les identités deviennent changeantes, ce qui n’est pas sans déplaire au poète qui prend
alors l’apparence pour le réel. De même, les nuages et autres arcs-en-ciel sont des images dans
l’air, mondes illusoires et constructions de vapeurs qu’un coup de vent dissipe. Si leur fragilité
rappelle celle de la vie humaine, leurs demi-teintes et leurs couleurs brouillées exercent une
certaine fascination, celle du beau mensonge.
Des activités autour des aspects prosodiques peuvent être une entrée à privilégier. Le travail sur
l’accumulation des métaphores permet d’élargir la réflexion à la structure même des poèmes,
structure ouverte qui favorise la propagation en chaine des images et qui donne l’impression
que le poème est en train de se faire. Un travail de mise en voix par le repérage des groupes
syntaxiques peut sensibiliser les élèves à l’idée que le poème est une métamorphose continue.
Enfin, une entrée par l’histoire des arts permet de mettre en relation les œuvres littéraires et
artistiques et de mieux faire comprendre la singularité et l’impact du mouvement baroque. Cette
approche par les arts peut aussi faciliter un travail d’imitation, de transposition, ainsi que des
jeux poétiques autour de certains thèmes et motifs liés à l’environnement familier des élèves.
Tous les poèmes sont extraits de l’Anthologie de la poésie baroque française de Jean Rousset,
publiée aux éditions Armand Colin, collection U, à Paris, en 1968 (édition revue).
Texte n°1
L’eau change tous les jours
Assieds-toi sur le bord d’une ondante rivière
Tu la verras fluer d’un perpétuel cours,
Et flots sur flots roulant en mille et mille tours
Décharger par les prés son humide carrière.
Texte n° 2
Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage
Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage,
Et la mer est amère, et l’amour est amer,
L’on s’abîme en l’amour aussi bien qu’en la mer,
Car la mer et l’amour ne sont point sans orage.
Texte n°3
(…) Lorsque sur ce château la lune se fait voir,
En éclaire une part, en peint l’autre de noir,
Je pense voir deux temps que confond la Nature.
Le jour est d’un côté, d’autre la nuit obscure.
Quel miracle! Qu’ensemble ici règnent sans bruit
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Texte n°4
L’hyver des Alpes
Ces atomes de feu qui sur la neige brillent,
Ces estincelles d’or, d’azur et de cristal
Dont l’hyver, au soleil, d’un lustre oriental
Pare ses cheveux blancs que les vents esparpillent ;
Texte n° 5
L’Arc-en-ciel
Le bel astre du jour dans le sein de l’orage
Nous forme tout-à-coup ce lumineux tableau,
Et, tout-à-coup, aussi, le couvrant d’un rideau,
Il dérobe à nos yeux son inconstant ouvrage.
Texte n°1
Inutile d’ajouter que cette forêt, aussi bien que la côte parcourue, était vierge de toute
empreinte humaine. Pencroff n’y remarqua que des traces de quadrupèdes, des passées
fraîches d’animaux, dont il ne pouvait reconnaître l’espèce. Très certainement (…) quelques-
unes avaient été laissées par des fauves formidables avec lesquels il y aurait à compter sans
doute ; mais nulle part la marque d’une hache sur un tronc d’arbre, ni les restes d’un feu
éteint, ni l’empreinte d’un pas ; ce dont on devait se féliciter peut-être, car sur cette terre, en
plein Pacifique, la présence de l’homme eût été peut-être plus à craindre qu’à désirer.
Harbert et Pencroff, causant à peine, car les difficultés de la route étaient grandes,
n’avançaient que fort lentement, et, après une heure de marche, ils avaient à peine franchi
un mille. Jusqu’alors, la chasse n’avait pas été fructueuse. Cependant, quelques oiseaux
chantaient et voletaient sous la ramure, et se montraient très farouches, comme si l’homme
leur eût instinctivement inspiré une juste crainte. Entre autres volatiles, Harbert, signala
dans une partie marécageuse de la forêt, un oiseau à bec aigu et allongé, qui ressemblait
anatomiquement à un martin-pêcheur. Toutefois, il se distingua de ce dernier par son plumage
assez rude, revêtu d’un éclat métallique.
(…) L’exploration continua. A mesure que les chasseurs s’avançaient, les arbres, plus espacés,
devenaient magnifiques, mais aucun ne produisait de fruits comestibles. Pencroff cherchait
vainement quelques-uns de ces précieux palmiers qui se prêtent à tant d’usages de la vie
domestique, et dont la présence a été signalée jusqu’au 40e parallèle dans l’hémisphère
boréal et jusqu’au 35e dans l’hémisphère austral. Mais cette forêt ne se composait que de
conifères, tels que les déodars, déjà reconnus par Harbert, des « douglas », semblables à ceux
qui poussent sur la côte nord-ouest de l’Amérique, et des sapins admirables, mesurant cent
cinquante pieds de hauteur.
En ce moment, une volée d’oiseaux de petite taille et d’un joli plumage, à queue longue et
chatoyante, s’éparpillèrent entre les branches, semant leurs plumes, faiblement attachées, qui
couvrirent le sol d’un fin duvet. Harbert ramassa quelques-unes de ces plumes, et, après les
avoir examinées :
« Ce sont des « couroucous », dit-il.
- Je leur préfèrerais une pintade ou un coq de bruyère, répondit Pencroff ; mais enfin, s’ils sont
bons à manger ?
- Ils sont bons à manger, et même leur chair est très délicate, reprit Harbert. D’ailleurs, si je
ne me trompe, il est facile de les approcher et de les tuer à coups de bâton. »
Jules Verne, L’île mystérieuse, 1875.
Texte n°2
Jack était courbé en deux, les muscles bandés comme un coureur, le nez touchant presque
la terre humide. Les grands troncs drapés de lianes s’estompaient dans une ombre verdâtre
très haut au-dessus de sa tête ; le sous-bois l’enserrait de toutes parts. Ici, la piste devenait
presqu’invisible ; une brindille cassée et une marque qui ressemblait à l’empreinte d’une
moitié de sabot. Il baissa la tête et scruta les indices comme s’il voulait les forcer à parler.
Puis, à quatre pattes comme un chien, insensible à l’inconfort de sa position, il progressa de
quelques mètres et s’arrêta. La nodosité d’une liane formant arceau laissait pendre une vrille
polie par le passage des cochons sauvages.
Jack s’accroupit, le visage à quelques centimètres de cet indice, puis son regard se fixa devant
lui, dans la demi-obscurité du sous-bois. Ses cheveux, d’un blond-roux, avaient beaucoup
poussé et pris une teinte plus claire ; de nombreuses tâches de rousseur couvraient son dos
nu où la peau pelait sous les coups de soleil. Il serrait dans sa main droite un épieu d’un mètre
cinquante ; il ne portait qu’un short en lambeaux retenu à la taille par un ceinturon garni d’un
coutelas. Il ferma les yeux, leva la tête, et les narines palpitantes, aspira doucement l’air chaud
pour en tirer une indication. La forêt était aussi immobile que lui.
Enfin, il libéra son souffle en un long soupir et rouvrit des yeux très bleus. D’exaspération, ils
semblaient lui sortir de la tête. Il lécha ses lèvres sèches et observa la forêt réticente. Alors, il
reprit sa marche furtive, les yeux rivés au sol.
Le silence de la forêt l’oppressait plus que la chaleur ; à cette heure-là, on n’entendait même
pas le vrombissement des insectes ? Il fallut que Jack fît lever un oiseau multicolore d’un nid
rudimentaire en brindilles pour que le silence fût brisé et l’écho réveillé par un cri strident
qui semblait monter de la nuit des temps. Jack lui-même en fut impressionné et il en eut le
souffle coupé ; l’espace d’une seconde, il cessa d’être un chasseur pour devenir une ombre
furtive qui se glissait, tel un gorille, dans l’épaisse végétation.
William Golding, Sa Majesté des Mouches, 1954 (présente édition folio junior Gallimard, 1992).
Texte n°3
En somme, il en résultait ce témoignage indubitable, que, dans le monde, il n’est point de
condition si misérable où il n’y ait quelque chose de positif ou de négatif dont on doit être
reconnaissant. Que ceci demeure donc comme une leçon tirée de la plus affreuse de toutes
les conditions humaines, qu’il est toujours en notre pouvoir de trouver quelques consolations
qui peuvent être placées dans notre bilan des biens et des maux au crédit de ce compte.
Ayant alors accoutumé mon esprit à goûter ma situation, et ne promenant plus mes regards
en mer dans l’espoir d’y découvrir un vaisseau, je commençais à m’appliquer à améliorer mon
genre de vie, et à me faire les choses aussi douces que possibles.
J’ai déjà décrit mon habitation ou ma tente, placée au pied d’une roche, et environnée d’une
forte palissade de pieux er de câbles, que, maintenant, je devrais plutôt appeler une muraille,
car je l’avais renfermée, à l’extérieur, d’une sorte de contre-mur de gazon d’à peu près deux
pieds d’épaisseur. Au bout d’un an et demi environ je posai contre ce contre-mur des chevrons
s’appuyant sur le roc, et que je couvris de branches d’arbres et de tout ce qui pouvait garantir
de la pluie, que j’avais reconnue excessive en certains temps de l’année.
J’ai raconté de quelle manière j’avais apporté tous mes bagages dans mon enclos, et dans la
grotte que j’avais faite par derrière ; mais je dois dire aussi que ce n’était d’abord qu’un amas
confus d’effets dans un tel désordre qu’ils occupaient toute la place, et me laissaient à peine
assez d’espace pour me remuer. Je me mis donc à agrandir ma grotte.
(…) J’entrepris alors de fabriquer les meubles indispensables dont j’avais le plus besoin,
spécialement une chaise et une table. Sans cela je ne pouvais jouir du peu de bien-être que
j’avais en ce monde ; sans une table, je n’aurais pu écrire ou manger, ni faire quantité de
choses avec tant de plaisir.
Daniel Defoe, Robinson Crusoe, 1719.
Texte n°4
Il s’en fallait pourtant que l’île lui parût désormais comme une terre sauvage qu’il
aurait su maîtriser, puis apprivoiser pour en faire un milieu tout humain. Il ne se passait pas
de jour que quelque incident surprenant ou sinistre ne ravive l’angoisse qui était née en lui à
l’instant où, ayant compris qu’il était le seul survivant du naufrage, il s’était senti orphelin de
l’humanité. Le sentiment de sa déréliction assagi par la vue de ses champs labourés, de son
enclos à chèvres, de la belle ordonnance de son entrepôt, de la fière allure de son arsenal, lui
sauta à la gorge le jour où il surprit un vampire accroupi sur le garrot d’un chevreau qu’il était
en train de vider de son sang. Les deux ailes griffues et déchiquetées du monstre couvraient
comme d’un manteau de mort la bestiole qui vacillait de faiblesse. Une autre fois, alors qu’il
cueillait des coquillages sur des rochers à demi immergés, il reçut un jet d’eau en pleine
figure. Un peu étourdi par le choc, il fit quelques pas, mais il fur aussitôt arrêté par un second
jet qui l’atteignit derechef au visage avec une diabolique précision. Aussitôt la vieille angoisse
bien connue et si redoutée lui mordit le foie. Elle ne relâcha son étreinte qu’à moitié, lorsqu’il
eut découvert dans une anfractuosité du rocher un petit poulpe gris qui avait l’étonnante
faculté d’envoyer de l’eau grâce à une manière de siphon dont il pouvait faire varier l’angle de
tir.
Il avait fini par se résigner à la surveillance implacable qu’il subissait de la part de son
« conseil d’administration », comme il continuait à appeler le groupe de vautours qui
paraissait s’être attachés à sa personne. Où qu’il aille, quoi qu’il fasse, ils étaient là, bossus,
goitreux et pelés, guettant – non certes sa propre mort comme il s’en persuadait dans ses
moments de dépression, mais tous les débris comestibles qu’il semait dans sa journée.
Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique, 1972.
Panels de lecture
Récits
Tobie Lolness, Timothée de Fombelle, Gallimard jeunesse, (tome 1 : 2006, tome 2 : 2007)
Tobie, treize ans, fait partie du peuple de l’arbre, où chacun a sa place. Le père de Tobie, Sim
Lolness, grand savant, refuse de révéler sa dernière découverte scientifique qui pourrait
menacer la vie de l’arbre si elle tombait entre de mauvaises mains. Les parents de Tobie sont
jetés en prison. Tobie réussit à s’enfuir, mais il est pourchassé par Jo Mitch et ses hommes qui
créent un climat de terreur... Tobie est seul, mais il est déterminé à survivre et à sauver ses
parents...
La construction narrative est complexe car elle ne suit pas la chronologie - d’où la difficulté de
lecture.
est créé, parfait ensuite pour la mise en place d’un univers de science-fiction gigantesque et
glacial, et pour évoquer la vie solitaire, mécanique, d’un petit garçon délaissé par sa mère
qui travaille. Dans ces conditions, la jolie Céleste va constituer son rayon de soleil, avant
de devenir un mystère – elle ne dira pas un mot de tout le roman –, puis une obsession. Il
découvre qu’elle s’affaiblit, victime symbolique de la pollution de la planète : les taches sur
son corps représentent en effet les contours des pays ou continents les plus atteints. Un
dilemme se pose alors à lui : doit-il alerter toute la population pour l’inciter à de nouveaux
comportements, ou peut-il, par la seule force de son amour et de ses soins, sauver la jeune
fille ? De son écriture à la fois simple et poétique, Timothée de Fombelle propose un beau
conte philosophique, écologique, dans la lignée de Tobie Lolness, mais plus grave. Les
illustrations de Julie Ricossé nous montrent des héros quasiment adultes, en gros plan, dans
des positions figées mais expressives, qui conviennent bien à l’atmosphère d’urgence du texte.
En parallèle de la médiatisation autour d’un développement durable, une littérature se crée
depuis quelques années.
Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler, Luis Sepùlveda, Ed. Métailié, 2004.
Kengah, la mouette aux plumes argentées, se trouve engluée dans une nappe de pétrole. Dans
un ultime effort, elle parvient à s’échouer sur le balcon d’une maison où vit Zorbas, le chat
noir et gros. Celui-ci lui promet de couver son dernier œuf, de protéger le poussin et de lui
apprendre à voler. Tous les chats du port de Hambourg vont se mobiliser pour l’aider à tenir
ces promesses insolites.
Deux cultures asiatiques, l’une rurale et l’autre urbaine ; des environnements impitoyables
marqués par la faim et la violence ; des pouvoirs publics absents ou qui nient les faits. Des
récits efficaces et précis sans discours écologique, qui terminent sur une note d’optimisme :
les industriels sont identifiés et leur négligence sanctionnée, l’espoir de vie des héros est plus
fort que la catastrophe.
Un appel choc à la vigilance écologique sans pessimisme.
Roman d’anticipation et d’aventure très réussi, sur des thèmes ancrés dans notre société :
l’écologie, la manipulation de l’opinion publique, l’immigration... Les éléments fantastiques
n’entament pas la vraisemblance du récit, qui donne même quelques frissons dans le contexte
actuel d’alerte écologique.
Premier tome d’une tétralogie (« Océania ») dont le deuxième tome perd un peu en force et en
vraisemblance, mais qu’on aura du mal à lâcher avant la fin.
Un ouvrage d’abord facile, dont les thèmes correspondent aux préoccupations actuelles :
écologie, préservation de notre environnement, etc.
Itawapa, Xavier-Laurent Petit, L’Ecole des loisirs, 2015
Une jeune fille part à la recherche de sa mère anthropologue et découvre les problèmes des
Indiens d’Amazonie.
Une approche humaine des problèmes liés à la déforestation et du génocide des Indiens.
Reborn, Thierry Robberecht, Mijade, 2013
2064. Suite à la montée inexorable des eaux, la Terre devient progressivement inhabitable. Les
plus riches qui ont pu survivre en payant le voyage vers une nouvelle planète, « Reborn », en
refusent désormais l’accès aux nouveaux immigrants. Les parents de Chuong doivent s’exiler
et payent les services d’un passeur mais se font arrêter dès leur arrivée sur Reborn. Que va
devenir Chuong sur cette planète où il est pourchassé car considéré comme un invasif ?
Un récit de science-fiction agréable à lire, avec un bon rythme et des notations évocatrices
à propos d’un monde futur pas si lointain. Les adolescents devraient pouvoir facilement
s’identifier à Chuong et s’intéresser à son sort. Certes il s’agit de science-fiction mais ce cadre
est dépassé par des considérations plus générales et tout à fait accessibles aux adolescents
sur la violence, l’accueil de l’autre ou les manipulations politiques. C’est un livre qui devrait
captiver et faire réfléchir ses jeunes lecteurs.
Nouvelles vertes, Pierre Bordage, Ed. Thierry Magnier, 2015
Neuf nouvelles pour prendre conscience de la fragilité de la Terre. L’écologie c’est pour
aujourd’hui, la planète est en danger. Surexploitation des forêts tropicales, réchauffement de
la planète, disparition d’espèces animales et végétales, usage massif de sacs plastiques... Les
conséquences seront peut-être désastreuses à très court terme, et cela nous concerne tous. Il
est urgent de réagir. Afin que personne ne dise un jour «Je ne savais pas», chacun des auteurs
a choisi un thème qui lui est cher pour lancer un cri d’alerte.
La vallée du vent est un petit royaume à la population d’à peine cinq cents personnes, protégé
tant bien que mal par un vent marin des pollutions de la mer de décomposition.
Pompoko, Isao Takahata, Glénat 2006
Menacés de perdre leur espace vital en raison de l’urbanisation humaine sauvage, des
tanuki, chiens de prairie vivant en communauté, essaient de retrouver leur talent perdu de
métamorphose afin d’effrayer et de repousser les humains. Malheureusement, ne survivent
encore que quelques grands maitres. Les tanuki envoient alors des émissaires dans tout le
Japon pour les retrouver.
Cette fable drôle et émouvante, réalisée par Isao Takahata (Le Tombeau des Lucioles) a connu
un succès phénoménal au Japon et a obtenu le Grand Prix du Festival d’Annecy en 1995.
Daisy, lycéenne à Fukushima, Reiko Momochi, Ed. Akata, 2014
Depuis le terrible tsunami qui a frappé Fukushima, Fumi n’ose plus sortir de chez elle, trop
inquiète pour sa santé, à cause des éventuelles radiations émises par la centrale. Pourtant,
en dernière année de lycée, il faudra bien qu’elle se décide à retourner en cours. Mais est-il
seulement possible de recommencer à vivre et de faire comme si de rien n’était, quand même
une simple pluie représente la menace d’une contamination radioactive ? Heureusement, elle
pourra compter sur Moé, Ayaka et Mayu, ses trois meilleures amies. Ensemble, elles comptent
bien profiter de la vie, et surtout sortir toutes diplômées du lycée ! Elles décident alors de
créer un groupe de musique, Daisy, pour se redonner du courage. Mais très vite, la réalité les
rattrape.
Dans la deuxième liste proposée, il s’agit d’avantage d’interroger la condition de l’homme face à
une nature toute-puissante qui malgré tout reprend ses droits sur lui. À travers des œuvres de
fiction, des témoignages, des ouvrages documentaires, s’engage une réflexion complémentaire
sur la condition fragile de l’homme face à la nature.
Récits
On part vivre sur une ile déserte, Philippe Laborde et Jacques Van Geen, Gallimard Jeunesse,
2013
«En sortant de l’eau, on n’avait rien sur nous, pas même un couteau ou un briquet... Tous les
six, on allait tout devoir trouver sur place, tout fabriquer, tout construire et tout réinventer.
Voilà comment on a fait pour se nourrir, pêcher, s’abriter, se soigner, et même pour s’amuser
et faire la fête. Ça n’a pas toujours été facile, mais c’est comme ça qu’on a vécu heureux,
ensemble, sur cette île, qui est devenue la nôtre.»
Ouvrage documentaire conçu comme un carnet de bord illustré qui fourmille d’idées et de
conseils pour les Robinson qui ont soif de nature et d’aventures !
Tempêtes, Hanno, Ed. Thierry Magnier, 2006
Moi, j’aime bien les colos. Mais cette fois-là, tout avait capoté dès le départ. On était trois,
on ne se connaissait pas. Rose, Tahar et moi, seulement réunis par la même idée stupide
de descendre du train au milieu de nulle part, sous prétexte qu’il est arrêté et que la porte
est ouverte. Que le train reparte sans vous et vous laisse paumés en pleine forêt, niveau
sensations, c’est déjà pas mal. Mais si en plus la nature tout entière a décidé de vous tomber
dessus, alors là, ça dépasse carrément les bornes.
quatre enfants pour le Canada, en quête d’une vie meilleure. Après une traversée difficile,
la famille parvient enfin à bon port. On leur attribue, comme à tous les émigrants irlandais
qui arrivent en nombre, une concession. Là, ils doivent recommencer leur vie : construire
leur maison avant l’arrivée de l’hiver, subsister par tous les moyens, grâce aux ressources de
l’immense forêt. Mais les Indiens ne voient pas d’un bon œil ces nouveaux arrivants...
Ce recueil contient : Le fils du loup ; Bâtir un feu ; Chris Farrington, un vrai marin ; Les
terribles iles Salomon ; Repousser un abordage. Des neiges du Yukon aux vastes océans,
London relate, à travers trois nouvelles du Grand Nord et trois nouvelles maritimes, les
aventures d’hommes aux prises avec une nature sauvage et souvent cruelle.
Typhon, Joseph Conrad, Gallimard, 1973
Le vapeur Nan-Shan vogue sur la mer de Chine avec sa cargaison de coolies. Le capitaine
Mac Whirr, esprit héroïque et borné, son jeune second Jukes, homme de bonne volonté mais
encore friable, et l’excellent chef mécanicien Solomn Rout, exercent à son bord les principales
fonctions. Ils vont affronter la terrifiante épreuve d’un typhon. Ils y survivront, de même que
le navire, l’équipage et les coolies ; mais tous auront été transformés par de surhumaines
difficultés. Un chef-d’œuvre en miniature.
César, le chef de famille, décide de regagner le sol natal en roulotte, d’abord par le détroit de
Behring pris dans les glaces, puis en regagnant la Sibérie et la Russie.
Récit qui s’accorde au programme de géographie et d’éducation civique de 5e mais qui peut
être proposé à d’autres niveaux. Intéressant de la 6e (bons lecteurs ou lecture accompagnée) à
la 3e.
Un récit stimulant qui invite à une réflexion sur la notion de progrès humain.
Voici, présenté sous un format bande dessinée, le dernier film de Hayao Miyazaki (Mon Voisin
Totoro, Porco Rosso), l’un des plus grands réalisateurs du cinéma d’animation. Acclamé par
le public et la critique, Princesse Mononoke représente le couronnement de son travail; cette
série en quatre volumes reprenant les images et les dialogues du film permet ainsi au lecteur
de se replonger dans l’univers merveilleux de cette œuvre unique.
Le Sommet des dieux, Baku Yumemakura, Jirô Tanigushi, Ed. Dargaud, 2004
Un manga à vous couper le souffle ! Dans une petite boutique népalaise, Fukamachi tombe
sur un appareil photo qui pourrait bien être celui de George Mallory, le célèbre alpiniste qui fut
le premier à essayer de vaincre l’Everest. Mallory disparut avec Andrew Irvine, lors de cette
ascension en 1924, sans que l’on puisse savoir s’ils sont parvenus au sommet. Et si c’était
seulement lors du chemin du retour qu’ils avaient eu cet accident fatal ? Cela changerait
l’histoire de l’alpinisme ! C’est sur cette passionnante question que s’ouvre le chemin
initiatique de Fukamachi qui sera amené à faire la rencontre de figures hautes en couleurs.
Le dépassement de soi, l’aventure, la passion de la montagne sont les leitmotivs de cette
Retrouvez Éduscol sur
formidable aventure signée Jirô Taniguchi !
Sur les bords du monde, Olivier Frasier, Jean-François Henry, Jacques Malaterre,
Hervé Richez, Bamboo Edition, 2014
Depuis l’appareillage de L’Endurance le 5 décembre 1914 pour rejoindre le Pôle Sud, le périple
ne s’est pas déroulé tout à fait comme prévu pour l’ensemble de l’équipage... Contraints
d’abandonner leur navire pris dans la glace, les hommes de Sir Ernest Shackleton doivent
poursuivre l’expédition à pied. Situés encore à plusieurs milles de leur objectif, exténués,
démotivés, affamés, ils ne sont pas au bout de leurs souffrances pour atteindre les bords du
monde... Le vent glacial du dénouement souffle sur ce dernier tome où la réalité des faits
repousse les limites de l’aventure fictionnelle...
Supports
• Jack London, Construire un feu (1902), traduit de l’anglais par Paul Gruyer et Louis Postif,
traduction revue et complétée par Frédéric Klein, édition Phébus, collection Libretto, 2007 ;
• Jack London, Construire un feu (1908), traduit de l’anglais par Paul Gruyer et Louis Postif,
traduction revue et complétée par Frédéric Klein, édition Phébus, collection Libretto, 2007 ;
• Chabouté, Construire un feu (d’après la nouvelle de Jack London), éditions Glénat, Vents
d’Ouest, 2007.
Présentation de la séquence
La nouvelle Construire un feu s’inscrit dans le genre du récit d’aventures. Mais il s’agit
également d’une réflexion sur le pouvoir de l’Homme à maîtriser le monde, ici la nature
implacable du Grand Nord.
Jack London a écrit deux versions de cette nouvelle, à six ans d’intervalles, l’une avec une fin
heureuse, l’autre avec une fin tragique. Ainsi, comparer les deux versions, c’est observer le
passage du récit de fait-divers au récit exemplaire, qui vise une vérité morale.
L’étude de ces deux versions permet ainsi « une approche plus fine des caractéristiques
des genres et des registres utilisés pour produire des effets sur le lecteur. », et un « travail
d’interprétation et d’élaboration d’un jugement argumenté » (Programme de français du cycle
4, Lecture et compréhension de l’écrit et de l’image).
« Exprimer ses sensations, ses sentiments, formuler un avis personnel à propos d’une œuvre
ou d’une situation en visant à faire partager son point de vue. »
Pour faciliter l’entrée des élèves dans la lecture et créer un horizon d’attente, on pourrait
proposer aux élèves une description de deux vignettes tirées de l’adaptation de Chabouté.
Ces deux vignettes (respectivement page 8 et page 59 de l’album) montrent le portrait du
héros au début et à la fin de la nouvelle. La comparaison des deux vignettes donne lieu à la
formulation d’hypothèses de lecture qui peuvent se confronter dans un débat au sein de la
classe, hypothèses que les élèves seront amenés à vérifier par leur lecture de la première
version de la nouvelle.
Anticiper la fin de la nouvelle
« Reconnaitre les implicites d’un texte et faire les inférences et hypothèses de lecture
nécessaires. »
Si la nouvelle est donnée à lire en deux fois (d’abord du début jusqu’au moment où le héros
tombe dans une mare d’eau et se retrouve les pieds mouillés, puis jusqu’à la fin, ce qui coupe
la nouvelle en deux parties à peu près égales), on peut demander aux élèves d’imaginer la
suite et la fin de l’histoire, sous la forme d’un résumé ou au contraire en travaillant l’exercice
de la suite de texte. Dans un cas comme dans l’autre, le plus intéressant est de demander aux
élèves de justifier leur choix par écrit et d’expliciter les indices du texte qu’ils ont sélectionnés.
L’hypothèse d’une fin heureuse (héros indemne, ou survivant mais marqué par cette aventure)
et d’une fin malheureuse (mort du héros) pouvant être chacune envisagée.
Comparaison des deux incipits (et des deux fins)
« Élaborer une interprétation de textes littéraires : Formuler des impressions de lecture.
Percevoir un effet esthétique et en analyser les sources [...] établir des relations entre des
œuvres littéraires. »
« Construire les notions permettant l’analyse et la production des textes et des discours. »
La comparaison de l’incipit de la version de 1902 avec celui de la version de 1908 permet
d’aborder la question de la visée du texte (ou plutôt des visées, puisqu’il y a entre les deux
versions une nette évolution du particulier vers la général) et des moyens employées par
l’auteur pour y parvenir. (Désignation du personnage « Tom Vincent » dans la première, qui
devient « l’homme » dans la seconde ; inscription dans un cadre spatio-temporel précis et
explicitation du but de la quête dans la première, début in media res et description du paysage
dans la seconde ; introduction du personnage du chien).
On pourrait envisager que les élèves, suite à la lecture du second incipit, formulent à l’oral
(après un écrit préparatoire) un jugement de goût en leur demandant d’indiquer quel est pour
eux l’incipit le plus réussi et de justifier leur avis. Un débat peut être organisé pour confronter
les jugements.
Le même travail peut être mené en comparant la fin des deux versions, en s’interrogeant sur
le changement de signification de l’oeuvre engendré par les fins différentes.
Pour différencier selon le niveau de compétences des élèves, on peut envisager de faire lire le
texte complet de la deuxième version, plus long que la première (7000 mots environ au lieu de
3000), ou bien proposer un parcours de lecture.
Supports possibles :
Émission « 1 livre 1 jour » du 16 mars 1996, présentée par Olivier Barrot,
sur la nouvelle Construire un feu
Émission « 1 livre 1 jour » du 4 mars 1998, George Perec, Yvan Pommeau, Je me souviens
Émission « 1 livre 1 jour » du 22 avril 1992, Daniel Pennac, Kamo, l’agence Babel
Émission « 1 livre 1 jour » du 11 septembre 2004, Marcel Pagnol, La Gloire de mon père
Émission « 1 livre 1 jour » du 12 avril 2000, Jean Tardieu, Finissez vos phrases !
Émission « 1 livre 1 jour » du 8 janvier 2003, Raymond Quenau, Exercices de style
Émission « 1 livre 1 jour » du 31 mai 2006, Timothée de Fombelle, Tobbie Lolness
Émission « 1 livre 1 jour » du 1 décembre 1999, Tomi Ungerer, Otto
Textes (extraits)
Incipit de la première version (1902)
Dans le monde entier, pour voyager par terre ou par mer, on considère généralement
qu’il est désirable d’avoir un compagnon. Au Klondike, comme Tom Vincent s’en rendit compte,
c’est absolument essentiel. Cependant, ce n’est pas la théorie qui le lui apprit : il en fit l’amère
expérience.
« Ne voyagez jamais seul », est un principe du Grand Nord. Il l’avait entendu dire
bien des fois et il s’était contenté d’en rire. Car c’était un grand gaillard jeune et solide, bien
charpenté, bien musclé, [...] ayant confiance en lui-même, dans la solidité de sa tête et la
vigueur de ses mains.
C’est par une triste journée de janvier qu’il fit cette expérience qui lui permit
d’acquérir le respect du froid et de la sagesse des hommes qui se sont battus contre lui.
Il avait quitté Calumet Camp, sur le Yukon, avec sur le dos un léger paquetage, pour
remonter Paul Creek, jusqu’à la ligne de partage des eaux qui sépare cette vallée de Cherry
Creek, où ses camarades étaient en train de prospecter et de chasser l’orignal.
Il faisait soixante degrés au-dessous de zéro et il avait à parcourir trente milles d’une
piste solitaire, mais il ne s’en inquiétait pas. En réalité, cela lui plaisait : il marchait à longues
enjambées dans le silence, un sang chaud coulait dans ses veines, il avait l’esprit exempt de
soucis - bref, il était heureux. Car lui et ses copains étaient certains d’avoir trouvé un filon, là-
bas, sur la ligne de partage des eaux de Cherry Creek ; de plus, venant de Dawson, il allait les
rejoindre en leur apportant de joyeuses lettres en provenance des États-Unis. [...]
[...] En dessous de lui s’étendait le Yukon, large d’un mille et prisonnier sous trois
pieds de glace. Et cette glace elle-même était ensevelie sous trois pieds de neige. Toute cette
neige immaculée était agitée de molles ondulations à l’endroit où des blocs s’étaient for¬més
lors du gel du fleuve. Vers le nord et vers le sud, aussi loin que son œil pouvait porter, c’était
partout une blancheur infinie, à l’exception d’une mince ligne sombre qui serpentait du sud
au nord, contournant deux îles couvertes d’épicéas, avant de disparaître. Ce trait sombre, de
la minceur d’un cheveu, était la piste - la piste principale -qui conduisait vers le sud, à cinq
cents milles, vers le Chilcoot, Dyea et l’eau de l’océan, et vers le nord, à soixante-dix milles, à
Dawson, puis, à un millier de milles, à Nulato, pour finir à Saint-Michaël, sur la mer de Bering,
un millier et demi de milles plus loin.
Mais tout cela - la mystérieuse ligne de la piste se perdant dans les lointains,
l’absence de soleil dans le ciel, le froid terrible qui sévissait, l’atmosphère étrange du paysage
- ne troublait nullement notre homme. [...] Cinquante degrés au-dessous de zéro, cela voulait
dire quatre-vingts degrés de gel. Il était incommodé par ce froid, voilà tout. Cela ne le poussait
pas à méditer sur sa fragilité personnelle, ni sur la fragilité de l’être humain en général, qui
ne peut supporter les excès du chaud et du froid ; et cela ne l’entraînait pas non plus à risquer
des hypothèses sur l’immortalité et la place de l’homme dans l’univers. [...] Cinquante degrés
au-dessous de zéro, c’était un fait, et rien de plus. L’idée ne lui serait jamais venue d’aller
chercher plus loin.
En un mois, il redevint capable de se tenir sur ses pieds, mais, après cet épisode, ses orteils
devaient toujours rester très sensibles au froid. Quant aux cicatrices de ses mains, il savait
qu’il les emporterait dans la tombe. Et il répète à présent le précepte du Grand Nord :
« Ne voyagez jamais seul ! »
Sa théorie de courir jusqu’au camp et aux camarades avait un défaut : il lui manquait
l’endurance nécessaire. Plusieurs fois il trébucha, et en fin de compte il chancela, perdit
l’équilibre et tomba. Quand il essaya de se relever, il échoua. [...]
Et pendant tout ce temps le chien suivait sur ses talons, à la même allure. Lorsqu’il
tomba pour la deuxième fois, l’animal replia sa queue sur ses pattes de devant ; assis en
face de lui, il le fixait d’un regard étrange et impatient. Il avait chaud, lui, et était en sécurité ;
furieux, l’homme l’injuria et le chien coucha les oreilles en signe d’apaisement. Cette fois, les
frissons revinrent plus vite. Il était en train de perdre sa bataille contre le gel, qui s’insinuait
partout dans son corps. Cette pensée le poussa à repartir, mais il ne courut qu’une centaine de
pieds, chancela et tomba la tête la première. Ce fut son ultime panique.
Alors l’homme s’assoupit dans un sommeil qui lui parut le meilleur et le plus agréable qu’il
eût jamais connu. Assis en face de lui, le chien attendait. [...] Tandis que le crépuscule avançait,
l’envie impatiente du feu le posséda : il ne cessait de relever et d’abaisser ses pattes de devant
en gémissant doucement, puis coucha les oreilles, car il craignait une réprimande de l’homme.
Mais ce dernier restait silencieux. Ensuite, le chien gémit plus fort. Et, plus tard encore, il
rampa vers l’homme et flaira la mort. Alors, les poils hérissés, il recula. Il attendit encore un
peu, hurlant sous les étoiles qui sautaient, dansaient et brillaient d’un vif éclat dans le ciel
glacé. Puis il fit volte-face et remonta la piste au trot en direction du camp qu’il connaissait, où
se trouvaient les autres pourvoyeurs de nourriture et de feu.
Activité d’écriture :
Donner corps à un récit : écrire le naufrage
de Robinson
Présentation de l’activité
Écriture longue, transposition de deux planches de bande-dessinée en récit, avec réécritures
successives et construction de réserves lexicales.
Objectif de l’activité
Il s’agit de faire prendre conscience aux élèves que la façon dont est racontée l’histoire, ce qui
en fait l’épaisseur et la richesse (les effets visés par l’auteur, ses choix d’écriture), est aussi
importante que l’histoire elle-même.
Présentation du support
Le support de l’écriture est constitué de deux planches de la bande dessinée de Christophe
Gaultier, Robinson Crusoé, éditions Delcourt, 2007. Page 48 du tome 1 et page 3 du tome 2 (les
deux planches se suivent dans le récit).
Les deux planches racontent le naufrage du navire (vignettes 1 à 3), la lutte de Robinson au
milieu des flots (vignettes 4 à 6 de la planche 1 et vignettes 1 à 7 de la deuxième planche), et la
sortie des flots sur la plage de l’île (vignettes 8 à 10).
Déroulement de l’activité
1) Le support est distribué aux élèves avec la consigne : « Transposez ces planches de bande-
dessinée en récit. »
2) Lecture en classe des productions, évaluation par les élèves, avec repérage des réussites
(par exemple un récit mené à la première personne) et des points à améliorer (répétition du
nom Robinson, absence d’indicateurs temporels pour structurer l’action.
3) Discussion autour de ce que l’on pourrait attendre d’un tel texte (suspens, identification
du lecteur au personnage…). Reformulation du projet d’écriture : « Raconter le naufrage de
Robinson en créant du suspens ».
4) Recherche des moyens pour atteindre la visée du texte : exprimer les sentiments, les
pensées du personnage ; exprimer l’état physique du personnage ; décrire le paysage.
5) Construction en classe entière de réserves lexicales (substituts au nom « Robinson »,
champ lexical des sentiments, de l’état physique, adjectifs qualificatifs péjoratifs (description
de la mer) et mélioratifs (description de l’île).
6) Réécriture en plusieurs étapes : d’abord, choix des substituts nominaux, ensuite insertion
des pensées du personnage, puis expression des sentiments etc.
7) Utilisation d’un traitement de texte pour finaliser le texte.
8) Lecture en classe des textes achevés, affichage dans le collège, publication sur le blog du
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Le premier jet produit par les élèves (une seule exception) est court, seulement quelques
phrases (voir documents 1 et 2). Les élèves disent ne pas savoir « quoi dire ».
Une fois la réflexion menée sur les visées du texte, et la construction des réserves lexicales
(voir les documents 3 à 5, effectuée en classe entière, la tâche s’avère plus aisée. Les élèves
se lancent volontiers dans les réécritures. Au final, Les élèves ont tous mené à bien leur projet
(en fonction de leur niveau de compétence, d’une centaine à plus de six cents mots), ils ont
retravaillé avec le plaisir de voir se construire un vrai « texte ».
Présentation du questionnement
La ville, lieu de tous les possibles ?
La ville, lieu de tous les possibles? (fichier XMind, logiciel libre de droits à télécharger)
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Texte n°1
Cependant, au moment où le corps fut placé dans le corbillard, deux voitures
armoriées, mais vides, celle du comte de Restaud et celle du baron de Nucingen, se
présentèrent et suivirent le convoi jusqu’au père Lachaise. A six heures, le corps du père
Goriot fut descendu dans sa fosse, autour de laquelle étaient les gens de ses filles, qui
disparurent avec le clergé aussitôt que fut dite la courte prière due au bonhomme pour
l’argent de l’étudiant. Quand les deux fossoyeurs eurent jeté quelques pelletées de terre sur
la bière pour la cacher, ils se relevèrent, et l’un deux, s’adressant à Rastignac, lui demanda
leur pourboire. Eugène fouilla dans sa poche et n’y trouva rien. Il fut forcé d’emprunter vingt
sous à Christophe. Ce fait, si léger en lui-même, détermina chez Rastignac un accès d’horrible
tristesse. Le jour tombait, un humide crépuscule agaçait les nerfs, il regarda la tombe et y
ensevelit sa dernière larme de jeune homme, cette larme arrachée par les saintes émotions
d’un cœur pur, une de ces larmes qui, de la terre où elles tombent, rejaillissent jusque dans
les cieux. Il se croisa les bras, contempla les nuages, et le voyant ainsi, Christophe le quitta.
Rastignac, resté seul, fit quelques pas vers le haut du cimetière et vit Paris tortueusement
couché le long des deux rives de la Seine, où commençaient à briller les lumières. Ses
yeux s’attachèrent presque avidement entre la colonne de la place Vendôme et le dôme des
Invalides, là où vivait ce beau monde dans lequel il avait voulu pénétrer. Il lança sur cette ruche
bourdonnant un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ces mots grandioses :
« A nous deux maintenant ! »
Et premier acte du défi qu’il portait à la société, Rastignac alla dîner chez Mme de Nucingen.
Balzac, Le père Goriot, 1834.
Texte n°2
Deux mois avant la mort d’Angèle, il l’avait menée, un dimanche, aux buttes
Montmartre. (..) Ce jour-là, ils dinèrent au sommet des buttes, dans un restaurant dont
les fenêtres s’ouvraient sur Paris, sur cet océan de maisons aux toits bleuâtres, pareils à
des flots pressés emplissant l’immense horizon. Leur table était placée devant une des
fenêtres. Ce spectacle des toits de Paris égaya Saccard. Au dessert, il fit apporter une
bouteille de Bourgogne. Il souriait à l’espace, il était d’une galanterie inusitée. Et ses regards,
amoureusement, redescendaient toujours sur cette mer vivante et pullulante, d’où sortait la
voix profonde des foules. On était à l’automne ; la ville, sous le grand ciel pâle s’alanguissait,
d’un gris doux et tendre, piqué çà et là de verdures sombres, qui ressemblaient à de larges
feuilles de nénuphars nageant sur le lac ; le soleil se couchait dans un nuage rouge, et,
tandis que les fonds s’emplissaient d’une brume légère, une poussière d’or, une rosée d’or
tombait sur la rive droite de la ville, du côté de la Madeleine et des Tuileries. C’était comme
le coin enchanté d’une cité des Mille et Une Nuits, aux arbres d’émeraude, aux toits de saphir,
aux girouettes de rubis. Il vint un moment où le rayon qui glissait entre deux nuages, fut si
resplendissant, que les maisons semblèrent flamber et se fondre comme un lingot d’or dans
un creuset.
« Oh ! vois, dit Saccard, avec un rire d’enfant, il pleut des pièces de vingt francs dans Paris ! »
Angèle se mit à rire à son tour, en accusant ces pièces-là de n’être pas faciles à ramasser.
Mais son mari s’était levé, et s’accoudant sur la rampe de sa fenêtre :
« C’est la colonne Vendôme, n’est-ce pas, qui brille là-bas ?... Ici, plus à droite, voilà la
Madeleine… Un beau quartier où il y a beaucoup à faire… Ah cette fois, tout va brûler ! Vois-
tu ?... On dirait que le quartier bout dans l’alambic de quelque chimiste. »
Sa voix devenait grave et émue. La comparaison qu’il avait trouvée parut le frapper beaucoup.
Il avait bu du bourgogne, il s’oublia, il continua, étendant le bras pour montrer Paris à Angèle
qui s’était également accoudée à son côté :
« Oui, oui, j’ai bien dit, plus d’un quartier va fondre, et il restera de l’or aux doigts des gens
qui chaufferont et remueront la cuve. Ce grand innocent de Paris ! vois donc comme il est
immense et comme il s’endort doucement ! C’est bête, ces grandes villes ! Il ne se doute
guère de l’armée de pioches qui l’attaquera un de ces beaux matins, et certains hôtels de la
rue d’Anjou ne reluiraient pas si fort sous le soleil couchant, s’ils savaient qu’ils n’ont plus que
trois ou quatre ans pour vivre. »
Emile Zola, La Curée, 1872.
Texte n°3
C’était une de ses soirées d’été où l’air manque dans Paris. La ville, chaude comme
une étuve, paraissait suer dans la nuit étouffante. Les égouts soufflaient par leurs bouches
de granit leurs haleines empestées, et les cuisines souterraines jetaient à la rue, par leurs
fenêtres basses, les miasmes infâmes des eaux de vaisselle et des vieilles sauces.
Les concierges, en manche de chemise, à cheval sur des chaises de paille, fumaient la pipe
sous les portes cochères, et les passants allaient d’un pas accablé, le front nu, le chapeau à la
main. Quand Georges Duroy parvint au boulevard, il s’arrêta encore, indécis sur ce qu’il allait
faire. Il avait envie maintenant de gagner les Champs-Elysées et l’avenue du bois de Boulogne
pour trouver un peu d’air frais sous les arbres ; mais un désir aussi le travaillait, celui d’une
rencontre amoureuse.
Comment se présenterait-elle ? Il n’en savait rien, mais il l’attendait depuis trois mois, tous les
jours, tous les soirs. Quelquefois, cependant, grâce à sa belle mine et à sa tournure galante, il
volait, par-ci par-là, un peu d’amour, mais il espérait toujours plus et mieux.
La poche vide et le sang bouillant, il s’allumait au contact des rôdeuses qui murmurent à
l’angle des rues : « Venez-vous chez moi, joli garçon ? » mais il n’osait les suivre, ne les
pouvant payer ; et il attendait aussi autre chose, d’autres baisers, moins vulgaires.
Il aimait cependant les lieux où grouillent les filles publiques, leurs bals, leurs cafés, leurs
rues ; il aimait les coudoyer, leur parler, les tutoyer, flairer leurs parfums violents, se sentir
près d’elles. C’étaient des femmes enfin, des femmes d’amour. Il ne les méprisait point du
mépris inné des hommes de famille.
Il tourna vers la Madeleine et suivit le flot de foule qui courait accablée par la chaleur. Les
grands cafés, pleins de monde, débordaient sur le trottoir, étalant leur public de buveurs sous
la lumière éclatante et crue de leur devanture illuminée. Devant eux, sur de petites tables
carrées ou rondes, les verres contenaient des liquides rouges, jaunes, verts, bruns, de toutes
les nuances ; et dans l’intérieur des carafes on voyait briller les gros cylindres transparents de
glace qui refroidissaient la belle eau claire.
Maupassant, Bel-Ami, 1884.
Texte n°4
Paris l’enivrait. Sous la chaleur, sous la crasse, il pensait deviner les frontières
de cette vilénie. Paris était aussi la promesse d’un métier, la jointure des extrêmes. La
bourgeoisie côtoyait la lie du peuple, la crasse s’ornait d’un liseré d’or. On lui avait parlé de
la route de Versailles, des monuments aux hautes flèches, des coupoles bombées vers le ciel
tel des seins de métal, des maisons de bord de Seine, d’un blanc de chaux, inconnu ici où l’on
nommait blanc la moindre grisaille, et des jardins à l’herbe grasse. Gaspard irait à Versailles,
c’était une certitude. Cette évidence lui permit de porter un œil indulgent sur le faubourg
Saint-Denis, sur lui-même, qui errait dans la ville, barbotait dans la fange. Tout portait l’espoir
de son ascension. Est-ce là mon attente première ? se demanda Gaspard. Que pouvait-il
attendre de la ville ? Il n’était pas noble, il était fils de rien, produit de l’emboîtement d’une
femme-truie et d’une ombre sévère. Pourtant, n’était-ce pas cette rêvasserie qui surgissait
parfois au détour d’une ruelle ? Gaspard n’aurait pu jurer de rien.
Face à la ville, des émotions le submergeaient, l’assaut phallique de la capitale déflorait son
esprit à chaque pas. L’idée de Versailles, mâtinée de fantomatiques velours, flottait dans
l’éther de sa conscience. Il devinait le plissement des soieries, la poudre sur les visages, les
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Gaspard s’en moquait, et si cette perception aigue du monde eût surpris un autre homme de
sa condition qui en aurait été soudain doté, elle était pour lui naturelle.
Jean Baptiste Del Amo, Une éducation libertine, 2008.
Groupement de textes :
Le discours romanesque sur Paris aux
XVIIIe et XIXe siècles
À partir de la fin du XVIIe siècle, la ville de Paris voit croître sa population de façon exponen-
tielle et cet accroissement démographique majeur ne va pas sans poser de grandes difficultés,
qu’elles concernent l’ordre public, les conditions de logement, la pauvreté et l’hygiène public.
Si la capitale de la France est à Versailles jusqu’à la Révolution française, Paris devient dès le
XVIIIe siècle la ville des artistes et des philosophes, des théâtres et d’une société de plaisir. C’est
aussi la ville où s’écrit l’Histoire, et qui deviendra le cadre de toutes les révolutions. Dans cette
perspective, Paris devient un univers nouveau, fascinant pour l’écrivain, et tout particulièrement
pour le romancier, qui y voit un véritable condensé de l’humanité et par là-même un véritable
laboratoire d’étude. À cela s’ajoute la naissance du roman moderne, qui met en place progres-
sivement une esthétique réaliste, et qui se donne pour ambition d’étudier le cadre et les mœurs
d’une population à travers la trajectoire de ces personnages.
Le groupement de textes, construit de façon diachronique, a pour objet de montrer l’émergence
d’un regard nouveau que porte le romancier sur la ville, qui en s’inscrivant dans le prolongement
des moralistes, se construit en un véritable discours à visée global sur Paris et ses habitants.
Les deux extraits de romans épistolaires nous proposent tout d’abord le regard critique, amusé
ou indigné, d’un observateur-personnage qui découvre Paris et en perçoit les ridicules et les
vices. Les deux passages de romans du XIXe font place à un discours général du narrateur qui
précède ou accompagne le cours du récit. Si Balzac nous propose une approche déterministe
de la ville et des Parisiens, qui relève de la physiognomonie, Victor Hugo, quant à lui, perçoit à
travers la figure du gamin parisien, les signes d’un avenir en gestation.
Ce corpus permet en outre d’initier les élèves à l’argumentation, en prenant appui notamment
sur les connotations péjoratives, sur la dimension axiologique du lexique, sur les marques de
construction et de progression du texte.
Texte n°1
Rica à Ibben
A Smyrrne.
Nous sommes à Paris depuis un mois, et nous avons été dans un mouvement
continuel. Il faut bien des affaires avant qu’on soit logé, qu’on ait trouvé des gens à qui on est
adressé, et qu’on se soit pourvu des choses nécessaires qui manquent toutes à la fois.
Paris est aussi grand qu’Ispahan : les maisons y sont si hautes qu’on jurerait qu’elles
ne sont habitées que par des astrologues. Tu juges bien qu’une ville bâtie en l’air, qui a six ou
sept maisons les unes sur les autres, est extrêmement peuplée ; et que, quand tout le monde
est descendu dans la rue, il s’y fait un bel embarras.
Tu le croirais pas peut-être, depuis un mois que je suis ici, je n’y ai encore vu marcher
personne. Il n’y a point de gens au monde qui tirent au mieux parti de leur machine que les
Français ; ils courent ; ils volent : les voitures lentes d’Asie, le pas réglé de nos chameaux, les
feraient tomber en syncope. Pour moi, qui ne suis point fait à ce train, et qui vais souvent à
pied sans changer d’allure, j’enrage quelquefois comme un chrétien : car encore passe qu’on
m’éclabousse depuis les pieds jusqu’à la tête, mais je ne puis pardonner les coups de coude
que je reçois régulièrement et périodiquement. Un homme qui vient après moi et qui me
passe me fait faire un demi-tour ; et un autre qui me croise de l’autre côté me remet soudain
où le premier m’avait pris ; et je n’ai pas fait cent pas que je suis plus brisé que si j’avais fait
dix lieues.
Ne crois pas que je puisse, quant à présent, te parler à fond des mœurs et des
coutumes européennes : je n’en ai pas moi-même qu’une légère idée, et je n’ai eu à peine que
le temps de m’étonner.
Montesquieu, lettre XXIV (extrait), Les Lettres persanes, 1721.
Texte n°2
Au premier coup d’œil que l’on jette sur le peuple de Paris, il paraît tout le contraire de
nos citadins de province ; chez nous, c’est l’apathie, la nonchalance, le goût de la tranquillité :
ici, l’on voit une activité, un air d’affaire ; on ne marche pas, on court, on vole ; nulle attention
les uns pour les autres ; très peu d’égards dans les occasions même qui le demandent ; on voit
que tous ces gens-là sont des pièces séparées, qui ne forment point un tout. Je crois que la
politique y gagne ; mais l’humanité sûrement y perd. Si un homme que des voleurs assassinent
se sauve dans une boutique, il en est pour l’ordinaire inhumainement repoussé par le maître
qui le voit massacrer de sang-froid à sa porte.
Cependant, il ne faut pas croire que tous ces gens qui se heurtent, qui poussent, dont
les pieds touchent à peine le pavé, aient tous des affaires pressées ; c’est la manière d’ici : où
croirais-tu que court ce négociant père de famille ? A la Bourse, chez les fabricants ? non, c’est
chez une petite grisette qu’il entretient ; cet homme en robe, chargé de sacs et de paperasses,
à l’audience ? non : il va dans la galerie du palais, conter fleurette à une fille de modes ; cet
abbé ?... il vole au foyer de la comédie ou de l’opéra, faire sa cour aux actrices, et juger une
pièce nouvelle dont il y a répétition ; cette jeune personne si modeste, dont les yeux baissés ne
voient que le pavé ?... à un rendez-vous, mon frère, etc. Ainsi tu vois qu’ici les occupations d’un
certain monde ne valent pas mieux que l’inutilité de chez nous.
Il est aisé d’imaginer que l’indifférence qu’ont ici tous les hommes les uns pour
les autres, n’est pas un aliment de probité ; des êtres qui sont parfaitement indifférents
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et inconnus, qui par conséquent ne rougissent presque jamais les uns devant les autres,
doivent chercher à se tromper ; et c’est ce qui arrive ; Paris est le centre de la filouterie, de
l’escroquerie, du vol, de tous les vices, de tous les crimes qui y ont rapport. Le sexe y doit y
avoir moins de pudeur et moins de vertu, parce que le frein très puissant de l’opinion publique
y est presque nul.
Nicolas Restif de La Bretonne, Lettre XCII (extrait), Le Paysan perverti, 1775.
Texte n°3
Quelques observations sur l’âme de Paris peuvent expliquer les causes de sa
physionomie cadavéreuse qui n’a que deux âges, ou la jeunesse ou la caducité : jeunesse
blafarde et sans couleur, caducité fardée qui veut paraître jeune. En voyant ce peuple exhumé,
les étrangers, qui ne sont pas tenu de réfléchir, éprouvent tout d’abord un mouvement de
dégoût pour cette capitale, vaste atelier de jouissances, d’où bientôt eux-mêmes ils ne
peuvent sortir, et restent à s’y déformer volontiers. Peu de mots suffiront pour justifier
physiologiquement la teinte presque infernale des figures parisiennes, car ce n’est pas
seulement par plaisanterie que Paris a été nommé un enfer. Tenez ce mot pour vrai. Là,
tout fume, tout brule, tout bouillonne, tout flambe, s’évapore, s’éteint, étincèle, pétille et se
consume. Jamais vie en aucun pays ne fut plus ardente, ni plus cuisante.
(…) A force de s’intéresser à tout, le Parisien finit par ne s’intéresser à rien. Aucun
sentiment ne dominant sur sa face usée par le frottement, elle devient grise comme le plâtre
des maisons qui a reçu toute espèce de poussière et de fumée. En effet, indifférent la veille à
ce dont il s’enivrera le lendemain, le Parisien vit en enfant quel que soit son âge. Il murmure
de tout, se console de tout, se moque de tout, oublie tout, veut tout, goûte à tout, prend tout
avec passion, quitte tout avec insouciance ; ses rois, ses conquêtes, sa gloire, son idole, qu’elle
soit de bronze ou de verre ; comme il jette ses bas, ses chapeaux et sa fortune.
Honoré de Balzac, La Fille aux yeux d’or, 1834.
Texte n°4
Pour tout résumer encore, le gamin de Paris aujourd’hui, comme autrefois le
graeculus de Rome, c’est le peuple enfant ayant au front la ride du monde vieux.
Le gamin est une grâce pour la nation, et en même temps une maladie. Maladie qu’il
faut guérir. Comment ? Par la lumière.
La lumière assainit.
La lumière allume.
Toutes les généreuses irradiations sociales sortent de la science, des lettres, des
arts, de l’enseignement. Faites des hommes, faites des hommes. Eclairez-les pour qu’ils
vous échauffent. Tôt ou tard la splendide question de l’instruction universelle se portera avec
l’irrésistible autorité du vrai absolu ; et alors ceux qui gouverneront sous la surveillance de
l’idée française auront à faire ce choix : les enfants de France, ou les gamins de Paris ; des
flammes dans la lumière, ou des feux follets dans les ténèbres.
Car Paris est un total. Paris est le plafond du genre humain. Toute cette prodigieuse
ville est un raccourci des mœurs mortes et des mœurs vivantes. Qui voit paris croit voir les
dessous de toute l’histoire avec du ciel et des constellations dans les intervalles. (…) Tout ce
qui est ailleurs est à paris.
Victor Hugo, Les Misérables, troisième partie, livre premier « Paris étudié dans son atome »,
chapitre X « ecce Paris, ecce homo », 1862.
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Corpus : Carthage,
la représentation d’une ville antique
Corpus de textes
De l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle, la ville de Carthage fascine par sa légende sans cesse réac-
tualisée. Si elle obéit, dans le projet virgilien, à une logique politique et culturelle destinée à
affirmer la supériorité de Rome, elle fait figure de nouvelle Babylone dans l’itinéraire spirituel
que Saint-Augustin se construit dans les Confessions. Si Carthage s’oppose toujours à Rome,
elle n’est plus la cité de la pieuse Didon mais celle qui soumet Augustin à la tentation du mal.
Et parce que Dieu le met à l’épreuve, Rome sera son salut. Cette double polarité présente dès
l’Antiquité avec le texte de l’historien Justin dans son Histoire Universelle se retrouve dans la
littérature du XIXe siècle. Le voyageur romantique que fut Chateaubriand dans Itinéraire de Paris
à Jérusalem met l’histoire au service de la littérature, énumère les noms prestigieux associés à
Carthage pour mieux ré-enchanter le décor décevant qu’il a sous les yeux, esquissant ainsi une
poétique des ruines qui renouvelle le mythe d’une ville à la fois chérie et haïe des dieux. Cette
même tentation romantique semble s’emparer de Flaubert dans Salammbô. L’arrivée des bar-
bares transforme la cité en un gigantesque décor épique plein de bruit et de fureur. Les connais-
sances historiques patiemment accumulées par l’auteur se conjuguent aux lieux communs
traditionnellement associés aux villes d’Orient, renouvelant ainsi la fascination ambiguë que
cette ville a toujours exercée.
leur arrivée le présage que leur avait annoncé la royale Junon : la tête d’un cheval fougueux ;
ainsi donc leur nation serait incomparable à la guerre et vivrait prospère des siècles durant.
C’est là que la sidonienne Didon fondait un immense temple dédié à Junon, somptueux par les
offrandes et par la puissance de la déesse ; en haut des degrés, un portail de bronze et des
poutres attachées par du bronze, et les gonds des portes d’airain qui grinçaient.
Virgile, Enéide, (Chant I, v.421-449).
Traduction disponible ici.
Texte n°2 : « Les premiers temps d’une ville marquée par la violence »
V […] Arrivée sur les côtes d’Afrique, Élissa recherche l’aminé des habitants, qui voyaient avec
joie, dans l’arrivée de ces étrangers, une occasion de trafic et de mutuels échanges. Ensuite
elle acheta autant de terrain qu’en pouvait couvrir une peau de bœuf, pour assurer jusqu’à
son départ un lieu de repos à ses compagnons fatigués d’une si longue navigation ; puis,
faisant couper le cuir en bandes très étroites, elle occupe pies d’espace qu’elle n’en avait
paru demander. De là vint plus tard à ce lieu le nom de Byrsa. Attirés par l’espoir du gain, les
habitants des contrées voisines accourant en foule pour vendre leurs denrées à ces hôtes
nouveaux, ils s’établissaient parmi eux, et leur nombre toujours croissant donna bientôt à la
colonie l’aspect d’une ville. Les députés d’Utique, retrouvant en eux des frères, vinrent leur
offrir des présents et les presser de fonder une ville dans le lieu que le sort venait de leur
donner pour asile. Les Africains voulurent aussi retenir ces étrangers parmi eux. Ainsi, du
consentement de tous, Carthage est fondée ; un tribut annuel est le prix du terrain qu’elle
occupe. En commençant à creuser ses fondements, on trouva une tête de bœuf qui présageait
un sol fécond, mais de difficile culture, et un esclavage éternel ; on alla donc élever la ville
sur un autre terrain : en le creusant, on y trouva une tête de cheval, symbole de valeur et de
puissance, qui semblait consacrer le siège de la cité nouvelle. Attirés par la renommée, de
nombreux habitons vinrent bientôt la peupler et l’agrandir.
VI. Déjà Carthage état riche et puissante, lorsqu’Hiarbas, roi des Maxitains, ayant appelé près
de lui dix des principaux Carthaginois, leur demanda la main d’Elissa, sous menace de la
guerre. Les députés n’osant rapporter ce message à la reine, ont recours, pour la surprendre,
à l’astuce carthaginoise. Le roi, disaient-ils, voudrait que l’un d’eux vînt civiliser les Africains et
leur roi ; mais qui pourra consentir à s’éloigner de ses frères pour aller partager la vie sauvage
de ces barbares ? La reine leur répond par des reproches : craindraient-ils de sacrifier les
douceurs d’une vie tranquille au salut de cette patrie, à laquelle ils devraient, au besoin,
sacrifier leur vie elle-même. Ce fut alors qu’ils lui rendirent compte des volontés du roi, en
ajoutant que, pour sauver Carthage, elle devait suivre elle-même les conseils qu’elle venait
de donner. Surprise par cet artifice, Élissa, baignée de larmes, et poussant des cris plaintifs,
invoqua longtemps le nom de son époux Acerbas ; enfin elle promit d’aller où l’appelaient
les destins de Carthage. Elle prend un délai de trois mois, fait élever aux portes de la ville un
vaste bûcher, immole de nombreuses victimes destinées, dit-elle, à apaiser les mânes de son
époux et à expier son nouvel hymen ; puis, armée d’un poignard, elle monte sur le bûcher, et
se tournant vers le peuple : «Docile à vos désirs, dit-elle, je vais me joindre à mon époux ; « et
elle se perce le sein. Tant que Carthage fut invincible, Élissa reçut les honneurs divins. Fondée
soixante-douze ans avant Rome, cette ville, illustre au dehors par ses succès militaires, se vit
sans cesse en proie aux agitations domestiques. La peste étant venue ajouter à ses désastres,
elle ensanglanta les autels, et chercha un remède dans le crime : elle immola des hommes en
sacrifice ; sans pitié pour un âge qu’épargne le glaive ennemi, elle égorgea des enfants dans
ses temples, et crut apaiser les dieux par le sang même de ceux pour lesquels on implore si
souvent leur faveur.
Justin, Histoire universelle, Livre XVIII, chap. 5 (extraits) et 6.
Retrouvez Éduscol sur Traduction nouvelle, par Jules Pierrot, disponible sur : Agoraclass.fr
On ferma les portes. Les Barbares, presque aussitôt, parurent ; mais ils s’arrêtèrent au milieu
de l’isthme, sur le bord du lac.
D’abord ils n’annoncèrent rien d’hostile. Plusieurs s’approchèrent avec des palmes à la main.
Ils furent repoussés à coups de flèches, tant la terreur était grande.
Le matin et à la tombée du jour, des rôdeurs quelquefois erraient le long des murs. On
remarquait surtout un petit homme, enveloppé soigneusement d’un manteau et dont la figure
disparaissait sous une visière très basse. Il restait pendant de grandes heures à regarder
l’aqueduc, et avec une telle persistance, qu’il voulait sans doute égarer les Carthaginois sur
ses véritables desseins. Un autre homme l’accompagnait, une sorte de géant qui marchait tête
nue.
Mais Carthage était défendue dans toute la largeur de l’isthme : d’abord par un fossé, ensuite
par un rempart de gazon, et enfin par un mur, haut de trente coudées, en pierres de taille, et à
double étage. Il contenait des écuries pour trois cents éléphants avec des magasins pour leurs
caparaçons, leurs entraves et leur nourriture, puis d’autres écuries pour quatre mille chevaux
avec les provisions d’orge et les harnachements, et des casernes pour vingt mille soldats avec
les armures et tout le matériel de guerre. Des tours s’élevaient sur le second étage, toutes
garnies de créneaux, et qui portaient en dehors des boucliers de bronze, suspendus à des
crampons.
Cette première ligne de murailles abritait immédiatement Malqua, le quartier des gens de la
marine et des teinturiers. On apercevait des mâts où séchaient des voiles de pourpre, et sur
les dernières terrasses des fourneaux d’argile pour cuire la saumure.
Par-derrière, la ville étageait en amphithéâtre ses hautes maisons de forme cubique. Elles
étaient en pierres, en planches, en galets, en roseaux, en coquillages, en terre battue. Les bois
des temples faisaient comme des lacs de verdure dans cette montagne de blocs, diversement
coloriés. Les places publiques la nivelaient à des distances inégales ; d’innombrables ruelles
s’entrecroisant la coupaient du haut en bas. On distinguait les enceintes des trois vieux
quartiers, maintenant confondues ; elles se levaient çà et là comme de grands écueils, ou
allongeaient des pans énormes, — à demi couverts de fleurs, noircis, largement rayés par le
jet des immondices, et des rues passaient dans leurs ouvertures béantes, comme des fleuves
sous des ponts.
Derrière l’Acropole, dans des terrains rouges, le chemin des Mappales, bordé de tombeaux,
s’allongeait en ligne droite du rivage aux catacombes ; de larges habitations s’espaçaient
ensuite dans des jardins, et ce troisième quartier, Mégara, la ville neuve, allait jusqu’au bord
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De loin ils reconnaissaient les marchés, les carrefours ; ils se disputaient sur l’emplacement
des temples. Celui de Khamon, en face des Syssites, avait des tuiles d’or ; Melkarth, à la
gauche d’Eschmoûn, portait sur sa toiture des branches de corail ; Tanit, au-delà, arrondissait
dans les palmiers sa coupole de cuivre ; le noir Moloch était au bas des citernes, du côté
du phare. L’on voyait à l’angle des frontons, sur le sommet des murs, au coin des places,
partout, des divinités à tête hideuse, colossales ou trapues, avec des ventres énormes, ou
démesurément aplaties, ouvrant la gueule, écartant les bras, tenant à la main des fourches,
des chaînes ou des javelots ; et le bleu de la mer s’étalait au fond des rues, que la perspective
rendait encore plus escarpées.
Un peuple tumultueux du matin au soir les emplissait ; de jeunes garçons, agitant des
sonnettes, criaient à la porte des bains : les boutiques de boissons chaudes fumaient, l’air
retentissait du tapage des enclumes, les coqs blancs consacrés au Soleil chantaient sur les
terrasses, les bœufs que l’on égorgeait mugissaient dans les temples, des esclaves couraient
avec des corbeilles sur leur tête ; et, dans l’enfoncement des portiques, quelque prêtre
apparaissait drapé d’un manteau sombre, nu-pieds et en bonnet pointu.
Ce spectacle de Carthage irritait les Barbares. Ils l’admiraient, ils l’exécraient, ils auraient
voulu tout à la fois l’anéantir et l’habiter. Mais qu’y avait-il dans le Port-Militaire, défendu
par une triple muraille ? Puis, derrière la ville, au fond de Mégara, plus haut que l’Acropole,
apparaissait le palais d’Hamilcar.
G. Flaubert, Salammbô (début du chapitre 4)
Corpus d’images
Le corpus d’images proposé montre que la peinture de la ville répond à deux orientations
différentes. D’un côté, Claude Lorrain, J. W. Turner proposent une vision poétique de la ville,
presque irréelle et en écho à la description qu’en fait Virgile. La ville est assez ouverte pour
être accueillante et suffisamment animée pour accrocher le regard du spectateur. Mais elle est
en même temps un espace qui s’ouvre vers l’infini, comme si le regard, attiré vers des arrières
plans lumineux, s’étirait dans le lointain. Il s’agit d’une approche inverse de celle du peintre
d’histoire qui place le sujet narratif au premier plan pour lui accorder le plus fort éclairage.
Le Lorrain et Turner inventent au contraire des paysages au décor architectural fantaisiste qui
invitent le spectateur à dépasser le premier plan pour ensuite contempler l’espace infini auquel
ils donnent accès. Bien davantage qu’une réflexion sur l’histoire des civilisations, ces tableaux de
Carthage, par leur tonalité élégiaque et mélancolique, proposent une réflexion sur la condition
humaine.
De l’autre côté, la ville de Carthage est totalement associée à la trajectoire mythique de Didon.
Le désespoir de cette dernière fait oublier le caractère miraculeux de la ville naissante. Au XXe
siècle plus particulièrement, le regard du spectateur se concentre sur Didon, la ville se limi-
tant au palais royal du haut duquel Didon observe avec une grande mélancolie le navire d’Enée
s’éloigner. Elle n’apparaît plus qu’en arrière-plan, et sa vue est obstruée par la figure statique de
la reine figée dans son malheur. La ville n’est donc plus que le décor dramatique d’une existence
promise aux plus hautes espérances et pourtant toujours malmenée par les événements.
Sur Carthage :
• Claude Gellée dit le Lorrain Didon montrant Carthage à Énée. 1676.
Huile sur toile 120 x 149,2 cm. Hambourg, Kunsthalle ;
• Joseph Mallord William Turner. Didon faisant construire Carthage (ou l’Ascension de l’Empire
carthaginois). 1815. Huile sur toile, 155,6 x 231,8 cm. Londres, National Gallery;
• Joseph Mallord William Turner. Le Déclin de l’Empire carthaginois. 1817.
Huile sur toile, 170 x 238,5 cm. Londres, Tate Britain ;
• Joseph Mallord William Turner. Didon dirigeant l’armement de la flotte ou Le matin de l’empire
carthaginois. Exposé en 1828. Huile sur toile, 150 x 226 cm. Londres, Tate Britain ;
• Joseph Mallord William Turner. Le départ de la flotte. Exposé en 1850.
Huile sur toile, 89,9 x 120,3 cm. Londres, Tate Britain;
• Edmund [Edmond] Dulac Follies that destroyed famous queens : Dido. (1934).
Aquarelle, 35,8 x 33,4 cm;
• David Ligare, Dido in resolve.1989. University of Missouri, Museum of Art and Archaeology.
Groupement de textes :
Errances poétiques
La ville, à partir du XXe siècle, et particulièrement du symbolisme, devient un des espaces privi-
légiés de l’errance du poète. Cette déambulation fait état des sentiments du poète, qui se mêlent
à l’évocation des lieux jusqu’à les contaminer, voire les métamorphoser. Épanchement mélanco-
lique ou mortifère, douleur due à la perte de la femme aimée, nostalgie d’un passé amoureux,
mais aussi pouvoir de séduction de la ville qui, par la magie de ses lieux, ouvre de nouveaux
horizons, rencontre fortuite, complicité nouvelle et régénérescence du souffle poétique.
Ce corpus de textes, outre sa cohérence thématique, permet une étude de l’écriture lyrique
dans ses formes les plus traditionnelles, isométriques, à celles plus modernes d’une écriture
poétique en prose. L’évocation des lieux urbains, le choix des motifs décrits permettent aussi
d’étudier tout un processus de métamorphose qui est à l’œuvre dans l’écriture poétique.
Texte n°1
À une passante
Texte n°2
Vieux quais
Texte n°3
La Chanson du Mal-aimé
à Paul Léautaud
…………..
Texte n°4
La nuit d’exil
Qu’importe à l’exilé que les couleurs soient fausses
On jurerait dit-il que c’est Paris si on
Ne refusait de croire aux apparitions
J’entends le violon préluder dans la fosse
Texte n°5
Tant bien que mal j’atteins la place de la Concorde. L’espace devient tout à coup
maritime. Même par vent presque nul, un souffle d’appareillage s’y fait sentir. Et, contre les
colonnes, sous les balustrades où veillent les lions, montent en se balançant des vaisseaux à
château du lorrain, dont tous les bois de coques et de mâts, et les cordes, et les toiles sifflent
et craquent, déchirant l’étendard fumeux qui sans cesse se redéploie au-dessus de la ville. Je
vais donc comme le long d’une plage, par des guérets. Et sans doute c’est l’indécision du soir
qui m’ouvre cette étendue, toujours pourtant mêlée aux pierres et au fracas de Paris. Car, en
plein jour, surtout dans les mois mal apprivoisés (février, mars, novembre), quand l’air pâlit
comme aux lisières des landes et des marais, les rues creusent dans une lueur d’estuaire
de sable : à chaque pas va surgir ce miroitement de perle entre les dunes, et le cœur bat,
et d’entières forêts qui transhument stationnent aux carrefours, puis s’éclipsent d’un bond
comme la licorne. Sur tous les monuments une sauvagerie élémentaire mais élémentaire a
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subsisté. Réfugiée au ciel qui reste le plus sensible de cette terre, elle émeut jusqu’au marbre
ignorant des heures et des saisons. Un angle ébloui sorte alors en étrave au milieu de ce
flot de métamorphoses, hissant avec lui des palais dans la splendeur du premier jour. Des
attelages de bronze vert s’envolent ; on sent, perdus entre deux houles antédiluviennes des
fougères, les siècles en proie à leur fragilité, et l’espérance humaine écarquillée devant sa
solitude.
Jacques Réda, Les Ruines de Paris, Poésie/Gallimard, 1977. (P.10-11)
Annexe
Hugues recommençait chaque soir le même itinéraire, suivant la ligne des quais,
d’une marche indécise, un peu voûté déjà, quoiqu’il eût seulement quarante ans. Mais le
veuvage avait été pour lui un automne précoce ; Les tempes étaient dégarnies, les cheveux
pleins de cendre grise. Ses yeux fanés regardaient loin, très loin, au-delà de la vie.
Et comme Bruges était triste en ces fins d’après-midi ! Il l’aimait aussi ! C’est pour sa tristesse
même qu’il l’avait choisie et y était venu vivre après le grand désastre. Jadis, dans les temps
de bonheur, quand il voyageait avec sa femme, vivant à sa fantaisie, d’une existence un peu
cosmopolite, à Paris, en pays étranger, au bord de la mer, il y était venu avec elle, en passant,
sans que la grande mélancolie d’ici pût influencer leur joie ; Mais plus tard, resté seul, il s’était
ressouvenu de Bruges et avait eu l’intuition instantanée qu’il fallait s’y fixer désormais. Une
équation mystérieuse s’y établissait. A l’épouse morte devait correspondre une ville morte. Son
grand deuil exigeait un tel décor. La vie ne lui serait supportable qu’ici. Il y était venu d’instinct.
Que le monde ailleurs s’agite, bruisse, allume ses fêtes, tresse ses mille rumeurs. Il avait
besoin de silence infini et d’une existence si monotone qu’elle ne lui donnerait presque plus la
sensation de vivre.
(…) dans l’atmosphère muette des eaux et des rues inanimées, Hugues avait moins
senti la souffrance de son cœur, il avait pensé plus doucement à la morte. Il l’avait mieux
revue, mieux entendue, retrouvant au fil des canaux son visage d’Ophélie en allée, écoutant sa
voix dans la chanson grêle et lointaine des carillons.
La ville, elle aussi, aimée et belle jadis, incarnait de la sorte ses regrets. Bruges était
sa morte. Et sa morte était Bruges. Tout s’unifiait en une destinée pareille. C’était Bruges-la-
Morte, elle-même mise au tombeau de ses quais de pierre, avec les artères froidies de ses
canaux, quand avait cessé d’y battre la grande pulsation de la mer.
Ce soir-là, plus que jamais, tandis qu’il cheminait au hasard, le noir souvenir le hanta,
émergea de dessous les ponts où pleurent les visages de sources invisibles. Une impression
mortuaire émanait des logis clos, des vitres comme des yeux brouillés d’agonie, des pignons
décalquant dans l’eau des escaliers de crêpe. Il longea le Quai Vert, le Quai du Miroir, s’éloigna
vers le Pont du Moulin, les banlieues tristes bordées de peupliers. Et partout, sur sa tête,
l’égouttement froid, les petites notes salées des cloches de paroisse, projetées comme d’un
goupillon pour quelque absoute.
Georges Rodenbach, Bruges-la-Morte, 1892.
Panels de lecture
Lieu de découverte, de jeux, de liberté, de fantaisie, de dangers ou d’aliénation, la ville est aussi
un lieu de passage de l’enfance (la maison, l’école) à l’adolescence (transports urbains et amou-
reux). Si, dans un premier temps, le thème de la ville parait moins enchanteur que l’ile ou le
voyage, elle ouvre davantage sur le présent, sur le futur et sur les relations à l’autre.
Récits
aux autres locataires tournent au drame lorsqu’il s’aperçoit qu’un fantôme aussi dangereux
qu’incontrôlable hante cet insolite endroit. Un fantôme qui semble en vouloir farouchement au
vieil homme... Sur fond d’intrigue fantastique, une histoire d’amitié émouvante entre un jeune
homme et un vieillard au crépuscule de sa vie.
surnommé l’ile aux singes. Il attend malgré tout le retour de sa mère et retourne dans leur lieu
de vie pour l’épier sans résultat.
immuables ? et ce clocher très ajouré ? Et ceci qui ne contenait que de l’eau marine et voulait
sans doute être un jardin clos de murs, parmi de tessons de bouteilles, par-dessus lesquels
sautait parfois un poisson ?
Aya de Yopougon (Tome 1), Marguerite Abouet, Clément Ourberie, Gallimard, 2005
Côte d’Ivoire, 1978. Aya, dix-neuf ans, vit à Yopougon, un quartier populaire d’Abidjan. Ça sent
le début des vacances mais très vite les choses vont commencer à se gâter…
Marzi – intégrale tome1- , Marzena Sowa, Sylvain Savoia, Ed. Dupuis, 2008
Petite fille, elle a vécu l’état de siège, la pénurie, Solidarnosc et le ras de fer entre Jaruzelski
et Walèsa, l’explosion de la centrale de Tchernobyl. De l’intimité de sa vie de famille, on passe
à la grande histoire, celle de la Pologne et d’une Europe qui s’est construite sous la domination
soviétique. «Marzi», c’est elle, et surtout un témoignage en bande dessinée à hauteur d’enfant,
d’une belle sensibilité.
Récits
Un homme contre la ville, et autres récits sur la ville, Anthologie, textes réunis par Christian
Grenier, Gallimard, 1981
Ray Bradbury, L’Arriéré / Alain Duret, Hip, hip, hyper / Evelyn E. Smith, Une journée en
banlieue / James Graham Ballard, Billenium / Robert Sheckley, La course au lopin de terre /
Gérard Klein, Les Villes / Robert Abernathy, Un homme contre la ville / Ray Bradbury, La Ville /
Christian Grenier, Les Villes utopiques.
L’Indien de la Tour Eiffel, Fred Bernard, François Roca, Seuil Jeunesse, 2004
Paris, printemps 1889. La tour de 300 mètres est achevée. Gustave Eiffel est content. Pendant
deux ans, Billy Powona n’a vécu que pour ça et pour la beauté de La Garenne. Ah, La Garenne,
le cabaret de la Bête à Bon Dieu, Montmartre, ses artistes ! Billy est heureux... Mais Nicéphore
Palamas, un homme d’argent qui sent la mort, est de retour. Il veut La Garenne, rien de moins,
et il est prêt à tout pour l’avoir. Quand l’amour soulève des montagnes, il écrase tout sur son
passage !
Les Cités obscures (tome1), François Schuiten, Benoît Peeters, Casterman, 1993
Que se passe-t-il au juste à Samaris ? C’est pour le savoir que Franz, un envoyé de la ville de
Xhystos, prend à son tour la très longue route qui mène à la cité. Mais sur place, le secret ne
fait que s’épaissir. Toutes les tentatives de Franz pour appréhender et comprendre ce qui se
noue exactement à Samaris restent vaines. Pourquoi ne voit-on jamais d’enfants dans les rues
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de la cité ? Pourquoi les passages et les lieux que Franz semblait connaître semblent-ils se
volatiliser ? La ville (dont l’emblème est la drosera, une plante carnivore), plus insaisissable,
plus sinueuse, plus complexe qu’elle ne parait l’être de prime abord, s’ingénie à lui échapper,
encore et toujours…
Blacksad (tome 1), Juan Diaz Canales, Juanjo Guarnido, Ed. Dargaud, 2000
«Il y a des matins où l’on a du mal à digérer son petit-déjeuner. Surtout si on se retrouve
devant le cadavre d’un ancien amour.» Dès la première case, le ton est donné. Nous sommes
dans un polar. Avec les ingrédients habituels : un meurtre, une grande ville américaine rongée
de l’intérieur, une belle poupée salement amochée. Jusqu’au détective privé - un chat baptisé
Blacksad - qui contemple, désabusé, l’agitation de la grande ville en soulevant légèrement le
store.
Cette activité est en lien avec le groupement de textes proposé en amont, intitulé
« Errances poétiques » On y trouve le début et la fin du poème d’Apollinaire, correspondant
respectivement à une déambulation dans les rues de Londres, puis à une errance dans Paris.
Ce découpage rend particulièrement sensible l’évolution des sentiments du poète par rapport
à la perte de la femme aimée.
Il s’agit pour les élèves d’entrer dans la lecture du poème d’Apollinaire, d’en découvrir le
sens et les enjeux par un travail d’oralisation du texte, sans explication ou gloses préalables,
de laisser donc place à leurs propres ressentis, à une approche intuitive du poème, et à une
première saisie quasi charnelle de la langue poétique.
Le choix de ce poème pour ce type d’activité s’explique tout particulièrement par le fait
qu’il ne dispose d’aucune ponctuation, et que l’écriture en vers donne lieu à de nombreux
enjambements. Lire le poème à voix haute nécessite non seulement d’établir des pauses, des
rythmes, de mettre en valeur certains termes, tout en expliquant les choix qui sont faits, mais
aussi de rendre compte des émotions ressenties à la lecture du texte. L’on pourrait être tenté
au préalable de demander aux élèves de rétablir la ponctuation manquante, mais ce serait
renier ce qui fait la spécificité de l’écriture poétique d’Apollinaire. L’enjeu est au contraire de
faire appréhender aux élèves ce que cette absence apporte au texte poétique.
Le travail de groupes est privilégié, car, outre le fait qu’il favorise les interactions entre les
élèves, il permet d’envisager l’oralisation du texte de façon polyphonique, le changement
d’énonciateur pouvant être signifiant.
Un outil sera mis en place, le texte-partition. Souvent utilisé au théâtre, notamment par des
metteurs en scènes comme Patrice Chéreau, il consiste à faire du texte une forme de partition
musicale en faisant apparaitre les pauses, les mots accentués, les effets de rythme :
À titre d’exemple :
Un soir de demi-brume à Londres /
Un voyou qui ressemblait à /
Mon amour // vint à ma rencontre /
Et le regard qu’il me jeta /
Me fit baisser les yeux de honte //
Je suivis ce mauvais garçon /
Qui sifflotait main dans les poches /
Nous semblions entre les maisons /
Onde ouverte de la mer Rouge /
Lui / les Hébreux // moi / Pharaon //
Une journée à Paris s’inscrit dans le cadre de cette séquence : visite du musée Carnavalet,
parcours parisien sur les traces des personnages romanesques… Un carnet de bord est
mis à la disposition des élèves et doit leur permettre d’esquisser des croquis de bâtiments
haussmanniens, de se repérer à l’aide d’une carte, de noter des mots clés, des impressions au
fil de leur journée parisienne. Ce carnet constitue un apport pour la tâche finale d’écriture.
La problématique centrale de cette séquence est « L’individu dans la ville : Paris, lieu de
perdition ou d’épanouissement ? »
Objectif
Découvrir le thème de la séquence autour de divers documents (peintures, photographies).
Proposer aux élèves plusieurs œuvres mettant en scène un ou plusieurs individus dans Paris.
Montrer comment ces œuvres offrent plusieurs visions de Paris et interrogent les différentes
facettes de la ville. S’interroger sur l’attitude et la posture des personnages représentés ou
photographiés. À quoi rêvent-ils ? Que regardent-ils ? Où sont-ils ?
Supports possibles
• Paris, source de toutes les promesses :
--Gustave Caillebotte, Homme à la fenêtre, huile sur toile, 1,17x 0,83 m, collection particulière.
--Gustave Caillebotte, Le Pont de l’Europe, huile sur toile, 125x181 cm, 1876 (Genève, musée
du Petit Palais).
--Gustave Caillebotte, Un balcon, boulevard Haussmann, huile sur toile, 1880 (collection
privée).
--Gustave Caillebotte, Homme au balcon, boulevard Haussmann, huile sur toile, 1880.
--Jean Béraud, Sur le boulevard, Scène parisienne sur les Grands Boulevard parisiens à la Belle
Epoque, huile sur toile, 25 x 33 cm, Musée Carnavalet, Paris.
Objectif
Étudier l’arrivée à Paris d’un personnage provincial, Denise, dans Au Bonheur des dames
d’Emile Zola, à partir de l’incipit du roman. Observer, en prolongement avec la lecture de ce
groupement de textes, des documents représentant le Paris exaltant des grands magasins, de
la foule, de la lumière.
Suggestion d’activités
Après lecture des textes, travailler la description (outils de la langue requis : expansions du
nom, énumération et autres figures de style). Recherche autour du vocabulaire de la mode et
réalisation d’un lexique. À partir de là, imaginer la description d’un individu portant une tenue
vestimentaire citadine typique de l’époque (écriture) ou, à partir d’un tableau d’époque, décrire
la tenue d’un personnage en s’appuyant sur les recherches lexicales préalables.
Descriptif
Séance d’histoire des arts ayant pour objectif de comprendre les bouleversements que connaît
Paris au XIXème siècle. Support : exposition de la BNF consacrée au Bonheur des dames.
Une carte de Paris au XIXe siècle est donnée en parallèle aux élèves afin de leur permettre de
situer l’action et le grand magasin Au Bonheur des dames.
Prolongement
Vidéo « Le Paris du baron Haussmann », Paris photographié par Charles Marville (vidéo
disponible sur Youtube).
Descriptif / problématique
Étude et comparaison de trois textes présentant de jeunes provinciaux arrivant dans Paris,
Rastignac, Bel-Ami, et Rubempré.
Activité
Faire réfléchir les élèves sur les points communs entre ces trois personnages : la jeunesse,
l’ambition, la soif d’argent, la femme perçue comme moyen d’ascension sociale, l’importance
de l’apparence et de la tenue vestimentaire, etc. Cette activité doit permettre de mettre en
évidence des thématiques et un certain type de personnage romanesque.
Objectif
À travers deux parcours de lecture, étudier la perdition d’un personnage dans Paris.
Supports
• « Promenade nocturne de Gervaise dans Paris », Zola, L’Assommoir, Le livre de poche
classique ; P.469-476.
• « Garenne-Rancy », Céline, Voyage au bout de la nuit, Folio, P.237-240.
Activité 1
Retracer le périple du personnage de Gervaise sur une carte du Paris du XIXe siècle en
s’appuyant sur une lecture minutieuse du texte (les éléments mis en gras sont les indices
de lieux que les élèves devront pouvoir relever). Dans un second temps, noter les références
aux travaux d’Haussmann et montrer comment Zola dépeint deux Paris (le nouveau Paris,
immaculé, et le Paris pauvre des faubourgs). Analyser le désespoir du personnage : comment
se manifeste-t-il ?
Activité 2
Étudier le personnage de Ferdinand dans Voyage au bout de la nuit, quand il vient s’installer en
banlieue parisienne et découvre l’insalubrité et la tristesse ambiante. Analyser le vocabulaire
péjoratif.
Activité 3
Exercice d’écriture : « Que pensez-vous de la vision de Céline sur la banlieue ? Écrivez un
court récit descriptif où vous imaginerez au contraire une banlieue idyllique et joyeuse où il fait
bon vivre » (apport après un premier jet au brouillon : vocabulaire mélioratif). Ou « Imaginez
l’arrivée et les espoirs de Gervaise lorsqu’elle a vu Paris pour la première fois, ne se doutant
pas du destin qui l’attendait ».
Parcours n°6 : Le gamin de Paris : vivre Paris à travers les yeux d’un gamin
des faubourgs
Supports
• Extraits des Misérables de V. Hugo.
• Les Misérables, bande dessinée, adaptation de Bernard Capo et Daniel Bardet, éditions Ado-
nis / Glénat.
• Images extraites de la comédie musicale Les Misérables.
• Gavroche, illustration d’Émile Bayard.
• La liberté guidant le peuple, Eugène Delacroix, 2,6m x 3,25m, 1830, Musée du Louvres, Paris.
• Gavroche, illustration des Misérables de Victor Hugo, par Pierre Georges Jeanniot.
Travail d’écriture
Gavroche prend la parole et présente « son Paris ». On demande aux élèves de s’aider de
l’ensemble des documents proposés ici pour composer le discours de Gavroche. Le texte
pourra commencer par cet élan du cœur : « À nous deux Paris ! / Mon Paris à moi, c’est
celui... » (Il s’agit que les élèves voient que sous l’aspect très péjoratif des lieux, il y a un lien
très fort entre Gavroche et la ville, son destin est de mourir dans et pour cette ville, à ses yeux
symbole de liberté).
Objectifs
Analyser la relation qu’entretiennent les deux personnages avec la ville, visionner des scènes
précises du film, identifier les procédés cinématographiques utilisés et effets produits,
recherchés par la réalisatrice
Pourquoi ce film ?
Lou est une jeune adolescente de 13 ans qui décide, au départ pour un exposé en sciences-
éco, de rencontrer une jeune femme SDF. C’est ainsi qu’elle rencontre No. Elle se met en
devoir de l’aider, Une véritable amitié s’installe entre les deux jeunes filles. No s’installe chez
Lou. Mais les choses ne sont jamais si simples qu’elles y paraissent. À la fin du roman, No s’en
va laissant Lou (elle lui fait croire qu’elle part en Irlande). On ne sort pas de la rue comme ça.
Et d’un certain côté, No est attachée à sa liberté qui est symbolisée par la ville.
Paris joue un rôle à part entière dans le film : la ville contribue à l’apprentissage de Lou et à
l’évolution de No ; à chaque étape de l’action, ou évolution de Lou ou/et de No, des endroits
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Pistes de réflexion:
• Comparer No à Gervaise (prostitution implicite de No) ?
• Comparer Le Paris des Misérables à celui de No ? Quels changements ? Quels points com-
muns ?
• Comparer No et Gavroche : une adolescente / un enfant ?
Derrière la destruction de la ville, de ses ruines, c’est l’Homme que l’on cherche, que l’on
suppose pareillement anéanti sous les décombres. Ainsi, la ville, lieu de concentration
des populations, espace de création littéraire et artistique, peut apparaitre comme une
manifestation métonymique de la violence faite à l’Homme, violence naturelle à travers des
catastrophes destructrices, ou violence des temps de guerre et de combats. La destruction de
la ville renvoie l’Homme à la fragilité de sa condition. Elle le met face à ses peurs, ses colères,
sa solitude. Elle porte en elle les traces de sa souffrance et de la désolation.
C’est parce que les élèves sont soumis sans cesse à des images de violence destructrice qu’il
nous semble important de nous emparer d’un sujet qui leur permette de mettre des mots
sur ce qui est montré et de leur en proposer une représentation à discuter, à confronter avec
les images du réel. On pensera notamment à la ville de Homs filmée par un drone en début
d’année 2016 dont le film circule sur internet et qui montre la cité en ruines, seules traces des
victimes des combats. La ville est donc porteuse des stigmates de la souffrance humaine et
des marques de l’Histoire.
Corpus proposé
Texte 1 - ‘’Paris brûle-t-il … ‘’ : Extrait du roman d’Elémir BOURGES, Les
oiseaux s’envolent et les fleurs tombent, 1893.
Le ciel avait un aspect terrible. Des fumées, emportées par le vent, s’y suivaient, en
troupeaux de monstres embrasés, tandis que les pointes des flammes s’élançaient
impétueusement dans l’air frémissant. L’incendie, au cœur de Paris, se roulait, en
enserrant la ville, ainsi qu’une torche liée à une roue tourne avec elle. Le Palais-Royal
flamboyait ; les Tuileries, éventrées, vomissaient une éruption éblouissante ; la rue
Royale illuminait tout l’occident. Mais sur la rive gauche du fleuve, le quai d’Orsay, la rue
de Lille, le palais de la Légion d’honneur ondoyaient en nappes vermeilles, cependant
qu’à l’est, l’Hôtel de Ville brûlait d’un bloc, massivement. Tout l’horizon bouillonnait
de fournaises, d’explosions, de rauques grondements ; Paris semblait flotter sur
une mer de lave. Cà et là, le réseau des rues creusait, parmi la nappe écarlate, de
profonds ravins de ténèbres. On apercevait comme proches des points lointains, l’angle
d’un mur, une fenêtre, des cimes d’arbres, un tuyau bizarre, sur un toit. Certains
endroits paraissaient tout blancs ; on eût dit que d’autres ondulaient, sous la rougeur
incandescente. D’énormes volutes enflammées bondissaient comme un globe qui
crève ; des cornes de feu tout imprégnées d’essence ou d’huiles de peinture fondaient
en de grandes stries vertes, orange, violettes ou d’un bleu de soufre. Alors, dans le
brasier colossal volaient des millions de flammèches ; une poussière dévorante de
taches rouges et de braises ensemençait le firmament ; de la cendre ardente pleuvait ;
les torsions du feu irrité devenaient frénétiques ; l’air faisait une clameur de tempête.
L’extrait propose une description de Paris en feu pendant les incendies de la Commune
en 1871. On pourra travailler l’exploration du lexique permettant la représentation
métaphorique d’une ville dévorée par un feu volcanique telle la lave se déversant dans la ville
et l’engloutissant. Est offerte une vision de la ville bouillonnante par la présence du feu, des
couleurs et du bruit qui y sont associés. La ville de Paris est donc le théâtre de la révolte des
Communards, la ville en sera marquée par la destruction d’un certain nombre de monuments
Activités détaillées pour favoriser l’entrée dans le texte : ‘’décrire pour mieux lire’’
Proposer une représentation artistique des incendies de Paris pendant la Commune et
demander aux élèves de décrire de la manière la plus précise ce qu’ils voient en leur donnant
quelques éléments du texte dans lequel intégrer la description et qui peuvent agir comme des
contraintes pour réfléchir à la visée discursive de la description.
Supports possibles
• Paris incendié, gravure photographiée et retouchée par Numa fils (1871)
• 24 mai, Incendie des Tuileries, Léon Sabatier et Albert Adam, lithographie pour Paris et ses
ruines (1873)
On choisit des images d’appui qui offrent une vision panoramique permettant de saisir
l’intensité de l’incendie, son étalement dans la ville, les couleurs qu’il fait jaillir.
On pourra procéder à une première description collective à l’oral afin de faire émerger les
éléments majeurs qui apparaissent sur l’œuvre puis, individuellement, les faire passer à
l’écriture en proposant quelques éléments du texte originel dans lequel la description doit
s’inscrire.
On ne distribue pas nécessairement l’intégralité du texte à compléter. L’objectif est que les
élèves essaient de comprendre, par les quelques éléments distribués, quelle est l’intention de
l’auteur à travers cette description de Paris, quelle impression il veut laisser au lecteur qui se
représente la ville incendiée.
On laisse des éléments qui leur montrent les différents aspects évoqués : couleurs, bruits,
destruction des bâtiments. On interroge la dimension réaliste de cette description afin de
faire émerger les quelques images présentes dans le texte, ce qui nécessite une approche du
lexique et du sens imagé qu’il peut recéler : métaphores et comparaison, présentes dans le
texte, sont abordées avant la lecture de l’extrait dans son intégralité, les liens avec les œuvres
artistiques permettront d’avoir une représentation tant verbale qu’iconique de la scène.
On laisse les élèves décider de la caractérisation initiale du ciel afin qu’ils mettent leur
choix en relation avec les éléments dont ils disposent, en s’appuyant notamment sur un
certain nombre de mots : « monstres », « éventrées », « vomissaient » par exemple, pour en
déterminer la teneur inquiétante et péjorative.
Différentes propositions sont soumises ensuite à discussion dans la classe pour vérifier
qu’elles s’intègrent naturellement dans le texte tant du point de vue du sens que de la langue
(syntaxe, orthographe), ce qui permet de travailler avec les élèves la dimension réflexive sur la
langue. Réaliser cette séance dans une salle multimédia permettrait de projeter directement
les propositions tapées par les élèves. Vient ensuite le temps de la confrontation au texte
originel.
Activités possibles pour faire élaborer une interprétation du texte littéraire en prenant appui
sur la langue
• Prendre appui sur les impressions de lecture des élèves :
--Quelle impression se dégage de cette description de Paris ?
--Quel mot peut-on proposer qui résume le texte ? On peut ainsi recueillir les mots des
élèves et procéder à l’élaboration d’un nuage de mots avec un logiciel dévolu à cela, par
exemple www.tagxedo.com : cet outil permet de mettre en valeur les occurrences de mots et
favorise la visualisation globale des propositions qui peuvent ensuite être débattues dans la
classe, justifications par le texte à l’appui.
--Si l’on commence directement par la lecture du texte, sans passer par l’étape précédente
de l’écriture, on peut également demander aux élèves comment ils représenteraient l’état de
la ville :
soit en leur proposant une banque d’images dans laquelle ils pourraient choisir celle
qui leur semble le mieux convenir en justifiant leur choix,
soit en leur demandant d’en choisir une par des recherches personnelles, avec la
collaboration de l’enseignant documentaliste, sans leur imposer le corpus.
• Les amener à percevoir un effet esthétique et à en analyser les sources : on procède ensuite
à un retour au texte pour valider et discuter les impressions par l’écriture elle-même, notam-
ment le travail lexical (la mise en réseau des mots, les glissements métaphoriques de sens), et
les procédés de caractérisation.
Documents en écho possibles qui interrogent les liens entre l’art et la représentation du réel
Comment la fiction littéraire et la représentation artistique s’emparent-t-elles d’un épisode
historique ? Comment montrer la violence des journées sanglantes de la Commune à travers
la représentation des incendies de la ville de Paris et de ses ruines ?
• Photographies de Paris pendant ces jours de révolte, disponibles sur le site de la BnF :
• Ruines du palais des Tuileries, de Meissonier, 1871 (Musée national du Château de Com-
piègne).
• La Villette cernée par les troupes versaillaises, Gustave Boulanger (Musée Carnavalet).
• Planches de la bande dessinée de Jacques Tardi, Le cri du peuple. Sur le rapport à la réalité
historique de l’ouvrage de Tardi, on pourra également consulter cet article d’Éric Fournier :
Tardi et la Commune de 1871 à travers Le Cri du peuple : roman graphique ou histoire graphique ?
consultable
Texte 2 - ‘’Du Havre, faisons table rase… ‘’ : Michel LEIRIS, L’Âge d’homme,
1939 – Prière d’insérer De la littérature considérée comme une tauromachie,
écrit au Havre en 1945
Le Havre est actuellement en grande partie détruit et j’aperçois cela de mon balcon, qui
domine le port d’assez loin et d’assez haut pour qu’on puisse estimer à sa juste valeur
l’effarante table rase que les bombes ont faite du centre de la ville […] À cette échelle,
les tourments personnels dont il est question dans l’Âge d’homme sont évidemment peu
de chose : quelles qu’aient pu être, dans le meilleur des cas, sa force et sa sincérité, la
douleur intime du poète ne pèse rien devant les horreurs de la guerre et fait figure de
rage de dents sur laquelle il devient déplacé de gémir ; que viendrait faire, dans l’énorme
vacarme torturé du monde, ce mince frémissement sur des difficultés étroitement
limitées et individuelles ?
Reste qu’au Havre même, les choses continuent et que la vie urbaine persévère. Par-
dessus les maisons intactes comme par-dessus l’emplacement des ruines, il y a par
intermittence, malgré le temps pluvieux, un clair et beau soleil. Bassins nautiques et
toitures miroitantes, mer écumeuse au loin et gigantesque terrain vague des quartiers
rasés (abandonnés pour longtemps, en vue de je ne sais quel étonnant assolement)
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Je suis bien loin, ici, d’événements tout à fait actuels et tout à fait consternants tels que
la destruction d’une grande partie du Havre, si différent aujourd’hui de ce que j’ai connu,
et amputé d’endroits auxquels, subjectivement, me rattachaient des souvenirs : l’Hôtel
de l’Amirauté, par exemple, et les rues chaudes aux bâtisses maintenant anéanties ou
éventrées, comme celle sur le flanc de laquelle on lit encore l’inscription « LA LUNE
The Moon » accompagnée d’une image représentant une face hilare en forme de disque
lunaire. Il y a la plage aussi, jonchée d’une étrange floraison de ferraille et couverte
de tas de pierres laborieusement rassemblés, face à la mer où un cargo, l’autre jour,
a sauté sur une mine, ajoutant son épave à pas mal d’autres épaves. Je suis bien loin,
certes, de cette corne authentique de la guerre dont je ne vois, en des maisons abattues,
que les moins sinistres effets.
Michel Leiris fait ici face à la ville du Havre en ruines après les bombardements de 1944 et se
fait l’observateur d’une ville à la fois dévastée mais également en devenir, une ville-phénix :
de la déconstruction doit surgir la reconstruction. La ville apparait dans un entre-deux spatio-
temporel, espace de souffrance et de renaissance, traces du passé récent de la guerre et d’une
nouvelle ville à venir.
On pourra consulter le site suivant qui explicite les raisons politiques qui font que les villes
sont des cibles en temps de guerre et qui distingue la ville anéantie de la ville détruite.
« […] à peine eut-il bondi vers l’entrée de la maison qu’il fut submergé par le fracas des
bombes s’écrasant au sol puis, la première vague passée, il y eut cette illusion que le silence
tout d’un coup était revenu, cependant que les B 29 n’en finissaient pas de pousser leurs
mugissements oppressants – jusqu’alors, quand il levait les yeux vers le ciel, ce n’étaient
que points infimes, à la limite du discernable, qui filaient vers l’est en trainant derrière eux
leurs moutonnants sillages, comme lors du dernier bombardement d’Osaka, cinq jours
auparavant, où depuis l’abri antiaérien de l’usine il les avait contemplés tout bonnement, se
faufilant comme un banc de poissons à travers les nuages, là-haut dans le ciel de la baie
d’Osaka ; mais cette fois, leurs innombrables silhouettes volaient si bas qu’il distinguait
nettement l’épaisse ligne peinte sur le ventre des fuselages faisant route de la mer vers la
montagne, avant de basculer brusquement les ailes et de disparaitre à l’ouest … Deuxième
fracas de bombes ! Le corps pétrifié, Seita, cloué sur place, comme si la densité de l’air,
subitement, s’était élevée … Badaboum ! A cet instant une bombe incendiaire, couleur bleue,
cinq centimètres de diamètre, soixante de longueur, dévala du toit et, telle une chenille
arpenteuse, sautilla sur la rue, jetant tout autour ses giclées d’huile ; ventre à terre, Seita
se précipita alors vers l’entrée, mais une fumée noire commençant peu à peu à envahir
la maison, il ressortit ; dehors, la file imperturbable des maisons, sans une âme qui vive,
seulement un balai à feu et une échelle, dressés contre le muret d’en face ; du reste il fallait
retrouver maman à l’abri, et il se mit en route, la petite Setsuko sur son dos toute secouée
par les sanglots, quand à l’angle de la rue une fenêtre au premier étage se mit à vomir une
fumée noire, puis d’un seul coup, comme si le mot de passe avait été donné, une bombe
incendiaire qui couvait sans doute dans les combles embrasa tout, les arbres du jardin
crépitèrent, le feu se rua le long de l’avant-toit, disloquant les volets qui dégringolèrent
en flammes, devant ses yeux tout s’assombrit, l’atmosphère devint brûlante, et Seita
littéralement éjecté, détala à toutes jambes ; […] toujours cette poussière de feu qui chassait,
ce vacarme des bombes qui enveloppait tout […] ».
• Faire réfléchir les élèves aux photographies contemporaines de reporters de guerre qui
témoignent des violences infligées aux hommes à travers les bombardements des villes qui
anéantissent les lieux et les personnes qui y vivent.
Chaque année, la ville de Bayeux, dans le Calvados, accueille pendant une semaine des
reporters de guerre qui viennent présenter leur travail et informer de ce qu’ils voient partout
dans le monde. Collégiens et lycéens peuvent participer à l’attribution de prix destinés aux
professionnels qui sont exposés chaque année aux dangers de la guerre. Une sélection de
photographies de l’année est par exemple proposée dans la cadre du Prix du Regard des
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On propose ici deux photographies qui peuvent à la fois servir de discussion sur les choix
de représentation de la ville et de son anéantissement par les bombes ainsi que sur la
présence des êtres humains qui subissent les bombardements, afin de rendre les élèves
sensibles aux drames contemporains dont l’actualité peut les abreuver et de leur apporter
une distance critique par l’analyse des constructions des représentations à travers les choix
photographiques. Si les deux photographies sont prises en des temps distincts, les lieux se
répondent puisqu’il s’agit de la ville de Gaza.
• La première fait face à un bombardement de la ville. La construction de la photographie
place l’explosion et la fumée qui s’en dégage en son centre et le nuage de fumée se confond
avec la couleur du ciel lui-même envahi.
Appartenant à la sélection du Prix Bayeux du regard des jeunes de 15 ans (2015), elle a été
prise le 29 juillet 2014 à Gaza par Ashraf Amra.
• La seconde photographie est le cliché retenu pour l’affiche de la prochaine édition du Prix
Bayeux-Calvados qui se tiendra du 3 au 9 octobre 2016 et provient du reportage La Guerre et la
guérison à Gaza de Heidi Levine (SIPA Presse) qui a reçu le trophée photo du prix Nikon 2015.
Elle représente une femme, de dos, à l’intérieur d’un immeuble détruit, face aux décombres de
la ville de Gaza.
Le titre du reportage d’où elle émane montre, à l’instar du texte de Michel Leiris, que les
ruines sont porteuses tout à la fois de la souffrance mais d’un avenir possible également. La
femme fait face à la solitude d’une ville en pleine désolation, elle semble enfermée dans ce
qu’il subsiste d’un immeuble qui l’encadre en même temps que l’horizon n’est pas bouché.
C’est bien un rappel que dernière toute ville détruite, bombardée, ce sont des êtres humains
qui sont touchés et on peut faire s’interroger les élèves sur ce que représente la présence de
cette femme sur cette photographie, sur ce qu’elle peut ressentir en faisant face ainsi à ce
qui est probablement sa ville, peut-être son appartement, les raisons qui font qu’elle y est
seule, comme si elle était la seule survivante. Mais l’horizon au loin témoigne de ce que toute
ville détruite contient encore une part d’espoir, comme un écho au tableau de Meissonier,
précédemment cité.
Activités possibles :
• Faire écrire aux élèves la description de la ville observée par cette femme, tel Michel Leiris
face à la ville du Havre, en se référant au travail effectué sur la fiction pour interroger le réel.
• Réaliser l’entretien fictif de cette femme qui confierait son histoire à la journaliste qui l’a
prise en photo dans son appartement. Elle pourrait lui confier son drame, ses espoirs, afin de
s’inscrire dans le titre du reportage, « La guerre et la guérison à Gaza ».
Un grand nombre, sinon la plupart, de ces choses ont été décrites inventoriées,
photographiées, racontées ou recensées. Mon propos dans les pages qui suivent a plutôt été
de décrire le reste : ce que l’on ne note généralement pas, ce qui ne se remarque pas, ce qui
n’a pas d’importance : ce qui se passe quand il ne se passe rien, sinon du temps, des gens, des
voitures et des nuages.
Trajectoires :
Le 96 va à la gare Montparnasse
Le 84 va à la Porte de Champerret
Le 70 va Place du Dr Hayem, Maison de l’O.R.T.F.
Le 86 va à Saint-Germain-des-Prés
Exigez le Roquefort Société le vrai dans son ovale vert
Aucune eau ne jaillit de la fontaine. Des pigeons se sont posés sur le rebord d’une de
ses vasques.
Sur le terre-plein, il y a des bancs, des bancs doubles avec un dosseret unique. Je peux, de ma
place, en compter jusqu’à six. Quatre sont vides. Trois clochards aux gestes classiques (boire
du rouge à la bouteille) sur le sixième.
Le 63 va à la Porte de la Muette
Le 86 va à Saint-Germain-des-Prés
Nettoyer c’est bien ne pas salir c’est mieux
Un car allemand
Une fourgonnette Brinks
Le 87 va au Champ-de-Mars
Le 84 va à la Porte de Champerret
Couleurs :
L’anagnoste
Une critique de l’œuvre par l’auteur du blog L’anagnoste saisit et explique le projet de Georges
Perec et peut, par l’extrait suivant, définir l’intérêt pédagogique de cette activité pour les
élèves : « Tentative d’épuisement d’un lieu parisien est une invitation à l’immobilité, à la
contemplation. Cessons d’être acteurs, devenons spectateurs de l’existence. À quoi bon nous agiter
en tous sens ? Nous passons à côté de l’essentiel, à côte de la beauté ordinaire. » (cf)
Activité proposée
Lecture préliminaire de l’extrait reproduit du texte de Georges Perec avec les
élèves
Premières impressions des élèves à l’oral.
Discussion autour de ce que peut être l’intention de l’auteur. Pourquoi a-t-il écrit ? Pour qui ?
Comment Perec écrit-il son expérience ? Comment celle-ci est organisée ? L’écriture prend-
elle du temps ? Le rythme d’écriture est-il lent ? Rapide ? Qu’est-ce qui donne le rythme à
l’observation du lieu ?
Se pencher sur différentes phrases relevées par l’auteur : que peuvent-elles désigner (par
exemple : Nettoyer c’est bien ne pas salir c’est mieux) ? Où peuvent-elles se trouver ?
Rédaction de listes de choses observées par les élèves et ce qu’ils devront transposer pour
leurs propres textes :
• inventaire des lieux, des rues ;
• couleurs ;
• trajectoires ;
• passants ;
• attitudes particulières ;
• véhicules ;
• ce qui est en mouvement, ce qui est statique ;
• publicités visibles ;
• matières ;
• symboles, etc.
Choix du lieu (des lieux ?)
Établissement de la liste de choses à faire une fois sur place.
• On peut imaginer une deuxième sortie en ville, un autre jour, uniquement basée sur l’en-
registrement sonore et la prise de vue photographique de l’endroit choisi. L’enregistrement
sonore pourra concerner les élèves observant et décrivant le lieu ou un enregistrement des
sons et bruits inhérents au lieu, pour recréer son atmosphère. Ce projet d’écriture peut ainsi
se transformer en installation artistique au sein du collège, dans laquelle se mélangeront l’ex-
position des textes et photographies des élèves, ainsi que quelques textes, lus par les élèves
eux-mêmes, mêlés au fond sonore du lieu.
Présentation du questionnement
Problématiques possibles
Les différents textes proposés ici nous présentent des figures de savants, chercheurs, médecins,
ingénieurs, qui sont tous habités par le désir de faire progresser la science, par la foi dans le
progrès. S’il est toujours question dans ce groupement de volonté, d’effort, de persévérance,
d’énergie prête à dépasser les différents obstacles qui se présentent dans la démarche
scientifique, ces savants se distinguent néanmoins par les valeurs dans lesquelles s’inscrivent
leurs recherches.
Dans le sillage du romantisme noir, certains s’avèrent inquiétants, animés qu’ils sont d’une
forme d’hybris, d’un désir de dépasser toute limite, sans considération morale. D’autres au
contraire, dans une époque marquée par le scientisme et le positivisme, ont foi dans le progrès,
mais en en prenant en compte les conséquences technologiques et pratiques, en inscrivant la
dimension morale et éthique dans leurs pratiques. Dans cette optique, on pourrait rapprocher
ces deux types de savants des figures mythologiques de Prométhée et d’Héphaïstos.
Texte n°1
Je me trouvais en possession d’un pouvoir si étonnant que j’hésitai longtemps sur la
manière de l’employer. J’étais désormais en mesure d’animer la matière ; mais préparer un
corps susceptible de la recevoir, un organisme avec ses réseaux délicats de fibres, de muscles
et de veines, demeurait toujours une œuvre d’une difficulté impensable. Je m’interrogeai
pour savoir s’il me fallait tenter de créer un être semblable à moi-même ou un organisme
plus simple. Mon imagination avait cependant été trop exaltée par mon premier succès
pour m’autoriser à douter de ma capacité à dispenser la vie à un animal aussi complexe et
prodigieux que l’homme. Les matériaux dont je disposais à l’époque ne paraissaient pas
appropriés à la réalisation d’une entreprise aussi ardue ; pourtant, à aucun moment, je ne
doutai de ma réussite finale. Je me préparai à affronter une multitude de revers ; mes travaux
risquaient de se solder à chaque fois par un échec et mon œuvre de ne jamais atteindre la
perfection. Il me suffisait néanmoins de songer aux progrès qu’enregistraient tous les jours
la science et la mécanique pour reprendre espoir et me dire que mes tentatives annuelles
poseraient au moins les fondements de succès futurs. En outre, l’ampleur et la complexité de
ma tâche m’apparaissaient comme des preuves de son caractère utopique. C’est dans cet état
d’esprit que j’entrepris de créer un être humain. (…)
Nul n’imaginera la diversité des sentiments qui m’incitaient à aller de l’avant, tel
un ouragan, porté par l’enthousiasme du premier succès. La vie et la mort étaient à mes
yeux des limites idéales qu’il me faudrait tout d’abord franchir pour déverser un torrent de
lumière dans les ténèbres de notre monde. Une nouvelle espèce me vénérerait comme son
créateur ; d’innombrables natures heureuses et généreuses me devraient l’existence. Nul
père ne mériterait la gratitude de son enfant aussi pleinement que moi. Poursuivant ses
réflexions, je songeai que s’il m’était possible d’animer la matière inerte, je devrais parvenir
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avec le temps (je sais aujourd’hui que c’était un leurre) à rendre la vie à un corps que la mort
avait apparemment condamné à la putréfaction.
Ces pensées renforçaient mon courage, je me consacrais avec une ardeur incessante
à mon entreprise. L’étude avait rendu ma peau blême, et la réclusion les traits de mon visage
émaciés. Il m’arrivait d’échouer même où je me croyais au seuil de la certitude, je ne perdais
cependant jamais l’espoir que le lendemain ou le surlendemain ne concrétise mon rêve. La
lune éclairait mes efforts nocturnes tandis que, brûlant d’impatience et de ferveur, je traquais
la nature jusque dans ses replis les plus intimes. Qui concevra l’horreur de mes travaux les
plus occultes ; je pataugeais sur un sol détrempé au milieu des tombes profanées, je torturais
des animaux vivants pour animer l’argile inerte. Le souvenir de ces heures fait aujourd’hui
trembler mes membres et me mouille les yeux, mais alors un élan irrésistible et presque
frénétique me poussait de l’avant. J’avais, dans ma quête, perdu et mon âme et ma sensibilité.
Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne, Folio plus, éditions Gallimard, 1997.
Texte n°2
L’après-midi était déjà fort avancé lorsque Mr Utterson se présenta à la porte du Dr
Jekyll. Poole l’introduisit sur le champ. Il lui fit traverser les cuisines, puis une cour qui jadis
avait été un jardin, et le conduisit au bâtiment qu’on appelait indifféremment le laboratoire
ou la salle de dissection. Le docteur avait racheté la maison aux héritiers d’un chirurgien de
renom et, comme ses goûts le portaient davantage vers la chimie que vers l’anatomie, il avait
affecté à d’autres fonctions le corps de logis au fond du jardin. C’était la première fois que le
notaire était reçu par son ami dans cette partie-là de sa demeure, aussi fut-ce avec curiosité
qu’il examina cet ensemble aveugle et défraîchi, et non sans une sensation d’inquiétante
étrangeté qu’il traversa l’amphithéâtre autrefois bondé d’étudiants enthousiastes, n’offrant
plus aujourd’hui qu’un lugubre et silencieux spectacle, avec ses tables remplies de cornues
et d’éprouvettes, ce plancher jonché de caisses et de paille d’emballage, et cette lumière
du dehors qui filtrait par la coupole embrumée. Tout au fond, un escalier aboutissait à une
porte capitonnée de rouge, et c’est par là que Mr Utterson fut enfin admis dans le cabinet du
docteur. C’était une pièce spacieuse, garnie de vitrines, et meublée, entre autres choses, d’un
grand miroir sur pied et d’une table de travail. Elle avait vue sur la cour par trois fenêtres
poussiéreuses grillagées de fer. Le feu brûlait dans l’âtre ; une lampe était allumée sur le
rebord de la cheminée car le brouillard épais commençait même à envahir l’intérieur des
maisons ; c’est là, réfugié tout contre la flamme, qu’était assis le Dr Jekyll, pâle à faire
peur. Sans se lever pour accueillir son visiteur, il lui tendit une main glacée et lui souhaita la
bienvenue d’une voix altérée.
Robert Louis Stevenson, L’Etrange cas du Dr Jekyll et Mr Hyde, 1886.
Texte n°3
Cyrus Smith, originaire du Massachusetts, était un ingénieur, un savant de premier
ordre, auquel le gouvernement de l’Union avait confié, pendant la guerre, la direction des
chemins de fer, dont le rôle stratégique fut si considérable. Véritable Américain du Nord,
maigre, osseux, efflanqué, âgé de quarante-cinq ans environ, il grisonnait déjà par ses cheveux
rares et par sa barbe, dont il ne conservait qu’une épaisse moustache. Il avait une de ces
belles têtes « numismatiques » qui semblent faites pour être frappées en médailles, les yeux
ardents, la bouche sérieuse, la physionomie d’un savant de de l’école militante. C’était un de
ses ingénieurs qui ont voulu commencer par manier le marteau et le pic, comme ces généraux
qui ont voulu débuter simples soldats. Aussi, en même temps que l’ingéniosité de l’esprit,
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Texte n°4
En haut, dans sa chambre, le docteur Pascal travaillait avec une sérénité de joie
parfaite. Il n’avait guère exercé la médecine que pendant une douzaine d’années, depuis
son retour de Paris, jusqu’au jour où il était venu se retirer à la Souleiade. Satisfait des
cent et quelques mille francs qu’il avait gagnés et placés sagement, il ne s’était plus guère
consacré qu’à ses études favorites, gardant simplement une clientèle d’amis, ne refusant
pas d’aller au chevet d’un malade, sans jamais envoyer sa note. Quand on le payait, il jetait
l’argent au fond d’un tiroir de son secrétaire, il regardait cela comme de l’argent de poche,
pour ses expériences et ses caprices, en dehors de ses rentes dont le chiffre lui suffisait.
Et il se moquait de la mauvaise réputation d’étrangeté que ses affaires lui avaient faite, il
n’était heureux qu’au milieu de ses recherches, sur les sujets qui le passionnaient. C’est
pour beaucoup une surprise de voir que ce savant, avec ses parties de génie gâtées par
une imagination trop vive fût resté à Plassans, cette ville perdue, qui semblait ne devoir lui
offrir aucun des outils nécessaires. Mais il expliquait très bien les commodités qu’il y avait
découvertes, d’abord une retraite de grand calme, ensuite un terrain insoupçonné d’enquête
continue, au point de vue des faits de l’hérédité, son étude préférée, dans ce coin de province
où il connaissait chaque famille, où il pouvait suivre les phénomènes tenus secrets, pendant
deux ou trois générations. D’autre part, il était voisin de la mer, il y était allé, presque à chaque
belle saison, étudier la vie, le pullulement infini où elle naît et se propage, au fond des vastes
eaux. Et il y avait enfin, à l’hôpital de Plassans, une salle de dissection, qu’il était presque le
seul à fréquenter, une grande salle claire et tranquille, dans laquelle, depuis plus de vingt ans,
tous les corps non réclamés étaient passés sous son scalpel. Très modeste d’ailleurs, d’une
timidité longtemps ombrageuse, il lui avait suffi de rester en correspondance avec ses anciens
professeurs et quelques amis nouveaux, au sujet des très remarquables mémoires qu’il
envoyait parfois à l’Académie de médecine. Toute ambition militante lui manquait.
Zola, Le Docteur Pascal, 1893.
Texte n°5
Sa vocation … depuis l’âge de quinze ans, la médecine n’avait pas cessé d’exercer sur
une attraction singulière. Encore maintenant, il admettait comme un dogme que la science
médicale était l’aboutissement de tout l’effort intellectuel, et constituait le plus clair profit de
vingt siècles de tâtonnements dans toutes les voies de la connaissance, le plus riche domaine
ouvert au génie de l’homme. Science illimitée dans son étude spéculative et néanmoins
enracinée dans la plus concrète réalité, en contact direct et constant avec l’être humain. A
cela, il tenait particulièrement. Jamais il n’aurait consenti à s’enfermer dans un laboratoire,
à limiter son observation au champ du microscope : il aimait ce corps à corps perpétuel du
Retrouvez Éduscol sur médecin avec la multiforme réalité. (…)
Sa pensée franchit une sorte d’espace obscur qui était la mort de son père ; au-delà,
le chemin redevenait lumineux. Entre deux bouffées de cigarette, il envisagea cette mort
tout autrement que d’habitude, sans appréhension aucune, sans tristesse ; au contraire,
comme une délivrance nécessaire, attendue, comme un élargissement de l’horizon et l’une
des conditions de son essor. Cent possibilités nouvelles s’offraient à lui. « Il s’agira de faire
aussitôt un choix parmi la clientèle… Se réserver des loisirs… Et puis, un aide à demeure, pour
les recherches. Peut-être même un secrétaire ; pas un collaborateur, non, un garçon jeune,
une intelligence ouverte à tout, que je dresserais, qui me débarrasserait de mes besognes…
Et moi je pourrais travailler dur… M’acharner… découvrir du neuf… Ah oui, je suis sûr de faire
de grandes choses !... » Sur sa lèvre se joua une ébauche de sourire, reflet intérieur de cet
optimisme qui le dilatait.
Tout à coup, il jeta sa cigarette et s’arrêta, songeur. « N’est-ce pas étrange, si l’on y
pense ? Ce sens moral que j’ai expulsé de ma vie, et dont je me sentais, il n’y a pas une heure,
radicalement affranchi, voilà que je viens de le retrouver en moi, brusquement ! Et non pas
réfugié dans quelque repli obscur et inexploré de ma conscience ! Non ! Epanoui, au contraire,
solide, indéracinable, s’étalant à la place principale, en plein centre de mon énergie et de
mon activité : au cœur de ma vie professionnelle ! Car il ne s’agit pas de jouer sur les mots :
comme médecin, comme savant, j’ai un sens de la droiture absolument inflexible ; et, sur ce
point-là, je crois bien pouvoir dire que je ne transigerai jamais… comment concilier tout ça ?...
Bah », se dit-il, « pourquoi toujours vouloir concilier » ? En fait, il y renonça vite, et, cessant de
penser avec précision, il s’abandonna lâchement au bien-être, mêlé de fatigue, qui peu à peu
l’engourdissait. ».
Roger Martin du Gard, La Consultation, Les Thibault, 1928.
La figure du savant apparait comme une figure héroïque dont les découvertes ou les inven-
tions ne comptent pas tant que son comportement exemplaire qui lui vaut d’être immortalisé.
L’approche scientifique est avant tout une approche éthique puisque les textes scientifiques
sont avant tout des textes philosophiques, à l’image de la poésie didactique de Lucrèce qui fait
l’éloge de la pensée d’Epicure (texte 1). On trouve, par ailleurs, le portrait du savant sage dans la
célèbre lettre de Pline le Jeune décrivant l’attitude de son oncle au moment de l’éruption du Vé-
suve. C’est aussi le développement consacré à Archimède dans la Vie de Marcellus de Plutarque
(texte 3) : le scientifique y est à la fois un modèle de maitrise de soi et d’intelligence dans l’action
que l’homme politique doit prendre en modèle s’il veut se hisser à sa hauteur et laisser à son
tour son nom à la postérité. Ce regard stoïcien sur le scientifique est déjà présent dans la Vie de
Pythagore de Diogène Laërce (texte 4). Il s’agit avant tout de vivre selon sa droite raison, confor-
mément à l’ordre rationnel du monde. Il faut pour cela méditer les courtes maximes attribuées
à Pythagore, exercice spirituel qui permet de restaurer en soi la tranquillité et la paix de l’âme à
une époque où la science, indissociable de l’éthique et de la métaphysique, faisait partie inté-
grante d’un véritable système de pensée.
Corpus de textes
Texte n°1 : Victoire d’Épicure sur la religion
[1,62] Jadis, quand on voyait les hommes traîner une vie rampante sous le faix honteux de
la superstition, et que la tête du monstre leur apparaissant à la cime des nues, les accablait
de son regard épouvantable, un Grec, un simple mortel osa enfin lever les yeux, osa enfin lui
résister en face. Rien ne l’arrête, ni la renommée des dieux, ni la foudre, ni les menaces du ciel
qui gronde; [1,70] loin d’ébranler son courage, les obstacles l’irritent, et il n’en est que plus
ardent à rompre les barrières étroites de la nature. Aussi en vient-il à bout par son infatigable
génie: il s’élance loin des bornes enflammées du monde, il parcourt l’infini sur les ailes de
la pensée, il triomphe, et revient nous apprendre ce qui peut ou ne peut pas naître, et d’où
vient que la puissance des corps est bornée et qu’il y a pour tous un terme infranchissable. La
superstition fut donc abattue et foulée aux pieds à son tour, et sa défaite nous égala aux dieux.
Lucrèce, De rerum natura, 1,62-79. Traduction de P. Remacle. Disponible ici.
L’événement a découvert depuis que c’était du mont Vésuve. […] Ce prodige surprit mon oncle,
qui était très savant ; et il le crut digne d’être examiné de plus près. Il commande que l’on
appareille sa frégate légère, et me laisse la liberté de le suivre. Je lui répondis que j’aimais
mieux étudier ; et par hasard il m’avait lui-même donné quelque chose à écrire. Il sortait de
chez lui, ses tablettes à la main, lorsque les troupes de la flotte qui étaient à Rétines, effrayées
par la grandeur du danger (car ce bourg est précisément sur Misène, et on ne s’en pouvait
sauver que par la mer), vinrent le conjurer de vouloir bien les garantir d’un si affreux péril.
Il ne changea pas de dessein, et poursuivit avec un courage héroïque ce qu’il n’avait d’abord
entrepris que par simple curiosité. Il fait venir des galères, monte lui-même dessus, et part
dans le dessein de voir quel secours on pouvait donner non seulement à Rétines, mais à tous
les autres bourgs de cette côte, qui sont en grand nombre à cause de sa beauté. Il se presse
d’arriver au lieu d’où tout le monde fuit, et où le péril paraissait plus grand ; mais avec une
telle liberté d’esprit, qu’à mesure qu’il apercevait quelque mouvement ou quelque figure
extraordinaire dans ce prodige, il faisait ses observations et les dictait. Déjà sur ces vaisseaux
volait la cendre plus épaisse et plus chaude, à mesure qu’ils approchaient ; déjà tombaient
autour d’eux des pierres calcinées et des cailloux tout noirs, tout brûlés, tout pulvérises par
la violence du feu ; déjà la mer semblait refluer, et le rivage devenir inaccessible par des
morceaux entiers de montagnes dont il était couvert ; lorsque après s’être arrêté quelques
moments, incertain s’il retournerait, il dit à son pilote, qui lui conseillait de gagner la pleine
mer : « La fortune favorise le courage. Tournez du côté de Pomponianus ». Pomponianus
était à Stable, en un endroit séparé par un petit golfe que forme insensiblement la mer sur
ces rivages qui se courbent. Là, à la vue du péril, qui était encore éloigné, mais qui semblait
s’approcher toujours, il avait retiré tous ses meubles dans ses vaisseaux, et n’attendait pour
s’éloigner qu’un vent moins contraire. Mon oncle, à qui ce même vent avait été très favorable,
l’aborde, le trouve tout tremblant, l’embrasse, le rassure, l’encourage ; et pour dissiper, par
sa sécurité, la crainte de son ami, il serait porté au bain. Après s’être baigné, il se met à table,
et soupe avec toute sa gaieté, ou (ce qui n’est pas moins grand) avec toutes les apparences
de sa gaieté ordinaire. Cependant on voyait luire, de plusieurs endroits du mont Vésuve, de
grandes flammes et des embrasements dont les ténèbres augmentaient l’éclat. Mon oncle,
pour rassurer ceux qui l’accompagnaient, leur dit que ce qu’ils voyaient brûler, c’étaient des
villages que les paysans alarmés avaient abandonnés, et qui étaient demeurés sans secours.
Ensuite il se coucha, et dormit d’un profond sommeil ; car, comme il était puissant, on
l’entendait ronfler de l’antichambre. […] Hors de la ville, la chute des pierres, quoique légères
et desséchées par le feu, était à craindre. Entre ces périls, on choisit la rase campagne. Chez
ceux de sa suite, une crainte surmonta l’autre : chez lui, la raison la plus forte l’emporta sur
la plus faible. Ils sortent donc, et se couvrent la tête d’oreillers attachés avec des mouchoirs ;
ce fut toute la précaution qu’ils prirent contre ce qui tombait d’en haut. Le jour recommençait
ailleurs ; mais dans le lieu où ils étaient continuait une nuit la plus sombre et la plus affreuse
de toutes les nuits, et qui n’était un peu dissipée que par la lueur d’un grand nombre de
flambeaux et d’autres lumières. On trouva bon de s’approcher du rivage, et d’examiner de près
ce que la mer permettait de tenter ; mais on la trouva encore fort grosse, et fort agitée d’un
vent contraire. Là, mon oncle ayant demandé de l’eau et bu deux fois, se coucha sur un drap
qu’il fit étendre. Ensuite des flammes qui parurent plus grandes, et une odeur de soufre qui
annonçait leur approche, mirent tout le monde en fuite. Il se lève, appuyé sur deux valets, et
dans le moment tombe mort. Je m’imagine qu’une fumée trop épaisse le suffoqua d’autant
plus aisément, qu’il avait la poitrine faible, et souvent la respiration embarrassée. Lorsque
l’on commença à revoir la lumière (ce qui n’arriva que trois jours après), on retrouva au même
endroit son corps entier, couvert de la même robe qu’il portait quand il mourut, et dans la
posture plutôt d’un homme qui repose que d’un homme qui est mort.
Pline Le Jeune, Lettre XVI, Livre VI. Traduction : Philippe Remacle. Disponible ici.
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XXV. Mais rien n’affligea tant Marcellus que la mort d’Archimède. Ce philosophe était alors
chez lui, appliqué à quelque figure de géométrie; et comme il donnait à cette méditation tout
son esprit et tous ses sens, il n’avait pas entendu le bruit des Romains qui couraient de toutes
parts dans la ville, et il ignorait qu’elle fût en leur pouvoir. Tout à coup il se présente à lui un
soldat qui lui ordonne de le suivre pour aller trouver Marcellus. Il refuse d’y aller jusqu’à ce
qu’il ait achevé la démonstration de son problème. Le Romain, irrité, tire son épée et le tue.
D’autres disent qu’un soldat étant allé d’abord à lui, l’épée à la main, pour le tuer, Archimède
le pria instamment d’attendre un moment, afin qu’il ne laissât pas son problème imparfait; et
que le soldat, qui se souciait fort peu de sa démonstration, le perça de son épée. Un troisième
récit, c’est qu’Archimède étant allé lui-même porter à Marcellus, dans une caisse, des
instruments de mathématiques, tels que des cadrans au soleil, des sphères, et des angles
avec lesquels on mesure la grandeur du soleil, des soldats qui le rencontrèrent, croyant que
c’était de l’or qu’il portait dans cette caisse, le tuèrent pour s’en emparer. Mais ce qui est avoué
de tous les historiens, c’est que Marcellus fut très affligé de sa mort, qu’il eut horreur du
meurtrier comme d’un sacrilège, et qu’ayant fait chercher les parents d’Archimède, il les traita
de la manière la plus honorable.
Plutarque, Vie de Marcellus, XX et XXV. Traduction de Philippe Remacle. Disponible ici.
Voici le sens de ces symboles : Ne pas remuer le feu avec l’épée, signifie ne pas exciter la colère
et l’indignation des puissants. Ne pas secouer le joug, veut dire respecter l’équité et la justice.
Ne pas s’asseoir sur le chénix, c’est-à-dire songer au présent et à l’avenir, le chénix étant la
mesure d’un jour de nourriture. Ne point ronger son cœur, signifie qu’il ne faut point se laisser
abattre par la douleur et le chagrin. Enfin lorsqu’il dit qu’en sortant de son pays Une faut pas
regarder en arrière, il fait entendre qu’on ne doit point regretter la vie au moment où on la
quitte, ni être trop sensible aux plaisirs de ce monde. Les autres symboles s’expliquent d’une
manière analogue ; aussi nous n’insisterons pas davantage.
§23-34 […] On lui doit les maximes suivantes : Honorez les dieux avant les héros, les héros
avant les hommes, et parmi les hommes vos parents entre tous. — Vivez avec vos semblables
de manière à ne pas vous faire des ennemis de vos amis, et à vous faire des amis de vos
ennemis.— N’ayez rien en propre. —Prêtez appui à la loi et combattez l’iniquité. —Ne détruisez
point, ne blessez pas un arbre à fruit ni un animal qui ne porte aucun préjudice à l’homme. —
La pudeur et la modestie consistent dans un milieu entre la gaîté immodérée et la sévérité
excessive .— Evitez l’abus des viandes. — En route, faites succéder le repos à la marche.
— Exercez votre mémoire — Que toutes vos paroles et vos actions soient exemptes de colère.
— Respectez toute espèce de divination. — Chantez sur la lyre, et témoignez par des hymnes
votre reconnaissance aux dieux et aux hommes vertueux.
Diogène Laërce, Vie de Pythagore, § 16-18 et § 23-24 (extraits)
Vies de scientifiques
• Diogène Laërce, Vie et doctrine des philosophes illustres. Paris, Garnier Flammarion, 1993
(2 tomes).
• Favre-Bulle (Stéphane). Thalès, Pythagore, Euclide, Archimède. Paris, Ellipses, 2005, 95 p.
• Zitelmann (Arnulph). Hypatia. Paris, Ecole des loisirs, 1990, 278 p.
Corpus d’images
La figure du savant fou s’inscrit dans une tradition qui remonte à l’Antiquité et au mythe de
Prométhée. Incarnation de l’hybris, de la transgression, et de la punition, le Titan est une
figure particulière de la mythologie qui interroge l’être humain dans son rapport au divin et
dans son rapport à l’univers qui l’entoure. Si le mythe prométhéen, dans son rapport au divin,
interroge les notions de sacré et de transcendance, il met en jeu, dans son rapport à l’univers,
la supériorité de l’espèce humaine sur les autres espèces. Prendre le pouvoir grâce au feu
et l’offrir ensuite aux hommes est un acte hautement symbolique qui installe une hiérarchie
entre les êtres, et permet à l’espèce humaine ainsi favorisée d’engager un processus
d’évolution et de progression en contrôlant toujours davantage le monde qui l’entoure.
Le corpus se construit surtout autour des peintures et sculptures du XIXe siècle où la figure de
Prométhée semble interroger la notion de progrès devenu, à la fin de la monarchie de Juillet,
une religion ou un substitut de la religion et déclenchant ainsi bien des oppositions. Elle
trouve son prolongement dans des personnages comme Balthazar Claës dans La Recherche
de l’absolu d’Honoré de Balzac ou comme Jean Sombreval dans Un Prêtre marié de Jules
Barbey d’Aurevilly. Ayant renié sa foi pour s’adonner aux sciences, notamment l’alchimie et la
médecine, cette figure prométhéenne illustre les excès de la science en espérant découvrir un
remède qui soignera sa fille atteinte d’une maladie qu’aucun savant ne parvient à guérir.
• Jean Charles Frontier. Vulcain enchaînant Prométhée. Paris, école nationale supérieure des
Beaux-Arts (ENSBA).
• Claude Félix Théodore Caruelle d’Aligny. Prométhée. Paris, musée du Louvre.
• Louis Silvestre. Esquisse pour La formation de l’homme par Prométhée aidé de Minerve.
Montpellier, musée Fabre.
• Gustave Moreau. Prométhée. Paris, musée Gustave Moreau.
• Gustave Moreau. Prométhée foudroyé (vers 1869). Paris, musée Gustave Moreau.
• Antonello da Messina, Saint Jérôme à son étude (vers 1488), Londres, National gallery.
• Carpaccio, La vision de saint augustin, 1502-1508, Scuola degli Schiavoni, Venise.
• Hermann Prell. Prométhée (sculpture). Berlin, Nationalgalerie, Staatliche.
• Constantin Brancusi. Prométhée, bronze poli (1911-1917). Paris, Centre Pompidou - Musée
national d’art moderne - Centre de création industrielle.
• Jean Dewasne. Etude pour Prométhée I. Paris, Centre Pompidou - Musée national d’art mo-
derne - Centre de création industrielle.
Ce corpus propose des textes qui posent la réflexion sur l’homme, créateur stimulé par les
avancées scientifiques et techniques de son époque tout autant que créature de ce progrès.
Cette mise en perspective des évolutions évoquées dans ces extraits avec celles de notre époque
permet de s’interroger sur l’idée du progrès scientifique, tantôt exalté et mythifié, tantôt objet de
répulsion ou de désillusion et de réfléchir à l’utilisation actuelle de ces avancées et des outils qui
les accompagnent.
Lord Ewald est désespéré par sa maîtresse, Alicia, et se voit proposer par Edison un être
mécanique animé, Hadaly, qui aurait les traits d’Alicia et une âme artificielle.
― On n’aime qu’un être animé ! dit lord Ewald.
― Eh bien ! demanda Edison.
― L’âme, c’est l’inconnu ; animerez-vous votre Hadaly ?
― On anime bien un projectile d’une vitesse de X ; or, X, c’est l’inconnu, aussi.
― Saura-t-elle qui elle est ? ce qu’elle est, veux-je dire ?
― Savons-nous donc si bien, nous-mêmes, qui nous sommes ? et ce que nous sommes ?
Exigerez-vous plus de la copie que Dieu n’en crut devoir octroyer à l’original.
― Je demande si votre créature aura le sentiment d’elle-même.
― Sans doute ! répondit Edison comme très étonné de la question.
― Hein ? Vous dites ?… s’écria lord Ewald, interdit.
― Je dis : sans doute ! ― puisque ceci dépend de vous. Et c’est même sur vous seul que je me
fonde pour que cette phase du miracle soit accomplie.
― Sur moi ?
― Sur quel autre, plus intéressé en ce problème, pourrais-je compter ?
― Alors, dit tristement lord Ewald, ― veuillez bien m’apprendre, mon cher Edison, où je dois
aller ravir une étincelle de ce feu sacré dont l’Esprit du Monde nous pénètre ! Je ne m’appelle
point Prométhée, mais, tout simplement, lord Celian Ewald, ― et je ne suis qu’un mortel.
― Bah ! tout homme a nom Prométhée sans le savoir ― et nul n’échappe au bec du vautour,
répondit Edison. ― Milord, en vérité je vous le dis : une seule de ces mêmes étincelles, encore
divines, tirées de votre être, et dont vous avez tant de fois essayé (toujours en vain !) d’animer
le néant de votre jeune admirée, suffira pour en vivifier l’ombre.
C’est dans ces sentiments que je me mis à créer un être humain. Comme la petitesse de
ses diverses parties constituait un grave obstacle à la rapidité de mon travail, je résolus,
contrairement à mon intention première, de lui donner une stature gigantesque, c’est-à-
dire d’environ huit pieds de hauteur, et d’une largeur proportionnée. Après avoir pris cette
décision, et passé plusieurs mois à rassembler et disposer convenablement mes matériaux, je
commençai mon œuvre.
Nul ne peut concevoir les sentiments variés qui me poussaient en avant, tel un ouragan,
dans le premier enthousiasme du succès. La vie et la mort m’apparaissaient comme des
limites idéales que je devrais d’abord franchir pour déverser sur notre monde ténébreux un
torrent de lumière. Une espèce nouvelle bénirait en moi son créateur et sa source ; c’est à
moi que devraient l’existence des quantités de natures heureuses et bonnes : nul père ne
pourrait mériter la reconnaissance de son enfant comme je mériterais la leur. Poursuivant ces
réflexions, je me disais que s’il m’était donné d’animer la matière inerte, je pourrais avec le
temps (bien que cela me semblât encore impossible), renouveler la vie lorsque la mort avait
apparemment livré le corps à la corruption.
Ces pensées soutenaient mon courage, tandis que je poursuivais mon entreprise avec
une ardeur sans défaillance. L’étude avait pâli ma joue, l’absence d’exercice avait amaigri
mon corps. Parfois, au bord même de la certitude, je n’aboutissais pas ; et pourtant je
n’abandonnais pas un espoir que le jour ou l’heure suivante réaliserait peut-être. L’unique
secret que seul je possédais, était l’espoir auquel je m’étais consacré ; et la lune contemplait
mes labeurs nocturnes, tandis que, dans la constance et l’essoufflement de l’impatience, je
poursuivais la nature jusque dans ses cachettes. Qui concevra les horreurs de mon travail
secret, tandis que je tâtonnais, profanant l’humidité des tombes, ou torturais l’animal vivant
pour animer l’argile inerte ? Ce souvenir fait aujourd’hui trembler mes membres et trouble
mon regard ; mais alors une impulsion irrésistible et presque frénétique me poussait en
avant ; toute mon âme, toutes mes sensations ne semblaient plus exister que pour cette
seule recherche. Celle-ci n’était plus, à vrai dire, qu’une extase isolée, qui ne faisait que
renouveler l’intensité de mes sentiments dès qu’en l’absence de ce stimulant étrange je
reprenais mes anciennes habitudes. Je ramassais des ossements dans les charniers, et mes
doigts profanes troublaient les mystères de l’édifice humain. C’était dans une pièce, ou plutôt
dans une cellule solitaire, en haut de la maison, et séparée de tous les autres appartements
par une galerie et un escalier, que j’avais établi mon atelier d’immonde création ; mes yeux
sortaient de leurs orbites devant les détails de mon œuvre. La salle de dissection et l’abattoir
me fournissaient une grande partie de mes matériaux ; et mainte fois mon humanité se
détourna avec écœurement de mon œuvre, au moment même où sous l’aiguillon d’une
curiosité sans cesse croissante, j’étais sur le point d’aboutir.
Chapitre IV
Le monstre créé par Victor Frankenstein retrouve son créateur et lui adresse ces mots.
— Sois calme ! Je te prie de m’écouter, avant de te livrer à la haine qui t’anime contre ma
tête sacrifiée. N’ai-je donc pas assez souffert, pour que tu cherches encore à accroitre mon
malheur ? La vie, bien qu’elle ne soit pour moi qu’une accumulation d’angoisses, m’est chère,
et je la défendrai. Souviens-toi, tu m’as fait plus puissant que toi-même ; ma taille est plus
grande, mes articulations plus souples. Mais je ne serai pas tenté de m’opposer à toi. Je suis
ta créature, et j’irai jusqu’à obéir doucement et docilement à mon maître et à mon roi naturel,
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si tu veux aussi t’acquitter de ton rôle, de ton devoir envers moi. Oh ! Frankenstein, ne sois pas
équitable à l’égard de tout autre être, pour me fouler seul aux pieds, moi à qui sont dues ta
justice, et même ta clémence et ton affection. Souviens-toi ! je suis ta créature ; je devrais être
ton Adam ; mais je suis bien plutôt l’ange déchu que tu chasses loin de la joie, bien qu’il n’ait
pas fait le mal. Partout je vois le bonheur, et j’en suis irrévocablement privé. J’étais bienveillant
et bon ; la misère a fait de moi un démon. Rends-moi la joie, et je redeviendrai vertueux.
Chapitre X
En somme, le docteur Pascal n’avait qu’une croyance, la croyance à la vie. La vie était l’unique
manifestation divine. La vie, c’était Dieu, le grand moteur, l’âme de l’univers. Et la vie n’avait
d’autre instrument que l’hérédité, l’hérédité faisait le monde ; de sorte que, si l’on avait pu
la connaître, la capter pour disposer d’elle, on aurait fait le monde à son gré. Chez lui, qui
avait vu de près la maladie, la souffrance et la mort, une pitié militante de médecin s’éveillait.
Ah ! ne plus être malade, ne plus souffrir, mourir le moins possible ! Son rêve aboutissait
à cette pensée qu’on pourrait hâter le bonheur universel, la cité future de perfection et de
félicité, en intervenant, en assurant de la santé à tous. Lorsque tous seraient sains, forts,
intelligents, il n’y aurait plus qu’un peuple supérieur, infiniment sage et heureux. Dans l’Inde,
est-ce qu’en sept générations, on ne faisait pas d’un soudra un brahmane, haussant ainsi
expérimentalement le dernier des misérables au type humain le plus achevé ? Et, comme,
dans son étude sur la phtisie, il avait conclu qu’elle n’était pas héréditaire, mais que tout
enfant de phtisique apportait un terrain dégénéré où la phtisie se développait avec une facilité
rare, il ne songeait plus qu’à enrichir ce terrain appauvri par l’hérédité, pour lui donner la
force de résister aux parasites, ou plutôt aux ferments destructeurs qu’il soupçonnait dans
l’organisme, longtemps avant la théorie des microbes. Donner de la force, tout le problème
était là ; et donner de la force, c’était aussi donner de la volonté, élargir le cerveau en
consolidant les autres organes.
En deux, en quatre, en huit, les bourgeons bourgeonnaient à leur tour ; puis, ayant bourgeonné,
ils étaient soumis à une dose d’alcool presque mortelle ; en conséquence, ils proliféraient
de nouveau, et, ayant bourgeonné, on les laissait alors se développer en paix, bourgeons des
bourgeons des bourgeons, – tout nouvel arrêt de croissance étant généralement fatal. À ce
moment, l’œuf primitif avait de fortes chances de se transformer en un nombre quelconque
d’embryons compris entre huit et quatre-vingt-seize, « ce qui est, vous en conviendrez, un
perfectionnement prodigieux par rapport à la nature. Des jumeaux identiques, mais non pas
en maigres groupes de deux ou trois, comme aux jours anciens de reproduction vivipare, alors
qu’un œuf se divisait parfois accidentellement ; mais bien par douzaines, par vingtaines, d’un
coup. »
— Par vingtaines, répéta le Directeur, et il écarta les bras, comme s’il faisait des libéralités à
une foule. Par vingtaines.
Mais l’un des étudiants fut assez sot pour demander en quoi résidait l’avantage.
— Mon bon ami ! – Le Directeur se tourna vivement vers lui. – Vous ne voyez donc pas ? Vous
ne voyez pas ? – Il leva la main ; il prit une expression solennelle. – Le Procédé Bokanovsky est
l’un des instruments majeurs de la stabilité sociale !
Des hommes et des femmes conformes au type normal ; en groupes uniformes. Tout le
personnel d’une petite usine constitué par les produits d’un seul œuf bokanovskifié.
Le savoir a ses dangers, sans doute, mais faut-il pour autant fuir la
connaissance ? Sommes-nous prêts à remonter à l’anthropoïde ancestral et à renier l’essence
même de l’humanité ? La connaissance doit-elle être au contraire utilisée comme une barrière
contre le danger qu’elle suscite ?
On munit le couteau d’un manche pour pouvoir le manipuler sans crainte, on adjoint
une rambarde à l’escalier, on isole le fil électrique, on pourvoit l’autocuiseur de sa soupape de
sureté – dans tout ce qu’il crée, l’homme cherche à réduire le danger. Il arrive que la sécurité
obtenue reste insuffisante en raison des limitations imposées par la nature de l’univers ou
celle de l’esprit humain. Néanmoins, l’effort a été fait.
Panels de lecture
Dystopies
Récits
Dérives sociétales…
1984, George Orwell, Gallimard, 1972
« De tous les carrefours importants, le visage à la moustache noire vous fixait du regard. BIG
BROTHER VOUS REGARDE, répétait la légende, tandis que le regard des yeux noirs pénétrait
les yeux de Winston... Au loin, un hélicoptère glissa entre les toits, plana un moment, telle une
mouche bleue, puis repartit comme une flèche, dans un vol courbe. C’était une patrouille qui
venait mettre le nez aux fenêtres des gens. Mais les patrouilles n’avaient pas d’importance.
Seule comptait la Police de la Pensée. »
ceux qui aiment le danger et protègent le reste de la population des dangers. Mais comment
faire, quand, comme Tris, on ne rentre dans aucune de ses cases et dans toutes en même
temps ?
vie très rigides et méticuleusement définies. Tout écart de conduite est sévèrement puni par
les «César», des personnages énigmatiques qui apparaissent au moment où l’on s’y attend le
moins, et ont toujours un œil sur tout. Aucun des enfants n’a de souvenirs de son passé, mais
tous sont persuadés qu’ils ont beaucoup de chance d’être hébergés dans la Maison et vivent
dans la hantise que leur lit ne «craque» - les lits sont extrêmement fragiles. Car dès lors qu’un
Rouge dépasse la taille réglementaire et brise son lit, il sort de la Maison et on ne le revoit plus
jamais...
U4, Florence Hinckel (Yannis), Carole Trébor (Jules), Yves Grevet (Koridwen), Vincent
Villeminot (Stéphane), Syros/Nathan, 2015
Ce sont quatre romans qui se lisent tous indépendamment, écrits de quatre points de vues
très différents, tous à la première personne. Tout commence au mois de novembre, en Europe.
Cela fait une dizaine de jours que le virus U4 sévit. Les morts se comptent par millions… et
seuls les adolescents entre 15 et 18 ans semblent y survivre. À priori, les quatre personnages
n’ont rien en commun et pourtant… ils jouent tous à un jeu en ligne nommé Warriors of Time.
Et tous reçoivent un étrange message du jeu-vidéo qui leur annonce qu’ils peuvent peut-être
empêcher la catastrophe biologique d’arriver en allant dans le passé s’ils se rendent à Paris
avant le 24 décembre prochain. C’est ainsi que Koridwen (de Bretagne), Yannis (de Marseille),
Jules (de Paris) et Stéphane (de Lyon) décident d’aller au point de rencontre… mais pour des
raisons extrêmement différentes. Chacun va faire des rencontres uniques et arrive avec un
lourd passé.
Les autodafeurs : Mon frère est un gardien (tome1), Marine Carteron, Edition du Rouergue,
2014
À la mort de leur père, Auguste, un lycéen d’aujourd’hui, et sa petite sœur Césarine, autiste
géniale, sont plongés tête la première dans une guerre secrète. Elle oppose depuis des
siècles, La Confrérie et Les Autodafeurs. Nos deux héros vont devenir malgré eux les acteurs
de ce conflit millénaire. Son enjeu ? Le contrôle du savoir et la main mise sur sa forme la plus
ancienne : les livres…
Romans graphiques, mangas, bandes-dessinées
Gunnm, Yukihito Kishiro, Glénat, 1995
Une catastrophe écologique a rendu le monde hostile, l’humanité est au bord de l’extinction.
Gally est le prénom d’une charmante petite cyborg, autrefois conçue à des fins guerrières.
Abandonnée par ses créateurs dans une décharge publique, ce n’est que bien des années plus
tard qu’un passionné de cybernétique la découvre et la remet en état. Amnésique, Gally part en
quête de retrouver son identité dans un monde où l’utopie est de rigueur.
capitale japonaise n’est plus qu’une espèce de gigantesque poubelle high-tech. Une nuit, une
bande de jeunes motards fait une rencontre étrange : celle d’un enfant au visage de vieillard,
doté de bien curieux pouvoirs. Ils ne le savent pas encore, mais le processus de réveil d’Akira
vient de commencer... Sombre vision d’un futur aux allures d’apocalypse, Akira dépeint
une société en perdition livrée aux enfants mutants, aux sectes religieuses et aux forces
surnaturelles.
V pour Vendetta, Alan Moore, David lloyd, Jacques Collin, Delcourt, 1999
Londres, fin du XXe siècle : plus personne n’ose résister au «Système». L’œil et l’oreille
espionnent, le nez enquête, la bouche désinforme et la main fait régner l’ordre et la terreur.
L’Angleterre a pris les couleurs du fascisme. La culture a été effacée. Pourtant quelqu’un
ou quelque chose rôde dans les ruelles sombres. Il est vêtu comme un comédien, masqué
d’un éternel sourire, cite Shakespeare, sauve les innocents, pose des bombes et préserve ce
qu’il reste de la culture dans son musée des ombres. Un anarchiste s’est glissé au cœur du
système. Ni comédien ni tragédien, ni bouffon ni fou, ni fanatique ni terroriste, ou peut-être
tout cela à la fois, il n’a pour nom qu’une initiale : V. V pour Vendetta.
Le “Steampunk”
À l’origine, Le « Steampunk » désigne des œuvres se déroulant dans l’Angleterre victorienne
sur fond de révolution industrielle. De façon plus générale, ce type de récits se fonde sur
l’esthétisme d’un monde n’ayant pas existé mais qui a une base historique, celle du XIXe siècle où
la technologie subit une explosion dans son développement. Créant ainsi une autre vision de ce
qu’est le monde, elle permet de mettre à distance le regard porté sur notre époque.
Récits
À la croisée des mondes : Les Royaumes du Nord (tome 1), Philip Pullman, Gallimard jeunesse,
2007
Ce n’était pas une vie ordinaire pour une jeune fille de onze ans : Lyra vivait, en compagnie de
son dæmon Pantalaimon, parmi les Érudits du Jordan College, passant ses journées à courir
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dans les rues d’Oxford à la recherche éperdue d’aventures. Mais sa vie bascule le jour où elle
entend parler d’une extraordinaire particule. D’une taille microscopique, la Poussière - que
l’on trouve uniquement dans les vastes étendues glacées des Royaumes du Nord - est censée
posséder le pouvoir de briser les frontières entre les mondes, un pouvoir qui suscite effroi et
convoitises... Jetée au cœur d’un terrible conflit, Lyra sera forcée d’accorder sa confiance aux
gitans et à de terribles ours en armure. Et, lors de son périlleux voyage vers le Nord, elle devra
découvrir pourquoi son propre destin semble étroitement lié à cette bataille sans merci où
s’opposent des forces que nul ne l’avait préparée à affronter.
Le Paris des merveilles : Les Enchantements d’Ambremer (tome 1), Pierre Pevel, Bragelonne,
2015
À première vue, on se croirait dans le Paris de la Belle Époque. En y regardant de plus
près, la tour Eiffel est en bois blanc, les sirènes ont investi la Seine, les farfadets, le bois de
Vincennes, et une ligne de métro rejoint le pays des fées... Dans ce Paris des merveilles, Louis
Denizart Hippolyte Griffont, mage du Cercle Cyan, est chargé d’enquêter sur un trafic d’objets
enchantés, lorsqu’il se retrouve impliqué dans une série de meurtres. Il lui faudra alors
s’associer à Isabel de Saint-Gil, une fée renégate que le mage ne connaît que trop bien...
La Trilogie de la lune : la Lune seule le sait (tome 1), Johan Heliot, Gallimard, 2003
Dans ce roman aux accents historiques, Napoléon III a battu les Prussiens, puis, en 1889,
les extraterrestres Ishkiss ont débarqué à Paris, assurant la domination de l’Empire. Mais
les opposants envoient Jules Verne en mission secrète sur la Lune, afin d’y retrouver Louise
Michel, déportée depuis la Commune de 1871, et d’entrer en contact avec les Ishkiss...
arme contre ces crimes que sa sagacité et sa gargantuesque culture littéraire. À la croisée
des feuilletons du XIXe et des séries télévisées modernes, Feuillets de cuivre nous entraîne
dans des Mystères de Paris steampunk où le mal le dispute au pervers, avec parfois l’éclaircie
d’un esprit bienveillant... vite terni. Si une bibliothèque est une âme de cuir et de papier,
Feuillets de cuivre est sans aucun doute une œuvre d’encre et de sang.
Hauteville House : Zelda (tome 1), Fred Duval, Thierry Gioux, Christophe Quet, Delcourt, 2004
1864. En marge de ses conquêtes et de l’Histoire officielle, l’Empereur Napoléon III utilise
son armée et ses services secrets pour des missions visant à étudier des phénomènes qui
relèvent de la métaphysique, des sciences occultes, des légendes populaires. Son but : obtenir
la suprématie sur ses principaux rivaux : les Anglais et les Prussiens. A Guernesey, dans les
profondeurs d’Hauteville House, la demeure de Victor Hugo en exil, une poignée de soldats
républicains tentent de contrer les projets impériaux.
parents baroudeurs de Noémie sont de retour et envoient leurs domestiques les chercher
pour qu’on les ramène vivre dans l’immense manoir familial, leur sentiment est partagé. Mais
le lieu est magique, avec ses pièces remplies des inventions du père d’Émilien et ses mille
endroits à explorer. Ils décident donc de tester cette nouvelle vie, d’autant qu’un mystère reste
à élucider : où est donc passé Alexander, le père d’Émilien ? Sa disparition soudaine pourrait-
elle avoir un lien avec la machine qu’il était en train de créer pour le concours Jules Verne ?
La Ligue des gentlemen extraordinaires, Alan Moore, Kevin O’Neill, Panini France, 2009
Londres, 1898. L’ère victorienne vit ses dernières années. Le XXe siècle se profile. L’heure est
aux grands bouleversements et à la stagnation, à l’ordre chaste et à l’ignoble chaos. On a plus
que jamais besoins de champions. Allan Quatermain, le capitaine Nemo, Hawley Griffin, le
Dr Henry Jekyll, Edward Hyde et Mina Murray sont ces champions. Ensemble, ils constituent la
Ligue des Gentlemen Extraordinaires. Recrutés par l’énigmatique Campion Bond, aux ordres
de «M», l’homme mystère, nos six justiciers sont au service de leur empire qui ne peut se
passer d’eux. Ils vont devoir affronter le terrible Docteur et ses plans de conquête mondiale.
Mais les choses ne sont pas exactement ce qu’elles semblent être. De nombreux facteurs
inconnus sont en jeu. Et l’incroyable drame se noue...
COMPÉTENCES
SÉANCE OBJECTIF SUPPORT ACTIVITÉ
TRAVAILLÉES
Séance 1 : Définir ce qu’est - Analyse étymolo- - Définir ce qu’est un - Classer des
Et l’Homme créa le un robot. Ne pas le gique. robot à partir d’idées documents selon des
robot. confondre avec des - Extrait de la Bible : communes. critères précis.
automates ou des Genèse I-26. - Trouver des robots - Justifier des choix.
jouets... dans une liste de
- Une série de photo-
graphies. photographies et à
partir de la défini-
tion.
Séance 2 : - Lire et comprendre - Transcription -Lire le texte et - Comprendre l’expli-
Le Golem : le robot sa lecture. écrite du discours de répondre à des ques- cite d’un texte.
de terre - Découvrir le mythe Gershom Sholem de tions de compréhen- - Effectuer un travail
du Golem. 1965. sion. de comparaison.
- Analyser un texte. - Comparer le Golem
avec la technologie
moderne.
Séance 3 : - Lire et com- - Chapitre 3 du - Lire le chapitre - Comprendre l’ex-
Pinocchio : le robot prendre sa lecture. conte de Carlo et répondre à des plicite et l’implicite
de bois Collodi. questions de com- d’un texte.
- Découvrir
l’origine du conte préhension.
italien.
- Analyser un
texte.
COMPÉTENCES
SÉANCE OBJECTIF SUPPORT ACTIVITÉ
TRAVAILLÉES
Séance 4 : - Lire et com- - Extrait de Fran- - Lire l’extrait - Comprendre l’ex-
Frankenstein et son prendre sa lecture. kenstein de Mary et répondre aux plicite et l’implicite
robot de chair Shelley. questions de com- d’un texte.
- Analyser un
texte. préhension. - Effectuer des
- Comparer des - Comparer les hypothèses de
textes. textes du groupe- lecture.
ment entre eux. - Mettre en rela-
tions plusieurs
documents pour
en extraire des
points communs.
Séance 5 : - Découvrir - Éléments bio- Imaginer et écrire - Imaginer une
Asimov, le père de la un écrivain de graphiques d’Isaac un récit court. situation précise
robotique science-fiction. Asimov. et en faire le récit
- Inventer des - Les Trois Lois de sous une forte
situations sous la robotique. contrainte.
contraintes.
Séance 6 : - Analyser des Quatre couver- - Observez les - Décrire des
Asimov et ses robots couvertures de tures de romans. images. images.
au grand cœur romans écrits par - Répondre à des - Comprendre
Asimov. questions d’ana- l’implicite d’une
- Imaginer une lyse. image.
couverture de - Imaginer une - Imaginer et
roman de science- nouvelle couver- copier un message
fiction. ture répondant aux visuel.
mêmes principes
que ceux étudiés.
Séance 7 : - Découvrir la - Sujet de rédac- - Comprendre le - Travailler en
Préparation de la tâche finale et ses tion. sujet de rédaction groupe.
tâche finale aboutissants. et chercher des - Rédiger un texte.
- Rédiger une pistes à deux.
scène dialoguée à - Écrire la scène à
deux. deux.
Séance 8 : - Analyser l’extrait - Extrait du film « - Observez la sé- - Comprendre l’ex-
L’homme bicen- d’un film en saisis- L’homme bicente- quence projetée. plicite et l’implicite
tenaire – Analyse sant les informa- naire » dans un message
- Répondre à des
filmique tions visuelles et (1’47) visuel et sonore.
questions d’ana-
sonores. lyse et de compré-
hension.
- Étudier tech-
niquement deux
plans.
Séance 9 : - Lire et com- - Extrait d’une - Lire l’extrait et - Comprendre l’ex-
Asimov et le robot prendre sa lecture. nouvelle d’Isaac répondre à des plicite et l’implicite
de métal Asimov (Menteur!). questions de com- dans un texte.
- Analyser un
texte. - Fiche avec pistes préhension. - Participer à un
pour approfondir - Possible travail débat.
le sujet d’écriture ou de - Utiliser les TICE.
débat.
COMPÉTENCES
SÉANCE OBJECTIF SUPPORT ACTIVITÉ
TRAVAILLÉES
Séance 10 : - Découvrir un Un comics amé- - Lire et décou- - Comprendre l’ex-
L'homme éternel genre particulier ricain de 1950 vrir des informa- plicite et l’implicite
– lecture intégrale dans l’histoire de dans son intégra- tions sur le genre dans un rapport
d'un comics amé- la bande dessinée. lité : « l’homme « pulp ». texte/image.
ricain
- Lire et com- éternel » - Analyser une
prendre sa lecture. bande dessinée
par le texte et le
dessin.
Séance 11 : - Analyser des - Une série de - Observer et - Classer des
Et les robots au- photographies. photographies classer des photo- documents et
jourd’hui ? représentant des graphies en deux justifier ce classe-
- Imaginer un
robot de cinéma. robots du cinéma. catégories. ment.
- Inventer et dé- - Imaginer, décrire
crire un robot de un personnage de
cinéma. fiction.
Séance 12 : - Travailler en - Ordinateur et ses - Faire des - Travailler en
Quand la réalité groupe. logiciels. recherches sur la groupe.
rejoint la fiction robotique dans un
- Faire des - Internet - Utiliser les TICE.
recherches. domaine
- CDI - S’exprimer à
particulier
- Utiliser des TICE. l’oral.
- Présenter à l’oral
- S’exprimer à - Chercher des
le produit des
l’oral arguments et les
recherches
exposer
- Chercher des
arguments et
débattre
Séance 13 : - Apprendre un - Rédaction ap- - Jouer à deux - Apprendre un
Évaluation de la texte. prise. la rédaction texte
tâche finale préalablement
- Le mettre en - Éléments de - S’exprimer à
scène. mise en scène. écrite, corrigée et l’oral.
apprise.
- Jouer devant un
public.
Retrouvez Éduscol sur Pour entrer dans la lecture de ce texte, il sera proposé aux élèves de réaliser, par groupes, une
lecture théâtralisée. Collodi choisit en effet de traiter la naissance de Pinocchio de façon très
rythmée en alternant récit et parole directe, en décrivant les différents états émotionnels par
lesquels passe Geppetto devant une marionnette qui ne cesse de le surprendre.
Séance 4 : Frankenstein et son robot de chair
SÉANCE
Support :
Texte extrait de Frankenstein de Mary Shelley, début du chapitre V.
Cette phrase extraite du passage peut servir d’entrée pour la lecture du texte. Les élèves
peuvent exprimer dans un court texte écrit, ou dans un nuage de mots, les émotions ressenties
à la découverte de cet extrait et se demander ensuite si elles se rapprochent de celles
éprouvées par le narrateur.
Prolongement :
À la suite de la lecture analytique de chacun des trois textes, il est possible de proposer aux
élèves une lecture comparée en guise de bilan :
Les « robots » Quel créateur ? Quel matériau ? Incidents liés à Responsable de Sentiment du
ces « robots » ? ces incidents ? créateur / de la
créature
Deuxième Loi
Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres sont en
contradiction avec la Première Loi.
Troisième Loi
Un robot doit protéger sa propre existence aussi longtemps qu’une telle protection n’est pas en
contradiction avec la Première et/ou la Deuxième Loi.
Manuel de la robotique 58è édition (2058 ap. JC)
Activité d’écriture
Même s’il est l’inventeur de ces trois lois, Isaac Asimov a écrit dans ses romans des situations
qui prouvent que le système qu’il a inventé n’est pas infaillible.
Par exemple, dans le roman Face aux feux du soleil, un homme met du poison dans un verre de
lait et demande à un robot de le servir à son ennemi. Le robot, ne connaissant pas le véritable
contenu du verre, obéit et enfreint malgré lui la première loi de la robotique.
À votre tour, comme Asimov, imaginez une situation dans laquelle un robot est contraint
d’enfreindre une des trois lois de votre choix. Votre texte prendra la forme d’un récit.
Le robot doit s’interroger sur sa vie et son origine. Il cherche auprès de l’Homme des réponses
à des questions qu’un robot ne devrait normalement pas se poser.
L’Homme quant à lui doit être étonné par ce comportement et s’inquiète du désir
d’émancipation de son robot, jusqu’à prendre une décision finale...
Par la suite, vous devrez apprendre votre texte et mettre en scène celui-ci.
Séance 11
SÉANCE 11 : Et les robots aujourd’hui ?
Nous avons vu comment la figure du robot a évolué dans la littérature, changeant de forme
mais toujours lié à un créateur humain, s’échappant parfois de son contrôle ou bien tentant de
l’égaler.
Premièrement dans la littérature. Les robots sont toujours présents dans les romans de
science-fiction et ressemblent à ceux imaginés par Isaac Asimov, respectant les Trois Lois de
la robotique.
Mais avant d’étudier ces avancées technologiques, intéressons-nous aux robots du cinéma.
Les robots des salles obscures sont au service des émotions car ils peuvent provoquer le rire
ou la peur chez le spectateur.
Activité 1
Observez les photographies de robots en annexe et complétez le tableau en justifiant dans
chaque case pour quelle raison ces robots sont comiques ou effrayants (à l’aide de la
photographie ou de vos connaissances).
Nom du robot ( film ): C3P0 et R2D2 ( Star Wars ), Terminator ( Terminator ), Zeus ( Real Steel ),
Robby ( La planète interdite ), Wall-e, ( Wall-E ), K. ( Doctor Who ), ED 209 ( Robocop )
Activité 2
À vous d’inventer un robot de cinéma. Imaginez-le et remplissez sa fiche technique. Vous
pourrez ensuite l’illustrer. Votre robot peut être comique ou effrayant.
Le choix de Minority report, nouvelle de Philip K. Dick publiée en 1956 adaptée au cinéma par
Steven Spielberg en 2002, est lié aux différentes potentialités qu’offre l’analyse des relations
entre le texte littéraire et son adaptation, en même temps que la réflexion que celles-ci
proposent sur ce que des progrès scientifiques et technologiques peuvent développer au nom
d’un progrès moral : il s’agit ici d’éradiquer le crime en arrêtant des criminels potentiels avant
qu’ils ne commettent leur forfait grâce à la création d’une organisation : Précrime.
Texte et film constituent une réflexion sur la manière dont l’État peut penser la sécurité de ses
citoyens, mais pose également la question de la liberté individuelle, du libre-arbitre que l’on
peut exercer ou non, à travers le personnage principal, Anderton, préfet de police, créateur de
Précrime dans la nouvelle, policier en son sein dans le film. De traqueur du crime, il va devenir
lui-même traqué dès lors que les trois personnages qui transmettent les visions des crimes à
venir (les Précog, ou Précognitifs) l’identifient comme le prochain meurtrier d’une victime qu’il
ne connait pas et prochain coupable d’un crime dont il ignore les raisons. Le dilemme se pose
dès lors à lui : s’empêcher de le commettre ou se soumettre au destin.
On visera à développer chez les élèves des compétences orales tant à travers l’expression
de leurs sentiments personnels liés à la réception des œuvres qu’à travers l’organisation de
débats argumentés qui participent également du programme d’éducation morale et civique
du fait de la réflexion soulevée sur la liberté. Que penser de la représentation d’une société
qui vise à établir un contrôle a priori des existences humaines ? Est ici posée la question de
la démocratie et des fondements de celle-ci. Les deux œuvres questionnent également ce
qu’est un État de droit et la justice qui ne peut que condamner que sur des faits commis et
non sur des intentions voire des prédispositions. Les œuvres peuvent ainsi servir de support
de réflexion à la construction d’un jugement moral chez les élèves qui peuvent se projeter
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dans une société à venir, peut-être pas si éloignée de la leur par les possibilités de contrôle de
chacun des citoyens. On pourra également ouvrir le corpus à des articles scientifiques relatant
des expérimentations qui pourraient rendre réelle l’anticipation des crimes.
Enfin, la trame narrative des œuvres, et plus encore celle du film, soulevant la question du
libre-arbitre et du destin, ainsi que l’importance de la vision (prévisions des crimes, images de
celles-ci, robots permettant de détecter et de reconnaitre les identités en scannant les yeux,
qui sont donc l’organe permettant l’identification ce qui impliquera que le héros se défasse des
siens pour ne pouvoir être reconnu et arrêté). Des prolongements pourront être effectués avec
le mythe d’Œdipe.
Texte 2
Chapitre IV (pp 67-69) : « -Vraiment, vous ne toucheriez pas à un cheveu de Kaplan ? Pour la
première fois dans l’histoire, Précrime se serait trompé ? » […] « il avait affaire à plus fort que
lui … à un adversaire qui avait toutes les cartes en main ».
Le personnage principal, Anderton, se pense victime d’un complot visant à lui nuire et à le
faire quitter l’organisation dont il est le créateur. Est posée ici la question de la faillibilité d’un
système fondé sur des pré-visions (c’est à dessein que nous l’écrivons ainsi puisqu’il s’agit de
visions du futur qui surgissent dans l’esprit des Précog) dont la véracité ne pourra pas être
vérifiée.
Texte 3
Chapitre IX (pp 153 – 157) : « Oui, beaucoup d’hommes et de femmes ont été arrêtés et
emprisonnés par la faute de Précrime, cette organisation qui se prétend prophylactique […] »
[…] « Kaplan était mort, ainsi que le rapport majoritaire l’avait prédit ».
Peut-on échapper à son destin ? L’intrigue s’achève sur l’accomplissement par Anderton du
meurtre dont il était accusé. Le meurtre ici relève d’un choix du personnage, du moins peut-on
se réfléchir à la question : quelle autre issue aurait été possible pour lui ?
La tension dramatique est permise par le compte à rebours qui est lancé, le temps du film
concordant ici au temps de l’action. Dès lors qu’un crime est pré-vu, l’équipe de Précrime
dispose de trente-six heures pour l’empêcher. Or, ici, il s’agit du crime passionnel d’un mari
trompé qui ne peut donc être prévu en amont. Le temps est ainsi réduit à une dizaine de
minutes. Spielberg use donc d’un ressort lié au film d’action qui est celui du resserrement
du temps et de la fulgurance du rythme accentué par du montage « cut » ou des travellings
au moment de l’intrusion d’Anderton et son équipe dans la maison. La séquence se clôt sur
l’arrestation du personnage prêt à commettre le crime ce qui fait écho au premier chapitre
de la nouvelle, le meurtrier potentiel témoignant de son innocence : « Je vous arrête pour le
meurtre futur de Sarah Marks et Donald Dublin » énonce Anderton, à quoi lui répond l’homme
arrêté : « Mais je n’ai rien fait ». Est également mis en évidence ici le paradoxe temporel sur
lequel repose le film : empêcher la réalisation d’un futur qui a été « vu » par les Précogs et
dont il faut annihiler la vision.
La tension dramatique est liée au fait que les machines peuvent s’infiltrer partout, dans
chaque appartement, détecter la présence humaine et scanner les yeux de tous les habitants
de l’immeuble. Le montage alterné accentue cette impression d’un étau qui se resserre pour
le personnage principal qui va néanmoins passer entre les mailles du filet de ces araignées
robotiques grâce à son opération oculaire. L’intrusion dans le récit de ces machines nées
de progrès technologiques pose la question de la surveillance et de la société totalitaire. On
pense ainsi à ce que Michel Foucault écrivait dans Surveiller et punir : « […] induire chez le
détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique
du pouvoir ».
Éviter la prédiction ou l’accomplir ?
La séquence démarre à 1h33’19’’et s’achève à 1h45’ au moment Anderton est mis face à son
destin, à savoir l’homme qu’il est censé tuer.
Dans ce troisième extrait, Anderton a réussi à enlever l’une des trois Précogs, Agatha, celle
dont les visions sont les plus proches de la réalité. Ils se retrouvent dans un centre commercial
où celle-ci va, par sa connaissance du futur, lui permettre d’échapper à nouveau à l’étau de
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Le film n’est, à ce moment, pas achevé. Anderton doit encore prouver le complot qui a été
fomenté par le créateur de Précrime, ce qui signera la fin de l’organisation et la possibilité
d’une nouvelle existence pour les personnages.
Prolongements
On pourra visionner la conférence de Philippe Rouyer, critique de cinéma, au Forum des
images, datant de janvier 2011, pour des analyses d’autres extraits du film consultable sur ce
site.
Présentation de la séquence :
Les problématiques environnementales sont omniprésentes dans les médias.
L’objectif de la séquence est de donner comme projet aux élèves de s’engager, par
l’intermédiaire du genre du plaidoyer, sur une problématique qui les concerne, en développant
leurs compétences à argumenter à l’oral, et en utilisant les ressources expressives de la
langue pour viser à faire partager leur point de vue.
Cette construction d’un discours argumentatif se joue aussi dans une documentation efficace,
donc dans la pratique des différents médias qui la véhiculent.
On peut envisager une évaluation de l’exposé par les pairs, à l’aide d’une grille d’évaluation
construite avec la classe.
Cette séquence peut être envisagée dans le cadre d’un E.P.I, avec les disciplines des Sciences
de la vie et de la Terre et d’Histoire-Géographie.
Ressources thématiques
Plaidoyers
Pages du Concours de plaidoiries des lycéens du Mémorial de Caen. Nombreux textes de
plaidoiries écrites par des lycéens à télécharger.
Biodiversité
AUDIO « Les abeilles sont-elles capables de résister aux pesticides ? », émission Planète
Environnement, France Inter.
VIDEO, Documentaire « La Biodiversité menacée : quelles solutions pour demain ». 2012. 89
min. Eduthèque – Arte.
Catastrophes écologiques :
VIDEO « Fukushima, les abords de la centrale, 3 mois après la catstrophe nucléaire », journal
télévisé, France 2.
VIDEO « Fukushima au lendemain du séisme », journal télévisé, France 3.
VIDEO « La reconstitution de l’accident de Tchernobyl 14 ans après », journal télévisé, France 3.
VIDEO « Marée noire en Louisiane provoquée par l’explosion d’une plateforme pétrolière »,
journal télévisé, France 2.
Changement climatique :
ARTICLE DE PRESSE « Le changement climatique en 6 graphiques », site Internet de Courrier
International.
ARTICLES DE PRESSES INTERACTIFS « Portraits d’un monde ébranlé par les changements
climatiques »: Dossier du Monde.fr
AUDIO « Les océans, thermomètres du climat » émission Planète Environnement, France Inter
AUDIO « Des arbres contre le désert » émission Planète Environnement, France Inter
AUDIO « Comment exploiter la forêt sans réchauffer le climat ? » émission Planète
Environnement, France Inter
VIDEO «Les scenarii de la COP 21», Eduthèque – Arte. Émission «Le Dessous des cartes».
2015. 12 min.(partie 1 - partie2)
Retrouvez Éduscol sur PARCOURS PEDAGOGIQUE Ina. Jalons « Le réchauffement climatique et ses conséquences : le
problème de l’eau et de l’alimentation humaine »
Énergies
AUDIO « Stop aux fossiles » émission Planète Environnement, France Inter
VIDEO « Réserves de pétrole et de gaz dans l’Arctique », journal télévisé, France 2.
VIDEO « Les dilemmes écologiques du Danemark », journal télévisé, France 2.
VIDEO « La question du gaz de schiste en Europe », journal télévisé, France 2.
PARCOURS PEDAGOGIQUE Ina. Jalons « Enjeux planétaires contemporains, les énergies »
Pollutions
AUDIO « Les effets non sanitaires de la pollution atmosphérique » émission Planète
Environnement, France Inter
AUDIO « Trente-trois milliards d’euros pour gérer les déchets hautement radioactifs »
émission Planète Environnement, France Inter
AUDIO « L’inventaire des émissions polluantes dans l’atmosphère » émission Planète
Environnement, France Inter
VIDEO « Déchets plastiques dans le Pacifique : un 7e continent ? », journal télévisé, France 2.
VIDEO « La décharge de déchets d’équipements informatiques de Guiyu en Chine », journal
télévisé, France 2.
VIDEO « Traitement des déchets informatiques au Nigéria », journal télévisé, France 2.
VIDEO « La culture industrielle des roses au Kenya », Reportage «Complément d’enquête,
France 2.
VIDEO « Recyclage des déchets à Mumbaï », Magazine Un Oeil sur la planète, France 2.
VIDEO « Fruits et légumes sous serre en Andalousie », journal télévisé, France 2.
VIDEO « La pollution des eaux en milieu rural : les conséquences de l’agriculture intensive »,
journal télévisé, France 2.
VIDEO « Le traitement des déchets radioactifs », journal télévisé, Antenne 2.
Sommets internationaux
VIDEO « «Le sommet de la Terre «Rio + 20» en 2012 », journal télévisé, France 2.
CHRONOLOGIE INTERACTIVE, « 37 ans de réflexion sur le climat », site Internet de Courrier
International.
Autres ressources
Dessins de presse
Catalogue de l’exposition en ligne de Cartooning for Peace, «17 objectifs de développement
durable»
Section «Environnement» de la bibliothèque de dessins en ligne du site Cartonning for Peace.
Émission
Site de l’émission «Coup de pouce pour la planète», da la chaîne TV5 Monde
Activité : la néologie
Cette activité peut être menée dans le cadre du corpus proposé en amont sur l’homme artificiel.
L’un des textes de ce groupement, extrait de L’Ève future de Villiers de l’Isle Adam, met en effet
en scène le savant Thomas Edison. Les textes servant de support à ce travail sont deux docu-
ments du même savant, l’un proposant une liste de possibles inventions sur lesquelles travailler,
l’autre une liste de noms possibles pour l’invention du phonographe. Outre le fait que ces deux
supports illustrent la formidable fécondité de cet inventeur, ils permettent de poser la question
de la relation entre la langue et le progrès scientifique et de réfléchir donc sur la façon dont on
invente des mots pour désigner de nouvelles notions scientifiques ou de nouvelles réalisations
technologiques. Plusieurs processus de création lexicale peuvent être observés et analysés,
le plus fréquent étant ici la création d’un mot savant à partir de la réunion de deux racines
grecques ou latines. Mais ce peut être aussi une nouvelle caractérisation à partir d’un mot déjà
existant. Un travail complémentaire sur l’univers du numérique pourrait être l’occasion de réflé-
chir sur un autre processus, l’emprunt à une langue étrangère, en l’occurrence l’anglais, ou la
traduction d’un mot appartenant à cette langue.
Auto-électrographe=stylo électrique
Tél-autographe
Tél-autophone
Polyphone=sonorisateur polyvalent
Autophone=sonorisateur de soi-même
Cosmophone=sonorisateur universel
Accoustophone=qui diffuse le son=transmetteur sonore
Octophone=sonorisateur accoustique=haut-parleur
Antiphone=qui parle en arrière-plan
Liguphone=son limpide
(…)
Meistophone=très petit sonorisateur
Anchiphone=sonorateur ou transmetteur de proximité
(…)
Glottophone=sonorisateur ou transmetteur sonore de langue
(…)
Pinacophone=tableau sonore
Hémérolophone=almanach parlant
Calandophone=calendrier parlant
Sphygmophone=sonorisateur à plusations
Cardiophone=sonorisateur de battements de cœur
Séismophone=sonorisateur sismique
Électrophone=transmetteur sonore électrique
(…)
Phémographe=écritoire à sons
Omphégraphogramme=transcirpteur voix ou enregistreur
Mélodographe, mélographe, melpographogramme=écrotoire à chansons
Epographe=écritoire à paroles
Rhétographe=écritoire à discours
Cinémographe=écritoire à mouvements
Atmophone=bruit à vapeur ou à évaporation
Aérophone= bruit de l’air
Symphraxomètre=mesureur de pression
Synothémètre=mesureur de pression
Orchégraphe=enregistrement de vibration
Ouvrages universitaires
L’être humain est-il maitre de la nature ?
BARITON Michel, Les Jardins, Paysagistes, Jardiniers, Poètes, Robert Laffont, 1998.
BUTTNER Nils, L’art des paysages, Citadelles et Mazenod, 2007.
HADDAD Hubert, Le Jardin des Peintres, Hazan, 2000.
Articles (téléchargeables)
L’homme est-il maître de la nature ?
SCHROEDER N., « Nature » et moyen-âge, quelques remarques pour l’histoire de
l’environnement et l’écologie politique.
Œuvres littéraires
La ville, lieu de tous les possibles ?
BON F., Dans la ville invisible, Gallimard « Pages blanches », 1995 pour l’édition originale,
François Bon et Tiers-Livre éditeur pour l’édition numérique, 2015.
Pour la genèse de l’écriture, consulter le site de François Bon
CALVINO I., Les villes invisibles, traduit de l’italien par Jean Thibaudeau, Gallimard, 2014 pour
l’édition électronique
GRACQ J., La forme d’une ville, Corti, 1985
IZZO J.C., Total Kheops
PREVERT J., Paris est tout petit, le cherche midi, 2009 (anthologie)
QUENEAU R., Connaissez-vous Paris ? Gallimard, Folio 5254, 2011
Recueils de textes
La ville, lieu de tous les possibles ?
Collection Le goût de … aux éditions Mercure de France :
• Le goût du Havre, textes réunis et présentés par S. FILLIPETTI, 2011
• Le goût de New York, textes réunis et présentés par J. NEUTRES, 2009
• Le goût de Paris :
--Le mythe, textes réunis et présentés par J-P. ARTHUR BERNARD, 2004
--L’espace, textes réunis et présentés par J-P. ARTHUR BERNARD, 2004
• Le goût de Tokyo, textes réunis et présentés par M. FERRIER, 2008
Photographes :
Philippe Beasse : Des photographies de New-York et des New-Yorkais de nos jours.
Robert Doisneau : La vision mythique et humaniste de la ville de Paris, de ses habitants, avec
en toile de fond les changements liés à l’urbanisation des années 1950
Vivian Maier : La vision de New-York au milieu du XXe siècle par une photographe anonyme
dont on a découvert les pellicules après sa mort.
Filmographie
L’être humain est-il maître de la Nature ?
Avatar, James Cameron
La forêt d’émeraude, John Boorman
Demain, Mélanie Laurent, Cyril Dion
Into the Wild, Sean Penn
Nausicaä de la vallée du vent, Hayao Miyazaki
Mon voisin Totoro, Hayao Miyazaki
Princesse Mononoké, Hayao Miyazaki
Pompoko, Isao Takahata
Danse avec les loups, Kevin Costner
Le sel de la terre, Wim Wenders
Un été avec Coo, Keiichi Hara
Miel, Semih Kaplanoglu
Le renard et l’enfant, Luc Jacquet
Sitographie
La ville, lieu de tous les possibles ?
• Le site de la BNF
--Un atelier d’écriture « Écrire la ville » proposé par François Bon
--Reconstituer le Paris du XIXème siècle en photographies
--Exposition virtuelle d’Eugène Atget
• Photographies de Paris de Charles Marville avant Haussmann
• Une autre vision de Paris : « Paris complètement vide de ses habitants »
• Géographie de la ville en guerre
• Esthétique de la ruine
• De nouvelles manières de voir la ville : le drone