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STRAUSSMAN 1

Introduction

Comment aborder la traduction d'un texte? Quels sont les meilleures façons de traduire tel ou tel
roman, scénario, pièce, texte littéraire, texte non-littéraire…1? Pour ne pas se perdre dans une
multiplicité de langues, contextes, et surtout textes et toutes leurs propres spécificités, il s'agit alors
de penser à une théorie de la traduction, une méthodologie rigoureuse mais assez flexible qu'elle
pourrait être appliquer dans la plupart des situations. C'est-à-dire que le traducteur (la traductrice)
doit développer (ou peut-être adopter) une traductologie—une méthode pour écrire les traductions.
Ça ne veut pas dire que cette méthodologie doit être « scientifique » au sens statistique ou positiviste.
Mais ça veut dire que la bonne traductrice (ou bon traducteur) devrait être capable d'articuler le
chemin de leur pensées, leur processus épistémologique et de travail. Le croisement de la pensée avec
l'acte de création est une des caractéristiques les plus pertinents de la tache de la traduction. Celui
dite, il est clair que l'on soit complètement mêlé dans le praxis (πρᾶξις) d'Aristote, le travail de la «
prudence »2 quand on approche une traduction. Dans l'intérêt d'être précise, l' « on » du lequel je
parle est moi. Alors, je me pose la problématique suivante : comment est-ce je peux m'appliquer à la
praxis de la traduction d'une manière prudente ou, autrement dite, comment est-ce que je peux
produire les traductions qui ont une qualité d'eupraxia (εὐπραξία), qui ont du "succès"3 ?

Pour répondre à cette problématique, je prendrai comme guide la citation de l'apôtre Paul de la
deuxième épitre aux Corinthiens, "...car la lettre tue, mais l'esprit vivifie."4 Cette citation était prise
par Jean Lavalade comme une réflexion sur le travail des traducteurs.5 Avant d'analyser cette
exhortation, et ce qu'elle implique pour la traductrice, je m'intéresse à la traduction de cette citation
soi-même, de grec au français et aussi anglais.6 Il y a trois éléments (trois écarts, plus précisément)

1 Je pense des livres énumérés par Italo Calvino dans le premier chapitre de son roman Se una notte d'inverno un viaggiatore
(1979).
2 « It therefore follows that Prudence is a truth-attaining rational quality, concerned with action in relation to the things

that are good for human beings. » Nicomachean Ethics, VI, Aristotle in 23 Volumes, Vol. 19, H. RACKHAM (trad.)
Autrement dit, « la faculté calculative » (I, 6, NE). Il faut préciser ici que je parle de la praxis d'Aristote, et pas celle des
marxistes, qui inique plutôt une manière de « changer le monde ». Cette manière de penser au travail n'est pas
convenable à la traduction, car elle est trop positiviste et même dogmatique pour traiter de cette plénitude de langues,
textes, contextes, etc. En tout cas, la tache de la traductrice n'est pas de changer le monde, même si ça se passe parfois (je
pense ici des traductions polémiques de la Bible inspirées par Martin Luther, par exemple).
3 Pas le succès de popularité ou commercial mas le succès du travail en soi. POLANSKY, Roland (ed.) The Cambridge

Companion to Aristotle's Nicomachean Ethics, p. 187-188.


4 2 Corithians 3:6. Toutes traductions bibliques en français vient de la traduction de King James fait par Louis

SEGOND (1910).
5 LADMIRAL, Jean, Sourcier ou cibliste: Les profondeurs de la traduction [2014] (2015), p. 73.
6 L'anglais est ma langue maternelle, alors ça met en question ce langage dans la problématique.
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dont il faut penser par rapport la création de cette traduction : l'écart linguistique, l'écart conceptuelle
et l'écart de contexte ou d'usage. Je traiterai de tous ces éléments à son tour, mais il me faut signaler
que ces écarts ne sont pas si clairement séparés dans la pratique. Ils sont tous, plus ou moins,
présents les uns et les autres. Cette pratique de la traduction mettra en œuvre les théories de la
traduction et leur capacité de facilité l'eupraxia dans la traduction.

L'écart linguistique

Je commence avec l'écart linguistique, c'est-à-dire la distance entre les mots utilisés ou disponibles
dans la langue « cible » et la langue « source ». Il est évident que les mots—et les langages auxquels ils
sont attachés—ne sont pas des institutions fixes. Par contre, et qu'est bien connu, les langues sont
fluides. Elles changent au fil de temps, avec la géographie, et entre des classes sociales. Ou, comme
disait l'écrivain José Saramago : « Não há uma língua portuguesa, há línguas em português. »7 On peut très
bien appliquer cette formulation à tous autres langues "institutionalisés."

Malgré que les mots, les signes de langage, ne soient pas stables, ça ne veut pas dire ils n'ont pas de
logique. Par contre, les langues ont tous une logique, organisée par rapport les besoins et l'usage de
pouvoir dans leurs circonstances et particularités. D'après tout, « un langage est un dialecte avec une
armée et une flotte ».8 Je ne parlerai beaucoup sur cette notion de la logique des langages, car elle est
très bien soutenue chez les linguistes9, les sociologistes10, et les philosophes11. Il suffit pour l'instant
de présupposer que les langages ne changent sans logique, sans raison. Ça veut dire que l'on peut
toujours, théoriquement, enchaine un mot à un autre. Sans cette stabilité de sens du point de vue
épistémologique (même si le mot en soi changent), la traductrice (moi) serait perdue. Je ne postule
pas qu'il y a un sens de langage universel.12 Ma prétention ici est beaucoup plus modeste : qu'il est
toujours possible de relier le sens d'un mot dans un langage au sens d'un (des) mot(s) dans un autre
langage, ou même dans une autre version du langage « source ».

7 Il n'y a une langue portugaise ; il y a des langues en portugais. SARAMAGO, José, Línguas: Vidas em Português (2004).
8 La citation était écrite originalement en yiddish. Flotte me semble la plus proche à l'original flot (« ‫)» ֿפלאָ ט‬.
WEINREICH, Max, "Der YIVO un di problemen fun undzer tsayt", presenté dans un discours à la colloque annuelle de
YIVO (5 janvier 1945).
9 WEINREICH, Max, ibid.
10 LABOV, William, BOBERG, Charles et ASH, Sharon (eds.) The Atlas of North American English (2004), par exemple.
11 WITTGENSTEIN, Ludwig, Tractatus Logico-Philosophicus (1921), par exemple.
12 Je suis très sceptique par rapport les déclarations d'universalité dans les théories.
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Ainsi dite, l'écart linguistique est facilement traversé. Ici, je me trouve dans le domaine des
traductions « mot à mot » -- le travail d'une traductrice qui peut trouver le mot-équivalant dans la
dictionnaire, l'action de transférer le mot-source à une autre langage à travers cette enchainement
linguistique.

Je sais que ce travail n'est pas suffisant pour la production d'une traduction, mais il est nécessaire
pour la tâche. La traductrice ne traduise pas les mots, mais les idées, d'un texte. Il y a, alors, plusieurs
traductions « légitimes » mais pas toutes les traductions sont. Un des façons de déterminer le
"légitimité" d'une traduction est d'évaluer si la traductrice a bien compris le(s) mot(s) sources à la
base. J'applique alors cette notion à la citation principale de cet essai : « …car la lettre tue, mais
l'esprit vivifie. » D'abord, il est exigé que je vais en arrière de la citation française en commençant
avec le texte "originale" du Nouveau testament grec13:

…τὸ γὰρ γράμμα ἀποκτέννει, τὸ δὲ πνεῦμα ζωοποιεῖ.

Les mots principaux ici sont « γράμμα » (gramma) et « πνεῦμα » (pneuma).14 Alors, comment
comprendre ses termes grecs en français (ou bien anglais) "in the dictionary sense of the word"15?

Le mot gramma a plusieurs sens dans le grec ancien. Ça pourrait très signifier « la lettre » qui est le
sens choisi par la plupart des traducteurs. Mais il pourrait aussi vouloir dire « un lettre » (dans le sens
d'un message envoyé) ou une collection d'études, « les écritures ». Il pourrait aussi très bien indiquer
« la connaissance » dans le sens d'un recueil écrit des lois et compréhensions d'un collectivité (en ce
cas, les Juifs).16 Cette définition est plus ou moins celle prisée par le théologien John P. Meyer, qui a
suggéré la traduction suivante de la citation : « …for the written code kills, but the Spirit gives life.
»17

13 On n'a pas le texte de 60 AD, alors c'est la version prise pour l'originale.
14 Les noms font beaucoup de travail dans les métaphores, une notion qui serait importante dans la section suivante.
15 Il n'y pas un dictionnaire, mais des dictionnaires; alors, il n'y a pas une seule traduction "dictionnaire," mais la

formulation singulière ici est une artifice de la langage anglaise, qui évite les noms pluriels indéfinis.
16 définition de gramma de Bible Hub (2017), http://biblehub.com/greek/1121.htm.
17 MEYER, John P. Discours sur Second Corithinians Chapter Three, préparé pour le Milwaukee City Pastoral Conference,

xx.
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Le mot pneuma, il aussi est possible de traduire dans plusieurs manières. Il est souvent traduit comme
« esprit ». Mais, il signale aussi l'idée de « souffle », dans le sens qu'il donne vie et se trouve à l'intérior
du corps humaine. La traduction de pneuma comme « vent » est aussi possible, suggérant un esprit
plutôt extérieur (je pense de la manière qu'on peut se sentir le vent dans la peau sans le voir). Cette
pluralité de possibilités comporte avec le mot dans l'ancien hébreu, ַ‫( רּוח‬ruach).18

Alors, le dictionnaire me propose plusieurs moyens à traduire gramma et pneuma—comment choisir la


bonne ?

« Un sorcier » comme John P. Mayer, qui est très affiché au texte source, s'arrêterait ici, avec la
contemplation des options proposées par le dictionnaire. Mais, désormais que sa définition de
gramma ( « the written code » ) est très collée au sens intenté du texte source, il ne suffit pas. La
gramma de 2 Corithians est une gramma spécifique—il pense à un code ou une lettre précis(e). Le
pneuma aussi a sa propre sens dans cet épitre. Alors, après ayant mis sur la table la compréhension
des mots clés du texte source, il est nécessaire de contempler le deuxième écart—celui de contexte.

L'écart de contexte

Le fait que le contexte où apparu le texte source s'est écarté du contexte de l'édition de texte cible est
si évidente qu'il semble qu'il ne vaut guère le mentionner. Mais les choses qui semblent la plus
évidentes sont souvent celles qui sont les plus importants. Donc, je dois prendre en compte l'écart
entre ce texte grec théologique de 60 C.E. et sa parution en français à nos jours.

La deuxième épitre de Corinthians date à l'année 60. Écrit par l'apôtre Paul, qui est généralement
considéré comme un des grands fondateurs de christianisme, l'épitre de Corinthians était une lettre
(ou peut-être plusieurs lettres) qui exposait (exposaient?) les grandes lignes de sa vision de Christ. En
gros, l'épitre est un mélange des demandes pour recognition par les Corinthians, les appels pour
paiements à son ministre, et les innovations fait par Paul sur la Bible et le testament. Dans la partie
du document que nous concernons, 2 Corinthians 3, Paul décrit sa nouvelle vision du testament de
Christ:

18
définition de pneuma de Bible Hub (2017), http://biblehub.com/greek/4151.htm.
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Oui, manifestement, vous êtes une lettre du Christ, écrite par notre ministère, non avec de
l'encre, mais par l'Esprit du Dieu vivant;…C'est lui également qui nous a rendus capables d'être
ministres d'une novelle alliance, non de la lettre, mais de l'esprit; car la lettre tue, mais l'esprit
vivifie.19

Quand on voit la citation entière, en contexte, la spécificité des mots clés—gramma et pneuma--
commence à être relevée. « La lettre » dont parle Paul est liée avec la « nouvelle alliance » que les
croyants pourraient obtenir avec Dieu. Selon Meyer, l'idée de l'alliance entre Dieu et les croyants
vient de la traduction dans le LXX du mot hébreu ‫( בְ ִרת‬brit) comme διαθήκη (diatheke).20 Cette
alliance implique que la lettre « collective » dont parle Paul est cette lettre, la lettre de brit.
Spécifiquement, il postule que la lettre de brit des Juifs (autrement dite, l'Ancient Testament) doit
être surpassée par le nouveau brit (un Nouveau Testament) que les chrétiens ont avec Dieu.
Autrement dite, « la lettre » qui tue est le brit juif, la conception de la vérité et justice au côté de chez
les Juifs.

Paul met en contraste cet ancien brit (l'Ancien Testament) avec la nouvelle lettre à laquelle il est
témoigne (le Nouveau Testament). Selon lui, l'Ancien Testament est un testament "de mort." Il
suffit de lire la scène quand Moses est descendu de la montagne de Moria pour la première fois de
comprendre où et comment Paul est arrivé à cette conclusion :

Moïse se plaça à la porte du camp, et dit: À moi ceux qui sont pour l'Éternel ! Et tous les
enfants de Lévi s'assemblèrent auprès de lui. Il leur dit: Ainsi parle l'Éternel, le Dieu d'Israël :
Que chacun de vous mettre son épée au côté; traversez et parcourez le camp d'une porte à
l'autre, et que chacun tue son frère, son parent.

Les enfants de Lévi firent ce qu'ordonnait Moïse; et environ trois mille hommes parmi le
peuple périrent en cette journée.21

19 2 Corinthians 3:3-6
20 MEYER, ibid.
21 Exodus 2:27-28
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Par contre, Paul a une vision de la nouvelle alliance avec Dieu qui est basé sur la vie. Il appelle cette
nouvelle alliance pneuma: esprit. Il n'est pas l'idée général de l'esprit mais l'esprit sacré de la nouvelle
alliance avec Dieu.

La citation de Paul que je traite aujourd'hui se trouve dans l'épigraphe de Sourcier ou cibliste22, un
recueil des textes sur la traduction et traductologie de Jean-René Ladmiral. Le livre était publié en
2014, alors il est bien contemporain avec la traductrice (moi). Il n'est pas une lettre, comme dans le
contexte original, mais Ladmiral and Paul sont joints dans un but—ils cherchent à convaincre leurs
lecteurs d'aller d'ailleurs d'un texte et de chercher la plus « juste » vérité. « Ainsi que l'enseigne notre
théologie (comme disait Descartes) : le choix est entre ceux qui s'arrêtent à la Lettre et ceux qui visent
à l'Esprit en passant par la lettre (emphase original de l'auteur). »23 Ladmiral a, essentiellement, coupé et
déshistoricisé le texte source de Paul pour arriver à comment cette idée pourrait être appliquée à la
tâche de traduction. C'est-à-dire que sa « lettre » et « esprit » n'ont pas les mêmes sens que ceux de
Paul.

Qu'est-ce que ça implique pour la traduction du texte source ? Paul et Ladmiral m'exige de surpasser
la lettre pour approcher la ruach, la pneuma, l'esprit du texte. Pour y réussir, il faut aborder l'écart
final—l'écart conceptuelle entre le texte source et le texte cible.

L'écart conceptuelle

La tâche de traduction est très reliée avec les métaphores dans deux manières principales : le travail
en soi est souvent expliqué en termes métaphoriques (comme j'ai fait ici avec la métaphore de l'écart)
et la difficulté à traduire les métaphores d'une langue source à une langue cible. La métaphore est
alors l'unite essentielle de la traduction car elle exige la traduction des conceptes. Avec la métaphore,
la traductrice doit faire face au fait qu'elle ne traduit pas les mots mais les idées. Chaque mot est
attaché à un monde des idées. Le plus écarté un mot est d'un autre en termes liguistiques,
historiques, et contextuels, le plus difficile il est de traduire les termes d'une langue à une autre.

22 « …littera enim occidi, spiritus autem vivicat. » Même si l'épigraphe dans le texte cible est en latin, je continue à traiter la
citation grècque car elle est plus « originale ».
23 LADMIRAL p. 72.
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Je pense ici de l'exemple de la guerre de succession aux États-Unis. Le nom dite "official" est « Civil
War » (guerre civile). Mais il y a les Américains sudistes qui insistent à l'appelée « The War of
Northern Agression » (la guerre d'aggression nordiste). « Civil » n'est pas le sens qu'ils ont de cette
guerre—ils veulent être clairs que c'était les Yankees qui ont commencés le conflit. Mais ces termes
sont mutuellement compréhensibles. Un Américain comprend que ses deux termes impliquent le
conflit entre la Confédération et l'Union entre 1861 et 1865. Par contre, l'idée française de « la guerre
de succession » (The War of Succession) aurait incompréhensible aux plupart des Américains car il
suggère que la Confédération a tenté à quitter l'Union. Soit pensons-nous de la guerre civile, soit
pensons-nous que les Yankees ont commencé la guerre. Malgré si l'idée de « guerre de succession »
est juste historiquement, conceptuellement elle ne va pas dans les concepts de langue source.

Dans cette grille, je retourne aux termes clés : gramma et pneuma. La gramma de Paul implique l'Ancien
Testament, le code de lois et connaissances des peuples juifs. Par contre la gramma de Lavalade veut
dire les mots d'un texte source, le « dictionary definition » du mot. Dans cette conception de gramma,
la traduction suggérée par Meyer n'est plus valable. On ne peut pas dire qu'un système de
connaissance, un « written code », tue dans ce contexte. Alors, la traductrice doit approximer la
distance entre ses deux termes: le sens original de Paul et le conceptualisation contemporain de
Lavalade. Pour cette raison, la traduction de gramma comme « la lettre » me semble la plus valable ici.
Ça implique un texte avec une certaine spécificité (plutôt qu' « un lettre »), sans ayant trop mêlé dans
le monde théologique, où il s'en est issue.

La pneuma aussi se présente plusieurs possibilités pour la traduction. Nous avons déjà vu les
suggestions des dictionnaires : esprit, souffle, vent. Et nous avons vu aussi que Paul veut dire que la
pneuma réfère au Nouveau Testament. Mais, dans la conceptualisation de Lavalade, la pneuma est
plutôt l'effet crée par un texte et les idées qu'elle contient. Cet écart me semble plus difficile à
s'étendre que celui du mot gramma. Alors, il faut rationaliser comment l'ensemble d'idées qu'est la
pneuma peut être exprimer dans la langue cible, sans complètement perdant le concept qu'elle
représente dans la langage source. Il faut construire un pont entre ces deux iles de concepts de la
pneuma pour réussir à la traduire.

Comment construire un pont « eupraxique »


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Un pont doit être parfaitement suspendu entre les deux côtés, les deux langages, les deux contextes.
En ce cas, le côté de Paul devrait être balancé avec celui de Lavalade. Il me semble qu'il existe deux
problématiques à ce niveau-ci: le risque de surévalué l'émetteur et le risque de surévalué le récepteur.
Si la traductrice est trop collée au texte et contexte source, elle risque de perdre ses lecteurs encore
vivants. Elle n'écrit pas pour les Corinthians de 60 A.D., alors elle ne peut pas utiliser le même style
de Paul. La manière à écrire de Paul est trop archaïque et complexe pour le lecteur modern. De plus,
si elle se colle trop au texte source, les concepts modernes apportés aux mots par Lavalade sont
perdus. (Imaginez, par exemple, la traduction « …car l'Ancien Testament tue, mais le Nouveau
Testament vivifie. » Pas très élégant, n'est-ce pas?) Par contre, si elle se colle trop au texte cible, elle
perd l'historicité particulière du texte source. (Je pense ici des « traductions » de Shakespeare en
anglais modern.) On peut très bien imaginer une traduction de cette citation complètement hors de
sa spécificité, quelque chose comme: le texte tue, mais la compréhension universelle vivifie. Ici, on perd tous
les aspects théologiques du texte source, même si cette traduction convient les intentions de
Lavalade. Alors, ces deux néants doivent être éviter.

Pour postuler une manière de bien balancer cette traduction, je prendrai une autre citation de Paul,
de première Corinthians:

Quelque nombreuses que puissant être dans le monde les diverses langues, il n'en est aucune
qui ne soit une langue intelligible ; si donc je ne connais pas le sens de la langue, je serai un
barbare pour celui qui parle, et celui qui parle sera un barbare pour moi. De même vous.24

Alors, dans cette vision de langue donné par Paul, la compréhensibilité de la langue est toujours
possible, mais il faut que le parleur (et, je posite, le recepteur) fasse un peu de travaille. Traduire, c'est
de faire familier un texte « barbare ». C'est-à-dire que l'émetteur doit faire une concession au
recepteur, de traverser la distance. En général, cette concession est de perdre des mots or de sens,
car « la langue source est toujours très riche, et la langue cible très pouvre. » Mais, le recepteur, lui
aussi a du travail à faire. La lingiste John H. McWorter décrit ce travail comme « reaching up »25.
C'est-à-dire que le recepteur, le lecteur, doit chercher à comprendre le texte source dans ses propres

24
1 Corinthians 14.10-11
25
« tendre le bras vers le haut » McWORTER, John, dans un entretien avec WARD, Mark, Lexicon Valley
(podcast), 11 décembre 2017.
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termes et sa propre historiocité. Par exemple, il recommande une traduction de Shakespeare « turned
down about 10% »26. Les éléments particuliers à Shakespeare et son époque sont toujours visibles et
lisibles, mais le lecteur peut comprendre les idées et sentiments créés par le texte quand même.

Pour résumer tous ces idées, il faut reprendre le point de départ, l'intention de crée une traduction
eupraxique. Une traduction viable ou eupraxique doit contribuer à la connaissance et sagesse de
l'humanité en balançant entre les côtés du texte source et texte cible. Ici, j'ai essayé d'exposé les
grandes lignes pour créer une traduction de valable en prenant la citation de 2 Corinthians comme
point de pratique. Après tout, il me semble clair que le travail de la traductrice est essentiellement à la
fois conservateur et humaine.

Alors, comment traduire ce dernier mot pneuma ? Du côté de chez Paul, pneuma est l'esprit santé, la
souffle de Dieu. Du côté de chez Lavalade, pneuma indique les états, les émotions, engendrés par le
texte. Et entre les deux ? Il me semble que la traduction de pneuma comme « esprit », et pas « vent »
ou « souffle », convient ses deux concepts le mieux. L'esprit, avec sa connotation à vivacité, est un
pont eupraxique dans cette traduction.

Derniers mots

Je viens de proposer quelques éléments ou néants à éviter dans la tâche de traduction. Il y a trois
écarts principaux que la traductrice doit s'en occuper : l'écart linguistique, l'écart contextuel, et l'écart
conceptuel. Pour traverser ses distances, la traductrice doit balancer le texte source avec le texte
cible, ou bien construire un pont eupraxique entre les plusieurs sens du mot. Bien que parfois ce
pont est beaucoup plus long qu'autrement, mais il n'est jamais impossible à faire. Il est grâce à ce
pont de traduction que l'étranger devient familier, l'Autre devient une partie de Nous.

26
« diminuer 10 % » McWORTER, ibid.

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