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As línguas possuem gramáticas diversas e essas são sentidas nos espaços diferentes criados

entre as palavras. Cada língua relaciona a um verbo uma determinada preposição, isso traz
uma noção diferente a respeito daquele verbo e o indivíduo pensa de forma diferente um
termo que tem mesma grafia e som que em línguas a essa relacionadas. Existe uma relação
muito grande entre algumas línguas, porém as diferenciações quando se olha de perto são
grandes e elas constroem sentidos próprios. Linguagem é como um indivíduo vive. Linguagem
é tudo, vivemos um momento em que minorias se enunciam. Enunciação faz parte de
mudança de perspectiva de si, Lacan estava certo. Benveniste também.

O momento de conhecimento pede que consideremos as duas hipóteses

As línguas têm algo de especial

As línguas não têm nada de especial

Absoluto, abstrato, particular e diminuto novamente. É uma questão filosófica desde sempre
esse contraste.

Relação entre kant e sapir.

Linguagem e tempo

On peut dire que c'est au moins à partir du Cratyle de Platon, que la philosophie s'est occupée
du langage: de son origine, de ses fonctions, du fondement de sa capacité à exprimer des
significations ; et plus particulièrement des différentes «parties du discours» et de leurs
fonctions, des différents types de relation sémantique, du rapport entre langage et pensée,
langage et monde externe, langage et société humaine, et d'un très grand nombre d'autres
problèmes à propos desquels le langage est pertinent. Elle s'en est occupée plus activement à
certaines époques – vers la fin du Moyen Âge – et dans une moindre mesure à d'autres,
comme par exemple entre le XVIIe et le XIXe siècle (avec toutefois des exceptions
remarquables, telles que Locke, Condillac et Humboldt): ce qu'on peut dire, en tout cas, c'est
que le langage n'est jamais complètement sorti du champ réflexif de la philosophie. Pourtant,
lorsqu'on parle aujourd'hui de philosophie du langage, on se réfère habituellement à des
études dont la bibliographie remonte rarement au-delà de 1892 (année de publication de Sens
et dénotation de G. Frege). Certes, il peut arriver que des travaux plus anciens soient cités: la
distinction leibnizienne entre intension et extension, son critère d'identité fondé sur la
substituabilité salva veritate, la théorie «idéationnelle» de la signification proposée par Locke
dans le livre III de son Essai sur l'entendement humain, ou la thèse de J. S. Mill selon laquelle la
signification des noms propres se réduit à leur dénotation. On a toutefois l'impression que la
référence à tel ou tel de ces classiques sert principalement à anoblir des positions
contemporaines – en les dotant d'une tradition –, et que les noms de ces philosophes du passé
fonctionnent comme les codes de thèses intemporelles, alors que le contexte de pensée dans
lequel ces thèses ont été élaborées n'est d'aucune importance. À la différence de ce qui peut
advenir dans d'autres secteurs de la philosophie contemporaine, comme l'éthique ou
l'esthétique, les philosophes classiques, depuis Aristote jusqu'à Nietzsche, apparaissent dans la
philosophie du langage comme autant de Statues du Commandeur, ou n'apparaissent pas du
tout.

On peut donner différentes raisons plausibles de ce détachement, relativement profond et


radical, de la «philosophie du langage» de la tradition philosophique. Avant tout, la
«philosophie du langage» a instauré depuis ses origines, un rapport plutôt étroit avec la
logique formelle, discipline scientifique qui n'existait quasiment pas avant Frege; et la
recherche la plus récente interagit souvent avec la linguistique, et particulièrement avec la
linguistique générative, fondée par Chomsky à la fin des années cinquante (cf. § 3). Il faut
toutefois préciser que ces deux interactions ne sont pas sans précédents: dans la philosophie
de la fin du Moyen Âge, la relation entre logique et philosophie du langage était très étroite
(une bonne part de la «logique» médiévale était plutôt de la philosophie du langage), et dans
bon nombre de réflexions sur le langage entre le XVIIe et le XIXe siècles (depuis la Logique de
Port-Royal jusqu'à Humboldt) le rapport avec la linguistique est significatif. Toutefois, il est
important qu'aujourd'hui, il s'agisse de logique formelle, mathématique, et de linguistique
générative. En outre, comme nous le verrons (§ 2), la «philosophie du langage» est, par bien
des côtés, interne à la tradition philosophique analytique: une tradition qui a certes des
précédents importants dans l'histoire de la philosophie (il suffit de penser à Aristote ou à
Hume), mais qui appartient pour l'essentiel à notre siècle. Enfin, une bonne partie de la
réflexion philosophique qui aura précédé Frege ou le Tractatus logico-philosophicus de
Wittgenstein est plus ou moins compromise (quelquefois malgré elle, quelquefois sous une
forme théoriquement consentante) avec le mentalisme, qui reconduit les entités et les
phénomènes linguistiques à des entités ou des processus mentaux. Nous assistons aujourd'hui
à un retour significatif de thèses mentalistes également en «philosophie du langage», mais il
ne fait pas de doute qu'à partir de Frege et pendant plusieurs décennies, la discipline s'est
définie précisément en opposition au mentalisme (sur l'origine et les racines théoriques de cet
anti-mentalisme, voir Engel, 1996: 26-39, 69-89).

Enfin, une autre raison de ce détachement particulier de la philosophie du langage (au sens
étroit) de la tradition philosophique tient au niveau de consensus atteint dans cette discipline.
Bien plus que ce ne sera le cas pour l'éthique ou l'esthétique, les philosophes du langage sont
convenus, si ce n'est d'un certain nombre de thèses philosophiques explicites, au moins de
l'importance de certains problèmes et de la centralité de certains textes qui ont contribué à
leurs discussions; et ils sont également convenus d'une méthode de discussion (caractéristique
de la philosophie analytique) difficilement définissable de manière précise, mais dans laquelle
ont grand part les définitions et les argumentations explicites, l'emploi des contre-exemples
pour invalider des propositions de solutions, le recours – non acritique, mais systématique –
aux assomptions de sens commun et aux résultats des sciences naturelles et de la
mathématique. Cet ensemble consensuel laisse certainement de côté, pour une raison ou pour
une autre, une bonne partie des réflexions philosophiques sur le langage pré-frégéennes. D'un
point de vue plus «historique», on pourrait dire que les classiques de la «philosophie du
langage» – Frege, Russell, Wittgenstein – ont donné naissance à une telle masse de recherches
qu'elle constitue, à elle seule, une discipline philosophique.

Ce qui ne veut pas dire que parmi ceux qui s'occupent aujourd'hui du langage d'un point de
vue philosophique, le consensus – fût-il limité dans les termes que nous avons évoqués – soit
universel, mais notre intention est de souligner de cette manière ce qui a été l'autorité
particulière d'un ensemble relativement restreint de textes, qui constitue un cas peut-être
unique dans le panorama de la philosophie contemporaine. On comprendra sans doute mieux,
de ce point de vue, le rapport difficile et l'absence substantielle de dialogue entre la
«philosophie du langage» et les courants actuels de l'herméneutique, qui placent pourtant le
langage au centre de leur préoccupation («L'être qui peut être compris, c'est le langage» dit
Gadamer; et il ajoute que «le langage, et donc la compréhension, sont des caractères qui
définissent en général et fondamentalement tout rapport de l'homme avec le monde». Voir
Gadamer, 1960: 405 sq.). Les différences de style philosophique sont évidentes; mais, cela mis
à part, les problèmes de la philosophie analytique du langage sont substantiellement étrangers
à l'herméneutique. On chercherait en vain, dans les écrits des herméneutes, des réponses à
des questions telles que: «De quelle manière le sens d'une phrase déclarative dépend des sens
de ses constituants?» ou: «Quelle différence y a-t-il entre le sens d'une expression comme ‘je'
et celui d'une expression comme ‘Napoléon Bonaparte'?», ou: «Est-il toujours vrai que le sens
d'une expression détermine sa référence?». De telles questions sont considérées soit comme
banales (la réponse en est évidente), soit comme dépourvues de caractère philosophique ou,
tout au plus, d'un intérêt strictement linguistique (§ 3), ou encore mal formulées. Les emplois
quotidiens ou ordinaires du langage, qui sont au centre de l'attention de la philosophie du
langage (parce que c'est de là qu'il faut partir) n'intéressent pas les herméneutes, qui tendent
à les considérer comme dégradés par rapport à des emplois plus révélatifs de l'être ou de la
vérité. Les herméneutes emploient certainement des notions comme sens ou signification :
mais ce que la tradition analytique considère comme le centre de la signification – ce que
Carnap (1947: 6) appelait «signification cognitive» et dont Frege (1892b: 104) disait que, d'une
langue à l'autre, elle était conservée par une traduction correcte – intéresse bien moins les
herméneutes que d'autres aspects, considérés comme marginaux ou secondaires par les
philosophes du langage. Ces derniers s'intéressent plutôt à ce que des mots tels que «cheval»
ou «destrier» ont en commun; les herméneutes à ce qui les différencie. «L'esprit orienté vers
la beauté de la langue pourra accorder de l'importance à ce que le logicien considérera comme
indifférent» (Frege, 1918: 178).

Le programme de recherche de la philosophie du langage – désormais sans


guillemets, dans la mesure où nous n'en parlerons qu'au sens restreint évoqué ci-
dessus – est quelquefois identifié avec le mot d'ordre: «Les problèmes
philosophiques sont des problèmes de langage»; et les expressions ‘philosophie du
langage' et ‘philosophie linguistique' sont souvent utilisées comme des synonymes.
Pourtant, cette identification est, aujourd'hui, une erreur: la majeure partie des
philosophes du langage ne pensent nullement que les problèmes philosophiques de
la justice, de la justification des théories scientifiques, de la nature de l'art ou du
rapport entre le corps et l'esprit soient, en tout cas essentiellement, des problèmes
de langage (en aucun des sens que nous éclaircirons bientôt). Toutefois, cette
erreur se justifie historiquement: la plupart des recherches philosophiques sur le
langage dont nous nous occuperons, sont nées, de fait, à l'enseigne d'un tel mot
d'ordre, qui continuera de caractériser la recherche au moins jusqu'à la fin des
années cinquante. Selon une première interprétation, ce mot d'ordre revient à dire
que les problèmes philosophiques naissent du langage: de ses imperfections, de
son opacité et de la méprise quant à sa manière de fonctionner. Les recherches de
Frege sont déjà en partie motivées par la conviction que le langage naturel est une
source quasi inévitable de «tromperies» (Frege, 1879: VI), et qu'à toute fin
scientifique, il doit être remplacé par une langue artificielle (telle que
l'«idéographie» qu'il propose), qui est à la langue naturelle ce que le microscope est
à l'œil (1879: V). Bien plus tard, Wittgenstein, aurait soutenu que «les confusions
les plus fondamentales (dont la philosophie [traditionnelle, bien entendu] est
pleine» naissent de la méprise quant à la manière dont fonctionne le langage
ordinaire (1922, 3.323-3.324), et que «toute la philosophie [nouvelle, à laquelle
Wittgenstein se propose de contribuer] est une ‘critique du langage'» (4.0031).
Dans la formation de ces idées de Wittgenstein, entra pour une grande part
l'enseignement de Russell (§ 9) sur la nécessité de distinguer entre «forme
grammaticale» d'un énoncé et «forme logique», à savoir entre ce qu'un
énoncé semble dire et ce qu'il dit effectivement. De telles positions sont à l'origine
d'une tendance de la philosophie linguistique (que nous appellerons «dissolutive»
ou «thérapeutique»), selon laquelle les problèmes philosophiques sont des
problèmes de langage, au sens où ils sont engendrés par le langage naturel, et il
revient à la philosophie non pas de les résoudre mais de les éliminer, soit à travers
une compréhension claire et explicite de la manière dont le langage fonctionne (au-
delà de son apparence grammaticale trompeuse), soit, plus drastiquement, en
remplaçant le langage naturel par un langage artificiel parfait, dans lequel les
problèmes philosophiques ne seraient pas formulables, ou alors seraient reformulés
en tant que problèmes scientifiques légitimes. Cette tendance dissolutive, dont on
peut dire que leTractatus est le manifeste, est présente dans le premier néo-
positivisme, dans une bonne partie de la philosophie anglaise des années trente (de
manière typique chez G. Ryle) et dans le «second» Wittgenstein (§§ 19-22), pour
qui la réhabilitation du langage ordinaire n'entraîne nullement une réhabilitation de
la philosophie traditionnelle.

Mais le mot d'ordre: «Les problèmes philosophiques sont des problèmes de


langage» a fait également l'objet d'une autre interprétation: les problèmes
philosophiques sont des problèmes de signification des mots, et se résolvent en
vérifiant la signification de certains mots. Se demander ce qu'est la connaissance,
ou ce qu'est la justice, revient à se demander quelle est la signification de mots tels
que «connaître» ou «juste». D'après Schlick, qui fut un défenseur de cette version
de la philosophie linguistique (cf. Schlick, 1932), déjà Socrate avait compris qu'il ne
s'agit pas en philosophie de vérifier des faits, comme dans les sciences, mais de
clarifier des significations. Les problèmes philosophiques sont des problèmes de
langage au sens où ils concernent le langage, et se résolvent à travers l'analyse du
langage. Ceux qui soutiennent cette position – «résolutive» ou constructive –
n'excluent pas nécessairement l'utilité des langages artificiels «parfaits», mais ils
considèrent le plus souvent le langage ordinaire comme le lieu de résolution des
problèmes philosophiques. Le représentant le plus célèbre de cette version de la
philosophie linguistique sera Austin (§§ 24-25): la vérification analytique de
l'utilisation des mots n'est pas la réponse finale à tous les problèmes
philosophiques, mais elle est un point de départ infiniment plus riche et mûr que
toutes les alternatives possibles.
Les deux versions de la philosophie linguistique que nous avons distinguées ici se
sont de fait mêlées de multiples manières (Rorty, 1967, fait une analyse précise de
ces événements). Aujourd'hui, la philosophie linguistique n'existe plus: la tendance
dissolutive – qui a pourtant laissé un important héritage en terme de méfiance à
l'égard des formulations typiques de la philosophie dite traditionnelle – a été
vaincue par la conviction que de nombreux problèmes philosophiques peuvent être
reformulés en termes clairs et tout à fait acceptables; la tendance constructive s'est
effondrée, accusée de penser – de manière absurde – que des questions
substantielles, pour la résolution desquelles est pertinente la connaissance de
comment sont les choses dans le monde, peuvent être résolues à travers l'analyse
du langage (l'attaque de Putnam [Putnam, 1962] contre Malcolm est exemplaire
d'une telle critique). Mais l'attaque de Quine contre la notion de signification, à
travers la critique de la dichotomie analytique/synthétique, n'en fut pas moins
importante pour le déclin de la version constructive (§ 27; Rorty [1979: 193 et
passim] a justement insisté sur l'efficacité destructrice de la critique de Quine). S'il
n'est pas possible d'isoler, à l'intérieur du langage, les énoncés qui sont constitutifs
de la signification d'un mot de ceux qui ne le sont pas, le programme philosophique
qui se propose de vérifier le contenu d'un concept (tel que «justice»,
«connaissance», etc.) à travers l'analyse de la signification d'un mot (‘juste',
‘connaître') doit être à tout le moins reconsidéré.

Mais la philosophie linguistique a laissé un héritage théorique considérable, qui


constitue, en bonne part, le patrimoine des idées de la philosophie du langage.
Dans la poursuite d'un objectif qui – comme on l'a dit – n'était pas, en dernière
analyse, de réflexion sur le langage, mais de résolution (ou de dissolution) des
problèmes de la philosophie en général, les philosophes linguistiques ont élaboré
des concepts et des théories sur le langage qui ont encore cours aujourd'hui. Par
exemple, le couple frégéen de sens et dénotation (§ 5) fut introduit pour éliminer la
confusion, fréquente en philosophie des mathématiques, entre signe, sens du signe
et objet désigné par le signe (cf. Picardi, 1989: 332); l'analyse des descriptions
définies par Russell (§ 9) devait servir à résoudre le problème posé par les «entités
inexistantes» (par exemple ‘l'actuel roi de France', ‘la montagne d'or', ‘Pégase'), et
donc un problème ontologique; la théorie des performatifs d'Austin (§ 25) se forma
au cours d'une discussion sur les problèmes de l'esprit d'autrui (Austin, 1946:
45 sq.) et de la vérité (Austin, 1950: 92sq.). Il est probable que nombre d'idées sur
le langage ne seraient pas nées si elles n'avaient pas paru utiles pour traiter
d'autres problèmes philosophiques. Aujourd'hui, elles sont utilisées la plupart du
temps pour comprendre philosophiquement le langage, indépendamment d'objectifs
«externes». Des positions telles que celle de Dummett (voir par exemple 1973a),
qui assigne à la philosophie du langage un rôle fondateur par rapport à l'ensemble
de la philosophie, sont nettement minoritaires.

S'il est vrai que la philosophie du langage a évolué dans le sens d'une compréhension propre
de ce qu'est le langage et de comment il fonctionne, on peut se demander si elle n'est pas
devenue en tout point identique à la linguistique, ou à l'une de ses parties. On pourrait
répondre aisément – mais à tort – que la linguistique, au contraire de la philosophie, ne
s'occupe pas «du langage», mais des langues historico-naturelles, objets individuels ayant
chacun leur histoire, certaines régularités de mutation, une structure. En premier lieu, en effet,
les idiosyncrasies des différentes langues ne sont pas nécessairement sans conséquence pour
la philosophie du langage: c'est précisément dans la mesure où elle tend à établir des
conclusions générales, qu'il n'est pas indifférent que celles-ci soient contredites par des
phénomènes linguistiques spécifiques de telle ou telle langue. En second lieu, il existe une
linguistique théorique, ou générale, qui considère les langues historico-naturelles
essentiellement comme le matériau empirique d'une théorie générale du langage verbal. «En
dernière analyse, le linguiste n'est pas intéressé par la connaissance du français, de l'arabe, ou
de l'anglais, mais par la faculté linguistique de l'espèce humaine» écrit une linguiste
contemporaine (Cook, 1988: 22).

Prenons, à titre d'exemple, le programme de recherche de Noam Chomsky. La tâche centrale


de sa théorie linguistique est la description de la grammaire universelle: elle consiste en un
ensemble de composants et principes invariants dans toutes les langues, et de paramètres qui
admettent un nombre limité de valeurs possibles (par exemple, dans un syntagme les
compléments peuvent suivre ou au contraire précéder la tête; l'ordre des constituants de la
phrase peut être S[ujet]-V[erbe]-O[bjet], ou SOV, ou VSO). Les grammaires des différentes
langues dérivent de différents choix de spécification des paramètres. Par ailleurs, les choix ne
sont pas tous indépendants: dans de nombreux cas, si un paramètre a une certaine valeur,
d'autres s'en trouveront déterminés. Par exemple, si, dans une langue, l'ordre des constituants
est VSO, les adjectifs suivront les noms au lieu de les précéder. La grammaire universelle est
une théorie de la faculté du langage, le module – relativement isolé – de l'esprit humain
réservé à la connaissance linguistique: les principes de la grammaire universelle devraient,
normalement, pouvoir être mis en relation avec les caractéristiques physiques du cerveau.

Ces quelques remarques suffisent à mettre en évidence les ambitions d'universalité du


programme de Chomsky; ambitions qui, par ailleurs, ne sont pas la prérogative exclusive de la
linguistique générative. La philosophie du langage ne peut donc être distinguée de la
linguistique en vertu de son aspect théorique plutôt qu'historique, ni de son intérêt pour le
langage en général plutôt qu'aux différentes langues ou à des groupes de langues, ou du fait
qu'elle est «pure» et non pas empirique; et elle ferait bien de ne pas s'en distinguer en
ignorant les phénomènes linguistiques et les particularités des différentes langues. Le rapport
entre les deux domaines de recherche est plus complexe, et ne peut être éclairé qu'à partir de
certaines considérations de caractère historique.

On a vu que la philosophie linguistique, sous toutes ses formes, est dominée par des
préoccupations philosophiques extra-linguistiques. En conséquence, elle s'est souvent engagée
dans des analyses qui eurent une grande importance pour la philosophie, mais sans véritable
enjeu linguistique: il est clair que le rôle de l'adjectif ‘volontaire' (Ryle, Austin) n'intéresse que
de manière très relative la linguistique, pas plus que celui de l'énoncé ‘j'ai mal' (Wittgenstein);
la linguistique ne s'occupe pas des expressions particulières, mais des classes d'expressions. En
outre, une bonne partie de la philosophie linguistique, au cours de toute sa première phase, a
été dominée par la méfiance à l'égard du langage naturel. Nous avons vu (§ 2) que cette
attitude pouvait être commune à Frege et au «premier» Wittgenstein; plus tard, les résultats
de Tarski (§ 13) sur le caractère contradictoire des théories formulées dans un langage
sémantiquement clos (comme le sont toutes les langues naturelles) semblaient sonner le glas
de toute velléité de traitement rigoureux du langage naturel. À l'anarchie des langages
naturels s'opposaient la discipline et la transparence des langages logiques. Pour des
philosophes qui – comme le sont nombre de philosophes linguistiques – avaient à cœur la
libération de la philosophie et de la science, des obscurités et des confusions du langage
naturel, et la mise en fonction d'un instrument linguistique optimal, tant pour l'analyse
philosophique que pour les discours scientifiques, la théorie du langage était avant tout une
théorie des langages artificiels de la logique, opportunément enrichis pour en accroître le
pouvoir expressif (sur le thème du «langage idéal» dans la philosophie linguistique, voir
également Rorty, 1967). Toute la première phase de la pensée de Carnap, depuis la
Construction logique du monde (1928) jusqu'à la Syntaxe logique du langage (1934) se
développe dans cet esprit. On peut même affirmer, sans exagération, que depuis Frege jusqu'à
la fin des années soixante-dix, la théorie des langages logiques a une fonction paradigmatique
pour quasiment toute la philosophie du langage. Ce qui ne veut pas dire que cette attitude
impliquait un refus pur et simple du langage naturel dans tous les cas (ce n'est pas le cas, par
exemple, du Tractatus de Wittgenstein); mais par rapport à celui-ci, les théories du langage
finissaient par assumer, explicitement ou implicitement, un rôle prescriptif plutôt que
descriptif: soit en opposant au langage naturel des langages dotés de propriétés idéales
(comme chez Frege, le premier Carnap ou Tarski), soit en lisant en filigrane dans le langage
naturel un langage parfait – essentiellement logique – duquel les langues naturelles étaient
souvent éloignées en surface (comme chez Russell et dans le Tractatus). Par conséquent, les
théories du langage élaborées par ces philosophes ne représentaient que rarement et
indirectement un enjeu pour la linguistique qui, évidemment, se doit de prendre en compte
tous les traits d'«indiscipline» présumée des langues naturelles. Quand les philosophes se sont
occupés véritablement du langage naturel, et ils le firent avec des intentions descriptives, ils
ont élaboré des théories qui appartiennent tout autant à linguistique qu'à la philosophie,
comme la théorie des actes de langage (§ 25) ou la grammaire de Montague (§ 17).

Par ailleurs, la philosophie du langage s'est différenciée de la linguistique également pour une
raison, en un certain sens, opposée, à savoir de par son engagement théorique sur des aspects
de la connaissance du langage dont la linguistique reconnaissait l'importance, mais qu'elle ne
réussissait pas à occuper de manière satisfaisante: avant tout la sémantique, ou théorie de la
signification. De la linguistique historique au structuralisme de Saussure, de Jakobson à
Chomsky, la linguistique a toujours considéré comme de son ressort la problématique de la
signification linguistique; toutefois, aucune théorie élaborée à cet égard, dans un cadre
linguistique, n'est parvenue au degré de maturité des théories phonologiques ou syntaxiques.
Cette lacune a été largement comblée par la philosophie du langage et on en comprendra
facilement les raisons: tout d'abord, le problème de la signification appartient à la tradition
philosophique, depuis le stoïcisme (au moins); ensuite, les problèmes philosophiques qui
intéressaient les philosophes linguistiques se posaient comme des problèmes de la
signification de certains mots ou de certaines phrases, et sollicitaient, pour être affrontés de
manière adéquate, une théorie de la signification des mots et des phrases (on trouvera
d'importantes analyses des origines de la «sémantique philosophique» dans Hacking, 1975;
Dummett, 1988). La philosophie du langage a donc fonctionné comme suppléance par rapport
à la linguistique dans l'aire de la théorie sémantique, et elle fut, en même temps, le lieu
principal de la discussion méthodologique et épistémologique la concernant. Différents
philosophes ont soutenu qu'une des tâches historiques de la philosophie a été, et est encore la
construction d'un consensus autour de clusters conceptuels, dont on peut dire que l'adoption
généralisée a pu donner naissance à une science: c'est ainsi que sont nées la mécanique
classique et la psychologie (Russell 1912: 154-155; Perelman, 1945: 13). Il est possible qu'un
jour nous réalisions que la fonction principale des réflexions philosophiques sur le langage aura
été de donner naissance à une sémantique scientifique (qui serait une partie de la linguistique,
même si ce ne sera peut-être pas celle que nous connaissons aujourd'hui). Toutefois, si ce
devait être le point d'arrivée, nous en sommes encore bien loin, comme nous le verrons.

Le paradigme dominant de la philosophie du langage au XXe siècle peut être caractérisé par la
conjonction de trois thèses, deux positives et une négative:

1) la signification d'un énoncé déclaratif s'identifie avec ses conditions de vérité, soit, en
d'autres termes, la spécification des circonstances dans lesquelles l'énoncé est vrai; et la
signification d'une expression subénonciative (par exemple un mot) est sa contribution aux
conditions de vérité des énoncés dans lesquels l'expression apparaît. L'énoncé déclaratif est
donc l'unité linguistique privilégiée: la théorie sémantique est essentiellement une théorie de
la signification des énoncés;

2) la valeur sémantique d'une expression complexe dépend fonctionnellement des valeurs


sémantiques de ses constituants (compositionnalité de la signification); le mode de la
dépendance est déterminé par la structure syntaxique de l'expression complexe, c'est-à-dire
par le type de complexité qui est en jeu dans chaque cas;

3) images, représentations, ou autres entités mentales, éventuellement associées aux


expressions linguistiques, ne sont pas les significations des expressions, et l'élaboration
mentale des expressions linguistiques (la compréhension comme processus mental) n'est pas
essentielle à la détermination de la signification des expressions elles-mêmes. En général, des
considérations de caractère psychologique n'interviennent pas dans la théorie de la
signification.

L'idée selon laquelle, pour satisfaire les thèses (1) et (2), on doit attribuer plusieurs valeurs
sémantiques à chaque expression linguistique (par exemple sens et dénotation chez Frege, ou
intension et extension chez Carnap) est presque aussi universellement partagée. Russell (§ 9)
n'était pourtant pas de cet avis, pas plus que ne le sont aujourd'hui les théoriciens de la
référence directe (§ 32), qui se placent d'ailleurs déjà partiellement en dehors du paradigme
dominant.
Les thèses (2) et (3) sont dues à Frege. La thèse (1) déjà présente chez Frege (1893, § 32), est
soulignée avec force dans le Tractatus de Wittgenstein.

Gottlob Frege (1848-1925) était bien conscient d'être l'un des fondateurs de la logique
contemporaine. Il était loin pourtant de penser que, quelques dizaines d'années après sa mort,
on l'aurait également considéré comme le fondateur d'une discipline philosophique dite
«philosophie du langage»: ne serait-ce que parce qu'il s'était toujours considéré plus comme
mathématicien que comme philosophe. Toutefois, cela ne fait aucun doute que nous sommes
redevables à Frege des notions centrales du paradigme dominant, comme l'analyse de la
prédication et des énoncés quantifiés, de l'idée de la compositionnalité de la signification et du
couple sens/dénotation; et ce fut Frege qui, le premier, posa des problèmes canoniques, tels
que celui de la signification des descriptions définies (les expressions de la forme ‘le P', comme
‘le roi de France' ou ‘la tante de Gottlob') ou celui des contextes d'attitude propositionnelle (‘X
croit que que ', ‘X veut savoir si p' etc.). La grande synthèse de Dummett (1973b) a sans aucun
doute contribué à l'image actuelle du rôle de Frege dans la constitution de la philosophie du
langage; d'autre part, c'est un fait que quasiment tous les auteurs canoniques de la
philosophie du langage de notre siècle se réfèrent à lui, depuis Russell qui contribua à en
diffuser les idées, jusqu'à Wittgenstein qui reconnut qu'il fut l'un des rares auteurs à avoir
exercé une influence importante sur sa pensée, ou Carnap qui fut son élève et qui tenta d'en
perfectionner les catégories sémantiques, ou encore Austin qui le traduisit en anglais, et Quine
qui hérita de nombres de ses problèmes, jusqu'à Kripke qui en fit la cible de ses polémiques.

Une grande partie des idées sémantiques de Frege est exposée dans trois courts essais des
années 1891-1892, Fonction et concept, Sens et dénotation, Concept et objet. Frege appelle
‘noms propres' ce que nous appelons aujourd'hui généralement termes singuliers, c'est-à-dire
les expressions linguistiques qui désignent un seul objet (par exemple ‘Clichy-sous-bois',
‘l'homme le plus riche de Clichy-sous-bois', ‘Alfred Biquet'). À chaque nom propre sont
associés, selon Frege, un sens (Sinn) et une dénotation (Bedeutung). La dénotation du nom,
c'est l'objet désigné: dans l'exemple, respectivement, la ville de Clichy-sous-bois, l'homme qui,
dans cette ville, se trouve être le plus riche, celui qui porte le nom ‘Alfred Biquet'. Le sens est
«le mode selon lequel l'objet est donné» par le nom (1892b: 105); il peut être conçu comme le
contenu cognitif associé au nom, en vertu duquel il a telle dénotation; c'est-à-dire comme un
des différents modes selon lequel un objet peut être déterminé, en tant qu'il «donne lieu à un
nom particulier» de cet objet (Frege, 1914: 107). Il s'agit d'une notion problématique (§ 32),
que Frege lui-même ne clarifie qu'en partie. Essayons d'en dessiner les contours dans la
mesure du possible. Avant tout, il est clair qu'un même objet peut être désigné par plusieurs
expressions linguistiques, chacune desquelles constituant un «parcours» spécifique pour
parvenir à cet objet. L'actuelle (1997) reine d'Angleterre peut être désignée par l'expression
‘Elizabeth II', ou par l'expression ‘l'ex-belle-mère de Diana Spencer', ou par un grand nombre
d'autres expressions (parmi lesquelles précisément ‘l'actuelle reine d'Angleterre'). Chacune de
ces expressions présente sa dénotation (qui est la même dans tous les cas) d'une manière
spécifique, qui est son sens. Pourquoi ne nous suffit-il pas (selon Frege) de dire que des
expressions différentes (des noms différents) ont la même dénotation, au lieu de devoir
associer à chaque expression un sens, c'est-à-dire un mode selon lequel elle présente sa
dénotation? La réponse, toujours selon Frege, est que les mots, considérés comme de simples
signes, ne sont pas des instruments de connaissance, ni des véhicules de la communication: ils
ne le deviennent qu'en tant qu'ils sont associés à une dénotation. Le sens d'une expression
n'est autre que le mode particulier selon lequel elle renvoie à sa dénotation.

Deux expressions distinctes peuvent avoir le même sens: ainsi le sens n'est pas une autre
manière de nommer ce par quoi une expression linguistique se différencie d'une autre. Carnap
reprochera à Frege de n'avoir pas été assez précis sur les conditions d'identité par le sens (§
14; voir Casalegno, 1992: 25-26); toutefois, il ne fait pas de doute (1892a: 127-140; 1892b:
106, 107-108) qu'il pensait qu'il pouvait y avoir des expressions distinctes avec le même sens, à
la fois dans des langues différentes (‘horse', ‘cheval' et ‘cavallo' ont le même sens), et à
l'intérieur d'une même langue (‘chien' et ‘clébard', ‘cheval' et ‘destrier', ‘et' et ‘mais' ont le
même sens, 1897: 139, 152; 1918: 177-178). Ces derniers exemples sont des mots qui, bien
qu'ayant le même sens, ont une tonalité différente (Frege, 1918: 177). La tonalité est ce qui se
perd généralement dans une traduction d'une langue vers une autre (qui, si elle est correcte,
doit au contraire conserver le sens).

Du sens d'une expression linguistique il faut distinguer la représentation liée à l'expression,


c'est-à-dire l'entité mentale que l'expression peut évoquer dans notre esprit: «Une image
interne qui s'est constituée sur la base des souvenirs des impressions sensibles que j'ai
éprouvées et d'activités, internes et externes, que j'ai effectuées» (Frege, 1892b: 105). Les
représentations sont inévitablement subjectives : chacun de nous associe à une même
expression une représentation différente, parce que la représentation dépend de l'expérience,
et l'expérience est différente selon les individus. «S'il était possible de projeter sur un écran les
représentations évoquées par le mot ‘cheval' chez des personnes différentes, nous verrions
des images très différentes les unes des autres» (1897: 151). Mais le langage doit être capable
d'exprimer un contenu objectif – un sens – pour que la communication soit possible. Afin que
l'on puisse communiquer réciproquement un contenu de connaissance – par exemple le
théorème de Pythagore – à travers le langage, il faut qu'un sens, qui soit le même pour tous,
soit lié à chacun des mots du théorème (sans quoi «il faudrait dire ‘mon théorème de
Pythagore' ou ‘ton théorème de Pythagore' et non plus ‘le théorème de Pythagore'»: Frege,
1918: 183). Ce qui ne veut pas dire, bien entendu, que des personnes différentes ne puissent
accorder des sens différents à une même expression (pour untel le sens d'‘Aristote' peut être
«le maître d'Alexandre le Grand», pour un autre «le philosophe de Stagire, auteur de la
Métaphysique »): toutefois il est possible qu'il y ait des expressions avec un sens déterminé,
qui soit saisi par tous les utilisateurs de langage, tandis qu'il n'est pas possible que tous
associent à une expression la même représentation. Et cela ne veut pas dire non plus que le
fait de saisir un sens ne soit pas un événement mental (ou, disons, un fait psychologique): mais
le sens même, ce qui est saisi par l'esprit, n'est pas soumis à la subjectivisation, caractéristique
des événements mentaux.

Les rapports entre sens, dénotation et représentation sont bien mis en évidence par Frege par
une métaphore. Imaginons quelqu'un qui observe la Lune à travers une lunette. La Lune elle-
même correspond à la dénotation; l'image rétinienne, qui est différente selon les
observateurs, correspond à la représentation; l'image sur la lentille de la lunette correspond
au sens: «Elle en est nécessairement partiale parce qu'elle dépend du point de vue
d'observation, et pourtant elle est objective, parce qu'elle peut servir à plusieurs
observateurs» (1892b: 106).

L'imperfection du langage naturel (dont Frege sera un critique acharné) permet la formation
d'expressions anomales, qui ont un sens mais pas de dénotation, comme ‘le corps céleste le
plus éloigné' ou ‘le plus grand nombre naturel'. Dans un langage parfait cela ne devrait pas
être possible: on ne pourrait pas introduire ou former de signe sans que lui soit garantie une
dénotation (1892b: 109). Au contraire, dans le langage naturel, nous parlons d'une certaine
façon en présupposant que les termes singuliers que nous employons ont une dénotation. En
disant, par exemple, ‘Kepler mourut dans la misère' ou ‘Celui qui a découvert les orbites
elliptiques des planètes mourut dans la misère', nous présupposons, respectivement, que le
nom ‘Kepler' a une dénotation et que quelqu'un a découvert la forme elliptique des orbites des
planètes. Si le présupposé est faux (comme c'est le cas dans des énoncés tels que ‘Ulysse a
exterminé les Guaranis' ou ‘L'actuel roi du Mexique a gagné le tour de France'), ni l'énoncé, ni
sa négation ne sont vraies: les présupposés en question, en effet, conditionnent de la même
manière les valeurs de vérité des énoncés et ceux de leurs négations (même en disant ‘Ulysse
n'a pas exterminé les Guaranis' on présuppose que le nom ‘Ulysse' a une dénotation). Nous
verrons (§ 9) comment Russell refusera cette analyse, qui implique une violation du principe
du tiers exclu.

Les énoncés (déclaratifs) ont également un sens et une dénotation: le sens d'un énoncé est la
pensée qu'il exprime, sa dénotation est sa valeur de vérité (c'est-à-dire le Vrai, si l'énoncé est
vrai, ou le Faux, s'il est faux). Dans l'argumentation à laquelle Frege a recours pour arriver à
cette conclusion, il fait appel à un principe qui est tout aussi important que le résultat auquel il
parvient: ledit principe de compositionnalité, selon lequel la valeur sémantique (sens ou
dénotation) de toute expression complexe est fonction des valeurs sémantiques de ses
constituants.

Voyons l'argumentation de Frege. Il constate qu'un énoncé exprime une pensée, et se


demande si la pensée exprimée peut être la dénotation de l'énoncé. S'il en était ainsi – dit-il –
la pensée exprimée ne devrait pas changer, là où, dans l'énoncé, on remplace une partie par
une autre de même dénotation. Cette affirmation présuppose le principe de
compositionnalité. En effet, étant donné A {e1, ... en} un énoncé dont les constituants sont e1,
..., en. Nous désignons par ‘den(x)' la dénotation de l'expression ‘x'. Si le principe

den (A {e1, ... en}) = f (den (e1), ..., den(en))

[principe de compositionnalité pour la dénotation], est valable, alors, si nous avons par
exemple

den (ei) = den (ej)

nous aurons de toute évidence

den (A{e1, ..., ei, ..., en}) = den (A{e1, ..., ej, ..., en}),

où l'énoncé A conserve sa dénotation si l'on remplace ei par ej. Mais si la dénotation était la
pensée, cela ne pourrait être le cas. Considérons, par exemple, l'énoncé:

(1) L'étoile du matin est un corps illuminé par le Soleil.

Si nous remplaçons ‘l'étoile du matin' par ‘l'étoile du soir' (qui a la même dénotation: tous
deux dénotent la planète Vénus), nous obtenons

(2) L'étoile du soir est un corps illuminé par le Soleil,

qui exprime une pensée différente de (1). Donc, si la dénotation respecte le principe de
compositionnalité, la dénotation d'un énoncé ne peut être la pensée exprimée.

Pour soutenir sa thèse selon laquelle la dénotation est la valeur de vérité, Frege apporte deux
argumentations de type inductif. La première part de la constatation que nous sommes
intéressés par la dénotation des constituants d'un énoncé lorsque nous avons intérêt à savoir
si l'énoncé est vrai ou faux et seulement dans ce cas. Par exemple, nous ne sommes pas
intéressés de savoir si ‘Ulysse' a une dénotation – c'est-à-dire si Ulysse a existé – quand nous
restons dans le cadre de l'Odyssée, à savoir un contexte fictif, où la vérité ou l'absence de
vérité des énoncés n'est pas en question; le fait nous intéresse au contraire, si nous nous
plaçons dans le cadre d'une recherche historique. Ce qui fait penser (en assumant une
nouvelle fois le principe de compositionnalité) que la valeur de vérité est précisément ce qui
est déterminé par les dénotations des constituants d'un énoncé, à savoir la dénotation de
l'énoncé tout entier.

La seconde argumentation part au contraire de l'observation que la valeur de vérité d'un


énoncé ne change pas quand on remplace des constituants de même dénotation: (1) et (2) ont
la même valeur de vérité (ils sont tous les deux vrais). Bien sûr, nous ne savons pas si la valeur
de vérité est la seule propriété d'un énoncé qui ne varie pas dans ce cas. Mais le principe de
compositionnalité nous dit que la dénotation d'un énoncé est quelque chose qui ne change pas
par substitution des constituants de même dénotation: donc la valeur de vérité, ayant cette
propriété d'invariance, est un candidat légitime (au contraire de la pensée exprimée) à
l'identification avec la dénotation de l'énoncé.

La thèse selon laquelle la dénotation d'un énoncé déclaratif est sa valeur de vérité a une
conséquence bizarre: tous les énoncés vrais, et tous les énoncés faux, ont la même dénotation.
Frege n'esquive pas cette conséquence (1892b: 111), et l'interprète ainsi: d'un énoncé, ne
nous intéresse jamais la seule dénotation, mais le mode particulier selon lequel il dénote cette
valeur de vérité déterminée. «La connaissance est dans la connexion de la pensée avec sa
dénotation, à savoir avec sa valeur de vérité.» Que tous les énoncés vrais aient la même
dénotation ne veut certainement pas dire que leur différence soit en quelque manière banale
et qu'ils soient, dans un certain sens, un seul et même énoncé: ils sont des manières
différentes de «décomposer» la même valeur de vérité.

Le principe de compositionnalité – qui, comme on l'a vu, est essentiel dans l'argumentation de
Frege – est au fondement d'une bonne partie de la recherche sémantique contemporaine.
L'une de ses motivations les plus importantes est la suivante: il serait difficile de concevoir,
sans admettre un principe de compositionnalité de la signification, que l'on puisse comprendre
des phrases que nous n'avons jamais entendues – sans qu'elles nous soient expliquées –, à la
seule condition qu'elles soient constituées de mots que nous connaissons. Évidemment, nous
calculons la signification des expressions nouvelles à partir des significations de leurs sous-
expressions, que nous connaissons déjà. La signification d'une expression complexe est, en ce
sens, fonction des significations de ses constituants: la connaissance des significations des
constituants suffit à déterminer, sur la base de la structure syntaxique de l'expression, la
signification de l'expression complexe. Frege exprimait ainsi l'idée de la compositionnalité (en
ce cas, du sens): «Les prestations de la langue sont vraiment surprenantes: exprimer un très
grand nombre de pensées avec peu de syllabes – ou même trouver la manière de donner à une
pensée [...] une mise qui permette qu'un autre, pour lequel elle est absolument nouvelle, la
reconnaisse. Cela ne serait pas possible si nous ne pouvions distinguer dans la pensée des
parties auxquelles correspondent des parties de l'énoncé, de manière à ce que la construction
de l'énoncé puisse valoir comme image de la construction de la pensée» (Frege, 1923-1926:
36).

Le sens d'un énoncé c'est la pensée qu'il exprime. Les pensées, comme les sens des termes
singuliers, ne doivent pas être conçues comme des entités mentales et donc subjectives, mais
comme des entités objectives qui peuvent être un patrimoine commun à plusieurs individus.
Dans La pensée (1918), Frege concevra l'objectivité des sens en termes explicitement
platoniciens: «Un troisième règne sera reconnu», au-delà du règne des choses et de celui des
représentations (1918: 184): c'est le règne des pensées, qui – comme les choses – ne sont pas
de quelqu'un, et d'autre part ne sont pas perceptibles par les sens, comme ne le sont pas les
représentations.

Frege semble souvent identifier le contenu objectif d'un énoncé – la pensée qu'il exprime –
avec ses conditions de vérité: le sens d'un énoncé, dit-il par exemple, est «la pensée que [ses]
conditions [de vérité] sont satisfaites» (1893: § 32). Toutefois, sur ce point, sa position n'est
pas univoque. Il semble quelquefois admettre que deux énoncés peuvent avoir les mêmes
conditions de vérité, mais un sens différent (Casalegno, 1992: 25-27). C'est dans le Tractatus
de Wittgenstein (§ 11) que l'on trouvera pour la première fois une identification explicite et
inconditionnée du sens d'un énoncé avec ses conditions de vérité. Il faut toutefois observer
que la manière dont Frege justifie l'objectivité des pensées – qui, à ses yeux, en constitue la
caractéristique essentielle – présuppose l'identification de sens et conditions de vérité. Une
telle justification dépend, en fait, de ce que nous appelons aujourd'hui une conception réaliste
de la vérité, c'est-à-dire de l'idée qu'un énoncé est vrai ou faux en fonction de l'état réel des
choses, indépendamment du fait que nous sachions quel est cet état, que nous puissions le
savoir, et indépendamment même de notre propre existence. «La pensée que nous articulons
dans le théorème de Pythagore est vraie intemporellement, vraie indépendamment du fait
que quelqu'un puisse la considérer comme vraie [...] Elle est vraie non seulement à partir du
moment où le théorème a été découvert – tout comme une planète est dans un rapport
d'action réciproque avec d'autres planètes avant même qu'elle soit découverte» (Frege, 1918:
184). Par conséquent, les conditions de vérité d'un énoncé sont indépendantes du fait qu'il soit
formulé, compris, etc. ; et c'est en cela que consiste, pour Frege, l'objectivité de la pensée que
l'énoncé exprime. Donc l'objectivité des pensées n'est pas autre chose que l'objectivité des
conditions de vérité des énoncés.

Fidèle à une tradition qui a de lointaines origines, Frege distingue entre saisir une pensée et
juger qu'elle est vraie. La pensée exprimée par un énoncé – la pensée que ‘Cesenatico est en
Italie' par exemple – peut être conçue sans être nécessairement assertée: cette même pensée
est également exprimée par la question ‘Cesenatico est en Italie?', dans laquelle pourtant elle
n'est pas assertée. Les deux énoncés, l'assertion et la question, se distinguent du point de vue
de leur force: assertorique dans le premier cas, interrogative dans le second. On trouve donc
chez Frege un embryon de théorie des actes de langage, qui sera amplement développée par
la suite (§ 25).

La valeur sémantique du tout n'est pas toujours fonction des valeurs sémantiques des parties:
c'est du moins ce qu'il semble à première vue. C'est le cas des contextes énonciatifs que Frege
appelle indirects, tels que (3):

(3) Copernic croyait que les orbites des planètes étaient des cercles.

(3) contient, comme son constituant, l'énoncé (4)

(4) Les orbites des planètes sont des cercles.

Or, (4) est faux (dénote le Faux); toutefois, si nous le remplaçons – dans le contexte de (3) –
par un autre énoncé également faux, et donc de dénotation identique, nous n'obtenons pas
nécessairement un énoncé ayant la même valeur de vérité que (3). Par exemple, en
remplaçant (4) par ‘La Lune est un fromage', nous obtenons

(5) Copernic croyait que la Lune était un fromage

ce qui est faux, alors que (3) est vrai.

Ces exceptions à la compositionnalité auraient pu inciter Frege à revoir ses idées sur le sens et
la dénotation des énoncés. Au contraire, il ne consent à les corriger que dans le cas particulier
des contextes indirects. Dans un contexte tel que (3), un sous-énoncé tel que (4), selon Frege
(1892b: 112), ne dénote pas sa dénotation habituelle (c'est-à-dire une valeur de vérité), mais
dénote une pensée, et précisément la pensée qu'il exprime normalement, à savoir son sens
habituel. Les mots ‘que les orbites des planètes étaient des cercles' dénotent le sens de
l'énoncé (4).
Si nous admettons cela, le principe de compositionnalité est sauf, même dans le cas des
contextes indirects: en effet, si, dans ces contextes, nous remplaçons un sous-énoncé par un
autre de même sens (c'est-à-dire la même «dénotation indirecte»), la valeur de vérité de
l'énoncé tout entier ne change pas. Le prix à payer pour sauver la compositionnalité est
pourtant très élevé: les mêmes mots se trouvent avoir des dénotations différentes dans des
contextes différents. En outre, le caractère nébuleux des indications de Frege à propos des
conditions d'identité du sens (quand deux expressions différentes ont-elles le même sens?)
rend sa proposition difficile à vérifier. On comprend donc pourquoi la recherche sémantique
qui a suivi n'a pu se satisfaire de cette solution de Frege, et a cherché d'autres voies (qui n'en
seront pas plus heureuses, comme nous le verrons aux §§ 15, 33).

Dans l'essai Fonction et concept, Frege essaye d'éclaircir la notion mathématique de fonction,
et montre qu'elle est d'une application plus générale que ne l'admettent ordinairement les
mathématiciens. On dit habituellement que

(6) 2 · x3 + x

est «fonction de x», ou que

(7) 2 · 23 + 2

est «fonction de 2». Mais l'expression (7) ne désigne nullement une fonction: elle est un
symbole complexe qui dénote un nombre (le nombre 18). Si (7) était l'expression d'une
fonction, les fonctions ne seraient rien d'autre que des nombres. Du reste, (6) désigne
également un nombre, fût-ce de manière indéterminée: (6) désigne la valeur de la fonction
pour l'argument x. L'«essence» de la fonction est dans la forme commune à (6) et (7) (et à un
nombre infini d'autres expressions: 2 · 13 + 1, 2 · 33 + 3, etc.) que nous pourrions représenter
par

(8) 2 · ()3 + ()

Comme on le voit en (8), une fonction est essentiellement incomplète ; ce que l'on obtient en
complétant la fonction est sa valeur pour un argument déterminé. Nous appelons parcours de
valeurs d'une fonction l'ensemble de ses valeurs pour ses arguments. Dans le cas de (8), le
parcours des valeurs est {3, 18, 57, ...}. Deux fonctions distinctes comme x2 – 4x et x(x – 4)
peuvent avoir le même parcours de valeurs (1891: 90).
Les fonctions n'ont pas toutes pour valeur des nombres: il y a des fonctions dont la valeur est
une valeur de vérité (le Vrai ou le Faux). C'est le cas, par exemple pour la fonction x2 = 1: sa
valeur pour x = –1 est le Vrai, pour x = 0 est le Faux, etc. On peut exprimer cela en disant que
«– 1 a la propriété d'avoir 1 comme sa valeur au carré» ou encore que «– 1 relève du concept
racine carrée de 1». «Nous voyons ainsi – dit Frege – à quel point ce qu'en logique nous
nommons ‘concept' est intimement lié à ce que nous appelons ‘fonction'. Et on pourrait même
dire qu'un concept est une fonction dont la valeur est toujours une valeur de vérité» (1891: 99,
c'est Frege qui souligne).

Le concept – qui est une fonction, et donc quelque chose d'incomplet, ou comme dit Frege de
non saturé – ne doit pas être confondu avec son extension, qui est le parcours des valeurs de
la fonction, à savoir un objet du type {Vrai, Faux, Faux, Vrai,...}, et donc quelque chose de
complet.

Le langage naturel est capable lui aussi d'exprimer des fonctions. Par exemple, on peut
considérer que l'expression ‘la capitale de __' désigne une fonction, qui fait correspondre à
chaque pays sa capitale (son parcours de valeurs est l'ensemble des capitales). Et le langage
naturel est en particulier capable d'exprimer des concepts, c'est-à-dire des fonctions dont la
valeur est une valeur de vérité. Par exemple, l'expression ‘__ est la capitale de la France'
dénote une fonction qui assume la valeur Vrai pour l'argument Paris, et Faux pour tous les
autres arguments. De la même manière, ‘__ est un homme' dénote une fonction qui assume la
valeur Vrai si l'argument est un homme et Faux dans tous les autres cas (par exemple la valeur
Vrai, si elle est appliquée à Frege, et la valeur Faux si elle est appliquée à Paris).

Les expressions telles que ‘__ est un homme' sont appelées normalement des prédicats. Les
prédicats sont donc des expressions linguistiques qui dénotent un type particulier de
fonctions: des fonctions dont les valeurs sont des valeurs de vérité, c'est-à-dire des concepts.

Sur cette base, Frege analyse les énoncés simples, que Wittgenstein et Russell nommeront, par
la suite, ‘atomiques': des énoncés tels que ‘Socrate est un homme'. Pour Frege également,
comme pour l'analyse traditionnelle, cet énoncé est constitué de deux «segments»: ‘Socrate'
et ‘__ est un homme'. ‘Socrate' est un nom propre et a – comme nous le savons – un sens et
une dénotation. Le prédicat ‘__ est un homme' dénote le concept homme, c'est-à-dire une
fonction qui assigne à un argument le Vrai si l'argument est un homme, et le Faux dans tous les
autres cas. Il y a donc une certaine asymétrie entre le traitement du sujet et le traitement du
prédicat: ‘Socrate' dénote directement un objet (à savoir Socrate), tandis que ‘__ est un
homme' dénote un concept, qui, à son tour, a une certaine extension. Comme on le verra (§
14), dans les années quarante, cette analyse sera fortement simplifiée, et l'on dira que les
prédicats dénotent simplement des classes (‘__ est un homme' dénote la classe des hommes).
Mais pour Frege, il est crucial qu'il n'en soit pas ainsi: les prédicats doivent dénoter des
fonctions, c'est-à-dire des entités non saturées. Ce n'est que de cette manière que l'on peut
expliquer le «lien propositionnel», ce qui «maintient» une proposition: une proposition
s'obtient en «saturant» un concept avec un objet. Le concept a ce qu'on appellerait des
«valences libres»: ces valences sont saturées par les objets. Si nous disions que le prédicat ‘__
est un homme' ne dénote pas un concept, mais directement la classe des hommes, nous ne
serions plus en mesure, dit Frege, d'expliquer le lien propositionnel. Une classe est un objet
comme un autre, elle n'est nullement incomplète. C'est pourquoi l'analyse «asymétrique» est
la seule correcte: elle est la seule qui puisse rendre compte de l'unité de la proposition.

Le philosophe et mathématicien anglais Bertrand Russell (1872-1970), auteur


des Principes de la mathématique(1903), était un grand admirateur de l'œuvre de
Frege (il contribua à lui donner une audience internationale), et s'accordait avec lui
sur l'idée d'une réductibilité de la mathématique à la logique. Toutefois, dans
l'article Sur la dénotation (1905), Russell attaqua le cadre conceptuel frégéen
de Sens et dénotation, en lui opposant une analyse du langage qui se dispensait du
concept de sens: la seule propriété sémantique d'une expression linguistique qui
soit de quelque importance pour la valeur de vérité des énoncés dans lesquels elle
apparaît, c'est sa dénotation. Cette position est, à première vue, absolument
contraire à l'intuition: comment expliquer par exemple la différente valeur de vérité
de

(9) George IV voulait savoir si Scott était l'auteur de Waverley

(dont nous pouvons supposer qu'elle est vraie) et

(10) George IV voulait savoir si Scott était Scott

(probablement fausse), étant donné que Scott est l'auteur de Waverley, et que les
deux expressions ‘Scott' et ‘l'auteur de Waverley' ont pourtant la même dénotation?
Le fait est, d'après Russell, que (malgré les apparences) l'énoncé (9) ne contient
nullement comme constituant ‘l'auteur de Waverley'. En réfléchissant sur les
énoncés qui contiennent des descriptions, indéfinies (‘un homme') ou définies
(‘l'auteur de Waverley', ‘l'actuel roi de France'), Russell se convainc que la forme
grammaticale superficielle de ces énoncés masque leur véritable forme logique,
c'est-à-dire leur structure sémantique effective. La forme logique des énoncés
contenant des descriptions indéfinies est reconduite par Russell à la quantification
existentielle: par exemple, ‘J'ai rencontré un homme' peut être paraphrasé sous la
forme ‘Il existe (au moins) un x tel que x est un homme et j'ai rencontré x'. Dans la
paraphrase, qui exprime de manière transparente la forme logique de l'énoncé,
l'expression ‘un homme' n'apparaît plus comme constituant. De la même manière,
‘L'actuel roi de France est chauve' – qui semble contenir un constituant dépourvu
de dénotation, la description définie ‘l'actuel roi de France' – «dit» en réalité: il
existe un x qui est actuellement roi de France; il n'y a qu'un seul x qui soit tel; et x
est chauve (dans un langage de premier ordre avec identité , ($x) ((Rx & ("y)(Ry …
y = x)) & Cx)). Il s'agit donc d'un énoncé faux, et non d'un énoncé dépourvu de
valeur de vérité comme le pensait Frege (§ 5): des expressions telles que ‘l'actuel
roi de France' ou ‘la montagne d'or' ne nous obligent nullement à postuler des
entités inexistantes (comme Russell lui-même l'avait soutenu dans les Principes de
la mathématique) ni à violer le principe du tiers exclu (la position de Frege selon
Russell).
À travers la paraphrase proposée par Russell, l'énoncé ‘L'actuel roi de France est
chauve' est réduit à une formulation où apparaissent seulement des expressions
(prédicats) qui dénotent des propriétés des individus, outre l'apparat de la
quantification («il existe», «pour chaque...»). Pourraient y figurer également
des noms propres, c'est-à-dire des expressions qui ne dénotent pas des propriétés
mais des individus. Mais, dans ce cas également, il n'est pas sûr que les
expressions dont l'apparence grammaticale est celle des noms propres (‘Socrate',
‘Pégase') soient tels véritablement, à savoir des noms logiquement propres (comme
le dira Russell par la suite, 1918-1919: 359). «Un nom, au sens logiquement
restreint de “mot dont la signification est un individu”, ne peut être appliqué qu'à
un individu dont le locuteur a une connaissance directe (acquaintance)» (Ibidem).
Le concept de nom propre, pour Russell, est donc un concept sémantique (celui
d'une expression qui dénote un individu) qui est fondée épistémologiquement sur la
distinction entre connaissance directe et connaissance «par description». «Chaque
pensée – dit Russell – doit partir de la connaissance directe [par exemple celle que
j'ai de la surface de la mer que je vois de ma fenêtre], mais il est possible de
penser à de nombreuses choses dont on n'a pas de connaissance directe» (1905:
204). De nombreuses choses ne sont connues qu'à travers leurs propriétés, c'est-à-
dire à travers une description que l'on peut avoir d'elles: ainsi, nous ne connaissons
pas Socrate directement, mais comme tel philosophe athénien, maître de Platon,
etc. Plus tard, Russell dira que la plus grande partie des noms propres
grammaticaux sont en réalité des abréviations de descriptions; et de plus ce qui est
décrit n'est pas un individu (particular) véritable, mais un «système compliqué de
classes et de séries» (1918-1919: 359).

Comment décider si une expression est véritablement un nom propre ou au


contraire une description «déguisée»? Comment décider, en fait, quelle est la
véritable forme logique d'un énoncé du langage? Il est clair qu'en prenant une telle
décision, nous ne sommes pas guidés uniquement par des intuitions linguistiques,
mais aussi et surtout par notre jugement épistémologique et par nos opinions
ontologiques (cf. Di Francesco, 1990: 42-43). La distinction entre nom propre au
sens grammatical et au sens logique est un formidable principe de manipulation du
langage sur des présupposés ontologiques. Russell en était conscient à sa manière,
quand il soutenait qu'un «solide sens de la réalité» était indispensable pour une
analyse correcte du langage, parce que la «logique, pas plus que la zoologie, ne
peut admettre l'existence d'une licorne» (1919: 202). L'analyse des énoncés sur le
type de celui sur le roi de France est également guidée à la fois par des intuitions
sémantiques (sur ce que «l'on veut dire» avec de tels énoncés) et des présupposés
ontologiques (quels types d'entités peut-on admettre dans une ontologie «saine»).

La conception purement dénotative du langage de Russell (reprise plusieurs


dizaines d'années plus tard par les théoriciens de la référence directe, § 32)
contribuera à la longue éclipse de la notion frégéenne de sens. Elle eut une forte
influence sur la formation du Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein pour au
moins trois aspects: la distinction entre forme grammaticale et forme logique, l'idée
d'analyse – l'opération qui récupère la forme logique au-delà de l'apparence
grammaticale – et l'idée que la proposition «analysée» (c'est-à-dire considérée sous
sa forme logique) est essentiellement une connexion de noms qui dénotent
directement des individus ou des propriétés.

Les réflexions sur le langage du jeune philosophe autrichien Ludwig Wittgenstein


(1889-1951), élève de Russell à Cambridge, et bon connaisseur des œuvres de
Frege, sont synthétisées dans un petit livre de quelques quatre-vingt pages,
le Tractatus logico-philosophicus (1922). Le but principal du Tractatus est de
répondre à la question: en quoi les propositions de la logique se distinguent-elles
de toutes les autres propositions du langage? Pour répondre à cette question,
Wittgenstein formule une théorie générale du langage, dans laquelle il s'agit de
saisir «l'essence de la proposition» (1914-1916: 22.1.1915), c'est-à-dire des
énoncés déclaratifs. Il est d'accord avec Russell sur la conception d'une proposition
simple telle qu'une structure relationnelle (de type Rabc), qui asserte que certains
objets (a, b, c) ont entre eux une relation R: par exemple que a se trouve entre b
et c. Mais une proposition a aussi une forme(par exemple, la forme
de Rabc pourrait être indiquée par ‘Xxyz'); et Russell, à cette époque, avait
tendance à concevoir les formes propositionnelles comme des «objets logiques»
simples, dont la connaissance directe (acquaintance) est présupposée par la
compréhension du langage. Mais – objectait Wittgenstein – si les formes sont des
objets logiques, de quelle manière une proposition peut-elle nous communiquer sa
forme? Certainement pas en la désignant par un nom, parce que cela ne ferait
qu'ajouter un constituant à la proposition, en en modifiant la forme; mais pas
même en l'exprimant par une proposition, parce que cela impliquerait une
régression à l'infini (1914-1916: 20.11.14). La forme doit être exhibée par la
proposition: de même qu'une photographie exhibe la structure de la situation
qu'elle représente (elle fait voir, à travers la disposition de ses éléments, que les
choses se présentent de telle ou telle manière dans la réalité), une
proposition montre la structure de ce qu'elle asserte. Comme dans le cas de la
photographie, la structure qu'elle exhibe est la structure de ce dont on asserte la
subsistance (c'est-à-dire de l'état des choses dont on asserte qu'il est un fait: la
proposition «le chat est sur la table» asserte que c'est un fait que le chat est sur la
table).

Wittgenstein en arrive donc à penser une proposition comme une image (Bild). Ce
n'est qu'en concevant la proposition comme une image que nous parvenons à
rendre compte du fait qu'elle peut nous communiquer une information nouvelle.
Elle nous dit quelque chose de la réalité, que nous ne savions pas auparavant; et
elle nous le dit en utilisant uniquement ses parties constituantes – les mots – et
leur disposition. «Une proposition doit communiquer avec des expressions
anciennes un sens nouveau. La proposition nous communique une situation; elle
doit donc avoir une interindépendance essentielle avec cette situation. Et cette
interdépendance consiste justement en ce qu'elle est l'image logique de la
situation» (1922: 4.03). Wittgenstein nous invite à accomplir un processus
d'abstraction, à partir des images au sens ordinaire du terme jusqu'à la proposition
comme image logique; et il essaie de nous faire voir que, dans ce processus,
«l'essentiel de la représentation par l'image» (4.016) n'est pas perdu. Une
photographie en noir et blanc, par exemple, «ressemble» intuitivement à la
situation qu'elle représente; mais, à y regarder de plus près, dans la photo il n'y a
pas de tridimensionnalité, les relations chromatiques entre les objets réels sont
représentées par des relations du type «plus clair» ou «plus foncé» et les
dimensions des objets représentés sont différentes de celles des parties
correspondantes de la photo (même si les proportions sont conservées). La
photographie représente la réalité avec ses moyens, sur la base de certains
conventions, du point de vue d'une certaine forme de la représentation. Dans un
dessin stylisé,
la «ressemblance» (l'iconicité) est confiée uniquement au maintien de certaines
relations géométriques et métriques: l'image de l'album est sur l'image de la table
et en contact avec l'image du plan de table, l'image des pieds forme un angle droit
avec l'image du plan (comme dans la réalité), etc. La forme de la représentation est
changée: le dessin n'est plus en mesure de représenter des relations chromatiques
(comme c'était le cas de la photographie), mais peut encore représenter des
relations géométriques. Le plus haut niveau d'abstraction est atteint par une forme
de représentation qui rend compte des relations en général(non pas des relations
spatiales avec des relations spatiales, etc.): c'est la forme logique, et une image qui
aurait comme forme de représentation la forme logique est dite image
logique (1922: 2.181). Chaque image est aussi logique (2.182), parce que chaque
image résulte d'éléments qui ont telle ou telle relation; la forme logique – le fait de
pouvoir être représenté à travers des relations entre éléments, et donc d'avoir une
structure – c'est «la forme de la réalité» (2.18), mais l'image seulement logique
des faits, c'est la pensée (3.). La pensée est le système de représentation dans
lequel les images n'ont en commun avec les faits représentés que la structure au
sens le plus abstrait du terme (et non la structure spatiale ou chromatique, etc.).

Le langage est l'expression sensible de la pensée (3.1); dire «pensée» (dans le


sens d'«une pensée») revient à dire «proposition dotée de sens» (4.). Mais la
proposition coïncide avec la pensée – et est donc une image logique – à deux
conditions: (a) si elle est entendue non pas comme simple signe, configuration
d'encre sur du papier (ou de phonèmes, etc.), mais comme signe pensé (3.5),
c'est-à-dire mis en relation avec la réalité; (b) si elle est considérée
comme complètement analysée (3.2-3.201), c'est-à-dire une fois qu'ont été
«démontées» les conventions linguistiques spécifiques à travers lesquelles «le
langage travestit les pensées» (4.002). Mais de quelle manière une proposition, qui
se présente comme une liste de mots, peut-elle être une image, c'est-à-dire
un fait structuré (comme une photographie ou un dessin) qui représente un autre
fait? qu'est-ce qui «maintient» une proposition, en en faisant un tout articulé?
Comme on l'a vu, Frege avait reconduit la connexion de la proposition à la
combinaison d'entités saturées (objets) et non saturées (concepts). Wittgenstein au
contraire, conçoit la proposition comme un enchaînement de noms ou de signes
simples (4.22) qui signifient (tiennent lieu) des objets du monde. Les objets,
comme les noms, sont tous non saturés: ils sont essentiellement des entités
combinables, non pas sans discrimination mais à certaines conditions. La nature
non saturée des noms est le fondement de l'adhésion du Tractatus au principe de la
contextualité de Frege: «Ce n'est que dans le contexte de la proposition qu'un nom
a une signification» (3.3), parce que la signification d'un nom – l'objet qu'il dénote
– se donne seulement en configurations, en combinaisons avec d'autres objets
(Wittgenstein nomme ces configurations états de choses), représentées par des
propositions. On voit ainsi que la philosophie du langage du Tractatus ne peut être
caractérisée comme atomisme logique que dans une certaine mesure seulement. Il
est certain que Wittgenstein admet des «atomes», termes ultimes de l'analyse: ce
sont justement les objets. Afin que le sens d'une proposition soit déterminé, il faut
que son analyse prenne fin, et de fait, il doit y avoir des objets simples qui en
constituent le point d'arrivée. Sans quoi, «il en résulterait que pour une proposition,
avoir un sens dépendrait de la vérité d'une autre proposition» (2.0211): pour être
sûrs qu'une proposition parle de quelque chose (et non de rien) et donc ait un sens,
nous devrions être garantis (par une autre proposition) que les objets dont la
première parle subsistent effectivement. Mais les objets du Tractatus ne sont pas
comme les particulars de l'atomisme logique de Russell (1918-1919: 360),
complètement indépendants logiquement les uns des autres: chaque objet est
logiquement lié – par sa forme – aux objets avec lesquels il peut se combiner, et
négativement, à ceux avec lesquels il ne peut pas se combiner. Pour Wittgenstein
(1922: 1.21, 2.061, etc.), ce sont les états de choses, et non les objets, qui
jouissent de l'indépendance absolue réciproque dont parle Russell; et cette
indépendance s'étend aux propositions qui les représentent (5.134, 6.3751).

Pour Wittgenstein, comme pour Frege, les propositions ont un sens (les noms, au
contraire, n'ont pas de sens: leur valeur sémantique est simplement leur
dénotation). Le sens d'une proposition est ce que l'on connaît quand on comprend
la proposition, donc (la proposition étant une image) l'état de choses figuré, à
savoir la manière dont les choses sont si la proposition est vraie. La
proposition montre comment sont les choses (montre son sens) et dit que les
choses sont ainsi (4.022). Elle peut être vraie (si les choses sont effectivement
ainsi) ou fausse (si les choses ne sont pas ainsi); pour savoir si la proposition est
vraie, il faut la confronter à la réalité. Mais pour la comprendre il n'est pas
nécessaire de savoir qu'elle est vraie ou qu'elle est fausse; la comprendre, c'est
«savoir ce qu'il advient si elle est vraie» (4.024). De cette manière Wittgenstein
institue le rapport entre signification énonciative et vérité, qui sera centrale dans le
paradigme dominant.

Que seuls les énoncés factuels sont sensés est un corollaire de cette définition du
sens; restent en dehors du langage les énoncés évaluatifs (comme par exemple
ceux de l'éthique et de l'esthétique), et ceux qui, au lieu de représenter des faits,
tentent de représenter les traits généraux du langage et du monde: et donc les
propositions de la métaphysique, et même celles dont se compose le Tractatus.
Elles sont des «tentatives de dire ce qui peut seulement se montrer» (Kenny, 1973:
124). On peut soutenir, toujours avec Kenny (Ibidem), et finalement avec
Wittgenstein lui-même (1922: 6.54) qu'«elles ne sont pas pour autant inutiles:
précisément leur faillite et les modalités de leur insuccès sont instructives».

Les propositions les plus simples, que Wittgenstein appelle propositions élémentaires, ont les
caractéristiques décrites jusqu'à présent: ce sont des connexions de noms, qui constituent des
images des états de choses. «Un nom est pour une chose, un autre pour une autre chose et ils
sont liés entre eux: ainsi le tout représente – comme un cadre plastique – l'état des choses»
(4.0311). Mais dans le langage, il y a aussi des propositions complexes: par exemple les
négations, les conjonctions, les disjonctions, etc. Ces propositions contiennent des expressions
– les «constantes logiques» comme ‘ne pas' ‘et', ‘ou', etc. – qui, selon Russell, signifiaient des
«objets logiques». Pour Wittgenstein, au contraire, les constantes logiques n'ont pas de valeur
désignative: il n'y a rien, au monde, qui corresponde au signe de négation ou de conjonction
(4.0312). Les constantes logiques ont pour seule fonction de déterminer de quelle manière le
sens d'une proposition complexe où elles apparaissent, dépend du sens des propositions plus
simples dont elle est constituée. Le sens de chaque proposition complexe, en effet, dépend
(pour Wittgenstein comme pour Frege) du sens des propositions élémentaires dont elle est
constituée (cf. 5.2341). Dans le Tractatus, le principe de compositionnalité s'avère être une
conséquence de la définition du sens de la proposition. Une proposition est sensée si et
seulement si elle montre de quels états de choses elle affirme la subsistance ou la non-
subsistance. Donc, pour qu'une proposition soit sensée, il faut que l'on voit, à partir de la
proposition elle-même, quels états de choses subsistent (ou ne subsistent pas) si la proposition
est vraie; c'est-à-dire quelles propositions élémentaires sont vraies (ou fausses) si la
proposition est vraie. Par exemple, la proposition «A est rouge et B est jaune» montre qu'elle
affirme la subsistance de deux états de choses, que A est rouge et que B est jaune; ou, en
d'autres termes, elle montre qu'elle est vraie si (et seulement si) les deux propositions «A est
rouge» et «B est jaune» sont également vraies. Le sens de la proposition tout entière (sa
possibilité de vérité) dépend des sens des propositions constituantes (de leur possibilité de
vérité). Si nous avons affaire à une proposition sensée, nous devons être en mesure de calculer
pour quelles valeurs de vérité des constituants élémentaires la proposition est vraie et pour
lesquelles elle est fausse. «La proposition est une fonction de vérité des propositions
élémentaires» (1922: 5.). En principe, toute proposition sensée doit présenter (a) les
propositions élémentaires dont dépend sa valeur de vérité, et (b) comment elle en dépend. De
fait, les deux aspects peuvent être plus ou moins «masqués» par la forme grammaticale
superficielle de la proposition; c'est alors à l'analyse logique de reconstruire la proposition de
manière à ce que l'on voit que sa valeur de vérité dépend des valeurs de vérité des
propositions élémentaires dont elle est constituée. Wittgenstein accepte donc l'idée
russellienne d'analyse, et la distinction entre forme grammaticale et forme logique sur laquelle
elle est fondée.

Le Tractatus nomme les possibilités de vérité des constituants élémentaires: «conditions de


vérité» de la proposition (4.41, 4.431); et soutient que la proposition «est l'expression de ses
conditions de vérité» (4.431). Cette affirmation a un sens précis: Wittgenstein pense que, au
lieu de ‘p et q', nous pourrions écrire:

«p q

VVV

VFF

FVF

F F F»
(cf. 4.442). Cette table pourrait être lue: «La proposition qui est vraie si p et q sont toutes deux
vraies, fausse si p est vraie et q est fausse, fausse si p est fausse et q est vraie, fausse si p et q
sont toutes deux fausses», ou tout simplement «la proposition qui est vraie si et seulement si
p et q sont vraies». De cette manière, il deviendrait évident que ce que la proposition exprime
est une dépendance déterminée des valeurs de vérité possibles de ses constituants
élémentaires. Et puisque ce qu'une proposition exprime, c'est son sens, il est correct de dire
que le sens d'une proposition ce sont ses conditions de vérité.

«Parmi les groupes possibles de conditions de vérité, il y a deux cas extrêmes» (4.46): celui
d'une proposition vraie pour n'importe quelle combinaison de valeurs de vérité de ses
constituants élémentaires et celui d'une proposition fausse pour n'importe quelle
combinaison. Le premier cas c'est la tautologie. Le second, la contradiction. Sont
tautologiques, par exemple, des énoncés tels que ‘Si Bachibouzouque est une expression du
Capitaine Haddock, alors Bachibouzouque est une expression du Capitaine Haddock', ou ‘Soit il
neige, soit il ne neige pas'; ‘Il pleut et il ne pleut pas', par contre, est une contradiction. Les
propositions de la logique (au sens de Wittgenstein) s'avèrent être des tautologies. Il faut ici se
souvenir qu'à l'époque de la composition du Tractatus, les relations entre la partie
propositionnelle et la partie prédicative de la logique élémentaire étaient encore peu connues.
En particulier, l'inexistence d'un processus mécanique de décision pour la logique des
prédicats de premier ordre ne sera démontrée (par Church) qu'en 1936; c'est pourquoi
Wittgenstein pouvait écrire – par exemple – que «la démonstration dans la logique n'est qu'un
moyen mécanique pour reconnaître plus facilement la tautologie lorsque celle-ci est
compliquée» (1922: 6.1262). Il ne voyait pas de grandes différences entre logique
propositionnelle (théorie des fonctions de vérité) et logique prédicative (théorie de la
quantification), et considérait la tautologie comme l'essence de la vérité logique en général;
alors qu'en réalité, seul un sous-ensemble des théorèmes de la logique prédicative peut être
considéré comme des tautologies au sens de Wittgenstein.

Les propositions de la logique, donc, se distinguent de toutes les autres parce qu'elles sont
vraies quel que soit l'état des choses: leur vérité est indépendante des faits du monde, et donc
elle peut être déterminée sans que celles-ci soient confrontées au monde (6.113),
contrairement à ce qui se passe avec les autres propositions. Elles n'ont aucun contenu
représentationnel: «Ce ne sont pas des images de la réalité» (4.462), elles ne «traitent» de rien
(6.124), ne disent rien (6.11). Une tautologie ne fait pas autre chose qu'exhiber les propriétés
du langage: «Que ses parties constitutives, reliées de la sorte, produisent une tautologie,
caractérise la logique de ses parties constitutives» (6.12). Qu'une proposition soit une
tautologie, selon Wittgenstein, cela se voit (6.127): tenter de le dire – tenter de représenter le
fait qu'une certaine proposition est une tautologie – nécessiterait que soit représentée la
forme d'une proposition (qui est en effet une tautologie en vertu de sa forme). Mais c'est
impossible, d'après Wittgenstein, parce que nous ne pouvons pas «sortir» de notre système de
représentation (c'est-à-dire de notre langage) pour en représenter les propriétés. Figurer les
conditions de la représentation reviendrait à les traiter comme des situations, dont on affirme
la subsistance. Mais si l'on peut affirmer qu'une situation subsiste, il doit être possible
également d'affirmer qu'elle ne subsiste pas: il doit être possible, donc, de dire comment
seraient les choses si les conditions de la représentation n'étaient pas données, ce qui est
absurde.

En général, les propriétés d'un symbolisme se voient à partir du symbolisme lui-même. Des
formulations «métalinguistiques» comme «‘P' est un prédicat», «‘x' est une variable
individuelle», etc., sont dénuées de sens pour Wittgenstein. Mais plus encore: m&Mac253;me
dme des formulations à première vue non métalinguistiques, comme les énoncés d'identité (‘a
= b', ‘a = a'), sont, sinon dénuées de sens, en tout cas hors de propos: dans un symbolisme
adéquat, que deux objets soient distincts devrait être exprimé par le fait qu'ils ont deux noms
différents (et réciproquement, à des noms différents devraient correspondre des objets
différents), tandis qu'avoir affaire à un seul objet devrait être exprimé par le fait que l'on
dispose d'un seul nom (5.53). Les expressions de forme ‘a = b' sont tout au plus «des auxiliaires
de la figuration» (4.242): ils expriment qu'un certain objet a deux noms (le symbolisme est
donc imparfait). Cette position drastique de Wittgenstein sur le symbolisme doit être
rapprochée du fait que pour le Tractatus, il n'y a qu'un seul langage (le langage), et il n'existe
donc pas un autre langage qui en décrirait les propriétés.

Les philosophes néo-positivistes du «Cercle de Vienne» (parmi lesquels M.


Schlick, R. Carnap, O. Neurath) lurent avec attention le Tractatus logico-
philosophicus. Certains n'en apprécièrent pas la dernière partie (sur l'éthique et le
mystique), mais tous s'accordèrent, en substance, sur la philosophie du langage et
la logique. Toutefois, les néo-positivistes ne purent souscrire aux thèses
du Tractatus que «dans la mesure où il[s] pouvai[en]t les assimiler à [leur]
conception de fond» (Carnap, 1963: 24); c'est-à-dire au prix d'un certain
malentendu, qui devint évident quand Wittgenstein rencontra personnellement
Schlick, Carnap et d'autres membres du Cercle de Vienne dans les années 1929-
1932. Les néo-positivistes pensaient, tout d'abord, que le langage qu'évoquait
le Tractatus était un langage idéal:convaincus qu'ils étaient de la supériorité
absolue des langages artificiels symboliques sur les langues naturelles, ils
donnaient pour acquis que les propriétés que Wittgenstein attribuait au langage,
avec sa théorie de l'image et de la véri-fonctionnalité, ne pouvaient concerner le
langage naturel. En outre, les néo-positivistes tendaient à faire une lecture
empiriste du Tractatus, en interprétant la réduction de toutes les propositions à des
fonctions de vérité de propositions élémentaires comme une fondation de l'édifice
de la science sur la base d'énoncés d'expérience. Carnap ne pensait pas être en
désaccord avec Wittgenstein quand il écrivait que «chaque énoncé de la science
est, en dernière analyse, un énoncé sur les relations qui subsistent entre les
expériences élémentaires [Elementarerlebnisse], de sorte que toute connaissance
qui a un contenu (qui ne soit pas purement formel) se reconduit à l'expérience»
(Carnap, 1928: § 183). Par conséquent, la proposition 4.024
du Tractatus («Comprendre une proposition, c'est savoir ce qu'il advient si elle est
vraie» cf. § 10) est interprétée comme si l'on affirmait qu'un énoncé est compris si
l'on est en mesure d'en déterminer la vérité ou la fausseté par rapport à
l'expérience, c'est-à-dire de le vérifier empiriquement: «‘vérification' signifie:
contrôle par rapport aux expériences» (Carnap, 1928: § 179). La vérifiabilité
empirique est donc, pour les néo-positivistes, un critère de signification: «Établir la
signification d'un énoncé équivaut à établir les règles selon lesquelles l'énoncé est
utilisé, ce qui, à son tour, revient à établir la manière dont il peut être vérifié (ou
falsifié). La signification d'un énoncé est la méthode de sa vérification» – comme
l'écrit Schlick, en se référant explicitement à Wittgenstein (Schlick, 1936: 458) – et
si un énoncé n'est pas empiriquement vérifiable (et n'est pas même une vérité
logique ou mathématique) il est dénué de sens. En réalité, la formulation
du Tractatus était épistémologiquement neutre: elle établissait une identité entre
compréhension de l'énoncé et connaissance de ses conditions de vérité, sans
s'engager quant au lieu et au mode de l'établissement de sa vérité ou fausseté.

Les néo-positivistes utilisèrent le critère de la vérifiabilité empirique comme


instrument de leur combat antimétaphysique. Pour eux, les énoncés de la
métaphysique ne sont pas faux, mais bien au contraire dépourvus de sens (comme
l'avait déjà dit Wittgenstein, 1922: 4.003), soit parce qu'ils sont mal formés
syntaxiquement, soit parce qu'ils utilisent des signes dépourvus de signification; et
un signe est dépourvu de signification si son critère d'application n'est pas spécifié,
c'est-à-dire si ne sont pas spécifiées les conditions de vérité des propositions les
plus simples dans lesquelles le signe apparaît, à savoir (en dernière analyse) si les
propositions simples susdites ne sont pas logiquement équivalentes à des énoncés
d'expérience immédiate (propositions protocolaires), lesquels à leur tour, sont
intrinsèquement sensés. Carnap (1932) donne l'exemple d'un prédicat – ‘babique' –
que quelqu'un proposerait d'introduire dans le langage, en soutenant que certaines
choses sont babiques et d'autres pas, mais «qu'il n'existe pas de qualités
empiriques caractéristiques de la babicité». Un tel pseudo-mot, n'ayant pas de
critère d'application, serait dépourvu de signification, et l'emploi n'en serait pas
licite, même si on nous assurait qu'en l'employant on voulut signifier quelque
chose. Si une proposition simple, de forme ‘a est babique', n'implique pas de
propositions protocolaires et n'est pas impliquée par elles, ‘babique' n'a pas de
signification. La signification d'un mot est donc, pour Carnap, sa contribution aux
conditions de vérification des énoncés dans lesquels il apparaît.

On voit ainsi comment le néo-positivisme, et en particulier la pensée du premier


Carnap, représente, en philosophie du langage, le développement d'une
interprétation empiriste de la Première thèse du paradigme dominant (§ 4), selon
lequel le concept de conditions de vérité est remplacé par celui de conditions de
vérification empirique. Cette doctrine sémantique, que l'on appelle
habituellement vérificationnisme, trouve toujours moins d'adeptes à partir de la
moitié des années cinquante (sous sa forme extrême, Carnap l'avait d'ailleurs
abandonnée dès les années trente). Quine (§ 27) a souligné la faillite des tentatives
de réduire toutes les assertions scientifiques à des combinaisons d'énoncés
d'expérience; plus généralement, on eut de plus en plus la conviction que les
énoncés parfaitement sensés, pour lesquels il est difficile de penser sérieusement
que l'on puisse disposer d'une «méthode de vérification», sont innombrables,
depuis ‘Les positrons sont faits de quarks' à ‘Aristote aimait les oignons' (les
exemples sont de Fodor, 1981: 216). On peut toutefois trouver quelque affinité
avec le vérificationnisme dans la philosophie du langage de Dummett (§ 23), et
plus encore dans certaines tendances actuelles de la sémantique cognitive (§ 33).

Tarski: une méthode pour l'explicitation

des conditions de vérité.

Dans le Tractatus de Wittgenstein, l'analyse des conditions de vérité des énoncés


simples (les propositions élémentaires) ne s'articule pas en une véritable théorie,
également parce que la proposition «complètement analysée», celle dont il serait
évident qu'elle est «l'image d'un état de choses», est loin de la surface du langage.
Les énoncés simples du langage naturel – ‘Socrate court', ‘J'ai vu une magnifique
rose rouge', ‘Alfred pense souvent à sa promotion', – ne se présentent pas comme
des enchaînements de noms propres. A l'intérieur du cadre théorique du Tractatus,
il est difficile d'imaginer une méthode générale de détermination des conditions de
vérité des énoncés simples tels qu'ils se présentent. Quant aux énoncés complexes,
ils sont analysés comme s'ils étaient tous réductibles à des combinaisons de
fonctions de vérité énonciatives (négations, conjonctions, disjonctions, etc.)
perturbant également, en ce cas, la «surface» du langage, tel qu'il se présente.
C'est à Alfred Tarski (1902-1985) que revient le mérite historique d'avoir rendu
possible l'extension de l'analyse aux énoncés quantifiés (‘Tous les hommes sont
mortels', ‘Il n'existe pas de nombre plus grand que tout nombre pair') quelle qu'en
soit la complexité, et à avoir fourni une méthode de détermination des conditions
de vérité des énoncés simples plus facilement applicable au langage naturel. Ces
deux résultats sont, dans une certaine mesure, un corollaire de la théorie de la
vérité de Tarski (Tarski, 1933).

La vérité, pour Tarski comme déjà pour Aristote, est une propriété des énoncés
d'un langage. Mais en quoi cela consiste? Plus précisément: quelles conditions
devons-nous satisfaire, en définissant une propriété d'énoncés, pour pouvoir dire
que ce que nous avons défini est la vérité (et non une autre propriété)? Outre une
condition d'adéquation formelle, selon laquelle la définition ne doit pas engendrer
de contradictions, voici ce que Tarski propose comme condition d'adéquation
matérielle d'une définition de vérité (c'est-à-dire comme condition dont nous
pouvons dire, l'ayant satisfaite, que nous avons défini la vérité): une définition de
‘vrai (pour le langage L)' est matériellement adéquate si et seulement si on peut en
déduire tous les énoncés de forme

(T) N est vrai (en L) si et seulement si p,

où ‘N' est le nom d'un énoncé donné de L, et p sa traduction – que l'on suppose
préétablie – dans le métalangage dans lequel la définition est formulée (et par
rapport auquel L est le langage-objet). «Tous» les énoncés cela veut dire: un pour
chaque énoncé du langage-objet L. Le schéma (T) saisit, selon Tarski, le noyau
minimum de nos intuitions sur la vérité: quelles que soient nos idées
philosophiques à ce propos, nous sommes tous d'accord sur le fait que, si (par
exemple) l'énoncé ‘Platon était un élève de Socrate' est vrai, alors Platon était un
élève de Socrate, et réciproquement si Platon était un élève de Socrate, alors
l'énoncé ‘Platon était un élève de Socrate' est vrai. Tarski pensait que le schéma (T)
expliquait la «conception classique» de la vérité (selon laquelle ‘vrai' est synonyme
de ‘correspondant à la réalité') (Tarski, 1956: 160 sq.); mais il est fort douteux que
(T) soit lié à cette conception plus qu'à d'autres (cf. Marconi, 1984).

En général, il n'est pas banal de satisfaire la condition d'adéquation matérielle,


c'est-à-dire de donner une définition du prédicat ‘vrai', dont on puisse démontrer
qu'il rende déductibles tous les biconditionnels de la forme (T). Tarski donna un
exemple, en formulant une définition de la vérité pour un langage formel et en
montrant qu'une telle définition était conforme à ses critères. Le langage en
question est du type dit «de premier ordre» (pour des raisons sur lesquelles il n'est
pas question de s'attarder ici). Nous décrirons en détail un langage de ce type (que
nous appellerons ‘L1') parce qu'il nous arrivera souvent par la suite de faire
référence à des langages de premier ordre. Le langage dont s'occupe Tarski est
différent de celui que nous allons décrire, mais nous l'appelerons également ‘L1'
parce que la différence, pour les aspects qui nous intéressent ici, est inessentielle.

Le vocabulaire de L1 inclut: (a) des constantes individuelles (c'est-à-dire des


noms propres d'individus): a, b, c, ...; (b) des variables individuelles x, y, z,... (que
l'on suppose ordonnées); (c) des constantes prédicatives, à 1 place, 2 places, ... n
places d'argument: P1, Q1, ... P2, Q2, ..., etc.; (d) des symboles de fonctions ou
foncteurs, à 1, 2, ..., n places d'argument: f1, g1, ... f2, g2, ..., etc.; (e) les cinq
connecteurs énonciatifs: ~ (négation), & (conjonction), & (d (disjonction), …
(conditionnel), (biconditionnel); (f) les deux quantificateurs: universel («pour
tout»), ", et existentiel («pour quelque»), $; (g) les deux parenthèses. La
grammaire de L1 détermine les notions de terme et de formule (bien formée)
comme suit:

(1) les constantes individuelles et les variables individuelles sont des termes;

(2) si t1, t2, ..., tn sont des termes et fn est un foncteur à n places, alors fn (t1 t2
... tn) est un terme;

(3) rien d'autre n'est un terme;

(4) si t1, t2, ..., tn sont des termes et Pn est une constante prédicative à n
places, alors Pn t1 t2 ... tn est une formule (atomique);

(5) si A et B sont des formules, alors ~ A, ( A & B), (A & B) B),


A …A … B), (A B) sont des formules;

(6) si A est une formule et xi est l'i-ème variable individuelle (pour n'importe quel
i) (" xi)A et ($xi)A sont des formules;

(7) rien d'autre n'est une formule.

Sont des formules de L1, par exemple, ‘P2ab', ‘P3af2(bd)c', ‘("x2)P1x2',


‘("x3)(P1x3 … ($x1)Q2x1x3)', etc. Un tel langage a un fort pouvoir expressif (même
si, selon certains, il ne nous permet pas de dire des choses du type: «Toutes les
qualités de Socrate sont de bonnes qualités»), et il est structurellement assez
proche du langage naturel au point de conférer aux résultats de Tarski une certaine
utilité pour l'analyse de ce dernier (comme le précise Tarski lui-même, 1956: 165,
n. 2). Les formules que nous venons de citer, par exemple, pourraient être mises
en correspondance (dans un sens qu'il serait trop long à expliciter ici, cf. § 29) avec
des énoncés français tels que (dans l'ordre): ‘Georges aime Marie', ‘Georges préfère
la fille de Marie et Jacques à Charlotte', ‘Toutes les choses passent', ‘Tous les
hommes ont au moins un ami'.

La démarche de Tarski pour définir le prédicat de vérité pour ce langage, est


plutôt complexe (pour une exposition détaillée mais élémentaire voir Casalegno et
Marconi, 1992: 55-63). Il suffira de dire que Tarski (1) définit la notion auxiliaire de
satisfaction ; (2) qu'il définit le prédicat de vérité pour L1 sur la base de la
satisfaction ; et (3) qu'il montre que cette définition implique tous les
biconditionnels de la forme (T). La notion de satisfaction (et indirectement celle de
vérité) est définie par Tarski comme relation entre formules et objets ou séquence
d'objets. Intuitivement, par exemple, un couple d'objets (a, b) satisfait la formule
‘Pxy' si (et seulement si) a et b sont dans la relation dénotée par ‘P'. Le passage par
la notion de satisfaction est imposé par la structure du langage. Considérons en
effet une formule L1 de la forme Pnt1t2... tn, dans laquelle n'apparaissent que des
termes fermés, c'est-à-dire sans variables. Si toutes les formules de L1 étaient soit
de cette forme, soit des combinaisons véri-fonctionnelles de formules de cette
forme (comme par exemple ‘(Pa & Qb)', ‘(Pa … (Raf1c & Qb))', etc.), on pourrait
penser définir ‘vrai (en L1)' de cette manière. Soit I une fonction qui assigne à
chaque constante individuelle un individu dans le domaine de l'interprétation (c'est-
à-dire dans l'ensemble des objets dont le langage parle), à chaque constante
prédicative à n places un ensemble de n-ples d'éléments du domaine, et à chaque
foncteur une fonction définie sur le domaine. Une formule atomique Pnt1t2... tn est
vraie si et seulement si <I(t1), I(t2), ... I(tn)> appartient à I(Pn); une négation, ~
A est vraie si et seulement si A n'est pas vraie; une conjonction (A & B) est vraie si
et seulement si A et B sont vraies toutes les deux, et ainsi de suite pour tous les
autres connectifs (reproduisant substantiellement les tables de vérité du Tractatus).
Mais les formules de L1 ne sont pas toutes des combinaisons véri-fonctionnelles de
formules fermées (c'est-à-dire dépourvues de variables non quantifiées): L1
comprend également des formules ouvertes, comme ‘P1x1', et des formules
fermées comme ‘("x2)P1x2', qui ne sont pas pour autant des combinaisons de
formules fermées (mais d'une formule ouverte – ‘P1x2' – et d'un quantificateur). Et
nous voulons dire ce qu'est être vrai pour n'importe quelle formule de L1; et nous
voulons le dire de manière finie, c'est-à-dire en spécifiant, en un nombre fini de
clauses de longueur finie, les conditions de vérité de tous les énoncés infinis du
langage. Ce qui implique que les conditions de vérité des énoncés complexes sont
déterminées de manière récursive, sur la base de la structure de l'énoncé et des
conditions de vérité de leurs constituants qui, comme nous l'avons vu, sont dans
certains cas des formules ouvertes.

La définition de vérité pour L1 peut être pensée comme une méthode pour
expliciter les conditions de vérité de tous les énoncés de L1, y compris les énoncés
atomiques et ceux quantifiés. L'explicitation est pleinement compositionnelle, parce
que la valeur de vérité d'un énoncé complexe dépend de celles de ses constituants
simples, et la valeur de vérité d'un énoncé simple dépendra des dénotations de ses
constituants (non énonciatifs). Par exemple dans le cas d'un énoncé atomique
comme ‘P2ab', il découle de la définition de Tarski que
(11) l'énoncé ‘P2ab' est vrai (en L1) si et seulement si <I(a), I(b)> Œ I(Pn),

ou I(a), I(b), I(Pn) sont les dénotations des expressions ‘a', ‘b', ‘Pn'. L'analyse des
conditions de vérité – et donc du point de vue du paradigme dominant, l'analyse de
la signification – est donc étendue bien au-delà de ce qui avait été fait dans le
Tractatus.

Il faut éviter de confondre la conception tarskienne de la vérité –


substantiellement, l'idée que chaque définition de vérité pour un langage doit
impliquer les biconditionnels de la forme (T) – et la définition particulière de ‘vrai
(en L1)' que Tarski propose pour exemplifier sa conception. L'expression ‘théorie de
la vérité de Tarski' est employée de manière ambiguë, pour désigner tantôt l'une
tantôt l'autre chose. Les rapports entre les deux sont complexes: la définition
proposée par Tarski n'est certainement pas la seule qui soit conforme à sa
conception de la vérité, et d'autre part – cela paraît évident, mais il est bon de le
répéter – le critère d'adéquation matérielle n'est pas une définition de la vérité,
mais précisément, un critère pour des définitions de la vérité. Il faut noter,
incidemment, qu'un biconditionnel tel que (11) n'est pas de la forme (T): il s'agira
de faire voir que l'on peut en déduire le biconditionnel approprié, mais (11) en soi
ne l'est pas, parce que son côté droit n'est pas la traduction métalinguistique de
‘P2ab'.

En tous cas, c'est la définition de ‘vrai (en L1)' qui s'est imposée comme modèle
d'analyse sémantique. Non pas pourtant dans le sens, que nous avons tenté de
préciser, selon lequel elle constitue une méthode pour expliciter systématiquement
les conditions de vérité des énoncés d'un langage; mais plutôt en vertu de l'appareil
référentialiste qu'elle met en évidence. Pendant un certain temps, l'analyse
sémantique d'un langage fut plus ou moins identifiée avec son interprétation
sémantique, dans le sens de la connexion des expressions simples du langage avec
leurs dénotations dans un domaine; et la théorie sémantique fut identifiée avec la
théorie de la dénotation, dite plus généralement théorie de la référence. C'est la
conception qui fut acceptée par la définition de Morris (1938: 57), selon laquelle la
sémantique «traite du rapport des signes avec leurs designata et ainsi avec les
objets qu'ils dénotent éventuellement». Tarski lui-même contribua à l'identification
de la sémantique avec la théorie de la référence, en écrivant par exemple que «la
sémantique [...] s'occupe de certaines relations entre les expressions d'un langage
et les objets (ou “états de choses”) “indiqués” par de telles expressions» (Tarski,
1944: 345). Non seulement Frege, mais également le Tractatus, avec sa notion de
sens de la proposition, sont ici oubliés, et prévaut au contraire l'idée selon laquelle
fait de spécifier la signification c'est spécifier la dénotation.

En 1943, W. V. O. Quine (§§ 27-29) tira la communauté philosophique du sommeil


référentialiste dans lequel elle était tombée, en soulignant l'écart radical entre la notion de
référence qui était à la base de la sémantique tarskienne et la notion intuitive de signification.
Si la signification était la référence, fit remarquer Quine, en reprenant une argumentation de
Frege (1892b), tous les énoncés vrais de la forme a = b – y compris ceux simplement factuels,
tels que ‘l'Étoile du Matin = l'Étoile du Soir' – affirmeraient une relation de synonymie entre ‘a'
et ‘b', qui, en tant que telle, devrait être connue de toute personne parlant avec compétence
la langue; alors qu'il est évident que de telles vérités ne peuvent être établies que grâce à une
recherche empirique. D'autre part, les noms dépourvus de référence (comme ‘Pégase') ne sont
pas pour autant dépourvus de signification: au contraire, c'est précisément grâce à leur
signification que nous pouvons être sûrs qu'ils n'ont pas de référence. Dans une série de
recensions qui datent approximativement de ces mêmes années, et dans deux importants
articles ultérieurs (1951a, 1951b), le logicien Alonzo Church reproposa les idées de Frege sur
sens et dénotation, avec une importante simplification (que Frege n'aurait sans doute pas
acceptée): les prédicats ne dénotent pas des concepts, mais directement des classes (par
exemple ‘rond' dénote la classe des choses rondes: Church, 1951b: 108). La notion de concept
comme entité non saturée, que Frege avait placée à la base de son analyse des énoncés
simples, est ainsi éliminée. Sont par contre réhabilités les sens de Frege, conçus comme entités
abstraites objectives, que la sémantique ne peut éluder.

La théorie proposée par Carnap dans Signification et nécessité (1947) présuppose ce regain
d'intérêt pour l'édifice frégéen originel, et plus généralement la conscience de l'insuffisance
analytique de la sémantique référentielle. À l'intérieur d'une sémantique de type tarskien, les
énoncés modaux comme (12)

(12) Nécessairement 9 est plus grand que 7

n'admettent pas une analyse compositionnelle: la valeur de vérité de (12) n'est pas fonction
des dénotations de ses constituants. En effet, (12) inclut comme constituants l'énoncé vrai
(13):

(13) 9 est plus grand que 7;

mais en remplaçant (13) par un autre énoncé vrai, (14) par exemple:

(14) Paris est la capitale de la France

on obtient (15), qui, à la différence de (12), n'est pas vrai:


(15) Nécessairement Paris est la capitale de la France.

Donc (12) n'est pas compositionnel par rapport à la dénotation (si c'était le cas, le
remplacement de constituants équidénotants ne modifierait pas la valeur de vérité); ce qui
revient à dire qu'une théorie purement référentielle n'est pas en mesure de rendre compte de
la structure sémantique de (12), et en général des énoncés modaux. Carnap se propose
d'étendre à ces énoncés le traitement compositionnel que Frege, Wittgenstein et Tarski
avaient donné du fragment véri-fonctionnel et quantificationnel du langage, en introduisant
dans l'analyse sémantique une dimension supplémentaire, correspondant plus ou moins à
celle du sens frégéen. Par ailleurs, Carnap ne considère pas comme immédiatement utilisable
ce concept frégéen qu'il juge obscur: Frege ne spécifie jamais les conditions d'identité pour le
sens, c'est-à-dire qu'il ne dit pas quand deux expressions distinctes ont le même sens (Carnap,
1947: § 28). Le couple frégéen sens/dénotation doit être remplacé par des concepts
rigoureusement définis. En reprenant les termes de Leibniz, Carnap nomme ces concepts
intension et extension, et les introduit de la manière suivante: considérons un langage de
premier ordre L1, avec des constantes individuelles (a, b, c, ...), des variables individuelles (x, y,
z, ...) et des constantes prédicatives (P, Q, ...), en plus des connecteurs et des quantificateurs.
Les énoncés atomiques de L1 sont de la forme ‘Q2ab', dans lesquels un prédicat à n places est
suivi de n constantes individuelles. Intuitivement, ces énoncés ressemblent à des énoncés
naturels simples comme ‘Socrate est mortel', ‘Turin est plus grand que Clichy-sous-bois', etc.
Appelons maintenant description d'état un ensemble d'énoncés de L1 qui contient, pour
chaque énoncé atomique, soit l'énoncé lui-même soit sa négation (mais non pas les deux
ensemble). Par exemple, si L1 était aussi simple qu'il ait à sa disposition seulement trois
constantes individuelles a, b, c, et une seule constante prédicative à une place P, l'ensemble
{Pa, ~ Pb, Pc} serait une description d'état (il y aurait en tout huit descriptions d'état possibles
dans ce langage). Comme le note Carnap, chaque description d'état en L1 représente la
description d'un monde possible du point de vue de L1. Une (et une seule) d'entre elles sera la
description d'état vraie, c'est-à-dire celle qui représente le monde réel (pour autant qu'il soit
accessible aux ressources expressives de L1). Un énoncé atomique vaut dans une description
d'état D si et seulement si il appartient à D; pour les énoncés complexes, la notion de «valoir
dans une description d'état» est définie récursivement (par exemple, dans le cas du micro-
langage dont nous parlons, l'énoncé ‘("x)Px' vaut en D si et seulement si ‘Pa', ‘Pb', ‘Pc' valent
en D).

Ceci dit, Carnap définit les conditions d'identité pour l'extension et l'intension, c'est-à-dire les
circonstances dans lesquelles deux expressions linguistiques ont la même extension (ou la
même intension). En commençant par les énoncés, disons que deux énoncés p et q ont la
même extension s'ils valent ou ne valent pas tous deux dans la description d'état vraie; donc p
et q ont la même extension si et seulement si ils sont vrais tous les deux, ou faux tous les deux.
L'extension d'un énoncé peut donc s'identifier avec sa valeur de vérité (V ou F), comme c'était
le cas pour la dénotation chez Frege. Disons au contraire que p et q ont la même intension si p
vaut dans toutes les descriptions d'état dans lesquelles vaut q, et réciproquement.
Intuitivement, p et q ont la même intension s'ils sont «vrais dans les mêmes mondes
possibles», c'est-à-dire dans les mêmes circonstances: connaître l'intension d'un énoncé, c'est
savoir dans quelles circonstances il est vrai. De cette manière, Carnap formalise l'idée centrale
du paradigme dominant, selon laquelle la signification d'un énoncé s'identifie avec ses
conditions de vérité.

Carnap définit les conditions d'identité extensionnelle et intensionnelle également pour les
autres catégories d'expressions sémantiquement autonomes (termes singuliers et prédicats);
en général, deux expressions ont la même intension si,et seulement si, ils ont la même
extension dans toutes les descriptions d'états. Par exemple, deux prédicats (à une place) ont
lamêmeintension si, dans toutes les descriptions, ils désignent la même classe. Dire que ‘rêche'
et ‘rugueux' (par exemple) ont la même intension, c'est dire que si, en des circonstances
déterminées, un objet mérite d'être défini comme ‘rêche', alors il mérite également d'être
défini comme ‘rugueux', et réciproquement. En termes de définition directe, l'extension d'un
terme singulier est un individu, celle d'un prédicat est une classe (Carnap partage avec Church
la simplification des idées de Frege); l'intension d'un énoncé est dite proposition, celle d'un
prédicat propriété, celle d'un terme singulier concept individuel.

Nous disposons maintenant d'une notion définie rigoureusement (l'intension) au lieu de la


notion vague de sens proposée par Frege. Ceci nous permet d'analyser de manière
compositionnelle également les énoncés modaux: pour ces énoncés, la compositionnalité ne
vaut pas au niveau des extensions, mais vaut au niveau des intensions. En d'autres termes,
même si la valeur de vérité (l'extension) d'un énoncé comme (12) n'est pas fonction des
extensions de ses constituants, l'intension de l'énoncé est au contraire fonction des intensions
des constituants. En effet, si dans (12)

(12) Nécessairement 9 est plus grand que 7

nous remplaçons le constituant ‘9 est plus grand que 7' par un autre énoncé ayant la même
intension, par exemple (16)

(16) Aucun nombre premier (à l'exception de 3) n'est divisible par 3

nous obtenons (17)


(17) Nécessairement aucun nombre premier (à l'exception de 3) n'est divisible par 3

qui a non seulement la même valeur de vérité que (12) – la même extension – mais également
la même intension. (12) et (17), en effet, ont la même intension si et seulement si ils valent
dans les mêmes descriptions d'état (par définition d'intension); un énoncé de la forme ‘Il est
nécessaire que p' vaut dans une description d'état si et seulement si ‘p' vaut dans toutes les
descriptions d'état (par définition de nécessité, que Carnap identifie – une fois encore, à la
suite de Leibniz – avec la vérité dans tous les mondes possibles); ainsi, puisque tant ‘9 est plus
grand que 7' que (16) valent dans toutes les descriptions d'état, (12) et (17) valent tous deux à
leur tour dans toutes les descriptions d'état, et donc valent dans les mêmes descriptions
d'état: ils ont la même intension (pour une exposition plus détaillée du traitement carnapien
de la modalité, voir Casalegno, 1997: 5.4).

Attitudes propositionnelles.

L'efficacité de l'appareil critique de Carnap ne s'étend pas à tous les contextes non
extensionnels, c'est-à-dire à tous les énoncés dont l'extension n'est pas fonction des
extensions des constituants. Il n'est pas en mesure de traiter des contextes d'attitudes
propositionnelles comme (18)

(18) P'tit Pierre n'est pas sûr que 68 + 57 = 125

P'tit Pierre, qui a huit ans, a des doutes quant au résultat de cette addition tandis qu'il est
absolument sûr, par contre, que 3 + 3 = 6. Et pourtant ‘68 +57 = 125' et ‘3+ 3 = 6', étant des
vérités nécessaires, valent dans toutes les descriptions d'état et ont la même intension. Par
conséquent, (18) et (19)

(19) P'tit Pierre n'est pas sûr que 3 + 3 = 6

devraient avoir non seulement la même extension, mais également la même intension. Au
contraire, ils n'ont même pas la même extension (c'est-à-dire la même valeur de vérité), parce
que le premier est vrai tandis que le second est faux. Les contextes d'attitude propositionnelle
ne sont pas compositionnels, pas même par rapport à l'intension.

Pour résoudre cette difficulté, Carnap introduit un nouveau concept, à savoir celui de structure
intensionnelle (Carnap, 1947: §§ 14-15); et il essaie de soutenir que des énoncés tels que (18),
bien que n'étant pas compositionnels par rapport à l'intension, le sont par rapport à la
structure intensionnelle. Il s'avère en effet que ‘68 + 57 = 125' et ‘3 +3 = 6', tout en ayant la
même intension, n'ont pas la même structure intensionnelle (et c'est pourquoi (18) et (19) ne
sont pas sémantiquement équivalents). La proposition de Carnap, tout en ayant été reprise
également par la suite (par exemple par D. Lewis, 1970), s'est avérée très vite inadéquate: des
exemples d'énoncés qui ne sont pas compositionnels, pas même par rapport à la structure
intensionnelle, ont été avancés (voir par exemple Bonomi, 1983: 134 sq.), et d'autre part,
l'identité de structure intensionnelle (que Carnap appelle isomorphisme intensionnel) est
probablement une condition trop restrictive pour rassembler nos intuitions sur la relation
d'équivalence sémantique, ou synonymie, entre énoncés. En réalité, le paradigme dominant
n'est pas parvenu, pas même par la suite, à venir à bout du problème de la compositionnalité
des énoncés d'attitude propositionnelle. Comme nous le verrons (§ 33), il semble qu'ils
mettent en évidence une difficulté de fond du paradigme, qui ne se résout pas en inventant
des représentations toujours plus affinées de la valeur sémantique d'une expression
linguistique (pour une discussion de la question voir Mariani, 1992).

On dit des énoncés vrais dans toutes les descriptions d'état qu'ils sont ‘L-vrais' (c'est-à-dire
logiquement vrais); Carnap présente le concept de L-vérité comme un équivalent rigoureux du
concept kantien de vérité analytique (1947: § 2). Toutefois, comme le fit aussitôt remarquer
Quine (1951: cf. § 27), seule une partie des énoncés communément appelés ‘analytiques'
s'avèrent L-vrais dans le système de Signification et nécessité. Des énoncés comme ‘Aucun
célibataire n'est marié', dont la vérité ne dépend – intuitivement – que de la signification des
mots, et non de celle des mots comme ‘ou', ‘non', ‘tous', etc., mais de celle de mots comme
‘célibataire' et ‘marié', ne sont pas L-vrais: on peut envisager une description d'état où valent à
la fois ‘a est célibataire', soit ‘a est marié'. En d'autres termes, le système originel de Carnap ne
prévoit pas de liens de compatibilité entre des énoncés atomiques: si deux énoncés sont
atomiques, ils peuvent valoir dans la même description d'état, quelle que soit la signification
intuitive des prédicats qui y apparaissent. Ainsi, le système n'est pas en mesure de distinguer
(sauf dans le cas des vérités logiques au sens strict, comme par exemple ‘Tous les hommes
sont des hommes') entre énoncés vrais en vertu de la signification des mots et énoncés vrais
sur la base des faits mondains; donc, il ne constitue pas une explication complète de nos
intuitions sémantiques. Pour palier à cet inconvénient, Carnap élabore la théorie des postulats
de signification (Carnap, 1952), qui représente la seule contribution à la sémantique lexicale
(c'est-à-dire à l'étude de la signification des mots) produit dans le cadre du paradigme
dominant.

Un postulat de signification est la stipulation d'une relation entre extensions de prédicats. En


assertant un postulat comme

(20) Pour chaque x, si x est célibataire, alors x n'est pas marié


nous stipulons que les extensions de ‘célibataire' et ‘marié' sont disjointes (c'est-à-dire qu'elles
n'ont pas d'éléments communs). Si nous choisissons de faire valoir (20) dans toutes les
descriptions d'état – c'est-à-dire de faire de (20) un lien sur les intensions de ‘célibataire' et
‘marié' – nous aurons comme conséquence qu'aucune description d'état ne pourra contenir à
la fois ‘a est célibataire' et ‘a est marié' (pour n'importe quel a). Un énoncé comme ‘Si Jean-
Pierre est célibataire, alors il n'est pas marié' vaudra alors dans toutes les descriptions d'état;
et la notion de vérité analytique coïncidera avec celle de L-vérité, si nous avons asserté des
postulats de signification qui saisissent toutes les relations sémantiques entre des unités
lexicales. Il est clair en effet que les différentes relations de sens, objet traditionnel de la
sémantique linguistique (Lyons, 1977: I, 9), comme l'hyponymie (‘rose' est un hyponyme de
‘fleur'), la synonymie (‘doux' est un synonyme de ‘soyeux'), l'antonymie (‘célibataire' et ‘marié'
sont antonymes) peuvent être exprimées par des postulats de signification.

Comme nous le verrons (§ 27), Quine n'aurait pas apprécié cette solution, en considérant que,
de toutes façons, la frontière entre vérités analytiques et vérités factuelles ou synthétiques ne
peut être marquée clairement. Pour Carnap, toutefois, un choix de postulats de signification
ne reflète pas l'état du langage, mais seulement la décision du théoricien de traiter certaines
relations comme analytiques. En prenant une décision plutôt qu'une autre, le théoricien est
guidé «non pas par [ses] croyances par rapport aux faits mondains, mais par [ses] intentions
concernant les significations» (Carnap, 1952: 225): un choix de postulats a une valeur
programmatique plus que cognitive. L'âpre conventionnalisme de cette position de Carnap n'a
pas empêché que les postulats de signification soient constamment interprétés, par la suite,
comme des analyses des significations des mots et non comme des stipulations sur leur emploi
dans un système déterminé.

La sémantique

des mondes possibles

et le programme

de Montague.
Les analyses sémantiques de Carnap ne s'appliquent pas directement au langage naturel; elles
s'appliquent à des langages formels artificiels (comme notre langage L1), et au langage naturel
dans la mesure où il est reconductible à un langage formel. Un élève américain de Tarski et
Carnap, Richard Montague (1930-1970) conçut l'ambitieux projet d'une analyse sémantique
directe d'une langue naturelle (l'anglais) qui aurait atteint le même degré de rigueur que les
théories sémantiques pour les langages formels, au point de pouvoir être considérée, au plan
de tous les effets, comme une théorie mathématique. Le cadre conceptuel de Montague se
place dans la continuité de celui de Carnap que nous venons de décrire, mais il utilise – en plus
d'une théorie syntaxique plus riche et plus complexe – une théorie sémantique très puissante
créée par Saül Kripke (né en 1941), S. Kanger et J. Hintikka à partir du milieu des années
cinquante, et connue sous le nom de sémantique des mondes possibles.

La théorie fut élaborée à l'origine pour démontrer les propriétés formelles (complétude,
consistance, etc.) des systèmes de logique modale, qui analysent les relations logiques entre
énoncés formés avec des opérateurs tels que ‘Il est nécessaire que', ‘Il est possible que':
l'implication entre ‘Il est nécessaire que p' et ‘p' et celle entre ‘p' et ‘Il est possible que p', sont
des exemples de telles relations bien connues des philosophes du Moyen Âge. Dans une
sémantique des mondes possibles, une expression linguistique est interprétée en relation à un
monde possible ; par exemple, on ne dira pas que (dans une certaine interprétation) un
énoncé du langage est simplement vrai (ou faux), mais qu'il est vrai (ou faux) par rapport à (ou
dans) un monde possible. Si le langage interprété est un langage propositionnel, une
interprétation «à mondes possibles» (au sens de Kripke, dont la formulation a été et est
toujours la plus influente) est un triplet <W, R, I>, où W est un ensemble de mondes possibles,
R est une relation définie sur W (dite relation d'accessibilité) et I est une fonction –
structurellement semblable à la fonction I d'une interprétation tarskienne: voir § 13 – qui
assigne à chaque énoncé du langage une valeur de vérité par rapport à un monde possible w
(appartenant à W). La validité est définie comme vérité dans tous les mondes possibles, dans
toutes les interprétations (ou, comme dit Kripke, dans tous les modèles). Si le langage
interprété est un langage modal standard, et la possibilité et la nécessité sont interprétées
comme (respectivement) vérité dans au moins un monde possible et vérité dans tous les
mondes possibles, les formules valables dépendent des propriétés formelles de la relation R :
si R est réflexive, les formules valables sont exactement les théorèmes de T (la logique modale
«de base» développée par von Wright), si R est réflexive et transitive, les formules valables
coïncident avec les théorèmes de S4 (de Lewis et Langford), etc. En ce sens, des structures
différentes de l'ensemble des mondes possibles – des R différentes – correspondent à des
conceptions différentes de la possibilité et de la nécessité.

Si le langage interprété est un langage prédicatif, les choses se compliquent: l'ensemble des
formules valables – et donc l'ensemble des inférences valables – varie selon les assomptions
qui se font sur le domaine d'individus associé à chacun des mondes possibles, et donc selon
que l'on admette que le domaine est le même pour tous les mondes possibles (dans tous les
mondes possibles il y a les mêmes individus, seules leurs propriétés sont différentes), ou au
contraire qu'un monde possible peut contenir des individus en plus ou en moins par rapport à
un monde donné (ce qui est la position de Kripke).

Le système de Carnap (1947), que nous avons décrit il y a peu (§ 14 sq.), est déjà une
sémantique des mondes possibles, au sens où l'ensemble des descriptions d'état pour un
langage équivaut à un triplet <W, R, I>: dire – par exemple – que I (Pa, wi) = V revient à dire
que l'énoncé ‘Pa' appartient à la description d'état Di. Les règles d'évaluation des énoncés
modaux chez Carnap correspondent, du point de vue de Kripke, à l'assomption que la relation
R soit universelle, c'est-à-dire que chaque monde soit accessible à chacun des autres mondes.

Ceci étant établi, venons-en à la théorie de Montague (dite souvent grammaire de Montague;
pour une exposition, voir Chierchia et McConnell-Ginet, 1990; Casalegno, 1997: chap. 6). Il
existe deux versions principales de la théorie: l'une exposée dans L'anglais comme langage
formel (1968) et l'autre, aujourd'hui plus souvent appliquée, dans Le traitement correct de la
quantification dans l'anglais ordinaire (1970) (ces deux essais et la plus grande partie des
autres écrits de Montague sont désormais publiés in Montague, 1974).

Comme on l'a dit, Montague considérait qu'une langue naturelle comme l'anglais pouvait être
traitée effectivement comme un langage formel, et que son interprétation sémantique ne
différait pas, dans ses grandes lignes, de celle d'un langage logique; il était donc possible
d'expliciter complètement les liens sémantiques reconnus par un locuteur compétent, c'est-à-
dire formuler une théorie dans laquelle de tels liens seraient démontrables. Dans une
grammaire de Montague, on peut distinguer trois composantes: un module grammatical, qui
engendre les expressions bien formées de la langue (les énoncés ambigus admettent plusieurs
processus d'engendrement distincts, qui déterminent des structures syntaxiques différentes);
un module de traduction, qui assigne à chaque structure syntaxique sa traduction dans un
langage logique d'ordre supérieur au premier («logique intensionnelle»); et un module
d'interprétation, dans lequel les formules du langage logique sont interprétées en structures
algébriques complexes (fondées sur la théorie des ensembles) de manière à ce que soient
déterminées les conditions de vérité des formules correspondantes aux énoncés anglais, c'est-
à-dire leur liens implicatifs. Dans les formulations plus avancées de la théorie, toutes les
interprétations sont intensionnelles: la valeur sémantique qu'une interprétation assigne à une
expression linguistique est une intension, c'est-à-dire une fonction qui assigne une dénotation
à un couple constitué par un monde possible et un contexte d'usage. Dans les systèmes de
Montague, le passage à travers un langage logique (la traduction en logique intensionnelle)
n'est pas essentiel: il est possible de définir une fonction qui interprète directement les
structures syntaxiques engendrées par le premier module. Donc l'anglais est véritablement
traité comme un langage formel.
Quand on parle d'interprétation de l'anglais, ou d'une autre langue naturelle, on doit entendre
des fragments plus ou moins amples de cette langue: un fragment est délimité par un certain
ensemble d'unités lexicales et par des constructions grammaticales déterminées. En d'autres
termes, la théorie s'applique à des ensembles (infinis) de phrases formées à partir de mots
déterminés selon des règles grammaticales déterminées, qui ne sont pas toutes les règles de
formation de la langue; l'objectif dernier de la théorie est d'arriver à couvrir toutes les
constructions grammaticales reconnues (ou, si l'on veut, tous les types de phrases anglaises,
ou d'une autre langue) et de résoudre tous les problèmes posés par le lexique de manière telle
que l'extension du traitement à de nouveaux mots soit banal. On parle d'une grammaire de
Montague pour désigner le traitement d'un fragment déterminé d'une langue selon les
principes que nous venons de spécifier; tandis que la grammaire de Montague est la méthode
générale de traitement du langage naturel.

La méthode de Montague réalise pleinement l'idée de compositionnalité de la sémantique.


L'interprétation d'une expression complexe est en effet toujours une fonction des
interprétations de ses constituants, qui dépend seulement de la structure syntaxique de
l'expression complexe. Par exemple, admettons que l'analyse syntaxique de l'énoncé ‘Le chien
court vite' soit représentée par l'arbre suivant (R1, R2, R3 sont des règles syntaxiques: par
exemple, le syntagme ‘le chien' est constitué de ‘le' et ‘chien' sur la base de la règle R1.
Évidemment nombre d'éléments de l'analyse ne sont pas explicités):

le chien court vite, R3

le chien, R1 court vite, R2


le chien court vite

L'interprétation de chaque constituant dépend uniquement de celles de ses constituants


immédiats: ainsi l'interprétation de ‘le chien court vite' dépend exclusivement des
interprétations de ‘le chien' et ‘court vite' et de la règle R3, l'interprétation de ‘le chien'
dépend de celles de ‘le' et ‘chien' et de la règle R1 etc. On parle en ce cas de compositionnalité
règle par règle : l'interprétation avance pas à pas, en interprétant chaque constituant sur la
base de la règle syntaxique à travers laquelle il est formé et des interprétations de ses
constituants immédiats. La réalisation de cette compositionnalité parfaite implique quelque
sacrifice, entre autres en ce qui concerne le caractère plausible des analyses syntaxiques. Mais
Montague était souverainement indifférent aux critiques des chomskyens, pour qui une
analyse syntaxique doit être motivée par des considérations purement syntaxiques et ne pas
être seulement fonctionnelle à l'analyse sémantique: il déclarait «ne pas trouver grand intérêt
à la syntaxe, sinon comme prélude à la sémantique», il était sceptique quant au «relief
sémantique» des analyses syntaxiques des générativistes, et considérait les travaux de
Chomsky critiquables sur le plan «de l'adéquation, de la précision mathématique et de
l'élégance» (Montague, 1970: 223). En réalité, ce qui séparait Montague des chomskyens était
surtout une idée profondément différente des tâches de la théorie linguistique. Pour
Montague, la sémantique doit certes rendre compte des intuitions des locuteurs dans le sens
où, par exemple, les implications démontrées par la théorie doivent coïncider avec celles
reconnues effectivement par les locuteurs; mais il ne doit pas se préoccuper de reproduire des
processus mentaux hypothétiques sous-jacents à l'interprétation sémantique d'un énoncé de
la part d'un locuteur. L'idée qu'une règle syntaxique ou une règle d'interprétation sémantique
doivent être plausiblement imputables à un esprit fini comme celui de l'homme est tout à fait
étrangère à Montague, pour qui la sémantique fait partie de la mathématique et non de la
psychologie. Également sous cet aspect, d'antimentalisme radical, la grammaire de Montague
constitue la pleine réalisation du paradigme dominant.

18. Trois philosophes


La réflexion sur le langage des années Cinquante-Soixante est dominée par trois grandes
figures, qui ont encore aujourd'hui une forte influence et ne sont pas reconductibles au
paradigme dominant que nous avons illustré jusqu'à présent, ni même identifiables
simplement comme critiques de ce paradigme: il s'agit de Wittgenstein, Austin et Quine. En
réalité, l'influence de Wittgenstein précède les autres, parce qu'elle commence à s'exercer à
travers l'enseignement à Cambridge (à partir du début des années trente): mais elle s'étend
considérablement après la publication posthume des Recherches philosophiques (1953).
Austin agit aussi surtout à travers son enseignement à Oxford. Les deux influences semblent,
pour un certain temps, converger en déterminant un style caractéristique de la philosophie
britannique, que l'on a appelé tour à tour, ‘philosophie linguistique', ‘philosophie analytique',
‘philosophie du langage ordinaire' ou encore – plus prudemment – ‘philosophie d'Oxford et de
Cambridge'. A ce courant, dont nous ne parlerons pas ici de manière thématique, contribuent
de nombreux autres philosophes parmi lesquels G. Ryle, P. Strawson, J. Wisdom. Il semble tout
à fait clair aujourd'hui que les positions d'Austin et du «second» Wittgenstein furent toujours
très différentes, malgré l'intérêt commun pour le langage ordinaire, la méfiance partagée pour
les formalisations et d'autres motifs encore également consonants. La pensée de Quine
représente au contraire, un résultat (hautement original) de l'émigration américaine du néo-
positivisme et de sa rencontre-confrontation avec les instances du pragmatisme.

19. Le «second»

Wittgenstein

Dans aucune de ses phases, la pensée de Wittgenstein ne peut être caractérisée comme une
philosophie du langage au sens étroit de l'expression: Wittgenstein fut toujours intéressé par
les problèmes de la philosophie en général (au début, comme on l'a vu, à ceux de la
philosophie de la logique), et il ne pensa jamais que son but ultime serait la formulation d'une
théorie du langage (cf. Bouveresse, 1991: 18). Toutefois, il ne fait pas de doute que le
Tractatus logico-philosophicus contient une telle théorie (§§ 10-11), quand bien même tend-
elle à la clarification des problèmes tels que la nature de la logique ou le statut de l'éthique. On
ne peut rien trouver de comparable dans les écrits de la fameuse «seconde phase». Au cours
des années 1929-1933, Wittgenstein se libère graduellement de l'idée même d'une «théorie
générale du langage»: la construction d'une telle théorie ne lui apparaît plus comme une
condition préalable des analyses philosophiques qu'il entend mener; au contraire, le projet de
saisir l'essence du langage (ou des propositions, ou de la règle, etc.) lui semble être le fruit d'un
préjudice métaphysique. Ainsi, les Recherches philosophiques (1953) et les autres écrits
postérieurs à 1929 contiennent, en plus d'une myriade d'observations précises et profondes
sur les différents phénomènes linguistiques, également des idées qu'il est difficile de ne pas
considérer comme des éléments d'une théorie du langage (la notion de ressemblance
familiale, parexemple), ou comme des indications sur la forme d'une telle théorie (l'idée de jeu
de langage, le slogan «la signification c'est l'usage», la proposition de remplacer les questions
sur la signification – «Que signifie ‘X'?» – par des questions sur l'explication de la signification –
«Comment expliquerons-nous la signification de ‘X'?»). À tort ou à raison, ces idées ont eu une
très forte influence, et pas seulement dans un sens destructeur (comme nous le verrons dans
le cas de Dummett), sur la sémantique philosophique qui suivra.

20. La critique

du Tractatus

Comme on l'a vu, le Tractatus reconduisait le langage – tout langage – à un ensemble de


propositions qui, si elles sont sensées, sont des fonctions de vérité de propositions
élémentaires. Celles-ci, à leur tour, sont des liens de noms dont la connexion reproduit la
structure de l'état des choses dont la proposition est l'image. Les noms dénotent des objets
(éléments simples des états de choses), et c'est grâce au rapport de dénotation entre noms et
objets, et à l'identité de structure entre proposition et état de choses, que la proposition
(élémentaire) est en mesure de présenter l'état de choses. Le concept frégéen de dénotation
(§ 5) – le rapport entre un nom et ce qu'il désigne – et l'idée que les unités linguistiques
«vraies», profondes (les véritables «mots»), sont toutes des noms propres, c'est-à-dire des
expressions qui désignent des objets particuliers, sont des éléments cardinaux du cadre
théorique du Tractatus. Déjà à partir des années trente, Wittgenstein les critiqua tous deux
(1934-1935: 264-268; 1933-1934: 125-126). Dans les Recherches philosophiques, plus tardives,
Wittgenstein fait voir de manière diffuse comment on ne peut attribuer le rôle de fonder la
sémantique du langage au rapport de dénotation. Il semble que les définitions ostentives
(celles dans lesquelles, en indiquant un objet, on dit «Ceci s'appelle ‘N'») soient en mesure
d'instituer les significations des mots (et, à travers elles, celles de toutes les expressions du
langage). Mais en réalité, une définition ostentive est interprétée à partir de la fonction que
l'on sait qu'elle doit avoir, et à partir d'une maîtrise déjà acquise du langage: elle «explique
l'emploi – la signification – du mot, quand on sait déjà clairement quelle fonction il doit avoir,
en général, dans le langage. Ainsi la définition ostentive: “Ceci s'appelle ‘sépia'” aidera à
comprendre le mot si je sais déjà que l'on veut me définir le nom d'une couleur [...] Pour être
en mesure de demander le nom d'une chose on doit déjà savoir (ou savoir faire) quelque
chose» (1953: § 30). Du reste, l'idée de dénotation apparaît maintenant à Wittgenstein comme
le résultat d'une hyper-simplification philosophique par rapport aux multiples emplois d'un
nom (Ibidem: § 37), et même aux nombreux types d'expressions que nous appelons ‘nom'
(Ibidem: § 38). C'est en tout cas une simplification inacceptable que de traiter tous les mots
comme des noms, c'est-à-dire de considérer le rapport entre un nom propre et son porteur
(entre ‘Philippe de Macédoine' et la personne de Philippe de Macédoine) comme archétype de
la signification. L'«uniformité dans le mode de présentation des mots» (Ibidem: § 11) masque
la variété de leurs fonctions, que Wittgenstein compare à la variété des fonctions des outils qui
se trouvent dans une boîte à outils (marteau, tournevis, colle, clous, etc.) ou à la multiplicité
des emplois des manettes de commande d'une locomotive (Ibidem: § 12): elles se ressemblent
toutes, et toutes sont faites pour être saisies avec les mains, mais l'une d'elles peut être
déplacée continûment, une autre n'a que deux positions, une troisième agit en fonction de la
force avec laquelle on l'actionne, etc. L'assimilation de tous les mots à des noms, et de toutes
les fonctions sémantiques au rapport de dénomination, est une des sources principales
d'erreurs philosophiques, selon Wittgenstein: elle induit par exemple à considérer le lexique
psychologique (fait de mots comme ‘penser', ‘entendre', ‘comprendre', etc.) comme une
collection de noms, et donc à présumer, pour chacun d'eux, un état ou un processus mental
qu'il désigne. Une partie significative des Recherches philosophiques est consacrée à
combattre ce préjudice, en montrant que ces mots (‘penser', etc.) ne fonctionnent pas, dans le
langage, comme des noms d'états ou de processus (1953: §§ 138-184, 431-693; Kenny, 1973:
chap. 8).

La critique (et on pourrait même dire la satire) du Tractatus, qui occupe les premières sections
des Recherches philosophiques, concerne aussi la théorie des propositions et de leurs
relations. Le Tractatus liait étroitement la forme des propositions élémentaires (qui sont
toutes des liens de noms) et celle des propositions complexes (si elles sont sensées, elles sont
des fonctions de vérité de propositions élémentaires). Quant aux relations entre propositions,
ce sont des relations logiques – celles exprimées par la logique élémentaire, propositionnelle
et prédicative – ou ne sont pas: les propositions élémentaires sont absolument indépendantes
l'une de l'autre. C'est le premier aspect de la doctrine du Tractatus qui est concerné par la
critique de Wittgenstein: deux propositions élémentaires (comme ‘A est rouge' et ‘A est
jaune') peuvent se contredire (1929-30: § 76), donc il y a «une construction logique [...] qui ne
travaille pas avec l'aide des fonctions de vérité» (Ibidem). Au cours de ces années,
Wittgenstein continue de voir dans la logique le filigrane du langage naturel, mais son image
de la logique se complique, et ne cessera de se compliquer par la suite. À partir de la moitié
des années trente, Wittgenstein utilisera toujours plus souvent le terme ‘grammaire' pour
l'ensemble des règles d'usage des expressions d'un langage. Les relations entre propositions
codifiées par la logique (au sens strict) sont tout au plus un sous-ensemble de la grammaire,
que Wittgenstein considérera toujours moins significatif.

L'idée de proposition élémentaire sera également abandonnée par Wittgenstein dans le cours
des années Trente, parce qu'elle fait également tort à la variété du langage: «Combien de type
de propositions y a-t-il? Par exemple: assertion, question et ordre? – Il en existe
d'innombrables [...] Il est intéressant de confronter la multiplicité des instruments du langage
et de leurs modes d'utilisation, la multiplicité des types de mots et de propositions, avec ce
qu'ont dit les logiciens (y compris l'auteur du Tractatus logico-philosophicus) de la structure du
langage» (1953: § 23). La théorie des propositions élémentaires faisait partie d'une philosophie
du langage qui privilégiait de manière exclusive sa fonction descriptive. Dans les Recherches,
elle devient une fonction parmi d'autres: donner des ordres, faires des conjectures à propos
d'un événement, inventer une histoire, faire un mot d'esprit, traduire, remercier, saluer, etc.
http://www.lyber-eclat.net/lyber/marconi/18.html

https://www.cambridge.org/core/journals/language-and-cognition/article/time-perspective-
and-semantic-representation/61A03C56541B3A7AB0084882D9826310

https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1111/j.1467-9922.2008.00457.x

PROCESSO DE FORMAÇÃO DE PALAVRAS INGLêS E ALEMAÕ

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