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En Algérie, à la place d'une réflexion sérieuse sur les fondamentaux du pays en vue d'un
changement politique vital pour l'avenir, les décideurs ont choisi, une fois encore, de
reconduire le système politique à l'origine de la crise multidimensionnelle et chronique vécue
depuis l’indépendance.
La révision constitutionnelle prévue, autant qu'on puisse en juger, compte tenu de l'opacité
habituelle, n'aurait d'autre objectif que l'assurance de maintien du système en place et de ses
constantes politico-idéologiques et ce, dans un État de non droit où l'esprit et la lettre de la loi
sont régulièrement violés par ceux qui la font, au gré de leurs intérêts.
Nous, Kabyles, avons une terre, une langue, des coutumes, un système de valeurs, une
organisation sociale particulière, toutes les caractéristiques définissant un peuple. Cette
affirmation en tant que peuple n'est pas dirigée contre les autres composantes de la société
algérienne et ne s’inscrit pas dans une vision ethnocentrique. Il s'agit de l'existence d'une
communauté humaine qui possède des caractères distinctifs des autres entités algériennes.
Ce n’est pas un choix mais une réalité historique que nous offre l'immensité de notre pays et
sa diversité géographique, humaine culturelle et linguistique. Cette richesse doit être une
source de fierté et non d'appréhension.
Nous sommes kabyles et appartenons au plus ancien peuple que l’Afrique du Nord ait connu :
le peuple amazigh. Notre kabylité ne vient ni d'Orient ni d'Occident, elle puise ses racines
dans nos valeurs propres transmises par nos aïeux. Ce sont ces valeurs qui fondent notre
ouverture aux idées de liberté telles que le respect des droits humains, l'égalité des sexes, la
liberté de croyance et de culte. Forts de notre spécificité, nous ne nions cependant aucun des
liens profonds et puissants d’ordre identitaire, historique et culturel, fondateurs d’un désir
d’avenir commun, que nous avons avec tous les Algériens.
Nous voulons que la Kabylie ait une place de plein droit avec un statut politique reconnu dans
un État algérien refondé. La Kabylie doit être en droit d'avoir les instruments juridiques
nécessaires pour gérer en toute souveraineté ses spécificités sur son territoire, tout en
participant à la gestion commune des intérêts supérieurs de l’Algérie. Ceux-ci ont, par
ailleurs,- constitué avec la reconnaissance identitaire, l'essence des luttes kabyles qui ont
jalonné le récit national depuis plus d'un siècle.
Bien que fortement majoritaires dans le PPA-MTLD, les Kabyles ont privilégié l'union contre le
colonialisme français et ont tu leurs revendications identitaires pour se consacrer totalement à
la lutte de libération nationale. Ce n'est pas un hasard si le congrès de la Soummam, acte
fondateur politique du FLN, a eu lieu sur leur territoire et si la majorité des officiers supérieurs
de l'ALN est issue de cette région. On oublie trop souvent le lourd tribut en vies humaines
payé par la Kabylie, le plus important du pays. Son élite a été décimée par la guerre mais
aussi par les luttes internes dont fut victime l'un des plus grands, Abane Ramdane, lequel
venait de donner une orientation politique, démocratique et sociale à la Révolution tout en
fixant le cadre de l’exercice du pouvoir par la résolution de la primauté du politique sur le
militaire.
Le rappel de ces faits historiques n’a pas pour but de diminuer ou de nier la contribution des
autres wilayas lors de la guerre d’indépendance. Il est fait pour relever que la Kabylie, n’a pas
eu en retour, après 1962, ce qui lui revenait de droit après tant de sacrifices : la
reconnaissance de son identité propre et la reconquête de la souveraineté qu’elle a perdue
sous la domination coloniale française depuis 1857.
Ce rappel historique nous commande aussi, aujourd'hui, d'oser une lecture critique du projet
national tel qu'il a été pensé et engagé par les idéologues du Mouvement National. Les
dérives politiques de ceux qui se sont imposés aux commandes de l'État depuis
l'indépendance, ne sauraient expliquer à elles seules l'impasse actuelle. Bien plus que le
reniement de la plate forme de la Soummam de 1956, c'est l'absence de référents explicites à
la pluralité politique et culturelle dans le discours du Mouvement National, après la mise à
l’écart de militants de valeur tels que Ouali Benai, M’Barek Ait Menguelet, Amar Ait Hamouda
et Rachid Ali Yahia lors de la "crise berbériste" de 1949, qui a ouvert la voie aux dérives
totalitaires qui ont marqué l'histoire politique de l'Algérie depuis l'indépendance.
A l'indépendance, l’armée des frontières impose, par un coup de force contre le GPRA, un
président et sa conception de l'État. La première assemblée constituante a été réduite à
l’impuissance par la manipulation du clan d'Oujda qui s'identifiera par sa gestion autoritaire et
idéologique, affichant clairement le déni de la réalité historique algérienne et excluant la
Kabylie. "Nous sommes Arabes, nous sommes Arabes, nous sommes Arabes", clamait Ahmed
Ben Bella, président plus Arabe qu'Algérien, au lendemain du cessez le feu, appliquant ainsi la
feuille de route du panarabisme imposée par son mentor Gamal Abdelnacer, et ce au mépris
des nombreux martyrs algériens "non Arabes". Par cette imposture, il donna ainsi le coup
d'envoi à l'Algérie actuelle, figée dans ses constantes arabo-islamiques et ruinant tous les
espoirs d’une Algérie plurielle et démocratique.
Ce pouvoir installé par la force n'hésitera pas à écraser dans le sang le soulèvement de la
Kabylie répondant à l'appel du FFS en 1963. Plusieurs centaines de militants ayant combattu
pour la libération du pays vont payer de leur vie leur révolte contre cette injustice et contre
l'instauration d'un régime dictatorial.
C’est ainsi que la société civile va se mobiliser et s'organiser à travers des associations
souvent réprimées. La première Ligue des Droits de l’Homme créée en 1985 vaut à ses
membres fondateurs leur traduction à la cour de sûreté de l'État. La semi-ouverture politique
qui a suivi octobre 1988, a vu des militants kabyles et des partis politiques tels que le RCD
mettre dans le débat public des problématiques sociétales de fond telles que la laïcité,
l'égalité des sexes et la diversité culturelle et linguistique. La reconnaissance de tamazight en
tant que langue nationale et officielle sera inscrite dans les programmes des partis politiques
à ancrage kabyle. L'école algérienne sera boycottée pendant l'année scolaire 94/95 par les
enfants de Kabylie réclamant la reconnaissance et l'enseignement de leur langue maternelle.
Ce particularisme est aussi visible dans la perception qu’ont les autres Algériens des partis à
base sociologique kabyle. Le confinement des partis du RCD et du FFS dans l’espace kabyle,
malgré leur volonté manifeste de s’inscrire dans une dimension nationale, est là pour
souligner que l’aspect identitaire est un fondement essentiel dans la compréhension de la
sociologie politique de l’Algérie.
En avril 2001, le pouvoir entre dans une nouvelle étape de provocation-répression qui se
solde par l’assassinat, dans l'impunité totale à ce jour, de 128 jeunes Kabyles. Le 14 juin
2001 à Alger, le pouvoir a démontré ses tentations génocidaires en lançant une véritable
chasse aux Kabyles venus pacifiquement, à l'appel du mouvement des Archs, remettre leur
plateforme de revendications, en organisant la plus grande marche de l'histoire du pays. Cette
fracture à laquelle le pouvoir a poussé volontairement, en dressant de manière machiavélique
et irresponsable les Algériens les uns contre les autres, est inscrite à jamais dans notre
mémoire collective. C’est dans ces circonstances de grave dérive d'un pouvoir discriminatoire
que vont émerger les premiers mouvements autonomistes kabyles, le "Mouvement pour une
Kabylie Libre" puis le "Mouvement pour l'Autonomie de la Kabylie" évoluant récemment vers
un "Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie". Ces mouvements s’inspireront d’un
courant de pensée initié par Salem Chaker et porté depuis les années 90 par des intellectuels
et universitaires kabyles, d’inspiration multiculturaliste, donnant une vision politique nouvelle
pour la Kabylie et l’Algérie.
Nous ne sommes pas les seuls en Algérie à avoir un particularisme et à être exclus des textes
et des institutions du pays. Sur le socle amazigh commun, les apports et influences des
civilisations qui ont jalonné notre histoire font la pluralité de la société actuelle avec une
diversité des langues parlées et des cultures vécues. Cette pluralité algérienne avec la
coexistence de plusieurs communautés ou peuples n'est aucunement reflétée dans la
définition de la Nation inscrite dans la constitution algérienne. La Nation est à redéfinir à
partir de la nature réelle de la société pour en dégager ses identifiants qui serviront de
référents essentiels de l’algérianité, et ce, loin de toute idéologie ou dogme.
Pour notre part, nous pensons que la question de l’identité nationale est à ce jour encore
posée. Nous récusons l’identité arabe exclusive du pays inscrite dans le préambule de la
constitution. Que des communautés ou des citoyens algériens se revendiquent «Arabes» est
de leur droit et nous le respectons, mais nous refusons que cette identité nous soit imposée.
Les personnes et les institutions censées représenter le pays ne doivent pas s'autoriser à
s’identifier en tant que tels et affirmer notre appartenance globale au monde arabe. De
même, conformément aux principes séculiers de l'État et de ses institutions, nous considérons
qu'une religion même majoritaire ne doit pas définir l'État, car celui-ci a pour vocation, non
pas d'exclure, mais d'inclure tous les Algériens qu’ils soient d'autres confessions ou non
croyants.
Bon nombre de pays de composition plurielle ont adopté une organisation moderne de l'État
avec des armatures institutionnelles plus adaptées à leur socio-diversité et assument dans la
sérénité leurs différences linguistiques, culturelles et ethniques. Ce qui renforce le sentiment
de cohésion nationale, diminue considérablement les tensions, les risques de guerre et les
tentations génocidaires. Même la France, pays jacobin par excellence est en train de rattraper
son retard par rapport aux autres pays européens (reconnaissance de la spécificité corse,
promotion et développement des langues régionales, autonomie de la nouvelle Calédonie,
décentralisation pour une meilleure efficacité économique).
Dans un État fédérateur incarnant cette pluralité, le drame mozabite, à l'instar du drame
kabyle et d’autres tragédies qui risquent d'advenir (chaoui, targui), n'aurait pas de raison
d'être. La crise endémique que vit la vallée du M'zab est là pour nous enseigner qu'aucune
solution proposée pour mettre fin à la violence ne s'avérera efficace tant qu'on aura pas
compris qu'une communauté a un besoin vital de préserver son intégrité et sa spécificité dans
un cadre institutionnel qu'elle aurait elle même adopté et légitimé. Les spécificités du rite
confessionnel ibadite, la différence culturelle, linguistique et organisationnelle du M'Zab
doivent être reconnues par l'État et sa territorialité respectée. Il importe aussi de souligner
que c’est l’appui à la doctrine wahhabite, hostile et intolérante à toute autre forme
d’expression religieuse dans l’Islam qui a exacerbé les tensions et nourri les hostilités ayant
conduit malheureusement à des pertes humaines.
Pour notre part, à l’islam des prédicateurs «inspirés» par les pétrodollars et qui puise ses
fondements dans le dogmatisme et l’intolérance, nous croyons qu’il est pertinent de renouer
avec l’islam vécu ancestral et d'engager, dans la sérénité, le débat crucial de la rationalité et
de la pensée libre dans la religion musulmane. C’est aussi, l'héritage que nous laisse derrière
lui, le grand islamologue kabyle Mohamed Arkoun, lequel sa vie durant n’a pas cessé de
travailler au renouement avec la pensée des premiers philosophes rationalistes musulmans.
La Kabylie n'a pas vocation à être stigmatisée de manière récurrente comme l'ennemi
intérieur et à servir d'exutoire aux querelles du sérail. Aucune communauté humaine ne doit
subir l’aliénation de sa culture au détriment d’une autre. Il est temps, un demi-siècle après
l’indépendance, que cela cesse, dans l'intérêt de tous en posant sereinement les
problématiques de fond et en y apportant de vraies solutions.
L'élite kabyle notamment politique a aussi sa part de responsabilité dans ce triste constat. Sa
démission et sa faillite à apporter les éclairages nécessaires face aux enjeux, son éloignement
de la détresse des populations, son incapacité à traduire leurs aspirations, n'est pas de nature
à ré enchanter la tradition de luttes démocratiques et populaires de la Kabylie. Au nihilisme et
au défaitisme ambiant, il faut oser l'espérance. Les épreuves endurées, les sacrifices de
générations de militants, les impasses politiques des luttes menées doivent constituer pour
nous un appui pour envisager un renouveau politique.
Nous estimons que le discours actuel sur la démocratie est biaisé. Dans les nombreuses
interventions et commentaires du moment, la démocratie est souvent perçue par les
démocrates algériens comme une notion abstraite puisée généralement dans l'aliénation par
le modèle jacobin français, fondé sur une pleine reconnaissance des droits individuels au
détriment des droits collectifs qui sont niés, sinon méprisés et dévalorisés. L'exercice
démocratique peut prendre différentes formes qu'il est nécessaire de discuter afin de proposer
celle qui conviendrait le mieux à une société multiculturelle comme la nôtre.
Avec le système actuel même réformé et "démocratisé" par les urnes, se posera toujours la
question de la légitimité du pouvoir basé sur la souveraineté exclusive détenue par la majorité
(même bien élue) aux dépens des minorités (même fortes), créant ainsi un décalage entre
une démocratie issue d'un vote majoritaire et une absence de démocratie réelle. En d'autres
termes, une démocratie majoritaire peut s'avérer injuste et «antidémocratique» car elle
discrimine les minorités qui se sentent exclues, non représentées et non intégrées à la
communauté politique nationale.
C'est pourquoi nous sommes partisans d'une démocratie dite "consociative" qui permet un
équilibre des pouvoirs et évitera toute forme d’exclusion ou de minorisation des populations
régionales. Ce qui assurera un processus politique d’intégration nationale, permettant une
adhésion libre à l'ensemble national et la recherche d’une assise du pouvoir construite sur des
coalitions tenant compte des aspirations des régions et/ou des communautés. Une
conséquence directe de ce système de gouvernance est la primauté des institutions élues sur
l’administratif et l’association permanente des populations par le recours aux consultations
régionales et locales dans les limites fixées par le champ des compétences. Ceci permettra,
d’une part, l'expression du génie populaire répondant ainsi aux besoins culturels,
économiques et sociaux des populations et d’autre part responsabilisera le citoyen dans le
devenir de son environnement.
La Kabylie serait libre d'organiser son territoire sur la base de ses valeurs propres et de
s'inspirer du modèle ancestral de démocratie directe et participative pratiquée dans les
villages, tout en le modernisant, notamment par la participation des femmes, des jeunes et
l'adaptation aux zones urbaines. Cette organisation sociale, marque majeure de notre
identité, avaient forcé l'admiration de grands penseurs tels que Karl Marx, Hannah Arendt et
de Ernest Renan la jugeant comme la réalisation de l'aspiration humaine à une société juste
et solidaire.
A l'échelle centrale, les représentants de la Kabylie participeraient aux débats et aux décisions
relatives aux questions intéressant l'ensemble des Algériens, notamment celles relevant des
domaines régaliens, traitées dans le cadre des institutions nationales où serait favorisée la
représentation proportionnelle. Par ailleurs, en accord avec la consécration des droits
collectifs, nous considérons comme une exigence l’ouverture du champ politique à des
organisations qui activent en faveur des droits communautaires et des droits des peuples,
s'inscrivant dans la non-violence. Il s’agit, en effet, d’un droit démocratique irrécusable
impliquant la révision de la loi sur les partis politiques. Leur confinement à la clandestinité
n’est pas de nature à favoriser le processus d’intégration nationale.
Quant aux droits individuels, ils ne se limitent pas au droit de vote, à la transparence et à la
régularité du scrutin électoral comme aimeraient le faire croire certains uniquement motivés
par une stratégie de prise de pouvoir et auxquels nous rappelons que c'est un concept qui
englobe aussi des valeurs inaliénables de liberté (de pensée, d’expression, d’opinion),
d’égalité, de non discrimination par le sexe, la croyance ou la race.
La question linguistique
Dans un État multiculturel, la langue tamazight, première langue historique du pays, parlée
dans plusieurs régions n’aurait été ni niée, ni réprimée ou minorée, comme c'est le cas dans
les systèmes absolutistes qui ne conçoivent qu’une langue unique. L'enseignement de la
langue tamazight dans l'école algérienne, acquis grâce au sacrifice d'une année de scolarité
des enfants de Kabylie est réduit a un simple faire valoir des autorités et pousse à sa
dévalorisation. Aucune politique linguistique n'est venue encourager et développer cet
enseignement. Vingt ans après son introduction, aucune institution ou académie, en dehors
d'un commissariat resté sans président, n'a été créée pour la prise charge des questions liées
à la standardisation, la pédagogie ou l'édition. L'ouverture du champ médiatique avec des
radios locales et d'une chaîne de télévision participe plus de l'aliénation par l'idéologique
officielle que d'une véritable ouverture à l'expression amazighe.
Quant au statut de Tamazight, après celui de langue nationale concédé suite aux sacrifices
des jeunes du printemps noir, le statut de langue officielle n’est pas encore à l’ordre du jour
des décideurs malgré une demande quasi générale des acteurs politiques. A quel titre et de
quelle légitimité se prévaut-on pour interdire ce statut à la seule langue autochtone du pays
et parlée par des millions d'Algériens ? Pour quelle raison prend-on le risque d'un grave conflit
qui peut conduire à une implosion du pays ? Rappelons que les pays dotés de plusieurs
langues officielles sont légions à travers le monde : l'Inde (23 langues), la Bolivie (37
langues), l'Afrique du sud (11 langues) la confédération helvétique (4 langues), ...etc.
A ce sujet, nous interpellons l'État algérien sur ses multiples engagements internationaux
concernant le respect des droits culturels notamment la déclaration des Nations-Unies sur le
droit des peuples autochtones adoptée en 2007. Cette déclaration stipule que les États
doivent assurer à tout peuple autochtone le droit de déterminer librement son statut politique,
de promouvoir sa langue, d'avoir son propre système éducatif et d'assurer son
développement économique social et culturel.
Cette situation est consubstantielle à la nature centralisée de l'État. Celui-ci participe, par
l’utilisation effrénée de la manne pétrolière, à la transformation des Algériens, qui savaient
autrefois travailler les ressources de leur région, en grands assistés. En effet, en attendant
tout de l'État et non préparés au choc à venir, résultant de la chute inexorable des ressources
pétrolières, les Algériens auront alors perdu le pari vital du développement de la ressource
humaine qui conditionne l’insertion adaptée dans l’économie mondiale et plus globalement
l’assimilation positive des bouleversements de la mondialisation.
En Algérie, comme ailleurs, les régions sont capables de redevenir des lieux de créativité
économique et culturelle pour peu qu'elles se réapproprient politiquement leur espace social
et territorial. Il faut repenser la vocation même de l'État sur le plan économique : d’agent de
distribution de la rente, par les mécanismes de la déconcentration, il faut passer au transfert
des compétences et à l’allocation équilibrée des ressources vers les régions.
La régionalisation de l'État que nous préconisons avec la mise en place d’une autorité de
régulation et de suivi pour assurer les équilibres régionaux est le contraire du régionalisme
éhonté pratiqué actuellement. Il est inqualifiable et inacceptable que le pouvoir s’arroge le
droit de gérer les ressources nationales de manière clientéliste et régionaliste. On affecte à
certaine(s) région(s) de nombreux et différents investissements alors que d'autres sont
laissées à l'abandon comme c'est le cas de la Kabylie qui n'a été bénéficiaire d'aucun projet
industriel depuis le programme spécial des années 70 et des régions du sud qui sont pourtant
les pourvoyeuses en grande part de la richesse nationale.
Le changement de paradigme politique: une nécessité historique
Ce texte est écrit par des militants qui pensent exprimer une tendance lourde de l'opinion
kabyle actuelle. Il s'adresse à tous les Algériens, qu’ils soient simples citoyens, acteurs
politiques de l’opposition ou détenteurs du pouvoir. C’est un appel à débattre et à dialoguer
dans la sérénité et sans tabou de toutes ces questions structurelles engageant l'avenir
national. La sortie de crise exige de nous tous une modification profonde des mentalités et du
courage politique pour s’engager sur les problématiques souvent complexes mais
incontournables.
Le changement de système souhaité par le plus grand nombre ne doit pas se limiter à "une
meilleure gestion" de l'État tout à fait justifié par ailleurs compte tenu de l'instrumentalisation
des institutions, la confusion des pouvoirs, la corruption, la dilapidation effrénée des
ressources financières et économiques, le népotisme,etc. Mais la véritable rupture passe par
un changement de paradigme, celui d'une autre vision de l'Algérie, d'un projet national à
repenser en s'émancipant du cadre institutionnel hérité de l'ordre colonial français et en
abandonnant les constantes idéologiques totalitaires panarabistes et islamo-conservatrices.
L'appartenance proclamée à la «Oumma el Arabia» et à la «Oumma el lslamiya» bloquent
l’acceptation de la conception moderne de l'État et de la Nation, brouillent la perception de
leurs contours et ébranlent les fondements mêmes de la République, et donc de la
citoyenneté.
Nous croyons que le vivre ensemble en paix et en harmonie en Algérie est possible. Les
différentes configurations du cadre national qui s’y prêtent méritent toutes d’être discutées :
système fédéral, système autonomique avec autonomie(s) régionale(s), l’essentiel étant de
sortir des modèles «unicistes» et de rapprocher l’Algérie politique de l’Algérie réelle.
Notre histoire nous enseigne que d'autres rapports ont existé entre entités territoriales sans
qu’aucune ne soit disqualifiée, comme en témoigne l'organisation politique et territoriale
pendant la guerre menée contre le colonialisme français par une fédération de wilayas
autonomes dans leur gestion propre mais ayant le même objectif, l’indépendance du pays.
Osons pacifiquement une rupture réfléchie avec les schémas obsolètes, désuets et optons
pour de nouvelles voies politiques audacieuses et généreuses pour offrir à tous les Algériens
la possibilité d'être enfin de vrais citoyens et acteurs de leur destin. Ainsi, nous pourrons nous
préserver de la violence et du chaos qui nous guettent dans le sillage des mutations
géopolitiques régionales avec la montée en puissance de forces archaïques et violentes suite à
la chute des dictatures qui les ont elles même en grande partie engendrées. Créons les
conditions d’un nouveau contrat social et ne laissons pas des politiques d'exclusion
transformer notre belle diversité en zones de fractures et en sources de conflits pouvant
donner prise aux manœuvres des grands manipulateurs de ce monde.
Nous, signataires, restons dans l'espoir que notre appel sera entendu, que la Kabylie que
nous voulons sauvegarder, défendre et doter d'un avenir trouvera toute sa place dans une
Algérie nouvelle, enfin totalement décolonisée, une Algérie apaisée et plurielle qui nous
ressemble et qui nous rassemble.