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Ferhat Mehenni répond à Arezki Ait

Larbi : « Le MAK sollicite les


neurones de chaque Kabyle »
Juin 14, 2018La Rédaction

RÉPONSE à l’article intitulé : « Menaces sur la Kabylie, Ne pas céder à la peur… »


publié par El Watan dans son édition du 11/06/2018

Cher ami,
Quelles que soient les vicissitudes du temps, les malentendus ou les
divergences d’opinion, les coups de griffes ou les coups de poignard
dans le dos, les procès d’intention ou autres indélicatesses dont
souvent me gratifient d’anciens compagnons de lutte, j’ai pour
constance de garder mon amitié à toute personne, comme toi, ayant
partagé une plage de ma relative longue vie de militant.
Dans le dernier papier que tu me dédies, à la fois comme dénonciation
et comme supplique, tu t’adonnes à ton sport favori, la désinformation
et la manipulation de l’opinion. En convoquant pêle-mêle BHL, le
Makhzen, les USA, le CRIF, la France et Israël, par allusion, tu uses
de poncifs du pouvoir algérien dont je te croyais sincèrement loin.
A jeter un regard distrait sur le titre de ton article : « Menaces sur la
Kabylie, ne pas céder à la peur… » n’importe quel lecteur
comprendrait que le danger que tu pointes du doigt, ne viendrait ni des
terroristes islamistes, ni du pouvoir algérien mais de moi. As-tu
mesuré la gravité de ta cécité ? Rends en toi compte par toi-même !
Qui a tué 130 Kabyles au Printemps noir (2001-2003) ? Qui occupe
militairement la Kabylie ? Qui permet aux terroristes islamistes, venus
d’ailleurs, de se déplacer en toute sécurité malgré les barrages
militaires et paramilitaires qui jalonnent nos routes et qui sont si
efficaces lorsqu’il s’agit d’empêcher des manifestants kabyles du 20
Avril ou de Yennayer d’arriver sur les lieux du départ des marches ?
Qui rackette nos commerçants au grand jour par le fisc et la corruption
? Qui brûle nos forêts chaque été et qui interdit aux citoyens
d’éteindre les feux quand ils s’approchent de leurs maisons, si ce n’est
des militaires algériens ? Qui empêche le développement économique
de la Kabylie destinée désormais à n’accueillir que des prisons ? Qui
opère des kidnappings de nos entrepreneurs et qui ordonne à la police
coloniale de ne pas en rechercher les coupables ? Qui tente de
dépersonnaliser nos enfants à travers des écoles, des mosquées et des
médias salafisés ? Qui bastonne nos enfants dans la rue ? Qui surveille
les Kabyles tels des sauvages ?
Ce n’est pas que dans le titre de ton texte que tu me fais endosser cette
menace. Tu emboîtes le pas à Said Sadi qui, pour dissuader les
Kabyles d’adhérer au MAK et au projet d’indépendance de la Kabylie,
leur prédit des lendemains apocalyptiques. « Attention, ça va être un
charnier ! ça va être une guerre civile, ça va être un bain de sang ! »
Tu écris la même chose en avançant que l’Anavad « s’essouffle » à
provoquer cette guerre civile qui va lui « donner quelque légitimité
internationale, à défaut d’avoir le consentement du peuple kabyle »
qu’il prétendrait représenter.
Cette accusation est infondée, mensongère, grossière et paradoxale.
Tout le monde sait qu’une organisation « essoufflée » ne présente
aucun danger pour ses adversaires. Or, le MAK est la sève de la
Kabylie profonde, il est la Kabylie même, aussi bien expressive que
silencieuse. Et s’il travaillait réellement à provoquer une guerre civile,
il l’aurait déjà déclenchée. S’il ne l’a pas fait, ce n’est pas faute de
moyens, de savoir-faire ou par essoufflement mais par choix
stratégique d’une voie pacifique pour l’indépendance du peuple
kabyle. Le MAK est le dernier espoir de voir le jour de liberté se lever
sur la Kabylie. En le traitant de menace sur le peuple kabyle, ton écrit
participe, peut-être inconsciemment, de la même politique de
diabolisation que le pouvoir algérien tente de mener contre la seule
force kabyle capable de fortifier la résistance que, pourtant, tu appelles
de tous tes vœux contre ses assauts assassins.
Là où tu as tout faux, c’est quand tu m’invites « à mesurer l’ampleur
du chaos qui menace la Kabylie », et dont je risquerais d’être « le
vecteur consentant ». Tu ajoutes : « Accepteras-tu de voir chaque
village, chaque quartier, chaque rue, devenir le terrain d’affrontements
fratricides ? » Quels affrontements fratricides ? Nous ne sommes pas
le FLN contre le MNA. Je tiens à t’en rassurer. Le MAK est une
organisation pétrie des valeurs les plus nobles. Lui prêter des desseins
qu’il n’a pas, est simplement insensé, pour rester correct. Le MAK est
à la fois la paix, la liberté, le droit et la justice auxquels la Kabylie
aspire et je ne permettrai à personne de donner de lui l’image d’une
menace sur ce qu’il entend défendre.
Je t’interdis aussi de t’en prendre aux membres de l’Anavad et de
notre corps diplomatique. Quels que soient les tares que tu essaies
injustement de leur accoler, ils sont mille fois plus sains que ceux du
pouvoir algérien qui, eux, étrangement sont hors de ton champ de
vision.
Je n’adhère pas à cette référence récurrente à la génération de 1980
qui semble vouloir instituer une nouvelle classe d’anciens
moudjahidine et qui, au nom du combat d’hier, s’autoriserait
aujourd’hui la collaboration avec l’ennemi. La génération du
Printemps noir et celle des indépendantistes du MAK ont autrement
plus de mérite que leur devancière du MCB. Elles sont plus lucides,
plus modernes et ne s’égarent pas comme la nôtre dans les méandres
de l’aliénation algérienne.
Mais revenons à ce qui semble te révolter le plus, mon « appel de
Londres » par lequel « je demande à la Kabylie d’accepter de bonne
grâce et en toute conscience, la mise sur pied d’un corps de contrainte
et de sécurité. »
Tu redouterais que le MAK parvienne à établir « …une autorité de fait
accompli » en Kabylie, une organisation qui soit dédiée à la protection
de nos enfants. Voilà donc le fond du problème.
Cher ami,
J’ose un avis pour lequel, au cas où il s’avérerait faux, je te prie de
m’excuser. J’ai bien peur que l’ancien combattant qui a pris
possession de toi, soit devenu un simple spectateur des événements,
envieux de cette nouvelle génération qui a repris le flambeau sans toi,
de manière plus lucide, plus massive et plus combative. Pourtant, tu
peux toujours y avoir toute ta place et ce ne sont pas des sollicitations
de notre part qui manquent à ce que tu te remettes dans le bain et être
dans cette « autorité », non pas de fait accompli, mais de construction
de notre indépendance.
Par ailleurs, rien ne t’interdit de me faire des rapports plus réalistes
que ceux que tu considères, sans preuves, comme « frelatés », envoyés
par les cadres du MAK. En 2018, avec tous ces smartphones, tablettes,
réseaux sociaux, blogs et autres modes de communication
sophistiqués, ta sentence selon laquelle je serais coupé des réalités ne
tient pas la route. L’exil n’en est plus un. Je suis tous les jours en
Kabylie où je parle aux militantes et militants, aux citoyennes et aux
citoyens, aux amis et aux parents. Je ne me contente pas non plus des
diverses revues de presse de mes collaborateurs en temps réel. Je vais
moi-même piocher l’information à la source.
Il serait salutaire pour tous que tu cesses d’essayer de remonter les
Kabyles contre celui qui les défend et les protège en leur affirmant que
cette « autorité de fait accompli » va avoir pour « cible … le citoyen
kabyle, sommé de renoncer à ses libertés, mettre ses neurones au
garde à vous, répudier son devoir de lucidité et accepter les exactions,
qui s’annoncent déjà « inévitables », des néo-Pasdarans, véritable
« Armée kabyle du salut ». En fait, pour toi, il vaudrait mieux l’ANP,
la DGSN et la gendarmerie qu’une armée kabyle. Je ne suis pas un
chef militaire et je n’entends pas lever une armée. Mais de moi à toi,
j’accepterais volontiers une armée kabyle sous tes propres ordres à
celle étrangère à la Kabylie.
Je ne suis pas un dictateur et tu le sais mieux que quiconque. Le MAK
sollicite les neurones de chaque Kabyle pour rester en éveil et ne pas
s’empâter dans le confort matériel où l’égoïsme et la corruption
priment sur le combat. Cette autorité sera l’œuvre de la Kabylie qui en
a besoin.
Il n’y aura pas d’indépendance sans autorité. Chacun devrait participer
à sa mise sur pied, volontairement, lucidement par adhésion. Relis les
manuels classiques de philosophie, de Hobbes à Rousseau et tu
trouveras que tu as tort de t’ériger contre la condition sine qua non de
construire une Kabylie souveraine. Ce qui a empêché les Kabyles de
mettre sur pied cette autorité moderne est cette manie qui consiste à
rejeter le pouvoir de son frère kabyle tout en acceptant d’endurer celui
d’un étranger. Désormais, cela va changer. A chaque entreprise ses
exigences. Celle de l’indépendance de la Kabylie commence par
l’instauration d’une autorité. Je suis déterminé à y parvenir.
« Alors que l’arbitraire policier tend à se généraliser, alors que les
procès pour délit d’opinion se multiplient, alors que les agressions
liberticides ont atteint un niveau d’alerte qui soulève l’indignation
unanime, alors qu’un embryon de résistance pacifique commence à
prendre forme », ne penses-tu pas justement qu’il faille proposer en ce
moment-même à la Kabylie de faire preuve non pas de docilité mais
de lucidité, de réalisme sans se départir de sa vigilance, et accepter de
bonne grâce une force de « contrainte » ?
Relis ta sublime phrase et questionne-toi en toute conscience si, ce que
tu dénonces contre Abane, Krim et Amirouche, tu ne serais pas en
train de le pratiquer contre moi ? « Si nul révolutionnaire n’est exempt
d’erreurs, parfois tragiques, il faut relever que dans ce procès en
indignité instruit par des procureurs à gages, aucun baron du pouvoir,
aucun corrompu du sérail, aucun tortionnaire n’a été convoqué dans le
box des accusés », Loin de moi l’idée de te considérer comme un «
procureur à gages », mais dans le procès que tu m’as fait, je ne trouve
nul criminel du régime dans le box des accusés.
Crois-moi, le « troubadour » flamboyant qui a servi, plus que tout
autre, la cause de la liberté, est aujourd’hui le président de l’Anavad,
le gouvernement provisoire kabyle qui promet à la Kabylie non pas
des souffrances, du sang et des larmes pour une cause occulte, mais de
retrouver sa dignité dans la liberté, la démocratie et la fin de
l’arbitraire. Tout est clair !
En te relisant je remarque avec beaucoup de douleur que tu m’as fait
une réponse non pas d’un Kabyle, mais d’un Algérien. Un Algérien
suicide le Kabyle qu’il porte en lui. Moi, en tant que Kabyle, j’en ai
fini avec mon Algérien. Je suis Kabyle et rien ni personne d’autre.
Sans rancune.
Ferhat Mehenni, ton ami pour l’éternité
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