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2 Travail & Sécurité ­­– Février 2012


Forage et exploitation
d’hydrocarbures
Du pétrole et des idées
Le forage et l’exploitation pétrolière
en France métropolitaine sont des activités
méconnues. Pourtant… la filiale française
de Lundin International, société d’exploitation
pétrolière, est présente sur dix gisements
en Champagne-Ardenne et sur cinq
en Aquitaine. Un secteur hors du commun,
avec ses codes et sa propre approche
de la prévention des risques professionnels.
Almodovar pour l’INRS
Gaël Kerbaol/INRS
© Claude

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Du pétrole Les opérations de forage sont


de plus en plus automatisées,

et des idées réduisant les risques liés aux


interventions manuelles.

A
u milieu des champs, le pilote commande les opéra- sous-sol hexagonal abrite des
dans la campagne tions : sa machine extrait d’un gisements pétrolifères, certes
champenoise, sur la stock un tube en acier de 13 m modestes à l’échelle mondiale,
commune de Grandville, dans de long et 13 cm de diamètre, mais qui génèrent une acti-
l’Aube, s’élève une étrange puis le positionne pour qu’un vité pérenne d’exploration et
machine. Des panneaux blancs opérateur le graisse avant de le d’exploitation.
encerclent un mât télesco- visser au précédent tube déjà Sur le site de Grandville, un
pique qui s’élève et s’abaisse : en place. À proximité immé- ambitieux projet est en train
il s’agit d’un puits de forage diate, un puits en exploitation, de voir le jour. D’un montant
pétrolier. Sur la plate-forme de avec une forme de tête de che- de 30 millions d’euros, il s’agit
forage, des opérateurs s’affai- val typique, bascule suivant un du plus grand projet de pros-
rent pour insérer les tubes à la mouvement de balancier régu- pection pétrolière de ces vingt
verticale. Juste à côté, assis en lier. Une vision que l’on s’attend dernières années en France.
cabine et entouré de multiples davantage à trouver au Texas Si le premier puits a été foré
manettes et écrans de contrôle, qu’en Champagne. Pourtant, le sur le site en 1965, le réservoir

© Gaël Kerbaol/INRS

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pétrolifère reste mal connu.
Ce programme de forages vise
une meilleure récupération du
pétrole et une connaissance
approfondie du sous-sol. Le
maître d’ouvrage de ce chan-
tier est Lundin International
(France), entreprise d’exploita-
tion pétrolière. Le forage étant
un autre métier que l’exploi-

© Gaël Kerbaol/INRS
tation, Lundin fait appel à des
spécialistes pour le réaliser. Le
présent forage, qui consiste à
creuser un trou de 20 à 50 cm
de diamètre sur 1 130  m à la
verticale avant de pratiquer
un déport de 600  m pour
Lundin atteindre une cible à 2 430  m
International sous terre, fait appel aux der-
nières technologies.
en bref 3 x 8,
7 jours sur 7
L undin International
est une filiale de Lundin
Petroleum, société suédoise
L’entreprise intervenante,
Cofor, travaille avec une nou-
dont le siège est basé
velle génération d’appareil de
à Genève. Elle emploie
en France 48 salariés et
forage hydraulique, encore
fournit près de 150 emplois nommé « rig ». Il s’agit d’une
permanents à des plate-forme mobile, provisoire.
prestataires externes. Elle L’essentiel des opérations d’ins-
est présente dans le bassin tallation des tubes de forage et
parisien, essentiellement en du train de tiges est désormais
Champagne-Ardenne, sur dix automatisé, sous l’autorité
gisements représentant plus du pilote. Une cinquantaine
de 150 puits d’exploitation, d’opérateurs y travaillent en
et sur cinq gisements en 3 x 8, sept jours sur sept. En
Aquitaine. Le plus important,
termes de conditions de tra-
qui est aussi le siège de la
filiale française, est localisé
vail, que change cette nou-
à Montmirail, dans la Marne. velle génération de foreuses ?
Sa production, autour de « Le rig est moins rapide mais
900 000 barils par an, évite de nombreuses manuten-
constitue environ 15 % de tions », répond Jean Clastre,
la production nationale de superviseur du chantier. Les
pétrole. opérations manuelles et les
© Gaël Kerbaol/INRS

risques associés sont en effet


nettement réduits du fait de
Les pièces en acier manipulées
pour réaliser le forage peuvent
l’automatisation des tâches.
atteindre 13 m de long Une conséquence importante
et peser jusqu'à 120 kg/m. vu le contexte dans lequel

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Un forage pétrolier est


une opération de très
haute technicité.

car le travail demande une


concentration totale à chaque
instant. Il ne faut pas vivre dans
la hantise de l’accident, mais
rester conscient que c’est dan-
gereux. Tous connaissent leur
place sur le rig et sont vigilants
sur la sécurité des uns et des
autres », explique Jean Clastre.
Ces évolutions techniques s’ac-
compagnent néanmoins pour
certains d’une perte de sens du

© Gaël Kerbaol/INRS
métier, du fait qu’il y a moins
de contact avec les pièces et les
outils. Même si ce ne sont pas
ses salariés, Lundin joue un rôle
majeur dans la supervision de
la sécurité sur le chantier. Un
travaillent les opérateurs et film reprenant les consignes de
les dimensions des éléments sécurité et présentant les prin-
qu’ils peuvent être amenés cipaux risques liés à l’activité
à manipuler (tubes d’acier est présenté à l’accueil à tout
mesurant 6, 9 ou 13 m dont le visiteur ou tout intervenant
poids peut atteindre 120 kg par sur le site.
mètre…). « Les gens connaissent
leur métier. Il est vrai que l’on
Exploitation
peut ne plus voir les risques,
Des visites régulières du chan-
tier sont effectuées par le
Le rig, appareil de forage responsable sécurité ou son
hydraulique, fonctionne
en 3x8, sept jours sur sept. assistant. La politique sécurité
Une cinquantaine d'opérateurs de la société est appliquée de
s'y succèdent. la même façon à ce chantier.
© Gaël Kerbaol/INRS
© Gaël Kerbaol/INRS

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Principe d’un forage

U n forage consiste à creuser un trou


de plusieurs milliers de mètres de
profondeur dans la roche. Au bout de
la première tige de forage, un outil Mât
nommé trépan est muni de dents en
acier très dur ou de diamants. Par sa
rotation, il désagrège la roche. Au fil
du creusement, les tiges de forage sont
vissées les unes après les autres pour
permettre l’avancement dans le sous-
sol : c’est le train de tiges. Pour éviter
l’effondrement du trou au cours de son
percement, des tubes de forage creux
sont installés dans la cavité. Ils sont là
aussi vissés les uns aux autres. Pendant
toute l’opération, de la boue de forage
– mélange d’eau et de particules
argileuses solides stabilisées par divers
produits chimiques – est injectée dans
le puits. Cette boue remplit plusieurs
fonctions : elle refroidit l’outil de forage
qui a tendance à s’échauffer lors du
creusement ; mise sous pression, elle
aide le trépan à attaquer la roche et
contribue à nettoyer le fond du puits.
Lors de sa remontée le long du tubage, Pompe
elle ramène à la surface les déblais,
fragments de roche arrachés par le
trépan. Les géologues analysent à
intervalles réguliers certains de ces Tamis
fragments pour connaître la nature à déblai
Remontée de la boue
du terrain et identifier la présence vers la surface
ou non d’hydrocarbures. La boue de
forage consolide également les parois
du trou, elle équilibre la pression Bac à boue
dans le tubage. Sa densité doit être
parfaitement maîtrisée, c’est pourquoi
Tige de forage
elle est contrôlée en permanence : si
elle est trop lourde ou trop légère, Tubage en métal + ciment
Injection de la boue
cela peut avoir des conséquences dans les tiges de forage
désastreuses sur le bon déroulement
d’un forage. En résumé, la boue est un
élément essentiel. Le forage fait appel
à divers métiers annexes : géologues
qui analysent la nature des roches
extraites, ingénieur de mesure des
caractéristiques des boues, cabine Trépan
du déviateur, qui, tous les dix mètres La boue refroidit Pétrole (mèche de forage)
© Amélie Lemaire/INRS

d’avancement du forage, contrôle le trépan et évacue


l’azimut et l’inclinaison de la tige de les déblais à la surface
forage et réajuste l’angle d’avancement
si nécessaire. Ces fonctions d’analyse
sont également décisives.

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Car le cœur de métier de dégazage et une torchère pour risques chimiques, électrique
Lundin se situe en aval de brûler le gaz. Une fois isolée, et mécanique, travail en hau-
ces activités de forage, dans l’huile est stockée dans des teur... Parmi les mesures de
l’exploitation. L’entreprise est bacs avant d’être expédiée par sécurité de base, des grillages
présente sur dix sites comp- un oléoduc souterrain vers séparent la zone vie (bureaux,
tabilisant plus de 150  puits la raffinerie de Grandpuits à réfectoire…) de la zone de pro-
d’exploitation pétrolière en Nangis, en Seine-et-Marne, cess. Des zones non feu, cor-
Champagne-Ardenne. Le prin- à 60 km de là. Le procédé est respondant à des périmètres
cipal est situé à Maclaunay, essentiellement automatisé. de sécurité, sont délimitées
près de Montmirail, dans la Les interventions humaines autour des différentes activi-
Marne. Depuis les unités de à la production concernent tés, comme le déchargement
pompage, le produit brut principalement les opérations de camions. Interdiction d’y
extrait du sous-sol contient de conduite, de mesures et de allumer une flamme ou d’y
du pétrole (également appelé suivi ainsi que les opérations avoir un téléphone mobile en
huile), mais aussi de grosses de maintenance. marche !
quantités d’eau et du gaz. Il Classé Seveso II seuil bas, le
subit un traitement destiné à site de Montmirail – ainsi
séparer ces trois constituants, que tous les sites d’exploita-
Sous-traitants
via un séparateur d’eau libre tion du groupe – est exposé Á ces risques s’ajoute un dan-
et du pétrole gazé, des bacs aux risques industriels « clas- ger particulier : l’intoxication
écrémeurs, une colonne de siques » : incendie, explosion, par dégagement de sulfure

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La sécurité sur le chantier
fait l'objet de visites régulières
du responsable sécurité de Lundin
ou de son assistant.

Opération de contrôle des boues,


un élément décisif dans le bon
déroulement d'un forage.
© Gaël Kerbaol/INRS

© Gaël Kerbaol/INRS

d’hydrogène (H2S). Ce gaz, pré- seul. Les manipulations de d’un homme au pas à proxi-
sent dans le pétrole et dans tubes d’acier, fréquentes, sont mité des puits d’exploitation.
l’eau du process, est mortel à réalisées à l’aide de chariots. La Lundin fait par ailleurs appel
partir d’une concentration de consigne est de ne jamais les à de nombreux sous-traitants
0,1 %. Les opérateurs de pro- accomplir à proximité de per- (transport, entretien, services
duction et les intervenants sonnel. Les travaux en hauteur pétroliers, etc.). Il assure en
dans la zone process portent sont par ailleurs effectués à effet près de 150  emplois
obligatoirement un détecteur l’aide de nacelles. permanents en complément
sur eux. La manipulation de Les déplacements routiers de ses propres salariés. Entre
produits dangereux, comme constituent l’une des grandes 300 et 350  personnes sont
des bactéricides et des acides, sources de risques. Du fait de accueillies chaque année sur le
nécessite également le port la répartition de l’activité sur site. D’où l’importance d’une
d’équipements de protection dix gisements, le personnel information détaillée. Outre
individuelle. Un dispositif de Lundin France cumule un mil- le film d’une vingtaine de
protection des travailleurs lion de kilomètres par an. Sur minutes présenté à toute per-
isolés est porté par chaque chaque site, les déplacements sonne pénétrant pour la pre-
© Gaël Kerbaol/INRS

opérateur amené à intervenir répondent à des règles pré- mière fois sur le site, dont une
cises également : voies pour grande partie est consacrée
À la production, parmi les piétons séparées du flux de aux consignes de sécurité, un
principales interventions humaines véhicules, vitesse limitée à permis de travail obligatoire
figurent les opérations de mesure. 20 km/h, et même à la vitesse est délivré par Lundin à chaque

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Du pétrole
et des idées

intervenant. Deux types de interventions de sous-traitants,


permis existent : le travail par afin de s’assurer du bon dérou-
points chauds (soudage, meu- lement et du respect des règles
lage…) et le travail à froid (dans de sécurité », explique Nathalie
le cadre d’un entretien, par Pingret, secrétaire du CHSCT
exemple, analyse des risques et assistante technique. Des
et définition des moyens rappels sécurité sont ensuite
nécessaires). Des permis com- effectués régulièrement.
plémentaires existent pour Le pétrole est acheminé à
des interventions particulières, Montmirail par camions-
comme des travaux d’excava- citernes depuis neuf autres
tion ou des travaux confinés. gisements. Cela représente
Ils sont remis après vérifica-
tion des habilitations et des
Les opérations de maintenance
compétences des prestataires. réalisées par des sous-traitants
«  Le plus souvent, du person- sont généralement effectuées en
nel Lundin accompagne les présence de personnel de Lundin.

© Gaël Kerbaol/INRS

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La politique sécurité du donneur
d'ordres est appliquée de la même
façon avec les sous-traitants, sur
le chantier de forage.

et environnement. Les risques terrain. Cela génère beaucoup partie des chutes de plain-
sont analysés, cotés par prio- d’échanges et d’idées autour de pied. « Les risques majeurs sont
rité et résolus. « En général, le la table », décrit Valery da Silva, aujourd’hui bien maîtrisés.
plus difficile est de faire remon- general manager. «  Chacun a C’est donc ce type d’accidents
ter les informations du terrain. une mission sécurité, notre poli- qui émerge ensuite », conclut
Avec ce dispositif, on y arrive », tique HSE demande l’adhésion Bernard Pierson.
poursuit-il. Une centaine de de l’ensemble du personnel,
déclarations sont remplies du cadre supérieur à l’opéra-
chaque année, toutes sont teur », précise encore Philippe
Céline Ravallec
analysées. Souvent, les sala- Schneider. Les accidents du tra-
riés ont une bonne connais- vail sont aujourd’hui en grande
sance du poste et suggèrent
© Gaël Kerbaol/INRS

des pistes d’amélioration.


Dans les cas les plus urgents,
des mesures conservatoires
peuvent être prises. Parfois des
modifications lourdes – remise
en état de caillebotis sur les
environ 25 camions par jour. Le excavations, par exemple –
produit subit ensuite le même sont nécessaires sur le terrain,
traitement que celui extrait ce qui demande du temps.
sur place. Afin de limiter le « Mais il est important que le
risque d’explosion, avant de personnel voie les choses se
vider la citerne, les chauffeurs faire, on effectue toujours un
branchent une prise équipo- retour après une déclaration »,
tentielle pour supprimer l’élec- ajoute le responsable hygiène,
tricité statique. Des passerelles sécurité et environnement. Ce
ont également été aménagées dispositif a été long à mettre
pour permettre aux chauffeurs en place mais fonctionne très
de monter en sécurité sur les bien aujourd’hui. « L’entreprise
citernes des camions. ne part pas de l’accident ou de
l’incident, mais plus en amont,
du presqu’accident », souligne
Évaluation constante
Bernard Pierson, technicien-
des risques conseil à la Carsat Nord-Est.
Un système de gestion de Une véritable prévention pri-
la sécurité a été développé maire répondant aux principes
en interne : la déclaration de généraux de prévention, visant
risque potentiel. « Une per- à éviter le risque.
sonne qui constate sur le ter- Bien que ne comptant que
rain une situation générant 48 salariés, Lundin possède un
un risque (barrière fragilisée, CHSCT. « Une de ses forces est
chevilles de fixation sortant du que la population constituant
sol…) est incitée à faire remon- le CHSCT est représentative du
© Gaël Kerbaol/INRS

ter cette information via la


déclaration, qui se présente
Une passerelle aménagée permet
sous forme d’un tableau », aux chauffeurs d'accéder en
présente Philippe Schneider, sécurité sur leur citerne (site
responsable hygiène, sécurité d'exploitation de Montmirail).

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