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en 1971 autour des collectifs de lutte de

DE NOTRE CORRESPONDANTE EN ITALIE l'E.N.E.L., des cheminots, des infirmiers des


hôpitaux ; son origine est donc extra-étudiante.
Viennent les luttes pour « Pautoréduction ».

Les enragés Ricardo Tavani, militant autonome et techni-


cien de l'E.N.E.L., explique : « Il s'agissait
alors pour les consommateurs de réduire eux-
mêmes le prix de l'électricité, du téléphone,

du calibre 38 par exemple en ne payant que la moitié des


factures. Puis nous sommes passés à l'auto-
réduction dans les supermarchés. On allait
dans les quartiers populaires, on avertissait
Ce feu qui couve dans l'Universiié les femmes de faire leur marché comme elles
l'entendaier t ; puis, au moment où elles
italienne, devenue une espèce de bourse du allaient payer, on prenait notre haut-parleur
et on les invitait à autoréduire les prix. C'était
travail pour jeunes sous-occupés une forme de lutte contre la vie chère. »
L'Université n'arrive qu'en 1976.
Le terrain est fertile. A l'Université, les
Etrange mouvement. Etranges étudiants. culturelle — à base de dadaïsme et de bandes gi ouPes _d'extrême gauche et le parti commu-
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Lorsque l'élève sous-officier de police, Setti- dessinées — à un mouvement qui théorisait niste ont une force équivalente, c'est-à-dire
mio Passamonti, 23 ans, tombe sous les balles et qui continue de théoriser le « ghetto » relativement faible. Le reste est à l'abandon.
d'un manifestant, jeudi 21 avril, dans les pa- étudiant comme lieu privilégié pour reven- A Rome, les étudiants sont parqués dans
rages de l'université de Rome, et qu'une main diquer... des privilèges. un alignement de casernes jaunâtres, près de
anonyme trace à la craie, sur le cadavre même, Les autonomes, eux, ne pratiquent guère la gare. Bâtiments vieillots, salés et peu
ces paroles glaçantes : « Ci-gît un flic, l'étudiant l'ironie. Ils sont généralement peu loquaces commodes. En s'ouvrant à la scolarisation
Lorusso (1) est vengé », on a le sentiment, à et méfiants. Mais il faut, à leur sujet, intro- de masse, eh accueillant même les élèves des
Rame et en Italie, que quelque chose d'irré- duire des distinctions. Si la grande majorité lycées techniques, en diversifiant son recru-
versible vient de se passer, qu'un pas a été du mouvement étudiant se reconnaît dans les tement jusqu'aux couches prolétaires des péri-
franchi. Les étudiants seraient-ils devenus des thèmes de l'autonomie — autonomie par rap- phéries, l'Université italienne — plus d'un
criminels ? Ou bien faut-il se rallier à la thèse port aux partis, aux syndicats, aux groupes million d'étudiants — a cessé de garantir l'accès
de la plupart des partis politiques italiens, selon d'extrême gauche, et par rapport à la poli- à un statut social.
laquelle de petits groupes armés cherchent à tique —, elle ne se retrouve guère dans la
« investir le mouvement universitaire en vue militarisation des groupes d'Autonomia « »es charognes »
d'attenter à la démocratie et de « dén °reser operaia (Autonomie ouvrière), qui utilisent, On peut très bien, aujourd'hui, avoir un
la situation italienne » ? à Rome, la destruction et la violence. Si, enfin, diplôme et ne pas trouver de travail, oil
Depuis le 2 février, date du prernir affron- l'Autonomie romaine est la plus dure et la devoir se contenter d'un travail déqualifié.
tement à l'université, Rome, comme la plupart plus militaire, l'Autonomie bolognaise tend, Les étudiants en architecturé savent parfai-
des grandes villes italiennes, semble vivre à un elle, à se rapprocher des « Indiens », et l'Auto- tement qu'ils ne seront pas des architectes
rythme effréné : occupations, charges de police, nomie de Padoue est apparemment plus portée mais de prétendus « opérateurs dii territoire »
assauts, cocktails Molotov, calibres 38, com- sur le culturel. les étudiants en médecine, qu'ils deviendront
mandos, guérillas. Le tout sur fond de slogans : On évalue à deux mille environ les militants des « travailleurs de la santé » (infirmiers,
«Poliziotti, fa fagotto, arriva la compagtza d'Autonomia à Rome. Leur siège, 6, Via assistantes sociales) ; les étudiants en droit,
P. 38 » («• Policier, fais ta valise, la camarade dei Volsci, est à cinq minutes de l'université •qtrils n'exerceront pas la profession d'avocat
P. 38 est arrivée ») ; « Cento fiori sono sboc- trois pièces au rez-de-chaussée d'un immeuble mais celle de « conseiller juridique » au
ciati, sono cent° gruppi armati » (« Cent fleurs populaire, peu de matériel, quelques numéros niveau du quartier. Ainsi, l'Université est
sont écloses, ce sont cent groupes armés ») de « Rivolta di classe »5 leur, journal ; des devenue « le lieu où s'exprime de la manière
« Guai à chi ci tocca, ministro Cossiga ti spa- chaises, des tables et des militants qui commen- la plus aiguë la contradiction entre le niveau
reremmo in bocca » (« Gare à celui qui nous cent à affluer à partir de cinq heures de d'instruction où de qualification et la possi-
touche, ministre Cossiga nous te tirerons dans l'après-midi. Ceux qui fréquentent le siège bilité de trouver un emploi lié aux compé-
la bouche) ; sans oublier : « Le feu, le plomb sont rarement des étudiants mais plutôt des tences acquises... », selon l'expression de Luigi
et les cimetières » qui sont promis à la bour- employés de l'E.N.E.L. (équivalent d'E.D.F.) Mancone, animateur de *la revue « Ombre
geoisie et au parti communiste. A côté de ces ou de la S.I.P. (société des téléphones), ou rosse ». Elle est devenue aussi le lien du
mots d'ordre violents, on en relève pourtant de encore des infirmiers et des brancardiers du travail « précaire ». Dans la révolte de ces
plus pacifiques : « Du vin pour le prolétariat », Policlinico (le plus grand hôpital romain). derniers mois, on trouve rassemblés, explique
ou bien le désormais célèbre e Un éclat de rire Le leader « opérationnel » d'Autonomia, Mancone, toutes les rages, tonies les insatis-
vous enterrera », qui émanent de la frange Daniele Pifano, est d'ailleurs un célèbre tech- factions, tous les désirs mortifiés de milliers
« indienne » du mouvement étudiant. nicien radio du policlinico (célèbre pour avoir de baby-sitters, de vendeurs d'encyclopédies
animé, en 1975-1976, des luttes qualifiées de à domicile, de petits coursiers, huissiers, expé-
"Maquillage « ° l'indienne » corporatives par les syndicats ouvriers). ditionnaires, commis, chauffeurs. L'Univer-
S'il fallait faire une typologie de ce mou- L'infanterie des autonomes, on l'a vile pour sité? Une espèce de bourse du travail pour
vement, les « Indiens métropolitains » devraient la première fois à l'action lors des incidents jeunes sous-occupés.
être rangés à la rubrique « rire et auto- de Piazza Indipendenza, à Rome : les photo- Le terrain est donc fertile pour l'exaltation
ironie ». Ils sont apparus les premiers dans graphes •ont fixé de curieux individus une de revendicaticins corporatives. Comment !
les rues de Rome et de Milan, visages bariolés arme à la main, l'air de policiers en civil. disent la majorité des étudiants, nos parents
ide couleurs ou dissimulés sous une gaze C'étaient des autonomes. Tantôt à visage ont trimé pour nous envoyer ici, et nous
blanche, vêtements flamboyants, allure négli- découvert, tantôt coiffés d'un passe-montagne, n'aurions pas la place qui nous est due dans
gée. Ils ne se déplacent qu'entourés de photo- les autonomes guident désormais les mani- la sotiété ? Au nom de quoi ? Aussi, lorsqu'ils
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graphes, avec leurs guitares et leurs bongos, festations d'étudiants, en organisant des• ont été invités par les syndicats ouvriers à
leurs « wow » en guise de cri de ralliement, débordements latéraux. Leurs armes, outre présenter leur plate-forme, les étudiants n'ont-
leur « scemo » (bouffon), destinés à leurs dé- les classiques barres de fer : des cocktails ils réussi qu'à avancer les revendications sui-
tracteurs, leurs journaux (« Oask » et « Zut ») Molotov, des armes à feu, et même des vantes : « un présalaire s'garanti pour tous
et leurs revendications ironiques et malheu- grenades (comme lors des incidents du les étudiants, indexé sur l'évolution du coût
reuses : « Il n'est. plus suffisant de nous sacri- 21 avril). de là vie, et un logement gratuit pour chacun
fier, il faut nous immoler ». On estime à plusieurs milliers les revolvers d'eux ; plus le « contrôle politique des exa-
Après avoir suscité sympathie et amusement et pistolets actuellement en circulation chez mens » (c'est-à-dire l'assurance d'avoir urilb
— un hebdomadaire de mode a même inventé les autonomes. Comme dit Enzo Modugno, note suffisante pour passer à l'examen suivant).
un maquillage « à l'indienne » pour les bour- assistant de logique à l'université, et l'un des Guère de volonté de réforme de l'Université,
geoises romaines —, ils ont été écrasés par théoriciens de l'autonomie : « // y a désormais de la société encore moins, P-essentiel demeu-
le déchaînement de la violence des « auto- trois types d'étudiants : ceux qui ont peur et rant la défense d'un droit acquis.
nomes ». Leur révolte, mi-« situationniste » qui ne viennent plus à l'université ; ceux qui Ce type de revendication cherche sa justi-
mi-« freak », a tenté de donner une dignité tendent l'autre joue ; beux qui achètent un, fication dans le refus de l'austérité et dans la
(1) L'étudiant Francisco Lorusso, tué le revolver. » référence à la « théorie des besoins ». Un
11 avril à Bologne. Autonomia a commencé à se développer besoin, disent les étudiants, doit être satisfait

56 Lundi 2 mai 1977

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