DES GROS CHATS ET UNE; SOURIS
Faire peur et humilier
sont « implantés » à l'angle du boulevard
Saint-Michel et du boulevard Saint-Ger-
main, le long des grilles du jardin de Cluny,
place Saint-Michel et sur le quai de Mon-
tebello, derrière l'îlot Saint-Séverin. Tous
sont casqués, armés de bidules ou de
fusils lance-grenades, plusieurs portent des
boucliers de plastique transparent, certains
ont sorti des grenades de leur musette
kaki pour les accrocher à leur ceinture, ou
aux poches de leur vareuse.
La surveillance du secteur Saint-Ger-
main-des-Prés a été confiée aux C.R.S. Ré-
partis dans six cars et six voitures de
reconnaissance, les effectifs de plusieurs
sections sont en position place Saint-
Germain-des-Prés et le long du boulevard
Saint-Germain, à l'angle de la rue du Four.
Les gendarmes mobiles sont plus disper-
sés : trois cars sont en réserve, près du
Panthéon, devant le commissariat central
du 5° arrondissement. Trois autres sta-
tionnent quai aux Fleurs. Neuf, de l'autre
côté de la Seine. Enfin, trois derniers cars
sont alignés près des véhicules de la police
parisienne, sur la place Saint-Michel. Les
gendarmes, eux, sont en tenue de maintien
de l'ordre, pantalon et blouson de toile
bleu et noir, rangers et casque. Ils sont
armés de mousquetons et de fusils lance-
grenades. Mais tout ce dispositif serait
aveugle et sourd sans ses antennes. C'est-à-
dire sans ses informateurs, policiers en civil
qui sillonnent le quartier à pied ou à bord de
voitures banalisées (« Simca 1100 », « Simca
1300 », « R 12 », « R 8 »). Leur mission
transmettre au responsable de l'opération,
à intervalles réguliers, par talkie-walkie, les
« physionomies » du secteur qu'ils sont
chargés de surveiller : densité de la foule,
nature, importance et cause des attroupe-
ments, présence d'individus jugéS suspects,
incidents divers.
22 h 15 : les policiers sont là mais le
quartier reste calme. Un avaleur de feu a
remplacé le joueur de flûte indienne dans
l'îlot. Place de l'Odéon, deux hmsiciens de
jazz se font acclamer en jouant Sydney
Bechet, un unijambiste s'essouffle sur son
clairon, tout à côté, le bide.
EirgB0 igeoîLki ffeo geoz eg eo
C'est parti. Les portières des cars
s'ouvrent : nerveux, excités, visiblement ra-
vis pour certains, les membres, des compa-
gnies de district sautent sur le bitume. Ils
courent rue de la Huchette; rue Saint-
Séverin, rue de là Harpe. Le grand jeu. Le
chat et la souris. Quelques grenades lacry-
mogènes. Dans leur course, les flics tapent
sur leur bouclier en plastique, gueulent, in-
jurient. Il s'agit d'impressionner. Au
même moment, les éléments stationnés
quai de Montebello bloquent les gens qui
galopent vers la rue Saint-Jacques.
Des clients quittent une pizzeria, même
pas au courant de l'incident cocktail Molo-
tov ; les voilà obligés de se protéger, de
décamper sous une pluie de bidules. En
moins de dix minutes, l'îlot Saint-Séverin
est nettoyé, toutes les rues barrées. Les
gendarmes mobiles tiennent les points
fixes, les brigades d'intervention, « les
court-vite », chargent les ;trottoirs et
piquent des sprints. Aucun militant poli-
tique dans le secteur. Instruits par les inci-
dents des semaines précédentes, ils pré-
fèrent déserter le quartier le samedi soir.
Les lanceurs de cocktails se sont évaporés.
A partir de 22 h 45, les manifestants,
22 h 30 : le premier hululement. Une
fourgonnette Peugeot grise « J 7 » de la
police dévale le Boul'Mich'. Sur le trottoir,
une demi-douzaine de jeunes — sortis
d'où ? —, foulard noir sur le visage, mar-
chent à grands pas, se retournent en enten-
dant la sirène, se rapprochent de la chaussée,
lancent un cocktail Molotov lorsque le
fourgon les dépasse et s'éclipsent.
ceux qui troublent l'ordre public, ce seront
les policiers.
Pour un incident qui réclamait une opé-
ration de cinq minutes, ils vont semer la
panique dans tout le quartier jusqu'à mi-
nuit ! Une e courette » vers la bouche du
métro, les coups tombent par-dessus les
grilles, tant pis pour les têtes. Premiers ac-
crochages avec les journalistes. Michel
Puech, de Fotolib, brassard de presse au
bras, recharge son Nikon, une matraque
s'abat sur l'appareil et écrase la main du pho-
tographe. Philippe Gaumy, de Gamma,
subit le même traitement. Vengeur, un po-
licier, boudiné par ses sangles, l'apos-
trophe : « Fallait faire des photos quand
ils nous lançaient des bouteilles d'essence.
Quand donc comprendrez-vous que le
quartier, c'est notre territoire ! »
Faire peur et humilier : à l'angle de la
rue Saint-Jacques et de la rue de la Huchette,
un lycéen perd son écharpe. Délicatement,
un flic la ramasse et la dépose, en rigolant,
dans le caniveau où coule un filet
d'eau dégueulasse. Boulevard Saint-Michel,
23 heures, devant le café « le Lutèce », un
couple traverse la rue Francisque-Gay. Ils
Le Nouvel Observateur 43