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JACQUES DERRIDA

GLAS

rtÉDITIONS GALILÉE
Il a été tiré de l'édition originale de cet
ouvrage quarante-cinq exemplaires hors
commerce numérotés de l à 40.

628853

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation


réservés pour tous les pqys,y compris l'U.R.s.s.
© Éditions Galilée, 1974
9, rue Linné, 75005 Paris
ISBN 2.-7186-0015-2.
quoi du reste aujourd'hui, pO:trt/1Îous, ici, maintenant, « ce qui e~t resté d'un Rembrandt déchiré enp~t~ts .
d'un Hegel? :./' ,/
Pour nous, ici, maintenant: voilà ce qu'on n'aura pu .iar:~és.
bien régIJliers, et foutu aux chiottes » se divise
désormais penser sans lui. en deux.
Pour nous, ici, maintenant : ces mots sont des cita-
tions, déjà, toujours, nous l'aurons appris de lui. '

Qut,. l ut.';> Comme le reste.

,:;;So.l1 nom e~~;.s:î~t(a.ngeJ!ne l'aigle il tient la puissance


impériale ou/historique. Ceux qui le prononcent encore
à la française, il y en a, ne sont ridicules que jusqu'à Deux colonnes inégales, disent-ils, dont chaque
, un certain point: la restitution, sémantiquement infaillible, - enveloppe ou gaine, incalculablement renverse,
pour qui l'a un peu lu, un peu seulement, de la froideur retourne, remplace, remarque, recoupe l'autre.
magistrale et dg. sérieux imperturbable, l'aigle pris dans la
glace et le g~r; L'incalculable de ce qui est resté se calcule,
Soit ainsi figé le philosophe emblémi. élabore tous les coups, les tord ou les échafaude
en silence, vous vous épuiseriez plus vite à les
Qui, lui? L'aigle de plomb ou d'or, blanc ou noir, n'a
pas signé le texte du savoir absolu. Encore moins l'aigle compter. Chaque petit carré se délimite, chaque
rouge. D'ailleurs on ne colonne s'enlève avec une impassible suffisance
Sa sera désormais le sigle du savoir absolu.
Et l'IC, notons-le déjà puisque les deux por- sait pas encore si Sa est et pourtant l'élément de la contagion, la circulation
tées se représentent l'une l'autr'e, de l'Im- un texte, a donné lieu
maculée Conception. Tachygraphie propre- à un texte, s'il a été infinie de l'équivalence générale rapporte chaque
ment singulière: elle ne va pas d'abord à
disloquer, comme on pourrait croire, un écrit ou s'il a écrit, fait
phrase, chaque mot, chaque moignon d'écriture
code c'est-à-dire ce sur quoi l'on table écrire, laissé écrire. (par exemple « je m'éc... ») à chaque autre, dans
trop,. Mais peut-être, beaucoup plus tard et On ne sà:it pas en-
lentement cette fois, à en exhiber les
core s'il s'est laissé en- chaque colonne et d'une colonne à l'autre de ce
bords
seigner, signer, ensi- qui est resté infiniment calculable.
gner. Peut-être y a-t-il une incompatibilité, plus qu'une
contradiction dialectique, entre l'enseignement et la
,signature, un magister et un signataire. Se laisser penser
< et se laisser signer, peut-être ces deux opérations ne A peu près.
peuvent-elles en aucun cas se recouper.

Sa signature, comme la pensée du reste, enveloppera Il y a du reste, toujours, qUl se recoupent,


ce corpus mais n'y sera sans doute pas
reste à penser : ça ne
comprise. deux fonctions.
s'accentue pas ici
maintenant mais se Ceci est - une légende.
sera déjà mis à Non pas une fable: une légende.
l'épreuve de l'autre
Non pas un roman, un roman familial
côté. Le sens doit
répondre, plus ou puisque s'y agit la famille de Hegel, L'une assure, garde, assimile, intériorise,
moins, aux calculs de mais une légende. idéalise, relève la chute dans le monument. La
ce qu'en termes de
gravure on appelle
Elle ne prétend pas donner à lire chute s'y maintient, embaume et momifie, monu-
contre-épreuve le tout du corpus, textes et desseins de
Hegel, seulement deux figures. Plus mémoris~) s'y nomme - tombe. Donc, mais
justement deux figures en train de s'effacer: deux passages. comme chute, s'y érige.

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Deux passages très déterminés, partiels, particuliers, L'autre - laisse « Catachrèse, s.f. 1. Trope par lequel
deux exemples. Mais de l'essence l'exemple se joue peut- un mot détourné de son sens propre
être.
tomber le reste. Ris- est accepté dans le langage commun
quant de revenir au pour désigner une autre chose qui a
quelque analogie avec l'objet qu'il
Premier passage : la religion des fleurs. Da~s. la même. Tombe exprimait d'abord; par exemple, une
Phénoménologie de l'esprit, le développement de la religlOn deux fois les colon- langue, parce que la langue est le
naturelle a comme toujours la forme d'un syllogisme: le principal organe de la parole arti·-
moment médiat, « la plante et l'animal », comporte une nes, les trombes - culée; une glace [ ...] une feuille de
religion des fleurs. Celle-ci n'est pas même un mon:.ent, reste. papier [ ...]. C'est aussi par catachrèse
une station. Elle s'épuise presque dans un passage (Uber- qu'on dit : ferré d'argent; aller à
gehen) J un mouvement évanouissant, l'effluve flottant au- cheval sur un bâton. [ ...] 2. Terme de
dessus d'une procession, la marche de l'innocence à la musique. Dissonance dure et inusitée.
culpabilité. La religion des fleurs serait innocente, la E. KIX't'&;œIJO'~c;, abus, de XIX't'IX, contre,
Peut-être le cas et Xp'ÏjO'tC;, usage.
religion des animaux coupable. La religion des fleurs
(l'exemple factuel en viendrait d'Mrique, mais surtout de
(Fall) du seing.
l'Inde) ne reste pas, ou à peine, elle procède à sa propre Si Fall marque le Catafalque, s.m. Estrade élevée, par
honneur, au milieu d'une église, pour
mise en culpabilité,·· à sa propre animaHsation, au devenir cas, la chute, la déca- recevoir le cercueil ou la représen-
coupable et donc sérieux de l'innocence. Et cela dans la
mesure où le même, le soi-même (Selbst) n'y a pas encore
dence, la faillite ou tation d'un mort [ ...] E. Ital. catafa/co;
bas-lat. catafaltus, cadafaldus, cadaf-
lieu, ne se donne, encore, que (dans) sa représentation la fente, Falle égale falle, cadapallus, cadaphallus, chafal-·
. (Vorstellung). « L'inno- piège, trappe, collet, lus. Cata est selon Du Cange le bas-
« Die Unschuld der B/umenreligion, die cence de la religion des latin catus, machine de guerre appelée
our selbstlosé Vorstellung des Selbsts ft '. 1 la machine à vous
ist, geht in den Ernst des kampfenden Le- eurs, qUI e.st seu eme~t chat d'après l'animal; et selon Diez
bens, in die Schuld der Tierreligion, die représentatIon de SOl- prendre par le cou. catare, voir, regarder; du reste, fina-·
Ruhe und Ohnmacht der anschauenden In- même sans le soi-même lement, ces deux étymologies se
di~id~alitat in das zerstorende Fürsich- p S d ns le sérieux d; confondent, vu que catus, chat, et
semuber.» as.e a • . ' catare, regarder, ont le même radical.
la VIe agorustlque, dans
Reste faleo, qui, vu les variantes du
la culpabilité de la religion des animaux,. la quiétude et
bas-latin où le p se montre, ne peut
l'impuissance de l'individualité contemplative passe dans être que le mot germanique balk
l'être-pour-soi destructeur. » (voy. balcon). Catafalque est le
même mot que échafaud (voy. ce
Deuxième passage: mot).
toujours regarder de cÔté vers l'Inde pour la colonne phallique de
suivre ce passage énigmatique, qui passe Le seing tombe.
très mal, entre l'Extrême-Occident et l'Inde. L'Esthétique en
l'Extrême-Orient. L'Inde, ni l'Europe ni la décrit la forme au cha- Cataglottisme, s.m. Terme de littéra-
Chine. Sorte de goulot d'étranglement pitre de l'Architecture in-
historique. Resserré comme Gibraltar, ture ancienne. Emploi de mots recher-
« roc stérile et dispendieux », colonnes dépendante ou symbolique. chés. E. KIX't'lXyÀ<il't''t'tO'ILèlç, de xlX't'œ,
Elle se serait propagée
d'Hercule dont l'histoire appartient à celle indiquant recherche, et yÀOOO'O'lX, mot,
de la route des Indes. En ce détroit un peu
vers la Phrygie, la Syrie, langue (voy. glose). » Littré.
louche, le panorama est-ouest-eurafrique Les ALe sonnent, claquent, éclatent,
la Grèce où, au cours
se rétrécit infiniment. Point de devenir. Le reste est indi- se réfléchissent et se retournent dans
des fêtes dionysiaques,
La pointe rocheuse a souvent changé de
nom, néanmoins. Le promontoire s'est
selon Hérodote cité par
cible, ou presque : tous les sens, comptent et se décomp-
appelé Mons Calpe, Notre-Dame-du-Roc, tent, ouvrant - ici - dans la pierre
Djebel Tarik (Gibraltar') Hegel, les femmes ti- non par approxima-
de chaque colonne des sortes de judas
raient le fil d'un phallus tion empirique mais à incrustés, créneaux, jalousies, meur-
qui se dressait alors en l'air, « presque aussi grand que le trières pour voir à ne pas se laisser
reste du corps ». A l'origine, donc, les colonnes phalliques
la rigueur indécida-:-
emprisonner dans le colosse, tatoua-
de l'Inde, énormes formations, piliers, tours, plus larges ble. ges dans la peau plissée d'un corps

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à. la base qu'au sommet. Or au départ - mais comme phallique ne se donnant jamais à lire
Entre les mots, qu'à bander, légendes aussi pour les
un départ de lui-même se départit
entre le niot lui-
là, derrière l'absolu dé"
Ja - ces co1 onnes' etalent
" pierres du Balcon ou du boxon. Irma
d'un déjà, qu'y,.a-t-il 1!ltactes, représente au chef de la police que
inentamées, lisses. Et c'est seulement même qui se divise
son « image n'accède pas encore aux
plus tard (er st spater) qu'on y pratique, dans le flanc, si en deux (nom et liturgies du boxon ». Il proteste :
l'on peut dire, des entailles, excavations, ouvertùres « Mon image grandit de plus en plus,
(OfJnungen und Aushô'hlungen). Ces creusements, ces trous, verbe, cadence ou
je t'assure. Elle devient colossale.
ces marques latérales en profondeur seraient comme sur- érection, trou et [Comme le « phallus géant », le
venues à. des colonnes phalliques d'abord introuées ou pierre) faire passer la «chibre de taille» dont on lui conseil-
apparemment introuables. On y plaçait, nichait, insérait, lera, à ce flic en chef, de prendre plus
encastrait, enfonçait, tatouait des images des dieux tige très fine, à peine loin la forme]. Dans chaque cloison tu
(Gotterbilder) . Ces petites cavernes ou poches latérales visible, l'insensible as dissimulé des judas. Chaque mur,
sur le flanc du phallus annonçaient, les petits temples chaque miroir est truqué [...] Ce
d'un levier froid, n'est pas moi qui t'apprendrai que
portatifs et hermétiques des Grec~,.comme elles entamaient
le modèle de la pagode qui n'est pas encore tout à. fait une d'un scalpel ou d'un les jeux du bordel sont d'abord jeux
de glace... » Si vous avez pu faire
habitation et qui se distingue par la séparation entre la style pour énerver le tour de cette colonne, vous revien-
coquille et le noyau ( Schale und Kern). Milieu à. peine puis délabrer d'énor- drez vers Le balcon, pour y lire
déterminable entre la colonne et la maison, la sculpture (<< L'envoyé : Ce qui compte, c'est
mes discours qui la lecture ou l'Image. L'Histoire fut
« Hauptsachlich in Indien nun gingen von dieser Art der
Verehrung der Zeugungskraft in der Form der Zeugungs-
finissent toujours, le vécue afin qu'une page glorieuse soit
glieder auch Bauwerke in dieser Gestalt und Bedeutung déniant plus ou écrite puis lue. » Plus loin, Roger
aus; ung~heur~ ~auleDar:tigç .Gebilde, aus Stein, wie reprend la phrase et ajoute : « Ce
T'ürme massfv aufgerkhtet, unten br'êiter ais oben. Sie moins, par'l'attribu- qui compte, c'est la lecture » [... ]
warëî1 'ûrsprünglich für sichselber Zweck, Gegenstande
der Verehrung, unef ers(spater fing man an, Offnungen tion d'un droit d'au- Carmen : « La védté : que vous
un'd'Alfstiohhingç.ndarin zu machen und Gëtterbilder êtes mort, ou plutôt que vous
hinein'zustel ién; was sich noch in den griechischen Hermen teur « ça me n'arrêtez pas de mourir et que votre
portativen Tempelhauschen, erhalten hat. Den Ausgangs-
punkt aber bilden in Indien die unausgehëlten Phallus"
revient », le seing image, comme votre nom, se réper-
cute à l'infini ») à travers les
saulen, die sich spater erst in Schale und Kern teilten est à moi. «pierres »qui «disent », qui «tu-
und zu Pagoden wurden. »
toient », la mort debout, le claque,
Correspondances: le moment qui suit immédiatement et
la religion des fleurs et les colonnes phalliques, les rele-
Enjeu de la
le son des cloches, l'apothéose, la
vant en quelque sorte aussitôt, c'est le Memnon, la signature--- a-t-elle tombe comme socle, le mausolée, le
colossale statue résonnante (kolossale Klangstatue) qui cou du prélat, la dégringolade de
produit un Klang sous l'incidence des rayons solaires. lieu? lequel? com-
Le Klang annonce la fin dë la' religion des fleurs et des l'Immaculée Conception, etc., les
colonnes phalliques, mais ce n'est pas encore une voix ou ment? pourquoi? lettres et les marches de « gloire ».
un langage. Cette lumière vibrante, sonore, retentissant pour qui? -- dont De ce qui claque ici . - et décompose
comme sur une cloche de pierre n'est déjà plus muette, le cadavre du mot (baie, talc, algue,
mais pas encore parlante (nur Klang und nicht Sprache). il sera traité prati- éclat, glace, etc.) dans tous les sens,
On peut vérifier les correspondances structurales entre
toutes les descriptions du Klang dans l'Esthétique, la Phé- quement, en passant: c'est la première et dernière fois que,
noménologie de l'esprit, la Philosophie de la nature, etc. pour l'exemple, vous êtes ici comme
préliminaire indis- prévenu de ce texte. Vous devrez faire
et l'architecture. pensable à l'explica- le reste du travail seul et vous accuser,
On ne peut donc y loger. Quoi que ce soit, mort ou comme lui, comme qui écrit, dans
vif. Ce n'est ni une maison ni une sépulture. Qui contemple tion de la formalité votre langue . Au moins. « Peut-être
une telle structùre, qui le peut, on se le demande. Et (par exemple « litté- voulais-je m'accuser dans ma langue. »
comment: un autel, un habitat ou un monument funé- Il vous faudra aussi travailler comme
raire ») avec tous les
raire, un urbanisme ou un mausolée, la famille et l'Etat un organiste le mot de langue
peuvent y trouver leurs origines. juges musclés qui
Mettons - coup de dé - que j'aie déjà choisi ces l'interrogent depuis des instances apparemment

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deux passages si resserrés, cet angle ou cet étrange détroit extrinsèques (question du sujet - biographique,
pour introduire, strictement, au nom de Hegel.
Einjührung, comme disent les philosophes allemands, historique, économique, politique, etc. - classé).
'\~)introduction dans Hegel. Einjührung commande l'accusatif Quant à la textualité générale, le seing représente
ô\'\ et indique donc le mouvement actif de pénétration. Ne pas peut-être le cas, le lieu de recoupement (topique
se tenir ici à la lisière du fourré hegelien. Ne pas s'arrêter
aussitôt à toutes les difficultés, intrinsèques ou extrin- et tropique) de l'intrinsèque et de l'extrinsèque.
sèques, intrinsèquement extrinsèques - et supplémen-
taires - que suscite la décision d'un tel coup. Il y a eu Emarger, l'opération incessante : signer en
beaucoup d'introductions en Hegel, qu'on peut se procurer
dans le commerce; et le problème de l'introduction à la marge, échanger le nom contre un revenu, rogner,
philosophie de Hegel, c'est toute la philosophie de Hegèl : essayer de réduire la marge et se laisser précipiter
déjà posé partout, en particulier dans ses préfaces et avant- dans les angles ,- cadre dédaléen.
propos, introductions et concepts préliminaires. On se
trouverait donc, déjà, entraîné dans le cercle du commen-
cement hegelien pour y patiner ou déraper sans fin. Je Cas et recoupe. Que reste-t-il d'une signature?
marque la décision et interromps le vertige d'une règle
fictive: cette opération -le glas du Sa, le glas comme Sa
: - s'adresse à qui n'a pas encore lu ou entendu Hegel, ce Premier cas: elle appartient: au dedans de ce
qui est peut-être la situation la' plus générale, en tous cas (tableau, relief, discours, etc.) qu'elle est censée
, la" mienne ici maintenant. signer. Elle est dans le texte, elle ne signe plus,
Pour t.ravailkf au nom, de~_Hege.l,.RQlJ!" l'ériger, le
temps d'une cérémonle~--f'aCchoisi d~,._Ür.e.r. ..s1:lr····un--fil. elle opère comme un effet à l'intérieur de l'objet,
Il va paraître trop fin, étrange et fragile. C'est la loi de la joue comme une pièce dans ce qu'elle prétend
famille: de la,fa!l1!ne.,cleH~g(!~" dé! "la fap:1ÏII~c.hezH,egel, s'approprier ou reconduire à l'origine. La filiation
du concept cIe famille seJ9gf:I~ge.l~
Dans les gra:iids exposés de l'Encyclopédie ou des se perd. Le seing se défalque.
Principes de la philosophie du droit, l' « esprit objectif » se
développe en trois moments, le droit abstrait (Recht), la
moralité (Moralitat) , la Sittlichkeit, qu'on traduit de
diverses façons (éthique, moralité objective, bonnes Deuxième cas : elle se tient, comme on croit
mœurs) et que je n'essaierai pas de traduire à mon tour. en général, hors texte. Elle émancipe aussi bien
Ge raconterai un jour, ailleurs, pourquoi j'aime ce mot
allemand.) Or à l'intérieur de la Sittlichkeit, troisième terme
le produit qui se passe d'elle, du nom du père ou
et moment de synthèse entre l'objectivité formelle du droit de la mère dont il n'a plus besoin pour fonctionner.
et la subjectivité abstraite de la moralité, un syllogisme se La filiation se dénonce encore, elle est toujours
développe à son tour.
I"epremier terme en est la famille.
trahie par ce qui la remarque.
Le second, la 'société Civile ou bourgeoise (bürgerliche
Gese!lschaft) . Dans ce double cas se recoupe la perte sécrétée
Le troisième, l'Etat ou la constitution de l'Etat du reste. Il n'y aurait que de l'excrément. Si l'on
(Staatsverfassung) .
Avant même d'analyser ces syllogismes dialectiques voulait presser, tout le texte (par exemple quand
et l'architectonique à laquelle ils donnent lieu, on voit il se signe Genet) se rassemblerait dans tel « cercueil
l'enjeu et l'intérêt de ce moment familial. Son interpréta-
vertical » (Miracle de la rose) comme l'érection
tion engage immédiatement toute la détermination hege-
lienne du droit d'un côté, du politique de l'autre. Sa place d'un seing. Le texte r(est)e - tombe, la signature
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est telle dans la structure et dans le développement du r(est)e - tombe - le texte. La signature reste
système, dans l'encyclopédie, la logique et l' onto-théolo-
gique hegelienne que les déplacements ou les désimplica- demeure et tombe. Le texte travaille à en faire son
tions dont il sera l'objet ne sauraient avoir de caractère deuil. Et réciproquement. Recoupe sans fin du
simplement local. nom et du verbe, du nom propre et du nom
Avant de tenter une interprétation active, voire un
déplacement critique, à supposer que cela soit rigoureuse- commun dans le cas du rebut.
ment possible, encore faut-il déchiffrer patiemment ce
texte difficile et obscur. Si prélim!1:laire soit-il, un tel Le grand enjeu du discours je dis bien
déchiffrement ne peut êtrçc . n~trê··ët passif. Il intervient
violemment, au moins S'ôlis une forme minicla-fê:TëèliolX discours - littéraire : la transformation patiente,
èlecelieuét· âeèe momeptJ~f.atl1ille.,.~,a~s lasy§!~matique rusée, quasi animale ou végétale, inlassable, monu-
hegelienne. mentale, dérisoire aussi mais se tournant plutôt
Ce choix est loin d'~!E~ig!l9.~~nt. Il ne tient pas seule-
mentà'desarrièrè:'pensées théoriqlles) sans doute aussi en dérision, de son nom propre, rchus, en choses,
à de~.}Eo~y~~:ions)!l~QÏls~ç~~1it~i'qp,~il.Jautmettre. en jeu en nom de choses. La chose, ici, serait la glace
e.t...autravail, sans qu'aucune théorisation préalable en dans laquelle prend le chant, la chaleur d'une
soit possible.
Le concept de famille s'inscrit: très rigoureusement appellation qui se bande dans le nom.
dans le système : dans ces formes finales et postérieures à
la grande Logique que sont l'EncycloPédie et les Principes Genet a souvent feint de définir l'opération
de la philosophie du droit. Faut-il limiter l'analyse à
cette mise en place finale et systématique? « magni:fiante » de son écriture par l'acte de nomi-
On peut la limiter de deux manières. En se conten- nation. L;allégation en paraît assez fréquente pour
tant de faire tràvailler ces derniers textes ou en considé- que nous puissions y suspecter quelque effet de
rant que tout ce qui précède nous est lisible comme un
développement téléologiquement o1:!e1).té, ...s.ans .• tupture, rengame.
sans déplacement: essentiel, vers cet accomplissement
final.
On peut rêver d'un détroit entre ces deux limites qui
à dire vrai n'en font qu'une. Mais il n'y a pas de solution Qu'est-ce qu'une rengaine?
pure, de solution de principe à un tel problème.
Ce qu'il en reste toujours d'irrésolu, d'imprati-
cable, d'innormal ou d'innormalisable, voilà ce qui nous
intéresse et nous contraint ici. Sans nous paralyser mais L'acte de nomination « magni:fiante », en quoi
en nous forçant à la démarche : zigza- consiste-t--il? donner à un nom propre la forme
par à-coups, saccades, guante, oblique de surcroît, heurtée par
petites secousses suc- d'un nom commun? ou l'inverse? Dans les deux
cessives, en touchant la rive qu'il s'agit d'éviter, comme un
aux bords appaœil au cours d'une manœuvre dif- cas l'on dénomme, mais dans les deux cas est-ce
ficile. approprier, exproprier, réapproprier? Quoi?
Nous ne pouvons pas feindre de commencer par le;'
commencemèntëhronoI6gi<fûe, à. peu . près. parLdi/i{!l~!
Jésus .; aucun sens à privilégier ici la loi du déroulement l
~~mpote,LQu narratif qui n'a précisément aucun sens
interne et conceptuel. C'est déjà là urie résonance de Qu'est-ce qu'une chose? Qu'est-ce que le nom
l'ens.,(!igg.e.ment de Hegel. Et à''1iliriûtë;rilêffië' si nous
acceptions de procéder ainsi, il faudrait quelque part de chose?
II
anticiper, fût-ce la fin d~,J{~i:~mière phrase du premier Laissons tomber
texte. ' « J'étais chaste.
La généalogie ne peut commencer par le père.
pour l'instant son cas « Armand était en voyage. Encore que
j'entendisse parfois qu'on l'appelât
L'anticipation ou la précipitation (risque de précipice personnel. Quand de noms différents, nous garderons
et de chute) est une structure irréductible de la lecture. Et Genet donne des celui-ci. Moi-même n'en suis-je pas,
la téléologie n'a pas seulement ni toujours le 'caractère avec celui de Jean Gallien que je porte~
apaisant qu'on veut lui prêter. On peut l'interroger, la
noms, il baptise et
aujourd'hui, à mon quinze ou sei-
dénoncer comme un leurre ou un effet, mais on ne peut dénonce à la fois. Il zième nom? »
en réduire la menace. t donne le plus : le Il faudra creuser l'arbitraire de ce

~_~,-~~~~~~~::l~~~~~~~~,:~,~~~~::~~tls,$~,:"ttQ.l:~Y;~~~'}~~:g!~~\:~~:. nom n'est pas,


nom - Gallien - sinon de ce sigle
J.G. Et si ce pseudonyme hasardeux
E~l ,posant la nécessité téléologi9.~~ _~,!,efJet.1J:9?s ." semble-t-il au pre- formait comme le prénom matriciel
du texte?
sommésaefr qafl~. H~geL De cettëptdpdsitid:tf il:h'a:faii mier abord, une Quant au sigle, dans Pompes funèbres,
qûëdéployerpuissamment la conséquence.
Nous ne pouvons donc ni éviter ni accepter en prin- chose qu'on ren- c'est J.D. Jean D. « L'écusson avec
D majuscule brodé d'argent avait été
cipe l'anticipation téléologique, ni accepter ni éviter en contre dans la nature pour un jour le blason de la famille. »
principe le retard empirico-chronologique du récit. ou qu'on acquiert [ ...] « Mon contact avec le concret
Démarche bâtarde. ... blesse cruellement ma sensibilité :
y a-t-il une place pout:;re bâtard dans l' onto-théolo- dans le commerce. Il
l'écusson noir orné de la lettre « D »
gique ou dans la famille'Jhegelienne? Question à laisser paraît produit, une brodée d'argent que je vis sur le
de côté, à tenir en marge ou en laisse quand on entre dans seule fois, d'un acte corbillard ... » Le D majuscule à qui
une vraie famille ou dans la famille de la. vérité. Sans doute il échoit de représenter le nom de
n'est-elle pas si extérieure à la question du Klang,. du sans passé. Il n'y a famille ne revient pas forcément au
moins son extériorité presse-t-elle vers le centre de la pas de présent plus père. Il intéresse en tous cas la mère
question une autre extériorité, sans correspondre avec le et c'est elle qui bénéficie de son titre,
pur, de générosité « la mère était anoblie par cet écusson
concept hegelien d'extériorité.
Chemin bâtard, donc, qui devra feindre de suivre plus inaugurale. Mais portant le D majuscule brodé d'ar-
gent. »Quant à celui qui organise les
naturellement le cercle de la famille, soit pour y entrer, don de rien, d'au·- Pompes funèbres - c'est-à·,dire litté-
soit pour le partager, soit pour le partager comme on cune chose, tel don raires - de J.D., dira-t-on que c'est
prend part à une communauté, à une cène, soit pour le l'auteur, le narrateur, le narrataire,
partager comme on fait en dissociant. s'approprie violem-, le lecteur, mais de quoi? Il est à la
Je n'en dis pas plus sur la procession ou la méthode. ment, il harponne, fois le double du mort (colossos) ,
Comme dirait Hegel, elle parlera d'elle-même en mar- arraisonne ce qu'il qui reste vivant après lui, son fils,
chant. mais aussi son père et sa mère. « Plus
Je commence par l'amour. paraît engendrer, il grand et plus rond montait dans
Ce concept ne laisse pas beaucoup de place au bavar- pénètre et paralyse mon ciel l'astre de l'amitié. j'étais
enceint d'un sentiment qui pouvait,
dage, malgré l'apparenée, ni à la déclaration. d'un coup le dona-
Il est construit dans la troisième partie de la Philo- . .. ,
taire alflsl consacre.
sans que je m'en étonne, me faire
accoucher dans quelques jours d'un
sophie du droit, celle qui traite de la Sittlichkeit, après que être étrange, mais viable, beau à
les deux premières parties aient traité respectivement du Magnifié, celui-ci de- coup sOr, car la paternité de Jean
droit abstrait et de la moralité. La Sittlichkeit relève, en
vient un peu la chose m'était un fier garant. »
s'en départis sant, la Moralitëit. Ces deux mots sont diffi- II a toujours eu peur qu'on lui vole
ciles à traduire et: même, en tant que mots, sinon en tant de celui qui le nom- sa mort et comme cela ne saurait
que concepts, difficile à distinguer. Hegel s'explique ici me ou le surnom-, manquer d'arriver à qui n'en a qu'une,
sur un certain arbitraire. Et il s'en explique de manière à me, surtout si c'est
il a d'avance occupé tous les lieux où
montrer: 1. qu'il tenait à".distingue!..J<::,.~!ggi.fiapt,du ça meurt. Bien joué? Qui fait mieux,
"çoncept; 2. qu'il ne confiait pas à l'étymologie le droit d'un nom de chose. qui dit mieux, le mort
~/

12
de régler le contenu d'un c()p.cept. On ne peut savoir ce La chose : magnifique et classée, à la fois
'qu'un mot veut" dirè proprement en se reportant à quelque
prétendue primitivité ou originarité authentique. Ce qui élevée au-dessus de toute taxinomie, de toute
ne l'empêchait pas de jouer, de façon productive et géné- nomenclature, et déjà identifiable dans un ordre.
tique, voire poétique, avec les dictionnaires. La. pt~l,lYe Donner un nom, c'est toujours, comme tout acte
qu'un mot n'es.!, j~mais un concept, c'est que le m~me
"riiof6ûdêux motsa':raêilie'aii~logue peuvent avoir deux de naissance, sublimer une singularité et l'indiquer,
significations conceptuelles. 9:iff.ëreptes, voire opposées. la livrer à la police. Toutes les polices du monde
êequidiscpialHie' aussitÔt l'instance étymologique, du peuvent être mises en déroute par un surnom,
moins en tant que recours philosophique, logique, con-
ceptuel. Hegel le dit à la fin de l'Introduction, au moment mais avant même qu'elles le sachent, un ordina-
où, selon le procédé de toutes ses expositions systéma- teur secret, au moment du baptême, les aura
tiques, il présente le schéma de la division interne, de tenues au courant.
l'auto-différenciation comme auto-détermination et auto-
production du concept. Moment où l'Einleitung (intro-
duction) devient Einteilung (division). Il explique alors
le passage de la Moralitat à la Sittlichkeit et tente de
j~stifier le choix quasiment arbitraire de ces deux mots.
C'est parce que ce choix est arbitraire que les traductions
flottent. « Moralitat et Sittlichkeit qui habituellement ont Arraisonner, c'est demander des papiers d'iden-
à peu près la même signification (die gewohnlich etwa aIs tité, une origine et une destination. C'est prétendre
gleichbedeutend gelten), sont pris ici en un sens essentielle-
ment diffé;~nt (sind hier in we sentlich verschiedenem Sinne reconnaître un nom propre. Comment nommer
genommen};lp'ai1Jell~,s. Ja représentfttion courante (Vor st~l:,~ sans arraisonner? Est-ce possible?
lung) semblé"aussi'leSdiitïiigùë;::râ"fëim.üièiIogi'e(l'usâge)
..",' , ," '. . " . "" de Kant recourt de nré-
la critique .de la philoso,phie ~ratique .de " férence 'à -l;ex~'rês~(;n'-'­
Kant organise toute la Philosophie du drOit :~_ • '--':7"'0""-'''''''''''''1',. •
elle assure le passage de la Mora/Mt à la 1 MoraJttdt, comme aUSSi
Sittlichkeit. Kant ne peut pas, ne veut pas, Iles principes pratiques
aux y~u~ de .Hegel, penser la ~ossibilité de cette philosophie se
de la Slttllchkelt et donc ne peut ni ne veut, .• " ,
pour des raisons à analyser (avec ou sans liffiltent tout a fait a ce
Quand Genet donne à ses personnages des
Hegel) penser ce moment essentiel de la èoncepfêfiêndëllt mê-"
i
noms propres, des espèces de singularités qui
Sittlichkeit qu'est la famille. Il n'y aurait """'1"
. ! me e pOint
· de la famille,
d'"
" , o . " ••

vue d'e
e~",;,
,:

donc pas de concept kantlen i ",.,.'." '. sont des noms communs majusculés, que fait-il?
de concept philosophique, logiquement la Stttltchkett impOSSi't
déductible et rigoureusement assignable, ble le détruisent même Que donne-t-il à lire sous la cicatrice visible d'une
éch.appant. ~u bavardage d'une ant~ropo- et 'l'emportent expres~ émajusculation qui menace toujours de se rouvrir?
logle empirique. Il n'y a pas de famille de •. l '
Kant au sens où il y a une famille de sément (au sdr uqfttlzch, S'il appelle Mimosa, Querelle, Divine, Y eux-Verts,
Hegel: ce que celle-ci implique-l'amour, formellement)Ji/Mais
le mariage ~m~nogame) et surtout l'en- même si Mora/liat et Culafroy, Notre. ·Dame-des-,Pleurs, Divers,
fant - serait Inconcevable à Kant. Sauf .. • .'
par accident empirique et extrinsèque: Stttltchkett étalent syno-
comme un bâtard. nymes (gleichbedeutend) effet sibyllin d'arbitraire dans le choix immaculé,
A la fin de sa vie,. Hegel rép~nd à ~n fi~s d'après leur étymologie dans la conception des syllabes qui nomment et
naturel venu se faire reconnaltre : Je s a I s . . ouvrent la gloire. La convention détrône et cou-
que j'ai été pour quelque chose dans votre (ihrer Etymologte nach) , ronne à la fois. L'ablation du prénom, le surnom
nais~ance maiS 'auparavant j'étais dans cela n'empêcherait pas
seul faisant office, accumule les pouvoirs de la
• l'accide~tel, je suis maintenant dans d'utiliser ces mots clif-
f' essentIel , recoupe, remarque et supprime à l'infini l'unicité
ferents pour des con.; dans le commun, l'éparpille dans le sans-nom du
cepts différents. » variable et diversifiable dès lors que l'individu
La question du vocabulaiJ:~ est-elle ici marginale? singulier - prisonnier de droit commun - se
nomme Divers. Plu~ solennelle, plus inaugurale, plus
. ." Hege! n'a/p~;&Q.Q!~ll~E:~\!~ problème d~/~3:.,;languelr/~
philosop~que~'Est-ce une lag.gy~naturelle~jiine\J.ang~e ,f' instituante aussi la nomination, quand la thèse du
formelle?" "". ?~ .'-..J ~, nom érige l'attribut, l'adjectif, l'épithète, ce qui n'est
pas même encore le nom de la chose mais l'accident
Il importe ici que Hegel n'ait pas séparé cette ques- survenu qui s'ajoute sans nécessité à la substance et
tion d'une question de famille»&' . peut toujours s'en détacher pour tomber. Qu'est-ce
Je commence par accumuler les résultats de son que l'épithète? Quel est son statut? Autrement dit,
analyse : la famille parle et ne parle pas; elle est famille à comment lui conférer le statut? Et si, inversement,
partir du moment où elle parle - passant du Klang, si tout statut était d'épithèse? «Qu'il s'appelle Divers
l'on veut, à la Sprache} de la résonance à la langue - mais lui conférait un caractère de rêve terrestre et noc-
elle se détruit comme famille dès lors qu'elle parle et turne suffisant pour m'enchanter. Car on ne s'ap-
abandonne le Klang. Comme la langue naturelle, comme pelle pas Georges Divers, ni Jules, ni Joseph Divers,
la langue en général, elle cesse d'être ce qu'elle est au et cette unicité nominale le plàçait sur un trône
moment où elle se pose comme telle, elle se nie comme comme si, dès le bagne d'enfants, la gloire l'eOt
reconnu. Ce nom, c'était presque un sobriquet
nature en devenant ce qu'elle est naturellement, tout
royal, bref, hautain, une convention. Ainsi en coup
comme la naturè elle-même du reste~ de vent, il prit possession du monde, c'est-à-dire
Les textes d'Iéna décrivent le développement de la de moi. Dès lors j'en jouis comme d'une grossesse. »
famille à l'intérieur du (Miracle de la rose.) L' « unicité nominale» raidit,
il n'y a pas de famille sans Geist, pas de Volksgeist} de l'esprit, tend le nom, d'une seule pièce, vers le point ou
Geist sans famille. Le Geist, l'esprit: à la d'un peuple. La~ famille
fois la possibilité de la répétition (tradi- l'infini. Elle réduit l'écart classificatoire entre le nom
tion, histoire) et du souffle se retenant est d'essence spirituelle. et le prénom. Le corps propre, sublime, glorieux se
dans la vibration sonore (inspiration/expi- La langue aussi : « la rassemble dans un vocable, sans organe. Et se signe
ration). Le Geist consonne aussi avec la langue n'èst l'existence dans un monogramme" « L'écusson noir orné de la
mort naturelle. Pour entendre quelque idéelle de l'esprit que i
mort selon Hegel, la vie spirituelle avec la lettre « D » brodée d'argent », les « monogrammes
chose à l'esprit, flairer quelqueéxpiration, comme produit (ou œU-1 de lierre » des Pompes funèbres forment l'idéal du
quelque répétition expirante. ,/ seing. Querelle de Brest «gravait au couteau, dans
Que cela n'empêche pas d'utiliser les
vre : .Werk) d'un peu-
l'écorce humide d'un acacia, le dessin très stylisé
mêmes mots pour des concepts différents, ple ». La langue spiri- des initiales de son nom. [ ...] Querelle doublement
et afin de trahir la langue, des homonymes tuelle est donc aussi
et de fausses étymologies pour des concepts naturelle. Appartenant veillait sur soi··même. [ ...] pensée offerte à la
analogues. Sainte Vierge. Autour de son propre autel, Querelle
Les mots sont donc décharnés. Ils enragent au peuple, la famille est brodait un voile protecteur oD son monogramme
le dictionnair~\ 'La langue n'a pas lieu, pas donc toujours parlante; comme sur les nappes bleues est brodé d'or,
de lieu sOr. te discours est donneur de il n'y a pas de famille le célèbre : M. »
sens, mais comme un indicateur vient Il
trahir un réseau. La traditio livre (über/ie- biologique; mais la lan-
fert) le sens mais pour perdre l'institution gue qu'elle parle n'est etc.,
dans la répétition. Il faut toujours ta~l.l:r la pas, semble-t-il du
scène de la langue sur' un de trop. L'6p,!?-o- arrache-t-il violemment une identité sociale, un
sition (Iangue/d,iscou rs) dénonce elle-mêm~;" . moins, formelle ou
elle-même et tout'es. les autres arbitraire. Pourtant, en droit de propriété absolue? Est-ce là l'opération
raison de la structure du politique la plus effective, la pratique révolution-
développement interne de la langue, ce qui s'y élabore se naire la plus signifiante? Ou bien, mais voièi
détruit par là même ou plutôt se soumet au procès de
I:Aufhebung, se relèv:e. En se posant c~mJ?e système de~1
la rengaine des contraires qui se recoupent sans
lSlgnes naturels, eXistant dans l'extérlorlté, la langue ,II cesse, les baptise-t-il avec la pompe et le sacré-
s'élève au concept (signification idéale intérieure) et dès H la gloire
lors se nie comme système de signes naturels. il
~~ cho~.~j!~...r#~~g!:) est relevée (aufgehobene) dans' du mot gloire il use, proportionnellement, à peu
~<le signe'-rélevée, spiritualisée, magnifiée, embaumée, près aussi souvent que le traducteur de l'Ëvangile
/intériorisée, idéalisée, nommée puisque le nom accomplit dont il est en somme le double parodiant le plus

14
le signe. Dans le signe,. le ,signifiant (ex~érieur) est relevé par destruct~{ur. Je le vois travailler l'Ëvangile et tous
la signification, par le sërissigriifié (idéël)~ l~ Bedeutung, , les textes mythologiques dont il est connaisseur
le SC>.1:lç~pt. Le concept relêvèlè signe qurrelève la chose. et qu'il habite nommément, comme un mineur qui
n'est pas sûr de se sortir vivant du fond de la terre
Le signifié .relève le signifiant qui relève le référent. « La et qui, dans sa galerie, essaie des explosions, des
langue est donc reconstruite ( rekonstruiert) dans .un foudroyages. Il faut déchiffrer, cependant, galerie;
peuple de telle manière que la langue, en tant qu'elle est la galerie parle, écrit. Sur ses parois légendaires.
l'anéantissement (Verni~qten) idéel de l'extérieur est elle- Lui écrit, lui dit beaucoup. Pourquoi (qu'allait-il y
même un extérieur (ein Ausseres), qui doit être anéanti faire?) ai me-t-i 1 tant les galeries? Non seulement
( vernichtet), relevé (aufgehoben werden) pour devenir langue celles qui vous gardent, vous orientent et vous me-
signifiante (um zur bedeutenden Sprache zu werden), vers nacent au sein de la terre, mais aussi celles pour les-
ce qu'elle est en soi selon son concept (zu dem, was sie an quelles on s'expose au théâtre, celles que l'architec-
sich, ihrem Begrilfe nach ist) " elle est donc dans un peuple ture associe aux loges, logis, balcons, toutes les gale-
quelque chose de totalement autre (ais ein total Anderes) ries de langage, toutes les constructions de simu··
que ce qu'elle est en elle-même, et elle devient totalité, lacres à l'écart, tous les abris dissimulés, plus ou
moins toc, dans les coins: « ... le moindre abri deve-
en tant qu'elle est relevée (aufgehoben) comme autre et
nait habitable. Quelquefois je l'ornais d'un savant
portée à son concept. » confort tiré de ses particularités : une loge de
La langue ne s'accomplit, ne devient donc signifiante théâtre, la chapelle d'un cimetière, une caverne,
qu'en relevant en elle le signifiant (sensible, extérieur), une carrière abandonnée, un wagon de marchandi-
le traversant et le niant en vue du concept. En vue aussi ses, que sais-je? Obsédé par l'idée de logis, selon
de son propre concept de langue. Elle ne4Ëvi~nt !agg~e sa propre architecture, en pensée, j'embellissais
ql:l~~!L~.se~_.supprirn,antlçQp.servant daiis#~le concept. La celui que je venais de choisir. Quand tout m'était
·-·~traditio est l'Aufhebung. La lângue'rre"1;.èjointson propre , refusé, je désirais être fait pour les cannelures des
concept qu'en allant jusqu'au bout dé/ce qui l'induit, au fausses colonnes ornant les façades, pour les caria-
bout de sa propre négatiVIté interne, selon un schéma de tides, pour les balcons, pour la pierre de taille,
l'essence comme négativité qui se vérifie et s'élabore sans pour cette lourde assurance bourgeoise qui
s'exprime par eux. » (Journal du voleur)
cesse.
Ce devenir ( traditio) de la langue, ou plùtôt du
linguistique, se produit donc au sein d'un peuple, d'un est son mot -- qu'il confère toujours à la
esprit de peuple qui ne se poserait pas sans lui. La néga- nomination?
tivité linguistique ne se réduit ni à l'enracinement ni au
déracinement d'une langue par rapport au sol de la com-
munauté historique. Le déracinement, la dénaturalisation,
l'explantation d'une langue achève l'essence enracinante
de la langue. Celle-;d appartient à un peuple en tant que
totalité finie: c'est alors une « langue naturelle », une langue
finie, particulière, déterminée; Mais elle cesse de l'être dès
qu'elle se pose comme telle; elle n'achève son essence de
langue « naturelle » qu'en s'en relevant, en relevant les
limites naturelles de son système, en se dé-limitant, en
se débordant elle-même vers l'universalité du concept. « J'ai voulu qu'ils aient droit aux honneurs
Elle est donc aussitôt langue universelle qui détruit en du nom », cet énoncé se multiplie, se métamorphose
elle la langue naturelle.
sans fin jusqu'à obséder la totalité du corpus.
La dialectique de la langue est dialectophage. Le (sur) nom propre donné relève la tête qui
Sans ce débord de la langue qui s'avale et se mange
tombe sur l'échafaud mais simultanément redouble
elle-même, qui vomit aussi un reste naturel - le sien - l'arbitraire de la sentence par la décision nominante,

15
qu'elle ne peut ni assimiler ni égaler à l'universelle puis- consacre et glorifie la chute, çoupe une fois de
sans la conceptfon du
sance du concept, la langue ne serait pas plus, et grave - sur un monument littéraire.
concept, c'est la lan- la langue, -la langue vivante s'entend
gue morte,:' écriture -, elle ne serait pas ce qu'elle est en soi, S;abattant .comme une sentence capitale et un
et parole défunte, ou conformément à son concept (Begriff), à
résonance sans signi-
jugement dernier, le surnom sonne mieux, vous
fication (Klang et non ce qui en elle se conçoit, se saisit; se prend crève le tympan de
Sprache). Affinité ici et comprend, s'élève, quitte d'un coup
entre le Klang et d'aile le sol natal et emporte son corps son tocsin. T but cela «Tocsin ,s.m.1. Bruitd'une cloche qu'on
tinte à coups pressés et redoublés [ ...]
l'écriture. En tant
qu'il résiste à la naturel. " aura résonné dans la "On dit sonner Je tocsin ... mais il vaut
conception, le KUn- L~/iangue naturelle d'un Bé~ple frappe d'une signa- en mieux escrire toquesin; et encore, si
gen du Klang joue deviept ce qu'elle est, se pense,:éxpose ajoutant un g, on escrit toquesing,
pour' le logos hege- ture.
lien le rôle de son elle-même comme ce qu'elle ét,ait à être, on approchera plus près de l'étymolo-
ce /qu'elle aura dû être, en/ devenant gie: car c'est un mot gascon, composé
muet ou de sori.;fou, 1 ( Ascension du de toquer, au lieu de ce que nous disons
sorte d'automatë ma- autre. /qJil'elie-même, se fâisant arti-
chinaI qui se déclen- corps de gloire, après toucher ou frapper, et de sing qui
che et s'agit sans rien ficieye.'î'Iltionnelle, univ<fselle, au mo- signifie cloche, et principalement une
vouloir dire. me1(t q le peuple meurt 'comme peuple quarante jours.
grosse cloche, comme voulentiers en
nayureL il meurt comme peuple naturel « Il prononça effroy on sonne la plus grosse",
Chute, dans ce cas, . '. . ali d . 1
de la langue en uruvers sant ses pro Ults par a
langue et par le travail. Langue et pour la première fois, H. Est, Précellence, p.186. E. Toquer,
et le lat. signum, pris, au Moyen Age,
travail, dans le champ d'analyse d'Iéna, sonne~t la fin du suivant le nom de dans le sens de cloche. » Littré
peuple naturel en le posant comme tel, en lui permettant Baillon: « Dit Notre-
de se faire reconnaître et nommer comme tel.
Or ce passage à l'intérieur de la langue d'un peuple Dame-des-Fleurs. » Notre-Dame était condamné
avait déjà ouvert le chemin de la famille au peuple. Le à la peine capitale. Le jury était debout. C'était
mouvement par lequel la famille se pose comme telle, se l'apothéose. C'est fini. Notre-Dame-·des-Fleurs,
donne un chéf, se regroupe dans une famille de familles,
sorte de clan hiérarchisé qui devient peuple, ce mouvement quand il fut: remis entre les mains des gardiens, leur
est aussi une Aujhebung, la rétention de ce qui s'écoule, parut revêtu d'un caractère sacré, voisin de celui
en tant qu'il s'écoule. Une sorte de claie ou d'écluse histo- qu'avaient autrefois les victimes expiatoires, qu'elles
rique ne laisse pas passer ce qui passe ou laisse passer ce
qui ne passe pas. fussent bouc, bœuf, enfant, et qu'ont encore aujour-
Pour expliquer que Hegel disqualifie l'étymologie et d'hui les rois et les Juifs. Les gardiens lui parlèrent
assume un certain arbitraire dans l'usage des mots, il et le servirent, comme si, le sachant chargé du
faut donc prendre en charge et conséquence toute sa
théorie du langage et, dans cette théorie, toute la pro- poids des péchés du monde, ils eussent voulu
cession du négatif (1'Aufhebung). On n'a plus alors d'oppo- attirer sur eux la bénédiction du Rédempteur.
sition qui tienne, on n'a plus à choisir entre langue natu- Quarante jours après, une nuit de printemps, on
relle et langue formelle. La langue naturelle porte et
touche en elle-même le signe de sa mort, il appartient à dressa la machine dans la cour de la prison. A
son corps de résonner et ce faisant d'élever son cadavre l'aube, elle était prête à couper. Notre-Dame~des­
naturel à la hauteur du concept, de l'universaliser et le Fleurs eut la tête coupée par un vrai couteau. Et
rationaliser dans le temps même de sa décomposition.
Cette loi dialectique se plie et se réfléchit, elle s'ap- rien ne se passa. A quoi bon? Il ne faut pas que le
plique à ses propres énoncés, à ses propres effets métalin- voile du temple se déchire de bas en haut parce
guistiques, par exemple à ce signifiant en apparence qu'un dieu .rend l'âme. Cela ne peut que prouver
singùlier qui s'appelle en allemand Aufhebung et qui
permet de désigner, Hegel s'en réjouit beaucoup, une loi la mauvaise qualité de l'étoffe et sa vétusté. Quoique

16
d'universalité essentielle et spéculative au sein d'une l'indifférence fût de rigueur, j'accepterais encore
langue naturelle, de la langue d'un peuple. Le peuple qui
a l'Au]hebung dans la gorge se nie comme peuple parti- qu'un garnement irrévérencieux le troue d'un
culier, s'étrangle et se dépeuple mais c'est pour mieux coup de pied et se sauve en criant au miracle.
étendre son imperium et déployer infiniment son enver- C'est clinquant et très bon pour servir d'armature
gure. ,r, /~ . , ..~
Au]hebung n'est pas (lei seul exemple (de ,cette/loi. à la Légende. »
Est-ce même, un e x e m p l è 1 ' - - . . / ' - /
Reste, donc,)i,question général~: comment l'idiome
d'une génération tamiliale peut-il se penser, dest-à-dire se
nier en s'érigeant dans l'universalité du type spéculatif?
Ça commencerait par l'amour.
L'amour est un pr~diçat essentiel du concept de'
'" famille, c'est-à-dire d~un,rtioment essentiel de la: Sittlich- Celui qui nomme, dénomme - le grand déno-
keit. /' '
minateur officie tout près de l'échafaud, au moment
Comment s'induit le passage (Übergang) de la Mora-
litat à la Sittlichkeit? Dans la Moralitat, instance subjective où f~ tombe.
de type kantien, le Bien, substance universelle de la
liberté (pas de liberté sans rapport au Bien et vice-versa)
garde encore sa forme abstraite. Réciproquement la
conscience morale, exigence d'objectivité universelle,
reste formelle et virtuelle, donc immorale. Elle ne déborde
pas sa propre subjectivité unilatérale. Elle devient le
contraire de ce qu'elle est (immorale) dans la mesure Cette institution, loi qui pose le nom
même où elle reste enfermée dans son propre côté. Kant déposant la tête, ne se passe pas d'un cou.
retient donc la Moralitat au sein d'une certaine abstraction
unilatérale. Le Bien d'un côté, la conscience morale
de l'autre demeurent séparées, en regard l'un de l'autre
mais l'un à l'autre inaccessibles., Ils ne sont donc pas
encore ce qu'ils sont. Ils ne sont pâs « explicitement posés »
(gesetzt) comme ce que pourtant ils sont en soi. Cette
position, cet être-posé (gesetztwerden), ils ne l'atteignent
que dans leur négativité, « c'est-à-dire dans le fait que La division se complique à peine quand le
chacun avec son unilatéralité (Einseitigkeit) qui est de ne dénominateur (le nomothète cratyléen) s'institue
pas devoir avoir en lui ce qu'il est en soi (le Bien sansJ~/ ou s'érige lui-même
subjectivité et la détermination d'un côté, la subjeStivité Gloire encore dont le syllabaire s'ini-
et le détefminant sans l'être en soi d' autre part), ils se<::onsti- dans sa propre signa- tie, au futur antérieur, dans le contrat
tuént en totalité pour soi, se relèvent (aufheben) et par là ture. d'édition, signé avec l'institution
se dé-posent (herabsetzen), se réduisent à des moments,' (famille et cité), c'est-à-dire avec la
des moments du concept qui se manifeste comme leur
unité ». •
Lè~ deux côtés se font face sans pouvoir se rejoindre
r"
pompe funèbre, l'organisation de la
sépulture. Déchirer le contrat, l'opé-
ration littéraire n'y revient pas plus
qu'à le confirmer infatigablement, en
ou se' cô~pléter, comme les deux moitiés ou les deux marge, d'un sigle. « Il existe un livre,
parois abst~aites d'un même corps spirituel. Elles doivent intitulé : J'aurai un bel enterrement.
nier leur unilatéralité dans le copçept, y reconstituer leur Nous agissons aux fins d'un bel enter-
Habitat colossal:
intégralité menacée ou morcelé~><>, rement, de funérailles solennelles.
La première synthèse qui permet de les lier ou de le chef-d' œuvre. Elles seront le chef~d'œuvre au sens

17 '
les lire ensemble, de les penser comme les flancs d'un Il bande dans son exact du mot, l'œuvre capitale, très
seul et même tenant, leur première intégration (Inte- justement le couronnement de notre
seing mais l'occupe vie. Il faut mourir dans une apothéose
, gration), c'est la Sittlichkeit. En elle l'Idée de la liberté
C devient effectivement présente, elle n'est plus seule- aUSSl comme un et il n'est guère important qu'avant
ou après ma mort je connaisse la
ment dans la tête des individus subjectifs. « Que cette sarcophage. gloire si je sais que je l'aurai, et Je
Idée soit la vérité du concept de liberté, cela 'ne peut l'aurai si je passe un contrat avec une
être admis à titre de présupposé tiré du sentiment ou maison de pompes funèbres qui se
-de quoi que ce soit d'aûtre mais doit être démontré chargera de réaliser mon destin, de
[un objet; de démonstration, ein Bewiesenes] dans la phi- l'achever. »Au moment du «coup
losophie. La déduction [de ces moments] consiste seu- de théâtre », dans Pompes funèbres,
lement en ceci que le droit et la conscience de soi morale quand on «glissa » le cercueil dans
[les deux premiers moments de la philo- le catafalque - « escamotage" de la
le commencement - sophie du droit] se montrent en eux- bière » .- avant sa réduction,
La forme du nom comme le cercueil de « Sainte-Os-
avant lui le déjà, - mêmes et par là retournent à elle
survient, comme tou-
jours, au titre du ré- [l'Idée] comme à leur résultat. Ceux qui lieu de réclusion mose » (lettre fictive sur la Légende
Dorée - publiée en italien) en boîte
sultat. Le ressaut du croient pouvoir se passer du démontre~ - mange le corps et
déjà ne devrait pas et du déduire dans la philosophie mon- d'allumettes, « la mort de Jean se
laisser de reste. Dans le détient debout. dédoublait en une autre mort ». Le
la dialectique spécula- trent qu'ils sont encore éloignés de Jean mort dont on bande le cadavre
tive, le résultat n'est commencer à penser ce qu'est la philo- et qui prend alors «dans ses toiles et
pas un reste, le reste sophie, et peuvent bien du reste dis- ses bandelettes la forme et la consis-'
ne résulte pas. En
tant que reste du courir (reden) mais ils n'ont aucun droit tance d'une amande de lait », «ama,n-
moins. S'il pouvait de participer au discours de la philo-
Puis à prélever de tendre et serrée », est veillé,
résulter, il relèverait sophie, eux qui veulent discourir sans dans « ce qui est res- écr'it, bandé par l'autre, par l'amitié
sa restance. Consé-
quence sans doute concept.)} entêtée de l'autre (<< mon amitié
té ... », n'oublions pas m'entêtait ( comme on dit: le réséda
inévitable d'un déjà La Sittlichkeit, dont la famille
conçu comme origine, constitue le premier moment, c'est que le « cercueil ver- m'entête) »)qui «aime le bourreau »,
commencement, fon- veutfaire« l'amour avec lui, à l'aube! »
dement dans le sens donc l'idée de la liberté\ mais de la tical » décrivait une
Et qui bande aussi.
de la présentation liberté comme Bien vivant, présent et cellule de pnson
concret dans le monde présent (vorhan- L'autre bande aussi. Devant lui,
denen), ce qui implique élabotation effective (Wirklich- (< j'entrai dans une devant des fleur's, devant rien. « De-
vant les fleurs je bandai et j'en eu.s
keit) , action, opération (Handeln). A ce moment-là, la de ces étroites cel- honte, mais je sentis qu'à la rigidité
substance concrète des mœurs (la Sittlichkeit), telle qu'elle lules, cercueil verti-· du cadavre je ne pouvais opposer
se produit et reste dans le Vorhandensein du monde, excède que la rigidité de ma verge. Je bandais
le Meinen (selon le jeu de mots hegelien entre la vacilla·- cal ») : « ... nulle ten-·
et ne désirais personne. » t'autre
tion subjective du moi opinant et « le mien )}); elle dresse, aucune affec- bande aussi, telle est la question du
contraint le caprice subjectif et la velléité flottante (le tion. Ni à l'égard de nom (en tout genre) et du verbe.
Belieben). Elle prend consistance dans des lois, des organi- Bander devant la fleur et le cadavre
sations qui demeurent (.Einrichtungen) , des institutions. cette forme prise par de son double, colossal homonyme
La consistance, la permanence de l'institution trans- l'autre - ou sa pri- lui-même érigé dans son adversité
subjective déborde l'individu, s'impose à lui, l'enchaîne, théâtrale, cela ne peut s'observer que
son. Ou sa tombe? depuis un certain angle, une lacune
certes, mais avec la force et la dignité du rationnel. Elle
y érige sa liberté et la fait tenir debout. Le sujet individuel Au contraire j'avais aussi dans la langue, qu'il nous faut
maintenant reconnaître. Toute l'écri-
n'y est pas assujetti comme à la force empirique des tendance à me mon- ture est peut-être prise, enceinte
éléments naturels, le soleil, la lune, les montagnes et les trer avec elle aussi dans cette scène qu'on pourrait
fleuves. Dans la Sittlichkeit, l'autorité des lois est « infi- encore essayer de nommer. Car le
niment plus haute car les choses de la nature ne présentent impitoyable que je prénom ne suffit pas à la classer. Ni
un caractère de rationalité que d'une façon externe et l'étais avec cette le nom. L'un doit bander l'autre

18
singularisée, et cachent ce caractère de' rationalité sous la forme qui répondait à mon nom et qUi écrivait
forme de la contingence )}. Cette rationalité ne se cache
plus, se dévoile au contraire dans l'institution. ces lignes. »
Dans la famille, l'amour forme le premier moment
de cette rationalité. Il n'y a pas d'amour ou de famille Entre les deux effets de cette littérature dite '_..... ,
dans la nature physique ou biologique. Le logos, la
raison, la liberté sont le milieu de l'amour. L'Encyclopédie du vol, d~ la trahison, de la dénonciation, y a-t-il
le précise : dans le règne animal, la génération, le rapport à décider? Expropriation ou réappropriation? Déca-
sexuel, le processus de copulation qui, comme la copule pitation ou recapitation? Dissémination ou réca-
d'un syllogisme, rassemble le genre avec lui-même,
engloutissent les individus dans une mort sans phrase. A pitulation, recapitalisation? Comment trancher?
la différence de la famille humaine et rationnelle, la
copulation animale ne donne lieu à aucune détermina-
tion supérieure. Elle ne laisse derrière elle aucun monu-
En apparence, cédant à la Passion de l'Écriture~
ment, aucune sépulture, aucune institution, aucune loi Genet s'est fait une fleur. Et il a mis en terre, en
qui ouvre et assure une histoire. Elle ne nomme rien. très grande pompe, mais aussi comme une
« Le genre ne se conserve que grâce au déclhr des indi-
vidus qui, dans le processus d'accouplement, ont donné
fleur, en sonnant le « Le bourreau m'accompagne, Claire!
plénitude à leur détermination [destination, Bestimmung] glas, son nom pro- Le bourreau m'accompagne! [...] On
porte des couronnes, des fleurs, des
et, dans la mesure où ils n'ont point de détermination pre, les noms de oriflammes, des banderoles, on sonne
supérieure, vont par là même à la mort. )}
Mais la mort ne leur apP!'lraît pas comme telle. Au
droit commun, le le glas. L'enterrement déroule sa
pompe. Il est beau, n'est-ce pas? [ ...]
contraire, la limite que la Sittlichkeit impose à la subjec- langage, la vérité, Le bourreau me berce. On m'acclame.
tivité empirique, finalement sa mort même, ouvre le le sens, la littérature, Je suis pâle et je vais mourir. }}
rapport de la subjectivité à sa liberté substantielle. La
mortalité est éprouvée dans la Sittlichkeit comme un
la rhétorique et, si Au moment du glas, se laisser bercer.
Par un bourreau. Se laisser bercer,
effet de liberté. La subjectivité individuelle trouve dans possible, le reste. voire donner le sein par un bourreau:
l'objectivité apparemment répressive de la Sittlichkeit C'est du moins par q~lui qui, ne l'oubliez pas, permet
(son droit, sa police, ses prisons, ses bagnes) la condition d'avoir un nom. Le nom se donne
de sa liberté, de sa vérité, de son essentialité. Ce qui nie
l'apparence. Et cela près de l'échafaud . Qui donne le nom
et coupe la subjectivité aurait commencé et le seing approche sa lame de votre
« Le droit des individus à une détermina- d'elle-même, c'est aussi cou. Pour vous diviser. Et du même
tion [destination] subjective à la liberté a, par empoisonner les geste, vous transforme en dieu. Or
dans le fait qu'ils appartiennent à l'effec- ce qui l'élève et l'accom- fleurs de la rhétori- on n'a qu'un bourreau _. comme on
tivité éthique (sittlichen Wirklichkeit), son plit. n'a qu'une mère - et c'est donc le
accomplissement (Erfûllung) en ce que la L'essence propre, que ou de la poéti- premier. Et ce qui approche sa lame,
certitude de leur liberté a sa vérité dans
une telle objectivité (Objektivitiit) et ils la propriété de la sub- que. Celles-ci, paro- ne châtrant jamais au présent pour
possèdent (besitzen) dans l'éthique (Sittli .. j ecti vité individuelle,
chen) leur essence propre (ihr eigenes loin de s'y restreindre et diées, altérées, trans- élaborer la décapitation, aura(it) da
être, comme la mère, comme un
Wesen), leur universalité intérieure, cela plantées, commen- enfant, vierge. Comme Solange dans
effectivement (wirklich). » (Philosophie du étrangler simplement,
droit.) s'approprie, devient ce cent très vite à pour- Les bonnes, Notre-Dame-des-Fleurs
« aima son bourreau, son premier
qu'elle est, se possède
dans la forme de son contraire ou de sa négation. Elle s'y rir, à ressembler à bourreau. [ ..... ] Qu'est-ce au juste
possède: besitzen est très fort et on ne doit pas effacer ce ces couronnes mor- qu'un bourreau? Un enfant qui s'ha-
bille en Parque, un innocent [...] un
sens de possession, de propriété privée, de bien ou tuaires qu'on jette pauvre, un humble. }}
d'avoir qui construit toute la problématique de la famille.
Le subjectif s'approprie lui-même dans l'objectivité de la par-dessus les murs
Sittlichkeit, l'individuel se possède dans la généralité de du cimetière. Ces fleurs ne sont ni artificielles nt
l'institution, la liberté dans la régularité obligatoire d'une tout à fait naturelles. Pourquoi dit-on les« fleurs
loi. Cette appropriation qui fait que pour tenir debout,
avoir constance, essence, existence, substance, il faille
de rhétorique »? Et que serait la fleur quand elle
s'élever dans son contraire, c'est aussi une intériorisation devient l'une seulement des « fleurs de rhétorique »?
et une idéalisation : une magnification puisque l'idéal
fait ici grandir. La négativité érige l'un dans l'autre. La
dialecticité se marque ici à ce que l'objectivité (Objekti-
vitcit) de la Sittlichkeit est en même temps l'universalité
interne (innere AIlgemeinheit) du sujet individuel, du nom
propre qui sè pose et se reconnaît ainsi en elle.
Nous ne sommes pas encore arrivés à la famille.
Seulement au concept général de Sittlichkeit qui définit
"le champ général dans lequel surgit quelque chose comme
une famille.
Est-ce un hasard si dans les paragraphes de la Philo-
sophie du droit qui présentent le concept de Sittlichkeit,
avant même qu'il soit question de famille, une citation
quasiment proverbiale ou légendaire en appelle au père
et à l'éducation du fils? C'est une Remarque à la suite
d'un paragraphe. L'éducation est aussi un procès consti-
tuant/déconstituant de la famille, une Aufhebung par
laquelle la famille s'accomplit, s'élève en se détruisant ou
en tombant comme famille. Comme famille : le comme,
le comme tel de l'essentialité, de la propriété essentielle,
dès lors qu'il n'élève qu'en barrant, n'est lui-même le
comme qu'en tant qu'autre que ce qu'il est, il ne phéno-
ménalise la phénoménalisation qu'il découvre· qu'en Dans le Saint Genet, la question de la fleur,
l'assombrissant ou la faisant sombrer. Il ne s'approprie la question anthologique, entre autres, est infailli-
que dans l'expropriation.
C'est comme ça que le père perd le fils : en le gagnant,
blement évitée. Avec celle de la « psychanalyse »
en l'éduquant, en l'élevant, en l'entraînant dans le cercle et celle de la « littérature », par la plus agile et la
de famille, ce qui revient, selon la logique de l'Aufhebung, plus intelligente des leçons d'ontologie phéno-
à l'aider à en sortir, à le pousser dehors tout en le rete-
nant. Le père donne la main au fils pour détruire la
ménologique de l'époque, à la française. Un déve-
famille en l'accomplissant dans ce qui la dissout : la loppement pourtant la manque de peu. Notez
société bourgeoise ou dvile d'abord (bürgerliche Gesell- ~qu'il commence ainsi : « Reste qu'on peut tout
schaft) , l'Etat ensuite qui accomplit la Sittlichkeit en
« relevant la famille et la société bourgeoise », en les
simplement ne pas le lire. C'est le seul risque
magnifiant. qu'il court et il est grand. Mais, dans le fond,
Voici la remarque: hors-d'œuvre déplacé, comme c'est de lui, de lui seul, qu'il dépend d'être lu. »
exemple citationnel puis comme addition à un para-
graphe philosophique et spéculatif, enfin parce que son
V oire. Deux figures de la fleur sont alors réduites
contenu est « familial », emprunté à une détermination au contenu sémantique le plus conventionnel,
particulière de la Sittlichkeit. Or celle-ci n'est définie écrasées, au cours de la dissertation, entre une
pour l'instant que de façon préliminaire et générale.
Cette anticipation ne peut être insignifiante. lecture ontologique et une lecture poético-
« A la question d'un père concernant la meilleure rhétorique dont chacune vérifie son homologie
20
manière d'éduquer son fils éthiquement (seinen Sohn à l'autre : « La structure de la phrase poétique
sittlich zu erziehen)} un Pythagoricien lui fit la réponse reflète très exactement la structure
suivante (qu'on met aussi dans la «Telle fleur porte
à la main, dans le bouche d'autres philosophes) : "que ontologique de la sainteté. }) Qu'il toujours son dou-
manuscrit, Hegel
ajoute ceci, qu'on ne tu en fasses le citoyen d'un Etat dont s'agisse des fleurs dont on couvre ble en elle-même,
trouvera pas dans les les lois sont bonnes (eines Staats
traductions françaises:
la pauvre vieille (<< peut-être ma que ce soit la
von guten Gesetzen) ". » graine ou le type
« celle de Socrate ». mère ») ou d'un paradoxe « logi- [...] et en raison
Au titre de la légende,
Cette remarque illustre la loi géné-
mais compte tenu du rale, la loi de la loi : la subjectivité que » du type « le jardinier est la de la répétition
système, je travaille individuelle accomplit en vérité sa où elle s'abîme
donc ici avec les re-
liberté dans l'universalité de la Sit-
plus belle rose de son jardin », la sans fin, aucun lan-
marques autographes
ou orales ajoutées par tlichkeit qui la nie. question de savoir pourquoi la gage ne peut ré-
duire en soi la
Hegel comme en mar- La famille est le premier moment fleur est, comme dit Sartre, « l'objet stricture d'une
ge de son texte prin-
de ce procès. Le premier des trois
cipal. Je travaille poétique par excellence », cette anthologie. Ce
.mit Hege/s eigenhêlndi- moments du syllogisme (famille, société
gen Notizen und den bourgeoise, Etat) s'articule lui-même question fuit entre un méontolo- supplément
code qui traverse
de
mündlichen ZusQtzen
inaccessibles en fran··
en trois moments ou trois instances gisme pré-heideggerien et un mal-· son champ, en
qui vont l'accomplir en le niant : le
çais. Le lecteur sou-
cieux d',authentifica- mariage, la propriété de famille, l'édu-
larméisme vague. .On évoque la déplace sans cesse
la clôture, brouille
tions philologiques et
cation des enfants. Mais l'unité dia- « disparition vibratoire »et la fleur la ligne, ouvre le
éditoriales pourra tou-
jours protester ou lectique de ces trois moments, ce qui absente de tous bouquets, « voilà cercle, aucune
les considérer comme fait que la famille est ce qu'elle est ontologie n'aura
des fictions. La charge
dans son emportement, l'unité de
toute la poésie de Genet ». pu la réduire. »
de la démonstration
lui en incombe son autodestruction syllogistique, c'est Mais qu'est-·ce que la poésie, (Offerte aux gref-
fes, la mythologie
l'amour. Unité sentie ou plutôt sen- dès lors que la fleur est « l'objet blanche
tante, unité à sentir, unité du sentir (sich empftndende
Binheit)} unité qui se sent.
poétique par excellence »? Qu'est-
Pour savoir ce qu'est l'amour, il faut donc savoir ce ce que la rhétorique, si la fleur (de rhétorique) est
que c'est que sentir} ou se sentir. la figure des figures et le lieu des lieux?nComment
Mais on ne le saura pas vraiment avant de savoir ce
qu'est l'amour, c'est-à-dire la famille. On ne se sent lire, comment s'élabore cet effet d'excellence trans-
qu'en famille. cendantale? Pourquoi la fleur domine-t-elle tous
Qu'est-ce que la famille? les champs auxquels pourtant elle appartient? Pour-
« La substance éthique (sittliche) en tant que conte-
nant la conscience de soi unie à son concept, c'est l'esprit quoi cesse-t-elle d'appartenir à la série des corps
effectif (wirkliche Geist) d'une famille et d'un peuple. » ou des objets dont elle fait partie?
L'esprit ne peut atteindre à son effectivité que dans
la famille et le peuple. Il resterait abstrait, il s'étranglerait
dans la singularité. La Remarque de ce paragraphe ajoute
qu'on ne doit pas s'élever de façon « atomistique » depuis
la singularité considérée comme un fondement (point de
vue non spirituel) mais procéder depuis l'esprit comme La fleur est partie. Elle tient de son être-partie
synthèse du singulier et de l'universel. Le concept de la force d'excroissance transcendantale qui la fait
l'Idée est l'esprit, mais l'esprit en tant qu'il se connaît et seulement paraître telle (transcendantale) et qu'on
en tant qu'il est effectif (aIs sich Wissendes und Wirkliches).
Or il ne peut se connaître et devenir effectif que dans la n'a même plus à déflorer. La déconstruction pra-
mesure où il s'objective. Cette objectivation (Objekti- tique de l'effet transcendantal est à l'œuvre dans
vierung) se produit à travers la « forme de ses moments » la structure de la fleur, comme de toute partie,
(durch die Form seiner Momente). En devenant objet pour
lui-même, l'esprit sort de lui-même. Mais i1le fait pour
en tant qu'elle apparat! ou pousse comme telle.
rester (à) lui-même, revenir et s'égaler à lui-même. Cette
procession très générale de l'esprit hegelien a ici la Sittlich-
keit pour étape ou station principale. .
Mais comme toute sortie de l'esprit hors de soi a la
forme générale de son autre, à savoir de la nature; comme
la nature est l'esprit hors de soi mais aussi un moment du
retour à soi de l'esprit,
pourquoi la reconstitution d'un procès la Sittlichkeit compor-
hegelien s'écrit-elle plus facilement au
futur? Facilité narrative? pédagogique? tera cette naturalité. Ce
li' Pourquoi un philosophe aussi sévère pour sera un esprit-nature. Sa
1:
le récit, qu'il oppose toujours au concept, Question de la plante, du phuein, de la nature
;'11 naturalité se résorbera,
incite-t-il à une sorte de narration concep-
tuelle? se spiritualisera à me- et de ce qui fut ailleurs nommé, référence prise
Quand on explique Hegel, on est toujours sure que laSittlichkeit se d'un certain tabou, la verginité. Comment une
dans un séminaire et on raconte à des développera à travers la
élèves : l'histoire du concept, le concept partie peut-elle être prenante?
de l'histoire. forme de ses moments, . d « Ce siècle est dé-
tlève : c'est le mot que je traite ici, comme épuisera la négativité Ce1a aurait onc pu commen- cidément le siècle
la chose, en tous les sens. interne qui la travaille, cer par l'empoisonnement paro- soumis aux poi-
L'élève, Qu'est-ce qu'élever en général
se produira en se niant
(élevage, élévation, élèvement? Contre
comme nature. Chacun
dique, altérant, pourrissant, à dose sons, [ ... ] et mon
goOt pour les poi-
quoi pratique-t-on une élève? De quoi
relève-t-elle? Que relève-t-elle? Qu'est·ce de ses trois' moments anthologique, du sol de vérité sons, l'attrait qu'ils
que relever une élève?
Il y a de la légèreté en tout cela. Le rêve
marquera un progrès ontologique sur lequel ont poussé exercent sur moi,
de l'aigle est d'alléger. Partout où ça dans cette relève de la
[ ...] mais les mé...
tombe. Et de sublimer. naturalité. La Wirklich-
les rhèmes etles poèmes. Le goût etle decins m'ayant
Quand on se sert d'un futur devant l'élève,
keit, l'effectiv~ité, le Wir- maniement du poison se déclarent administré un vo-
c'est une ruse grammaticale de la raison : mitif, puis analysé
le sens qu'elle aura voulu dire, c'est, en ken de la Wirklichkeit d'ailleurs dans tout le texte. Celui- mon vomisse-
vérité, le futur antérieur. La version ency- sera l'opération de la
clopédique de la grande Logique (pédagogie ci s'en nourrit. Et si je vous dis dès ment,... ». Il est
négativité réappropriant
circulaire, pour l'élève) se narre au futur
antérieur l'esprit, le ramenant maintenant que le glas est une sorte alors condamné
pour avoir intro-
chez lui, auprès de lui- de lait empoisonné, vous trouve- duit le poison en
même, à travers son objectivation éthique. S'étant nié prison, pour avoir
en se naturalisant et en s'objectivant, l'esprit niera sa
rez la dose trop forte et l'image fait « entrer en
négation en revenant à lui-même à travers la forme dissonante. Ce n'est donc pas fraude dans la pri-
(Form) de moins en moins abstraite de ses moments. encore l'heure. son un médica-
Le chez-soi de l'esprit dans sa généralité n'est pas le chez- ment dangereux ».
soi familial. Celui-ci en est pourtant une représentation Ce glas peut-il
être lu comme
déterminée, et ce rapport représentatif ouvre précisément
l'analyse intermi-
la question. Limitons-nous : le glas qui nable d'un vomis-
L'amour est en vue: on ne pourra le penser dans son
concept (le concept du se-sentir qui lui ne se sent pas) s'élève et résonne à la surface de sement, d'un
écœurement plu-
sans tenir compte de cette .,négativité relevante. Si la quelque page - déjà - entre tôt dont je m'af-
Sittlichkeit est une naturalisation relevante de l'esprit, et « lilas » et « éclats », annonce aussi, fecte et qui me
si chacun de ses moments participe de ce procès, le pre- fait m'écrire
mier moment sera aussi le plus naturel. Il sera la forme la couvrant de fleurs, la mort de «Je m'ec. »
la plus naturelle de l'esprit comme Sittlichkeit : c'est la tout code, Le condamné à mort
22.
famille, c'est l'amour dans le cercle ou, cela revient au « Ta bouche est d'une morte où tes yeux: sont des roses
même, le triangle symbolique de la famille. Dans le mou-
vement d'objectivation de l'esprit effectif, Hegel discerne [ ...]
en effet trois moments :
« A. L'esprit éthique (sittliche) immédiat ou naturel Le gel étincelant [...]
(natürliche),. - la famille.
« Cette substantialité va à la perte de son unité (gebt [ ...]
in den Verlust ibrer Einheit... über), à la division en deux
(Entzweiung) et au point de vue de la ,relativité, et elle est Qui couronnait ton front d'épines de rosier
donc
« B. Société bourgeoise (civile), association de membres ...
[ ]
comme individus indépendants dans une universalité formelle
par conséquent, par l'intermédiaire des besoins, et par la Malgré tes pleurs glacés
constitution juridique comme moyen d'assurer la sécurité des
personnes et de la propriété (Eigentums) , et par une [ ...]
réglementation extérieure pour les intérêts particuliers et
communs, lequel état extérieur se
'1 « C. ramène et rassemble dans la constitution étatique
(Staatsverfassung), fin (Zweck) et effectivité (Wirklichkeit)
de la substance universelle comme de la vie publique qui
s'y consacre.)
[...] voleras-tu les clés
Tels sont les trois moments, dialectiquement enchaî-
nés, par lesquels la Sittlicb~eit se pénètre et se rassemble,
[ ...]
rentre dans sa propre substance. On s'intéresse le plus
souvent aux deux phases ultimes du mouvement (société
D'où tu sèmes, royal, les blancs enchantements,
bourgeoise et Etat), avec de bonnes raisons. Les problèmes Ces neiges sur mon page, en ma prison muette :
de droit, de politique, d'économie politique y apparaissent L'épouvante, les morts dans les fleurs de violette,
sous une forme thématique et de loin reconnaissable. La mort avec ses coqs![...]
Mais un tel privilège n'a pas de fondement philosophique.
Si, pour le compenser, nous séjournons plus longtemps [ ...]
dans la famille, ce sera seulement pour y faire apparaître
une pertinence problématique à l'ensemble du champ. Et Un mac éblouissant taillé dans un archange
non pas, évidemment, pour déplacer un privilège. Bandant sur les bouquets d'œillets et de jasmins
Dans la Remarque additive en marge du paragraphe
précédent, Hegel énumère, sous forme de notes à peine [ ...]
rédigées, les traits d'opposition entre la famille et l'Etat.
L'opposition la plus générale, la loi d'opposition, c'est Soyez la jeune fille au pur cou radieux:,
l'opposition entre la loi et son autre. Dans l'Etat, l'atten- Ou si tu n'as de peur l'enfant mélodieux:
tion va à la loi, à l'universel - l'Etat est un universel Mort en moi bien avant que me tranche la hache.
(ein AIlgemeines) - qui, en tant que loi, est le même
pour tous (das Gleicbe für aIle), indifférent au désir subjec- Enfant d'honneur si beau couronné de lilas!
Penche-toi sur mon lit, laisse ma queue qui monte
tif. Pour la famille en tant que telle, en tant qu'elle n'est
Frapper ta joue dorée. Ecoute, il te raconte,
pas encore en procession vers la société bourgeoise et Ton amant l'assassin, sa geste en mille éclats.
vers l'Etat, l'égal et l'universel (das Gleicbe, das AIlge-
meine) de la loi comptent moins que la différence subjective Il chante qu'il avait ton corps et ton visage,
de « l'amour et de la crainte ». Ton cœur que n'ouvriront jamais les éperons
Comment l'égalité de la légalité vient-elle à la famille? D'un cavalier massif. II
Autrement dit à ce qui se sent? autrement dit à la nature? De fleurs, cueillies avec les morts, couvrir
à l'immédiateté?
Paragraphe suivant: « La famille en tant qu'elle est touj ours le cercueil, le corps rigide de la verge,
la substantialité immédiate de l'esprit, a son unité sentie de la vierge aussi et de la mère. Vol des fleurs au
[sentante, se sentant elle-même, à elle-même sensible, lieu de la verginité. Voler les clés, voler en éclats,
comme sentiment de soi, seine sich empfindende' Einheit] ,
l'amour, comme sa destination (Bestimmung), de telle sorte voler en éclaboussures, volée de cloches.
que la disposition d'esprit (la conscience, Gesinnung)
correspondante est la conscience d'avoir son individualité
dans cette unité en tant qu'essentialité en et pour soi, pour « Voler, voler ton ciel éclaboussé de sang
être en elle non pas comme une personne pour soi, mais Et faire un seul chef-d'œuvre avec les morts cueillies
Ça et là dans les près, les haies ... »
comme membre-participant (Mitgleid). )}
L'amour - rapport du Mitgleid, du membre articulé
au corps familial - détermine donc l'unité du se-sentir
comme adhérence à soi de la famille. Mais ce qui permet Telles fleurs apparemment conventionnelles,
à la famille de se constituer, de tenir à elle-même, c'est perles abîmées de couronnes mortuaires, valent
aussi ce qui la retient dans la naturalité et lui interdirait,
à lui seul, de procéder vers la société bourgeoise et vers déjà leur pesant: de
« 0 viens mon ciel de rose, ô ma
l'Etat. A lui seul, l'affect l'empêcherait de se nier comme sperme et de phallus: corbeille blonde!
famille, donc de se relever; du même coup il la nierait que la mort coupe (00'] Î
lui-même. Comme toujours, le choix n'a lieu qu'entre Viens couler dans ma bouche un peu
deux négations de soi. L'économie -la loi de la maison- de la nature, d'où de sperme lourd. »
doit. s'arranger pour en assurer les frais. - déjà - la signa-·
Car en tant qu'affect (Empftndung), l'amour appar- ture qui grave ou greffe la fleur artificielle.
tient encore à la nature. Il est le naturel de l'esprit. De ce
point de vue, Hegel en limite toujours la valeur: l'amour Pastiche et postiche, inversion des valeurs pour
reste dans l'être-hors-de-soi -de l'esprit. Il \y revient, y se foutre. Toujours à couper coupables
remonte, certes, mais en tant que tel, dans son instance la fleur le sexe tiendront leur érection du
propre, il se fait comme dans l'escalier. C'est comme une
marche. Plutôt une rampe, l'ènroulement ascendant d'un postiche.
mouvement, car l'amour se porte toujours déjà au-delà
de chaque station. Il n'est qu'ascension et n'a donc pas « Qui grava dans le plâtre une Rose des Vents?
d'instance propre sur laquelle l'arrêter pour le considérer [ ... ]
en lui-même. Cette figure de la rampe a une portée géné- Un consolant enfer peuplé de beaux soldats
rale pour toute la dialectique spéculative. D'où l'impossi- Nus jusqu'à la ceinture, et des frocs résédas
bilité d'arrêter la limite déterminante d'un concept. Tire ces lourdes fleurs dont l'odeur me foudroie. »
Escalier: une marche contre une autre.
Ce qui se cherche ici, c'est un escalier qui ne soit
pas hegelien, façon un peu niaise de dire un autre escalier
de l'esprit à partir duquel comprendre, monter et démon-
ter la démarche hegelienne. (Ce que je dois laisser tomber, à chaque coupe, de
toutes les lettres du texte - de la loi qui s'y vérifie
On ne peut donc même plus dire « ça commence ou
- devrait après coup résonner, sinon se résumer,
ça finit par l'amour )}. « Je commence par )} ou « je finis éclater, dans les glas. Je coupe dans les « œuvres
par )} égale: « le je commence par où ça n'a pas commencé, complètes », j'y taille un autre texte, un peu
ou par où ça a commencé avant qu'il ne croit )} et « il finit comme il taille son mac dans un archange bandant. /
par où ça continue à recommencer )}, déjà. Mais pourquoi un archange? Lequel? Qu'annonce-
Remarque au paragraphe précédent : « Amour veut t-il?)
dire en général la conscience de mon unité avec un autre, On peut déjà le vérifier sur la « haute vergue »
de sorte que je ne suis pas isolé pour
« ." soncfern mein moi, mais parviens à ma conscience-de- d'Un chant d'amour, au-dessus de « 0 mon Conti-
Selbstbewusstsein nur
ols Aufgebung meines soi seulement par la renonciation à
nent noir ma robe de grand deuil! »enjoignant
Fürsichseins gewinne ». [Aufgebung, le désaisissement de] mon des « grappes » et des « gants » dont s'élaborera
être-pour-moi et à travers le savoir-de-
moi-même (Mich-Wissen), comme l'unité de moi avec le devenir postiche, une « fleur du vent » en
l'autre et de l'autre avec moi. » « écharpe» ou cravate à un arbre nouée, un « ange
Le mouvement décrit, c'est donc la relève d'un de lierre » ou une « fillette enroulée », comme une
désaisissement, l'Aujhebung d'une Aufgebung par laquelle
je retrouve en l'autre ce que je perds de moi. Mais cette liane et comme toutes les glycines du corpus,
ressaisie a déjà commencé à faire passer autour d'un arbre érigé,
« Die Liebe ist aber l'amour au-delà de lui-même, et la fa-
Empfindung". » le texte est composé en liane et en lierre. Il est
mille dans la loi, etc. La remarque tour-
d'abord glané. La glane (<< norm. lianne; Berry,
ne immédiatement sur elle-même (sondern, aber, mais, glene; genev. glenne ») s'enroule, se tisse et se tresse
mais) : « Mais l'amour est sentiment, c'est-,à-dire l'éthique comme une liane (<< Norm. liaune, nom de la clé-
dans la forme du naturel; dans l'Etat, il ne l'est plus matite; lianne, glane. Ce mot semble venir de lier,
[dans la forme du naturel] : alors on est conscient de l'unité et être une autre forme de lien ») autour d'une
comme de la loi, puisque le contenu doit être rationnel colonne déjà dressée; elle donne sa forme à tous les
et que je dois le savoir. Le premier moment dans l'amour enchaînements textuels, à tous les accouplements
consiste en ce que je ne veux pas être pour moi une sexuels. « Quelques jours après, Divers faisait la
personne indépendante et que, même si je l'étais, je me même opération, et il tirait ainsi à soi tous mes nerfs
sentirais comme manquant et incomplet (mangelhaft und qui s'entortillaient autour de lui, grimpaient autour
unvollstandig). Le deuxième moment consiste en ce que je de son corps avec amour. » « ". je voulais donner
à mon corps la souplesse de l'osier, afin de l'entor-
m'atteins en une autre personne et que je vaux ce qu'à son
tiller, quand je voulais me voiler, me courber sur
tour elle atteint en moi. » lui » (Stilitano est ici la colonne). « Le gosse que
Ces deux moments divisent donc le moment de j'étais à quinze ans s'entortillait dans son hamac
l'amour, ils divisent, partagent, travaillent le dedans du autour de son ami. »Texte torsé. Toujours un,
noyau essentiel de la famille. Contradiction: je ne veux au moins, voire une torse à décrire.
pas être indépendant, je ne veux pas être ce que je suis, Glaner dans l'étymologie du Littré encore (pour
je ressens l'autarcie comme un manque; mais ce que je jouer, la poétique) : « E. Genev. gléner, glainer;
vaux dans l'amour, le prix de ce dont je me dessaisis picard, glainer; Berry, glainer, glener; provenç.
est fixé par ce que l'autre trouve en moi. Je ne suis qu'au- grenar ... bas. lat. glenare [ •.. J. Diez note l'étymo-
tant que je vaux (ich gelte). Je vaux pour l'autre, formule logie indiquée par Leibniz: kimry, glain, glân, net;
sur laquelle il faudrait s'entendre avant de conclure à quoi il ajoute le scandinave glana, éclaircie; de
sorte que glaner serait proprement nettoyer. Cela
quelque marché que ce soit, bon ou mauvais. Je spécule
est possible sans être très satisfaisant; il ne faut
ici, comme l'autre, pour tirer quelque bénéfice d'un donc pas perdre de vue le bas-lat. geliba, gelima,
contrat entre l'amour comme narcissisme et la dialectfque gelina, gerbe, poignée; anglo-saxon, gelm, gilm,
spéculative. poignée. Ici le sens est satisfaisant, et les variations
Cette contradiction est inintelligible, son économie de la consonne laissent jour à la transformation. Il
passe l'entendement, aucune logique formelle ne peut reste donc de l'incertitude entr'e une étymologie
la maîtriser ni la résoudre. Sa solution effective ne revient bonne pour la forme, moins bonne pour le sens;
pas à l'intellectualité (Verstand), à l'instrument d'une une autre bonne pour le sens et moins bonne pour
analyse formelle. la forme. Le provençal grenar paraît être une forme
Cela n'entraîne pas l'amour dans l'irrationalité, au accidentelle, et ne se rattacher en rien à granum,
contraire. Il joue au contraire dans l'écart entre l'enten- grain. »
dement et la raison. La contradiction dialectique de le rose, la rose, les « péta-

,1
Pamour - et donc ici de la famille - ne passe renten- les » surtout (< pétale ourlé », « pétale emperlé »)
dement que pour se résoudre dans la rationalité effective.
« ... je vaux ce qu'à son tour elle atteint en moi. L'amour
dont le nom déplace ses lettres, se condense et
est donc la contradiction la plus inouïe [extraordinaire, s'effeuille, se décompose sans fin, s'analyse: partout,
prodigieuse, monstrueuse: ungeheuerste Widersprqch], que dans le jeu des p, des pets, des pédales; enjoint
l'entendement ne peut résoudre dans la mesure où il n'y
a rien de plus dur (Héirteres) que cette ponctualité de
aussi un gel, un col, un cou, une « Main qui
la conscience de soi qui est niée et que pourtant je dois se hâte en vain coupée » dont vous pourriez
avoir sur le mode affirmatif (affirmativ). L'amour est la suivre, au-delà des « premiers poèmes », intermi-
p!'Oduction (Hervorbringen) et la solution (Auflô'sung) de
la contradiction et cela simultanément (zugleich) : en tant nablement ce qui s'appellerait une élaboration.
que solution elle est l'accord éthique [la concorde apai- Il faudra, bien sûr, relire au moins une fois tous
sée: die sittliche Einigkeit]. ces mots.
Dans le simul, le zugleich, le du..même-coup, la pro-
duction et la solution de la contradiction rie restent pas
ensemble dans le coup. Le zugleich est immédiatement
divisé, déséquilibré, en rupture de symétrie, le même-coup
travaillé par deux forces inégales : la solution - aussi la
dissolution - l'emporte sur la production. Mais c'est Celui qUl s1gne Le condamné à mort s'offre,
seulement pour annoncer ou préparer un autre coup :
la solution est déjà en train de produire une autre contra- déjà,
diction inouïe dont le zugleich se dissociera de lui-même
pour raisonner contre l'entendement. lire le déjà comme sigle. Quand je signe, je suis
déjà mort. J'ai à peine le temps de signer que je suis
déjà mort. Je dois abréger l'écriture, d'où le sigle,
parce que la structure de l'événement «signature»
porte ma mort en lui-même. En quoi il n'est pas
un « événement » et ne signifie peut-être rien,
écrit depuis un passé qui n'a jamais été présent
et depuis la mort de qui n'a jamais été vivant.
ter'ire pour des morts, depuis eux, qui n'ont jamais
été vivants : c'est ce désir (formulé par exemple
dans l'Atelier d'Alberto Giacometti, mais sans cesse
d'ailleurs rengainé) qui s'interroge et résonne ici
comme glas pour laisser enfin entendre l'inoui,
l'illisible d'un déjà qui ne reconduit à plus rien de
] e m'arrête sur cette marche. Je ne suis pas pour
présent, fat-il passé. Le «Je suis donc mort. Je
l'instant la déduction du concept de famille, de ses trois
suis un mort qui voit son squelette dans un
moments que sont le mariage monogame, la propriété des miroir... » du Miracle de la rose n'est pas une pro-
biens, l'éducation des enfants ou la dissolution de la position parmi d'autres. Partout où elle se répète,
famille. se monnaie, se détaille, elle donne un coup d'écri-
Laissant le système achevé (La philosophie du droit) ture (ou de déjà) à toutes les forces qui s'agrippent
en plant, je redescends vers les premiers étages de sa au présent, à la vérité comme présence. Le passé
constitution, les textes de Francfort, d'Iéna, la Phénomé- n'est plus un présent passé, ni le futur un présént à
nologie de l'esprit. Mais je vais aussi essayer de ne pas venir. Et toutes les valeurs qui dépendent de cet
transformer l'amour et la contradiction de l'affect fami- axiome, le sigle les enraye. Elles ne fonctionnent
lial en fil conducteur privilégié, voire en t.elos ou idéal déjà plus, elles sont d'avance défuntes. Ici même
régulateur. C'est: l'épreuve qui m'intéresse, ni la réussite
ni l'échec. Le cercle n'est pas praticable; ni évitable. sous son propre nom - son glas - une cor-

.16
A la question « qu'appelle-t-on penser? >} « qu'est-ce beille anthologique. Déjà., prenez y garde, ne
qui s'appelle penser? >}, on ne peut répondre que par un
cercle impraticable et inévitable dès lors qu'on ne déplace
signifie pas que la signature se sera toujours
pas dans sa littéralité l'énoncé de la d'avance rassemblée, résumée, annoncée dans son
on le sait, cela ne question. sigle. Ce déjà marque tout autre chose. Toquesing :
peut se dire de cette Penser c'est s'appeler.
manière qu'en fran-
çais . La question est Comment penser, c'est-à-dire s'ap-
là, précisément. Le peler en dehors du nom de famille?'Et « Le ciel peut s'éveiller, les étoiles fleurir,
« Was heisst Den- comment penser la famille en dehors Ni les fleurs soupirer, et des prés l'herbe noire
ken » donne lieu à
une autre chaîne lit- du cercle ou . du triangle trinitaire? Accueillir la rosée où le matin va boire,
térale : ni fermée ni La question de la méthode qui Le clocher peut sonner: moi seul je vais mourir.
simplement ouverte à travaille votre lecture inscrit déJ'à le
celle-ci. Le rapport de
l'une à l'autre n'est nom de famille. C'est une question de o viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde!
pas de traduction famille. Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
mais de transforma- La famille est une .partie prenante
tion. De travail, éclu- [ ...]
sant, vannant. Il n'a du système de l'esprit : elle est une.
jamais lieu ici même, partie et le tout du système. Les boîtes du laitier, une cloche dans l'air
mais ailleurs. Celui-ci se répète en elle. Le Geist
Autre forme de la
même question : un est toujours, dans la production même [ ...]
nom de famille peut· de son essence, une sorte de répétition.
il setraduire?L'étran- Revenant à lui, après s'être perdu dans Mon Dieu, je vais claquer sans te pouvoir presser
glement : la singulari-
. té du général, la clas- la nature et dans son autre, l'esprit se Dans ma vie une fois sur mon cœur et ma pine! »
sification de l'unique, constitue en esprit absolu à travers le
la structure rétrécis- procès négatif d'un syllogisme dont les
sante d'une étreinte
où se conçoit, limite trois moments sont l'esprit sul:jectif
et délimite le concept. (anthropologie, phénoménologie de
Le goulot d'étrangle·· l'esprit, psychologie), l'esprit, objectif
ment (saisiejdessai- (d
sie) s'appelle dans le roit, moralité, Sittlichkeit) et l'esprit
concept. absolu (art, religion, philosophie).
La passion du nom Chacun des trois moments des trois mo-
propre : ne jamais se .
laisser traduire _ ments comporte lui-même trOls mo-
selon son dési r - mais ments syllogistiques. La famille est
souffrir la traduction donc le premier moment du troisième Que signifie le glas du nom propre? Plus tôt:
- qui lui est intolé- d l' . b' 'f 1 .
rable. Vouloir se réap- moment e espr1t 0 Ject1, e prem1er est-ce que ça signifie?
proprier, reprendre moment de la Sittlichkeit. Elle en forme
en son ventre toutes l'instance encore la plus naturelle et
eIels'accomp1"1t a se d"etru1re en tro1s
les langues du monde
venues lécher sa sur-
.
face au moment où, étapes: mariage, patrimoine, éduca-
exposé, prononcé, il tion.
s'est communément A 1 d l ' .. 1
engagé dans le con- 'étape e cette éc use 1n1t1a e,
cept ou dans la classe une première tentation méthodolo-
gique : après avoir reconnu l'amour
en sa contradiction dialectique comme le noyau rationnel
le plus « dur >} de la structure familiale, si l'on peut risquer
cette métaphore de métaphore, on pourrait remonter vers
les travaux du jeune Hegel, vers les travaux dits de jeunesse, La fleur phallique est coupable. Elle se coupe,
vers la philosophie de l'amour et de la vie dans les textes se châtre, se guillotine, se décolle. Plus tôt : elle
sur le christianisme. Ce qu'on y trouve en effet se présente apparat! seulement sur l'échafaud, elle est ce qui
à la fois comme un germe et comme un ensemble de traits s'y défalque, se retranche et laisse tomber. Cet
invariants du système. Un germe dont on pourrait légiti-
mement considérer que Hegel l'a laisser croître, se déve- apparaître, ce phénomène lumineux- décorporé-
lopper, s'élever lui-même, s'apprendre 1ui-mêm~, parcou- de la fleur, était la gloire:
rir son cycle et accomplir sa Bestimmung, la destination
ou la détermination qui l'appelaient, en lesquels il s'appe- il faut bien entendre l'attaque du mot gloire. Une
lait, se donnant ainsi à penser, de lui-même à lui-même. machine à calculer la lecture le confirmerait sans
doute, c'est avec galerie, galère et quelques autres,
Un complexe de traits invariants parce qu'entre le germe
un des mots préférés de l'auteur. Il tombe par
et le concept adulte quelque chose ne change pas, et se exemple trois fois sur une page qui explique « La
laisse identifier sans aucun doute possible. Les travaux mort sur l'échafaud qui est notre gloire » et
de jeunesse sur le christianisme _. et notamment sur la pourquoi « secrètement élire la décapitation ».
Cène - se liraient par exemple comme la préformation La gloire naît toujours d'une « tête décollée »
téléologique du système achevé. Rien chez l'auteur ne (c'est pourquoi « elle n'est pas humaine » mais
l'interdirait. Il a au contraire multiplié les propositions « céleste » - pour vous diviniser.) : « Chacun
sur la téléologie, sur le système comme développement a su qu'à l'instant que sa tête tomberait dans le
d'un getme. panier de sciure, prise aux oreilles par un aide dont
On peut donc opérer selon sa règle. On le fera. le rôle me paraît bien étrange, son cœur serait
Mais on fera payer cette obéissance à la règle d'un détour recueilli par des doigts gantés de p!Jdeur et trans··
porté dans une poitrine d'adolescent, ornée comme
dont il est encore trop tôt pour calculer le prix.
une fête de printemps. Il s'agit donc d'une gloire
La famille est marquée deux fois. céleste... »et qui loge non loin de la poitrine,
Elle est un moment déterminé, très étroitement parti- du cœur, certes, mais aussi du sein et de la gorge.
culier. Sa place est inscrite dans l'encyclopédie et dans Ce qui risque d'expliquer déjà, mais à raisonner
l'histoire comme histoire de l'esprit. C'est un moment plus tard, la contiguIté du laitier et de la cloche dans
fini et on n'y passe jamais plus d'une fois. Le condamné à mort
Mais simultanément il faut en tenir un autre compte,
sur un autre registre, une autre charte. Ce moment déter- N otre-Dame-des-Fleurs
miné de la famille, cette finitéftgure (je laisse pour l'instant s'ouvre sur l'archive de toutes les têtes qui
à ce mot une très grande ouverture) la totalité du système. viennent de tomber, condamnées à mort. « Weid-
Un certain schème familial, une certaine . scène de famille
convient à la totalité infinie du système. La totalité infinie mann vous apparut », vierge comme un nourrisson
du système s'y pense, produit et réfléchit. ou comme une nonne, tête enveloppée de lange
Dira-t-on précipitamment que la famille finie fournit ou voile d'hymen, nouveau-né, momie royale,
un modèle métaphorique ou une figuration commode
pour le langage de l'exposition philosophique ? Une faci- « la tête emmaillotée de bandelettes blanches,
lité pédagogique? Une bonne façon de parler à l'élève de religieuse et encore aviateur blessé, tombé
choses abstraites en jouant de la familiarité des significa- dans les seigles... ». Remarquez tout, en par-
tions familiales? Encore faut-il savoir ce qu'est l'absolue
familiarité d'une signification. Si cela peut se penser et se ticulier le seigle. « Son beau visage multiplié
nommer sans la famille. Puis s'assurer que la famille par les machines s'abattit sur Paris ... » Mais en
finie en question n'est pas déjà infinie, auquel cas ce que se laissant tomber, la tête s'est déjà relevée. Elle
la prétendue métaphore viendrait figurer serait déjà dans
la métaphore. surgit, elle s'érige précisément, décidément dans
Comment la famille se remarque-t-elle? ce cas. Être décapité, c'est apparaître -- bandé :
Un texte très tardif analyse la détermination de l'esprit.
comme la « tête emmaillotée » (Weidmann, la
L'esprit pense et il a en même temps conscience de
lui-même. Je ne connais l'objet que dans la mesure où je religieuse, l'aviateur, la momie, le nourrisson)

2.8
m'y connais, je le pense aussi en me pensant le penser. et comme le phallus, la tige érectile - le style-
En cela je suis un homme et non animal. « Cela veut dire
que je connais l'objet dans la mesure seulement où je d'une fleur.
m'y connais et connais ma détermination - dans la mesure
où ce que je suis est devenu un objet pour moi, dans la
mesure où je ne suis pas seulement ceci ou cela, mais ce
que je connais. Je connais mon objet - et moi-même.
Les deux ne sont pas séparables. » Dès lors le contenu de
l'esprit, en tant qu'il se connaît lui~même connaissant
autre chose, ce contenu est spirituel. Son contenu ne se
tient jamais simplement hors de lui, il ne s~impose pas Quand une fleur s'ouvre, « éclôt », les pétales
à lui de l'extérieur. Connaître c'est s'approprier, produire s'écartent et se dresse alors ce qu'on appelle le
ou reproduire le connu. On ne doit même pas dire que style. Le stigmate désigne la partie la plus haute,
l'esprit n'a pas un contenu extérieur à lui, un objet dont
il serait seulement: la forme connaissante. Il faut dire : ce le sommet du style.
qui ne peut avoir de contenu extérieur à soi, ce qui
d'avance intériorise tout contenu, fût-il infini ou plutôt
en l'infinitisant, c'est ce qui s'appelle l'esprit, se conçoit
ou se saisit soi-même comme esprit. Le Geist se répète
lui-même. Seul l'esprit peut donc concevoir l'esprit.
Comme tel, il n'a pas de limite externe, il est donc le libre
et l'infini.
Liberté infinie, l'autre nom de l'esprit en tant qu'il Après l'appel des condamnés à mort, Weid-
se donne à lui-même son propre élément et se tient donc mann, Ange Soleil, Pilorge, dès la première page:
« auprès de lui-même ». Il ne peut être que proche de « Cette merveilleuse éclosion de belles et sombres
lui-même, rassemblé avec lui-même, lié à lui-même par
lui-même, resserré tout contre lui-même par lui-même. fleurs, je ne l'appris que par fragments : l'un
Il n'est libre, infiniment, qu'en restant près de lui-même, m'était livré par un bout de journal, l'autre cité
comme s'il se veillait lui-même en se murmumnt son négligemment par mon avocat, un autre dit, presque
propre nom. « Ainsi, de par sa nature, l' esprit de~eure
toujours auprès de lui-même (bei sich) ,- autrement dit, chanté, par les détenus, - leur chant devenait
il est libre. » fantastique et funèbre (un De profundis), autant
Comment cet « être-auprès-de-soi » de l'esprit se que les complaintes qu'ils chantent le soir, que la
représente-t-il? Pourquoi se détache-t-il dans le foyer
familial lui-même, au centre de son cercle? Pourquoi être voix qui traverse les cellules ... ».
auprès de soi reviendrait-il à « être en famille », infiniment
ou indéfiniment en famille?
Procédons lentement.
Libre et infini en soi, l'esprit n'a pas d'opposé absolu.
Du moins son opposé ne peut-il être absolu. Absolu, ce
serait l'esprit. Habituellement, dit Hegel dans le même
passage, on pose la matière comme l'opposé de l'esprit.
La matière n'est pas libre. Elle pèse, elle va vers le bas. Mais cette voix ne parvient qu'à l'instant où
Elle tombe. elle « se casse », où elle porte trace d'une « fêlure »,
Mais il y a une loi de sa pesanteur. Si on analyse la
pesanteur et la dispersion de la matière dans l'extériorité,
comme peut-être une cloche, la « cloche » qui
on doit y reconnaître une tendance, un effort tendu vers se « déchaîne » sur la même page pour un enfant.
l'unité et le rassemblement de soi. Tendance vers le La fleur épanouit, achève, consacre le phéno-
centre et l'unité, la matière n'est donc l'opposé de l'esprit mène de la mort dans un instant de « Transe. s.f. Gran-
qu'en tant qu'elle reste résistante à cette tendance, en
tant qu'elle s'oppose à sa propre tendance. Mais pour
transe. La transe est cette sorte de de appréhension
s'opposer à sa propre tendance, à elle, matière, il faut limite (transe/partition), de cas d'un mal qu'on
croit prochain.
qu'elle soit esprit. Et si elle cède à sa tendance, elle est unique, d'expérience singulière où [.".] E. Wallon,
encore esprit. Elle est esprit dans tous les cas, elle n'a
d'essence que spirituelle. Il n'y a d'essence que spirituelle.
rien n'advient, où ce qui surgit transs, glas qu'on
sonne pour la
La matière est donc pesanteur en tant que recherche du s'effondre « en même temps », où mort; espagn. et
centre, dispersion en tant que recherche de l'unité. Son l'on ne peut pas trancher entre portug. trance,
essence est sa non-essence : si elle y répond, elle rejoint heure de la mort.
le centre et l'unité, elle n'est plus la matière et commence
le plus et le moins. La fleur, la moment décisif;
à devenir l'esprit, car l'esprit est centre, unité liée à soi, transe : le simul de l'érection et ital. transita, pas-
enroulée auprès et autour de soi. Et si elle ne rejoint pas de la castration. Où l'on bande sage de vie à tré-
pas; du lat. tran-
son essence, elle reste (matière) mais
on ne peut tenter de elle n'a plus d'essence: elle ne reste pas
pour rien, où rien ne bande, où le situs, passage. En
français. transe,
déplacer cette néces- (ce qu'elle est). rien« bande ». qui a voulu dire
sité qu'à penser -
mais qu'appelle-t-on
« Une des connaissances qu'apporte N on que le rien soit. toute vive émo-
penser? -, le reste la philosophie spéculative, c'est que la
hors de l'horizon de liberté est l'unique vérité de l'esprit. Peut-être peut-on dire qu'il y a tion pénible, tient
l'essence, hors de la
à transir (voy. ce
pensée de l'être. Le
La matière (Materie) est: pesante dans le rien (qui bande). mot). »Littré
reste n'este pas, la mesure où existe en elle une poussée Plus tôt qu'il n.'J aJ il y bande
comme on traduit en (Trieb) vers le centre [le milieu :
s'aidant d'une bé-
Mittelpunkt] Elle est essentiellement (régime impersonnel) dans un passé qui ne fut
quille, d'un ersatz ou
d'une prothèse (west complexe [zusammenge setzt, rassemblée] jamais présent (la signature - déjà .- le nia tou-
nicht). et constituée de pa!tie~ séparées qui jours) : il banda (régime
Encore faut-il fran-
chir le pas dialec-
toutes tendent (streben) vers un centre
tique ( Mittelpunkt). Il n'y a donc pas d'unité bander, c'est toujours serrer, ceindre (bandé :
dans la matière. Elle est une juxtaposi- ceint), tendre, avec une bande, une gaine, une corde,
tion (Aus sereinander) d'éléments et cherche (sucht) son dans un lien (liane, lierre ou lanière). « Bande. sr·
unité; elle cherche donc son contraire (Gegenteil) et [ ••• ] E. Wallon, baine; namurois, bainde; rouchi,
s'efforce de se relever béne; provinç. et ital. benda; espagnol. venda; de
se confirme ici l'affinité essentielle -, et elle-même ( sich selbst l'anc. haut. allem, binda; allem, mod, binden, lier;
non seulement figurative _. entre le mou- aujzuheben) . Si elle y sanscrit, bandh, lier. Comparez le gaélique bann,
vement de relève (Aufhebung) et l'élève en une bande, un lien. » Plus haut:« Elles nourris·,
général : élévation, élèvement, élevage. parvenait, elle ne serait saient leurs enfants, sans les emmailloter, ni lier de
Ascension aérienne du concept, Le Begriff plus matière; elle aurait
bandes, ni de langes », Amyot. Littré, dont il faut
saisit et emporte vers le haut, oppose sa sombré comme telle
force à tout ce qui tombe" " est nécessaire- lire tout l'article, pour y relever au moins que les
ment victorieux. La victoire ne lui échoit
( untergegangen aIs solche). bandes sont en termes d'imprimerie, des « pièces
Elle tend vers l'idéalité,
pas, il est ce qui gagne" D'où son caractère de fer attachées aux deux langues du milieu du ber-
car dans l'unité elle est:
impérial. " gagne contre la matière qui ceau de la presse, sur lesquelles roule le train ».
ne peut lui tenir tête qu'à se relever elle-
idéelle. L'esprit au con-
même, à se nier en s'élevant à l'esprit. Double contre sens, au moins, du mot bandé.
traire a justement son
" gagne aussi contre la mort : en érigeant Qu'appelle-t-on panser
centre en lui-même; il
jusqu'à la tombe. La sépulture s'élève.
Ne nous approchons pas trop vite de la
tend (strebt) lui aussi
sépulture de Hegel autour de laquelle il
impersonnel) égale i)
faudra s'affairer plus tard vers le centre '-' mais lia. Serrure.
il est lui-même ce centre.
Il n'a pas son unité hors de lui, mais la trouve enlui-même.
Un certain nen, un certain vide, donc, érige.

~o
Il est en lui~même et demeure auprès de lui-même (bei Les cloches s'étaient déchaînées il y a un ins-
sich). La matière a sa substance en dehors d'elle; mais
l'esprit est l'être-auprès-de-soi (das Beisichse/bstsein) et tant.
c'est en cela que consiste la liberté, car si je suis dépen-
dant, je me rapporte à autre chose qui n'est pas moi, et je
ne puis exister sans cette autre chose. Je suis libre qùand
je suis auprès de moi (bei mir se/bst bin). »
Donc : l'esprit est. Seul. Son contraire, la matière,
n'est qu'en tant qu'elle n'est pas ce qu'elle est, en tant que Reconstituez maintenant la chaîne qui met en
pour être ce qu'elle est (pesanteur tombante et tendance
de la dispersion à l'unité), elle devient ce qu'elle n'est pas : mouvement les machines à glas (vous en relierez
esprit. L'esprit est. Seul. Etre, c'est être auprès de soi. plus loin toutes les pièces), ses anneaux, ses
La pesanteur et la dispersion, essence de la matièrè, ne maillons : l'érection (de la fleur coupable), l'ondu-
sauraient qualifier une essence. La matière n'a pas d'es-
sence, son essence est son contraire, son essence est de ne lation des lianes (ou lierres : id les lanières), la
pas avoir d'essence. La dispersion, comme la pesanteur lecture rhétorique des lis et du lit (id le cercueil
(la non-unité et la non-idéalité) n'a pas d'essence. Donc couché sur la vierge mère), la cloche dégainée
n'est pas. L'être est idée.
Donc : à être, la matière sera-déjà-devenue esprit. qui frappe un seing - et tout s'écoule comme du
Et comme elle n'aura rien été avant de devenir esprit, sperme laiteux, « par petites secousses continues »
c'est toujours l'esprit qui se sera précédé ou accompagné (c'est écrit comme ça).
lui-même jusqu'à la fin
le Geist ne peut donc que se répéter, de la procession. La
répéter son propre souffle, s'aspirerjs'expi-
rer lui-même. Effluve ou sublimé, la matière ne se précède
répétition d'un souffle se maintient au- ou ne reste (première
dessus de ce qui tombe, de la matière. ou dernière) que comme
Telle répétition déploie l'infinie liberté
d'une auto-affection. Entre soi et soi, dans esprit : en élèvant ou
l'être auprès de soi, qu'est-ce qui peut érigeant ce qui tombe. Simul de jouissance :
empêcher l'esprit de répéter? On peut Quel rapport entre
lier les mains et couper la langue, limiter « Je m'approche, le cœur éperdu, et ne découvre
toutes les possibilités d'action et d'auto- cet être-auprès-de-soi
affection, comment pourrait-on empêcher (autre manière de dire rien, rien que le vide dressé, sensible et fier comme
le Geist de répéter? Cette opération, dont l'être) et la famille?
on ne saurait décider si elle est intérieure une haute digitale! » Et aussitôt après l'emblème
ou extérieure, spontanée ou accidentelle, Quand on dit que
c'est l'ultime refuge de l'esprit -_. son l'esprit est - seul -, embaumeur, point d'exclamation- « Je ne sais
ironie suprême - contre toutes les qu'il a sa propre essen- pas, ai-je dit, si c'est bien de mes amis guillotinés
contraintes répressives. Mais elle n'est
presque rien et encore faut-il que la matière ce, son propre centre et que la tête est là, mais par des signes certains, j'ai
fermente (tout cela nous attend près de la sa propre unité en lui-
sépulture) mais le ferment, la chaleur qui même, il ne s'agit pas reconnu qu'ils sont, ceux du mur, tout à fait
décompose la matière, n'est-ce pas encore,
déjà, l'esprit préparant une belle répéti- d'une affirmation simple
souples comme des lanières de fouet et rigides
tion? Il lui faut d'abord, pour cela, s'oublier et tautologique. Cette comme des couteaux de verre, savants comme des
proposition est spécu-
lative au sens hegelien du mot, elle énonce l'identité docteurs-enfants et ftais comme des myosotis,
dialectique de l'identité et de la non-identité. L'être-auprès- les corps choisis pour être possédés d'âmes terribles.
de-soi de l'esprit se produit activement à travers une « Les journaux arrivent mal jusqu'à ma cellule,
négativité sans limite. L'esprit ne devient pour-soi, auprès
de lui-même, qu'en niant activement tout ce qui limite sa et les plus belles pages sont pillées de leurs plus
liberté de l'extérieur. Son essence est active, dynamique, belles fleurs, ces macs, comme jardins en mal.
négative : « Lorsque l'esprit tend (strebt) vers son propre Les grands macs inflexibles, stricts, sexes épanouis
centre, il tend à parfaire (vervollkommen) sa liberté. Si l'on dont je ne sais plus s'ils sont des lis ou si lis et
dit que l'esprit est, cela semble d'abord signifier qu'il est
quelque chose de tout fait (etwas Fertiges). Mais il est sexes ne sont pas totalement eux,
l'actif (Tatiges). L'ac- au point que le soir, à genoux, en on ne sait plus
l'activité : la place de l'homme {virY. tivité (Tatigkeit) est son stricto sensu -
La pure activité de l'esprit - il se produit pensée, j'encercle de mes bras leurs quelle figure re-
lui-même - induit un peu plus loin l'assi- essence. Il est son pro-
milation de l'esprit au père qui se produit pre produit (Produkt) , jambes, - tant de rigidité me ter- connaître
ou se donne lui-même, en se dédoublant, il est son commencè- rasse et me fait les confondre, et le
un fils. Je suis mon père mon fils et moi.
ment et sa fin. Sa liberté
Je m'appelle mon père . Mais le se-donner- souvenir que je donne volontiers en pâture à mes
produire-dédoubler insinue dans la pure n'est pas une existence
activité une division interne, une passivité, immobile (ruhende Sein) nuits, c'est le tien, qui, lors de mes caresses, restait
un affect qui entame obscuréme'1t la pater-
nité du père et commence à ruiner toutes
mais une négation cons- inerte, allongé; seule brandie .et dégainée ta verge
les déterminations et les oppositions qui tante de tout ce qui
font système avec elle. Toutes les signi- conteste la liberté. Se
traversait ma bouche avec l'âpreté soudain mau-
fications fami liales se mettent alors à passer
produire, se faire l'objet vaise d'un clocher crevant un nuage d'encre, une
l'une dans l'autre et rien ne peut les arrêter.
Tel est le jeu de l'esprit avec lui-même, dès de soi-même, se connaî- épingle à chapeau un sein. Tu ne bougeais pas,
qu'il commence à se tendre . Car le Streben, tre soi-même; voilà l'ac-
le tendre, on vient de le voir, forme son tu ne dormais pas, tu ne rêvais pas, tu étais en fuite,
essence. Son jeu le ruine et le détend
tivité de l'esprit. C'est
aussitôt de cette manière qu'il immobile et pâle, glacé, droit, étendu raide sur le
est pour soi. Les choses lit plat comme un cercueil sur la mer, et je nous
naturelles ne sont pas pour elles-mêmes; c'est pourquoi
savais chastes, tandis que j'étais attentif à te sentir
elles ne sont pas libres. L'esprit se produit et se réalise
selon sa connaissance de lui-même; et il agit en sorte que t'écouler en moi, tiède et blanc, par petites secousses
ce qu'il sait de lui-même devienne une réalité. Ainsi tout continues. Tu jouais à jouir peut-être. Au sommet
se ramène à la conscience de soi de l'esprit. Quand il sait
du moment, une extase calme t'illuminait et mettait
qu'il est libre, c'est tout autre chose que quand il ne le
sait pas. Quand il ne le sait pas, il est esclave et satisfait autour de ton corps de bienheureux un nimbe
de sa servitude; il ne sait pas que l'esclavage est contraire surnaturel comme un manteau que de la tête et
à sa nature. C'est seulement l'expérience sentie (Empfin-
dung) de la liberté qui libère l'esprit, bien qu'en soi et pour
des pieds tu perçais. »
soi il demeure toujours libre. )}
L'esprit est toujours - déjà -- libre en tant qu'es--
prit, mais il lui reste à être ce qu'il aura été: à faire l'expé-
rience phénoménale de sa liberté, à s'apparaître comme
tel, à se libérer, à libérer sa liberté. Rien de plus doulou-
reux, malgré l'apparence - mais le mal est ici de l'appa-
rence - que ce retour à soi et cette libération de la liberté.
Cela se produit d'abord dans le devenir-vivant, le devenir-
vie de la matière. Dans la vie, l'esprit qui s'était perdu,
dispersé selon l'extériorité de la matière, commence à se
rapporter à lui-même. D'abord sous la forme du se-sentir.
Cette instance du se-sentir, qui prédique aussi l'amour, Par petites secousses continues, les séquences
se donne d'abord de façon immédiate, naturelle et exté- s'enjoignent, s'induisent, glissent en silence. Aucune
rieure (le sentir) dans l'animalité. Le sentir humain est
encore animal. La limitation animale, je la ressens, en
catégorie extérieure au texte ne doit permettre
tant qu'esprit, comme une contrainte négative dont je de définir la forme ou l'allure de ces passages, de
cherche à me libérer, un manque que je cherche à combler. ces transes d'écriture.· Il n'y a jamais que des
Cette tension, cette tendance à me libérer du sentir, je sections de fleurs, de paragraphe en
la partage avec tout vivant. Hegel appelle cela Trieb. un parafe. c'est
On ne peut traduire ici Trieb, comme on l'a fait, pat désir paragraphe, si bien que les prélève- l'abréviation d'un
ou par pulsion. Disons poussée pour ne rien décider encore. ments anthologiques n'infligent paragraphe : ce
L'homme ne passe du sentir au concevoir qù'en qui s'écrit à côté,
que la violence nécessaire à faire dans la marge
réprimant la poussée, ce que l'animal, selon Hegel, ne
saurait faire. L'idéalité, comme la pensée de l'universel, cas du reste. Tenez compte des
naît puis porte la marque d'une répression de la poussée : effets de recoupe et vous verrez que le tissu se
interruption violente entre la poussée et la satisfaction, reforme sans cesse autour de l'entaille.
entre le moment animal et le moment spirituel de la vie,
mort dans la vie naturelle, mort naturelle comme vie de
l'esprit. La famille s'annonce.
« La première connaissance de l'esprit, tel qu'il appa- .
raît sous la forme de l'individu humain, nous montre
qu'il est sentant (jühlend). Aucune objectivité n'est encore
ici présente (Hier ist noch keine Gegenstandlichkeit vorhanden). Ce qui s'élaborait en pourrissant, sous les
Nous nous trouvons déterminés de telle ou telle façon.
Je cherche à me dégager de cette déterminité (Bestimm- digitales, les lis ou les myosotis, c'était un enterre-
theit), et en procédant ainsi je me divise en moi-même. ment: celui de Divine, qui ne nous aura donc pas
Alors mes sentiments deviennent un monde externe et surpris, deux pages plus loin. Des« fleurs pourries »,
un monde intérieur. Mais en même temps apparaît un
autre aspect de ma déterminité : je me sens déficient (man- des violettes, dont le bouquet, ne pas l'oublier,
gelhaft), négatif; je trouve en moi une devient parapluie, et
d'aucuns seraient d· . d d·
tentés de garder l'in- contra lction qUI menace e me IS- vice versa : les para- le parapluie, comme toutes les figures
version : je suis mais. soudre (aufzulô·sen). Mais je suis (ich de para (paratonnerre, parachute,
Mais quoi? Je suis bin aber) ,. et je le sais, et j'oppose cela pluies sont comme paravent) est un apotrope absolu-
cependant séduit da-
vantage
à cette négation, à cette déficience! Je des bouquets, puis ment menaçant. La protection et
me maintiens à l'existence et je cherche l'agression passent l'une dans l'autre,
les bouquets comme se renversent sans cesse dans leur
à relever (aufzuheben) cette déficience. Ainsi je suis poussée
(Trieb). L'objet de la poussée est alors l'objet de ma des parapluies. Un rapport voilé à la vérité. Fonction
toujours réversible du supplément.
satisfaction, de la reconstitution (Wiederherstellung) de escalier aussi, ne pas Les paravents sont pleins de para··
mon unité. Tout ce qui est vivant a des poussées. Ainsi l'oublier, conduit à pluies. Sixième tableau : « Devant
nous sommes des êtres naturels, et: la poussée appartient le paravent, un parapluie ouvert est
au monde sensible en général. Les objets, dans la mesure la mort. Celle de appuyé, mais renversé. Soleil éclatant
où je les recherche à partir de la poussée, sont des moyens Divine. Monumenta- peint dans un ciel très bleu. »
d'intégration, ce qui constitue le fondement général du lisation pierreuse,
théorique et du pratique. Mais dans l'intuition de ces
objets de la poussée, nous nous trouvons immédiatement contre laquelle résonne l'éclat des noms. La théorie
plongés dans l'extériorité et devenons nous-mêmes exté- des tantes « tantes-·filles et tantes gars, tapettes,
rieurs. Les intuitions sont particulières, sensibles. La pédales, tantouzes » procède, foule des fleurs,
poussée l'est également, quel que soit son contenu. Sui-
vant cette détermination (Bestimmung) , l'homme est la d'un mouvement égal.
même chose que l'animal, car il n'y a pas de conscience de
soi dans la poussée. Or l'homme se connaît lui-même et
par là se distingue de l'animal. »
Le saut de l'animalité à l'humanité, comme saut du « L'escalier qui y mène, [au grenier de Divine]

H
sentir au penser, prend élan dans une répression de la aujourd'hui joue un rôle considérable. Il est l'anti-
poussée. L'homme a des poussées, comme l'animal, mais
il peut, lui, les inhiber, réprimer, retenir, freiner, contenir. chambre, sinueux comme les couloirs des, Pyra-
Ce pouvoir négatif - qu'on ne se hâte pas de nommer le mides, de la tombe provisoire de Divine. Cet
refoulement - est son propre. C'est en lui qu'il devient hypogée caverneux se dresse, aussi pur que le
conscient et pensant. Le procès d'idéalisation, "la consti-,
tution de l'idéalité comme milieu de la pensée, de l'uni- bras nu de marbre dans la ténèbre qui dévore le
versel, de l'infini, c'est la répression de la poussée. L'Auf- cycliste auquel il appartient. Issu de la rue, l'esca-
hebung est donc aussi une contre-poussée répressive, une lier monte à la mort. Il accède au dernier reposoir.
contre-force, une Hemmung, une inhibition, une sorte
d'anti-érection. Il sent les fleurs pourries et déjà l'odeur des
Hegel enchaîne : inséparable de la répression, l'idéa- cierges et l'encens. Il monte dans l' ombre. D'étage
lisation l'est tout autant du rapport de l'esprit à lui-même en étage, il s'amenuise et s'obscurcit jusqu'à n'être
comme rapport du père au fils dans une structure trini-
taire. plus, au sommet, qu'une illusion mêlée à l'azur.
« Or l'homme se connaît: lui-même et par là se dis- C'est le palier de Divine. Tandis que dans la rue,
tingue de l'animal. Il est pensant (denkend) : mais penser, sous l'auréole noire des parapluies minuscules et
c'est connaître l'universel. Par la· pensée le contenu est
réduit au simple et l'homme lui-même se simplifie, c'est- plats, qu'elles tiennent comme des bouquets,
à-dire s'intériorise et s'idéalise. A vrai dire, c'est: moi qui Mimosa l, Mimosa II, Mimosa mi-IV, Première
suis l'intériorité et la simplicité: c'est seulement dans la Communion, Angela, Monseigneur, Castagnette,
mesure où je transpose le contenu dans cette simplicité
qu'il devient universel et idéal. Ce que l'homme est réelle- Régine, une foule enfin, une litanie encore longue
ment (reell) , il doit l'être idéellement (ideell) . Sachant d'êtres qui sont des noms éclatés, attendent, et de
le réel (Real) comme idéel (Ideell) , il cesse d'être un l'autre main portent comme des parapluies des
simple être naturel, livré à des intuitions et poussées
immédiates, à leur satisfaction comme à leur production. petits bouquets de violettes qui fQnt s'égarer, par
Il en est conscient et c'est pourquoi il réprime (hemmt) exemple, dans une rêverie d'où elle sortira ahurie
ses poussées et met la pensée, l'idéel, entre l'urgence et tout abasourdie de noblesse, l'une d'elles, disons
(Dréingen) de la poussée et sa satisfaction. En revanche,
chez l'animal, les deux coïncident : l'animal ne peut Première Communion, car elle se souvient de
rompre volontairement leur connexion; elle [la connexion] l'article, émouvant comme un chant venu de
ne peut être rompue que par la douleur ou la peur. l'autre monde, de notre monde aussi, qu'un journal
Mais la poussée humaine existe indépendamment de sa
satisfaction. Pouvant freiner ou laisser aller ses poussées, du soir, embaumé par cela, annonçait : « Le tapis
l'homme agit selon des ,fins et se détermine selon l'univer- de velours noir de l'Hôtel Crillon où reposait le
sel. Il doit déterminer quelle fin doit être imposée; il cercueil d'argent et d'ébène contenant le corps
peut même poser comme fin l'universel lui-même. Ce qui
le détermine, c'est la représentation de ce qu'il est et de ce embaumé de la Princesse de Monaco était jonché
qu'il veut. C'est là son indépendance: il sait ce qui le de violettes de Parme. »
détermine. Ainsi, il peut prendre comme fin le concept
simple, par exemple sa liberté positive. Les représenta-
tions de l'animal ne sont pas idéelles, effectives : c'est
pourquoi l'animal est privé d'indépendance interne. En
tant que vivant, l'animal porte en lui la source de son
mouvement. Mais nulle stimulation extérieure n'est opé-
rante si elle n'existe déjà en lui: ce qui ne correspond Suivez interminablement le cortège, vous ver-

34
pas à son être intime n'existe pas pour l'animal. L'animal rez « magnifier )} tous les accidents, des « traînées
se divise lui aussi en deux (sich entzweit) par lui-même. de bave »,« la magnificence lourde du barbare
Mais il ne peut s'interposer entre ses poussées et leur
satisfaction; il n'a pas de volonté et ne connaît pas d'inhi- qui foule avec ses bottes crottées des fourrures de
bition (Hemmung). Chez lui la stimulation commence prix. [... ] De l'avoir évoqué suffit pour que ma
intérieurement et suppose un développement immanent. main gauche par ma poche percée [...] le moulage
Mais l'homme est indépendant, non parce qu'il est doué
d'auto-mouvement, mais parce qu'il est capable d'inhiber en plâtre que fit elle-même Divine de sa queue,
le mouvement et de briser par là son immédiateté et sa gigantesque quand il bandait [...] je ne peux
naturalité. )} m'arrêter de le chanter qu'au moment où ma main
L'autoniobilité de l'animal n'est absolue que dans
la mesure où elle reste automaticité extérieure ou sensible, s'englue de mon plaisir libéré [...] toutes enfin,
contrainte pure quant à l'esprit. Inhibant l'automobilité les tantes, imprimèrent à leurs corps un mouve-
animale en lui, l'homme ment de vrille et crurent enlacer ce bel homme,
libère l'automobilité de
puissante et ample chaîne, d'Aristote, au
l'esprit, la liberté. s'entortiller autour. Indifférent et clair comme un
moins, à nos jours, elle lie la métaphysique
onto-théologique à l'humanisme. L'oppo-· Cela s'explique -- couteau d'abattoir, il passa, les fendant toutes en
sition essentielle de l'homme à l'animal -- le style est à peu près
ou plutôt à l'animalité, à un concept uni- deux tranches qui se rej oignirent sans bruit. )}
voque, homogène, obscurantiste de l'ani-
d'un séminaire - par
malité - y sert toujours le même intérêt. la semence. Ou par le Le thyrse, le thyrsanthe, qui fut d'abord une
L'Animal n'aurait pas la Raison, la Société, germe. Qui intervient: arme tranchante ou pénétrante, informe, ici, et
le Rire, le Désir, le Langage, la Loi, le
Refoulement. Des trois blessures du nar-
aussitôt après l'analyse le texte et son « objet ».
cissisme anthropique, celle que Freud de la poussée. Le germe
indique du nom de Darwin paraît plus into- ( der Same) est aussi, en
lérable que celle qu'if a signée lui-même.
On y aura résisté plus longtemps
germe, la figure onto-
théologique de la fa-
mille.
Ce concept (de) germe (Same, semen, semence,
sperme, graine) entre régulièrement en scène dans la
dialectique spéculative, à des places et dans des régions
du discours encyclopédique qui sont à la fois homologues
et distinctes, qu'il s'agisse de l'ordre végétal, biologique,
anthropologique, onto-logique en général. Entre tous
ces ordres, elle assure un système de correspondances
figuratives.
D'où ces figures s'exporteraient-elles? Quel serait
leur lieu propre?
La figure de la semence (appelons-la provisoirement
ainsi) est immédiatement déterminée : 1. comme la meil-
leure représentation du rapport à soi de l'esprit; 2.. comme
le trajet circulaire d'un retour à soi. Et dans la description
de l'esprit qui revient à lui-même à travers son propre
produit, après s'y être perdu, il y a plus qu'une simple
commodité rhétorique à donner à l'esprit le nom de père.
De même l'avènement de la Trinité chrétienne est plus
qu'un événement empirique dans l'histoire de l'esprit.
Allez-vous précipitamment tomber dans le
« ••• briser par là son immédiateté et sa naturalité. piège?

35
« Penser, penser qu'il est un moi (Ich), voilà ce qui Et traduire que La Fleur, qui signifie (symbolise,
fait la racine (Wurzel) de la nature de l'homme. En tant métaphorise, métonymise, etc.) le phallus, une
qu'esprit, l'homme n'est pas un immédiat mais essentiel-
lement un revenu-en-soi (in sich Zurück- fois prise dans la syntaxe du coupable, signifie
la médiation : le gekehrtes). Ce mouvement de médiation la mort, la décapitation, la décollation? Anthologos
retour auprès de soi (T 7" • 1 ) • 1
qui surmonte la divi- v ermttte~ung est un momenf essentle
sion et la perte. La de l'esprit. Son activité est la sortie
signifiant le signifiant signifiant la castration?
relève du deux dans par-dessus l'immédiateté, sa négation
le trois, retour à soi 1 1
de l'unité. Le père se et par à e retour en SOl
. (Rüc.kkehr zn.
divise, sort de lui- sich). Il est donc ce qu'il se fait par Ce serait arrêter une fois de plus, et au nom de
même dans le fils, se son activité. C'est seulement le revenu
reconnaît en 1ui et se .• 1 . l' cr . . , 11 la loi, de la vérité, de l'ordre symbolique, la
retrouve, se recomp·· en SOl qUl est e sUJet, elIectlvlte rée e. marche d'une inconnue : son glas, ce qui s'agit id.
te dans son revenu L'esprit est seulement comme son pro-
pre résultat. A titre d'éclaircissement
[ou d'illustration: zur Erlaüterung], on peut se servir de
la représentation de la semence (die Vorstellung tles Samens Essayer de l'arrêter, une fois de plus, comme
dienen). Avec la semence commence la plante, mais elle
(la semence) .est: en même temps le résultat de toute la en 1952, où, à la sortie de prison, l'ontophéno-
vie de la plante. Celle-ci se développe pour la produire ménologue de la libération
(hervorzubringen). Mais c'est l'impuissance de la vie (die
Ohnmacht des Lebens) que la semence soit commencement libération - sous ce titre il faut penser, d'abord
et en même temps résultat de l'individu .- qu'en tant que et au moins, à l'évitement de la psychanalyse et du
point de départ et que résultat il soit différent et néanmoins marxisme au nom de la liberté, du «choix originel»
le même, produit: d'un individu et commencement d'un et du « projet existentiel ». «Tel est le cas du petit
Genet. [ ... ] Ce qui l'a retenu d'adopter cette
autre. Ces deux aspects se séparent en lui comme la forme conclusion dans la réalité [se tuer comme tel
(Form) de la simplicité dans le grain (de blé: Kom) se « enfant puni qui châtie sa mère en se privant de
sépare au cours du développement de la plante. dessert »], c'est, je crois, son optimisme. Par là,
« Chaque individu a en lui un exemple (Beispiel) j'entends désigner l'orientation même de sa liberté.
plus précis. L'homme n'est ce qu'il doit être que par [ ... ] Il a choisi de vivre, il a dit contre tous: je serai
l'éducation [la formation, la culture : Bildung], par la le Voleur. j'admire profondément cet enfant qui
discipline (Zucht),. ce qu'il est immédiatement, c'est s'est voulu sans défaillance à l'âge où nous n'étions
seulement la possibilité d'être, c'est-à-dire d'être rationnel, occupés qu'à bouffonner servilement pour plaire.
libre, seulement la destination (Bestimmung), le devoir. Une volonté si farouche de survivre, un courage
L'animal est aussitôt achevé (Jertig) dans sa formation; si pur, une confiance si folle au sein du désespoir
mais il ne faut pas considérer cela comme un bienfait de porteront leur fruit: de cette résolution absurde
naîtra vingt ans plus tard le poète Jean Genet. [...]
la nature. Sa croissance (Wachstum) est seulement un
Mais quand une bouderie systématisée, durcie,
renforcement [un affermissement, Erstarken] qùantitatif. tient dix ans, trente ans, quand elle se change en
En revanche, l'homme doit se faire lui-même ce qu'il doit système du monde, en religion occulte, il faut qu'elle
être; il doit tout conquérir lui-même précisément parce dépasse singulièrement le niveau d'une simple
qu'il est esprit; il doit se défaire du naturel. L'esprit est réaction enfantine, il faut qu'une liberté d'homme
d,one son propre résultat. » s'y soit tout entière engagée. [ ... ] Si nous voulons
. Paradoxe dialectique : le vivant naturel, la vie en tant comprendre ce qu'il est aujourd'hui et ce qu'il
que nature se développe d'elle-même sans liberté dans la écrit, il faut remonter à ce choix originel et nous
mesure où son automobilité est finie. Elle ne sort pas efforcer d'en donner une description phénomé-
d'elle-même, elle ne fait que développer le germe: accrois- nologique. »
sement quantitatif sans rupture, sans rapport au dehors et
à l'autre absolu. En tant que nécessité naturelle suivant insistait pour vous remet-
sa propre pente, sans liberté, son automobilité est donc tre, en main propre, en lieu sûr, les « clés » de
le résultat d'autt'e chose que de soi. Elle est le résultat
d'autre chose précisément parce qu'elle reste enfermée en l'homme-et-l'œuvre-complète, leur ultime signi-
elle-même et n'a pas rapport à soi comme à l'autre. Sans fication psychanalytico-:existentielle.
doute le vivant naturel se divise-t-il en deux; mais cette
division n'étant pas absolue, l'animal n'a pas de rapport
absolu à lui-même. Ni à l'autre. Ni moi ni l'autre. C'est L'écho traîna longtemps «< Telle est la clé
pourquoi il n'y a pas· de famille naturelle, pas de rapport de sa conduite et de ses désordres »••• « L'Autre
père/fils dans la nature. que soi. Voilà donc la clé de Genet, voilà ce qu'il
Le saut qualitatif s'opérerait avec l'individu humain :
se divisant radicalement, il a conscience de lui comme de faut comprendre d'abord: Genet est un enfant
l'autre. N'ayant plus, du fait de cette division, son mouve- que l'on a convaincu d'être, au plus profond de
ment naturel en lui, il se constitue par sa Bildung, sa lui-même, un Autre que soi... Notre certitude
culture, sa discipline, sa formation symbolique. Para-
doxalement, il est, plus que la plante ou l'animal, son de nous-même trouve sa vérité dans l'Autre »).
propre produit, son propre fils, le fils de ses œuvres.
Plus que la plante ou l'animal, il est issu de son propre
germe. Il se conçoit lui-même. C'est parce qu'il a inter-
Le recéleur était alors aussi aveugle à la figure
rompu la poussée naturelle et s'est privé d'automobilité sexuelle de la clé qu'à son pouvoir de faire gâfe si
qu'il s'est donné la loi. Il s'est appelé lui-même, autonom- elle tombait dans de mauvaises mains. Assez
mémento
Mais de cette autoproduction, comme négation inhi-
générale pour introduire aux structures transcen-
bitrice de l'automobilité naturelle, l'individu humain, dantales de l'ego, elle était aussi efficace et aussi
l'individu particulier, fini, en tant que tel, n'est qu'un indifférenciée qu'un
exemple. Et le rapport père/fils (humain) n'est qu'un exem- donc ce qui signe Genet ne serait là
ple (fini) du rapport père/fils infini, du rapport de l'esprit
passe-partout, qu'une que pour fair'e l'exemple, le cas d'une
infini se rapportant librement à lui-même comme à son clé universelle glis- structure universelle, qui nous en
propre ressaut, sa propre ressource. De même qu'il y sant dans toutes les donnerait la clé. Quand on parle d'un
cas, le médecin, le juge, le prof, le
avait un saut dans la négativité, entre la négativité de
l'Entzweiung naturelle (plante, animal) et celle de l'Ent- lacunes signifiantes. gâfe et l'avocat sont déjà en consul-
tation. On voit les robes et les uni-
zweiung spirituelle ou humaine, entre la relève dans la Une note des formes et les camisoles s'affairer. Et
nature et la relève de la nature dans l'esprit fini, de même Écrits de Jacques les cravates. François Mauriac, quel-
il y a un saut dialectique, qui est le ressaut absolu du
résultat, entre l'Aujhebung de l'esprit fini et celle de
Lacan (Genet est l'un ques années auparavant, écrivait « Le
cas Genet ». Quelque années plus tard,
l'esprit infini. De même que - de même: l'analogie des très rares « écri- sentence de Bataille : « L'échec de
ou la proportion tient à ce que le fini est en tant que vains français », mo- Genet ».
passage à l'infini. Ce qui signe s'intéresse aussi, mais
D'où la rhétorique exemplaire de Hegel, le procédé
dernes ou non, à ne à la lettre et c'est tout autre chose,
exemplariste de sa rhétorique : de sa rhétorique comme pas y figurer à l'In- au cas de la clé. Comment ça s'enchaÎ-
ne, ça s'ouvre, ça tombe et ça sonne.
technique des figures et comme formè d'argumentation. dex des noms cités) Et comment le cas peut fausser, forcer
Après avoir fait cas de l'individu humain comme
d'un exemple (Beispiel) du mouvement de l'esprit infini nomme cet objet plutôt une loi dialectique, une serrure
qui devrait pourtant ouvrir à tout.
et du ressaut du résultat, Hegel passe au mouvement « que nous ne sau- Attaquée d'un certain angle
infini du ressaut lui-même, à l'esprit infini qui, lui, ne peut rions mieux désigner
plus être un exemple puisqu'il n~est pas fini. Du moins ne
peut-il plus jouer le rôle d'un exemple si l'exemple est un
qu'en l'appelant le phallus universel (comme on
cas particulier dans un ensemble ou une série homogène. dit : clé universelle) ».
Ille peut si l'exemple est l'idéal exemplaire, le sens absolu Cette clé transcendantale, condition de tous
dont les exemples finis ne sont justement que des exem- les signifiants déterminés et concaténation de la
plaires approchants. Ce passage de l'exemple à l'exempla-
rité de l'exemple, ce passage du fini à l'infini peut se chaîne, était prescrite et inscrite, mais comme une
donner parfois des allures de rhétorique et de mode d'expo- pièce et un effet dans le texte, enchaînée, entraînée
sition. Il est en vérité l'ontologique du passage, la raison du dans le Miracle de la rose. Elle tombe alors s'accu-
fini qui ne se pose comme tel qu'en passant dans l'infini.
Dans le fini les exemples (Beispielen) peuvent se substituer sant sous la plume. « Tous les cambrioleurs com-·
les uns aux autres et c'est pourquoi ils sont exemples, cas prendront la dignité dont je fus paré quand je
particuliers classés selon la loi générale. Cette substi- tins dans la main la pince-monseigneur, la « plume ».
tution est la liberté de jeu, du jeu entre lés exemples. Cette
liberté est finie. Le jeu est ici rendu possible par la finitude; De son poids, de sa matière, de son calibre, enfin
mais la finitude se relève elle-même. de sa fonction, émanait une autorité qui me fit
Dans le cas - inclassable - de l'esprit absolu (Dieu),
plus de jeu en ce sens. homme. J'avais depuis toujours, besoin de cette
Le cas de Dieu, peut-on dire cela? Peut-on classer le verge d'acier [... ] les deux cales l'allégeaient et
nom de Dieu? lui donnaient cette allure de bite ailée par quoi
S'il y avait un cas de Dieu, si Dieu pouvait être pris
pour exemple, cela voudrait dire qu'on le prend pour un
je fus hanté. Je dormais auprès d'elle car le guerrier
corps fini, qu'on se méprend à le faire tomber hors de ce dort armé. »
qu'il est, qJl'on le prend pour un autre. Dieu, s'il est Dieu,
si on pense ce qu'on dit quand on le nomme, ne peut
plus être un exemple de l'Aufhebung. Il est l'Aujhebung
infinie, exemplaire, infiniment haute. Il n'est plus un
exemple et le jeu de la substitution ne peut plus s'opérer.
Mais Dieu ne peut-il - de lui-même - tomber dans
le fini, s'incarner, devenir son propre exemple, jouer avec
lui-même en tant qu'infini devenant fini (mort) pour
réapproprier son infinité, répéter l'esprit, c'est-à-dire avoir
un fils-homme qui soit sa propre semence, son propre
produit, son propre résultat, son meilleur revenu?
Seule la figure du Christ peut donc régler l'échange
producteur - amortissement et bénéfice - entre la
rhétorique et l' onto-Iogique. Investissement de la Sainte Coupons très collrt, faisons très vite : cette
Famille, ou plutôt de la Trinité : bite auprès de laquelle je dors, c'est moins celle
« L'exemple le plus sublime [élevé, relevé, éminent: du père, comme on le croirait, que la Vierge Marie
das erhabenste Beispiel] est donné par la nature de Dieu
elle-même. A proprement parler (eigentlich), elle n'est pas elle-même. Je ne dis pas que ce n'est pas celle du
un exemple ((ein Beispiel) (Bei-her-spiel)), mais l'universel, père, je dis « moins que ». Mais pour savoir
« jeu de mots intra- le vrai même, dont tout le reste est comment s'écrit celle du père, il faut encore éla-
duisible » notent jus- exemple (Beispiel). Certes les anciennes
tement les traduc- religions avaient appelé Dieu Esprit; borer, induire, pour mieux glisser.
teurs. Ce jeu de mots
n'est pas un jeu de seulement c'était encore un simple nom
mots parmi d'autres et qui n'était pas encore compris [saisi:
possibles. " est le jeu geJasst] de telle sorte que la nature de
qui rend possibles Donc, au lieu de la fleur, le texte anthographique,
tous les jeux : le jeu l'esprit y fût explicitée. Dans la religion
de l'infini avec lui- juive l'esprit est pour la première fois marginal et parafant : qui ne signifie plus.
même, le jeu exem- représenté (vorgestellt) encore que de Les glas, tels que nous les aurons entendus,
plaire qui joue plus
façon seulement abstraite. Mais dans le
- ou moihs - que sonnent la fin de la signification, du sens et du
christianisme, Dieu est révélé ( offen-
signifiant. Hors de quoi, ~ pour l'y opposer,
tout autre. Il joue
moins de jouer plus. bart) comme Esprit et il est d'abord
Il joue avec lui-même
sans limite et sans
Père, puissance (Macht), universel abs- encore moins l'y appose!, nous remarquons la
règle qu'il ne se don-trait (abstrakt Allgemeines) qui est en-
signature qui à travers son nom, en dépit de ce
ne à lui-même. Ce core voilé (eingehüllt), et en second lieu
qui du même coup
il est objet pour lui-même, un autre que qui s'appelle ainsi, ne signifie plus.
limite infiniment le
jeu soi-même, un se divisant en deux (ein A ne plus signifier, la signature
sich Entzweiendes), le fils (der Sohn). »
Le Dieu chrétien manifeste l'esprit concret, qui res- qu'est-ce qu'une signature? Et qu'y devient le
tait encore voilé et abstrait dans le judaïsme; mais il ne langage des fleurs? La question doit trouver une
le manifeste qu'en devenant père. Le père - le Dieu juif forme capable, par exemple, des propositions sui-
certes, en était un - reste une forme universelle abstraite vantes : 1. Miracle de la rose « ... les fleurs
tant qu'il n'a pas de fils reconnu. Un père sans fils n'est parlaient... », 2. «Je pense qu'elfes [les fleurs]
~ 1

pas un père. Il ne se manifeste comme esprit concret - ne symbolisent rien. »(Pompes funèbres.)
et non seulement anticipé, représenté, vorgestellt _. qu'en Dans ces conditions, qu'est-ce donc qu'un « livre
se divisant dans sa semence qui est son autre, ou plutôt chargé de fleurs» (Notre-Dame-des-Fleurs)? Un lit,
qui est lui-même comme objet pour lui-même, l'autre bien sOr, c'est-à..dire, on le percevra plus tard, des
pages, le squelette de J. D. qu' «on aurait étendu
pour lui et qui donc lui revient, en lequel il revient à
sur un lit de roses et de glaïeuls» (Pompes funèbres)
lui-même : son fils.
et qu'on voudrait manger avec des mots dialec-
Comme ce fils est infini _. fils de Dieu .- il n'est pas tophages : «Je suis son tombeau. » «J'avais faim
l'autre de Dieu. Il donne à Dieu son image. Mais comme ce de Jean. » «Je ne m'attacherai jamais assez aux
fils de Dieu est homme - fini .- il est Dieu séparé de conditions dans lesquelles j'écris ce livre. S'if est
lui-même et s'apparaissant lui-même comme passage de vrai qu'il a pour but avoué de dire la gloire de
l'infini au fini, du fini à l'infini. Dieu se connaît et recon- Jean D., il a peut-être des buts seconds plus impré-
naît dans son fils. Il assiste (à) sa mort, son enterrement, visibles. »
sa magnification, sa résurrection. Le rapport de connais-
sance qui organise toute cette scène est un tiers, un troi-
sième terme, l'élément du rapport de l'infini à soi: c'est
l'esprit saint. Ce medium procure l'élément de la familia-
rité : familiarité de Dieu avec sa propre semence, élément
du jeu de Dieu avec lui··même. L'exemplaire (infini) se
donne et fait revenir à lui l'exemplaire (fini). Le père
infini se donne, par auto-fellation, auto-insémination et
auto-conception, un fils fini qui à se poser là et à s'incar-
Je ne suis bon qu'à embaumer.
ner comme fils de Dieu devient infini, meurt comme fils
fini, se laisse ensevelir, serrer dans des bandelettes qu'il
défera bientôt pour renaître fils infini.
« ... un se divisant en deux, le fils. Mais cet autre que
soi est également lui-même immédiatement; il se connaît
et s'intuitionne en lui, - et c'est précisément ce savoir de
soi et cette intuition de soi qui sont, troisièmement, l'esprit
lui-même. »
L'esprit, ce n'est ni le père ni le fils, mais la filiation,
le rapport du père au fils, du fils au père, du père au père Si donc il n'y a pas de langage des fleurs, si la fleur
par la médiation du fils, du fils au fils par la médiation est au fieu de la signification zéro, comment ce zéro

39
du père. L'esprit est l'élément de l'Aufhebung dans lequel symbolique peut-il prendre dans une jungle de
la semence revient au père. signes et de figures appartenant à la langue naturelle,
« Cela veut diœ que le tout est l'esprit et non pas à la nature. au physique, à la langue physique comme
langue maternelle qui lui est nécessairement étran-
l'un ou l'autre pour soi seulement. Dieu, énonce [défini,
gère? Question encore de la physis comme mimesis.
exprimé, ausgesprochene] sur le mode de l'affect [Empfin- Elle revient aussi à savoir comment en finir avec
dung) est l'amour éternel, qui consiste à avoir "l'autre ce qu'on mange. Le travail du deuil comme travail
comme son propre (das Andere ais sein Eigenes zu haben). de la langue, des dents et de la salive, de la déglu-
Cette trinité [cette triplicité, Dreijaltigkeit] est ce par quoi tition aussi, de l'assimilation et du rot. La fin de
la religion chrétienne se situe plus haut que les autres Jean a rapport à la Cène. « ... le tombeau, il a besoin
religions. Si elle ignorait la Trinité, il aurait pu se faire de lumière pour deux mille ans! ... et pour deux
que la pensée trouvât davantage dans les autres religions. mille ans de nourriture ... (Elle hausse les épaules.)
Elle [la trinité] est le spéculatif ( das Spekulative) là-dedans enfin, tout est bien agencé, et il y a des plats pré-
[dans le christianisme] et c'est pourquoi la philosophie parés : la gloire c'est de descendre au tombeau
trouve aussi en elle l'idée de la raison. » avec des tonnes de mangeaille! » (Le balcon.)
Si les fleurs figurent des «accessoires infernaux ».
Mais de même que le christianisme se représente et
c'est que, ne signifiant rien, elles sont néanmoins
s'anticipe seulement dans le judaïsme qui en est la Vor- le support, mais à jamais soustrait, de tout le texte,
ste/lung, de même la religion absolue qu'est le christianisme de toutes les déterminations. « ... ils commençaient
reste la Vorste/lung du Sa comme philosophie. La structure à exister pour moi de leur existence pmpre, avec
de la Vor stellung ouvre la scène de la sainte famille sur le Sa. de moins en moins le secours d'un support : les
Le christianisme offre donc l'exemple d'une religion fleurs. » (Miracle de la rose.) Tel est le rapport du
naturellement spéculative. La philosophie - la dialectique miracle au texte. C'est-à-dire à un reste qui n'est
spéculative _. aura été la vérité de cette représentation de rien le reste, qui ne reste pas en paix. Qui
religieuse du spéculatif. De même que l'allemand, langue n'est surtout pas un résultat au sens de la dialec-
naturellement spéculative dans certains de ses traits, se tique spéculative.
relève d'elle-même pour devenir langue universelle, de « ta Reine: Mais c'est moi qui ai tout fait, tout
organisé... Reste ... Qu'est-ce que ...
même une religion historiquement déterminée devient
Soudain un crépitement de mitraillette. »
religion absolue et une religion absolue relèvè son carac- (Le balcon.)
tère de représentation (Vorstellung) pour devenir vérité Vous voyez, mais ne pouvez pas voir, vous êtes né-
absolue. Cela explique qu'on ait pu lire la philosophie cessairement aveugle au fait que les fleurs, pas
hegelienne - de part en part philosophie de la religion même montrées, à peine promises, vous sont
- comme un effet de christianisme aussi bien que comme constamment volées, dérobées, fauchées. Dans
un athéisme implacable. La religion s'accomplit et meurt le Journal: «- L'enterrement, il faut des fleurs. »
dans la philosophie qui est sa vérité, comme vérité de la [ ... ] - « Va faucher des fleurs avec ses potes. »
religion passée, de l'essence comme passé pensé (Gewe- [ ... ] « Avec deux copains, la nuit, ils pillèrent
senheit) de la religion chrétienne. de ses fleurs le cimetière Montparnasse. [ •.• ]
La vérité - le passé-pensé - est toujours la mort Avec une lampe électrique, ils cherchèrent les
roses. [ ... ] Une ivresse joyeuse les faisait voler,
(relevée, érigée, ensevelie, dévoilée, débandée) de ce
courir, blaguer parmi les monuments. " On aura
dont elle est la vérité. tout vu ", me dit-il. »
La position du père, la filiation telle que nous venons
de la lire, s'interprète aussi en vérité comme position du n'est plus à
coin de la Cène et judas. Totem et tabou vient d'inscrire l'ordre ou de l'ordre de la signification, du signifié
l'origine orphique de la doctrine du péché originel. le ou du signifiant.
rapport entre le Christ et Dionysos-Zagreus coupé en
morceaux: « Dans le mythe chrétien, le péché originel Donc - ce qu'émet un coup de glas, c'est que
résulte incontestablement d'une offense envers Dieu le
Père. Or, lorsque le Christ a libéré les hommes du poids la fleur, par exemple, en tant qu'elle signe, ne
du péché originel, en sacrifiant sa propre vie, nous sommes
en droit de conclure que ce péché originel avait consisté signifie plus rien.
en un meurtre. D'après la loi du talion profondément
enracinée dans l'âme humaine, un meurtre (ein Mord) ne Tombe, reste.
peut être expié que par le sacrifice d'une autre vie; le
sacrifice de soi-même signifie en rappel (weist zurück)
l'expiation pour un acte meurtrier. Et lorsque le sacri-
fice de sa propre vie doit amener la réconciliation avec
Dieu le Père, le crime à expier ne peut être autre que le
meurtre du père (der Mord am Vater)
« C'est ainsi que dans la doctrine chrétienne l'humanité
avoue de la façon la plus dévoilée [am unverhülltesten] sa Ni un nom ni un verbe en tout cas.
culpabilité dans l'acte criminel originel (zu der schu/dvollen
Tat der Urzeit), puisque c'est seulement dans le sacrifice
de l'un de ses fils qu'elle a trouvé l'expiation la plus effi-
cace. La réconciliation avec le père est d'autant plus pro-
fonde (um so gründ/icher) qu'en même temps que s'accom-
plit ce sacrifice, on proclame le renoncement total à la
femme qui a été cause de la rébellion contre le père. Mais
ici la fatalité psychologique de l'ambivalence fait encore
valoir ses droits. Par l'acte même où le fils offre au père Le seing ne souffre pas d'être à cet égard
la plus grande expiation possible, il atteint contre le
père au but de ses désirs. Il devient lui-même Dieu à côté, illisible. Si du moins lire veut dire déchiffrer un
proprement à la place du père (neben, eigent/ich an Stelle
des Vaters). La religion du fils relaie la religion du Père sens ou se référer à quelque chose. Mais cette
(Die Sohnesreligion fast die Vaterreligion ab). Et en signe de
substitution [d'ersatz, Zum Zeichen dieser Ersetzung], on
illisibilité qui se forme à tomber (par exemple de
ressuscite l'ancien repas totémique comme communion, ma main), qui brouille et entame la signification,
au cours de laquelle les frères réunis goOtent de la chair
et du sang du fils, et non du père, afin de se sanctifier c'est ce sans quoi il n'y aurait pas de texte. Un
ainsi et de s'identifier à lui. [...] La communion chrétienne
n'est fondamentalement qu'une nouvelle mise à l'écart texte n' « existe », ne résiste, ne consiste, ne
(Beseitigung) du père, une répétition de l'acte à expier. »
Quelle différence entre ce point de vue (regard du judas)
refoule, ne se laisse lire ou écrire que s'il est
et celui de la dialectique spéculative, quant à la vérité travaillé par l'illisibilité d'un nom propre. Je n'ai
la plus dévoilée? Quelle est, à table, l'écart entre Judas
et celui qui est la vérité? Qui tient ici le discours le plus pas - pas encore - dit que le nom propre existe
vrai? Quelle place revient donc à un Judas? Mais le dis-\
cours de la vérité peut-il sortir de table? et qu'il devient illisible quand il tombe dans la
Voire
signature. Le nom propre ne résonne, se perdant
père mort. La vie de l'esprit comme histoire est la mort du aussitôt, qu'à l'instant de son débris} où il se casse,
père dans son fils. La relève de cette mort a toujours le se brouille, s'enraye en touchant au seing.
sens d'une réconciliation: la mort n'aura pu être qu'un
acte libre et violent. L'histoire est le procès d'un meurtre.
Mais ce meurtre est un sacrifice : la victime s'est offerte.
Scandale auquel un tribunal fini ne peut rien comprendre :
une victime aurait ainsi tendu aux meurtriers, en même
temps que son corps, l'instrument du crime.

Quelle est la fonction de ce modèle chrétien? En quel


sens est-il exemplaire pour l'onto-théologie spéculative? Vous êtes encore dans l'escalier} vers une
Peut-on le circonscrire et le déplacer comme une structure crypte qui vous attend toujours d'avoir précédé
finie et particulière, liée à des condi- cela même qu'elle paraît cacher. « C'est alors que
ce qui se fait notam- tions historiques données? Peut-on
ment à partir' de commença cet échange de billets amoureux, où
L'origine de la famille, interroger une autre histoire que celle
de la propriété privée qui se représente ici? Peut-on changer nous parlions de nous, de projets de casse, de
et de l'état. Le titre de d'horizon? de logique?
Engels reproduit le coups mirobolants et, surtout, de Mettray. Par
premier et le dernier A l'intérieur du système, le· pro-
moment de la Sittlich- gramme des travaux dits de jeunesse prudence, il signa son premier billet : « Illisible »,
keit hégélienne et sur le christianisme aura fait loi. Avec
déporte l'analyse hors
et je répondis en commençant ainsi: « Mon illi-
du centre chrétien une portée aussi puissante et invariable sible. » Pierre Bulkaen restera pour moi l'indé-
occidental à partir des que les premiers mots de l'Evangile
travaux d'éthnologie johannique sur l'histoire .de l'Occident. chiffrable. C'est toujours dans l'escalier où il
familiale de Bachofen
et de Morgan Quant à la famille, on peut suivre m'attendait que nous nous passions les papiers. »
une homologie très précise entre les
premiers schémas et ceux de la période finale du système.
Le passage du judaïsme au christianisme s'interprète
comme avènement de l'amour, autrement dit de la famille,
comme relève de la moralité (Moralitat) formelle et
abstraite (le kantisme est à cet égard, structurellement,
un judaïsme). Il met en œuvre une théorie de la figure, une C'est le Miracle de la rose qui avait commencé
rhétorique et une sémiotique onto-théologiques qui (à F~ntevrault, cellules en forme de « cercueil
appartiennent de plein droit au contenu même du discours.
vertical » dans le « lierre ») par mettre en scène
N'y avait-il donc pas de famille avant le christia-
nisme ? Avant le christianisme, la famille ne s'était pas anthotropique, mais de biais et pour apparemment
encore posée comme telle. Elle s'annonçait, se représen- la laisser en plant, comme s'il fallait faire gâfe à
tait, s'anticipait. L'amour n'était pas encore au foyer de la
n'y rien entraver (c'est comme ça que ça s'écrit
famille. Le vrai rapport père/fils attendait le~h:dstianisme,
la monogamie aussi, telle qu'elle sera définie dans la toujours: le grand style de la fleur paraît à l'air de
Philosophie du droit. A dater du Christ, l'amour est substitué ne pas y toucher au moment où ça élabore le plus),
au droit et au devoir abstrait : en général et non seulement
la greffe du nom propre. Une greffe ne survient
dans les rapports entre époux.
L'esprit du christianisme: « Au devoir de fidélité dans pas au propre. Celui-ci commence par y trouver
le mariage et au droit de se séparer de l'épouse, Jésus son éclat: son apparaître ou son éclosion, mais aussi
oppose l'amour qui exclut jusqu'au désir (coupable)
que le devoir, lui, n'interdisait pas, et suspend, sauf dans
son morcellement.
un cas, l'autorisation qui contredisait à ce devoir. » .
Jésus suspend, lève l'autorisation, sauf dans un cas.
Le mot allemand pour suspendre ou lever, c'est ici
atifheben. Jésus ne suspend l'autorisation qu'en tant qu'elle
appartient encore au droit abstrait. En vérité il suspend et
relève le droit abstrait dans l'amour.
Nous n'allons pas nous demander ici ce que c'est que
cette opération. Dès lors que la question ontologique
(qu'est-ce? qu'est-ce qui est? que veut dire être? etc.)
ne se déploie ici que selon le processus et la structure de
l'Atifhebung, se confond avec l'absolu de l'Atifhebung, on
ne peut plus demander : qu'est-ce que l'Atifhebung? Le nom de celui qui paraît apposer ici son
comme on demanderait : qu'est-ce que ceci ou cela? ou seing (Genet) est celui, on le sait (mais comment:
quelle est la détermination de tel ou tel concept parti-
culier? L'être est Aufbebung. L'Aufhebung est l'être, non et d'où le sait-on?), de sa mère. Qui aurait donc
pas comme un état déterminé ou comme la totalité enfanté selon une sorte d'immaculée conception.
déterminable de l'étant, mais comme l'essence « active >},
productrice de l'être. Elle ne peut donc faire l'objet d'au-
cune question déterminée. Nous y sommes sans cesse
renvoyés mais ce renvoi ne renvoie à rien de déterminable.
Impossible, par exemple - mais l'exemple se relève
aussi -- de comprendre l'avènement de la vraie famille
(amour et monogamie), de la famille chrétienne, sans
tenir compte de l'Aufhebung du droit abstrait. L'être Le nom de la mère serait - communément -
aimant se réconcilie malgré l'injure, sans tenir compte du celui d'une plante ou d'une fleur, à la différence
droit, du juge et de celui qui juge le droit (nicht vom
Richter ihr Recht zumessen), sans égard et sans regard d'une lettre, l's tombé, ou d'un accent circonflexe,
pour le droit: (ohne aIle Rücksicht au! Recht). Une note pour en cicatriser la chute. Couvrant l'entre~deux
manuscrite ajoute : « L'amour exige même l'Aujhebung des lèvres ou lettres écartées - à la place de s -
du droit qui est né d'une séparation (Trennung), d'une
lésion (Beleidigung), il (l'amour) exige la réconciliation d'une toile tendue, pointue, tente ou monumanque
(Ver so'hnung) . >} pyramidal.
Le schéma de la Philosopl;ie du droit est en place :
l'amour comme relève du droit et de la moralité abstraite, Genêt nomme une plante à fleurs - jaunes
c'est-à-dire d'une scission entre l'objectivité et la subjec- (sarothamme à balais; genette, genêt:r:·balais, véné-
tivité. neux et médicinal, distinct d:h genêt des teintu-
La note manuscrite a été raturée mais elle est en
accord avec tout le contexte qui la confirme constamment. riers, genista tinctoria, Igenestrd~le, herbe à jaunir),
Intervient aussitôt après la proposition sur l'amour comme genet une espèce de cheval. D'Espagne, pays qui
Aufhebung des droits et devoirs conjugaux en tant que importe beaucoup dans le texte.
tels.

Dans l'ordre (judaïque) du droit et du devoir abstraits,


de la loi objective, le devoir de fidélité, la fidélité comme
devoir allait de pair avec le droit de se séparer de sa
femme. Mais le devoir en tant que tel n'interdit pas le Si toute sa littérature chante et tisse un hymen
désir d'infidélité, il interdit seulement, dans l'objectivité, funèbre à la nomination, Genet ne fait jamais cas,
l'acte d'infidélité. L'amour que Jésus oppose à cette noblesse oblige, que de s'appeler lui-même.
loi objective suspend jusqu'au désir infidèle. Du moins
exclut-il ( ausschlie sst) ce désir en même temps qu'il
suspend ( aufhebt) l'autorisation (de se séparer de sa
femme) en tant qu'elle est contraire à la fidélité. L'interdit
pesant sur l'infidélité est maintenu, mais en même temps
supprimé: ce n'est plus un interdit pesant de l'extérieur, Il est à cheval sur son nom propre. Il le tient
de façon hétéronomique. Il appartient à la spontanéité par le mors. Comme un grand d'Espagne ou un
de l'amour, il est assumé dans la liberté du désir, dans accent circonflexe. Mais aussi comme un enfant
l'autonomie d'un désir qui ne désire plus ce qu'il ne peut
avoir ou qui ne désire que ce qu'il peut avoir, qui désire sur la selle de son père.
ce qu'il a. Traduction vulgaire de l'AuJhebung: rien ne Le fantasme cavalier préside à la grande scène
t'interdit plus, venant du dehors, de
o 0 0 0

discours, ICI, bien tromper ta femme mais tu n'en as plus


intérieure et prend possession de tous les sens.
entendu, de ,'homme o. 1" . D l' , Feignant peut-être de donner à lire « mon » « nom
pour "homme enVIe pUlsque tu aimes. one auto-
risation de t'en séparer, autorisation illisible ». Nom illisible, donc positivement lisible.
contraire au devoir de fidélité, reste suspendue ( auJ-
gehoben) comme par le passé, mais tu ne t"en apercevras Miracle de la rose : « - Vous passez? Où vous
plus puisque tu n'en as plus envie. passez?... Et puis, dites donc, vous en prenez un
L'intériorisation de l'interdit, l'intériorisation de la ton pour parler. Sortez les mains de votre cein-
loi objective (droit et devoir) par l'amour, l'assimilation
digérant la dette objective et l'échange abstrait, la dévo- ture ...
ration de la limite est donc l'effet économique de l'AuJhebung. « J'étais à cheval.
Economique : subjectivé, l'interdit est d'une certaine « Alors même que je suis très calme, je me sens
manière levé; je suis plus libre puisque je ne suis plus
soumis à ausune interdiction extérieure. Economique : emporté par une tempête qui est due, peut-être,
ma satisfaction est, en conscience du moins, réglée sur au rythme rapide de ma pensée butant contre chaque
mon désir; je fais ce que je désire, je suis fidèle parce accident, à mes désirs qui sont violents parce que
que je le désire et rien d'autre.
Mais l'économie ne ferait-elle qu'intérioriser un presque toujours réprimés et, lorsque je vis mes
interdit? que le domestiquer dans l'être auprès de soi de scènes intérieures, j'ai l'ivresse de les vivre toujours
la liberté? à cheval, sur un cheval allant au galop et qui se
L'effet économique est plus complexe. Pour dire que
la limite interdictrice est simplement passée du dehors cabre. Je suis cavalier. C'est depuis que je connais
au dedans, sans se transformer au passage, il faudrait Bulkaen que je vis à cheval, et j'entre à cheval
que le désir, dans le mariage chrétien, fût limité et d'abord dans la vie des autres comme un grand d'Espagne
limité à un être fini. Or il n'en est rien. Le fini se traverse
vers l'infini. On ne se limite plus à aimer \ln être fini : dans la cathédrale de Séville. Mes cuisses serrent
on aime un être fini comme infini. En passant à l'intérieur, des flancs, j'éperonne une mon- « Ton cœur que
la limite devient infinie : il n'y a donc plus de limite finie, ture, ma main se crispe sur des n'ouvriront ja-
donc plus de limite ou, ce qui revient au même, une limite mais les éperons
infinie. Le désir conjugal est libre parce que soumis à rênes. A

ID'un cavaliermas-
une loi infinie. « Non que cela se passe tout à sif. 0" », mon pa-
La famille selon l'amour (chrétien) est infinie. Elle fait ainsi, c'est-à-dire que je me rafe balafré qui se
est déjà ce qu'on pourrait appeler la famille spéculative. promène en liber-
Or celle-ci suit le trajet infiniment circulaire de la filiation sache vraiment à cheval, mais plu- té comme un
père/fils : l'infinité du désir, du mariage et de la loi inté- tôt je fais les gestes et j'ai l'âme d'un animal sauvage,
rieure se tient entre le fils et le père. A un bref détour près, «Une curieuse bê-
homme qui est à cheval : ma main te apparaîtrait si
à l'exception insignifiante d'une inessentialité (la femme est
ici comme la matière), l'essence du mariage spéculatif se çrispe, ma tête se relève, ma voix chacune de mes
consacre, avec toutes les conséquences systématiques est arrogante... et ce sentiment de émotions
nait
deve-
l'animal
qu'on peut en induire, l'union du père et du fils.
chevaucher une bête hennissante et qu'elle suscite :
Une colonne dans l'autre. noble, débordant sur ma vie quoti- la colère gronde
sous mon col de
dienne, me donnait un aspect que cobra, le même
L'exception, le seul cas (Fall) où le droit de se
séparer de sa femme est maintenu, où le suspens est
l'on dit cavalier, et le ton et l'allure cobra gonfle ce
que je n'ose nom-
suspendu, l'AuJhebung relevée, c'est quand la femme a que je croyais victorieux. mer, ma cavalerie, %1

44
pris rinitiative, quand « l'épouse a accordé son amour à mes carrousels
« Le gâfe fit un rapport, et je
un autre ». Selon Jésus, « l'homme ne peut alors rester naissent de mon
son esclave ».
comparus au prétoire... » insolence... ».
Ne pas arrêter la course d'un S'agissant de la
Sans doute la famille spéculative n'accomplit-elle « peur des méta-
sa destination qu'avec le Christ. Mais cette proposition Genet. C'est la première fois que morphoses » et
n'est pas simple. Accomplir sa destination, c'est se relever surtout des ani-
et sortir de soi. Le christianisme lui-même ne s'accomplit j'ai peur, en écrivant, comme on
males, le journal
qu'en se relevant dans sa vérité philosophique. Il dit, « sur » quelqu'un, d'être lu par du voleur précise
faudrait donc préciser qu'avec le christianisme la famille lui. Ne pas l'arrêter, le ramener en que « ce n'est pas
spéculative s'entame, commence à venir à elle-même, à la seule rhétorique
l'amour et au vrai mariage qui constitue la famille en
arrière, le brider. Il m'a fait savoir qui exige la com-
famille. Le premier moment de la Sittlichkeit serait inau- hier qu'il était à Beyrouth, chez les paraison ».
guré par le Christ. Cela non plus ne forme pas une propo- Commencez donc
Palestiniens en guerre, les exclus à vous approcher
sition simple : le surgissement du christianisme s'est
annoncé. Il y a de lafamille avant la famille (chrétienne). encerclés. Je sais que ce qui m'in- de la crypte i n-
nommableet de
Il faut donc interroger cette structure circulaire,et téléolo- téresse a toujours (son) lieu là-bas, l'atelier d'Alberto
gique de l'avant et de l'après, cette lecture spéculative du mais comment le montrer? Il Giacometti, telle
futur antérieur qui met la famille au-devant d'elle-même. blessure d'un pa-
Immédiatement avant le christianisme, il yale n'écrit presque plus, il a enterré
rafe y prend forme
judaïsme : à la fois la famille et la non-famille, la non- la littérature comme pas un, il animale. Vous vous
famille comme pas·-encore-là du déjà-là, l'être-là de la saute partout où ça saute dans doutez déjà que
famille ne consistant pas, ne consistant qu'à se dissoudre si elle est tout
en son passage. le monde, partout où le savoir cela à la fois, la
La thèse chrétienne, la thèse axiale qui remplace la absolu de l'Europe en prend un signature n'est ni
une chose, ni une
thèse juive en s'opposant à elle, renverse la maîtrise. En coup, et ces histoires de glas, de fleur, ni un ani-
substituant l'amour à la maîtrise, aux rapports juifs
de violence et: d'esclavage, Jésus a fondé la famille. La seing, de fleur, de cheval doivent maI. Reste à savoir
s'il y en a
famille s'est constituée à travers lui: « A l'idée que les le faire chier.
Juifs se faisaient: de Dieu comme leur maître (Herrs) et
souverain seigneur (Gebieter), Jésus a opposé le rapport
de Dieu aux hommes comme celui d'un père à ses en-
fants. » Telle est « l'exacte antithèse » qui donne à la
famille son fondement infini.
Avant l'antithèse qui vient se mettre à la place de la
thèse, il y avait pourtant de la famille. Le judaïsme n'était
pas seulement ce qui précédait l'avènement de la famille
spéculative, ce qui lui résistait jusqu'à un certain point.
U avait constitué une certaine famille naturelle en relevant
déjà une autre famille plus naturelle encore. Il faut manier
très prudemment la valeur de nature. La nature n'est pas
une essence déterminée, un moment unique. Elle recouvre Comme il a raison. C'est ce que je veux mon-
toutes les formes de l'extériorité à soi de l'esprit. Elle
apparaît donc - en y disparaissant progressivement - à trer en vous déportant le plus vite possible aux
chaque étape du devenir de l'esprit. Par exemple, pour limites d'un bassin, d'une mer, où s'arrivent pour
avoir rompu avec le groupe naturel-biologique, la famille une guerre interminable, le Grec, le Juif, l'Arabe,
humaine n'est pas moins le moment naturel, le plus naturel
de la Sittlichkeit, etc. La famille en ce sens est toujours l'Hispano-Mauresque. Que je suis aussi, à la trace.

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naturelle, même la famille chrétienne. Mais celle-ci relève Si toute cette éloquence sur la signature en
une famille naturelle, la juive, qui elle-même relève une forme de cheval le fait chier, tant pis. Le seing
famille plus naturelle. Et chaque relève rompt avec ce
qu'elle relève, laisse entre l'autre et elle une sorte de marge tombe aussi comme un excrément sous scellé.
qui constitue la vérité de l'autre c()mme essence (passée)
dont elle donne à. lire, de son côté, la vérité. .
Il y avait - donc - une famille juive privée d'amour,
elle avait elle-même rompu avec une famille plus primi-
tive et naturelle.
Ici commence le discours légendaire de l'aigle et Magnifier l'étron J glorifier ce qui échoit coupé
des deux colonnes. (stronzo J stronzarc J strunzen) sous la selle, ériger
Sur la castration et la dissémination, question qui l'étalon de sa signàture, ou faire tomber l'érection
remonte au déluge.
de cheval, le roi du trône, voilà qui serait équi-
Comme Condillac, comme Rousseau, Kant et quel- valent.
ques autres, Hegel recourt à. une sorte de fiction théorique:
le récit d'un événement catastrophique reconstitue l'ori-
gine idéal-historique de la société humaine. Et il réinscrit
la narration biblique les yeux fixés sur un réseau de philo-
sophèmes. Pour que ça marche, il faut bien que quelque
part les deux textes soient homogènes.
Le déluge, c'est la perte de l'état de nature (Verlust
Reste '-' à savoir - ce qui fait chier.
des Naturzustandes). Avant le déluge (Flut) l'homme
vivait en harmonie naturelle avec la nature. Le déluge
déchire l'homme, l'arrache à. la nature, détruit la belle
unité. Dès lors, l'homme nourrit une méfiance infinie,
monstrueuse (ungeheuerste Unglaube) envers la nature. Ce
n'est plus sa mère, elle a repris ou empoisonné toutes les Or '--' la scène cavalière «< J'étais à cheval »)
ressources de croyance protectrice (le Glauben) qu'elle
avait données ou promises. De cette mère nous ne gar- entraîne dans sa procession, par petites secousses
dons que quelques traces obscures (sind uns nur wenige continues, au trot, les deux pages qui suivent où,
dunkle Spuren aujbehalten worden). Jusque-là., elle s'était comme par hasard, à Fontevrault: (qui « a ses
montrée « amicale ou calme (freundlich oder ruhig) », dans
« l'équilibre égal (Gleichgewicht) de son élément »; voici .racines dans le monde végétal de notre bagne
qu'elle répond maintenant à. la foi (GIat/ben) de l'humanité d'enfants »), au « centre du cercle », se dresse
par « la haine la plus destructrice, la plus invincible, la « la tinette où l'on va chier ».
plus irrésistible ». La mère se retourne contre l'homme,
se démonte, fait rage.
Dans le déluge, l'homme conçoit alors le projet de
dominer à. son tour ce qui l'avait abrité, protégé, nourri.
Quand on dit qu'il conçoit le projet de maîtriser, de se
défendre par un geste apotropaïque de ce qui lui avait
fallacieusement promis la symbiose, endormant, berçant C'est un pur sang, arabe cette fois, une sorte
sa croyance d'un mouvement égal et régulier, c'est trop de trou érigé que l'on monte comme un cheval,
dire : on pourrait se contenter de dire qu'il a commencé
à. concevoir - tout court. un trône, le cône d'un volcan. L'érection en
A tous les sens de ce mot. Noé, c'est le concept. Par abîme, voilà comment ça signe et comment ça se
un mauvais jeu de mot, juif-grec, à la Joyce, en y mêlant
un peu de gallicisme, on dirait la noèse. met en sellé et comment ça règne, comment ça
En effet, pour dominer l'hostilité de la nature s'enraye, comment ça signe et ça règne. Les
maternelle en ses eaux déchaînées, il fallait la penser, la genêts poussent aussi près des volcans. « Au
concevoir, la saisir. L'être pensé est l'être dominé: Le
concept marque l'interruption d'un premier état d'amour. centre du cercIe,il y a la tinette, où l'on va chier"
Son @s dit à la nature : tu ne m'aimes pas, tu ne veux C'est un récipient haut d'un mètre, en forme de
pas que je t'aime, je vais te penser, te concevoir, te domi- cône tronqué. Ses flancs sont munis de deux
ner. Le concept s'aff~lÏre autour d'une blessure. « Pour que
l'homme pût tenir tête aux agressions d'une nature désor- oreilles sur lesquelles on pose les pieds après s'être
mais hostile, celle-ci devait être maîtrisée (beherr scht) " assis sur le sommet, où un très court dossier, pareil
et puisque le tout divisé en deux (des entzweite Ganze) à celui d'une selle arabe, donne à celui qui débourre
ne peut être divisé qu'en idée et effectivité (in Idee und
Wirklichkeit) , la plus haute unité de maîtrise (Beherr- la majesté d'un roi barbare sur un trône de métal.
schung) est ou bien dans un être-pensé (Gedachten) ou Les détenus qui ont envie lèvent la main, sans rien
bien dans un être-effectif (Wirklichen). >} dire, le prévôt fait un signe et le puni sort du rang
Noé a choisi de rassembler le monde déchiré, de
reconstituer en somme le Gleichgewicht dans l'être-pensé. en déboutonnant son pantalon qui tient sans
Son idéal-pensé (gedachtes Ideal), il a choisi de le faire ceinture. Assis au sommet du cône, ses pieds
venir à l'être, de le diviniser en quelque sorte et de lui posés sur les oreilles, sous lui ses couilles pendent.
opposer tout le reste de la nature comme nature pensée,
c'est-à-dire maîtrisée (ais Gedachtes, d.h. ais BeherrJ'chtes). Sans peut-être l'apercevoir, les punis continuent
L'idéal pensé (Dieu) « promit >) alors à Noé de mettre les leur ronde silencieuse, et l'on entend la merde
éléments à son service, de les retenir en leurs limites, tomber dans l'urine qui gicle jusqu'à ses fesses
de telle sorte qu'au<..lln déluge ne pût venir submerger
l'humanité. Cette sorte d'alliance avec le père réinstaure nues. Il pisse et descend. L'odeur monte. Quand
par contrat le Gleichgewicht naturel que la nature avait j'entrai dans la salle, je fus surtout frappé par le
rompu en déchaînant ses eaux. L'arche pouvait flotter, silence des trente gars, et, tout de suite, par la
portant dans ses flancs, sur le pont ou à fond de cale, les
vivants exemplaires. tinette solitaire, impériale, centre du cercle mobile.
La réponse noétique à l'agression meurtrière de la [...] - Un... deux! Un... deux!
mère s'accompagne dès lors, telle est sa singularité, d'un « C'est toujours la même voix gutturale de
culte de la vie (Zoè). Il fut interdit à l'homme de tuer
l'homme. A enfreindre cette règle on perd soi-même la marIe, venue d'une gorge encombrée de molards
vie. Tel est le contrat de la pensée avec elle-même, c'est- qu'il sait encore projeter avec violence dans la
à-dire avec Dieu. Celui-ci, en dédommagement, accorde gueule d'une cloche, c'est le cri et la voix qu'il
à l'homme la maîtrise (Herrschaft) sur les végétaux et
sur les animaux. La mise à mort: des uns et des autres, avait à Mettray. »
unique destruction autorisée du vivant, sanctionne
l'échange. Mais en revanche il faut honorer le vivant et il
reste interdit de consommer le sang des animaux qui
contient encore leur âme ou leur vie (c'est la même chose
en hébreu et l'esprit du christianisme suit ici la Genèse 9, 4,
de très près.)
A la rupture du Gleichgewicht maternel, on pouvait Le « puni », la «ronde des punis » qui se
faire une autre réponse. tiennent strictement debout, se ressemblant et

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Non pas les flancs apaisés d'une demeure flottante se substituant l'un à l'autre en silence comme des
mais l'érection d'une tour guerrière. lettres sur la page, l'une à la place de l'autre, l'une
Comme Noé, Nemrod riposte à la violence naturelle
en faisant être le pensé, le Gedachtes. Comme Noé, il comptant pour l'autre, le glaviau qui résonne en
impose aussi la loi du vivant. Mais à la différence de Noé, cadence contre les parois de la grotte comme un
il ne procède pas sous le signe de la paix: il déchaînè à son
tour une violence tyrannique, la méfiance, la guerre; il
glas guttural et mouillé, dur et enduit:, la gloire ~e
fonde une société unie par la force, et la loi du vivant est l'excrément solide qui s'élève dans le chant
la loi du plus fort. Au lieu d'opposer à la mer cela même incorporel de l'odeur alors que tout « descend >),
qu'elle porte encore posé sur elle, bercé par elle, l'arche,
il lui fait front, la heurte et la fend d'une immense tour.
s'effondre, pend, provoquant le bâton liquide à
Hegel suit ici les indications de Moïse qui concordent gicler en hauteur, vers les fesses nues, voilà tout
avec les Antiquitésjuives de Josèphe: « Car Nemrod avait un glossaire mobile, plus actif par les mots qui
décidé de construire une tour (Turm) d'une hauteur bien
supérieure à celle que pourraient jamais atteindre les flots
manquent, par tout ce qu'il vous vole dans la
et les lames (Wasserwogen und Wellen) en s'élevant les poche au moment où vous flânez dans le texte
unes sur les autres (sich auftürmen) et de venger ainsi le comme un touriste, les yeux fixés sur ce que l'indi-
naufrage (Untergang) de ses aïeux (selon une autre ver-
sion - Eupolemos apud Eusebe, Praeparatio evangelica,
gène veut: bien vous montrer, négligemment, de
9, 17 - ce sont les survivants du déluge eux-mêmes qui son opération. Après le coup, il sera trop tard.
durent construire la tour). »
Par le tour d'un contrat, Noé avait délégué la maîtrise
à un plus puissant, Nemrod a refoulé, ligoté, dompté lui-
Le Miracle de la rose cultive donc les greffes
même la puissance hostile (da) er selbst sie bandigte). du nom propre. Lutte, labeur, labour, avec retours
Mais dans les deux cas il s'agit d'une « paix forcée » de bâtons, vagues de refoulement, contre le désir
avec la mer. La scission est consommée par une guerre
et elle reproduit le clivage par lequel la nature s'est d'elle- de reconstituer, depuis le seing de la vierge, 1~
même séparée, promettant la protection maternelle et force généalogique. A le morceler, dissocier, rendre
déployant en vérité la pire menace. méconnaissable dans les coups d'éclat, on étend
A cette apotropaïque guerrière, rigide, vengeresse,
Hegel oppose déjà la réponse grecque au déluge: non aussi le nom, on lui fait gagner du terrain comme à
pas une paix forcée mais une paix d'harmonieuse amitié, une force d'occupation clandestine. A la limite,
de réconciliation. Et elle n'est pas conclue ou imposée du texte, du monde, il ne resterait plus qu'une
par un chef, mais par un couple heureux : ni Noé ni
Nemrod ne se réconcilia avec l'ennemie comme le :fit un énorme signature, grosse de tout ce qu'elle aurait
très beau couple (eine schoneres Paar), d'avance englouti mais d'elle seule enceinte.
reste que tout cela se D l' Phi "1
fait avec des pierres, euca!On et yrr a, orsqu apres e
la tour de Nemrod et déluge, ils invitèrent les hommes à
l'insémination d'une renouer leur amitié avec le monde,
nouvelle souche :
«Après le déluge, qui avec la nature, leur firent oublier le Mouvement nécessairement indécidable sinon
les déposa au som- besoin et la haine dans la joie et la
met du Parnasse, tous jouissance, conclurent une paix d'amour,
contradictoire. .Économie de la perte (-. sein
deux, Deucalion et
devinrent la souche d'une belle nation __ enfant __ excrément _-. penis ~). La
Pyrrha, créèrent des
êtres humains en je- et firent de leur temps la mère d'une signature ne garde rien du tout qu'elle signe.
tant des pierres par·· nature nouvelle-née, qui allait conser-
dessus leur épaule,
Tandis que Pyrrha ver la fleur de sa jeunesse (und ihre
créait des femmes, Zeit zur Mutter einer neugeborenen, ihre Plante-là le genêt, l'inscription cavalière en
Deucalion créait des jugendblüte erhaltenden Natur mach- tombe, le monument funéraire est une plante à
hommes. »
Comment la pierre ten).
devient-elle un en- Le Juif reste donc, raide, crispé,
genêt : qui écrit, c'est-à·-dire parle sans accent.
antl la fleur ani- tendu dans son opposition à la nature « Peu après, étouffée aussi, mais lointaine et
male? l'innocence
coupable? Phénomé- maternelle. Il est .laid, offre le laid en qui me parut être celle du détenu, une voix cria :
nologie de l'esprit :spectacle, il lui « manque l'espr{t de
« Innocente est doncbeauté >} (Geist der Schô'nheit). Il reste - Bien l'bonjour à ta lune, c'est ma bite!
seulement l'absence
d'opération coupé en deux et la tragédie même de
(Nicht-
« Les gardes du greffe l'entendirent comme nous
tun), l'être d'une sa coupure est laide, abominable. « La et ne bronchèrent pas. Ainsi, dès mon arrivée,
pierre (dos Sein eines
grande tragédie (Trauerspiel) du peuple
Stein es) et pas même
juif n'est pas la tragédie grecque, elle je savais qu'aucune voix de détenu ne serait claire.
celui d'un enfant. »
ne peut éveiller la terreur ni la pitié, car Ou bien c'est un murmure assez doux pour que
toutes deux naissent seulement du destin d'un fa:ux-pas les gâfes n'entendent pas, ou bien c'est un cri
nécessaire auquel se laisse entraîner un être beau (schonen
Wesens),. cette tragédie (juive) ne peut éveiller que que des épaisseurs de murailles et l'angoisse
l'horreur (Abscheu). Le destin du peuple juif est: le destin étouffent.
de Macbeth qui sortit de la nature, s'attacha à des êtres « Au fur et à mesure que nous avions déclaré
étrangers, foulant et tuant à leur service tout ce qu'il y a
de sacré dans la nature, se vit finalement abandonné de ses nos nom, prénoms, âge, profession, indiqué notre
dieux (car ils étaient des objets, il étaitleur esclave) et fut signalement et signé de la marque de notre index,
nécessairement anéanti jusque dans sa foi. >} nous étions conduits par un gâfe au vestiaire. Ce
Tel qu'il est interprété par Hegel, le déluge grec a
plus d'affinité que le Juif avec l'esprit du christianisme: fut mon tour :
réconciliation, amour et fondation d'une famille. L'oppo- Ton nom?
sition du Juif et du Grec se poursuit, précisément quant Genet.
à la famille. Le contraste entre Abraham d'une part,
Cadmos et Danaos d'autre part, reproduit dans sa signifi- Plantagenet?
cation le contraste entre Noé ou Nemrod d'une part, Genet, je vous dis.
Deucalion et Pyrrha d'autre part. Et si je veux dire Plantagenet, moi? Ça
Abraham abandonne la Chaldée, sa terre natale, en
compagnie de son père. Puis dans la plaine égale de te dérange?
Mésopotamie (in den Ebenen Mesopotamiens) J il répète et
aggrave la rupture. Il veut devenir un chef et se rendre ._- Prénom?
absolument indépendant. Il rompt avec sa famille (rijJ er
sich auch vollends von seiner Pamilie los). Et cela de façon - Jean.
décisoire, presque arbitraire, sans avoir été offensé ni _. Age?
chassé, sans avoir éprouvé la moindre de ces douleurs
Trente.
qui répondent à quelque injustice ou à quelque cruauté;
ces doùleurs témoigneraient encore d'un amour blessé Profession?
mais vivant, cherchant à retrouver une nouvelle patrie Sans profession.
pour « y fleurir >}. Non, c'est sans la moindre affection, le
moindre affect qu'Abraham a déchiré die Bande, les liens
Le gâfe me jeta un coup d'œil méchant. Peut-
de la vie commune, entamant ainsi son histoire et engen- être me méprisait-il d'ignorer que les Plantagenet
drant celle du peuple juif. « Le premier acte par lequel étaient enterrés à Fontevrault, si leurs armes -
Abraham devint le père-radical d~une nation (Stammvater
einer Nation), c'est une scission (Trennung) qui déchire les léopards et la Croix de Malte - sont encore
les ligaments de la vie commune et de l'amour (die Bande aux vitraux de la chapelle. »

49
des Zusammenlebens und der Liebe) dans lesquels il avait Deuxième mouvement de foule sur l'agora
vécu jusque-là avec les hommes et avec la nature; ces
beaux rapports de sa jeunesse, il les rejeta loin de lui théorique.
(Jos. 24, 3)· >} -

Le Juif n'aime pas la beauté. Il suffit de dire que,


tout court, il n'aime pas. .
Sans doute Abraham élève-t-il : un arbregénéalo-
gique, une famille, un peuple, une nation. Mais dont la
lignée, en quelque sorte, ne touche jamais la terre. Elle ne Sont partis ceux qui croyaient que la fleur
s'enracine nulle part, ne se réconcilie jamais avec la nature,
reste étrangère partout. Cadmos et Danaos avaient aussi signifiait, symbolisait, métaphorisait, métony-·
abandonné leur patrie, mais leur départ avait été motivé, misait, qu'on était en train de répertorier les signi-
il avait pris la forme d~un combat. Après quoi ils avaient fiants et les figures anthiques, de classer les fleurs
cherché une autre terre pour y être « libres >} et pour
« aimer >}. Abraham, lui, « ne voulait pas aimer, ne voulait de rhétorique, de les combiner, de les ordonner,
pas être libre pour aimer >}. de les relier en gerbe ou en bouquet autour. de
Il n'emporte pas ses dieux lares avec lui, comme les l'arche phallique (arcus, arca, &px~ peu importe
Grecs, il renonce au foyer, à la maison, à toute résidence
à toute sédentarité domicile. Il ne demeure pas, pas même qu'on s'y laisse prendre).
auprès de lui. Désert, nomadisme, errance avec des
troupeaux sur une terre aride et « sans limite >} (Grenzen-
losen). Aucun lieu propre. Conflit avec la nature, lutte
pour lui prendre l'eau, guerre avec les nations étrangères
qu'il pénètre et entreprend de dominer. « L'esprit même
qui avait éloigné Abraham de sa parenté le conduisit à Sont donc partis, sauf exception et en tant que
travers les nations étrangères avec lesquelles il entre en
conflit dans la suite de sa vie, cet esprit qui consiste à tels, les archéologues, les philosophes, les hermé-
persévérer dans une opposition rigide à l'égard de tout, neutes, les sémioticiens, les sémanticiens, les psy-
l'être-pensé (Gedachte) élevé à l'unité dominatrice au- chanalystes, les rhétoriciens, les poéticiens, peut-
dessus de la nature hostile et infinie, car l'hostile ne peut
advenir que dans ce rapport de maîtrise (Herrschaft). >} être même tous les lecteurs qui croient encore, à la
littérature ou à quoi que ce soit.
Qu'est-ce qui vient se consigner dans la coupure
abramique? Deux remarques à ce sujet :
I. L'errance, la guerre avec la nature et les nations,
la ruse, la domination, la violence ne dissolvent pas la Patientent un moment ceux qui se pressent
famille juive. Celle-ci se constitue au contraire dans l'isole-
ment, la clôture jalouse de son identité, la férocité ,de son encore à reconnaître : pourvu que ce soit des ana-
endogamie. Abraham n'aura coupé les liens avec sa grammes, des anamorphoses, des insinuations
famille et avec son père que pour devenir le père plus
fort d'une famille plus déterminée. De la coupure ce qui
sémantiques un peu plus complexes, différées,
reste devient plus fort. détournées, capitalisées au fond d'une crypte,
Pour remarquer l'isolement, .renforcer l'identifica- savamment dissimulées dans le jeu des lettres
tion, s'appeler une famille (famille moins naturelle que la
précédente mais encore trop naturelle par cela même
et des formes. Genet rejoindrait alors cette puis-
qu'elle s'oppose à la nature) : circoncision. sante tra~ition occultée qui de longue date prépa-
La circoncision est une coupure déterminante. Elle rait son coup, son sursaut à l'envers, occultant
permet de couper mais, du même coup, de rester attaché
à la coupure. Le Juif s'arrange pour que le coupé reste
d'elle-même son travail, anagrammatisant des noms
attaché à la coupure. Errance juive limitée par l'adhérence propres, anamorphosant des signatures et tout ce
et la contre-coupure. Le Juif n'est coupant que pour qui s'ensuit. Genet, par un de ces mouvements
traiter ainsi, contracter la coupure
« Er hie!t an seiner avec elle-même. « Il (Abraham) resta
en a/za, aurait, le sachant ou non - j'ai mon avis
Absonderung fest, die
er auch durch eine fermement attaché à sa séparation qu'il là-dessus mais qu'importe -- silencieusement, labo-
sich und seinen Nach- rendit: voyante par une propriété cor- rieusement, minutieusement, obsessionnellement,
kommen aufer!egte porelle qu'il s'imposa à lui-même et
korperliche Eigenheit compulsivement, avec les gestes d'un voleur dans
auffallend machte. » imposa à ses descendants. »
A cette castration symbolique sur la nuit, disposé ses signatures à la place de tous
laquelle glisse le discours hegelien, Abraham associe l'en- les objets manquants. Le matin: vous attendant
dogamie : « Il s'opposa au mariage de son fils avec une
femme de Chanaan, lui fit chercher une épouse parmi les
à reconnaître les choses familières, vous retrouvez
,membres d'une famille apparentée qui vivait loin de lui. » son nom partout, en grosses lettres, en petites
2.. S'opposant à la nature et à l'humanité hostiles, lettres, en entier ou en morceaux, déformé ou
infiniment agressives, Abraham se conduit en maître. Par
son opposition infinie, il accède à cette pensée de l'infini recomposé. Il n'est plus là mais vous habitez son
qui manque au grec. En ce sens l'esprit du judaïsme éla- mausolée ou ses chiottes. Vous croyiez déchiffrer,
bore une négativité ou une abstraction indispensable à la dépister, poursuivre, vous êtes compris. Il a tout
production du christianisme. Le désert, le nomadisme et
la circoncision délimitent le fini. Il s'y déborde et débonde affecté de sa signature. Il a affecté sa signature. Il
lui-même. Mais du même coup, en fondant la loi juive l'a affectée de tout. Il s'en est affecté (il se sera
par ce passage à l'infini abstrait de la maîtrise, Abraham même, plus tard, attifé d'un accent circonflexe).
(être historique, fini, déterminé) se soumet à la domina-·
tion infinie. Il en devient esclave. Il ne peut dompter la Il a essayé d'écrire, lui, proprement, ce qui se passe
nature qu'en contractant un rapport avec la maîtrise infinie entre l'affect et le seing.
d'un maître tout-puissant, jaloux, violent, transcendant,
le Dieu des Juifs. Abraham n'est pas le maître qu'il est,
puisqu'il l'a aussi, il n'est pas la maîtrise dont il dispose
par contrat. En tant que sujet fini, il subit la force infinie
qui lui est prêtée, confiée. Construit, élevé sur ce rapport
d'esclavage, « il ne pouvait rien aimer », seulement craindre
et faire craindre.
Il ne pouvait pas même aimer son fils. De même qu'il
s'impose le signe (ou le simulacre) de la castration, il se
contraint à se couper de son fils, ou dç. moins à engager
l'opération qui resta, elle aussi, un simulacre de sacrifice.
Son fils était son seul amour (einzige Licbe), le seul genre Comment donner le seing à un affect? Com-
d'immortalité qu'il connût. Son inquiétude ne fut apaisée
qu'au moment où il entreprit de s'assurer qu'il pouvait ment le faire sans simulacre où s'afficher de tout?
surmonter cet amour et abattre son fils « de sa propre par postiches, fétiches, pastiches? Et finalement,
main ». saura-t-on jamais s'il est arrivé à signer, si la
La circoncision et le sacrifice d'Isaac sont des gestes
analogues. signature est arrivée à son texte, si celui-ci s'est
Problèmes de lecture dont il faut tenir ici registre. arrivé à un nom propre? Rêvant visiblement de
Les deux opérations conjuguées sous le concept devenir, à résonner, son propre (glas), d'assister à
« simulacre de castration >} apparaissent sur la même page. son prppre enterrement après avoir accouché de
Bien qu'ils ne soient pas fortuitement prélevés par Hegel
sur l'ensemble des traits et événements de la geste abra- lui-même ou opéré sa propre décollation, il aurait
mique, il faut reconnaître que . veillé à bloquer tout ce qu'il écrit dans les formes
1. les deux opérations ne sont pas mises immédia-
d'une tombe. D'une tombe qui se résume à son
tement en rapport l'une avec l'autre. Mais elles sont, selon
une courte médiation, d~une seule saccade, rapportées nom, dont la masse pierreuse ne déborde même
l'une à l'autre par l'interprétation hegelienne. Toutes plus les lettres, jaunes comme l'or ou comme la
deux signifient le retranchement, la coupure, la transcen- trahison, comme le genêt. Des lettres sans socle,
dance, l'absence ou la subordination de l'amour. Tout cela
vient remplir le concept de castration. Dit-on plus et un contrat avec l'écriture comme pompe funèbre.
autre chose quand on prononce le mot de castration? Plus précisément, le contrat n'a pas la sépul-
Question d'autant plus aiguë que la castration a ici un ture pour objet. La sépulture n'est pas un événe-
rapport économique essentiel avec le simulacre et ne se
laisse pas penser comme un « événement >} réel, au sens ment à venir, prévu par l'acte de contrat. Elle
courant de ces mots. est la signature du contrat. Si bien qu'en des lieux
2. Hegel n'avance ni le concept ni le mot de castra-
déterminés - ceux qui semblent ici nous intéresser
tion. Compte tenu de tout ce qui s'est passé depuis Hegel
de ce côté-là, lit-on dans le texte que lit Hegel, dans celui - cette littérature dite de la trahison se trahirait
qu'il écrit aussi, quelque chose que lui-même, voire elle-même; le dérobement de la signature~aurait
Abraham ne pouvait pas lire? En apparence et à beaucoup son indic dans le texte.
d'égards c'est peu contestable. Le mot « castration >}, la
chaîne très rapidement reconstituée, le style du déchiffre-
ment, la sélection des lexèmes, tout cela tranche. Si Hegel
avait pensé ça, il aurait fait et dit comme ça.
Mais ces différences, si importantes soient-elles, ne
suffisent pas à conférer un statut rigoureux à l'écart entre Voire.
les deux lectures. Elles peuvent être secondaires, exté-
rieures, non conceptuelles. Du point de vue concep-
tuel, qu'est-ce qu'une différence de style ou de rythme
voire d'espace narratif?
Il n'est pas insignifiant que le concept la réduise à Ce mot reviendra désormais à dire le vrai
rien.
Une fois réduite, ajoute-t-on quelque chose, autre (verus, voirement), mais aussi le suspens indécidé
chose au discours hegelien en rapportant la figure abra- de ce qui reste en marche ou en marge dans le
mique à la castration, voire à l'auto-castration, à supposer vrai, n'étant néanmoins pas faux de ne plus se
que quelque chose de tel existe? Fait-on autre chose ou
plus que de les mettre, comme Hegel, en rapport avec le réduire au vrai.
procès de l'Atifhebung, de la vérité, de la loi? On ne peut
méconnaître que Hegel en propose une puissante arti-
culation systématique. Je l'ai toujours dit, répondrait
Hegel aux docteurs de la castration. D'ailleurs qu'enten- Ailleurs défini : le vraiment feint.
dez-vous par castration? Il ne s'agit pas ici d'un événement
réel mais de simulacre économique : la propriété se consti-
tue par le vraiment feint de la castration (circoncision et
sacrifice interrompu d'Isaaè). Les docteurs acquiescent. Ce qui est resté d'un Rembrandt développe sur
Hegel: s'il ne s'agit pas d'un événement réel, vous devez ses deux colonnes une théorie ou un événement
tenir tout un discours pour décrire ou remplir la.structure
conceptuelle de ce que vous nommez castration, vous de l'équivalence générale : des sujets - « tout
devez raconter une légende, faire intervenir tout un ré- homme en vaut un autre »-, des termes, des
seau de significations, à vrai dire tout le monde qe la contraires qui s'échangent sans fin, du « je m'le... >)
signification, à commencer par la relève, la vérité, l'être,
la loi, etc. C'est ce que je fais depuis les travaux sur le (< je m'écoulais» dans mon corps, dans le corps de
judaïsme et sur le christianisme jusqu'à la philosophie l'autre). S'écouler: syntagme, relayé par l' « écœure-
du droit en passant par l'encyclopédie et la grande logique. ment >}, le« regard échangé >}, le« sentir s'écouler >},
Et vous ne pouvez même pas entendre ce que vous voulez
dire par castration si vous ne prenez pas en charge tout « je m'étais écoulé >), « j'écrivais >), je m'écrivais
l'idéalisme de la dialectique spéculative. dans « tant: d'écœurement: >}, de « tristesse >) -
Et c'est vrai. (le mot: revient: six fois en moins de dix pages),
Il n'est donc pas sûr qu'on dise plus et autre chose
que Hegel, qu'on lise plus et autre chose qu'il ne liSait de l'échange infini des deux colonnes qui se regar-
lui-même quand on avance le mot de castration et autres dent à l'envers.
choses semblables. Il n'est pas sûr qu'on intervienne
conceptuellement dans sa logique. Pour le faire, il faudrait'
déplacer conceptuellement l'articulation conceptuelle -
chez lui manifeste _. entre Aufbebung, castration, vérité,
loi, etc. Il faut faire apparaître des forces de résistance à
l'Aufhebung, au procès de la vérité, à la négativité spécula-
tive, et que ces forces de résistance ne constituent pas à x, chiasme presque parfait, plus que parfait, de
leur tour des négativités relevables ou relevantes. deux textes mis en regard l'un de l'autre: une
En somme un reste qui ne soit pas sans être un néant: galerie et une graphie qui l'une l'autre se gardent
un reste qui ne soit.
Ce n'est pas facile. Du point de vue du concept, c'est et: se perdent de vue. Mais les tableaux sont écrits
prévisiblement impossible. et ce(lui) qui (s' )écrit se voit regardé par le peintre.
La question est de 1'ordre du concept. Il faut questionner
l'ordre du concept: ou bien encore questionner la forme
de question qui s'ordonne à l'instance conceptuelle en
général.
Il y va donc ici du rapport ou du non-rapport entre Le mot « regard >) qui ouvre la colonne de
la castration et le concept, la castration et la vérité.
Question désertique à laquelle il faut laisser le temps droite vous fixe encore à la fin de la colonne de
de l'errance assoiffée. gauche. V ous croyez regarder et c'est le texte
Abraham ne pouvait rien aimer. Son cœur était:
du tableau (Rembrandt) qui vous surveille et
coupé de tout (sein von allem sich absonderndes Gemüt) -
« cœur circoncis ». Hegel ne fait aucune allusion au fait vous indique, vous dénonce - quoi? d'ailleurs.
que le sacrifice d'Isaac fut interrompu - par qui allait « Le reste, tout le reste, me paraissait: l'effet d'une
accorder le bénéfice de l'opération. Mais il note l'avantage erreur d'optique provoquée par mon apparence
économique, l'amortissement du sacrifice engagé : plus
que le fils aimé d'un père auquel il a offert son fils, elle-même truquée. Rembrandt le premier me
Abraham devient le Gunst, le Günstling, l'unique favori de dénonça. Rembrandt! Ce doigt sévère qui écarte
Dieu, et cette faveur est héréditaire. Abraham reconstitue
une famille- devenue plus forte _. et une nation infi-
les oripeaux et montre... quoi? Une infinie, une
niment: privilégiée, élevée au-dessus des autres, séparée infernale transparence. »
des autres. Mais le privilège de cette maîtrise demeure Pour voir il faut alors renverser la perspective
abstrait, se renverse donc. simultanément en son contraire: et le reste, pour se donner le recul. « On n'a pas
. il implique un esclavage absolu à l'égard de Dieu, une
hétéronomie infinie. Le règne juif est un règne de mort, il tellement de recul, dans le musée de Cologne.
détruit la vie des autres familles nationales, commande à Il faut se plicer en diagonale, dans un angle.
J
partir de sa propre mort, symbolisée par la soumission C'est de là que je l'ai regardé, mais la tête en bas
à un dieu transcendant, jaloux, exclusif, avare, sans
présent. Le Juif est mort, châtré: par son père qui n'est .- la mienne - retournée, si l'on veut. Le sang me
donc pas un bon père, donc pas un père. A partir de cette venait à la tête, mais que ce visage qui riait était
position il tue, transforme en mort, c'est-à-dire matéria-
lise tout ce qu'il touche et tout ce qui n'est pas lui. Il
triste! »
joue de sa mort ou de sa castration pour asservir (tou-
jours la question de savoir - qui fait mieux le mort). Il
châtre depuis sa propre castration. Il pétrifie, enlaidit tout,
transforme tout en matière. Sa castra-
« Comment des tion est une arme matérialiste. Peuple Or cette double théorie (ou double colonne
hommes qui ne
voyaient en toutes matérialiste et guerrier au pouvoir tenant registre de l'équivalence générale des sujets
choses que de la médusant:
matière auraient-ils « Comme Abraham ne pouvait ou des contraires) décrit le texte, se décrit: en
pu pressentir la
beauté? » réaliser lui-même [en tant qu'individu feignant de raconter des tableaux, des « œuvres
fini] le seul rapport qui fût possible d'art », comme le suspens du voire : reste
avec le monde infini qui lui était opposé, la domination
(Beherr schung)) celle-ci resta à son idéal [Dieu]; lui même au-delà du vrai et du faux, ni tout à fait vrai ni
se tint aussi sous sa maîtrise (Herr schajt) J mais dans la tout à fait faux. Ça s'étire entre deux sujets absolu-
mesure où son espr.it avait l'idée en lui et qu'il la servait, il ment indépendants dans leur détresse et néanmoins
jouit d'une faveur (Gunst), et comme la racine de sa divi-
nité était le mépris du monde tout entier, il devint aussi le entrelacés, entretissés, entortillés comme deux lianes
seul et unique favori (ganz allein der GÜnstling). C'est orphelines de leur arbre.
pourquoi le Dieu d'Abraham diffère essentiellement des
Lares et des dieux nationaux; une famille qui honore ses
Lares, une nation qui honore son dieu national s'est bien
isolée, elle aussi, elle a bien divisé (geteilt) l'unique et
exclu le reste de sa partie (Teile)) mais elle admet en même
temps les autres parties et ne s'est pas réservé l'incommen-
surable, bannissant de lui tout le reste, elle accorde aux En haut à gauche: « C'est seulement ces sortes
autres, au contraire, des droits égaux aux siens, et recon- de vérités, celles qui ne sont pas démontrables
naît les Lares et l<.!s dieux des autres comme des Lares et même qui sont «( fausses ), celles que l'on ne
et des dieux; il y avait en revanche dans le Dieu jaloux
d'Abraham et de sa descendance l'exigence effrayante peut conduire sans absurdité jusqu'à leur extrémité
d'être, lui et sa nation, les seuls à avoir un Dieu. sans aller jusqu'à la négation d'elles et: de soi,
« Mais quand il fut accordé à ses desGendants de
c'est celles-là qui doivent être exaltées par l'œuvre
réduire l'écart séparant leur effectivité de leur idéal, lors-
qu'ils furent assez puissants pour réaliser leur idée de d'art. Elles n'auront jamais la chance ni la mal-
l'unité, ils régnèrent (herrschten) sans ménagement, .avec chance d'être un jour appliquées. Qu'elles vivent
la tyrannie la plus révoltante, la plus rigoureuse, la
plus meurtrière; car l'unité ne plane alors que sur la
par le chant qu'elles sont devenues et qu'elles
mort. Ainsi les fils de Jacob vengèrent avec une atrocité suscitent. »
satanique l'offense faite à leur sœur, offense que les A droite, vers le milieu : « Il va de soi que tout
Sichémites cherchaient: à réparer avec une générosité
sans exemple : quelque chose d'étranger s'était immiscé ce que je viens de dire n'a un peu d'importance
(gemischt) dans leur famille, avait voulu nouer un lien que si l'on accepte que tout était à peu près faux.
(Verbindung) avec eux et rompre ainsi leur iso1elpent. [...] Or j'ai joué. »
Hors de l'unité infinie à laquelle rien ne peut participer,
eux-mêmes, les favoris (Lieblingen)
« ... ist alles Materie exceptés, tout est matière -la tête de la
.- das Haupt der
Gorgo verwande/te Gorgone transformait tout en pierre -,
alles in Stein -, ein matière sans amour et sans droit, être
lieb- und recht/oser maudit que l'on traite en conséquence
Stoff; ein Verfluchtes,
das denn, soba/d die dès lors qu'on a la force requise : il ne Reste - l'a peu près? Plus bas, à la fin de la
Kraft dazu da ist, peut rien élever [un doigt, la voix,. une
auch so behande/t ihm, protestation] sans qu'on lui assigne sa
colonne de droite : « Et il va de soi que toute
das sich regen wollte, l'œuvre de Rembrandt n'a de sens - au molUS
seine Stelle angewie·· place. »
sen wird. » La tête de Méduse, l'une des trois pour moi - que si je sais que ce que je viens
Gorgones, est entre tirets. Comme la d'écrire était faux. » Mais si je le sais seulement.
Gorgone, le Juif matérialise, pétrifie tout ce qu'il voit
et tout: ce qui le regarde, tout ce qui élève, par exemple Reste à savoir.
les yeux, vers lui. Une accusation analogue avait été lancée
contre Socrate et l'analogie donne beaucoup à lire.
Hegel n'exploite pas davantage cette petite phrase
entre tirets. Elle semble opérer, en surface, une sorte de
recours mythologique conventionnel, illustratif et péda-
gogique. Sans plus. Un mythème grec lui paraît néan-
moins pertinent: pour décrire une figure du judaïsme. Il s'agissait de ce qui se laisse découvrir, voire
On pourrait s'interroger, dans les termes de :Hegel ou soustraire « sous les jupes », « sous les manteaux
autrement, sur le pouvoir général et pré-philosophique bordés de fourrure », « sous l'extravagante robe
d'un mythème issu d'une culture fort déterminée, qu'on
oppose même, le cas échéant, à celle du judaïsme. du peintre », où « les corps remplissent bien leurs
Donc Hegel fait surgir et maintient la Gorgone entre fonctions ».
tirets, comme entre parenthèses ou entre crochets. C'est
de la même manière qu'il avait, au passage, situé la
circoncision et le sacrifice d'Isaac.
«Mais qu'est-ce que la pierre, le pierreux de Effet de bouche-
la pierre? Pierre est le phallus. Est-ce une bée. Convergence : le
réponse? Est-ce dire quelque chose si le
phallus est le dérobement de la chose? Et Juif opère (sur) lui-
si n'occupant aucun centre, n'ayant aucun même un simulacre de Double leçon d'anatomie dans les marges, et
lieu naturel, ne suivant aucun trajet propre, castration pour marquer en marge de marges.
il n'a pas de signification, se soustrait à
toute relève sublimante (Aufhebung) , arra- son propre, sa proprié-
che même le mouvement de la signification, té, son nom, fonder la
le rapport signifiant/signifié, à toute Aufhe- loi qu'il subira pour
bung, dans un sens ou dans l'autre, les
deux revenant finalement au même? Et si l'imposer aux autres et
l' « assomption » ou la dénégation de la se constituer en esclave
castration reviennent aussi étrangement favori de la puissance
au même, comme on peut l'affirmer? Alors
infinie. En entamant Il est donc vrai que la fleur signifie, symbolise,
l'apotropaique réserve toujours plus d'une
surprise. Propos pour relire en bloc celui son gland, il se défend figure et rhétorise, puis que Genet anagrammatise

55
de Freud et la scène de l'écriture, la marche
d'avance contre la me-
qui l'ouvre et ferme, la signification du son propre, sème plus que tout autre et glane son
nace infinie, châtre à
phallus, l'analyse courte de Dos MecJusen·,
son tour l'ennemi, éla-
houpt (<< Décapiter : châtrer. La terreur
nom sur quoi qu'il tombe. Glaner égale lire.
devant la Médusè est donc la terreur de la
bore une sorte .d'apo- V oire, car ce n'est pas tout. Si cette (double)
castration en tant qu'elle est liée à la vue. »
tropaïque sans me;sure.
Freud explique alors que ce qui en somme opération, signifiante et anagrammatique était pos-
Il exhibe sa castration
devient pierre le devient pour et devant la
tête coupée et la bouche béante de lacomme une érection qui sible, absolument praticable ou centrale, si s'ef-
méduse, pour et devant la mère en tant
met l'autre au défi.
qu'elle laisse voir ses organes génitaux.
fectuait l'irrépressible désir qui l'agit (de mort
Logique paradoxe
Si l'art donne souvent à la chevelure de la ou de vie, cela revient ici au même), il n'y aurait
Méduse la forme de serpents, ceux-ci de l'apotropaïque: se
dérivent encore du complexe de castra-
châtrer déjà) toujours ni texte ni reste. Encore moins celui-ci. Le résumé
tion et il est remarquable que, quelque
déjà, pour pouvoir
terreur qu'ils produisent en eux-mêmes, serait absolu, il s'emporterait, s'enlèverait lui-
ils servent encore à apaiser l'horreur,
châtrer et refouler la
puisqu'ils remplacent le pénis dont le même d'un coup d'aile.
menace de castration,
défaut est la cause de l'horreur (cJessen
renoncer à la vie et à
Fehlen die Ursache des Grauens ist). Une
la maîtrise pour s'en
règle technique : la multiplication des
symboles du pénis signifie la castration
assurer; mettre en jeu,
(Vervielfêiltigung der Penissymbo/e bedeutet
par ruse, simulacre et
Kostration) se trouve ici confirmée. La
violence, cela même
vue de la tête de Méduse raidit dans la ter-
reur, transforme le spectateur en pierre.
qu'on veut conserver; Objection : d'où prenez-vous qu'il y a du
Même origine dans le complexe de castra-
perdre d'avance ce
tion et même transformation d'affect! Car texte, et du reste, par exemple ce texte-d ou ce
qu'on veut ériger;
le devenir - raide (cJas Storrwerden) signifie
reste-ci?
l'érection et donc la consolation du spec-
suspendre ce qu'on
tateur dans la situation originelle. Il a
élève : auJheben. La re-
encore un pénis, il s'en assure dans son
11y a ne veut pas dire existe, reste ne veut pas
lève est bien l'essence
devenir-raide . [..) Si la tête de Méduse dire est. L'objection appartient à l'ontologie. Elle
remplace la présentation (Darstellung) des
apotropaïque de la vie,
organes génitaux féminins, ou plutôt si est sans réplique. Mais vous pouvez toujours
la vie comme 'apotrope.
elle isole son effet horrifiant de son effet
Or l'être est vie, l'être est
de jouissance, on peut se rappeler que la laisser-tomber. Et ne pas tenir compte du moins
monstration des organes génitaux est du
Aujhebung. La méduse de ce reste-ci. Cela vous regarde d'ailleurs.
reste bien connue comme opération apo-
ne ménage aucune
tropéùque. Cela même qui suscite l'horreur Il y a ce qui compte: l'opération en question
hors-scène. Elle ne voit,
produira un tel effet sur l'ennemi dont
on veut se garder. Chez Rabelais aussi le
ne donne à voir que des engage plusieurs noms propres. Et glas, une foison
diable prend la fuite quand la femme lui
a montré sa vulve. Le membre érigé ducolonnes pierreuses. de noms dort dans ces lettres.
mâle fonctionne aussi comme apotropaeon, Le destin judaïque
mais selon un autre mécanisme. La mons··
n'est pourtant qu'un
tration du pénis _. et de tous ses succé-
exemple sur la scène.
danés - voudra dire: «Je n'ai pas peur
Mais l'exemple se
de toi, je te défie, j'ai un pénis. C'est donc
une autre voie pour intimider le mauvais
relève lui-même dans
esprit ») et le reste. Lapidairement, pour
l'onto-logique.
déposer ici la chaîne infiniment ouverte
et retournée de ces équivalences : Le Juif n'a pu
pierre - tombe .__. érigé - roi -
s'assurer la maîtrise et
de - mort, etc. La dissémination y aura
toujours menacé la signification. » porter la mort partout Cette fois les théoriciens de l'ana .- vont se
dans le monde qu'à décourager parce que les noms propres se recou-
pétrifier l'autre en devenant lui-même de pierre. Jouant
ainsi plus ou moins bien, il s'est médusé lui-même. Mais il pent quand ils sèment, tout comme les sèmes
n'existe pas, lui (il), le Juif, avant de s'être médusé. s'invertissent quand ils se recoupent.
1

!
Ainsi la fleur (qui égale castration, phallus,
etc.) « signifie » - encore! - recoupe du moins
Ça s'est donc médusé avant lui. la virginité en général, le vagin, le clitoris, la
« sexualité féminine »', la généalogie matrilinéaire,
le seing de la mère, le seing intégral, soit l'Imma-
Le Juif est un cœur de pierre. Il est insensible. Or le culée Conception. C'est pourquoi les fleurs 11'ont
sentiment, le sentir (Empftnden) a été déterminé comme le plus rien de symbolique. « Elles ne symboli-
foyer, l'unité vivante de l'être en famille. Il n'y a pas de
vraie fdmille là où le sentiment s'est laissé anesthésier,
. saient rien. »
couper, nier ou .pétrifier : pas de vraie famille juive, et
d'abord parce qu'aucun rapport de familiarité n'a été
possible entre le Juif et son Dieu.
Cett.~ insensibilité, cette incapacité à former une
vraie famille n'est pas un trait empirique, c'est une loi de
structure qui organise la figure judaïque dans toutes les Démonstration. Pour que la castration recoupe
formes et tous les lieux de sa manifestation. Par exemple,
contrairement à ce qu'on pourrait attendre, la sédenta- la virginité, le phallus se renverse en vagin, les
risation de Joseph et de Jacob n'inte1:'!ompt pas les effets opposés prétendus s'équivalent et se réfléchissent,
de cette loi. La maîtrise y reste l'esclavage. Ce rapport il faut que la fleur se retourne comme un gant,
persiste jusque dans la manière dont les Juifs vivent
alors leur libération, au moment où Moïse vient la leur et son style comme une gaine. Les bonnes passent
proposer. ,leur temps à réfléchir et à remplacer un sexe par
Hegel précise: cela nous est inintelligible. Nous ne l'autre. Or elles enfoncent toute leur « céré·-
saurions saisir avec notre entendement (mit unserem Ver-
stand) ce devenir-libre du Juif: Cela tient au débordement monie » dans la structure du gant, de la glace et
de l'ordre intellectuel. L'irruption de l'infini, donc de la de la fleur. L'attaque est supportée par le signifiant
raison, fait rage dans le destin juif. Mais elle reste abstraite « gant ». Gant se tend comme un signifiant d'arti-
et désertique, elle ne s'incarne pas, ne s'unit pas concrète-
ment, effectivement, aux formes:fde l'entendement, de fice. Premiers mots: « Et ces gants! Ces éternels
l'imagination ou de la sensibilité.."', gants! ». Ils n'aUl~ont été précédés que par la mise
Telle est l'insensibilité des Juifs. Elle prend, comme en scène indiquant « des fleurs à profusion »
dans une glace, toute leur histoire, leur pratique politique,
leur organisation juridique et familiale, leurs procédures et un miroir de coiffeuse auquel Claire tourne
r~tuelles et religieuses, leur langue même et leur rhéto- le dos. Mais ces gants ne sont pas seulement des
rlque. signifiants artificiels et réversibles, ce sont des
Par exemple, la libération des Juifs par Moïse étant
inaccessible à l'entendement (Ver stand) sinon à la raison gants presque faux, des gants de cuisine, les
(Vernunft) J on pounait croire qu'à défaut de discours « gants de la vaisselle » avec lesquels, à la fin de
rationnel, une forme de l'imagination (Phantasie) a pu, la cérémonie, on mime l'étranglement de Madame,
aurait pu représenter adéquatement le phénomène.
Adéquation impossible : quand Moïse vient entre- et qui circulent en somme entre les places (la
tenir les Anciens de son projet de libération, il ne peut pas cuisine et la chambre de Madame). Les bonnes
leur parler le langage de l'intellect, mais celui de la sensi-
sont des gants, les gants de Madame. Elles s'ap-
bilité non plus. Si les Juifs se sont révoltés, ce n'est pas
parce que leur cœur (Gemüt) se révoltait contre l'oppres- pellent aussi des « anges ». A la fois châtrées et

57
sion (Unterdrückung), parce qu'ils r~ssentaient la nostalgie castratrices (araignées ou fourreau de parapluie),
de l'air pur et de la liberté. Ils ne se sont pas libérés pour pleines et vides du phallus de Madame que Madame
être libres, mais pour procéder d'un lieu de réclusion à
l'autre. Ils n'ont aucun sens de la liberté. Comment se n'a pas, elles échangent leurs prénoms et les
sont-ils laissé convaincre? Ni par l'intelligence, ni par transforment sans cesse en adjectifs ou en noms
la sensibilité. .
Par l'imagination? Oui et non.
communs:
Oui, parce que Moïse, encore dans les griffes de « CLAIRE, calmement : Pardon. Je sais ce
l'enthousiasme, agit en effet sur leur imagination (Phan- que je dis. Je suis Claire. Et prête. J'en ai assez.
tasie). Non, parce que, en raison de cette coupure entre
la raison infinie et les ordres déterminés de l'entendement,
Assez d'être l'araignée, le fourreau de parapluie,
de l'imagination et de la sensibilité, l'appel à l'imagination la religieuse sordide et sans dieu, sans famille!
reste abstrait, déréglé, artificiel, inadéquat. Le schème J'en ai assez d'avoir un fourneau comme autel. »
intermédiaire d'une incarnation fait défaut.
Cette inadéquation explique que le Juif soit incapable
La cérémonie se maintietit donc entre
de comprendre un symbole concret et qu'il soit insensible deux paires de gants se retournant sans cesse
à l'art. L'Esthétique fait une place à la poésie hébraïque, devant une glace. « J'en ai assez de ce miroir
mais sous la catégorie du sublime négatif : effort im-
puissant, écrasé, terrassé, pour exprimer l'infini dans
effrayant. »
la représentation phénoménale.
Quand Moïse propose aux Juifs de se libérer, sa
rhétorique est forcément froide et artificielle. Il recourt
à des artifices, à des ruses ( Künsten) d'éloquence. Il Mais entre ces paires de gants, des fleurs,
éblouit plus qu'il ne touche ou ne convainc. Etranger au seulement des fleurs, trop de fleurs. Leur dépla-
symbole, à l'union concrète et sentie entre l'infini et le cement est comme la loi, le métronome aussi,
fini, le Juif ne peut accéder qu'à une :rhétorique abstraite
et vide. C'est pourquoi il écrit très mal, comme dans une presque inaudible, la cadence latérale, dissimulée,
langue étrangère. La scission entre l'infini et le fini de chaque geste. Les deux attaques de Madame
l'aveugle, le prive de tout pouvoir de se représenter passent par les fleurs. Celle qui est mimée par
concrètement l'infini. Son iconoclastie elle-même signifie
la sécheresse de son cœur: ne voyant dans les représenta- Claire, au début de la représentation, puis, au
tions sensibles que bois et pierre - matière - il les milieu, l'entrée « réelle » de Madame en scène.
rejette facilement comme des idoles. Dans les deux cas, les fleurs préviennent de la
C'est toujours la même loi: ,ils n'ont afEùre qu'à la
pierre et ils n'ont à la pierœ qu'un rapport: négatif. Ils ne mort. Encore annoncée d'un je m'ec :
pensent même pas la mort comme telle, n'ayant rapport 1. « CLAIRE, elle s'arrange dans la glace :
qu'à elle. Ils ne sont préoccupés que d'invisible (le sujet V ous me détestez, n'est-ce pas? Vous m'écrasez
infini est nécessairement invisible, insensible), mais
comme ils ne voient pas l'invisible, ils restent du même sous vos prévenances, sous votre humilité, sous
coup rivés au visible, à la pierre qui n'est que pierre. Ils les glaïeuls et le réséda. (Elle se leve et d'un ton
n'ont affaire qu'à de l'invisible et à du visible, à de l'insen- plus bas.) On s'encombre inutilement. Il y a
sible et à du sensible, mais ils sont incapables de voir
l'invisible, de sentir l'insensible, de sentir (telle est la fonc- trop de fleurs. C'est mortel. (Elle se mire encore.) »
tion médiatisante, agglutinante du sentir) l'invisible dans 2. « MADA.ME : De plus en plus! Des glaïeuls
le visible, l'insensible dans le sensible, de se laisser affecter
par leur unité: l'amour et la beauté, l'amour de la beauté
horribles, d'un rose débilitant, et du .mimosa!
ouvrent à cette unité du sensible et du non-sensible, du [...] un beau jour je m'écroulerai, morte sous
fini et de l'infini. « Le sujet infini devait être invisible; car _ VOS fleurs. Puisque c'est JV,on tombeau que vous
tout visible est un être limité (ein Beschranktes),. avant préparez, puisque depuis quelques jours vous
que Moise n'ait eu sa tente [son taber-
pendant la sortie nacle], il ne montrait aux Israélites que accumulez dans ma chambre des fleurs funèbres! ».
d'tgypte, Yahvé pré-
cédait les Juifs et
le feu et les nuages qui dans leurs jeux Dans les deux cas, le glaïeul, gladiolusJ
leur montrait la route. toujours renouvelés et indéterminés petit glaive, de la famille des iridées (provençal :
Deux colonnes : une occupent le regard, sans le fixer dans
colonne de feu pen-
une forme. » Jeu libre sans forme, jeu glaviolj au glaïeul commun on a souvent prêté
dant la nuit, une
colonne de nuées pen- naturel et sublime à la fois mais sans d'autres pouvoirs thérapeutiques et nutritifs; le
dant le jour. « La détermi~ation formelle, jeu infini mais
colonne de nuées ne glaïeul des moissons
manquait jamais de
sans art, esprit pur et matière pure.
précéder le peuple « Une idole (ein Gotterbild) n'était pour
extrait du V. Wartburg, après l'article glacées et
pendant le jour, ni la eux que pierre ou bois - elle ne voit
colonne de feu pen- avant les articles glans, glarea, qu'on consultera
dant la nuit. »
pas, n'entend pas, etc., et cette litanie avec profit :
(Exode, 13, 21.) leur semble être d'une sagesse merveil-
leuse, ils méprisent l'idole parce qu'elle
gladiolus schwertlilie.
ne s'occupe pas d'eux et ils ne pressentent rien de sa
divinisation (Vergottlichung) dans l'intuition de l'amour 1. Fr. glaïeul « gladiolus » (seit 13. jh., R 16,600),
et dans la jouissance de la beauté. » afro jagleux (pl., 13. jh., Gdf; Galeran), jaglol Antid
Le christianisme aura justement opéré cette relève Nic, afro mfr. glagol (Esc; Cotgr 1611), afro glagel
de l'idole et de la représentation sensible dans l'infini de HMond, mfr. glageul Modus, glageur Modus, jageul
l'amour et de la beauté. Modus, glagou Cotgr 1611, aflandr. glagiot (15. jh.),
Telle sécession aveugle paralyse l'art, la parole, la apr. glaujol (hap.), glaugel (pr. 14. jh.), glongol
rhétorique. Mais elle a d'abord fracturé la structure du (1397, Pans), Colembert glazce Viez 55, pik. bou!'-
tabernacle. glajeu, Formerie id. G 17, Noyon glaju, Dém.
« id.; iris pseudacorus », norm. glajeul «gla:reul »,
Le tabernacle donne son nom et son lieu à la demeure
Bray. yèr. havr. glageux, Thaon glodyce « iris pseu-
familiale juive. C'est: là que s'établit la nation juive. Celle-
dacorus », gladyce, Vire Iiageu, hag. glazce (pl.
ci y dépose, y adore le signe de Dieu et de son alliance. ··ce r) «glaIeul », Guern. glazcer « iris des marais ».
Du moins le croirait-on. Jers. gliageu «glaieul », glajeur Z 13,391, bliagieu,
Or le tabernacle (texture de « bandes » dont il faut Canc. glageu, nant. glajou, saint. fjajou.
sans cesse ré-employer l'excédent, Exode, 2.6) reste un
signifiant sans signifié. Le foyer juif forme une maison [ ... ]
vide. Certes, sensibles à l'absence de toute forme sensible, Agen graoujol, glaoujol; Péz. « cornet, mollusque
les Juifs ont essayé de produire un objet qui donnât en comestible »; cogl. glaizce « collier de cheval fait
quelque sorte lieu et figure à l'infini. Mais ce lieu et cette avec des herbes aquatiques desséchées» ABret 18,
figure ont une structure singulière : elle enferme son vide 473.
en elle-même, elle n'abrite que son propre désert intério- AbIt ..- Afr. glaioloi m. « lieu planté de glaIeuls »
risé. Elle n'ouvre sur rien, ne renferme tien, ne contient (13. jh", Gdf; R 11, 143). - Apik. glaiol/at (ca.
pour trésor que le rien : un trou, un espacement vide, 1330). - Mfr. glaioleure f. «teinture d'iris» (Reims
1340) .._- Afr. jaglo/é « qui a la couleur de l'iris »
une mort. Une mort ou un mort, parce que, selon Hegel,
(1260), glago/é (Douai 1400). -- Apik. glaio/é «jon-
l'espace est la mort et que cet espace est aussi d'une vacuité
ché de glafeuls, de verdure, de fleurs en gén.
absolue. Rien derrière les rideaux. D'où la surprise ingénue (d'une salle) » Bueve 2; englaio/é (ca. 1200 -- 15.
du non-juif quand il ouvre, quand on le laisse ouvrir ou jh., Gdf; Bueve 3 b).
quand il viole le tabernacle, quand il entre dans la demeure Il. Nfr. gladio/e f. « glaïeul » (Boiste 1829 -
ou dans le temple et qu'après tant de détours rituels pour Besch 1858. - Abit. Nfr. gladiolé « arrangé à la
accéder au centre secret, il ne découvre rien - que le rien. façon des glaieuls (d'une autre plante) » (seit Besch
Pas de centre, pas de cœur, un espace vide, rien. 1845, au ch 1901, Huysm); gladiolage « particula·

59
On défait les bandes, déplace les tissus, tire les voiles, rité de l'écriture qui fait diminuer la hauteur' des
écarte les rideaux : rien qu'un, trou noir ou un regard lettres depuis le commencement jusqu'à la fin du
mot» (seit Lar 1930; Bonn).
profond, sans couleur, sans forme et sans vie. C'est
l'expérience du puissant Pompée au terme de son explo- [ ... ]
ration avide: « Si aucune forme (Gestalt) n'était offerte
à. la sensibilité (Empfindung) J il fallait du moins donher à. la 4) Der ersatz von -a·· durch -au- findet sich au ch
méditation, à. l'adoration d'un objet invisible une direction bei g/adius. Es liegt wohl einfluss eines andern
(Richtung) et une délimitation (Umgrenzung) renfermant wortes zugrunde. In It. handschriften und glossaren,
cet objet - Moïse les leur donna sous la forme du Saint die vor dem 11. jh. liegen, finden sich mehrfach
schreibungen wie g/avdius, claudius, gaudio, welche
des Saints du Tabernacle, et ultérieurement du Temple.
offenbar die altesten belege für diese formen mit
Pompée fut saisi par la surprise quand il s'approcha du -au- sind. Vgl. Birt, Der Hiatus bei Plautus; Marburg
lieu le plus intérieur du Temple, au centre (Mittelpunkt) 1901, s. 279.
de l'adoration et, en lui, à. la racine de l'esprit national,
avec l'espoir de reconnaître l'âme vive de ce peuple excep-
tionnel en son centre et d'àpercevoir un être [une essence, gladius schwert.
Wesen] offert à. sa méditation, quelque chose qui fût plein
de sens (Sinnvolles) pour être proposé à. son respect, et 1. 1. a. Awald. g/ai «épée », g/ay « lance» Chay t,
lorsqu'entrant dans le secret [l'intimité familière et secrète, alyon. g/aio R 30, 224 ..- Abit. Apr. esg/aiar « tuer
avec une arme » Gir Born, desg/aiar Gir Born.
Geheimnis] devant le spectacle ultime il se sentit mystifié
b. Apr. g/ai m. « effroi» (13. jh.). - Abit. Apr.
(getauscht) et trouva ce qu'il cherchait dans un espace vide esg/aiar «effrayer, intimider» Kolsen 171, hdauph.
(in einem leeren Raume). » eig/ayé « v. a. étonner, réjouir; v. r. s'étonner,
Le Geheimnis juif~ le foyer dont on cherche le centre rire aux éclats », mdauph. eyg/aya, bdauph. esg/aya,
sous l'enveloppe sensible _. la tente du tabernacle, la Queyr. esg/ayar «effrayer », lang. esg/aja. Bdauph.
pierre du temple, la robe qui habille le texte de l'alliance _. esg/aya « effrayé », Alais esg/aiat. Apr. esg/ai
se découvre finalement comme espace vide, ne se découvre « effroi; douleur; vacarme », « crainte» SHon,
pas, n'en finit pas de se découvrir, n'ayant rien à. montrer. Queyr. «frayeur », castro eg/ach, Cadat esglach
Que la familiarité absolue du Geheimnispropre soit «émoi» Delh 155, Teste esg/ady «frayeur poussée
ainsi vidée de tout contenu propre en son centre vacant, jusqu'à la folie ». Mdauph. eyg/aya f,. «étonnement,
cela signifierait que l'essence juive est totalement aliénée. franc rire », bdauph. esg/ayado. Mdauph. eyg/ayayre
« celui qui étonne, qui fait rire »; eyg/ayamen
Son propre lui serait infiniment étranger.
« étonnement, explosion de rire ».
Il ne peut donc (en) jouir. Tout étant: obtenu par la
C. Apr. g/ai m. « glace» (hap.). -- Abit. Dauph.
faveur d'un Dieu transcendant et séparé, ce dont jouit le eig/ayé « glisser, faire une glissade» Ch, hdauph.
Juif est sous scellé d'expropriation. Ce dont je jouis ne eyg/ayé; eig/ayada « glissade ».
m'appartient pas. Ma vie et mon corps ne sont pas à. moi. 2. Fr. glai m. « glaieul » (Ben SMaure - 1709,
Hegel rappelle que tout premier-né pouvait être mis à. S. Trév; Gdf; Chrestien; Gace; Escoufle; Mon
mort : « Consacre-moi tout premier-né, prémices du sein Guill; Enf Guill; Molin; JLemaire; Tristan H),judfr
maternel... » (Exode, 13). Le corps humain appaltenant à. g/aid Rs, anam. g/are Haust Méd), Cherb. gliai
Dieu, il devait être tenu propre, mais comme un traves- «iris faetidissima »Joret FI, Troyes glas «glaieul »
tissement, comme la livrée d'un domestique. Le Juif porte Gr, Esternay g/ai « iris », HMarne gye ALF 1599
tout comme un donné, un prêté plutôt: vêtement, livrée, P 28, g/a ALF Suppl p 128, Marne g/e « roseau »
nom. Le peuple juif s'identifiant à. l'une de ses tribus dont ALF 1166 P 135, Vouth. did « glaieul », Brillon,
Dombras g/d, Cum. gaum. « iris », Metz gya
il recevait: sa dénomination, il était la propriété classée
«glareul », Isle gyo, saun. dya, Brotte « iris des
de Dieu, le gérant ou le domestique de ce domaine. Il marais », Gruey dye, bress. diê, Plancher hya, gya,
administrait le bien et la propriété de Dieu, défendait ses Châten. id, ia', fourg. la, Schweiz g/é, rhod. g/ai
droits, s'organisait en hiérarchie du plus humble serviteur «glaïeul », St·André V. glays ALLo 332, périg. glai;
au ministre. On ne considérait pas ce dernier comme le afro lai « lieu où croissent les glaTeuls » Gerbert,
gardien du secret (Bewahrer des Geheimnisses) mais seule- glai Gloss Douai 244, al Ott. g/ay (ca. 1380), nfr.

60
ment des choses secrètes ou familières (nur der geheimen glai « masse de glaïeuls formant une île dans un
Dinge) détachées, pour le représenter, depuis l'inacces- étang» NM rust 2, 582 - Besch 1858).
sibles secret. Le Geheimnis n'est même pas à la disposition Abit. - Afr. glaie f. « glaïeul » (Iothr. ca. 1220),
du chef qui reste un ministre de Dieu. glalie GI Vat 1020, mfr. glage Baïf, glaye « iris »
Leur propre leur reste étranger, leur secret sec~et : (Cotgr 1611; Oud 1660), Esternay glaje « glaïeul,
iris, etc. (t. coll.) », Reims glages «grandes herbes,
séparé, coupé, infiniment éloigné, terrifiant. « Le secret
sur le bor'd des fossés et des rivières » S, Rethel
propre était lui-même de part en part un étranger (Das « amas de glaïeuls », Guign. glage « jonc », périg.
Geheimnis selbst war etwas durchaus Premdes), auquel aucun g/èio « roseau » M, Chabrac glayë, Puyb. gloye
homme n'était initié, dont il pouvait seulement dépendre; RPGR S, 263. - Rhod. glaujo f. « iris », périg.
et la dissimulation (Verborgenheit) de Dieu dans le Saint glauso «glaïeul ». - Maug. glavart « iris des ma-
des Saints a un sens tout autre que le secret (Geheimnis) rais ». - MfI-. glaitel « glaleul » (Cotgr 1611 :
des dieux d'Eleusis. Des images, des sentiments, de Oud 1660). [ ••• ]
l'enthousiasme et de l'adoration à Eleusis, de ces manifes- Afr. glageure «jonchée » Ruteb, Cum. Chatt.
tations du dieu personne n'était exclu, il était seulement « toute verdure que l'on répand sur le passage
interdit d'en parler car ils eussent été profanés par des d'un haut personnage, en part. sur le parcours de
mots; tandis que les Juifs pouvaient bien bavarder de la procession de la Fête-Dieu », Brillon glaiures.
leurs afELires, opérations ou règlements de service (5, Mos. _. Agn. deglagier « abattre » Edm ..-. Afr. sor-
,0, II) car il n'y a rien là de sacré, le sacré était pour l'éter- glaigier « accabler» (hap.).
nité hors d'eux, hors de vue et de sentiment (ungesehen II. 1. Apr. glazi m. «épée; toute arme tranchante »
und ungejühlt). » (13.-14. jh.), Cantal glasi « épée », lim. glaize.
Comment pourrait-on avoir un secret? Obertragen apr. glazi « massacre, carnage »;
L'expropriation absolue rend le secret du sacré inac- mort de glazi « mort subite », glazi (Lv; SFR 7,
168); périg. glase «glaïeul ». - Abit. Apr. glazier
cessible à celui-là même qui en détient le privilège. Dans
« adj. qui prend les armes; cruel, sanguinaire; m.
cette aliénation absolue, le détenteur de l'inaccessible peut massacre »; glazios adj. « meurtrier' ».
aussi bien en gérer paisiblement les effets ou les phéno-
mènes, en bavarder, les manipuler. L'invisible reste invi- 2. Bigorre, Gers glasi « effrayer ». Pro glàri m.
«chagrin ». - ApL esglasiat « possédé du diable»
sible, hors d'atteinte, le visible n'est que le visible: Simul-
Jaufre, «terrible (d'un coup) » (hap.), pro eiglari6
tanément le plus familier, secret, propre, proche, le Heimliche « possédé, démoniaque; enragé, alarmé », mars.
du Geheimnis se présente comme le plus étranger, le plus esglariat « effaré, emporté, hors de soi, troublé»
inquiétant (unheimliche). A, aiglariat A, St-Simon eglosiat « épouvanté ».
On ne peut même pas décider de l'expropriation, Gers, bearn. esglasi6 « effrayer ». Gers esgl6sio
trancher quant à la castration, courir après sa vérité. L « épouvante ». BAlpes eigl6ri m. « inquiétude
L'indécidabilité d'un système est ici plus puissante que subite mêlée de crainte », Alais esglari « effroi ».
la valeur de vérité. Comme ce texte de Hegel, Das Un- Barc. esglarir « effrayer ». - Apr. deglaziar «tuer
heimliche devrait, aurait dû déborder l'opposition, voire avec une arme ». _. Apr. aglaziar; aglaziador
la dialectique du vrai/non vrai. «assassin ». ,- Apr. englasiat « possédé du diable»
Faire porter cette chaîne problématique par un Jaufre. Ariège englasi « effrayer » Am. Toulouse
engl6zi m. « effroi » G, Tarn, castro id.; Puiss.
discours politique, est-ce en limiter l'étendue? est-ce
englas «frayeur ».
rétrécir le champ d'une question générale qui fut au reste
élaborée en d'autres lieux? III. 1. Afr. mfr. glaive m,. f. «lance, javelot» (12.-
Hegel, par exemple, et son discours, tient à la vérité. 14. jh., Gdf; Gay; Chrestien; R 21, 292; Beneit
Th; Arch 97,441 ; Edm; Hon Abc; Pere; Fille Ponth;
D'où l'accusation politique lancée contre le Juif.
Tournai 1280, RF 25,132; Eust; Beaum Cout;
Le Juif ne peut pas devenir, en tant que tel, un citoyen, Ibn Ezra; Perl), glavie Brendan 1713, claive Perl,
il ne peut avoir de vraies lois d'Etat. Pourquoi? glave Veng Rag, clave Veng Rag, judfr. groibe (1100,
Hegel dialogue avec Mendelsohn, auteur de « Jeru- RSt 1, 186), mfr. gleve « petite pique» (St-Quen-
salem oder über religiô'se Macht und Judentum », 178" philo- tin 1340), glave « lance» (14. jh.), apr. glavi (Iang.
sophe des lumières, philosophe juif des lumières pour qui 14. jh., Lv; Bonis), clav; CCons Albi. Obertragen

61
le judaïsme ri'était pas une religion révélée mais une loi mfr. glaive m. «soldat armé d'une lance » (14.
révélée; elle prescrit des actes mais n'enrichit en rien nos jh., Gdf; Runk), apr. glavi (14. jh., Lv; Millau 1359,
connaissances. Hegel semble approuver: les lois religieuses Doc 113) ..- Mfr. nfr. glaive «épée» (seit 15. jh.),
mfr. glave (Molin; Mist). Bellau glievo «tranchant »;
juives ne nous apportent aucune connaissance, aucune
faria glic1ve «couteau », bellau diâvo. [ ••• ]
conscience, aucune vérité éternelle. « Mendelsohn met Abit ..- Mfr. glavelot « petite pique » (14. jh.).
au compte de sa foi le grand mérite de ne proposer aucune - Mfr. glaviot « sorte de dague (ou pique?) »
vérité éternelle. Qu'il y ait un Dieu, voilà où culmine (15. jh., Gay). -- Nfr. glaivataire « ange qui porte
l'"édifice des lois d'Etat .. >) On ne peut appeler cela des le glaive » (1891, Huysm). Mfr. glavieur « gladia-
vérités, sauf à dire qu'il n'y a pas de vérité plus profonde teur » (1531, Mir. hystorial XIV, 36, Db). - Afr.
pour l'esclave que l'affirmation selon laquelle il a un glavoier « percer d'un glaive » (13. jh.). - Afr.
maître. Mais Mendelsohn a raison de ne pas appeler mfr. deglaiver v. a. «faire périr par le glaive» (13.-
cela vérité. Dieu ne se manifestant pas, il n'est pas vérité 15. jh., Gdf; TL; Gaimar 3000); afro deglaveis « maso.
pour les Juifs, présence totale ou parousie. Il donne des sacre» Wace. Afr. mfr. desglavier « faire périr par
ordres sans paraître. « Pour cette raison, la. présence de le glaive» [ .•. ].
2. Afr. glaive m. « massacre, carnage » (norm.,
Dieu (Dasein Gottes) ne survient pas comme une vérité
12. jh.); «épidémie, calamité» (ca. 1210 --1380,
mais comme un commandement (BeJehl). >} Les Juifs Gdf; Ilvonen), St-Omer mourir à glave « en masse
étaient esclaves et on ne peut être esclave d'une vérité ou (en temps d'épidémie) » (1790), pic. St-Pol id.
d'une beauté : « Comment des hommes qui ne voyaient (dazu pic. aglave,. de soif «avoir très soif »; Manche
en toutes choses que de la matière auraient-ils pu pressen- églavé « mort de faim » Dm); Lille il pleut à glave
tir la beauté, comment auraient-ils pu agir selon la raison « à verse », Metz e gléi{'; flandr. Tourc. a glafe
et la liberté, eux qui ne furent que dominateurs ou « à profusion, beaucoup ». [ .•. ]
dominés ... ? >) 2. Fr. gladiateur « homme qu'on faisait combattre
Etrangers à la raison et à la liberté, les Juifs n'avaient dans le cirque, pour l'amusement du peuple (chez
donc pas davantage de lois rationnelles. L'absence d'obli- les anciens Romains) » (seit 13. jh.); nfr. « duek
gation n'est pas un signe de liberté, bien au contraire. liste, spadassin» (Retz 1646 - Lar 1872); «esp.
Les Juifs n'ont pas d'obligation politique parce qu'ils de dauphin» (Boiste 1829 - Lar 1872). _. Nfr.
gladiatrice « femme qui combat avec l'épée »
n'ont aucun concept de la liberté et de la rationalité poli-
(Balzac G; Prévost, S. Trév 1771). [ ... ]
tique. C'est le règne de la violence. Ce déchaînement ne 5. Nfr. gladié « en forme d'épée, avec des arêtes
correspond pas à une libération ou à quelque progrès vives (t. de bot.) » (seit Boiste 1803). »
politique : les Esquimaux auraient-ils le droit de se
considérer comme supérieurs aux Européens parce qu'ils
ne paient ni droits d'octroi sur le vin ni impôts sur l'agri-
culture?
Une fois de plus l'analogie entre le Grec et le Juif se L'épée ou le gland dans le phonème, le glas dans le
limite à l'apparence. Quant aux droits de propriété et phénomène. Panglossie. Y a-t-il gl dans toute langue
aux biens de famille (deuxième moment du syllogisme naturelle? gl ... ph ... Ça brille et se brise
familial dans la Philosophie du droit), les premiers textes sur
l'esprit du christianisme rapprochent certaines dispositions
de la loi mosaïque de telles règles établies par Solon et
Lycurgue. Dans les deux cas on veut mettre fin à l'inéga·-
lité des richesses. Des lois « socialistes >) tendent à neu-
traliser une disproportion qui menace la liberté politique.
passait pour aphrodisiaque
Les deux législations mettent en place tout un pro- et emménagogue.)
cessus juridique : il faut empêcher le vol qui permet à Dans un seul cas, le réséda, fleur jaune (rcscda
une famille de s'enrichir au-delà de certaines limites.
Mais le processus grec fonde le droit et la politique, il lutca, lutcola) qui fournit même la couleur jaune
constitue les sujets familiaux en citoyens. Le processus et à laquelle on attribuait des vertus médicinales
62
juif au contraire bafoue le droit et la politique: pour limi- et apotropaïques. Les frocs, en particulier ceux
ter le droit de propriété et donc d'expropriation/appro-
priation, il prévoit en effet que les biens d'une famille lui
du Condamné à mort, sont
appartiennent pour toujours. Celui qui a dû vendre son « réséda >). Dans les deux cas, la selon Pline, le ré-
séda devait désen-'
bien ou sa personne parce qu'il est dans le besoin « devait menace est aussi une défense, elle fIer la tumeur,
recouvrer ses .droits réels dans l'année du Jubilé et 'ses
prévient, la fleur qui tue embaume, et l'empêcher de
droits personnels dans l'année sabbatique ». Cela est en
1'arme .bartlca · d / l. d li d. grossir ou de gran-
effet: prévu dans le Lévitique. De même, celui qui avait e \g a io us, rese a dir, pourvu qu'on
hérité de champs en surplus n'en était pas le propriétaire, morbos) : « J'étais en face d'une en accompagnât
seulement le gérant, et devait restituer le supplément à une décision terrible puisqu'il s'agis- l'application d'une
date déterminée. Ce système de compensation, malgré formule : reseda
l'apparence, nie le droit civil tel que Hegel l'interprète. sait de rompre le barrage des fleurs, morbos
Le droit civil suppose la propriété familiale. Comme le d'entrer dans le fabuleux en le
confirmera La philosophie du droit, il ne saurait y avoir
de droit public interne que si la propriété des biens de
combattant [...] je me donnais l'air le plus natu-
famille et le droit d'héritage sont intangibles. Or la loi rel [... ] afin que le gâfe ni les fleurs ne devinassent
mosaïque limite le droit d'héritage et le droit de propriété rien de mon projet » (Miracle de la Rose). Les
en le soumettant a une règle externe. Le propre est déter-
miné du dehors, égalisé, nivelé par des mesures extrin-
Bonnes : « CLAIRE: J'agis en dessous,
sèques. Le nom de famille devient secondaire, il tombe camouflée par mes fleurs, mais tu ne peux rien
au rang d'accident soumis, « le bien familial dépendait contre moi. [... ] SOLANGE: Madame se croyait
donc moins de ce qui revenait à la famille de plus propre
(Eigentlichsten) , de la marque indélébile de la filiation protégée par ses barricades de fleurs [... ] Je
à partir de parents déterminés, que de quelque chose retourne à ma cuisine. J'y retrouve mes gants
qu'on recevait de l'extérieur ». Le mal, c'est donc une et l'odeur de mes dents. Le rot silencieux
expropriation radicale qui constitue la propriété en gérance
ou en gestion, la possession en prêt, et donc le nom en
prête-nom. pour bien entendre ce « rot silencieux », il faut
L'interprétation hegelienne concerne ici un certain se rappeler que celle qui prononce ici le mot et
« esprit » de la loi mosaïque. Dans sa lettre, on voit mal qui revendique la chose, c'est Solange: plus loin
elle réclame que pour elle « sonne le glas », et
ce qui la distingue en effet de la disposition prévue par
que son bourreau la berce. Tout cela ne se produit
Solon et: Lycurgue. Mais la même littéralité aurait selon pas très loin du fourneau de la Sainte Vierge, certes,
Hegel un esprit tout différent chez les Grecs: et d'abord mais s'efforce d'abord de passer par une cloche,
un esprit: tout court, un sens interne animant la loi du une glotte, une gorge. Comme du lait toxique,
dedans. La limitation de la propriété est destinée à inter- si vous voulez, et le laitier n'est jamais très loin
dire la violence, à garantir la liberté du citoyen, à faire du tocsin, lui qui empoisonne le désir des trois.
que tout: sujet se trouve chez lui et non pas étranger dans Son insolite, la rareté même de l'association (tocsin-
la cité. Il faut pour cela qu'il ait son bien propre. laitier, tocsin-matin, tocsin-délice) confirme la
En ce sens tous les Grecs sont des citoyens, aucun lointaine mais puissante contrainte de l'aggluti-,
Juif n'a de véritable droit de cité. Hegel cite le Lévitique : nation (<< Son laitier matinal, son messager de
« Vous ne pouvez rien aliéner (veraussern) car le sol est l'aube, son tocsin délicieux, son maître pâle et char-
mant, c'est fini. En place pour le bal .. »).
à moi, vous êtes chez moi des étrangers' et les ressortis-
Comme un pharmakon spermatique qu'on recrache.
sants d'une nation étrangère (Einheimische von fremder Cette pièce encombrée de glaï'euls est aussi le
Nation). » stade du crachat. «Tout, mais tout! ce qui vient
Si l'on suit cette valeur de propriété (Eigen, Eigenheit, de la cuisine est crachat. Sors. Et remporte tes
Eigentum) , on doit conclure que l'indépendance et la crachats! [ .•. ] Je vous ai dit, Claire, d'éviter les
qualité de citoyen libre vont de pair avec la propriété crachats. Qu'ils dorment en vous, ma fille [ •.. ]
privée. « Chez les Juifs, le principe était que ceux-ci Pensez,·vous qu'il me soit agréable de me savoir
n'avaient aucune liberté ni aucun droit, puisqu'ils ne le pied enveloppé par les voiles de votre salive? »
Ce pied induit ,- tout le texte. « Solange: [ .•• ]
possédaient toutes choses qu'à titre de prêt, non de pro-
Pourrons-nous même le continuer, le jeu. Et moi,
priété (nicht ais Eigentum), parce qu'ils n'étaient rien en si je n'ai plus à cracher sur quelqu'un qui m'appelle
tant que citoyens; - tous les Grecs devaient ~tre égaux, Claire, mes crachats vont m'étouffer! Mon jet de
parce que tous libres, indépendants, tous les Juifs devaient salive, c'est mon aigrette de diamants. [ ... ] Claire:
être égaux parce que tous incapables d'ind~pendance. » [ ••. ] Crachez-moi à la face! Couvrezcmoi de boue
Il n'y a donc pas de « pour soi », d'être-auprès-de-soi et d'ordure. [ ... ] Couvrez-moi de haine! D'in-
juif. suites! De crachats! »Qui, que veut-on «couvrir»
Question de la lettre. Hegel se réfère à l'esprit de la ainsi, d'un « voile », d'un drap ou d'un linceul,
loi et reconnaît que cela seul qui compte à ses yeux, de fleurs ou de crachats? Et qu'est-ce qui, dans le
c'est l'intention du législateur. Si « dans l'âme du législa- glas, s'induit d'un crachat? Quoi de plus
teur » juif, dans son « intention » (Absicht), il s'agissait
vraiment, comme chez les Grecs, de limiter l'inégalité des de l'évier.
richesses et d'assurer la liberté du citoyen, il y aurait Vous avez vos fleurs, j'ai mon évier. »
tout un système d'autres mesures convergentes. Hegel dit
n'en pas trouver dans la loi mosaïque. Les Juifs sont La fleur joue donc une sorte de poison contre-
donc tous les esclaves d'un souverain invisible : entre
eux et leur souverain, aucune médiation légale et ratio- poison. Un négatif travaille contre l'autre.
nelle, seulement des chefs de tribus apparaissant ou dis- La sortie de Madame marque aussi, comme
paraissant selon l'état des forces. Les pouvoirs sont réels, son entrée, un retour de fleur : un poison de
non juridiques. Il y a bien des pouvoirs empiriques, des
fonctionnaires ou des « scribes » ( Schreiber) . Mais les gala qu'il faudrait aussitôt vomir. « MADAME :
scribes ne sont pas guidés par l'esprit d'une loi. Ils obéis- Tu veux me tuer avec ton tilleul [au gardenal],
sent à des règles empiriques, à des préceptes et à des tes fleurs, tes recommandations [...] Du tilleul!
commandements (BeJehle). Leur écriture est hétérono-
mique. Et comme cette littéralité reste empIrique, on peut Versé dans un service de gala! [... ] Enlevez ces
toujours enfreindre la prescription quand la situation fleurs. Emportez-les chez vous. [... ] Madame
des forces le permet ou l'exige. Procès du pharisaïsme.
s'échappér Emportez-moi ces fleurs! »
« Pour le cas où les Israélites auraient eu l'idée de se faire
gouverner comme d'autres peuples par un roi, Moïse Réciproquement, spéculairement, Madame,
donne seulement quelques commandements (BeJehle) qui dont chaque bonne occupe successivement la place,
d'une part sont conçus de telle sorte que l'on pouvait
à volonté obéir ou ne pas obéir à la puissance royale et
empoisonne les bonnes avec ses fleurs. Madame
qui d'autre part, même très généralement, n'impliquent est bonne en tant qu'empoisonneuse. « L'appar-
nullement l'établissement d'une constitution ou de quel- tement est empoisonné. » « CLAIRE, restée
ques droits du peuple en face des rois. Quels droits
pouvaient être en danger pour un peuple qui n'en avait
seule: Car Madame est bonne! [...] Avec sa bonté,
pas et chez qui il n'y avait rien qui fût exposé à l'oppres- Madame nous empoisonne. Car Madame est bonne
sion? » [...] Elle nous comble de fleurs fanées. Madame
Il y a donc un abîme entre la toute-puissance divine
et le déchaînement empirique des forces. Aucune loi ne prépare nos tisanes... »
vient schématiser l'abîme qui laisse la lettre morte aux Dans les deux cas, le pharmakon est un hymen,
scribes. c'est-à-dire aussitôt son contraire: « MADAME:
D'où l'échec de Moïse. Double échec: il est mort
injustement pour avoir une seule fois désobéi, pour avoir [...] Et ces fleurs qui sont là pour fêter juste le
marqué son indépendance « d'un seul coup donné sans contraire d'une noce! ».
ordre » (in einem einzigen unbeJohlenen 5chlag). Et la struc- Dans les deux cas dont on ne sait JamaIS
ture en question ne laissait place qu'à un 5chlag. Ensuite,
Moïse n'a pas réussi à élever le Juif, à le saisir et à l'arracher « qui menace l'autre? Hein? Tu hésites? », les
au-dessus de son terre-à-terre littéral et servile, à l'empor- fleurs les plus naturelles sont les plus artificielles,
ter vers les hauteurs de la liberté. L'Aufhebung mos~CJ.ue comme la virginité de la Sainte Vierge, dont
n'a pas pris l'air.
Cet échec, cette chute n'a rien d'accidentel, la figure l'autel, le foyer, le fourneau, le fourreau surveille
juive ne subit pas la pesanteur comme un événement toute la scène. « CLAIRE : C'est exact. Passons
contingent. Elle ne tombe pas, elle est tombée. C'est: sa sur nos dévotions à la Sainte Vierge en plâtre,
marque essentielle. L'échec de Moïse n'est pas arrivé aux
Juifs. Le judaïsme se constitue à partir de lui, comme sur nos agenouillements. Nous ne parlerons même
l'impossibilité pour Moise d'élever son peuple, de l'édu- pas des fleurs en papier... (Elle rit.) En papier!
quer et de le relever (erheben et aujheben) • Et la branche de buis bénit! (Elle montre les
Elever la lettre pharisienne du Juif, ce serait aussi
constituer un langage symbolique dans lequel le corps fleurs de la chambre,) Regarde ces corolles ouvertes
littéral se laisse animer, aérer, soulever, transir par l'in- en mon honneur! Je suis une Vierge plus belle,
tention spirituelle. Or le Juif en est incapable dans sa Claire. »
famille, sa politique, sa religion, sa rhétorique. S'il en
devenait capable, il ne serait plus juif. Quand il en devien- Beaucoup plus loin, il s'agit toujours du ventre,
dra capable, il sera devenu chrétien. du fourneau, du fourreau de Madame: « Jamais
Moïse, le Juif mort, le Juif dont la mort vient d'un nous ne pourrons remplacer Madame [...] L'ar-
coup fixer la figure du judaïsme, Moise avait conscience
ou préconscience de cette limite. Et il a pour le dire, moire de Madame, c'est pour nous comme la
Hegel le rappelle, une « comparaison» (Vergleichung). chapelle de la Sainte Vierge. Quand nous l'ou-
La Vergleichung a plus d'une portée : en elle-même, vrons ... SOLANGE, sèche: Le tilleul va refroidir.
dans la correction ou le complément dont l'affecte Hegel
et enfin parce qu'elle remarque la rhétorique ou plutôt CLAIRE: Nous l'ouvrons à deux battants, nos
l'impuissance rhétorique du judaïsme, la défaillance figu- jours d~ fête [...] L'armoire de Madame est sacrée.
.rale d'un peuple incapable d'approprier et d'élever la C'est sa grande penderie! ».
lettre.
La Vergleichung explique l'échec, la chute ou le pré- Et chaque bonne demande à l'autre de la porter
cipice. On la trouve dans le Deutéronome, 32 : « Dans le en elle, comme le
regard qu'il jette sur sa vie politique, il (Moise) compare pénis de Madame. elles auraient voulu l'étrangler. Elles
(vergleicht) la manière dont les Juifs suivirent leur Dieu à ont mimé la strangulation de Madame,
travers lui à la conduite de l'aigle (des Adlers) qui veut Naturellement l'au- histoire de la (faire) bander et d'accé-
habituer ses petits à voler : il ne cesse de battre des ailes teur de ces fleurs de der enfin à sa grande penderie, ou,
au-de.ssus du nid, il les prend aussi sur ses ailes et les ce qui revient au même, en s'en débàr-
emporte au loin. »
papier insiste pour rassant, à l'autre, Monsieur (ou) Le
Ainsi s'énonce l'aigle dans la Vergleichung de Moise. que dans cette pièce laitier. Autant de figures du bourreau
berceur qui se représentent l'une
Hegel commence par reproduire l'énoncé. Il transcrit (la pièce, la cham- l'autre, se détachent l'une l'autre
à peu près fidèlement le Deutéronome. Puis il complète
et corrige pour relancer la pierre. En toute logique il faut
bre, dans la pièce) et auprès de ce qui fait haleter le texte
essoufflé, courant après un seing
être pierre pour transformer l'autre en pierre. Comme la dans cette cérémo- auquel il ne peut toucher. L'amant
Gorgone, le Juif pétrifie l'autre. Hegel l'a dit, il marque nie (représentation, invisible des Bonnes, qui fait baver
maintenant que le Juif est: pierre lui-même. Son discours Madame, l'homme du « tocsin déli-
« le soir », dans la cieux» ne pouvait pas avoir un autre
n'est pas seulement rhéto~ique mais de la rhétorique, au sujet
de la rhétorique. « Seulement les Juifs n'accomplirent. pas représentation) les métier. Il ya là une loi galactique qu'on
cette belle image (Bild), ces aiglons ne sont pas devenus fleurs soient « des verra désormais s'appliquer, depuis
des aigles; dans le rapport à leur Dieu, ils donnent plutôt un certain angle, à tous les cas. Elle
l'image d'un aigle qui aurait, par méprise, couvé des
fleurs réelles ». Voilà initie à la mère ainsi prénommée.
pierres, les initiant à son vol, les emportant avec lui « Comment jouer Les Ce qu'il faut serrer ici, c'est l'angle
dans les nuages, mais dont la pesanteur ne peut jamais Bonnes » : « de faus- sous lequel panser ensemble un cou
et un péniclitoris. Que bande une
devenir vol, dont la chaleur d'emprunt n'éclata (aÙfschlug)
jamais dans les flammes de la vie. »
ses traînes, de faux strangulation --
La logique du concept est de l'aigle, le reste de jabots, les fleurs
pierre. L'aigle saisit la pierre entre ses griffes et tente de seront des fleurs réelles, le lit un vrai lit. Le met-
l'élever.
Le Juif retombe, il signifie ce qui ne se laisse pas teur en scène doit comprendre, car je ne peux
élever -- relever peut-être mais nier dès lors comme Juif - tout de même pas tout expliquer, pourquoi la
à la hauteur du Begriff. Il retient, tire l'A,ghebung vers la chambre doit être la copie à peu près exacte d'une
terre. Le cas du Juif ne renvoie pas à un événement
passé. Il indique le système d'une figure dans la synchronie chambre féminine, les fleurs vraies, mais les robes
de l'esprit. Il est même ce qui en tant que tel résiste à monstrueuses... ».
l'histoire, reste paradigmatique: « Tous les états consécu-
tifs du peuple juif, y compris l'état misérable et sordide
Le bourreau berceur, celui qui donne le sein
où il se trouve encore de nos jours, ne sont que les consé- empoisonné à Solange, c'est-à-dire, par rotation
quences et le développement de. son destin originaire - ou crachat circulaire, à Claire et à Madame qui
une puissance infinie à laquelle ils se sont opposés vai-
nement - qui les a maltraités et qui les maltraitera jus-·
passent leur temps à se capter dans la glace, ce
qu'à ce qu'ils se réconcilient avec lui à travers l'esprit bourreau est seulement représenté par chaque
de beauté et par la réconciliation le relèvent (a,gheben). » terme du trio identi:6.catoire et spéculaire. Qu'on
Pour la relève de ce destin, de cette pierre de mort,
il faut attendre Notre-Dame, le Messie, une autre Cène,
ne doit pas se hâter de définir comme homo-
un autre Pierre, vivant celui-là, l'Eglise qùi s'y édifie, sexuel: le quart exclu, décompté, décapité,. tou-
une certaine Sainte Famille. jours invisible mais jamais absent, toujours absent
La difficulté de la marche ne cesse de s'aggraver.
Plus visiblement encore, on entre dans les analyses mais jamais sans effet, représenté par le gland
du christianisme et de la famille chrétienne élaborées par tombé de l'arbre, les gants, les glaïeuls ou les cra-
le jeune Hegel comme dans la matrice conceptuelle de chats, le bourreau coupé de la scène, le Monsieur
toute la scène systématique à venir. Ne s'y engendrent
pas seulement toute la philosophie de la religion, la descrip-
ou le Laitier (homologues phalliques) n'apparais-
tion de la religion révélée dans la Phénoménologie de l'esprit, sent au sein de ce qu'ils semblent mettre en mou-
certaines interprétations fondamentales de la Philosophie . vement que sous la non-espèce d'une écriture, et
du droit, etc. Le zig-zag annoncé sera nécessaire mais
l'anticipation indispensable se fera le plus rare possible. quasi anonyme, sans signature. Une écriture qui
La précipitation est trop facile. ne reviendra jamais, par quelque trajet propre
Mais la question de la démarche, téléologie ou non ou circulaire, en son lieu. Car elle n'a pas de lieu
de la lecture, ne se laisse pas éluder. Et elle se trouve
déjà posée, à l'intérieur des plus « jeunes >} élaborations, et son non-lieu n'a pas de contour déterminable.
précisément comme question ontologique, question de Il s'agit de la machination d'une lettre dénon-
l'ontologique. çant Monsieur, dont les bonnes souhaitent et
C'est la question du Wesen (essence) et de la copule
est comme question, relation ou nom du père-au-fils. redoutent qu'on y reconnaisse leur écriture. « Tes
Savoir par exemple si l'on peut traiter les textes dénonciations, tes lettres, tout marche admira-
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« ultérieurs >) comme la conséquence descendante et ressem- blement. Et si on reconnaît ton écriture, c'est
blante, la filiation, le produit, le fils des élaborations de
jeunesse qui seraient la semence paternelle du système, parfait. [...]. Le jeu est dangereux. Je suis sûre
savoir si les textes seconds, suivants, conséquents ou que nous avons laissé des traces [...] Je vois une
consécutifs sont ou ne sont pas le même, le développement foule de traces que je ne pourrai jamais effacer.
du même texte, cette question est d'avance posée, d'avànce
réfléchie dans l'analyse du christianisme. C'est la question Et elle, elle se promène au milieu de cela qu'elle
même du christianisme mise en cène. . apprivoise. Elle le déchiffre. Elle pose le bout
Le Père est le Fils, le Fils est le Père; et le Wesen, de son pied rose sur nos traces. >} « MADAME:
l'énergie essentielle de cette copulation, son unité, la
Weseneinheit du premier et du second, c'est l'essence de [...] qui a encore dérangé la clé du secrétaire?
la cène chrétienne. L'esprit: du christianisme est plutôt [...] Qui a pu envoyer ces lettres? [...] Monsieur
la révélation de l'essentialité de l'essence qui permet en saura débrouiller le mystère. Je veux qu'on ana-
général de copuler dans l'est, de dire est. L'unification,
la conciliation (Vereinigung) et l'être ( Sein) ont le même lyse l'écriture et qu'on sache qui a pu mettre au
sens, sont équivalents dans leur signification (gleichbedeu- point une pareille machination. [...] On a télé-
tend). Et dans toute proposition 7Satz), la position liante, phoné? >)
agglutinante, ligamenteuse de la copule (Bindewort) est
concilie le sujet et le prédicat, enlace l'un autour de l'autre
pour en former un seul être (Sein). Le Sein est constitué,
reconstitué à partir de sa division originaire (Urteil) en
se laissant penser dans un Bindewort.
Or cette conciliation qui suppose - déjà - une
réconciliation, qui produit: en quelque sorte la proposi-
tion ontologique en général, c'est aussi la réconciliation
de l'infini avec lui-même, de Dieu avec lui-même, de
l'homme avec l'homme, de l'homme avec Dieù comme
unité du père-au-fils. Tous les « travaux de jeunesse >) éla-
borent la démonstration de la présence du père dans le
fils, la fin de l'opposition au sein du divin, la nécessité
de la copule dans la proposition suivante qui énonce la
possibilité de la famille spéculative, telle qu'elle se main- Qu'est-ce que l'Immaculée Conception aurait
tiendra dans son concept jusqu'à la Philosophie du droit : à voir avec ces petites lettres?
« L'enfant est ses propres parents >), ou « les êtres unis
se séparent de nouveau mais dans l'enfant l'unification
conciliatrice (Vereinigung) est indissociée (ungetrennt). >}
S'ouvre et se détermine ainsi l'espace dans lequel
l'ontologique (la possibilité du Wesen, du Sein, de l'Urtéi-
lm) ne se laisse plus décoller du familial. Et par excellence
de la question du père-au-fils, cette valeur figurale du
« par excellence >) accusant ce qu'elle exclut.
Dès lors, avant même de se demander si le projet
ontologique fut d'abord un événement grec dont le
christianisme aurait développé une greffe extérieure, il L'œuvre d'art, la fleur imprenable, plus natu-
faut être assuré que, pour Hegel du moins, aucune onto-
logie n'est possible avant l'Evangile ou hors de lui. relle et plus artificielle que toutes, c'est le Miracle
Puis le lien qui s'annonce entre la question de la de la rose.
copule et la question de la famille porte aussi cette consé- Le glas d'Harcamone s'éparpille cette fois
quence: si l'on essaie d'articuler une problématique appa-
remment « régionale » (sociologique, psychologique,
parmi les églantines
l'églantine : un des noms vulgaires
économico-politique, linguistique) de la famille sur une et les glycines. Har- de l'ancolie qu'on appelle aussi le
problématique ontologique, le lieu que nous yenons de camone va mounr. sceau de Notre-Dame, ou encore le
reconnaître est incontournable.
Si le Sein ne peut pas être ce qu'il est, se poser, devenir
On rappelle le « buis- gant de Notre-Dame. On a supposé
que cette plante avait reçu son nom
et se déployer, se manifester sans traverser le destin du son d'églantines » latin (aquilegia, aquilea) de ce que
christianisme, c'est d'abord qu'il doit se déterminer comme près duquel il ses nectaires avaient le profil courbé
subjectivité. L'être se laisse peut-être recouvrir. et dissi- d'un bec d'aigle ou encore de ce
« tomba sur la fil- qu'elle rendait la vue aussi perçante
muler, lier ou déterminer par la subjectivité (Heidegger),
mais c'est, selon Hegel, pour se penser. D'abord dans lette » et finit par que celle de l'aigle (aquila).
Un aigle, aigle blanc, aigle noir, aigle
le Christ. l'égorger après lui de Ganymède surtout, domine tout
La révolution de Jésus a consisté à opposer le prin-
cipe subjectif, c'est-à-dire le principe de liberté, à l'asser- avoir parlé « dans le le corpus, s'y abat régulièrement,
par derrière, le serre et le bande dans
vissement des lois objectives ou plus précisément des cou ». Et la glycine ses griffes, le baise le bec dans le
commandements objectifs. Chaque fois que Jésus trans- qui envahit les lieux cou. On peut dire une aigle.
gresse un de ces commandements, par exemple une pres-
cription du .!Îtuel juif, il le fait au nom de l'homme, de la d'une crucifixion mi-
subjectivité et du cœur. Ainsi, c'est un jour de Sabbat mée. Elle - la gly-
cine - devient le
le miracle de la main: Jésus rend à un homme l'usage d'une
main dont il était privé: « Le même jour [de Sabbat] corps christique.
Jésus guérit une main desséchée (eine verdorrte Hand) ». Vol sans référence, fiction textuelle,
« Ainsi le Fils de l'homme est maître du sabbat. De là
il se rendit dans leur synagogue. Justement un homme lettres pures dans l'oreille ou dans
s'y trouvait, qui avait une main desséchée, et ils lui posè-· la gorge. Aigle : tatouage dans le
rent cette question: " Est-il permis de guérir le jour du Miracle de la rose. Aigle: chimère .....,.
sabbat?" afin de pouvoir l'accuser. Mais il leur dit : " Qui associé à la licorne, dès lors qu'il a
d'entre vous, s'il n'a qu'une brebis et qu'elle tombe dans deux têtes, dans Le Balcon. Aigle :
un trou le jour du sabbat, n'ira la prendre ~t l'en retirer?
absence de contenu et de pesanteur,
Or, combien l'homme l'emporte sur la brebis 1Par consé- Touché par la élévation sublime, vol du voleur
quent il est permis de faire une bonne action le jour du
sabbat. " Alors il dit à l'homme: " ttends ta main. " Il grâce sous l'œil d'un devenu léger et qui rêve de s'appeler
l'étendit et elle fut remise en état, aussi saine que l'autre . - un peu - Ganymède : «Je serai
Sur ce, les Pharisiens sortirent et tinrent conseil contre Perdoux. « Je fus
léger. Je n'aurai plus aucune respon-
lui en vue de le perdre. »
tout à coup touché sabilité. Sur le monde je porterai le
qu'il guérit la main desséchée d'un homme. par l'odeur des roses regard clair prêté par l'aigle à Gany-
mède. »(Journal du voleur . )
Non que Jésus oppose à l'objectivité hétérogène et mes yeux furent Le vol de son empire - la polysémie
et hétéronome des commandements l'universalité for-
melle de la loi ou d'un tu dois au sens kantien. Dans ce cas,
emplis par la vue de
la scission juive serait seulement déplacée, et intériorisée. la glycine de Mettray. On sait qu'elle était au bout
Le tyran du dehors deviendrait un tyran domestique. du Grand Carré, vers l'allée, contre le mur de
L'autonomie (kantienne) resterait apparente, elle aurait
sa vérité dans une sévère et implacable hétéronomie.
l'économat. J'ai dit qu'elle était emmêlée aux
Hegel ne doute pas de la possibilité de l'autonomie. ronces d'un rosier de roses-thé. Le tronc de la
Parodiant Kant et La religion dans les limites de la simple glycine était énorme, tordu par la souffrance.
raison, retournant contre lui sa phrase, il déplace la
différence : l'hétéronomie profonde du tu dois kantien
On le retenait au mur par un réseau de fils de fer.
ferait qu'entre le Chaman toungouse, entre les prélats Des branches trop grosses étaient soutenues par
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de l'Eglise européenne, le Mongol ou le puritain, d'une un piquet fourchu. Le rosier était attaché au mur
part, l'homme du devoir formel d'autre part, la différence
ne serait pas entre l'esclavage et la liberté. Simplement les
par des clous rouillés. Son feuillage était luisant
premiers ont leur maître hors d'eux et le second en lui, et
comme sa propre mort, comme un amour « pathologique »
au sens strict que ce mot a chez Kant. L'autonomie kan- « Pour être Pucelle on n'en a pas moins ses règles
tienne est pathologique. [ .•• ] Jean ne d'Arc monta au bOcher et resta exposée
Or en prêchant l'amour, Jésus ne propose ni des lois avec cette rose rouillée à la hauteur du con. »
ni une transgression des lois : il recommande une relève, Ailleurs, toujours dans le Miracle de la rose, le jeu
se clôt ai nsi de la chaîne des roses et de la chaîne
une Aujhebung de la loi, de la légalité formelle de la loi.
d'acier liant les mains d'Harcamone :, «Je mis la
« N'allez pas croire
Cependant la légalité se supprime et rose dans la fausse poche taillée dans mon froc. »
que je sois venu abolir s'accomplit d'un coup: « Cet esprit de La rose est toujours plus ou moins postiche, la
la Loi ou les Pro·· Jésus s'élevant au-dessus de la moralité poche aussi, qui est fausse: elles se taillent l'une et
phètes : je ne suis pas ( über Moralitèit erhabene Cdst) se mon-
venu abolir mais
l'autre dans un tissu. On reparlera de la taille de
accomplir, Car je vous tre immédiatement opposé aux lois la rose et de la taille en général. Rose qui n'est
le dis en vérité: avant dans le Sermon sur la Montagne qui est ni simplement un nom, ni simplement un adjectif,
que ne passent le ciel un essai, tenté sur plusieurs exemples ni un masculin ni un féminin assurés, on peut
et la terre, pas un i,
de lois, pour leur ôter, à ces lois, leur aussi en jouer comme d'un nom propre. Par exemple
pas un point sur l'i
ne passera de la Loi légalité (das Cesetzliche), leur forme de dissimulé dans la langue étrangère, celle de Warda,
que tout ne soit loi (Form von Cesetzen). Il ne prêche (Warda veut dire rose) qui travaille tout le temps
réalisé, » sa bouche. Warda se décrotte les dents, à longueur
pas le respect pour elles mais montre
de journée, avec une épingle à chapeau qu'elle
ce qui les accomplit ( erfü!lt) et toutefois les relève appelle son style. C'est elle qui ne croit pas à la
( aujhebt) comme lois et qui est par conséquent quelque vérité. La pièce se joue dans une sorte de roseraie
chose de plus haut que l'obéissance aux lois et les rend pleine d'orties dont le propriétaire essaie de s'aug-
superflues. » Jésus ne prêche pas la dissolution (Auftii- menter d'un ventre et d'un cul postiches (des
sung) de la loi mais au contraire l'accomplissement de ce coussins, un coussinet). « LA VOIX : Madame,
qui leur manque (Ausjüllung des Mangelhajten der Gesetzte). je n'aime que votre ventre où pendant neuf mois
En s'élevant au-·dessus de la froide universalité formelle, j'ai pris la forme rose que la rose de votre matrice
l'amour vivant décrit donc le grand mouvement syllogis- a laissé tomber sur le carreau", »
tique de la Philosophie du droit : la moralité objective
(Sittlichkeit) , troisième moment qui commence par la , les fleurs avaient toutes les nuances de la chair.
famille, et en elle par l'amour, surgit dans la relève du
droit abstrait et de la moralité subjective formelle. Le [...] et c'est devant la glycine et le rosier mêlés
schéma se met très vite en place : on ne peut entendre les que M. Perdoux, le chef d'atelier, nous faisait
principes de la philosophie du droit, en ressaisir la concep- faire halte. Les roses, dans la figure, nous lâchaient
tualité, que dans l'écho de cet événement historico-
spéculatif que fut Le Sermon sur la Montagne. alors flouses
Celui-ci semble procéder par « paradoxes » : c'est
qu'en vérité la « réconciliation » qui en forme le motif l'essence de la rose, c'est sa non-essence: son odeur
central vient surmonter toutes les oppositions figées par , en tant qu'elle s'évapore. D'où son affinité d'effluve
le judaïsme. Au regard de la logique du judaïsme, la avec le pet ou avec le rot : ces excréments ne se
gardent, ne se forment même pas. Le reste ne
réconciliation paraît impensable : un « autre génie », un
reste pas. D'où son intérêt, son absence d'intérêt.
« autre monde » dans lequel les opposés ne s'opposent
Comment l'ontologie pourrait-elle s'emparer d'un
plus (la loi et la nature, l'universel et le particulier, le pet? Elle peut toujours mettre la main sur ce qui
devoir et l'inclination, le sujet et l'objet, etc.) ou en tous reste aux chiottes, jamais sur les flouses lâchés par
cas ne s'opposent plus dans cette sotte d'indifférence et les roses. Il faut donc lire l'anthropie d'un texte qui
d'immoralité positive qui caractérise le Juif ou le sujet fait péter les roses.
kantien. Jésus s'oppose à l'opposition formelle et donc Et pourtant le texte, lui, ne dispara1t pas tout à
indéterminée, indifférente. Il oppose donc un « ou bien )} fait, pas tout à fait aussi vite que les pets qui le
soufflent. Les paravents qu'on peut ressentir comme
(das Oder) à un autre : par exemple l'opposition de la l'énorme parade d'un pet produit depuis le premier
vertu et du vice a été opposée à l'opposition des droits mot (<< Rose! »), restent, se relisent, se répètent.
ou des devoirs à la nature. « Dans l'amour, toute idée de Ce suspens entre le reste et le non-reste du reste,
devoir est: écartée (wegfallt). )} En même temps l'opposi- cette suspension du texte qui retarde un peu - il
tion ancienne est accomplie, remplie, débordée par un ne faut rien exagérer - la dissipation absolue, on
principe plus riche. Plérome (7tÀ~PCù[J.oc) aura été le nom de pourrait le nommer l'effluve. L'effluve désigne en
cet accomplissement débordant de la synthèse. général des substances organiques en décomposi-
La signification conceptuelle et vivante de la vie tion, ou plutôt leur' produit flottant dans l'air, cette
comme amour, c'est le plérome. sorte de gaz qui se maintient pour un temps
La surabondance du plérome déséquilibre le prin- au-dessus des marécages, de fluide magnétique
aussi. L.e texte est donc un gaz; pour l'origine et
cipe d'équivalence, le commerce, l'économie d'échange qui
l'enjeu du mot, on hésite, mais cela revient au
règle la justice : je te donne ce que tu me donnes, te prends même, entre l'esprit (Geest, Geist) et la fermenta-
ce que tu me prends, je te rends coup pour coup. La tion (gaschen).
castration, selon la justice, c'est la justice. La ca~tration S'il ya un sens au problème de la répétition, c'est
n'est pas seulement quelque chose qu'on échange (œil donc celui-là. Et pour le lire il faut flairer l'expira-
pour œil, dent pour dent) ..Elle est le principe même de tion
l'échange. Elle châtre, égalise ou élague le plérome, elle
tend à maintenir deux forces, deux érections, deux pous- sur flouses. A peine ce souvenir des
sées à la même hauteur. Elle est quelque part en échec,
comme la justice, dès qu'une inégalité apparaît. Mais elle fleurs m'eut-il visité que se précipitèrent aux
prend sa revanche du même coup: l'inégalité des hauteurs yeux de mon esprit les scènes que je vais dire.
n'est-ce pas la castration elle-même? La castration est « On ouvrit la porte d'Harcamone. »
l'indifférence, la castration est la différence. En s'oppo-
sant à la justice positive le Christ suspend-il ou aggrave-
t-illa castration? Est-ce qu'il permet ou interdit:\ l'érection?
Les deux sans doute, il faut lire les deux opérations à la
fois, puisqu'il relève. Il châtre d'un côté et pense la fin
de la castration de l'autre. Que se passe-t-il ici avec les yeux? S'agit-il
« Œil pour œil, dent pour dent, disent les lois; la de métaphores usées? « Mes yeux furent emplis
sanction équivalente (Wiedervergeltung) et la réciprocité par la vue de la glycine », « se précipitèrent aux
(Gleichheit) dans la sanction, tel est le principe sacré de
toute justice (Gerechtigkeit) , le principe sur lequel doit yeux de mon esprit les scènes que je vais dire. »
reposer toute constitution d'état. Mais Jésus exige en
général le renoncement (Aufgebung) au droit, l'élévation
(Erhebung) au-dessus de toute la sphère de la justice et
de l'injustice par l'amour, en lequel disparaît, avec le droit,
le sentiment de l'inégalité et le tu-dois de ce sentiment Pour s'ouvrir d'un coup, les scènes n'en ont
qui exige l'égalité, c'est-à-dire la haine de l'adversaire. )} pas moins été élaborées de très loin. Depuis long-·
Plérome, rupture du principe d'équivalence, déséqui-
libre au moins apparent de l'économie d'échange, dissy- temps, expertes, aimantes, diligentes, des mains
métrie entre les opposables. Les deux X ne doivent pas caressent la surface du tissu, défont les plis,
tenir le compte l'un de l'autre, se réfléchir, s'enregistrer, passent sous la doublure, dégrafent, déboutonnent.
s'inscrire également l'un dans l'autre. C'est ainsi que
Hegel interprète le « Que la main gauche ignore ce que Tout en parlant, en vous racontant des histoires.
fait la droite )} (La) die linke Hand nicht wissen, was die Les yeux fermés ou tournés ailleurs.
rechte tut). Cela ne veut pas dire, comme on le croit Cette manipulation du tissu ne donne rien à
couramment : ne cherche pas à te faire applaudir quand tu
agis conformément au devoir, ignore ce que tu fais pour
voir qui soit d'une perception ou d'une halluci-
le laisser ignoré, dans l'ombre et sans publicité. Cela nation. Si l'on disposait d'une bonne définition
ne veut pas dire davantage: contente-toi d'être conscient du phantasme, peut-être pourrait-on dire si cette
de ce que tu fais bien sans rechercher la reconnaissance
d'autrui. En fait la simple conscience de bien faire est déjà
écriture est d'un phantasme. En langue courante,
un applaudissement intérieur et une sorte de récompense on dirait un rêve. Mais le texte nous oblige à la
économique, une équivalence pour soi du bénéfice auquel tirer : ce rêve est un rêve dans un autre rêve,
je feins de renoncer lorsqu'il vient d'autrui. La bonne
conscience (gute Gewissen) maintient le cercle de l'échange.
et dans le rêve d'un autre. Cela, le miracle de la
Je reprends d'une main ce que je donne de l'autre, chaque rose, qui ne peut avoir Heu que dans un texte,
main tient le registre de l'autre, maîtrise et annule la comme texte, implique une certaine mise en chaîne
différence entre les deux opérations. Calcul supérieur et
sans reste : ce que veut être la conscience.
du corps critique.
Etre quelque part inconscient, d'un côté, de ce qui
est en train de se faire de l'autre, dissocier absolument
une main de l'autre, telle est la condition pour rompre
l'échange dans le plérome et pour faire apparaître la
fraude, la simulation, le leurre totalisant de la bonne Point de vue. Les scènes qui violemment
conscience. Telle est l'interprétation hegelienne du « que emplissent la vue ou se précipitent aux yeux de
la main gauche ignore ce que fait la droite )}.
Mais ce qui fait la spécificité chrétienne de cette l'esprit produisent l'aveuglement nécessaire
interprétation, ce n'est pas seulement la promesse d'une au théâtre. Le point de vue s'enveloppe ou s'aveugle
relève qui viendra compenser la dissymétrie, ce n'est lui-même. Il y a d'abord le point de vue de celui
pas seulement l'attente
le don sans contre-partie, voire sans béné-
fice, se résout en apparence dans le dis- d'une réconciliation in- qui feint d'être le narrateur: « On ouvrit la porte
cours même que Jésus tient au Jeune finie qui apaisera encore d'Harcamone. Il dormait, couché sur le dos.
Homme, et que Hegel oppose pourtant l'inégalité. C'est que la
à la logique avare de l'échange. Le béné- Quatre hommes pénétrèrent d'abotd dans son
fice spirituel ou symbolique reconstitue rupture de l'équivalence
l'anneau et fait du prodigue un avare prend ici, en ce mo-· , rêve, puis il s'éveilla. Sans se lever, sans même
profond. La séquence est-elle décousue? ment déterminé, la for..,
Peu après le discours sur les eunuques
soulever son torse, il tourna la tête vers la porte.
(<< Tous ne comprennent pas ce langage, me d'une conscience Il vit les hommes noirs et comprit aussitôt, mais
mais ceux-là seulement à qui c'est donné. essentiellement: coupa-
Il y a, en effet, des eunuques qui sont nés ble, coupable et auto- il se rendit compte très vite également qu'il ne
ainsi du sein de leur mère, il y a des eunu-
ques qui le sont devenus par l'action des accusatrice, auto-muti- fallait pas briser ou détruire cet état de rêve dont
hommes, et il y a les eunuques qui se sont latrice à tous les coups.
eux-mêmes rendus tels en vue du Royaume A la bonne conscience
il n'était pas encore dépêtré, afin de mourir endormi.
des Cieux. Comprenne qui pourra! »),
du pharisien satisfait Il décida d'entretenir le rêve... »
ayant imposé les mains aux petits enfants
qu'on doit laisser venir à lui parce que le du devoir accompli,
royaume des cieux leur appartient, Jésus tenant d'une main ce
s'adresse au Jeune Homme qui se demande
ce qui lui manque, dès lors qu'il a observé
qu'il donne de l'autre,
tous les commandements : « Si tu veux Hegel oppose le regard Celui qui semble feindre d'être le narrateur
être parfait, va, vends ce que tu possèdes, du publicain qui se ne voit le point de vue d'Harcamone qu'à suivre
donne-Ie.aux pauvres, et tu auras un trésor
frappe la poitrine. « La
aux cieux.." » (Mathieu 19.)
conscience~;.hdu devoir
les quatre hommes noirs dans leur effraction et à
accompli chez le Pharisien, comme aussi la conscience pénétrer ainsi Harcamone en contrebande, à s'in-

71
qu'a le Jeune Homme d'avoir été un observateur troduire clandestinement dans son« rêve », démul-
fidèle de toutes les lois (Mathieu, 19, 2.0), cette bonne
conscience est: une hypocrisie (Heuchelei) parce que, tipliant alors le point de vue à l'infini.
d'une part, comme cela est déjà lié à l'intention de l'action,
elle est déjà une réflexion sur soi-même, sur l'action, un
élément impur (ein Unreines) qui n'appartient pas à l'ac-
tion, d'autre part, en tant que représentation (Vorstel-
lung) de soi-même comme d'un homme moral, telle qu'elle
apparaît dans le cas du Pharisien et du Jeune Homme, c'est
une représentation dont Je contenu consiste en vertus,
c'est-à-dire en éléments ici limités, enclos dans leur matière, Qui rêve? Qui? Qui écrit? Quoi? Qui signe le
à l'intérieur de leur cercle donné, et qui par conséquent miracle de la rose rouge? Qui signe sous ce texte
forment toutes ensemble quelque chose d'incomplet, dès qui n'en a pas moins ses règles?
lors que la bonne conscience, la conscience d'avoir accom-
pli ses devoirs se donne hypocritement comme un tout
(sich zum Ganzen heuchelt). »
Se frapper la poitrine, rompre par la culpabilité toute
économie d'équivalence, diviser la bonne conscience qui
se réapproprie le tout : à ce plérome, à cette révolution
dans le cercle de l'économie restreinte, à cette humiliation
sans contre-partie, va répondre une dissymétrie de l'autre Arrivera-t-il à saigner?
côté. Le pardon des péchés s~élève aussi au-dessus de la
loi, c~est-à-dire du principe de réciprocité.
Un exemple auprès duquel Hegel ~éjourne longtemps:
celui de la ({ belle et célèbre pécheresse Marie-Madeleine ».
Les traits de la narration sont empruntés à plusieurs
Evangiles. Occasion de rappeler que la factuaHté des
Marie-Madeleine fut le prénom de la mère (Maria Magda-
lena Louisa, née Fromm), Marie celui de la fille (Susanna On peut ~ laisser la question suspendue au
Maria) et de la femme (Maria Helena Susanna). La fille
de Hegel meurt presque aussitôt après sa naissance (1812) . moins pour un temps. Le risque c'est de mourir
Lors d'un voyage à Dresde (1821), il écrit à sa femme.
Comme d'habitude, il lui parle des galeries de peinture
avant d'avoir Eni d'écrire son glas.
dont il fait systématiquement, à chaque déplacement, le
tour. En particulier d'un tableau de Holbein le Jeune,
La Madone du bourgmestre Meyer. Il a toujours pris l'original
- qu'if voyait régulièrement à Berlin - pour une copie
et la copie, qu'il venait de voir à Dresde, pour J'original.
« Naturellement je suis allé aussi à la Galerie de peinture,
et j'ai passé en revue les vieilles connaissances; j'étais
surtout désireux de voir le tableau de Holbein dont nous
avons vu la copie à Berlin, et j'ai particulièrement examiné
des détails que j'avais alors notés : le teint de la figure Reste à savoir - au nom de quOI, de qui
médiane parmi les trois figures féminines, le nez du bourg-
mestre et l'enfant sur le bras de Marie. En considérant refuser de mourir endormi.
ces détails, il a été aussitôt évident pour moi que, dans le
tableau de Berlin, si beau qu'il puisse ,être en lui-même,
ils ont été exécutés par un élève; l'enfant, dans le tableau « Il décida d'entretenir le rêve. » Le miracle
de Dresde, est visiblement souffrant, et sans doute inten-
tionnellement; et je me suis convaincu de la justesse de de la rose, laissons-le attendre, puisqu'il est l'objet
l'opinion exprimée par l'inspecteur : ce doit être un
enfant mort de la donatrice qu'ils voient dans les bras de même du détour, se sera produit depuis le rêve
72.
la Mère de Dieu et qui, de là, leur envoie la consolation
et la soumission à la volonté divine. La justesse de cette
de l'autre : Harcamone d'or.
opinion est confirmée par l'enfant qui se tient debout
presque au milieu, et qui, ici, est très beau. Il n'y a pour
moi aucun doute que le tableau de Berlin est une copie Comme toujours, l'éclat du récit avait d'avance
exécutée avec habileté, mais dans laquelle l'esprit fait
défaut. » résonné; en lui-même, donc aussi près du silence,
dans la citation de soi ou .4e l'autre, que de la
Et l'année suivante, le jour même où il écrit à Gœthe
la grande lettre sur les couleurs (15 septembre 1822) :
neige effieurant une cloche d'or sensible. De
« Bonjour, chère Marie, de la part du soleil qui luit sur plus haut : « La magnificence de mon récit naît
Marienbourg -- c'est-à-dire sur Magdebourg, puisque
la cathédrale de cette ville est - ou était - consacrée à naturellement (par le fait de ma pudeur aussi et
Marie [ou] Il est plus difficile de sortir de Magdebourg
que d'y entrer,," » de ma honte d'avoir été si malheureux) des pitoya-
bles moments de toute ma vie. Comme une
récits (Erzahlungen), les variations quant aux lieux, temps,
circonstances ne changent rien à la visée conceptuelle pauvre condamnation au supplice prononcée il
( Ansicht) et que « rien ne doit être prononcé [jugé, y a deux mille ans fit fleurir la Légende Dorée,
décidé, gesprochen] quant à l'effectivité (Wirklichkeit) », comme la voix chantée de Botchako éclosait en
quant à la réalité événementielle des faits. Il ne s'agit pas
pour Hegel d' « écarter tous les faits », comme Rousseau corolles de velours de sa voix perlée si riche,
proposait de le faire dans le récit de l'origine : plutôt, mon récit puisé dans ma honte - s'exalte et
à la manière de La religion dans les limites de la simple m'éblouit. »
raison, de chercher dans le texte Lbiblique"tune trame
sémantique de phi1osophèmes ou de pré-philosophèmes.
Les faits furent ou ne futent pas tels qu'on les dit, ce qui Depuis qu'il a été condamné au supplice,
compte c'est l'interprétation qu'on en tire depuis ce qu'ils
seront devenus : la philosophie. La vérité du christianisme
Harcamone le Christ fuit dans le sommeil, il
est la philosophie. dort, veillé, soigné et engraissé par la société
Le « bel exemple » est donc celui de Marie la péche- comme un pharmakos ou un bouc émissaire.
resse qui rejoint Jésus au cours d'un repas chez les Phari-
« L'auxiliaire le soignait chaque jour un peu mieux
siens. Elle se jette à ses pieds, sanglote, baigne ses pieds
de larmes, les essuie avec ses cheveux, les baise et les que la veille. Son visage s'empâta un peu. Il
embaume d'une pommade, les oint d'Un onguent, d'un acquérait la majesté des dictateurs repus.
baume (salbet sie mit Salben), d'un « nard authentique et
« A mesure qu'approchait le moment fatal,
très précieux « (mit unverfalschtem und kostlichem Narden-
wasser). Quand le juste Simon la voit noyer ses fautes je sentais Harcamone se tendre, lutter en lui-
et boire la réconciliation, il en conclut qu'elle est péche- même, cherchant à sortir de lui pour sortir de
resse et que si Jésus était un voyant (Seher) il le saurait.
Jésus lui pardonne. Parce qu'elle a beaucoup aimé, bien
là. Partir, fuir, s'échapper par les fissures, comme
sûr. Mais surtout, dit Hegel, parce qu'elle a fait pour une buée d'or! Mais il fallait se transformer en
Jésus quelque chose de « beau » : « C'est l'unique moment poudre d'or. Harcamone s'accrochait à moi. Il
qui, dans l'histoire de Jésus, induise le nom de beauté ».
A quelle beauté Jésus a-t-il été sensible? à celle du
me pressait de trouver le secret. Et je faisais appel
débordement d'amour, certes, aux baisers, aux larmes de à tous mes souvenirs de miracles, connus ou
tendresse, mais surtout, croyons-en Hegel, à cette huile inconnus, à ceux de la Bible, à ceux des mytho-
parfumée, à. ce chrême dont elle enduit son pied. C'est
comme si d'avance elle prenait soin de son cadavre, logies, et je cherchais l'explication vraisemblable,
l'adorant, le pressant: doucement de ses mains, l'apaisant l'espèce de tour de passe-passe très simple... »

73
d'une sainte pommade, l'entourant de bandelettes au Tout se passe donc pendant qu'Harcamone
moment où il commence à raidir. Cette putain qui se dort. Et près du cœur du rêve, lire la légende,
équivalences: «Un Pharisien l'invita à sa table; il entra brille la Toison d'Or. Autour du col, du cou :
chez le Pharisien et prit place. Survint une femme, une
pécheresse de la ville. Ayant appris qu'il était à table chez c'est un collier. Celui-ci par le privilège, en
le Pharisien, elle avait apporté un vase de parfum. Se un mot, qu'il a de donner lieu à la décollation,
plaçant alors en arrière, tout en pleurs, à ses pieds, elle
se mit à lui arroser les pieds de ses larmes; puis elle les d'assigner au bourreau la ligne de partage (circon-
essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers, les
oignait de parfum. cision ou castration), représente la parure ou la
« A cette vue, le Pharisien qui l'avait invité se dit en lui-
même: Si cet homme était prophète, il saurait qui est parade la plus menaçante, celle qui d'avance fait,
cette femme qui le touche, et ce qu'elle est: une péche-
resse! Mais Jésus, prenant la parole, lui dit: " Simon,
du corps, partie.
j'ai quelque chose à te dire. "-" Dis, maître ", répond-il. Ecrire, pour Genet saV01r comment porter,
- " Un créancier avait deux débiteurs; l'un lui devait
cinq cent deniers, l'autre cinquante. Comme ils n'avaient cornporter le cou
pas de quoi s'acquitter, il fit grâce à tous deux. Lequel
des deux l'en aimera le plus? " Simon répondit: "Celui-là,
je pense, auquel il a fait grâce le plus. " Jésus lui dit: " Tu « Et, quand il fut debout, dressé au milieu de la
as bien jugé. " Et se tournant vers la femme: " Tu vois cellule, sa tête, son cou, tout son corps surgirent
cette femme? dit-il à Simon. Je suis entré chez toi, et de la dentelle et de la soie que seuls portèrent sur
tu ne m'as pas versé d'eau sur les pieds; elle, au contraire, eux, aux pires instants, les maîtres diaboliques du
m'a arrosé les pieds de ses larmes et les a essuyés avec
ses cheveux. Tu ne m'as pas donné de baisers; elle, au monde, et dont il fut soudain paré. Sans changer
contraire, depuis que je suis entré, n'a cessé de me d'un pouce, il devint immense, dépassant la cellule
couvrir les pieds de baisers. Tu n'as pas répandu d'huile sur qu'il creva, emplit l'univers et les quatre hommes
ma tête; elle, au contraire, a répandu du parfum sur mes noirs rapetissèrent jusqu'à n'être pas plus gros
pieds. C'est pourquoi, je te le dis, ses péchés, ses nom- que quatre punaises. On a compr'is qu'Harcamone
breux péchés lui sont remis, puisqu'elle a montré beau-
coup d'amour. Mais celui à qui on remet peu montre peu fut recouvert d'une majesté telle que ses vêtements
d'amour. " » eux-mêmes s'ennoblirent jusqu'à devenir soie et
Ce passage de l't.vangile selon saint Luc est suivi, comme on brocart. Il fut chaussé de bottes de cuir verni, d'une
sait, d'une description de l'entourage féminin de Jésus culotte de soie molle, bleue, et d'une chemise de
et des Douze, puis de la parabole des quatre semences.
blonde ancienne dont le col était entrouvert sur
Dans Mathieu, le récit de l'onction à Béthanie (<< Si elle
a répandu ce parfum sur mon corps, c'est pour m'ense- son cou magnifique qui supportait le collier de la
velir qu'elle l'a fait ») précède immédiatement la trahison Toison d'Or. Vraiment il arTivait en droite ligne,
de Judas et par la voie des cieux, d'entre les jampes du capi-
taine de la galère. »
comporte comme une vierge (Die schüchterne, sich selbst
genügende stolze Jungfrliulichkeit) « m'a embaumé d'avance,
dit Jésus, en vue de ma mise au tombeau » (Sie hat mich,
sagt Jesus, im tJoraus au] mein Begrlibnis gesalbt). Le baume
au caractère onctueux fait reluire le corps du Christ,
une sorte de gloire funéraire le caresse. Tache brillante,
jaune et cireuse dans un tableau très sombre. Promise
à la virginité, la prostituée se tient auprès du Fils de Dieu.
La pleureuse fond aussi sur lui comme une bougie.
Qu'allait-il y faire, le petit poucet qui grandit «sans
L'extrême de l'amour inonde, le plérome donne changer d'un pouce » dans les bottes ou «entre
toujours matière à onction. les jambes » du capitaine de la galère? Qui conduit
au bagne d'enfants? à la Guyane? Dans le Journal,
L'amour est le plérome de la loi. Mais la logique du « conduit par l'ogre, Roger semait des petits cail-
plérome ne laisse rien en repos. Ce qui s'accomplit avec loux blancs ».

74
l'amour manque encore de quelque chose, boite quelque Mais le capitaine de la galère n'est pas la galère, qui
part. « L'amour lui-même est encore une nature incom- porte id sur la mer ce petit poucet géant, à elle
plète. » venu «en droite ligne, et par la voie des cieux »,
comme par immaculée conception. Galère, serait-ce
On ne peut en rendre compte qu'à remettre en scène
le nom ou le prénom flottant porté par la sainte
le rapport du père au fils. _ mère? ou posé sur elle? son sigle au moins qu'elle
En rappelant que ce rapport a été instauré par le nous laisserait toucher, résumer, resucer, faire
christianisme, Hegel en appelle de l'amour - encore sonner dans la bouche?
manquant - à son plérome, le religieux. Le religieux Couverte d'algues (<< algues de velours », «algues
rétablit dans ses droits une objectivité que l'amour avait d'azur »), de « crachats » glaireux, de « fleurs
suspendue. La force de l'amour qui avait réussi à relever mouillées », gorgée d'or, de cadavres sans cercueils
l'opposition (sujet/objet par exemple) se limite elle-même, ou de cercueils sans ornements, La Galère (poème
s'enferme à nouveau, surtout si l'amour est heureux, dans d'Harcamone, en regard du Miracle de la rose)
une sorte de subjectivité naturelle. Le religieux y fait porte ces vers dans ses flancs: «Grappes d'empoi-
effraction d'un objet infini. sonneurs suspendus aux cordages/Se bitent les
bagnards en mélangeant leurs âges./De la Grande
Tout cela se consomme, passe par la bouche., Un
Fatigue un enfant endormi/Revenait nu taché par
long détour est nécessaire. le sperme vomi./Et le plus déchirant des sanglots
. « A l'idée que les Juifs se faisaient de Dieu considéré de la voile [ ••• ] d'étoile [ ••• ] lèvres d'un gars
comme leur Maître et Souverain Seigneur, Jésus oppose [ ... ] les dégâts. »
le rapport de Dieu aux hommes comme celui d'un père La galère berce comme le bourreau. Elle-même
à ses enfants. portée par la mer, elle porte partout mais fait
« La moralité (Moralitat) relève (hebt au]) la domi- aussi travailler sans fin le galérien condamné. Depuis
nation (Beherrschung) dans les cercles de ce qui est parvenu le corps de la galère qui le tient enfermé, depuis
à la conscience; l'amour relève les limites du cercle de la son flanc, le galérien s'épuise sur la rame. Il attaque
moralité; mais l'amour lui-même est encore une nature en cadence la surface de la mer qui brille, elle, il
incomplète. » y fait une marque, y prend appui, mais le mouve-
ment est sans fin, l'élément s'égale à lui-même,
Anticipation de la Philosophie du droit: l'amour (unité
se reforme, impassible, engloutit le sillage ou écume
sentie de la famille) relève la moralité subjective qui avait
les sigles, luit, reste
elle-même relevé le droit abstrait ou la domination; mais
l'amour (la famille) est encore nature, premier moment
d'une Sittlichkeit incomplète, et devra donc être à son p. Dessiner d'un chant le trajet
tour relevé. d'une lame qui, l'érigeant, fait tomber le texte de
Quand Hegel dit que Jésus oppose à la figure juive de l'autre côté, précipitant deux têtes inséparables,
Dieu le rapport d'un père à ses enfants, de quel discours
s'agit-il? d'un discours de Jésus, certes, et que Hegel l'exaltée, la brandie, l'auréolée, l'autre qui lui
assume ou reproduit. Mais d'un discours de quelle forme? ressemble et la réfléchit, à une marge près qui
Symbole, figure, métaphore, comparaison? Analogie d'un rend le trébuchet indécidable et annonce très
rapport infini (impliquant Dieu) avec un rapport fini (père/
enfants) ? Mais le rapport «infini » implique aussi des termes tôt le coût de l'opération: un glas qui ne s'amortit
finis, les créatures. La possibilité même de la question plus.
est donc incertaine. Pour en faire apparaître les présuppo-
sés, il faut d'abord tenir compte de ce que Hegel lui-même
dit de la comparaison dans la Cène.
Qu'est-ce qui se consomme alors? Vous pouvez toujours garder le collier. En
L'opposition entre les contraires (universalité/parti- tous cas y croire. Cette croyance, vous en avez
cularité, objectivité/subjectivité, tout/parti~ etc.) se résout
dans l'amour. à revendre sur le marché de ce qu'on appelle la
L'amour n'a pas d'autre: aime ton prochain comme littérature.

75
toi-même, cela n'implique pas que tu doives l'aimer autant Mais vous ne pouvez vous intéresser à ce que
que toi. S'aimer soi-même est « un mot dépourvu de sens »
(ein Wort ohne Sinn). Aime-le plutôt comme un (aIs einen)
je fais ici que dans la mesure où vous auriez
qui est toi ou « que tu est ( der du ist) ». La différence entre raison de croire que - quelque part _. je ne sais
les deux énoncés est difficile à fixer. Si s'aimer soi-même pas ce que je fais (j'exclus quelque chose et m'en
n'avait aucun sens, que voudrait dire aimer l'autre comme
un que tu est? ou qui est toi? On ne peut l'aimer que
exclus: un « je m'écarte », ou « je m'écrase» ). Ni
comme un autre mais dans l'amour il n'y a plus altérité, ce qui s'agit ici. Et s'égale à s'échafauder.
seulement Vereinigung. C'est la valeur de prochain (Nach-
sten) qui déjoue ici cette opposition du Je au Tu comme
autre.
Si l'amour n'a pas d'autre, il est infini. Aimer c'est
nécessairement aimer Dieu. On ne peut aimer que Dieu.
Aimer Dieu c'est se sentir dans le tout de la vie « sans
limite à l'infini » (schrankenlos im Unendlichen). Pourquoi faire passer un couteau entre deux
L'amour, foyer sensible de la famille, est infini ou textes? Pourquoi, du moins, écrire deux textes
il n'est pas. à la fois? Quelle scène joue-t-on? Que désire-t-on?"
On ne peut plus distinguer rigoureusement entre une
famille finie et une famille infinie. La famille humaine Autrement dit, de quoi a-t-on peur? qui? de qui?
n'est pas autre chose que la famille divine. Le rapport du On veut rendre l'écriture imprenable, bien sûr.
père-au-fils de l'homme n'est pas autre chose que le rapport Quand vous avez la tête ici, on vous rappelle
du père-au-fils de Dieu. Ces deux rapports ne se distin-
guant pas, ne s'opposant surtout pas, on ne peut feindre que la loi du texte est dans l'autre, et ainsi à n'en
de voir en l'un la figure ou la métaphore de l'autre. On plus finir. A engrosser la marge - plus de marge,
ne saurait comparer l'un à l'autre, faire semblant de savoir plus de cadre - on l'annule, on brouille la ligne,
ce que peut être un terme de la comparaison avant l'autre.
On ne peut savoit, en dehors du christianismè\ ce qu'est on vous reprend la règle droite qui vous per-
le rapport d'un père à son fils, voire (mais tenons cette mettrait de délimiter, découper, dominer. On ne
extension en réserve) à ses enfants. On ne peut même vous laisse plus savoir où est la tête et où le corps
savoir, nous y venons, ce qu'est le est en général hors
du christianisme. Telle est la thèse hegelienne sur l'esprit de ce discours, on vous dissimule le cou pour
du christianisme, c'est-à-dire sur la rhétorique. que vous ne puissiez porter le vôtre.
La question de la figure paraît donc très fuyante.
L'amour ne s'oppose plus: il n'a donc pas d'objet.
Pas même d'objet religieux. La disparition de l'objet pose
la question -la question de la rhétorique en particulier -
comme question de la consumation. A la table du Christ.
L'adieu de Jésus à ses amis, lors de la Cène, est un
« festin de l'amour » (Peier cines Mahlsder Licbe). La forme Ne vous fiez donc pas au nom propre qui
la plus visible, la plus proche, en est la position du disci- se porte toujours comme une chaîne ou un collier.
ple préféré, Jean, sur le sein de Jésus.
L'amour n'est: pas encore l'adoration « proprement Genet a disposé le collier de la Toison d'Or sur
religieuse » qui s'adresse, elle, à un objet déterminé, à une tout son texte, mais non loin d' « entre les jambes
forme avec des contours, face à l'adorant, sans confusion. du capitaine de la galère ». (Galère est d'ailleurs
Pour qu'un objet se détache et qu'une telle forme appa-
raisse, pour qu'une représentation finie de l'infini se un mot étrange qui porte littéralement partout.)
découpe, l'opposition doit intervenir, certes, mais. aussi Maître diabolique du monde, il a disposé le collier
l'imagination (Einbildungskraft). Elle produit un objet avec une ruse infinie. C'est-à-dire nécessairement
fini, une image de l'infini. La religion est l'adoration de
cette image (Bild). Mais l'amour n'accède pas encore à finie.
la religion parce que cette opposition entre le fini et l'in- Il ne suffit pas d'être rusé, il faut disposer
fini n'y a pas lieu, pas encore ou plus lieu. La Cèn~, le d'une théorie générale de la ruse qui en fasse
festin de l'amour, n'appartient donc pas à un espace
religieux. Tous les actes y manifestent l'amour, l'amour partie. Ce qui revient à passer aux aveux, incons-
lui-même y est présent (vorhanden) , sous la main, mais cients bien sûr. L'inconscient est quelque chose
seulement à titre de sentiment (Empftndung) . Aucune de très théorique.
image (Bild), aucune figure, aucun schème ne s'en détache
pour unir le sentiment à la représentation, la sensibilité Si j'écris deux textes à la fois, vous ne pourrez
au concept. « Le sentiment (Gefühl) et sa représentation pas me châtrer. Si je délinéarise, j'érige. Mais en
(Vorstellung) n'y sont pas unis (vereinigt) par l'imagina- même temps, je divise mon acte et mon désir.
tion productrice (Phantasie). Sans doute dans le festin de
l'amour un objectif advient-il, auquel le sentiment s'atta- Je -' marque la division et vous échappant tou-
che, mais il n'est pas uni à une image unique (ein Bild). jours, je simule sans cesse et ne jouis nulle part.
Dès lors cette opération de manger (dies Essen) oscille Je me châtre moi-même - je me reste ainsi _.
(schwebt, flotte) entre un manger-ensemble (Zusammen-
essen) de l'amitié et un acte religieux, et en raison de ce et je « joue à jouir ».
flottement, il est difficile de caractériser distinctement son Enfin presque.
esprit. »
Que fait alors Jésus quand il dit en rompant le pain :
prenez ceci, c'est mon corps qui est donné pour vous,
faites-le en mémoire de moi? Pourquoi déjà la mémoire (Ah!) tu es imprenable (eh bien) reste.
dans le sentiment présent? Pourquoi se présente-t-il, au
présent, avant l'heure, comme retranché de son propre
corps et suivant son obsèque? Que fait-il quand il dit Entrave, donc, deux fois.
en prenant la coupe : buvez tous, ceci est mon sang, le
sang du Nouveau Testament, du nouveau contrat passé Car si mon texte est (était) imprenable, il ne
avec la pompe religieuse, répandu pour vous et pour
beaucoup d'autres en rémission de leurs péchés, faites-le sera(it) pas pris, ni retenu. Qui double posture.
en mémoire de moi? Mémoire, c'est ici Gedachtnis, Hegel serait puni, dans cette économie Double postula-
a souvent insisté sur la parenté entre mémoire et pensée de l'indécidable? Mais si je linéarise, tion. Contradic-
(Denken). Pensez-moi, dit Jésus à ses amis en leur mettant tion en soi di9
sur les bras, d'avance, un cadavre sanglant. Préparez si je me mets en ligne et crois - deux désirs incon-
les linceuls, les bandelettes, la substance onctueuse. niaiserie _. n'écrire qu'un texte ciliables. Je lui
Que fait-il, l'oint du Seigneur? Use-t-il d'un signi- donne ici, accusé
fiant? d'un symbole? d'une image? Qu'en est-·il du ceci à la fois, cela revient au même et dans ma langue,
quand il tend le pain et le vin? Quand il parle de mangeaille il faut encore compter avec le le titre de DOU-
BLE BANDE, le
et de funéraille au lieu de son corps, de son individualité, coût de la marge. Je gagne et perds (la, les) mettant
de sa finité? à tous les cas mon dard. pratiquement en
Il ne s'agit là ni d'un signe, ni d'une comparaison, , . d 1 1 forme et en jeu.
ni d'une allégorie. Dans le signe, le rapport entre le A 1 enselgne e P aton, a Un texte sangle
signifiant et le signifié, entre le signe (Zeichen) et le désigné pharmacie avait distillé cet effet, en deux sens.
(Bezeichnetes) reste un rapport d'extériorité convention- Deux fOis ceint.
nelle. Ce qui rattache l'un à l'autre les membres de la sous 1'étiquette du g1yp he ou dU Bande contre
signification reste encore un ligament (Verbindung, Bind) COUp de glyphe. Cette remarque bande

77
objectif. Par exemple, quand un Arabe boit une tasse de à l'entaille. d'écriture, débordant la pièce des deux
café avec un étranger, il passe avec lui un contrat d'amitié.
Cette action commune « lie » l'Arabe et ce lien l~engage
côtés, restait tout à fait tautologique, puisque
à se montrer fidèle et secourable. « L'opération de boire et glYphe veut dire coup. Et scalpe.
de manger en commun n'est pas ici ce qu'on nomt;ne un
signe; le ligament (Verbindung) entre le signe et le désigné
n'est pas en lui-même spirituel, n'est pas la vie, c'est un
ligament objectif (ein objektives Band) : le signe et le
désigné sont étrangers l'un à l'autre, et leur ligament Qu'est-ce que la toison. La toison d'or. En
leur reste extérieur sous la seule forme d'un troisième
terme, c'est le ligament pensé. Manger et boire avec dehors d'un genêt, bien sûr.
quelqu'un, c'est un acte de communion (Vereinigung),
et une communion elle-même ressentie, non pas un signe
conventionnel. » Dans la communion, le troisième terme Elle entoure le cou, l~ con, la verge, l'appa-
disparaît, il est proprement consommé. Le signe est
englouti. rition ou l'apparence d'un trou en érection, d'un
Cela est déjà vrai pour l'Arabe. Or il se passe encore trou et d'une érection à la fois, d'une érection
quelque chose de plus dans la transsubstantiation. Ce plus,
pour l'énoncer brièvement, c'est: une certaine proposition
dans le trou ou d'un trou dans l'érection : elle
judicative du type S est P (ceci est mon corps, le vin est entoure un volcan.
sang, le sang est esprit) et une certaine intervention du on dit du genêt qu'il habite aussi
Les bords du sur les bord du volcan. La ginestra
père dans le discours.
Le banquet, certes, fait acte d'amitié. Les disciples trou qu'elle cache ou de Leopardi, l'odorata ginestra pousse
« su l'arida schiena / Del formidabili
se lient à lui et entre eux, se pensent ensemble. Il ne délimite sont certes monte / Sterminator- Vesevo ».
s'agit pas là d'un « simple signe » mais d'une expérience ceux d'un puits, et L'exergue est de saint Jean. Et l'on y
sentie (Empftndung). La religion n'est pas encore apparue
puisqu'il n'y a pas d'objet en tant que tel. EUe\s'annonce ce que les quatre trouve une fleur de genêt qui se
« contente du désert », des « champs
cependant, et se laisse entrevoir, quand Jésus ajoute hommes noirs trou- semés / De cendres infécondes et
quelque chose de plus à cette consommation commune. couverts de lave pétrifiée / Qui
vent au cœur du cœur sonne
Quoi? Qu'est--ce que ce plus (das Wei/ere)? une déclara- sous les pas du voyageur. »
tion, un éclaircissement, une manifestation discursive, une d'Harcamone, au La lave brûlante coule comme du
Erklarung qui explique, énonce dans la forme du S est P, cœur de la rose, lait « dell'inesauto grembo », du
et dès lors constitue un jugement objectif, une objectivité sein inépuisable. Le «souple genêt»
c'est « un puits téné- qui incline sa « tête innocente »
qui ouvre, encore qu'incomplètement, l'espace religieux.
Il dit « Dies ist, (ceci est) mon corps (mein Leib). Hoc est breux » (<< Tout au n'aura pas choisi sa « demeure » et
son « lieu natal ». La « fortune »
enim corpus meum, loulô esti 10 sôma mou 10 uper umôn dido- bord de ce trou noir seule en a décidé.
menon, ceci est mon corps donné pour vous ». L'appari- et profond comme « SAID. La femme les oiseaux du
tion du ligament, de la copule (couple) et de la paire, ciel chier dessus que tu deviens statue
produit un objet qui excède l'intériorité du sentiment. un œil, ils se penchè- de pierre. Place Léopardi à Vérone,
Cette déclaration judicative, plus le fait de partager (Aus- rent et l'on ne sait je t'y ai vue un jour sur les quatre
teilung) , de diviser, pour les consommer ensemble, le heures du matin, sous la merde des
pain et le vin, expulse le sentiment hors de lui-même et
quel vertige les colombes, et nue. Magnifique dans le
le rend « en partie objectif » (zum Teil objektiv). Hegel prit »), mais aussi jour... »... A Roger Blin : « Durant
joue sans doute ici sur Austeilung et Teil comme il le fait quelques secondes, il lui arrive de
les bords de l'érec- flotter place Leopardi à Vérone ou
ailleurs sur Ur-teil (jugement et division originaire : le
jugement correspond à une division originaire de l'être,
tion capitale, le rue Saint-Benoît. »
du Sein, en sujet et prédicat, la copule couple, accouple tronc, la pyramide ou le cône d'un volcan.
la paire, resserre dans le même ligament (Band) la chose Autour du gouffre crachant, de l'inépuisable
et l'attribut qui redevient alors partie prenante du Sein).
Au moment où par ce partage et par cette prédication
éructation des lettres en fusion, la toison (f!ptov),
(das Weitere, die Erklarung Jesu), les disciples ont affaire la toison pubien
à des obj ets définis (ceci est cela), leur amitié, leur union
en celui qu'ils reconnaissent comme leur milieu et leur le texte est la toison d'or: objet précieux, détaché
maître (in ihrem Mittelpunkte, ihrem Lehrer) devient plus par Ùne sorte de scalp. La galère se nommerait ici
que sensible, plus qu'intérieure. Elle est visible, évidente Argo.
au dehors (sichtbar), objectivée, comme la chose même
qu'elle est. Elle n'est plus seulement « représentée» (vor-
gestellt) dans une « image» (Bild) ou dans une (t.f1.gure
allégorique ».
Cependant cet objet n'est pas un objet comme un
autre. Cette chose même ne se donne pas « en personne » L'écriture reste pudique parce qu'elle est prise
comme une autre. D'un côté le sentiment devient objectif dans une toison. A propos de pudeur, de « tres-
mais d'un autre côté le pain, le vin et le partage ne sont sage », de « tissage » et de «feutrage », Freud
propose un modèle naturel à la technique féminine
pas « purement objectifs ». Il y a en eux quelque chose de
du texte : les poils qui dissimulent les organes
plus que ce qui est vu. Il s'agit d'une « opération mystique» génitaux et surtout, chez la femme, le manque
qui ne peut être comprise que de l'intérieur. Du dehors, de pénis. Et il se dit désarmé dans le cas où l'on
on ne voit que du pain et du vin. De même, lorsque deux prendrait cette hypothèse pour une fantaisie ou
amis se séparent et brisent un anneau dont chacun garde pour une idée fixe.
un fragment, le tiers qui ne participe pas à leur contrat ne
voit que deux morceaux de métal sans pouvoir symboli-
que. L'anneau ne se reforme pas.
Quelle est donc la nature de ce surplus, de ce plus
( dieses Mehr) ? Partout supposé, ce Mehr ne se compte pas,
ne peut donner lieu à un calcul objectif, à une explication Enduisez les poils, faites-les luire, rendez··les
discursive. Il ne se rapporte pas à des « objets ». La relation gluants de bave, de crachat, de lait, vous aurez
dans laquelle il entre sans jamais y appartenir, aucune une sorte de voile textuelle. Le journal du voleur,
analyse ne peut en rendre compte selon les voies d'une par exemple, y enveloppe tout. « ... je ne le recon-
comparaison ou d'une analogie. Aucun énoncé explicatif nus guère mais à peine eut-il ouvert la bouche pour
(Erklarung) ne peut dire ici « ceci est égal à cela », « ceci une phrase plus doucement prononcée, j'y revis
n'égale pas cela ». Le Mehr en question n'est égal ni le blanc crachat qui la voilait, dont je ne sais quelles
mucosités le formaient mais demeurées intactes
inégal à aucun objet; il n'est comme rien, il ne ressemble,
par quoi, entre ses dents, je retrouvai Stilitano. »
ne se rassemble avec rien sur le mode du comme (Gleichwie) Le ver et le cocon, l'apotrope du coupable: «A
(< Dieses Mehr hangt nicht mit den Objekten, aIs eine Erkla- l'intérieur de sa honte, dans sa propre bave, il
rung, durch ein blofles Gleichwie zusammen »). Il ne s'agit pas s'enveloppe, il tisse une soie qui est son orgueil.
ici de dire « de même que »; le même que ne peut envelopper, Ce vêtement n'est pas naturel. Le coupable l'a
penser l'amour. Ce n'est pas comme si on disait: de même tissé pour se protéger, et pourpre pour s'embellir. »
que les morceaux particuliers, divisés, singuliers (verein-
zeften Stücke) que vous mangez sont d'un seul et même
pain, de même que le vin que vous buvez, vous le buvez
à une seule et même coupe, de même vous êtes divisés ou
séparés, particuliers (Besondere), coupés les uns des autres
mais dans l'amour, dans l'esprit, vous êtes un (eins) , Flotte de paravents aux voiles pourpres, prête à
un seul et même être (Sein), ensemble; de même que vous l'attaque, à la défensE!/, se gardant en proue et en
avez tous votre part de ce pain et de ce vin, de même vous poupe, éperons d'or pour la parade.

79
participez tous à mon sacrifice. Même chose pour tous La parade se tient toujours derrière.
les comme, tous les Gleichwie.
Dans ce cas, la question est bien celle de la partie
prenante. Qu'est-ce qu'un morceau - littéralement :
qu'est-ce qu'on (se) met sous la dent? - dès lor~ qu'on Derrière: chaque fois que le mot vient en premier,
ne peut plus compter avec rien? s'il s'écrit donc après un point, avec une majuscule,
Sinon avec telle incàlculable jouissance. quelque chose en moi se mettait à y reconnaître
Le ligament, la synthèse, le Zusammenhang, la tension le nom de mon père, en lettres dorées sur sa tombe,
qui tient ensemble le mors objectif et le mors subjectif, avant même qu'if y fOt.
le pain et les personnes, par exemple, n'est pas le ligament
« du comparé avec une comparaison (des Verglichenen mit
einem Gleichnis) ». Nous n'avons pas ici une « parabole »
dans laquelle « le comparé (Verglichene) est posé comme
A fortiori quand je lis Derrière le rideau.
dissocié, séparé (aIs geschieden, aIs getrennt) ». Ni une
comparaison (Vergleichung) qui requiert qu'on pense
l'égalité des divers (das Denken der Gleichheit Verschie-
dener). Dans cette copulation, dans cette ligature (Verbin-
dung), au contraire, la diversité tombe (fallt die Verschie- Derrière n'est-ce pas toujours déjà derrière un
denheit weg) et avec elle la possibilité même d'une compa- rideau, un voile, un tissage. Un texte toisonnant :
raison, d'une mise en équation. L'égal disparaît, mais « Un autre de mes amants orne de rubans sa toison
cette fin de l'égal ne se raisonne pas comme la subsistance intime. Un autre a tressé pour la tête de nœud de
son ami, minuscule, une couronne de pâquerettes.
de l'inégal. Les hétérogènes restent, certes, mais noués, Avec ferveur un culte phallique se célèbre en cham-
attachés, enveloppés l'un dans l'autre de la façon la plus bre, derrière le rideau des braguettes boutonnéés.
intime. « Die Heterogenen sind atifs innigste verknüpft ». L'acte Si, profitant du trouble, une imagination foisonnante
de verbinden ne signifie donc pas simplement le surgisse- s'en empare quelles fêtes, où seront conviés les
ment d'une objectivité par l'opération de la sainte copule, végétaux, les animaux, se dérouleront et d'elles,
il annule aussi l'opposition des divers, efface le dis- au-dessus d'elles, quelle spiritualité! Moi, dans les
continu de toute objectivité. Toutes les difficultés de la poils de Java j'arrange les plumes qui s'échappent
transsubstantiation et de l'Eucharistie, telles qu'elles tra- la nuit de l'oreiller crevé. Le mot couilles est une
vaillent par exemple le rationalisme cartésien et la logique rondeur dans ma bouche. » (journal du voleur)
de Port-Royal, se donnent ici à lire par la bande.
Un sentiment, une jouissance même (Ge17uj) sont ne tisse, tresse, lisse, triche son
induits par cette copulation sans objet propre. Plus préci- écriture. En elle tout se coud, se monte, donne
sément par une pénétration (Durchdringen).
Ici intervient le père.
lieu, sur les bords, à toutes les fleurs. Le gouffre
] ésus ne dit pas seulement « le vin est sang », il dit y cache ses bords. Dans le tissage de cette dissi-
aussi « le sang est esprit ». La coupe commune, le fait de mulation, l'érection ne se produit qu'en abyme.
boire ensemble, d'avaler d'un seul coup la même subs-
tance liquide, c'est en esprit une nouvelle liure (der Gdst
eines neuen Bunde s). Cet esprit se tend ainsi dans l'alliance
et pénètre ( durchdringt) « beaucoup d'hommes ». Beaucoup
viennent y boire, assoiffes, pour y prendre de la hauteur
et s'élever (zur Erhebung) au-dessus de leurs péchés. Le
présent de la coupe qui rend possible la copulation dans Le tracé enchevêtré de ses fils assure à la
l'alliance, ce présent n'est pas donné, il n'est pas présent.
Il ne se présente que dans l'attente d'un autre accouple-
fois (décision castration impossible) la couture
ment qui viendra remplir, accomplir (vollenden) celui qui et la recoupe : de la foule des fleurs comme surgis-
80
s'annonce ou s'entame ici. Un jour on boira, comme on y sement phallique et concavité vaginale (petit glas
prend goût déjà, au père même, dans son royaume :
« dans une nouvelle vie, au royaume de mon père, je
poussé, résumé entre les deux, au fond de la glotte ),
boirai de nouveau avec vous ». virginité intacte et castration sanglante, taille d'une
C'est pourquoi cette opération n'est pas un sacrifice rose, de « la rose rouge, monstrueuse de taille et
utile - d'une utilité objective du moins - échangeant
quelque chose contre une autre sous la forme d'un objet. de beauté» qui s'ouvrira tout à l'heure en « puits
Elle revient: à se laisser pénétrer (le mot « durchdringen » ténébreux ».
occure trois fois) et à s'identifier. La pénétration identifi-
catoire de Jésus en ses disciples - Jean d'abord, le disciple
chéri -, du Père en Jésus et à travers lui en ses disciples
- Jean le premier -, subjective en un premier temps,
puis objective, redevient subjective par l'ingestion. La
consommation intériorise, idéalise, relève. L'crion - tissu d'écriture et toison pubienne
Remarquable réflexion : Hegel compare cette resub- - est le lieu affolant, atopique, du voire : plus ou
jectivation pénétrante au mouvement même de la langue. moins (que la) vérité, plus ou moins (que le)
Plus précisément, il propose d'y lire comme le s'entendre-
parler de la langue dans la lecture. Plus précisément encore voile. Il tourne eh dérision tout ce qui se dit au
son murmure absolu dans la lecture à voix basse. La voix nom de la vérité ou du phallus. Il joue l'érection
tue, la voix absolument retenue anéantit l'extériorité dans l'être à poil de son écriture. La dérision ne
objective du signifiant. La lettre et le mot disparaissent
au moment où ils sont entendus au-dedans et d'abord tout fait pas simplement tomber l'érection, elle la garde
simplement saisis, compris. Pourvu qu'il nomme, qu'il mais en la soumettant à ce dont elle la garde,
engage un discours, le mouvement de la langue est analo- déjà, la fêlure du non propre. Incantation apotro-
gue à la copulation dans la Cène.
Tout: cet analogon ne se forme, ne tient debout et ne païque du réséda, érection dérisoire du glaïeul.
se laisse saisir que sous la catégorie des catégories. Il se
relève tout: le temps. C'est une Aufhebung.
Du sang.
« Non seulement le vin est sang mais le sang est
esprit. [... ] le sang est le lien même, le rapport qui les L'auteur se poile gravement, imperturbable-
unit: au vin qu'ils boivent tous à la même coupe qui est
pour tous et: le même pour tous. Ils sont tous en train de ment. Il rame aussi avec l'application d'un galé
boire, un même sentiment (ein gleiches Gejühl) est en
tous; du même esprit (vom gleichen Geiste) d'amour ils vous ne percevez pas encore le mot « galérien ».
sont tous pénétrés (durchdrungen). Si ce qui les unit était Ce qu'il faut éviter, c'est de souligner, marteler,
un avantage, un bienfait découlant du sacrifice du corps relever des mots ou des lettres dans un texte dont
et de l'effusion de sang, ils ne se trouveraient unis sous ce le style glisse sur les syllabes importantes, effleure
rapport que dans l'égalité d'un concept (im gleichen BegrijJ) " chaque partie de son corps, enfouit, efface les
mais en tant qu'ils mangent le pain et boivent le vin, que essences, qui finissent par s'égaler, assourdir les
sons au fond de la langue, dans la crypte du palais.
son corps et son sang passent en eux, Jésus est en eux
Tout doit flotter, suspendu, puis d'ailleurs réson-
tous, et son essence (sein Wesen) les a divinement péné- ner après coup pour la première fois. Comme
trés ( durchdrungen) « comme amour ». Ainsi le pain et le vin venant d'une grotte presque close :
ne sont pas simplement objets pour l'entendement; « ... le col était entrouvert sur son cou magnifique
l'opération du manger et du boire n'est pas une pure union qui supportait le collier de la Toison d'Or. Vrai-
avec soi-même, produite par leur anéantissement, non ment il arrivait en droite ligne, et par la voie des
plus que le sentiment n'est la simple saveur de l'aliment et cieux, d'entre les jambes du capitaine de la galère.

81
de la boisson; l'esprit de Jésus, en qui ses jeunes disciples Peut-être en face du miracle dont il était l'objet
( seine Jünger) sont un (eins), est devenu, pour le sens et le lieu, ou pour toute autre raison - rendre
externe, présent comme objet, quelque chose d'effectif. grâce à Dieu son père - il posa en terre le genou
droit. Vite les quatre hommes en profitèrent pour
Mais l'amour objectivé, ce subjectif devenu chose,
escalader cette jambe, puis la cuisse en pente. La
retourne à sa nature, redevient subjectif dans l'acte de montée leurfut pénible, la soie glissait. A mi-cuisses,
manger. Ce retour peut être comparé (verglichen) à celui de délaissant une braguette inaccessible et tumultueuse,
la pensée devenue chose dans le mot écrit, retour qui d'un ils rencontrèrent la main d'Harcamone posée. Ils
mort (aus einem Toten), d'un objet, recouvre dans l'acte de grimpèrent et, de la main sur le bras, sur la manche
lire sa subjectivité. La comparaison (Vergleichung) serait de dentelle. Enfin ce fut l'épaule droite, le cou
plus pertinente dans le cas où le mot écrit s'évanouirait penché sur l'épaule gauche et, le plus légèrement
comme chose dans la lecture silencieuse à travers la possible, le visage. Harcamone n'avait pas bougé,
compréhension; de même (so wie) dans la jouissance sauf qu'il respirait la bouche entrouverte. Le juge
(GenuJ3) du pain et du vin, ces objets mystiques n'éveil- et l'avocat entrèrent dans l'oreille et l'aumônier
lent pas simplement le sentiment (Empftndung), l'esprit avec le bourreau osèrent pénétrer dans la bouche.
Ils avancèrent un peu sur le bord de la lèvre infé-
n'y devient pas simplement vivant, mais ils disparaissent
rieure et tombèrent dans le gouffre. Et ce fut alors,
eux-mêmes comme objets. Et ainsi l'opération paraît plus presque aussitôt le gosier franchi, une allée d'arbres
pure, plus conforme à sa fin, dans la mesure où elle pro- descendant en pente douce, presque voluptueuse.
duit seulement l'esprit, le sentiment et ravit à l'entende- Tout le feuillage était très haut et formait le ciel
ment son pr9pre (das Seinige), anéantit la matière (Mate- du paysage. Ils ne pouvaient reconnaître les essences
rie), l'inanimé (das Seelenlose). » car dans des états comme le leur, on ne distingue
Le propre (das S einige) de l'entendement ne disparaît plus les caractères particuliers : on traverse des
qu'en tant qu'objet fini, c'est-à-dire en tant qu'objet, forêts, on foule des fleurs, on escalade des pierres.
en tant qu'insuffisamment réappropriable (matière ina- Ce qui les étonna le plus fut le silence ... »
nimée).
Le retour à la subjectivité dans l'acte de consomma- rIen
tion, Hegel le définit par une comparaison. La comparaison poussé à écrire par des ordres qu'il reçoit dans le
avec la lecture doit ici définir cela même qui échàppe, nous
avait-il dit à peine plus haut, à la structure comparative. dos, menacé du fouet s'il s'arrête.
La nécessité de la comparaison provoque peut-être la
rechute incessante de ce qui devrait y échapper, mais cette
fatalité est-elle même relevée : la comparaison .reçoit sa
possibilité d'une analogie spirituelle qui tire toujours
vers le haut. Le miracle, c'est que ça chante, que ça chibre,
Faire cas, une fois de plus, de la pierre. Dans la
présente relève de la Cène, la sublimation (idéalisation- que ça bande comme une lyre.
intériorisation-,animation-subjectivation, etc.) travaille à
même la pierre.
A deux reprises, la pierre, l'amour figé dans la
pierre.
Mais cette fois la pierre, la pierre d'amour qui s'oppose L'crion aura donc pu éclore comme une fleur.
à la sublimation chrétienne, la pierre qui ne se laisse pas L'érianthe désigne, en botanique, l'organisme
relever, c'est la grecque et non la juive.
Le mouvement se complique ici nécessairement du pourvu de fleurs velues et laineuses. On ne peut
fait que la pierre retombe toujours. Reste. plus alors décider, c'est tout l'intérêt de l'écriture,
La Cène accomplit certes une consumation d'amour s'il y a un style ou non sous la toison. On dit aussi
que la plastique grecque ne peut atteindre: scission encore,
chez le Grec, entre la matière pierreuse et l'intériorité de ~pLOV ,.~c; ap&xv1j c;, le :fil et la toile de l'araignée,

82.
l'amour. Mais la consumation chrétienne se divisera aussi. de la mère phallique ou castratrice, de la tarentule
Une nouvelle scission la décevra d'elle-même pour en
appeler à une autre relève, Aujhebung au sein du christia- ou de la grande araignée
nisme d'abord, puis Aufhebung du christianisme, de la
religion absolue relevée dans la philosophie qui en ~ura avant l'apparition de la toison, la conférence sur
la féminité met l'araignée dans sa toile (<< chez
été la vérité.
certains animaux, les femelles sont plus fortes et
Voici les pierres grecques, d'autres pierres que celles plus agressives que les mâles, ceux-ci ne se montrant
d'Epiméthée ou de Pyrrha, mais toujours sur la piste d'un actifs que durant le seul acte de l'union sexuelle.
retard. « ... l'inanimé (das See/en/ose). Quand les amants C'est ainsi que les choses se passent chez les arai-
sacrifient sur l'autel de la déesse de l'amour et que l'effu- gnées, par exemple ». Abraham, qui tisse la chose
sion de leur sentiment dans la prière en anime [ou spiri- autour de la mère phallique - « la toile de l'arai-
tualise, begeistert] au plus haut la flamme, la divinité elle- gnée représente la toison pubienne » - et de
même est descendue dans leur cœur - mais l'image de l'Unheimliche, rappelle aussi la succion par laquelle
pierre reste toujours devant eux (das Bild von Stein bleibt l'araignée, ou la mère incestueuse, tue sa victime)
immer vor ihnen stehen) ,. par contre dans le festin d'amour, et pose le problème du pharmakon en termes
le corporel s'efface et seul est présent (vorhanden) le senti- galactiques. « La crainte de l'empoisonnement est
ment vivant. )} probablement en corrélation avec la privation du
sein maternel. Le poison est un aliment qui rend
Mais la spiritualité de la Cène chrétienne consomme
malade. » Le lait, poison contre poison, est aussi
ses signes, ne les laiss~ pas tomber au dehors, aime sans traité comme la source de la jalousie. Ce qui revien-
reste. Cette assimilation sans relief se paie aussi. La des- drait à notre question : qu'est-ce que l'excès de
truction de l'objet maintient l'amour en vue de la religion zèle autour de la signature? Peut-on être jaloux
dont elle lui interdit l'accès. La religion se lie toujours d'autre chose que d'un seing? Une telle question
à un objet. L'amour est encore trop subjectif, il marque galvanise et vulcanise tout.
encore le christianisme, dans le moment de la Cène, d'une Le glas est aussi d'une guerre pour la signature,
scission intérieure. Puis quand la religion naîtra, l'existence d'une guerre à mort - la seule possible - en vue
de l'objet, l'institution, la pierre de l'Eglise provoquera du texte, donc, qui ne reste finalement, obséquem-
une autre fission, en appellera à une autre réconciliation, ment, à personne. Il ne s'écrit ni d'un côté ni de
par-delà religion et famille religieuse. l'autre, l'un comptant pour l'autre à relever du
double la défaillance, le colosse la colonne, la
L'amour - reste intérieur. Parlant. de la relève de
colonne le colosse. Il bat entre les deux. Le lieu
l'objectivité et de la supériorité du festin chrétien, Hegel qu'aura, nécessairement, préoccupé le battant,
ne nomme ni le banquet de Platon ni un certain festin de nommons-le co/pas. C'est, en grec, le sein de la
pierre. « Mais c'est précisément ce genre d'objectivité mère mais aussi de la nourrice, mais aussi le pli
[disse Art von Objektivitat. Il s'agit de l'image de pierre] d'un vêtement, le repli de la mer entre deux vagues,
qui est totalement relevé (ganz aujgehoben wird), alors que la vallée qui s'enfonce vers le sein de la terre
le sentiment reste (bleibt) - cette sorte de mélange objec-
tif plutôt que d'unification, en tant que l'amour devient qui mange son mâle.
visible en quelque chose, attaché à quelque chose qui
doit être anéanti, - c'est ce genre d'objectivité qui ne
permet pas à l'opération de devenir une opération reli-
gieuse. )} L'une des deux Erigone, :fille d'Icare, coucha
Consommé sans reste, l'objet mystique redevient avec Dionysos qui se la paya d'une outre de vin
subjectif mais cesse par là même d'être objet d'adoration
religieuse. Une fois dedans, le pain et le vin sont sans doute à Icare. Des bergers s'en croient enipoisonné~,
subjectivés mais ils redeviennent aussitôt pain et vin, le tuent et un chien aboyant, .Marra, retrouve le
nourriture digérée, de nouveau naturalisée; ils perdent lieu du cadavre paternel privé de sépulture. Il
leur qualité divine. Ils la perdraient aussi bien, il est vrai,
à n'être pas digérés. Leur divinité se tient, très précaire, y conduit Erigone qui se pend à l'arbre voisin.
entre l'engloutissement et le vomissement; et elle n'est ni Vengeance de Dionysos :
solide ni liquide, ni dehors ni dedans.
Au moment où la chose redevient chose parce que la scène christique, le sacrifice du bouc-émissaire,
consommée, -la chose est essentiellement consommée, le à la fin du Miracle, est précédée de peu, presque
procès de consommation la constitue en chose plutôt accompagnée, doublée, d'une fête dionysiaque.
qu'il ne l'entame comme telle - on peut la comparer Harcamone y est loin du Seigneur. Le pharmakon
suspend, apostrophe les contraires, les rapproche
de nouveau avec la statuaire grecque de l'amour, au
en les é-Ioignant. « L'exécution de Métayer fut
moment où la pierre redevient poussière. Hegel reprend une fête, avec immolation à l'origine et déchaÎne-
alors les références aux statues d'Apollon et de Vénus. ment orgiaque. Enfin, je crois que la joie de ces
Tant qu'elles ont une forme, on peut en oublier la matière enfants était d'ordre bachique, une espèce d'ivresse
friable, la «pierre fragile » (zerbrechlichen Stein) " on s'adresse causée par certaines cruautés si fortes que cette
alors en elle à l'élément immortel, on est pénétré d'amour. joie ne pouvait s'exprimer que par un rire rauque
Mais si la statue tombe en ruine et si l'on dit encore « ceci mais musical [ ••• ] Les fleurs sont la gaieté et cer-
est Apollon », « ceci est Vénus », la poussière que j'ai taines sont la tristesse faite fleurs. [ •.• ] Et toute
devant moi et l'image divine en moi ne peuvent plus se la Colonie composait un énorme Harcamone.
rassembler. La valeur de la poussière résidait dans la , [ ... ] Se peut-il que soit séché dès la fleur, ce nœud,
forme. Après la disparition de la forme, la poussière de serpents monstrueux qui attirait tant de gars. »
Et si vous suivez, jusqu'à la décapitation d'Harca-
dispersée redevient la chose principale. La pensée médi-
mone, les mouvements tentaculaires et médusants
tante, adorante ne peut s'adresser à elle, mais seulement, de l'écriture, vous n'en finirez pas. Comme cette
à travers elle, au souvenir de soi. Il en va de même pour écriture est de la décapitation, elle n'a pas de centre.
le pain mystique. Une fois mangé, bien que cette fois Et ce serait un leurr'e, une décapitation supplé-
la destruction soit intérieurè, il engloutit avec lui la possi- mentaire, que de voir tout s'agglutiner, s'agglo-
bilité d'une adoration proprement religieuse. D'où le mérer autour d'une ventouse principale, fOt-elie
deuil, le sentiment de perte, de regret (Bedauern) , vierge/châtrée comme une fleur ( « métamorphoses
de scission (Scheidung) qui s'empare des jeunes amis du en fleur », «fleurs condamnées sans rire par des
Christ quand le divin a fondu dans leur bouche. Les conciles notoires », « nénuphar énorme et ridi-
Chrétiens d'aujourd'hui le ressentent encore. \La perte cule» d'une vie - sœur Zoé, la «vierge» - qui
imminente du Christ, la quasi-présence de son cadavre « le souffle coupé, bascula dans la flotte »; « Et
les maries, de leurs bouches de fleurs, crachaient
sont sensibles précisément à la fin du repas, « après la
des crachats claquants ... » « ... me sentir le fiancé
jouissance du souper » (nach dem GenujJ des Abendmahls). mystique de l'assassin qui m'avait abandonné
Le religieux ne s'accommode pas de ce sentiment cette rose directement arrivée d'un jardin surna-
d'impuissance et de division après la jouissance. Après turel. ») ou toute la structure familiale de la langue
une opération religieuse « authentique », l'âme doit être maternelle proprement et amoureusement égorgée,
apaisée, c'est-à-dire continuer à jouir. La Cène n'est pas églottée, érigée/ excrétée, au fond d'une grotte
encore la religion. Ses restes - c'est-à-dire un cadavre - ou d'une forge (bruits de « sanglots », de « clo-
doivent être relevés. Après la résurrection, l'érection de ches », de «clairon »faisant claquer une page:
l'église de pierre instituera proprement la religion. Mais puis la suivante : « ... un immense crucifix. Tous
la pierre même y donnera lieu à une autre fracture, à une les punis de la journée attendaient, à la porte, leur
autre ruine, à un autre deuil, à une autre relève. tour d'être condamnés... »; puis la suivante :
« ... leur cul mal lavé. Ils disaient d'un jeune ayant
Nous devons donc nous intéresser à la fois à l'immor-
les ongles des orteils trop longs: " Il a les ongles qui
talité du Christ et à ce qui passe par sa bouche. frisent". Ils disaient encore: "Ton panier à crotte".
L'immortalité de celui qui est l'oint de Dieu, qui (à « crottes » en l'entendant, l'enfant ajoutait l's
n'est un être (Wesen) que comme fils de Dieu, cette immor- infâme). »)
talité, la résurrection glorieuse de son corps consiste à se Pourquoi l's serait-il une marque d'infamie? Quel
laisser penser. Penser c'est penser l'être; et penser l'être est l'enjeu de cette histoire d'infamie
comme immortel c'est en penser la vie. Penser l'être
comme vie dans la bouche, c'est le logos. Dans l'unité rendre folles les jeunes
infinie du logos s'égalent l'être, la vie, le père et le fils. filles d'Athènes et les pousser à se pendre.
Hegel le rappelle, Jésus dit souvent que ce qui parle
par sa bouche est en lui et en même temps plus· grand et
Le 'nom d'Erigone fut donné à la Vierge,
plus haut que lui. Il s'appelle ainsi - le Fils de Dieu. constellation céleste et Mère du Christ.
Son Père le traverse et le dépasse. Et cette filiation, qui
constitue son Sein, son Wesen, ne peut être révélée,
attestée, déclarée que par le Père. Quand Pierre reconnaît
celui en faveur de qui Dieu a témoigné, le fils de la Vie,
Jésus lui dit : ce n'est pas ta finitude, c'eSt mon père
qui te l'a révélé. Seul l'infini -le Père _. peut nommer
le lien du fini à l'infini. Ce qui lie, Hegel le détermine
ici comme vie. C'est le lien (Band) qui tient ensemble Ce que trouvent les quatre hommes noirs
Dieu et Jésus, l'infini et le fini; et de cette vie Jésus est pénétrant le corps d'Harcamone par l'oreille et
une partie, un membre (Glied) mais un membre dans
lequel le tout infini se remembre, se rappelle intégrale- par la bouche : l'Immaculée Conception et la
ment. Tel est le secret (Geheimnis) de la vie, la remem- Rose Mystique.
brance, la recollection intérieure du tout dans le morceau,
telle l'opération mystérieure et incalculable que les Juifs
ne pouvaient pas compre:ndre. Pour saisir l'étrange statut
qui fait tenir cette unité debout, il faut cesser de penser à
part la nature humaine et la nature divine: faire entrer le
père dans le fils et les penser ensemble, les rassembler
dans une même élévation. Telle est l'essence de la vie
comme réconciliation, et l'essence de l'être, l'essence Comme les bourreaux, comme Notre-Dame-·
même comme vie. Etre est à la mesure du penser-ensem-
ble dans la ligature intérieure, être c'est être égal à soi
des-Fleurs menacé par le « glaive» féminin de la
dans la réconciliation infinie. justice (multiplié par les « baïonnettes » au moment
Ce qui se tient ainsi debout et qui reste inaccessible où sonne l'heure de sa mort, qui lui sera signifiée
au Juif, ce n'est donc pas une colonne, de pierre, de feu
ou de nuées - de matière - ni même un colossos, le
par le Président de Sainte-Marie), Harcamone
double du mort, mais un arbre, un être végétal, un arbre de est vierge.
vie. Le tout y circule depuis la racine, vers le haut,
à travers toutes les parties. Il habite déjà dans le gland.
S'agit-il d'une comparaison, d'une métaphore, d'une
figure phallocentrique? Phallogocentrique? On a dit de
l'arbre qu'il était d'essence féminine. Est-ce contradic-
• :>
t01re.
Remarque dans une sorte d'appendice: « Ce rapport
Du moins l'est-il encore quand il coupe le
d'un homme à Dieu où se trouve le fils de Dieu, semblable cou d'une fillette en la déflorant près d'un buisson
au rapport des branches du feuillage et des fruits au tronc d'églantines : « A seize ans, les femmes l'épou-
leur père, devait soulever la plus profonde indignation
des Juifs, qui avaient maintenu un abîme infranchissable
vantaient et, pourtant, il ne pouvait garder plus
entre l'être humain et l'être divin et n'avaient accordé longtemps sa fleur. Il ne craignait pas la fillette.
à notre nature aucune participation au divin. » Près d'un buisson d'églantines, il caressa ses che-
Cette apparente métaphoricité, c'est l'essence de la
vie ou plutôt la vie comme essence de l'être. Quand on
veux. La petite garce frémissante laissa faire. Il
est Juif, quand on ne comprend pas la vie, quand on en est dut lui murmurer quelque chose de banal, malS
coupé et qu'on ne la sent plus, on n'y voit qu'une méta- quand il passa la main sous ses robes, sa coquet-
phore accessoire, un auxiliaire rhétorique sans vérité terie - ou la peur - la fit se défendre et rougir.
propre. Quand on la sent du dedans, on sait que la vie
est métaphoricité, lien vivant et infini du tout pensé dans Cette rougeur fit rougir Harcamone qui se troubla.
~~rt~. . Il tomba sur elle... » Le rouge insiste, il va couler
La langue des Juifs n'y accède pas. Elle est à la fois dans le texte jusqu'à ce que les quatre hommes
capable et incapable de métaphore. L'évaluation de ses
pouvoirs sera donc ambiguë. Le Juif est capable de méta- noirs tombent aussi sur la rose rouge au cœur du
phore, d'énoncer des métaphores, il en est incapable en corps tabernacle d'Harcamone, en écartant aussi
tant qu'il y voit précisément une métaphore, seulement
une métaphore, une image finie laissant le fini et l'infini
des jupons.
séparés. Mais la langue, l'état historique d'une langue
étant conçu par Hegel de façon téléologique, comme le
devenir d'une sorte de gland; comme une préparation
dynamique à l'accomplissement du logos qui remplira la
bouche du chrétien, son incapacité même n'est qu'unè
enfance. La langue juive parle sans savoir encore parler, La scène de la Rose Mystique se découpe,
sans pouvoir développer pleinement le sperme du logos.
C'est l'enfance de la langue. comme le reste (d'un Rembrandt par exemple),
Elle consiste ici en une certaine espèce d'analyse: en regard d'une peinture sans qu'on sache jamais
dissocier, opposer, laisser les opposés s'entêter dans la (plus d'illustration, plus de légende, plus de marge,
réflexion, s'enfermer dans les limites de l'entendement,
sans comprendre l'unité vivante qui circule entre les plus de signature) si la galerie regarde le texte
termes, voilà l'enfance. Ce n'est pas, comme on le pense ou si je n'ai en face de moi rien d'autre qu'une
trop facilement, la confusion sensible et imaginative qui voix off décrivant ou éclairant, veilleuse invisible,
ne sait pas s'élever à l'intellect. L'enfance est ici l'état de
l'intellect (Vers/and), mais comme sous-développement un tableau. Tout cela s'entortille en tous cas au
de la raison (Vernunf/). Les Juifs ne comprennent pas la fond d'un berceau : « Quand nous fûmes en
métaphore de l'arbre, qu'ils prennent pour une simple chemise, nous nous enlaçâmes à nouveau. La
métaphore parce que leur langue et l,eur culture tient:
encore du gland. paillasse était tiède. Nous remontâmes sur nos
Les évangélistes contraints, restreints par les lois de têtes les couvertures de laine brune, et nous
la langue juive, se sont sentis à l'étroit. Ils ont dû figer, fûmes un moment immobiles, comme au fond
durcir, pétrifier des oppositions là où il fallait laisser
couler l'unité de la sève divine, de la vie infinie englou- de ces berceaux où les peintres byzantins enfer-
tissant ces oppositions. Ils devaient malgré eux parler la ment souvent les Vierges et les Jésus. Et quand
langue de l'enfance. notre plaisir fut pris deux fois, Divers m'embrassa
C'est le cas du texte de Jean. Hegel lui accorde un
intérêt tout particulier : « La pure vie est être (Sein). [... ] et s'endormit dans mes bras. Ce que j'avais redouté
Ce pur est la source (Quelle) de toute vie singularisée, se produisit : je restai seul. » C'est la fin.
de toute poussée et de tout acte. [... ] Dans la déterminité
où il apparaît, l'homme ne peut se réclamer que de son
origine (Ursprung), de la source (Quelle) d'où coule en
lui (ihm fliefl/) la figure de chaque vie limitée, il ne peut
se réclamer du tout qu'il est maintenant comme d'un
absolu; il doit en appeler au Très-Haut, au Père (an das
Hô'here, an den Va/er appellieren), l'immQdifié de toutes Alors commence l'élaboration du rêve d'Har-

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les modifications. Parce que le divin est pure vie, lorsqu'on camone. Comme les bourreaux, comme Notre-
prononce quelque chose à son sujet et quoi qu'on pro- Dame-des-Fleurs, comme toute fleur, Harcamone
nonce à son sujet, aucun opposé ne doit y être contenu;
et l'on doit éviter toutes les expressions de la réflexion est vierge. Et son rêve, à la veille de sa mort,
sur les rapports de l'objectif ou sur l'activité qui intérçsse répète le procès de Notre-Dame menacé par le
l'opération objective elle-même; car l'opération du divin « glaive » féminin de la justice. Il s'agit aussi
ne consiste qu'à unir les esprits; seul l'esprit saisit et inclut
en soi l'esprit - des expressions comme commander, d'un miracle : « Dans un hameau, le nom de la
enseigner, apprendre, voir, connaître, faire, vouloir, fleur que l'on appelle « reine des prés » fit demander
entrer (dans le Royaume céleste), aller, n'expriment que par une petite fille, qui songeait à Notre-Dame-
des relations d'objectivité [... ] On ne peut donc parler
du divin que dans l'inspiration (Begeisterung). [... ] Parmi des-Fleurs :
les évangélistes, c'est Jean qui parle le plus du divin et - Dis, maman, c'est une miraculée?
de la liaison (Verbindung) de Jésus avec lui; mais la culture « Il y eut d'autres miracles que je n'ai pas
juive, si pauvre en relations spirituelles, le contraignait
à se servir, pour dire le plus spirituel, de liaisons objectives, le temps de rapporter... »
d'une langue de l'effectivité (Wirk/ichkeitssprache) qui
sonne parfois plus dur que dans un style commercial où
l'on voudrait exprimer des sentiments. Le royaume du
ciel, entrer dans le royaume du ciel, je suis la porte, je
suis la véritable nourriture (rechte Speise) , qui mange de ma
chair, etc., (wer mein F/eisch ij3t usw.,) telles sont les liaisons
(Verbindungen) de la sèche effectivité dans lesquelles on
cointraint le spirituel à pénétrer (ist das Geistige hineinge-
zwangt). » ,
Jean est donc induit, astreint à forcer l'entrée de
la culture juive, à s'accommoder de sa forme, certes,
mais à lui faire violence pour y glisser, au risque de la Dans l'espacement de l'écriture, pendant le
blesser, le sémantème chrétien. Ce faisant peut~on dire procès du récit, les lignes verticales (cravate,
qu'il viola l'enfance?
Oui et non. La culture juive a bien quelque chose de pluie, glaive, canne ou éperon du parapluie)
l'enfance sous-développée. Mais elle est, cependant, assez coupent les lignes horizontales du journal ou
perverse pour avoir perdu le charme profond de l'enfance. du livre, des ailes ou des baleines du parapluie.
Elle n'a ni la maturité ni l'innocence. Elle n'a jamais été
formée, seulement déformée. Ni culture ni inculture, Le langage coupe, décolle, décapite. Les phrases
méculture ( Mij3bi/dung) . C'est un gland monstrueux : s'enroulent autour d'une direction comme des
« L'état de la culture juive, on ne peut l'appeler état lianes le long d'une colonne tronquée. La direction
d'enfance, ni sa langue une langue d'enfance non déve-
loppée; quelques accents (Laute) profonds de l'enfance -- à l'envers, il faut tout relire à l'envers ,- nous
y ont été conservés ou plutôt ,restaurés, mais pour le reconduit à un berceau : ce que je suis, c'est
reste ce mode d'expression lourd, contraint (gezwungene) toujours l'Immaculée Conception. « Ainsi, les jour-
est plutôt une conséquence de la si profonde déformation
culturelle ( Mij3bi/dung) de ce peuple, avec laquelle un naux furent inquiétants, comme s'ils n'eussent
être plus pur (ein reineres Wesen) doit combattre et dont été remplis que de colonnes de faits divers, colonnes
il souffre, quand il doit se présenter ( sich darstel/en) dans
sanglantes et mutilées comme des poteaux de
ses formes (Formen) , lesquelles lui sont indispensables
dès lors qu'il appartient lui-même à ce peuple. )} torture. Et bien qu'au procès que nous lirons
Où Jean a-t-il lieu? Qui a signé son texte? D'une demain, la presse n'ait accordé que très parci-
part, il est né du peuple juif, il est juif, il fait partie de ce monieusement dix lignes, assez espacées'Z~ pour
qui (<zu diesem Volke gehort )}. Il en subit les contraintes
culturelles et linguistiques, il est jormé comme Juif. C'est laisser l'air circuler entre les mots trop violents,
un Juif qui écrit, s'accusant dans sa langue. ces dix lignes, .__. plus hypnotiques que la braguette
Car simultanément il représente aussi le' (< reineres d'un pendu, que le mot « cravate de chanvre »,
Wesen )}, l'être plus pur qui fait effraction dans le monde
juif. Il doit (< combattre )} sa propre appartenance. que le mot « un joyeux », - ces dix lignes firent
Or il ne peut la combattre qu'en utilisant les armes battre tous les cœurs des vieilles femmes et des
qu'elle a mises à sa disposition. Il doit lui voler ses caté- enfants jaloux. Paris ne dormait pas_. Elle espérait
gories, ses valeurs, pour les annuler ou pour les retourner
contre leur pr:opre nature, contre leur essence congénitale. que, demain, Notre-Dame serait condamné à mort;
Ces catégories volées, sont-elles de langue ou de pensée? elle le désirait. »
Jean écrit en grec. L'Evangile sous-signé Jean est
d'un Juif grec. Comment les contraintes catégoriales juives
ont-elles pu ligaturer, vieillir d'avance l'écriture de la Le? Quoi? Qui? Ce que elle désire, c'est lui
bonne nouvelle? et qu'il soit condamné à mort. Elle le désire en
Au commencement était le logos. J'écris ici en fran~
çais la traduction d'un texte grec que son signataire appa-
tant que condamné à mort et le condamne à mort
rent, le transcrivant d'un souffle qui n'était ni grec ni en le désirant. D'un mot elle le fait désirable et
juif, devait continuer, dans une certaine mesure, à penser décollable.
dans la langue de son enfance tout en l'imprimant dans
l'étrangère.
lm Anjang war der .Logos, voilà ce qui intéresse Hegel.
Parmi les quatre Evangiles, celui dont il s'occupe le plus,
le plus philosophiquement, le plus dialectiquement, reste
à part. Le texte écrit original, le seul que nous possédions,
avec ses marques d'hellénisme (de philonisme ou d'hermé-
tisme) pose toute sorte de problèmes aux philologues Espaçons. L'art de ce texte, c'est l'air qu'il fait
et aux exégètes. Ces traits helléniques sont-ils accidentels,
prophétiques ou essentiels? circuler entre ses paravents. Les enchaînements
Ce problème de lecture ne peut se déployer que sur S~)11t invisibles, tout paraît improvisé ou juxtaposé.
une scène familiale. Il induit en agglutinant plutôt qu'en démontrant,
Ce qui intéresse Hegel, c'est que le plus grec des
Evangiles retient encore la révélation du logos dans la en accolant et en décollant plutôt qu'en exhibant
limite judaïque et pourtant commence déjà de l'en affran- la nécessité continue et analogique, enseignante,
chir. Le début de l'Evangile johannique se produit, certes, étouffante, d'une rhétorique discursive.
(< dans une langue plus propre )} (in eigentlicherer Sprache), à
la fois parce que plus tardive et parce que grecque. Mais
il reste encore ligoté dans la formalité analytique, intellec-
tualiste. Scissionniste. Il faut donc distinguer entre le
contenu essentiel du sens et l'apparence formelle à travers
laquelle on doit le viser. lm Anjang war der Logos n'a que
l'apparence d'une proposition thétique, d'un énoncé judi-
catif posant à la fois une existence et une relation copulée
de sujet à prédicat. Le sens vrai, l'ensemble Anjang- « L'audience [...] La salle n'est pas majestueuse,
.Logos -l'archéologie ou la logoarchie -la vie spirituelle mais elle est très haute, de sorte que les lignes
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et lumineuse qui le traverse et le rassemble, on ne doit verticales, comme des lignes de calme pluie, domi-
pas, on n'aurait pas dû l'analyser en plusieurs termes. nent. En entrant, on voit sur le mur un grand
On n'aurait pas dû diviser, juger (urteilen), distribuer en
sujet, prédicat, modes temporels modifiant la présence tableau avec une justice, qui est une femme, habillée
pure. C'est à la fois par naïveté et par réflexivité, les deux de grandes draperies rouges. Elle s'appuie de tout
complices, qu'on se sert de l'imparfait; par chosisme qü'on son poids sur un sabre appelé ici " glaive ", qui
dit du logos qu'il était en Dieu (war bei Cott), que Dieu
était le logos, qu'en lui était la vie. La grossièreté de ces ne plie pas. Au-dessous, se trouvent l'estrade et
énoncés tient à ce que la division, le rapport d'inhérence la table où les jurés et le Président, en hermine
aussi, introduit la finitude (comme si quelque chose et robe rouge, viendront s'asseoir pour juger
pouvait être en Dieu) et l'abstraction (comme si l'étant et
le vivant pouvaient être des prédicats universels). La l'enfant. Le Président s'appelle" M. le Président
division prédicative, la simple copulation judicative va Vase de Sainte·,Marie ". »
ici à contre-sens, elle est « widersinnig >). Si l'on met en
rapport le vrai sens et le jugement inadéquat, on a le
sentiment d'une contradiction : il faut annuler immédia-
tement ce qu'on pose, ce qui est en Dieu n'est pas en Dieu,
ce qui était n'était pas mais est encore, etc. Ce désordre,
cette contradiction (Widerspruch) sont seulement pour
l'entendement formel et fini; et pour celui qui se contente
de lire, ou plutôt qui lit mal parce qu'il se contente de lire, A cette table (le Miracle de la rose met aussi
parce qu'il n'anime pas l'objectivité de la langue morte.
Hegel tient compte du fait textuel mais aussi de la néces- en scène une « Sainte Table » avant la mise à
sité de le relever : si le lecteur reçoit passivement le mort d'Harcamone), le Président, qui, sous sa
texte évangélique, sans activité spirituelle, sans répétition robe rouge, est raide comme la justice (femme
vivante, il n'y verra que des contradictions formelles,
mais s'il sait lire au contraire, ne se contentant plus de lire, « habillée de grandes draperies rouges » appuyée
il en ira tout autrement. Tout dépend de l'esprit du lec- sur le glaive) et porte le nom de la Vierge, prend
teur : « c'est pourquoi cette langue toujours objective ne simultanément la place de Dieu et, comme Notre-
trouve son sens et son poids que dans l'esprit du lecteur».
Les variations, la diversité dépendent ici du degré de Dame, du treizième : « Les douze jurés sont
conscience du lecteur et de ce qu'il peut penser des douze braves hommes soudain souverains juges.
rapports vivants, comme de « l'opposition du vivant et Donc la salle, dès midi, s'était remplie. Une salle
du mort >).
Le théâtre familial organise cette théorie du jugement de festin. La table était mise. »
dont le schéma est déjà fixé pour tout l'avenir de la
logique hegelienne. Il est: dominé par les valeurs johanni-
ques de vie (zôè) et de lumière (phôs), c'est··à·,dire de
vérité. Il y a en effet deux manières de concevoir le logos
dans l'Evangile de Jean. Les deux sont insuffisantes et
unilatérales. Celle que Hegel qualifie de « plus objective >)
consiste à faire du logos quelque chose, une effectivité
individuelle; l'autre, la « subjectiviste >), détermine le On va boire et manger le pharmakos, mais
logos comme raison, universalité, être-pensé. Mais cette il est déjà clair que chaque figure occupe toutes
division représente le « principe juif >) de l'opposition les places à la fois, circule de l'une à l'autre, comme
entre la pensée et l'effectivité, la rationalité et le sensible,
la division de la vie, une relation de mort entre Dieu et tout à l'heure la cravate.
le monde. Telle opération scissionniste présuppose, comme Mais pour le voir il y faut un judas. « Notre-
son impensé ou son irréfléchi, cela même à quoi elle
donne la forme de la réflexion : l'un, l'unique (das Einige)
Dame danse, au bord d'un gouffre hérissé de baïon-
dans lequel aucun partage (Teilung) et donc aucun juge- nettes, une danse périlleuse [...1Le public ne vient
ment (Urteil) objectivant ne sauraient avoir lieu. Simulta- ici qu'autant qu'un mot peut provoquer une
nément il lui faut présupposer la possibilité de la division,
de la séparation infinie de l'un, donc l'uhité de l'unité
décollation et qu'il s'en retournera, tel saint Denis,
et de la séparation, de la .réalité et de la pensée, etc. Dieu portant sa tête coupée entre ses mains [...1Ici la
et le logos sont un. Mais différents en tant que Dieu est le mort n'est qu'une aile noire sans corps, une aile
contenu (Stoff) dans la forme (Form) du logos. Seul
l'entendement requiert une telle distinction et seul il peut
faite avec plusieurs coupons d'étamine noire sou-
donc les opposer. « Le logos est auprès de Dieu (bei Gott) , tenue par une mince carcasse en baleines de
ils sont un... tout est par le logos. » parapluie... »
Par le logos: la médiation du logos interrompt tout
émanatisme. Si l'effectivité était une émanation de Dieu,
elle serait de part en part et immédiatement divine. Hegel
exclut vigoureusement cette possibilité. Et pourtant,
ajoute-t-il aussitôt, en tant qu'effectivité, elle est une
« émanation », une partie, un morceau (Teil) du partage
(Teilung) infini. L'étamine, si vous étiez pressé de disposer
Cette apparente contradiction n'est pensable que par du coupon, pour le recoudre ailleurs, comme
la détermination familiale du concept d'émanation. L'éma-
nation n'est pas ici ce que son nom semble indiquer : la
chaque pièce d'étoffe ou chaque fleur du texte,
production continue coulant de source. Rapport de vivant vous la retrouveriez dans le Journal du voleur,
à vivant, elle se laisse travailler par la discontinuité, la sur le con d'une putain espagnole.
division, la négativité. La vie et la division vont ensemble,
et avec elles la vision, la déhiscence du vivant étant cela
même qui l'ouvre à la lumière et donc à la vérité (phôs,
alethéia).
Mais l'érection doit s'élaborer très lentement,
Hegel suit Jean à la lettre: « mais en tant qu'effectif, la coupure et la couture procèdent d'elles-mêmes,
l'effectif est émanation, partie du partage infini; mais en
même temps (zugleich) il est vie dans la partie (èv cxü-r<j> sans application visible. « ••• baleines de para-
se rapporte beaucoup mieux à où~è: ~v () yéyovev) ou dans pluie, un étendard de pirates, sans la hampe.
»).
ce qui partage à l'infini (èv cxô-réj> rapporté à "A6yoc, La Cette aile d'étamine flottait sur le Palais que vous
vie est donc à la fois la partie et le partage, le morceau et
le tout, sa propre différence, sa propre opposition à soi. ne confondrez jamais avec aucun autre, car c'est
Chaque partie vivante est le tout. La vie est cette étrange le Palais de Justice. »
division qui produit des touts.
Ici survient de nouveau la « métaphore » de l'arbre
comme métaphore familiale : arbre généalogique en un
sens radical.
L'individuel, le singulier, le limité, en tant qu'il
s'oppose à l'unité originaire du vivant, en tant que mort,
est donc un morceau de vie, une branche dans l'arbre de
Si vous déplaciez la langue, en effet, le palais
vie. Branche se dit Zweig. Comme le deux, le rameau se ne serait: plus le même.
produit de la division, ce mort (Totes) est en même temps « Elle/aile d'étamine/l'enve1oppait clans ses
(zugleich) « une branche de l'arbre infini de la vie (ein
Zweig des unendlichen Lebensbaumes). Chaque partie, en
plis et, dans, la salle, elle avait détaché pour La
dehors de laquelle est le tout, est en même temps (zugleich) représenter une cravate de crêpe de Chine vert.
un tout, une vie ». L'incompréhensible, ce que l'entende- Sur la table du Président, la cravate était la seule
ment n'entend pas, ce à quoi le Juif est sourd, c'est. ce
zugleich, le simul structural du tout et du morceau vivants. pièce à conviction. La Mort, visible ici, était une
Réfléchie et divisée, considérée du point de vue du cravate, et j'aime qu'il en soit ainsi: c'était une
partage (Teilung) qui à la fois divise et rend possible Mort légère. »
l'objet d'un jugement (Urteil), la vie est à la fois sujet
et prédicat, synthèse de l'existence et de l'universalité
pensée: à la fois vie (~<il~) et vie pensée, saisie (auJgeJajJtes),
lumière (<p(;)~), vérité (Wahrheit). La vie est la vie, la vie
est la lumière, la vie est la vérité.
Il est trop tôt pour considérer l'étamine.

Hegel traduit Jean en allemand mais aussi, suivant Mais aile, la Mort qui flotte sur le Palais est
une loi dialectique, dans un syllogisme familial. La venue représentée par une cravate. « Elle avait détaché
nouvelle de la lumière dans le monde, la venue de la vie
dans la lumière de la vérité suit un procès tel que la pour La représenter une cravate ... » Un tissu est
reconnaissance, la prise de conscience d'une révélation qui représenté par un tissu. La cravate qui se passe
est déjà là, la mise en lumière de la lumière, la vérité de autour du cou est l'arme du crime et elle deviendra
la lumière dans la lumière de la vérité, la vérité de la
vérité revient à reconnaître Dieu et à se reconnaître (sich dans un instant, entre les mains de Dieu, de la
erkennen) comme les enfants de Dieu (aIs Kinder çottes). Vierge Marie, des Apôtres, de Judas, ce qu'elle
Ce procès est un procès de réappropriation familiale. li aura toujours été entre les mains de Notre-Dame,
s'agit de reconnaître ce qui revient au père.
La lumière est dans le monde, dans la beauté ordonnée le Christ, le Christ lui-même, un phallus. C'est
du kosmos. « Bien que Jean lui-même ne fût pas la lumière », trop évident et il ne faudrait pas y insister. Aussi
la lumière était, en tout homme qui entre dans le monde n'est-ce point ce qui nous intéresse dans cette
des hommes, équivalente. Le kosmos, notion plus étroite
que celle de panta, désigne la totalité des rapports humains. représentation d'un texte par un texte. Ce qui nous
La lumière ne survient pas au kosmos, le kosmos est dans intéresse, c'est que le textile qui représente tou-
la lumière en tant qu'il est humain et qu'il est l'œuvre de jours ne représente jamais rien. Et nous aimons
l'anthropou phôtos ou de l'anthropos phôtizomenos. La lumière
de la vérité ne s'épanouit jamais et rien ne s'épanouit qu'il en soit ainsi : le simulacre du représenté,
en elle _. avant l'anthrope. Or il y a dans l'homme quelque c'est la légèreté de la Mort. Il n'y a que des repré-
chose d'avant l'homme, et: dans sa lumière quelque chose sentants. La Mort n'est rien. Mais ses représentants
qui se refuse à la lumière. L'homme a commencé par
se fermer à ce qui lui était pourtant le plus propre encore moins que rien. Et pourtant tout est écrit
et le plus proche (sein Bigenste (r~tov))) le plus appa- pour la Mort, depuis la Mort, à l'adresse des
renté. li a traité son propre comme un étranger (ais Morts. J'écris pour les morts, dit-il partout. Lisez
Jremd). La lumière propre étant aussi la lumière de la vie,
c'est se retrancher de la vie que de ne pas la recevoir. Ceux les Lettres à Roger Blin, l'Atelier d'Alberto Giaco-
qui la reçoivent en revanche, ceux qui s'y reconnaissent metti, lisez tout. Mais il précise : pour des morts
comme chez eux, se donnent une puissance (Macht) qui qui n'ont jamais été vivants. te glas n'est de
n'est pas une force nouvelle (neue Kraft) mais un degté
(Grad) de plus dans l'égalité ou l'inégalité (Gleichheit
personne. Personne. Il n'annonce ni ne rappelle
oder Ungleichheit) de la vie. rien. Il sonne à peine, résonne plus tôt, avant
Ce faisant, ils ne deviennent pas autres, « mais ils d'avoir jamais touché la matière d'aucun signe.
reconnaissent Dieu et se reconnaissent comme les ehfants
de Dieu, plus faibles que lui, mais de même nature (von
Ça résonne. Pourquoi appeler ça mort? Parce
gleicher Natur) dans la mesure où ils prennent conscience que ça a déjà eu lieu. déjà. La mort a déjà eu lieu, avant
de cette relation (Beziehung (I)vop.rt)) de l' cXVOp6l1tOU comme Il faut déchiffrer tout. Comment déchiffrer cette étran-
cpCù't'~~Cùp.Évou cpCù't'L &À"I)O~véi> ne trouvant leur essence ge antériorité d'un déjà qui vous met
(Wesen) en rien d'étranger, mais en Dieu. » cet étrange déjà. toujours un cadavr'e sur les bras?
Ce que Hegel traduit par relation, rapport, c'est le Ce qui se fait Vous avez remarqué qu'il est tou-
nom. Ce que l'homme découvre de plus propre en lui, jours en train de vous fourguer
représenter (aile, la son cadavre. Il veut que vous ne
dans son nom propre, dans sa relation la plus appropriante,
c'est Dieu et Dieu comme son père. La vérité vient donc mort flottante) n'est puissiez jamais vous défaire du corps
au monde, ou plutôt se révèle comme la structure du très raide que sa littérature, sa pompe
rien, mais comme un funèbre, aura bandé pour vous. Com-
kosmos dans la nomination du rapport filial. Le nom, la passé qui n'a jamais ment séduire, comment se faire aimer
relation, l'esprit (Hegel traduit parfois onoma par esprit) sans vous dire je suis mort? Non pas
est la structure de ce qui revient au père. été présent, jamais seulement, ce qui n'aurait qu'un
Cette nomination n'est pas un événement. Pas eu lieu. La mort nous effet relatif et provisoire, «attention
simplement. C'est un événement dans la mesure où il est je vais mourir », «je suis mortel »,
nouveau, l'absolument nouveau. Mais ce nouveau n'éclaire
ne l'attendons, ne la
mais « je suis déjà mort », avant
que la lumière, il met le jour au jour. désirons que comme même de vivre. Qui fait mieux? Qui
Le signe que cette nomination de la vérité comme un passé que nous- dit mieux? Et si, comme je l'ai démon-
filiation n'est pas absolument nouvelle, qu'elle répète tré ailleurs, (La voix et le phénomène,
d{jà, et que toujours l'esprit répète, c'est le signe. Ce
n'avons pas encore Glas in phenomen dans sa traduction
signe - de la nouveauté comme répétition - est un signe vécu, que nous avons slovène), je suis et je suis mort sont
deux énoncés indiscernables dans
linguistique. Le syntagme familial ou filial n'a pas surgi oublié mais d'un leur sens, le déjà que je suis sonne
avec la bonne nouvelle. Comme par hasard, par contin-
oubli qui n'est pas son propre glas, signe lui-même son
gence, zufallig, dit-il, la langue juive en disposait. C'était
une de ces rares expressions naturellement heureuses qui
.
venu recouvrtr une arrêt de mort, vous regarde d'avance,
vous voit avancer sans rien compren-
attendaient leur fécondation, leur remplissement vrai, expérience, d'une dr'e à ce que vous aurez aimé, suivant,
leur référence pleine. en colonne, la marche funèbre d'une
mémoire plus ample,
érection dont tout le monde entendra
plus capable et plus désormais disposer.
vieille que toute Traduction plus ou moins argotique
du cogito : «Je suis donc mort. »
perception. C'est Cela peut seulement s'écrire. Après
pourquoi il n'y a ici avoir évoqué les amis, « de nouveaux
amis et d'anciens, de ceux pour' qui je
Jean n'y est pas pour. rien. Il a introduit la référence que des traces, des suis «Jeannot les Belles Cravates »,
concrète, individuelle, existentielle dans le discours de la
vérité. « Il n'a pas seulement témoigné pour cpé;)~ 01. 7) traces de traces sans il est écrit : «Je suis donc mort. Je
suis un mort qui voit son squelette
mais aussi pour l'individu 01. 15)' » C'est ainsi que la tracé, ou Si vous dans son miroir, ou un personnage
relation générique a remplacé le discours sur l'homme en voulez des tracés de rêve qui sait qu'il ne vit que dans
général et la vérité en général. « L'expression la plus la région la plus obscure d'un être
fréquente et la plus caractérisante (bezeichnendste) du qui ne traquent et ne dont il ignorera le visage, éveillé. »
rapport de Jésus à Dieu est celle par laquelle il se nomme retracent que d'au-
fils de Dieu pour s'opposer au fils de l'homme. - La tres textes, aile/cravate encore, hymen et paravent
caractérisation (Bezeichnung) de ce rapport est l'un des
rares vocables naturels (Naturlaute) qui soit resté par
qu'on crève à la fin « pour rien ». Ce n'était que
hasard (zufallig übriggeblieben war) dans la langu~ juive cela et ils font tant d'histoires. La Mère crève la
d'alors et fasse ainsi partie de ses expressions heureuses dernière. Il y a là toute une « théorie » de l'évé-
(glücklichen Ausdrücke). »
nement - par théorie j'entends bien sûr théâtre
Ce propos appartient à tout le système hegelien
du bonheur d'expression dans les effets de langue natu- - qui se coud des mêmes fils, toute une théorie
rellement spéculatifs. de l'immémorial aussi. Mais la théorie - toujours
Pourquoi le Juif ne comprend-il pas, en somme, ce aveugle à ce point- nous séduit moins que l'évé-
qu'il dit, ce ql,le sa langue dit d'avance à sa place? Plus
précisément, pourquoi ne dit-il pas ce qu'il peut dire? nement qui se défile, dans l'atelier, dans le texte,
A la lettre, on ne peut soutenir que le Juif ne com- sur la scène. Cette autre logique de l'événement
prend pas, ne saisit pas ce qu'il dit. Au contraire, il
conçoit ce qu'il profère, ce que sa langue lui met à la
et du temps, vous la trouveriez énoncée dans sa
bouche. C'est là sa limite: il conçoit. Il en reste à l'ordre lettre (à Roger Blin), encore que le signataire
du concept. Or le rapport du père au fils est inconcevable, n'ait « pas le temps de vous en dire plus long »,
du moins en termes de généralités universelles, de « pen-
sées ». L'unité du fils et du père n'est pas conceptuelle
ou ailleurs, partout ailleurs. Par exemple dans
car toute unité conceptuelle vit d'opposition, elle est L'atelier: « Je comprends mal ce qu'en art on
finie. Or la vie est infinie. Si le rapport vivant du père nomme un novateur. Par les générations futurds
au fils est la vie comme unité non conceptuelle, toute
unité conceptuelle le suppose, implique ce non-concept
une œuvre devrait être comprise? Mais pourquoi?
comme production du concept, conception non concep- Et cela signifierait quoi? Qu'elles pourraient l'uti-
tuelle du concept. La conception vivante est le rapport liser? A quoi? Je ne vois pas. Mais je vois bien
du père au fils. Elle forme une contradiction dans la
logique de l'entendement, ici du Juif, qui ne peut la maî-
mieux _. encore que très obscurément -- que
triser - précisément parce qu'il entend maîtriser. On ne toute œuvre d'art, si elle veut atteindre aux plus
maîtrise que la vie finie - ou la mort. grandioses proportions, doit, avec une patience,
« Le rapport d'un fils au père n'est pas une unité,
un concept, comme par exemple une unité, un accord une application infinies depuis les moments de
des convictions, une égalité des principes et autres choses son élaboration, descendre les millénaires, rejoindre
semblables, une unité qui serait seulement quelque chose s'il se peut l'immémoriale nuit peuplée de morts
de pensé et abstrait du vivant, mais le rapport vivant
entre des vivants, l'égalité de la vie (gleiches Leben); qui vont se reconnaître dans cette œuvre.
seulement des modifications de la même vie, non pas « Non, non, l'œuvre d'art n'est pas destinée
l'opposition de l'essence, mais une pluralité de substan- aux générations d'enfants. Elle est offerte à l'innom-
tialités absolues; le fils de Dieu est donc le même être
(Wesen) que le père... ». brable peuple des morts. Qui l'agréent. Ou la
Cette unité ne peut s'énoncer dans la logique analy.,. refusent. Mais ces morts dont je parlais n'ont
tique et finie de l'entendement. Dans le jugement quasi jamais été vivants. Ou je l'oublie. »
inconcevable «le fils est le père », « le père est le fils », il n'y
a ni tautologie formelle ni hétérologie empirique. Cette
synthèse a priori infinie est la condition de tous les juge- Je ne vois pas. Mais je vois bien mieux ._-
ments synthétiques a priori.
Dès lors qu'elle ne peut s'énoncer dans la langue encore que très obscurément... Tout L'atelier décrit
abstraite de l'entendement, elle requiert une sorte de le point de vue d'Œdipe.

93
métaphoricité. Au-delà du concept, cette métaphoricité Pour qui écrit-on, qui agrée ou refuse? Pour
livre aussi la condition de possibilité de tout concept qui ce don qui ne devient jamais présent?
déterminé.
La métaphore reste encore naturelle, physique,
d'apparence végétale.
sur la même page, l'exemple de l'Arabe: Encore l'arbre, un arbre
un fils de la tribu Korech, chèz les Arabes, à trois branches : « C'est
est la tribu tout entière. D'où la forme de
guerre que se font les peuples « naturels seulement pour les ob-
et indivis » (natürlichen ungeteilten Volke) : jets, pour le mort .qu'il L'atelier et le reste. Il décrit le point de vue
les individus n'y comptent pas, on les y a quelque sens à dire
massacre avec la plus grande cruauté. En d'Œdipe, en parcourt la surface d'aveuglement
Europe au contraire - et cette fois, Hegel que le tout est autre que
semble y voir une déchéance - l'individu les parties; dans le vi- depuis la pointe d'un style dont vous ne saurez
n'a pas de lien (Band) organique avec le tout, vant au contraire, la
seulement un lien de pensée abstraite. La jamais s'il appartient ou non à la surface décrite.
guerre est alors un rapport entre les partie est la même chose Elle y touche certes. Mais il faut savoir lire ce
totalités étatiques., « Comme dans tout que le tout et fait un
peuple véritablement libre (wie bei jedem avec lui; si des objets point de contact.
echt freien Volk) , chez les Arabes, chacun
est une partie, mais en même temps le tout particulie.rs [séparés,
(ein Teil, aber zugleich dos Gonze). » coupés, besondere]
comme substances,
sont néanmoins, en même temps ( zugleich) , saisis en-
semble comme individus (numériquement), chacun avec
sa propriété, leur ensemble, l'unité, est seulement un
Cela n'est pas seulement vra1 de L'atelier
concept, et non pas une essence (Wesen), un étant (Seien- dans lequel nous sommes et vers lequel nous
des) ; mais les vivants sont essences en tant que séparés reviendrons (il est précisément contemporain de
( Abgesonderte) , et leur unité est aussi bien une essence. Ce l' « événement » raconté dans « ce qui est resté ... »),
qui dans le royaume du mort (lm Reich des Toten) est
une contradiction (Widerspruch) ne l'est pas, dans le mais de tout le reste : qui toujours s'écrit non
royaume de la vie. Un arbre qui a trois branches constitue pas dans l'Œdipe, mais en Œdipe, comme une
avec elles un seul arbre (einen Baum); mais chaque fils de
l'arbre, chaque branche (de même que ses autres. enfants,
musique est composée en, un livre écrit en -
feuilles et fleurs) est lui-même un arbre; les fibres qui telles ou telles lettres. Plus précisément, puisque
conduisent la sève du tronc à la branche sont de même les syncatégorèmes assument l'importance, tout
nature (gleichen .Natur) que les racines; un arbre retourné
et fiché en terre poussera des feuilles à partir des racines
le reste est écrit sur Œdipe, monté sur Œdipe,
déployées en l'air, et les rameaux (Zweige) s'enracineront comme sur une monture, un chevalet, un socle ou
dans la terre, et il est aussi vrai de dire qu'il y a là un seul une bague. Une dalle. Et celui qui monte, enten-
arbre, que de dire qu'ils sont trois. )}
dez le rire de l'avant-garde et des novateurs,
sait bien que cette opération cavalière du peintre,
du sculpteur ou de l'orfèvre, n'est pas plus pour
La possibilité du retournement, de l'érection à l'en- Œdipe que contre Œdipe, dans lui que hors de
vers, est inscrite dans le cycle de la stance familiale. Le fils lui. Et si c'était quelque chose, l'événement œdi-
n'est le fils qu'à pouvoir devenir père, à pouvoir suppléer pien, ce serait ce qui lui donne ici la force de
ou relever le père, à occuper sa place en devenant le père
du père, c'est-à-dire du fils du fils. Un père est toujours monter Œdipe, de se foutre de vous, de vous
son grand-père et un fils son propre petit-fils. désarçonner quand vous voulez interpréter, juger,

94
Le mouvement de l'érection à l'envers décrit la décider. Vous êtes encore dans le Palais. Dans
structure de la conception non conceptuelle du concept.
la langue maternelle.

Cette « métaphore >) se marque deux fois et elle occupe


simultanément deux lieux. Par sa teneur sémantique, "elle
se tient, comme la vie, au-delà du concept, entendez du Vous avez toujours la cravate dans les mains
concept mort, de l'analyse finie de l'entendement, de la et vous ne savez trop qu'en faire.
détermination objectivante. Mais cette vie n'est pas
celle que désigne le « véhicule >) métaphorique; la vie de
l'esprit est nommée à travers la vie naturelle où elle
végète. Mais entre les deux vies, l'analogie rend possible L'autre paragraphe : Notre-Dame entre dans
la métaphore. Entre les deux, il yale concept et la mort. la salle d'audience. « Néanmoins, j'oserai dire que
Cette double marque se retrouve à travers toute l'histoire
et tout le système, elle décrit même la structure du tout de tous les yeux purent lire, gravés dans l'aura de
la vie, l'organisation vivante du système hegelien. Notre-·Dame-,des-Fleurs, ces mots: " Je suis l'Im-
Un indice, entre beaucoup d'autres, mais à cette maculée Conception. " »
place privilégiée qu'est la fin de la grande Logique. Dans
la dernière Section de la Logique subjective (L'Idée),
la vie s'inscrit à la fois comme un syllogisme et comme le
moment d'un syllogisme. Le premier des trois chapitres Qui aura la cravate?
sur l'Idée traite précisément de la vie. La première
détermination de l'Idée est la vie, la seconde, la connais-
sance et le vouloir (idée du vrai et du bien), la troisième,
l'Idée absolue dans laquelle l'esprit se reconnaît en sa
« vérité absolue >), infinie, en soi et pour soi. Dans ce
Notre-Dame, vierge né d'une vierge, qui
syllogisme de l'Idée, la vie apparaît d'abord comme une s'annonce lui-même- c'est un archange - et
détermination naturelle et immédiate: l'esprit hors de soi, qui nous dit en somme « je me conçois sans
perdu dans la naturalité, vie naturelle qui constitue elle
même un « plus petit >) syllogisme. L'Idée immédiate a la
père, je nais de moi-même ou de l'opération du
forme de la vie. Mais l'Idée absolue en sa vérité infinie Saint-Esprit », je suis' mon père, ma mère, mon
est encore déterminée comme Vie, la vraie vie, la vie ,fils et moi, Notre-Dame a tué. Avec une verge.
absolue, la vie sans mort, la vie impérissable, la
vie de la vérité. Il a mis une cravate en jeu, mais cette cravate,
il ne la possédait même pas à l'origine. Et per-
sonne n'en veut, personne ne peut même la
Entre les deux vies, comme leur trait d'union, leur
contrat ou leur contraction, la mort. Mais aussi l'espace garder.
de jeu métaphorique et l'analogie qui nous intéresse ici Mot à mot : « L'ai-je dit? Le public était
au titre de la filiation. surtout composé d'hommes; mais tous ces hommes,
vêtus de sombre, avec des parapluies aux bras
La « vie >) a-t-elle ici ou là son sens propre? On n'a ou des journaux dans les poches, étaient plus fris-
pas à choisir. La vie n'a pas ici ou là son propre, elle se sonnants qu'une charmille de glycine, que le rideau
produit comme le cercle de sa réappropriation, le retour à
soi avant lequel il n'y a pas de soi propre. Rien ne précède de dentelle d'un berceau. C'est Notre-Dame-des-
le retour. « L'Idée absolue en tant qu'elle est le concept Fleurs qui était cause que... »

95
rationnel qui ne s'assemble qu'à lui-même dans sa réalité, Je n'ai pas le droit d'opérer ainsi, sélectionnons
est d'une part, en raison de cette immédiateté de son
identité objective, le retour à la vie (die Riickkehr zum cependant, sectionnons dans les deux pages qui
Leben), mais elle a également relevé (aujgehoben) cette suivent pour joindre la cravate qui traîne (<< •••
forme de son immédiateté et elle a son plus haut contraire polichinelle... la gloire... la fente adorable... mille
en elle. » L'Idée, vie immédiate et naturelle, se relève,
supprime et conserve, meurt en s'élevant à la vie spiri- précurseurs de Notre-Dame, ange annonciateur
tuelle. La vie se développe donc dans la contradiction de cette vierge,
et la négativité, la métaphore entre les deux vies n'est
« Notre-Dame, ange annonciateur de cette
que ce mouvement de la négativité relevante. « Le concept vierge » : Notre-Dame n'est donc pas seulement
n'est pas seulement âme (Seele), concept libre et subjectif un autre nom de la Vierge Marie, du Président,
qui est pour soi et possède de ce fait la personnalité, - le du Christ et de toute la Sainte Famille, il est aussi
concept objectif, pratiquç, en et pour soi déterminé qui l'ange annonciateur de la vierge, comme un autre
en tant que personne est une subjectivité impénétrable, prénom de la mère.
atomique, mais qui, en même temps, n'est pas une indi- Dans Notre-Dame-des-Fleurs, Divine aime Gabriel,
vidualité exclusive de toutes les autres mais pour soi surnommé l'Archange. Pour ('amener à l'amour,
une universalité et une connaissance, et elle met un peu de son urine dans ce qu'elle lui
(( in seinem Anderen ». donne à boire ou à manger. C'est ainsi qu'on s'atta-
Le « son autre » est a dans son autre sa propre objectivité
le syntagme même comme objet (seine eigeneObjektivitat che les chiens, avait-elle entendu dire. Elle l'attire
du propre hegelien, zum Gegenstande). Tout le reste est dans son grenier, y ménage une atmosphère funèbre
il constitue la négati- (ténèbre, encens, glas) : « ... qu'un jour elle fît
vité au service du erreur, trouble, opinion (Meinung), ten-
venir Gabriel là-haut. Les rideaux étant tirés, il se
sens propre. Quand dance, arbitraire et passage (Vergang-
trouve dans une ténèbre d'autant plus massive qu'y
la vie devient pour lichkeit),. seule l'Idée absolue est être
soi son propre objet, moisissait depuis des années, comme un parfum
"objectivité de la (Sein), vie qui ne passe pas (unvergang- d'encens glacé, l'essence subtile des pets éclos là. »
vie naturelle meurt liches Leben), vérité se connaissant, et Quand il la pénètre, Gabriel donne « à sa verge
et se met « en face» elle est toute vérité. » un frémissement comparable à celui d'un cheval
de l'Idée, comme une
chose particulière, au Même mouvement dans 1'Encyclo- qui s'indigne ». Il est vrai qu'en la pénétrant, à
sujet de laquelle on pédie, à la fin, quant au Sa. Le troisième supposer qu'il porte quelque part le même prénom
peut parler. En vérité, terme revenant à l'immédiateté, ce que cette putain de mère, il ne fait que retrouver
c'est la vie qui parle sa forme et son lieu. Divine lui avait dit: «Je t'aime
toujours d'elle-même, retour à la simplicité s'opérant par la
comme si tu étais dans mon ventre » ou encore :
de sa vie et de sa relève de la différence et de la médiation,
« Tu n'es pas mon ami, tu es moi-même. Mon cœur
~ort, encore de sa la vie naturelle occupe à la fois la fin
ou mon sexe. Une branche de moi.
vie et le début. Dans leur sens ontologique, « Et Gabriel, ému, mais souriant de fierté :
les métaphores sont toujours de la vie, elles rythment - Oh! macarelle. »
l'égalité imperturbable de la vie, de l'être, de la vérité,
de la filiation : physis. un jeune garçon blond «< Des
Le système hegelien commande donc qu'on le lise
comme un livre de la vie. Les catégories de lecture doivent filles blondes comme des garçons ... » Je ne me
d'abord s'y plier. Parler de plusieurs états de la pensée lasserai pas de cette phrase, décidément, qui a
hegelienne, d'un Hegel de jeunesse ou d'un Hegel achevé, la séduction de l'expression : « Un garde-fran-
c'est à la fois hegelien et anti-hegelien. Ainsi le livre
de Bourgeois sur Hegel à Francfort applique à son sujet çaise ») que j'observais dans les ensembles de
les catégories les plus préformationnistes de Hegel. li gymnastique. Il dépendait des figures qu'il servait
oppose, certes, l' « avènement du hegelianisme de la à tracer, et par cela n'était qu'un signe. ... en
maturité » au « hegelianisme naissant » mais précise que
celui-ci « s'engage sur la voie du hegelianisme proprement terre... nonne écartant sdn voile ... poème (ou
dit, dont il formulera à Iéna l'intuition géniale en écrivant fable) qui naquit de lui (miracle renouvelé d'Anne
qu'il faut concevoir l'absolu comme « identité de l'iden- de Boleyn : du sang fumant, jaillit un buisson
tité et de la non-identité ». On y voit
avant Iéna, le System-
Hegel « anticipant les thèmes futurs », de roses, péut-être blanches, mais sûrement par-
fragment (1800) re-
prend l'essentiel des « la philosophie du concept; c"est-à- fumées), on fit le tri, pour déblayer la vérité
thèses sur le christia- dire du hegelianisme », du « hegelia-
nisme : « Das Leben
éparse sous les marbres .... D'un coup de couteau,
nisme même », le « hegelianisme »,
sei die Verbindung der
titre du troisième chapitre du livre il lui avait crevé l'œil... Sur la table, la petite
Verbindung und der
Nichtverbindung », étant présenté comme la conclusion Mort souple était inerte et paraissait bien morte....
soit la copule ou le d'un syllogisme dont « le judaïsme » et
ligament du ligament La cour entra par une porte dérobée, découpée
et du non-ligament en « le christianisme » (les deux autres
lesquels la vie du titres) seraient les deux premiers termes.
dans la tapisserie du mur, derrière la table, des
même coup se bande « Premier hegelianisme », « hegelianisme jurés ... comme le jour des Rameaux, le clergé,
et débande. Or, la vie
est l'être naissant », « hegelianisme de la matu- qui d'habitude sort de la sacristie par une porte
rité », « hegelianisme achevé », « philo-
sophie hegelienne proprement dite », « Hegel devenu plei- pratiquée sur l'un des côtés du chœur, surprend
nement adulte comme philosophe spéculatif », réalisant les fidèles en apparaissant dans leur dos [les pièces
ce à quoi il « aspire depuis son adolescence », etc., toutes ouvrent ainsi - de
ces catégories reflètent, doublent le discours téléo-
logique de Hegel. Il est normal, la vérité du hegelianisme dos et: dans le texte tout est toujours attaqué de dos,
écrit, décrit par derrière. A tergo.
ne se concevant qu'en fin de parcours, que la narration ,- sur leur structure, Je suis déjà (mort) signifie que je suis
philosophique se produise au futur. Le livre de Bourgeois presque toujours, derrière. Absolument derrière, le
dit tout le temps: Hegel pensera, Hegel devr'a, Hegel en Derrière qui n'aura jamais été vu de
viendra à, etc. Francfort n'est que l'à-venir du système voir l'attaque des face, le Déjà que rien n'aura précédé,
achevé. Il est normal aussi que la lecture logique soit bonnes] N otre-- qui s'est donc conçu et enfanté lui-
constamment accompagnée d'un récit biographique (le même, mais com'me cadavre ou corps
Dame ressentit que glorieux. Etre derrière, c'est être
jeune Hegel, l'adulte Hegel, etc.).
Rien de plus hegelien. Mais rien de moins hegelien : toute la séance serait avant tout - en rupture de symétrie.
en distinguant le vieux du jeune, on se dissimule parfois les truquée et qu'à la fin Je me retranche - derrière - je
saigne au bas de mon texte. «L'auteur
chaînes systématiques des « premiers » textes; et surtout de la soirée il aurait d'un beau poème est toujours mort. »
on applique une analyse dissociatrice et formelle, le point
de vue de l'entendement dans une narration qui risque la tête coupée au (Miraç/e de la rose.)
En même temps, à me retrancher, à
de manquer l'unité vivante du discours; comment dis- moyen d'un jeu de soustraire ma présence, à mourir,
tinguer philosophiquement un avant d'un après si la glaces... M. Vase de j'échappe d'avance aux coups. Le
circularité du mouvement fait du commencement la fin Derrière et le Déjà me protègent,
de la fin? Et réciproquement? L'arbre hegelien se Sainte-Marie portait me rendent illisible, m'abritent au
retourne aussi, le vieux Hegel n'est le père du jeune un monocle... ») verso du texte. Je ne suis accessible,
Hegel que pour avoir été son fils, son arrière-petit-fils. lisible, visible que dans un rétrovi-
Ily a donc la cra- seur. Toutes les fleurs de rhétorique
Le risque, c'est donc la lecture juive.
Que font les Juifs de Hegel? Que font-ils quand ils vate sur la Cène. Ce- dans lesquelles je disperse ma signa-
ture, dans lesquelles je m'apostrophe
entendent dire que le fils est un avec le père? quand on pendant qui l'a. et m'apotrope, lisez-les aussi comme
leur présente l'unité d'essence (Wc scncinhcit) du père et
« Le Président des formes de refoulement. Il s'agit
du fils? Ou encore l'érection à l'envers? de repousser. la pire menace et pour
Ils comptent, ils font des comptes. Et ils crient au avait cette cravate cela, d'avance, de soi-même, se retran-
scandale. Comment Jésus peut-il s'identifier à Dieu, molle entre les doigts, cher: le genêt est alors une sorte de
s'égaler à lui et croire cela possible en le nommant son
père? Ils comprennent cette unité en termes d'égalité une cravate comme reseda morbos, une incantation de l'un
pour se cacher derrière l'autre, s'en-
numérique, ce que Hegel ne cesse de dénoncer, même un ectoplasme, une fermer dans son enceinte.

97
quand il s'agit de la Trinité. Dès lors la relation père/fils En silence tombé dans.la prison de
cravate qu'il fallait l'autre.
leur devient impossible, impensable. Ils considèrent la
nomination familiale du rapport de Dieu aux hommes ou regarder pendant « Et moi, n'ayant comme aspérité
à Jésus comme des images (Bildc), au sens le plus exté- qu'il en était temps visible et préhensible par où l'invi-
sible se laisse empoigner, que ce nom
rieur, des manières de dire ou d'imaginer. Ils disqualifient encore, car elle pour- de Divers, je le déformai pour le faire
ainsi ce que l'avènement du christianisme peut comporter
d'essentiel dans l'histoire de l'esprit. Comprenant la rela- rait disparaître d'un entrer dans le mien, mêlant les lettres
de l'un et de l'autr'e. La prison, et la
tion père/fils à la fois comme purement conceptuelle et moment à l'autre ou Centrale surtout, est un endroit qui
comme purement imaginative, ils en manquent le schème bander roide dans la allège et alourdit à la fois. Tout ce
et se trompent doublement. « •••Jésus invoque toujours, qui touche à elle, les gens et les cho·,
en particulier chez Jean, son unité (Einigkcit) avec Dieu main sèche du ;Pré- ses, a le poids du plomb et l'écœurante
qui a donné à son fils d'avoir la vie en soi-même, comme si dent, qui sentit que, légèreté du liège" Tout est pesant
le Père a la vie en lui-même; que lui et le père sont un, parce que tout semble s'enfoncer
si son érection ou dans un élément opaque, aux mouve-
qu'il est Brod, descendu du ciel, etc. : expressions durcies
( Cl"XÀ'Ylpot Myot) qui ne deviennent pas plus douces sa disparition s'ac- ments très lents. On est « tombé »
parce que trop lourds. L'horreur
( mildcr) quand on les déclare [ou explique : crklart] complissait, il se d'être retranché des vivants nous
comme des images (jür bildlichc) et qu'on glisse derrière couvrirait de ridicule. précipite - mot qui appelle précipice
elles des unités conceptuelles, au lieu de les prendre selon
l'esprit comme vie; assurément dès qu'on oppose l'imagé Il se hâta donc de (à remarquer la quantité de mots rela-
tifs à la prison, évoquant la chute,
(Bildlichcm) aux concepts de l'entendement et qu'on passer l'arme du chute lui-même, etc.). »
accepte la domination de ces derniers, on doit écarter cnme au premier
toute image comme un pur jeu (Spicl), comme un acces-
soire (Bciwcscn) de l'imagination (Einbildungskraft) sans juré, qui la remit à son VOiS1U, et ainsi de
vérité, et à la place de la vie de l'image il ne reste plus que suite, sans que personne osât s'attarder à la
l'objectif. >} re~onnaître, car il semblait risquer le jeu de se
Le Juif s'en tient à cet objectivisme qui, incapable de
sortir de l'entendement ou de l'imagination dans leur voir sous ses propres yeux transformé en dan-
clôture finie, reste aussi un subjectivisme. Enfermé dans seuse espagnole. »
cette double unilatéralité non dialectique, il n'accède ni
au divin ni au sens spirituel de la filiation. C'est que
l'esprit n'a pas encore parlé en lui. Il n'est pas devenu
adulte en lui. Au fond le Juif a beau être une sorte de
bourreau, c'est aussi un enfant. Et ce qui caractérise
l'enfance, c'est qu'elle ne peut penser l'enfance comme
telle, la filiation comme telle. Tant qu'il est enfant, le fils
est aveugle au rapport père/fils. Pour le voir, il faut qu'il L' « ainsi de suite >} de cette circulation du
devienne adulte. Il ne devient le fils pour-soi qu'en
devenant adulte, donc en s'identifiant au père. Seul un
phallus qui tue - attaque encore d'un seul et
père peut devenir un fils et un fils ne peut se penser même cou, serrez la cravate - revient toujours
comme tel qu'à s'identifier au père. Cette étrange diffé- au mouvement de la fleur virginale (varginale :
rence indifférente ouvre la filiation spirituelle, relève la
généalogie de la famille naturelle. Hegel le prononce dans
entre verge et vagin de la vierge, petite pierre ou
un jeu de mots qu'il ne faut pas considérer comme un cloche clitoridienne), du phallus pris à la Sainte
Bciwcscn imaginal. Le Juif n'est pas filial (kindlic.h) parce Mère, et qui n'appartient pas plus au Président de
qu'il est puéril (kindischJ. Non pas enfantin, infantile. S'il
accuse Jésus de blasphémer quand il dit que son père
Sainte Marie qu'à Notre,-Dame-des-Fleurs (<< Je suis
est entré en lui, c'est qu'il ne comprend ni le fini ni l'Immaculée Conception »).
l'infini, ni le mesuré ni l'immense, ni la partie ni le tout. Il pourrait sembler appartenir à la victime
Plus précisément, ce qu'il ne -comprend pas, ce n'est ni
ceci ni cela, c'est la commensurabilité ou le passage entre
(du vol ou de l'assassinat) puisque c'est sa propre
les deux; la présence de l'immense dans le déterminé, la cravate. Or elle doit faire son deuil de ce qui aurait
beauté et l'immanence de l'infini dans le fini. dû lui revenir comme le phallus à la vierge mère.
La castration et la prison : « Avec la masse des Juifs
devait échouer la tentative de faire naître en eux la cons-
cience de quelque chose de divin, car la foi (Giaube) en
quelque chose de divin, en quelque chose de grand ne Indignation précisément de Vase de Sainte
peut habiter l'excrément [la fange, la boue, Kote]. Le lion
ne peut trouver place dans une noix, l'esprit infini dans le
Marie quand Notre-Dame - lui-même - lui
cachot (Kerker) d'une âme juive, le tout de la vie. dans révèle que c'est l'assassiné - lui-même - qui lui
une feuille qui se dessèche; la montagne et l'œil qui la a donné la chose et l'idée du crime «< il avait
voit sont objet et sujet, mais entre l'esprit et l'esprit il
n'y·a pas ce clivage (Kiuft) de l'objectivité; l'un n'est un
une cravate qui lui serrait le cou. Il était tout
pour l'autre et n'est lui-même un autre qu'en tant qu'il rouge »).
le connaît. Un rameau [corollaire, Zweig] de la conception
objective du rapport du Fils au Père ou plutôt de sa
forme au regard de la volonté, consiste à trouver pour soi
une liaison (Zusammenhang) avec Dieu semblable à celle L'effort pour rendre la fleur ne peut qu'échouer.
que l'on adore et vénère chez Jésus entre la nature hu- Aucun trajet circulaire et propre: lettre seing de
maine séparée et la nature divine, à espérer un amour
entre des inégaux (Ungieichen) absolus, un amour de Dieu la Mère qui se cache et se perd dans tous les
pour l'homme qui pourrait être tout au plus de la compas- noms propres de l'érianthe. La fleur n'est rien,
sion. Le rapport de Jésus, comme fils, au père, est un n'a jamais lieu parce qu'elle n'est jamais naturelle
rapport filial (kindiiches), car le fils se sent en essence,
en esprit, un avec le père qui vit en lui et il n'a rien ni artificielle. Elle n'a aucun bord assignable, aucun
d'apparenté avec le rapport puéril (kindischen) selon périanthe fixe, aucun être-ceint. En quoi les noms
lequel l'homme voudrait se lier avec le tout-puissant maître propres, qui sont touj ours des surnoms de classi-
du monde, dont il sent que la vie lui est tout à fait étran-
gère et avec lequel il ne se lie que par des présents, des fication, violemment imposés, des opérations de
miettes qui tombent de la table du riche. » classe, qui sonnent pour appeler au travail de
On ne se lie pas au père avec des reliefs, en calculant deuil, à l'expropriation, reviennent toujours à
des échanges. Le lien au père est incalculable. L'être,
l'essence (Wesen) de Jésus, en tant qu'elle l'accouple à (Notre-Dame) des fleurs.
son Père, ne « peut être saisi dans la vérité que par le
Giauben »,. le Giauben, l'acte de foi, a ici une force ontolo-
gique infinie. Cela tient au fait qu'à la différence de la
connaissance finie, rapportant un esprit à un objet déter- Le travail ~ de
miné qui lui reste hétérogène, le Giauben est d'un esprit deuil, est-ce un tra- dans celui que la psychanalyse déter-
mine strictement, comme tel, le
pour un esprit. D'où la « métaphore » de l'harmonie :
« Le rapport d'un esprit à un esprit est le sentiment de
vail, une espèce de travail-du-deuil avalerait seulement
l'harmonie, leur union (Vereinigung),. comment l'hétéro- travail? Et la thana- plus vite, au cours d'un seul repas, le
temps rassemblé d'une Cène, un plus
gène pourrait-il s'unir? » topraxie, technique gros mors
L'homogène, donc, le né du même, en soi-même, tel
est l'élément harmonieux du Giauben. Celui qui croit dans de la pompe funèbre
cet élément du même ne croit pas à autre chose, il se aujourd'hui enseignée dans des it).stituts, donnant

99
retrouve dans son Glauben, il « retrouve sa nature propre » lieu à des diplômes de qualification, la limitera-
(seine eigene Natur wiederfindet). La métaphore musicale t-on à une corporation parmi d'autres, à l'intérieur
de l'homogène a son analogue dans la métaphore anthro-
po-photologique. La nature propre de l'homme porteur de d'une économie sociale? Tout travail n'est-il pàs
lumière se précise. L'homme n'apporte pas la lumière un travail de deuil? et du même coup d'appro-
comme on porte une torche. La lumière et la vie sont en priation du plus ou moins de perte, une opération
lui. Il est dans la lumière et dans la vie, plutôt porté par
elles. En tous les sens de ce mot, il appartient à la lumière, classique? une opération violente de classe et de
« il est la propriété de la lumière» (er ist das Eigentum des classification? une décollation de ce qui tient le
Lichts). Si l'homme est le propre de la lumière (de la singulier à lui-même? Ce travail de deuil s'appelle ,-
vérité, de l'être, etc.), il ne la reçoit pas du dehors, il
flambe en elle, il s'embrase dans l'homogénéité de son glas. Il est touj ours du nom propre. Le glas
élément et dans l'acte du Glauben. L'éclat (Glanz) de la est d'abord (clas, chiasso, classum, classicum)
lumière ne lui est pas étranger, il transit toute sa substance le signal d'un trompette destiné à appeler (calare),
et toute la gloire de son corps. « Il est la propriété de la
lumière; et il n'est pas éclairé par une lumière comme un convoquer, rassembler en tant que telle, une
corps obscur qui ne revêt qu'un éclat étranger ( nur classe du peuple romain. Il y a donc du glas
jremden Glanz) , mais c'est sa propre substance de feu dans la littérature classique, mais aussi dans la
(sein eigener Peuerstolf) qui s'embrase et devient une
véritable flamme (eine eigene Flamme). » lutte des classes : classe
C'est ce que Jésus explique à Simon : le divin qui est
en toi m'a reconnu comme divin. Nous sommes le même,
" c1assicus bürger der ersten klasse (in Rom).
nés du même. Mon essence « a retenti dans la tienne »
(in dem deinigen wiedergetônt). Alors de Simon, fils de Daraus entlehnt nfr. classique adj. « (auteur) qui
Jonas, il f~l.Ît Pierre, il le transfor:me « en roc (zum F elsen) est dans le rang des plus considérables, qui mérite
sur lequel sa communauté sera fondée ». La puissance qui le plus d'être imité» (1548), «homme du premier
lui est conférée est essentiellement celle de « lier et de rang, dont il faudrait suivre l'exemple)} (ca. 1550),
délier (binden und lô'sen) ». nfr'. « (auteur) qu'on enseigne dans les classes »
La foi de Pierre ne représente encore que la pre- (seit Cotgr 1611) : «qui a rapport à l'enseignement
mière marche (die erste Stuje) de cette procession vers la des langues, des littératures grecque et latine )}
(seit Ac 1798).
lumière dans la lumière. Jean: « Jusqu'à ce que vous ayez
AbIt. ,-- Nfr. classicisme « système des partisans
la lumière, vous devez croire à la lumière afin de devenir exclusifs des écrivains de l'antiquité ou des écri-
fils de la lumière. » Croire à la lumière, témoigner en sa vains classiques du 17e s. » (seit Besch 1845).
faveur, comme Jean-Baptiste, ce n'est pas encore être, Lt. Classicus « bûrger der ersten klasse )} wird
tel Jésus, une « lumière individualisée ». Sans doute einmal, von Gellius, aIs adj. gebraucht : vel ora-
ses disciples sont-ils unis en Jésus, dans sa flamme, comme torum aliquis vel poetarum, id est c/assicus assiduusque
les sarments (Ranken) sont unis au cep (Weinstock). aliquis scriptor, non proletarius. Es wird im 16.jh.,
Mais ils n'auront une vie propre et ne se laisseront en bei der übernahme ins fr., zum adj. gemacht. Zuerst
même temps pleinement pénétrer de l'esprit divin qu'après erscheint ès bei Th. Sebillet, Art poétique (1548) : la
la disparition de Jésus, de leur maître, de celui qui occu- lecture des bons et classiques poètes françois comme
pait encore la place individuelle d'un centre ou d'un cep. sont entre les vieux Alain Chartier et.Jean de Meun. Es
wird also mit bezug auf franzosische dichter ver-
Quand le cep sera en quelque sorte coupé, tombera ce qui
wendet. Da die Pleiade die âltere franzosische
les sépare encore de Dieu, la cloison, le diaphragme Iiteratur verleugnet, macht ihr sieg die anwendung
(Scheidewand) entre le Père et ses enfants. Jésus est le des wortes auf die franzosische literatur unmoglich.
diaphragme de la lumière divine. Son corps en obture Sein sinn wird nun umgebogen zu einer ablt. von
subtilement le passage. Sa mort est donc indispensable. classe « schulklasse » : classique bedeutet jetzt
Jean en a fait la remarque : les flots ne peuvent jaillir du «(autor) der in der schule gelesen und interpretiert

IOO
corps qu'après la taille du cep lui-même. Au futur. « Quand wird »; die einschrankung auf die Iiteratur des
Jésus dit Uean 7, 38-39) : " Si quelqu'un croit en moi) Altertuins hangt unmittelbar damit zusammen.
Erst im 18. jh. wurde das adj. auch auf die nun ais
de son corps jailliront des flots de vie (werden Striime
vorbilder betrachteten autoren des 17. jhs. aus-
des Lebens quellen) ", Jean remarque que cela ne s'entend gedehnt (erster beleg Voltaire 1761), gegen ende
que de ce qui, dans l'avenir, sera de part en part animé des 18. jhs. auch auf andere dinge, die in ihrer art
par l'esprit saint. » Jésus n'a pas encore été transfiguré, ais vorbild, ais vornehmster vertreter gelten
il ne le sera que par la mort. Dans l'intervalle, il est un konnen (terre classique de la liberté). Zur zeit der
homme parmi les hommes, il ne s'oppose et ne s'indivi- Romantik wird classique zum kennzeichen des
dualise qu'en face du caractère juif. « Jean dit de Jésus literarischen programms der gegner der neuen
(2,25) : il savait ce qui était en l'homme; et le miroir bewegung. lm einzelnen müssen diese entw. noch
(Spiegel) le plus fidèle de son beau Glauben dans la nature, an hand der texte untersucht werden.
ce sont ses discours regardant la nature immaculée ».
Ne pas souiller cette nature ou devenir enfant «< en mon
nom », in meinem Namen) c'est la même chose. Que fera-
t-on à celui qui souille la nature immaculée? On le noiera c1assis abteilung.
« au plus profond de la mer (im tiefsten Meere) ». Après lui
avoir attaché une pierre, « une pierre de meule (Mühlstein)
au cou ». Il sera comme un pendu au fond de la mer. 1. Mfr. clos m. «flotte » (1530); classe f. (1560,
On est châtié pour n'être plus assez enfant. Pold. d'Albenas, Antiquités de Nîmes 205, Db -
Quelle différence entre cette immersion et celle du Mon 1636).
baptême? 2. a. Mfr. nfr. classe « catégorie de citoyens romains
Jean est le seul à pouvoir nous l'expliquer. C'était son dans l'ordre politique, civil » (seit Bersuire);
übertragen nfr'. « rang auquel on met des per-
« habitude » que de « plonger » (unterzutauchen) dans l'eau
sonnes de la même profession, d'après le.ur mérite»
celui qui s'était élevé à son esprit. « De Jésus on ne connaît (seit Rich 1680); «catégorie de marins qui peuvent
aucune opération analogue. » Or cette habitude de Jean être appelés au service de la marine de l'Ëtat »
a une « signification symbolique (ist eine beteudende sym- (seit 1670): nfr. «catégorie de citoyens distingués
bolische) ». Pour comprendre quelque chose à ce symbole d'après leur condition sociale» (seit 1792, Frey).
johannique, il faut savoir ce que veut dire « être plongé ». - Abit. Nfr. classer un matelot « enregistrer
C'est-,à-dire ce qu'est un enfant et ce que fait un ange. dans sa classe d'inscription militaire» (seit 1767,
Les anges contemplent le visage de mon père dans Brunot 6).
le ciel. Cette proposition est très riche: « L'inconscient
(das BewujJtlose)) l'unité non développée, l'être (Sein)
Nfr. déclasser « faire sortir de la classe où l'on
et la vie en Dieu, parce qu'ils sont représentés comme une était classé; rayer des contrôles de la classe » (seit
modification de la divinité dans l'existence des enfants, Boiste 1829); déclassé « individu tombé d'une
sont séparés de Dieu; mais leur être (Sein)) leur acte certaine classe sociale dans une classe inférieure»
(Tun) est une éternelle contemplation de Dieu ». Liés à (seit Lar 1869); déclassement «action de déclasser»
Dieu et déliés de lui les anges ne sont pas des âmes plato- (seit 1863). - Nfr. en classer « enrôler (des mate-
niciennes quj, d'abord plongées dans l'intuition du divin, lots) dans les classes» (Voltaire Siècle de Louis XIV;
n'ont plus tard, dans « leur vie terrestre ultérieure », 1761, Brunot 6).
qu'une conscience offusquée de la divinité. Jésus lie et
délie autrement. Un homme ne doit pas être purement
b. Nfr. classe « chacun des grands groupes d'ani-
et simplement « plongé dans. l'intuition du soleil »
maux, de végétaux » (seit Enc 1753). - Abit.
(ganz in die Anschauung der Sonne versunken) : il se Nfr. classer «distribuer (les animaux, les végétaux)
confondrait: alors avec un simple sentiment lumineux. par classes; ranger dans une certaine classe; ranger
Un homme plongé dans l'intuition d'un autre homme ne dans une certaine catégorie» (seit Trév 1771);
serait que cet autre, etc. La division, l'Entzweiung, est donc classeur « portefeuille ou meuble à compartiments
nécessaire. Mais ce qui est divisé en deux (entzweit) qui sert à classer des documents» (seit Besch 1845);

101
se réunifie, revient à soi et c'est l'enfance véritable. La classement «action de classer» (seit 1798): inclas-
communion, qui est accordée par le père, ne consiste ni à ' sable «qu'on ne peut pas classer» (seit 1890, Journ
être plongé dans l'élémentaire, ni à être arraché. Elle Gonc). Nfr. classifier « répartir suivant une classi-
fication » (seit Raym 1832): déclassifier y. r. «sortir
replonge.
d'une classification » (1876). - Nfr. classification
La replongée consonne. Elle consonne avec la conso- «distribution méthodique des individus par espèces,
nance et avec le nom. Symphonie onomastique: « Jésus genr-es, classes » (seit Fér 1787): classificatoire
représente cette union (Einigkeit) sous une autre forme; adj. « qui se rapporte à la classification » (seit
quand deux d'entre vous s'uniront pour me demander
(bitten) quelque chose, le Père vous l'accordera. Les
expressions : demander (bitten) J accorder (gewiihren), se 1874): classificateur « auteur de classifications »
rapportent proprement à un accord (Vereinigung) relatif (Besch 1845--1863, so Ste--Beuve. Lundis 14, 120).
à des objets (7tp&YfLOC't'oc), seuls de tels accords trouvent leur 3. a. Nfr. classe « catégorie d'élèves qui suivent
chaque degré d'un cours d'études» (seit Est 1549):
expression dans la langue-de-l'effectivité (Wirklichkeits-
« enseignement donné à une classe » (seit Ac
sprache) propre aux Juifs. Mais l'objet ne peut être ici que 1740)'): «salle où se donne cet enseignement »
l'unité réfléchie (la O"UfL'P<ùv(OC 't'&V ~Uor;v ~ 't'PL&V); comme (seit Mon 1635, s. au ch ALF 441 école: ALLo
objet c'est un être-beau, subjectivement c'est l'accord 1778): neuch. « compagnie des pasteurs »: Paris
(Vereinigung),. car des esprits ne peuvent être unis dans « endroit où les crocheteurs d'un quartier atten-
des objets proprement dits. Le beau, l'union de deux ou dent qu'on les emploie» (Rich 1680-1863). -
trois d'entre vous, est aussi dans l'harmonie du tout (in Abit Ménades quiasseux «écolier ».
der Harmonie des Ganzen), c'est un son (Laut), une conso-
nance (Einklang) en elle et elle est accordée par elle;
b. Nfr. classe « catégorie de jeunes gens appelés
elle est parce qu'elle est en elle (dans cette consonance)
chaque année au service militaire »(seit 1863).
parce qu'elle est quelque chose de divin; et dans cette
Obertragen être de la classe « être de la 2e année
communion (Gemeinschajt) avec le divin les êtres unis de service: avoir de l'expérience » (seit 1888,
sont en même temps (zugleich) en communion avec Jésus: Daud).
r
où deux ou trois sont unis dans mon esprit ou dans mon
nom] (de; 't'à l)vofL& fLOU, comme dans Mathieu~ 10, 41),
en tant que l'être (Sein) et la vie me sont dévolus, en tant Mfr. c1acyfier « établir (un texte) d'après des clas-
que je suis, je suis au milieu d'eux (in ihrer Mitte), tel sifications » (Ca. 1500).
est mon esprit. »
Quand Jésus explique à ses disciples qu'il doit l.t. classis, ursprunglich "aufgebot in militarischem
mourir, que sa mort ne les laissera pas orphelins mais sinn" erhalt durch die von Servius Tullius getroffene
leur rendra au contraire la filiation, qu'ils recevront autant einteilung der bürger in sechs gruppen die bed.
que ce qu'ils croient perdre, c'est l'effroi. Dans l'effroi "volksklasse", sodann "Iandheer" und "flotte",
(Erschrecken) de Pierre en particulier, on comprend ce qui endlich, zu Augustus zeit, auch "gruppe von knaben,
sépare la foi de son accomplissement (der Abstand des die gemeinsam interrichtet werden", ln verschiede-
Glaubens von der Vollendung). Ils ont peur comme des nen dieser bed. ist es vom fr. entlehnt worden :
enfants abandonnés mais c'est parce qu'ils ne sont: pas 1 aus der bed. "flotte" (wohl nur mit bezug auf
encore de véritables enfants. Leur foi s'adresse encore à das Altertum): 2 a aus der bed. "vol ksklasse" ,
un Dieu extérieur. « Tout vit dans la divinité, tous les zuerst au ch mit bezug auf das alte Rom, dann aber
auf moderne verhaltnisse übertragen: dabei ist b
vivants sont ses enfants, mais l'enfant porte intacts en lui
eine sekundare verwendung dieser bed. in der
l'union, le lien, la consonance ( Einklang) dans toute naturwissenschaftlichen terminologie. 3 a aus der
l'harmonie, mais non développés; il commence par la foi bed. "schulklasse": b ist daraus Obertragen, weil
dans des dieux extérieurs à lui. » A travers de nouvelles auch die jahresklasse der soldaten aus gleichaltrigen
scissions et de nouvelles réconciliations, il doit reformer besteht.
le « cercle » par lequel, redevenant enfant, il rétablit le 1) ln ausdrücken wie faire ses classes, faire la classe
tout : « Dieu, le Fils, le saint Esprit 1» usw.

102
C'est ainsi qu'il se replonge. Lorsque Mathieu parle
de « plonger » (tauchen)) il ne vise pas l'immersion dans classum liirm.
l'eau, ce qu'on appelle le baptême (Tauje). Le nom 1. Afr. glas « bruit retentissant, criaillerie» (12.-
(6vo[LlX) est le rapport entre la scission et la réconciliation. 13. jh., BenSMaure; Perl), glais (12. jh.), afro mfr.
Jésus, dans Mathieu, demande d'où vient le baptême de glai (12.-15. jh.), pik. glay (Th 1564- Voult 1613),
Jean : du ciel ou de l'homme? Dans la consécration mfr. mener grand glas «faire beaucoup de bruit»
de l'esprit et du caractère, l'immersion ne doit jamais être (Th 1564 - Mon 1636), mfr. clas« retentissement»
considérée qu'au tiue de chose accessoire (Nebensache). D'Aubigné, apr. «cri, clameur »; afro a (un) glais
Jean lui-même, du moins selon Luc, présente l'eau « d'une voix unanime, tout à la fois », apr. a un
comme le supplément. Du feu. C'est au moment où clas; mfr. glai «gazouillement des oiseaux» (15. jh);
le peuple se demande s'il n'est pas, lui, le Christ: « Pour afro glas « sorte de trompette » (Veng AI, R 56,
moi, je vous baptise avec de l'eau, mais il vient, celui qui 131), glai (1285), mfr. id. (1612); mfr. claz « son
de trompette pour convoquer » (1530); mfr.
est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de délier
glai « honneur, félicité» Eust Desch.
la courroie de ses chaussures; lui vous baptisera dans
l'Esprit Saint et le Feu ». Au cours de la même scène, dans
l'Evangile de Jean, dans celui de Marc aussi, le feu dispa-
2. Afr. glas « sonnerie de toutes les cloches d'une
raît. Mais non les lanières des sandales. Jean se sent église » (13. jh., Gdf; Guernes 5 Thomas), glais
toujours indigne de dévêtir Jésus et même de s'agenouiller Chrestien, mfr. claz (poit. 1456), abress. clars pl.
pour défaire les bandes qui enserrent ses pieds. (Châtillon D.1483, Ann Ain 1927), apr. clar (Hérault
Mais pourquoi Jean aime-t-il, fût-ce à titre d'ersatz, 15. jh., AM 18, 204), mfr. glay (1382), clax pl.
plonger les corps dans l'eau? Pourquoi a-t-il baptisé (Rochelle 1465).
Jésus dans le Jourdain? Le désir de Jean ne le porte ni
dans l'eau ni hors de l'eau. Il compose avec le liquide, y
engloutit le corps pour jouir de l'émergence ruisselante, Afr. glais «tintement lent de la cloche d'une église
luisante, glissante. Il veut la plénitude de l'univers aqueux pour annoncer l'agonie, la mort ou l'enterrement
mais pour la regarder, ce qui n'est possible qu'en en reti- de qn » Florence, mfr. glay Guill Mach, Paris glais
rant régulièrement le corps, en interrompant l'effusion, (1488, Gdf; Mén 1650), mfr. nfr. glas (seit Th 1564,
l'oubli de soi, en reprenant la marche, l'être-debout. doch bis Voult 1613 ais speziell orl.), nfr. glais
« La coutume de Jean [... ] a une signification symbolique. (Mon 1635 ..-- Trév 1771), Bonneval glas MAnt 2,
428, hbret.gla, Landujan ya ABret 15, 390, Loire 1.
Aucun sentiment ne serait aussi homogène (homogen)
kla, ang. cl6s, poit. kla, Vendée cli6 (1807), bgât.
au désir de l'infini, à la nostalgie de se répandre dans clas, saint. kya, kanad" glas pl., centre clas, Allier
l'infini, que le désir de s'ensevelir (sich begraben) dans une kla Varennes clairs, morv. i6s, Mâcon clar, verdch.
plénitude liquide (Wasset:fülle),. celui qui est en train de glia, Côte d'Or gya, Yonne glais, Vassy P. guiais,
s'y plonger a devant lui un élément étranger (ein Fremdes) Créancey ghiai F 279, Gr Combe kyas, Jura gya,
qui le baigne aussitôt (sogleich) de toute part et se donne Vaudioux (ë)gliés pL, Thônes glié, Vaux tyar, Lyon
à sentir en chaque point de son corps; il est pris au monde, clio"" Mornantgli6, St-Genis Iyôr, Loire klar, stéph.
il le prend; il est seulement l'eau qui le caresse, là où il cio, Cr. gya, Estr. gla, voir. clias, Cordéac kler,
est, et il est seulement là où il le sent; dans la plénitude Trem. tsyer, mdauph. k/e, Die ciers, H Alpes, Lallé,
liquide il n'y a aucune lacune, aucune limitation, aucune Bare. klars pl., pro id., kla, klas, Nice clar, lang.
multiplicité ni aucune détermination; le sentiment qu'on classes pl., Amane klar Zaun 95, Ariège, H Gar.
klases pL, Tarn, aveyr. klas, Lozère id. (nordwesten),
en a est le moins dispersé [dissipé, débandé, unzer-
klases pL, veL clas, gla, Aurillac clar Verm 317,
streuteste1, le plus simple; celui qui a été plongé émerge Ytrac, St-Simon clar, Puy D. Xya, Vinz. Chav. klyar,
de nouveau, se redressant dans l'air, se sépare du corps lim. clhar DD, gask. glas. ALF 650; G de Guer 74-
liquide, est déjà coupé de lui, mais il en ruisselle encore 87; ALLo 2.087. ,,-- Obertragen nfr. glas « coups
de toute part; dès que cet élément l'abandonne, le monde de canon tirés à intervalle aux funérailles mili-
qui l'entoure se déterminè à nouveau et il [celui qui taires »(Boiste1803-.DG), «bruit d'une bombe,
émerge] revient plus fort (gestarkt) à la multiplicité de la d'un feu d'artifice» BL 1808.

10 3
conscience. Quand la vue s'échappe vers le bleu sans Abit. - Apr. c/asejar « sonner les cloches; convo-
ombre du ciel et la surface simple, sans forme, d'un horizon quer en sonnant le c/as », Tarn c/assexa « sonner
oriental, on ne sent pas l'air ambiant, et le jeu de la pensée longtemps le glas ».
Zuss. - Apr. ac/assar « faire du bruit» (12. jh).
est quelque chose d'autre que l'échappée du- regard. En
._. Boussac glas d'emprunt « glas pour une per-
celui qui est plongé dans l'eau, il n'y a qu'un seul sentiment sonne décédée hors de la paroisse ». Trans glas à
et l'oubli du monde, un isolement qui a tout rèjeté de bouillie « sonnerie pour un baptême ».
soi, s'est arraché à toute étreinte. » Von It. classicum « trompetenstoss; trompete »
Telle est l'expérience de Jésus après que Jean l'eut ist früh ein classum zurückgebildet worden, das
plongé dans les eaux du Jourdain. Le del s'est déchiré, durch die frühmlt. ablt. conc/assare (= kit. convo-
l'esprit est descendu sur lui sous la forme d'une colombe care c/assico) bezeugt ist. Classum lebt in it.
et la voix le reconnaît comme son fils. Après les quarante chiasso « larm », emil. stsas (z. b. Firenzuola
jours du désert et la tentation de Satan, le travail de la d'Arda, Casella 19), Rovigno stsaso Ive 35, sowie
scission est opéré. Mais cette scission, comme la mort de im gallorom., wo die kit. bed. zum teil noch erkenn-
Jésus, qui lui est analogue, permet le retour à l'enfance bar ist. Aus dem fr. entlehnt me. glase "trompe-
et à l'élément liquide. En mourant, en quittant ses dis- tenstoss" Arch 109,331. lm gallorom. wird es auf
den klang der glocken eingeschrankt, so auch
ciples, en émergeant, Jésus revient à son père qui est plus
piem. tsas AGI 14, 363. Aus dem fr. entlehnt bret.
grand que lui (Heimkehr zu seinem Vater, der grbj3er ist glâz. lm fr. gibt es, in allen bed., neben der form
ais er). Il quitte l'eau pour se laisser pénétrer par l'esprit mit a eine mit ai; die entstehung dieses vokals ist
de celui qui est plus grand que lui. Mais du même coup, noch nicht abgeklart ..- Grober ALL 1, 547; Z 15,
il permet à ses jeunes disciples de se plonger dans l'esprit 497; ML 1965. » V. Wartburg
comme dans l'eau et de s'en laisser à leur tour pénétrer:
« " Il m'a été donné tout pouvoir, dans le ciel et sur la
terre; aussi allez vers tous les peuples et que ce soit votre
tâche de disciples que de les initier au rapport du Père,
du Fils et du Saint-Esprit, afin qu'il les inonde et se
donne à sentir en tous les points de leur être comme fait
l'eau à celui qui y est plongé - et voyez, je suis avec vous
pour tous les temps jusqu'à l'achèvement du monde. "
[ ... ] Il est avec eux et: leur être est pénétré (durchdrungen)
de l'esprit divin... »
Dans ce mouvement que Marc, enfermé dans la
Le glas acharne une lecture grammatologique de
« langue juive », aurait mal rendu, l'émergence n'arrache
Saussure, toujours de cette page du Cours, préci-
le corps· à l'élément naturel, l'eau ou la mère, que pour sément, qui établit la linguistique dans son patro-
plonger l'esprit dans l'élément paternel. Le père pénètre nage ( « On peut donc dire que les signes entière-
l'esprit - la métaphore du père est donc la métaphore ment arbitraires réalisent mieux que les autres
de la mère - à la condition que le corps ait rompu avec l'idéal du procédé sémiologique; c'est pourquoi la
la mère, c'est-à-dire à la condition de sa mort. C'est-à- langue, le plus complexe et le plus répandu des
dire de sa naissance, de son érection, de sa résurrection. systèmes d'expression, est aussi le plus caractéris-
La naissance ne surgit comme telle que dans la résurrection. tique de tous; en ce sens la linguistique peut devenir
La mort est donc cette égale inégalité du père et de la le patron général de toute sémiologie, bien que la
mère - la métaphore spirituelle, le christianisme, la langue ne soit qu'un système particulier. » ). J'ai
souligné bien que: l'institution violente du patronat.
nomination, le baptême; etc. Dans la chaîne de ces valeurs
Après quoi, c'est l'opposition du signifiant au sym-
aucun terme ne peut être arrêté comme l'accident, le
bole : celui-ci n'est pas arbitraire, il n'est pas vide,
prédicat, la détermination rétrécissante d'un autre. «il y a un rùdiment de lien naturel entre le signifiant
Du moins l'étroit donne-t-il régulièrement sa forme et le signifié. Le symbole de la justice, la balance, ne
au rapport de l'un à l'autre, sans le moindre privilège pourrait pas être remplacé par n'importe quoi, un
conceptuel. Chacun est plus étroit que l'autre, aucun n'est char, par exemple. » Mais il peut toujours être
plus large que tous les autres, voilà de quoi forcer, blesser, remplacé: par un glaive, par une femme, etc. Et sa
obliger à penser - la raison. naturalité est donc toujours déjà entamée. Et la
Dans la gloire vient d'apparaître, avec l'érection de fleur, est-ce un symbole ou un signe?
Mais là n'est pas pour l'instant la stricte incidence
l'oint mort-né, l'égale inégalité du père et de la mère. Elle
de glas. La même page du Cours propose une
apparaît, elle est donc dans le phénomène, dans la lumière, remarque et répond à deux objections. Et alors,
dans la gloire. Mais ce qui apparaît s'énonce, dans la voix, comme par hasard, surgit l'exemple de glas, que
comme un jeu du liquide et du solide. Tout cela se dit Saussure traite comme un mot (<< Des mots comme
par le glissement d'une marche, la surrection d'une limite fouet et glas .... »). La remarque touche à l'arbitraire,
ruisselante, toujours à elle-même inégale. au mot «arbitraire» : « Le mot arbitraire appellp.
La lecture hegelienne du christianisme semble décrire aussi une remarque. Il ne doit pas donner l'idée que
une réconciliation, pour tout dire en deux mots : entre la le signifiant dépend du libre choix du sujet (on
foi et l'être, le Glauben et le- Sein. « La foi présuppose un verra plus bas qu'il n'est pas au pouvoir de l'indi-
être (Glauben setzt ein Sein voraus). » L'union, la commu- vidu de rien changer à un signe une fois établi dans
nion, la réconciliation font un avec le Sein. On touche ici un groupe linguistique); nous voulons dire qu'il
est immotivé, c'est-à-dire arbitraire par rapport
au même signe. La communion et l'être ont égale signifi.-.
au signifié, avec lequel il n'a aucune attache natu-
cation: « Vereinigung und Sein sind gleichbedeutend. » relle dans la réalité. » Contraignant pour le sujet
Pourtant le destin du christianisme ouvre un nou- (l' « individu »), le signifiant (fleur ou glas, par
veau morcellement. Le mot destin a déjà ce sens dans le exemple) serait « immotivé » par rapport au
contexte hegelien. Scission et: unilatéralité dans l'amour, signifié (lequel? où? quand?), au référent (lequel?
qui n'est pas encore la religion, puis dans la religion même où? quand?). Qu'est-ce que l'individu? la réalité? la
et dans la pierre de l'église qui ne peut pas résoudre nature? Et surtout l'attache? Tout le travail du
en ce monde l'opposition douloureuse entre le vivant et le glas pourrait fournir au moins un matériau pour
mort, le divin et le réel. La religion chrétienne reste la réélaboration de ces questions: en-deçà du mot
sublime. Jésus est parti, il s'est séparé du monde, laissant (donc de la linguistique qui, même quand elle le
dénie, reste toujours du mot, voire du nom), de
ses disciples sans présent, suspendus entre le souvenir et
l'opposition entre la physis et son autre (où placer
l'espérance. L'accusation s'amplifie alors contre la passivité la fleur?) et surtout dans une autre logique, pra-
politique de Jésus, contre son idéalisme : il a\ préféré tique-théorique et cravatée, du mors, de ce qui
reconstituer auprès de son père, dans l'idéalité, une vie reste du détachement de l'attache et vient toujours
déçue. Il n'a pas su lutter, dans le monde, contre la réalité en rajouter.
juive. Dès lors, il a dû, paradoxalement, répéter le ju-
daïsme. Comme Abraham, il s'est séparé de la famille;
de plus, il n'a aimé aucune femme, engendré aucun
enfant. Il a même quitté sa mère. Pour fuir la guerre et
annoncer l'amour, il a apporté le glaive sur la terre,
opposé le fils à son père, la fille à sa mère, la bru à ses
beaux-parents. Ses disciples. abandonnés n'ont pu, comme
des Juifs, que parler de leur « maître absent », prier en
commun, échouer dans leurs tentatives politiques. Lorsque
leurs ennemis accusaient certaines de leurs sociétés de
pratiquer « la communauté des femmes », ils n'étaient « ni Après la remarque, réponse de Saussure à deux
objections. Elles concernent les onomatopées et les
assez courageux ni assez purs pour mériter cette accusation
exclamations et ne devraient pas être «dangereuses
ni pour n'en pas avoir honte ». Ils ont souvent vécu dans pour notre thèse ». On se demande donc d'abord
l'émigration, dans l'attente, dans le signe. Tout se passe comment une thèse pourrait être en danger (il y
autour d'un sépulcre. Sans doute le souvenir du corps est répondu ailleurs). Voici en tous cas la réplique
pourrissant s'est-il d'abord effacé dans l'intuition de la à l'objection de l'onomatopée: «Signalons en ter-·
gloire, mais il est revenu, il a insisté, dans la mesure même minant deux objections qui pourraient être faites à
où la scission continuait son travail. Le corps mort l'établissement de ce premier principe:

10 5
"1

restant là, dans l'interminable décomposition des reliques, «1. On pourrait s'appuyer sur les onomatopées pour
l'esprit ne s'élève jamais assez haut, il est retenu comme une dire que le choix du signifiant n'est pas toujours
sorte d'effluve, de gaz en fermentation au-dessus du arbitraire. Mais elles ne sont jamais des éléments
organiques d'un système linguistique, Leur nombre
cadavre. Une sorte de pesanteur~ le « tire vers la terre »
est d~ailleurs bien moins grand qu'on ne le croit.
(ibn zur Erde Ziebt) et « le Dieu doit flotter (scbweben) Des mots comme fouet ou glas peuvent frapper
entre l'illimité, l'infini du ciel et la terre, ce rassemblement certaines oreilles par une sonorité suggestive;
de limitations distinctes, au milieu de l'un et de l'autre ». mais pour voir qu'ils n'ont pas ce caractère dès
L'esprit est encore comme une sorte d'aigle qui voudrait l'origine, il suffit de remonter à leurs formes
s'élever alors que du « plomb » (B!ci) alourdit ses ailes latines (fouet dérivé de fagus, « hêtre », glas = ~
ou ses pattes. Jésus ressemble maintenant à Moïse. Il est c1assicum); la qualité de leurs sons actuels, ou
décidément trop juif. On pourrait le croire un peu grec : plutôt celle qu'on leur attribue, est un résultat
«comme Hercule » à partir du bûcher, il a pris son «essor » fortuit de l'évolution phonétique.
à partir du « tombeau >). Mais les autels et les prières des « Quant aux onomatopées authentiques (celles du
Grecs s'adressent à un dieu qui ne continue plus à se type glou-glou, tic-tac), non seulement elles sont
peu nombreuses, mais leur choix est déjà en quel-
battre sur terre, qui ne reste plus dans son corps. Dans
que mesure arbitraire, puisqu'elles ne sont que
son errance et dans son enseignement le Christ demeure l'imitation approximative et à demi convention-,
cloué ou pourrissant : « liaison monstrueuse >) (ungebeure nelle de certains bruits (comparez le français
Verbindung) . ouaoua et l'allemand wauwau). En outre, une fois
L'accusation s'aggrave sans cesse, se politise surtout. introduites dans la langue, elles sont plus ou moins
En encourageant l'utopie, on a déchaîné la violence fana- entraînées dans l'évolution phonétique, morpho-
tique. L'évasion dans le vide produit l'atrocité et la dévas- logique, etc. que subissent les autres mots (cf.
tation. La fuite est impossible. Le destin du monde trop pigeon, du latin vulgaire piPi;;, dérivé lui-même d'une
puissant ne pèse pas seulement sur l'Eglise, il agit en onomatopée) : preuve évidente qu'elles ont perdu
elle. Si elle n'est pas provoquée par eux, cette situation quelque chose de leur caractère premier pour
est exploitée par « les grands hypocrites >) (grojJe Heucb!er)) revêtir celui du signe linguistique en général, qui
est immotivé. »
les faux dévots, les comédiens, les prêtres puissants. La
structure de leur ruse est analysée : « Ils ont imaginé pour
toute action bourgeoise [civile, bürgerlicbe Hand!ung] et
pour toute extériorisation du plaisir ou du désir, une
cachette [einen Scb!upjwinke!, un coin, une retraite] dans
Laissons travailler toutes seules ces étranges agglu-
l'unité : fourberie (Betrug) pour maintenir à la fois (zu-
tinations d'exemples à consonance inaudible :
g!eicb) 'chaque détermination et en jouir, et encore à la fois la question suprême du hêtre et du glas, le devenir-
(zugleicb) y échapper. >} fouet du hêtre, l'association d'apparence toute
Tel est le très grand calcul auquel, dans l'histoire, fortuite [on en reparlera] de glou-glou et tic-tac,
l'oint du Seigneur a donné lieu. Dans sa passivité même, ces «onomatopées authentiques ».
dans l'actio in distans du miracle et de la scission, dans ses
faux-départs. L'inconscient, disons au moins l'incons-
cience dans laquelle ce destin opère, Hegel en parle,
souvent, expressément. Sa lecture est donc double : d'un
côté le christianisme a réussi à lever la limitation juive; et
Saussure semble donc savoir ce que sont des «ono-
la mort du Christ a permis aux fils d'être des fils; le matopées authentiques ». Mais ce savoir suppose
baptême a eu lieu. D'un autre, le christianisme répète, qu'on saisisse l'instant originel où elles n'ont pas
un peu plus haut, la coupure juive, les disciples sont restés encore été « plus ou moins entraînées dans l'évo-
comme des brebis sans berger, le nom n'a pas été reconnu. lution ... ». Où reconnaître cet instant pur qui peut
Echec de la filiation, de la famille, de la cité, hypocrisie, seul faire ici le partage? Autre recours à une origine
calcul, violence, appropriation. Pierres. pure, étymologique cette fois: c'est dans la mesure
La lecture n'est pas double, mais le christianisme, et: de leur filiation étymologique qu'on peut démon-

106
la structure de la relève. L'analysé est inconscient de la trer que glas et fouet n'ont pas valeur d'onomatopée.
vérité de son procès. Cette vérité ne lui apparaît que dans Se fiera-t-on à l'étymologie et même à un concept
la philosophie, au futur antérieur de la religion ab$olue. étroit - historiciste et unilinéaire - dt" l'éty-
mologie, pour analyser le fonctionnement d'un
La religion chrétienne est déjà posée comme la
signifiant linguistique et reconnaître son appar--
religion absolue. C'est donc dans la religion absolue,que tenance «organique» au «système linguistique »?
le clivage demeure; et il demeure pour tous les temps et Un élément sort.. il de la langue quand il ne se con-
toutes les figures du christianisme : « Dans toutes les forme pas à son origine sémantique présumée?
formes de la religion chrétienne qui se sont développées
dans le procès fatal des temps réside ce caractère fonda-
mental d'une opposition au sein du divin, qui est seulement
présent dans la conscience, jamais dans la vie. )} La nature
représentative de la présence du divin qui se tient devant
la conscience et se laisse attendre dans la vie, qui laisse la Que sont donc les « éléments organiques d'un sys-
religion dans une posture anticipatrice, ce sont déjà, dès tème linguistique »7 Les mots? Mais les « mots»
ces premiers textes, les traits que la Phénoménologie de peuvent devenir- des onomatopées, par greffe de
l'esprit reconnaîtra, aura reconnus à la religion absolue, fonctionnement, en totalité ou en partie, par décom-
c'est-à-dire au christianisme. Jésus a finalement choisi, position ou recomposition, détachement ou ratta-
élu (wahlte) la scission, mais ce geste ne peut être simple. chement. Mais les onomatopées peuvent devenir
En rompant et en fuyant, il a déclaré la guerre au nom de des mots et comme l' « entraînement» a toujours
la réconciliation, il s'est partagé dans sa propre scission, déjà commencé, qu'il n'est ni un accident ni un
tendu contre la division elle-même, la multipliant et l'éle- dehors du système, les juges, les soi-disant déten-
vant ainsi à l'infini. Ce qui est arrivé comme un accident teurs des critères systématiques ne savent plus
ce qui appartient à quoi et à qui.
au christianisme tel qu'il aura(it) dû être n'a donc rien
d'un accident. C'est la définition même du destin et cela
se reconnaît au fait que Jésus n'a pas déliré, ni même aimé
sa mort. Si du moins il a déliré ou été déliré, ce ne fut
pas pour lui-même. « Celui dont le délire s'échauffe seule-
ment pour lui-même, la mort est pour lui la bienvenue,
mais celui qui délire en vue d'un grand dessein, il ne peut L' «onomatopée authentique »se dérobe et avec
elle toutes les oppositions qui suivent ou précè-
abandonner que dans la douleur la scène (Schauplatz)
dent. Le concept d'onomatopée suppose d'ailleurs,
sur laquelle il devait se développer; Jésus mourut avec la dans le maniement qui s'en fait ici, une structure
conviction que son dessein ne serait pas perdu. )} très simplifiée de l'imitation (entre le bruit de la
chose et le son de la langue). A cet égard, la ressem-
blanceest faible, voire inexistante, entre glas - et
quoi au fait? le bruit d'une c1oche?-entre fouet et le
bruit de lanières cinglantes. On se demande pourquoi
Saussure a choisi ces « mots » comme exemples
d'onomatopées présumées. Il doit ôter toute
rigueur à ses énoncés empiriques: ces mots « peu-
vent frapper» (quelle chance: comme le fouet et
comme le glas, les mots «frappent »; comme le
fouet et comme le glas, les mots font du bruit et
c'est l'oreille qu'ils frappent. Il y aurait comme des
Cette scission a des effets dont l'analyse politique est morceaux de fouet et de glas dans chaque mot), ils
à peine amorcée. Elle se poursuit dans des fragments de « peuvent» -- éventuellement -« frapper par une
la même époque, en particulier dans la Constitution de sonorité suggestive» et seulement « certaines
l'Allemagne. Hegel commence à étudier de plus près les oreilles ». Autrement dit les exemples sont trop
problèmes de l'économie politique, il lit l'Inquiry into mal ou trop bien choisis : personne ne peut consi-
the principles of political economy de Stewart. Mais même dérer fouet et glas comme des onomatopées authen-
si les conséquences politico. . économiques des premiers tiques. D'ailleurs personne ne l'a fait et d'ailleurs
il n'y a pas d'onomatopée authentique. Mais au lieu
essais ne sont pas développées, elles sont conceptuellement
d'en conclure qu'il n'y a donc pas non plus d'arbi-
marquées. En particulier quant à la place de la famille.
traire authentique, au lieu de s'intéresser aux
Est-ce à dire qu'une saturation à venir remplira un.espace effets d'onomatopée ou d'arbitraire contaminés, à
dont les bordures et les limites intérieures resteront in tou- l'entra7nement de la langue (au fouet ou au glas),
chées? C'est douteux. Le silence presque total sur la il court au-devant du « danger » pour sauver la
femme, la :fille, la sœur, la mère signale probablement thèse de l'arbitraire du signe.
autre chose qu'une lacune à combler, à l'intérieur d'un Si l'arbitraire et l'immotivation peuvent survenir
champ intact. Que se passe-t-il quand ce silence est au prétendu «caractère premier» de telles « ono-
rompu, par exemple dans la Phénoménologie? matopées authentiques », pourquoi une remoti-
La question la plus générale aurait maintenant la vation ne pourrait-elle pas réentra7ner le prétendu
forme suivante : comment se produit la relève de la reli- arbitraire? Si l'arbitraire était pur, cela ne serait
gion dans la philosophie? comment se produit d'autre,part pas possible. Or cela est possible, attesté au moins
la relève de la structure familiale dans la structure de la par ce que Saussure veut contenir au titre de
l'attribution artificielle, illusoire, et fortuite : « La
société civile (bourgeoise)? autrement dit, comment
qualité de leurs sons actuels, ou plutôt celle qu'on
s'effectue, à l'intérieur de la Sittlichkeit (dont la notion leur attribue, est un résultat fortuit de l'évolution
commence à être élaborée dans la D~fférence des systèmes phonétique. »
de Fichte et de Schelling, dans Foi et savoir et dans l'article
sur Le droit naturel) le passage du syllogisme familial au
syllogisme de la société bourgeoise? Ces deux problèmes
se croisent en un lieu à déterminer. Il s'indique de façon
essentielle à l'avant-dernier chapitre de la Phénoménologie :
la religion absolue qui précède immédiatement sa propre
vérité, le Sa. Au terme du syllogisme (religion naturelle,
religion esthétique, religion révélée-manifeste), le chris-
tianisme, religion absolue, se développe lui-même selon que restera-t-il du système interne de la langue,
le syllogisme suivant : 1. L'esprit à l'intérieur de soi- des « éléments organiques d'un système linguisti-
même : la Trinité. 2. L'esprit dans son aliénation : le que », quand on l'aura purifié, dépouillé de toutes
ces qualités, de C!,!S attributions, de cette évolution?
Royaume du Fils. 3. L'esprit dans sa plénitude: le Royaume
Qu'en restera·t-il et où le trouvera-t-on? Et depuis
de l'Esprit. A travers la mort du terme médiateur, la où considérer ces « qualités » attribuées et ces
réconciliation reste encore affectée par l'opposition ad- « résultats de l'évolution phonétique » comme
verse d'un au-delà (Gegensatze eines jenseits), elle reste « fortuits »1 Ce mot est d'ailleurs surprenant :
loin, dans le lointain d'un avenir (le Jugement Dernier tout se passe comme si les processus de remotiva-
pour la communauté religieuse) et dans le lointain d'un tion, de renaturalisation échappaient à toute
passé (l'Incarnation de Dieu). Elle n'est pas présente. nécessité alors que l'arbitraire, lui, n'aurait rien de
Présente dans le cœur, elle est coupée de la conscience, fortuit dans son fonctionnement. Il serait fortuit
divisée en deux (entzweit). Son effectivité est brisée. Ce .- et donc arbitraire - de remotiver des signes
qui entre dans la conscience comme l'en soi, c'est la récon- arbitraires. Et de plus le choix des exemples serait·-
ciliation, en tant qu'elle se tient au-delà; mais ce qui y c'est le mot de Saussure - «arbitraire» dans l'allé..
gation des onomatopées. On pourrait suivre long-
entre comme présence, c'est le monde qui attend sa trans-
temps les effets de cette opposition entre arbitraire
figuration. D'où le partage entre le spirituel et le politique. et motivation à l'intérieur d'une logique qui, pré-
supposant en permanence un savoir de ce que
c'est que la liberté, la conscience, la nature, la
Or cette ultime scission entre la présence et la repré- nécessité, s'essouffle à délimiter le dedans et le
sentation, entre le pour-soi et l'en-soi, a la forme d'une dehors du système linguistique, à le cadrer, avec
inégalité entre le père et la mère, dans le rapport au toutes les assurances prises sur un tel cadre.

108
père et le rapport à la mère. Le passage de la religion Et si la mimesis ne se laissait plus arraisonner',
contraindre à donner des comptes et des raisons, à
absolue au Sa se prépare comme la relève de cette iné- ,
se soumettre à une vérification d'identité dans un
galité.
tel cadre. Et si elle opérait selon des' voies et des
Est-ce une analogie? Laissons l'analogie en plant, nécessités dont les lois s'enchevêtrent 'et se
quelques lignes avant Le savoir absolu : « De même que déterminent autrement. Avec des ressources qui
(So wie) l'homme divin singulier [einzelne est souligné: conduiraient à l'intérieur du système de la langue,
c'est Jésus, l'individu historique] a un père existant en important dans la linguistique toutes les questions
soi (ansichseienden Vater) et seulement une mère effective et tous les codes de questions qui se développent
(wirkliche Mutter) , de même (s()) l'homme divin uni- ici, autour des effets de « nom propre » et de
versel, la communauté (die Gemeinde) a sa propre ()pération « signature », dérobant au cours de cette effrac-
(ihr eigenes Tun) et son propre savoir (Wissen) pour père, tion tous les critères rigoureux d'un cadrage -
mais pour mère l'amour éternel qu'elle ne fait que sentir entre le dedans et le dehors - emportant le cadre
non moins que le dedans ou le dehors, le tableau ou
(die sie nur fühIt), mais qu'elle ne contemple pas dans sa
la chose (imaginez les dégâts d'un vol qui vous
conscience comme objet effectif immédiat. » priverait seulement des cadres et de toute possi-
Il est trop tôt pour lire ce passage. N'en retenons bilité de recadrer vos objets de valeur ou vos objets
qu'un indice et un programme: l'enjeu du passage au Sa d'art). Et si la mimesis faisait que le système interne
ressemble à une transformation du rapport familial. Si de la langue n'existe pas ou que l'on ne s'en serve
c'est par figure ou formalité qu'on appelle cela un rapport jamais ou que du moins l'on ne s'en serve qu'en le
familial, la portée ontologique en est indiscutable. Dans la contaminant et que cette contamination soit iné-
constitution d'une onto-logique absolue, le discours vitable, donc régulière et « normale », fasse partie
familial ne saurait être relégué dans les régions subor- du système et de son fonctionnement, en fasse
données d'une rhétorique, d'une anthropologie ou d'une partie, c'est,à-dire aussi bien fasse de lui, qui est
psychologie. Telle déhiscence familiale, dès lors qu'elle le tout, une partie d'un tout plus grand que lui.
Conclusion de Saussure: « En résumé, les onoma-
en appelle au Sa -, à la philosophie - est un enjeu
topées et les exclamations sont d'importance secon·,
e,ssentiel dans l'histoire du sens de l'être. L'appel au daire, et leur origine symbolique en partie contes-,
savoir absolu y est inscrit. Le lieu de cette inscription table.» (L'arbitraire aussi, donc. Quant à l'origine
est aussi une in-conscience rigoureusement située entre dite « symbolique », en partie contestable, donc
La phénoménologie de l'esprit et la grande Logique, à l'arti- en partie symbolique, elle relève de la logique du
culation du Sa. mors et de l'anthérection. Qu'on en suive la consé·,
De quoi la famille a-t-elle encore besoin? Et pour- quence.)
quoi a'-t-elle besoin de philosophie? Pourquoi n'a-t-on
besoin du Sa qu'en famille?
Le clivage - qui atteint son absolu dans la religion
absolue - est le besoin de la philosophie. La philosophie
est issue, comme son objet propre, du christianisme dont Aussitôt après cette conclusion, c'est le § 3. «Second
elle est la vérité, de la Sainte Famille dont elle (est: la) principe; caractère linéaire du signifiant. »
relève. Le besoin de philosophie (Bedürfnis der Philosophie),
(c'est le sous-titre d'un texte à peu près contemporain
de L'esprit du christianisme) surgit dans l'entre, l'écart
étroit d'une scission, d'un clivage, d'une séparation,
d'une division en deux. Un se divise en deux, telle est la
Une fois de plus, on ne lit ici ni des objections ni des
source douloureuse de la philosophie : « Entzweiung ist questions adressées à « Saussure », mais à deux
der Quell des Bedürfnisses der Philosophie. » La raison procède piliers du Cours qui s'opposent en s'appuyant l'un
alors, s'affaire à penser la blessure, réduire la division, à l'autre pour soutenir une puissante édification.
revenir en-deçà de la source, auprès de l'unité infinie. , On sait que d'autre part, et ailleurs, Saussure lui-
Relever les termes de l'opposition, les effets de la division, même a tenu compte de la «motivation relative»
tel serait « l'intérêt de la raison », l'unique intérêt de la du signe. Il s'est méfié de tout ce que pouvait impli-
philosophie (Solche jestgewordene Gegensatze aujzuheben is! quer la réduction du. langage à la « nomenclature »
(la nomenclature -, cal are nomen ---, appelle les
das einzige Interesse der Vernunjt). Le progrès de la culture
noms, classe par les noms, honore et fait retentir les
a reconduit les oppositions du type esprit/matière, noms, mais du même coup, les inscrivant dans des
âme/corps, foi/entendement, liberté/nécessité et toutes réseaux taxinomiques et des croisements de géné-
celles qui en dérivent vers le grand couple raison/sensi- ralités, amorce leur décomposition, détruit leur inté-
bilité ou intelligence/nature, « c'est-,à-dire, par rapport au grité singulière de noms propres). Il a même tenté
concept universel, sous la forme de la subjectivité absolue dans les Anagrammes une lecture « remotivante »
et de l'objectivité absolue ». Or ces oppositions sont qu'on lui pardonne à peine, comme une songerie,
posées comme telles par l'entendement qui « imite » savante certes et d'un degré supérieur mais essen-
( ahmt) la 'raison. Ce rapport énigmatique, cette mime si! tiellement, dans les cadres actuels de l'institution
rationnelle organise donc toute l'histoire de la philosophie scientifique, dingue. (Prévenons ceux qui seraient
comme histoire du besoin, histoire de l'intérêt de la raison assez fous pour remotiver ce dernier mot, qu'il n'a
aucun rapport assuré de filiation étymologique avec
à relever le deux. La raison est un autre nom de la puis-
dinguer. C'est bien dommage mais ça peut se réparer.
sance d'unification (Macht der Vereinigung). Quand cette
force s'affaiblit ou disparaît, le besoin de philosophie
se fait sentir.
Toutes les synthèses finies qui, dans l'art et la reli-
gion, se donnent pour des synthèses absolues, ne vont Pour la poétique: «Dingo, adj. et n. m. (Dingot,
donc qu'imiter l'opération absolue de la raison. Ce sont fin XIXe ; de dingue). Fam. fou, V. Cinglé, dingue ... ».
encore, à cet égard, des « jeux divertissants ». «Dingue, adj. et n. (1915; o.i.; p.-ê de dengue*, cf.
Le besoin de philosophie n'est pas encore la philo- arg. la dingue « paludisme» (1890); ou de dinguer).
sophie. Il y a un pas encore de la philosophie. Celle-ci Pop. Fou, dingo. Il est un peu dingue. On devrait
-- déjà - s'y annonce. Or, proposition essentielle de la t'envoyer chez les dingues. »Dinguer, v.,intr. (1833;
raison et donc de la philosophie hegelienne, la philosophie d'un rad. onomat. din-', ding-, exprimant le balance-,
n'a son commencement qu'en elle-même. Elle est le ment (des cloches, etc.). Fam. (Après un verbe).
commencement, comme commencement de sQi-même, Tomber. «j'eus un éblouissement et m'en allai dinguer
au pied d'un marronnier» (Gide). Envoyer dinguer:
position par soi du commencement. Comment èoncilier
repousser violemment, et fig. éconduir'e sans
ces deux axiomes: la philosophie ne procède que d'elle-
ménagement. «Si c'était moi qui avais voulu les lui
même et pourtant elle est fille d'un besoin ou d'un intérêt présenter, ce qu'il m'aurait envoyé dinguer» (Proust).
qui ne sont pas encore la philosophie? * Dengue, n. f. (1866 mot esp. « minauderie »).
Dans sa propre position, la philosophie présuppose. Maladie endémo-épidémique des régions équato-
Elle se précède et se remplace elle-même dans sa propre riales, provoquée par un virus filtrant et caractéri-
thèse. Elle vient avant elle-même et se substitue à elle- sée par des doùleurs musculaires et articulaires
même. Mouvement en pro : on serait tenté de traduire le donnant une démarche raide d'apparence affectée.
concept fondamental de Voraussetzung par pro-position Hom. Dingue ». Robert, cette fois.)
ou pro-thèse plutôt que par présupposition, comme on
le fait d'habitude.
Le besoin de philosophie fait figure d'un limen, d'un
parvis, d'un vestibule, d'une marche, d'un escalier, d'un
seuil (VorhoJ)J d'un avant-coup:« Le besoin de philoso- Mais la remotivation, naIve ou subtile, n'est-elle
pas toujours un peu dingue. N'est-ce pas ce que
phie peut être exprimé comme sa pro-'position (Vor-
pense un théoricien de la motivation : « La
aussetzung) J si à la philosophie, qui commence avec elle- contrainte de démotivation ,- ou plutôt l'incapa-
même une sorte d'avant-cour (VorhoJ) doit être faite cité de démotiver - est un des symptômes carac-
(gemacht werden soli). » téristiques de l'aphasie. Les malades interprètent
La question de la famille, et donc de la religion, se les mots composés comme s'ils obéissaient aux
pose ai~si dans le préambule; la famille n'est chez elle règles de la charade : chiendent = chien +
dent
que dans le temps - où la raison ne s'est pas absolument (Goldstein).

no
réappropriée, ne s'est pas retrouvée auprès d'elle-même « La remotivation accompagne toute régression
mentale chronique. [ ... ] La guérison est accom-
"dans son absolue familiarité, où elle ne demeure pas
pagnée du retour progressif de locutions démoti-
encore. La traversée du vestibule - la famille, la religion
vées.
- est le passage de la pro-position à la positionphiloso- « Les idées délirantes des schizophrènes peuvent
phique qui en est la vérité. La vérité philosophique dit : être interprétées comme métaphores vécues. »
je suis toujours la famille et la religion. - . (F6nagy, Motivation et remotivation, Comment se
Dès lors la mort de Dieu, l'avènement chrétien, la dépasser?, in Poétique 11).
douleur infinie, l'onction, la trinité, le calvaire, la ressu-
rection se jouent sur le parvis, forment même une sorte
de représentation - comme la gloire elliptique d'un tym-
pan - devant l'édification dressée de la philosophie.
Limen du « vendredi saint spéculatif» : « Mais le
concept pur ou l'infinité comme l'abîme de rien (Abgrund
des Nichts) où tout être s'engloutit (versinkt) ne doit Cela est sans doute vrai. Mais quelle prise
désigner la douleur infinie que comme un moment (rein conceptuelle pertinente nous livre l'opposition
ais Moment), - douleur qui jusque-là n'était dans la motivation/démotivation-immotivation dès lors
culture que comme fait historique (geschichtlich) et consti- qu'on n'échappe à la « régression mentale chro-
tuait le sentiment (Gefühl) sur lequel repose la religion nique » de la re-motivation que pour risquer la
moderne, le sentiment que Dieu lui-même est mort (celui « régression verbale » de la démotivation? Six
dont Pascal avait donné une expression en quelque sorte pages plus loin: « Il est intéressant de voir que la
tendance à la démotivation - l'une des forces
empirique : « la nature est telle qu'elle marque partout
principales de l'évolution linguistique - peut
un Dieu perdu et dans l'homme et hors de l'homme ») être à la source d'une profonde régression verbale. »
-, mais il [le concept pur] ne doit donc désigner la Sans doute la « régression verbale» ne se confond-
douleur infinie que comme moment, moment de l'idée la elle pas simplement avec la « régression mentale»
plus haute, non davantage; de la sorte, à ce qui se bornait (encore que dans ce vieux code on ait du mal à
encore soit à la prescription (Vorschrift) morale d'un les dissocier); sans doute aussi l'auteur vise-t-il ici
sacrifice de l'être (Wesens) empirique soit au concept de « le langage des mathématiques » comme exemple
l'abstraction formelle, le concept pur doit donner une exis- de dé-motivation parfaite. Mais si seul le « langage
tence philosophique, et par suite donner à la philosophie mathématique» (est-ce un langage?) est l' «abou-
l'idée de liberté absolue et du même coup la passion absolue tissement » du procès de dé-motivation, tout le
ou le vendredi saint spéculatif qui jadis fut historique (histo- langage «naturel »a quelque chose à voir !ivec la
« régression mentale chronique » et la « schizo-
risch),. et il doit restaurer celui-ci même dans toute la
phrénie ».
vérité et toute la dureté de sa vacance-de-Dieu (Gottlo-
sigkeit) " c'est de cette dureté seulement, puisque le carac-
tère plus serein, plus dépourvu de fondement (Ungründ-
lichere), plus singulier, des philosophes dogmatiques aussi
bien que des religions naturelles doit s'évanouir, - que la
plus haute totalité, avec tout son sérieux et à partir de son
fondement le plus profond, étreignant tout à la fois et
dans la plus sereine liberté de sa forme, peut et doit Cela est sans dout~ vrai et pourquoi pas. Mais
l'auteur met aussi l'activité de « patients schizo-
ressusciter. »
phrènes » au compte de la dé-motivation! Le
concept de motivation est donc trop lâche et ses
La famille ne cesse d'occuper la scène et pourtant on présupposés trop obscurs. Ils obligent à conclure,
a l'impression qu'il n'en est jamais question. L'objet phi- selon les schémas de Condillac, de Rousseau et de
losophique nommé « famille » semble se dérober sans cesse. quelques autres, que le progrès est une régression
Les prémisses onto-théologiques, le noyau infini de la (une bonne et/ou une mauvaise récession vers
structure familiale, de la nomination, de la filiation certes, ('origine, voire en-deça de l'origine) : « La genèse

III
et l'évolution du langage est une lutte permanente
sont visibles. Mais toute la syllogistique fondamentale
entre les tendances qui poussent vers la démoti-
est dominée par le rapport père/fils dont on peut se deman-
vation et celles qui favorisent la remotivation. La
der s'il ouvre ou ferme la possibilité de la famille. Cette langue doit sa naissance à la démotivation, mais ne
domination appartient, semble-t-il, à l'essence de la Sainte pourrait évoluer sans avoir recours en permanence
Famille. Or c'est en passant à la Gott!osigkeit et à la dure à la remotivation des signes et structures. » Mais
impiété qu'on accomplit la Cène; on développe alors que dit-on alors et quels sont les enjeux, les formes
spéculativement ce qui n'était en elle qu'historique. Tant et les forces de cette lutte? Pourquoi fixe-t-elle sa
qu'on en reste à la Sainte Famille, tout se passe comme s'il représentation d'elle··même dans le duel de la
n'y avait pas encore de problématique de la famille propre- contrainte et de la liberté, de la motivation et de
ment dite. A moins que la Sainte Famille ne soit la famille l'arbitraire, de la nature et de la thèse.
proprement dite, le seul paradigme essentiel de toute
famille authentique. Ce n'est pas ici une thèse mais la thèse qui est
Qu'est-ce qui manque en effet à la Sainte Famille? structurellement en danger, qui est motivée à dé-
Qu'est-ce qui peut être en elle absent et que veut dire motiver. A ce point précis, si la dé-motivation est
absent dans ce cas? Est-·ce le père qui est absent? Est-ce motivée, si en effet « la théorie thesei [ ••• ] le
la mère? Puisque Joseph est absent et Marie vierge, le désaveu catégorique de toute motivation [ ••. ]
fils est le fils du Père : manquent le père et la mère, l'un est une défense, une protection contre l'attraction
exercée par ce contenu trop faiblement déguisé »,
du « point de vue» fini, l'autre du « point de vue» infini. Mais
la simple alternative de deux forces opposées
cette dissociation entre les deux points de vue est cela
(motivation/non-motivation) dans un champ homo-
même que critique la dialectique spéculative. Le rapport gène ne peut pas rendre compte de la division
de la Sainte Famille à la famille terrestre se joue dans interne et décalée de chaque force : la re-motiva-
cette étrange partie ou partition entre deux, trois et quatre tion aussi est apo,ropaïque.
qui travaille les premiers textes et « se développe » dans Sans doute une certaine logique du refoulement
tout le système ultérieur. En parlant encore de développe- est··elle ici indispensable et irréductible .- et elle
ment, on ne fait que nommer sans la résoudre une diffi- manque beaucoup dans les réflexions modernes sur
culté maintenant reconnue. le problème de la «motivation ». Mais il ne suffit
La problématique de la famille « terrestre» a là Sitt!ich- pas de recourir aux « notions» de la psychanalyse
keit pour espace conceptuel. Or cet espace n'est pas encore pour résoudre principiellement le problème et
entamer une classification systématique des éléments
ouvert, défini, déterminé dans L'esprit du christianisme.
en jeu. Par exemple en concluant justement que
Cela ne signifie pas que Hegel n'ait pas encore découvert
« chaque son du langage est un ensemble de traits
ou développé le concept de Sitt!ichkeit: il démontre plutôt: distinctifs articulatoires et acoustiques et se prête
qu'il ne pouvait pas se déployer effectivement, historique- par là à la représentation de plusieurs pulsions à la
ment, dans le christianisme en tant que tel. Le christia- fois », l'auteur des «Bases pulsionnelles de la phona-
nisme rend la famille à la fois possible et impossible. La tion » complique rétroactivement, risque même de
limite politique (divorce entre l'action spirituelle et contredire ou de compromettre toutes ses propo-
l' « action mondaine », scission entre l'au-delà et l'ici-bas, sitions antérieures. Et qu'adviendrait-il si les
réconciliation inachevée entre le Père et le Fils, etc.), pulsions (de quoi s'agit·iI?) ne se contentaient pas
compromet la totalité et réintroduit une nouvelle schize. de concourir par économie dans une même « repré-
Celle-ci doit être surmontée : on passe ainsi au syllo- sentation » phonique ou acoustique mais si elles se
gisme de la Sittlichkeit qui se développe dans l'Etat, après divisaient, voire s'indécidaient une à une dans leur
contradiction interne?
l'étape de la famille et de la société bourgeoise. La Sitt-
Quel intérêt
!ichkeit prend ici son départ: à la fois son origine et ce qui
la départit de son origine. Elle est issue du christianisme,
l'issue de la Sainte Famille. Développement donc, et contre classe, glas des
rupture : réponse à la question de méthode.
Les traits essentiels de la Sittfithkeit sont apparents
classes, ici même, ici maintenant. Sort du même
dans la Différence des systèmes... , Foi et savoir, l'article sur nom toujours en jeu. Ça s'écrit avec détachement.

II2
le Droit naturel. Mais le grand syllogisme de la Philosophie Car si les surnoms propres reviennent à (Notre-
du droit n'y est pas visible comme tel.
li s'agit alors d'imposer une science spéculative du Dame) des fleurs, celles-ci sont coupées de la
droit, un concept spéculatif de la Sittlichkeit " et pour cela mère.
de critiquer simultanément l'empirisme et le formalisme.
Ces deux démarcations sont toujours inséparables, pour
des raisons essentielles. Au cours de cette double critique,
la question de la famille semble n'intervenir què comme
un exemple. Si l'on veut savoir, par exemple, en quoi
consiste le mariage, cette totalité structurée qu'est l'union
conjugale, comment procéder? L'empiriste ne veut jamais
anticiper, il prétend procéder passivement, fidèlement, Détachées plutôt.
raconter, réciter (erzahlen) ce qu'il croit voir, énumérer
un certain nombre de prédicats qui viennent à sa ren-
contre. li dit : le mariage, c'est ceci, et puis cela, et encore Détacher.
cela. Ce prétendu contenu concret est déjà en situation
d'abstraction formelle au regard de l'unité totale que le
narrateur veut reconnaître. Mais comme celui-ci ne peut Peut-on ici se passer du mot? Détaché: comme
pas ne pas présupposer un principe d'unité - ce qui le plus grand style.
s'appelle le mariage .- il prélève, de façon non critique,
un prédicat et par l' « exclusion » des autres, le met en situa-
tion dominante. li en fait « l'essence et le but ». li dit par La coupure, la déliais on, certes, mais aussi la
exemple que l'essence du « rapport conjugal » réside délégation représentative, l'envoi d'un détachement,
dans l'éducation des enfants ou encore dans la commu- en mission auprès de l'autre, auprès de soi :
nauté des biens. Ce qui limite l'unité concrète du déve-
loppement conjugal (son syllogisme total), et affecte le « Elle [aile d'étamine, la .Mort] avait détaché,
« rapport organique », l'affecte d'abstraction. violente, pour La représenter, une cravate... »
certes, mais aussi d'une souillure : das ganze organische
Verhaltnis bestimmt und verunreinigt, il détermine et souille
tout le rapport organique. Pourquoi la démarche empi-
riste souillerait-·elle l'essence du mariage en la situant Et comme tous les tissus, quand ou veut
dans l'éducation des enfants ou dans la communauté des restaurer le téxte de l'Immaculée Conception, la
biens? Peut-être en méconnaissant l'amour. Verunreinigt,
cela pourrait aussi bien être veruneinigt, synonyme de cravate se détache.
entzweit : divise, désunit, tranche.
Cet exemple n'occupe que trois lignes mais il vient
très vite, à l'instant où se formule le projet d'une science
philosophique de la Sittlichkeit. En partant de l' « idée
absolue » il faut considérer « la nature et le rapport de la Avec ce détachement-là, réélaborer, comme
science du Sittlichen comme science philosophique, et le problème du seing, de la signature et du noin
rapport de cette dernière à ce qu'on appelle la science
positive du droit ». Or quand cette science sera constituée, de la mère, l'alternative du formalisme ou du
quand la Sittlichkeit sera définie du point de vue spéculatif, biographisme, l'inénarrable et si classique question
la famille en formera le premier moment. Il ne s'agit donc du sujet en littérature. « Ainsi, aux yeux de Notre-
pas ici d'un simple exemple et sa place n'est pas fortuite.
Les deux traits évoqués (communauté des biens et Dame ébahi, les petites tantes de Blanche à Pigalle
éducation des enfants) ne seront jamais disqualifiés comme perdaient leur plus belle parure : leurs noms

II~
tels. La critique porte ici sur la manière dont l'empiriste perdaient leur corolle, comme la fleur de papier
en opère la déduction. Plus tard, dans le syllogisme fami-
lial, premier cercle du grand syllogisme de la Sittlichkeit,
que tient le danseur--au bout de ses doigts et qui
ces deux prédicats s'ordonneront, comme le second et le n'est plus, le ballet fini, qu'une tige de fer.
troisième d'une totalité historique dont le mariage «< rap-
port éthique immédiat », unité naturelle des sexes trans- ici le fil de fer tendu, au bout des doigts, soutient la
formée en unité spirituelle) sera le premier moment. fleur de papier : dans son érection et dans son
apparence, le temps du ballet. Mais if est aussi ce qui
De plus, surtout, la division, la scission, la dissolu-
reste quand la fleur tombe, réduite, sans parure sans
tion sera conçue. Elle se produira effectivement et sera
couleur naturelle, à son tuteur réel. Et à son «nom
consommée avec l'éducation des enfants après avoir été propre ». Les tantes perdent leur parure, les noms
préparée par le mariage et la communauté des biens. Mais leur corolle au moment où l'huissier- crie les «noms
il ne s'agira plus alors de dissoudre théoriquement la famille, propres » d'état civil, appelle, classe selon la loi,
par un procédé de connaissance empirique, par une défail- redistribue les genres: « ... àl'apper : "Berthollet
lance scientifique. Il faudra comprendre, concevoir com- Antoine", parut Première Communion, à l'appel:
ment la famille se dissout elle-même réellement, ~ffectivement, "Marceau Eugène", parut Pomme d'Api. Ainsi,
dans l'éducation des enfants et le passage à la société aux yeux de Notre-Dame ébahi, les petites tantes
bourgeoise. de Blanche à Pigalle perdaient leur plus belle
Principe de la destruction interne, la négativité parure ». Retour à la nomination naturelle, c'est-à-
domestique n'intervient pas seulement en ce point précis, dire à la première violence classificatoire, inversion
du sexe, réintroduction du prénom qui vient en
à l'intérieur du moment familial. L'exposition à la mort
second, en toute rigueur taxinomique. Il ne reste
est la condition de toute totalité éthique en général, ici
plus que des fils.
du peuple.
La doctrine de la peine de mort assure en effet le
passage de la critique du formalisme à la position de la
Sittlichkeit absolue. Dans une interprétation qui lui est
propre, Hegel reprend une argumentation alors assez
courante, commune à Rousseau et à Kant par ,~xemple :
la peine de mort est la condition de la liberté. Lê criminel
se distingue de l'animal, se pose comme sujet libre, assume
l'identité de son nom, etc., en s'élevant au-dessus de la vie.
La peine n'est pas une punition contraignante ou répres-
sive. Application de la loi universelle, elle manifeste la
liberté de ceux qui l'appliquent et de ceux qui la subissent.
En acceptant sa peine, voire en la revendiquant, en la
glorifiant, le criminel reconnaît la loi et il est donc libre.
La peine de mort porte à l'absolu cette manifestation de
liberté. L'article sur le Droit naturel, comme la Phénomé-
nologie dans le chapitre sur la « dépendance et l'indépendance
de la conscience de soi,· maîtrise et esclavage », fait de la mise
en jeu de la vie naturelle la condition d'une subjectivité
libre.
Mais le rôle des fils peut s'inverser ou retrouver
Au centre de cette démonstration, un couple de en contre-épreuve le sens de la gravure. Pour un
concepts désignant des opérations de droit. En acceptant funambule est un hymne au fil. Le danseur cette fois
le principe d'une peine qui n'a pas pour fin de le punir, ne tient pas le fil de fer au bout des doigts, il tient-
de le châtier, de le mutiler, mais de l'élever au contraire à comme le texte - sur un fil. Le fil - le sujet du
la liberté de la communauté éthique, l'individu singulier texte -- le soutient au bord de la chute (<< Le fil
devient libre, se fait reconnaître comme tel par la société, te portera mieux, plus sOrement qu'une route »).

114
il est alors « bezwungen aber nicht gezwungen >}. Les traducteurs Le funambule doit aimer son fil comme ce qui le
français disent que ce jeu de mots est intraduisible et ils porte mais d'abord comme ce qu'il aura porté,
n'ont sans doute pas tort. Les deux: verbes ont en effet des fait naÎtr'e ou plutôt ressuscité, Œdipe ou Jésus:
« Cet amour - mais presque désespéré, mais
sens très voisins, renvoyant tous à ce que j'appellerai un
chargé de tendresse - que tu dois accorder à ton
mouvement de striction: étreinte, contrainte, restriction; fil, il aura autant de force qu'en montre le fil de fer
il s'agit toujours de serrer, contenir, réprimer, soumettre, pour te porter. Je connais les objets, leur malignité,
comprimer, refouler, dompter, réduire, forcer, subjuguer, leur cruauté, leur gratitude aussi. Le fil était mort
asservir, enserrer. Mais Hegel choisit de dissocier et - ou si tu veux, muet, aveugle - te voici: il va
d'opposer rigoureusement l'un à l'autre, zwingen à bez- vivre et parler. » Les places vont s'inverser, le fil
wingen, en reprenant en partie la terminologie de Fichte danse et le danseur s'aveugle, la gloire revient au
qui parle, dans ses Grundlage des Naturrechts, d'un Zwangs- vrai sujet: le fil : «Tes bonds, tes sauts, tes danses
gesetz. La striction du bezwingen se distingue de la simple - en ar'got d'acrobate : tes flic-flac, courbettes,
application d'une contrainte empirique, elle érige l'individu sauts périlleux, roues, etc. - , tu les réussiras,
empirique en sujet libre. Le plus haut de cette érection non pour que tu brilles, [non pour qu'elle, la mère,
brille: « Une paillette d'or est un disque minuscule
s'appelle la mort : « Ce négativement absolu, la liberté
en métal doré, percé d'un trou »- c'est l'ouver,·
pure, est dans son phénomène (Erscheinung) la mort, et ture du texte, sa première phrase], mais afin qu'un
par son aptitude (.Fahigkeit) à la mort le sujet se manifeste fil d'acier qui était mort et sans voix enfin chante.
comme libre et simplement élevé (erhaben) au-dessus de Comme il t'en saura gré si tu es parfait dans tes atti-
tout Zwang. La mort est l'absolue Bezwingung. >} Comment tudes, non pour ta gloire, mais pour la sienne!
traduire? La mort est le phénomène (l'apparaître brillant,
le lustre, la gloire, l'éclat luisant, l'Erscheinung) du sujet
qui s'y libère en s'assujettissant à l'université de la loi.
n s'élève alors, se dresse au-dessus d'un certain type de
striction (Zwang),. mais il ne peut se dresser ainsi qu'à
subir le surcroît: absolu d'une contre-striction qui, à le « Que le public émerveillé l'applaudisse :
châtier absolument, le libère totalement de la striction - Quel fil étonnant! Comme il soutient son danseur
antérieure, qu'on appelle naturelle, empirique, etc., et et comme il l'aime!
qui est toujours plus faible. La Bezwingung érige la Hberté en
levant le Zwang. Surcroît absolu - colossal en tous cas
- d'une contre-érection. Mais qu'est-ce qu'un surcroît
absolu? Comment en tenir compte? Comment tenir compte
de la mort dans le calcul de tout ce que l'on veut ériger?
Ce qui s'élève ici ne s'élève pas simplement mais « A son tour, le fil fera de toi le plus merveilleux
d'abord (se) relève (aufhebt). Le calcul ne peut donc danseur. [ ..• ] Que ta solitude, paradoxalement,
plus rien déterminer, car la relève suspend toute déter- soit en pleine lumière, et l'obscurité composée de
minité, qu'elle soit positive ou négative, elle suspend le milliers d'yeux qui te jugent, qui redoutent et
plus et le moins. La mort, la liberté sont une « Aufhebung espèrent ta chute [« Elle espérait que, demain,
sowohl des Plus ais des Minus >}, une relève du plus comme Notre-Dame serait condamné à mort; elle le dési-
du moins. Cette relève, l'acte de auJheben « ne peut être en rait. »], peu importe: tu danseras sur et dans une
lui-même saisi positivement par la réflexion >}. Devant solitude désertique, les yeux bandés, si tu le peux,
la loi infinie qui prescrit la mort, l'équivalence du + A et les paupières agrafées. Mais rien- ni surtout les
applaudissements ou les rires - n'empêchera que
du - A anéantit les deux: déterminations. Seule la mort: tu ne danses pour ton image. Tu es un artiste -
permet d'accéder à cet infini qui permet de calculer hélas! - tu ne peux plus te refuser le précipice
l'incalculable, d'annuler ainsi infailliblement le calcul, monstrueux de tes yeux [.. ,,] ce n'est pas toi qui
sans faire marché de châtier : « Ainsi la peine est la restau- danseras, c'est le fil. Mais si c'est lui qui danse immo-
ration de la liberté. [... ] elle procède de la liberté et reste bile, et si c'est ton image qui fait bondir, toi, où
dans la liberté même en tant que striction (ais bezwingend) • donc seras-tu? »

II5
Quand au contraire on représente la peine comme con- Pour un funambule se divise en deux: paragraphes
trainte (ais Zwang), elle est posée seulement comme une en italiques, paragraphes en romain, récit et apos-
déterminité et comme quelque chose de simplement fini, trophe, je~il, je-tu. Le fil du texte disparaît, réappa·,
raît, se tend jusqu'à la vibration, devient invisible
ne comportant en soi aucune rationalité, elle tombe sous
par trop de rigueur ou de détours, se charge de
la catégorie commune de chose déterminée qu'on échange tous les noms, porte la Mort et le mort. Déjà-,
contre une autre, ou de marchandise qu'on acquiert au la veille - la place du mort: « La Mort -, la Mort
prix d'une autre, à savoir le crime; l'Etat comme puissance dont jete parle -,-, n'est pas celle qui suivra ta chute,
judiciaire tient alors un marché avec des déterminités mais celle qui précède ton apparition sur le fil.
appelées crimes, qui sont en vente contre d'autres, et le C'est avant de l'escalader que tu meurs [ .•. ]
code (Gesetzbuch) est un tarif (Preiskourant). )} Mais veille de mourir avant que d'apparaître, et
Peine par excellence, la mort échappe à tout: calcul qu'un mort danse sur le fil.»
judiciaire et répressif qui chercherait à établir une équi-
valence entre le registre du crime et celui de la peine,
comme si en additionnant à gauche le montant des
infractions, à droite celui des châtiments, puis en sous-
trayant l'un à l'autre, on pouvait annuler une dette, en
acquitter. La mort échappe à l'opération de la dette finie.
Non qu'aucune équivalence ne s'y produise. L'équivalence,
la réciprocité (Wiedervergeltung) est la rationalité de toute
peine. Mais dans la peine de mort, l'équivalence devient Le déplacement renvoie sans cesse de la veille au
infinie, obéit à une loi infinie; elle ne peut pas laisser déter- fil, du funambule, réciproquement, à la vieille,
miner une hauteur empirique dans des colonnes arith- par une sorte d'alternance aussi régulière que celle
métiques. Et précisément parce que l'équivalence entre du jour et de la nuit: le funambule devient la vieille,
la dette et le châtiment est infinie, aucune ressemblance, une vieille cloche, des loques, une toison postiche,
aucune commensurabilité, aucune analogie déterminables qui devient le funambule dont elle cache en quelque
ne se laisse saisir entre leurs deux registres, leurs deux sorte le fil tendu sous ses robes de haillons: «Faut-il
le dire? J'accepterais que le funambule vive le jour
portées. Aucun rapport ne s'y donne à entendre, ne.donne
sous les apparences d'une vieille clocharde, édentée,
prise aux concepts finis et aux déterminations de l' ~nten­ couverte d'une perruque grise : en la voyant, on
dement. L'équivalence est infinie et nulle. saurait quel athlète se repose sous ses loques, et
Une telle analyse a déjà cessé de traiter le cas d'un l'on respecterait une si grande distance du jour à
individu soumis à la peine de mort. Elle concernait la nuit. Apparaître le soir! Et lui, le funambule,
le fonctionnement total d'une communauté éthique : ne plus savoir qui serait son être privilégié: cette
l'équivalence infinie ne peut se produire dans le rapport clocharde pouilleuse ou le solitaire étincelant?
entre des individus ou des groupes empiriques finis. La Ou ce perpétuel mouvement d'elle à lui?»
totalité éthique absolue, Hegel l'appelle alors le peuple.
Or le peuple lui-même n'accède à la Sittlichkeit et ne
devient libre comme totalité éthique (sittliche) qu'à mettre
sa vie en jeu, à se dresser au-dessus de ses déterminations
naturelles dans un mouvement strict. Le Bezwingen, la
striction infinie et donc non contraignante de la mort,
produit le strict : ce qu'on appelle l'esprit, la liberté,
l'éthique, etc. Le peuple doit risquer sa vie, ne pas hésiter
à se laisser détruire comme peuple empirique pour devenir la fête est brève, elle engage autre chose que
un peuple libre, c'est-à-dire un peuple au sens strict. (, notre monde et sa logique », nous reconduit dans
Cela n'est possible que dans la guerre. Condition de « ce ventre énorme de toile », dans « les flancs
l'éthique, celle-ci n'appartient plus à. l'ordre des phéno- dl\ monstre » où « ton bref tombeau nous illu-
mènes naturels (comme chez Rousseau par exemple) : mine. »

nG
elle manifeste la conscience, l'esprit, la culture. Un peuple La Mort prend la place de la veille, autrement dit
qui a peur de la guerre retourne à l'animalité, il veut de la Vierge. C'est pour elle et en son nom que le
sauver sa vie, sa santé naturelle et biologique; mais il fil doit se tendre et le funambule fasciner (<< tu
altère sa vie spirituelle et sa santé éthique. ne viens pas divertir le public mais le fasciner »
- le mot fasciner revient trois fois), danser,
Bien entendu, s'il perd la guerre - comme le crimi-
bander, faire bander (<< Et danse! Mais bande.
nel après la chute du couperet et les matières eucha~isti­ [... J. Bande et fais bander. ») Au moment du
ques après consommation -- il redevient naturalité empi- narcissisme absolu. (<< Bande, et fais bander. Cette
rique. S'il la gagne aussi et ce qui se dresse ici ne tient chaleur qui sort de toi, et rayonne, c'est ton désir
donc qu'à un fil, ne jamais le perdre de vue. pour toi-même _. ou pour ton image - jamais
La guerre empêcherait donc le peuple de pourrir, comblé. ») C'est à la mort et à la veille encore
elle préserve « la santé éthique des peuples », comme le que la fête est donnée .- en présent (la veille -
vent qui agite les mers les purifie, les garde de là décom- déjà -- à ma place). La mort prenant la place de
position, de la corruption, de la putréfaction (.Faulnis) la veille, la dénégation met au futur (ce) qui n'aura
dont l'infecterait un « calme permanent >) (dauernde Stille), jamais été présent. « Il va de soi que je n'ai pas
et afortiori une «paix perpétuelle >). Dans cette putréfaction, voulu dire qu'un acrobate qui opère à huit ou dix
mètres du sol doive s'en remettre à Dieu (à la
ce retour à la nature inorganique, le peuple perdrait
Vierge, les funambules) et qu'il prie et se signe
son nom et sa face, sa figure (Gestalt), sa forme. Il ne avant d'entrer en piste, car la mort est au chapi-
tiendrait plus debout. Hegel cite Gibbon : la paix et la teau. Comme au poète, je parlais à l'artiste seul. »
maîtrise assurée ont agi sur les Romains comme un Non pas au seul artiste mais à l'artiste seul. « Dan-
« poison lent et secret >) (langsames und geheimnes Gift) serais-tu à un mètre au-dessus du tapis, mon
dans les forces vitales de l'empire, de l'aigle romain. injonction serait la même. Il s'agit, tu l'as compris,
de la solitude mortelle, de cette région désespérée
et éclatante où opère l'artiste. [ ••. ] l.es légendes
gothiques parlent de saltimbanques qui, n'ayant
pas autre chose, offraient à la Vierge~ leurs tours.
Devant la cathédrale, ils dansaient. Je ne sais pas à
quel dieu tu vas adresser tes jeux d'adresse, mais
il t'en faut un f ... ] Dieu n'existe encore pour per-
sonne [...] Tes gestes peuvent être repris ... »

Comme tout cela ne tient qu'à un fil, le corps éthique


doit sans cesse répéter l'acte spirituel de son surgisse-
ment, il doit toujours renaître, se rappeler à son nom et
à sa liberté. Dans ce texte, le nom de ce qui reprend son
vol, ce n'est ni la chouette ni l'aigle, mais le phénix :
1 à partir de sa consumation, la vie, « comme sa propre
Question d'adresse, et ae savoir pour qui se signer
! graine >) (aIs sein eigenes Samenkorn), « s'élève (emporhebe)
encore. A la place et en vue de qui, déjà, pour qui un
éternellement de ses cendres à une nouvelle jeunesse >). funambule ainsi.
C'est la représentation, l'exécution, l'interprétation
( Aufführung), dans le monde éthique, de la « tragédie
que l'absolu joue éternellement avec lui-même >) : « il
s'engendre éternellement dans l'objectivité, se livre ainsi,
dans cette figure qui est la sienne, à la souffrance et à la
mort et s'élève (erhebt) , hors de ses cendres, dans sa
gloire [Herrlichkeit : son éclat, sa majesté, sa souveraineté,
sa pompe] >). En cet éclat, instance propre du phénix,
l'absolu de ce mouvement est tragique parce qu'il est Si vous suivez ce fil, ou un autre, du funambule au

II7
double, absolument double : le divin y a « immédiate- Ticktack des kleinen Glücks. au Klang einer Glocke et •
ment une nature dédoublée (gedoppelte) , et sa vie est à la morsure de soi, tout près de la fin, vous disposez
ici, éomme en contrebande, de tout le nécessaire
l'absolu être-un (Einssein) de ces natures ».
pour une lecture à peu près complète, littérale-
« Sein Leben ist dos obsolute Einssein dieser Noturen. » ment littérale, de Zarathoustra. Vous pouvez véri-
L'Einssein, le mot éclatant de l'éclat, mot double et mot fier.
un, littéralement l'un et l'autre, les deux au sein de l'un, •
la différence de l'autre en l'un 1iée ( «car celle-ci, sa propre
Reste à détailler une fois encore
vie (ihr eigenes Leben) n'est que dans son être-lié (Verbun-
densein) à l'autre »), l'Einssein est la tragédie absolue
à cause de cette ligature absolue. La comédie, la divine et
la moderne, consiste à délier l'absolu, à en séparer les
deux membres. l.e destin et le combat y deviennent une Ne valait-
ombre sans essence, une farce assurée de sa jouissance.
Ce qui tend les membres de l'Einssein dans la « rela- il pas mieux qu'il dansât toute la danse avec un
tion d'un corps propre » (in leibhofter Beziehung) s'est
relâché. Les deux membres sont retombés l'un à côté de simple fil de fer? La question vaut d'être examinée.
l'autre.
Les tantes montraient cette carcasse que Mignon
A cette régénérescence, à l'instance la plus haute de discerna sous la soie et le velours de chaque
ce vol, tout doit être soumis : le monde du travail, du fauteuil. Elles étaient réduites à rien, et c'est encore
besoin, de la jouissance. Bien qu'il ne mette pas expressé-
ment ce monde du côté de la servilité, l'article sur le là ce que l'on a fait de mieux jusqu'alors. Elles
Droit naturel énonce clairement la nécessité de subordonner arrivaient, provoquantes ou timides, parfumées,
le « système de ce qu'on appelle l'économie politique » maquillées, s'exprimaient avec recherche. Elles
et la science qui y correspond; à la maîtrise (Herr schaft)
de la totalité éthico-politique consacrée par son exposi- n'étaient plus le bocage de papier crêpelé fleurissant
tion à la mort. aux terrasses des cafés. Elles étaient de la misère
Il faut veiller à ce que cette hiérarchie ne soit pas
renversée. Hegel dialogue ici avec Platon et Aristote..
bariolée. (D'où viennent les noms de guerre des
Il distingue entre les classes ou les « états » (,$tande). Le tantes? Mais, d'abord, notons bien qu'aucun d'eux
System der Sittlichkeit place la classe aristocratique (poli- ne fut choisi par ceux qui les portent. Pour moi, il
tique et militaire) au sommet de la hiérarchie : elle affronte
la mort et s'élève au-dessus des besoins. La bourgeoisie
n'en est pas de même. Il ne m'est guère possible
commerçante et industrielle, die erwerbende Klasse, la classe de préciser les raisons qui m'ont fait choisir tels
de l'acquisition, forme la richesse et s'enferme dans la ou tels noms : Divine, Première Communion,
mollesse de la vie privée. Elle n'atteint l'universel que
dans l'abstraction formelle et son droit ressemble au
Mimosa, N otre-Dame-des-Fleurs, Prince-Monsei-
pharmakon de la République, longuement citée par gneur, ne sont pas venus au hasard. Il existe entre
Hegel : il engendre des maladies plus variées et plus eux une parenté, une odeur d'encens et de cierge
graves au lieu de rendre la santé. Ils ne savent pas qu' « en
fait ils décapitent, pour ainsi dire l'hydre » (sie in der Tat
qui fond, et j'ai quelquefois l'impression de les
gleichsam die Ifydra zerschneiden : ·'Y8pcxv -tt[J.VOUCiLV.) Enfin, avoir recueillis parmi les fleurs artificielles ou /
troisième état, une classe paysanne qui n'a rapport au naturelles dans la chapelle de la Vierge Marie,
tout concret que dans la forme sensible ou sentimentale
de la confiance.
au mois de mai, sous et autour de cette statue de
Après que la possession (Besitz) est devenue pro- plâtre goulu dont Alberto fut amoureux et derrière
priété (Eigentum), après l'institution du droit et d'une vie quoi, enfant, je cachais la fiole contenant mon
éthique formelle, c'est la troisième étape, la vie éthique,
la Sittlichkeit absolue. Le schéma organisateur des Prin- foutre.) »
cipes de la philosophie du droit est lisible, selon le problé- « Pour moi, il n'en est pas de même » dit

uS
matique déjà que l'on sait: le droit abstrait qui traite de l'enfant au plâtre goulu.
la propriété, la moralité subjective formelle (Mora/itat) ,
la moralité obj ective ou éthique (Sittlickkeit) rythmée
par les trois totalités que sont la famille, la société civile
ou bourgeoise, l'Etat. « Au-dessus des deux, dit le Droit
Naturel, il y a le troisième, comme l'absolu ou l'éthique
( das Sittliche) ». Tout ce qui le précède, la possession, la
propriété, le travail, le droit abstrait, la justice formelle Voire.
« vise la singularité et n'inclut pas en soi le risque de
mort ».
Tout ce procès se décrit à travers ce que Hegel
considère comme des « images » naturelles. Il les critique
moins qu'il n'en explique la nécessité: le rapport réglé
qu'elles entretiennent avec leur sens spirituel. La figure
animale et orientale du Phénix sera remise à sa place par Se cravater avec un tel texte.
La raison dans J'histoire. Toutes les références à la vie et à
la mort naturelles imitent et déforment le procès de la
vie ou de la mort spirituelles. On retrouve partout le
rapport de la nature à l'esprit: l'esprit est (hors de lui-
même) dans la nature; la nature est l'esprit hors de soi.
La métaphore finie, la vie organique réelle est impuissante Notre·. .Dame qui étrangle avec le détachement
à accueillir toute la divinité spirituelle de la Sittlichkeit ,.
cependant elle « exprime déjà en elle:. .même l'idée absolue, d'un phallus que sa victime. commence par lui
mais déformée ». Elle a en elle l'infinité absolue, « mais offrir, par lui tendre (son cou, sa cravate) est: vierge,
seulement comme une indépendance négative imitée et conçu sans péché, comme sa mère «< Je suis
(nachgeahmte), à savoir comme liberté de l'individu singu-
lier ». Il en va de même pour la métaphore platonicienne l'Immaculée Conception ») dont il est aussi le
de la cité comme animal immortel, pour la perfection phallus. Qu'elle lui a donné. Il est sa mère et
de la pierre ou la fleur du système céleste. lui, et sa mère est sa victime. Il s'étrangle donc
Le minéral parfait semble en effet représenter l'être-
un (Einssein) d'une totalité absolue. Dans la forme exté- en disant: « Je suis l'Immaculée Conception ».
rieure de sa cristallisation, dans la forme intérieure de sa Il ne peut le dire que dans la transe d'un hoquet,
brisure (Bruch) chaque partie semble être le « représentant tout près de se vomir. Le sein de sa mère tout
du tout » (Reprasentant des Ganzen). En vérité, il s'agit
là d'une association externe, d'une réciprocité de compo- craché. L'enfant ne peut dire « Je suis l'Immaculée
sition (Aussereinander) et non de pénétration. Aucun Conception » qu'à vouloir se foutre de lui-même.
élément n'est « pénétré » (durchdrungen) par l'identité véri- Et donc de sa mère. Dont il reste - cependant-
table de l'infini. Les sens du minéral n'ont « aucune
conscience ». A la différence de ce qui se produit pour un le phallus, le cas selon Pierre, christique et dio·. .
sens spirituel, « sa lumière est une couleur singulière et ne nyslaque.
voit pas ». Le son qu'il émet lorsqu'il est frappé, il ne
l'émet pas de lui-même, comme une voix, mais il le
reçoit comme d'une source étrangère (Sein Ton tont
angesch/agen von einem Fremden, aber nicht aus sich). Son goût
ne goûte pas, sa senteur ne sent rien, son poids et sa
dureté ne sont sensibles à rien.
La rigidité cassante et rebelle du minéral doit être Non loin de la crèche.
réduite. C'est encore une opération de Bezwingung : la « Cette dèche fabuleuse fit à Notre-Dame un
fluidité élémentaire doit pénétrer. C'est d'abord celle de piédestal de nuée; il fut aussi prodigieusement
l'éther qui annonce l'indifférence absolue de l'esprit sur
un mode négatif et qui se « marie » avec l'infinité absolue. glorieux que le corps du Christ s' élevant,pour y
Puis ce sont les « formations supérieures », « la socialité demeurer seul, fixe, dans le del ensoleillé de midi. »
des feuilles, des plantes, du sexe, de la vie en troupeau Le fils ou le phallus de la vierge couche donc
et du travail en commun des animaux ». Dans son indiffé-
rence quantitative absolue, l'éther est ce qui ressemble le immédiatement avec sa mère, le père mort (ou
plus à l'indifférence (lndifferenz) de la vie éthique. li a écarté par l'Immaculée Conception mais se dis-
projeté son indifférence absolue au dehors, dans des
« indifférences de lumière (Lichtind~lferenzen) »; sa raison
pensant aussi bien, de ce fait, de passer essentielle-
intérieure, il l' a mise en expansion, lui a donné naissance ment par la mère, engendrant dès lors son fils
en l'expulsant (in die Expansion herausgeboren hat) : ce tout seul, s'auto-inséminant et s'appelant en lui:
sont les « fleurs des systèmes solaires » (Blumen der Sonnen-
systeme). Ces « individus de lumière » (Lichtindividuen) se le fils qui est la mère est aussi le père qui est la
sont dispersés dans la multiplicité, tandis que ceux qui mère qui est le fils, « et ainsi de suite sans que
se disposent en cercle pour former les « pétales » de ces personne osât s'attarder à la reconnaître », la
fleurs se tiennent en face d'eux, dans une « individualité
rigide », dans un rapport d'extériorité. La fleur du système cravate, et vous pouvez, au cours du procès,
céleste ressemble donc à l'unité du système éthique mais suivre le détachement) feint de n'y plus faire
ses éléments restent étrangers les uns aux autres, dans obstacle.
une sorte d'idéalité abstraite. La fleur céleste forme un
déploiement: sans unité intérieure, une juxtaposition
ordonnée mais purement éployée, dépliée, sans secret: ni
rapport à soi : die aujJereinandergejaltete Blume des himmli-
schen Systems. Dans l'analogie, la différence reste essentielle:
quand on parle de l'esp.rit, cette fleur donne un~ bonne
image mais sa valeur est encore de rhétorique. N'allez surtout pas croire que je vous raconte
id, dans l'arrière-boutique de la pharmade de
Jésus, l'histoire d'un genêt dont la teinture, le
pharmakon, m'intéresse avant tout. Et il est vrai
que je n'aurai rien fait si je n'ai pas réussi à vous
Potenz : ce mot apparaît quelquefois dans le Droit affecter de genêt, à vous colorer, barbouiller,
naturel. Quelques années plus tard, il fournira le concept encoller, à vous rendre sensible, à vous trans-
organisateur le plus général de la philosophie de l'esprit former, par delà tout ce qui se combine id, depuis
d'Iéna. L'analyse de la conscience y sera en effet divisée
ou développée en trois « puissances » : I. La mémoire l'affect le plus propre de ce texte.
et le langage; c'est la puissance « théorique » : sensation,
imagination, mémoire. 2. L'instrument (Werkzeug), puis-
sance « pratique » : désir, travail, instrument. 3. La posses-
sion et la famille: famille, lutte pour la reconnaissance,
passage à l'esprit de peuple.
Qu'est-ce que la Potenz? Un moment du moment,
un moment du concept hegelien de moment. Le mot et Mais y en a-t-il? Et de quel texte? du sien,
sans doute le concept étaient présents dans la philosophie du mien?
120
de la nature de Schelling. Les Idées pour une philosophie Je place ~ette touche ici seulement à cause de
de la nature décrivent la sortie hors de soi de l'absolu
dans la nature, comme nature, selon le rythme ternaire de
la couleur, d'un « jaune brouet de maïs }) que je
« puissances ». Celles-ci sont à la fois une dynamis et une ne sais plus où mettre dans mon adoration.
energeia, une virtualité et un acte, une totalité acheyée
à laquelle est comme suspendue la totalité à venir. Une
puissance porte la mort de l'autre. L'absolu sort de lui
dans le fini, le pénètre de son infinité pour le faire revenir
à lui. Il l'absorbe, le résorbe après être entré en lui. Ce
mouvement d'effusion/résorption manifeste l'absolu qui
se différencie, sort de la nuit de son essence et paraît Voyez. C'est toujours pendant le procès, d'une
au jour. Telle présentation se produit en trois actes, que écriture style annale. Divine vient témoigner pour
Schelling nomme « puissances ». La nature, première unité Notre-Dame:« ... Je le crois très naïf, très enfant
qui, pénétrée par l'infini, se transforme à son tour en
monde idéal, lequel se transforme à nouveau en nature. [...] Il pourrait être mon fils. »
a vouloir être aus-
On retrouve le même schéma dans Les Ages du monde; Comme Ga briel l'Archange, sou- si mèredeGabriel,
il s'agit cette fois de la natura naturans et de Dieu. La
marque de Boehme est sensible. L'absolu abyssal (Un-
venez-vous. L'auteur ou le narra- celle qui se pré-
nomme, le sur-
grund) est sans puissance (Poten.zlos). Cette im-puissance teur (toujours entre l'un ou l'autre nomme, dénomme /
est son germe primitif. Dieu sort de ce néant et c'est l'être des seings) nous explique alors .- Divine - an-
qui est (das Seiende). Enfin l'union hiérarchique de l'être nonce dans tout
comment Culafroy est devenu l'éclat de son iden-
et du non-être est la troisième puissance. Comme dans
le Droit naturel, chaque totalité, chaque puissance procède Divine, comment. son nom s'est tité : je suis ma
à la striction de la précédente, l'étrangle et l'élève à la mère, ma fille,
écrit Divine et le transforma dès mon fils et moi.
puissance suivante, selon un procès circulaire qui va
lors, lui, le nommé, le surnommé, La mère précède
comme de la graine à la plante puis de la plante à la
graine. en « poème écrit seulement pour et suit obstiné -
ment le cortège
Hegel a donc plus qu'un mot en commun avec lui, hermétique à quiconque n'en a
Schelling. Mais toute la critique de la triplicité schellin-
gienne s'indique en particulier dans la substitution, à
pas la clé }).
l'époque d'Iéna, du terme Moment au terme Potenz. Dans C'est donc le moment d'expliquer comment
le manuscrit: de la Realphilosophie d'Iéna, une rature en le narrateur, non l'auteur, - disons pour être
garde trace; mais ailleurs, le mot Potenz est resté longtemps
en place.
circonspect genêt - s'est fait un nom, une fleur,
Ce que Hegel dit de la structure de la Potenz - et s'est taillé une belle renommée dans les lettres.
qui sera vrai du moment dialectique - nous explique Il se compare à Divine: « En somme, voilà sa
comment lui, Hegel, entendait être lu. On peut" transposer
ce qu'il énonce de chaque Potenz à chaque totalité orga-
gloire secrète, semblable à celle que je me suis .
nisée de son texte, qui à la fois répète et anticipe, marque fait décerner pour obtenir enfin la paix. » Une
pourtant un bond, un saut, une rupture dans la répétition, chiromancienne a en effet annoncé à genêt qu'il
tout en assurant la continuité du passage et l'homogénéité
d'un développement.
avait du génie et qu'il serait célèbre un jour. Sur
Une pluralité de secousses continues, de saccades le fond de ce vieux« besoin de se croire du génie »
ininterrompues, tel serait le rythme. Les deux dernières il ennoblit son nom, coiffe sa généalogie de cette
pages du Droit naturel décrivent en effet la vie et la mort
des « puissances », par exemple de ces totalités éthiques que célébrité virtuelle. Il la gagnera, cette ~loire,
sont les « peuples ». Dans chaque totalité particulière, en l'aura plus étincelante que toutes, s'en couronnera
I2.1
tant que telle, la totalité absolue s'arrête, arrête sa néces- mais en la cachant dans quelque crypte littérale,
sité. La totalité particulière prend alors, comme partie, ineffable, toute illuminée du dedans. C'est « un
une certaine indépendance, une certaine su]Jsistance.
S'arrêter, c'est ici sich hemmen. On traduit souvent hemmen parchemin que personne ne saurait déchiffrer,
par inhiber, réprimer. La totalité infinie s'inhibe.dans la une naissance illustre gardée secrète, une barre
Potenz. Elle se limite, se donne une forme, sort d'un cer- de bâtardise royale, un masque ou peut-être une
tain apeiron, se suspend, met fin à elle-même, mais le retard
qu'elle prend ainsi sur elle-même (hemmen signifie aussi filiation divine, quelque chose peut-être de ce
retarder, différer) est la condition positive de son appa- qu'avait éprouvé... »
raître, de sa gloire. Sans lui, sans la striction suspensive et
inhibitrice, l'absolu ne se manifestemit pas. Le retard
est donc aussi une avance, un progrès, une anticipation
sur le déploiement absolu de l'absolu. D'où ce double
mouvement archéo-téléologique : « L~absolue totalité
se suspend (hemmt sich) comme nécessité dans chacune
de ses puissances (in jeder ihrer Potenzen), s'y produit
(bringt sich hervor) comme totalité, répète ( wiederholt) Cependant la filiation divine dont s'affecte
ici même les puissances précédentes aussi bien qu'elle
anticipe (antizipiert) les suivantes. >}
le genêt, c'est une conception immaculée, permet-·
Les puissances s'enchaînent: conséquence de l'une tant au fils de prendre·- donc de laisser - toutes
à J'ftutre et limitation qui tient l'absolu dans ses chaînes. les places, de coucher tout seul- avec ici le père
D'enchaînement n'est pas une déduction sereine et conti-
nue. Dans le conflit des forces, la guerre, la lutte à mort, en soi, là la mère effective (ansichseiende Vater
la puissance la plus puissante réprime les autres. Mais und nur tine wirkliche Mutter) mais nur tine c'est
comme cette guerre exprime l'absolue nécessité, la plus le meilleur) comme dans la religion absolue)
grande force n'est pas contraignante au moment même
où elle s'impose. En tant que puissance partIculière, elle c'est-à··dire au seuil (représentatif) du savoir absolu
impose sans doute un ensemble de limitations; mais où le glas revient enfin auprès de soi, résonne, se
en tant qu'elle exprime la puissance infinie en elle retenue, réfléchit pour soi, admire sa gloire et s'égale à
la limitation n'est plus négative, elle ouvre un ensemble
de conditions de possibilité, d'existence, de vie, les meil- lui-même. Nous sommes en Galilée, entre 1810 et
leures possibles à un moment donné. L'eau est ainsi un 19 10 de notre calendrier. C;est comme il a été écrit
élément déterminé qu'on peut opposer à l'air ou à la à Roger Blin, un événement « gl
terre: pour le poisson, il est le seul possible et il ne cons-
titue en rien une limite. Pas plus que l'air pour l'oiseau.
Pas plus qu'une totalité éthique pour un homme. L'ana-
logie s'arrête là : l'élément naturel n'a pas d'histoire, « Le temps. Je ne sais rien de précis sur le temps,
l'élément éthique est historique de part en part. mais, si je laisse retomber une paupière assez lourde
Or cette histoire, bien qu'elle déploie la divinité du sur un événement, et quel qu'il soit. [ ... J Si vous
voulez, les premiers Français en 1830 bombardant
telos, se fait par bonds discontinus et douloureux. La
Alger se bombardaient d'Alger vers 1800 [ ... J.
pénétration du divin ne peut obéir qu'à ce rythme. Le
Je n'ai pas le temps de vous en dire plus long . [ ... J
passage d'une puissance à l'autre est dialectique, il pro- Le coup d'éventail du D~y à peine donné, à peine
cède par renversements et oppositions absolues. Tel est tiré le premier coup de canon et déjà 800 000 Pieds-
le « malheur (Unglück) de la période de passage >} : Noirs inventaient Tixier-Vignancour. Tout a été
un jaillissement brusque (Sprung), puis un séjour (Ver- très vite, et comme on dit en course, très fort,
wei/en) où l'esprit « jouit >} (geniejJt) de la nouvelle forme assez fort pour réussir un événement sans début ni fin :
(Gestalt) qu'il vient de conquérir. Métaphore, bien entendu, global. »

12.2.
de la bombe, temps de la bombe explosive : « De même Comme classe, calende, glas, calendrier revient à
que la bombe à sa culmination opère une secousse [Rück : appeler (calare) , nommer, convoquer, rassembler,
mouvement d'arrêt ou de recul, saccade] et ensuite repose commémorer, annoncer.
en elle un moment, ou de même que le métal chauffé
ne se ramollit pas comme de la cire, mais d'un seul coup
(au] einmal) bondit dans la coulée et y séjourne (in den
FlufJ springt und au] ihm verweilt) - car le phénomène
(Erscheinung) est le passage dans l'absolument opposé,
il est donc infini, et cette émergence de l'opposé à partir
et hors de l'infinité ou du néant de lui-même est un bond
(Sprung), et l'être-là de la figure en sa force nouvelle-née Glas s'écrit ici _. uniquement - pour fêter, au
est d'abord pour elle-même avant qu'elle ne devienne fond d'une crypte absolue, tel coup du cplendrier
dont la chance aura fait date. Et clin d'œil dans
consciente de son rapport à un être étranger - de même
L'étrange mot d'ou dans La pharmacie de Platon.
l'individualité en sa croissance a aussi bien la nature
Il faut toujours chercher la place de qui écrit,
joyeuse (Freudigkeit) d'un tel bond qu'une durée de la même si elle n'est pas fixe, si elle ne se laisse pas
jouissance (GenuJ'Ses) dans sa nouvelle forme, jusqu'à plus prendre que le remplacement. Jean ne se
ce que peu à peu elle s'ouvre au négatif et soit aussi dans nomme pas mais n'hésite pas à s'indiquer, sous sa
la ruine (Untergang) d'elle-même, tout d'un coup et sur propre plume, comme le disciple préféré du Christ.
le mode de la rupture (brechend). » Il couche avec lui, en tout cas sur son sein. Dénon-
ciation de Judas: « En vérité, en vérité, je vous le
dis, l'un de vous me livrera. Les disciples se regar-
daient les uns les autres, ne sachant de qui il par-
Iait. Un des disciples, celui que Jésus aimait, était
couché sur le sein de Jésus. Simon Pierre lui fit
signe de demander qui était celui dont parlait Jésus.
Cette structure - bond discontinu, effraction et
Et ce disciple, s'étant penché sur la poitrine de
séjour apaisé dans une forme ouverte à sa propre néga- Jésus, lui dit: Seigneur, qui est-ce? Jésus répondit:
tivité - n'a aucune limite externe. Grâce à sa limite C'est celui à qui je donnerai le morceau trempé. »
interne, à ce resserrement ou à cet étranglement qu'elle Judas le prend mais ne le mange pas. Jean remplace
se donne, elle évite de se perdre dans l'indétermination Jésus auprès de sa mère et la prend chez lui. Après
abstraite (ici, par exemple, le cosmopolitisme « sans que Pilate eut dit « Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit »,
forme » ou la république mondiale, etc.). Mais sa généra- dans l'Ëvangile signé Jean: « Près de la croix de
lité ne rencontre pas cl'obstacle au-dehors. Elle règle le Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère,
rapport entre l'esprit absolu et toutes ses « puissances » femme de Clopas, et Marie de Magdala. Jésus, voyant
ou figures déterminées. sa mère, et auprès d'elle le disciple qu'il aimait,
dit à sa mère: Femme, voilà ton fils. Puis il dit au
Elle organise du même coup le texte hegelien. Tout
disciple: Voilà ta mère. Et dès ce moment, le dis-
commentaire se disqualifie qui, en tant que commentaire,
ciple la prit chez lui. »
ne suivrait pas sa prescription ou se t:r:aînerait à. hésiter
entre l'explicitation ou la rupture, à l'intérieur de tous
les couples d'opposition qui entretiennent en général
l'histoire des historiens de la philosophie. Aucun dépla-
cement possible de cette histoire sans déplacement -
ce mot lui-même doit être réinterprété - de ce qui dans
le texte dit hegelien impose cette règle de lecture, soit
un déplacement qui échappe lui-même à la loi dialectique Comme la démultiplication en foule des Jean
et à son rythme strict. (l'auteur, le narTateur, le narrataire, le mort), le
Il semble que nous n'y soyons pas encore; et cela jeu des bandes enveloppe l'Ëvangile dans ses Pompes
ne peut pas plus se faire d'un coup que par approche funèbres et mime la résurrection : « Elle (Marie
continue. L'événement ne peut être aussi bruyant qu'une de Magdala) courut vers Simon Pierre et vers
bombe, aussi voyant: ou brûlant qu'un métal porté au l'autre disciple que Jésus aimait, et leur dit : Ils
ont enlevé du Sépulcre le Seigneur, et nous ne
feu. Si même c'était encore un événement il serait ici
savons où ils l'ont mis. Pierre et l'autre disciple
- stricture contre stricture - inapparent et marginal. sortirent et allèrent au sépulcre. Ils couraient tous
deux ensemble" Mais l'autre disciple courut plus
vite que Pierre, et arriva le premier au sépulcre;
s'étant baissé, il vit les bandes qui étaient à terre,
et le linge qu'on avait mis sur la tête de Jésus, non
pas avec les bandes, mais plié dans un lieu à part. »
A lire Hegel du dedans, la problématique de la Sittlich- Vous voyez comment il écrit ses Pompes funèbres
keit} et donc, en elle, de la famille, ne peut se déployer et le reste : avec les gestes appliqués d'un philo-
désormais qu'en une philosophie de l'esprit. La totalité logue, d'un archéologue, d'un mythologue s'obsti-
éthique absolue ayant été définie « esprit de peuple » nant à disperser, détruire, rayer ce qu'il trouve
(Volksgeist), il faut en faire la généalogie. C'est la tâche ou ce qu'il reconstitue, Opération la plus critique.
Mais son application est étrange, comme distraite
de la première philosophie de l'esprit (Iéna). Les trois
d'elle-même" Il a toujours l'air d'être en fait appli-
« puissances » de la conscience (1. mémoire, langage. qué à autre chose, détaché de ce qu'il fait. Il vous
2. Instrument. ;. Possession, famille) constituent l'esprit
raconte une autre histoire, vous suivez attentive-
d'un peuple au terme de leur développement. D'un ment le récit, il vous montre ceci ou cela du doigt
point de vue architectonique, la troisième puissance, la et cependant vous encule les yeux ailleurs. Il jouit
famille, qui marque le passage à la Sittlichkeit, occupe alors pleinement, comme dans son paradigme,
du même coup la première phase, forme le premier il croit y « reconnaître un rappel des goQts de
moment de la vie éthique, le plus immédiat et le plus (mon) enfance pour les tunnels" J'encule le monde ».
naturel. Cela sera confirmé, si l'on pouvait dire, quinze ans (Pompes funèbres.) « Il trique. Si fort et si calme-
plus tard, dans la Philosophie du droit. ment que des anus et des vagins s'enfilent à son
En effet, aussitôt après avoir exposé la troisième membre comme des bagues à un doigt. Il trique.
Si fort et si calmement que sa virilité observée par
puissance, la philosophie de l'esprit d'Iéna décrit la tran-
les cieux a la force pénétrante des bataillons de
sition de la famille au peuple. Transition au sens fort et guerriers blonds qui nous enculèrent le14 juin
actif de ce mot : le passage auto-destructeur. La famille, 1940 posément, sérieusement, les yeux ailleurs;
à travers le mariage, la possession et l'éducation, s'anéan- marchant dans la poussière et le soleil. » (Notre-
tit ou se relève elle-même, se « sacrifie », dit Hegel. Et Dame-des-FJeurs)
dès lors, au cours d'une lutte pour la reconnaissance,
elle se perd et réfléchit dans une autre conscience : le
peuple. Elle n'y existe que « relevée » (aufgehobene) ,
détruite, conservée, abaissée, élevée.
Qu'est-ce que la conscience, si la famille en achève
la puissance ultime?
La conscience est le retour à soi de l'Idée ou de
l'être absolu. Celui-ci se reprend, il est sich zurücknehmend}
il se rétracte, se resserre, se réassume, se résume et rassem-
ble, s'entoure et s'enveloppe deJui-même après sa mort Les bagues ne glissent pas seulement sur le doigt
comme sur toutes les glottes braquées en érection
dans la nature, après s'être perdu, être « tombé », dit litté-
dans le texte (je vous laisse y chercher les «signi-
ralement Hegel, hors de lui-même dans la nature. La
fiants », si vous voulez, c'est plein de dagues,
philosophie de la nature est le système de cett;e chute de blagues, d'algues, de gales élaborées sous sa
et de cette dissociation dans l'extériorité. La philosophie braguette), elles sont volées aux doigts du vieux
de l'esprit est le système de la relève de l'idée qui s'appelle qui bégaie comme un bébé. «Le vieux défit la chaîne
et se pense dans l'élément idéal de l'universalité. où pendait la montre et il la tendit en s'approchant
La transition de la nature à l'esprit est aussi un retour- à Stilitano qui la prit.
nement. En son lieu le' plus haut, elle se produit dans « - Tes bagues.
l'organique, après le mécanique, le chimique et le physique. « -- Mes bagues ...
La transition signifiant auto-destruction violente et passage « Maintenant le vieux bégayait. Immobile au milieu
à 1'opposé, la relève de/la vie naturelle dans la vie spiri- de la chambre, Stilitano désignait avec précision
les objets convoités. j'étais derrière lui un peu à
tuelle s'opère nécessairement à travers la maladie et la
sa gauche, et je le regardais dans la glace. j'étais
mort. Celles-d sont donc la condition de l'esprit et de sOr qu'il serait ainsi, en face de cette vieille tapette
toutes ses déterminations, entre autres de la famille. tremblante, plus cruel que nature. En effet, le vieux
Entre autres seulement? lui ayant dit que ses articulations noueuses empê-
Les derniers chapitres de la Philosophie de la nature chaient les bagues de quitter ses doigts, il m'ordonna
d'Iéna ,- plus précisément h!s derniers paragraphes du de faire couler l'eau.
dernier chapitre - concernent le « processus de la mala- « ,- Savonne-toi.
die ». Dissolution de la vie naturelle, la maladie travaille « Avec une grande conscience, le vieux savonna
à la transition vers l'esprit. La vie de l'esprit devient alors ses mains. Il essaya de retirer les deux chevalières
l'essence, la vérité présente du passé, la Gewesenheit de d'or mais en vain. Désespéré, craignant qu'on
la dissolution naturelle, de la mort naturelle. « Avec la lui coupât les phalanges, il tendit à Stilitano la
main, avec la timide inquiétude de la fiancée au
maladie, l'animal transgresse (über schreitet) les limites de
pied de l'autel. [ .•• ] Stilitano essaya d'arracher
la nature; mais la maladie de l'animal est le devenir de les bagues. Le vieux, d'une main, soutenait celle
l'esprit. » Dans la dissociation de l'organisation naturelle, qu'on opérait. [ ... ] Comme on le fait aux bébés,
l'esprit se révèle. Il travaillait la vie biologique, comme ou comme à lui-même je savonnais l'unique main,
la nature en général, de sa négativité et s'y ma~ifeste à la à son tour soigneusement Stilitano savonnait celle
fin comme tel; il aura toujours été l'essence de la nature, du vieux. »
la nature est en lui comme son être-hors-de-soi. En Après avoir calmement insisté, Stilitano gifle le
se libérant des limites naturelles qui l'emprisonnaient, il vieux et renonce aux bagues.
revient à lui mais sans s'être jamais quitté. Procession de
retour. La limite était en lui, il s'était enchaîné, resserré,
emprisonné en lui-'même. Il se répète toujours. Fin de
1'analyse de la maladie animale : « C'est dans 1'esprit
qu'existe la nature, comme dans ce qui est son essence. »
Cette jointure assurera, dans le cercle de l'Encyclo-
pédie, le cercle lui-même, le retour à la philosophie de
l'esprit. Là encore, les derniers paragraphes de la philo-
sophie de la nature traitent de la maladie et de la mort,
après avoir analysé le genre animal et le rapport sexuel. Il
s'agirait d'accomplir ici la téléologie inaugurée par Aris-
tote, réveillée par Kant, le concept de finalité interne
ayant été presque perdu entre eux, dans les temps moder-
nes. Cette finalité interne n'est pas consciente, comme le
serait la position d'un but extérieur; elle est de l'ordre de
1'« instinct » (Instinkt) et reste « inconsciente ». L'instinct
est ici une détermination de la poussée (Trieb).
L'accomplissement normal du processus biologique
L'anneau est trop serré. N'abandonnons pas.
et, en lui, du processus générique, c'est la mort. La mort
Ce que je cherche à écrire .- gl '- ce n'est pas
est naturelle. Violente du même coup : aucune contradic-
une structure quelconque, un système du signi-
tion à cela, aucune autre contradiction que la contra- fiant ou du signifié, une thèse ou un roman, un
diction interne au processus. poème, une loi, un désir ou une machine, c'est
Le genre désigne l'unité simple qui reste auprès d'elle- ce qui passe, plus ou moins bien, par la stricture
même dans chaque sujet singulier, dans chaque repré- rythmée d'un anneau.
sentant ou exemple d'elle-même. Mais comme cette uni- Essayez, un jour anniversaire, de pousser une bague
versalité simple se produit dans le jugement, dans la sépa- autour d'un style érigé, outré, tendu
ration originaire (Urteil), elle tend à sortir d'elle-même obal ».
pour échapper au morcellement, à la division et se retrou-
ver chez elle, comme universalité subjective. Ce procès
de rassemblement, de remembrement, nie l'universàlité
naturelle qui tend à se perdre et à se diviser. Le vivant
naturel doit donc périr. La différenciation nécessaire du
genre qui se détermine en espèces provoque la guerre.
Les espèces s'infligent une mort violente. Le genre se
produit naturellement à travers son auto-destruction vio- « ••• quelque chose peut-être de ce qu'avait:
lente. Lamarck et Cuvier - longuement cités - ont su éprouvé Joséphine, qui n'oublia jamais qu'elle
choisir les critères de différenciation spécifique : les
dents, les griffes, etc., les « armes >) par lesquelles l'animal avait accouché de celle qui deviendrait la plus
« se pose et se conserve lui-même comme un étant-pour- jolie femme du village, de Marie, la mère de Solange,
soi, c'est-à-dire se différencie lui-même ». - la déesse née dans la chaumière et plus chargée
L'homme n'échappe pas, en tant que vivant dans
la nature, à cette guerre des espèces. Celle-ci est la face sur son corps de blasons, que Mimosa, sur ses
négative de la division du genre. Dans sa partition origi- fesses et dans ses gestes, de noblesses qu'un
naire (Urteil), le genre ne se divise ou multiplie en mor- Chambure. Cette sorte de sacre avait écarté de
ceaux spécifiques que pour se rassembler auprès de lui-
même. L'opération belliqueuse et morcelante du procès Joséphine les autres femmes (les autres, mères
générique (GattungsprozefJ) se double d'une réappro- d'hommes) de son âge. A.u village, sa situation
priation affirmative. La singularité renoue, se raccommode était proche de celle de la mère de Jésus parmi
avec elle-même à l'intérieur du genre. L'individu « se
continue » dans un autre, se sent et s'éprouve en lui. Cela les femmes du village galiléen. La beauté de Marie
commence avec le besoin et le « sentiment de ce manque ». illustrait le bourg. Etre la mère humaine d'une
Le manque s'ouvre avec l'inadéquation de l'individu au divinité est un état plus troublant que celui de
genre. Le genre est en lui comme un écart, une tension
( Spannung) . D'où le manque, le besoin, la poussée : divinité. La mère de Jésus dut avoir des émotions
mouvement pour réduire la blessure de l'écart, fermer incomparables en portant: son fils, puis en vivant:,
la plaie, en rapprocher les lèvres. Du même coup, la en dormant côte à côte avec un fils qui était Dieu-
poussée tend à accomplir cela même qu'elle réduit stricte-
ment, l'écart de l'individu au genre, du genre en lui-même c'est-à-dire tout et elle-même avec - qui pouvait
dans l'individu, l'Urteil, la division originaire et le juge- faire que le monde ne fût pas, que sa mère, que
ment. Cette opération qui consiste à combler l'écart, lui-même ne fussent pas, un Dieu à qui il fallait
à unir l'un à l'autre en effectuant l'Urteil de la façon
la plus prononcée, c'est la copulation. Le mot pour copula- bien préparer, comme Joséphine à Marie, le jaune
tion ou accouplement, pour ce jeu général de la copule, brouet de maïs. » l,

c'est Begattung, opération du genre (Gattung) J opération


générique et générante. De même ce qu'on traduit juste-
ment par rapport sexuel (Geschlechtsverhà'ltnis) désigne
aussi le rapport du genre, de l'espèce ou de la race (famille,
lignée) ou le r:apport du sexe comme genre (Geschlecht)
féminin ou masculin.
Comme c'est souvent le cas, le paragraphe concer-
Alors - c'est l'événement global de ce texte-,
nant le « rapport sexuel » et la copulation est augmenté commence l'élaboration du rêve d'Harcamone.

I2.6
d'un « appendice » dont on a précisément abrégé la classi- Comme Jean, Harcamone « voulut faire un
que « Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé ».
Cette addition (ZusatzJ reprend, presque littêralement, la calendrier » mais il y échoue, il « ne pouvait avoir
fin de la Philosophie de la Nature d'Iéna. Hegel y traite de de calendrier - Sa vie morte suivait son· cours
la différence sexuelle. « La séparation des deux sexes » jusqu'à l'infini. Il voulut fuir ». Il tue alors un gâfe,
présente une structure de séparation très singulière.
Dans chaque sexe les individus organiques forment répétant k meurtre de la fillette et déguisant ainsi
une totalité. Mais ils ne se rapportent pas à ceux de son suicide. Il se comporte comme l'artiste de sa
l'autre sexe comme à de l'altérité inorganique. De vie. Il construit sa vie comme une colonne ou
part et d'autre ils appartiennent au genre, « si bien qu'ils
n'existent que comme un seul Geschlecht (sexe ou genre) ». comme une tour, mais il ne peut la voir, l'avoir,
« Leur union est l'effacement des sexes, en quoi prend savoir qu'en y mettant fin. La structure de la tour
naissance le simple genre (Ihre Vereinigung ist das Versch- est telle que sa construction revient, pierre par
winden der Geschlechter, worin die einjache Gattung geworden
istJ ». Quand deux individus d'une même espèce copu- pierre, à sa destruction : une tour, deux tours,
lent, « la nature de chacun traverse les deux de part: en l'une est (sans) l'autre. « Il fallut qu'il élevât son
part et tous les deux se trouvent au sein de la sphère de destin comme on élève une tour, qu'il donnât
cette généralité ». Chacun est, comme partie prenante,
à la fois une partie et un tout; cette structure générale à ce destin une importance énorme, une impor-.
les recoupe l'un et l'autre, passe comme la bisexualité tance de tour, unique, solitaire et que de toutes
en chacun d'eux. Ce que chacun est en soi (une seule ses minutes il le construisît. Construite sa vie
espèce), chacun le pose effectivement comme tel dans la
copulation. « L'idée de la nature est ici effective dans le minute par minute en assistant à sa construction,
couple (la paire, Paare) du mâle et de la femelle; son identité qui est aussi une destruction à mesure, il vous
comme son être-pour-soi, qui jusqu'ici n'étaient que paraît impossible que je l'ose prêter à un voleur
pour nous dans notre réflexion, elles sont maintenant:,
dans la réflexion infinie des deux sexualités, éprouvées sans envergure. »
d'elles-mêmes en elles-mêmes. Ce sentiment de généralité
est le plus haut où l'animal puisse être porté. »
« Contradiction » inhérente à la différence des sexes :
la généralité du genre aussi bien que l'identité des individus Comme les bourreaux, comme les galériens,
(son appartenance au genre) sont « différentes » de leur comme N otre-Dame-des-Fleurs, comme il est vrai
individualité séparée, particulière (besonderenJ. « L'indi- de toutes les fleurs, Harcamone est vierge.
vidu est seulement l'un des deux et n'existe pas comme
l'unité (EinheitJ, seulement comme singularité (Einzel-
heit). » La différence sexuelle oppose l'unité à la singula-
rité et introduit ainsi la contradiction dans le genre ou dans
le procès de l'Urteil. Celui-ci produit et se laisse constituer
par cette contradiction. La produisant, il la résout : le Et son rêve - le rêve de lui - répète le même
procès de la copulation vise à conserver cette différence procès.
tout en l'annulant.
IlIa relève: l'Atifhebung est très précisément le rapport
de la copulation à la différence sexuelle.
On ne peut comprendre la relève en général sans la
copulation sexuelle, ni celle-ci en général sans la relève.
En général : si l'on tient compte du f::tÏt que l'Atifhebung Après quelques coups de gl, comme toujours,
est décrite ici à un moment strictement déterminé (étran- quelques détours entortillés dans 1'« églantine »

I27
glé) du devenir de l'idée (moment final de la philosophie et les « glycines », les quatre hommes noirs, péné-
de la nature), mais que ce moment de la vie est re-marqué trant l'intérieur d'Harcamone par l'oreille et par
au terme de la philosophie de l'esprit, alors l'Aufhebung
de la différence sexuelle est, manifeste, exprime, stricto la bouche, sont emportés dans une exploration
sensu, l'Aufhebung elle-même et en général. avide et furieuse, apeurée, émerveillée, infiniment
Toujours dans l'appendice: « L'activité de l'ânimal aventureuse d'un corps plus grand qu'eux, qui
consiste à relever cette différence (Die T atigkeit des Ticrs
ist, diesen Unterschied aufzuheben). >} Le procès a bien la semble les avoir portés en lui avant même qu'ils
forme d'un syllogisme. Et la « médiation, le milieu >) du ne songent à y faire effraction, et dont ils cher-
syllogisme, c'est l'écart (Spannung), l'inadéquation entre cheraient plutôt le centre ou l'issue. Globalement
l'individu et le genre, la nécessité pour le singulier de
chercher le « sentiment de lui-même >) dans l'autre. mimée, glosée, parodiée, toute la littérature mon-
Quelles sont les conditions de cette copulation rele- diale des carrefours œdipiens, des périples, odyssées,
vante? En décrivant ce qu'il appelle la formation de la calvaires, descentes aux enfers, parcours de pyra-
différence sexuelle -, ou plus précisément des sexes
différents (die Bildung der unterschiedenen Geschlechter), Hegel mides, de labyrinthes, mausolées, pays des mer-
soumet à l'interprétation philosophique la plus tradition- veilles, cryptes à fond d'océan. On est dans l'élé-
nelle, aristotélicienne en tous cas, ce qu'ils considère ment des éléments. C'est tantôt une marche labo-
comme les acquisitions assurées de la science anatomique
de l'époque. Il y trouve la preuve d'une dissymétrie rieuse, tantôt un vol sans obstacle; une navigation
hiérarchisante. aussi. Je n'y arrésonne que le coup de glace dans
La formation de sexes différents doit être « diffé-
rente >), différenciée. En raison de l' « identité originaire
le labyrinthe (qui réfléchit, entre autres éclats,
de la formation >), les parties sexuelles du mâle et de la le regard dans la glace du Rembrandt et le coup
femelle doivent certes appartenir au « même type >), du « je m'éc », échange, écœure, écoule, écris,
mais chez l'un ou chez l'autre c'est telle ou telle partie
qui constitue « l'essentiel >) (das Wesentliche). Dans la écoute) qui en organise le déport.
généralité du type, toutes les parties sont donc présentes
en chaque sexe, mais l'une domine ici, l'autre là pour
constituer l'essence du sexe. Le type morphologique est
bisexuel dans sa structure profonde et microscopique.
A l'intérieur de cette structure, la prévalence d'un élément
provoque la hiérarchie entre les sexes.
« Enfin tous les quatre se rencontrèrent à une
Mais la différence n'est pas si simple. Il ne suffit
pas de dire qu'un élément domine ici, l'autre là : chez la sorte de carrefour que je ne saurais décrire avec
femelle, l'essence consiste en l'indifférence --l'indifférent précision, qui creusait, encore, vers la gauche,
plutôt (das Indifferente), chez le mâle l'essence consiste
dans la différence, le divisé-en-deux, plutôt, l'opposition
un corridor lumineux bordé d'immenses miroirs.
(das Entzweite, der Gegensatz). Mâle et femelle ne s'oppo- [...]
sent pas comme deux différents, deux termes de l'opposi- « - Le cœur, avez-vous trouvé le cœur?
tion, mais comme l'indifférence et la différence (l'opposi-
tion, la division). La différence sexuelle est la différence
« Et comprenant aussitôt qu'aucun d'entre
entre l'indifférence et la différence. Mais chaque fois, eux ne l'avait trouvé, ils continuèrent leur chemin
pour qu'elle se relève, la différence doit être déterminée en dans ce corridor, auscultant les miroirs. Ils avan-
opposition.
Elle se produit donc à travers l'identité générale du çaient lentement, une main formant pavillon à
type anatomique qui va se différenciant. Chez les animaux l'oreille et l'oreille souvent collée à la paroi. C'est
12.8
inférieurs, elle est très peu marquée. Certains locustes, le bourreau qui, le premier, entendit les coups
par exemple le Cryllus verruccivorus, sorte de sauterelle, frappés. [...J Les coups se rapprochaient de plus
portent de gros testicules provenant de vaisseaux entor-
tillés en rouleaux à la manière de faisceaux et qui sont en plus forts. Enfin, les quatre hommes noirs
semblables à de gros ovaires provenant de conducteurs arrivèrent devant une glace où était dessiné, visi-
d'œufs eux-mêmes enroulés en faisceaux. Même analogie blemeflt: gravé avec le diamant d'une bague, un
entre les testicules et les sacs ovariens des taons.
« Le plus difficile » : « découvrir l'utérus féminin dans cœur traversé d'une flèche. »
les parties sexuelles de l'homme ». Malencontreusement,
on a cru le reconnaître dans le sac testiculaire, dans le Après une première chambre, le surgissement
scrotum, puisque les testicules s'annoncent précisément
comme ce qui correspond aux ovaires. Or c'est plutôt d'un jeune tambour dont la baguette (coupante
la prostate qui remplit chez l'homme une fonction qua- comme la bague, inaccessible et tumultueuse)
lifiée à celle de l'utérus. Chez l'homme, l'utérus s'abaisse, retombait, il reste à découvrir le « mystère de la
tombe à l'état de glande, dans une sorte de généralité
indifférenciée. Hegel se réfère ici àla Darstellung der Lebens- chambre cachée ». En parvenant au cœur du cœur,
kréifte d'Ackermann. Celui-ci a montré, sur son herma- à la Rose Mystique, les quatre hommes noirs, qui
phrodite, la place de l'utérus dans les « formations mascu- sont tous comme l'un dans l'autre (juge, avocat,
lines de jadis ». Mais cet utérus n'est pas seulement à la
place de la prostate : les conduits éjaculateurs traversent aumônier, bourreau dans la même galère ou le
aussi sa substance et s'ouvrent sur les crista galli, dans même palais), répètent, au sein d'Harcamone, le
l'urètre. Les lèvres de la vulve sont en outre des sacs geste du puceau. Harcamone lui-même ne pouvant
testiculaires; et des formations de testicules emplissaient
les lèvres de l'hermaphrodite. La ligne médiane du « garder plus longtemps sa fleur » était tombé
scrotum s'écarte finalement chez la femme et forme le (ils tombent aussi) sur une fillette près d'un
vagin. « On comprend ainsi parfaitement la transformation buisson d'églantines et avait passé « la main
(Umbildung) d'un sexe dans l'autre. De même que chez
l'homme, l'utérus s'est affa.issé jusqu'à n'être plus qu'une sous ses robes » avant de l'égorger.
simple glande, de même, chez la femme, le testicule
masculin reste enfermé, enveloppé (eingeschlossen) dans
l'ovaire. »
Description d'apparence anatomique. Or dans son
lexique et dans sa syntaxe, l'évaluation hiérarchique mobi-
lise l'objet. Le testicule «bleibt eingeschlossen », reste enfermé,
enveloppé. Le développement, la mise au jour, la pro- Dionysos Erigone Eriopétale Réséda.
duction a été insuffisante, retardée, en reste. De cette
interprétation téléologique se tire une conclusion spécu-
lative très marquée : « En revanche, le testicule mâle
reste chez la femme enfermé dans l'ovaire, ne fait pas
saillie dans l'opposition (tritt nicht heraus in den Cegensatz),
ne devient pas pour soi, ne devient pas une tête active « Mais à peine l'un des quatre eut-il pensé
(wirdnicht jûr sich, zum tatigen Cehirn) et le clitoris est
la faculté de sentir inactive en général. » qu'ils n'étaient pas au cœur du cœur, qu'une porte
« Le clitoris est la faculté de sentir inactive en géné- s'ouvrit d'elle-·même, et nous nous trouvâmes en
ral », « der Kitzler ist das untatige Cejühl überhaupt », en face d'une rose rouge, monstrueuse de taille et de
général, absolument, surtout, par-dessus tout, principale-
ment. Qui et que dit überhaupt? beauté.
Cette dissymétrie n'est pas compensée par la chute de « - La Rose Mystique, murmura l'aumônier.
l'utérus chez l'homme. Ce qui n'émerge pas encore chez « Les· quatre hommes furent atterrés par la
la femme, c'est l'activité sexuelle. La différence sexuelle
reproduit l'opposition hiérarchisée de la passivité à splendeur. Les rayons de la rose les éblouirent
l'activité, de la matière à la forme. Hegel détermine d'abord, mais ils se ressaisirent vite car de telles
toujours, expressément, la Raison comme Activité. :6' AuF gens ne se laissent jamais aller aux marques de
hebung, concept central de la relation sexuelle, articule le
phallocentrisme le plus traditionnel sur l'onto-théo-téléo- respect... Revenus de leur émoi, ils se précipi-
logie hegelienne. tèrent, écartant et froissant, avec les mains ivres,
La production, la différenciation, l'opposition sont les pétales comme un satyre sevré d'amour écarte
liées à la valeur d'activité. C'est le système de la virilité.
Le clitoris, qui ressemble au pénis, est passif; « chez les jupons d'une fille. L'ivresse de la profanation
l'homme au contraire, nous avons là les tenait. Ils arrivèrent les tempes battantes, la
qui, nous? nous magis- la faculté de sentir active (haben wir sueur au front, au cœur de la rose : c'était une
tral, nous du Sa, nous daJür das tatige Gefühl), le gonflement
les hommes? Et si
débordant du cœur (das aufschwellende sorte de puits ténébreux. Tout au bord de ce trou ...
c'était toujours le
même? Et qui-nous- Herz), l'afflux sanguin dans les corpora noir et profond comme un œil, ils se penchèrent
assiste ici cavernosa et dans les mailles du tissu et l'on ne sait quel vertige les prit. Ils firent tous
poreux de l'urèthre; à cet afflux sanguin
che~ l'homme correspond ensuite chez la femme l'épan- les quatre les gestes de gens qui perdent l'équilibre,
chement de sang ». La même abondance de sang remplit et ils tombèrent dans
et monte d'un côté, s'épanche et se perd de l'autre. Le
gonflement du cœur dit aussi l'érection, l'Aujschwellen
ce regard profond. regard profond d'un judas.. Cette
scène livrée à la multitude des gens
signifie souvent la turgescence, l'intumescence. « J'entends le pas (<< de telles gens ne se laissent jamais
La supériorité de l'homme se paie d'un partage des chevaux qui aller aux marques de respect [ ....]
intérieur. En recevant passivement, la femme reste une gestes de gens qui perdent l'équili-
auprès d'elle-même; elle travaille moins mai~ se laisse
ramenaient le four-· bre », mais à quelles gens? je n'ai
moins travailler par la négativité. « Le recevoir [Das gon pour conduire le aucun moyen de savoir si ce sont des
gentils profanateurs, goims, chré-
Empjangen : c'est aussi le concevoir de l'enfantement] supplicié dans le petit tiens ou juifs, qui se fendent ou se
de l'utérus, en tant que comportement simple, est chez
l'homme, de cette manière, divisé en deux (entzweit)
cimetière. Il avait été signent) tombe dans un regard pro-
dans la tête productive et le cœur extérieur (in das produzie- exécuté onze jours fond. Abyssal, ce regard tombe, et
d'abord de ne pas garder froidement
rende Gehirn und das aujJerliche Herz). L'homme est donc, après que Bulkaen son sens. Un regard, c'est en peinture
par cette djfférence, l'actif (Der Mann ist also durch diesen la disposition de deux figures qui se
Unterschied das Tatige) ,. mais la femme est le réceptacle ( das eut été fusillé. Divers voient l'une l'autre. Exemple de
Empjangende) , parce qu'elle reste dans son unité non dormait encore, il eut Littré : « Il a dans son cabinet un
développée (weil sie in ihrer unentwickelten Ei'nheit bleibt). » simplement quel- regard d'un Christ et d'une Vierge. »
Restant enveloppée dans l'unité indifférenciée, la Le regard est aussi l'ouverture d'un
femme se garde plus près de l'origine. L'homme est
ques grognements. Il trou par lequel on surveille l'écoule-
secondaire, comme la différence qui fait passer dans péta. Fait singulier, ment des eaux .
Double regard. Lecture bigle. En
l'opposition. Conséquences paradoxales de tout phallo- je ne débandai pas de gardant l'œil sur la colonne d'angle
centrisme : le sexe travailleur et déterminant ne jouit de
la maîtrise qu'en la perdant, en s'asservissant à l'esclave la nuit. » (la contrebande), lire ceci comme un
nouveau testament.
féminin. La hiérarchie phallocentrique est un féminisme, Mais aussi comme une genèse. Le
il se soumet dialectiquement à la Féminité et à la Vérité, Journal du voleur qui va bientôt décli-
toutes deux majusculées, faisant de l'homme le S!fiet de ner son identité, comme on décline
"la femme. Cependant la dé- sa responsabilité, se présente comme
Sujet et forme : « Le coït ne doit pas être réduit à « mon livre, devenu ma Genèse ».
capitation de l'autre, Ailleurs, comme « ma nativité ».
l'ovaire et au sperme comme si la nouvelle formation
était seulement l'assemblage des formes ou des parties
en deux partagé. Et si la lecture de la Bible ne vous est
pas aussi familière qu'à un enfant de
des deux partenaires, mais c'est bien dans le féminin chœur un peu vicieux, inutile de
qu'est contenu l'élément matériel, mais dans l'homme la continuer, vous ne suivrez pas, vous
subjectivité. La conception est la contraction de tout ne serez pas du cortège.
l'individu dans l'unité simple qui s'abandonne, dans sa Et si vous protestez contre le stra-
représentation (in seine Vor ste/lung) ... » La semence est bisme qu'on veut vous infliger, il ft
cette représentation simple elle-même, tout entière ré- vous suffit de chercher pourquoi.
duite à un seul « point », « comme le nom et le soi-même Querelle, qui tire aussi un bénéfice de
tout entier ». « La conception n'est donc rien d'autre que son strabisme, assume son « ingué·,
ceci : l'opposé, cette représentation abstraite deviennent rissable blessure » et comme Stili·,
un seul ». tano, Giacometti, et toute la classe des
manchots, boiteux, borgnes, se fait
Ce discours sur la différence sexuelle appartient à
ainsi aimer, nommer, sublimer, magni-
la philosophie de la nature. Il concerne la vie naturelle fier. Il ne se fâche pas, au contraire,
des animaux différenciés. Silencieux sur les animaux infé- quand « le regardant fixement je lui
rieurs et sur la limite qui les détermine, il exclut les plantes. ai dit: - Vous avez un peu de stra-
Il n'y aurait pas de différence sexuelle chez les plantes, bisme? » (Querelle de Brest).
première « Potenz » du procès organique. La philosophie « Fait singulier )}, Regard profond, stéréoscopique. Voir
de la nature d'Iéna y insiste. Le tubercule, par: exemple, fait aussi peu singu- double. Deux colonnes, deux collines,
se divise sans doute (sich entzweit) en une « opposition lier que de penser, deux mamelons. C'est impossible.
différente » (differenten Gegensatz) du masculin et du fémi- Le colpos, entre le un et le deux.
nin, mais la différence reste « formelle ». Elle ne produit cependant, un para- Alors vous vous divisez, vous avez la
nausée, envie de vomir, la tête vous
pas des totalités, des plantes individuelles dont les unes graphe plus loin, au
tourne. Vous vous sentez plus que
seraient mâles et les autres femelles. « La différence des lieu même de la souf- seul, plus seul que jamais. Sans moi.
plantes mâles et des plantes femelles est seulement une Mais de vous-même jaloux, vous vous
différence des parties sur la même plante, non la formation france d'Harcamone,
ér'igez, si vous pouvez encore. Vous
de deux individus. » Hegel note au passage que chez au sevrage du phal- en avez plus que jamais envie. C'est
les cryptogames en général, on suppose que les parties lus qui tombe du sein justement dans Querelle de Brest,
sexuelles sont « infiniment petites ». trois lignes en italiques, sans aucun
En ce sens, la femelle humaine, qui n'a pas développé sous l'échafaud, à sa lien apparent avec ce qui pr'écède ou
la différence ou l'opposition, se tient plus près de la rose, celle qui l'a ce qui suit, entre deux blancs:
plante. Le clitoris plus près du cryptoga:me. « Vous êtes seuls au monde, la nuit dans
porté et qu'il porte la solitude d'une esplanade immense.
Il n'y a aucun écart conceptuel, à cet égard, entre
l'Encyclopédie et la philosophie d'Iéna. Celle-ci décrit le en lui, plus ou moins Vous êtes solitaires et vivez dans votre
procès générique comme « la relève de la différence » : double solitude. »
bien digérée. C'est la fin
la relève de la différence opposée au procès inorganique
« Afin de Q-e pas
devient une différence des sexes et la relève de cette pre-
mière différence. Et dans une note biffée, on retrouve la trop souffrir moi-même, je me fis aussi souple que
figure du cercle et du point : le mouvement du genre est possible. Un instant, je m'amollis au point qu'il
en lui-même et revient en lui-même; c'est le « cercle me vint à l'idée que, peut-être, Harcamone avait
proprement dit »; mais le mouvement de l'individualité
se meut comme un cercle plus grand dans les cercles plus une mère - on sait que les décapités ont tous une
petits de la périphérie et les touche toujours en un point. mère qui vient pleurer au bord du cordon de
Cette relève est aussi le mouvement qui fait passer flics qui gardent la guillotine- je voulus songer
de la nature à l'esprit. Dans les deux philosophies de la
nature, les paragraphes d'articulation avec la philosophie à elle et à Harcamone, déjà partagé en deux, je
de l'esprit analysent la différence sexuelle, la maladie dis doucement dans la fatigue « Je valS prier
et la mort. Après la mort naturellement violente, face
négative de l'inadéquation générique, après la copulation pour ta maman. »
(rapport positif du genre à lui-même), une autre négativité
travaille la reproduction indéfinie du genre, la non-
historicité et le mauvais infini de la vie naturelle. Le
genre ne se conserve que par le déclin et la mort des indivi- Il se fait « aussi souple que possible », il
dus: vieillesse, maladie et mort spontanée. Dans la maladie, s'entortille lui-même, E tu tenta ginestra.
l'organisme total est divisé, non pas seulement différencié
mais morcelé dans son rapport à l'inorganique, à la
Potenz inorganique. Entrant en conflit avec elle, un des
systèmes ou organes de l'individu se .sépare du tout, La ligne du partage en deux n'entoure pas
acquiert une sorte d'indépendance anormale qui nuit à la seulement le cou tranché par la guillotine; elle
« fluidité » du tout, à la circulation de ses échanges inté-
rieurs. La cause en est une agression externe ~n prove- recoupe le bord du cordon (de flics) qui le sépare,
nance de l'inorganique, une « stimulation » (Erregung) le détache du reste de sa mère auquel il était
hétérogène. Tel appendice, chargé d'une énorme culture, cependant relié. Elle délimite l'échafaud.
remonte à Hérodote et aux aphorismes d'Héraclite sur la
fièvre, met en œuvre toutes les savoirs médicaux de
l'époque, fait le point sur la syphilis, traite du « troisième
genre » de maladies, celles de l'âme, qui sont propres à Reste -' la mère.
l'homme (1'Encyclopédie propose un discours sur la folie et
se réfère à Pinel), qui peuvent naître de la frayeur ou du
déplaisir et peuvent aller jusqu'à la mort.
Le processus de la guérison est la maladie elle-même.
Quant au traité du remède, il déborde largement celui Cependant deux pages
du mal. Comme la maladie, le remède est une. Erregung,
une stimulation externe et agressive. Il reste toujours exemple des conseils de lecture que j'efface tout le
difficile à assimiler, comme l'autre de l'organisme. C'est temps : comme je ne cesse de décapiter le méta-
un contre-stimulant destiné à « relever » la première langage ou plutôt de lui replonger la tête dans le
agression. On doit l'analyser sous la catégorie de la diges- texte pour l'en extraire régulièrement, l'intervalle
tion : il est par essence indigeste, « intolérable ». Un médi- d'une respiration, celui qui lit page doit rassembler
cament ne se digère pas plus ou moins bien, il ne se digère tout ce qui s'y couche. Par exemple: « Dans ma
jamais, en tant qu'autre absolu de l'organisme. Cette cellule, tout à l'heure, les deux marlous n'ont-ils
pas dit : "On fait les pages." Ils voulaient dire
limite est celle de la dialectique spéculative de la digestion
qu'ils allaient faire les lits, mais moi une sorte de
et: de l'intériorisation. Plus on s'élève dans la hiérarchie lumineuse idée me transforma là, mes jambes écar··
différenciante de l'animalité, plus le digeste peut être tées, en un garde costaud ou palefrenier du palais
hétérogène à l'organisme, plus celui-ci est capable d'assi- qui, comme certains jeunes hommes font les poules,
miler des corps .étrangers ou des totalités organiques font les pages du palais.
différenciées. Inversement, au bas de l'échelle, dans la vie « D'entendre cette jactance faisait Divine s'écrouler
végétale ou animale incapable de « différence en soi », le de volupté, comme de démêler - il lui semblait
digeste ne peut être que l'homogène, homogène à soi, qu'elle déboutonnait une braguette, que sa main
homogène en soi : l'eau pour les plantes, le lait de la mère introduite soulevait la chemise - certains mots
(élément prédigéré) pour les nourrissons. Plus la différen- de javanais de leurs syllabes surajoutées, comme
ciation s'accroît, plus le stimulus doit être différencié et une parure ou un travesti: litbé, bal po. »
hétérogène en soi pour que l'organisme le supporte. Il ne
peut lui être homogène qu'à raison d'un degré égal plus loin, à l'avant-der-
d'hétérogénéité : ainsi le lait maternel, comme l'eau, se nière phras~ du livre, « Le reste est indicible ».
laisserait mal tolérer par l'adulte. C'est ce que dit Hegel.
En toute logique, cela conduit à la nourriture carnée pour
Reste est toujours dit de la
mère. « Ces papiers sont
l'homme. Et même à l'ànthropophagie : celle-ci est
leur tombeau.
conceptuellement requise par l'idéalisme spéculatif.. Il y Qui veut toujours re-garder le Mais je transmet-
culmine même à l'ouverture du Sa ...
Les médicaments (du moins les allopathiques : une
détachement partir. « J'apprends trai très loin dans
le temps leur nom.
note fait un sort à l'homéopathie, comme à l'hypocondrie que je l'aimais, ma Colonie, avec Ce nom, seul, res-
- Hegel s'y connaissait - , à la dépression, à l'hypnose, ma chair, comme lorsqu'on dit tera dans le futur
au sommeil réparateur, etc.) sont des nourritures diffé- débarrassé de son
renciées, mais totalement indigestes, négatives et étrangères. qu'ils firent leurs préparatifs de objet. [ ... ] Si je
Ce sont des poisons. « Les médicaments sont dans départ, la France comprit, perdant quitte ce livre, je
cette mesure des excitants négatifs, des poisons (Gifle).» quitte ce qui peut
la rigidité qu'ils lui imposaient, se raconter. Le
A l'organisme qui s'est, dans la maladie, comme « aliéné »
lui-même, on présente, avec le remède, quelque chose qui qu'elle avait aimé les Allemands. reste est indicible.
lui est étranger, du dehors (ais ein ihm aufJerliches Frem- Elle serrait ses miches. Elle priait Je me tais et mar-
che les pieds
des). Devant ce stimulant indigeste, « intolérable », le supplanteur pour le retenir en nus. »
l'organisme se ressaisit, se réapproprie, engage un « pro'-
cès » qui lui permet de reprendre possession de son elle. " Reste encore ", criait-elle.
« sentiment de soi » et de sa « subjectivité ». L'intervention Ainsi la Touraine n'était plus fécondée. »
pharmaceutique n'a donc d'efficace que dans la mesure
où elle est rejetée, d'une certaine manière. S'il ne peut pas
vomir le poison pharmaceutique, et du même coup ressai-
sir son propre, le malade meurt. Mais cette mort n'est Tout près de la fin encore, « Reste! (Said
pas naturelle. [le fils] hésite encore puis sort.) Feu! » et « La
En conclura-t-on que toute mort de la vie naturelle
est violente, qu'elle cède à la guerre ou à la maladie? qu'il Mère sort la dernière ». Elle sort toujours la der-
n'y a pas de mort naturelle de la vie naturelle? nière comme l'épiphanie du plus proche. « Enfin,
Il y a une mort naturelle, elle est inévitable pour la la voici derrière le dernier c'est-à-dire le plus
vie naturelle puisqu'elle se produit dans des totalités indi-
viduelles finies. Celles-ci sont inadéquates au genre uni- près du public, et, crevant cet ultime papier, elle
versel et elles en meurent. La mort est cette inadéquation apparaît: c'est la Mère. »
de l'individu à la généralité; elle est la classification même,
l'inégalité à soi de la vie. En ce sens, la mort prend aussi la
figure de l'abstraction, elle n'est qu'une abstraction mais
cette abstraction est une « puissance », une force à l'œuvre
dans un procès dont on ne peut pas l'abstraire.
Inadéquation - classification et abstraction - du
syllogisme générique : il a été démontré qu'elle mettait
en mouvement la différence sexuelle et la copulation. La mère ne présenterait à l'analyse le terme
Celles-ci habitent donc le même espace, elles ont la même
d'une régression, un signifié de dernière instance,
possibilité et la même limite que la mort naturelle. Et si
l' « inadéquation à l'universel » est la « maladie originaire » que si vous saviez ce que nomme ou veut dire
(ursprlingliche Krankheit) de l'individu, on doit pouvoir la mère, ce dont elle est grosse. Or vous ne pourriez
en dire autant de la différence sexuelle. Et si l'inadéquation
à l'universel est pour l'individu son « germe inné de
le savoir qu'après avoir épuisé tout le reste, tous
mort » (Keim des Todes), il faut l'entendre aussi de la les objets, tous les noms que le texte met à sa
différence sexuelle, et non seulement par « métaphore », place (galère, galerie, bourreau, fleurs de toute
par quelque figure dont le sens serait complété par le mot
« mort ». Germe de mort est quasiment tautologique. Au fond
espèce n'en sont que des exemples). Tant que
du germe, tel qu'il circule dans l'écart de la différence vous n'aurez pas épelé à fond chacun de ces mots
sexuelle, c'est-à-dire comme germe fini, la mort est pres- et chacune de ces choses, il restera quelque chose
crite, en germe dans le germe. Un germe infini, l'esprit
ou Dieu s'engendrant ou s'inséminant naturellement de la mère
lui-même, ne tolère pas la différence sexuelle. Il ne se
dissémine que par feinte. Dans cette je suis la mère. Le texte. La mère est derrière -
La raison dans l'histoire h tout ce que je suis, fais, parais - la mère suit.
précise les limites feinte, il est immortel. Comme le P énix.
qu'il convient de re- Alors, germe .- germe fini de la Comme elle suit absolument, elle survit toujours,
connaître à l'enver- différence sexuelle, germe de mort - futur qui n'aura jamais été présentable, à ce qu'elle
gure du Phénix: est-ce une métaphore du germe infini? aura engendré, assistant, impassible, fascinante
ce n'est qu'une et provocante, à la mise en terre de ce dont elle
« image» de l'esprit, Ou le contraire? La valeur de métaphore a prévu la mort. Logique de l'obséquence. Telle
une analogie tirée de serait impuissante à en décider si on
la « vie naturelle » . Il d' est la grande scène génétique : la mère sécutrice
du corps et de sur- ne la reconstruisa1t pas e e-même epU1S dénonce, puis laisse mourir le fils-- qu'elle trans-
croît une «image cette question. forme de ce fait en fille '-', la laisse, de ce fait la fait
orientale ». Avec « La relève de l'inadéquation », de mourir et simule, la divine putain, un suicide.
l'image du Phénix et la différence sexuelle et de la mort, c'est
l'idée de la métem-
psychose, la « méta- le retour à soi de l'esprit perdu, perdu Voir, plus loin, ce calcul de la mère.
physique » orientale pour un temps, le temps, dans la nature.
aurait atteint son
sommet. Pour l'Occi- La vie naturelle, pour accomplir ce Ce qu'elle veut en somme, elle d'abord: reprendre
dental au contraire, « destin », « se tue elle-même ». Le le - son - glas au fils, se masturber le mamelon,
l'esprit est plus jeune, suicide est naturel, il est l'opération de sonner elle-même le-· son - propre tocsin (ce que
certes, dans sa résur-
rection, mais il se l'esprit dans la nature. L'esprit s'entend
son fils désire à sa place). Et rester, ou sortir la
dresse plus haut et comme suicide, c'est là qu'il commence dernière, quand personne n'aura plus le temps.
dans une gloire plus à résonner pour lui-même, qu'il devient Qu'est-ce qu'une mère peut faire de mieux?
clai re (erhôht, ver·· Mais tant qu'elle est là, pour se représenter et se
kliirt)., 11« jouit de lui- objet pour lui-même, conscience de soi. détacher d'elle-même, vous pouvez toujours vous
même » et « dans la C'est là que l'esprit s'appelle -- l'es-
jouissance de son acti .. .prit -, se rappelle à lui. De même que crever à signer, elle transforme votre acte en péché
vi té il n'a affaire qu'à dans toutes les langues, votre texte en ersatz, votre
lui-même »., le ~exe mâle s'active à sortir de l'enve- 'paraphe en toc. Elle vous tient la main et vous
loppe qui le tenait enfermé chez la contresignez toujours.
femme, l'esprit sort de l' « envel.?ppe morte » qui le compri-
mait encore dans la nature: « Uber diesem Tode der Natur,
Sujet de la dénonciation : je m'appelle ma mère
aus dieser toten Hülle geht eine schl/nere Natur, geht der Geist qui s'appelle (en) moi. Donner, accuser. Datif,
hervor. » Hülle, c'est l'enveloppe, le voile, le masque, la accusatif. Je porte le nom de ma mère, je suis le
peau, la gaine. Et l'esprit, « la nature plus belle », est donc nom de ma mère, j'appelle ma mère à moi, j'appelle
l'élévation d'un cadavre, une sorte d'érection débandée, ma mère pour moi, j'appelle ma mère en moi,
l'ascension glorieuse d'une « dépouille » : dialectique de la me rappelle à ma mère. Je décline dans tous les cas
nature. la même subjugation.
Tel est le « concept de la philosophie de la nature » :
la libération du concept qui veut se rassembler auprès de Le calcul de la mère - que je suis: Ah! si ma mère
lui-même après avoir organisé le suicide de la nature pouvait m'assister à mon enterrement
c'est-à-dire de son double, de son « miroir » (Spiegel), de
son « reflet: » (Reflex). Celui-ci le captait mais le dispersait
aussi dans son image, dans une sorte de polymorphie qu'il que vous n'aurez pas épuisé. Comme il
fallait réduire. Il fallait strictement assujettir le Protée n'y a pas d'objet ni donc de savoir qui ne soit de
(diesen Proteus zu bezwingen) . La nature n'aura rien la mère, la proposition du savoir absolu « c'est la
demandé d'autre: {< Le but de la nature est de se tuer
elle-même et de percer l'écorce de l'immédiat, du sensible,
Mère >) forme le paravent d'une tautologie, voire
de se consumer comme Phénix, pour surgir, rajeunie, l'hymen qui se crève de lui-même. Une fois
hors de cette extériorité, en tant qu'esprit. >} le paravent analysé, on ne (se) garde (de) rien.
La multiplicité rhapsodique de ces figures accuse
précisément la nature. L'unité spirituelle du concept doit Le para tombe dans le vent ou reste suspendu dans
leur faire violence pour s'en libérer. Cette opération, les pets.
{< l'opération de l'esprit est la philosophie >}.

La pluie a dispersé les spectateurs qui courent


On n'a toujours pas rencontré la famille. Du moins la dans tous les sens. De quoi s'agit-il en somme?
famille humaine, celle que, par une commodité de plus de citer, de réciter le genêt à longueur de pages?
en plus problématique, on serait encore tenté d'appeler De l'interpréter, de l'exécuter comme un morceau
la famille proprement dite : ni la Sainte Famille infinie, ni
la cellule naturelle du vivant fini. de musique? De qui se moque-t-on. Que nous
L'analyse de la famille humaine semble maintenant propose-t-on. Des fioritures? Une anthologie? de
accessible: au sortir de la nature, quand l'esprit se reprend, quel droit. Et le texte complet, on nous le dissimule?
devient objet pour lui-même dans la conscience. La
première philosophie de l'esprit, à Iéna, inscri, la pre- Pas même une anthologie. Des morceaux d'an-
mière détermination de la famille humaine dans une théo- thologie. Pour inviter, si possible, à relier, à relire
rie de la conscience. Les concepts organisateurs en sont en tous cas. A l'envers et à l'endroit, en repre-
donc ceux de Poten.Z et de Mitte) puissance et moyen-terme,
milieu, centre. La famille est la troisième Potenz, l'ultime, nant par tous les bouts.
de la conscience. Elle s'accomplit dans la Sittlichkeit et dans
l'esprit de peuple. Néanmoins tous ces morceaux ne peuvent
Retour à soi de l'esprit, la conscience est le contraire
simple et immédiat d'elle-même. Elle est ce dont elle est pas, naturellement, se lier.
consciente, à savoir son opposé. A la fois active et passive,
s'identifiant à son propre opposé, elle se sépare d'elle- L'objet du présent ouvrage, son style aUSSI,
même comme de son objet. Mais elle s'enserre elle-même
comme l'unité stricte de sa propre séparation: {< D'autre c'est le morceau.
part (das andre Ma!) ) la conscience est le contraire de cette
séparation, l'absolu être-un (Einssein) de la différence, Qui se détache toujours, comme son nom
l'être-un de la différence existante et de la différence
relevée. >} En tant que telle, les deux opposés et le mouve-
l'indique et pour que vous ne l'oubliiez pas, avec
ment de l'opposition, les différents et la différence, la des dents.
conscience est Mitte) médiation, milieu, medium. L'objet du présent ouvrage (code de la coutu-
Dès lors, chaque {< puissance >} de la conscience aura
la détermination d'un milieu. Et puisque la conscience est
rière), c'est ce qui d'une morsure reste dans la
la relève de la nature dans l'esprit, chacun de ces milieux gorge : le mors.
garde en lui une détermination naturelle relevée. Il cor- En tant ql:l'il ne peut pas, naturellement, se
respond chaque fojs à l'idéalisation d'un milieu naturel et
la conscience est le milieu de l'idéalité en général, donc
lier (bander).
de l'universalité en général. C'est l'éther: transparence
absolument accueillante et n'offrant aucune résistance.
L'éther n'est pas naturel comme l'air, mais il n'est pas
purement spirituel. C'est le milieu dans lequel l'esprit,
se rapporte à lui-même, se répète en traversant la nature Se greffer tout au plus le peut-il encore.
comme du vent.
La conscience idéalise la nature en la niant, elle se
produit à travers ce qu'elle nie (ou relève). A.t travers: la
traversée et la transgression laissent dans le milieu idéal
la marque analogique du milieu naturel. Il y a ainsi une La greffe qui se coud, la substitution du
puissance et un milieu correspondant à l'air: la mémoire seing supplémentaire « constitue » le texte. Sa
et le langage; puis à la terre: le travail et l'instrument.
Dans le cas de la famille, troisième puissance, une compli- nécessaire hétérogénéité, son interminable réseau
cation supplémentaire essentielle : le milieu à travers de branchements d'écoute en allo qui oblige à
lequel se produit ma famille n'est plus inorganique comme compter avec la pièce rapportée.
l'air ou la terre. Il n'est plus simplement extérieur au
milieu idéal. Il s'ensuivra plus d'une conséquence.
Comment la famille vient-elle à l'air et à la terre,
c'est-à-dire au langage et à la mémoire, au travail et à
l'instrument?
Homogène et fluide, l'air laisse transparaître et Lire - sa marche avec une prothèse. Dont le
résonner, voir et entendre. Milieu théorico-phonique. La bruit ne dissonne pas, comme on pourrait croire,
première puissance de la conscience est « la pure exi~tence
au contraire. Ça marche et ça chante avec des
théorique ». Elle se détermine et se retient comme telle
dans la mémoire, c'est-à-dire sans secours solide. Il s'agit parenthèses
évidemment de la mémoire pure et vivante. Elle serait
purement évanescente sans le langage qui lui fournit des
produits stables mais encore tout intérieurs et spontanés. (<< Parenthèse, s.f. 1. Phrase formant un sens dis-
Mais à cause de cette intériorité et de cette spontanéité, le tinct, séparé du sens de la période où elle est insé-
langage est un produit qui s'efface lui-même dans le rée. "Ces longues parenthèses qui coupent la
temps. En lui la conscience théorique disparaît aussi. Elle liaison des choses", Bouhours. "On doit éviter
ne peut se poser, exister comme conscience théorique. Pour les parenthèses trop longues, et,les placer de façon
le faire, elle doit donc sortir d'elle-même, passer encore qu'elles ne rendent point la phrase louche, et
dans son opposé, nier sa propre théoricité, son air. Elle ne qu'elles n'empêchent pas l'esprit d'apercevoir la
suite des corrélatifs", Dumarsais. »
peut se poser comme conscience théorique qu'en devenant
conscience pratique, à travers l'élément terr:eux. A la
• 1

« Prothèse, s.f. Terme de chirurgie. Partie de la 1

mémoire s'enchaîne alors le travail, au produit linguistique thérapeutique chirurgicale qui a pour objet de
-- de la mémoire l'instrument et le produit du travail. De remplacer par une préparation artificielle un organe
même que le langage était à la fois l'effet et l'organe de la qui a été enlevé en totalité ou en partie [...] 2.
mémoire, l'instrument (Werkzeug) sert le travail dont il Chez les Grecs, autel de prothèse, petit autel sur
procède. Dans les deux cas, une activité donne lieu à la lequel ils préparent tout ce qui est nécessaire
production d'une permanence, d'un élément de subsis- pour le saint sacrifice. »Littré.)
tance relative.
La famille présuppose les deux puissances précé- dans le corps.
1;6
dentes; mais elle traverse aussi l'élément organique, le désir Et si tout ce labeur de galérien s' était épui~
et la différence sexuelle. Le produit permanent, c'est l'en-
fant et le bien de famille (Familiengut). La propriété
à émettre (le mot émettre me paraît intéressant
familiale élève enfin la nature inorganique (terre et air) mais insatisfaisant, il faudrait dire aussi oindre,
à l'idéalité d'une propriété universelle garantie par la induire, enjoindre, enduire)
rationalité juridique. Alors l'éther re-devient absolu et
la famille s'accomplit en disparaissant, en niant sa singula-
GL
rité dans l'esprit de peuple. je ne dis pas le signifiant GL, ni le phonème GL,
Tel est le schéma général. Regardons de plus près la ni le graphème GL. La marque ce serait mieux
transition de la deuxième à l'ultime Potenz, c'est-à-dire
l'origine de la famille. si on entendait bien ce mot ou si on lui ouvrait
Dans le langage, milieu invisible, sonore, évanescent, les oreilles; ni même la marque donc.
la conscience théorique s'efface, se nie, se réduit à l'instant Il est aussi imprudent d'avancer ou de mettre
ponctuel. La liberté théorique y est donc négative et
formelle. Comme elle n'est qu'un point, elle se convertit
en branle le ou la GL, de l'écrire ou de l'articuler
en son contraire. Son universalité devient pure singularité, . en majuscules. Cela n'a pas d'identité, de sexe, de
sa liberté le caprice ou l'entêtement (Eigensinn). Le sens genre, ne fait pas de sens, ce n'est ni un tout défini,
propre de cette liberté entêtée, c'est la mort. Pour être sûre
de rester auprès de soi et ne pas en démordre, la cons- ni la partie détachée d'un tout
cience théorique renonce à tout. Elle veut échapper à la gl reste gl
mort de l'inorganique, à la terre, mais elle reste en l'air tombe comme il faut le caillou dans l'eau - à ne
et meurt de plus belle. La pureté de la vie est la mort.
La conscience pratique est donc à la fois la négation pas prendre encore pour une archiglose (puisque
et la position de la conscience théorique. Cela se joue ce n'est qu'un morceau de glose, mais pas encore
dans le passage du désir au travail. une glose et donc, élément détaché de toute
Le désir est théorique, mais comme tel tourmenté
d'une contradiction qui le rend pratique. glose, beaucoup plus et autre chose que l'Urlaut),
En effet, la conscience théorique (la mort) n'a pour des consonnes sans voyelles, des syllabes
affaire qu'à du mort. Dans l'opposition qui la constitue, « sonnantes >), des lettres non vocalisables, sur
son objet, son opposé n'est pas une conscience, c'est une
chose - morte -- qui, elle, ne s'oppose pas, n'entre pas quelque base pulsionnelle de la phonation, une
d'elle-même en relation. Elle est dans le rapport sans, elle- voix sans voix étouffant: un sanglot
même, se rapporter--à. La conscience théorique a donc la
premier sanglot ou premier éclat de rire, la bouche
forme d'une contradiction, la forme d'un rapport. qui se
pleine vous met au défi de décider si les aggluti-
rapporte à quelque chose qui n'est pas rapporté, ne (se) nations encollent ici des signifiants ou des signifiés.
rapporte pas (Widerspruch âner Beziehung au] ein absolut D'où la beauté de la chose et le sanglot qui tient
nicht Bezogenes), qui s'absout du rapport. toujours à quelque contraction du gosier, constric-
Cela ne change qu'avec le désir. Celui-ci se rapporte tion ou resserrement de la gueule. L'expérience
à un vivant, donc à quelque chose qui (se) rapporte. La néga- du beau, ou de ce qu'on appelle ainsi, ne s'ec.
tion de la conscience théorique, c'est donc d'abord le jamais sans gl. Je cite à comparaître ici l'expert
désir. Le désir implique forcément cela même qu'il nie : es langues et lettres: «A peine cette toile m'eut-
la conscience théorique, la mémoire et le langage. elle sauté aux yeux, je ressentis ce que j'ai nommé,
On serait tenté d'en conclure que le désir est le ailleurs, le sanglot esthétique (cet" esthétique"
propre de l'être parlant. Eh fait Hegel ne refuse pas le désir ne me plaît pas trop), enfin, une sorte de spasme
entre le pharynx et l'œsophage, et mes yeux
à l'animal. C'est donc le passage du désir animal au désir
s'embuèrent. » Ponge
humain qui suppose la conscience théorique et la parole en
tant que telles. En tant que telles : car il y a bien aussi une ou un caillot de

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attitude théorique chez l'animal si le théorique est le lait dans la gorge, le rire chatouillé ou le vomi
rapport à la chose morte. Rien de plus théorique à cet
égard que l'animal. Mais ni l'animal ni le théorique ne
glaireux d'un bébé glouton, le vol impérial d'un
peuvent se poser en tant que tels. Selon une tradition vivace, rapace
l'animal serait incapable et de langage et de travail:
« ... en reconnaissant l'amour- sur moi fondre -
Hegel du moins ne refuse pas le désir à l'animal. ce n'est pas la seule rhétorique qui exige la compa-
Celui-ci a même le pouvoir de freiner ou d'inhiber son raison : comme un gerfaut - ... » «Je me sentais
désir. Simplement la structure de l'inhibition y est autre. porté par lui. j'étais comme si, déjà sous lui, il
Sans doute la tendance à anéantir l'objet opposé (le désiré) m'eût baisé, m'assommant de tout son poids et
s'inhibe-t-elle (sich hemntt). Les membres de l'opposition aussi me tirant à lui comme l'aigle Ganymède,
doivent être relevés (aIs aufzuhebende) et c'est comme tels comme enfin il devait le faire cette quatrième nuit
qu'ils sont « posés ». Le désir lui-même se pose comme qu'il passa avec moi, où mieux préparé, je le laissai
« devant être anéanti ». Il réfrène la destruction de ce qu'il entrer en moi profondément et qu'il s'abattit,
désire, c'est-à-dire de ce qu'il désire consommer, détruire, de sa masse énorme (tout un ciel me tombant sur
le dos), ses griffes enfouies dans mes épaules, et ses
anéantir. Il veut garder ce qu'il veut perdre. Le désir est
dents mordant ma nuque. Il était planté en moi,
de l'Aufhebung. L'inhibition et la relève sont inséparables, poussant dans mon sol et, au-·dessus de moi,
l'effet d'idéalité qui s'ensuit toujours appartient aussi à la déployant une ramure et un feuillage de plomb. »
structure du désir animal en général. Et plus loin, toujours dans le journal du voleur,
Qu'est-ce qui le distingue donc du désir humain? Ganymède se fait littéralement voler : « Jupiter
question de temps. Les moments de l'opération sont enlève Ganymède et le baise: j'eusse pu me per-
dissociés et extérieurs dans l'Aufhebung animale. L'anéan- mettre toutes les débauches. » L.es gl de l'aigle
tissement et la conservation se juxtaposent, se tiennent sont donc à la fois ou alternativement l'élévation
« écartés dans le temps » (in der Zeit auseinandergerückt). aérienne du concept, le savoir absolu qui vous
La consommation et la répression ne sont pas présentes emporte et la pesanteur du signifiant qui vous
en même temps, n'occupent pas le même présent. Il n'y a écrase ou s'enfonce en vous. Dans Pompes Funèbres,
la Trinité (l'église) figure l'aigle du Reich. Au mo-
donc pas d'AuJhebung présente chez l'animal, à jortiori
ment où vous vous appelez, vous êtes toujours en
dans la nature inorganique. C'est la définition même, et train de vous faire baiser en contrebande, telle
non un prédicat parmi d'autres de la nature. En ce sens, est la philosophie
il n'est pas absurde de dire qu'il n'y a pas d'Aufhebung ou
de dialectique de la nature. Du moins la dialectique ne s'y
présente-t-elle pas. Elle s'annonce - déjà - sur le mode qui fond d'un coup sur votre nuque, le nom
du pas-encore. Rien de plus dialectique cependant.
Il y a de l'animalité quand la consommation et la non-
gluant, glacé, pissant frQid d'un impassible philo-
consommation se suivent mais ne se rassemblent pas. sophe teuton, au bégaiement notoire, tantôt iiquide
L'animal en tant que tel (c'est pourquoi il n'aurait pas et tantôt gutturo-tétanique, un goître enflé ou
d'histoire et se répéterait sans fin), l'hommé en tant
qu'animal consomme, puis ne consomme pas, détruit
roucoulant, tout ce qui cloche dans le conduit
puis ne détruit pas, désire détruire puis désire ne pas ou dans la fosse tympanique, le crachat ou l'em-
détruire, s'assouvit puis s'arrête, s'arrête puis s'assouvit plâtre sur le voile du palais, l'orgasme de la glotte
et recommence. Cette dissociation ou cette successivité,
c'est cela même que le désir humain relève. L'inhibition, ou de la luette, la glu clitoridienne, le cloaque
cette fois, habite la consommation elle-même. L'idéalité, de l'avortement, le hoquet de sperme, l'hiatus
effet de l'inhibition, jait partie du présent de la consomma- rythmé d'une occlusion, le spasme saccadancé d'une
tion. L'Aufhebung s'y produit elle-même présentement, au
cœur de la jouissance. « Le dési1; humain doit être idéel éructojaculation, le clapet syncopé de la langue
dans la relève même (im Aujheben selbst) J il doit être relevé et des lèvres, ou un clou qui tombe dan$ le
( aufgehoben) et!' objet doit également, tandis (indem) qu'il silence de la voix lactée Ge note entre parenthèses
est relevé, rester (bleiben). >}
L'Aujhebung se relève donc elle-même dans le désir que depuis· le commencement de cette lecture,
présent. Le désir humain : relève de la relève, présence je n'ai cessé de penser, comme si c'était mon
relevante de la relève, relevance. La vérité de l'idéalité principal objet, aux marques de lait Gloria et Gallia
s'y présente comme telle.
L'Aufhebung n'est pas quelque chose de déterminé, pour nouveau-nés, à tout ce qui peut arriver à
ni une structure formelle dont la généralité indifférenciée la bouillie, au brouet des nourrissons goulus,
s'applique à tout moment. Elle est l'histoire, le devenir de gavés ou sevrés d'un sein clivé, et voilà que tout
sa propre présentation, de sa propre détermination diffé-
renciante, et elle est soumise à la loi, à la même loi que prend, se fige et tombe en galalithe).
ce dont elle est la loi: elle se donne d'abord comme immé-
diate, puis se médiatise en se niant, etc. Qu'elle soit
soumise à la loi de ce dont elle est la loi, voilà qui donne
à la structure du système hegelien une forme très retorse
et si difficilement prenable.
Comment le désir devient-il travail? Pourquoi reste-
t-il désir chez l'animal alors qu'il ne peut pas ne pas se
poser dans le travail chez l'homme?
Dans le désir animal - qui constitue l'animal
comme tel-, l'idéalité n'est pas intérieure à la consomma- Pierre de lait. Une sorte de galalithe
tion, à la satisfaction, elle lui succède seulement. « Le
devenir effectif de la relève, l'apaisement (Stillung) d~ pierre tombale en minéral synthétique, en toc
désir est [chez l'animal] un devenir-,relevé immédiat, laiteux. Un bloc de lait caillé. La galalithe est
sans idéalité, sans conscience. >) (On pourrait: déjà en
conclure, contre l'intérêt si clair de cet humanisme obscur,
une matière plastique obtenue par le traitement
que l'idéalité, la conscience, l'humanité du désir, c'est la au formol de la caséine pure. Quand LeTIa sort
médiatisation supplémentaire du désir animal -- ni plus tous ces objets de dessous sa jupe dans la « mai-
ni moins). En tant qu'il n'a plus affaire à un objet mort et
que l'idéalité conservatrice épargne le désiré, le désir n'est
son de la Mère >), lampe, abat-jour, « bouts de
plus une opération simplement théorique. Il est déjà verre cassés, ou tessons... morceaux de verre ...
relation pratique. Le désir humain est travail. En lui- débris ... éclats », elle se fait demander par La
même. Cela tient à ce que l'inhibition en général le
structure de la façon la plus intérieure et la plus essentielle.
Mère: « Tout y est? Leïla : Tout. La ,Mère
Il faut faire place à la généralité de cette structure, puis (montrant le ventre bombé de Leïla) : Et ça?
se demander si quelque chose comme le refoulement peut Lei1a : Ça? La Mère: Qu'est-ce que c'est? Lei1a
y figurer une espèce du genre Hemmung, si la logique du
refoulement est compatible avec la logique générale de (riant) : .Mon petit dernier. La Mère (riant aussi) :
l'inhibition et de la relève. S'il y avait une réponse déci- Où tu l'as eu? [...} Personne ne t'a vue? Alors
dable à cette question, elle ne tiendrait pas en un mot. pose-le là. (Elle indique un tabouret dessiné en
Hegel ,doit donc décrire simultanément l'émergence
du désir humain et l'émergence de la relation pratique. Il trompe-l'ail sur le paravent. Leïla, à l'aide d'un
n'y a pas de travail animal et la praxis est une « puissance >) fusain qu'elle a pris 'dans sa poche, dessine au-
de la conscience. « La relation pratique est une relation dessus de la table un réveille-matin.) Il est très
(Be,ziehung) de la conscience. >} Cela tient à ce que, dans sa
simplicité même, l'anéantissement de l'objet est une joli. C'est quoi? Du marbre ou de la galalithe?
opération qui s'inhibe en elle-même et s'oppose à elle- LiNa (avec fierté) : Galalithe. »
même (ein in sich Gehemmtes und Entgegensetztes). C'est pour- Le mot se détache, sonne tout:
quoi le désir n'est jamais satisfait et c'est là sa structure galalithe
« pratique » elle-même. « Dans son opération d'anéantis-
seul. La chose aussi. C'est un
sement, le. désir n'en vient jamais à sa satisfaction. » réveil. Dans le ventre bombé, il y avait cet objet
Son objet demeure, non pas parce qu'il échappe à l'anéan- cloche en matière plastique qui portait: lui-même
tissement, se tient pour lui hors de portée, mais- parce
qu'il demeure dans son anéantissement. Il reste en tant dans son ventre un petit marteau, un mini-tocsin
qu'il ne reste pas. Opération du deuil: consommation dont la sonnerie peut toujours se déclencher à
idéalisante. Cette relation s'appelle le travail. La cons- l'improviste. Glou-glou/Tic-tac. Toute cette
cience pratique élabore au lieu où elle anéantit et tient
ensemble les deux opposés de la contradiction. En ce sens matière galactique signe le toc, non seulement
le travail est le milieu (Mitte) de l'opposition intrinsèque parce que sa substance est synthétique, mais parce
au désir. que l'objet de bazar est: seulement dessiné, et
Ce milieu à son tour se pose, se donne une perma-
nence. Sans cela, il s'effondrerait dans une pure négativité, encore en trompe-l'œil, et sur un paravent. Obsèque
il sombrerait comme une activité pure qui d'elle-même interminable de la chose même. Devant le repré-
s'enlève au fur et à mesure. Pour se poser, le travail doit sentant de la loi, La Mère assume en quelque
donc passer dans son opposé, se fixer hors de lui-même
dans la résistance du pùlieu. C'est l'origine de l'instrument sorte la propriété de la galalithe, elle reprend
(Werkzeug) J l'objet (producteur et produit) de travail. « Le le réveil dans son ventre. Puis elle mime les
travail est lui-même une chose (Ding). L'instrument est gestes de son fils pour lui ouvrir le ventre, celui
le milieu existant et rationnel, l'universalité existante du
procès pratique. » du réveil. Le gendarme observe le paravent :
« On vous a vue dans une glace, vous vous sau-
Qu'est-ce que telle chose (Ding)? Quel est l'être- viez ... Le réveil n'y était plus. (Un temps.) C'est
chose de cette chose-là (Ding)? C'est une universalité
existante parce que la généralité de l' outil empêch~ le travail celui-là? La Mère : Non. Le réveil a toujours
de s'épuiser dans les actes singuliers d'une subjectivité été là. [...] y a longtemps qu'il est là le réveil.
empirique. Sans l'objectivité universelle de l'instrument, Avec quoi on se réveillerait sans lui? Figurez-
le travail serait une expérience unilatérale. Il se détruirait
et s'emporterait lui-même dans la multiplicité ineffable des vous qu'un jour, quand il était tout petit, Saïd
gestes. L'instrument garde donc le travail de l'auto- l'avait complètement démonté. Complètement.
destruction, il est l'idéalité relevante de la praxis, il est Pièce par pièce, pour voir ce qu'il y avait dedans,
à la fois actif et passif: le reste du travail qui entre en
tradition, l'histoire pratique. Mais l'histoire pratique et tous les ressorts il les avait posés sur une assiette,
comme histoire du désir. Le désir et le travail disparais- il était encore tout petit, et juste je rentre, il y a
sent, avec leurs objets, en tant qu'individus empiriques. de ça longtemps, vous pensez. Je rentre de chez
On désire, on consomme, on travaille, ça passe et ça
meurt. En tant qu'individus empiriques. La tradition l'épicier, et qu'est-ce que j'aperçois par terre ...
(c'est le mot de Hegel) est donc ce qui résiste à cette perte (elle mime). Mais réellement, comme une espèce
et constitue l'idéalité maintenue: non pas l'objet fini et de vermine qui voudrait se débiner: des petites
élaboré mais l'instrument de travail qui peut encore
servir, à cause de sa structure de généralité. Il est doué roues, des petites étoiles, des petites vis, des
d'une identité idéale, reproductible, perfectible, donne petits vers, des petits clous, des petits machins
lieu à l'accumulation, etc. On ne peut donc pas désirer y en avait plein, des petits ressorts, des harengs
sans désirer produire des instruments, c'est-à-dire des
instruments de production. saurs, clés à mollettes, cigarettes, trottinettes... »
Il s'agit de faire maintenant le pas le plus difficile: La mécanique du signifiant, qui couvre aussi
le mariage.
Quelques lignes - plus elliptiques que jamais - la fuite de f autre (Lena), ne peut pas plus s'ar-
ferment l'analyse de la deuxième «Potenz» (l'instrument) et rêter que la sonnerie du réveil; elle aura aussi
doivent en somme expliquer le surgissement de la troi- déclenché cette inquiétante transe de l'impos-
sième (la famille) dans sa première phase. Il s'agit donc de
rendre compte de la production du mariage par l'instru- sible partition : entre le signifié et le signifiant,
ment. le vrai et le faux, le vivant et l'inanimé, le mor-
Comme toujours ce mouvement a la forme d'une ceau et le tout organique. Tous ces petits fœtus,
production par position : objectivation, contradiction,
intériorisation, subjectivation, idéalisation, libération, pénis ou clitoris à la fois morts et vifs, vis et vers,
relève. Le mariage : relève de l'outil. grouillant sans queue ni tête, se passant de
L'outil est solide. Résistant ainsi à la consommation, queue et de tête pour vous filer entre les doigts
assurant la tradition, il agit du même coup comme une
contrainte externe. Le désir élaborant: se donne l'instru- et se pousser partout, s'emboîtent les uns dans
ment, certes, mais comme une chose extérieure et dans les autres en trompe ventre. Naturellement le
une relation d'hétéronomie. Il ne s'interdit plus libre- gendarme n'aime pas la galalithe, il n'aime pas
ment, spontanément, du dedans, de consommer l'autre.
L'idéalité reste encore dans un certain dehors dissociable. l'ersatz, il est pour l'authentique et n'y voit goutte :
La liberté de la conscience ne s'affirme pas pleinement « Il est en galalithe, ou il est en marbre, c'est
dans la réserve inhibitrice. sûrement de la galalithe, de nos jours, ce qu'on
Le mariage est: la relève de cette contrainte, l'intério-
risation de cette extériorité, la consommation de l'outil. vend dans les viIlages, dans les foires, sur les
Travail du désir sans instrument. L'extériorité de la marchés, rien n'est plus comme avant. »
chaîne instrumentale vient d'être définie: « La liberté de
la conscience relève cette nécessité et inhibe l'anéantir
dans la jouissance, par elle-même (durch sich selbsO. Cela
rend les deux sexes conscients l'un de l'autre, étants et
subsistants l'un pour l'autre ... de telle sorte que chacun est
lui-même dans l'être-pour·-soi de l'autre ... ».
C'est la première fois que la philosophie de l'esprit: On vous vendrait n'importe quOl au Jour
d'Iéna touche au désir sexuel. La philosophie de la nature d'aujourd'hui.
traitait de sexualité biologique. Quant au désir, il n'avait
pas encore été spécifié comme désir sexuel, il pouvait aussi
bien s'agir de boire et de manger. C'est donc au moment
où l'Aujhebung, à l'intérieur de la jouissance, inhibe, retient
et relève le plaisir pour ne pas détruire l'autre et donc se
détruire elle-même comme jouissance, limite pour garder,
'. nie pour jouir, comme si par peur, il ne fallait pas accéder à Si gl ne vous suffit pas, s'il ne vous en reste
un trop bon qui risquerait d'emporter ce qui se donne dans aucune jouissance, si vous n'en avez rien à foutre,
son excès même, c'est à ce moment furtif, très proche et
très éloigné de lui-même, de son propre présent, à peine
si vous voulez rendre gl, à moi-·même ou à ce
phénoménal, entre nuit et jour - le pénombre - que fils de galère surnommé Gallien, encore un effort.
Hegel détermine le désir en désir sexuel. Ce secret de la Supposez que ce qui s'échafaude ici plus pro-
jouissance qui se sacrifie, s'immole à elle-même, soit à
l'autel de la jouissance, pour ne pas (se) détruire, elle- prement, c'est encore la forme d'un A, pour y
même et l'autre, l'un dans l'autre, l'un pour l'autre - passer la tête et risquer le coup. Non pour l'ajouter
in-jouissance et im-puissance essentielles - c'est ce que à gl (1's tombé une fois de plus) mais pour écrire
Hegel appelle l'amour. Les deux sexes passent l'un dans
l'autre, sont l'un pour et dans l'autre, ce qui constitue
telle italique
l'idéal, l'idéalité de l'idéal. .
Celle-ci -a son « milieu » dans le mariage. L'inhibition
libre dans le désir, le désir qui « se libère du rapport' à la
jouissance », c'est l'amour; et la subsistance de l'amour,
sa durée, sa demeure, son milieu élémentaire, c'est le ma-
riage. « Et le rapport sexuel devient celui dans lequel
chacun est un avec l'autre dans l'être de la conscience de
chacun, autrement dit une relation idéale. Le désir se
libère du rapport à la jouissance; il devient l'être-un (PA.RANTHESE)
(Einssein) immédiat des deux dans leur être pour-soi
absolu, autrement dit il devient amour,' et la jouissance
est en cette intuition (Anschauen) de soi-même dans l'être
de l'autre conscience. Le rapport lui-même devient de
la même façon l'être des deux et'un rapport aussi durable
(bleibende) que l'être des deux, autrement dit il devient
mariage ».
Un appendice de la Philosophie du droit le distinguera
du concubinat par le «refoulement » de la poussée naturelle Parmi toutes les coutures du texte génétique,
(le Naturtrieb y est zurückgedrangt). Le cqncubinat la ;satis-
fait au contraire. six lignes entre parenthèses et en italiques.
Nous avons retrouvé la déduction syllogistique de
l'amour et du mariage comme unité immédiate de la Pourquoi fascinent-elles?
famille.
La durée, ce qui reste (bleibt) de ce moment qui est Que fascinent-elles? Sauf vérification ulté-
à l'amour ce que l'outil est au travail, ne reste pas en paix. rieure à l'aide de machines à lire ou à écrire des
Un nouveau cycle dialectique s'amorce ici, une nouvelle thèses, le cas d'une telle incise (pas vraiment
guerre commence à faire rage. La lutte à mort pour la
reconnaissance s'inscrit ici à l'intérieur du syllogisme une incise, du moins est-elle monstrueuse de
familial. Une différence entre l'analyse d'Iéna et celle de taille et de beauté) paraît rare. Ce n'est pas une
la Philosophie du droit, beauèoup plus ample: la première de ces mises en abyme par lesquelles l'auteur
comprend, dans le développement concernant l'enfant,
une explication de la lutte à mort pour la reconnaissance et feint d'intervenir en tant qu'auteur dans un récit
pour la possession. . pour jouer à vous expliquer son travail alors
Le mariage est donc le premier moment de la famille, qu'il est en train de vous faire avaler autre chose
le plus naturel et le plus immédiat. Il est monogamique :
implication constante, déclarée plus tard dans la Philo- que vous ne voyez pas encore, que vous n'avez _
sophie du droit : « Le mariage, et essentiellement la mono- même pas le temps de vous attarder à recon-
gamie, est un des principes sur lesquels repose la Sittlich- naître. Dans ces six lignes, il s'agit en apparence
keit d'une communauté », ou encore « Le mariage est
essentiellement monogamie. » d'un simple déplacement de camera qui détourne
Inclination libre des deux sexes, il exclut tout contrat. la ligne chronologique du récit, procédé assez
Un tel lien juridique abstrait ne pourrait lier en effet des banal pour se passer de parenthèses et surtout
personnes qu'à des choses (mortes), il ne saurait engager
deux libertés vivantes. Il peut y avoir au mariage des d'italiques. Alors pourquoi?
déterminations emplrlques, des inclinations « patholo- Je n'ai pas l'intention d'en rendre compte,
giques », mais cela est inessentiel.
non que j'en garde la raison pour moi mais parce
A l'essentialité du mariage on ne peut mesurer aucune
considération sur les limitations empiriques de la liberté. que, s'agissant de greffe en tous cas et en tous
Hegel ne prend donc jamais en considération toute sens, le principe de raison n'a peut-être plus
l'anthropologie pragmatique de Kant, tout ce qui' y
cours. Du moins la raison ne peut-elle être
concerne l'agonistique conjugale, la lutte pour la maîtrise
entre le mari et la femme. Jamais la philosophie de l'esprit demandée à qui écrit.
n'énonce quoi que ce soit au sujet de la différence de sexe L'opération consisterait donc, pour le mo-·
entre les époux. Rièn de plus logique: tout doit se passer
comme si les époux avaient le même sexe, étaient tous'deux
ment, à seulement: déporter la greffe de l'organe
bisexués ou asexués. L'Aufhebung a opéré. paranthétique, sans savoir si ça saigne ou non,
La guerre commence avec l'enfant. Tout discours puis, après le prélèvement et un certain trai-·
sur l'inégalité des sexes/~~dans le mariage resterait donc
empirique, non pertinent, étranger: à l'essence du mariage.
tement qui ne consiste surtout pas à guérir, de
Dans la « Caractéristique », deuxième partie de son Anthro- remettre en place, de recoudre, le tout ne s'apai-
i
pologie) Kant analyse le « caractère du sexe » dans et hors sant peut-être pas dans sa constitution restaurée
. i
le mariage. Il le fait en termes de lutte pour la domina-
tion, lutte complexe où la maîtrise passe d'un sexe à
mais s'y déchiquetant au contraire plus que
l'autre selon les domaines et les moments. Elle est rare- JamaIS.
ment où l'on s'attend à la trouver. L'inégalité des sexes
est la condition d'une union harmonieuse. L'égalité des
forces rendrait un sexe insupportable à l'autre. Le pro- Cela suppose qu'on cite au moins deux fois.
grès de la culture doit donc favoriser l'inégalité pour la Une première fois pour extraire
protection et la propagation de l'espèce. Pliée à la téléo- «( (Longtemps après que je l'eusse retrouvé à
logie de la nature, la culture produit et accentue l'hétéro~
généité dans la disproportion des sexes. L'homme doit Anvers, à Stilitano je parlais de la grappe postiche
être supérieur par sa force physique et par son courage, cachée dans son froc. 11 me raconta alors qu'une
la femme par - je cite - sa « faculté naturelle » [Natur- putain espagnole, sous sa robe portait une rose d'éta-
gabe) don naturel] de se soumettre [se laisser dominer par:
sich bemeistern] à l'inclination de l'homme à son égard ». mine, épinglée à la hauteur équivalente.
Cette étrange supériorité de la femme n'est pas naturelle. - Pour remplacer la fleur perdue, me dit-il.) )
Elle tient à la culture qui privilégie ainsi la femme puisque C'est une coupure du Journal du voleur.
dans la nature, toute la supériorité « se trouve du côté de
l'homme ». Si donc la culture transforme la situation na- Qui portait à la une et sur deux colonnes :
turelle en procurant quelque supériorité artificielle à la
femme, une théorie de la culture _. ce que Kant appelle 1. l'effet: un « vêtement », uniforme ou parure
ici anthropologie - doit avoir pour objet privilégié,
sinon unique, le statut de la féminité. L'anthropologie (comme les souliers dès la première séquence
devrait être une théorie de la femme. « .. .la propriété des Paravents ou les gants dont les doigts réver-
féminine (weibliche Eigentümlichkeit) est, plus qp.e le sexe sibles, le nom, les occurrences et les transfor-
masculin, objet d'étude pour le philosophe. »
La culture ne se limite pas à la simple révélation mations orchestrent Les bonnes dès le lever de
d'une spécificité féminine enveloppée. rideau sur le lever de rideau);
Elle greffe. La supériorité relative de la femme culti-
vée est une greffe d'homme: « Dans l'état de nature brute
(im rohen .Naturzustande) on peut aussi peu la reconnaître 2. l'énoncé d'une loi d'oscillation et d'indé-
[ la spécificité féminine] que celle des pommes et des poires clslOn (comme par exem pIe « ce qui est resté
sauvages, dont la multiplicité (Mannigfaltigkeit) ne se
découvre que par la greffe (Pfropfen) ou l'inoculation
d'un Rembrandt » dont le « ni le Rembrandt
vrai ni faux » ou l'à-peu-près-faux répercute déjà
(Inoculiren). » La greffe ne transforme ici que pour dé- l'écho littéral ren-
ployer des propriétés naturelles, ce qui explique que la vous donne à suivre la faufilure voyé depuis la sur-
supériorité relative qu'elle confère à la femme paraisse
renverser la situation naturelle, mais ne consiste qu'à savoir
entre les deux colonnes) qui re- face des Paravents.
Rire de La Mère:
se soumettre à l'inclination de l'homme. « Car la culture marque le retournement inces- « (Elfe rit aux
n'introduit pas ces propriétés féminines », elle les produit samment instantané de la fleur : éclats et c'est dans
seulement, les met au jour, « leur donne l'occasion de se les éclats de rire
développer et de se faire remarquer dans des conditions pénis/vagin, castration/ virginité, qu'elfe dira ceci :)
favorables ». érection / retombée, organisme C'est les vérités '"
A l'intérieur de cette anthropo-botanique générale, naturel/ artefact désa~ticulé, corps ah!. .. ah!. .. ah! ah!..
qu'on ne peut pas
Kant analyse la guerre des sexes dans le mariage. La
femme a le goût de la guerre domestique, l'homme la fuit,
propre totaIj morceau fétichisé, etc. démontrer ah! ah!
il « aime la paix de la maison » et se soumet volontiers au Tout en s'écrivant sur et (Le rire paraît in ex-
tingu ible.) C'est les
gouvernement de la femme. « La femme veut dominer comme un artifice vestimentaire, vérités qui sont
( herrschen), l'homme être dominé (beherr scht) (surtout
avant le mariage). » Conséquence de la culture, le mariage les fleurs, l'anthologique de l'indé- fausses! ... ah! ah!
ahl Hi! Hi! Hi!
libère la femme et: asservit l'homme, « la femme devient cidable, se penchent dans des ita- ah! ah!... (elfe est
libre par le mariage; l'homme y perd sa liberté ». liques, puis tombent dans une note coupée en deux à
Simulacre de renversement : la femme ne devient force de rire) c'est
pas la plus forte mais la culture fait de sa faiblesse un levier. sur l'affect de l'indecision qui nous les vérités qu'on
La possibilité d'inverser les signes naturels - la féminité intéresse ici par-dessus tout. ne peut pas mener
même - interdit d'analyser une essence, une nature jusqu'à leurs ex-
Première phase du Journal: trémités ... hi! hi!
féminine. La féminité, c'est le pouvoir d'être autre que
qu'on est, de faire une arme de la faiblesse, de rçster secret. « Le vêtement des forçats est rayé hi! hil Oh! Oh!
Ah! Ah! Hi! Hi!
La femme a un secret (Geheimnis), l'homme en est privé. rose et blanc. » Hi! ... sans les
C'est pourquoi il est facile à analyser (der Mann ist leicht On décrit donc un tissu im- voir mourir et sans
zu erforschen). L'analyse de la femme est impossible, elle
ne révèle pas·· son secret, ce qui ne l'empêche pas, au primé, avec des lignes et des se voir mourir de
rire qu'on doit
contraire, de trahir régulièrement celui des autres. Parce ratures, des rayures couleur de exalter... »
qu'elle parle : le règne de la culture comme règne de la fleur (la fleur est aussitôt induite, Notre - Dame .. des··
femme est aussi le champ de la parole. Le langage ne dit Fleurs: « Ne criez
jamais que cette perversion de la nature par la culture - par le « rose et blanc », dans la pas à l'invraisem-
par la femme. L'arme féminine est la langue. Elle trans- phrase suivante), comme un jour- blance. Ce qui va
forme la faiblesse de l'esclave en maîtrise par la langue suivre est faux et
nal de voleur qu'il va falloir par- personne n'est te-
mais déjà, toujours, par cette perversion du discours qu'est
le bavardage, la faconde, la verbosité, la volubilité (Redse- courir en tous sens pour y couper nu de l'accepter
pour argent comp-
ligkeit). C'est ainsi qu'elle triomphe dans la guerre domes- ou en recueillir toutes les fleurs. tant. La vérité
tique et qu'elle l'aime, à la différence de l'homme qui a
autre chose à faire au-dehors. Elle y triomphe par ruse, Rose est aussi le premier mot n'est pas mon fait.
Mais" il faut men-
en cumulant tous les droits : abritée derrière son mari des Paravents. Le jeu prend nais- tir pour être vrai".
(droit du plus fort), elle commande à son maître (droit sance entre la couleur et la fleur, Et même aller au-
du plus faible). Art du levier. delà. De quelle
A travers cette loi de perversion qui déplace la hiérar- l'adjectif et le nom. Il flotte comme vérité veux-je par-
chie primitive, la téléologie naturelle continue .d'opérer, un vêtement de femme sur tout le Ier? S'il est bien

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elle réalise ses desseins normaux, normalisateurs, à travers texte. Il dissimule aussi le sexe et vrai que je suis un
des ruses et des détours. La « description» kantienne en prisonnier, qui
restaure obstinément l'intention. fait l'article, mais on ne sait pas joue (qui se joue)
La femme en effet ressemble à une «folie » de la nature, lequel. Le rose? la rose? L'attaque des scènes de la
la folie humaine de la nature. Mais à séduire l'homme, à des Paravents suspend, pour un vie intérieure,
vous n'exigerez
l'écarter de sa trajectoire naturelle, elle accomplit en fin
de compte le sage dessein de la nature. L'écart a été cal- temps, l'at:ticle dans l'exclamation: rien d'autre qu'un
culé de tout temps, les deux sexes ont été doucement et « Rose! (un temps) Je vous dis jeu. »
implacablement ordonnés à cette grande finalité, sans que rose! »
les sujets y comprennent rien. C'est pourquoi nous ne
pouvons pas penser la sexualité féminine. Nos catégories, « Le vêtement des forçats est rayé rose et
nos visées, les formes de notre conscience en sont inca- blanc. Si, commandé par mon cœur l'univers où
paJ:>les, un peu comme des métaphores anthropomor-
phIques dans un discours sur Dieu. Pour accéder à la je me complais, je l'élus, ai-je le pouvoir au moins
« caractéristique du sexe féminin », il ne faut pas se régler d'y découvrir les nombreux sens que je veux:
sur le principe de notre propre finalité, du « but que nous il existe donc un rapport étroit entre les fleurs et
nous donnons », mais sur « le but de la nature dans la
constitution de la féminité ». La « folie humaine » est un les bagnards. La fragilité, la délicatesse des
moyen en vue de cette fin qui est « sagesse » quand on premières sont de même nature que la brutale
considère « l'intention de la nature ». Le principe de la insensibilité des autres *. »
caractéristique ne dépend donc pas de « notre choix »
mais d'une « intention plus élevée » : « conservation de L'astérisque tient le voile soulevé.
l'espèce », « culture et raffinement de la société par la L'appel de note ne va pas vous faire tomber,
féminité ». Selon quelles voies? pour vous y paralyser, dans la trappe d'une anto-
Ayant confié à la femme le « fruit des entrailles » qui
permet à l'espèce de se développer, la nature a pris peur nymie ou d'une antinomie.
pour celle en qui un tel « gage » était déposé; elle a <::onservé Au contraire, elle dit ce qui provoque au
sa fille, l'a tenue à l'abri, l'a rendue craintive et timide mouvement infini, frémissant, frissonnant (ces deux
devant le danger. La protection de l'homme lui a été
assurée. La peur de la femme est la peur de la nature ou derniers mots sont très recherchés et ce sont
de la vie pour elle-même. Le raffinement social obéit à encore des mouvements, des émotions de fleurs).
la même finalité. Pour le favoriser, la nature a fait: du Voici la note : « * Mon émoi c'est l'oscillation
« sexe féminin le maître (Beherrscher) du sexe masculin ».
Cette maîtrise a été assurée par une moralisation: non pas des unes aux autres. »
au sens de la morale, de la Moralitéit, mais des mœurs, de L'émoi de qui? De l'auteur? du narrateur?
la Sittsamkeit, sinon de la Sittlichkeit. La SittsamkeitJ Qui signe en note et bas de page? Comme l'émoi
c'est la décence, l'honnêteté, la pudeur, la réserve. A deux
lignes d'intervalle, on la voit opposée à la moralité est l'oscillation «< mon émoi c'est l'oscillation... »),
(Moralitéit). Avec l'aisance du discours et les jeux de la le je est emporté, divisé, écarté dans le trait qui
mimique, la Sittsamkeit est même le masque de la moralité le rapporte à quoi que ce soit. Indécidable lui
(on rendrait le texte illisible si on traduisait Sittsamkeit
par moralité), la ruse qui asservit l'homme. Celui-d est aussi dans sa signature.
alors, à cause de sa « propre générosité », « invisiblement En deux pages, les conséquences en sont
ligoté par un enfant ». Pudeur, décence, réserve, la Sitt- tirées, toujours avec le détachement du grand
samkeit sert bien de voile ou de « vêtement » (Kleid)
à une moralité invisible. La femme est du côté de la style, c'est-·à-dire en ayant l'air de s'occuper à
Sittlichkeit ou de la Sittsamkeit, que Kant place au-dessous autre chose. Tirées comme un voile qui épouse,

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de la moralité. Hegel renversera le rapport de la Moralitâ'f cache et laisse deviner la forme de toutes les
à la Sittlichkeit. Il y a là un chiasme qu'on ne peut mainte-
nir dans les limites~d'une « anthropologie >).
chaînes. Celles des bagnards mais aussi celles
Comment la perversion (féminine) se met-elle au qui relient la rhétorique des voiles au dérobement
service de la téléologie cachée dans le mariage? Et en de la vérité, de la castration, de l'érection, de la
quoi ce problème téléologique reproduit-il le chiasme?
Dans l'état de nature, au sens kantien, la polygamie
nomination..Le voile s'y remarque, replie, recoupe
de l'homme est à peu près naturelle. La structure para- autour de fleurs qui sont à la fois des fleurs de
digmatique ressemble à celle du harem. L'homme désire rhétorique et des mises en scène - et en question--
naturellement tout le sexe et non une femme, il n'a affaire
qu'à des exemplaires de la féminité. Il n'aime pas, il aime
de la rhétorique. Par exemple, aussitôt après
n'importe quelle femme. La femme est une sorte de l'astérisque qui tient le voile soulevé:« Que j'aie
putain. Inversement, dans l'état de culture, la femme à représenter un forçat- ou un criminel -' je le
ne s'abandonne pas au plaisir de l'homme en dehors du
mariage, et du mariage monogamique; mais elle désire parerai de tant de fleurs que lui-·même disparaissant
tous les hommes et devient donc, en acte ou en intention, sous elles en deviendra une autre, géante, nou-
putain. L'homme kantien n'a donc jamais affaire qu'à la velle. »
putain et si, à ce pornographe catégorique, on demandait
ce qu'il préfère, de la putain ou de la vierge, il répondrait
la vierge en sachant bien que la nature, qui l'y mène,
veille bien à ce que cela revienne à la limite au même.
Situation qui ne peut être sans rapport avec ce que Hegel
analysera comme belle âme et conscience malheureuse.
Dans les deux cas, polygamie naturelle et monogamie Sous le collier, la guirlande, la couronne de
historique, c'est toujours la place de l'homme qui déter- fleurs artificielles, sous la parade ou la parure
mine le concept. La monogamie, c'est un homme et une
femme, la polygamie, c'est encore un homme et beaucoup poétique, on promet à la fois de provoquer l'étouf-
de femmes. La femme n'est jamais polygame, ni dans la fement, la disparition embaumée sous la pompe
nature ni dans la société kantiennes. Telle est l'apparence : funèbre, et de faire surgir le phallus érigé. Il n'y
en vérité la femme a toujours tout, et dans la monogamie
et dans la polygamie. Dans le harem, par exemple, il n'y a pas ici de choix, de disjonction ou d'accumu-
a pas de vraie multiplicité et l'homme perd à tous les lation. Mon émoi c'est l'oscillation. Le jeu (l'érec-
coups. Les femmes se font la guerre. pour restaurer le tion tombe) s'annonce comme cérémonie mor-
rapport monogamique et pour que l'une d'entre elles
ait tout l'homme, au moins en puissance. Si bien qu'elles tuaire ensevelissant l'autre sous les fleurs mais
l'ont toutes, aucune n'en est privée, et l'une d'entre elles le faisant du même coup bander sous les figures
finit aussi par régner sur lui. Ainsi décrit, le harem n'ap- de rhétorique et les voiles en tout genre.
partient ni à la nature ni à la culture. La polygamie ne se
laisse pas penser dans cette opposition. Dans la nature il
n'y a pas de mariage, dans la vraie culture, c'est la mono-
gamie. Kant qualifie de « barbare >) ce phénomène inclas-
sable, cette société qui n'est plus naturelle et n'est pas
encore morale. On doit interroger depuis cette « perver- Tout cela pour rien, pour aucune insémination
sion >) l'opposition des concepts à laquelle échappe la effective. L'anthère est de mise qui renferme le
polygamie, celle de l'homme dont parle Kant, celle de la
femme dont il ne dit rien. pollen avant la fécondation (elle entoure le style
Dans le harem, la femme n'est plus l' « animal domes- et forme l'une des deux parties de l'étamine).
tique » qu'elle devait être dans la nature, elle commence « Mon aventure, par la révolte ni la revendication
à se battre et à ruser pour enchaîner la pulsion de l'homme
ou capter son désir. Le harem est une prison, une enceinte jamais commandée, jusqu'à ce jour ne sera qu'une
close (Zwinger) mais la femme sait déjà y établir sa maî- longue pariade, char-
trise. L'homme n'y connaît plus de repos au milieu de la gée, compliquée il s'agit toujours de cerner le mot
concurrence affairée des femmes. absent, de le laisser résonner comme
Telle est la « constitution barbare » de la polygamie d'un lourd cérémo- dans le creux d'une cloche, en faisant
niaI érotique (céré- le vide au centre de l'espace à lui
orientale, ni naturelle ni civile. Dans la monogamie de la
réservé, sans jamais écrire, jamais
société civile (bourgeoise), tant que la culture n'est pas monies figuratives prononcer ce qu'on vous contraint
très développée, l'homme punit la femme si elle menace pourtant à entendre, sur une scène
de lui donner un rival. Mais quand la civilisation (Civili- menant au bagne et
ou sur l'autre, et qui dès lors, de
sirung) se raffine jusqu'à la décadence, quand elle permet l'annonçant). » n'être pas maîtrisé dans un acte, cogne
la « galanterie » (le fait pour une femme mariée d'avoir des Le texte du Jour- beaucoup plus fort. Ce qui se recon-
amants) et en fait une mode qui rend la jalousie ridicule, naît aux effets. Contre ce mode d'écri-
alors le caractère féminin « se découvre ». La perversion nal et le costume des ture la parade n'est pas possible,
galante révèle la vraie nature de la femme, son dessein bagnards seront cou- puisqu'on ne vous montre jamais
profond : « avec la faveur des hommes mais contre eux l'arme, puisqu'on feint de la cacher
pés dans là même pudiquement. L'impudeur est souvent
prétendre à la liberté et par là, simultanément, à s'emparer
de tout le sexe ». Ce vol, ce dérobement (Eroberung) de étoffe, le même tissu le refoulement d'une peur: on abat
les cartes dans la panique pour provo-
l'homme par la femme, Kant ne le condamne pas simple- à fleurs : fleurs à quer le désarmement général.
ment. Dans son analyse de la perversion féminine se laisse poil, voilées, velues, Monstration toujours apotropaique.
lire le système complexe du phallogocentrisme. Mais ce L'obscène au contraire est pudique,
système est toujours précaire et se neutralise lui-même, ériop étale s (tout cela il bande le mors dont vous suivez
contient ce qui le contredit. Ici par exemple, Kant efface est très chargé, n'est- lentement le cortège.
sans cesse la connotation moralisante qui paraît pourtant ce pas : trop riche et La « parade » se serait imposée, en
si massive : il précise souvent qu'il ne faut pas se laisser raison du contexte, au lieu de
prendre aux illusions de la conscience ou de l'itftention. de mauvais goût, pariade. Parade dans la double bande
Dans la perversion féminine, dans les ruses culturelles, diraient le gendarme du mot (ornement de la parure et
symboliques, verbales - tout cela passe par la langue de la protection - parapluie, paravent, pa-
ou le grand bou,r-
femme, Kant doit lire le texte de l'amour dans la langue . .
geOls, malS comme
rachute, etc.). On peut encore parier
pour une coquille. Mais un contexte
de la femme qui elle·-même sait lier l'énergie virile - il
plus ouvert (quelques pages plus loin)
faut reconnaître un procès naturel caché, une sagesse de se projette la céré-· donne aussi sa chance à la paire et aux
la nature. Le discours kantien, malgré de fortes et ridicules monie ci-dessus). perdrix. La pariade est la saison où
apparences, ne serait: pas, finalement, la disqualification les perdrix s'apparient en rompant
morale d'une monstruosité. Il faut saVOlr avec le groupe, en s'excluant. Entre
Mais il faut admettre que cette dernière proposition mounr de rite en autres perdrix, voici le détachement
se renverse aussitôt. Si Kant ne tient pas le discours de la le plus proche : « Il est donc naturel
morale anti-féminine c'est parce qu'il moralise de part en
pratiquant l'inver- que j'imagine ce que sera sa verge
part son recours à la nature, à la sagesse providentielle de sion : « Les désirant s'il l'enduit à mon intention d'une si
celle qui veille sur la perversion. La nature est bonne, belle matière, de cette toile d'arai-
chanter j'utilise ce gnée précieuse, tissu qu'en secret je
c'est une bonne femme, c'est-à-dire, en vérité, par sa
force productrice, sa raison, son logos profond qui que m'offre la forme nommais le voile du palais. Il portait
une vieille casquette grise dont la
domine tous les bavardages féminins, sa logique impertur- de la plus exquise
visière était cassée. Qu'il la jette sur
bable et toujours victorieuse, ses ressources éducatrices, sensibilité naturelle, le plancher de notre chambre elle
un père. La bonne femme est un père, le père est une était soudain le cadavre d'une pauvre
bonne femme, et voilà ce qui parle à travers les femmes que suscite déjà le
perdrix à l'aile rognée ... »
tout court qui entend~nt se l'approprier. costume des forçats. Le texte se présente alors comme le

147
Réserve naturelle : si, dans le mariage monogamique Outre ses teintes, par commentaire du mot absent qu'il
bourgeois, la femme veut s'approprier tout le sexe, c'est délimite, enveloppe, sert, entoure de
que l'homme (mari ou père) est fini; il meurt, parfois sa rugosité, l'étoffe ses soins. Le texte se présente comme
jeune, presque toujours avant la femme, qui reste alors, évoque certaines le métalangage du langage qui ne se
présente pas. Mais il s'agit seulement
seule, jeune, veuve. Et qui aura donc dû préparer ce fleurs dont les pétales de parade. Et celui qui vient ensuite
deuil, se sachant toujours menacée, en passe de manquer
d'homme. Elle s'intéresse au sexe par provision, sur le sont légèrement ve- exhiber' les creux actifs de l'autre et
prononcer l'imprononcé .- parade
conseil maternel de la nature. {< Cette inclination, bien que lus, détail suffisant encore comme métalangage - , simule
le nom de coquetterie la fasse prendre en mauvaise part, ne pour qu'à l'idée de la présentation, laisse des cloques ou
manque toutefois pas de fondement réel pour se justifier. des cloches, des colonnes d'air dans
Car une jeune femme est toujours en danger de devenir force et de honte son corps, cerne, exclut encore d'au-
veuve, si bien qu'elle déploie ses appas devant les j'associe le plus natu-· tres mots, etc. L'agonie du métalan-
hommes dont la chance pourrait faire des maris : dès lors, rellement précieux et gage est donc structurellement inter-
minable. Mais comme effort et comme
le cas échéant, elle ne manquerait pas de prétendant. »
Cette téléologie cachée justifie toutes les dissymétries fragile. Ce rappro- effet. Le métalangage est la vie du
et toutes les inégalités de développement que Kant croit chement, qui me ren- langage : il bat toujours de l'aile
comme un oiseau pris dans une glu
pouvoir décrire au titre de la différence sexuelle. seigne sur moi, à un subtile
1. La femme veut être un homme, l'homme ne veut
jamais être une femme. {< Quand le raffinement du luxe autre esprit ne s'im-
(Luxus) a atteint un degré élevé, la femme ne se montre poserait pas, le mien ne peut l'éviter. J'offris donc
décente (siltsam) que sous la contrainte (Zwang) et elle aux bagnards ma tendresse, je les voulus nommer
ne se cache pas de souhaiter être de préférence un homme
pour pouvoir donner à ses inclinations un espace de jeu de noms charmants, désigner leurs crimes avec,
(Spielraum) plus grand et plus libre; mais aucun homme par pudeur, la plus subtile métaphore (sous le
ne voudra être une femme. » Kant ne s'étend pas sur cette voile de quoi je n'eusse ignoré la somptueuse
dernière proposition, en chute de paragraphe. Il va de
soi que cela ne s'est jamais vu et ne se verra jamais. Même musculature du meurtrier, la violence de son
si d'aventure on croyait rencontrer une telle aberration, sexe). N'est-ce par cette image que je préfère me
que voudrait-elle dire? Que voudrait dire, pour un homme, les représenter à la Guyane : les plus forts, qui
vouloir être une femme, dès lors que la femme veut être
un homme à mesure qu'elle se cultive? Cela voudrait donc bandent, les plus « durs », voilés par le tulle de
dire, à l'apparence d'un détour près, vouloir être un la moustiquaire? Et chaque fleur en moi dépose
homme, vouloir être - c'est-à-dire rester -- un homme. une si grave tristesse que toutes doivent signifier
Est-ce si simple? Kant dit-il que la femme veut être
un homme? Il dit plus précisément qu'elle voudrait, dans le chagrin, la mort. C'est donc en fonction du
certaines situations, se parer des attributs de l'homme pour bagne que je recherchai l'amour. »
réaliser ses desseins de femme : être mieux en mesure
F onction du bagne. De la Guyane dont la
d'avoir tous les hommes. Elle fait semblant de vouloir
être un homme ou d'être un homme pour {< étendre fin approche. L'agonie de la Guyane est annoncée
l'espace de jeu » de ses inclinations. Tout se renverse: à toute volée dès les premières pages du journal.
ou bien l'homme qui ne veut être qu'homme veut être
femme en tant que la femme veut être homme; il veut donc Fonction du bagne : c'est le lieu de ce que
être femme pour rester ce qu'il est. Ou bien l'homme nous appellerons désormais l'anthér.Jction : temps
qui veut être femme ne veut être que femme puisque la d'érection contrée, recoupée par son contraire
femme ne veut être homme que pour parvenir à ses des-
seins de femme. A savoir l'homme. Etc. au lieu de la fleur. Enanthiose.
Tout cela se passe très vite dans le pénombre où se La recoupe repasse indéfiniment sur elle-même.
lie le désir lui-même si quelque chose de tel existe. D'où cet effet de capitalisation mais aussi d'épan-
En fait, même si elle le voulait vraiment, ce qui n'est
pas le cas, la femme ne pourrait jamais être homme. Les
chement sans limite. Si l'érection est habitée par
attributs masculins dont elle se pare ne sont jamais que du la contrebande, par ce qui la produit en la coupant,
toc, des signifiants sans signification, des fétiches. De la si donc elle est d'avance, déjà, l'anthérection, il
montre. Mal réglée sur le mouvement du soleil. Four
illustrer le fait que la femme ne peut en aucun cas s'appro-
peut, il doit y avoir une castration de la castration,
prier l'attribut masculin, par exemple ou substitution la une anthérection de l'anthérection, et ainsi à
science, la culture, le livre, Kant dénonce une sorte l'infini.
de travestissement : « En ce qui concerne les femmes
savantes: elles en usent avec leurs livres comme avec leur
montre : elles la portent pour montrer qu'elles en ont une,
bien qu'à l'ordinaire elle soit arrêtée ou ne soit pas réglée
sur le soleil. >} Le choix du paradigme le confirme une fois
de plus : on ne peut pas penser le « génie >} sans l'in- Le Journal s'ouvre sur la castration de l'anthé-
conscient. rection. D'un trait, toute l'anthérection du texte
La dissymétrie sans fin entre les sexes's'accuse devant
le tabou de la virginité. La femme ne désire pas que se met en marche, mais sans hâte, comme une
l'homme ait été vierge ou continent avant son mariage. longue procession, une longue théorie chassée du
Elle ne se pose même aucune question à ce sujet. Pour bagne depuis sa fermeture.
l'homme la question est « infiniment >} importante. Kant
ne dit pas qu'il requiert la virginité, ni même qu'il la Car si le bagne se définit expressément une
désire, mais que la question est pour lui la plus grave. castration, la fermeture du bagne est ressentie
Peut-être ne peut-il aimer que la virginité, peut--être ne comme une castration de castration, un « châtiment
le peut-il jamais, peut-être son désir naît-il de la recoupe
de la virginité par son contraire. Tout se joue dans l'écart de châtiment », décapitation de l'échafaud «< l'hé-
d'un signe qui n'est presque rien et se décrit nécessaire- ritier des rois éprouve un vide pareil si la répu-
ment dans la subtilité de nuances et de jeux de mots: blique le prive du sacre »), la chute d'une tête
l'homme est patient (duldend), la femme tolérante (gedul-
dig), et ils ne souffrent pas, ne se comportent pas dans le couronnée, c'est-à-dire ici d'une tête basse, le
pâtir (dulden) de la même manière. L'homme est sensible bagnard ayant fait sa couronne de cela même qui
(empfindsam) , sentimental, la femme impressionnable lui fit baisser la tête : « La fin du bagne nous
(empfindlich) , irritable, susceptible, chatouilleuse. L'éco-
nomie de l'homme tend à acquérir, celle de la femme à empêche d'accéder avec notre conscience vive
épargner. L'homme est jaloux quand il aime, la femme dans les régions mythiques souterraines. On nous
est jalouse aussi quand elle n'aime pas. a coupé le plus dramatique mouvement [comme
le metteur en scène coupe quelquefois le texte
Cette théorie culturelle de la différence des sexes de l'auteur] : notre exode, l'embarquement, la
dans le mariage n'a pas de logement possible dans la procession sur la mer, qui s'accomplissait tête
philosophie hegelienne de l'esprit. L'amour et le mariage
appartiennent à l'élément de la liberté de la conscience et
basse. Le retour, cette même procession à rebours
supposent l'Aufhebung de la différence sexuelle. La guerre n'ont plus de sens. En moi..:même la destruction
décrite par l'anthropologie pragmatique peut y avoir du bagne correspond à une sorte de châtiment
lieu, en fait, mais seulement dans la mesure où les parte-
naires ne sont pas de vrais époux, où l'essence du mariage
de châtiment : on me châtre, on m'opère de
n'est pas accomplie. On en reste alors à la vie sexuelle de l'infamie. Sans souci de décapiter nos rêves de

149
$

la nature empirique, avant l'émergence de la Sittlichkeit. leurs gloires on nous réveille avant
Ce que Kant aura décrit, ce serait en somme une structure
d'accidents empiriques, « pragmatiques >}, ne relevant pas
le réveil sonne toujours pour déclencher une
du concept pur de mariage où s'en écartant par vice et interruption abortive. Comme le réveille-matin de
perversité. Kant n'a pas pu penser, n'a pas commencé galalithe qui sort du ventre ou comme le battant
par penser le concept de mariage. Celui-ci étant posé, de cette cloche: « Le soir... Nous désirions dormir
Hegel veut au contraire déduire son développement et toute une nuit ensemble, enroulés, entortillés
non sa régression. Une fois de plus, Kant en serait resté l'un dans l'autre jusqu'au matin, mais la chose
à cette conjonction non dialectique d'un empirisme et étant impossible, nous inventions des nuits d'une
d'un formalisme, dénoncée dans l'article sur le droit heure tandis qu'au-dessus de nous, sur le dortoir
naturel. Sans procéder depuis l'unité essentielle du ma- tissé d'agrès attachant les hamacs, la veilleuse
riage, on accumule et on abstrait sans -ordre les traits allumée comme un falot, la houle des sommeils,
descriptifs, on accole la violence empirique et le formalisme le battant d'acier du briquet frappant le silex (on
disait : "écoute le tocsin "), le chuchotement
contractuel.
d'un gars, la plainte d'une cloche que les maries
Il faut penser la dialectique spéculative du mariage : appelaient "un pauv' martyr", les exhalaisons
l'être-un (Einssein) des époux, la conscience de l'un dans de la nuit, nous faisaient naufragés d'un rêve. Puis
celle de l'autre, tel est le milieu de l'échange. L'opposition nous décollions nos bouches : c'était le réveil ... »
sexuelle y est relevée. En tant que moyen ou médiation, Vous pourriez vérifier que le mot « gars» résonne
ce milieu a deux côtés : celui par lequel les deux époux souvent à proximité de quelque « cloche ». Et
se reconnaissent et relèvent leur différence; l'autre, par il y en a beaucoup. Suivez aussi le silex, ou pierre
lequel cette conscience doit être, en tant que milieu, à feu.
opposée à la leur et en porter la relève.

C'est l'enfant. « C'est l'enfant dans lequel ils se re-


connaissent comme dans une J'eule conscience et par là en
tant que relevés; et ils intuitionnent en lui cette relève
d'eux-mêmes. >} Ils « produisent >} ainsi « leur propre mort >}.
Pour penser cette mort, il faut faire intervenir le milieu
de la conscience et penser l'enfance comme conscience. La séparation, virgule, entre l'émoi, et moi, au
L'enfant naturel, en tant que vivant animal, ne porte pas réveil, s'égale à décoller (détachement du cou et
la mort: de ses géniteurs. La mort des parents forme donc de la colle), et la décollation à une idéalisation subli-
mante qui relève ce qui se détache. L'ihdécision,
la conscience de l'enfant.
l'oscillation, la vibration tremblante où s'annonce
l'idéalité, s'appelle toujours frisson, frémissement,
C'est l'éducation. L'empirico-formalisme ne peut pas etc. « ç::ette espèce de frisson exaltait aussi mon
penser l'éducation parce qu'il ne peut pas penser la mort bonheur car il faisait que notre baiser ainsi tremblé
nécessaire des parents dans l'enfant. Kant parle pourtant semblait décoller, s'idéaliser. [ .•• ] qu'il n'avait
de la mort des parents. On dira qu'il s'agit encore de mort cessé d'être en éveil et que, durant l'étreinte, il
empirique : la préférence du père pour la fille, de la mère n'avait pas été ému, car, au bruit, malgré ses rapides
pour le fils, et surtout pour le plus insolent, le plus réflexes, il eOt éprouvé une légère peine à se dépê-
indiscipliné, s'expliquent encore par la possibilité du trer de l'émoi, et moi, qui étais collé à lui, j'eOs
veuvage. L'enfant du sexe opposé serait le meilleur sou- décelé ce mal léger, cette décollation d'une glu
tien dans la vieillesse. Cette explication dérisoirement empi- subtile. » (Miracle de la rose)
rique découvre néanmoins l'affect essentiel _. le deuil-
qui rapporte un des parents à l'enfant de l'autre sexe depuis terme. Les pn-
la mort du conjoint. La mère aime le fils selon la mort
du père, le père aime la fille qui succède à la mère. Au
sons centrales ont leur pouvoir : ce n'est pas
titre de l'empirique, ne va-t-on pas ainsi plus loin que la le même. »
déduction hegelienne de la mort: des parents, qui paraît Anthérection supplémentaire : à celle de la
assez indifférenciée et abstraite du point de vue sexuel?
Chiasme encore : la dialectique spéculative pense cette
Guyane va se substituer· celle de la prison centrale.
mort dans sa nécessité structurelle, elle la pense, comme
elle pense l'effacement de la différence sexuelle qu'un Châtrée de la première, l'autre bande plus
empirisme met en avant. .
Qu'est-ce que l'éducation? La mort des parents, la belle : {<... ce n'est pas le même. Il est mineur.
formation de la conscience de l'enfant, l'Aujhebung de La grâce élégante, un peu fléchie, en est bannie.
son inconscience dans la forme de l'idéalité. « Dans l'édu- L'atmosphère y est si lourde qu'on doit s'y traîner.
cation se relève l'unité inconsciente de l'enfant. » Il ne
faut pas se hâter d'identifier cette relève idéalisante àun On y rampe. Les centrales bandent plus roide,
« refoulement » de l' « inconscient ». Mais on ne peut éviter plus noir et sévère, la grave et lente
la question d'une telle traduction. L'éducation (Erzie-
hung) et la culture (Bildung) délimitent violemment une pour mettre à l'épreuve la logique de l'anthérection,
matière par une forme qui la contient. Cette forme violente le temps d'érection qui n'en finit plus d'abréger
est idéale, elle passe par les instances du langage et du son stigme et ne ressemble à aucun autre pr'ésent
travail, de la voix et de l'instrument. Comme toute forma- ,- c'est lui qui présente '-, pour vérifier partout
tion, toute imposition de forme, elle est du côté du mâle, l'antagonisme interne qui dédouble chaque colonne,
ici du père, et puisqu'elle porte la mort des parents, elle par exemple le bagne (<< lente agonie du bagne »),
se fait surtout contre le père. Mais la mort du père n'est pour voir ce qu'il en importe quant à la - décons-
que la mort réelle de la mère, elle correspond à l'idéalîsa- tr'uction-de-l'ontologie - etc., je propose qu'on
tion du père. Le père n'y est pas simplement anéanti. essaie partout de remplacer le verbe être par le
L'éducation relevante l'intériorise. La mort étant une verbe bander.
relève, les parents, loin de se perdre ou de se disséminer Et conjugue un peu.
sans retour, « contemplent dans le devenir de l'enfant Puis qu'on y fasse revenir l'activité, la transitivité,
leur propre relève ». Ils y gardent leur propre disparition, le supplément d'objet. Les pronoms. Le pré-,
regardent leur enfant comme leur propre mort, et: la nom, etc.
regardant, ils la retardent, se l'approprient, ils maintien- On s'introduira peut-être ainsi d'un autre style
nent dans la présence monumentale de leur semence à la métaphysique, à la grammaire et à l'étymologie
-, dans le nom -, le signe vivant qu'ils sont morts, non du mot « être », à la question du casus (1t''t'wcr~c;)
pas qu'ils sont morts mais que morts ils sont, ce qui est et de la declinatio (~yxÀ~mc;).
autre chose. L'idéalité est la mort, certes, mais être mort Et du clin (-) entre les deux col C--)
- c'est toute la question de la dissémination - est-ce
être mort ou être mort? La différence si légère de l'appui,
conceptuellement imperceptible, la fragilité intérieure
de chaque attribut produit l'oscillation entre la présence
de l'être comme mort, et la mort de l'être comme pré- agome du
sence. Tant que les parents sont présents à leur mort
dans la formation de l'enfant, tant qu'on garde le signe bagne était, de l'abjection, un épanouissement
ou le sème de ce qui n'est plus, fût-ce la cendre consumée plus parfait. »
au petit matin d'un pénombre, la jouissance demeure de Il demeure, pour ne rien dire de plus, que le
cela même qui est, même de ce qui est mort comme de ce
qui n'est plus. Mais si la mort c'est l'être de ce qui n'est lieu de l'anthérection, ce qui bande et dans quoi
plus, le ne-pIus-être, la mort n'est rien, en tous cas n'est il est bandé, lieu nécessairement clos et gardé,
plus la mort. Sa pl'Opre mort, quand on la contemple dans quelque nom que vous lui donniez (Guyane, galère
son enfant, c'est la mort qu'on nie, la mort qui est, c'est-à-,
dire niée. Quand on dit la « mort est », on dit « la mort est ou Colonie) s'habite toujours comme une province

151
niée », la mort n'est pas en tant qu'on la pose. Telle est la détachée de la mère. « Il m'arrive de parler de la
thèse hegelienne : la philosophie, la pose de la mort.
L'enfant-relève de la perte. Cette perte, travail de la Colonie en disant : « La vieille », puis « la sévère ».
forme sur la matière, mise en forme de l'inconscience, Ces deux expressions n'eurent sans doute pas suffi. à
procès économique, production, échange, s'amortit. L'Auf- me la faire confondre avec une femme mais,
hebung est l'amortissement de la mort. C'est le concept de
l'économie en général dans la dialectique spéculative. outre que déjà elles qualifient habituellement les
Économie : loi de la famille, de la maison familiale, mères, elles me vinrent à propos de la Colonie,
de la possession. L'acte économique rend familier, propre, alors que j'étais las de ma solitude d'enfant perdu
intime, privé. Le sens de la propriété en général est
recueilli dans l'oikeios. Quelle que soit l'exportation ou et que mon âme appelait une mère. »
l'expropriation généralisante du concept d'économie, il
ne rompt jamais le cordon ombilical qui le rattaché à la
famille. Ou plutôt si, il le rompt toujours, mais cette
rupture est la déduction de la famille, elle appartient au
procès familial en tant qu'il comporte une insta~ce cou- Le sem de cette mère se dérobe à tous les
pante. L'Aufhebung, loi économique de réappropriation noms, mais les dérobe tous aussi, il est avant
absolue de la perte absolue, est un concept familial.
Et donc politique. Le politique s'oppose au familial tous les noms,
en l'accomplissant. L'économie politique n'est donc pas
une région de l'onto-Iogique générale, elle lui est co- comme la mort, la mère fascine depuis l'absolu
extensive. D'autant plus que dans la systématique hege- d'un déjà. La fascination produit l'excès de zèle.
lienne il n'y a jamais de rapport simplement hlérarchique Autrement dit la jalousie. La jalousie est toujours
excessive parce qu'elle s'affaire d'un passé qui
entre le genre et l'espèce : chaque partie .représente le
n'aura jamais été présent et ne peut donc jamais
tout, chaque région est capable de tout. se présenter ni laisser espérer la présentation, le
L'idéalité, production de l'Au]hebung, est donc un présentement. On n'est jamais jaloux devant une
« concept » onto-économique. L'eidos, forme générale de scène présente ,- fût-elle la pire imaginable -
la philosophie, est p!'Oprement familial. Il se produit ni future, du moins en tant qu'elle serait grosse
comme oikos : maison, habitation, appartement, chambre, d'un théâtre possible. L.e zèle ne se déchaîne qu'au
résidence, temple, tombeau, ruche, avoir, famille, race, fouet du passé absolu. Madame Edwarda serait une
etc. S'il y a là un sème commun, c'est la garde du propre: niaiserie inoffensive et d'elle"même désamorcée,
elle retient, inhibe, consigne la perte absolue ou ne la produisant son apotrope dans le spectacle, pour
consomme que pour mieux la regarder revenir à soi, autant qu'elle ouvrirait à une expérience présente.
fût-ce dans la répétition de la mort. L'esprit est l'autre Elle n'a chance d'être terrible qu'en enfonçant
en elle un passé, un absolu déjà : en se donnant
nom de cette répétition.
à lire, non à voir. Mais il ne suffit pas de sortir du
Tel est le coût de l'enfant: « Dans l'éducation l'unité « livre » pour se donner à voir et interrompre
inconsciente de l'enfant se relève (heb! sich au]), elle s'arti- la lecture.
cule en soi (gliedert sich in sich) J elle devient conscience
formée (gebildeten Bewusstsein) " la conscience des parents
est sa matière (Materie) aux dépens de laquelle (au]
deron Kosten) elle se forme. Ils (les parents) sont pour lui On n'est donc jaloux que de la mère ou de la mort.
un pressentiment de lui-même, obscur, inconnu; ils Jamais d'un homme ou d'une femme en tant que tels.
relèvent son être-en-soi simple et resserré (gedrungen). Ce
qu'ils lui donnent ils le perdent; ils meurent en lui; car
ce qu'ils lui donnent, c'est leur propre conscience. »
Si l'on coupait ici, l'éducation pourrait être une perte On n'est donc jaloux que d'un seing ou, ce qui
sans retour, un don sans contre-don, sans échange. Mais revient ici au même, d'un déjà.
en vérité l'échange a lieu. L'autre conscience, celle de C'est pourquoi la metaphysique, qui est jalouse,
l'enfant, dans laq':lelle les parents perdent la leur, c'est ne pourra jamais rendre compte dans son langage,
leur propre conscience. L'autre et le propre ne s'opposent le langage de la présence, de la jalousie.
pas, ou plutôt si, ils s'opposent mais l'opposition est ce
qui permet, non pas ce qui interrompt la circulation
spéculaire, imaginale ou spéculative du propre. Le prôpre
se pose en s'opposant dans l'autre, en s'é-loignant de
lui-même. L'unité du spéculaire et du spéculatif se re-
marque dans la possibilité pour les parents de regarder, C'est pourquoi la mère (quelque prénom ou pro-
de contempler leur propre disparition relevée dans le nom qu'on lui donne) se tient au-delà de l'opposi-
miroir de l'enfant; de l'enfant en formation, comme tion sexuelle. Ce n'est surtout pas une femme.
Elle se laisse seulement représenter, détachée,
devenir-conscient; dans l'inconscient matériel ils ne
par le sexe.
verraient rien, pas même leur propre mort, la mort où
ils sont gardés, pas même la mort, donc, ou seulement la
mort. Die Eltern schauen in seinem Werden ihr At!fgehoben-
werden an : « Les parents contemplent dans son devenir leur
devenir·-relevés. »
La conscience de l'enfant ne vient pas au monde
comme à une extériorité matérielle et inorganique. Le C'est pourquoi le voleur distingue entre le maternel
monde est déjà élaboré quand commence l'éducation, il et le féminin. Et il le distingue dans ce que vous
appelleriez un homme : « .. , non par un poing
est une culture pénétrée, informée par le « savoir des
d'homme, mais pour s'être heurté, buté aux glaces
parents ». Ce qui fait d'abord face à l'enfant comme et qui nous coupent de votre monde - l'apparence
au lieu de la nature inorganique, c'est le savoir hérité, physique, sinon alors, aujourd'hui, évoque le bagne
déjà une certaine idéalité. L'enfant s'élève donc dans la dont il me paraissait le plus significatif, le plus
« contradiction » entre le monde réel et le monde idéal. illustre représentant. Vers lui j'étais appelé, pré-
Le procès de l'éducation consiste à relever cette contra- cipité, et c'est maintenant que j'ose, désespéré,
diction. Cela n'est possible qu'avec la disparition (rele- m'y engloutir. Ce qu'en lui je discernai maternel
vante) de la famille elle-même, puisque la famille est le n'est pas féminin. Les hommes s'interpellent
lieu de cette contradiction : c'est le passage à l'esprit de ainsi quelquefois:
peuple. « - Alors, la Vieille?
Ici intervient la lutte à mort pour la reconnaissance. « - Salut, la Roulante!
On la connaît le plus souvent sous la forme que lui « - C'est toi, la Cavale?
« Cette mode appartient au monde de la misère
donne la Phénoménologie de l'esprit. Or auparavant, trois
et du crime. Du crime puni qui porte sur soi - ou
textes en avaient traité, le System der Sittlichkeit, probable- ~n soi-même -- la marque de flétrissure. U'en
ment antérieur, de très peu, à la Philosophie de l'esprit parle comme d'une fleur, et plutôt d'un lis, quand le
d'Iéna, la Realphilosophie d'Iéna, à peu près contemporaine signe de flétrissure était la fleur de lis.) [ ••• ] La
de la Phénoménologie de l'esprit, et la Philosophie de l'esprit. Guyane est un nom féminin. Elle contient tous
Celle-ci est la seule à expliquer cette lutte à l'intérieur ces mâles qu'on nomme les durs. [ •.. ] j'aspire
d'une problématique de la famille. à la Guyane. [ .•. ] Elle est bonne. » Ailleurs: « La
La lutte n'y oppose pas, comme on l'a cru, des chefs Vierge Mère et la Guyane je les nomme Consola-
de famille. Le texte n'en donne aucun indice. Une fois la trices des affligés. »
famille constituée, comme puissance de la conscience, la
lutte ne peut se déchaîner qu'entre des consciences, et
non entre des individus empiriques. De ce point de vue,
l'écart se rétrécit entre le texte d'Iéna et celui de la Phéno-
ménologie. Si celle-ci aborde le moment familial après la
dialectique du maître et de l'esclave, c'est que la famille Guillotine est aussi un nom féminin
y est interrogée selon un fi] conducteur très particulier : le il se prénomme régulièrement :
passage de la famille et de la cité antiques au droit romain Guyane, Colonie, ici peut-être plus précisément,
et à la moralité formelle. Ce qui fait, autre phénomène
architectonique au premier abord déconcertant, que dans plus silencieusement Galère soulevée par les eaux:
la Phénoménologie, le moment de la « moralité » et du droit « Et tout ce qui n'est qu'aux femmes: tendresse,
formel suit celui de la famille, alors que l'inverse s"e pro- relents un peu nauséabonds de la bouche entrou-
duit dans la PhilosoPhie du droit. Là, le grec est inscrit
dans une problématique générale de l'histoire de la verte, sein profond que la houle soulève, correc-
famille. Il n'y a donc là aucune « évolution de la pensée tions inattendues, enfin tout ce qui fait que la
de Hegel ».
mère est la mère. »
Au point où nous sommes, la lutte à mort pour la
reconnaissance oppose des consciences, mais des cons-
ciences que le procès familial a constituées en totalités.
L'individu qui s'engage dans la guerre est un individu-
famille. On ne peut pas comprendre l'essence de la Si l'on tombait sur le prénom de la mère,
conscience sans passer par la « Potenz » familiale. On ne peut-être verrait-on qu'elle brille, elle, et veille
peut pas décrire une phénoménologie de l'esprit, c'est- au fond de la nuit, illumine la galère qu'elle
à-dire, selon le sous-titre, une «expérience de la conscience »
sans y reconnaître le travail onto--économique de la entraîne à toute voile. « 00' On voit la masse
famille. Il n'y a pas de conscience pure, d'ego transcen- de la poitrine des femmes se soulever et retomber,
dantal dans lequel on puisse réduire le noyau familial. ainsi le ventre du prêtre se gonflait. [00'] Je char-
Ici se situe le principe d'une critique de la conscience trans-
cendantale comme je pense formel (penser se dit toujours geais la Colonie de tous ces ridicules et troublants
d'un membre de la famille) mais aussi de la conscience attributs du sexe, jusqu'à ce que, dans mon esprit,
transcendantale Concrète dans le style de la phénoméno- elle se présentât non sous l'image physique d'une
logie husserlienne. Non seulement il n'y a pas de conscience
monadique, de sphère d'appartenance propre de l'ego, femme, mais qu'entre elle et moi s'établit une
mais il est impossible de « réduire » la structure familiale union d'âme à âme qui n'existe qu'entre mère et
comme une vulgaire adjonction empirico-anthropologique fils et que mon âme impossible à tromper recon--
de l'intersubjectivité transcendantale. Celle-ci serait abs-
traite et formelle -- constituée et dédvée - si l'on n'y naît. [00'] Peu à peu, les voiles tombèrent d'elle.
reconnaissait pas la structure familiale comme l'une de La mère se précisa. En cellule, je retrouvais pour
ses structures essentielles, avec toutes les puissances que de bon son sein qui palpitait et, avec elle, j'en-
Hegel y implique, la mémoire, le langage, le désir, le
travail, le mariage, la propriété des biens, l'éducation, gageai de vrais dialogues et peut-être ces avatars
etc. qui faisaient de Mettray ma mère aggravèrent-
La conscience ne se rapporte à elle-même, ne se ils du sentiment d'inceste l'amour que je portais
rassemble en totalité, ne devient pour elle-même -- ne
devient consciente - qu'en famille. « Dans la famille, la à Divers, sorti du même sein que moi. »
totalité de la conscience est la même chose que ce qui devient
pour soi-tpême; l'individu se contemple lui-même dans
l'autre. » La conscience ne se pose elle-même pour elle-
même que par le détour d'une autre conscience qui elle- S'agit donc une substitution, un détachement
même se pose comme la même et comme l'autre. Il y a en chaînes. Les Colonies, les Bagnes, les Centrales
donc là, dressées face à face, deux totalités. Totalités singu-
lières puisqu'elles font aussi deux: contradiction absolue,
forment cette chaîne de chaînes qui sont toutes
insoluble et invivable. Le rapport ne peut être que violent. détachées (c'est-à-dire enchaînées l'une à l'autre
Les deux consciences ont structurellement besoin l'une et reliées à ce qui les mande ou les bande) du
de l'autre mais ne peuvent se faire reconnaître qu'en
sein, du bon sein, de la cellule mythique où se
supprimant, ou du moins en relevant la singularité de
l'autre .- qui l'exclut. Une singularité pure ne peut retrouve « pour de bon son sein ».
reconnaître une autre singularité qu'en se suppriman~ ou Mais dès lors qu'il (se) détache, le sein tombe
en supprimant l'autre comme singularité. La contradic-
tion, bien qu'elle ne s'explicite pas ici sous cette forme, et n'est plus simplement bon,
oppose plus précisément le connaître (le kennen du erkennen) « pour de bon son sein ». Il s'em- "L'évêque répon-
dit: [...] «Notre-
qui ne peut avoir affaire qu'à de l'idéalité universelle, et poisonne, devient agressif, châtre Seigneur dit
la singularité de la totalité « conscience >}, l'être-en-famille.
La lutte à mort qui se déclenche alors entre deux la castration. Mais comme le pre- Laissez venir à moi
les tout petits en-
stances paraît, en sa violence exterminante, plus impi- mier « bon sein » était déjà un fants. A cet appel
toyablement concrète que dans les textes ultérieurs. Deux « avatar », son cas portait annon~ du divin enfant,
conditions la contiennent néanmoins, dont il faut bien qui donc aurait le
régler les concepts. dation de tous les autres. La cœur assez dur
I. La mort, la « démonstration qui ne s'achève déchéance ne peut que s'aggraver, pour ne pas aller
qu'avec la mort >}, détruit la singularité, elle s'acharne sur l'histoire empirer, jusqu'à l'Apo- et préférer le sein
noir ... »" (Miracle
ce qui dans l'autre conscience-famille reste singulier. Il
ne s'agit pas de la mort tout court, mais de l'anéantisse- calypse. de la rose)
ment des caractères de singularité, de toute marque d'empi-· S'agit donc une substitution
ricité. Le nom, par exemple, est-ce l'enjeu qui sombre ou l'anthérection noire des Centrales qui succède
l'enjeu qui se sauve dans cette guerre?
On dira: qu'est-ce qui reste quand on supprime le ,-- comme un détachement ou une procession
tout de l'empiricité? Rien, rien qui soit présent ou existant. damnée- à l'anthérection claire du bagne. Le
Certes. Mais qu'est-ce qui est présent, qui est comme tel vêtement de bure brune des Centrales [« enfin,
quand il n'y a que de la singularité? Rien. On se bat à
mort, de toute façon pour rien, tel est sans èloute le maintenant gonflées de mâles méchants, les cen-
propos caché dans l'ombre du discout's hégélien. Par trales en sont noires comme d'un sang chargé de
définition, ce propos ne peut pas se dire comme tel, le gaz carb~nique. (J'écris « noir ». Iole costume
discours étant justement ce qui fait passer l'universel
pour quelque chose, fait croire qu'il reste quelque chose des détenus -, captifs, captivité, prisonniers même,
quand toute singularité a été engloutie. Face médusante mots trop nobles pour nous nommer - me
veillant sur le texte hegelien dans le pénombre qui lie l'impose : il est de bure brune.) C'est vers elles
le désir à la mort, qui lit le désir comme désir de mort.
On n'a pas répondu à la question : le nom propre qu'ira mon désir. Je sais qu'une burlesque appa-
d'une famille et d'un individu classé dans la famille, est,:"ce rence. [...] béret de bure brune. Ils gardent une
une singularité pure? non. Est-ce une idéalité pure? non.
pose d'une misérable humilité. (Si on les bat,
2. Deuxième condition conceptuelle stricte : la mort
de la singularité est toujours une AuJhebung. La tradùction quelque chose en eux pourtant doit s'ériger... »)]
si fréquente de Aufhebung par suppression efface précisé- se substitue, en s'en détachant, au costume « rayé
ment ceci : que la mort supprime la suppression pure et rose et blanc » de la Guyane. Une colonne et un
simple, la mort sans phrase, la mort sans nom. « Il est
absolument nécessaire que la totalité à laquelle la cons- tissu, un style aussi ,remplacent l'autre. Coupe
cience est parvenue dans la famille puisse se reconnaître sombre et castration du soleil de la castration,
dans une autre totaJité de la conscience pareille à elle-
« et pour moi seul,) secrètement, je recompose
même. Dans cette reconnaissance, chacun est immédiate-
t1}ent pour l'autre un absolument singulier (ein absolut un bagne plus méchant que celui de la Guyane.

155
Einzelner) ,. chacun se pose (setzt sich) dans la conscience J'ajoute que des centrales on peut dire « à l'ombre >).
de l'autre, chacun ~elève (hebt auj) la singularité de l'autre;
autrement dit chacun pose dans sa conscience l'autre Le bagne est au soleil. »
comme une absolue singularité de la conscience. >} .L'anthérection économie de l'abîme et du centre. La
Une conscience ne peut se poser comme telle que du style en abyme. « mise en abyme » peut toujours
dans une autre conscience : pour s'y voir, connaître, 'faire remplir l'abîme en le posant, en
reconnaître. Dès lors que l'autre conscience reconnaît Stilitano le manchot, le saturant à l'infini de sa propre
la « mienne >), elle sort de sa singularité empirique. Je dois qui domine aussitôt représentation. Le motif de la « mise
l'y provoquer, et la sortie radicale hors de la singularité en abyme » pourrait ici ou là jouer
la scène du Journal, ce rôle apaisant, dans un certain
empirique n'a d'autre nom que la mort. La mise à mort
implique ici toute la chaîne des concepts essentiels de la implante et répète, formalisme. D'où son succès. Comme
dialectique spéculative (relève, position comme passage dans son corps, la celui du décentrement, si l'abîme
était au centre et si on s'en éloignait
à l'opposé, idéalité comme produit de la négativité, etc.). substitution qui à la en emportant son centre (en s'y main-
La destruction de la singularité ne doit laisser aucun fois châtre et fait ban- tenant) avec soi
reste, aucun reste empirique ou singulier. Elle doit être
totale et infinie. S'ils viennent à désirer être ahnés, recon- der- plus fort et plus roide et plus noir. En termes
nus par la conscience de l'autre, les sujets doivent accepter d'arboriculture, c'est littéralement la coupe som-
de porter ou de subir (la réciprocité est ici la règle) une
blessure, une lésion infinie (< la lésion (Verletzung) de bre : « Quand un membre est enlevé, m'apprend-
l'une de ses singularités est: donc infinie >}). L'outrage, on, celui qui reste devient plus fort. Dans le sexe
l'offense, la violation (Beleidigung), la collision (Kollision) de Stilitano, j'espérais que la vigueur de son bras
ne s'achève qu'avec la mort. Comme elle est mutuelle
(gegenseitige) , le projet de maîtrise, du se-faite-reconnaître, coupé s'était ramassée. J'imaginai longtemps un
doit du même coup engager le désir infini dans un risque membre solide, matraqueur, capable du pire toupet,
de non-maîtrise absolue: le sujet doit s'avouer qu'il ne encore que d'abord m'intriguât ce que Stilitano
domine plus sa relation à l'autre. C'est là qu'il désire.
Il ne pose son désir qu'en risquant la mort. me permettait d'en connaître : le seul pli, mais
Violence totale et réelle: le langage y est certes impli- curieusement précis sur la jambe gauche de son
qué mais dans cette affaire on ne se paie pas de mots. La pantalon de toile bkue. Peut-être ce détail eut-il
guerre ne se mène pas à coup de signifiants, surtout: de
signifiants linguistiques. De noms peut-être, mais le nom moins hanté mes rêves si, à tous moments, Stilitano
propre est-il un signifiant linguistique? Hegel y insiste : n'y eut porté sa main gauche, et s'il n'eut, à la
la lutte pour la reconnaissance n'a pas son élément dans manière des dames qui font la révérence, indiquant
la langue. Elle se joue entre les corps, certes, mais aussi
les forces économiques, les biens, les possessions réelles, le pli, avec les ongles délicatement pincé l'étoffe. »
celles de la famille d'abord. L'élément linguistique implique
une idéalité qui ne peut être que l'effet de la destruction
des singularités empiriques, un effet et non un milieu de
la lutte. Dans la guerre pratique entre les forces singulières,
les lésions doivent opérer des expropriations effectives.
Elles doivent arracher à l'autre la disposition de son corps,
de son langage, le déloger littéralement de ses posses-
sions. Le champ du verbe n'y suffit pas : « Le langage, les
explications, les promesses ne sont pas cette reconnais- « Celui qui reste devient plus fort
plus ça »,
sance, car le langage n'est qu'un milieu idéal (ideale Mitte) ;
il disparaît comme il apparaît; ce n'est pas une reconnais-
reste mieux ça bande. Reste. égale bande. En
sance réelle, qui reste (bleibendes) >}. L'insistance est très toute occurrence, jouez à remplacer rester par
marquée, l'idéalisme linguistique, le linguisticisme peu- bander, le reste par la bande. Vous commencerez à
vent toujours ressurgir - la tentation est trop forte -
penser ce qu'est un événement, un
pour édulcorer ou cicatriser la lésion, pour faire oublier
que le milieu du carnage n'est pas idéal mais « effectif ». cas, disons plutôt un occurrent. occurrent se dit
en botanique «des
« Or ceci, personne ne peut le démontrer à l'auq:e .par Il ne faut pas simplifier la logique cloisons conver-
des paroles, des assurances, des menaces, des promesses, de l'anthérection. Ça n'érige pas geant toutes vers
car le langage est seulement l'existence idéelle de la cons- un axe central fic-
cience; ici au contraire s'affrontent des opposés effectifs, contre ou malgré la castration, en tif» (Littré)
c'est-à-dire absolument opposés, qui sont absolument dépit de la blessure ou de l'infir-·
pour eux-mêmes, et leur relation est purement pratique et mité, en châtrant la castration. Ça bande, la
même effective; le milieu de leur reconnaissance doit être
lui-même effectif. Ils doivent donc se léser l'un l'autre. Le castration. L'infirmité elle-même se panse à bander.
fait que chacun se pose dans la singularité de son exis- C'est elle qui, comme on dit encore aujourd'hui
tence comme totalité exclusive doit devenir effectif. La
dans la vieille langue, produit l'érection : une
vi?lation [Beleidigung : l'outrage, le viol, l'injure] est néces-
saIre. » prothèse qu'aucun événement de castration n'aura
Sans elle aucune conscience, aucun désir, aucun précédée. La structure de la prothèse appartient à
rapport à l'autre ne pourraient se poser. Mais cette effraction
qui vient léser le propre de l'autre ne revient pas à l'ini-
l'intumescence. Rien ne tient debout autrement.
tiative singulière, à la décision d'une liberté. Elle est
engendrée par une contradiction qui habite le propre
lui-même. Il s'agit ici, puisque Hegel insiste surtout sur
la possession des choses, plutôt que du corps propre, C'est la stance du pilon dans Notre-Dame-
d'une contradiction dans la chose même. Il est contradic- des-Fleurs. Écoutez: dans un « bruit de ferraille
toire qu'une chose (Ding) soit le propre de quelqu'un crochetée », le « miracle éclata ». « Lucarne fermée »,
ou de quelques-uns. « Il est particulièrement nécessaire que
chacun soit délogé de sa possession (Besitze), car dans la « ciel glacé », « catastrophe d'horreur ». Le miracle
possession réside la contradiction suivante : ... » Une est pourtant « radieux comme la solution d'un
chose extérieure, une chose, une réalité universelle de la problème de mathématiques, effarant d'exactitude ».
terre, par essence exposée à tous, ne peut, sans contradic-
tion essentielle, demeurer au pouvoir d'une singularité. La « Que fallait··ü penser? », se demandait-il aupa·-
contradiction doit être résolue. Elle ne peut l'être que ravant.
par l'expropriation violente et totale de la singularité. Mais
si cette lésion était la redistribution des morceaux de
propriété, si une réappropriation singulière s'ensuivait,
la même contradiction persisterait. Le seul terme possible Le pilon. Il est exhibé, comme toute prothèse,
est donc la mise à mort de la singularité en tant que telle,
de la possession du propre en général. Ce qui se dit ici
toute épithèse, toute érection, tout simulacre, tout
du corps en général, de la chose de la terre, de tout ce qui apotrope, toute parade, toute mascarade, avec
s'expose à la lumière, comment y marquer l'exception du coquetterie. « Le petit voyou retroussa coquet-
corps propre? En tant que visibilité et disponibilité du
moins, il est: travaillé par la même contradiction, l'enjeu tement ses couvertures et: demanda :
de la même lutte à mort. - Aide-moi à défaire ma jambe, tu veux?
La mort pourtant ne résout pas la contradiction. « Il avait un pilon de bois, maintenu au moi-
Dire « au contraire » serait trop simple et unilatéral. Il
faut encore parler de relève : l'Aujhebung est bien la gnon coupé au-dessus du genou par un système
contradiction de la contradiction et de la non-contradic- de courroies et de boucles. »

157
tion, l'unité aussi de cette contradiction. L'unité et la Le compte - effarant d'exactitude -- laisse
contradiction sont ici, strictement, le même. apparaître la plus-value, non pas de ce qu'il fallait
Je ne peux en effet attenter à la vie d'autrui .- dans
sa singularité - qu'en risquant la mienne~ Se poser (sich compenser, le membre en moins, mais de la
setzen) comme conscience suppose l'exposition à la mort, prothèse qui bande toute seule. La stance du
l'engagement, la mise en jeu ou en gage. « En visant sa pilon, comme d'un colosse pierreux, ne connaît
mort, je m'expose moi-même à la mort (setze ich mich se/bst
dem Tode aus), je mets en jeu ma propre vie (wage ich mein plus de repos. Elle se passe du sujet, survit au
eignes .Leben). )} Cette mise (en jeu, en gage) doit, comme porteur et le met à l'abri de toute défaillance. Elle
tout investissement, s'amortir et produire un bénéfice; elle
travaille à ma reconnaissance par l'autre, à la position
veille quand il dort. Lorsque Culafroy, à qui
de ma conscience, de ma liberté, de ma maîtrise vivantes. l' « infirmité )} inspire autant de répugnance que
Or la mort étant au programme, puisque je dois la risquer les « reptiles », surmonte son dégoût par un
effectivement, je peux toujours perdre le bénéfice de l'opé-
ration: si je meurs mais aussi bien si je vis. La vie ne peut
effort « sublime )}, et serre la jambe de bois contre
durer dans l'imminence incessante de la mort. Je perds sa poitrine, « c'était ·un membre maintenant vivant,
donc à tous les coups. Contradiction suprême que Hegel un individu, comme un bras ou une jambe détaché
marque avec moins de ménagements qu'il ne le fera dans
la Phénoménologie.
du tronc par une opération chirurgicale. Le pilon
passa la nuit debout, une nuit de veille, appuyé
dans un angle, contre le mur. » Inquiétante stance.
Je perds. à tous les coups, sur les deux registres. Cependant le boiteux rêve: oranges dans une main,
Reconnaître, avec une allègre cruauté, avec toute la
jouissance possible, que rien de tout cela n'est viable en coutelas dans l'autre, « le globe d'or et le sceptre )}.
effet, que tout cela finira de toute façon très mal, et que
pourtant, sur le fil coupant de cette lame, plus fuyante
et plus mince qu'aucune chose, limite si tendùe dans son
inexistence qu'aucun concept dialectique ne peut la saisir,
maîtriser, énoncer, un désir s'agite. Danse, perd son nom.
Un désir et un plaisir qui n'ont aucun sens. Nul philoso-
phème n'est paré pour y faire son lit. Surtout pas celui de
désir, de plaisir ou de sens dans l'onto-Iogique hegelienne. De même que Le journal du voleur sort,
Ni, d'ailleurs, aucun concept. Ce qui doit ici se mettre
en jeu sans amortissement, c'est: le concept qui veut
procède de la Guyane, s'exprime comme une
toujours se saisir de quelque chose. Il n'y a de ce fil, de sor~ie de Guyane «< Cette région de moi-même,
cette lame, l'instant d'avant la chute ou la coupe, a.ucun la Guyane »), de même gl commence à gicler,
énoncé philosophique possible qui ne perde ce qu'il
tente de retenir, et qui ne le perde à justement le retenir.
dégouliner, goutter : hors de la bouche ou de
Rien d'autre à en dire que ce qui s'en dit à Iéna. Le coup la queue du stilite, du tube de vaseline, de l'œso-
à l'autre est la contradiction fatale d'un suicide. « En phage du nourrisson. Sperme, salive, glaire, bave
visant sa mort, je m'expose moi-même à la mort, je mets
en jeu ma propre vie. Je commets la contradiction de
caillée, larmes de lait, gel de vomissure, toutes
vouloir affirmer (behaupten) la singularité de mon être ces substances lourdes et blanches vont glisser
et de ma possession; et cette affirmation pass~ dans son l'une dans l'autre, s'agglutiner, s'agglomérer,
contraire puisque je sacrifie (aufopfere) toute cette posses-
sion et la possibilité de toute possession et de toute jouis- s'étirer au bord de toutes les figures et passer
sance, et jusqu'à la vie même. En tant que je me pose par tous les canaux.
comme totalité de la singularité, je me relève moi-même Le mot « glaviaux » ne sera prononcé que
comme totalité de la singularité... »
Si je ne m'engageais pas absolument dans cette con-
plus tard, après assimilation et déglutition invi-
tradiction du concept, je ne m'élèverais pas au-dessus sibles, après élaboration, agglutiné à « glaïeul ».
de la vie, je ne serais pas rationnel. Si je m'y engag~ais Mais avant même de se présenter dans le
partiellement, je serais esclave, le mot apparaît déjà. La
contradiction ne peut que s'aiguiser. Elle n'est pas seule-
texte et de s'y épanouir tout près de la fleur, il
ment du concept et dans l'énoncé mais avec eux. « Cette anime de son absence énergique et cernée la
reconnaissance de la singularité de la totalité conduit donc au description du crachat. La description est prise
néant de la mort [ ...] Cette reconnaissance des singuliers est:
donc la contradiction absolue en elle-même; la recon-
dans un voile. « Stilitano était grand et fort. II
naissance est seulement l'être de la conscience comme une marchait d'un pas à la fois souple et lourd, vif et
totalité dans une autre conscience, mais en tant qu'elle lent, ondulèux. Il était leste. Une grande partie
(la reconnaissance) est effective, elle relève l'autre cons-
cience; du même coup la reconnaissance se relève elle-
de sa puissance sur moi - et sur les filles du Barrio
même. Elle ne se réalise pas, mais cesse plutôt d'être, China - résidait dans ce crachat que Stilitano
en tant qu'elle est (indem es ist). Et pourtant, du même faisait aller d'une joue dans l'autre, et qu'il étirait
coup ( zugleich) , la conscience est seulement en tant
qu'être··reconnu par un autre, et du même coup, elle est quelquefois comme un voile dans sa bouche.
seulement conscience comme un Un numérique absolu et " Mais où prend-il ce crachat, me disais-je, d'où
doit être reconnue comme telle; mais cela revient à dire le fait-il remonter, si lourd et si blatJ,c? Jamais les
qu'elle doit aller à la mort de l'autre et à la sienne propre,
et elle est seulement dans l'effectivité de la mort. » miens n'auront l'onctuosité ni la couleur du sien.
Les propositions de ce type sont nombreuses. Elles Ils ne seront qu'une verrerie filée, transparente et
entraînent l'équivalence ou la continuité absolue du fragile. " Il est donc naturel que j'imagine ce que
meurtre et du suicide. Je m'affecte spéculairement de sera sa verge s'il l'enduit à mon intention d'une
ce dont j'affecte l'autre. Le suspens presque indecidable
dont nous parlions ._- corde de pendu entre vie et mort si belle matière, de cette toile d'araignée qu'en
ou équilibre instable d'un funambule - laisse chaque secret je nommais le voile du palais. »
conscience à une solitude absolue dans l'instance même
de la reconnaissance. Mais cette solitude suicide met
deux vies -- et l'autre - en jeu. Imaginez plutôt deux Sur le « Palais que vous ne confondrez avec
corps au bord d'une falaise, l'un à l'autre agrippés :
impossible que celui qui pousse l'autre ne soit pas attiré aucun autre », Notre-Dame-des-Fleurs laissait déjà
par le vide. Il désire cette chute, son désir est la poussée flotter une sorte de voile, l'aile d'étamine. Les
de cette chute, s'y retient, comme à lui-même en train gloses semblent donc résonner en tous sens sous
de tomber, s'y tend sans savoir lequel des deux peut
garder l'autre -- c'est-à-dire le voir mort. Il n'y a pas les voûtes d'un palais. La glu de l'aléa fait sens.
d'autre définition du suicide. Dans la Realphilosophie Toutes les causes y déploient leurs discours, leurs
d'Iéna, au chapitre de La ltltte pour la reconnaissance (Der effets, leur substance dans des voiles en tous
Kamp! des Anerkennens) : « Il apparaît à la conscience en
tant que conscience qu'elle vise (va à) la mort de l'autre; genres, dans des toiles d'araignée ou de pan-
mais aussi (à) la sienne propre: c'est un suicide (Selbstmord) talon. La langue fait glisser tous les mots sur sa
en tant qu'elle s'expose au danger. » surface humide. Plus loin (près de quinze pages),
Le suspens de l'Aufhebung, ce sont des singularités,
ne l'oublions pas, qu'il tient ainsi en l'air dans la contra-
l'agglomérat toile-voile-crachat se reconstitue, mais
diction ou l'équivalence absolue des contraires, c'est-à- en prenant en quelque sorte sur d'autres contenus.
159
dire aussi bien dans l'indifférence. Dans le resserremrnt La contrainte en apparaît plus formellement.
absolu de la singularité, donner c'est prendre, faire présent
dérobe, aimer la frappe à mort. La différence de deg1:é on peut toujours, mais ce n'est jamais indispensable,
tombe aussi bien que l'opposition: « Chaque forme entre retourner la référence comme un gant. Feignant
les choses absolument singulières est une forme équiva- de décrire ceci ou cela, les voiles ou les toiles, par
lente (gleichgültige : indifférente); il est tout aussi équiva- exemple de la salive, le texte se voile en se dévoi-
lent de faire un présent à l'autre (beschenken) que de le lant lui-même, décrit, avec la même exhibitionniste
voler (aIs ihn berauben) et de le frapper à mort (totzuschla- pudeur, sa propre texture. Voilà comment, de
quoi je me compose, de quel tissu, de quel jet de
gen),. et il n'y a pas de frontière entre le moindre et le
salive. Mais il faut que cette référence à soi reste
suprême outrage. » suspendue, comme le mollard de Stilitano, sans
On ne sort de l'indifférence, c'est-à-dire de. la contra- quoi le texte devient le seul objet d'une description
diction absolue, de l'écoùlement infini del'un dans l'autre, univoque :naiVeté d'un textualisme formaliste
qu'en relevant la singularité dans l'universel qui détermine, qui vire aussitôt dans le contraire (substantialiste,
marque l'opposition, la hiérarchie, etc. Une fois relevée, thétique et sémantiste) de ce qu'il prétend être.
la totalité singulière devient totalité universelle, esprit Le suspens du voile ou du crachat, le temps d'éla··
absolu. Elle existe encore comme totalité singulière - boration de l'excrément est donc aussi l'indécision
« famille », « possession », « jouissance » - mais ne se entre les deux sens de la référence. Son entrebâil-
rapporte à elle-même que sur un mode idéel et « se démon- lement, son hiatus.
tre en tant que sacrifice de soi-même ». Par ce sacrifice, Description de l'homme au style : « Aussi rapide
elle se voit, se fait reconnaître dans une autre conscience, que fût sur lui mon coup d'œil, j'avais eu le temps
de comprendre la magnifique musculature de Stili-
celle du peuple. Elle est « sauvée » en même temps que
tano et de voir, roulant dans sa bouche entre-
perdue comme singularité. Elle laisse se dissoudre ce qui bâillée, un crachat blanc, lourd, épais comme un
la singularise banalement, renonce à sa liberté singulière, ver blanc [image inversée, ou, inversement, contre-
à son « entêtement » (< Sa liberté singulière n'est que son épreuve de la "verrerie filée, transparente et
entêtement [Eigensinn, sens propre, propre sens, sens de fragile" du crachat de l'auteur, quinze pages plus
propriété] - sa mort ») pour se présenter dans la « subs- haut], et qu'il faisait jouer, en l'étirant de haut en
tance absolue » comme esprit de peuple. bas jusqu'à voiler sa bouche, entre ses lèvres. »
Elle s'est ainsi érigée en son contraire. Beaucoup plus loin, dans le Journal, à propos du
« La singularité est singularité absolue, infinité, le stylite gladiolé : «Je me demandais ce que peut
contraire immédiat d'elle-même. L'essence de l'esprit, cacher ce voile de salive, le sens secret de l'onctuo
c'est d'avoir en soi l'infinité d'une manière simple, de sité et de la blancheur de son crachat, non maladif,
au contraire, d'une émouvante vigueur, capable
telle sorte que l'opposition doit se relever immédiate:-
de provoquer des débauches d'énergie. »far
ment. » petites secousses, le regard descend, puis remonte
Dès lors, par le passage à l'esprit de peuple comme et contemple toujours la même structure: «entre
esprit absolu, la mort, le suicide, la perte à tous les coups ses lèvres. Il était pieds nus dans la poussière.
s'amortissent dans le politique: au terme de l'opération, Ses jambes étaient enfermées dans un pantalon de
l'esprit absolu enregistre un bénéfice dans tous les cas, toile bleue délavée, usée et déchirée. Les manches
la mort comprise. de sa chemise verte étaient retroussées, et l'une
d'elles au··dessus d'un poignet sectionné, légèrement
amenuisé, où la peau recousue montrait encore
une douce et pâle cicatrice rose ».
«Rose! (un temps.) Je vous dis rose! »

Il est à peine utile de rappeler ici que le « voile


Le compte restant à tenir des décalages structuraux du palais » donne un autre titre à la question de
et des chiasmes architectoniques, j'ouvre d'un coup la la vérité.
160
Phénoménologie de l'esprit en son milieu: passage de la Comme l'aile d'étamine (la mort), la cloison
conscience, de la conscience de soi et de la raison à
l'esprit. La première fomation en est précisément l'esprit membraneuse qu'on appelle voile du palais, fixée
vrai comme Sittlichkeit. L'esprit s'y définit comme « vie par son bord supérieur à la limite de la voûte,
éthique d'un peuple » flotte librement, en son bord inférieur, sur la
Le texte hegelien restant à lire, j'en reforme ici
l'ellipse autour de deux foyers : la sépulture, la liaison base de la langue. Ses deux bords latéraux (c'est
entre frère et sœur. un quadrilatère) s'appellent des « piliers ». Au
Antigone organise donc la scène et nous guide en ce milieu du bord flottant, à l'entrée du gosier,
passage abrupt.
On retrouve l'opposition dissymétrique entre le pend l'appendice charnu de la
singulier et l'universel. Avec la mort entre les deux. Plus luette, comme un petit grain de on fait parfois dé-
précisément, les deux termes de l'opposition ne sont pas raisin. Le texte est craché. C'est river luette de
le singulier et l'universel mais la loi de la singularité et uvette, « avec ag-
la loi de l'universalité. L'opposition se détermine entre comme un discours dont les unités glutination de l'ar-
ces formes de généralité que. sont les lois (Gesetz der se moulent à la manière d'un excré- ticle l'uvette, lu-
ette », et donc
Einze!heit, Gesetz der AI/gemeinheit) puisqu'elle travaille à ment, d'une sécrétion. Et puisqu'il de uva, grain de
l'intérieur du règne éthique qui est le règne de la loi.
A cette grande opposition (loi de la singularité/loi s'agit ici d'un geste glottique, tra- raisin et luette
de l'universalité) s'ordonne toute une série d'autres cou- vail sur soi de la langue, l'élément
pIes: loi divine/loi humaine, famille/cité, femme/homme, c'est la salive qui colle aussi les unités les unes
nuit/jour, etc. La loi humaine est la loi dujour parce qu'elle
est connue, publique, visible, universelle,' elle règle non aux autres. L'association est une sorte de conti-
pas la famille mais la cité, le gouvernement, la guerre; et guïté gluante, jamais un raisonnement ou un
elle est faite par l'homme (vir). La loi humaine est la loi appel symbolique; la glu de l'aléa fait sens, et le
de l'homme. La loi divine est la loi de la femme, elle se
cache, ne s'offre pas dans cette ouverture de manifestation. progrès se rythme par petites secousses, agrip-
(Offenbarkeit) qui produit l'homme. Elle est noctùrne et pement et succions, placage -, en tous les sens-
plus naturelle que la loi de l'universalité, tout comme la et pénétration glissante. Dans l'embouchure ou
famille est: plus naturelle que la cité. Une fois de plus,
la famille apparaît comme le degré le plus naturel de la le long de la colonne.
communauté éthique. Naturel, divin, féminin, nocturne,
familial, tel est le système prédicatif, la loi de la singu-
larité. En elle - cela se dit plus précisément, en ce lieu,
de la famille - le concept est; « inconscient ». Les Pénates
s'opposent au peuple, à l'esprit absolu, au travail produc- « ... en secret je nommais le voile du palais.
teur d'universalité. Le but propre de la famille, de la Il portait une vieille casquette grise dont la visière
femme qui la représente, strictement, c'est le singulier
comme tel. était cassée. Qu'il la jette sur le plancher de notre
Ressurgit alors la contradiction: dans son essentialité, chambre elle était soudain le cadavre d'une pauvre
la singularité ne peut que disparaître, elle ne peut se poser perdrix à l'aile rognée... »
comme telle que dans la mort. Si donc la famille a la singularité
pour objet propre, elle ne peut que s'affairer autour de la
mort. La mort est son objet essentiel. Elle a pour desti-
nation le culte des morts, elle doit se consacrer à l'organi-
sation de la sépulture. « L'action donc qui embrasse
l'existence entière du parent par le san,g ne concerne pas La pariade est alors rêvée entre deux voiles
161
le citoyen, car celui-ci n'appartient pas à la famille, ni celui de sexes différents. Le voile du palais est à peine
qui sera citoyen et cessera ainsi de valoir comme cet inaividu
singulier,. elle a comme objet et contenu cet être singulier nommé que déjà, par
appartenant à la famille, mais pris comme une essence petites secousses, les petites secousses donnent le
rythme même de gl, la mise en émo-
universelle, soustraite à son effectivité sensible, c'est-à- le texte se monte tion à peine étranglée du texte, la
dire singulière; cette action ne concerne plus le. vivant
mais le mort, celui qui hors de la longue succession
comme une voile, stricture angoissante de l'anthérec-
tion, sa force de pénétration saccadée,
(Reihe, série) de son être-là dispersé se recueille [zusammen d'abord enroulée par coupes et à coups, l'efficace de son
gejajJt, se rassemble, se ressaisit] dans une seule figuration pUlS flottante et échec répété, « ... nous accorqant
accomplie (vollendete eine Cestaltung), et hors de l'in- l'illusion que la mélodie achevée
quiétude de la vie contingente s'est élevé à la quiétude de tendue, recevant valait bien quelques pertes d'un gaz
l'universalité simple. -- Puisque c'est seulement comme et donnant le mou- précieux. Par petites secousses succes-
citoyen qu'il est effectif et substantiel, l'être singulier, vement (<< ... que sives nous nous sommes dirigés sOre-
ment vers l'affadissement de la pièce.
en tant: qu'il n'est pas citoyen (Bürger) et appartient à la
famille, est seulement l'ombre sans force [mark/ose, sans signifierait ce qui me Secousses successives afin de nous
moelle] et ineffective. » bouleverse quand je assurer d'un succès qui, à mes yeux,
finalement est un échec. » (Lettres à
La famille, moment naturel de l'éthique, n'a d'objet vois dans le port par Roger Blin.)
que singulier, essentiellement singulier, c'est-à-dire qui,
sans accéder à la légalité universelle de la cité, se dépouille saccades, à petits
de tout caractère empirique. Cette singularité pure, coups, se développer et monter une voile avec
dépouillée mais incapable de passer à l'universalité, c'est peine au mât d'un bateau, en hésitant d'abord,
le mort - plus précisément le nom du mort --, c'est le
cadavre, l'ombre sans force, la négation de l'être-là vivant puis résolument, si ces mouvements n'étaient le
en tant qu'elle n'a pas encore donné lieu à la vie du citoyen. signe des mouvements mêmes de mon amour vers
Déjà mort (comme existence empirique), pas encore Stilitano? Je l'ai connu à Barcelone »).
vivant (comme universalité idéale). Si la chose de la
famille, c'est la singularité pure, on n'appartient à une
famille qu'en s'affairant autour du mort: toilette du mort, Et le crachat dont s'enduirait le mât glissant
institution de la mort, veillée, monumentalisation, archive, devient très vite, la plume est trempée dans une
héritage, généalogie, classification des noms propres, gra-
vure sur les tombes, ensevelissement, sépulture, chant glu très fluide, de la vaseline. Et même, sans avoir
funèbre, etc. à forcer, un tube de vaseline goménolée.
La famille ne connaît pas encore le travail produc-
teur d'universalité dans la cité, seulement le travail du
deuil.
Si la famille figure le deuil, l'économie du mort, la
loi de l'oikos (tombe), si la maison, lieu où la mort d'elle-
même se garde, forme un théâtre ou une pompe funèbre,
Surgit donc d'un coup, mais très élaboré,
si la femme en assure la représentation, il revient à la le « tube de vaseline » qu'un policier, en I932,
féminité épousée de gérer, strictement, un cadavre. Quand à deux pages de distance, retire de la poche du
un homme se lie à une femme, fût-œ en secret (le mariage
ne dépend pas, selon Hegel, d'un contrat formel), il s'agit
narrateur (ce mot est de plus en plus comique,
toujours de lui confier sa mort. Tous les calculs, les il transforme tout en discours ex cathedra et en
ruses, les chantages peuvent s'envelopper dans cette offre séminaire éternel, s'édifiant sur la présomption
d'une singularité pure (qui se perd et se garde dans le
nom). Confier la mort, la garde d'un corps sans moelle, qu'il y a quelque chose dans la poche de l'auteur,
à charge pour la femme d'ériger sa sépulture après avoir que celui-ci nous narre: événement, objet, histoire,
enseveli le cadavre rigide (onction, bandelettes, etc.), sens à portée de connaissance. Essayez donc avec
le maintenant ainsi dans une surrection vivante, monu-
mentale, interminable. En elle : sous la terre mais la nuit l~ tube de vaseline)
du monde souterrain est la femme, précise Hegel. Freud « Ce fut une consternation quand, en me fouillant
aura aussi montré l'envers de ce désir: la peur d'être après une rafle - je parle d'une scène qui précéda
enfermé dans le ventre maternel se représente dans celle par quoi débute ce livre - un soir, le policier
l'angoisse d'être enterré vivant. étonné retira de ma poche, entre .autres choses,
Qu'est-ce qu'un cadavre? Qu'est-ce que faire d'un un tube de vaseline. Sur lui on osa plaisanter puis-
qu'il contenait une vaseline goménolée . [ ... ] Il
cadavre cadeau?
s'agissait d'un tube de vaseline dont l'une des
La singularité pure : ni l'individu empirique que la
extrêmités était plusieurs fois retournée. C'est
mort détruit, décompose, analyse, ni l'universalité ration- dire qu'il avait servi. Au milieu des objets élégants
nelle du citoyen, du sujet vivant. Ce dont je fais présent retirés de la poche des hommes pris dans cette
à la femme, en échange de la pompe funèbre, c'est mon rafle, i létait le signe de l'abjection même, de celle
corps absolument propre, l'essence de ma singularité. La qui se dissimule avec le plus grand soin, mais le
femme la reçoit dans la nuit, si longue ou si courte soit- signe encore d'une grâce secrète qui allait bientôt
elle. Mais ce qu'elle reçoit, en tant que singularité pure, me sauver du mépris. [ •.. ] Or voici que ce misé-
passe aussitôt dans son contraire. La sépulture féminine rable objet sale, dont la destination paraissait au
ne garde rien, à moins qu'il n'y ait une instance - par monde - à cette délégation concentrée du monde
exemple le nom dit propre -- qui ne tente de se tenir, qu'est la police [ ... ] - des plus viles me devint
extrêmement précieux. Contrairement à beaucoup
qui ne se tende entre les opposés ou les équivalents alors
d'objets que ma tendresse distingue, celui-ci ne
même qu'ils s'annulent.
fut point auréolé; il demeura sur la table un petit
L'érection de la sépulture serait l'œuvre féminine. tube de vaseline en plomb gris, terne, brisé,
Contre quoi s'enlève--t-elle? Et que garde ainsi la femme, livide, dont l'étonnante discrétion, et sa corres:'
à suivre le mort, à lui survivre, à veiller près de lui? pondance essentielle avec toutes les choses banales
Pourquoi est-elle femme en cela? Et pourquoi le nom d'un greffe de prison (le banc, l'encrier, les règle-
qu'elle entoure de ses soins ne vient pas d'ailleurs se ments, la toise, l'odeur) m'eussent, par l'in-
graver sur la stèle ou la dalle? Pourquoi s'y inscrit-il différence générale, désolé, si le contenu même de
comme pour la première fois? . ce tube, à cause peut-être de son caractère onc-
On connaît le vieux thème humaniste et métaphysi- tueux, en évoquant une lampe à huile ne m'eût fait
que : la sépulture est le propre de l'homme. Parmi les songer à une veilleuse funéraire. »
résidus obscurantistes les plus tenaces, il y a cette mécon- Tombent-ils, le jet, les jaculations changent immé-
naissance terrifiée de tout ce qu'on voudrait refuser à diatement de signe. L'objet est abject (<< le signe
l' « animalité » : avec le logos, la sépulture et quelques de l'abjection même »), l'objet tombe «au milieu
autres complications. Hegel pensait aussi que la sépulture des objets élégants retirés de la poche ... » (élégant
est régulièrement associé à galant, à gant, et se
est le propre de l'homme. L'opération familiale et féminine
retourne, inverse aussitôt sa valeur) mais se relève
du deuil transforme le vivant en conscience et en arrache
par là même, par sa chute même: il se relève de
la singularité à la nature. Elle empêche le cadavre de sa chute. La chute dont il relève est cela même
retourner à la nature. En l'embaumant, l'ensevelissant, qui l'exalte. Cela vaut pour tous les cas . Son glas
l'enserrant dans des bandes d'étoffe, de langage et d'écri- est un coup de grâce (<< signe encore d'une grâce
ture, en dressant la stèle, elle l'élève à l'universalité de secrète »). Dans sa forme, l'objet « goménolé»
l'esprit. L'esprit se dégage de la décomposition du cadavre, n'est certes pas « auréolé », mais le secret de la
il s'en délivre et monte grâce à la sépulture. Il est la répé- substance gluante, laiteuse, qui s'en exprime et
tition relevante. brille, elle, comme l'or, émerveille, illumine un
S'agit-il simplement de lutter ainsi contre une décom- catafalque, une crypte, la tombe
position matérielle, contre une simple dissociation qui
fait retourner l'organique à l'inorganique? La force contre
avant le début du livre. Est-il
laquelle travaille la pompe funèbre, est-ce, SOlJS le nom dit dans le livre.
de mort, une extériorité mécanique et anonyme, physi- L'hymne qui lui est dédié, le transformant
que, non consciente? L'analyse serait banale. L'opération
nécessairement en « lampe à huile » (elajon) o~
féminine de la sépulture ne s'oppose pas à l'extériorité
d'une matière non conscie,nte, elle réprime un désir en « veilleuse funéraire », se suspend pour une
inconscient. La famille veut empêcher que le mort ne longue paranthèse qui enceint elle-même une autre
soit « détruit » et la sépulture violée par ce désir. Une telle
remarque forme l'ouverture systématique de cette analyse
paranthèse grosse et grouillante, gluante et grasse,
sur des problématiques ultérieures concernant le travail de gl.
du deuil, l'anthropophagie, le cannibalisme, tous les pro-
cessus d'incorporation et d'introjection. Hegel ne déter-
mine pas les désirs inconscients contre lesquels il faut
garder le mort. La famille (consanguine) interrompt
l'œuvre matérielle abstraite de la nature et « prend sur Le tube de vaseline, « ce petit objet » induit
elle » (über sich nimmt) la destruction. « Le mort, en ayant en effet dans le texte l'apparition d'une mère, l'in-
libéré son être de son oPération, ou de son unité négative, tervention apparemment inattendue d'une image
est la singularité vide, un être-pour-autrui passif, abandonné
en proie à toute basse individualité irrationnelle et aux maternelle «< mais VOlCl qu'intervient une
forces de la matière abstraite, dont les premières à cause image... »). Cette mère est une voleuse. Figure
de la vie qu'elles possèdent, les secondes à cause de leur aussi d'une mère substitutive et phallique (poisson-
nature négative sont désormais plus 1?uissantes que lui.
La famille écarte du mort cette opéraHon déshonorante lune). Envie de la couvrir de fleurs et de baisers
des désirs inconscients (bewuJ3tloser Begierde) et de l'es- (tuer-adorer-baiser-embaumer-bander), de baver ou
sence abstraite, pose sa propre opération à la place des de vomir sur elle, non pas directement sur son
leurs, et marie le parent au sein de la terre (fJermahlt den
Verwandten dem SchoJ3e der Erde) , à l'individualité élé- sein (ou ça tombe, car depuis le berceau le sevrage
mentaire impérissable; elle en fait ainsi l'associé d'une est consommé, le bourreau a vieilli) mais dans sa
communauté qui domine, au contraire, et retient dans toison ou entre ses mains qui ont dû (auraient
ses liens (gebunden hà"ft) les forces de la matière singulière
et: les basses formes de vie (LebendigkeitenJ-qui voulaient dû, cela ne peut se dire qu'en anglais) provoquer
se déchaîner contre le mort et le détruire. » l'expression du tube et enculer le bébé : gl qui
s'étale, se coupe, se reprend, coule de partout,
déborde par tous les orifices, noie toutes les
figures, remplit tous les offices, exclut, racole,
rassemble tous les morceaux, se perd et dissé-
mine. Le lieu de passage n'est pas encore nommé,
c'est l'étamine.
Entre en scène Antigone. La fille d'Œdipe réclame
contre la loi humaine au nom de la loi divine ou familiale
(non écrite). Elle réclame une. sépulture. Pour un frère,
le seul parent « irremplaçable ». Elle aurait pu, dit-elle, « ••• si le contenu même de ce tube, à cause
remplacer un mari mort, un fils mort et; dès lors, les peut-être de son caractère onctueux, en évoquant
laisser pourrir sur le sol pour ne pas aller contre les
lois de la cité. Mais elle ne peut espérer d'autre frère. une lampe à huile ne m'eût fait songer à une
Son chant s'élève au moment où Créon donne l'ordre de veilleuse funéraire.
l'enfermer dans un « tombeau de roc » pour qu'elle y « (En le décrivant, je recrée ce petit objet,
meure ou vive sans voir le soleil.
T Q 't'6!Lôoc;, & w!Lcpe'i:ov, c:> x(X't'(XO'X(Xcp'~c; mais void qu'intervient une image: sous un réver- '.
OtX'YjO"LC; (X~dcppo\)poC; bère, dans une rue de la ville où j'écris, le visage
« 0 tombeau, chambre nuptiale, demeure souterraine, . blafard d'une petite vieille, un visage plat et rond
ma prison à jamais... »
comme lalune, très pâle, dont je ne saurais dire
s'il était triste et hypocrite. Elle m'aborda, me dit
Où conduit le désir d'Antigone? qu'elle était très pauvre et me demanda un peu
d'argent. La douceur de ce visage de poisson-
lune me renseigna tout de suite : la vieille sortait
Les deux fonctions de la sépulture relèvent le mort de prison.
de sa mort, lui évitant d'être détruit - mangé - par la comme toujours
« ,- C'est une voleuse, me dis- la nécessité séman-
matière, la natu!'e, l'être-hors-de-soi de l'esprit mais aussi
par la violence probablement cannibale des désirs incons- je. En m'éloignant d'elle une sorte tique, donnant
lieu à une hermé-
cients des survivants. C'est-à-dire essentiellement des de rêverie aiguë, vivant à l'inté- neutique, à une
femmes puisque celles-ci, en tant que gardiennes de la
sépulture et de la famille, sont toujours en situation de rieur de moi et non au bord de sémiotique, voire
à une psychanaly-
survie. La loi de la singularité (divine, féminine, familiale, mon esprit, m'entraîna à penser tique, reste indé-
naturelle, nocturne) se protège en quelque sorte d'elle- que c'était peut-être ma mère que cidablement sus-
même, contre elle-même. Et du même coup contre l'autre pendue à la
loi, l'humaine (virile, politique, spirituelle, diurne). Les je venais de rencontrer. Je ne chance d'une ag-
deux lois se combattent et s'échangent à travers des diffé- sais rien d'elle qui m'abandonna glutination dite
rences de strates, d'étapes ou d'étages (Stufen). La loi au berceau, mais j'espérai que formelle ou signi-
de la communauté humaine, loi manifeste, loi d'en-haut, fiante. Le vol de ce
loi solaire, passe par la règle d'un gouvernement (Regie- c'était cette vieille voleuse qUl suspens, et sa né..
mendiait la nuit. » cessité, déroute
rung). Dans le gouvernement l'esprit: effectif se rassemble
aussi bien le sé-
et se réfléchit. La communauté s'y rapporte à elle-même L'astre lunaire, maternel, agit mantisme que le
comme dans une tête, un lieu d'individualité ou d'indivi-
sibilité. La tête maintient ensemble, par le haut, les mem- du dedans le texte (pointu, aigu, formalisme. Vo-
leuse reprend veil-
bres épars de la communauté. Mais l'existence présente « à l'intérieur de moi») de manière leuse au, vol et le
et réelle de la communauté (Realitat ou Dasein) reste à la fois bénéfique et malfaisante : fixe un peu plus
la famille. Elle organise son existence avec une relative bas dans vieille vo-
indépendance : indépendance personnelle, indépendance ce poisson qui sort de prison est leuse. Ëcriture
de la propriété (Eigentum) toujours liée à la famille, droit donc très bête au moment même merveilleuse. In-
personnel et droit réel (dingliche Recht) qui assure la où il donne à jouir, il est « rond croyablement pré-
possession et l'usage des choses, travail visant à l'acqui- cieuse
sition et à la jouissance. Or si le gouvernement - la comme la lune », vide comme un
tête - autorise et organise ce droit familial, élément et trou qui mendie, demande à être couvert, rempli,
être-là naturel de la communauté, il est aussi menacé engrossé; une pauvre tirelire qui « me demanda
par lui. La famille met la tête en péril. Elle risque en
effet de s'installer, de s'enfoncer dans son intérêt privé, un peu d'argent » et à qui, toujours en paran-
dans son droit de possession et de jouissance. A la tête, thèses, je réponds.
le gouvernement doit donc devenir l'ennemi de cela « '- Si c'était elle? me dis-je en m'éloignant
même qu'il régit, il doit réprimer la famille non seulément
comme singularité naturelle mais dans le système juri- de la vieille. Ah! Si c'était elle, j'irais la couvrir
dique qui lui est propre : guerre du gouvernement de la de fleurs, de glaïeuls et de roses, et de baisers!
cité contre la famille, loi du jour contre loi de la nuit,
loi humaine contre loi divine, loi de l'homme contre J'irais pleurer de tendresse sur les yeux de ce
loi de la femme. Cette guerre n'est pas une guerre parmi poisson-lune, sur cette face ronde et sotte! Et
d'autres, c'est la guerre. Le seul, en tous cas le meilleur pourquoi, me disais-je encore, pourquoi y pleurer?
moyen d'empêcher la famille de dissoudre la cité, c'est
en effet d'entraîner la communauté dans la guerre contre Il fallut peu de temps à mon esprit pour qu'il
une autre cité. Le gouvernement -la tête virile exposée remplaçât ces marques habituelles de la tendresse
au soleil - viole ainsi la femme ou la famille. Il lui rappelle par n'importe . quel geste et même par les plus
que son maître est la mort, la mort violente, la lutte pour
la reconnaissance, le nom, le phénomène de l'esprit. décriés, par les plus vils, que je chargeais de
« Pour ne pas les laisser s'enraciner et se durcir dans cet signifier autant que les baisers, ou les larmes,
isolement, donc pour ne pas laisser se désagréger le tout: ou les fleurs.
et s'évaporer l'esprit, le gouvernement doit de temps en
temps (von Zeit zu Zeit) les ébranler dans leur intimité par « - Je me contenterais de baver sur elle, .
la guerre; par la guerre il doit déranger leur ordre qui se pensais-je, débordant d'amour. (Le mot glaïeul
fait habituel, violer (ver/etzen) leur droit à l'indépendance, prononcé plus haut appe1a-t-il le mot glaviaux?)
de même qu'aux individus, qui en s'enfonçant dans cet
ordre se détachent du tout et aspirent à l'être-:pour-soi De baver sur ses cheveux ou de vomir dans ses
inviolable et à la sécurité de la personne, le gouvernement mains. Mais je l'adorerais cette voleuse qui est
doit, dans ce travail imposé, donner à sentir leur maître, ma mère.) )}
la mort. Grâce à cette dissolution de la forme de la subsis-
tance, l'esprit garde de l'engloutissement (Versinken)
dans l'être-là naturel loin de l'être-là éthique; il préserve
le soi-même de la conscience et l'élève dans la liberté
et: dans sa force. »
Cela ne doit arriver que de temps en temps. L'intermit- Fonction de la paranthèse : temps d'écriture.
tence - rythme saccadé - est une règle essentielle. S~il
n'y avait que la guerre, l'être-là naturel de la communauté /
Au moment où, présentement, j'écris, « dans une
serait détruit, et par sa propre loi humaine, par le principe rue de la ville où j'écris », j'ouvre la paranthèse
même de l'universalité. La famille, l'être-là naturel de la pour décrire, commenter, remarquer le récit, l'autre
communauté, doit donc aussi résister à la guerre et lui
opposer sa « force de conservation ». Elle doit résister à
temps qui se narre. Cette fiction du « présen-
ce qu'elle doit faire. Doit deux fois: deux forces de loi se tement » d'écriture ouvre une paranthèse dans
dressent l'une en l'autre, et contre l'autre. La communauté la paranthèse - et cela n'est pas fortuit, chaque
ne peut vivre que de leur opposition dialectique. Le
triomphe absolu de l'une ou de l'autre la renverrait au
paranthèse d'un présentement est grosse d'une
néant. Chaque loi est donc une loi de mort. autre -- pour commenter le choix des mots et
La « force de conservation », au service de la loi de l'agglutination des gl : « (Le mot glaïeul prononcé
la singularité, c'est la femme; c'est la famille en tant
qu'elle se représente dans la féminité. C'est la loi divine plus haut appela-t-il le mot gla-
du royaume souterrain. Comme la loi de l'homme, la loi
« ... me cracha dans la bouche.
de la femme comporte des différences de strates et se Un mouvement de déglutition presque inconscient
laisse travailler par une opposition interne. Les deux lois me fit avaler le glaviaud. [L'orthographe de ce mot
ne s'affrontent pas comme deux volumes ou dèux surfaces qui n'a jamais appartenu à la langue, qui est fait
pleines, identiques à elles·-mêmes, homogènes en elles- pour s'en détacher comme un molardon, reste
mêmes. Chacune est fissurée, entaillée en son dedans, incertaine et plastique, élastique, finalement, et

166
et déjà par le travail de l'autre en elle. Par exemple, la lactique. Dans Notre-Dame, c'est glaviots: " J'envie
logique de la loi humaine commandait de ne pas faire ta gloire. Tout aussi bien qu'au Mexicain, tu aurais
absolument ce qu'elle commandait absolument de faire : fait mon affaire, comme on dit au tombeau. Durant
tes mois de cellule, tu eusses tendrement craché
la guerre. Elle devait tenir le compte, enregistrer le calcul
de lourds glaviots raclés de ta gorge et de ton nez,
de la loi opposée. Il en va de même pour la loi de la sur ma mémoire." Dans Miracle de la rose, c'est
famille. aussi glavios : " Lorsqu'ils voulaient faire chier une
Hegel examine ici les structures élémentaires de la cloche ou un vautour [ •.• ], ou une bourrique (un
parenté. Sa classification paraît limitée: il n'en justifie pas mouchard), les maries allaient le trouver [ ••• ] lui
le modèle historique, sociologique, ethnologique, à savoir crachaient à la figure des injures atroces, des
la famille grecque occidentale. En elle,· il ne considère glavios. "] ... Deloffre [événement global] me cra-
qu'un nombre restreint d'éléments et de relations : mari/ cha sur les yeux. Les sept y passèrent, et plusieurs
femme, parents/enfants, frère/sœur. Ni grands-parents, fois même, et Divers parmi eux. je recevais les
ni oncles ni tantes, ru cousins ni cousines, ni une plura- crachats, dans ma bouche distendue que la fatigue
lité possible de frères et de sœurs, cette dernière relation n'arrivait pas à refermer. Il eût suffi d'un rien pour-
tant pour que ce jeu atroce se transformât en un
restant toujours singulière.
jeu galant et qu'au lieu de crachats, je fusse couvert
Trois rapports sont donc tenus pour primitifs et de roses jetées. Car les gestes étaient les mêmes,
irréductibles. Ils s'organisent selon une hiérarchie à trois le destin n'eût pas eu grand mal pour tout chan-
crans. On s'y élève, semble-t-il, en apaisant voire en annu- ger. »Miracle de la rose.
lant strictement le désir sexuel. Entre le mari et la femme,
la relation de reconnaissance est la plus naturelle et .la
plus immédiate. Elle se dispence d'un tiers. Spéculaire Comme toujours, c'est une interprétation violente,
et: sensible comme le désir naturel qu'en principe le parodique, radiographique, profonde, implacable-
mariage ne réprime pas. Le rapport parents/enfants impli- ment dérisoire du Golgotha. Un Golgotha de gala-
lithe, mis en scène par Mathieu, comme ailleurs
que une médiation: ce qui n'était qu'image (Bild) et
par jean: « puis s'agenouillant devant lui, ils .Ie
représentation anticipante (VorsteJlung) de l'esprit dans raillaient en disant : Salut, Roi des juifs! et ils
le désir conjugal (naturel et immédiat) devient effectivité crachaient contre lui, prenaient le roseau et frap-
de l'esprit. C'est un progrès. Mais les deux relations ont paient sur sa tête ». Il eût fallu si peu ...
une limite commune. Dans les deux cas il s'agit d'une
piété transitoire et inégale. La piété mutuelle des conjoints
reste sensible et naturelle; elle se perd, ne revient pas à « le destin n'eût pas eu grand mal pour tout chan-
elle-même comme esprit. Le désir naturel, en tant que ger : la partie s'organise ... des gosses font le geste
tel, a pour destination de se perdre, d'être incapable de de lancer ... [ ••• ] Nous étions au centre du parc
le plus fleuri de France. j'attendis des roses. je
se réfléchir dans sa naturalité. S'il le faisait, il ne serait
priai Dieu de fléchir un peu son intention, de faire
plus ce qu'il réfléchit - naturel. Dans la piété mutuelle un faux mouvement afin que les enfants ne me
des parents et des enfants, une certaine contingence natu- hafssant plus m'aimassent. Ils auraient continué
relle ne se laisse pas réduire. La relation y est encore ce jeu ... mais avec des mains pleines de fleurs,
affectée d'un reste de non-retour. Cela ne contredit qu'en car il eût fallu si peu de chose pour qu'au cœur
apparence le mouvement de réappropriation narcissique de Van Roy, à la place de haine, entrât l'amour.
et relevante dont la logique générale orchestre tout. La [ ••• ] Ils avançaient de plus en plus, jusqu'à être
relève n'a lieu, précisément, que dans la mesure où la très près de moi, et ils visaient de plus en plus
famille sort d'elle-même pour se constituer, détruit son mal ».
économie formelle, son identité à soi, sa tautologie : dans
la mesure où elle se pose, la thèse (Setzung) étant toujours C'est-à-dire de mieux en mieux: «je les voyais,
relevante. Qu'en est-il alors de ce non-retour qu'il faut les jambes écartées, se ramener en arrière comme
justement poser, sublimer, suspendre ou relever? le tireur qui bande l'arc, et faire un léger mouve-
La piété des parents pour les enfants s'affecte d'une ment en avant tandis que le jet giclait. j'étais atteint
émotion originale: savoir que sa propre effectivité s'est à la face et je fus bientôt visqueux plus qu'une
exilée dans l'autre -l'enfant -, que son propre pour-soi tête de nœud sous la décnarge. Je fus alors revêtu
est en autrui « sans retour ». La conscience de l'enfant d'une gravité très haute. »
ne me revient pas, ne me rend pas la conscience que je
lui ai confiée. Il n'y a pas ici de « zuriickerhalten » : le
mot désigne le retour, la rentrée des fonds, la réception
en retour d'une mise, l'amortissement. L'effectivité de Non plus sa mère mais sa mère, non plus la mau-
l'enfant est étrangère (fremde) parce qu'elle est propre vaise mère, celle qu'on ne peut ériger, mais le
phallus éjaculant sur la croix, la mère droite, c'est-à-
(eigene), propre à elle-même. La semence ne remonte pas
dire normale, en équerre, qui brille, elle, en Gali-
à la source, elle ne circule plus. De même, la piété des
lée, depuis toujours, dont le sexe debout reluit,
enfants pour les parents se marque de la même coupure. dégouline de sperme. Mais la meilleure est la pire
L'enfant sait qu'il atteint l'être-pour-soi en se séparant (fallu si peu), la plus grave: «Je fus alors revêtu
de son lieu d'émission. « Séparation de l'origine » (Tren- d'une gravité très haute. Je n'étals plus la femme
nung von dem Ursprung) dans laquelle la source « se tarit ». adultère qu'on lapide, j'étais un objet qui sert à
La Realphilosophie analyse néanmoins cet assèche- un rite amoureux. Je désirais qu'ils crachassent
ment comme une relève de l'origine, l'enfant est « der sich davantage et de plus épaisses viscosités. C'est
auJhebende Ursprung ». La contradiction n'est pas ici un Deloffre qui s'en aperçut le premier. Il montra
effet formel du discours philosophique mais l'essence de un point précis de ma culotte collante et cria:
la relève. Oh! vise sa chatte! ça le fait reluire, la morue! »
Paradoxe encore apparent : la limite du rapport
conjugal est le contraire de la limite généalogique. Là, le
retour est seulement spéculaire (donc immédiat, naturel
et sensible); ici, c'est la médiateté en expansion, l'épanche- Ils étaient sept à cracher sur lui, comme les archan-
ment, l'épandre sans retour de ce qui coule de source. ges dont vous connaissez les noms. Ils bandent
Ces deux rapports, trop naturels ~p.core, et dissymétriques, leur arc et la mère est parmi eux: c'est un homme,
s'emportent dans le transitoire (Ubergehen), le déséquilibre un homme de Dieu. Reluire, briller, paraitre,
et l'inégalité (Ungleichheit). C'est que le désir se laisse être présent, pousser (phuein) : bander. L'arche
entraîner dans l'épanchement séminal. " ou la galère. Au commencement, en archè, ça
aura bandé. Et l'archange qui porte le nom de
D'où l'infinie supériorité du lien entre le frère et la l'homme de Dieu, « au sixième mois fut envoyé
sœur. Lien familial, certes, puisque le sang y parle, mais dans une ville de Galilée » pour annoncer à une
le seul qùi suspende absolument tout désir. Aucun désir vierge fiancée que bientôt un enfant allait « tres-
n'affleure à la conscience - ce sont des consciences que saillir dans son sein » et qu'elle serait « remplie
Hegel analyse ici - alors que la conscience était, dans du Saint-Esprit ».
les autres relations, essentiellement désirante. Aucun désir,
donc, entre des singularités de sexe opposé, « relation
sans mélange » (unvermischte Verhaltnis). Le frère et la
sœur « ne se désirent pas l'un l'autre ». Le pour-soi de
Pour un funambule: « Mais l'Ange se fait annoncer,
l'un ne dépend pas de l'autre. Ce sont donc, semble-t-il, sois seul pour le recevoir. »
les deux seules consciences qui, dans l'univers hegelien,
se rapportent l'une à l'autre sans entrer en guerre. Etant
donné la généralité de la lutte pour la reconnaissance dans viaux? »). L'autre
le rapport entre les consciences, on serait tenté d'en présent (plus haut) dans la paranthèse est déjà
conclure qu'au fond il n'y a pas de lien frère/sœur, il n'y a
pas de frère et de sœur. Si une telle relation est unique un passé, il a résonné d'avoir été proféré plus
et parvient. à une sorte de repos (Ruhe) et d'équilibre haut que les autres et c'est la hauteur de son
(Gleichgewicht) à toute autre refusés, c'est que le frère et prononcé qui arrésonne, appelle le mot glaviaux,
la sœur ne reçoivent pas de l'autre leur pour-soi et se
constituent néanmoins en « libres individualités ». Les en appelle du glaïeul au glaviaux.

168
pour-soi se reconnaissent sans dépendre, ne se désirent pas Mais l'agglutination ne prend pas seulement
plus qu'ils ne se déchirent.
Est-ce impossible? Est-ce en contradiction avec tout
dans la pâte signifiante (gl dé-généré comme
le système? Est-on encore dans la sphère naturelle de la son ou sa)~ elle colle au sens : analogie fleur-
Sittlichkeit (la famille) dès lors que la différence sexuelle crachat dont on couvre ce qu'on aime (voir mort),
semble suspendue, que le désir s'absente aussi bien -que
le contraire du désir dans une sorte de fidélité sans amour?
passage de la fleur au crachat, du phallus au
Mais alors pourquoi frère/sœur et non pas frères ou sœurs? sperme, du gladiolus (glaive de la justice, épée
C'est qu'en vérité il faut encore une différence sexuelle, de la vierge) à la bave séminale, etc. Or cette
une différence sexuelle posée comme telle et pourtant sans
désir. La féminité doit être représentée dans ce « rapport
double série, que nous pourrions traquer très
sans désir >} (begierdeloser Beziehung) , puisqu'elle est le loin, ne nous intéresse et ne fait un texte que dans
familial, la loi de la singularité. Mais cette représentation la mesure d'un reste de gl
doit s'y porter au plus haut degré de la naturalité, au
point où la féminité, restant féminine, se détache du désir
ré-élaborer, compte tenu de ce reste, une pensée
naturel, se prive du plaisir et, à ce titre, pressent mieux
de la mimesis : sans imitation (d'un objet repr·é-
que jamais l'essence de la Sittlichkeit dont la famille n'est senté, identifiable, préalable et répété), sans répé-
que la première étape, la première anticipation. La fémi- tition (d'une chose, d'un événement, d'un référent,
nité s'y élève mieux comme sœur, moins bien comme femme, d'un signifié), sans signification (d'un sens ou d'un
mère ou fille. « Le féminin (das Weibliche) a donc, comme signifiant). Logique d'une inquiétante stricture,
sœur, le plus haut pressentiment de l'essence éthique (des ses simulacres et ses phantasmes défient les termes
sittlichen Wesens). >} Si elle ne va pas au-delà du pressenti- de toute analyse mais elle rend rigoureusement
ment, ce n'est pas pour être sœur, mais pour rester fémi- compte de l'interminabilité.
nine. Elle s'élève plus haut que la mère, la fille ou l'épouse, Par exemple (l'unicité de l'exemple se détruit
mais en tant que féminine, prise dans la naturalité de la d'elle-même, élabore aussitôt la puissance d'un
différence sexuelle, elle ne peut que pressentir la spiritua- organe généralisateur), au moment même où nous
prétendrions y ressaisir, dans un texte déterminé,
lité éthique. Sœur, elle se tient suspendue entre .un désir
le travail d'un "idiome, relié à une chaîne de noms
qu'elle n'éprouve pas, dont elle éprouve qu'elle ne propres et de configurations empirico-signifiantes
l'éprouve pas, et une loi universelle (non familiale : singulières, glas nomme aussi la classification,
humaine, politique, etc.) qui lui demeure étrangère. Le c'est-à-dire l'inscription dans des réseaux de géné-
fait qu'elle soit du même sang que son frère semble ralités entrelacées à l'infini, dans des généalogies
suffire à exclure le désir. Appendice de la Philosophie du d'une structure telle que les croisements, les accou-
droit: « Le rapport frère-et-sœur - un rapport non-sexuel plements, les aiguillages, les détours, les embran-
(Geschwister.- ein Geschlechtloses Verhaltnis). >} Comme chements ne relèvent jamais simplement d'une
il s'agit ici seulement de famille monogamique, le frère loi sémantique ou d'une loi formelle. Pas d'idiome
et la sœur ne sont pas frère-sœur utérins mais consanguins, absolu, pas de signature. L'effet d'idiome ou de
au sens technique que la métaphysique donne à ce mot, signature ne fait que relancer - retentir - le
n'attribuant le sang qu'au père. Il y a donc ici une relation glas.
de consanguinité qui rompt avec la naturalité (désirante).
Antigone n'est pas proprement nommée dans ce Le glas est - donc - de l'idiome ou de la signa-
passage mais toute l'analyse est fascinée par la figure ture.
De l'a.ïeul absolu.
essentielle de cette sœur qui ne devient jamais ni citoyen,
Aussi ne le trouve-t-on jamais ici ou là, dans la
ni femme, ni mère. Morte avant d'avoir pu se marier, configuration unique d'un texte. Il se prête, s'affecte
elle se fixe, saisit, transit, transfigure dans ce caractère ou se vole toujours. Au moment où vous croyez
de sœur éternelle emportant avec elle son désir de femme. le lire ici, commenter ou déchiffrer ce texte-ci,
Hegel trouve ça très bien, très apaisant. Non pas vous êtes commenté, déchiffré, observé par un
expressément dans la Phénoménologie, mais dans l'Esthé- autre: ce qui est resté.
tique. Là il écrit: « Mais le frère est pour la sœur l'essence Il y a - toujours - déjà - plus d'un - glas.
paisible et égale en général (das ruhige gleiche Wesen iiber-
haupt). Sa reconnaissance en lui est pure et sans mélange Il faut lire glas comme « singulier pluriel » (chute
avec un rapport naturel; l'indifférence de la singularité de l'or dans la double séance). Il a son bris en lui-
( die Gleichgültigkeit der Einzelheit) et la contingence éthique même, il s'affecte et résonne aussitÔt de ce dégât
ne se trouvent donc plus présentes (vorhanden) dans cette littéral.
relation. >}
Exemple unique dans le système : une reconnaissance
qui n'est pas naturelle et qui pourtant ne passe par aucun Pas de singularité génétique. Je n'écris ici (sur)
conflit, aucune lésion, aucun viol : unicité absolue, aucun texte singulier, aucune signature inimitable.
universelle pourtant et sans singularité naturelle, sans On sait que la paternité s'attribue toujours au
immédiateté; relation de symétrie qui n'a besoin d'aucune terme d'un procès, dans la forme d'un jugement.
réconciliation pour s'apaiser, qui ignore l'horizon de la Donc d'une généralité, Mais la mère? Surtout
guerre, la blessure infinie, la contradiction, la négativité. celle qui se passe de père? Ne peut-on en espérer
Est-ce là l'inconcevable? Ce que la grande logique ne une généalogie pure, purement singulière, immé-
peut s'assimiler? Pourquoi est-ce cela même qui procure diatement idiomatique? Le propre n'est-il pas
à Hegc::l ce sentiment de paix infinie dont il fait confi- finalement de la mère?
dence? Tout: près de la fin, dans l'Esthétique: « De tous
les chefs-d'œuvre de l'antiquité et du monde moderne -:-
je les connais à peu près tous, et chacun doit et peut les
connaître - Antigone me paraît de ce point de vue la Pas plus que le glas qu'elle met en branle. La mère
plus admirable (vortr~fflichste), la plus apaisante (befrie- est une voleuse et une mendiante. Elle s'appro-
digendste) œuvre d'art. >} prie tout mais parce qu'elle n'a rien en propre.
Déclaration insolite: comme dans la Phénoménologie, Elle donne/prend à aimer/haïr mais n'est rien.
Ici encore la loi galactique travaille, mais pour lui
elle dit l'apaisement mais sur le ton de la confidence per-
résister, le travail de la loi dialectique, phénomé-
sonnelle. C'est plutôt rare; on peut compter les énoncés nologique, ontologique.
à la première personne, les allusions aux lectures per-
sonnelles, les conseils, les « il me semble )}. Que se passe-
t-il? Et pourquoi cela se passe-t-il au moment où le corps
du système devrait se tendre dans un phénomène de rejet?
Cette greffe semble avoir une struèture inassimilable. Par exemple (mais la singularité de l'exemple se
La confidence sonne d'autant plus étrangement laisse aussitÔt emporter dans des chaînes textuelles
qu'elle clôt un paragraphe des plus « hegeliens >). La guerre articulées à l'infini), la concaténation sémantique
y fait rage. Le carnage de la pièce de Sophocle est exhibé. est aussi impuissante que la concaténation formelle
La chute ou l'élévation finale en reçoit toute sa force de à enserrer, sans reste, la scène de la vieille men-
déplacement, l'occulte étrangeté de son a parte. Hegel diante.
vient d'analyser la différence entre la réconciliation épique Ou, par exemple, toute autre, la même, Aum6ne
et la réconciliation tragique. La tragédie, c'est encore de Mallarmé. Supposez que vous ne fassiez sans le
la guerre déchaînée pour relever l'unilatéralité de la savoir, depuis longtemps, pour longtemps, ici et
conscience individuelle. Les individus entrent en lutte ailleurs, que le déchiffrer, ce «poème », lettre par
pour s'affirmer comme totalités dans leur « présence » lettre, syllabe par syllabe, mot à mot, vers par vers,
dans tous les sens, dans sa forme générale, son
concrète, de façon à être eux-mêmes « sous l'empire de ce
rapport au « corpus » mallarméen, à la langue
qu'ils combattent >). La « lésion» (Verletzen) qu'ils infli- française, aux autres, à l'histoire de la littérature
gent à autrui doit honorer ce qui correspond à « leur passée et à venir, à ses autres versions, aux contrain-
propre existence >). « C'est ainsi par exemple qu'Antigone tes et à l'ouverture infinies de ce qu'on appelle si
vit sous le pouvoir de Créon; elle est elle-même fille de naivement un contexte: qu'est-ce que cela donne-
roi et fiancée d'Hémon, si bien qu'elle doit obéissance rait?
aux ordres du prince. Mais Créon qui est lui-même père « Prends ce sac, Mendiant! tu ne le cajolas
Sénile nourrisson d'une tétine avare
et époux, devrait respecter la sainteté du sang et ne pas Afin de pièce à pièce en égoutter ton glas.
ordonner ce qui contredit à cette piété. C'est ainsi qu'à
l'une et à l'autre est immanent ce contre quoi ils se dres- Tire du métal cher quelque péché bizarre
Et vaste comme nous, les poings pleins, le baisons
sent de manière réciproque, et ils se trouvent entraînés Souffles-y qu'il se torde! une ardente fanfare.
et brisés par cela même qui appartient au cercle de l~ur
propre présence (Kreise ihres eigenen Daseins). Antigone ~glise avec l'encens que toutes ces maisons
Sur les murs quand berceur d'une bleue éclaircie
souffre la mort avant d'avoir pu jouir de la scène nup- Le tabac sans parler roule les oraisons,
tiale, mais Créon aussi, de son côté, se voit frappé dans
son fils et dans sa femme qui se donnent la mort, l'un à Et l'opium puissant brise la pharmacie!
Robes et peau, veux-tu lacérer le satin
cause de la mort d'Antigone, l'autre à cause de celle Et boire en la salive heureuse l'inertie,
d'Hemon. De tous les chefs-d'œuvre· de l'antiquité et du
monde moderne - je les connais à peu près ~ous, et Par les cafés princiers attendre le matin?
Les plafonds enrichis de nymphes et de voiles,
chacun doit et peut les connaître - Antigone me paraît On jette, au mendiant de la vitre, un festin.
de ce point de vue la plus admirable, la plus apaisante
œuvre d'art. >} Et quand tu sors, vieux dieu, grelottant sous tes toiles
Effet de focalisation, dans un texte, autour d'un lieu D'emballage, l'aurore est un lac de vin d'or
Et tu jures avoir au gosier les étoiles!
impossible. Fascination par une figure irrecevable dans
le système. Insistance vertigineuse sur un inclassable. Et Faute de supputer l'éclat de ton trésor,
si l'inassimilable, l'indigeste absolu jouait un rôle fonda- Tu peux du moins t'orner d'une plume, à complies
Servir un cierge au saint en qui tu crois encor.
mental dans le système, abyssal plutôt, l'abîme jouant
Ne t'imagine pas que je dis des folies.
pour qui s'impatienterait de ne rien voir venir de ce côté, La terre s'ouvre vieille à qui crève la faim.
il faudrait nommer ici Christiane, la sœur de Hegel, ou Je hais une autre aumône et veux que tu m'oublies.
Nanette, « jeune fille hébergée dans la maison familiale ».
S'il faut en croire une remarque de Bourgeois, elle « avait Et surtout ne va pas, frère, acheter du pain. »
inspiré à Hegel un sentiment peut-être d'abord amoureux,
mais que les lettres de Francfort à Nanette Endel révèlent Si l'on s'interroge encore sur l'identité de ce poème,
comme un sentiment de sincère amiti~ ». Je ne sais pas
sur le système de ses contraintes et la force de ses
de quel nom Nanette était la for me diminutive. Nana pour-
rait toujours jouer la sœur. Dans la légende phrygienne motivations (sur-motivations ou sur-détermina-
d'Attis, Nana est une sorte de sainte Vierge. Zeus en tions -- disons plutôt pour marquer le pli, et qu'il
rêve dissémine, laisse tomber son sperme sur le roc. ne s'agit pas, dans ce travail , d'accumuler des riches-
Agdistis, l'hermaphrodite, y prend naissance. Les autres ses, effets de suremploi), ne pas oublier que c'est
dieux s'en emparent, le châtrent. Du membre amputé,
là seulement le quatrième état d'un poème en
sanglant, se pousse un amandier. Nana, fille du dieu-
fleuve Sangarios, cueille une amande de lait, l'enfonce formation (Haine du pauvre, 1862; A un mendiant,
en elle et met au monde Attes, un très beau garçon qui 1864; A un pauvre, 1866; Aum6ne, 1887). On pourra
fut ensuite aimé d'Agdistis, l'hermaphrodite devenu toujours considérer comme aléa empirique le coup
femme (selon une autre version, c'est par Dionysos qu'il d'arrêt « définitif ». Si on se laissait seulement
eut le membre tranché).
fasciner par le «mot »glas, on relèverait d'abord
Hegel savait-il danser? La question est plus obscure qu'il n'apparaft qu'à partir du deuxième état
qu'on ne croirait. Comme Rousseau en tous cas - mais
y danse-t-on? - il aimait les bals et c'est à Nanette qu'il 1. «Ta guenille nocturne étalant par ses trous
le confie: «j'aime beaucoup les bals; c'est ce qu'il y a Les rousseurs de ses poils et de ta peau, je l'aime
de plus gai à notre triste époque. »La Critique du jugement Vieux spectre, et c'est pou rq uoi je te jette vi ngt sous.»
nomme aussi le bal : exemple de finalité pour une
pelouse entourée d'arbr'es, dans une forêt. Il. « Pauvre, voici cent sous ... Longtemps tu cajolas,
La citation des lettres ne se confond pas avec les diverses - Ce vice te manquait, - le songe d'être avare?
opérations dites « biographiques » se rapportant à « la Ne les enfouis pas pour qu'on te sonne un glas. »
vie de l'auteur ». Elles ont un statut à part, non seulement
parce que leur étoffe est d'écriture, mais parce qu'elles III. «Prends le sac. Mendiant. Longtemps tu cajolas
engagent ce que nous traquons ici interminablement - Ce vice te manquait - le songe d'être avare?
sous le nom de signataire. Considérez que je ne cite telles N'enfouis pas ton or pour qu'il te sonne un glas. »
lettres de Hegel à Nanette, ou à sa fiancée nommée Marie, Le dernier état (le glas n'y «sonne» plus)
que pour rappeler, au passage, que la signature faisait
le plus souvent sauter ses voyelles pour s'abréger, sémi- .« Prends ce sac, Mendiant! tu ne le cajolas
tiquement, en HGL. Sénile nourrisson d'une tétine avare
Afin de pièce à pièce en égoutter ton glas. »

« Francfort-sur-le-Main, le 9 février 1797.•


Ma chère douce Nanette,
Meine liebe sanfte Nanette 1
Combien je vous suis reconnaissant (verbunden) d'avoir
tenu à m'écrire aussitôt que possible... d'avoir la bonté porte à son plus haut degré de pertinence, c'est-à-
de remplacer (ersetzen) de temps à autre par une conver- dire de contiguïté (contact, succion, aspiration), le
sation épistolaire le commerce familier dont je suis privé. glas de ce qui touche au sein, pour l'étonnement
Le destin impérieux me réduit, il est vrai, jalousement
(neidisch) à la première: mais la force de mon imagination ou le dégoût de qui se demanderait encore (arbi-
triomphe de lui et remplace (meine Einbildungskraft traire ou motivation?) quelle forme lactifère recon-
bezwingt es und ersetzt das) ce qu'il m'a enlevé - le son naître au tocsin (au mot? à la chose? au sens?). A son
de votre voix (den Ton ihrer Stimme), le doux regard de plus haut degré de pertinence mais sans réduire les
vos yeux et tout le reste de cette vie (alles übrige Leben)
jeux de décollement nécessaires à la ventouse.
qui manque aux paroles écrites.
Sur ma situation, j'ai assez longuement écrit à ma sœur: Les trois derniers états forment une série plus
quant à vous, je puis seulement vous dire qu'il ne me reste homogène en surface, certes. Mais Haine du pauvre
rien à désirer, sinon la possibilité d'entendre parfois parler travaille la toison
un soir de sœur Jacqueline [Jacqueline Arnauld, Mère
Angélique, dont Nanette, catholique pratiquante, devait
entretenir Hegel] ... je me suis résolu - après mare
réflexion -- à ne rien vouloir réformer en eux [les gens
de la ville], mais au contraire à hurler avec les loups et
à réserver mon austérité à la manière d'Alexis pour le
jour où mon étoile me conduirait au Kamtchatka ou (<< Ta guenille nocturne étalant par ses trous
chez les Esquimaux : là seulement je pourrais nourrir Les rousseurs de ses poils et de ta peau, je l'aime,
l'espoir de contribuer par mon exemple à détourner ces [ ]...
nations de toute èspèce de luxe, tels que le port de cor- Et ne vas pas drapant ta lésine en poëme.
sages en taffetas, l'abondance des bagues et autres choses [... ]
semblables. . Mets à nu ta vieillesse et que ta gueuse joue,
Partout je suis entouré d'objets qui me rappellent votre Lèche, et de mes vingt sous chatouille la vertu,
souvenir : près de mon lit est suspendu le joli porte- A bas 1... -les deux genoux !... -- la barbe dans la boue! »)
montre: au-dessus de ma table de nuit est suspendue
(par les soins de mon domestique) la plus charmante
petite pochette du monde pour mes cure-dents. Chaque
fois que j'entends le mot ist (est), cela me rappelle votre
prononciation: au pays souabe, je disais encore ischt: mais
depuis que j'ai respiré l'air du Palatinat, je ne susurre d'un coutelas qui semble rimer avec le premier vers
(zische) plus que des ist (ists) pleins de délicatesse. des trois poèmes suivants (cajolas). C'est la seule
Que quelqu'un, en particulier mon conseiller aulique, ait
pu avoir l'idée de vous déclarer malicieuse [coquine, rime en las et le dernier vers de Haine du pauvre.
schelmisch] , c'est ce que je ne conçois absolument pas. Coup de dés? Or? argent? Cuivre?
Réclamez-vous hardiment, sur ce point, de mon témoi-
gnage : qui dira de l'eau qu'elle est dure, de l'agneau qu'il
est impatient, du ruisseau qu'il coule vers sa source, ou
de l'arbre, qu'il croft vers le bas? Il y a ici aussi une église
catholique... Aussitôt que j'apprendrai qu'on célèbre
une grand-messe, je m'y rendrai pour faire mes dévotions « Que veut cette médaille idiote, ris-tu?
et élever mon âme devant quelque belle image de la L'argent brilla, le cuivre un jour se vert-de-grise,
Madone (Marienbild) ... » Et je suis peu dévot et je suis fort têtu,

Choisis. - Jetée? alors, voici ma pièce prise.


« Francfort-sur-le-Main, le 22 mars 1797
Serre-là dans tes doigts et pense que tu l'as [quoi? qui?]
... je souhaite seulement que cette lettre vous trouve Parce que j'en tiens trop, ou par' simple méprise.
encore à Stuttgart, qu'elle soit ma remplaçante... Par
votre éloignement de notre maison, vous semblez être C'est le prix, si tu n'as pas peur. d'un coutelas. »
séparée davantage encore de moi: et je ne puis me repré- Plus de toison dans les états suivants: visage lisse,
senter le chagrin que votre départ causera à ma sœur [...] nu, sans ~arbe. Le «sénile nourrison d'une tétine»
Chargez ma sœur de me communiquer aussitôt les nou-
velles que vous lui donnerez [...] Je me rappelle avoir tra-
naît avec la version dite «définitive », la quatrième.
versé Memmingen et avoir trouvé une belle et fertile Avare et glas étaient déjà là, les rimes n'ont pas été
région, toute parsemée en particulier dé houblonnières: dérangées. Une nécessité s'est lentement imposée,
sur les rives de l'Iller, vous trouverez à coup sOr de belles de pièce à pièce, dans la formation du poème,
promenades. Pour votre nourriture spirituelle, vous jusqu'au terme de ce qu'on serait tenté d'appeler
avez aussi tout ce qu'il vous faut: je me rappelle avoir été
dans un couvent de Franciscains: et je ne sais si je dois une gestation. On ne cédera pas à cette lecture
dire: « Je crains que la bonne semence répandue dans naturaliste et téléologique, mais on en retiendra
votre âme par le jeune pastorat protestant à Stuttgart l'hypothèse d'une nécessité dans la marche - le
ne coure là-bas le danger d'être étouffée» - ou bien: marché - des suremplois.
« Cette ivraie sera là-bas arrachée» [Mathieu, Marc, Luc].
Vous devez tout au moins vous procurer un rosaire et
vous préparer plus longuement à la confession, témoigner
aux saints par vos paroles et vos actes davantage de respect
et de vénération, etc.
votre ami sincère,
, Hgl. »

« Francfort-sur-le-Main, le 2 juillet 1797.


Très chère amiel Pour n'y attribuer qu'un instant, qu'un emploi,
La première fois que depuis longtemps je prends la plume le « pièce à pièce» du «métal cher» tombe goutte
en main pour écrire à quelqu'un, que ce soit pour me à goutte du « sac » de la « tétine avare » : (le)
libérer d'une dette qui me pèse plus que toute autre chose glas tinte à proximité de (la) tétine. (La) tétine
[...] Ce qui maintenant me pousse sans cesse à sortir de résonne et retentit. La possibilité d'ajouter l'arti-
Francfort, c'est le souvenir de ces jours vécus à la campa-
gne: et de même que là-bas je me réconciliais toujours cle entre parenthèses suppose cet intervalle et ce
avec moi-même et avec les hommes dans les bras de la passage (rythme de ventouse) entre les emplois
nature, de même ici je me réfugie souvent auprès de cette (entre, si l'on veut encore, l'emploi comme signi-
mère fidèle, afin de me séparer de nouveau auprès d'elle fiant, l'emploi comme signifié, l'emploi comme
des hommes avec lesquels je vis en paix, afin de me préser",
référent). Il s'agit d'accéder à la nécessité q'ui asso-
ver de leur influence sous son égide et m'empêcher de
conclure un pacte (Bund) avec eux [... ] Ce que fait ma sœur, cie dans le maximum d'emplois et de sur-emplois
ce que font les gens de Stuttgart, je n'en sais absolument le plus grand nombre de marques, comme par
rien [...] Depuis que vous ne m'incitez plus à la piété, c'en exemple la tétine qui retentit dans un glas. Quia
est bien fini: je ne fais que passer devant les églises: jamais entendu ça? Ce tintinnabulum-Ià?
d'après votre lettre, votre fréquentation de l'église de
Memmingen non seulement ne vous apporte aucune
consolation, mais encore est pour vous un sujet de tris-
tesse et vous donne occasion de déplorer la misérable
nourriture qui est offerte aux bipèdes croyants.»

« Le 17 juillet.
Voilà où j'en étais parvenu de ma lettre il y a quelque
temps, et j'eusse laissé reposer cette feuille quelque temps
encore, si je n'avais été brusquement tiré de ma paresse Le fait que chaque version travaille aussi sur une
par mon esprit tutélaire. Mon patron, saint Alexis lui- autre version -, et cela doit pouvoir aussi se dire
même, me parlant par' des symboles, m'a crié le jour de sa de la « première » - confère toujours un pli ou
fête : Réveille-toi, toi qui dors, relève-toi d'entre les
morts: c'est seulement dans l'amitié que se trouvent la un emploi supplémentaire à toute la scène, imprime
vie et la lumière 1 à tous ses mouvements référentiels une sorte de
Comme je me sens moi-même trop indigne de m'appr ocher torsion latérale. L.e poème est toujours aussi la
de ce saint, il pourrait facilement tenir pour une négli- «traduction» active d'un autre poème qui retentit
gence coupable ce manque de vénération et de dévotion,
en lui. Un peu comme si se reproduisait chaque
qui a précisément sa source dans ce sentiment de ma
bassesse, et me retirer sa faveur et sa grâce: mais la for- fois, à l' « intérieur» du «corpus» de Mallarmé,
tune m'a octroyé une médiatrice entre les saints et les entre Mallarmé et Mallarmé, l'opération des Cloches.

173
hommes, qui me représente auprès de lui et par l'inter- Les cloches (1872) « traduisent », transposent,
médiaire de laquelle il m'accorde sa faveur. répercutent plutôt The bel/s. Du poème de Poe
Je prendrai aVec tout le respect qui lui est dO le premier
elles reproduisent, certes, la grande organisation
des symboles chargés de signification (bedeutenden
Symbole), le faux-col béni, et aussi ce qu'il était chargé sémantique (cloches d'argent, cloches d'or, cloches
de me rappeler; je conserverai l'une et l'autre chose de bronze, cloches de fer) et le plus grand nombre
comme un trésor précieux, comme une relique (Re/iquie), possible de motifs thématiques, selon un calcul,
et je me garderai soigneusement de le profaner par l'usage. des pertes et des bénéfices, des redistributions
Quant au second symbole, plus beau, piUs humain, la
couronne de fleurs qui réunit les amis séparés, je veux en d'emploi que l'analyse, c'est-à-dire la décomposition
faire le compagnon de ma vie. Les fleurs sont, il est vrai, ou la réduction aux éléments, ne saurait épuiser:
desséchées et la vie s'en est retirée; mais qu'y a-t-il non seulement _. ici même - à cause de la richesse
donc de vivant dans le monde, lorsque l'esprit de l'homme ou de la subtilité des machinations, mais, au prin-
ne lui insuffle pas le souffle de vie;. qu'y-a-t-il de muet,
cipe, en raison de la transformation générative
sinon ce à quoi l'homme ne confère pas son langage. Cette
petite couronne me murmurera toujours à l'oreille : qui feint l'imitation et transpose le texte dans un
Quelque part vit une petite colombe (elle a les yeux noirs, autre système. La plus grande correspondance
mais c'est quand même une colombe) qui est ton amie; et n'est atteinte que dans l'élément le plus différent,
pour prouver que j'entends volontiers les paroles de la dans une toute autre organisation des ressources
petite couronne, j'enverrai de temps en temps une carte
de visite avec mon adresse, comme c'est maintenant la
(quantité, qualité, rythme).
mode dans le monde : on fait avancer sa voiture, on fait
venir l'eau à la bouche des gens, comme s'ils allaient
apprendre beaucoup de choses - après quoi on dépose
une carte.
Adieu 1Je vais me baigner dans le Main; les flots qui me
rafraîchiront, vous les avez peut-être vus couler à Obbach. Par exemple, il faut bien admettre que la mimesis
Votre ami se recharge et opère d'un texte à l'autre, de chaque
HgI. texte à son thème ou à sa référence sans que les
(toujours seulement magister sur l'adresse)>> mots ressemblent originellement aux èhoses et
sans qu'ils se ressemblent immédiatement entre
« Francfort-sur-le-Main, le 13 novembre 1797. eux. Cependant la ressemblance se reconstitue, se
Bien chère amie,
surimpose ou surimprime à travers et grâce à des
J'ai depuis longtemps sur mon pupitre un almanach 'qui
structures différentielles ou relationnelles. Le
vous était destiné et que je vous envoie enfin; j'espère contenu s'y exténue, parfois jusqu'à être tout
seulement que, du fait de mon retard, il n'aura pas perdu près de disparaître. De disparaître comme qualité,
le charme de la nouveauté. Mais on peut toujours, de comme quantité, mais plus rarement comme rythme
temps en temps, relire de nouveau cette histoire; d'ail-
(le propos serait, depuis La double séance, de repen-
leurs ce qui décide de la beauté d'une œuvre d'art, c'est
seulement le plaisir qu'on éprouve à la revoir à plusieurs ser la valeur de rythme et de l'introduire à réélabo-
reprises - le fait que l'on y revient volontiers. [...] Je ne rer le graphique de la mimesis. Dans Le problème
sais pas comment je tombe toujours dans des réflexions économique du masochisme, achoppant sur la logique
générales; mais vous pardonnez à un homme qui a été de la quantité et de la qualité, Freud cherche -
une fois magister et qui se promène avec ce titre, accom-
très vaguement hypothétique .- du côté du
pagné de ses accessoires, comme avec un ang!:l de Satan
qui le frappe à coups de poing [Corinthiens]. Vous devez rythme). Les rimes de Poe ne sont pas conservées,
vous rappeler encore notre manière d'être, du temps de bien sOr, mais à toutes les échelles, le plus possible,
Stuttgart; j'ai toute raison de supposer qu'un plus long les battements d'un rythme, quels qu'en soient le
commerce avec vous m'aurait davantage libéré et m'aurait support ou la surface matérielle. D'ailleurs le mot
rendu davantage capable d'un joyeux . divertissement
(eines (rohen Spie/s). » . « rime » (Runic rhyme) est lui-même régulière-
ment remplacé par le mot rythme (rythme runique,
rythme d'écriture ancienne, secrète, difficile).
« Francfort-sur-le-Main, le 25 mai 1798. Quelques échos exemplaires, les plus frappants
Chère Nanette, seulement - entre tant d'autres, subtils ou étouf-
... Ne me ménagez pas, déchirez-moi, dites-moi combien fés :
ma négligence est sans excuse. Vous ne ferez ainsi qu'exer-
cer la justice: imposez-moi pour pénitence d'entendre
des messes, de dévider des chapelets, aussi nombreux " How they tinkle, tinkle, tinkle,
que vous voudrez; j'ai tout mérité. Toutefois ne me faites ln the icy air of night 1

174
pas l'injustice de croire que je n'ai pas senti la valeur Comme elle tinte, tinte, tinte, dans le glacial air
de votre cadeau. Vous l'avez consacré au souvenir; c'est de nuit
le meilleur trésor qu'un homme puisse acquérir [...]
Pourquoi avez-vous, frivole enfant, ajouté un papillon
à un cadeau consacré au souvenir? Ne sentez-vous pas la
contradiction? (FUhlen Sie nicht den Widerspruch?) Un
[... ]
Keeping time, time, time,
papillon voltige de fleur en fleur, ne prend pas connais-
ln a sort of Runic rhyme,
sance de leur âme; il trouve sa jouissance dans le rapt
To the tintinnabulation that so musically wells
fugitif de quelque douce saveur; mais il n'a aucune intui-
From the bells, bells, bells, bells,
tion (Anschauung) de ce qui est impérissable. Chez une
Belis, bells, bells -
âme basse, le souvenir n'est que l'impression inanimée
From the jingling and the tinkling of the bells.
(seelenlose Eindruck) sur le cerveau, le ;cachet (Abdruck)
apposé sur une matière qui demeure toujours différente
de l'empreinte (Gepriige) qu'elle porte, ne fait jamais un
avec elle. allant, elle, d'accord (d'accord, d'accord) en une
J'apprends que votre Babette s'est mariée; ma sœur sorte de rythme runique, avec la « tintinnabulisa-
était sans doute présente à la noce, et cela a dO se passer tion »qui surgit si musicalement des cloches (des
joyeusement; là aussi, nous aurions sans doute dansé cloches, cloches, cloches, cloches, cloches, cloches);
avec ardeur, comme nous l'avons fait la nuit qui a précédé
du cliquetis e~ du tintement des cloches.
mon départ; j'ai ainsi continué depuis à tourner en
cercle (ich habe seitdem mich immer so im Kreise gedreht).
N'avez-vous pas eu des bals à Memmingen? J'aime beau- -- how it tells
coup les bals (/ch bin den Biillen sehr gut); c'est ce qu'il y a Of the rapture that impels
de plus gai à notre triste époque. [...] To the swinging and the ringing
J'envoie cette lettre à ma sœur pour qu'elle s'en charge, Of the bells, bells, bells-
ne sachant pas où vous êtes. »[...] Of the bells, bells, bells, bells,
Belis, bells, bells -
To the rhyming and the chiming of the bells!
Treize ans après - lena et la Phénoménologie dans l'inter-
valle - voici, pour Marie, (l'une des trois) la fiancée,
un poème en dix quatrains, le Phénix. Par exemple: ...
[ ]
« Marche avec moi sur les sommets qu'il dit le ravissement qui porte au branle et à la
Arrache-toi aux nuages sonnerie des cloches (cloches, cloches - des cloches,
Dressons-nous dans l'éther cloches, cloches, cloches), au rythme et au carillon
Au sein de la lumière sans couleur des cloches!
(In den Lichtes farbe/osem Schoss)

Ce que l'opinion (Meinung) versa dans le sens (Sinn), ...


[ ]
A moitié vérité, à moitié folie mêlées, ln a clam oro us appealing to the mercy of the fire
Les nuages dénués de vie (Ieblosen Nebel) sont dissipés,
Effacés par le souffle de vie, par le souffle d'amour'
dans une clameur d'appel à merci du feu,
Cette vallée, le néant resserré (des engen Nichts) d'ici-bas
Où la peine frivole se paie d'une autre peine,
Où le sens insensible est lié au désir' (an die Begier gebun-
den)
...
[ ]
By the side of the pale-faced moon.
Ton cœur ne J'a jamais habitée Oh, the bells, bells, bellsl
[ ...] What a tale their terror tells
of Despairl
Vois ici l'autel sur le sommet du mont How they clang, and clash, and roarl
Phénix y meurt dans la flamme What a horror they outpour
Pour en ressurgir éternellement jeune On the bosom of the palpitating airl
De ses seules cendres

aux côtés de la lune à la face pâle. Oh! les cloches


Vers lui-même son sens était tourné, (cloches, cloches), quelle histoire dit leur terreur
Il se l'était en propre épargné - ce Désespoir! Qu'elles frappent et choquent, et
(Hatte sich zu eigen es gespart)
Maintenant le point de sa présence doit à rien se réduire rugissent! Quelle horreur elles versent sur le sein
(Nun soli seines Daseins Punkt zerrinnen) de l'air palpitant! encore l'oUïe sait-elle, pleinement,
Et la douleur du sacrifice lui fut dure. par le tintouin et le vacarme, comment tourbil-

175
Mais sentant une immortelle tension lonne et s'épanche le danger: encore l'ouIe dit-
Quelque chose le pousse (treibt's) au-delà de lui- elle, distinctement, dans le vacarme et la querelle,
même: comment s'abat ou s'enfle le danger, à l'abattement
La nature terrestre a beau tressaillir,
Il l'accomplit dans les flammes. ou à l'enflure dans la colère des cloches, dans la
clameur et l'éclat des clochesl
Tombez ainsi, liens étriqués (enge Binden) qui nous sépa- •
rent,
Seul un sacrifice donne au cœur sa chaleur Yet the ear, it fully knows,
Pour que je m'étende à toi, que tu t'étendes à moi, By the twanging
Jetons au feu la singularité And the clanging,
How the danger ebbs and flows
...
[ ] Yet the ear distinctly tells
ln the jangling
L'esprit marche sur les libres sommets And the wrangling,
Il ne retient à lui rien qui lui soit propre How the danger sinks and swells,
(Er behêilt vom Eignen nichts zurück) By the sinking or the swelling in the anger of the bells -
Si je vis pour me voir en toi, toi pour en moi te voir Of the bells,-
Nous jouissons du bonheur céleste Of the bells, bells, bells, bells,
(50 geniessen wir der Himmel Glück) » Belis, bells, bells -
(13 avril 1811) ln the clamor and..the clangor of the bellsl

Hear the tolling of the bells-


Quatre jours après, encore un poème: Iron bellsl
« Toi mienne! ce cœur je peux le nommer - mien,
Dans ton regard (in Deinem Blick)
Reconnaître en lui le reflet (Wiederblick) de l'amour, Entendez le glas des cloches - cloches de fer! quel
o ivresse, ô bonheur suprême (0 hiichstes Glück)! monde de pensée solennelle comporte leur mono-
die! Dans le silence de la nuit que nous frémissons
[ ...] de l'effroi! à la mélancolique menace de. leur ton.
Mais toi, pauvre parole, pour exprimer l'extase Car chaque son qui flotte, hors la rouille en leur
De l'amour qui du dedans gorge - est un gémissement.
Un cœur vers l'autre pousse et presse,
Ta force est limitée.
What a world ofsolemn thougt their monody compels!
Je pourrais, rossignol, t'envier ln the silence of the night
Pour la puissance de ta gorge (Deiner Kehle Macht), How we shiver with affright
Mais la nature, jalousement, n'a rendu la parole éloquente At the melancoly menace of their tone 1
Que pour dire la douleurl For every sound that floats
From the rust within their throats
Mais si elle n'a pas donné à la bouche Is a groan.
De pouvoir, par le discours, exprimer And the people·- ah, the people -
La félicité de l'amour, They that dwell up in the steeple,
Elle a accordé aux amants Ali alone,
And who tolling, tolling, tolling,
Un signe plus intime de leur lien (Bund) ln that muffled monotone,
Le baiser est la langue plus profonde, Feel a glory in so rolling
En elle les âmes s'atteignent, On the human heart a stone -
Mon cœur se déverse dans le tien. » They are neither brute nor human -
They are Ghouls : _.

Le lendemain, une lettre à Niethammer


Et le peuple - le peuple - ceux qui demeurent
« ... j'apprends que si vous restez, vous pourrez agir pour haut dans le clocher, tout seuls, qui sonnant (son-
les universités plus efficacement que ce n'a été le cas nant, sonnant) dans cette monotonie voilée, sentent
jusqu'ici. Comme la chose est encore incertaine, ma lettre une gloire à ainsi rouler sur le cœur humain une
serait doublement superflue. Mais une seconde chose pierre - ils ne sont ni homme ni femme - ils ne
m'amène encore à l'écrire: le lien (Verbindung) qui m'unit
à une très aimable et bonne jeune fille. Mon bonheur sont ni brute ni humain - ils sont des Goules :
(Glück) est en partie lié_à la..condition de recevoir un poste et leur roi, ce l'est, qui sonne: et il roule (roule-
à l'Université. Depuis avant-hier j'ai la conviction que je roule), roule un Péan hors des cloches! et son sein
puis nommer mien ce cher cœur. Je sais qu'à cette occa- content .~e gonfle de ce Péan des cloches! et il danse,
sion vous souhaitez cordialement mon bonheur. Je lui et il danse, et il hurle: allant d'accord (d'accord,
ai dit d'ailleurs que j'écrirais d'abord à vous et à la meil-
leure des femmes. Elle s'appelle - Marie von Tucher.
d'accord) en une sorte de rythme runique, avec le
[...] Je me dispense de décrire le bonheur que je ressens: tressaut des cloches - (des cloches, cloches, cloches),
suppléez (supplieren sie) à ce tableau en faisant appel à avec le sanglot des cloches; allant d'accord (d'accord,
votre souvenir et à votre état présent. [...] Mais n'en d'accord) dans le glas (le glas, le glas) en un heureux
parlez encore à personne - à cause des conditions exté- rythme runique, avec le roulis des cloches - (des
rieures et à cause du père, on ne peut encore en parler
à haute voix -, tout au plus à Roth et à sa femme, qui cloches, cloches, cloches), avec la sonnerie des
doivent encore conserver cela secret... » cloches - (des cloches, cloches, cloches, cloches,
cloches, - cloches, cloches, cloches) - le geigne-
Niethammer attend une décision du roi le concernant, il ment et gémissement des cloches.
tarde à répondre, s'en excuse mais lui dit son désaccord
quant à la procédure: «Si j'ai bien compris votre lettre,
vous voulez retarder non seulement la conclusion de votre
And their king it is who tolls : -
mariage, mais même l'annonce publique de l'engagement
And he rolls, rolls, rolls,
que vous avez pris, jusqu'à ce que votre nomination à
Rolis
Erlangen soit chose faite. Je ne puis en aucune façon A prean from the bellsl
approuver cela. Votre nomination est, selon mes informa- And his merry bosom swells
tions, si peu douteuse, que je ne puis la mettre en doute With the prean of the bellsl
même pour le cas oD j'abandonnerais mon poste. [...] A And he dances, and he yells;
vous parler franchement, je considère cela comme une Keeping time, time, time,
timidité aussi malheureuse qu'injustifiée de votre part. ln sort of Runic rhyme,
En un temps oD les rois eux-mêmes ne sont plus tenus To the prean of the bells-
de produire leurs ancêtres pour avoir le droit d'épouser Of the bells : _.
des filles de rois, en un temps oD le mérite personnel et Keeping time, time, time,
le rang que l'on a soi-même acquis, sans ancêtres, anoblit ln a sort of Runic rhyme,
davantage que toutes les preuves de noblesse héréditaire, To the throbbing ofthe bells-
on ne doit pas craindre l'opinion publique pour une union Of the bells, bells, bells-
telle que la vôtre. [...] Ne permettez donc pas que des To the sobbing of the bells;
soucis aussi vains - pour ne pas dire une certaine vanité, Keeping time, time, time,
qui sied mal à un philosophe - vous retiennent de conclure As he knells, knells, knells,
votre mariage aussitôt que possible. Mais j'ai encore. ln a happy Runic rhyme,
une autre raison qui me fait un devoir de vous déconseiller To the rolling of the bells-·
ce retard. Il s'agit de l'autorisation de mariage, qu'en Of the bells, bells, bells :.-
votre qualité de fonctionnaire de l'Ëtat vous devez rece- To the tollings of the bells-,
voir directement de Sa Majesté le roi: vous l'obtiendrez Ofthe bells, bells, bells, bells,
beaucoup plus facilement en tant que directeur à Nurem- Belis, bells, bells -
berg qu'en qualité de professeur à Erlangen. La raison To the moaning and the groaning ofthe bells.
en est toute simple. Le point de vue principal qu'on
envisage lorsqu'il s'agit d'accorder une autorisation de
mariage, c'est la pension assurée à la veuve, selon la
pratique généralement en usage pour tous les serviteurs
de l'Ëtat, ce qui pose chaque fois la question du fonds
sur lequel ladite pension doit être prélevée. Or, cette
question est bien plus facile à résoudre pour les établisse-
ments ayant déjà un budget régulier que pour l'Univer-
sité d'Erlangen, qui ne dispose pas encore de fonds régu-
liers ... »

Hegel, comme toujours, tarde à répondre:

« C'est la surabondance des choses agréables contenues


dans votre lettre, très cher ami, qui pendant si longtemps Ce qu'on serait tenté d'isoler comme segment
ne m'a pas permis de placer un mot, et j'en suis encore si galactique (la lune, le tocsin, le sein galbé, soufflé
rempli que je puis à peine me décider à user du langage ou palpitant - deux fois - l'épanchement, etc.)
ordinaire d'une lettre. Non seulement le fait que vous
demeurez à votre poste, mais encore les circonstances ne constitue même pas une chaîne sémantique ou
nouvelles dans lesquelles cela se produit, votre venue thématique, apparente ou cachée; elle est emportée

177
espérée au repas de noces, ce repas de noces lui-même- dans l'indécision par le balancement ou le batte-
tout cela s'entremêle tellement, qu'il est difficile de saisir ment suspendu, l'oscillation du battant (le «vrai»
d'abord un fil de cette trame. Je vois, il est vrai, ma chère thème impossible du morceau) se remarquant ou se
Marie dévider maint peloton de fil et je l'aide à chercher
les bouts avec d'autant plus d'empressement que c'est répercutant dans le ni-ni des goules (entre homme
de choses semblables que dépendent la confection du et femme, entre homme et non-homme, langage
trousseau et l'accélération des préparatifs du mariage: et non-langage, etc.) Le sémantique est frappé
car, vous le savez, les femmes veulent avoir confectionné par le rythme de son autre, s'y expose, ouvert,
d'un bout à l'autre des choses importantes, et elles ne
offert dans son hiatus même.
sont pas d'accord quand on leur propose de le faire plus
tard. Mais je remarque qu'en suivant ces fils je suis arrivé
au cœur de la chose, et je continue donc en disant que,
de toute façon, les arrangements nécessaires ne pourront
être terminés avant l'automne. " s'agit donc maintenant
d'une seule chose: à savoir que le père - car le reste
de la famille est d'accord - donne l'autorisation pour que Cet autre, qu'on serait tenté d'isoler comme une
la chose se fasse en tous cas cet automne, même si je suis concaténation de signifiants, d'identités d'éléments
encore directeur de gymnase. les excellents motifs arbitraires, se réemploie sans cesse selon une mimé-
que vous m'avez suggérés ne sont pas restés sans usage. tique qui ne se rapporte pas à un son réel, à un
Je n'ai pu utiliser dans toute sa force une raison objective,
contenu plein mais bien, comme la transposition
à savoir la difficulté plus grande d'obtenir l'autorisation
royale étant à Erlangen: car vous savez que même les le fait apparaître, à des structures rythmiques
illuminés et même les menteurs ne peuvent persuader relationnelles sans aucun contenu invariant, aucun
les autres que s'ils sont persuadés eux-mêmes de la valeur élément ultime.
de leurs raisons. Or, je ne puis parvenir à Erlangen que si
l'Université est organisée: et si tel est le cas, on aura aussi
prévu un fonds, et du même coup un fonds pour les pen-
sions de veuves. D'ailleurs, vous connaissez nos Nurem-
bourgeois: lorsque toutes les raisons imaginables-
conseillent l'acquisition d'un cheval, leur premier soin Il Y a bien une apparence de noyau simple autour
est de dire que pour le moment on achète une touffe de
duquel tout paraît s'agglomérer: gr, cl, kl, tl, fi, et
crins de cheval. Mais comme le reste de l'animal est atta-
ché à cette touffe, il faut que peu à peu on fasse entrer pour s'en tenir au compte lexical, très insuffisant
celui-ci dans l'écurie. l'annonce de la chose s'est faite dans la lecture du rythme, on relève en effet
d'elle-·même: le père de Marie m'a présenté à son grand- tinKLe, oversprinKLe, jinGLing, turTLe, GLoats, star-
père. Celui qui a dit A épelle ensuite toutes les lettres TLed, CLamorous, CLang, CLash, janGLing, wranGLing,
de l'alphabet. Et ainsi nous nous comportons devant le
monde comme des fiancés. Par ailleurs vous savez que CLamor, CLangor, FLoats, GLory, CLoches, GLacial,
celui qui a fondé son affaire sur la bonté des femmes .- Cligner, CLicquetls, FL.otte, enFLe, CLameur, ~clat,
en particulier des femmes telles que celle-ci -- n'a pas GLas, GLoire, gonFLe, sanGLot, les deux lettres recom-
bâti sur le sable. [...] Nous nous sommes déjà si souvent posant leur attraction ailleurs, à distance, dans le
entretenus d'Erlangen que dans notre imagination notre
poème, selon des jeux nombreux et complexes.
union et Erlangen se sont en quelque sorte fondus en un
seul être, comme le mari et la femme. l'amélioration Cette apparence de noyau est d'ailleurs plus dénu-
de ma situation économiqùe est nécessaire, étant donné dée, mieux lue et remarquée par le relief des
l'insuffisance de mes moyens, car ma chère Marie, dont deux versions, celle de Poe et celle de Mallarmé.
le grand-père vit encore et dont le père a en dehors Ce qui ne veut pas dire qu'il y ait un noyau absolu
d'elle 7 enfants, ne peut recevoir, outre son trousseau,
qu'une somme annuelle de 100 florins ... »[...) et un centre dominant, le rythme ne se liant pas
votre ami sincère Hgl. » seulement aux mots ni surtout à la proximité du
contact entre deux lettres. Néanmoins, à ignorer Les
-+
Cloches, F6nagy reste sourd à l'effet L (consonne
De l'été qui suit, à la veille du mariage, on a encore deux
lettres à Marie.
+ L), non seulement dans les traductions où il
n'occurre pas mais même dans celle, l'allemande,
où il le fait : « Le principal objet de la traduc-
« Nuremberg,
tion en prose est de traduire, par un simple mou-
Chère Marie, vement de translation, le message de la langue
Je t'ai écrit en pensée durant presque toute la nuit. Ce
n'était pas à telle ou telle circonstance particulière de nos originale vers la langue visée, en substituant à la
relations que ma pensée s'attachait, mais il s'agissait forme a, empruntée à la langue de départ, une forme
nécessairement de cette pensée essentielle: nous ren- b empruntée à la langue d'arrivée. [ ...] C'est le
drons-nous donc malheureux (unglücklich)? Une voix contraire qui se passe, lorsque le traducteur s'atta-
criait du plus profond de mon âme: Cela ne peut pas, cela que à la poésie. Ici, il retient et transpose certains
ne doit pas être 1- Cela ne sera pas 1 (Dies Kann, dies soli traits de la forme a pour les reproduire dans la
und darf nicht sein! - Es wird nicht sein J)
Mais ce que je t'ai dit depuis longtemps se présente à mes mesure du possible à l'arrivée, dans la forme b.
yeux comme un résultat : le mariage est essentiellement Le tintement argentin des cloches dans l'air glacé
un lien (Band) religieux: l'amour a besoin pour être de la nuit, dans. le poème d'Edgar Allan Poe, se
complété de quelque chose de plus élevé que ce qu'if retrouve exprimé dans les traductions hOflgroise,
est seulement en lui-même et par lui-même. La satisfac- allemande et italienne du poème, par la prédomi-
tion complète ,- ce que l'on appelle « être heureux »
(glücklich sein) - n'est accomplie que grâce à la religion nance des sons i, et les enchainements des nasales :
et au sentiment du devoir, car en eux seulement sont ng, nk, nt, nd.
écartées toutes les particularités du moi-même (Selbst)
temporel, qui pourraient apporter du trouble dans la
réalité, laquelle reste quelque chose d'inachevé et ne How they tinkle, tinkle, tinkle
peut être prise pour la chose dernière, mais en qui ln the icy air of night
devrait résider ce qu'on appelle le bonheur terrestre.
J'ai devant moi le brouillon des lignes que j'ai jointes à ta Halld. mind, pendal, kondul, csendal. ..
lettre à ma sœur: le post-scriptum, auquel tu as certai- (Mihdly Babits)
nement attaché une trop grande importance, ne s'y Wie sir klingen, kllngen, klingen,
trouve pas, et c'est ainsi que je me suis rappelé avec Zwlnkernd sich zum Reigen schlingen ...
précision l'intention qui me l'avait dicté lorsque j'ai (Th. Etzel)
rempié ces lignes. N'en avions-nous pas parlé le soir Come tintinnano, tintinnano, tintinnano
précédent, n'avions-nous pas convenu d'appeler « satis- Di una cristallina delizia ...
faction» (Zufriedenheit) ce que nous étions certains d'at- (Frederico Olivero). »
teindre ensemble: et : «II y a une satisfaction bienheureuse
(selige) qui, considérée sans illusion, est plus que tout
ce qui s'appelle être heureux. »Lorsque j'ai écrit ces mots
que j'ai devant moi et dont le sens m'est si cher: «Tu
vois par là combien je puis être heureux avec elle pour
tout le reste de ma vie et quel bonheur m'apporte dès
maintenant l'acquisition d'un amour que je n'espérais
presque plus au monde? »-- j'ajoutais, comme si j'avais Si l'on voulait réduire encore le noyau apparent
accordé trop de place à ce sentiment de bonheur et à son de l'effet+ L (gr. cl, kl, tl, fi, pl, etc), on isolerait
expression, en comparaison avec ce dont nous avions donc L. Or c'est à propos de L qu'après une riche
parlé - j'ajoutais donc encore : « Dans la mesure oC! le analyse, (si riche qu'elle ne peut arrêter aucun
bonheur est conforme à la destination (Bestimmung) de
ma vie. » Je ne pense pas que cela aurait dO te faire résultat déterminé), F6nagy doit conclure, très
de la peine l ,.- Je te rappelle encore, chère Marie, ce que justement (mais que devient alors son projet?), à
t'a enseigné, à toi aussi, ton jugement le plus profond, l'impossibilité d'une détermination, donc d'une
la culture de ce qu'il y a de plus élevé en toi: à savoir, motivation, donc d'une sémantique univoque :
que dans les âmes qui ne sont pas superficielles, à tout
« Le caractère complexe de la consonne L nous
sentiment de bonheur s'attache aussi un sentiment de
mélancolie. Je te rappelle aussi ce que tu m'as promis: rappelle une vérité peu surprenante mais impor-
de guérir ce qui reste dans mon esprit d'incroyance en tante. Il n'y a pas de correspondance simple et
la satisfaction, c'est-à-dire de réconcilier mon véritable exclusive entre une pulsion et un son donné.» La
être intime avec la manière dont je me comporte - trop pulsion qui cherche à motiver trouve toujours à la
souvent '- avec la réalité: je te rappelle que ce point
de vue donne à ta destination un aspect plus élevé:
fois de quoi se nourrir et se frustrer. Son résultat
que je te crois assez: forte pour la remplir: que cette force la contredit nécessairement parce que la pulsion
doit résider dans notre amour. Ton amour pour moi, elle-même, d'elle-même, s'écarte en deux colon-
mon amour pour toi : ces expressions établissent une nes. On pourrait démontrer ce partage essentiel
distinction (Unterscheidung) qui a séparé en deux notre du motif dit cratyléen dans Les mots anglais qui se
amour: et l'amour est seulement notre amour, if est
seulement cette unité, seulement ce lien (Band). Détourne- soumettent nécessairement à ,la loi d'anthérection
toi de la réflexion relative à cette différence (Unterschied), et de dissémination. Exemples: «G (tout en n'étant
tenons-nous fermement à cet un (diesem Einen), qui pas la lettre qui commande le plus grand nombre
seul peut être ma force, ma nouvelle joie de vivre: de mots) a son importance. signifiant d'abord une
fais que tout repose sur cette confiance, et tout sera
véritablement bien.
aspiration simple, vers un point oD va l'esprit :
Ah! je pourrais encore écrire tant de choses: je pourrais que cette gutturale, toujours dure en tant que
aussi écrire à propos de la pédanterie (peut-être seulement première lettre, soit suivie d'une voyelle ou d'une

179
hypocondriaque) avec laquelle je me suis attaché opiniâ- consonne. Ajoutez que le désir, comme satisfait
trement à la différence - qui est de nouveau si inutile.-· par L, exprime avec ladite liquide, joie, lumière, etc,
entre la satisfaction et le bonheur (Glück); je pourrais et que de l'idée de glissement on passe aussi à celle
t'écrire que je me suis juré à moi-même que ton bonheur
(Glück) doit être la chose la plus précieuse que je possède.
d'un accroissement par la poussée végétale ou par
Il y a aussi beaucoup de choses qui disparaissent et tom- tout autre mode; avec R enfin, il y aurait comme
bent dans l'oubli simplement parce qu'on n'y a pas touché. saisie de l'objet désiré avec L, ou besoin de l'écraser
Encore une chose : je me suis longtemps demandé si je et le moudre. »
devais t'écrire, parce que tout ce que l'on écrit ou dit « L, [...] Cette lettre semblerait parfois impuis-
dépend seulement de l'explication qu'on en donne, ou
parce que je craignais cette explication, étant donné qu'elle sante à exprimer par elle-même autre chose qu'une
est si dangereuse lorsqu'on en est venu au point de appétition point suivie de résultat.;. »
devoir expliquer une chose; mais j'ai aussi surmonté
cette crainte, et j'espère tout de la façon dont ton cœur
recevra cet écrit.
Adieu et sois heureuse jusqu'à notre prochaine rencontre
sans nuages, chère Marie; il y a une seule chose que je
voudrais encore pouvoir te dire, c'est tout ce qui pour
moi et pour mon existence réside dans ces mots : chère
Marie. A observer seulement le principe et la logique (non
Ton Wilhelm. »
les approximations empiriques à l'intérieur d'une
langue déterminée, l'anglais) on constaterait au
moins ceci que L satisfaisant ici le désir, donnant à
« Nuremberg,
en saisir l'objet, marque - comme G·- d'abord une
... Je t'ai fait souffrir avec certaines choses que je t'ai aspiration, ou une appétition, un désir insatisfait.
dites. J'en suis peiné . Je t'ai fait souffrir parce que, étant
obligé de répudier certaines opinions morales, j'ai paru L'objet - du désir: un désir d'objet - insatisfait.
les répudier comme étant à la base de ta façon de parler La problématique des Bases pulsionnelles de la pho-
et d'agir. Je ne te dis maintenant à ce sujet que ceci : nation omet surtout un relai essentiel : l'effet
d'une part, je répudie ces opinions dans la mesure où de nom propre. Si F6nagy a raison de ne pas précj.·
elles abolissent la différence entre ce qui plaît au cœur piter la réponse (alors même qu'il cite Mallarmé,
et le devoir, ou bien plutôt éliminent entièrement ce
dernier et détruisent la moralité (Moralitat).. Mais d'autre « Avec le doigt fané presseras-tu le sein/Par qui
part - et ceci est entre nous la chose principale - je~e coule en blancheur sibylline la femme... », en
prie de croire que ces opinions, dans la mesure où ellès pleine analyse du M, du L, avec référence au lait,
ont cette conséquence, je ne les attribue pas à toi, à toi- « archétype de tout liquide qui servira de nourri-
même; je pense qu'elles existent seulement dans ta
réflexion (Reflexion), que tu ne les vois et ne les conçois
ture » et qui «figure probablement comme lien
pas dans leur conséquence, qu'elles te servent à en secret qui associe le son L au terme de « liquide »,
excuser d'autres (<< justifier » (rechtfertigen) est autre à la couleur blanche et à la sensation d'un liquide
chose _. car ce que l'on peut excuser chez les autres, qui coule doucement en poésie» puis au « mama »,
on ne le considère pas de ce fait comme permis pour etc., aucune relation n'est proposée avec le nom
soi-même; mais ce que l'on peut justifier, cela est juste
pour tous, y compris pour nous). de Mallarmé. Ni avec le nom de Poe, à la même
En ce qui me concerne et en ce qui concerne ma façon page: « ... tétée factice qui déclenche des MOE ou
d'expliquer les choses, n'oublie pas que, lorsque je POE, associés à la nourriture et à la mère. MOE et
condamne des maximes (Maximen) , je perds trop facile- POE seraient « synonymes » à ce stade du déve-
ment de vue la manière dont elles existent réellement loppement ».), il paraît manquer une articulation
chez un individu déterminé - toi, en l'espèce _. et
qu'elles m'apparaissent trop sérieusement dans leur structurelle décisive à ne pas même anticiper le
conséquence, dans leurs suites et leurs applications éten- lieu théorique de la question
dues, auxquelles tu ne penses pas - et dont tu penses
moins encore qu'elles y soient contenues pour toi.
En même temps tu sais toi-même que, même lorsque le qui n'appartient ni à
caractère et les maximes du jugement diffèrent l'un et l'une ni à l'autre, les faisant adhérer quelque part
l'autre, il n'est pas indifférent (gleichgültig) de savoir
quelles maximes servent de base au jugement; mais je l'une à l'autre; les ouvrant du même coup, les
sais tout aussi bien que les maximes, lorsqu'elles sont en
contradiction avec le caractère, sont encore plus indiffé- mettant en travail malS comme une sorte de
rentes chez une femme que chez un homme.
En dernier lieu, tu sais qu'il y a des maris méchants qui ventouse générale.
180
tourmentent leur femme uniquement afin d'être constam- La ventouse c'est
ment assurés de sa patience et de son amour. Je ne crois le tube est (bande) à la fois la Vierge
pas être aussi méchant: mais si l'on ne doit jamais faire l'adoration. L'ado- et le Christ, la vaseline est (bande)
de la peine à un être aussi aimable que toi, je pourrais celui-ci sortant de celle-là comme
presque ne pas être affiitré de t'avoir fait de la peine, ration est toujours de une verge ou comme du sperme, sa
cal"je sens que par la connaissance plus profonde que j'ai
ainsi prise de ton être, l'intimité et la profondeur de mon la Sainte Vierge, de mère crachée. Il se crache de dans
amour pour toi ont encore été accrues: console-toi sa mère, du moins en a-t-il l'air.
donc en songeant que si dans mes réponses il a pu se
la mère galiléenne Ils sont (bandent) tous deux adorés
trouver des choses désagréables et dépourvues de dou- dans laquelle on se et exposés. Les soldats romains
ceur, tout cela disparait du fait que je sens et reconnais
sont là (bandent) en légion, telle
toujours plus profondément combien tu es aimante et conçoit sans père et une phalange cuirassée et compacte,
digne d'être aimée.
Je dois aller faire mon cours (/ch muss indieLektion). Adieu, qu'on, désire aussi « beaux, forts, solides ». « Sur cette
chère, très chère, ravissante Marie. table c'était le pavillon qui disait aux
Ton Wilhelrn. » proche que possible
légions invisibles mon triomphe sur
de la putain espa- les policiers. J'étais en cellule. Je savais
Après le mariage, à Niethammer auquel il avait confié que toute la nuit mon tube de vaseline
qu'il aimait aussi Marie à cause de la ressemblance qu'elle gnole. La Sainte
serait exposé au mépris - l'inverse
avait avec « la meilleure des femmes » (celle de Nie- Vierge est comprise
thammer), il écrit : d'une Adoration Perpétuelle - d'un
« ... J'ai ainsi atteint - en ne comptant pas quelques - comprimée, em- groupe de policiers beaux, forts, soli-
modifications encore souhaitables - mon but terrestre, des. Si forts que le plus faible en ser-
car avec une fonction et une chère femme on a tout ce
prisonnée, serrée, rant à peine l'un contre l'autre les
qu'il faut dans ce monde. Ce sont les articles principaux bandée - dans le doigts pourrait en faire surgir, avec
(Hauptartikel) de ce qu'on doit s'efforcer d'acquérir d'abord un léger pet, bref et sale, un
pour son individu. Le reste (Das Uebrige) constitue non tube de vaseline, lacet de gomme qui continuerait à
plus proprement des chapitres (eignen Kapitel) , mais des
paragraphes ou des remarques (Anmerkungen). Je n'ai à qu'elle exprime ou sortir dans un silence ridicule. Cepen-
vrai dire rien de plus à écrire sur les semain~s quise sont dant j'étais sOr que ce chétif objet si
écoulées depuis mon mariage. [...] qui l'exprime aUSS1 humble leur tiendrait tête, par sa
J'ai appris [...] que vous aviez pourtant un peu plus d'espoir bien. seule présence il saurait mettre dans
de faire progresser l'Université d'Erlangen cet automne
qu'à l'époque où Roth est parti, et que vous ne pensie7: tous ses états la police du monde, il
plus devoir envoyer Ludwig ailleurs, à Heidelberg. attirerait sur soi les mépris, les haines,
Mais Heidelberg me fait penser à Fries et à sa Logique.
Le mouvement les rages blanches et muettes ... »
La librairie Stein n'avait pas connaissance d'un exemplaire de pendule qui en- Pour la lecture de ces pages du point
commandé pour vous, mais elle a fait alors savoir qu'elle de vue de la psychanalyse existentielle,
en recevrait un dans trois semaines: depuis j'en ai reçu traîne tous ces « ob- voir ce que le Saint-Genet dit de telle
un d'une autre librairie. Le sentiment que j'éprouve
est celui de la tristesse. Je ne sais si, depuis que je suis jets », eux-mêmes « " constellation" d'images» et du
marié, je suis devenu plus sensible: j'éprouve de la tris- clivés, d'une valeur passage d'un «thème» à un autre
te~se à voir qu'un homme aussi superficiel parvienne,
au nom de la philosophie, à la place honorable qu'il à la valeur opposée, c'est aussi un mouvement
occupe dans le monde et qu'il puisse adopter un tel ton,
comme si ses élucubrations avaient une importance de langue, de bouche, de glotte. L'adoration est
quelconque. On peut en de pareilles occasions s'irriter
qu'il n'existe pas, pour des choses de ce genre, une voix d'abord l'effet d'une inversion de sens. Démons-
publique honnête, car il ya des sphères et des gens (qui
elle serait très utile. Je connais Fries depuis longtemps :
tration :
je sais qu'il a dépassé la philosophie kantienne en l'inter-
prétant de la manière la plus superficielle et en ne cessant
de la délayer et de l'affadir. Les paragraphes de sa Logique
et les explications sont imprimés en deux ouvrages séparés.
La première partie - les paragraphes - est dépourvue
d'esprit, tout à fait plate, misérable, triviale, sans le
1. agglutinez : « ( ... Mais je l'adorerais cette
moindre soupçon de liaison scientifique entre les parties: voleuse qui est ma mère). » Paragraphe suivant :
les explications sont tout à fait plates, dépourvues d'esprit,
misérables, triviales: c'est le plus salopé et le plus incohé- « Je savais que toute la nuit mon tube de vase-
rent des bavardages que, du haut de la chaire, puisse éjaculer
une cervelle plate à l'heure de la digestion (das saloppste line serait exposé au mépris - l'inverse d'une
181
erléiuternde unzusammenhéingendste Kathedergewéische, das Adoration Perpétuelle - d'un groupe de policiers
nur ein Plattkopf in der Verdauunsgstunde von skh geben
kann). Je ne veux rien dire de plus sur ses misérables beaux, forts, solides. »
pensées. La découverte' principale à cause de laquelle il a
rédigé son Système, c'est que la logique repose sur des
fondements anthropologiques, qu'elle en est entièrement ,~

dépendante, que Kant, comme Aristote, a été encore


profondément plongé dans le préjugé de son autonomie,
mais qu'il avait raison de penser qu'elle ne reposait pas
2. glissez sur les barres, elles sont de moi,
sur la psychologie empirique, car avec des expériences sautez de l'une à l'autre: « Le tube de vaseline,
on ne peut rien démontrer. Mais elle repose, selon lui,
sur des fondements anthropologiques, et entre la démons- / dont la destination vous est assez connue, aura
tration et la déduction il y a une différence. On peut
déduire la logique, et cela précisément à partir de pré- fait surgir le visage de celle qui durant une rêverie
suppositions anthropologiques reposant sur l'expérience.
Tel est le verbiage dégoisé par cet individu à propos de se poursuivant le long des ruelles noires de la
ses concepts fondamentaux. Sa logique pure générale ville, / fut la mère la plus chérie. »
commence ainsi (dans le Système) : « Le premier moyen
dont se sert l'intelligence qui pense, ce sont les concepts»
- comme si la manducation et la déglutition des aliments
étaient un simple moyen dans l'action de manger, et
comme si l'intelligence avait beaucoup d'autres choses à
faire que de penser. Tel est la plate saloperie (Sa/opperie)
que cet individu continue à débiter - je crois, pendant On assiste à une sorte d'entubage rhétorique
deux paragraphes - sans la moindre précision même
sur des choses connues de tout le monde, comme les (métaphoro-métonymique etc., si vous pressez le
définitions de l'imagination, de la mémoire, etc. - j'ai
entendu dire que ses cours sont peu fréquentés, parce bourreau) : le tube de vaseline de Sainte Marie,
Qu'au moment où l'on entend un mot sorti de sa bouche,
il en a déjà expectoré (herausgesprudelt) une douzaine glotte, clitoris ou Christ exposé (1'oint du Sei-
d'autres. Je le crois volontiers, car sa platitude d'esprit gneur) doit être fêté par la langue (< Je voudrais
le pousse à déverser sur chaque mot douze autres mots,
afin de noyer lui-même le sentiment de la misère de ses retrouver les mots les plus neufs de la langue
pensées et d'y noyer également ses auditeurs, de telle
sorte qu'ils ne peuvent remarquer et retenir aucun des·. française pour le [tube ou le lacet de gomme]
mots qu'il prononce. Il a été dit qu'en haut lieu on a parlé
de nommer ledit Fries à Erlangen, afin de faire fabriquer chanter »). Il doit être adoré,
par lui les manuels d'enseignement. je pourrais, il est
vrai, m'en féliciter en fin de compte, car de cette façon
comme la sainte mère, et baisé, cent pages plus
un trou à boucher pourrait peut-être s'ouvrir pour moi aimé « par n'importe quel geste et loin : « J'y ren-
à Heidelberg: toutefois, il serait curieux de voir une contrai des crimi-
université dans laquelle, à cÔté de Fries, l'ami Helier sera même par les plus décriés ». Comme nels, violents et
appelé à enseigner la philologie et l'esthétique, Graser
(comme on l'a assuré) la pédagogie philosophique, notre la vierge Marie et avant elle, déjà, sombres, jurant
secrétaire Kiefhaber la diplomatique, monsieur von dans une langue
Aretin, ex.. bibliothécaire, les humanités et Hari les
derrière elle, l'Immaculée Con- sauvage, où les in-
sciences économiques et politiques.
j'espère pouvoir faire parattre à· Pâques mon travail sur
ception. jures sont les plus
belles du monde.
la Logique: plus tard suivra ma Psychologie. On ne se
tromperait sans doute pas en s'attendant à voir paraître
« - Je baise la
encore plusieurs remaniements de la Logique, avant qu'en mère de Dieu dans
haut lieu on accorde la sanction officielle et on introduise le cul!
dans l'enseignement la vieille défroque logique déjà Le chant qui monte vers le «_ Je baise le
usée et râpée jusqu'à la corde, mais finalement réduite
par Fries à l'état d'un vieux torchon détrempé. Aucun tube sort de la gorge. Tout ce qui mur! »
professeur de gymnase ou d'enseignement pratique dans est beau « provoque, et dans notre «Sanglot esthé-
le royaume de Bavière ne peut être assez misérable
pour s'en tenir à cette platitude insipide. - Pour cet gorge fait découvrir, le chant ». tique» encore
automne, mes travaux en vue de mes cours auront pris
une forme plus accessible, plus à la portée de mon audi- Tout ce qui « nous fait chanter »
toire et plus adaptée au ton qui convient à un manuel
général et à l'enseignement des gymnases: car je me sens ou « sangloter », fût-ce une « veilleuse funéraire »
18~
chaque année plus disposé à-me mettre:à la portée des ou la trahison, a rapport à la beauté, et toute
gens, surtout cette année, depuis que']e suis marié.
En même temps, il apparaît chaque année davantage beauté provoque un mouvement au fond de la
que l'enseignement philosophique tenait déjà presque
un peu trop de place au gymnase; le fait que maintenant gorge. La langue (française) doit donc chanter,
unè heure en soit distraite au profit de l'enseignement
religieux y remédie un peu. Cependant cette chose, si fêter le petit tube de vaseline.
bonne en elle-même, tient encore presque un peu plus
de place qu'il ne serait nécessaire. - Je sais, il est vrai,
en même temps que, d'après les instructions venues d'en
haut, l'enseignement doit consister en partie ou même
surtout en exercices pratiques; mais comment peut-on
s'exercer pratiquement à la pensée spéculative? c'est ce
que je ne vois pas clairement. Il est déjà extrêmement
difficile d'exercer pratiquement la pensée abstraitej
et ensuite la pensée empirique, à cause de sa variété, La fête aurait-elle lieu à la Noël. Etrange
est celle qui disperse le plus l'attention. Il en est de cela
comme d'apprendre à lire: on ne peut pas commencer associ~tion. ~lle court invisible sous la page.
à lire d'un coup des mots entiers, comme l'ont voulu des
pédagogues trop ingénieux, mais on doit commencer
La langue française et le narrateur donnent quel-
avec ce qui est abstrait, avec les éléments qui composent ques coups de gl «< éclat », « verglas », « cala-
le mot. C'est ainsi que dans la pensée, dans la logique,
c'est précisément ce qui est I.e plus abstrait qui est le mité », « gel », « gloire » etc.). S'agit, aussitôt
plus facile, car l'abstrait est tout à fait simple, pur et sans
mélange. C'est seulement ensuite et peu à peu que après l'hymne au tube funéraire, le gland préféré,
l'on peut passer à des exercices mentaux sur des objets
sensibles ou concrets, lorsque ces sons articulés simples
celui du manchot dont on enduira les coups
auront été bien saisis dans leurs différences. - A ce pro- d'onguents et de chrèmes quasi testamentaires.
pos, il me vient à l'esprit que j'ai lu il y a quelques jours
une troisième et excellente partie d'un plan d'études
pour les écoles publiques, laquelle est la troisième par
rapport aux précédentes, de même que Jésus .. Christ
est apparu aux acheteurs et aux vendeurs dans le Temple,
comme le troisième homme qu'on n'attendait pas.
Présentement : « Maintenant que j'écris je
Aussi excellentes sont les explications, que je qualifie songe à mes amants. Je les voudrais enduits de
de vraiment classiques. Dieu soit loué de ce que la simple
raison humaine et la sérieuse volonté d'apprendre vrai .. ma vaseline, de cette douce matière, un peu
ment quelque chose puissent enfin se faire jour. -
Monsieur von Zentner est de retour, ainsi que je le vois menthée; je voudrais que baignant leurs muscles
par les journaux. On peut donc bientÔt s'attendre à ce dans cette délicate transparence sans quoi leurs
que la décision relative à Erlangen soit de nouveau remise
à plus tard ... plus chers attributs sont moins beaux.
Votre Hgl. »
« Quand un membre est enlevé, m'apprend-
un rÔle quasi transcendantal et laissant se former au-dessus on, celui qui reste devient plus fort. Dans le
de lui, comme une sorte d'effluve, un rêve d'apaisement? sexe de Stilitano, j'espérais que la vigueur de
N'est-ce pas toujours un élément exclu du système qui
assure l'espace de possibilité du système? Le transcen- son bras coupé s'était ramassée. [...] Pour mieux
dantal a toujours été, strictement, un transcatégorial, ce parler de Stilitano, le manchot, j'attendrai quel-
qui ne pouvait être reçu, formé, terminé dans aucune des ques pages. Que l'on sache d'abord qu'il n'était
catégories intérieures au système. Le vomi du système.
Et si la sœur, la relation frère/sœur représentait ici la orné d'aucune vertu chrétienne. Tout son éclat,
position, l'ex-position transcendantale? sa puissance, avaient leur source entre ses jambes.
Dans la figure de la sœur, la féminité a le plus haut Sa verge, et ce qui la complète, tout l'appareil
pressentiment de l'essence éthique mais ne parvient pas à
la conscience : la loi de la famille reste inconsciente, était si beau que je ne le puis nommer qu'organe
enfermée, dans la ténèbre inférieure, avec la puissance générateur. Il était mort, c~oyiez-vous... »
divine. La sœur va plus loin ou plus haut que la fille. En Périodiquement, parodiquement, la préci~use
tant que fille, elle perd ses parents avec une quiétude
éthique et une émotion naturelle. Comme tout enfant, inversion de l'objet dans un style anonyme, ana-
elle atteint son être-pour-soi en perdant ses parents. Dès chronique.
lors elle n'a plus besoin de ses parents. Mortels ou morts, Or sans transition apparente, suivant une éla-
ils ne la provoquent qu'à une relation positive naturelle,
seulement naturelle. Ce qui n'est plus le cas du frère. Avec boration invisible et nocturne, d'une brève sac-
le frère (ne parlons pas de la sœur, il n'en a pas été ques- cade, on vous fait passer de la braguette peu
tion : Hegel suppose qu'elle n'aurait pas de rapport chrétienne de Stilitano à la passion de Salvador
sexuel avec sa sœur; avec le frère non plus, mais là, le
non-désir n'est pas le sans-désir d'un rapport non sexuel, (le Sauveur) qui « prenait soin de moi ». Cette
c'est un désir suspendu dans la différence sexuelle), la passion loge dans la misère humiliée. Le mot
sœur engage un rapport positif, mais non naturel, de et les signes de « misère » sont accumulés en
reconnaissance. Elle dépend de lui en son pour-soi.
deux pages. Mais « la misère nous érigeait »,
La sœur va plus loin ou plus haut que la mère et que
la femme. Celles-ci, en tant que telles, sont encore enli- tout comme le malade « bande » quand il a la
sées dans la nature par le « plaisir » qu'elles prennent. gale ou la lèpre et« se gratte ». La scène est envahie
La sœur, en tant que sœur, n'en prend pas. Puis leur sin-
gularité est négative: elle se remplace. La valeur de remp/aça-
par les poux. Non pas envahie de l'extérieur mais
bi/ilé opère de façon discrète et décisive dans cette analyse occupée comme un Heu familier, sinon naturel
jugée déroutante par plus d'un commentateur. Le rem- « les poux nos familiers.
plaçable ou le remplaçant (Ersatz) semble d'abord s'op- le topos du pou n'est pas seulement la toison, lieu
poser au singulier. Il implique donc une certaine univer- de la limite montrée/dissimulée entre la présence
salisation amorcée par la répétition de l'Ersetzen. La et l'absence de pénis ou de trou, (la vérité est un
femme et la mère sont, d'un côté, enracinées dans la co~cept de pou). C'est aussi, pour les mêmes rai-
singularité, mais d'un autre côté le singulier qui les sons, le cou. Une scène du journal, écrite à la gloire
occupe revêt une certaine contingence et «, peut être du cul de Stilitano (de son « postérieur solennel »
remplacé » (ersetzt werden kann). Si le désir et le plaisir qui était un « Reposoir ») suit la course d'un pou
sont, pour la femme ou pour la mère, singuliers, il reste sur le col, près du cou de Stilitano. Le pou y trouve
son «domaine ._- son espace plutôt ». C,ette fois
que, dans le foyer éthique, dans la « maison de l'éthicité »
le pou est unique mais son nom se perd et se
(im Hause der Sitt/ichkeit), cette singularité s'offre à la retrouve, se chasse à la surface du texte, emprun-
substitution. Sans quoi il y a peut-être famille mais non tant tous les objets et habitant beaucoup de mots à
famille éthique. Celle-ci veut que la femme n'ait plus la fois. Tout cela est observé, narré dans le style
affaire à ce mari-ci, à cet enfant-ci mais à « un mari ou annale, depuis le « derrière» de Stilitano au cours
à des enfants en général (ein Mann, Kinder überhaupt) ». d'une partie de poker (<< poker ... s'apporta .. .
A leur disparition, elle peut les remplacer. Cette possibilité posa ... postérieur ... croupe ... postérieur .. .
assure la structure éthique de son rapport aux autres Reposoir ... poker ... col ... pou ... col ... pou ... col .. .
membres, son accès à l'idéalité, à la conceptualité, etc. La Cologne .. , cou ... coupés ... pou ... col ... col ... cou ... »)
femme épouse toujours un peu un concept (l'homme), Le texte est bien une toison. Notez que (pas plus,
elle conçoit toujours un peu des concepts (les enfants). par exemple, que le mot coup) le mot cul n'a pas
En général. « Ce n'est pas sur la sensibilité mais sur l'uni- été écrit. Son trou est seulement cerné - comme
un pou·- entre col et cou. Miracle de la rose, Poème:
versel que se fondent ces relations de la femme. » Ce trait
«A la gloire du prévôt: [ ...] De ses fesses rondes
est déterminé, dans ce contexte, comme une infériorité. La et peu mobiles, entre eux et sournois, quand ils
sœur, elle, se tient dans la singularité, mais dans une le voient marcher devant, les punis disent: « ça
singularité singulière : purement universelle d'un seul cause. »
coup, sans se couper du lien naturel de consanguinité. « Enfin, ce dernier coup, ce coup de coup de grâce,
Donc la femme (mère-épouse) se pose dans l'ouver- son cou. »
ture d'un Ersatz. Mais l'homme (père-mari) aussi. Où Les poux nous habi-
est la différence? Qu'y a-t-il de spécifique dans la « concep-
tualité » féminine? taient ». Les poux n'habitent pas une maison
Son immédiateté. Cela s'entend politiquement. Etran- mais un corps et dans le corps, la toison, le lieu
gère à la cité en tant que telle, la femme garde un rapport de l'anthérection. Ils sont recherchés, la nuit, à la
immédiat à l'universel. .Elle reste engluée dans le natùrel,
dans la sensibilité. L'homme au contraire dissocie et bougie, dans les coutures du pantal0t?- de Salvador.
médiatise en tant que membre de la cité, en tant qu'acteur Le minuscule animal est encore recoupé par la
politique. Il possède ainsi la « force de l'universel cons- logique de l'anthérection: prospérité/misère, honte
ciente de soi ». En tant que force politique il médiatise
et négocie son droit au désir. A un désir qu'il ne perd pas / gloire, sauvage/apprivoisé, impropre/propre :
alors que la femme peut le perdre dans l'universalité « Nous aimions savoir - et sentir - pulluler les
immédiate: elle peut rêver n'importe qui à la place de bêtes translucides qui, sans être apprivoisées,
n'importe qui. En négociant et médiatisant son droit
au désir, l'homme garde sa liberté, sa maîtrise, son pou- étaient si bien à nous que le pou d'un autre que
voir de substitution. La substitution a ici un autre sens, de nous deux nous dégoûtait. [...] Les poux
elle n'est pas immédiate et indifférenciée. L'homme peut étaient le seul signe de prospérité, de l'envers
prendre, laisser, reprendre. L'homme « achète (erkaujt :
s'achète) ainsi le droit du désir (Recht der Begierde) et même de la prospérité, mais il était logique qu'en
préserve ainsi sa liberté par rapport à ce désir. » Telle est faisant à notre état opérer un rétablissement qui
la dissymétrie: l'instance politico-sexuelle prive la femme le justifiât, nous justifiions du même coup le
du droit au désir comme de sa liberté quant au désir. Si
elle a un désir, elle n'y a pas droit. L'homme qui sort signe de cet état [...} les poux étaient précieux.
de la maison et va dans la « bourgeoisie » (Bürgerlichkeit) , Nous en avions à la fo:s honte et gloire... »
dans la société civile, a le droit de désirer mais aussi
la liberté de dominer ce désir. Dire qu'il achète n'est
pas dire le prix que ça coûte, ce que cache la médiatisa.,.
tion politique en fait de dépense, ou d'investissement
improductif. Un désir dont on achète le droit, dont on
peut se préserver, dont on peut s'assurer la maîtrise et
la liberté, est-ce un désir? Est-ce si bon? Qui gagne Dans la dèche, dans la crèche illuminée par
au marché en question? Et qui fait marcher le marché? l'entrebâillement d'une braguette, on couche avec
On peut toujours renvoyer à la sœur celui qui pose
la question transcendantale des ques-
le sauveur, c'est-à-dire avec une sorte de men-
une des rares lettres tions de possibilité de votre propre diant (comme la voleuse espagnole) mais aussi,
de Christiane Hegel
à son frère: elle est discours. du même coup de gland retourné, avec la Vierge·
datée de Stuttgart, le La grande logique est là pour sus-
15 janvier 1799 : « La pendre le choix et vous empêcher de Marie qui érige en ce qui sort d'elle, tout imma-
nuit dernière, peu culément conçu comme elle, par elle qui fut
avant minuit, notre trancher entre la sœur transcendantale
père est mort très et la sœur empirique. Loin de barrer le conçue sans péché, avant tout péché, déjà.
doucement. Je ne procès, le .tapport frère/sœur est encore
puis t'en écrire davan-
tage. un moment à passer. A faire passer la
Ta Christiane. » famille hors d'elle-même. Il marque une
fois de plus la transition réconciliatrice,
le passage de la loi divine et de la loi humaine l'une dans
l'autre. C'est du moins ce que veut-dire la Phénoménologie de
l'esprit. Mais d'où tenir que, pour une sœur, le frère est Voici le passage, du manchot, au sauveur qui
irremplaçable? Plus irremplaçable qu'un mari, un :fils, une revient comme son phallus à la mère : « Il était
:6lle, un père ou une mère? Quelle est la valeur axiomatique
de cette assertion? Empiriquement, elle paraît fausse. On
mort, croyiez-vous, car il s'émouvait rarement, et
peut toujours avoir un autre frère. De plus, Hegel ne tient lentement: il veillait.
l'étrange occurrence du mot « élabo-
pas ici le discours de l'empiricité, ses propositions sont struc- Il élaborait dans la rait ». Usage fréquent et insolite.
turelles, elles énoncent la légalité d'une figure typique. Où
a-toi! donc pris qu'un frère ne peut être remplacé? de la nuit d'une braguette Travail de la vérité, travail de la con-
ception. Ici ce qui s'élabore est une
bouche d'Antigone, bien sûr. Elle n'est pas nommée bien boutonnée, en- « luminosité ». Plus bas, ce sera l'en-·
mais elle dicte les énoncés. Or que dit-elle, l'Antigone de core qu'elle le fût fant. Ici ce qui s'élabore est destiné
Sophocle? se montrer et à briller comme la
Elle rappelle qu'elle sort de la vie « la dernière de par une seule main, àbeauté (<< luminosité dont resplendira
toutes » après avoir « lavé, paré ». tous les corps de la cette luminosité dont son porteur »). Plus bas, ce qui va
famille, après leur avoir offert les « libations funéraires », resplendira son por- sortir du ventre après y avoir été
« pris soin du cadavre » de Polynice. Elle se plaint d~être élaboré, ne se montrera que comme
mal payée mais se félicite d'avoir eu raison en rendant teur. un «monstre », mais également pour
« Mes amours être érigé (<< d'aimer ce monstre, d'ai··
ces honneurs funèbres, d'avoir eu raison auprès de tous
mer la laideur sortie de son ventre où
ceux qui ont la raison, de tous les gens sensés. Si elle avec Salvador durè- elle s'était élaborée, et de l'ériger
avait eu des enfants ou si c'était le cadavre de son mari
qui fût en train de pourrir, elle aurait obéi à la loi de la rent six mois [...] dévotieusement »). Dans les deux
occurrences - dans d'autres encore
cité. Elle aurait pu avoir d'autres enfants d'un autre mari. Les poux nous habi- -_. l'élaboration a lieu sous une sur-
« Mais mon père et ma mère une fois dans l'Hadès, nul taient. [...] Il était ace, une étoile, une peau fermée. La
autre frère ne fût jamais né. » umière et la vie, la montre - ou le
Le frère est donc irremplaçable - non la mère, seul bien que je fusse réveil-- et le monstre travaillent dans
membre de la famille naturellement soustrait à toute l'amant du plus une poche, sous une gaine. On les
substitution. Mais le frère n'est irremplaçable que dans devine plutôt qu'on ne les voit s'agi-
une situation empirique très déterminée, déterminée par
pauvre et du plus ter, se déplacer, gonfler, renverser.
la mort factuelle des parents d'Antigone. Dira-t-on que laid au fond de tant e me suis souvent servi par exemple,
du mot « élaborer » pour décrire
Hegel a transformé en légalité structurelle et paradigma- de misère. [...] Toute- - ici .- le travail textuel. Sans doute
. tique une situation empirique décrite dans un texte parti-
culier de l'histoire des tragédies? Et cela pour les besoins
fois l'éclat, la lumière parce qu'il procède comme cette
monstrueuse lumière : même mou-
d'une cause - ou d'une sœur - obscure? étant nécessaires à vement, même lieu, même «objet ».
notre vie, avions- Mais surtout parce qu'il fallut préle-
nous dans cette ver dans le texte élaboré l'instru-
ment de lecture ou d'écriture, le
ombre un rayon de style avec lequel traiter. Avec lequel
soleil traversant la écrire, c'est-à-dire plier le métalan-
A moins que la contingence ne se laisse réduire. Et gage. Mais le pli - l'emploi --- du
si l'orphelinat était une structure de l'inconscient? Les vitre et sa crasse, métalangage, lui, est irréductible.
parents d'Antigone ne sont pas des parents parmi d'au- nous avions le ver- Comme une poche, un kyste qui se
reforme sans cesse. En généralisant,
tres. Elle est la :fille d'Œdipe et, selon la plupart des glas, le givre, car ces en systématisant par exemple le
versions dont s'inspirent les tragiques, de Jocaste, de sa
grand-mère incestueuse. Hegel ne parle jamais de cette éléments, s'ils indi- recours au mot «élaborer », j'en
fais une sorte de concept, une règle,
génération de plus, comme si elle était étrangère aux struc- quent les cal~mités, une loi dont l'extension domine -
tures élémentaires de la parenté. Le modèle qu'il interroge évoquent des joies relativement - le texte dont, cepen-
n'est peut-être pas si empirique qu'on pouvait l'jmaginer.
TI n'a pourtant pas la clarté universelle qu'il lui prête. dont le signe, déta- dant, je l'extrais. Ille couvre à peine,
il le couve pour un temps limité. Po-
Il se tient, comme le nom, entre les deux. Comme l'orphe- ché dans notre cham- che cousue, lia métalangue kystique
186
linat. Preuve de plus, s'il en était besoin, que rien n'est bre, nous suffisait : décrit, enveloppe, garde et regarde
moins anœdipien, voire anti-œdipien qu'un inconscient le travail du texte dont elle aura
orphelin. de Noël et des fêtes été grosse. J'ai élaboré l'élaboration.
du Réveillon nous ne Mais tout cela doit rester sous la
gaine. Pour peu qu'on veuille y pren-
connalSSlOns que ce dre plus de plaisir. Doit rester sous
qui les accompagne la gaine comme les mon(s)tres de
langue. Il faut laisser deviner, sous la
toujours et qui les poche gonflée, travaillée de tous les
rend plus douces aux mouvements (morcellement, rassem-
blement, coupures, agglutinations),
Rien ne devrait pouvoir survivre à la mort d'Anti- fêteurs : le gel. [...] il faut laisser s'élaborer silencieuse-
gone. Plus rien ne devrait suivre, sortir d'elle, après elle. La misère nous éri- ment le glas de la langue. Si vous
L'annonce de sa mort devrait sonner la fin absolue de montrez naïVement, comme un pu-
geait. A travers l'Es- ceau fiérot, inquiet de ce qu'on risque
l'histoire. Transparence glacée, vierge, stérile. Sans désir
et sans travail. pagne nous prome- de méconnaître son tube, ce que vous
Une fin de l'histoire sans Sa. Le Sa ne peut revenir nions une magnifi- savez faire avec la langue - couper,
recomposer, déplacer, agglutiner,
à une sœur. A un père, à une mère, à un fils, peut-être, pas cence secrète, voilée, etc.- tout est raté. C'est comme une
à une sœur.
Pourtant tout aura failli s'arrêter, en marche, sur sans arrogance. [...] éjaculation précoce. Même pas le
temps de bander. Et puis vous croyez
une marche, buter ou perdre pied. Ainsi mon talent se et voulez faire croire que vous êtes
Comme Hegel, nous avons été fascinés par Antigone, développait de don- le maître de ce travail de la langue :
par cet incroyable rapport, cette puissante liaison sans elle ne s'élabore plus, elle ne bande
désir, cet immense désir impossible qui ne pouvait pas ner un sens sublime plus. Et finalement élie reste intacte,
vivre, capable seulement de renverser, paralyser ou à une apparence aussi inaffectée, ininfectée. Il y a plus de
excéder un système et une histoire, d'interrompre la vie jouissance- mais on peut toujours,
pauvre. (Je ne parle bien sûr, vouloir (s') en priver ou
du concept, de lui couper le souffie ou bien, ce qui revient
au même, de le supporter depuis le dehors ou le dessous pas encore de talent sevrer - à faire comme si le poisson
d'une crypte. littéraire.) Ce m'aura restait entier, encore vivant, dans les
mailles, d'autant plus mobile, glissant,
Crypte - on aurait dit du transcendental ou du été une très utile dis- fuyant qu'il se sait menacé
refoulé, de l'impensé ou de l'exclu -" qui organise le sol
auquel elle n'appartient pas. cipline, et qui me
Ce que veut-dire la dialectique spéculative, c'est que permet de tendrement sourire encore aux plus
la crypte peut encore être incorporée au système. Le trans- humbles parmi les détritus, qu'ils soient humains
cendantal ou le refoulé, l'impensé ou l'exclu doivent être
assimilés par le corpus, intériorisés comme des moments, ou matériels, et jusqu'aux vomissures, jusqu'à
idéalisés dans la négativité même de leur travail. L'arrêt la salive que je laisse baver sur le visage de ma mère,
ne forme qu'une stase dans l'introjection de l'esprit. jusqu'à vos excréments. Je conserverai en moi-
Antigone, c'est un moment à passer, un moment
terrible et divin, pour le frère et pour la sœur. Les deux même l'idée de moi-même mendiant.
lois (divine et humaine, souterraine et diurne, féminine « Je me voulus semblable à cette femme qui,
et masculine, familiale et politique, etc.) vont passer l'une
dans l'autre, se laisser médiatiser et devenir l'une pour
à l'abri des gens, chez dIe conserva sa fille, une
l'autre. Compter l'une pour l'autre. sorte de monstre hideux,·. difforme, grognant et
La relation frère/sœur est une limite. La famille en marchant à quatre pattes, stupide et blanc. En
tant que telle y trouve sa propre limite ( Grenze) J se
circonscrit en elle. Sans elle, la famille ne se déterminerait
accouchant, son désespoir fut tel sans doute qu'il
pas, ne serait pas ce qu'elle est. Avec elle non plus. La devint l'essence même de sa vie. Elle décida d'ai-
limite étant ce qu'elle est - chez Hegel - elle n'est pas mer ce monstre, d'aimer la laideur sortie .de son
ce qu'elle est, elle se franchit dès qu'elle s'atteint. Avec ventre où elle s'était élaborée, et de l'ériger dévo-
la relation frère/sœur la famille est excédée par elle-même.
(, Elle se dissout elle-même et sort d'elle-même. »La tieusement. C'est en elle-même qu'elle ordonna
famille se résout en cette limite, à l'instant même où ce un reposoir où elle conservait l'idée de monstre.
qui entre en elle sort d'elle-même, de façon à la fois Avec des soins dévots, des mains douces malgré
sensible et insensible, comme un point dans un temps
nul et infini, interminable. Antigone elle-même, c'est ça, le cal... »
et la famille, qui est Antigone elle-même, c'est ça, ce
pur passage, cette transe qui ne se retient pas. On ne la
retient, plutôt, selon la relève, qu'à la perdre. Relever une
limite, c'est la garder mais garder (une limite) c'est ici
perdre. Garder ce qui se perd, c'est manquer. La logique
de l'Aujhebung se retourne à chaque instant dans son
autre absolu. L'appropriation absolue est l'expropriation Pour se garder de ce qui s'échafaude ici-- c'est
absolue. L'onto-logique peut toujours être relue ou le réflexe le plus sain, le plus naturel . - on pro-
récrite comme logique de la perte ou de la dépense sans testera : tantôt contre ces trop longues citations
réserve.
Cette possibilité vacille ou se tronque dans la sépul- auxquelles il aurait fallu couper; tantôt au contraire
ture. Qu'est-ce qu'un monument pierreux, telle est la (voire à la fois) contre ces prélèvements, sélec-
question. Mais la pierre y branle .- le qu'est-ce-que? Le tions, sections, points de suspension, points de
qu'est-ce que? est, comme toute question en général,
engagé dans le procès de réappropriation que la pierre suture .- détachements. Détachements du signe,
menace. La forme-de-question de la question est d'avance bien sûr (il ne vous a pas échappé, plus haut, que"
médusée. ce qui était détaché, et détaché, comme toujours,
Et pourtant il y a de la pierre. Que veut-dire il y a
dès lors que l'on soustrait ce qu'il y a au c'e!t, à ceci est, dans notre chambre, c'était un signe, « signe,
à l'ostension de toute présence? A propos dù procès de détaché dans notre chambre ». C'est là qu'on vole).
propriation (Ereignis), Heidegger libère le es gibt, dans Que le signe se détache, cela sign.üie bien sûr qu'on
es gibt Sein, de la précession toute-puissante de l'être.
La valeur du don (Gabe), étrangère au il y a, gageons le coupe de son lieu d'émission ou de son.apparte-
qu'elle aura tout préoccupé. nance naturelle; mais la séparation n'est jamais
Donc le frère part. S'il n'est pas mort. Celui qui n'est parfaite, la différence jamais consommée. Le détache-
pas mort. Celui qui vit comme frère. Il part. Il est « le
côté selon lequel l'esprit de la famille devient individualité ment sanglant est aussi·- répétition - délégation,
qui se tourne vers un autre domaine et passe dans la mandat, délai, relais. Adhérence. Le détaché reste
conscience de l'universalité ». Le frère rompt avec le collé par là, par la glu de la différance, par l'a. L'a de
lien singulier qui le tenait à la famille et par exemple à
Antigone. Il va vers la cité, il abandonne la forme immé- gl agglutine les différents détachés. L'échafaud
diate, élémentaire, inconsciente, négative de la Sittlichkeit, de l'A est gluant.
pour devenir un citoyen, un homme de la loi humaine.
Il va s'occuper de politique.
Que fait Antigone? Si elle ne meurt pas, elle se
marie. De toute façon elle reste, elle continue à monter la
garde familiale. Après le départ du frère vers la « loi
humaine », « la sœur devient ou la femme reste le Vorstand
[présidente, directrice, générale] de la maison et la gar- Donc on protestera : vous coupez trop, vous
188
dienne de la loi divine >}. Cela, la sœur le devient ou la collez trop, vous citez trop et trop peu. Les deux
femme le reste (bleibt). « C'est ainsi que les deux sexes réquisitoires sont bien connus, ils relèvent de la
surmontent ( überwinden) leur essence naturelle (natür-
liches Wesen) et entrent dans leur signification éthique logique dont il est fait ici objet.
(sittlichen Bedeutung)} comme diversités (aIs Verschieden-
heiten) que les deux différences (Unterschiede) , que se
donne la substance éthique, se partagent entre elles
(unter sich teilen). >}
La différence sexuelle est surmontée quand le frère part,
et que l'autre (sœur et femme) reste. Il n'y a plus de diffé-
rence sexuelle en tant que différence naturelle. {( Les sexes
surmontent leur différence naturelle. >} Une fois surmontée,
la différence sexuelle n'aura été qu'une diversité naturelle.
L'opposition entre la différence et la diversité qualitative
est un gond de la grande Logique. La diversité est un
moment de la différence, une différence indifférente, une
différence extérieure, sans opposition. Tant que les deux
moments de la différence (l'identité et la différence puisque
l'identité diffère, en tant qu'identité) n'ont de rapport
qu'à eux-mêmes et non pas à l'autre, tant que l'identité ne
s'oppose pas à la différence ni la différence à l'identité,
il y a diversité. La diversité est donc un moment et de la
différence et de l'identité, étant entendu, très expressément, Pour ceux toutefois qui ne considéreraient pas
que la différence est le tout et son propre moment. Cela gl comme une réponse satisfaisante - pour en
est donc aussi vrai de la différence sexuelle: elle est l'iden- avoir d'abord attendu urie réponse-, ceux à qui gl
tité, l'identité est la différence, elle-même le tout et son
propre moment. \ ne dit rien- pour avoir d'abord cru que gl ne
En surmontant la différence naturelle comme diversité disait pas rien - et qui, on se demande pour quel
des sexes, on passe à la différence comme opposition. Dans repas, continueraient à baver sur place, suggérons
la Sittlichkeit} la différence sexuelle devient enfin une
vraie opposition: ce qu'elle était d'ailleurs appelée, destinée que la question théorique, élaborée, sûrement
à être. La déterminité de l'opposition (l'opposition en tant (métalangue - qui se reconstitue toujours -,
que déterminée -- bestimmte) correspond à la détermina- au meilleur endroit) par cette intervention, il n'y
tion comme vocation, destination (Bestimmung) de la
différence sexuelle. Différence est un concept beaucoup a pas d'autre mot possible aujourd'hui, soumise
trop général et indéterminé, il faut suivre le procès d'avance à la censure du reste dans le champ
déterminant de la différence sexuelle, distinguer au moins idéologique, produira, c'est comme ça qu'il faut
entre différence comme diversité et différence comme
opposition, les deux étant aussi des différences comme dire, la thèse suivante : toute thèse est (bande)
identités. une prothèse; ce qui se donne à lire se donne à
Au moment où le frère part, « ce moment perd lire par citations (nécessairement tronquées, cou-
l'indéterminité (Unbestimmtheit) qu'il avait encore là et
la diversité contingente des dispositions et des capacités >}. pures, répétitions, succions, sections, suspensions,
Ce qui se perd, c'est la diversité naturelle des sexes et la sélections, coutures, greffes, postiches, organes sans
différence sans opposition. Ce qui se gagne contre cette corps propre, corps propre couvert de coups,
contingence, cette multiplicité naturelle, c'est la différence
déterminée en opposition, la contradiction sexuelle. Ce parcouru de poux).
moment « est maintenant l'opposition déterminée des C'est ainsi qu'un « Enticher, v.a. 1. Commencer à
deux sexes (der bestimmte Gegensatz der zwei Geschlechter) gâter, à corrompre. En ce sens il
dont la naturalité reçoit du même coup la signification texte s'entiche. D'un n'est usité qu'au participe passé. 2.
autre. Cela ne va pas Terme de couture. En posant des
de leur destination éthique (ihrer sitt/ichen Bestimmung) ».
patrons sur une étoffe pour la tailler,
La différence sexuelle vient seulement d'apparaître. sans profits et pertes on entiche quand un des patrons
Elle vient seulement de se déterminer en apparaissant
comme telle, en se posant, c'est-à-dire en s'ouvrant à la pour l'organisme qui prend un petit coin de l'étoffe de
celui qui est posé à côté; c'est empié-
négativité et en devenant opposition. En commençant subit la greffe après ter', avec l'idée d'épargner, sur ce qui
donc à. se sublimer. Si la différence était destinée à l'oppo- s'être fait racoler. est destiné à une autre pièce néces-
sition, il n'y avait pas encore de différence sexuelle entre saire au tout. 3. Fig. gâter par quelque
Antigone et son frère. Leur rapport n'était pas si insolite chose de faux ou de moralement
qu'on aurait pu le croire, ni entre eux l'absence de désir. mauvais. 4. S'enticher, v. refl. Devenir
Quelle est la position du désir dans ce passage de la entiché. Il s'était entiché de ce vice.
différence-diversité à la différence-opposition? Y a-;-il S'éprendre d'une personne. Il s'enti-
cha d'une comédienne et il l'épousa. »
déjà. du désir dans la première? Faut-il attendre l'opposi-
(Du Littré, qui ajoute à l'Etymologie:
tion ou la contradiction pour le voir surgir? Il n'y a pas « Diez et Scheler le tirent de l'alle-
de réponse à. une question posée dans cette forme. Pas mand anstecken, infecter d'une conta-,
plus que celui de différence, le concept de désir n'est Ce qui était gion; mais on ne conçoit pas com-
homogène et univoque. De même qu'il n'y a pas une diffé- arrivé globalement à ment l's aurait disparu. La forme pro-
rence sexuelle en général mais un procès dialectique de la pre est entecher, composé de en, 1. et
différence sexuelle qui passe par exemple de la diversité à la mère. A la mère de l'ancien français teche, qui est le
l'opposition, il n'y a pas d'abord un désir en général qui, globale. A peine même que tache; entecher ou enticher
de la diversité à. l'opposition se détermine, se conforme à avait-elle, dévotieuse- est donc identique à entacher. Il ne
son appellation (Bestimmung) téléologique, se pose de plus faut pas confondre entecher, enticher,
en plus comme désir. A s'éloigner de la nature, à la nier ment, érigé que s'é-, avec l'ancien verbe enticier, exciter,
en lui, à se relever, sublimer, idéaliser, il devient de lève le grand discours enticement, instigation. »
On trouvera peut.-être que je me sers
plus en plus désirant. Le désir humain est, alors plus sur le vol. beaucoup du dictionnaire. J'essaie de
désirant que le désir animal; le désir masculin est plus le faire comme le signataire du texte
désirant: que le désir féminin qui reste plus près de la entichant (c'est.-à-dire dans un style
nature. Plus désirant, il est donc plus insatisfait et plus génétique) qui n'hésite pas à provo-
insatiable. Mais cette proposition ne vaut que dans la quer la poétique avec le Larousse :
mesure, provisoire, relative, limitée, où la féminité n'a pas dans Querelle de Brest, « Au mot
encore accédé à l'opposition proprement éthique. Dès lors « pédéraste » : extrait du Larousse:
qu'elle y accède, la femme est dans la même situation que « On découvrit chez l'un d'eux une
l'homme (au-delà de la nature), au degré près. Du même grande quantité de fleurs artificielles,
coup, s'il y a plus de sublimation chez l'homme, le désir de guirlandes et de couronnes, desti- /
L es morceaux, nées sans aucun doute à servi r, dans
(naturel, originaire, etc.) est aussi plus inhibé, moins
libre (naturellement) que chez la femme. Plus libre aussi que je coupe et couds les grandes orgies, d'ornements et de
dans le texte désigné parures. »
pour la même raison, d'une liberté spirituelle. On ne conçoit pas encore comment l's
L'opposition (sexuelle) qui vient d'apparaître n'est par le dénommé Ge- aurait disparu
pas absolue. Elle ne fait pas éclater, de sa contradiction,
l'unité de la substance éthique. Elle en constitue au net ne doivent ni
contraire le devenir. Celui-ci se construit selon l'opposi- détruire sa forme ou casser son soufRe (ne dites
tion des sexes, autrement dit selon l'opposition des deux: pas son unité, la question se posant ici de savoir
lois. « La différence des sexes et de leur contenu éthique
reste (bleibt) toutefois dans l'unité de la substance et son ce que pourrait être un texte un et si quelque chose
mouvement est justement le devenir restant (das bleibonde de tel existe plus qu'une unicorne), ni en recom-
Werden) de cette substance. >} Aucune des deux lois ne se poser ou ressaisir l'intégrité dans un de ces filets
pose seule en soi et pour soi. « La loi humaine procède
dans son mouvement vivant de la loi divine, la loi qui -- formel ou sémantique - que nous avons feint
vaut sur la terre procède de la loi souterraine, la loi de lancer et relancer sans compter : seulement
consciente de la loi inconsciente, la médiation de l'immé- pour montrer ou plutôt entraîner au-delà de toutç
diateté, et pareillem~nt retourne au lieu dont elle pro-
vient. » manifestation que le filet n'opère que dans la
Finalement la loi diaphane de la conscience (l'homme) mesure où il est redevable d'un reste. Il ne retient
et la loi obscure de l'inconscient (la femme) doivent que des restes, de monumentales dépouilles, et
s'identifier au fond de leur opposition. Mais elles comparais·.
sent alors dans la lumière, loi des lois. L'opposition du laisse tomber le reste..Et de ce reste qui n'est
midi et du minuit se résout à midi. Telle est la vérité d'une pas, qui fait texte, la chute, le cas défalqué écha-
révolution sexuelle dont .La différence des vstèmes philo- faude toutes les machines à écrire. Le reste est en
sophiques de Pichteet de Schelling prescrivait la nécessité
générale. Dans l'obstination de son bon sens, de sa santé, tête et en queue, il ne s'agit pas de l'apporter sur
l'entendement humain veut mettre les termes de l'oppo- un plateau.
sition à l'abri l'un de l'autre (conscience / inconscience,
lumière / matière). La spéculation, c'est-à-dire la relève
de l'opposition, lui fait peur. Il redoute le caractère des-
tructeur de son opération. En fait, paradoxalement, il a
peur parce qu'il ne sait pas à quel 'point la spéculation
détruit. S'il pouvait saisir l'envergure (Umfang) de cette
destruction (Vernichten), il serait rassuré, il ne pourrait
plus considérer la spéculation comme une puissance
adverse (Gegnerin). Car la destruction est aussi un pouvoir
de « synthèse supérieure du conscient et de l'inconscient »,
elle requiert une « destruction de la conscience elle-même ».
La raison spéculative (Vernunft) s'abîme alors (versenkt) Si même nous pouvions reconstituer, morceau
avec son savoir et sa réflexion de l'identité absolue. Elle par morceau, l'emblème ou la signature d'un
se jette dans son « propre abîme » (eigenen Abgrund) et
« dans cette nuit de la simple réflexion et de l'èntendement nom propre, ce serait seulement pour dégager,
raisonneur, qui est le midi de la vie, tous deux peuvent comme d'une tombe un enterré vivant, cela même
se rencontrer ».
que Genet, ni moi, n'aurions jamais réussi à signer,
Il n'y a toujours pas de famille purement humaine.
La valeur de famille continue de s'enlever sur un horizon à rattacher aux lignes d'un parafe, et qui cause de
ou sur un fond théologique. Ce qui s'était vérifié dans ce fait. Le texte dénommé de Genet, nous ne le
l'espace de l'infinitisme chrétien se confirme ici sur un comprenons pas ici, il ne s'épuise pas dans la
modèle grec. L'anhumain théologique est aussi bien du
côté de l'anhumain naturel. La limite humaine est donc poche qùe je coupe, couds et relie. C'est lui qui
introuvable, toujours disparais sante. En tant qu'elle reste la troue, la harponne d'abord, la regarde; mais la
encore trop naturelle, la famille relève de la loi divine. Si
le modèle grec place le divin du côté de la sépulture
voit aussi lui échapper, emporter sa flèche vers des
souterraine, le paradigme judéo-chrétien ne s'y oppose, parages inconnus. Ce texte-ci (ou glas) ne se
céleste et sublime, que dans la mesure où il produit résume pas plus à une lecture de Genet - qui
effectivement la religion : le pourrissement du cadavre
christique aura fait traîner les choses.
n'en forme ni l'exemple ni l'essence, ni le cas ni
L'union des opposés, de l'homme et de la femme, a la vérité - qu'il ne se laisse rassembler ou flécher,
la forme d'une copulation syllogistique. Plus précisément, avec d'autres, par mon parafe. Et tout ce qui en
cette copulation syllogistique unit deux syllogismes en un lui tiendràit à la forme singulière de la signature,
seul et produit ainsi le règne éthique. L'un des extrêmes,
l'esprit universel, conscient de lui-même, se relie à. son de l'une ou de l'autre, garde une valeur tout à fait
autre, l'esprit inconscient, par la médiation de l'homme, anormale. Il ne relève d'aucune règle, n'en procure
de l'individualité de l'homme. La loi divine a sohindi- aucune. L'opération doit être chaque fois singu-
vidualité dans la femme, l'esprit inconscient du singulier
ya son être-là.; la femme est le milieu (Mitle), le moyen lière, et courir uniquement sa chance.
par lequel l'esprit émerge de son ineffectivité, passe
de l'inconscient au conscient. L'union de l'homme et de la
femme ajointe les deux lois ou les deux syllogismes. Des
deux mouvements - celui de la femme qui s'enfo1).ce
dans le souterrain, le danger et l'épreuve de la mort, celui
de l'homme qui s'élève vers la lumière - elle fait: un seul
mouvement, parcouru par un seul mobile. A supposer, certes, qu'il y ait de la signature.
Comme si deux mobiles, disposant chacun de leur Savoir-être - suspendu entre plusieurs clin-'
principe automoteur, partis de lieux opposés, se croisaient (clinique, clin amen, clinanthe, etc.) et plusieurs
ou se rencontraient au cours d'un trajet circulaire, tom-,
baient en arrêt, et de la collision formaient un seul véhicule col- (... )
sur un cercle infini. Ce qui se fait alors, et ne se défait
plus, :t'este irreprésentable ou inimaginable. C'est ce que
Hegel appelle la Wirklichkeit, l'opération de l'effectivité, Il en irait autrement si la signature n'était
et la puissance du syllogisme. qu'un effet de glas, autrement énoncée une classi-
La copulation de ces deux « mouvements opposés »
n'apaise rien. Aucune réconciliation. l ..a tragédie com- fication, le réseau de plus d'un nom. Alors, cette
mence ici et l'opposition continue de faire rage dans la opération serait quelque part exemplaire et nor-
Sittlichkeit. Une fois que le précédent syllogisme a eu, mative, scientifique même, si, mais si timidement
lieu, on n'a pas encore agi, aucune opération (Handlung)
n'a été effective dans la cité. Au moment où il s'agit préliminaire : une conception à peine annoncée.
d'agir, d'opérer, d'effectuer, la contradiction ressurgit,
cette fois sous la forme de la faute ou du crime. Carnage
tragique : le meurtre ne procède plus d'une décision
volontaire, il s'inscrit comme une fatalité dans la struc-
ture de l'opération. Si la substance éthique unit les deux
lois, l'opération revient toujours à. un individu singulier.
Elle fait donc renaître la scission, l'opposition du divin et
de l'humain, de la femme et de l'homme. Chacun de son
côté, Antigone et Créon n'entendent ou ne lisent qu'une loi,
Inlassable, le labeur pour reconstituer le corpus
manquent et trahissent l'autre. glorieux et intégral d'une propriété, dans la signa-
Toute opération est a priori coupable. « Innocente est ture authentique et sans organe, n'aura pas échoué,
donc seulement l'absence d'opération (Nièhttun), l'être
d'une pierre, et pas même celui d'un enfant. » toujours, à la Jin (aura du seing) : ce qui le met en
L'action éthique comporte donc en elle-même le mouvement, son premier voleur, volens nolens,
moment du crime, elle est morale à. force de meurtre - ce qui fait écrire, c'est ce qui écarte et sème, essaime
et de jouer une loi contre l'autre. C'est pourquoi l'in-
conscient ne se laisse pas réduire. Aucune opération ne signacoupure et signacouture. Ce qui désingula-
peut s'effectuer ~u jour de la conscience sans devoir struc- rise, descelle, désigle, ouvre les yeux en aveuglant.
turellement restreindre (dirons-nous refouler, ceindre, La mère avait à peine érigé, dévorleusement,
réprimer, repousser dans l'ombre, im-penser, in-savoir?)
l'autre loi. L'inconscient se constitue, dans l'ordre de la que le discours célèbre le vol.
SittJichkeit, de cette double articulation de la loi : on ne
peut jamais savoir ce qu'on fait des deux côtés à la fois,
du côté de la loi humaine et du côté de la loi divine,
c'est-à-dire du côté de l'homme et du côté de la femme.
L'autre compte. Est-ce un hasard si le père entre alors en scène.
Œdipe est cité à comparaître comme l'exemple de Sous son nom, pourrait-on dire, ou à peu près,
cette nécessité générale.
Il n'y a pas d'inconscient sans opération. L'opération lui qui paraissait si absent jusqu'ici, ineffectif.
c'est l'action, certes, mais compte tenu d'une loi, d'une Est-ce un hasard si ce mouvement conduit vers
loi ou d'une autre (humaine ou divine), donc d'une loi et l'hymne au nom propre. Si cet hymne se fiche de
d'une autre, de l'opposition des deux lois. Autrement dit'
de l'opposition sexuelle. Pas d'inconscient sans opposi- l'état civil. Et si Genêt s'y coiffe gravement de
tion (plus ou moins que la différence) sexuelle. l'~ccent circonflexe comme d'une couronne royale.
La loi commande d'agir effectivement. Mais l'incons- Florale corolle aussi puisque l'accent déforme
cient n'existe, si l'on peut dire, que dans la mesure où
l'action, qui ne peut obéir aux deux lois du même coup, l'em blème et laisse lire le végétal au lieu de l'animal?
est coupable. La culpabilité - rapport à l'insu ou à Pas à pas, le père revient dans la geste du vol,
l'inconscient de l'autre loi - ne prend son relief, l'exis- entre l'érection de la mère et celle de l'accent
tence irréversible qui lui vient de la faute, que si elle entre
en rapport avec l'autre de la conscience qui lui est resté, circonflexe. Viol de la loi, loi du vol, moralité.
précisément, inconscient. Ce qui paraît banal : le crime « Je [né de père inconnu: « Ma mère s'appelait
est irréversible une fois commis. Il est moins banal que Gabrielle Genet. Mon père reste inconnu. »]
le crime soit nécessairement et structurellement incons-
cient, non présent à lui-même, insu de l' « auteur » au cherche à les charmer par des actes moraux, par
moment où il opère. Cela n'allège pas la culpàbilité qui la charité d'abord. » Les, ce sont les « puissances
reste entière (il n'y a ici aucun homicide involontaire, inconnues ».
aucun « nul n'est méchant volontairement »). Le crime est'
inconscient et c'est pourquoi il demeure entier et irré- Puis il nous explique comment lui, Genet,
versible. Sa nécessité fatale est inscrite dans la structure cède sa place aux vieillards, s'efface devant eux,
clivée de la Sittlichkeit. Pas d'inconscient sans opération, aide les aveugles à traverser.
pas d'opération sans loi, pas de loi sans double loi, sans
opposition, donc sans crime (au regard de l'autre-loi), pas
d'inconscient innocent (< rousseauiste »). Il est aussi
impossible de réduire l'opération que d'effacer le crime
(Mallarmé le dit très bien, à sa manière, avec les mêmes
mots). Mais s'il y a toujours crime sans le savoir, et si Le vieillard et l'aveugle, seuls exemples choisis.
l'on veut considérer que le crime sans le savoir n'a pas
lieu, il n'y a jamais de crime.
Œdipe _. donc : « L'effectivité garde donc cachée
en elle-même (in sich verborgen) l'autre côté, celui qui est
étranger au savoir, et elle ne se montre pas à la conscience L'accent circonflexe (on appellera ainsi ce qui
telle qu'elle est en soi et pour soi. - Au fils, elle ne mon-
tre pas le père dans son offenseur qu'il tue, - elle ne mon-
le distingue de l'auteur et s'élève plus haut que
tre pas la mère dans la reine qu'il prend pour femme. lui) crochette puis entraîne la crèche vers le carre-
Guettant la conscience de soi éthique se tient donc une four : l'anthérection de Marie-Jocaste qui donne
puissance ténébreuse [Iichtscheue : qui craint la lumière,
photophobe] qui fait irruption seulement (er st) quand
au texte sa ration grecque. Le vieillard et l'aveugle
l'opération a eu lieu, et prend la conscience de soi sur le doivent traverser en plein carrefour. A nommer
f:lÏt, car l'opération accomplie est l'opposition relevée du ici Œdipe, on ne sémantise pas, on ne gonfle pas
soi qui sait et de l'effectivité à lui opposée. L'agissànt ne
peut dénier (verleugnen) le crime et sa culpabilité. » de sens chaque atome textuel, on crève au contraire
L'opération relève donc l'opposition entre le soi ce qu'il faut depuis peu appeler le mythe d'Œdipe
qui sait et l'effectivité qu'il ne sait pas, entre le conscient comme mirage sémantique.
et l'inconscient. Mais la relève ne lève pas la culpabilité,
elle ne lave pas le crime. Il y a là un effet d'après qui L'accent circonflexe donne ici sa caution grec-
résiste sans fin. Le crime a eu lieu, la culpabilité reste. que : « La nervosité que provoquent la. peur,
Même si l'agent ne savait pas qu'il tuait, qui il tuait. l'angoisse quelquefois, facilite un état voisin des
Plus qu'ailleurs l'inconscient paraît ici rebelle à la simple
non-conscience. Peut-être pourrait-on s'en autoriser pour dispositions religieuses. Alors j'ai tendance à inter-
démarquer l'Aufhebung du vouloir-dire de Hegel qui va préter le moindre incident. Les choses deviennent
dans un instant la réordonner à la téléologie de la cons- signes de chance. Je veux charmer les puissances
cience. Les quelques lignes qui commentent l'opération
d'Œdipe annoncent déjà la réappropriation, le devenir- inconnues de qui me semble dépendre la réussite
conscient de l'inconscience qui rend propre l'étranger de l'aventure. Or je cherche à les charmer par des
et réunifie les éléments de la scission. Comme Antigone, actes moraux, par la charité d'abord : je donne
Œdipe à Colone s'achève dans la calme égalité de la mort,
dans l'apaisement final. Encore qu'y sourde, avec le mieux et plus aux mendiants, je cède aux vieillards
« Plus belle enfin que cette issue simple-
rire comique, la « per- ma place, je m'efface devant eux, j'aide les
ment extérieure [le deus ex machina de versité ». aveugles à traverser les rues, etc.
Philoctète] il y a la conciliation intérieure « L'agissant ne peut
qui, en raison de sa subjectivité, annonce dénier le crime et sa Ainsi ai-je l'air de reconnaître au donner la main à
déjà la modernité. Nous avons à cet égard Œdipe. Donner
l'exemple antique le plus parfait dans culpabilité; - l'opéra- vol présider un dieu à qui sont un coup de main à
ŒdiPe à Colone qu'on devra éternellement tion consiste justement agréables les actions morales. Ces Œdipe. Est-ce le
admirer. Il a tué son père sans le savoir, à mouvoir 1'immobile,
il a accédé au trône de Thèbes, au lit de tentatives pour lancer un filet hasar- secourir? Qui le
sa propre mère; ces crimes inconscients à produire extérieure- peut? D'où? Pour-
ne le rendent pas malheureux; mais le ment ce qui n'est deux où se laissera capturer le dieu quoi? Faudrait
vieux déchiffreur d'énigmes délivre le d'abord qu'enfermé
savoir quant à son propre et ténébreux dont je ne sais rien m'épuisent, voir. Les archan-
destin, et il acquiert l'effroyable conscience dans la possibilité et
ges lui crachent,
de ce qu'il est ainsi devenu en lui·,même. ainsi à lier (verknüpfen) m'énervent, favorisent encore cet au contraire, à la
Avec cette solution de l'énigme qu'il était l'inconscient au cons- état religieux. A l'acte de voler elles figure. Avec au-
pour lui-même, il a perdu son bonheur, tant d'acuité que
comme Adam lorsqu'il prit conscience cient, le non-étant à communiquent la. gravité d'un de gravité, l'ac.,
du bien et du mal. Alors le voyant s'aveugle, l'être. » L'inconscient
s'exile loin du trône et se sépare de Thèbes, est donc une conscience acte rituel. » cent circonflexe
comme Adam et Eve furent chassés du avait fait remar-
Paradis, et se met à errer, vieillard sans possible, une vérité vir- Ce rituel, ce passage qui dans le quer ce qui se
secours. » tuelle. « Dans cette vé- texte vous initie, vous conduit par passe quand ils vi-
Après qu'il eut préféré la voix de son rité surgit donc à la
Erynnie à celle de son fils, après avoir ainsi sent mal, « Ça le
surmonté la division intérieure, apaisé, lumière du soleil, - la main à la. position fi ctive du nom fait reluire, la mo-
réconcilié en lui le clivage (Zwiespalt), comme ce en quoi un propre, multiplie entre quinze pa- rue!»
Œdipe connaît alors une sorte de glori- conscient est lié ( ver-
fication, de rayonnement, d'illumination ges, comme si de rien n'était, les
dans la mort (Verk/arung im Tode). Cette bunden) à un incons-
gloir'e lumineuse est spirituelle, ses yeux cient, le propre ( das associations, voire les alliances paternelles.

194
aveugles deviennent glorieux (verk/ëIrt) ,
Eigene) à un étranger,
s'éclaircissent (wird hel/Jo C'est en particu- Voire en effet : entre les jambes de Marie-
comme l'essence clivée
lier à cause de cette gloire, de cette trans-
figuration du corps (les os d'Œdipe (entzweite Wesen) dont Jocaste, à li faveur de ce qu'éjacule tel tube de
deviennent les remparts de la ville qui
la conscience expéri- vaseline ou autre substance signifiante, on pouvait
l'accueille), qu'on a pu lui trouver une
mente l'autre côté, et
harmonie christique. « Mais la réconcilia·· égaler, sans décider, le père à la mère et vice versa.
l'expérimente comme ce
tion religieuse chrétienne est une glorifi-
cation de l'âme (Verk/ëIrung der Seele) qui
qui est aussi sien, mais Égaler, en élaguant ou en larguant, sans cesser
se baigne (gebadet) à la source du salut
éternel ... »
toutefois comme la de retrouver toujours l'un entre l'autre. La place
puissance qu'elle a vio-
Elle fait du cœur le «tombeau du cœur» du fils glisse là, une fois de plus.
(Grabe des Herzens). En échange de lalée (verletzte) et incitée
plainte ou de l'accusation (Anklagen) , c'est
à l'hostilité. »
le corps qui expie la faute terrestre pour
accéder à une béatitude purement spi ri·· L'analyse d'un
crime absolument in-
tuelle. « Au contraire, la glorification
d'Œdipe reste toujours encore l'antique
conscient, qui ne reçoit
restauration de la conscience : des lésions
son sens de crime qu'a-
et du conflit entre les puissances éthiques
près le coup, réintro-
à l'unité et à l'harmonie de ce contenu Le rite du passage vise à reconstituer dans la
éthique lui-même. Ce qui réside en outre
duit la temporalité té-
dans cette réconciliation, c'est la subjec- demeure du père la loi de la maison·-l'économie
léologique de la pré-
tivité de la satisfaction, qui pourrait faire
sence à soi, de la
la transition (Obergang) vers le domaine _. comme présence et présence totale. Le vol est
opposé, celui de la comédie. » Dans le
conscience. Ce mou-
<oc renversement » de la « plastique »
le savoir absolu. Le bourreau menace mais au lieu
vement s'accentue: si
tragique, la comédie libérera la « perver- du berceau, depuis lequel on observe et on élabore.
une opération est cou-
sité » (Verkehrtheit) du principe subjectif.
Mais ce qui pervertit la plastique de la
pable a priori, jusque La scène du vol est préparée par la description
tragédie antique sera le ressort même de
la tragédie moderne dans son inconscient, la insistante du nocturne. Le vol se produit pendant
faute est plus « pure », que les familles - les « gens » - ' dorment. L'acte
plus purement coupable, quand elle est consciente et
d'avance connue comme telle. Comme dans le c~s précé- rituel « s'accomplira vraiment au cœur des ténèbres
dent, l'opération est structurellement criminelle, il n'y a auxquelles s'ajoute qu'il le soit plutôt la nuit,
pas d'opération innocente puisqu'on se recommande durant le sommeil des gens, dans un endroit clos,
d'une loi contre une autre. Mais le crime est plus purement
éthique lorsque l'opposition d'une loi à l'autre devient et soi-·même peut-être masqué de noir ». Puis,
consciente, quand l'opération se libère et délibère. On est patiemment répétées, les actions de déterrement,
bien alors dans l'ordre de l'universalité - loi contre loi de fouille, l'exposition du « corps sans défense »,
-' même si c'est au nom de la loi de singularité qu'on
commet le crime. La scène du crime s'ouvrant entre etc.
deux lois (singularité/universalité, femme/homme), se
lisant sur ses deux tableaux, il n'est pas de meurtre qui ne
soit l'effet (éthique) de l'opposition sexuelle. Tout crime
est une opération sexuelle et familiale.
Dès lors Œdipe est un meurtrier grossier, à moitié
innocent, en tout cas impur, puisqu'il ne savait pas ce
qu'il faisait. Le crime pur, celui qui correspond à la
Suivant la règle de l'économie, je retiens
conscience éthique la plus « complète », c'est sa fille qui seulement la présence, le ressemblement de soi
le commet, petite conscience orpheline. Cette fois Anti- auprès de soi, la parousie dans la demeure du
gone est nommée. Elle savait ce qu'elle faisait et elle
devient ici le meilleur représentant de la conscience
père, au retour du fils prodigue : « ••• la prudence,
éthique. « Il peut se faire que le droit qui se tenait derrière la voix chuchotée, l'oreille dressée, la présence

195
en embuscade ne soit pas présent sous sa figure propre invisible et nerveuse du complice et la compré-
pour la conscience agissante, mais soit seulement présent
en soi dans la culpabilité intérieure de la décision et de
hension du moindre signe de lui, tout nous ramasse
l'action. » C'est le cas d'Œdipe. « Mais la conscience en nous-même, nous tasse, fait de nous une boule
éthique est plus complète (vollstandiger)) sa faute plus de présence que décrit si bien le mot de Guy :
pure (reiner)} si elle connaît d'avance la loi et la puissance à
laquelle elle s'oppose, les considère comme violence et - " On se sent vivre. "
injustice, [seule une loi peut être injuste mais l'injustice « Mais en moi-même cette 'présence totale qui
d'une loi est nécessairement une contingence non juri- se transforme en une bombe d'une puissance
diqtre] comme une contingence éthique, et sciemment
(wissentlich)} comme Antigone, commet le crime [... ] que je crois terrible, donne à l'acte une gravité,
la conscience éthique doit déchiffrer son opposé comme une unicité terminale-le cambrio-· le cambriolage,
sa propre opération, elle doit reconnaître sa faute. lage au moment qu'on le fait est comme son nom
« ((Parce que nous pâtissons, nous reconnaissons que l'indique, est tou-
nous avons failli" » (Antigone). toujours le dernier, non que l'on jours d'une cham-
Tout s'arrête là et pourtant rien ne s'arrête. La pense n'en plus faire après celui-là, bre ou d'une de-
course est interminable bien qu'à chaque pas il s'agisse on ne pense pas, malS . qu,un te1ras- meure familiale,
de tomber (absolument) en arrêt dans la dernière embus- ici d'une chambre
cade. Antigone accède à la pureté du crime. Mais la plé- semblement de soi ne peut avoir obscure. C'est
nitude éthique ne s'accomplit pas dans le crime. Le crime lieu (non dans la vie, il nous condui- toujours le der-
nier, c'est-à-dire
est pur en tant que crime parce qu'il révèle plus purement rait, poussé davantage, hors d'elle) qu'il n'yen a ja··
la scission, l'opposition des lois qui constitue l'éthique.
Mais cette constitution ne s'achève qu'au moment où la - et cette unicité d'un acte qui se mais eu qui comp-
tât auparavant.
négativité, essentielle, en est totalement relevée. Sans développe» n'a pas, comme le ras- C'est donc le pre-
doute la « reconnaissance » du cdme par Antigone y a-· semblement auprès de soi hegelien, mier, le plus pri-
t-elle travaillé, elle correspond bien à la naissance de mitif. L.'économie
la conscience éthique, à la disposition (Gesinnung)} au la forme de quelque chêne après le obscure de la ca-
sens éthique. Mais Antigone reste au milieu de l'ascension, cas d'un gland; mais ce qui revient mera comme ar-
à l'étape de la « disposition » : de toute façon, prise entre au même reste, entre parenthèses, chéo - eschatolo-
deux lois, elle désobéit. Elle retombe. Impuissante dans gie. Finalement,
son action, elle retourne au gouffre ( zugrunde) } vers un épanouissement anthologique: si vous détachez
l'enfer et le monde souterrain qui est son lieu fondamen- « cette unicité d'un acte qui se déve- la liaison Cgl), au
commencement
tal, son lieu propre. Elle est la figure de la chute (Unter-
gang) J du déclin, elle marche vers le bas et entraîne avec
loppe (la rose sa corolle) en gestes aurait été le vol.
elle toute sa famille, jusqu'à Hémon qui l'attendait et se conscients, sûrs de leur efficacité, de Tout aurait com··
mencé par la fin,
tue sur son cadavre. Toute individualité se « consume >) leur fragilité et pourtant de la vio- à la veille du «mi-
dans la culpabilité. La victoire d'une loi ou d'une autre
lence qu'ils donnent à cet acte, lui me funèbre })
est toujours une catastrophe pour la Sittlichkeit} puisqu'elle (L'étrange mot
y ouvre un colpos où tout s'engloutit régulièrement, accorde encore ici la valeur d'un d') obséquant. Lo-
dont chaque bord, plutôt, s'effondre en cadence. Aussi, rite religieux. » gique de l'obsé-
pour que la Sittlichkeit s'accomplisse, il faut que l'englou- L'acte religieux, le vol anthique, quence
tissement s'engloutisse et que l'effondrement s'effondre.
L'équilibre (Gleichgewicht) entre les deux lois sera atteint le rassemblement de la fleur sont dédiés à celui-
quand le droit absolu, réconciliant le droit objectif et singulier individu - qui a perdu son membre au
le droit subjectif, engloutira les deux opposés, fera
tomber leur chute incessante. Telle sera la victoire
pied d'un arbre pour n'y plus repousser. Stilitano
apaisante du « destin » : « C'est seulement dans l'égale eut en effet le premier le « bénéfice d'un tel hom-
soumission (gleiche Unterwerfung) des deux côtés que le mage ». « Je crois que c'est par lui que je fus
droit absolu est accompli et qu'entre en scène la substance
éthique comme la puissance négative qui engloutit [dévore, initié, c'est~à-dire que la hantise de son corps
avale, verschlingt] les deux côtés ou comme le destin tout m'empêcha de flancher. A sa beauté, à son impu-
puissant et juste. >} deur tranquille, je dédiai mes premiers vols. A la
singularité aussi de ce manchot magnifique dont
la main, coupée au ras du poignet, pourrissait
Rire de la sœur. Comme si .elle savait qu'on ne peut quelque part, sous un marronnier, me dit-il, dans
pas mener ces mouvements d'engloutissement jusqu'à une forêt d'Europe centrale. Pendant le vol mon
leurs extrémités. Mais le rire est aussi de la mère. Ce rire
sourd, il n'éclate pas tout de suite, et plus tard dans la corps est exposé. Je le sais de tous mes gestes
scène, la dérision s'amplifie d'une répercussion sans origine. scintiller. Le monde est attentif à ma réussite s'il
désire ma culbute. Je paierai cher une erreur,
mais que l'erreur je la rattrape il me semble qu'il
y aura de la joie dans la demeure du Père. Ou
bien je tombe... »
A peine accomplie, l'essence éthique commence à se
dissoudre. Encore une fois deux lois s'opposent, mais
elles sont représentées par deux individus du même sexe.
Par les deux frères d'Antigone. Etéocle et Polynice se
combattent, l'un à l'intérieur de la communauté, pour la
défendre, l'autre pour l'attaquer du dehors. Le frère
d'Antigone n'est unique que selon la loi féminine de la
communauté familiale. Si Antigone déclare un seul frère,
celui qu'elle choisit en s'identifiant ou s'unissant à lui,
c'est celui qui combat la cité, Polynice. C'est: sur le cadavre
de Polynice qu'elle jette une poignée de terre en signe de
sépulture. Antigone est aussi le frère ennemi d'Etéocle.
Les deux frères se sont tués l'un l'autre. Je/tombe. Le jeu de l'anthérection par lequel
Comment cela est-il possible?
Une question scandalisée traverse le texte. Comment, je nais à mon nom suppose qu'en plus d'un coup
en somme, un frère est-il possible? Comment peut-on je foule des fleurs et fraye le fourré vierge de
avoir deux fils? Comment peut-on être le père de deux l'érianthe vers la scène primitive, que je fausse
phallus, l'un contre l'autre érigés? Comment peut-on
avoir un frère? Comment deux êtres du même sexe et fauche la généalogie. « ••• la demeure du Père.
peuvent-ils cohabiter dans une famille? c'est-à-dire - la Ou bien je tombe, et de malheurs en malheurs
question est moins facile qu'on ne croit - dans le règne c'est le bagne. Mais alors les sauvages, inévita-
éthique? Bien sûr, dans le règne naturel de l'animalité,
c'est possible. Deux mâles peuvent, par exemple, appar- blement le bagnard qui risquait « la Belle » les
tenir à la même portée. Mais justement ce ne sont pas des rencontrera par le procédé que, plus haut, décrit
frères. Les frères ne sont pas possibles dans la nature. en raccourci mon aventure intime. Traversant la
Mais non plus dans la culture. Il faut donc que la
fraternité se loge entre la nature et la culture. Figure de la forêt vierge, s'il trouve un placer que gardent
monstruosité : passant à la culture elle doit disparaître d'anciennes tribus, il sera tué par elles ou sauvé.

197
violemment. Deux frères ne peuvent, se tenant tête, que C'est par un chemin bien long que je choisis ·de
se tuer.
En tant que frères. Ce dont, mais non sans rire, meurt
rejoindre la vie primitive. Il me faut d'abord la
Antigone en sortant la dernière. condamnation de ma race. »
Au moment (en effet) où le jeune homme (é.duqué)
sort de sa famille pour devenir citoyen, il s'arrache à la loi
de la famille, à tout son système, à l'éthique naturelle et
immédiate. Pourtant il y. garde encore une adhérence
dans la mesure précisément où il a un frère. La figure de
deux frères ne peut être que contingente. A cause de cette
contingence (Zufalligkeit zweier Bruder), la naturalité
demeure. Et pourtant cette contingence irrationnelle, Entre Pépé. Pépé occupe alors tout l'espace
inconcevable -- les parents ne devraient jamais concevoir écartant - séparant - de cette phrase le para-
deux fils, du moins s'ils les veulent vivants - n'est
insolite ou angoissante que dans la mesure où elle n'est pas (gra )phe qui décline la signature et l'état civil,
tout à fait naturelle, comme ce serait sans doute le cas vers lequel nous nous dirigeons par un chemin
pour deux sœurs, sûrement pour deux chats. Mais les frères bien long.
ne sont ni des sœurs ni des chats parce que les mâles sont
mâles en tant qu'ils prétendent à l'universalité rationnelle,
à la loi et au droit. « Tous deux s'emparent avec un droit
égal (mit gleichem Rechte) de la communauté. » On ne peut Pépé, nom de père ou de grand-père, n'est-ce
pas concevoir que deu?, individualités identiques et
complètes - qui donc ne se complètent pas l'une l'autre pas aussi le diminutif de Joseph, le père exclu
- prétendent également à une seule et même chose qui (en soi ineffectif) de cela qui fut imm~culément
est une loi d'universalité. Le gouvernement (Regierung), conçu? Son nom frappe l'accent circonflexe, non
force de loi universelle incarnée dans une « âme simple »
ou dans le « soi-même de l'esprit de peuple », \« ne tolère. moins que ses caractères dévirilisés. « Pépé, me
pas la dualité de l'individualité (Zweiheit der lndividuali- dis-je, il se nomme Pépé. Et je m'en fus, car je
lat) ». Aucun droit d'aîness~ ou autre privilège de ce type venais de remarquer sa main petite, délicate,
ne peut résoudre ce problème. Etre né le premier, c'est
là, aussi bien que la simple dualité, un fait naturel que la presque féminine. [...] -- Je m'appelle Pépé, et il
rationalité éthique ne peut prendre en compte. Il n'y a tendit sa main. [...] C'est une fille, pensai-je en
d'autre issue que la mort. Comme les frères ont tous les
deux raison, la raison, en tant qu'hommes, et comme il
évoquant sa main gracile et je crus que sa compa-
ne peut pas y avoir deux - deux fondements, deux gnie m'ennuierait. »
discours, deux logoi, deux comptes, deux raisons, deux
têtes - ils ont tous les deux tort. Cela finit très mal,
«leur égalité de droit (gleiches Recht) au pouvoir les brise
tous les deux parce qu'ils ont tous deux également tort La rencontre de cette sorte de figure glabre
(gleiches Unrecht) ». avait été élaborée, une fois de plus, par une opposi-
Ils doivent s'abattre l'un (sur) l'autre. tion de noir et de blanc (<< laine noire/laine blan-
che », « drap noir » d'une pèlerine volée et « scène
Mais ils meurent encore une fois comme singularités,' nuptiale» entre deux légionnaires, « couple voilé
la communauté, attaquée et défendue par deux singularités
vidées, « se maintient elle-même », se construit sur la mort de tulle et revêtu d'un uniforme de parade »)
des frères. En tant que frères : mais le « en tant que » et, au milieu, la levée des oppositions, vers le
disparaît dans son apparaître même. « L'individualité en suspens indécidable, par le mouvement de grue
effet, qui met en péril le tout pour son être-pour-soi, s'est
exclue d'elle-même de la communauté et s'est dissoute 'en de l'accent circonflexe : « Ma parole, quand tu
elle-même. » La communauté honore celui qui la défend; lèves un client, c'est toi qui dois le payer, me dit-il.
le gouvernement de son côté le punit en le privant de [...] Le soir même je rapportai la pèlerine d'un
sépulture, en abandonnant son cadavre aux « chiens }) et
carabinier [...] grande pèlerine de drap noir. Je
Christiane Hegel avait -, elIe aussi - deux frères. Celui
m'en enveloppai pour revenir à l'hôtel, et je
qu'on appelle Hegel avait donc une sœur unique et un connus le bonheur de l'équivqque, non encore
frère unique (Georg Ludwig, officier dans l'armée de
Wurtemberg, qui meurt en 1812, après la Phénoménologie la joie de la trahison, mais déjà la confusion
de l'esprit, au cours de la campagne de Russie. On ne sait
rien de sa sépulture. Il portait les prénoms du père). s'établissait, insidieuse, qui me ferait nier les
La même année (premier volume de la grande Logique), oppositions fondamentales. »
c'est la naissance et la mort de la fille de Hegel, Susanna
Maria (catharre suffocant), qui n'aura donc pas connu
ses deux frères, nés en 1813 et 1814, Karl et Emmanuel.
Après la naissance de ce dernier, Hegel écrit à Nietham-
mer:

« Très cher parrain et ami,


["..] Lors du baptême, je vous ai remplacé. Je me suis alors
efforcé de me comporter négativement et de ne pas faire
obstacle entre les influences de votre parrainage et leur
effet sur lui, mais au contraire de tout laisser couler
librement et honnêtement. Son nom, dont vous vous
informez, est Thomas Emmanuel Christian, le dernier
prénom venant de ma sœur, le premier de Seebeck,
et le second -', par lequel nous l'appelons :- venant de
vous. Il porte le dernier parce qu'i! est chrétien et baptisé,
le premier parce qu'il doit aussi passer à l'autre extrême-·,
l'incroyance -, et le second, qui doit amener la fusion
des extrêmes dans l'amitié et la philosophie, et doit,
comme un point d'indifférence (Indifferenzpunkt), exercer
une influence températrke et compensatrice.
La bénédiction prononcée sur l'enfant ne s'est jusqu'ici
pas démentie. II prospère, grâce à Dieu. -, Ma femme,
quoiqu'elle n'allaite pas, est, il est vrai, aussi en bonne
santé... »
Joseph « est }) (bande) donc une fille, à peu
près, en érection (<< De l'ouverture sortait son
Réponse de Niethammer (en français le rivoir, le marteau
à river les clous) : cou solide, aussi large que la tête. Quand il la
« [...] Puisse-toi! ne pas avoir trop d'inclination du côté
tournait sans bouger le buste, un tendon énorme
de Thomas, et trouver le point d'indifférence sans sombrer bandait »), l'accent circonflexe un vieil Œdipe
dans l'indifférence et sans aboutir', pour ainsi dire, à
Inoni El J En ce qui concerne le nom de Christian, je m'en aveugle qui monte au calvaire soutenu par sa
remets avec confiance à l'esprit de ma commère dont il
porte le nom, pour qu'il devienne non pas un chrétien fille, mais sa fille est son père auquel il tient lieu de
faible d'esprit, mais un chrétien à l'espri,t vigoureux, sceptre ou de glaive ou de glaïeul. Pas d'Œdipe
ainsi qu'il convient à celui qui commence avec Thomas 1
Puisse la race des individus faibles et sans courage, qui en marche sans gl. Il est donc le phallus de son
joue la comédie du christianisme avec la croix, le sang,
la mort, l'humiliation, l'avilissement de soi-même, etc., père qui est à la fois sa mère et sa fille. Qu'est-ce
lui être toute sa vie en horreur, comme elle l'est à son
parrain! » que ça cavale.

199
Son autre éponyme (la «commère »), la tante, sœur
de Hegel, Christiane, se suicide en 1832 peu après la
L'Œdipe loge « en lui-même » déjà sa dérision,
mort de son frère. Elle avait été internée en 1820 à l'asile sa parodie, son simulacre, et, comme ce qui ne
d'aliénés de Zwiefalten, puis soignée par le frère de
Schell ing" Ses «troubles nerveux » commencent en 1814 lui revient jamais, de quoi se trouver renversé.
(après la mort de Georg Ludwig, au moment où Marie
Hegel est enceinte de son premier' garçon) : Comme toutes les fleurs. Au programme depuis
« Nuremberg, le 9 avril 1814.
toujours (oracle et bonne nouvelle), l'anthœdipe
Ton état, chère sœur, que tu décris dans ta lettre reçue arrive à chaque saison comme une fleur. Il se
hier, me touche beaucoup, ainsi que ma femme. Quant à crache derrière un réséda. C'est ainsi que Stilitano
ce qu'il y a à faire, la question ne se pose pas; si ton
accès de maladie est de telle nature qu'un voyage suffise le prend par la main et le dirige dans l'escalier qui
à ta distraction et à ton rétablissement, rends-nous visite
[ ...] Ma femme sera en couches cet automne, et si tu peux parle. L'escalier conduit toujours à la mort :
alors lui venir en aide, ta présence sera doublement
souhaitable C..] Nous pouvons te céder une chambre vers le haut: et par étapes, escales, avec le soutien
séparée dans une sorte de mansarde (qui naturellement est d'un autre. Œdipe et le Christ se sont rencontrés
chauffable ).
Avant tout, tranquillise ton cœur et ton esprit [, ..] dans un escalier.
Quant à la récompense pour ce que tu fais, cherche-la
en partie dans la vocation (Bestimmung) que tu avais à Il y va ici, faut-il le répéter, de marches.
remplir jusqu'ici par suite de ta situation économique,
en partie dans l'œuvre elle-même, dans le développement Stilitano dit « suis-moi ». Pierre de scandale
physique et spirituel des êtres qui te sont confiés [Chris-
tiane était gouvernante chez le Comte Von Berlichin-
où ne pas achopper.
gen]., .. - A part cela, délibère avec toi-même et avec le « - Suis-moi, dit-il. Et fais silence, l'escalier
médecin sur ce que tu as à faire pour ton bien. »
est bavard.
En novembre 1815, dans un brouillon de lettre de Chris-
« Doucement il me conduisit de marche en
tiane à Hegel : marche. Je ne savais plus où nous allions. Un
« .. , J'ai troublé l'ordre de votre ménage, cela me fait, de athlète étonnamment souple me promenait dans
la peine; mais je n'ai pas troublé la paix de votre ménage,
cela me tranquillise... » la nuit. Une Antigone plus antique et: plus grecque
me faisait escalader un calvaire abrupt et ténébreux.
Christiane s'installe alors près de son cousin le pasteur Ma main était confiante et j'avais honte de buter
Géiriz. Hegel : « ... Mes meilleures amitiés au cousin
Géiriz, ainsi qu'à sa femme et à sa sœur; c'est pour moi quelquefois contre une roche, une racine, ou de
un allègement tout particulier de savoir que tu as en sa
personne un ami et un conseiller si fidèle et si sincère; perdre pied.
confie-toi entièrement à lui, et soumets tes pensées à son
conseil bienveillant et à ses vues. La chose la plus impor-
« Sous un ciel tragique, les plus beaux paysages
tante pour l'être humain c'est de se soustraire à ses
pensées inactives et de trouver dans une activité féconde
du monde je les aurai parcourus quand Stilitano
en vue d'un but élevé la force de s'y soustraire et la satis,· la nuit prenait: ma main. De quelle sorte était ce
faction 'de son esprit - une activité telle ,que tu l'as
trouvée sous la conduite de ton ami; ajoutes,·y, malgré fluide qui de lui passait: en moi, me donnait une
l'éloignement, le souvenir de ton frère fidèle, '
Wilhelm . décharge? »
... je vois également par tes lettres que tu poursuis l'utile
activité d'enseignement que tu as commencée; la réussite
Gravir l'escalier, « escalader un calvaire »,
de ton entreprise me réjouit doublement, d'une part
parce que tu accrois ainsi ton revenu, et d'autre part
c'est aussi glorieux que l'ascension du corps sur
parce que tu es occupée d'une façon avantageuse pour ta l'échafaud (on monte à l'échafaud: « la mort: sur
santé et la satisfaction de ton esprit, et utile pour d'autres
[...] La chose essentielle, c'est que tu auras trouvé, comme l'échafaud qui est notre gloire ») et les deux larrons
je l'ai dit, dans la confiance des habitants d'Aalen et dans
ta bienfaisante activité un soutien et une satisfaction s'entendent pour jouer tous les personnages à la
100
pour ton esprit et ta conscience, et ce motif doit toujours
tenir la première place dans notre conduite. Je t'envoie
fois. Le père Œdipe (Marie-]ochriste) est conduit
ci-joint par avance les intérêts échus du capital de 300 flo- par la main, certes, de son enfant, fils ou fille, vers
rins, avec un petit supplémenL. »
la chambre, chambre d'hôtel, simulacre de pièce
Deux ans après, trois lettres au cousin Gëriz pour lui
demander d'agir « en mon nom comme un frère » au
familiale et de temple, qu'ils explorent dans la
moment où advient ce qu'un homme peut redouter de
pire, l'expérience la « plus dure » et la « plus malheu-
nuit comme des voleurs. L'escalier cause et ordonne
reuse ». tout l'espace. « A peine l'avais-je touché, l'escalier
« Berlin, le 19 mars 1820.
Je te suis très obligé, cher cousin, pour l'envoi de mon
changeait : il était le maître du monde », lui,
certificat de baptême, et aussi pour la question de ma
dette à ton égard, dette dont je voudrais bien m'acquitter
Stilitano et non l'escalier. Mais Stilitano est le
personnellement, mais dont tu veux ajourner le paiement maître en tant qu'il soutient (dans) l'escalier.
jusqu'à ce que je rende visite à notre vieille patrie;
mais cela durerait trop longtemps, et les intérêts s'accu- Le glorieux manchot forme une sorte de colonne
muleraient; il sera possible de régler la chose avec ma
sœur. tronquée, châtrée, autour de laquelle s'entortille,
Je te suis également obligé pour les tristes nouvelles que comme une plante, l'escalier. Occurrent toujours
tu n'le donnes au sujet du malheureux état de celle-ci;
mes occupations m'ont empêché de te répondre plus tôt autour d'une colonne fictive.
à ce sujet; hier j'ai terminé mes cours; mais aujourd'hui
encore je ne sais ce que je dois répondre à ce sujet; Autre scène d'escalier. Cette comme on sait,
cette nouvelle m'a bouleversé, c'est la chose la plus dure au moins depuis
(das Harteste) qui puisse toucher un homme, Elle s'était fois l'hôtel de la sainte famille est Jacob, chaque fois
pourtant remise en peu de temps du premier accès qui
l'avait prise lorsqu'elle était encore chez monsieur von borgne. C'est une parenthèse qu'on rêve d'un
Berlichingen: mais elle en avait conservé, il est vrai. acte sexuel, cela
« (Parfois, je rencontre quelque représente symbo-
un état psychique fâcheux et instable. Cette rechute
serait-elle peut-être en relation avec son âge, et le change-, gosse, le soir, et je l'accompagne liquement une
ment qui se produit alors dans la constitution féminine
(mais qui normalement aurait déjà da se produire chez jusqu'à sa chambre. Au pied de escalade ou une
elle il y a quelques années) aurait-il eu cet effet? Mainte- dégri ngolade.
nant encore, tu qualifies son état d' « hystérique », l'escalier, car mes voyous habitent « Escaliers, échel-
comme il l'était alors.
La seule consolation que je puisse avoir en cette circons-
des hôtels borgnes, il me prend les, la marche sur
un escalier ou sur
tance, c'est de la savoir sous ton affectueuse garde, et par la main. Avec la même adresse une échelle, la
que -, comme tu me l'assures dans ta lettre '- il ne lui
manque rien. Mais que faire en dehors de cela? quelles que Stilitano il me guide.) » montée aussi bien
dispositions prendre, quelle cure prévoir? Là-dessus, que la descente,
je dois encore faire appel à ton affectueuse sollicitude sont des représen-
et à ta décision. Comme c'est en premier lieu l'état Ce qui se colle au corps de la
tations symboli -
physique hystérique qui provoque cette libération
[Entbindung, c'est aussi la délivrance, l'accouchement] colonne tronquée, le long de l'esca- ques de l'acte
des passions intérieures, on devrait pouvoir espérer un lier qui s'enroule, c'est bien un fils sexuel. » (Traum-
rétablissement grâce à ton affectueuse sollicitude, en deutung.)
liaison avec un traitement médical; comme dans son devenu père. De son père, sans L'escalier, donc,
état de confusion mentale elle conserve sans doute en
même temps la conscience de la réalité qui l'entoure, doute, de qui le serait-on? parle. Il est so-
le soin que tu prends d'elle est ce qu'il y a de plus nore (bois). Com-
bienfaisant pour son esprit troublé, que seuls peuvent me les cloisons
maîtriser l'estime et le respect qu'elle a pour toi. Cependant sa marche : « ... d'un hôtel, comme
Encore une fois, me rd du fond du cœur pour toute ta
bonté et tout ton amour dans une circonstance si triste;
Avec la même adresse que Stilitano ses galandages (il
aime bien le. mot
je te prie de me donner encore de temps en temps des il me guide.) et toute sa litté-
nouvelles d'elle et des changements qui se produisent
dans son état. Je te prie de transmettre mes cordiales rature formerait
salutations aux tiens. Ma femme et mes enfants sont, « -' Prends garde. un galanthe: le ga-
grâce à Dieu, en bonne santé - mais je vois seulement
maintenant, par les salutations que tu envoies, que tu es lanthe est une
remarié; il ya plus d'un an que je n'ai pas reçu de nouvelles « Il murmurait cette expression fleur de lait). « Sé-

ZOI
de ma sœur: reçois donc mes cordiales félicitations: paré par une cloi-
puisse dans ce mariage tout ton amour t'être rendu en trop douce pour moi. A cause de la
son d'Armand,
retour. position de nos bras j'étais collé à
Ton cousin et sincère ami, couché avec Ro··
Hegel. » son corps. Un instant je sentis le bert, je souf-
frais de n'être à
« Berlin, le 13 mai 1820.
mouvement de ses fesses mobiles. la place de l'un
Cher cousin, Par respect je m'écartai un peu. d'eux, ou d'être
Au début d'avril, je t'ai fait part dans ma lettre des nou .. avec eux, ou
velles qui me sont parvenues de jaxthausen au sujet de Nous montions, limités étroite- d'être l'un d'eux,
ma sœur malade, et je t'ai prié de continuer à lui accorder
de loin ton assistance. D'après d'autres lettres venues ment par une paroi fragile qui je les enviais mais
de là-bas, il paraît nécessaire d'établir pour elle une cura·· je n'avais aucune
telle pécuniaire et personnelle. Elle est, il est vrai, à
devait contenir le sommeil des haine. Je montai
Neustadt: et, d'après ce qu'elle m'écrit, elle y jouit putains, des voleurs, des souteneurs l'escalier de bois
d'une très bonne hospitalité: mais elle a déjà trouvé
avec beaucoup
dans cette situation des circonstances qui lui font souhaiter et des mendiants de cet hôtel. J'étais de précautions car
des changements de celle-ci. Etant donné l'éloignement
Ol! je me trouve, je dois m'adresser à d'autres pour un enfant que son père conduit il était sonore et
effectuer ce que je ne peux faire moi-même: et en qui presque tous les
pourrais-je avoir plus de confiance qu'en toi, mon vieil avec prudence. (Aujourd'hui je suis
galandages de
ami et cousin! Ce dont ma sœur a besoin, c'est de l'ami
que tu as été jusqu'ici pour elle dans l'administration
un père que son enfant conduit à bois. »
de ses affaires financières et dans les conseils relatifs à l'amour.) » Jalousie insatiable,
son état: mais il faut aussi que cet ami possède une auto- de soi-même, déjà
rité juridique pour le traitemènt de ces affaires. Monsieur Aujourd'hui, entre parenthèses, Ge manque, je me
le conseiller d'Ëtat comte de Berlichingen m'indique,
il est vrai, le tribunal des orphelins de Stuttgart, auquel c'est le présentement de l'écriture : manque) : abat-
incombe la ratification d'une curatelle, ainsi que l'exercice tre les cloisons,
de la surveillance" Mais je ne puis effectuer' directement
je suis un père. Mais le « j'étais un les clivages, les
d'ici l'établissement régulier d'une curatelle, et je ne enfant » de ·la phrase précédente, galandages pour
puis contribuer aux démarches nécessaires que par occuper toutes les
procuration. C'est pourquoi, je te prie, dans cette malheu- hors parenthèses, appartient au places à la fois,
reuse affaire -- la plus malheureuse (unglücklichsten)
qu'il puisse y avoir pour un homme - de t'emplqyer temps du même récit selon lequel, s'aimer à la place
au mieux et d'entreprendre les démarches convenab\les. de l'autre, mettre
Si de mon côté une procuration en règle était nécessaire- une page plus haut, ou une marche
fin à la pire souf-
en dehors de ce pour quoi je te dOnne pleins pouvoirs
dans cette lettre - je te la ferais parvenir d'après tes ins-
plus bas, l'enfant était le vieil france (être jaloux
tructions: mais ma procuration en vue d'instituer pour Œdipe soutenu par sa fille (StiH- de ne pas être
ma sœur une curatelle ne pourrait se fonder que sur des assez jaloux, de
attestations médicales et des témoignages d'autres tanantigone) à laquelle il donnait ne pas même pou-
personnes relatifs à son état et à son comportement
- attestations et témoignage, que je serais obligé de te une « main confiante ». Qui donne voir se réappro-
demander, car tu les a déjà ou tu peux les avoir ,~ientôt: prier la jalousie
et l'espèce de curatelle que tu as exercée jusqu'ici justifie
un coup de main à qui dans l'his- comme sa souf-
de ta part la demande d'une nouvelle autorisation.juri- toire? A qui revient la main? Quel france, son mal, le
dique. J'ai écrit aujourd'hui au docteur Uhland à Neus- sien même), s'ava-
tadt, qui est son médecin et qui lui a procuré un logis, en sens a-t-elle à trembler? Qui émet ler, s'attoucher.
le priant de se mettre en rapport avec toi - d'une part
en ce qui concerne les frais de son séjour là-bas, étant gl, la décharge du fluide? s'accoucher, se
donné que c'est toi qui as eu jusqu'ici en main ses affaires donner naissance
financières. Comme ses moyens ne suffiront pas à lui Stilitano, le père fils et fille à et se donner le
procurer un logis convenable (la somme fixée par contrat
pour la nourriture et le logement est de 300 ft. par an). colonne, le styliste manchot, se sert sien, puis se ban-
je me suis engagé à verser un supplément de 100 à 150 fi.: der à mort, se
sur cet aspect de la question, il faudrait donc tout d'abord
toujours, en guise de crochet, de masturber enfin
que je m'entende avec toi. D'après une indication que l'accent circonflexe qui lui prête la ou se baiser soi-
tu m'as donnée antérieurement, elle a pu vivre très même en s'écou-
convenablement à Aalen avec ses propres ressources: main aux alentours des lieux où il lant : je m'ec, je
à Neustadt, élie désire vivement y revenir, et la question
est de savoir si elle peut y rester et si on peut l'y laisser.- élabore sa luminosité. L'accent cir- m'enc

202.
D'autre part, j'ai prié le Dr. Uhland de te donner des
informations sur son état; on verra ainsi si elle peut conti- conflexe devient alors son phallus, le membre
nuer à mener une vie privée ou si elle doit être confiée
aux soins d'une institution publique. Pour qu'elle puisse
détaché qui repousse après avoir pourri au pied
mener paisiblement la première, la seule chose nécessaire, d'un arbre. « En demeurant inaccessible il devint
d'après ce qui m'a été rapporté et d'après ce que tu
as toi-même déjà appris, c'est une autorité s'exerçant le signe essentiel de ceux que j'ai nommés et qui
légalement sur elle; pour la seconde chose, seule une
curatelle en bonne et due forme pourrait en décider. me terrassent. J'étais donc chaste. Parfois il avait
Je te prie donc ici d'agir en mon nom comme un frère; le
plus grand apaisement pour moi, c'est de pouvoir te voir la cruauté d'exiger que je boutonnasse sa ceinture
à mes côtés dans cette affaire - cette affaire sacrée. et ma main tremblait. (Je parlerai plus loin du
L'heur<de la poste sonne; je termine avec mon plus
cordial adieu. caractère de mes mains et du sens de ce tremble-
Ton cousin,
, Hegel. » ment. Ce n'est pas sans raison qu'on dit aux
Indes que les personnes et les objets sacrés
« Berlin, le 17 juin 1820.
Cher cousin, sont des Intouchables.) Stilitano était heureux de
En réponse à tes amicales informations de la fin du mois
dernier, je t'envoie ci-joint: 1° Une traite de 300 fL, m'avoir sous ses ordres et à ses amis il me présen-
comme paiement de la somme dont j'étais redevable
à ma sœur (il me vient seulement à l'esprit maintenant tait comme son bras droit. Or c'est de la main
que j'aurais da y joindre les intérêts à tant pour cent -- droite qu'il était amputé, je me redisais avec
mais cela peut être fait par la suite). Il n'a pas été possible
de tirer un billet à ordre sur Stuttgart; mais des traites ravissement que certes j'étais son bras droit, j'étais
tirées sur Francfort sont, autant que je sache, recherchées
à Stuttgart, et tu pourras peut-être la vendre à Aalen celui qui tient lieu du membre le plus fort. »
même. 2° Je t'envoie en même temps une procuration
pour la tutelle que tu as l'amabilité de bien vouloir assu-
mer. Mais cette procuration ne peut avoir d'effet que si
la tutelle est acceptée et reconnue juridiquement. Tu
sauras mieux que personne ce qu'il y a à faire à cet égard,
et tu voudras bien t'en charger.
Cette formalité de la tutelle est aussi en relation avec ce
que je serai en mesure de faire encore pour l'entretien
de ma sœur. Si elle reconnaît et accepte de bon gré une
tutelle, tout ira bien; mais si elle reste libre de ses actions,
je ne puis à aucun égard consentir -- même si j'avais plus
d'argent que je n'en ai - à soutenir pécuniairement ses
extravagances (Extravaganzen) et à assumer les frais qui
en résulteraient. Une telle assurance ne peut résider
que dans un règlement juridique, qui ne lui laisse pas la
faculté d'agir à son gré en repoussant tous les bons
conseils; le médecin de Zwiefalten a nécessairement aussi
besoin d'une telle autorisation pour lui donner ses soins
- qu'il fait d'ailleurs payer un peu cher, en proportion
du prix de pension. Je te prie donc expressément de faire
en ton nom ou au mien les démarches dans ce sens auprès Dix lignes plus bas, tranchant royalement ce
du tribunal des orphelins de Stuttgart.
De même que je te remercie pour les preuves d'amitié que développement, sans autre élaboration apparente,
tu m'as données, et d'avance pour celles que tu me donne-
ras encore, de même je te prie de témoigner à madame ta au moment où Stilitano quitte la scène ouverte
mère et à tes frères et sœurs, particulièrement au secré-
taire des postes, ma cordiale reconnaissance pour les par « suis-moi » l'accent circonflexe ouvre une
multiples peines qu'ils se sont données: je souhaite avoir autre scène, la sienne, celle de l'accent qui s'annonce:
un jour l'occasion de te rendre service, à toi et aux tiens.
Adieu! voici qui je suis, où et comment je suis né, comment
Ton cousin fidèle,
Hegel. je me nomme, me baptise moi-même (Jean a baptisé
Puis-je te prier de faire parvenir à ma sœur la petite lettre
ci-jointe. » . le Christ), je m'appelle, je m'écoute, me surnomme
A la page 3 de cette lettre, la procuration suivante:
«Je donne par la présente pleins pouvoirs à mon cousin,
fleur (le baptême est une seconde naissance), je
Monsieùr le doyen M. Gëriz - étant donné que ma sœur nais une fois de plus, je m'accouche comme une
Christiane Hegel, d'après toutes les informations reçues,
se trouve atteinte de maladie mentale - pour agir en fleur. La race étant condamnée, l'accent circonflexe
mon nom dans les affaires qui la concernent, et je l'institue
son tuteur, pour autant que la chose dépend de moi. se sacre en ouvrant la bouche et tirant la langue-·
G. W. F. Hegel
Professeur de philosophie
la syllabe traîne un peu - s'élève et se place
à l'Univer:sité royale
de cette ville.
lui-même en tête couronnée.
Berlin, le 17 juin 1820. »

Un an après, Christiane quitte la maison de santé de Zwie-


falten:

«Berlin, le 12 aoOt1821.
Ma chère sœur,
Je me suis cordialement réjoui d'apprendre par ta lettre La fleur de rhétorique organisant cet antitrope,
de juin l'heureux rétablissement de ta santé, ainsi que le
raffermissement et le resaisissement de ton esprit, cette métonymie simulant: l'autonymie, je la baptise
et je souhaiterais pouvoir, après la lecture de ta lettre,
m'en tenir uniquement à ce sentiment. Mais je devrais anthonymie. On aurait aussi pu dire anthonomase.
surtout souhaiter que les sentiments douloureux et
amers qu'elle a éveillés en moi ne concernent que le L'antonomase est « une sorte de synecdoque qui
passé et ne s'appliquent pas au présent et à l'avenir.
Car ce raffermissement de ton esprit doit permettre
consiste à prendre un nom commun pour un
d'espérer que tu surmonteras le passé, le souvenir de tes nom propre, ou un nom propre pour un nom
souffrances, le sentiment d'avoir subi du tort et des offen-
ses. Et tout d'abord je dois attirer ton attention sur ce commun ». (Littré)
fait: tu dois travailler à rejeter loin de toi ce passé et te
préoccuper de l'état actuel de ton esprit et de ton com-
portement à l'égard des autres. Plus tu pourras, à partir
de cette attitude présente, vaincre et chasser ces souve-
nirs, plus ton esprit deviendra sain, et plus tes rapports
avec les autres deviendront amicaux. Dans ta lettre,\tu
as jugé nécessaire, pour ta justification, de revenir sur
tant de choses douloureuses; c'était sans doute pourtoi
un besoin de me convaincre des mauvais procédés que
tu avais subis; mais tiens-toi en général pour convaincue
que le fait de rappeler ce passé dans ton souvenir ne peut « Je rentrai à l'hôtel. Je prévins Stilitano qui
être que défavorable à l'achèvement de ta guérison; et
à l'égard des autres, ce qui te justifie le mieux, c'est ton
me dit qu'il se chargeait d'arranger l'affaire et
actuel comportement sensé. Quant à la justification il sortit.
qui pourrait découler d'une mauvaise conduite des autres
à ton égard, elle prend nécessairement la forme de repro-
ches, et par conséquent elle détourne de toi la sympathie
de ceux aux yeux desquels tu voudrais te justifier, bien
plus qu'elle ne la gagne. Faire disparaître en toi le souvenir
du tort subi: tel est le meilleur conseil que je puisse te
donner pour ta santé; mais considère cela comme extrê- « Je suis né à Paris le 19 décembre 1910.
mement important ..
Je devais assurément m'attendre à ce que tu écrivisses à Pupille de l'Assistance' Publique, il me fut impos-
ton frère au sujet des circonstances qui ont contribué
à te rendre si malheureuse; mais cela doit m'amener aussi sible de connaître autre chose de mon état civil.
peu que possible à vouloir en justifier d'autres ou me
justifier moi-même à tes yeux et à réveiller de nouveau
Quand j'eus vingt et un ans, j'obtins un acte de
en toi ce que tu dois considérer comme révolu; c'est naissance. Ma mère s'appelait Gabrielle Genet.
pourquoi je veux seulement toucher brièvement quelques
points, qui peuvent avoir un intérêt à l'égard de l'avenir. Mon père reste inconnu. J'étais venu au monde
Que tu ne puisses de nouveau entrer en rapports avec
le doyen Gëriz (il me semble de plus en plus que ces au 22 de la rue d'Assas.
rapports ont été la cause de ta maladie), cela - après tout
ce que tu m'as écrit - se comprend de soi-même. Tu
« Je saurai donc quelques renseignements
exprimes encore la pensée de revenir sur les terres du sur mon ongme, me dis-je, et je me rendis rue
comte de Bedichingen : je vois par là que, comme il est
naturel, tu n'as qu'une idée imparfaite de l'effet que ton d'Assas. Le 22 était occupé par la Maternité.
comportement a produit sur les autres quand tu étais
malade, et que tù peux d'autant moins comprendre leur On refusa de me renseigner. Je fus élevé dans le
comportement à ton égard; mais il résulte de là une invi-
tation d'autant plus pressante à éloigner de toi les idées
Morvan par des paysans. Quand je rencontre dans
que tu t'en fais. Je ne suis naturellement plus en corTes- la lande - et singulièrement au crépuscule, au
pondance avec monsieur le comte.
En ce qui concerne ma conduite, je dois mentionner deux retour de ma visite des ruines de Tiffauges, où
choses: je t'ai écrit à Neustadt, et dans cette lettre je t'ai
invitée avant tout à diriger ton âme vers la pensée de vécut Gilles de Rais-- des fleurs de genêt, j'éprouve
Dieu et à obtenir de l'amour suprême la force et la conso-
lation; de même, dans une lettre adressée à Zwiefalten; à leur égard une sympathie profonde. Je les consi-
mais pour moi, c'est comme si tu y avais répondu d'une dère gravement, avec tendresse. Mon trouble sem-
façon que je n'attendais pas, et cela ne pouvait venir
davantage du plus profond de mon cœur. Bref, après ble commandé par toute la nature. Je suis seul
cette lettre, j'en ai reçu une de toi m'annonçant que tu
voulais quitter Neustadt, Ol! la mienne ne t'a donc plus au monde, et je ne suis pas sûr de n'être pas le
rejointe; j'ai écrit à Stuttgart, mais j'ai reçu de là-bas la
nouvelle que tu avais également quitté cette ville; ainsi, roi ._- peut-être la fée de ces fleurs. Elles me
mes exhortations, comme l'aide que des amis eussent
pu t'apporter sur ma prière, ne pouvaient plus t'atteindre.
rendent au passage un hommage, s'inclinent sans
Cette lettre te touchera-t-elle encore à Zwiefalten, ou s'incliner mais me reconnaissent. Elles savent que
bien à Stuttgart? _. Quant à la seconde chose - te confir-
mer l'intérêt que je te porte par un envoi d'argent - tu je suis leur représentant vivant, mobile, agile,
sais que j'ai réuni les 300 fi. que je devais encore et que
je les ai envoyés à notre cousin le doyen; je me suis éga- vainqueur du vent. Elles sont mon emblème
Iement engagé, dans la mesure de mes possibilités, à t'assis-
ter pécuniairement par la suite. Le remboursement de
naturel, mais j'ai des racines, par elles, dans ce
ce capital m'a naturellement gêné depuis; mais je m'effor- sol de France nourri des os en poudre des enfants,
cerai d'y contribuer, aussitôt que je saurai Ol! tu dois t'éta-
blir . Je regrette que tu n'aies pas voulu demeurer à Zwie- des adolescents enfilés, massacrés, brûlés par Gilles
falten - ne serait-ce qu'à cause des frais de voyage et du
transport de tes bagages. Tu ne peux retourner à Aalen, de Rais.
après tout ce qui t'est arrivé là-bas, et à cause de l'impres-
sion que tu as produite durant ta maladie. Mais j'aurais
« Par cette plante épineuse des Cévennes *,
considéré une petite ville comme l'occasion la plus avan- c'est aux aventures criminelles de Vacher que je
tageuse pour toi - ne serait-ce qu'à cause de la modicité
du prix de la vie. Mais pourquoi ne mentionnes-tu pas participe. Enfin par elle dont je porte le nom le
du tout la possibilité de t'occuper de nouveau d'enseigne··
ment, ainsi que tu l'as fait avec un grand succès et en monde végétal m'est familier. Je peux sans pitié
t'attirant, comme tu l'écris, le souvenir reconnaissant des
gens d'Aalen? Cela te procurerait un supplément de res-
considérer toutes les fleurs, elles sont de ma
sources plus sOr que celui que tu attends d'une aide famille. Si par elles je rejoins aux domaines infé-
extérieure; le fait de t'assigner un tel but, grâce à quoi
tu peux être utile à d'autres, sera le plus sûr moyen de rieurs - mais c'est aux fougères arborescentes
conserver ta santé spirituelle, et du même coup ta santé
corporelle. Je ne puis assez regretter qu'à Aalen tu aies et à leur marécages, aux algues, que je voudrais
abandonné cette occupation et que tu te sois mise dans
la dépendance d'autres personnes sur lesquelles tu pen- descendre--· je m'éloigne encore des hommes **. »
sais pouvoir te reposer - ce qui sans doute a causé ta
maladie. Si tu veux te reposer sur toi-même, c'est alors
Que tu seras en sécurité intérieurement et extérieure- * « Le jour même qu'il me rencontra, Jean Cocteau
ment - sur toi-même, c'est-à-dire en même temps sur me nomma « son genêt d'Espagne ». Il ne savait pas
un esprit dirigé vers un but élevé. - Pour ce qui est de ce que cette contrée avait fait de moi. »
l'enseignement, c'est aussi mon gagne-pain, et je m'en
honore, de même que cela me vaut d'être honoré par
d'autres. Comment cela pourra-t-il s'arranger pour toi? ** « Les botanistes connaissent une variété de genêt
Des amis pourront à ce sujet te conseiller sur place; mais, qu'ils appellent le genêt ailé. »
je t'en prie, accueille les bons conseils que d'autres te phallus ailé, « bite ailée» du Miracle. Au cours de
donnent. Tu dois au moins m'en croire sur ce point: tu as P.ompes funèbres, la mère (la bonne) de J. D. suit
durement blessé les sentiments bienveillants d'autres son corps, « pour aller jusqu'au cimetière, elle
personnes envers toi, et tu les a rendus défavorables,
parce que tu n'as pas accepté le conseil et l'aide qu'ils disposa son voile en arrière, tournant simplement,
t'offraient pour ton plus grand bien et que tu ne t'es pas sur sa tête, ce chapeau ailé fantastiquement ». « Le
laissée détourner de ce qui est devenu nuisible pour toL. cheval conduisant le corbillard était las », elle vou-
Accepte ces souvenirs fraternels, tels qu'ils sont sortis lait éviter « l'attitude cavalière d'une dame très
de mon cœur; laisse la paix s'installer dans ton cœur 1 fière », « c'était elle la morte»
Encore quelques mots sur ma femme et mes enfants (ces
derniers donneront eux-mêmes de leurs nouvelles) : nous
nous trouvons cet été, grâce à Dieu, en meilleure santé Ce nom de fleur serait donc un cryptogramme
que l'hiver dernier, où j'étais mal portant, et oCi ma femme
était encore plus souffrante et plus faible. En ce qui ou un cryptonyme. Il n'est pas propre parce qu'il
concerne ma situation, il y aurait beaucoup à dire: si
satisfait que je sois, la situation dans un grand Ëtat est est commun. D'une part,
différente et, étant donné ma fonction, elle ne peut être
toujours pour moi exempte de soucis et de craintes antonomase. Cette aliénation, déjà, avant même
(fondés ou non). Adieu ma chère sœur.
que je ne revienne à moi, promène mon nom pro-
Ton frère, pre dans la rue, le classe dans le monde «naturel »,
Wilhelm. » glace l'appellation dans une chose extérieure,
dans son nom ou dans sa forme. Ma signature traîne.
Déréliction, errance sans fin. Parmi les choses,
Six ans plus tard, toujours de Berlin (1827). équivalente, mais absolument seule. Elle aura
pris selon des voies très diverses. Il faudrait en faire
« Ma chère sœur, l'analyse systématique. Par exemple, dans le cas
[...] J'ai appris par ta lettre l'accident arrivé à mon buste:
du genêt, la constitution de l'emblème est assez
il est, il est vrai, friable ... »
(Manque la moitié inférieure de la lettre.) facile et proche de la conscience - c'est pourquoi
cette lecture est très préliminaire·- dans la mesure
oCl elle passe par une forme nominale entière. L.e
cheval ou la fleur ne prennent pas le dehors comme
le chien de Giacometti : ce dernier se détache
Quatre ans plus tard (année de la mort).
-- mais tire aussi, comme toute signature, sur sa
({ [...) Il n'a plus été possible de se procurer une gravure laisse .- suivant un tout autre trajet. Relire « en
de moi, dont tu as souhaité avoir deux exemplaires: mais boule» : «Son horizontalité rigide restituait par-
comme j'ai été non seulement gravé sur cuivre, mais faitement la forme que garde le chat, même lorsqu'il
aussi taillé en relief, je veux t'envoyer deux de ces médail-
est en boule.
les - et je l'aurais déjà fait, si je savais de quelle façon.
Par la poste, elles reviendraient plus cher que le prix «Comme je m'étonne qu'il y ait un animal, - c'est
d'achat: je veux donc attendre encore une occasion le seul parmi ses figures :
propice. [...] Nous sommes pour l'instant et - il faut « LUI. - C'est moi. Un jour je me suis vu dans la
l'espérer _. pour toujours préservés de tous les troubles: rue comme ça. j'étais le chien.
mais notre temps reste cependant un temps inquiétant,
oCi ce qui passait jusqu'ici pour ferme et assuré semble « S'il fut d'abord choisi comme signe de misère et
chanceler... » de solitude, il me semble que ce chien est dessiné
comme un paraphe harmonieux, la courbe de
l'échine réponaant à la courbe de la patte, mais ce
paraphe est encore la magnification suprême de la
La médaille offerte à Hegel par ses élèves porte sur son
verso un génie céleste, debout, et flanqué d'une femme solitude. »
sur sa droite. Elle tient une croix dont le génie va s'empa-
rer. De l'autre côté, un philosophe assis devant une
colonne. Au·dessus de la colonne, la chouette qui prend
son vol au bout de l'histoire. Le philosophe écrit dans un
livre ouvert sur ses genoux.
A peu près au même moment, Hegel est fait Chevalier
de l'Ordre de l'Aigle Rouge de 3e classe pour services
rendus à la science et en sa qualité de professeur. L'aigle L'emblème, le blason ouvrent et ferment (bruit et

206
rouge n'est pas l'aigle napoléonien, le seul devant lequel strkture du clapet) l'épanchement saccadé d'une
l'idéalisme spéculatif se soit agenouillé . Comme devant blessure, Tout J'Atelier travaille cette blessure.
« l'esprit du temps» qui s'avance « telle une phalange
La signature est une blessure et il n'est pas d'autre
cuirassée et compacte, irrésistiblement, et avec un mou··
vement aussi peu perceptible que celui du soleil ». Telle origine à l'œuvre d'art. « Il n'est pas à la beauté
,i lettre à Niethammer (5 juillet 1816) déborde de mépris d'autre origine que la blessure, singulière, différente
pour ceux, « fourmis, puces et punaises », qui prétendent pour chacun, cachée ou visible, que tout homme
s'y opposer et qui ne sont même pas dignes, comme il garde en soi, qu'il préserve et où il se retire quand
est dit dans l'Ëvangile, de délier ses chaussures : « Ils
peuvent arriver jusqu'aux cordons de soulier du colosse il veut quitter le monde pour une solitude tempo-
et les enduire d'un peu de cirage ou de fange, mais ils raire mais profonde. [ ...] L'art de Giacometti me
ne peuvent les délier; encore moins peuvent-ils lui semble vouloir découvrir cette blessure secrète de
reti rer 1es chaussures des dieux qui [ ..,,] ont des semelles tout être et même de toute chose, afin qu'elle les
élastiques, et encore moins les bottes de sept lieues,
illumine. » Et sans transition apparente _ .. un
lorsqu'il les chausse. [ ... ] on peut même, pour l'édifica-
tion de toute la compagnie affairée et zélée, aider soi- large blanc - c'est le paragraphe d'Osiris dans la
même à enduire les souliers du géant avec la poix qui « crypt~ du Louvre ». La blessure cachée de la signa-
doit le retenir, et pour son propre amusement prêter ture, le cryptogramme saignant, c'est le morcelle-
son assistance .... ». La même année (1831), Victor Cousin mentd'Osiris. Mais l'économie dela signature n'inter··
devient officier dans l'Ordre de la Légion d'honneur,
lui-même institué par l'Empire (l'autre aigle). Il l'annonce rompt jamais son travail. Elle trouve dans le reste
à Hegel : « Me voici, mon cher ami; causons un d'infirmité un apotrope supplémentaire, une sorte
moment comme si nous étions encore couchés l'un et de réséda. Comme Stilitano bande un peu plus
l'autre sur votre sopha à trois cents lieues des importuns d'être manchot. Comme Querelle de loucher. Œdipe
et des affaires. Comme je vous l'avais à peu près annoncé,
n'aura jamais si bien marché que depuis son acci-
on m'a fait Conseiller d'Ëtat, et officier de la Légion
d'honneur; c'est un peu plus de relief sans beaucoup dent, si l'on peut dire, récent. Œdipe est classé,
plus d'occupation. Mais pour la carrière politique, Je vous mais parce que boiter donne de la classe, confère
répète que je n'y veux pas entrer. La députation elle-mêm~ un nom plus ou moins propre. Claudication: classi-
me tente assez peu et je reste fidèle à la philosophie. Ma fication. Au funambule à terre : « j'irais même
place au Conseil de l'Instruction publique ne m'est agréable
que par les services qu'elle me permet de rendre à la phi·· jusqu'à lui conseiller de boiter. ». «II (Giacometti)
losophie; et entre nous je puis dire que depuis un an je lui reprend la marche en boitant. Il me dit qu'il a été
en ai rendu d'assez grands. J'ai constitué l'Ëcole normale, très heureux quand il a su que son opération
c'est-à··dire notre vrai séminaire philosophique, j'ai .- après un accident - le laisserait boiteux. Voilà
renouvelé le personnel des professeurs; j'ai fait des règle- .
pourquoi je vais hasarder' ceci : ses statues me dbn-
ments, institué des concours; enfin donné administrative-
ment une forte impulsion à vos chères études. C'est pour nent encore l'impression qu'elles se réfugient, en
cela que je suis entré au Conseil; le jour où je n'aurais dernier lieu, dans je ne sais quelle infirmité secrète
plus cette utile influence sur les études philosophiques, ce qui leur accorde la solitude. »La «blessure secrète»
jour-là je me retirerai et me bornerai à servir la philoso- est aussi le « for intérieur» du funambule «c'est
phie par mes cours et mes ouvrages . Mettez-vous donc
bien dans l'esprit, cher Hegel, que toute mon âme est elle qu'il va gonfler, emplir. »
toujours à la philosophie. C'est là le fond du poème de
ma pauvre vie, comme je vous le disais: la politique n'en
remplit que les épisodes. »
Pour faufiler toute la correspondance ou toute la liaison
Cousin/Hegel (II s'agit de se laisser pénétrer, voire
féconder, au nom de la France, par le concept aquilin) :
« .H Comment allez-vous? Comment va la bonne
Mme Hegel? Et vos enfants?- Votre âme est en paix, Hegel.
La mienne est souffrante. Je passe ma vie à regretter ma
prison [Cousin avait été arrêté à Dresde pour «parti-
cipation à des menées révolutionnaires allemandes »,
dont Hegel l'avait d'ailleurs toujours cru innocent. Mais
son incontestable « libéralisme» avait rendu l'accusation
plausible, comme il avait motivé la suspension de ses L'atelier ouvre sur tous les bordels où le boiteux
cours en Sorbonne et à l'Ëcole normale, d'ailleurs traque la vierge réservée depuis une nuit d'avant
fermée, en 1820]. Mais je n'oublie pas que je ne
suis pas seul avec vous, seuls,la nuit, sur votre canapé: et tout passé, « ses doigts montent et descendent
ce n'est pas à 300 lieues de distance que nous pouvons comme ceux d'un jardinier qui taille ou greffe un
causer intimement ... » (13 décembre 1825) ... « ... Je veux rosier grimpant. »

, 2.°7
me former, Hegel; j'ai donc besoin tant pour ma conduite Pour remarquer le caractère cynique du paraphe,
que pour mes publications d'avis austères, et je les attends il faut voir la photographie du sculpteur, de face,
de vous [...] Il y a quatre points dans ce petit écrit : au début du livre (chaque trait en tombe, comme
1. la Méthode, 2. l'application à la conscience ou la Psy-
cologie. 3. le passage de la Psycologie à l'ontologie. d'un chien battu); mais surtout la signature de
4. quelques tentatives d'un système historique,. Laissez
tomber de votre bonne tête quelque chose sur ces quatre
points. Soyez d'autant plus impitoyable que, déterminé
à être utile à mon pays, je me permettrai toujours de
modifier sur les besoins et l'état, tel quel, de ce pauvre
pays, les directions de mes maîtres d'Allemagne [...] Il
ne s'agit pas de créer ici en serre chaude un intérêt arti-
ficiel pour des spéculations étrangères; non, il s'agit
d'implanter dans les entrailles du pays des germes féconds
qUI s'y développent naturellement, et d'après les vertus
primitives du sol; il s'agit d'imprimer à la France un mou-
vement Français qui aille ensuite de lui-même. [...] Je
mesurerai la force du vent sur celle du pauvre agneau;
mais quant à moi, qui ne suis pas un agneau, je prie le
vent de souffler de toute sa force. Je me sens le dos assez
ferme pour le supporter; je ne demande grâce que pour
la France. Hegel, dites-moi la vérité, puis j'en passerai à
mon pays ce qu'il en pourra comprendre. »(1 er août 1826 . )
« .... Je viens à moi. J'ai pris mon parti. Non, je ne veux pas
entrer dans les affaires; ma carrière est la philosophie,
l'enseignement, l'instruction publique. Je l'ai déclaré une
fois pour toutes à mes amis, et je soutiendrai ma résolution.
J'ai commencé dans mon pays un mouvement philosophique
qui n'est pas sans importance; j'y veux avec le temps
attacher mon nom, voilà toute mon ambition. J'ai celle-là;
je n'en ai pas d'autre . Je désire avec le temps affermir,
élargir, améliorer ma situation dans l'instruction publique,
mais seulement dans l'instruction publique. Qu'en dites- l'autre. Sans croire à la chance et si bien faire, on a
vous, Hegel? - En conséquence, je n'ai demandé à la reproduit cette signature, dans un mauvais livre,
nouvelle administration que ma réintégration dans ma à côté d'une photographie de l'auteur : il porte,
chaire, mais avec un titre plus solide, que celui de pro-
fesseur suppléant. [, ... ] Voilà comment je ne suis ni sup- debout, cette canne dont il eut du mal, voici
pléant ni titulaire, mais adjoint, ce qui est mieux que l'un, quelques années, à se détacher.
moins que l'autre, et me confère l'indépendance et l'ina- La signature est un cliché. Sans droits de reproduc-
movibilité . [ ...] J'ai besoin, même pour ici, d'un peu de tion
succès en Allemagne. Voyez donc, Hegel, s'il serait
impossible que Proclus, Platon, Descartes ou les Fragments
obtinssent dans votre journal les honneurs d'un petit
article. De vous, Seigneur', ce serait trop; mais faites
écrire quelques pages là dessus à M. Gans ou à l'excellent
Hotho. [...] Je joins à votre exemplaire un autre pour
la personne qui voudra se charger d'·en faire une petite
annonce dans votre Journal ou ailleurs, par exemple, s'il
était possible ... » (7 avdI1828 . ) « Mes leçons viennent de
finir, et je m'empresse de vous écrire, mon très cher
Hegel. Entre nous, elles ont eu un peu de succès; on leur
a fait l'honneur de les sténographier, et elles courent le de l'autre, il n'est pas
monde. Sont-elles venues jusqu'à Berlin et jusqu'à vous? propre parce qu'il reconduit aussi aux domaines
Dans le doute, je vous en envoie un exemplaire complet,
à la condition qu'il vous plaira, Seigneur, de m'en dire inférieurs, aux marécages, voire au fond de la mer.
votre avis . [ ..... ] Trois mille exemplaires de mes leçons
ont été vendus. Maintenant voici le revers de la médaille. Au-dessus de la mer, les flancs lourds mais portée
Il y a eu une vraie insurrection de tout le monde matéria-
liste et industrialiste. Les vieux débris de l'tcole de Con- par elle, la galère. Au fond de la mer, l'algue. La
dillac se sont soulevés, en reconnaissant leur ancien
adversaire,. Faute de bonnes raisons, les accusations et les galère est d'ailleurs couverte d'algues (< algues de
injures n'ont pas manqué. Mais je ne suis pas homme à me velours », « algues d'azur », etc.).
2.08
troubler beaucoup de tout cela. D'un autre côté, la théo-
logie m'a fort surveillé et elle me regarde d'un œil inquiet.
L'algue est un cryptogame, une de ces plantes
Elle ne me tient pas pour un ennemi mais pour un suspect.
J'ai tâché de ne lui fournir aucun prétexte; mais la supré-
qui cachent léurs
matie de la Raison et de la Phi losophiel... » (15 aoQt 1828.)
autre métonymie de cette « voleuse qui est ma
aux « oiseaux ». L'universel, ce faisant, « effleure » seùle- mèr'e »; il faut lire ici Genette, Métonymie chez
ment le « pur sommet de sa pyramide » au moment où il Proust, laisser se faire, en abyme, en pleine mer,
un travail infini, parcourant, draguant les langues
remporte sa victoire sur le principe rebelle de la singularité
ou les lagunes qui, en tous sens, fausses ou vraies,
et sur la loi divine. C'est que la lutte continue de l' « esprit y cre,Usent littéralement la menace de tout englou-
conscient » avec l' « esprit inconscient » n'a pas pris fin. tir: « ... ou encore, beaucoup plus complexe, le
L'inconscient n'a pas été détruit, seulement « blessé », réseau d'analogies et de proximités qui se noue
lésé, offensé. « L'esprit manifeste a la racine de sa force dans cet autre passage de la Fugitive, où le n~rTa­
dans le monde d'en-bas (Unterwelt). La certitude de soi teur évoque ses visites au baptistère de Saint-
éprouvée par un peuple, une certitude confiante en soi et Marc en compagnie de sa mère: " Une heure est
se réaffirmant sans cesse, possède la vérité de son serment venue pour moi où, quand je me rappelle le baptis-
qui lie tous en un (die Wahrheit ihres Alle in Eins bindenden tère, devant les flots du Jourdain où saint Jean
Bides), seulement dans la substance de tous, inconsciente immerge le Christ, tandis que la gondole nous
et muette, dans les eaux de l'oubli. C'est pourquoi l'aécom- attendait devant la Piazzetta, il ne m'est pas indif-
férent que dans cette fraîche pénombre, à côté de
plissement de l'esprit manifeste se change en son con-
moi, il Y eOt une femme drapée dans son deuil
traire, et fait l'expérience que son droit suprême est le avec la ferveur respectueuse et enthousiaste de la
tort suprême, que sa victoire est plutôt sa propre chute femme âgée qu'on voit à Venise dans laSainte Ursule
(sein eigener Untergang). Le mort, dont le droit est lésé, de Carpaccio, et que cette femme aux joues rouges,
sait donc trouver pour sa vengeance des instruments qui aux yeux tristes, dans ses voiles noirs, et que rien
égalent en effectivité et en violence la puissance qui l'a- ne pourra plus jamais faire sortir pour moi de ce
blessé. » sanctuaire doucement éclairé de Saint-Marc où
Le mort continue donc à agir, le mort est blessé, il je suis sOr de la retrouver parce qu'elle y a sa place
revient à la charge depuis la substance muette et incons- réservée comme une mosaïque, ce soit ma mère" :
ciente dans laquelle on a voulu le repousser, le réduire, mosaïque du baptême, " en rapport avec le site",
le comprimer. Le retour du mort:, la vengeance du réprimé où le Jourdain présente comme un second baptis-
tère en abyme à l'intérieur du premier; réplique
prend son relief dans la nature sauvage : les oiseaux et les
donnée aux flots du Jourdain par ceux de la lagune
chiens mangent les morceaux du cadavre abandonné devant la Piazzetta, fraîcheur glacée qui tombe sur
sans sépulture, à la surface de la terre, et vont ensuite en les visiteurs comme une eau baptismale, femme en
« souiller » les autels d'autres communautés. Le cadavre deuil semblable à celle, toute proche, du tableau
morcelé bave, saigne et crache sur les lieux du culte. de Carpaccio, lui-même image en abyme de Venise
« Ces forces deviennent hostiles et ravagent la commu- dans Venise, immobilité hiératique de l'image
nauté qui a déshonoré et brisé sa force, la piété familiale. » maternelle dans le souvenir du « sanctuaire »,
Ce que la communauté a tué, pour se maintenir, ce comme d'une des mosaïques qui lui font face, et
sont encore, sous le nom de frères, des femmes - des par là même, suggestion d'une analogie entre la
représentants de la famille. La loi humaine, la loi de la mère du narrateur et celle du Christ ... Mais l'exem-
communauté rationnelle qui s'institue contre la loi privée ple le plus spectaculaire est évidemment Sodome et
Gomorrhe l, ce morceau de trente pages tout
de la famille, réprime toujours la féminité, se dresse contre
entier construit sur le parallèle entre la" conjonc-
elle, la ceint, la presse et la comprime. Mais la puissance tion Jupien-Charlus " et la fécondation par un
masculine a une limite - essentielle et éternelle: l'arme, bourdon de l'orchidée de la duchesse : parallèle
impuissante sans doute, arme toute-puissante de l'im- soigneusement préparé, ménagé, entretenu, réac-
puissance, le coup inaliénable de la femme, c'est l'ironie. tivé de page en page tout au long de l'épisode (et
La femme « ennemi intérieur de la communauté », peut du discours commentatif qu'il inspire), et dont la
toujours éclater de rire au dernier moment, elle sait, dans fonction symbolique ne cesse de s'alimenter, pour
les larmes et dans la mort, pervertir la puissance qui la ainsi dire, à la relation de èontigulté qui s'est
réprime. Le pouvoir d'ironie - la position ironique étabJie dans la cour de l'hôtel de Guermantes
(unité de lieu) au moment où l'insecte et le baron y
plutôt - tient - syllogiquement - à ce que le maître entraient ensemble (unité de temps) en bourdon-
produit et procède de ce qu'il réprime, en a besoin et nant à l'unisson; il ne suffit donc pas que la rencon-
y retourne. Antigone tre miraculeuse (ou d,u moins alors jugée telle par
est Cybèle, la aéesse- le héros) des deux homosexuels soit « comme »
au premier abord du moins, on peut trou-
ver étrange de voir surgir la figure de
Mère qui précède et la rencontre miraculeuse d'une orchidée et d'un
Cybèle dans L'esprit du judaïsme, à la place suit tout le procès. Elle bourdon, que Charlus entre en " sifflant comme
du Dieu infini en face duquel il n'y a que assiste à toutes les ca- un bourdon ", que Jupien s'immobilise sous son
des êtres pierreux, sans vie, sans droit, regard et" s'enracine comme une plante", etc. : il
sans amour pour eux-mêmes. En note :
tastrophes, à toutes les
« Les prêtres de Cybèle, de la divinité chutes, à tous les car-· faut aussi que les deux rencontres aient lieu" au
sublime qui est tout ce qui est, tout ce nages, y reste invulné- même instant", et au même endroit, l'analogie
qui fut et sera et dont aucun mortel n'a
rable ..' Sa mott même ne n'apparaissant plus alors que comme une sorte
soulevé le voile, les prêtres de Cybèle d'effet second, et peut-être illusoire, de la conco-
étaient châtrés (verschnitten), émasculés de l'affecte pas.
corps et d'esprit (an Leib und Geist ent-
mitance. »
mannt). » La logique de ce rapprochement
est maintenant confirmée
Tout lui reste. Elle organes sexuels. Comme les fougè-
est à suivre. res, qui se multiplient en général par dispersion
des spores. Qu'on les remarque ou non en surface,
« La loi humaine donc (dans son être-là universel la le texte en est plein. Les « fougères » du Condamné
communauté, dans son activité en général la virilité, dans à mort sont «rigides ». Certaines fougères arbo-
son activité effective le gouvernement) est, se meut et se rescentes déroulent leurs frondes à plusieurs mètres
conserve en consumant en soi le séparatisme des Pénates ou·
la singularisation en familles indépendantes, auxquelles au-dessous du sol. Les cryptogames n'ont évidem-
préside la féminité; et: elle les garde dissoutes (atifgelost ment pas de fleurs.
erhalt) dans le continu de sa fluidité. Mais la>famille est
du même coup (zugleich) son élément en général, le fond
agissant universel de la conscience singulière. Tandis que
la communauté ne se donne sa subsistance qu'en détrui-
sant le bonheur familial et en dissolvant: la conscience de
soi dans la conscience de soi universelle, elle se produit Anthéridie nomme l'organe mâle de la plupart
à même ce qu'elle réprime (erzeugt es sich an dem, was es des cryptogames.
unterdrlickt) et qui lui est du même coup (zugleich) essen-
tiel, à même la féminité en général, son ennemi intérieur.
Cette féminité - l'éternelle ironie de la communauté -
altère par l'intrigue le but universel du gouvernement en
un but privé, transforme son activité universelle en une
œuvre de tel individu déterminé, et pervertit la propriété L'association des algues et des fougères dans
universelle de l'Etat en une possession et une parure l'anthonomase rêverait donc le désir de crypto-
(Putz) de famille. Ainsi de la sagesse grave de la maturité
qui, morte à la singularité - au plaisir et à la jouissance gamie végétative Ge m'écarte, « je m'éloigne encore
aussi bien qu'à l'activité effective - ne pense qu'à l'uni- des hommes ») sous une phanéronymie florale.
versel et ne se soucie que de lui, elle fait un objet de Aux cryptogames on oppose traditionnellement
raillerie pour la pétulance d'une jeunesse sans maturité,
et un objet de mépris pour son enthousiasme. Elle fait les phanérogames. Et parmi ces derniers, qui les
valoir en général la force de la jeunesse, celle du fils dans montrent, leurs organes sexuels, et qui .font des
.2.10
lequel la mère a engendré son maître, du frère dans lequel fleurs, les gymnospermes dénudent leurs graines,
la sœur trouve l'homme comme son égal, du jeune homme
grâce auquel la fille, soustraite à sa dépendance, obtient
tandis que les angiospermes les serrent dans un
le plaisir et la dignité de l'épouse (Frauenschaft). --:- Ce- vase, un vaisseau, un réservoir. Les gymnospermes
pendant la communauté ne peut se préserver qu'en répri- apparaissent à mi-chemin, semble-t-il, entre les
mant (durch Unterdrückung) cet esprit de la singular.ité,
et parce qu'il est un moment essentiel, elle le produit cryptogames vasculaires (par exemple les fougères)
(erzeugt) aussi bien et précisément en prenant une attitude et les angiospermes. Dans le cas des cryptogames
répressive envers lui comme envers un principe hostile. » vasculaires, la spore engendre un prothalle séparé
. La répression produit donc cela même - la singu-
larité de l'inconscient, l'ironie de la féminité - qu'elle
de la plante mère. C'est sur lui que se forme la
réprime comme son « moment essentiel ». Elle se piège fécondation. L'ovule fécondé des angiospermes
elle-même, et s'englue dans son essence. D'où l'éclat de au contraire reste sur la plante mère, et la graine
rire éternel de l'inconscient - ou de la femme, l'exclama-
tiOl). qui indéfiniment harcèle, questionne, ridiculise, se
est à l'abri d'un fruit.
moque de l'essence, de la vérité (de l'homme). La cryptographie se sert donc de la phané-
Ainsi s'effondre, « s'engloutit », « s'engouffre » la rogamie pour égarer le propre. Est donc impropre
famille. Elle se dévore elle-même. Mais qu'on n'aille pas
y voir, précipitamment, la fin du phallocentrisme, de le nom de fleur, l'accent du genêt qui se prononce
l'idéalisme, de la métaphysique. La destruction de la à peine. Le circonflexe dont il se revêt est une
famille constitue une étape dans l'avènement de la Bürger- sorte de chef ou de couvre-chef postiche. Il est
lichkeit (société civile et bourgeoise) et de la propriété
universelle. Moment de réappropriation infinie, normalité coùsu au lieu d'une blessure vivante et qui signe.
métaphysique la plus rassurante de l'idéalisme, de l'idéa- La couture du postiche, de l'ersatz, du substi-
lisation intériorisante. Ruse de la raison ou ironie éternelle tut, se laisse recouper, trois pages plus loin, par
de la femme, chacune pouvant se prendre pour l'autre et
louer l'autre. Si Dieu est (probablement) un homme dans l'épisode de la grappe de raisin (cellulose et ouate)
la dialectique spéculative, la déité de Dieu - l'ironie que Stilitano avait piquée à l'intérieur de son
qui le divise et le fait sortir de ses gonds -, l'inquiétude pantalon.
infinie de son essence est (si possible) femme.
Entre l'anthonymie et la scène de la grappe,
station devant une pièce apparemment plaquée
ou rapportée dans le tissu du texte: une image
dans la tapisserie.
Cela commence ainsi après une cassure fictive
du récit:
« Je venais de rompre avec l'Armée, de casser
les liens de l'amitié.

Vous êtes revenus, sans l'avoir jamais quitté, au


milieu de la Philosophie du droit. Tout semble pourtant « La tapisserie intitulée« La Dame à la Licprne »
y repartir en sens inverse. Antigone, par exemple, avait
devant elle le droit abstrait, la moralité formelle, etc. Elle m'a bouleversé pour des raisons que je n'entre-
les a maintenant derrière elle. Ce qui était à venir (du prendrai pas ici d'énumérer. Mais, quand je passai,
1U
monde romain à Kant) dans la phénoménologie de de Tchécoslovaquie en Pologne, la frontière, c'était
l'esprit aura été passé dans la philosophie du droit (c'est-
à-dire dans le système de l'encyclopédie). Antigone sert
un midi, l'été. La ligne idéale traversait un champ
deux fois, ouvre des deux côtés, mais reste à la même de seigle mur, dont la blondeur était celle de la
place : loi de la famille, premier moment de la Sittlichkeit. chevelure des jeunes Polonais; il avait la douceur
Elle est même évoquée au premier moment du Nemier
moment : le mariage monogamique. Mais cette fois l'op-
un peu beurrée de la Pologne dont je savais
position tragique (parce qu'immédiate) des deux lois, qu'au cours de l'histoire elle fut toujours blessée
d'Antigone et de Créon, a une autre valeur paradigma- et plainte. »
tique; elle n'est pas l'exemple de la dissolution de l'éthique
dans son négatif (le droit abstrait, etc.) mais de la constitu-
tion de l'éthique contre son négatif. Effets simultanés de
chiasme et de cercle, de chiasme encerclé. Le motif de la limite, de la frontière, de la
ligne de partage sillonnera toute la séquence.
D'une mère l'autre.
La première des trois parties (le mariage) de la pre-
mière des trois sections (la famille) de la troisième partie
(Sittlichkeit) rappelle l'Antigone de la Phénoménologie : L'affect du passage: l'émotion singulière née
« La déterminité naturelle des deux sexes reçoit de sa de la pénétration. La pénétration est le franchis-
rationalité sa signification intellectuelle et éthique. Cette
signification est déterminée par la différence selon laquelle sement d'une limite, c'est-à-dire d'une marche
la substantialité éthique se divise en elle-même comme séparant deux lieux opposés. Et qui pourtant se
concept pour obtenir à partir de cette différence, sa vie continuent naturellement, comme la Tchécoslo-
(Lebenaigkeit) comme unité concrète.
« § 166. L'un est alors le spirituel comme. ce qui se vaquie et la Pologne, se ressemblent, se regar-
divise (sich Entzweienae) en autonomie personnelle pour dent, séparés néanmoins par une frontière d'au-
soi et en avoir et vouloir de l'universalité libre, en conscience tant plus mystérieuse, dérobée au franchissement,
de soi de la pensée concevante et en vouloir du but final
objectif, - l'autre est le spirituel qui se conserve dans qu'elle est abstraite, légale, idéale : « Je passai,
l'unité, comme savoir et vouloir du substantiel dans la de Tchécoslovaquie en Pologne, la frontière, c'étût
forme de la singularité concrète et de la sensibilité. Le un midi, l'été. La ligne idéale... », c'est-à-dire invi-
premier ~st le puissant et l'agissant en relation avec le
dehors; le second est le passif et le subjectif. L'homme sible, artificielle, inexistante, qu'on transgresse sans
a donc sa vie substantielle effective dans l'Etat, la science, la voir, d'un seul pas, en un instant limite, comme
etc., et encore dans le combat: et le travail aux prises avec
midi, non, qu'on ne passe pas présentement mais
le monde extérieur et avec lui-même, de telle sorte qu'il
ne conquiert l'unité autonome qu'à partir de sa division qu'on va passer, qu'on a passée : « •• .la peur, et la
intérieure, unité dont il a l'intuition paisible et le senti- sorte d'émotion que j'éprouve toujours quand
ment subjectif d'ordre éthique dans la famille, où la
je passe une frontière, suscitaient à midi, sous
femme trouve sa destination substantielle et, en cette
piété, sa disposition éthique. un soleil de plomb la première féerie. [...1 Le
« La piété est ainsi exprimée dans une de ses repré- passage des frontières et cette émotion qu'il me
sentations les plus élevées, l'Antigone de Sophocle, avant
tout comme loi de la femme et comme loi de la substan-
cause devaient me permettre d'appréhender direc-
tialité subjective sensible, de l'intériorité qui ne s'effectue tement l'essence de la nation où j'entrais. »
pas encore pleinement, comme loi des dieux antiques, des Qu'est-ce que passer de Tchécoslovaquie en
dieux souterrains, comme loi éternelle dont personne ne
Pologne?
la loi divine, le recours de la femme est toujours déjà là.
Le déjà absolu : côté de la femme. Antigone insiste :
l'avantage des lois non écrites, c'est que, n'étant pas
instituées par les hommes, elles sont gravées dans le cœur
depuis toujours, on ne peut en déterminer l'événement
d'origine . La traversée de la marche entre deux (dans
Où ycfp 'n \1\)\1 ye x&x.6è<; cf",,' &eL 1to"e/~n '1'0(\)'1'0(, xoù3eL<;
o!3e\l èl:; Iho\) 'cp&vlj un élément naturellement continu : deux terres,
La raison dans l'histoire y prend aussi appui. Mais c'est
pour y voir le signe d'une rationalité profonde (à l'œuvre deux mers séparées par un nom ou une loi) éveille
dès le seuil de l'éthique, même si la loi de la femme -
du déjà ._. oppose sa rationalité à celle de l'homme). donc un affect unique, une « émotion » (deux fois
« Antigone dit chez Sophocle: les prescriptions divines
ne sont ni d'hier ni d'aujourd'hui, non, elles vivent sans
dans le même passage). A l'ouverture du Journal,
fin et personne ne saurait di e d'où elles vinrent. » le même mot ou presque : « Mon émoi, c'est
L' «ironie éternelle» de la femme ne se laissera jamais
atteindre derrière le retranchement absolu de ce déjà, l'oscillation des unes aux autres », le suspens
plus haut que l'origine, plus vieux que la naissance et qui
assiste à la mort. indécidé entre deux significations opposées quoi-
Comme l'ironie, la femme est à la fois un moment à passer que continues, entre la Tchécoslovaquie et la
et la forme même du Sa. Double marque et double place.
L'ironie (autre indice architectonique) définit la « pointe Pologne. Ici l'émoi est aussi l'émoi entre. A
extrême» de la subjectivité (à la fin de la deuxième partie
de la Philosophie du droit, au moment du «passage » de l'instant ponctuel, insaisissable mais révolution-
la Moralitéit à la Sittlichkeit) mais elie a déjà, en tant que
forme de la subjectivité absolue, l'infinie puissance du Sa. naire (midi) où j'entre (quand je passai, de Tchécos-
Dans l'expérience de l'ironie (qu'il faut déterminer contre lovaquie en Pologne, la frontière) et où je me
Platon et contre les Romantiques), « Vous admettez
une loi dans le fait et honnêtement comme existant en pousse, dans un nouveau sol, une nouvelle puis-
soi et pour soi, je suis, moi aussi, présent à cette loi et
en elle (dabei und darin), mais je suis, aussi, encore plus sance, une nouvelle loi, l'opposition est levée,
loin que vous, je déborde (ich bin auch darüber hinaus);\
je peux faire ainsi ou autrement (so oder so). Ce n'est pas la limite suspendue, le dedans et le dehors passent
la chose (Sache) qui passe en premier, mais je suis ce qui
passe en premier et je suis le maître de la loi et de la
l'un dans l'autre.
chose [Hegel ajoute à la main : Virtuosité, Génialité -
maître de l'éthique), qui joue donc seulement (nur spie/t) à
mon gré, et dans cette conscience ironique en laquelle je
laisse s'abîmer le plus haut, je ne jouis que de moi (nur
mich geniesse).·- Cette figure (Gestalt) n'est pas seulement
la frivolité de tout contenu éthique du droit, du devoir,
des lois-le mal, et même le mal universel en lui-même·-,
elle y ajoute aussi la forme (Form) , la frivolité subjective
qui consiste à se connaître soi-même comme cette frivo-
lité de tout contenu et dans ce savoir à se savoir comme
l'absolu ».
Comme la loi et le hors-la-loi qui se couvrent
La femme, l'ironie, le mal absolus frôlent et miment le réciproquement dans le même passage, dans l'in-
Sa - pour la forme
tervalle de quelques pages : « Si, volée au cara-
sait depuis quand elle est apparue, et représentée en oppo- binier, cette pèlerine de drap bleu déjà m'avait
sition avec la loi manifeste, la loi de l'Etat '- opposition accordé comme le pressentiment d'une conclu-
suprêmement éthique et donc suprêmement tragique et
cela même est individualisé dans la féminité et dans la SlOn où la loi et le hors--la-loi se confondent,
virilité; cf. Phénoménologie de l'esprit, pp. 383-417. l'un se dissimulant sous l'autre mais éprouvant
Addition avec un peu de nostalgie la vertu de son contraire
« Plante, animal -
Individualité non divisée en deux. .- à Stilitano elle permettrait une aventure, moins
En soi la différence, la division en deux et l'univer- spirituelle ou subtile, mais plus profondément
salité. dans la vie quotidienne poursuivie, mieux utilisée.
Science, art, poésie.
Partout où les femmes et les jeunes règnent dans Il ne s'agira pas encore de trahison. Stilitano
l'Etat, l'Etat pourrit [... ] était une puissance. Son égoïsme précisait ses
« Les femmes peuvent bien être cultivées, mais elles frontières naturelles. (Stilitano m'était une puis-
ne sont pas faites pour les sciences élevées, la philosophie
et certaines productions de l'art: qui requièrent un uni- sance.) »
versel. Les femmes peuvent avoir des idées (Ei~falle), du Mais nous lisons cependant--- « La tapis-
goût, de la grâce, mais elles n'ont pas l'idéal. La différence serie intitulée "La Dame à la Licorne" », qui
entre l'homme et la femme est celle de l'animal et de la
plante r... ] « m'a bouleversé pour des raisons que je n'entre-
« § 167. Le mariage est essentiellement monoga- prendrai pas ici d'énumérer ». Nous avançons
mie ... » dans une représentation, ou plutôt nous pénétrons
Comment la monogamie intervient-elle dans la
chaîne, dans le système opposant, plutôt, les deux chaînes sans nous avancer, sans enfoncer, à la surface
de loi, la masculine et la féminine? S'agit-il seulement d'un d'une image épinglée ou cousue dans la trame
rapport homogène entre deux forces inégales mais de générale du texte. Or toute pénétration, en tant
même nature? Dans un champ découvert dont: l'ombre
ne serait qu'un degré de lumière? l'inconscience une que, d'un pas, elle franchit une ligne seulement
conscience virtuelle? Bref: peut-on penser le refoulement idéale, suspend l'opposition, ne trouve pas en
selon la dialectique? L'hétérogénéité de toutes les re- face d'elle de substance réellement opposable.
strictions, de toutes les contre-forces de striction (Hem·-
mung, Unterdrückung, Zwingen, Bezwingung, zurückdrangen, Dès lors qu'elle suspend et traverse, la péné-
Zurücksetzung) définit-elle toujours des espèces de la néga- tration n'est jamais que d'une image: « ... appré-
tivité générale, des formes d'Aufhebung, des conditions hender directement l'essence de la nation où
de la relève? Le refoulement - ce qu'on imagine aujour-
d'hui, encore très confusément, sous ce mot - pourrait j'entrais. Je pénétrais moins dans un pays qu'à
occuper plusieurs places au regard de ces re-strictions : l'intérieur d'une image. Naturellement je désirais
1. A l'intérieur de la série, de la classe, du genre, du type;
la posséder mais encore en agissant sur elle.
2. A l'e}.'térieur : non plus comme un cas ou une espèce
mais comme un tout autre type; ;. A l'extérieur dans L'appareil militaire étant ce qui la signifie le
l'intérieur, comme un transcatégorial ou un transcendantal mieux, c'est lui que je désirais altérer ».
de toute re--striction possible. A ppareil était plus haut le nom de l' « organe
Peut-on penser le refoulement selon la dialectique?
I~a réponse est nécessairement affirmative : si penser veut générateur » de Stilitano, lieu d'élaboration pour
dire ce que penser a voulu dire dans l'histoire de la pensée. sa « luminosité », sa phanérogamie.
Et si la pensée est ce qui forme la question en général, qui On (se) pénètre donc (d') une représentation.
impose la forme questionnante de la question, la copula-
tion question/réponse. Celle-ci a une « destination » Cousue dans le texte ou en regard du texte, le
ontologique, c'est-à-dire dialectique. Si on demande regardant plutôt impassiblement, sévèrement
« qu'est-ce que le refoulement? » « qu'est-ce que la re-stricture
du refoulement ?» autrement dit « comment la penser? », la
(comme le reste du Rembrandt, par exemple,
réponse est La Dialectique. mais il y en a tant d'autres).
Mais dire que la re-stricture - sous son nom de La couture de ce que vous appellerez le
refoulement - reste aujourd'hui une imagination confuse, pénêtre (signifiant à fouiller dans tous les sens)
ce n'est peut-être que désigner, au regard de la philo-
sophie, ce qui ne se laisse pas penser ni même arraisonner se recoupe ici plus d'une fois.
d'une question. La question est déjà stricturante, l'être
ceint.

Autrement dit : qu'en est-il de la prohibition de


l'inceste? Quel rapport a-t-elle avec la constitution de
chaque chaîne de légalité? avec l'opposition des deux
chaînes?
D'abord, un texte pictural, représentatif, ico-
On peut interroger de ce point de vue le concept de nique, la tapisserie, est appliqué sur un texte
mariage, premier moment du syllogisme familial. Est-ce narratif ou discursif : une pièce dans l'autre,
qu'une certaine scansion de lecture peut y faire appa-
raître, au moins à titre d'hypothèse, le trait qui relie la
comme par exemple dans Les bonnes.
double concaténation à l'interdiction de l'inceste? Quel
rapport y a-t-il entre la monogamie, la prohibition de
l'inceste et l'apparition de la valeur d'objectivité (activité,
virilité, différenciation, raison, liberté, etc.) qui forme
la valeur d'opposition en général? Une légère syncope
presse la question: qu'est-ce que le rapport à l'objet peut
bien avoir à faire avec la prohibition de l'inceste?
Le principe d'objectivité est privilégié, dès le départ,
dans la déduction du mariage. Il n'est pas privilégié, il est Ensuite la pièce est cette fois moins impro-
le privilège, l'excellence même du « point de départ )}dans prement cousue : il s'agit d'une étoffe (sens propre)
l'acte inaugural du mariage, dès lors qu'on l'analyse comme
opération de la Sittlichkeit, de l'éthique, de ce qu'on a piquée sur un tissu (sens figuré).
souvent traduit par « moralité objective )}.
Comment se marie-t-on? Il peut y avoir deux
« points de départ)} à la conjugalité, le subjectif et l'objec-
tif. Dans la classe des points de départ subjectifs, dépen-
dant d'une motivation particulière, empirique, plus ou
moins contingente, deux possibilités : 1. L' « inclination
particulière )} de deux individus qui se rencontrent par
hasard; 2.. La « prévoyance )} des parents qui aménagent les
choses. A ce moment du texte, le mariage « arrangé )} par Enfin le contenu, si l'on peut dire, de cet
les parents est classé dans la catégorie « subjective )}
puisqu'il paraît dépendre de l'initiative singulière des abîme représentatif, dans ce passage du midi en
individus empiriques que sont les parents. Dans ces or (qu'on y relève le glissement beurré de tous
deux cas, la liberté s'absente. les signifiants en or), c'est le pénêtre de la dame,
Le bon « point de départ )} est objectif, il tient à un
« libre consentement )} (lreie Einwillung) J indépendant à la la greffe d'un pénis (un phallus) qui hésite à
fois par rapport à l'inclination (amoureuse) contingente être, et à être ce qu'il est auprès d'elle, sur la
et par rapport aux volontés particulières des parents. tête d'un animal fabuleux : « le «Licorne, s.f
Dans le consentement libre, deux sujets fusionnent en un, [...] elles [les cor-
plus doux ét le plus terrible >). nes de licorne]
se défont de leurs prédicats naturels, les subordonnent
' , "
L e mot cerne c est peut-etre passaient pour être
du moins pour devenir une seule personne libre. Dans un contrepoison
ce mariage, on devient: personne, c'est-à-dire liberté. CHIMERE. Dissimulé comme un universel [... ]
Sans doute la liberté naturelle est-elle une « limitation de
soi >) (Selbstbeschrankung) J mais l'ensemble féroce du
animal, agile, vif, deviné dans la " ... c'est le plus
bel animal, le plus
système des contraintes conjugales produit du même coup végétation, il faudrait le traquer, le fier, le plus ter-
la « libération >) de la personne et lui permet d'accéder à lever. rible et le plus
une « conscience de soi substantielle >). Elle se déliè ainsi doux qui orne la
à la fois des attaches contingentes de l'amour et de l'auto--
L'unicorne, le contrepoison terre" Voltaire. »
tité des générations précédentes. universel, reprend donc toutes les (Littré). Journal du
Se marier, c'est répondre à une destination, à une voleur, à propos
déchirures et toutes les coutures. du manchot: «Ce
vocation objective (objektive Bestimmung) et au devoir
éthique, dans l'ordre de la moralité objective (sittliche
Elle n'est pas naturelle, n'a pas n'était plus même
Pflicht). Qui ne se marie pas en reste soit à la naturalité de lieu naturel, n'a peut-être pas son souvenir que
je transportais
animale du désir, soit à la subjectivité formelle de la même lieu, frontière instantané- avec moi mais
« Moralitat >). On n'accède à l'éthique et au politique qu'à
la condition d'être marié. Cela étant, une longue remarque
ment passée entre deux tissus, l'idée d'un être
fabuleux, origine
précise que le « point de départ >) est par nature « contin- deux textes, deux sexes. Cette et prétexte de
gent >). Il dépend de la « culture de la réflexion >) (Bildung oscillation est mon émoi. Je suis tous les désirs,
der R~flexion). terrible et doux,
presque (à peine) la dame à la lointain et pro-
Cette remarque introduit discrètement la décision
qui rompt l'équilibre ou l'indifférence. Pour illustrer les licorne et la dame à la iicorne est che au point de
« deux extrêmes >) du point de départ, elle place l'inter- (presque) pour moi, je suis la me contenir... »
vention parentale du côté de l'objectivité, et donc de la
dame et la licorne. Ma mère a
liberté, non plus, comme dans le corps du texte, du côté
de la subjectivité: « Il y a id deux extrêmes: l'un, c'est accouché de la licorne et j'en accouche à mon
que les arrangements des parents bien intentionnés tour en passant la ligne. Je m'accouche et Je
[wohlgesinnten : précision déterminante; les parents sont m'écris de ce fait. En plain-chant. Je m'écoute.
bien intentionnés quand ils veulent que se réalise la desti-
nation du mariage - en particulier la liberté - ; ils
interviennent donc pour laisser libres. Ainsi font toutes
les « bonnes intentions >), les plus effectives, donc, celles
qui assurent la maîtrise la plus sublime] forment le
commencement et que l'inclination naisse chez les per-
sonnes destinées (bestimmt) à l'union dans l'amour, du
Voilà où ICI - Je seigle ou m'aigle.
fait qu'elles prennent conscience d'y être destinées. >}
Dans ce cas, les parents bien intentionnés arrangent
la destinée : non qu'ils fabriquent la destinée, ils se font
plutôt arrangeants pour elle, entrent dans ses vues et dans
ses voies, ont: une prévue (Vor sorge) de ce qui appelle
(bestimmt) leurs enfants l'un vers l'autre; et ensuite
l'amour ne manque pas de naître, il était au programme. Je suis d'abord « accroupi au bord », puis
Il ne faut pas simplifier ces énoncés, ni en réduire la portée
c'est l'accouchement et l'identification : « Long-
historique: il ne s'agit pas seulement d'une délibération
psychologique dans la tête d'un père/rnère, mais aussi bien temps je restai accroupi au bord, attentif à me

216
d'un calcul de classe sociale et d'une probabilité de demander ce que recélait ce champ, si je le tra-
rencontre arrangeante. Cela, c'est l'extrême objectif.
L'autre extrême : l'inclination apparaît d'abord (zuerst
versais quels douaniers les seigles dissimulaient.
erscheint) chez les personnes en tant qu' « infiniment Des lièvres invisibles devaient le parcourir. J'étais
particularisées », dans leur « singulàrité infinie ». On peut inquiet. A midi, sous un ciel pur, la nature entière
se demander comment la singularité infinie peut donner
lieu à quelque catégorialité éthique, à la conjugalité par me proposait une énigme, et me la proposait avec
exemple, comment on peut passer d'un stade à l'autre. suavité.
Ou à l'inverse, comment une motivation objective peut « - S'il se produit quelque chose, me disais-
un jour donner naissance à un affect singulier. Pourtant
les deux se produisent et c'est de ce fait inconcevable, je, c'est l'apparition d'une licorne. Un tel instant
inintelligible à l'entendement, que la dialectique spécula- et un tel endroit ne peuvent accoucher que d'une
tive entend rendre compte : on peut se marier à partir licorne.
d'une passion infiniment unique et on peut, inversement,
aimer depuis un mariage. L'inintelligible .- non pas « La peur et la sorte d'émotion que j'éprouve
l'inconcevable - c'est la conception, la naissance du toujours quand je passe une frontière, suscitaient
concept depuis la singularité pure, l'engendrement du à midi, sous un soleil de plomb la
singulier (détermination infinie) depuis le concept, le
devenir-objet du sujet, le devenir-sujet de l'objet. C'est Première féerie. Je me hasardai adorer entrer dans l'eau,
le blason
ça, l'histoire, ce qui fait l'histoire, les histoires, le mariage dans cette mer dorée comme on de la mère. Au
en général. entre dans l'eau. Debout je tra- cours de l'antho-
D'un coup, l'objectivité prend le dessus et la symétrie nomase, plus haut,
est rompue. On a dit: « le point de départ » est contingent, versai les seigles. Je m'avançai du genêt, cryp-
indifférent; on dit maintenant : le premier extrême, c'est lentement, sûrement, avec la cer- tonyme de la mè-
mieux. L'arrangement des parents - cas particulier des re : « je voudrais
commencements objectifs - vaut mieux que l'inclination
titude d'être le personnage héral- descendre» vers
singulière. Non pas absolument, mais du point de vue dique pour qui s'est formé un les domaines infé-
rieurs, marécages
éthique : c'est plus éthique (sittlich) J c'est une meilleure blason naturel: azur, champ d'or, et algues
voie, une voie plus moral-objective (der sittlichere Weg). soleil, forêts. Cette imagerie où
Cette rupture de la symétrie réagit au romantisme, à
la « philosophie de l'amour et de la vie », dite première, je tenais ma place se compliquait de l'imagerie
au romantisme historique, littéraire, dramatique, dominé polonaise.
par le principe subjectif et la valeur de singularité
« - " Dans ce ciel de midi doit planer, invi-
infinie.
L'intérêt de la condamnation, c'est qu'elle accuse le sible, l'aigle blanc! "
froid et non le chaud: l'amour romantique, leurre du l'aigle apparaît
faux infini, cache une froideur de mort sous le discours sous un soleil de
ardent de la passion. Ceux qui disent s'aimer depuis la plomb. Vous au-
singularité infinie de la subjectivité ne font que s'échauf- « En Arrivant aux bouleaux, rez remarqué
qu'il vient tou-
fer, ils ne s'aiment pas. Leur infini subjectif n'est pas j'étais en Pologne. Un enchan- jours fondre (sur
vraiment infini. L'infini en soi doit être aussi objectif tement d'un autre ordre m'allait vous), vous tom-
et on ne le contente pas avec le secret de la singularité ber dessus ou vous
absolue. « Dans l'autre extrême, c'est la propriété infini- être proposé. La « Dame à la surplomber. C'est
ment singulière qui fait valoir ses prétentions et s'accorde Licorne » m'est l'expression hau- un soleil phallique,
avec le principe subjectif du monde moderne. » Ce prin- un cercueil plom-
cipe, étranger à l'Antiquité, propre au christianisme et au
taine de ce passage de la ligne à bé, un excrément
romantisme, commande la « Mora/itêit » et se manifeste midi. » lourd et rigide qui
partout, dans la modernité historique (< Constitution s'abat et s'enfonce
Suit le « fantôme de Vacher » en vous par der-
politique », «histoire de l'art, histoire des sciences et de la qui égorgeait les enfants. Au cours rière comme, venu
philosophie »). Partout il imprime la marque de la ré- de plus haut, l'ai·-
flexion abstraite et figée dans l'opposition. D'où la fadeur de l'anthonomase, c'était celui de
gle de Ganymède
et la froideur de la représentation dramatique mod~rne : Gilles de Rûs qui les enfilait, (ou l'ange Gabriel
falsification entêtée de l'infini, affirmation narcissique volant vous faire
tirant toute sa force de ce qu'elle nie ou dénie, qui se
massacrait, brûlait.
un enfant dans le
signifie avec d'autant plus de passion apparente qu'elle dos. Il n'a pas seu··
ne vit pas ce qu'elle dit et feint à peine d'y croire. « Dans lement annoncé la
les drames modernes èt autres représentations artistiques, naissance de Jésus
en revanche, où l'amour sexuel constitue l'intérêt fonda- à Marie, mais aussi
mental, on rencontre l'élément de froideur glacée qui celle de Jean à
Zacharie : « Ta
pénètre tout de part en part ( das Element von durchdringender
femme Elisabeth
Prostigkeit), déguisé sous l'ardeur des passions qu'on t'enfantera un fils
représente... » Ce qui peut être pour la passion d'une et tu l'appelleras
« importance infinie » ne l'est pas du tout « en soi ». Jean » (Luc). Il
Il suit de cette démonstration qu'il n'y a pas d'amour s'agit de Jean Bap-
infini sans mariage, pas de mariage qui ne procède de tiste, celui dont
l'objectivité parentale, représentant la Sittlichkeit, la loi, certains se de-
l'universalité, la société rationnelle, etc. Aucun mariage mandaient s'il
qui ne soit décidé· par l'instance parentale, quelle que soit n'était pas le
la forme de son intervention : grossière ou élégante, Christ (son cousin,
immédiate ou représentée, brutale ou rusée, consciente ou à peu près) qu'il
baptisa. Tous deux
inconsciente.
furent donc an·-
Cette objectivité essentielle du mariage, comment se noncés par Ga-
constitue-t-elle? Et puisqu'elle est la première mise en briel mais l'un des
scène de la Sittlichkeit en général, comment celle-d s'y Le vol de l'aigle avait été pré-
deux seulement
engage-t-elle? Comment, selon quel acte, devient-elle élaboré par toute une glane de fut emprisonné,
plus que la subjectivité du sentiment? seigles (< La ligne idéale traversait: puis décapité :
La réponse est difficile : aucune valeur ne sera ici demande soufflée
.reconnue au contrat. Il va donc falloir trouver une forme un champ de seigle mûr » ••• « Ce à la fillette
d'engagement objectivant qui ne revienne pas au type champ de seigle était bordé... » par Hérodiade.
contractuel. La dialectique spéculative a d'ailleurs tou- « les seigles dissimulaient... »
«L'homme s'en
jours la forme d'une critique générale du contrat, ou du alla décapiter
moins de la formalité contractuelle, du contrat au sens « Debout je traversai les seigles. », Jean dans sa pri-
son, il apporta la
strict. etc.). Mais ce n'est pas au mot tête sur un plat
La signature de contrat ressortit au droit abstrait,
seigle que figure l'appel de cette et la donna à la
elle ne concerne jamais qu'une chose, la possession ou la fillette; la fillette
disposition d'une chose extérieure aux personnes. .Le note : « Le premier vers que je la donna à sa
sceau du contrat lui-même, n'est-ce pas finalement une m'étonnai d'avoir formé c'est mère. » Marc)
chose, un reste entre les personnes, tirant son efficace de Comme le maté·-
celui-ci : " moissonneur des souf-
ce statut? Or l'union, l'identification des époux forme ri au si gn ifiant
une seule personne; et pour l'engagement des personnes fles coupés ". Ce que j'écrivais tombe
l'une envers l'autre en tant que telles, sans tiers et sans plus haut me le rappelle. »
chose, aucun contrat ne peut intervenir. Il peut bien y avoir
des « contrats de mariage » portant sur les biens, les rentes,
les pensions, et autres choses semblables (encore que la J'oublie, d'une certaine manière, tout ce que

2.18
Philosophie du droit ne s'y réfère pas à la lettre), mais il j'écris, sans doute aussi, d'une autre manière, ce
n'y a pas là de contrat de mariage, de contrat du mariage.
Un tel contrat fait horreur. Et pour celui qui pense le que je lis. Sauf telle ou telle phrase, tel morceau
mariage sous la catégorie de contrat, mieux vaut encore de phrase, apparemment secondaire, dont le peu
rester célibataire : « On ne peut donc subsumer le mariage d'importance apparente en tous cas ne justifie
sous le concept de contrat. Cette subsomption est établie
dans toute son infamie par Kant (Principes métapf?ysiques pas cette sorte de résonance, de retentissement
de la doctrine du droit). » Pas de contrat dès lors que le obsédant qui se garde, détaché, si longtemps
formel et le concret s'unissent dans le mariage spéculatif : après l'engloutissement, de plus en plus rapide,
d'où la condamnation immédiatement conséquente du
mariage dit platonique et de la vie monacale qui séparent de tout le reste. On doit toucher là (coagulation
le sensible du spirituel et le naturel du divin. de sens, de forme, de rythme) à la matrice compul-
Que devient alors, sans signature de contrat, l'enga- sionnelle de l'écriture, à son affect organisateur.
gement objectivant du mariage? La Philosophie du droit
admet un acte de langage, la production d'un signe,
De ce que j'ai écrit je n'ai jamais retenu « par
l'existence d'une sorte de constat formel. Mais une telle cœur », à peu près, que ces quelques mots à partir
attestation ne lierait pas les deux époux l'un à l'autre desquels sans doute je m'entiche ici du « premier
(entre eux, il ne saurait y avoir de signe objectivant, de
sceau ou de contrat lisible), elle donnerait lieu au mariage
vers » génétique et de quelques autres. Ce sont :
pour la communauté, pour le reste de la famille. Il n'en « l'exergue et le gisant essoufflé de son discours »
demeure pas moins que seul un tel signe d'attestation et « en pierre d'attente. Et d'angle comme on
donne au mariage son effectivité, sa réalité éthique. De
ce point de vue (éthique), on n'est jamais que marié: on
pourra, par chance ou récurrence, le recevoir
ne se marie jamais (puisque cet acte n'a pas lieu pour les de quelques marques déposées ». Sans virgule
deux personnes qui n'en font qu'une), mais on est: marié après angle. L'angle est toujours, pour moi, un
par les autres, pour les autres et dans l'élément du lan-
gage, le plus spirituel de tous les éléments. Ce qui ne passe bord de tombe. Et j'entends ce mot, angle, son
pas par les autres et par la langue ne saurait: s'appeler gl, au fond de ma gorge comme ce qui à la fois
mariage. Dans une relation purement duelle, si quelque me coupe et me souffle tout le reste.
chose de tel existait, aucun mariage, fût-il secret, ne
trouverait son lieu. Mais comme le mariage monogamique
(sans contrat), le seul qu'on puisse ici admettre, devrait
se limiter à la relation duelle, le mariage est à tous les
coups impossible. Ou alors ne l'est-il qu'après-coup et
jamais comme un acte.
{( De même que la stipulation du contrat contient J'oubliais. Le premier vers que j'aie publié
déjà pour soi le véritable transfert de la propriété, de même « glu de l'étang lait de ma mort noyée ».
la déclaration solennelle (feierliche Erklarung) du consen-
tement au lien éthique (sittlichen Bande) du mariage et la
reconnaissance et la légalisation correspondantes par la
famille et la commune (l'intervention de l'Eglise dans
cette affaire est une détermination ultérieure à ne pas
développer ici) constituent la conclusion formelle (fiIrm-
liche) et l'effectivité du mariage, de telle sorte que ce lien Moissonneur des souffles coupés. L'autre,
(Verbindung) n'est constitué comme éthique que par le « envoyé de Dieu », « son nom était Jean », ét:Ht
préalable de cette cérémonie en tant qu'accomplissement
du substantiel à travers le J'igne, le langage, être-là le plus venu dire « Au commencement était la Parole ».
spirituel du spirituel (§ 78). Par là le moment sensible qui Ce1ui-d se présente pour sonner le glas du soufRe,
appartient à la vie naturelle est posé dans son rapport pour cou
éthique comme une suite et une accidentalité. »
Le signe linguistique, élément de spiritualisation
sublimante, relève précisément la formalité sensible de après avoir développé le négatif radiographique des
l'opération. En lui le signifiant se trouve élevé et accompli. chrêmes et bandelettes testamentaires (pourquoi
Si l'on confondait le mariage avec la « formalité e:xterne » oindre et bander' dans les deux testaments?), après
en avoir attaqué, analysé, fait virer les reliques
du constat, on ne comprendrait rien à sa spiritualité
dans une sorte de bain actif, pourquoi ne pas y
vivante. On en resterait au dehors sensible qui, comme chercher les restes deJean? L'Ëvangile~tl'Apocalypse
toujours, fait système avec le formalisme. S'en tenir à la violemment sectionnés, fragmentés, redistribués,
formalité de la signature, .c'est croire que le mariage (ou avec des blancs, des déplacements d'accents, des
le divorce) en dépendent, nier l'éthique de l'amour et lignes sautées ou décalées, comme si elles nous par-·
revenir à la sexualité animale. Or en quoi consiste l'éthi- venaient à travers un télescripteur détraqué, une
que de l'amour qui ne se satisfait d'aucune prescription table d'écoute dans un central téléphonique encom-
bourgeoise ou civile (bürgerliche Gebot) ? bré : « La lumière brille dans les ténèbres et les
Il consiste en « l'inhibition supérieure et le rabaisse- ténèbres ne l'ont pas trouvée ... gloire que tient de
ment de la simple poussée naturelle (die hiihere Hemmung son père un fils unique plein de grâce et de vérité.
und Zurücksetzung des blofJen Naturtriebs) ». Se river à la Jean témoigne de lui, il crie: C'était de lui que je
disais : Lui qui vient derrière moi me dépasse, car
formalité contractuelle du signifiant, c'est donc se laisser
il était avant moi... Le monde est retourné comme
retenir par l'instinct ou laisser libre cours - sans restric- un gant. Il se trouve que c'est moi le gant et que je
tion - à la nature : la complicité du formalisme et de comprends enfin qu'au jour du jugement, c'est avec
l'empirisme se confirme encore. ma propre voix que Dieu m'appellera: « Jean,
L'essence du mariage apparaît dans cette inhibition Jean! )} ... Et on avait envoyé des pharisiens. Ils lui
active et sublimante qui élève en rabaissant, qui fait demandèrent : Alors pourquoi immerges-tu si tu
l'économie de la poussée, exerce sur elle une pression n'es ni le Christ, ni Elie, ni le prophète? Jean leur .. 1
vers le bas pour faire jaillir le plus haut; mais du même répondit: Moi je n'immerge que dans l'eau. Il y a au
coup, le mariage assurant l'entrée dans la Sittlichkeit, ce milieu de vous quelqu'un que vous ne connaissez
même mouvement de restriction produit l'objectivité pas, qui vient après moi et dont je ne suis pas digne
de délier le lacet de chaussure ... Derrière moi vient
éthique en général, sa vérité comme objectivité. Le sur-
un homme qui me dépasse, car il était avant moi...
gissement de l'objet dans sa vérité suppose ici que la
Comment un homme peut.. il naître une fois vieux?
poussée naturelle soit comprimée, resserrée dans des Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître?.. Le
liens stricts, dissimulée, violemment voilée sous ces Fils ne peut rien faire lui-même qu'il ne le voie faire
entraves. au Père ... Le Père relève les morts et les fait vivre et
Où cette vérité (l'imposition violente du voile) appa- le Fils fait de même vivre qui il veut ... vous avez
raît-elle de façon quasi originaire? envoyé auprès de Jean et il a attesté la vérité ... il
Dans la pudeur. La vérité (du mariage), c'est la était la lampe ardente qui brille et vous avez voulu
pudeur. Rien de fortuit à ce qu'elle soit ici nommée. Le vous réjouir une heure à sa lumière. Moi j'ai un
spirituel se produit sous le voile interdisant de paraître témoignage plus grand que celui deJean ... Vous scru-
tez les écritures parce que vous pensez avoir par
nu. La pudeur (Scham), la chasteté (Keuschheit ou Zucht),
elles la vi~ éternelle, or elles témoignent de moi et
vérité du sexe, trouve sa destination dans le mariage. Plus
vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie ...
précisément: la pudeur, qui est encore naturelle, s'accomplit Quand tous furent rassasiés, Jésus dit à ses disci-
spirituellement dans le lien conjugal. « Une telle opinion pies: Ramassez les restes pour que rien ne se perde ...
(Meinung) [formaliste, contractualiste, naturaliste] qui a Comme dit l'écriture: Des fleuves d'eau vive cou-
la prétention de donner le plus haut concept de la liberté, leront de son sein ... Es-tu de Galilée aussi? Scrute
de l'intériorité et de l'accomplissement de l'amour, nie et vois qu'il ne se lève pas de prophète de Galilée ...
[ou désavoue : leugnet) plutôt l'éthique (Sittliche) de Nous ne sommes pas nés de la prostitution, nous
l'amour, l'inhibition supérieure et le rabaissement de la n'avons qu'un père ... Jésus a fait de la boue, il m'en

2.2.0
simple poussée naturelle, lesquels sont déjà contenus de a oint les yeux ... Je suis la porte. Si quelqu'un
façon naturelle dans la pudeur et sont élevés par la cons- entre par moi, il sera sauvé ... C'est Marie qui
cience spirituelle la plus déterminée à la chasteté et à la oignit de parfum le Seigneur et lui essuya les pieds
décence. >} avec ses cheveux ... Le mort sortit, les pieds et les
mains liées de bandelettes et le visage enveloppé
Un appendice oppose ce lien conjugal au « conCt!.-bi-
d'un suaire ... Six jours avant la Pâque, Jésus vint à
nat >} qui consiste « principalement dans l'assouvissement Béthanie où était L.azare que Jésus avait enlevé
de la poussée naturelle, tandis que celle-ci est refoulée d'entre les morts. On lui fit là un dîner, et Marthe
(zurückgedrangt) dans le mariage >}. servait, et Lazare était un des convives. Alors
Le « refoulement >} conjugal permet d'accéder à une Marie prit une livre de parfum de nard fort coûteux,
chasteté qui ne faisait que s'annoncer dans la nature. en oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses
Voilà le contenu sémantique d'un énoncé qu'il reste cheveux. Et la maison s'emplit de l'odeur du par-
encore à modaliser, à valoriser. Que les choses se passent fum. Judas Iscariote, un de ses disciples, celui qui
ainsi, ou plutôt doivent se passer ainsi, cela ne permet pas allait le livrer, dit: Pourquoi n'avoir pas vendu ce
encore de décider si c'est bien ou si c'est mal, si elles parfum trois cents deniers pour les donner aux
doivent, au sens de la contrainte (motrice, efficiente, maté- pauvres? Il ne disait pas cela par souci des pauvres,
rielle) ou de la nécessité téléologique, ou de la prescription mais parce qu'il était voleur, avait la bourse et en
emportait le contenu. Jésus lui dit: L.aisse-Ia garder
morale. Bref, le refoulement, peut-on se demander si
cela pour le jour de mon ensevelissement... Un de
c'est bien ou mal? Ou bien y a-t-il entre le refoulement ses disciples, celui que Jésus aimait, était à table
et l'opposition des valeurs un lien qui rend d'avance contre le sein de Jésus - c'était l'auteur. Lui, placé
dérisoire toute question sur la valeur du refoulement? ainsi contre la poitrine de Jésus, lui dit: Seigneur
A fortiori toute une prédication moderne qui monte en qui est-ce? Jésus lui répond: C'est celui à qui je
chaire pour condamner le refoulement (ou encore pour le donnerai la bouchée que je vais tremper. Alors il
réduire verbalement à une mythologie), avec autant de trempe la bouchée, la prend et la donne à Judas ...
niaiserie théotique que de fadeur édifiante? Pilate lui dit : Qu'est-ce que la vérité?.. Pilate
« Le refoulement : c'est mal. >} Qui parIe de quoi? répondit: J'ai écrit ce que j'ai écrit... Ils prirent le
Hegel condamne aussi le « refoulement >} : au nom corps de Jésus et le lièrent de bandelettes avec les
de la liberté de la conscience spirituelle, etc. Mais ~. pour aromates comme les Juifs ont coutume d'ensevelir...
Marie Madeleine voit la pierre enlevée du tom-
la même raison - il prescrit le « refoulement >} des
beau ... Pierre se pencha et vit les bandelettes par
poussées animales, qui rend possible la libération spiri- terre mais il n'entra pas. Simon Pierre entre dans
tuelle, etc. Un refoulement pour un autre, une restriction le tombeau. Il voit les bandelettes par terre et le
pour une érection, on comprime d'un côté pour que ça suaire de la tête non pas par terre avec les bande-
monte de l'autre. Le refoulement - ici la relève _. n'est lettes mais roulé dans un lieu à part ... Car ils ne
pas d'un côté ou de l'autre, à gauche ou à droite: il « est >} savaient pas encore l'écriture, c'est-à-dire qu'il
ce rapport entre les deux comptes, les deux registres, devait ressusciter d'entre les morts... Une fois
les deux opérations de cette économie. descendus à terre, ils voient un feu de braise avec
Le philosophe du Sa enseigne id la morale, certes, ce du poisson dessus et du pain. Jésus leur dit: Appor-
qui l'oblige à tenir le compte le plus rigoureux du refou- tez de ces poissons que vous venez de prendre ...
lement. Mais ne peut-on pas transformer régulièrement le Je suis l'alpha et l'omega... ce que tu vois écris-le
dans un livre ... Ëcris donc ce que tu as vu, ce qui est
mode prescriptif au moins apparent de son discours en
et ce qui va être après ... je leur ferai la guerre avec
mode descriptif? Et si cette possibilité s'offre régulière-
l'épée de ma bouche... Le vainqueur je lui
ment, n'appartient-elle pas à la structure même du texte? donnerai de la manne et je lui donnerai
Quand Hegel dit que le mariage ne se limite pas à la forma- un caillou blanc avec, écrit sur le caillou, un nom
lité signifiante et donc à la nature sensible, qu'il s'élève en nouveau que personne ne sait sauf celui qui le
accomplissant le refoulement de la poussée naturelle, reçoit... Qui est digne d'ouvrir le livre et d'en
quand il dit le lien entre l'élévation,'1' esprit, la moralité rompre les sceaux?.. Le ciel s'est retiré comme un
objective, l'objectivité, etc., d'une part, le refoulement ou livre qu'on roule ... Certains matins, tous les hom-
l'inhibition des poussées naturelles d'autre part, est-ce mes connaissent avec la fatigue un accès de tendresse

22.1
qu'il prescrit ou est-ce qu'il décrit? Est-ce qu'il se contente qui fait bander. Il m'est arrivé une aurore de porter
de dire comment c'est (puisque c'est bien comme ça que ça se d'amour sans objet mes lèvres sur la rampe glacée
passe et que ça s'est toujours passé?) Ou bien implique,.t-il de la rue Berthe, une autre fois d'embrasser ma
main, puis encore, n'en pouvant plus d'émotion,
que c'est bien que ça se passe comme ça?
de désirer m'avaler moi-même, en retournant ma
Il décrit une norme, une prescription. Mais qu'est-ce
bouche démesurément ouverte par··dessus ma tête,
que décrire une norme, une prescription? Un simple jeu y faire passer tout mon corps, puis l'Univers, et
de guillemets peut transformer un énoncé prescriptif en n'être plus qu'une boule de chose mangée qui peu
énoncé descriptif; et la simple textualité d'un énoncé à peu s'anéantirait: c'est ma façon de voir la fin du
rend possible une mise entre guillemets. La rigoureuse monde ... Et moi Jean, j'ai entendu et vu tout cela. »
prise en considération de l'écriture peut dès lors faire Comme son nom l'indique: l'apocalyptique, autre-
vaciller les oppositions jusqu'ici reçues, par exemple ment dit le dévoilement capital, met en vérité à nu
entre prescription et description. On pourra toujours la faim de soi. Pompes funèbres, on se rappelle, sur
traiter un discours (qui est ou développe la) métaphysique la même page: «Jean m'était enlevé [...] Il fallait
comme s'il se contentait de décrire la métaphysique, ses une compensation à Jean [ ... j la révélation de mon
amitié pour Jean [...] j'avais faim de Jean. » Ça
normes et ses effets. Cela serait facile à montrer sur des
s'appelle une compensation colossale. Le phan-
énoncés philosophiques classiques (ontologiques et consta-
tasme absolu comme s'avoir absolu en sa gloire la
tifs); il suffit de tenir compte des embarras où la citatio- plus endeuillée : s'engloutir pour être auprès-de-
nalité, les guillemets et la signature mettent la théorie soi, faire de soi une bouchée, être-devenir (en un
du performatif pour compléter la démonstration. mot bander) son propre mors
« Il faut » s'élever-refouler-sublimer, accéder à la chas-
teté dans le mariage. Comprendre cette proposition [qui dit
qu'il faut -J, c'est penser selon la dialectique spéculative, per, faucher, glaner toutes les expi-
relever simultanément la sensibilité et l'entendement qui rations. Les lier ensuite, au milieu d'un chant, en
sont également impudiques. On ne peut donc penser la pro-
position tauto-hétérologique de la dialectique spéculative bouquet, en gerbe. Gerbe se dit toujours de ce
que dans le mariage. Et dans le mariage chrétien-monoga- qui s'est laissé couper.
mique. On le peut et on le doit. « ... la conscience sort de sa
naturalité et de sa subjectivité pour s'unir à la pensée du
substantiel et, au lieu de se réserver toujours encore la con-
tingence et l'arbitraire de l'inclination sensible, enlève le
lien à cet arbitraire et le rend à la substance en s'engageant Il s'étonne de toute façon d'avoir formé ce
devant les Pénates, et réduit le moment sensible à être un vers. Il l'a peut-être inventé pour le poser là mais
simple. moment conditionné subordonné au vrai et à l'éthique
du rapport, et à la reconnaissance du lien comme lien éthi- la nécessité ne ferait alors que s'en confirmer.
que. C'est l'impudicité et l'entendement qui la soutient qui
ne permettent pas de saisir la nature Spéculative du rapport
substantiel, auquel correspond en revanche le sentiment
éthique non corrompu, comme les législations des peuples
chrétiens. » La force rare du texte, c'est que vous ne
Quand elle « sort de sa naturalité », la conscience puissiez pas le surprendre (et donc limiter) à
conjugale monogamique échappe à l'indécence; ce qui dire : ceci est cela ou, ce qui revient au même,
pourrait laisser penser que l'indécence est naturelle et
qu'il suffit de sortir de la nature pour la recouvrir. Et ceci a un rapport de dévoilement apophantique
pourtant l'indécence suppose l'entendement, le rapport ou apocalyptique, un rapport sémiotique ou rhéto-
formel au concept et à la loi. Elle n'est pas seulement
rique déterminable avec cela, ceci est le sujet,
sensible, naturelle, inférieure, objet plus bas qu'un autre;
sa bassesse est l'objet d'un interdit, d'un refoulement dont ceci n'est pas le sujet, ceci est le même, ceci est
la contre-force (de loi) n'a pas la forme d'un éloignement l'autre, ce texte-ci, ce corpus-ci. Il est toujours
de la nature, d'une simple élévation au-dessus de l'anima-
lité, dans la hiérarchie ontologique, d'une négativité homo- question d'autre chose encore. Force rare. A la
gène à toutes les autres formes de la négativité. Mais rien limite, nulle. Il faudrait dire puissance du texte.
n'est jamais homogène dans les différentes ruptures, stan- Comme on parlerait de la musculature d'une
ces ou saltations de la dialectique spéculative. Cette h"été-
rogénéité de l'interdit est-elle hétérogène à l'hétérogénéité langue. .Mais aussi d'un développement mathé-
générale (donc homogène) de l'ensemble du système onto- matique. Mais aussi de l'enveloppement de ce
logique? Peut-on jamais parler d'une hétérogénéité générale? qui reste en puissance. A la limite, nulle. Inexis-
Le refoulement interdicteur introduit-il seulement une
flexion d'hétérogénéité de plus (une réflexion de l'altérité)? tante de rester infiniment en puissance. De s'être
Ou bien une hétérogénéité qui ne se laisse plus interner condamné à la puissance et d'y rester.
dans une réflexion?
Le concept d'hétérogénéité générale étant aussi impos-
sible que son contraire, une telle question ne peut pas se
poser. La position de la question est l'annulation de la
question.
Le texte (de « Hegel >}) est offert, ouvert aux deux
réponses, aux deux interprétations. Il est texte, se textua-
lise plutôt en tant qu'il donne prise et poids aux deux
lectures, c'est-à-dire se laisse frapper d'indétermination
par le concept impossible, se divise en deux.
Ce que Je voulais écrire, c'est POTENCE
Le paragraphe concernant la prohibition de l'inceste
en est à la fois l'exemple et: la charnière. L'exemple et du texte.
la charnière du système. Il est contradk"toire en lui-même,
d'une contradiction dont on ne peut dire si elle opère
dans ou contre. L' « opposition >} joue deux fois et avec elle,
chaque détermination conceptuelle. Un indice : la prohi-
bition de l'inceste rompt avec la nature et c'est pottrquoi
elle est plus conforme à la nature. Ce qui apparaît comme
incohérence formelle, dénégation ou « rationalisation >},
dénonce en même temps de façon critique, mais à son
insu, l'absence d'un concept de nature, de raison ou de
liberté et pose, mais à son insu, la nécessité de rendre
Je m'y expose, j'y tends beaucoup.
compte des « sentiments obscurs >}. Ainsi:
« Puisque, de plus, c'est cette personnalité infiniment
propre à elle-même des deux sexes dont le libre abandon De toute façon, la scène finira mal. Il va
produit le mariage, celui-ci ne doit pas être conclu à
l'intérieur du cercle naturel-identique, bien connu de soi m'en vouloir à mort, je connais d'expérience
et familier en toutes ses singularités, dans lequel les la loi de ce procès. Il m'en voudra à mort pour
individus n'ont pas, les uns en face des autres, de person- toute sorte de raisons que je n'entreprendrai
nalité propre à eux-mêmes, mais avoir lieu entre des
familles séparées et des personnalités diverses quant à pas d'énumérer. Et dans tous les cas. Si je sou-
l'origine (ur sprünglich verschiedener) . Le mariage entre tiens ou valorise son texte, il y verra une sorte
consanguins est donc opposé au concept d'après lequel d'approbation, voire d'appropriation magistrale,
le mariage est une action éthique de la liberté, non une
liaison (Verbindung) de la naturalité immédiate et de ses universitaire, paternelle ou maternelle. C'est comme
poussées, il est donc aussi opposé à la sensibilité véritable si je lui volais son érection. Sa mort: « Et l'image
et naturelle (somit auch wahrhafter natürlicher Empfindung
qui montrait l'exécution capitale d'un bagnard
zuwider).
« On fonde parfois le mariage lui-même non pas dans à Cayenne me fit dire : " Il a volé ma mort " »
le droit naturel, mais simplement sur la poussée sexuelle (Miracle de la roseJ. Et si, de plus, j'expose comme
naturelle et on le considère comme un contrat arbitraire,
ou aussi bien on donne à la monogamie des justifications
un professeur la Grande Logique de cette opé-
extérieures tirées de rapports physiques comme le nombre ration je ne fais qu'aggraver le cas. Si je ne valo-
des hommes et des femmes, on ne propose que des senti- risais pas, ne « magnifiais » pas son glas, (mais
ments obscurs (dunkle GeJühle) en faveur de l'interdiction
du mariage entre consanguins : il n'y a là que la représen-
qu'ai-je fait au total?), le sonneur se foutrait
tation courante d'un état de nature et d'une naturalité encore de moi. De toute façon, le signataire a
du droit, et fondamentalement l'absence de concept de rappelé à Roger Blin une lettre perdue où il lui
la rationalité et de la liberté. »
Dialectique de la nature : elle produit la prohibition
avait confié que ses livres et ses pièces étaient
de l'inceste en rompant avec elle-même mais cette rupture écrits contre lui-même. Mais il ajoutait : « Et
avec soi est dans sa nature, dans la nature de la nature. si je ne réussis pas, par mon seul texte, à m'ex-
Formellement, cela donne une argumentation dans la
forme du chaudron : il faut interrompre la connaturalité
poser, il faudrait m'aider. Contre moi-même. »
et interdire l'inceste [il s'agit ici essentiellement du frère Ailleurs, que ses comédiens devaient le montrer,
et de la sœur; une note du même paragraphe dit du rapport lui, nu. Je suis donc de toute façon jugé et
frère/sœur qu'il est a-sexuel (geschlechtloses)] et cet interdit
est dans la nature. D'où en note, l'argumentation empirico- condamné, c'est ce qu'il a toujours cherché à
génétique fondant la pudeur dans la nature et alléguant faire : si j'écris pour son texte, j'écris contre
la faiblesse ou la fragilité notoire des produits de mariages lui, si j'écris pour lui, j'écris contre son texte.
consanguins : « ••• il est bien connu que les accouplements
à l'intérieur d'une famille d'animaux produisent des .fruits Cette amitié est irréconciliable.
plus faibles ... »
L'interdit et le refoulement seraient donc pensables -

en marge de la remarque spéculative .- c'est aussi le lieu


de Kierkegaard et de ce qui tombe à côté, après coup,
dans le Post-Scriptum aux Miettes Philosophiques: «Expliquer
quelque chose, cela signifie-t-·il l'abolir? Je sais bien que
le mot aufheben a dans la langue allemande des sens diffé-
rents et même contradictoires: on a assez souvent rappelé De toute façon il me vomira tout ça, il ne
qu'il peut signifier aussi bien tollere que conservare. Je
ne sais pas du toutsi le mot danois correspondant (ophaeve)
lira pas, ne pourra pas lire.
permet un tel double-sens, mais je sais par contre que
nos philosophes dano-allemands l'emploient comme le
mot allemand. Que ce soit pour un mot une bonne qualité
qu'il puisse signifier le contraire de son sens, je n'en sais
rien, mais qui veut s'exprimer avec précision évite volon-
tiers dans les endroits décisifs l'emploi d'un pareil mot.
Il y a dans le parler populaire une expression simple par
laquelle on indique humoristiquement l'impossible: à la
fois avoir la bouche pleine de farine et souffler; c'est à peu
près ce tour d'adresse que fait la spéculation quand elle Est-ce pour lui que j'écris? Qu'est-ce que je
emploie un mot qui désigne justement son propre
contraire. Pour rendre bien clair qu'elle ne sait parler voudrais lui faire? faire à son « œuvre »? La
d'aucune décision, la spéculation emploie elle-même un
tel mot ambigu pour désigner cette espèce de compré- .ruiner en l'érigeant, peut-être.

224
hension qui est la compréhension spéculative. Et, si l'on
regarde de plus près, la confusion devient encore plus
Qu'on ne la lise plus? qu'on la lise seulement
évidente. Aufheben au sens de tollere veut dire détruire, à partir d'ici, du moment où moi je la consigne
au sens de conservare maintenir dans un état inchangé,
ne rien faire avec ce qu'on garde. Quand le gouverne- et contresigne?
ment aufhebt une société politique, il la détruit; si un
homme conserve quelque chose pour moi, ce qui est
important pour moi est justement qu'il ne lui fasse subir
aucun changement.: Aucun de ces deux sens n'est le
philosophique Aufheben. L.a spéculation suspend, abolit,
[aufhebt] ici toute difficulté et ne laisse en arrière que
celle de savoir ce que je dois à proprement parler com-
prendre par ce qu'elle fait avec cet Aufheben. Mais admet-
tons maintenant que cet Aufheben veuille dire la réduction
de quelque chose à un moment relatif, comme on le dit
aussi; si le décisif, si le paradoxe est réduit à un moment
relatif, cela voudra dire qu'il n'y a pas de paradoxe, qu'il
n'y a rien de décisif, car le paradoxe et le décisif ne sont
ce qu'ils sont que justement par leur irréductibilité . Que
la spéculation ait raison c'est une autre question ... »

Mais lui-même? lui-même voulait calculer la


en tant qu'effets de relève. L'AuJhebung en dominerait ruine. « Et la ruine! j'oubliais la ruine! Celle
le procès.
Et si l'Aufhebung était une mère chrétienne?
des dents cultivées à l'aiguille de Warda, et la ruine
En écrivant: maintenant « inconscience totale à l'égard totale de la pièce. Vraiment, il faudrait qu'à la
de la question apparemment formelle mais réellement sortie, les spectateurs emportent dans leur bouche
essentielle : où en sommes-nous avec la dialectique de
Hegel? » ou encore « nécessité (pour la critique) d'avoir
ce fameux goût de cendre et une odeur de pourri.
une explication critique avec sa mère, la dialectique de Et néanmoins que la pièce ait la consistance
Hegel », on paraît ouvrir brusquement l'archive d'un pro- d'un silex. Pas d'un
blème en un lieu très particulier. Le troisième des. Manus- il Y a toujours du reste deux fonc-
crits de 44 reproche à la critique allemande de Hegel de se solex! » tions qui se recoupent. Le mot bande
laisser prévenir, reprendre, informer par la logique même Il est impre- double: transitivement et intransiti-
qu'elle prétend critiquer. Ce serait le cas de Das entdeckte nable parce qu'il vement, nominalement et verbale-
Christentum de Bruno Bauer. La critique (d'une logique) ment. En tout genre. Reste toujours
qui repr:oduit en elle (la logique de) ce qu'elle critique, bande double : pour un mors plus ou moins cavalier
cela sera toujours - ne pas en oublier la leçon - une la galalithe contre ·le
gesticulation idéaliste. « Après toutes ces réjouissantes lait naturel mais pour la nature contre le toc.
gesticulations de l'idéalisme [des jeunes hegeliens] qui
agonise sous la forme de la critique, celui-ci n'a même pas
fait la plus lointaine allusion à la nécessité d'avoir une
explication critique avec sa mère, la dialectique de Hegel,
il n'a même rien su indiquer sur son attitude critique à
l'égard de la dialectique de Feuerbach. »
A cette date, Feuerbach est considéré comme le seul Lait de deuil.
critique « sérieux » de la dialectique hegelienne, le « vrai
vainqueur de l'ancienne philosophie ». Précisément pour
s'être attaqué à ce que permettait l'Aujhebung : l'identité
profonde, grâce au jeu du déjà et du pas-encore, de la
représentation et de la présence, du futur antérieur de
la vérité, entre religion vraie et philosophie spéculative. Sa tombe, il n'aime que ça.
« La grande action de Feuerbach est 1. d'avoir démontré Que ça tombe en rwne
que la philosophie n'est rien d'autre que la religion mise
sous forme d'idées et développée par la pensée; qu'elle if aime le toc, mais pas n'importe lequel, le gadget,
n'est qu'une autre forme ct un autre mode d'existence de mais dont la nullité, défiant l'économie, soit hors
l'aliénation de l'homme; donc qu'elle est tout aussi condam- de prix, le plus naturellement du monde. Cela
nable. » Feuerbach en effet : « La philosophie sPéculative est vaut pour la littérature, l'ersatz e.n littérature. Le
l'élaboration et la résolution rationnelles ou théoriques du pire est le meilleur, mais if ne faut pas se tromper,
le pire n'est pas le moins bon. Le meilleur, il ne faut
Dieu qui, pour la religion, est transcendant et non-
pas se tromper. Il faut s'y connaître en toc.
objectif. » ••• (< L'essence de la philosophie spéculative n'est
rien d'autre que l'essence de Dieu rationalisée, réalisée et
actualisée. La philosophie spéculative est la théologie vraie,
conséquente et rationnelle. »
Marx expose alors le mouvement critique de Feuer-
bach en son instance la plus opérante: la mise en question
de l'Atifhebung et de la négation de négation. Le positif
absolu, la critique de la religion ou de la Sainte Famille ne
doivent pas passer par la négation de la négation, par
l'Atifhebung hegelienne, à supposer qu'il y en ait une autre.
L'unité spéculative, la complicité séculaire de la philoso-
phie et de la religion- celle-là étant la vérité et l'essence Ce que j'écris, est-ce une sorte de roman populaire?
de celle-ci, celle-ci la représentation de celle-la -, leur Il dit qu'il aime ça. «Je continue la lecture de mes
homogénéité ou leur homologie, c'est le procès de la romans populaires. Mon amour s'y satisfait des
relève. Feuerbach a su opposer « à la négation de la néga- gouapes costumées en gentilshommes. Aussi mon
tion qui prétend être le positif absolu, le positif fondé goût de l'imposture, mon goût pour le toc, qui me
positivement sur lui-même et reposant sur lui-même. » ferait bien écrire sur mes cartes de visite: " Jean
Le Troisième Manuscrit enchaîne : « Voici comment Genet, faux comte de Tillancourt. [ ...] Je lis ces
Feuerbach explique la dialectique de Hegel<-· (et il livres imbéciles à la raison, mais ma raison ne
fonde ainsi le point de départ du positif, de la certitude s'occupe pas d'un livre d'où les phrases empoison··
nées, empennées, fondent sur moi. La main qui les
sensible) - :
lance dessine, en les clouant quelque part, la vague
« Hegel part de l'aliénation (en termes de Logique:
silhouette d'un Jean qui se reconnaît, n'ose bouger,
de l'infini, de l'universel abstrait) de la substance, de attendant celle qui, visant son cœur pour de bon, le
l'abstraction absolue et immobile. -- C'est-à-dire en lan- laissera pantelant. J'aime à la folie, comme j'aime la
gage populaire, il part de la religion et de la théologie. prison, cette typographie serrée, compacte comme
« Deuxième!nent : il relève l'infini; il pose le réel, le un tas d'immondices, bourrée d'actes sanglants
sensible, le concret, le fini, le particulier (la philosophie, comme des linges, des fœtus de chats morts, et je
relève de la religion et de la théologie). ne sais si ce sont des sexes roidement érigés qui se
{< Troisièmement : il relève à son tour le positif; il transforment en durs chevaliers ou les chevaliers
rétablit l'abstraction, l'infini. Rétablissement de la religion en sexes verticaux. » (Notre-Dame-des-Fleurs)
et de la théologie.
{< Pour Feuerbach, la négation de la négation n'est mais comme une pierre,
donc que la contradiction de la philosophie avec elle-même, une pierre à feu, un silex, voire un diamant inen·.
la philosophie qui affirme la théologie (transcendance,
etc.) après l'avoir niée, donc l'affirme en opposition avec tamable. Que ça tombe en poussière mais comme
elle-même. une dalle funéraire, si naturelle qu'elle se recons-
« L'affirmation positive ou l'affirmation et la confirma-
titue dans le sol même, et toujours plus dure.
tion de soi, qui est impliquée dans la négation de la néga-
tion, est conçue comme n'étant pas encore sûre d'elle- Il se méduse lui-même.

.216
même, donc affectée de son contraire, doutant d'elle-même, « Ainsi soulevé,
Comment peut-on se méduser élevé, tout droit,
donc ayant besoin de preuve, comme ne se prouvant pas
elle-même par son existence, comme inavouée. [... ] soi-même? Il faut comprendre qu'il il accède au banc
des accusés, en
Jetons un coup d'œil sur le système de Hegel. Il faut com- n'est pas lui-même avant de se face d'une Cour
mencer par la Phénoménologie, source véritable et secret méduser. Il advient à lui-même extraordinaire, vê-
de la philosophie de Hegel. » • tue d'écarlate qui
De même que le positif « doute », a besoin de s'assu- depuis la méduse. Etre soi-même
est le sang versé,
rer du contraire dont il s'affecte, les jeunes hegeliens ont c'est être-médusé et dès lors en personne, ré-
besoin de leur « mère », de la logique hegelienne; ils se l'être-médusé ne se constitue, clamant sa ven-
tiennent « dans l'inconscience - au sujet des rapports de geance et l'obte-
la critique moderne à la philosophie de Hegel en général c'est-à-dire ne se défend, ne se nant. C'est peut-
et à la dialectique en particulier. » bande, et ne s'élabore qu'à être être ce don de
La dialectique hegelienne, mère de la critique, est produire un mi-
par soi-même médusé, à se manger racle par un sim-
d'abord, comme toute mère, une fille: du christianisme,
en tout cas de la théologie chrétienne. Elle y revient -méduser, à faire de soi-même un ple coup de cou-
teau,quisurprend
sans cesse comme à son giron. Aufhebung est une fille- mors qui de soi-même fait son deuil. la foule, l'alarme,
Sûr de soi. Aucune logique n'est l'excite, et la rend
jalouse d'une pa-
« Dieu n'est Dieu qu'à condition de dépasser et de nier plus puissante que cette apotro-
la matière, sa négation. Et seule la négation de la négation reille gloire.
est, dit Hegel, position vr·aie . Au terme nous voici donc pique. Pas d'économie absolument L'assassin fait par-
rendus à notre point de départ, au giron de la théologie Ier le sang. \1 dis-
chrétienne. Ainsi, dès le principe suprême de la philo-
générale, d'exposition ou de
cute avec lui, veut
sophie de Hegel, nous trouvons le principe et le résultat
de sa philosophie de la religion, savoir que la philosophie,
dépense pure : une stricture plus transiger avec le
loin de supprimer les dogmes de la théologie, se contente ou moins forte. miracle. L'assassin
de les rétablir à partir de la négation du rationalisme, et crée la Cour d'as-
de les médiatiser. Le secret de la dialectique hegelienne sises et son appa-
ne consiste en définitive qu'à nier la théologie au nom de
la philosophie, pour nier ensuite à son tour la philosophie
reil. En face de
au nom de la théologie. C'est la théologie qui est le com- cela, on pense à la
mencement et la fin; au milieu se tient la philosophie, naissance, du sang
qui nie la première position; mais c'est la théologie qui de Méduse, de
est la négation de la négation. On met d'abord tout à
Chrysaors et de
l'envers, mais c'est pour tout remettre aussitôt en place
comme devant, ainsi que chez Descartes. La philosophie Pégase.
de Hegel est la der nière grandiose tentative pour restaurer « De ne pas bou-
le Christianisme déchu et mort par la philosophie, en ger devant les ba-
s'appuyant sur l'identification, de règle dans les temps garres mortelles,
modernes, de la négation du Christianisme au Christia-
nisme lui-même. L'identité spéculative tant vantée de Sa méduse, toujours. vous penserez que
l'esprit et de la matière, de l'infini et du fini, du divin et les gardiens sont
de l'humain n'est rien d'autre que la contradiction fatale des brutes et vous
des temps modernes _. l'identité de la foi et de l'in- aurez raison.
croyance, de la théologie et de la philosophie, de la reli-·
j'aime à croire
gion et de l'athéisme, du Christianisme et du paganisme,
mais portée à son plus haut niveau: au niveau de la méta- qu'ils étaient mé-
physique. Hegel ne dissimule et n'obscurcit cette contra- dusés par un spec-
diction, que parce qu'il fait de la négation de Dieu, de tacle en colère
l'athéisme, une détermination objective (objectiven) de dont la grandeur
Dieu, parce qu'il détermine Dieu comme un processus,
et l'athéisme comme un moment de ce processus. Mais les dépassait. Et
pas plus que la foi restaurée à partir de l'incroyance n'est qu'était leur pau-
une foi vraie, puisqu'elle demeure entachée de son con- vre vie auprès de
traire, pas plus le Dieu restauré à partir de sa négation la vie rayonnante
n'est un Dieu vrai : bien au contraire, il est un Dieu
contradictoire, un Dieu athéiste. »
Morsure de soi. des enfants? Car
mère chrétienne. Ou bien : la fille-mère, la sainte mère les colons étaient
Pierre, stèle, gisant, concrétion
chrétiennè se nomme A11fhebung. Elle - la relève - est tous nobles, même
la contradiction et la satisfaction du désir chrétien ou
patiemment agglomérée je suis les cloches puis-
le calcul de ma mère. qu'elles étaient de
de ce que le Troisième Manuscrit appelle le « Christ criti-
la race, sinon de
que »: désir de la maternité et de la virginité. L'essence du Je contrebande pour elle du la caste, sacrée. »
christianisme établit une équivalence entre les catégories
de miracle, d'imagination et de relève. La transformation reste don.t je me fais cadeau. Ëcart de r'ace,
trace d'écart, in-
de l'eau en vin, du vin en sang, la transsubstantiation, minable lutte de
la résurrection surtout sont des opérations d'A11fhebung : caste, c'est le cas
ce qui est détruit se conserve, ce qui meurt peut renaître. de lire, la castrée
Admirable et miraculeuse, Aujhebung est l'imagination (est - bande -
productrice. De même le dogme de la Vierge Marie voit tombe) dans le sac.
lever ou laver sa contradiction par une Aujhebung qui Ëtre « médusé »
suspend ce qu'elle garde ou regarde ce qu'elle lève. devant« un froc »,
« Ici nous avons la clef de la contradiction du catholi- Je ne sais pas si j'ai cherché à une ceinture ou
une braguette :
cisme pour lequel simultanément mariage et célibat le comprendre. Mais s'il pensait
la scène s'impose
sont saints. La contradiction dogmatique de la mère virgi- que je l'avais compris, il ne le dans le journal, le
« Mais de même que la résurrection, terme de l'histoire supporterait pas, ou plutôt il mot « fasciné »
sainte, -, une histoire (Geschichte) qui n'a pas la signi- aussi; et dans Pom-
fication d'une histoire racontée (Historie), mais celle aimerait ne pas le supporter. pes funèbres qui
de la vérité en personne - est l'accomplissement d'un
désir, de même aussi son commencement, la naissance Quelle scène. TI ne supporterait nomme encore
surnaturelle, bien que celle-ci ne se rapporte pas à un Méduse et son fils
intérêt personnel immédiat, mais beaucoup à un senti·,
pas ce qu'il aime faire, lui. Il se Chrysaor, l'hom-
ment (Gefühl) subjectif, particulier. sentirait déjà entortillé. Comme me au glaive d~or
Plus l'homme devient étranger à la nature (sich der Natur qui, avec son frère
entfremdet) , plus subjective, c'est-à-dire sur- ou anti- une colonne, dans un cimetière, Pégase, le cheval
naturelle devient sa vision (Anschauung) , plus grande est
l'horreur pudique qu'if éprouve devant la nature ou du mangée par un lierre, un parasite ailé, sortit de la
moins devant les choses et les processus naturels, qui gorge de Gorgo au
déplaisent à son imagination, l'affligent d'affections contrai- arrivé trop tard. moment où Persée
res. Assurément l'homme libre, l'homme objectif trouve Je me suis introduit en tiers, lui trancha la tête.
aussi contrariété et dégoût dans la nature, mais if les
saisit comme des conséquences naturelles inévitables et entre sa mère et lui. Je l'ai Il naquit en bran·,
par cette considération il surmonte ses sentiments comme dissant son arme
n'étant que subjectifs, inauthentiques. L'homme subjectif, donné. J'ai fait parler le sang.
qui ne vit au contraire que figé dans l'imagination et le
sentiment, s'oppose à ces choses avec une aversion toute Aucun intérêt. Je ne vais tout de même pas
particulière. Il a les yeux de ce malheureux enfant trouvé
qui ne remarquait sur les plus b~IIes fleurs que les petits
lui prendre ou apprendre sa mère, et le reste.
« cafards noirs» qui couraient sur elle, et qui par cette
perception aigrissait sa vision des fleurs. L'homme subjec-
tiffait de ses sentiments la mesure de ce qui doit ~tre. Ce
qui ne lui plaît pas, ce qui lèse son sentiment sur- ou anti-
naturel, ne dpit pas être. Même si ce qui lui plaît ne peut
exister sans ce qui lui déplaît, - l'homme subjectif ne se
conduit pas selon les ennuyeuses lois de la logique et de la
physique, mais selon le libre·,arbitre de l'imagination -,
précisément pour cette raison, il laisse tomber dans une
chose ce qui est déplaisant, pour n'en retenir que ce qui Je cherche la bonne métaphore de l'opé-
est plaisant. Ainsi, c'est assurément la pure, l'impollue
vierge qui lui plaît; la mère bien sûr lui plaît aussi, mais ration que je poursuis ici. Je voudrais décrire
seulement la mère qui ne souffre pas d'incommodités,
celle qui a déjà le petit entre les bras. mon geste, la posture de mon corps derrière cette
Dans l'essence intime de son esprit, de sa croyance, la
virginité est en et pour soi son concept moral le plus machine.
aa8
élevé, la corne d'abondance de ses sentiments et de ses
représentations surnaturelles, son sentiment personnifié
Ce qu'il supporterait le plus difficilement,
d'honneur et de pudeur vis-à-vis de la nature en général. ce serait que je m'assure ou assure aux autres
Mais simultanément naît dans sa poitrine un sentiment
naturel, le miséricordieux sentiment de l'amour maternel. la maîtrise de son texte. En procurant -- disent-
Que peut-on faire dans ce cas de nécessité Oll se trouve le
cœur, dans cette discordance (Zweispalt) entre un ils - la règle de production ou la grammaue
sentiment naturel et un sentiment sur- ou anti··naturel?
Le surnaturaliste doit les unir (verbinden) tous les deux,
générative de tous ses énoncés.
il doit rassembler dans un être un et identique deux Pas de danger. Nous en sommes très loin,
propriétés qui s'excluent réciproquement. Quelle pléni-
tude de sentiments suprasensibles, doux et agréables, il ceci, je le répète, est à peine préliminaire, et le
y a dans cette combinaison!
Ici nous avons la clef de la contradiction du catholicisme restera. Plus de noms. Il faudra retourner à son
pour lequel simultanément mariage et célibat sont saints. texte qui surveille celui-ci pendant son jeu.
La contradiction dogmatique de la mère virginale ou de la
vierge maternelle n'est effectuée que comme contra- Je cherche donc le bon mouvement. Ai-je
diction pratique. Pourtant cette merveilleuse combinaison
de la virginité et de la maternité, qui contredit la nature construit quelque chose comme la matrice de
et la raison, tout en correspondant suprêmement au
sentiment et à l'imagination, n'est pas un produit du son texte? A partir de laquelle on pourrait le
catholicisme; elle se trouve déjà dans le rôle ambigu
que joue le mariage dans la Bible et précisément lire, c'est-à-dire le re-produire?
dans l'interprétation de l'apôtre Paul. La doctrine
de la conception surnaturelle du Christ est une doctrine
Non, je vois plutôt (mais c'est peut-être encore
essentielle du christianisme, une doctrine qui exprime une matrice ou une grammaire) une sorte de
son essence dogmatique intime et qui repose sur les mêmes
fondements que le reste des miracles et articles de foi. machine à draguer. Depuis la cabine dissimulée,
De la même manière que les chrétiens se formalisaient
de la mort que le philosophe, le naturaliste (Natur- petite, fermée, vitrée d'une grue, je manipule
forscher), l'homme libre et affranchi en général reconnais-
sent pour une nécessité naturelle, et en général des limites des leviers et de loin, j'ai vu faire ça aux Saintes-
de la nature, qui constituent pour le sentiment des
bornes, mais pour la raison sont des lois naturelles, et que
Maries-de-la-Mer à Pâques, je plonge une bouche
pour cette raison ils éliminaient grâce à la puissance thau- d'acier dans l'eau. Et je racle le fond, y accroche
maturgique, de même ils devaient se formaliser du pro ..
cess us naturel de l'engendrement et le relever [aufheben des pierres et des algues que je remonte pour
est venu corriger negieren dans une 3e version]
grâce à la puissance du miracle. Et comme la résurrection, les déposer sur la terre alors que l'eau retombe
la naissance surnaturelle convient à tous, je veux dire
à (tous) les croyants; car la conception de Marie, non
vite de la bouche.
polluée par le sperme mâle, qui constitue Je contagium Et je recommence à racler, à gratter, à draguer
(poison contagieux, ansteckende Gift) propre du péché
originel, constituait le premier acte de purification de le fond de la mer.
l'humanité souillée par le péché c'est-à-dire par la nature.
C'est seulement parce que l'homme-Dieu n'était pas J'entends à peine le bruit de l'eau depuis
taché par le péché originel, qu'il pouvait, lui, le pur,
purifier l'humanité aux yeux de Dieu, pour lequel le
la petite chambre.
processus naturel de génération est une abomination, La matrice dentée ne retire que ce qu'elle
puisqu'il n'est rien d'autre que le sentiment (Gemüt)
surnaturel. peut, des algues, des pierres. Des morceaux, puis-
Même les protestants orthodoxes desséchés, qui sont si
arbitrairement critiques, considéraient encore la concep- qu'elle mord. Détachés. Mais le reste lui passe
tion de la vierge déipare comme un grand mystère de foi, entre les dents, entre les lèvres. On ne prend pas
digne de respect et d'étonnement sacré, suprarationnel.
Mais chez les protestants qui réduisirent et limitèrent la mer. .Elle se reforme toujours.
le chrétien à la seule foi, tout en le laissant dans la vie être
homme, ce mystère n'avait plus de signification pratique, Elle reste. Là, égale, calme. Intacte, impas-
mais seulement dogmatique. Ils ne se laissaient plus dérou-
ter de leur désir de mariage par ce mystère. Chez les sible, toujours vierge.
catholiques, au contraire, en général chez les vieux
inconditionnels, chez les chrétiens dénués de sens critique, Et puis je ne valS pas surprendre son texte
ce qui était un mystère de la foi, constituait aussi un mys-
tère de la vie, de la morale. La morale catholique est chré-
avec une matrice dentée. Il n'écrit, ne décrit que
tienne, mystique; la morale protestante était déjà initia- cela : matrice dentée. C'est son objet.
lement rationaliste. La morale protestante est et était un
mélange charnel du chrétien avec l'homme -- avec
l'homme naturel, politique, civil, social, ou n'importe
quelle autre appellation qu'on voudra lui donner, pour le
distinguer du chrétien '-, la morale catholique maintenait
dans son cœur le mystère de la virginité impollue. La
morale catholique, c'était la Mater dolorosa, la morale
protestante, une ménagère bien en chair, bénie en ses
enfants. [... ] C'est précisément parce que chez les Est-ce qu'un objet peut comprendre ce dont
protestants le mystère de la vierge déipare n'avait
de valeur que dans la théorie ou dans la dogmatique, il est l'objet, voilà la question qui se posait aux
mais non plus dans la vie [1 ere éd. : la praxis], qu'ils
disaient qu'on ne pouvait s'e~primer à ce sujet avec des Saint-Maries-de-la-Mer à Pâques. Le reste du Rem-
égards et la réserve suffisante: par suite on ne pouvait pas
du tout en faire objet de spéculation. Ce que l'on nie
brandt voulait sans doute répondre - et oui
[negiert, puis verneint] pratiquement, n'a pas chez - à cette question.
l'homme de fondement et d'existence authentiques,
et n'est qu'un fantôme de l'imagination. C'est pourquoi Oui, en raison de la stricture qui nous inté-
on le cache, on le dérobe à l'entendement: les fantômes
ne supportent pas la lumière du jour. resse et nous contraint, la matrice transcendentale
Même la croyance tardive, énoncée au reste déjà dans
une lettre à saint Bernard qui la rejette, et suivant laquelle
laisse toujours retomber le reste du texte.
Marie aussi a été conçue sans la tache du péché originel,
n'est nullement « une opinion particulière d'école », suivant
les termes d'un historien. Elle provint beaucoup plus
d'une conséquence naturelle et d'une humeur pieuse et
reconnaissante à l'égard de la mère de Dieu. Ce qui engen-
dre un miracle, ce qui engendre Dieu, doit par soi-même
posséder une origine et une essence miraculeuses, divines. Il se méduse lui-même. Bien joué. On le dit,
Comment Marie aurait-elle pu avoir l'honneur d'être
couverte par le Saint Esprit, si antérieurement, dès
on le sait généreux, détaché, gaspilleur. Il ne
l'origine, elle n'avait pas été purifiée? Le Saint Esprit garde rien auprès de lui. Ni les biens. Ni surtout
pouvait-il habiter dans un corps souillé par le péché
originel? Si vous ne trouvez pas bizarres le principe du les œuvres. Mais elles ont déjà leur concession
christianisme, la sainte et mystérieuse naissance du sau-
veur, alors ne trouvez pas bizarres les conséquences à perpétuité dans toutes les bibliothèques natio-
naIves, simplistes et bon-enfant du catholicisme! »
nales et internationales, sur la théâtralité mondiale,
nale ou de la vierge maternelle n'est effectuée que comme le contrat est signé, reviennent ou font revenir
contradiction pratique.» les droits d'auteur.
Les Thèses sur Feuerbach et: L'Idéologie allemande criti-
quent la philosophie de la religion et le « matérialisme
intuitif » ou sensualiste de Feuerbach qui « ne conçoit
pas l'activité des sens comme activité pratique ». La Il se fait cadeau. Présent infini.
Quatrième Thèse délimite la critique feuerbachienne de
la religion comme simple critique théorique. Une critique
théorique laisse en place son objet, ne touche ni au terrain
ni à la structure dont elle combine les éléments. En faisant
de la religion l'essence aliénée de l'homme, en ramenant
le monde religieux au monde terrestre, on ne change rien
à ce dernier, à la base anthropologique de la critique, à
la famille humaine aliénée - spéculairement - dans la
Sainte Famille. L'opération reste spéculative, elle garde un
Il ne garde rien auprès de lui, ni les biens,
vieux concept de la famille et de la religion. La structure nt les œuvres, ni lui-même: aucun avoir absolu

1;0
interne du concept et de la réalité n'a pas été transformée, comme être-auprès-de-soi. Il n'a pas de lieu. Il
on s'est contenté d'analyser une représentation, à tous
les sens de ce mot. Tant qu'on croit savoir Ce qu'est une
se défile et dilapide. Mais c'est peut-être l'avare
famille en général, c'est-à-dire, ici, une famille humaine, le plus conséquent de
on n'analyse pas le procès d'aliénation ou de projection toutes les annales de la conséquence, ici : éviter; d'avoir
de la famille humaine dans la famillé céleste, la contradic- pour s'avoir, pour être sans que ça
tion qui constitue et produit ce processus. On ne com- la littérature. Il est tombe, sans que ça se coupe de soi. Ne
prend pas pourquoi ni comment changer cet état de au-dessus de son pas dépenser l'argent, ne pas le mettre
en banque, ne pas même le mettre en
choses. Or une critique purement théorique de la famille œuvre : celle-ci, à circulation, le détruire à force de le
ne peut à elle seule transformer l'obje( nommé famille, . . .
pOUV01r alnSl se cou- garder près de soi. Il est déjà, l'ar-
dont l'évidence paraît aller de soi. Il en va de même de gent, le sublime être-auprès-de-soi de
la religion en tant que production familiale. « Feuerbach per et tomber de lui, l'excrément. C'est l'excrément que je
part du fait de l'aliénation religieuse de soi (Faktum der ne lui est pas égale. peux garder le plus facilement. Valeur
religio'sen Selbstentfremdung), du dédoublement (Verdop- absolue, sans valeur, équivalent de
plung) du monde en un monde religieux et un monde Il s'élève au-dessus toute valeur. A ne déposer, donc, en
profane (weltliche) . Son travail consiste à résoudre le du reste. L'avare le aucun cas: autre manière de l'annuler
sa propre contradiction. « ... mais
monde religieux en sa base profane. Mais le fait que la plus conséquent : il en qu'ai-je à dire puisque je pisse dans
base profane se détache d'elle-même (sich abhebt) et se
fixe dans les nuages, constituant ainsi un royaume auto-· ne porte sur lui que l'évier, j'oublie dans les hôtels, sur
l'armoire des étroncs dans de vieux
nome, ne peut s'expliquer précisément que par le déchire- de l'argent liquide journaux, et je n'ai pas l'audace
ment de soi (Sichselbstzerrissenheit) et la contradiction et de quoi (un pas- d'abandonner dans ma chambre, pour
interne (Sichselbstwidersprechen) de cette base profane.
Il faut donc tout: à la fois comprendre celle-d dans sa seport) faire iden- une heure, mon fric . Je marche avec,
je vole avec, je dors avec.. »
contradiction et la révolutionner pratiquement. Ainsi, tifier son seing. Aux (Pompes funèbres.)
une fois qu'on a découvert que la famille terrestre est le dernières nouvelles,
secret (Geheimnis) de la Sainte Famille, c'est la première
qui doit alors être elle-même anéantie théoriquement et il avait oublié, me dit-il, que Gabrielle était dans
pratiquement. }} le Journal. Il s'agit d'amasser un trésor absolu,
soustrait à toute évaluation. Sans prix. Conseil
au funambule : « ... Beaucoup, beaucoup de
pognon! Un fric fou, ignoble! Et le laisser s'en-
tasser dans un coin du taudis, n'y jamais toucher,
Cette problématique aura été développée dans la
chambre obscure de l'idéologie : aux prises avec la ques- et se torcher le cul avec son doigt. A l'approche
tion du fétichisme et de la vérité (pensée dévoilée), du de la nuit, s'éveiller, s'arracher à ce mal, et le
statut de l'analogie dans la critique marxiste ou psychana- soir danser sur le fil.
lytique de la religion.
« Je lui dis encore :
« - Tu devrais trayailler à devenir célèbre...
« - Pourquoi?
Reconstitution d'une colonne : nous intéresse le
continu - ou le déjà - d'une valeur de fétiche. Fonder « --- Pour faire mal.
ou détruire la religion (la production familiale) revient « - C'est indispensable que Je gagne tant
toujours à vouloir réduire le fétichisme. Celui-ci, pour faire de pognon?
contre lui l'unanimité des fondateurs et des destructeurs,
doit bien quelque part constituer l'unité adverse : le « - Indispensable... »
dévoilement de la colonne, l'érection de la chose même, Quelle est sa situation·- objective, effective-
le rejet du substitut. Le même désir travaille la mère
chrétienne, son ascendance et sa descendance. Tant: qu'on
de classe? Oui, il est
critiquera le fétichisme - pour ou contre la religion, partout où ça saute. on ne touche pas au glas, donc, sans
toucher à la classe. Ni à l'économie
pour ou contre la famille - aura-t-on touché à l'économie Il n'habite plus l'Oc- de l'anthérection sans lutte des classes.
de la métaphysique, à la philosophie-de-la-religion? .
Est-ce un hasard si le père entre alors en scène?
cident judéo-chré- Mais le discours codé, policé, sur la
lutte des classes, s'il forclôt la ques-
Déjà - Kant définissait la religion dans les limites de tien. Mais - objec- tion du glas (tout ce qui s'y forge,
la simple raison en ouvrant la question du fétichisme à tivement, effecti- tout ce sur quoi elle retentit, en
celle du Papa (7t'OC7t'oc) et de l'appropriation rusée, violente,
manipulatrice des prêtres. L'horizon téléologique de la
vement-le cordon? particulier l'expropriation du nom
partout où elle porte) manque au
« vraie et unique r~ligion », c'est la disparition du fétiche. La laisse? moins une révolution. Et qu'est-ce
Or toujours au nom du père, Hegel reproche en qu'une révolution qui ne s'attaque pas
Il sait qu'on ne au nom propre? Mais aussi bien qu'est-
somme à Kant d'en rester encore au fétiche (mot que les
garde que ce qu'on ce que la révolution si le nom propre
qu'en est-il de la dialectique spéculative quant au fétiche?
perd. Soi-même. On (effet de glassification) - déjà -
s'anthérige, commence donc par tom-
Dans son sens strictement religieux (celui dont parle le ne perd pas seulement ber en ruine? Des révolutions
Président des Brosses), le type fétichiste est, selon La rai··
son dans l'histoire, afi"icain. Il appartient plus précisément ce qu'on ne garde
à l'Afrique intérieure. C'est-à··dire, si l'on extrait le
schéma logique de l'analyse, à un inconscient qui ne se pas, on perd ce qu'on garde. L'autre chose
laisse pas dialectiser en tant que tel, n'a pas d'histoire, se
tient avec entêtement au seuil du procès historieo-dia-
(l'autre bande, l'autre signe, etc.) est perdue
lectique. Mais cette non-dialecticité, cette an historicité parce que vous y renoncez. Mais celle que vous
peut toujours être interprétée comme négativité, résis-
tance propre à l'économie dialectique, et dès lors internée gardez est perdue parce que vous renoncez à
dans le procès spéculatif. Une certaine indécidabilité du
fétiche nous laisse osciller entre une dialectique (de l'autre. Et la fente entre les deux n'est rien. C'est
l'indécidable et de la dialectique) ou une indécidabilité
(entre la dialectique et l'indécidable). Si l'on extrait le elle qu'il faut pourtant occuper. L'avare conséquent
schéma logique: car la description concrète du Nègre de analyse la fente. Puis il fait: la navette entre les
Hegel pourrait le brouiller un peu. Elle est composée à
partir' de la Géographie de Ritter et des relations de mission- deux.
naires. Hegel reconnaît la difficulté: il faudrait abandonner
pour parler de l'Africain toutes nos « catégories » et
pourtant celles-ci inter'Viennent toujours « sournoise-
ment ». Cette précaution prise, le discours de La raison
dans l'histoire se met en marche: l'Afrique « proprement La navette est le mot.
dite» n'a pas d'histoire « proprement dite ». Le Nègre
n'est par'Venu ni à la conscience ni à l'objectivité propre-
ment dites, c'est l'homme qui ne distingue pas «entre lui,
individu singulier, et son universalité essentielle », c'est
" « homme dans son immédiateté », « l'homme à l'état
brut », « barbare », «sauvage ». « Nous ne pouvons C'e!)t d'abord celui que je cherchais plus
vraiment nous identifier, par le sentiment, à sa nature, haut pour décrire, quand une gondole a croisé la
de la même façon que nous ne pouvons nous identifier
à celle d'un chien, ou à celle d'un Grec qui s'agenouillait galère, le va-et-vient grammatique entre langue
devant Zeus. » Il faut donc essayer d'accéder, non par le
sentiment, mais par la pensée à cet état d' «inconscience et lagune (Iacuna).
de soi »et d' « innocence ». Pour analyser la « représen-
tation générale du sujet» africain, il faut se tourner vers
sa religion. Or elle est construite sur l'opposition de
l'homme et de la nature, celle-ci se laissant dominer par
celui-là. ttrange interprétation: on vient de nous dire que
le nègre se confond avec la nature et on va dans un ins- Il faudra manipuler des cartes perforées pour
tant nous apprendre que la nature le domine. L.a puissance
menaçante des éléments naturels le contraint à la magie. savoir si le mot navette apparaît, comme tel
Il croit s'assurer ainsi, par la toute-puissance fantastique _ ..
« le pouvoir du nègre sur la nature est seulement une (comme tel, sans quoi il faudra une machine aux
force de l'imagination, une domination imaginaire » - dents si tines et si nombreuses" qu'il n'en existe
une efficace réelle sur les éléments . « Le pouvoir vers
lequel se tournent ces hommes n'est pas un pouvoir sûrement pas encore; un texte comme celui-ci
supérieur, puisqu'ils croient produire eux-mêmes ces
effets. Pour se préparer, ils se mettent dans un état n'est qu'une lectrice mécanique un peu plus évo-
d'enthousiasme extraordinaire. Avec des chants et des
danses furieuses, en mangeant des racines et en buvant luée, un peu plus subtile. Chaque mot cité donne
des liquides enivrants, ils se mettent dans un état de transe
extrême et profèrent alors leurs commandements. Quand
une tiche ou une grille que vous pouvez pro-
ces ordres restent longtemps infructueux, ils désignent mener dans le texte. Elle est accompagnée d'un
parmi les assistants, qui peuvent être leurs parents les
plus chers, ceux qui doivent être massacrés, et les autres schéma que vous devez pouvoir
les dévorent. En bref, l'homme se considère comme l'en- la difficulté de
tité suprême qui a le pouvoir de commander. Souvent véritier à chaque occurrent) dans principe, c'est
le prêtre passe plusieurs jours en proie à un état dans
lequel il èst livré à la folie, tue des hommes, boit leur lesdites « œuvres complètes ». qu'il n'y a pas
sang et le fait boire aux assistants. » Ne sommes-nous pas d'unité d'occur-
loin de l'autre Cène? rence : forme fixe,
Le fétichisme correspond au second moment des religions thème identifIa-
africaines . Le Nègre se donne une intuition et une repré- Le mot -- la navette - est
ble, élément dé-
sentation de son pouvoir, une «image» (<< animal, arbre, indispensable. Il aura dû être là.
pierre, image de bois »). Mais ce « fétiche» n'est pas terminable comme
«objectif », il ne fait que représenter, sans s'y opposer, D'abord parce que c'est un terme tel. Des anthèmes
l'arbitraire (Willkür) de la subjectivité nègre. Le fétichiste seulement, épar-
reste « ma1tre de son image ». Cela est mis au passif d'église et que tout ici se trame pillés partout, se
(arbitraire, imagination, caprice) hon à l'actif (liberté,
autonomie de la conscience, etc.) du nègre . Qu'il manipule contre une église. Il s'agit d'un rassemblant en
le fétiche, qu'il s'élève au-dessus de lui, du moins pour tout lieu. Si, par
savoir le produire 'et le «déposer» à plaisir, en changer
petit vase de métal en forme de exemple, la ma-
(Hegel y insiste beaucoup) quand celui-ci ne le sert pas, navire (navis J navetta). On y con- chine ne sélection-
l' «attacher ou le bâtonner » quand la récolte est mau-
nait que les mots
vaise, qu'il lui prête une signification ambivalente, l'exalte serve l'encens. ou les thèmes, elle
et/ou l'abaisse, tout cela prouve que le nègre ne s'élève
pas au-dessus de l'arbitraire . Le culte des morts lui-même Ensuite la navette du tisserand. pourrait tous les
- ailleurs considéré comme le stade inaugural de prendre dans un
l'éthique -est corrompu par le fétichisme : «Les individus Il la fait courir. Va-et-vient tramé
filet de trois pages,
se tournent vers eux [les morts] comme vers des fétiches, dans une chaîne. La trame est dans
leur font des sacrifices, les évoquent par des incantations: trois pages et de-
mais quand cela n'a pas réussi, ils punissent le défunt la navette. V ous voyez tout ce mie : Le pêcheur
lui-même, en jettent les ossements et le déshonorent. du Suquet que j'au-
D'autre part, ils ont l'idée que les morts se vengent quand qu'on aurait pu faire avec ça. rais pu faire sem-
leurs besoins ne sont pas satisfaits [. ..... ] Le pouvoir des
morts sur les vivants est reconnu mais non respecté, L'élaboration, n'est-ce pas un mou-· blant de commen-
puisque les nègres donnent des ordres à leurs morts et ter, de cerner
les ensorcellent. De cette façon le substantiel restetoujours
vement de tisserand? d'un interminable
au pouvoir du sujet. Voilà la religion des Africains, elle Nous nous sommes pourtant commentaire, sans
ne va pas plus loin. » Mais si cet être-sujet de la substance jamais le citer.
est pour une fois dévalorisé, c'est que ce sujet (arbitraire, métiés de la métaphore textile. Vous n'avez qu'à
capricieux, imaginaire) n'est pas celui de la conscience.
Le nègr'e n'est même pas un homme puisqu'il méprise C'est qu'elle garde encore - par vous y reporter,
l'homme. D'où- premièrement - son anthropophagie. vous y retrouve-
Hegel accumule ici deux accusations contradictoires : exemple du côté de la toison- une riez tout ce lexi-
alors que pour l'homme il n'y a jamais d'instinct pur (la sorte de vertu de naturaIité, d'ori- que, toute cette
chair humaine n'est pas de la viande), pour le nègre, c'est
thématique, mais
de la viande et rien de plus. Et pourtant il ne la considère ginarité, de propreté. Du moins
pas essentiellement comme une nourriture. Il ne tue même cela reste un autre
pas pour manger: « Le fait de dévorer des hommes cor- est-elle encore plus naturelle, origi- texte
respond au principe africain. Pour la sensibilité (Sinnlich-
keit) du nègre, la chair humaine est seulement quelque naire, propre que celle de la cou-
chose de sensible, de la viande et rien d'autre. Cette
chair, du reste, n'est pas exclusivement employée comme
ture. Celle-ci survient encore à un artefact.
nourriture. A l'occasion de fêtes ... » D'où - deuxième-
ment - l'esclavage: « les nègres n'y voient rien de blâ- Or c'est la couture qUl s'agit lCl.
mable »et il a « contribué à éveiller .un plus grand sens
de l'humanité chez les nègres ». Sans doute « l'essence
de l'homme est la liberté », « mais pour arriver àla
liberté, l'homme doit acquérir d'abord la maturité
nécessaire. L'élimination graduelle de l'esclavage est, pour~
cette raison, plus opportune et plus juste que son aboli-
tion brutale ». En attendant, le mépris des nègres pour Qui met, qu'il met - théâtralement - en
la vie humaine continue de se marquer dans la facilité avec
laquelle ils «se font tuer par milliers quand ils guerroient
pièces.
contre les Européens », l'absence du sentiment familial
(par suite l'absence de loi éthique, de constitution et
d'état) qui tient à leur polygamie effrénée (Hegel ne se
lasse pas de citer les 3 333 femmes du roi du Dahomey;
le fait lui paraît presque aussi scandaleux que le règne
d'une femme sur les Dschaks). L'Afrique proprement dite
«n'a donc pas, à proprement parler, une histoire ». «Ce Car les coutures, il faut y insister, ne tiennent
qui s'y est passé, c'est-à-dire au Nord, relève du monde
asiatique et européen ». Quand l'inconscient africain
\ pas à tout prix. Elles ne doivent pas être, ici,
entre en histoire, il se dialectise et devient conscient, par exemple, d'une solidité à toute épreuve. C'est
commence à s'européaniser, engage son arbitraire dans
la décision téléologique de l'économie spirituelle, accueille pourquoi ça travaille tout le temps. A coudre
en lui le travail du négatif, se soumet à l'empire de l'idéa-
lisme spéculatif. A l'aigle. la plaie, à en découdre, à recoudre, à se forcer
Qu'est-ce que spéculer quant au fétiche? Pour une telle
question, le cap sans cap, c'est l'indécidabilité. Malgré à coudre, à s'empêcher de coudre. Autres ita-
toutes les variations auxquelles il peut être soumis, le
concept de fétiche comporte un prédicat invariant: c'est
liques entre parenthèses, qui nous attendent plus
un substitut - de la chose même en tant que centre et loin : « (je m'empêchai d'apprendre à coudre) ».
source d'être, origine de la présence, la chose même par
excellence, Dieu ou le principe, l'archonte, ce qui occupe
la fonction de centre dans un système, par exemple le
phallus dans une certaine organisation fantasmatique. Si
le fétiche se substitue à la chose même dans sa présence
manifeste, dans sa vérité, il ne devrait plus y avb.ir de
fétiche dès qu'il y a vérité, présentation de la chose même
dans son essence" Selon cette détermination conceptuelle
minimale, le fétiche s'oppose à la présence de la chose
même, à la vérité, vérité signifiée dont le fétiche est un
signifiant substitutif (dès lors tout fétiche est un signifiant,
si tout signifiant n'est pas nécessairement un fétiche),
vérité d'un signifiant « privilégié », transcendantal, Donc la couture trahit, elle exhibe ce qu'elle
fondamental, central, signifiant des signifiants, n'apparte-
nant plus à la série. Quelque chose _o' la chose - n'est
devrait cacher, dissimulacre ce qu'elle signale.
plus elle-même un substitut, il y a du non-substitut, voilà
ce qui construit le concept de fétiche. S'il n'y avait pas de
chose, le concept de fétiche perdrait son noyau invariant,
Ce qu'on appelle le fétichisme devrait être analysé dans
un tout autre espace. Si ce qu'on a toujours appelé fétiche,
dans tous les discours critiques, implique la référence
à une chose non substitutive, il devrait y avoir quelque
part -- et c'est la vérité du fétiche, le rapport du fétiche
à la vérité - une valeur décidable du fétiche, une oppo-
sition décidable du fétiche au non-fétiche. Cet espace
de la vérité, l'opposition de l'Ersatz au non-Ersatz, l'espace La Dame à la Licorne s'est à peine évanouie
du bon sens, du sens même, contraint en apparence tous
les traités du fétichisme. Et pourtant, voici le cap sans
dans la tapisserie que, deux pages plus loin,
cap, il y aurait peut-être, en particulier chez Freud, l'avare le plus pur vous prend par la manche
de quoi non pas faire voler en éclats mais reconstruire
à partir de sa généralisation un « concept » de fétiche pour vous soumer ce qu'il pense du « vol », de
qui ne se laisse plus contenir dans l'espace de la vérité,
dans l'opposition Ersatz/non-Ersatz ou dans l'opposition la « trahison », de la « dialectique ».
tout court. Dire qu'il y aurait de quoi construire un
tel «concept» (mais qu'est-ce qu'un concept qui échappe « Car je suis si pauvre, et l'on m'accusait
à l'opposition, qui se détermine hors de l'opposition, déjà de tant de vols qu'en sortant d'une chambre
qu'est-ce qu'un concept indécidable?), c'est impliquer
que la structure du texte, celui de Freud en particulier, trop légèrement· sur la pointe des pieds, je ne
comporte des énoncés hétérogènes, non pas contradic-
toires mais d'une hétérogénéité singulière: celle qui par suis pas sûr, maintenant encore, avec moi de ne
exemple rapporte dans un texte (mais peut"on alors parler
d'un texte, d'un seul ét même corpus textuel?) des énoncés pas emporter les trous des rideaux ou des ten-
décidables à des énoncés indécidables. Dans l'essai sur
Le fétichisme, après avoir rappelé le cas du Glanz auf der tures. »
Nase de l'Anglais qui avait «oublié» sa langue maternelle
(brillant: Glanz: glance : regard - sur le nez), Freud
reconnaît qu'il risque de décevoir en disant que le fétiche
est un « substitut du pénis (Penisersatz) » et, « plus
clairement» « le substitut (Ersatz) du phallus de la femme
(de la mère) auquel a cru le petit enfant et auquel, nous
savons pourquoi, il ne veut pas renoncer. » D'où, du
point de vue de la représentation et non de l'affect, la
Ver/eugnung, le « déni » qui protège l'enfant contre la
menace de castration et maintient intacte sa croyance
(Glauben) initiale. Le fétiche s'érige ici comme un «monu-
ment », un «stigma inde/ebile », un « signe de triom-
phe ». Cette érection monumentale d'une colonne sup-
plémentaire est une solution de compromis, de contre··
poids pour équilibrer le « conflit » entre le « poids »
(Gewicht) de la « perception indésirée » et la «force du Tous les exemples se découpent ainsi. Regardez
contre.. désir » (Gegenwunsch). Elle permet parfois au les trous si vous pouvez.
fétichiste de faire l'économie de son homosexualité :
ainsi suppléée, la femme devi.ent un objet sexuel « sup-
portable ». Tout cela procédant du spectacle des deux
jambes de la femme, vues d'en bas, avec, au centre des
deux membres dressés, entre les deux, la toison.
Après ces énoncés déterminés, décidables, Freud entame
dans ce court article de six pages un développement qui
parait suivre la conséquence et qui pourtant ne le fait .
peut-être pas si simplement. Pour le faire, il dit emprunter
une « voie purement spéculative ». On peut interroger le
statut du spéculatif en rappelant que le pas « Au-delà du
principe du plaisir» avance aussi, Freud y insiste, sur une
voie « spéculative ». Ici, il en vient à reconnaître l' «atti-
tude de clivage du fétichiste (Zwiespéiltige Einstellung des Puis il vous agenouille devant un fétiche végétal.
Fetischisten) » et l'oscillation du sujet entre deux possi-
bilités. Puis pour lester l'hypothèse spéculative il propose Ce1ui-d n'est pas même cousu. Seulement épinglé
une « description ». Description de cas très subtils, « tout
à fait raffinés » (ganz raffinierten Fallen). Mais si de tels sur la toile. Avec, heaucoup de lange dans tout
cas existent, si on s'autorise surtout à les reconnaître
sous la catégorie du fétichisme, il faut pouvoir en rendre ça, une « épingle de nourrice ». Voici l' « opé-
compte. Il faut que la catégorie puisse les accueillir, s'y ration », elle affaire encore tout près des « fron-
étendre et les comprendre.
Dans ces cas très raffinés, donc, la structure, la construc- tières naturelles » de Stilitano :
tion (Aufbau) du fétiche repose à la fois sur le déni et sur
l'affirmation (Behauptung) , l'assertion ou l'assomption de « •• ~ exclu, je n'osai e;n demander plus long.
la castration. Cet à-Ia·.fois, ce du-même-coup de deux
contraires, de deux opérations opposées, interdit de
« - Allez!
trancher dans l'indécidable. Il constitue une économie « D'un geste de sa main vivante il me fit
de l'indécidable : non que l'indécidable y interrompe
l'efficace du principe économique. Il se met au service signe qu'il voulait se déshabiller. Comme les
d'une économie générale dont il faut alors ouvrir le champ.
I! y a une spéculation économique sur l'indécidable. Elle autres soirs je m'agenouillai pour décrocher la
n'est pas dialectique mais joue avec la dialectique. La
feinte consiste à faire semblant de perdre, de se châtrer, grappe de raisin.
de se donner la mort pour y couper . Mais la feinte n'y « A l'intérieur de son pantalon, il avait épinglé
coupe pas . On perd des deux côtés, dans les deux registres,
à savoir jouer sur les deux tableaux. C'est à cette condition une de cés grappes postiches dont les grains, de
que l'économie devient générale . Un fétichisme aussi se
déploie sans limite, à l'intérieur duquel il faudra délimiter mince cellulose, sont bourrés de ouate. (Ils ont
les contours d'un fétichisme strict: celui dans lequel se
débat toujours la métaphysique. -- Loin de généraliser • la grosseur d'une reine-claude et les femmes élé..
l'Ersatz ou le simulacre, le fétichisme strict prend un
Ersatz pour la chose méme. _. Il (ne) désire (que) la chose gantes à cette époque et dans ce pays les portaient
même et le Sa de la chose même.
Pourquoi le fétichisme général? Dès lors que l'économie
à leurs capelines de paille dont le bord ployait.)
de l'indécidable assure au fétiche sa plus grande solidité, Chaque fois, à la Criolla, troublé par la bour-
comme le reconnaît Freud, sa moindre consistance sup-
pose déjà quelque liaison à des intérêts opposés. La mesure souflure, qu'un pédé lui mettait la main à la
de solidité ou:de consistance serait donc le ligament entre
des contraires, ce double lien (doppelt geknüpft) et la braguette, ses doigts horri:6.és rencontraient cet
mobilité indécidable du fétiche, sa puissance d'excès par
rapport à l'opposition (vrai/non-vrai, substitut/non-sub-
objet qu'ils redoutaient être une grappe de son
stitut, déni/affirmation, etc.). L'argument de la gaine véritable trésor, la branche où, comiquement,
organise le cap sans cap de ce discours: « Dans des cas
très raffinés, c'est dans la construction même du fétiche s'accrochaient trop de fruits.
qu'aussi bien le déni que l'affirmation de la castration ont
trouvé accès. C'était le cas pour un homme dont le fétiche « La Criolla n'était pas qu'une boîte de tantes.
était une gaine pubienne qu'il pouvait aussi porter comme
slip de bain .. Cette pièce vestimentaire cachait absolument Vêtus de robes y dansaient quelques'garçons,
les organes génitaux et donc la différence entre les organes
génitaux. Selon les documents de l'analyse cela signifiait
mais des femmes aussi. Les putains amenaient
aussi bien que la femme était châtrée ou qu'elle n'était leurs macs et leurs clients. Stilitano eût gagné
pas châtrée et cela permettait par surcroît de supposer la
castration de l'homme, car toutes ces possibilités pou- beaucoup d'argent s'il n'eût craché sur les pédés.
vaient parfaitement (gleich gut) se dissimuler derrière
la gaine dont l'ébauche était la feuille de vigne d'une nIes méprisait. Avec la grappe de raisin il s'amu-
statue vue dans l'enfance. Un tel fétiche doublement
noué à des contraires est naturellement particulièrement sait de leur dépit. Le jeu dura quelques jours.
solide. » Même chose chez le coupeur de nattes dont Je décrochai donc cette grappe retenue par une
l'acte « concilie (vereinigt) deux affirmations incompa-·
tibles » épingle de nourrice à son pantalon bleu, mais,
au lieu de la poser sur la cheminée comme d'habi-
Lefol1S sur la philosophie de l'histoire renvoient à son origine
portugaise, jeitifo). tude, et en riant (car nous éclations de rire et
plaisantions durant l'opération), je ne pus me
Il Y va de la jalousie. retenir de la garder dans mes mains et d'y poser
Le précepte (kantien) selon lequel {< nous ne pouvons ma joue. Le visage de Stilitano, au-dessus de
rien savoir de Dieu >} est un préjugé du temps avec lequel mOl, devint hideux.
il faut rompre si l'on veut inaugurer u!le philosophie de « - Lâche ça! Salope.
la religion. Celle-ci doit être chrétienne, Hegel ne le remet
pas en cause. Mais il en tire une conclusion diamétralement « Pour ouvrir la braguette je m'étais accroupi
opposée: s'il s'agit dans la piété de plaire à Dieu le Père mais la fureur de Stilitano, si ma ferveur habi-
et de prendre plaisir à la loi (Kant), de rechercher à cette
fin la perfection, comment cela serait-·il possible si nous
tuelle n'eût suffi, me :6.t tomber à genoux. C'est
étions enfermés dans le phénomène et laissions Dieu la position qu'en face de lui, malgré moi, menta-
au-delà de la connaissance (théorique, que Hegel ne veut lement je prenais. Je ne bougeai plus. Stilitano
pas distinguer ici de la relation pratique)? Selon la Joi
formalisable d'un chiasme, Hegel reproche en somme à avec ses deux' pieds et son unique poing me
Kant d'être infidèle à la raison et au christianisme comme frappa. J'eusse pu m'échapper, je restai là.
Kant reproche à ceux qui croient connaltre Dieu (cela «- La dé est sur la porte, pensais-je. Entre
aura été le cas de Hegel) de dégrader la religion en folie
religieuse, en délire d'orgueil ou en fétichisme. « D'après l'équerre dés jambes qui me cognaient avec rage
son contenu, il faut considérer cette position [kantienne] je la voyais prise dans la serrure, et je l'eusse
comme le dernier degré de l'abaissement de l'homme; voulu tourner d'un double tour afin d'être enfermé
toutefois elle lui inspire d'autant plus d'orgueil qu'il' s'est
démontré à lui-même que cet abaissement est ce' qu'il y a par moi-même avec mon bourreau. Je ne cher-
de plus élevé et sa véritable destination >}. Malgré l'intérêt chai pas à m'expliquer sa colère si hors de pro-
de ce formalisme qui déclare qu'on peut tout connaître portion avec sa cause car mon esprit se préco-
sauf le vrai, « cette position et ce résultat sont diamétrale-
ment opposés à toute la nature de la religion chrétienne >}. cupait peu des mobiles psychologiques. Quant
La révélation, c'est la révélation. Une religion révélée à Stilitano, de ce jour il n'accrocha plus la grappe
est une religion dans laquelle Dieu se révèle. Il ne s'y de raisin. Vers le matin, entré dans la chambre
cache pas, ne s'y réserve pas, ne s'y garde pas. La religion
chrétienne est vraie, parce qu'elle est la religion de la avant lui je l'attendais. Dans le silence j'entendais
vérité, de la manifestation et de la révélation. le bruissement mystérieux de la feuille de journal
Dans l'encyclopédie, le troisième moment de la jauni qui remplaçait la vitre absente.
philosophie de l'esprit (l'esprit absolu qui réconcilie l'es-
« .- C'est subtil, me disais-je.
prit objectif et l'esprit subjectif dans l'art, dans la religion
révélée et dans la philosophie), chaque synthèse est la « Je découvrais beaucoup de mots nouveaux.
vérité de la synthèse passée : la religion révélée est la Dans le silence de la chambre et de mon cœur,
vérité de l'art (die schone Kunst). Celui-ci comporte sa
propre religion, qui n'est qu'une étape dans la libération dans l'attente de Stilitano ce léger bruit m'in-·
de l'esprit et il a sa destination dans la « religion véritable >}, quiétait car avant que j'en eusse compris le sens
vérité de l'art passé, de ce que l'art aura été. Dans les beaux- se passait: un bref temps d'angoisse. Qui - ou
arts, le contenu de l'idée était limité par l'immédiateté
sensible, il ne se manifestait pas dans l'universalité d'une quoi - se signale dans la chambre d'un pauvre
forme infinie. Avec la religion véritable (la vraie, la chré- d'une si fugitive façon?
tienne, celle du Dieu infini), l'intuition sensible, finie et « - C'est un journal imprimé en espagnol,
immédiate' passe dans l'infini d'un savoir qui, en tant
qu'infini, n'a plus d'extériorité, se sait donc lui-même, me disais-je encore. Il est normal que je ne com-
devient à lui-même présent. Présence (Da sein) quise prenne pas le bruit qu'il fait. Me sentais-je alors
sait elle-même puisqu'elle est infinie et n'a pas de dehors, bien en exil, et ma nervosité m'allait rendre
vérité qui s'annonce à elle-même, :résonne et se réfléchit
dans son propre élément : le manifeste, le révélé, das perméable à ce que .__. à défaut: d'autres mots
Olfenbaren. Si l'on veut penser la révélation en son essence, - je nommerai la poésie.
ce que veut-dire révéler dans la religion-révélée, il faut
« Sur la cheminée la grappe de raisin m'écœu-
penser cet OfJenbaren : non pas comme un sujet fini pense-
rait une révélation lui venant de Dieu (moment abstrait), rait. Stilitano une nuit se leva pour la jeter aux
mais comme la révélation infinie de Dieu se révélant chiottes. Durant le temps qu'il l'avait portée
elle-même dans son infinité : la révélation elle-même ou
la révélation de la révélation, le dé-voilement comme dévoi-
cette grappe n'avait pas nui à sa beauté. Au
lement du voile même. Prétendre penser la religion abso- contraire, le soir, en les encombrant un peu, elle
lue, vraie et révélée en maintenant, comme le fait Kant, avait donné à ses jambes une légère incurvation,
les limites d'une subjectivité finie, c'est s'interdire de
penser ce qu'on dit penser, c'est ne pas penser ce que
à son pas une douce gêne un peu arrondie et
déjà l'on pense, c'est bavarder - dans l'infidélité, l'idolâ- quand il marchait près de moi, devant ou derrière,
trie, l'abstraction formaliste de l'entendement. « Le je connaissais un trouble délicieux puisque mes
concept de la religion véritable, c'est-à-dire de celle qui a
pour contenu l'esprit absolu, implique essentiellement
mains l'avaient préparé. C'est par
grappes accro·,
qu'elle soit révélée (geoffenbart) et révélée par Dieu. » l'insidieux pouvoir de cette grappe, chées pour bander
Infinie, cette révélation ne se laisse plus contenir dans un crois-je encore, que je m'attachais l'œil.
événement historique et déterminé, comme on l'im~gine
à Stilitano. [...] Très prudent, je ne « Ils se cram-
en général. Le mouvement de manifestation de la vérité • , • pannent à la loy-
infinie se confond avec l'histoire de l'esprit, révélation commentera! pas ce port mysteneux auté comme d'au-
progressive et réappropriation de l'absolu divin. « L'his- de la grappe, pourtant il me plaît tres à la virilité. A
toire des religions coïncide avec l'histoire du monde. » midi, sur un canas-
La présence (Dasein) absolue est savoir (Wissen), elle
de voir en Stilitano un pédé qui son large de
s'a et se sait comme substance absolue qui se manifeste se haît. croupe, lourd et
elle-même à elle-même, se détermine elle-même (das velu aux pattes,
« - Il veut dérouter et bles- couvert encore
Selbstbestimmende ist). L'être de Dieu est absolument pré-
sent, manifeste, là (da). Il est l'acte même de se manifester, ser, écœurer ceux mêmes qui le de son harnais de
cuivre et de cuir,
d'être là. Le là, le Da ne lui survient' pas, il est Da, le désirent, me dis-je si je pense à assis en amazone,
manifeste(r) de la manifestation (schlechthin Manifestieren). lui. En y rêvant avec plus de ses jambes pendant
Or la religion chrétienne est, dans l'histoire, la seule
qui se soit expressément nommée religion révélée. Elle rigueur cette idée me trouble àmone, gauche, Harca-
revenant
s'appelle la révélée (ausdriicklich die geoffenbarte heisst) . davantage - et d'elle je puis tirer d'un labour ou
Aucune autre religion n'est absolument vraie - non pour le plus grand parti - que Stilitano d'un charroi, tra-
être fausse - mais pour n'être pas de la vérité, pour versa le Grand
n'avoir pas fait de la vérité (du dévoilement) de la mani- avait acheté une plaie postiche pour Carré, au coin de
festation, de l'ouvert (et ouvrable) son essence propre. cet endroit le plus noble - je sais son calot posé de
Dès lors, prétendre fonder le christianisme en raison et travers ayant eu
qu'il l'avait magnifique - afin de le toupet d'accro-
faire néanmoins de la non-manifestation, de l'être-caché
de Dieu le principe de cette religion, c'est (Kant) ne rien sauver du mépris sa main coupée. cher, près de
l'oreille et lui cou-
comprendre à la révélation. Ainsi, par un subterfuge très gros- vrant presque l'œil
Kant est juif : il croit à un Dieu jaloux, envieux, sier me voici reparler des men- gauche d'une taie
qui cache et garde son Da. Faute d'autant plus grave pour mauve et trem-
un philosophe que Platon, déjà, et Aristote avaient diants et de leurs maux. Derrière blante, deux énor-
condamné l'hypothèse d'un Dieu avare et: dissimulé. A la un,mal physique réel ou feint qui mes grappes de
Némésis, puissance égalisante (gleichmachende Mach!) con- signale et le fait oublier, plus secret lilas. Il fallait qu'il
çue par l'entendement abstrait, ils avaient objecté que fOt bien sOr de
Dieu n'est pas « jaloux » (neidisch). La Némésis: d'une un mal de l'âme se dissimule. son intégrité. Seul
part la figure de la loi, de la justice distributive, égalisa- « J'énumère les plaies secrètes: à la Colonie, il
trice, formelle, homogène, au fond indifférente, opération pouvait se parer
« les dents gâtées, si coquettement
morte et mortifère de l'entendement qui abaisse la gran-
« l'haleine fétide, de fleurs. C'était
deur et détruit le sublime. Le Dieu de Kant, puissance de
un vrai mâle. »
mort, n'aurait aucune générosité vivante, d'abord par « la main coupée, (Miracle de la rose.)
son zèle à replier son Da en lui.
« l'odeur des pieds, etc. « ... J'ai d'abord
Mais la Némésis, ce n'est pas seulement, pour les amené la fille dans
Grecs, justice distributive et nomos (partage), c'est aussi « pour les cacher et pour sti- ma chambre. Per-
le ressentiment devant l'injustice, puis l'envie, la jalousie, muler notre orgueil nous avions sonne ne l'a vue
la pudeur aussi et le châtiment. Toute cette chaîne de monter. Elle vou-
« la main coupée,
significations relie la loi à la jalousie ou au ressentiment, lait mon lilas.
et du même coup un certain Grec, un certain Juif et un « l' œil crevé, Maurice : Quoi?
certain Kant. Il s'agit chaque fois d'une divinité dont la « le pilon, etc. Yeux-verts: Entre
justice est injuste, vengeresse, finie, négatrice, cruelle, les dents j'avais
castratrice, peureuse. Figure d'un père qui ne voudrait « On est déchu durant qu'on une grappe de li-
porte les marques de la déchéance, las. La fille me sui-
pas que ce à quoi il donne naissance lui ressemble. Or la
vait. Elle était ai-
jalousie (phthonos), dit le Phèdre, ne peut être un attribut et veillant en nous-même la con- mantée.
divin. Elle se tient « en dehors du chœur divin )} : 'c'est
au moment où, dans le mythe de la procession des âmes, naissance de l'imposture ser~ peu. [ ...] Après, elle
a voulu crier parce
Zeus s'envole sur son char ailé, suivi d'une armée de Seul étant utilisé l'orgueil voulu que je lui faisais
dieux et de démons, tandis qu'Hestia reste seule dans la par la misère, nous provoquions la mal.Je l'ai étouffée.
maison des dieux (Estia en theôn oikô, monè). Le Timée J'ai cru qu'une fois
interprète la non-jalousie, dans le rapport père/fils ou pitié en cultivant les plaies les plus morte je pourrais
générateur/engendré, comme le désir de ressemblance:· écœurantes. » la ressusciter. »
le dieu veut que son produit lui ressemble. « Il était bon C'est, donc, le pos-
et en ce qui est bon nulle envie (phthonos) ne naît jamais à Pourquoi couper ici? tiche, le détacha-
l'égard de rien. Exempt d'envie il a voulu que toutes ble, qui séduit,
choses naquissent le plus possible semblables à lui. » Si nous ne lisions pas, nous fascine, attache, le
Dès son ouverture, la Philosophie de la religion tire aussi aU!1ons, nous, l"Impru dence de
. détachable. C'est
lui l'origine de ce
argument de l'analogie : « Le Christ dit " Soyez parfaits commenter ce port de la grappe. que« à défaut
comme votre Père céleste est parfait ", - or cette exi-
gence sublime est pour la sagesse de notre temps un son
Nous imposerions à ce morceau d'autres mots -
je nommerai, la
creux... » Pour ressembler à Dieu, il faut le connaître et des mots nouveaux, en tout cas poésie ». C'est lui
le penser, le voir se révéler ici, là, da, et non l'ignorer des mots qui lui sont étrangers. qui peut « dérou-
dans un incompréhensible au-delà. Un père ne peut pas ter et blesser,
se cacher, il ne peut pas réserver son Da. La non-jalousie Devant toutes les plaies d'Égypte, écœurer De m'ec]
du générateur (que ces discours ne distinguent pas du on imagine les docteurs hocher ceux-mêmes qui le
père : le père a la signification du générateur en tout cas) désirent. »
la tête et psalmodier : castration,
ne lui appartient pas comme un caractère psychologique,
un trait parmi d'autres. Ce n'est pas un attribut: être- fétichisme, castration de la mère, fétichisme,
générateur exclut l'envie. Un père ne peut être jaloux en castration, castration je vous dis, encore castration.
tant que père, puisqu'il donne naissance. Il est bon
(agathos) en tant qu'il donne lieu à la genesis, fait venir
au jour, accorde naissance et forme. Ceux qui disent que
Dieu est jaloux sont des menteurs, grecs, juifs ou kan-
tiens. Des menteurs ou des poètes mais les poètes sont
des menteurs (Aristote, avant Nietzsche, avait rappelé le
proverbe) qui ne comprennent rien à la différence entre
le jour et la nuit.
Freud s'étonne lorsque Kant compare la loi morale
dans notre cœur au spectacle de la voûte céleste a'u-dessus Ne cherchez pas de mots nouveaux du style
de notre tête. Ce n'est pas seulement parce qu'il respirait navette. Et demandez-·vous pourquoi vous n'en
dans les brumes de Koenigsberg dont le soleil ne perce avez pas besoin. Et qu'est-ce que la poésie, ainsi
pas les voiles. La loi, le père, le Dieu auquel il faut plaire
est un Dieu qu'on ne peut pas connaître, c'est un Dieu nommée à défaut d'autres mots, si elle prescrit,
nocturne: jaloux, dissimulant son Da, moral et castrateur, inscrit et comprend et: déborde d'avance, l'englou-
ne se donnant à voir, comme la structure galaxique, que
tissant dans son abîme, le discours herméneutique
par scintillement, clignotement sur fond de nuit, - éclairé
par un soleil qu'on ne voit pas. et doctoral?
Or la tradition dont se réclame .- ici - Hegel est une C'est subtil, me dis-je. L'auteur qui se narre
tradition solaire et diurne, tradition de l'agathon, du bon dieu
qui engendre, donne forme et visibilité. Unité des valeurs ne peut pas, dit-il, s'enfermer avec la clé (la clé
de vie et de vérité, dévoilement à la vue. La bonté, l'ab- universelle, le phallus de la mère, disent-ils en
sence de jalousie ne consiste pas seulement à donner hochant la tête) de son bourreau. S'enfermer lui-
naissance, à produire la vie mais aussi à se donner 'à voir,
à se produire. La valeur de jalousie (Neid) permet de même avec la clé de son bourreau berceur qui
confondre une problématique de la vie et une probléma- remplace sa plaie par une autre, par un objet
tique de la vérité comme productivité. L'essence de Dieu détachable qui est cela même qui écœure et attache
ne peut être la jalousie parc.e que l'essence, soit l'énergie
de la présence, le Da, ne peut se cacher. L'essence n'est par son insidieux pouvoir.
pas jalouse, la jalousie n'est pas essentielle ou bien elle La clé : « prise dans la serrure ».
n'est que le négatif de l'essentialité. Dans l'essentialité
pure, la jalousie est totalement relevée. Hegel reconnaît,
il est vrai, qu'il ya eu, qu'il y aura eu de la négativité
en Dieu (inquiétude, colère qui le fait sortir de lui, etc.,
tourment, torsion originaire : Quai Quelle,. comme s'il
commençait par se châtrer pour ériger son Da, ou par
bander pour se recouper; comme si dans ce simulacre, il se
médusait lui-même, ou plutôt venait à lui-même, à son
Dasein, par la méduse. L'ortie de mer, l'acalephe, la méduse
en dérive se nomme, Hegel ne le dit pas, Qualle); ce qu'il
dit de la religion absolue et du Dieu non jaloux ne vaut Ce qui est resté d'un Rembrandt déchiré en
qu'au terme du procès de réappropdation de l'absolu par petits carrés, et foutu aux chiottes. L'étrange
lui-même. Avant terme, il y a finitude et donc jalousie. Mais ,,
mot d ecœurement.
jalousie de soi. De qui Dieu pourrait-il être jaloux, sinon de
lui-même, donc de son propre fils? La Némésis, 'le judaïsme,
le kantisme sont des moments nécessaires, mais abstraits,
de ce procès infini. Dans le Sa, la jalousie n'a plus de
place. Elle vient toujours de la nuit de l'insconscient, de
l'insu, de l'autre. La vue pure relève toute jalousie. Ne
pas voir ce qu'on voit, voir ce qu'on ne peut pas voir et
qui ne peut pas se présenter, telle est l'opération jalouse.
Elle a toujours affaire à de la trace, jamais à de la percep-
tion. Vue depuis le Sa, la pensée de la trace serait donc
une pensée jalouse (finie, filiale, servile, ignorante, men~ Dans la chambre - impossible de s'y enfermer
teuse, poétique). Tradition depuis la métaphysique d'Aris~
tote : {< Aussi est-ce à bon droit qu'on peut estimer plus
avec le bourreau qui laisse voir la clé entre l'équerre
qu'humaine sa possession [de la philosophie, de la science de ses jambes -- appel d'air, vitre absente. Celle-
suprême J. De tant de manières, en effet, la nature de ci est remplacée, elle aussi. Mais par quoi? par
l'homme est esclave que, suivant Simonide, {< Dieu seul
peut jouir de ce privilège >} [Simonide de CeosJ et qu'il ne
un objet particulier et déterminable? Si nous
convient pas que l'homme ne se bome pas à rechercher avions l'imprudence de commenter, et si nous
la science qui est à sa mesure. Si donc il y a quelque nous préoccupions de mobiles psychologiques,
vérité dans ce que racontent les poètes, et si la jalousie est
naturelle à la divinité (pephukè phthonein to theion), c'est
nous le prédiquerions avec certitude. On pourrait
bien dans ce cas qu'elle devr<lÏt, semble-t-il, surtout en faire une thèse.
s'exercer, et tous ceux qui excellent dans ce savoir auraient Ce qui remplace la vitre absente n'est qu'un
un sort misérable. Mais il n'est pas admissible que la
divinité soit jalouse (disons même avec le proverbe que journal, n011 pas Le journal du voleur plus grand
les poètes sont de grands menteurs (poila pseudontai aoidoi) que toute cette scène, qui en fait partie, infiniment
et on ne doit pas non plus penser qu'une autre science plus grand, et qui est aussi imprimé, d'une certaine
puisse surpasser celle-là en dignité. En effet, la science
la plus divine est aussi la plus élevée en dignité, et sèule manière, en espagnol. Non, un journal comme
la science dont nous parlons doit être, à un double titre, un autre, dont le voleur se plaint de ne pas com-
la plus divine : car une science divine est à la fois celle prendre le sens, s'y plaît aussi, jouit, dans l'an-
que Dieu posséderait de préférence et qui traiterait des
choses divines. Or la science dont nous parlons est seule goisse de la chambre, de n'entendre que ce bruit
à présenter, en fait, ce double caractère : d'une part, non identifiable mais espagnol comme son nom.
dans l'opinion courante, Dieu est une cause de toutes Ce morceau est une page détachée du journal
choses et un principe, et d'autre part, une telle science,
Dieu seul, ou du moins Dieu principalement, peut la du voleur, préparé par les mains de l'auteur,
posséder. » trop prudent pour commenter autre chose que
Question de la filiation. Mise en scène spéculative. son texte qui s'occupe toujours d'autre chose
Légende. Kant essaie de soustraire son discours à l'ins-
tance psychanalytique: « Toute la généalogie de la morale par rapport à quoi rien de plus grand ne peut
décrite par la psychanalyse (situation parentale, loi du être pensé.
père, castration, etc.) vaut peut-être dans un champ
d'empiricité phénoménale, pour des mœurs particulières,
telle culture déterminée, les rapports empiriques entre
pères et fils sensibles, les déterminations psychologiques
finies, les religions non universelles, non vraies, les idolâ-
tries et les fétichismes. Freud n'est-il pas condamné à un
grossier analogisme - qu'il doit bien avouer lui-même-
quand il écrit dans l'Introduction à Totem et Tabou :
« Cette différence dans les résultats obtenus [entre l'expli-
cation du totem et celle du Tabou], quant à leur degré de
Ici encore je ne fais rien d'autre, ne puis rien
certitude, tient à ce que le tabou survit encore de nos faire d'autre que de citer, comme vous venez peut-
jours, dans nos sociétés modernes; bien que conçu d'une être de voir : seulement déplacer l'agencement
façon négative, et portant sur des objets tout à fait diffé-
rents, il n'est, au point de vue psychologique, pas autre
syntaxique autour d'une plaie physique, réelle
chose que l' « Impératif Catégorique » de Kant, à la diffé- ou feinte, qui signale et fait oublier l'autre.
rence près qu'il veut agir par la contrainte en écartant
toute motivation consciente. » Fr'eud ne se méfie pas assez
de l'analogie contre laquelle il nous met en garde, par
exemple dans L'avenir d'une illusion. Il dit : le tabou, pour
nous, aujourd'hui, c'est l'Impératif Catégorique, à ces
petites différences près, dont il ne veut pas en somme
tenir compte: 1. le tabou est négatif, l'le est positif (< bien
que conçu de façon négative »); 2. les objets de l'un et de
l'autre sont différents (< portant sur des objets différents »); J'ai découvert beaucoup de mots nouveaux
3. l'identité ne vaut que du point de vue psychologique
(< au point de vue psychologique, le tabou n'est pas autre et pourtant je reviens toujours aux mêmes à défaut
chose que l'Impératif Catégorique »); 4. le Tabou agit d'autres.
par la contrainte et la motivation inconsciente, l'le se Qu'est-ce que la poésie? Qu'est-ce qui bande
donne au moins comme la manifestation même de l'auto-
nomie de la conscience, de la liberté et de la volonté. ce texte, séduit et trouble le disçours doctoral,
Compte non-tenu de ces quatre différences, je suis d'accord introduit un écart (un « Grand Carré ») dans
avec Freud, mon le est son tabou, « ce n'est pas autre la pièce où le patient se déshabille, se couche, he
chose ». Dans la mesure où l'le serait négatif - ce gu'il
n'est pas -', aurait le même objet - qu'il n'a pas -, dit finalement rien, fait en revanche bégayer le
serait psychologique, empirico-phénoménal, .- ce qu'il maître. Quelques jours après, celui-ci envoie un
n'est pas -, aurait une structure hétéronomique - qu'il manuscrit dédicacé à l'écrivain patient: avec mon
n'a pas, il ne serait pas autre chose en effet que ce que
Freud lui assimile sous le nom de tabou. Mais jamais un admiration. C'est bon, n'est-ce pas? C'est un peu
procès d'idéalisation et d'intériorisation faisant passer comme ce que vous faites, non. L'écrivain ne
du négatif au positif~ d'un objet à l'autre, dei'inconscient répond pas. Il n'est surtout pas assez puceau pour
au conscient, de la contrainte à l'autonomie, du psycho-
logique à ce qui se donne comme non psychologique, dire qu'il occupe la place de l'autre.
non phénoménal, ja-
à moins que, à la suite d'un déplacement mais un tel procès ne
déconstructif de toutes les oppositions
sur lesquelles mise le discours kantien pourra rendre compte
pour y rendre impossible un procès ana- du saut proprement in- Le texte est grappu. tout revient à
logique (sensiblejintelligible, phénoménalj fini qui produit l'objet vivre au crochet
nouménal, intuitus derivativusjintuitus ori-
D'où la nervosité perméable d'un manchot; la
ginarius, etc.), le discours psychanalytique de la moralité pure. et séduite, agenouillée, de qui vou- grappe, le grap-
ne détermine - dans la logique kantienne « La religion vraie
_. le point sensible: le point de sensibilité - la moralité pure qui drait le prendre, le comprendre, se pin sont une sorte
où les deux termes de l'opposition se de matrice cro-
touchent et font l'économie du saut. C'est devrait la fonder. - l'approprier. chue. « Grappe,
par exemple le respect de la loi morale rompt avec toutes les
qui n'appartient ni à l'ordre rationnel de déterminations
Il y est traité de l'ersatz, en E. Picard et champ.
finies, crape; provenç.
la 101 ni à l'ordre des phénomènes psycho-
critique le fétichisme, langue étrangère de ce qu'on pose grapa, crochet;
logiques: c'est encore l'intérêt de la raison
et en général tout le schématisme de l'anthropomorphisme et rajoute à la place. espagn. grapa, cro-
l'imagination transcendantale qui, levant et toutes lesreprésen- chet; ital. grappa,
l'opposition, suspend le saut. " y a aussi La thèse (la position, la propo- crochet, bas-lat.
un analogisme kantien. tations sensibles, en un
l.'époque est ici unanime : le saut c'est mot toute la religion sition, Satz) protège ce qu'elle rem- grapa, grappa, dans
bien. Mais il faut toujours se demander les Addenda de
pourquoi et par-dessus quoi l'on se presse
phénoménale qui s'or- place, cependant. Quicherat; de l'an.
de sauter ganise sur un rapport Or void qu'un contemporain haut-allem. chrap-
au père ou à la loi
comme objet finis. A partir du moment où la loi, Dieu le (le fait importe beaucoup) que fo, modo
crochet, allem.
Krappen;
père, etc., ne sont plus des objets finis - c'est-à-dire aussi tout, sinon son propre glas, aurait comp. le kymry
bien ne sont plus (présents), n'apparaissent plus -le crap. La grappe a
principe de la généalogie psychanalytique de la religion
dû préparer à lire la scène, se été ainsi dite parce
et de la morale devient caduc. » démonte, ne veut plus voir, dit qu'elle a quelque
Hegel «< l'obscure philosophie hegelienne », comme le contraire de ce qu'il veut dire, chose de crochu,
l'appelle Freud) relance le manège. C'est la répétition d'accroché « (Lit-
part en guerre, monte sur ses tré)
circulaire du débat, son cercle vicieux qui garde un inté-
rêt : « Freud a raison quand il parle de la morale et de la grands chevaux.
religion kantienne; celles-ci restent dans la finitude, la
représentation sensible, le psychologisme, le fétichisme,
les rapports de jalousie entre le père caché, invisible et le
fils impuissant, elle ne parvient pas à la pensée de l'iilfini L'ersatz, dit-il, ce n'est pas bien.
et de la religion vraie, elle se tient dans les limites de la Alliance difficilement explicable avec Sartre
religion sensible (fétichiste, anthropomorphique) ou, ce
qui revient au même, dans les limites d'une religion for- Et pourtant : « Sartre a marqué lui-même une
melle de l'entendement. Or la psychanalyse peut rendre étrange difficulté à la base de l'œuvre de Genet.
compte de la généalogie d'une telle religion, mais non Genet, qui écrit, n'a ni le pouvoir ni l'intention
d'une religion du concept ou de la raison spéculative qui
part, elle, de l'infini, etc. etc. etc. » -
de communiquer avec ses lecteurs. L'élaboration
[visiblement pas fait exprès] de son œuvre a le
Kant: « Surenchère d'analogisme! complicité de la sens d'une négation de ceux qui la lisent. Sartre
Schwarmerei, de la folie religieuse et du fétichisme (Dieu
présent dans la finitude sensible). Effacement du christia- l'a vu sans en tirer la conclusion: que dans ces
nisme, infidélité, néo-paganisme. La dialectique spécula- conditions, cette œuvre n'était pas tout à fait une
tive est plus que jamais soumise à la juridiction psycha- œuvre, mais un ersatz, à mi-chemin de cette
nalytique. Confusionnisme, méconnaissance de la spécificité
du religieux qui se dissout dans le philosophique alors communication majeure à laquelle prétend la litté-
que mon essai sur la religion dans les limites de la simple rature. La littérature est communication. Elle
raison effectue à cet égard un mouvement plus complexe part d'un auteur souverain, par
dans son rapport aux écritures, etc. » un auteur
delà les servitudes d'un lecteur
Hegel : « Vous y parlez pourtant aussi d'un progrès isolé, elle s'adresse à l'humanité souveraine. [...]
de la raison. Je ne propose pas une identification formelle « Non seulement Genet n'a pas l'intention
et tautologique de l'objet: philosophique et de l'objet reli-
gieux, mais une identification concrète, historique, hété- de communiquer s'il
la caricature, l'ersatz, ce n'est pas
rologique, laborieuse, dialectique. Je tiens compte- écrit, mais, dans la bien, ce sont des faux. Il aime l'édi-
effectivement -, de la téléologie honteuse dont ton mesure où, quelle tion originale, le sceau, le seing de
œuvre porte les stigma- l'authentique. Pas le faux, le vrai. Il
Freud (un pied dans le manège) : « Que tes. Je fais, sans jalou- que soit son inten- n'aime pas la galalithe. C'est sûr'e-
se passe-t-il quand deux systèmes philoso-
phiques (manies paranoïaques érigées,
sie, bien sûr, surtout tion, une caricature ment de la galalithe, rien n'est plus
droites, non tordues) s'affrontent ou se pas, ce que tu aurais comme avant
persécutent l'un l'autre en se reprochant dû faire. Il y a dans
ou un ersatz de com-
de ne rien comprendre à la religion (à la
ma critique l'hommage munication s'établirait:, l'auteur refuse à ses
névrose obsessionnelle érigée, droite,
non tordue)? Que se passe-t-il quand deux d'une filiation, etc. )} lecteurs cette similitude fonda-
systèmes phi losophiques se réclamant de L'identité de la ·
mentaIe que 1a Vigueur de son la vigueur de son
la vérité prétendent détenir à la fois la œuvre
vérité de la névrose et celle de la paranoïa
philosophie à la religion
dont la psychanalyse prétend bien savoir, conclut un syllogisme œuvre risquerait: de révéler. [...]
elle, ce que c'est, puisqu'elle sait qu'elles historique, une histoire « Genet lui-même ne doute pas de sa faiblesse.
sont, l'une, la charge ou la caricature
dont il faut, précise
(Zerrbi/d) de la religion, l'autre de la philo-,
Hegel, comprendre le
Faire œuvre littéraire ne peut être,
sophie? » Comment peuvent-ils parler faire œuvre litté-
ensemble et prétendre chacun que la vérité sens interne. L'analogie je le crois, qu'une opération SOUfJe- raire
de l'un est dans l'autre, de tout un dans proposée nous dit en
tout autre? Est-ce que je me tirerai de ce raine : c'est vrai dans le sens où
manège en diagnostiquant : philosophie même temps tout ce à l'œuvre demande à l'auteur de dépasser en
égale «surestimation de la magie verbale »? quoi il ne faut pas s'in-
Voire. téresser si l'on veut lui la personne pau-
Et que fait, cependant, le troisième, l'ar-
tiste, ou l'hystérique? Et lequel détient accéder au sens de la vre, qui n'est pas aU l'œuvre demande à l'auteur de dépas·,
la vérité de l'autre peinture (et au sens ser en lui la personne pauvre, qui
- interne - en géné- niveau de ses mo- n'est pas au niveau ... oui
ral) : une histoire externe est aveugle à la vérité de la ments souverains. [...]
religion. « Un aveugle peut s'occuper du cadre, de la « Non que nous devions nous arrêter si nous
toile, du vernis d'un tableau; il peut connaître l'histoire
du peintre, la destinée d'un tableau, son prix, en. quelles lisons : " ... j'écrivis pour gagner de l'argent. "
mains il est tombé et ne rien voir du tableau lut-même.
et pourquoi ne pas nous y arrêter? Qui a dit qu'il
Ce qui fait obstacle à la religion à notre époque, c'est n'était pas convenable d'écrire pour de l'argent?
que la science ne s'est pas réconciliée avec elle. Entre les Qui a pu le dire? L'argent, c'est mal? C'est quoi au
deux se trouve une cloison... >) •
juste? Et pourquoi ne pas se demander comment
L'identité de la philosophie à la religion trouve son on a pu écrire ça? Qui? pour qui? pourquoi?
ultime médiation dans la philosophie de la religion. La .. Je m'écoute I l s'égale, en grec, à .. je suis mon
philosophie est la vérité (la philosophie) de l~ religi?n premier dent ".
et la religion représente déjà (le nom) de la philosophie,
« elle se confond avec la philosophie en un même objet >) :
«la philosophie n'explique qu'elle en expliquant la religion,
et en s'expliquant, elle explique la religion. >)
Les lieux où cette unité se produit en tant que telle
sont par excellence les transitions vers le Sa, les passages Critique du jugement: « l'art est aussi distingué du
métier; le premier s'appelle libéral (freie), le second
circulaires du Sa au Sa (fin de l'encyclopédie: cycle de la
peut aussi s'appeler mercenaire [...] le bel art doit
paideia, de l'esprit absolu de Dieu qui s'instruit lui-même, être un art libre en deux sens: il ne doit pas être,
s'engendre comme son propre fils et jouit alors, spécula- comme une activité rémunérée, un travail dont
tivement, de lui-même; fin de la phénoménologie de l'importance serait évaluée selon une mesure
l'esprit, du phénomène ou de la révélation de soi de déterminée, que l'on pourrait imposer ou rétri-
l'esprit, passage de la religion absolue au Sa). buer; d'autre part il faut que l'esprit se sente
occupé, mais sat!sfait et excité sans considérer un
En tous cas la religio1). sauve d'elle-même. autre but (indépendamment de tout salaire). »

La religion absolue n'est pas encore ce qu'elle est


déjà: le Sa. La religion absolue (l'essence du christianisme,
religion de l'essence) est déjà ce qu'elle n'est pas encore:
le Sa qui lui-même n'est déjà plus ce qu'il est encore, la
Par qui, et de quoi, l' «auteur» est-il alors payé?
religion absolue. nourri? Par une instance économique (libérale),
Le déjà-là du pas-encore, le déjà-plus de l'encore ne représentée par un marché éditorial (libéral), un
peuvent pas s'entendre. ministère de la culture (libéral), voire par Frédéric
Ne peuvent pas s'entendre - en plusieurs sens: le Grand, poète et monarque libéral.
I. Le déjà-là du pas-encore absolu passe l'entende-
ment, relève de la raison, constitue ce que la raison relève
absolument. Le vrai rapport entre philosophie. et religion
(ou famille) n'est pas à la mesure de l'entendement fini-
formel mais de la raison infinie-concrète.
.2. Le déjà-là du pas-encore (ou le déjà-plus de A moins qu'il ne vole? Est-ce encore pire ou autre
l'encore) absolu passe ce qui, soi-disant, se donne à enten- chose qu'écrire « pour de l'argent »? Est-ce changer
de système? En tous cas, l'esthète libéral n'aime
dre, dans le temps de la voix ou de l'ouïe. Rapport inouï
pas ça. Mais on voit une fois de plus qu'il suffit d'un
dans la mesure où le déjà-là du pas-encore ou le déjà-plus rien pour que le motif de la dépense pure et hors-
de l'encore absolus n'appartiennent plus au temps, soit à la circulation se laisse réinscrire dans l'échange de
sensibilité-insensible pure. Ils décrivent un cercle éternel l'économie restreinte (ici libérale). Mais que se
ou intemporel. Leur traduction dans une grammaire passe-t-il quand un rien suffit? Le risque (la confor-
temporelle, dans la syntaxe des adverbes de temps et de table compromission aussi) habite le risque. Le
négation, Hegel la détermine comme chute du sens dans maître peut toujours habiter chez le souverain
le corps, hors du cercle immédiatement réentraÎné dans " Le " travail d'écrivain" de Genet est l'un des
le cercle, sorte de fausse tangente de l'adverbe au verbe,
du temps du verbe au verbe. plus dignes d'attention. Genet
Or de cette chute et de cette étrange modification même est soucieux de souveraineté. des plus dignes
d'attention.
du verbe, la philosophie ou la religion absolues doivent Mais il n'a pas vu que la souverai-
rendre compte. La raison absolue de la religion ab.solue
(révélée, chrétienne, etc.) comprend sa propre chute dans neté veut l'élan du cœur et la loyauté, parce qu'elle
le corps et dans le temps. Privilège absolu du christianisme, est donnée dans la communica- Genet manque de
essence absolue de la religion : se déterminer soi-même tion. [...] cœur. De loyauté
à partir de sa chute (le Sa-tombe) et de sa relève absolue.
Ce cercle absolu qui entraîne et relève ses tangentes,
qui produit à la fois la déportation et la concentration
de son autre, c'est un cercle de famille.
Cet énoncé ne requiert son soutien ni du mot d'esprit
ni du familialisme. Sauf à préciser que le cercle est du
mot d'esprit, de son économie, de la loi de propriété de
l'esprit qui se retrouve dans le langage, dans le mot où
il chute et qu'il relève.
Si l'on entend Hegel, si l'on comprend (du dedans « L'ECHEC DE GENET
du tableau) le sens de ce que veut-dire son texte, on ne
peut pas réduire le déjà-là du pas-·encore ou le déjà-plus
de l'encore absolus à ce que l'on croit connaître familière-
ment de la famille. Ce que veut-dire Hegel, c'est que le
sens absolu de la famille absolue, l'être-familial de la « L'indifférence
famille ne se livre qu'au passage entre la religion absolue « L.'échec de Genet. » Quel titre.
à la communication Dénonciation
et le Sa, à l'avant-dernier chapitre de la phénoménologie magique, animiste,
de l'esprit: depuis l'absolu du déjà-là du pas-encore ou de Genet est à l'ori- apeurée. Quel est l'effet recherché?
de l'encore du déjà-plus. Pour abréger ce syntagme et le gine d'un fait cer- Mais l'" échec" , Genet ne l'a-t-il pas
dé-temporaliser, simplifions-le en pas-là (être-là ( da) calculé? Il le répète tout le temps, il
tain: ses récits inté- a voulu réussir l'échec. Et voilà que,
du pas qui étant là n'est pas, pas là). On ne peut donc pas
réduire le pas-là au cercle d'une famille dont on saurait ressent mais ne paso. par la simple provocation de son
texte, il construit une scène qui
déjà familièrement ce qu'il est et ce qu'il veut-dire. Au sionnent pas. Rien de oblige l'autre à se démasquer, à ba-
contraire, on ne peut accéder à l'essence absolue de la
plus froid, de moins fouiller, à se démonter, à dire ce
famille qu'en pensant l'absolu du pas-là. Pour penser la qu'il n'aurait pas voulu, pas dO dire.
famille il faut: penser absolument l'être du déjà-là du touchant, sous l'étin- C'est lui, le texte (Genet) qui piège,
pas-encore ou l'encore du déjà-plus. Cet entre familial celante parade des acharne, lit le lecteur, le jugement,
se lit dans et hors - à sa limite - la critique. Comme Rembrandt. Scène
dans un créneau, la phénoménologie de l'esprit, à la char-
mots, que le passage paradigmatique
leurre inoui d'un Sa :
la charogne chris- nière de l'avant-dernier et du dernier vanté où Genet rap-
tique, avec quelques chapitre. porte la mort d'Harcamone. La beauté de ce
autres, en décompo- En effet: dans la religion absolue,
sition sublime. En passage est celle des bijoux, elle
termes de fauconne- la division en deux (Entzweiung) n'est
rie, certes, le chas- pas encore absolument surmontée par est trop riche et d'un mauvais pour le mauvais
seur dispose et achar- la réconciliation. Une opposition (Ent- goOt, il faut voir
ne le leurre dans une goût .assez froid. [...] il y a la même un peu plus loin
charnière gegensetzung) demeure, elle se détermine
en représentation anticipatrice (Vor-
maladresse chez l'érudit qu'impo-
steIJung). Ultime limite de la religion absolument vraie, sent les titres et chez Genet écrivant ces lignes
absolue, révélée: elle en reste à la Vorstef/ung. Le prédicat qui se réfèrent au temps de ses vagabondages
essentiel de cette représentation, c'est l'extériorité de ce
qui s'y présente ou annonce. Elle pose devant elle, elle a
.d'Espagne [citation du « palais
rapport à un objet qui n'est pré-sent, ne devance qu'en il faudrait, entre autres constructions du même
tant qu'il reste extérieur. L'unité de l'objet et du sujet genre, circuler à travers tous les palais, dans le
ne s'accomplit pas encore présentement, effectivement;.la labyrinthe, oui, entre tous les palais (le Palais de
réconciliation entre le sujet et l'objet, le dedans et le justice de Notre-Dame, le palais du grand d'Espagne,
dehors, est laissée en attente. Elle se représente mais la où nous sommes, le «voile du palais» de Stilitano,
réconciliation représentée n'est pas la réconciliation effec- «cette toile d'araignée précieuse »où s'élaborent les
tive. Il n'y a rien de fortuit à ce que cette extériorité repré- les gl's. On s'apercevrait alors, à y séjourner un
sentative soit, en même temps, le temps. Si dans la reli- peu et à y faire un peu travailler sa langue, que le
gion absolue de la famille absolue, il y a un déjà du pas- palais est ce précisement dont je parle. Beaucoup.
encore ou un pas-encore du déjà (du Sa), c'est tout sim- j'argotise, je jargonne, j'ai l'air' de produire des
plement, si l'on peut dire, parce qu'il y a - encore --le mots nouveaux, un nouveau lexique. Un argot
seulement, un jargon. Ils sortent tous deux du fond
temps. La religion est représentative parce qu'il lui faut
de la gorge, ils séjournent, un certain temps, comme
le temps. un gargarisme, au fond du gosier, on racle et on
Et si l'on tient compte de ce que le Sa, comme il est crache.
dit dans le chapitre qui s'en intitule, est à la fois une
suppression pure et simple (Tilgen) et une relève (Aujhe- L'argot est un mot d'argot. Comme tous les mots
bung) du temps, on mesure l'extraordinaire difficulté, sinon d'argot, Littré ne le mentionne pas. Argotiser
l'impossibilité de cette pensée du Sa en son temps. c'est travailler contre le lexique. Mais en argumen-
Cette limite à peine existante, franchie dès qu'elle tant, en élaborant, en alléguant, depuis le dedans
est posée, n'est déjà plus ce qu'elle est encore et ne donne de son corpus. Argot est un très vieux mot, enra-
ciné dans la langue et dans la littérature. Comme
même pas le temps de penser son temps. C'est elle qui se
jargon" Et pourtant, son usage est d'abord argotique,
présente à peine entre la religion absolue et le Sa. limité à une bande ou à une école
Or elle décrit une scène de famille absolue. Elliptique-
ment. Elle est l'ellipse même dans le cercle de famille:
celui-ci s'inscrit dans une ellipse où ce qui manque (ellipse)
dont je parle (car cela
tient à ce que la famille n'arrive pas à se centrer. Elle a n'a pas d'autre nom) »]. L'intérêt de l'œuvre de
un double foyer. Cette ellipse, c'est le temps ,- la vérité Jean Genet ne vient pas de sa force poétique, mais
de l'espace ,- entre les deux derniers chapitres (les deux
derniers « temps )}) de la phénoménologie de l'esprit: de l'enseignement qui résulte de je ne sais quoi.
« Tandis qu'en soi cette unité de l'essence (Wesen) et du ses faiblesses. [...] Il y a dans les Critique du je ne
soi-même (Se/bst) s'est produite, la conscience a aussi écrits de Genet je ne sais quoi sais quoi. Je ne sais
encore (noch) cette représentation (Vorstef/ung) de sa récon~ quoi de fr
ciliation mais comme représentation. )} de frêle, de froid, de friable,
La réconciliation entre l'être et le même, entre l'être qui n'arrête pas forcément l'admiration malS
lui-même de l'être et l'être-même de l'être se produit, qui suspend l'accord. » le coeur, vraiment
certes, dans la religion ,révélée, mais s'y avance comme un n'y est pas
objet pour la conscience qui a cette représentation, qui
l'a devant elle. La réconciliation s'est produite et pourtant
elle n'a pas encore lieu, elle n'est pas présente, seulement
représentée ou présente comme restant devant, devancée,
à venir, présente comme pas-encore-là et non comme A quoi, malgré tout, reconnaît-on ici qu'il
présence du présent. Mais comme cette réconciliation
de l'être et du même (la réconciliation même) est la pré-
s'agIt d'un texte de Bataille? Malgré tout, malgré
sence absolue, la parousie absolue, on doit dire que dans le Langage des fleurs, malgré (?) Le glas, malgré
la religion, dans la révélation absolue, la présence est « Le glas
présente comme représentation. La conscience a la repré- Dans ma cloche voluptueuse
sentation de cette présence et de cette réconciliation mais le br-onze de la mort danse
comme c'est seulement une représentation de ce qui est le battant d'une pi ne sonne
un long branle libidineux. »
hors d'elle (devant ou derrière elle, cela revient ici au
même), cette représentation lui reste extérieure. La c:,ons-
cience se représente l'unité mais elle n'y est pas. C'est
en cela qu'elle a d'ailleurs la structure d'une conscience,
et la phénoménologie de l'esprit, science de l'expérience
de la conscience, trouve sa limite nécessaire dans cette
représentation. t./aborations.
La religion absolue garde donc encore de la négati- « Le ciel
vité, elle reste dans le conflit, la scission, l'inquiétude. 1. L.e bronze de l'amour sonne
La critique des religions ou des philosophies de la religion Le battant rouge de ta pine
antérieures en reçoit quelque disqualification : il leur était dans la cloche de mon con
toujours reproché de ne pas dépasser la division, de ne
pas accéder à la réconciliation.
L'unité de l'être et du soi-même, Hegel la détermine
en effet comme réconciliation : avec pardon, rapproche-
ment et expiation. Cette figure psycho-anthropologique 2. Le battant chauve de ton glas
du christianisme est éclairée en retour par son sens dans la cloche (biffé: de mon vagin
ontologique. Ce que recherche la conscience au-delà de de mon urine) du con
cette scission, c'est un apaisement: (Befriedigung) par le le bronze de l'amour sonne
pardon. Cela donne à la structure familiale d'apparence le long branle voluptueux
métaphorique son poids de sérieux, de péché, de culpabi-
lité : « Elle [la conscience] atteint son apaisement en ceci
qu'elle adjoint (hinzuJügt) de l'extérieur (aujJerlich) à sa
pure négativité la signification positive de l'unite de soi
avec l'essence. Son apaisement reste donc (bleibt also)
lui-même affecté (chargé, behaftet) de l'opposition d'un 3. Le bronze de l'amour danse
au-delà (mit dem Gegensatze eines jenseits). » Le fait de la le long branle voluptueux
et le battant chauve du glas
représentation, le Vor·-stellen, forme un opposé (Gegen-
sonne et sonne et sonne et sonne
satz) , un objet (Gegenstand) qui, comme tout objet, dans ma cloche libidineuse
s'oppose à la conscience. Parce qu'elle a encore un objet,
un désir ou une nostalgie, la conscience religieuse absolue
reste dans l'opposition, la scission. La réconciliation reste
un au-delà. Le motif temporel (mouvement de transcen-
dance, rapport à un non-présent futur ou passé, dé-
présentation) est la vérité d'un motif métaphoriquement 4. Dans ma cloche libidineuse
spatial (le « lointain », le non-proche, le non-propre). Le le bronze de la mort sonne
propre familial n'a pas encore, dans la famille absolue, le battant de la verge danse
retrouvé son identité ou sa proximité à lui-même. La le long branle voluptueux. »
G. Bataille
famille ne s'est pas encore réconciliée avec elle-même,
absolument absoute. Cette déhiscence du propre familial
forme une ellipse qui écarte le foyer religieux du foyer c(!
philosophique, le christianisme du Sa. Et si l'on consi-
dérait que la philosophie -le Sa - c'est le mythe de la qU1 aurait dû, suivant la logique générale de sa

247
absolue, révélée: elle en reste à la Vorste!lung. Le prédicat qui se réfèrent au temps de ses vagabondages
essentiel de cette représentation, c'est l'extériorité de ce
qui s'y présente ou annonce. Elle pose devant elle, elle a .d'Espagne [citation du « palais
rapport à un objet qui n'est pré--sent, ne devance qu'en
il faudrait, entre autres constructions du même
tant qu'il reste extérieur. L'unité de l'objet et du sujet genre, circuler à travers tous les palais, dans le
ne s'accomplit pas encore présentement, effectiveme~t; la labyrinthe, oui, entre tous les palais (le Pàlais de
réconciliation entre le sujet et l'objet, le dedans et le justice de Notre-Dame, le palais du grand d'Espagne,
dehors, est laissée en attente. Elle se représente mais la où nous sommes, le «voile du palais» de Stilitano,
réconciliation représentée n'est pas la réconciliation effec- «cette toile d'araignée précieuse »où s'élaborent les
tive. Il n'y a rien de fortuit à ce que cette extériorité repré- les gl's. On s'apercevrait alors, à y séjourner un
sentative soit, en même temps, le temps. Si dans la reli- peu et à y faire un peu travailler sa langue, que le
gion absolue de la famille absolue, il y a un déjà du pas- palais est ce précisement dont je parle. Beaucoup.
encore ou un pas-encore du déjà (du Sa), c'est tout sim- j'argotise, je jargonne, j'ai l'air de produire des
plement, si l'on peut dire, parce qu'il y a -- encore --le mots nouveaux, un nouveau lexique. Un argot
temps. La religion est représentative parce qu'il lui faut seulement, un jargon. Ils sortent tous deux du fond
de la gorge, ils séjournent, un certain temps, comme
le temps.
un gargarisme, au fond du gosier, on racle et on
Et si l'on tient compte de ce que le Sa, comme il est
crache.
dit dans le chapitre qui s'en intitule, est à la fois une
suppression pure et simple (Tilgen) et une relève (Aujhe- L'argot est un mot d'argot. Comme tous les mots
bung) du temps, on mesure l'extraordinaire difficulté, sinon d'argot, Littré ne le mentionne pas. Argotiser
l'impossibilité de cette pensée du Sa en son temps. c'est travailler contre le lexique. Mais en argumen-
Cette limite à peine existante, franchie dès qu'elle tant, en élaborant, en alléguant, depuis le dedans
est posée, n'est déjà plus ce qu'elle est encore et ne donne de son corpus. Argot est un très vieux mot, enra-
ciné dans la langue et dans la littérature. Comme
même pas le temps de penser son temps. C'est elle qui se
jargon" Et pourtant, son usage est d'abord argotique,
présente à peine entre la religion absolue et le Sa.
limité à une bande ou à une école
Or elle décrit une scène de famille absolue. Elliptique-
ment. Elle est l'ellipse même dans le cercle de famille:
celui-d s'inscrit dans une ellipse où ce qui manquè (ellipse) dont je parle (car cela
tient à ce que la famille n'arrive pas à se centrer. Elle a n'a pas d'autre nom) »]. L'intérêt de l'œuvre de
un double foyer. Cette ellipse, c'est le temps - la vérité Jean Genet ne vient pas de sa force poétique, mais
de l'espace -- entre les deux derniers chapitres (les deux
derniers « temps ») de la phénoménologie de l'esprit: de l'enseignement qui résulte de je ne sais quoi.
« Tandis qu'en soi cette unité de l'essence (Wesen) et du ses faiblesses. [...] Il y a dans les Critique du je ne
soi-même (Selbst) s'est produite, la conscience a aussi écrits de Genet je ne sais quoi sais quoi. Je ne sais
encore (noch) cette représentation (Vorste!lung) de sa récon.:.. quoi de fr
ciliation mais comme représentation. » de frêle, de froid, de friable,
La réconciliation entre l'être et le même, entre l'être qui n'arrête pas forcément l'admiration mais
lui-même de l'être et l'être-même de l'être se produit, qui suspend l'accord. » le cœur, vraiment
certes, dans la religion révélée, mais s'y avance comme un
n'y est pas
objet pour la conscience qui a cette représentation, qui
l'a devant elle. La réconciliation s'est produite et pourtant
elle n'a pas encore lieu, elle n'est pas présente, seulement
représentée ou présente comme restant devant, devancée,
à venir, présente comme pas-encore-là et non comme A quoi, malgré tout, reconnaît-on ici qu'il
présence du présent. Mais comme cette réconciliation
de l'être et du même (la réconciliation même) est la pré- s'agit d'un texte de Bataille? Malgré tout, malgré
sence absolue, la parousie absolue, on doit dire que dans le Langage des fleurs, malgré (?) Le glas, malgré
la religion, dans la révélation absolue, la présence est « le glas
présente comme représentation. La conscience a la repré- Dans ma cloche voluptueuse
sentation de cette présence et de cette réconciliation mais le br.onze de la mort danse
comme c'est seulement une représentation de ce qui est le battant d'une pi ne sonne
un long branle libidineux. »
hors d'elle (devant ou derrière elle, cela revient ici au
même), cette représentation lui reste extérieure. La c:ons-
cience se représente l'unité mais elle n'y est pas. C'est
en cela qu'elle a d'ailleurs la structure d'une conscience,
et la phénoménologie de l'esprit, science de l'expérience
de la conscience, trouve sa limite nécessaire dans cette
représentation. t./aborations.
La religion absolue garde donc encore de la négati- « le ciel
vité, elle reste dans le conflit, la scission, l'inquiétude. 1. l.e bronze de l'amour sonne
La critique des religions ou des philosophies de la religion Le battant rouge de ta pine
antérieures en reçoit quelque disqualification : îlleur était dans la cloche de mon con
toujours reproché de ne pas dépasser la division, de ne
pas accéder à la réconciliation.
L'unité de l'être et du soi-même, Hegel la détermine
en effet comme réconciliation : avec pardon, rapproche-
ment et expiation. Cette figure psycho-anthropologique 2. Le battant èhauve de ton glas
du christianisme est éclaÏ!:ée en retour par son sens dans la cloche (biffé: de mon vagin
ontologique. Ce que recherche la conscience au-delà de de mon urine) du con
cette scission, c'est un apaisement (Bejriedigung) par le le bronze de l'amour sonne
pardon. Cela donne à la structure familiale d'apparence le long branle voluptueux
métaphorique son poids de sérieux, de péché, de culpabi-
lité : « Elle [la conscience] atteint son apaisement en ceci
qu'elle adjoint (hinzufügt) de l'extérieur (aujJerlich) à sa
pure négativité la signification positive de l'unite de soi
avec l'essence. Son apaisement reste donc (bleibt also)
lui-même affecté (chargé, behaJtet) de l'opposition d'un 3. Le bronze de l'amour danse
au-delà (mit dem Gegensatze eines jenseits). » Le fait de la le long branle voluptueux
et le battant chauve du glas
représentation, le Vor-ste!len, forme un opposé (Gegen-
sonne et sonne et sonne et sonne
satz) , un objet (Gegenstand) qui, comme tout objet, dans ma cloche libidineuse
s'oppose à la conscience. Parce qu'elle a encore un objet,
un désir ou une nostalgie, la conscience religieuse absolue
reste dans l'opposition, la scission. La réconciliation reste
un au-delà. Le motif temporel (mouvement de transcen-
dance, rapport à un non-présent futur ou passé, dé-
présentation) est la vérité d'un motif métaphoriquement 4. Dans ma cloche libidineuse
spatial (le « lointain », le non-proche, le non-propre). Le le bronze de la mort sonne
propre familial n'a pas encore, dans la famille absolue, le battant de la verge danse
retrouvé son identité ou sa proximité à lui-même. La le long branle voluptueux. »
G. Bataille
famille ne s'est pas encore réconciliée avec elle-même,
absolument absoute. Cette déhiscence du propre familial
forme une ellipse qui écarte le foyer religieux du foyer
c~
philosophique, le christianisme du Sa. Et si l'on consi~
dérait que la philosophie -le Sa - c'est le mythe de la qUl aurait dû, suivant la logique générale de sa

247
réappropriation absolue, de la présence à soi absolument pensée (le simulacre, la souveraineté comme limite
absoute et recentrée, alors l'absolu de la religion révélée
aurait un effet critique sur le Sa. Il faudrait s'en tenir intenable, la transgression, la perte, etc.), l'induire
à la rive (opposée), celle de la religion et de la famille, à une autre lecture? Si ce qu'il faut bien appeler .
pour résister au leurre du Sa. Hypothèse combinatoire. l'académisme sentencieux de ce discours édifiant
La religion sauve d'elle-même.
Temps de famille: il n'y a de temps que de la fàmille. n'est pas tout: à fait un accident, s'il y a là un effet
Le temps ne se passe qu'en famille. L'opposition du déjà, logique d'aveuglement, de dénégation, d'inver-
du pas-encore, du déjà-plus, tout ce qui forme le temps de sion négative (comme on dit - et ce n'est pas
n'être pas présent (pas-là), tout ce qui constitue le temps
comme Dasein d'un concept qui (n') est pas là, l'être-là du simplement, ici, une figure - que la névrose est
pas-là (un pas de plus - pas-pas-là - ou de moins), c'est le négatif de la perversion) c'est peut-être que
une scène de famille. le système le permet. Tout peut y virer à chaque
« Son apaisement reste donc chargé de l'opposition
d'un au-delà. Sa propre réconciliation (seine eigene Ver- instant vers la prédication la plus policée ,- sinistre,
siJhnung) entre dans la conscience comme quelque chose de morale et dérisoirement réactive. Limite instable,
lointain (ais ein Fernes), comme un lointain de l'avenir inaccessible, la souveraineté, avec tout son système
de même que (wie) la réconciliation que l'autre soi-même
accomplissait se manifeste comme un lointain dans le (simulacre, expropriation, perte, rire majeur, etc.)
passé. » Il y a donc une analogie (wie) entre sa propre est toujours en train de basculer dans la méta-,
réconciliation à venir et la réconciliation passée, entre le physique (vérité, authenticité, propriété, maîtrise).
passé et l'avenir, analogie circulaire entre la fin du monde
ou le jugement dernier et l'incarnation de Dieu dans le Elle peut toujours se lire dans le code qu'elle
Christ. Analogie aussi entre cette situation et la structure renverse, qu'elle fait plus que renverser mais doit
familiale trinitaire en général; puis, en elle, entre la aussi renverser. Il suffit, pour que la lecture
famille individuelle et la famille comme communauté
universelle : métaphysique s'impose, d'un rien, d'un rien
« De même que (so wie) l'homme divin singulier a logique ou linguis-
un père étant en soi (ansichseiende Vater) et seulement une tique ou discursif: par delà toutes les combinatoires,
mère ~ffective (und nur eine wirkliche Mutter), de même la versions et inversions discursives, les
communauté (Gemeinde) a pour père sa propre oPération l'affect d'une identi- échanges et annulations logico-lin-
et son propre savoir (ihr eigenes Tun und Wissen), mais fication intolérable guistiques, ce qui signe peut-être
l'arrêt d'une interprétation, le fait
pour mère l'amour éternel qu'elle sent seulement (nur fühlt)
(de quoi a-t-il peur? d'un texte, ce serait l'affect. Mais il
mais ne contemple pas dans sa conscience comme objet se classe, s'affecte aussi de son envers
(Gegenstand) immédiat effectif. Sa réconciliation est donc de quoi est-il inca-
et cette fausse opposition tombe
dans son cœur mais encore scindée (noch entzweit) et: son pable? ) provoque aussi, il faut le savoir
effectivité encore brisée (noch gebrochen). » une décision inter-
Le noch et le nur qui scandent ces énoncés (seulement
ceci, encore cela, reste ceci, reste cela) marquent bien la prétative. Le négatif rentre alors en scène. La
limite - temporelle et structurelle - qui retient la décision n'est pas ici un acte de liberté souve-
religion absolue dans l'opposition et la sépare absolument raine. C'est une position. Qui ne peut pas se voir,
du Sa : limite à peine visible, pourtant, un presque rien
qui écarte le présent de sa représentation, et l'en écarte en peinture, inversée. MalS se laisse, dès lors,
dans sa (re)présentation même. observer, signer, assigner, affecter, depuis la place
Série d'oppositions équivalentes: père/mère (mais ce de Rembrandt.
ne sont pas des termes, plutôt déjà des relations : rap-
port au père, rapport à la mère, décrits depuis un troi- Rappelez-v~>us, c'est lui qui vous lit.

248
sième terme, produit de l'opération, le fils), en soi/pour- Les docteurs, en son temps, sont donc venus
soi, savoir/sentir (amour, cœur). Comment opèrent-elles?
L'homme divin singulier - le Christ - a un père en soi, vers lui et ne l'ont pas reconnu.
avec lequel il n'a pas de rapport effectif. Seul son rapport
à sa mère est effectif. On n'a pas à se demander quel est
le nom de son père: qu'il s'agisse de Joseph ou de l'esprit
divin, ils ne sont pas effectifs puisqu'ils ne sont pas inter-
venus effectivement, si l'on peut dire, avec la chaude
semence de la terre, dans la conception. Au moment
religieux de la religion, le fils a un père mais celui-ci
reste au-delà de l'effectivité phénoménale, invisible. Le
père est en soi mais ne se présente pas. Le fils ne peut Comment prendre la grappe?
pas intérioriser en effet, avoir effectivement pour lui ce
qui du père est en soi. Et qui reste absent, transcendant,
Les grains de ce postiche forment-ils un fétiche?
caché, séparé, sévère, pas-là. La générosité paternelle,
sa bonté se représente seulement, ne se présente ni ne
s'assimile.
L'inachèvement affecte alors la réconciliation, dans
le fils, du père et de la mère. Jésus souffre aussi du divorce Apposons ici la question du fétiche. Question
de ses parents. Le père (le savoir) est coupé de l'effectivité, du style. Du pastiche, dirait Gadda. Ou Warda.
la mère (l'affect) est trop naturelle et sevrée de savoir.
Question de Stilitano - anthé-
rection de la colonne - posée, «Aux pieds de
Stilitano ce n'é-
C'est ici la place de Gabriel, le lieu problématique inversée, depuis la froideur sublime taie nt que bondis-
d'une Annonciation. de la glace: « Il [Stilitano] devint sements de faons.
Robert autour de
la représentation d'un glacier. lui enroulait ses
C'est: au plus bestial des Noirs, à gu irlandes. Ils
Elle fait l'enfant sans le savoir, sans père effectif. Le étaient le manchot
père est objet mais un objet non présent, la mère est: la face la plus camuse et la plus la colonne, et ('au-
présente (phénomère) mais n'est pas un objet pour la puissante, que j'eusse voulu m' of- tre les glycines. »
conscience, elle se présente seulement au cœur. Il y a frir, afin qu'en moi, n'ayant de
réconciliation avec la mère, mais dans l'immédiateté
naturelle, sensible, mondaine. La réconciliation avec la place que pour la sexualité, mon amour pour
" raison, celle du cœur et de la raison, du pour-soi et de Stilitano se fût encore stylisé. »
l'en-soi ne s'accomplit pas encore. Pour cela, proposer au stilite (dont on vient
L'opposition du père et de la mère est équivalente
à toutes les autres oppositions de la série. Equivalente, de remarquer la « froideur >}, la « pudeur >}, le
donc, à l'opposition elle-·même en tant qu'elle constitue « symbole de la chasteté ») le travestissement.
la structure de la représentation. Ce qui retient en-deça « Tu voudrais que je m'habille en femme?
du Sa tout en y abordant déjà, la différence nulle et infinie
serait donc la différence sexuelle comme opposition: ce que murmura1-Je. »
le Sa aura relevé, qui donc jusque-là relève d'elle.
Et si elle relève la différence, l'opposition, la concep-
tualité elle-même, est homosexuelle. Elle commence à le
devenir quand les différences sexuelles s'éffacent et se
déterminent comme la différence. Le style en question, le postiche retenu

2.49
Cette détermination de la différence sexuelle en oppo- par l'épingle à nourrice, est-ce un fétiche.
sition, en opposition engagée dans tout le procès de l'oppo-
sition (Entgegensetzung) en général, de l'objectivité (Ge-
Cette forme d'interrogation suppose déjà qu'on
genstandlichkeit) et de la représentation (Vorstellen) J sache au moins du fétiche que c'est quelque chose.
entretient un rapport historique et systématique essentiel Ici, apparemment, oui, c'est un fétiche: substitut
avec l'Immaculée Conception : sinon avec le dogme
concernant la naissance de Marie du moins avec sa prémisse
du pénis adoré par l'enfant qui ne veut pas renoncer
ou sa conclusion, la virginité de la mère. Indispensable à au phallus de la mère, érection monumentale du
l'argumentation hegelienne, à la dialectique spéculative triomphe sur la menace de castration, déni, com-
et à l'idéalisme absolu, elle commande ce qu'on pourrait y
appeler l'approche du Sa.
promIs, etc. Tout cela n'est-il pas très reconnais-
Dès qu'on détermine la différence en opposition, on sable?
ne peut plus éviter le phantasme (mot à déterminer) de Ce que se procure le stilite, ce n'est pourtant
l'IC : à savoir un phantasme de maîtrise infinie des deux
côtés du rapport d'opposition. La vierge-mère se passe du pas le substitut d'un pénis qu'il a très beau et très
père effectif, et pour jouir et pour concevoir. Le père en soi, fort, mais déjà une « plaie postiche » (un coup
auteur réel, sujet de la conception voire de l'annonciation, postiche, une plaie est toujours d'un coup, son
se passe de la femme, de cela en quoi il ne fait que passer,
sans y toucher. Toutes les oppositions qui s'enchaînent nom l'indique) autant qu'un membre fétiche, pour
autour de celle-là (actif/passif, raison/cœur, au-delà/ici- re-marquer-com penser
bas, etc.), ont pour cause et pour effet le maintien imma-
culé de chacun des termes, leur indépendance et par une colonne ici - qu'on pense donc l'autre là-bas.
conséquent leur maîtrise absolue. Maîtrise absolue qu'ils L'une montre quand descend l'autre, mais le niveau
se voient conferer phantasmatiquement au moment même n'est-il pas à peu près constant, à peu près seulement
parce que vous n'êtes pour rien dans la mesure des
où ils sont renversés et subordonnés. C'est quand la
deux colonnes hétérogènes.. Aucune commune
vierge se voit soustraire l'en-Boi de l'acte concepteur
mesure au moment même où vous croyez embrayer/
qu'~lle se passe effectivement du père, etc. Le phantasme
débrayer, manipuler, orchestrer, faire monter ou
se dénonce et délimite comme tel depuis le Sa qui fait descendre la musique liquide en jouant des pédales.
apparaître le moment de la religion absolue comme simple Les colonnes se jouent de vous, menacent de s'abat-
représentation (Vor stellen) . tre l'une sur l'autre sans vous laisser aucune issue.

Pas de glas sans l'interposition d'une machinerie.

Le concept courant de « phantasme » peut-il, avec


Cela ne se manie pas comme une plume.
quelque pertinence, dominer ce discours? Il est en fait
déterminé par lui, à partir de lui. Par exemple, serait
phantasmatique l'effet de maîtrise produit par la détermi- Pas plus qu'il ne peut se mesurer à sa logique,
nation de la différence en opposition (et jusqu'à la valeur aucun organon n'est capable de sa musique. L'orga-
de maîtrise elle-même), de la différence sexuelle en nologue pourtant ne croit-il pas y reconnaître son
opposition sexuelle dont chaque terme s'assurerait la objet: la machine s'est adaptée à tous les progrès
de la technologie occidentale (soufflerie, acousti-
domination et l'autonomie absolue dans l'IC : l'effet -
que, électronique), elle se passe du souffle, divise
le fils (plutôt que la fille) me revient à moi tout seùl. le corps, démultiplie, supplée puissamment les
L'échec d'un tel désir du retour à soi, sur le cercle de la gestes de l'organiste, comprend à son tour un corps
double virginité, telle serait la limite duphantasme, elle dé- et un visage (le buffet et ses tuyaux de montre),
termine le phantasme comme tel, au terme de la phéno- un système respiratoire (le soufflet, les sommiers),
ménologie de l'esprit. Le phantasme est le phénomène. un système musculaire (claviers manuels, pédaliers,
Les noms l'indiquent. soupape à l'intérieur du sommier, abrégé . ·rouleaux
Mais un tel échec se rencontre-t-il? Où? Qui peut en horizontaux et vergettes verticales-), un système
parler? Qu'est-ce qu'échouer dans un cas de phantasme nerveux et cérébral, (la console) avec boutons de
absolu? La valeur d~échec est faible et confuse. Devant registres correspondant aux «jeux » (timbres),
des pédales de combinaison et d'accouplement
quoi le phantasme de l'l C aurait-il échoué? Devant la
d'un clavier sur l'autre et de ceux-ci sur le pédalier
« réalité >}? Mais mesurée à la puissance de la grande
(tirasses) et parfois des combinaisons fixes et libres
logique qui pense la vérité de l'le, cette notion de «. réa- de régistrations programmées, un système vocal
lité >} reste aussi très confusément empirique. Qui oserait (rangs de tuyaux qui peuvent aller jusqu'à trois
dire que le phantasme de l'IC n'a pas réussi? Deux mille mille, tuyaux à bouche et tuyaux à anche). Le tuyau
ans, au moins, d'Europe, du Christ au Sa, sans parler à bouche comporte un pied: l'air qui s'y introduit
des effets rétroactifs, des représentations, des effets de vient frapper le biseau et, passant par la lumière
bordure et de débordement, de tout ce qu'on pourrait (intervalle entre le biseau et la lèvre inférieure)
appeler l'impérialisme ou les colonialismes et néo-colo- frappe alors la lèvre supérieure, faisant ainsi vibrer
nialismes de l'le. Dira-t-on, pour déterminer l'IC comme l'air à l'intérieur du tuyau" Le son est d'autant plus
phantasme, qu'elle n'est pas vraie, que ça ne se passe pas haut que la colonne d'air est longue dans le corps:
comme ça, que ce n'est qu'un mythe? Ce serait bien mais un tuyau bouché (bourdon) produit l'effet
d'un tuyau deux fois plus long. Le tuyau à anche
niais, et la niaiserie se réclamerait encore de l' « expé-
comporte une languette (mince lame de laiton qui
rience sexuelle >}. Mais si, ça se passe comme ça et ce que frappe l'anche, ce canal de cuivre fermé d'un côté
démontre impeccablement - c'est le mot - la grande et pénétrant par' l'autre dans le noyau de plomb qui
logique, c'est que non seulement ce mythe est vrai, mais le fait toucher au corps de résonance). Une tige de
qu'il donne la mesure de la vérité elle-même, la révélation fer, la rasette, règle, avec la longueur de la lame,
de la vérité, la vérité de la vérité. Alors le phantasme la hauteur du son.
(absolu) de l'IC comme phantasme (absolu) est la vérité
(absolue). La vérité est le phantasme même. L'IC, la diffé-
Et compte tenu du « récit », des « jalousies » de
rence sexuelle comme opposition (thèse contre thèse),
la « boîte expressive », du « plein-jeu » et du
le cercle familial absolu serait l'équivalence générale de
« grand plein-jeu », de la bi-claviculation et des
la vérité et du phantasme. Enantiose homosexuelle. orgues classiques, baroques ou romantiques, ne
Cette différence déterminée en contradiction ou en pourrait-on reconstituer un modèle organigra-
opposition, n'est-ce pas justement la religion (la représen- phique, une nouvelle De organographia
tation) résolue dans le Sa? Est-ce que le Sa ne permet pas,
précisément, de penser la limite de cette limite, de faire
apparaître cette limite comme telle, de voir le phantasme
en sa vérité? Est-ce que le Sa, résolution de l'opposition 3" Nqë~ ~i(fltil1tt1tigc Cic&!iclJt m3trçt 6tgrtift ilqel1 bill1îtt ~d1II'6M t~a (Ii
lie\" MuCic crMd}t \.lnb componiret l'6trbm tM /~ub gj(1r fo cinm m\,Wt n"tûr(t..
absolue, réconciliation de l'en. ·soi et du pour-soi, du père d)~n tl<lIlBll.\ut\.lnb t~on"on lÏd}fI1Îd}t(\nbmf (\ll1 ting"n~crŒ~or \.lotrcr MuGcan-
et de la mère, n'est pas le Sa même du phantasme? ten, bo m\\nd}erlcI) ~VMobe\)en/~oll ;unger StIl<lben\.lnb grolTër 9Jlal.lner €>ti~mtlt
sc~ôretwCtbm. ::Sn ~Imma bic Drgd ~(\f \.lnb bcgrtifft il,lre anbere Infir~mentA
muGca, sro~\.lnb tldn/wie bj(91,,~men ba&en m~gtlil "lrcindn lid). ~iltu (fne
En tant qu'il opère le passage de la représentation à ~rut11mcl:~rummctlspof"un/~inctcn/ç;t;loct~ôtIUUtrvftiffm/spommttn/€>d?"rl
la présence et qu'il produit la vérité (présente à soi dans le nlt~tn/~O(l!i"n/ùtadettcn/e5orboullm/StrutUV~Ôm(r/~(iscnllt~ern/ iG. ~ôrml(O
t<in~ll bie(c6 "ae6/tmb nod}\.lid ilnbmwunbttlia,e lfe&li:Jteitm me~r in bte(em tÛItff-
savoir) du phantasme absolu, qu'il est la vérité du phan- lid}em SIDcrctbabm: ]l:lfo b,,~/wcnn bU bitft63n~rument ~"/f \l/tb ~ortfll bu nid}t
tasme absolu, son essence dévoilée (Wesen : Gewesenheit : Clnberji ~ncttlf/~ babeWollb ~ortlfbie (\nbcrn lnltrumenta aire mitri/tanNr.
le phantasme ayant-été), le Sa est l'accomplissement final Michael PraetoIÏus «De Olganographia» WolfEmbüttel1619,
du phantasme, l'être-auprès-de-'soi du logos. Le phan-
tasme absolu : Sa. Mais ne pas en conclure : Sa, ce qui serait comme le savoir absolu de glas?
n'est que '- le phantasme, la vérité de la vérité n'est
encore que phantasmatique. Dès lors que Sa accède à Mais le savoir absolu n'est, telle la " jalousie",
lui-même, tout ce qui lui est équivalent est infini. On ne qu'une pièce de la machinerie, un effet de marche
peut plus dire d'un phantasme infini qu'il n'est-que. Le
discours du Sa disqualifie le ne-que. un autre substitut de cas-
.!m

'1
i
Telle serait la barre (opposition et gouvernail) de la tration, sa main coupée, etc. D'ailleurs il se coupe
religion/philosophie. Entre elles, les voiles de l'le, de
souvent (< Stilitano se coupait, il avait le bout
la virginité ou de la vérité, pour qu'y soufRe l'esprit.
des doigts finement tailladé, son ongle était écrasé
et noir, mais cela ajoutait à sa beauté. »)

L'indécidable n'est-il pas l'indéniable.

En remarquant sa castration supplémentaire,


Le savoir, vérité (du) phantasme (de la) philosophie-
Stilitano semble s'affirmer aussi bien comme mâle
religion (absolus), cette proposition ne dessine aucune
limite, c'est la proposition infinie de la dialectique spécu- que comme femme pudique ou comme « pédé qui
lative hétéro-tautologique. Cercle infini de l'auto-insémi- se haît ». A peine plus loin, hymne à sa « croupe »
nation qui entraîne la paideia de tout séminaire dans son
phantasme. Que peut-il y avoir en dehors d'un phantasme
et à son « postérieur solennel », à son « Reposoir ».
absolu? Qu'est-ce qu'on peut encore y ajouter? Pour-
quoi et comment désirer en sortir? Dès lors que la chose même, en sa vérité
Il faut se donner le temps. Le reste du temps.
dévoilée, se trouve déjà engagée, par le dévoi-
lement même, dans le jeu de la différence supplé-
Le reste du temps - pour le séminaire du Sa - ce mentaire, le fétiche n'a plus de statut rigou-
n'est rien.
reusement décidable. Glas du phallogocentrisme.

Tout ce qui est, tout le temps, se précomprend, Après avoir énoncé les lois générales et décrit
strictement, dans le cercle du Sa, qui revient toujours
à lui, présuppose son commencement et ne l'atteint qu'à la structure essentiell~ du fétichisme, le docteur
la fin (in sich zurückgehende Krds, der seinen Anfang voraus- rapporte, comme un appendice, tels « cas très
setzt und ihn nur im Ende erreicht). subtils » (In ganz rajjinierten Pallen) où le fétiche
Essayer de penser (mais ce mot déjà retient dans le
cercle) un reste de temps (mais le temps déjà engage dans est clivé par deux positions contraires (zwÎespal.ige
le cercle) qui .ne se!d.it pas, qui ne relèverait pas d'un Einstellung) .
présent, d'un mode d'être ou de présence et qui par
conséquent tomberait hors du cercle du Sa, n'en tombe-
rait pas comme son négatif, tout prêt à reprendre la
tangente pour rester collé au cercle et se laisser par lui
C'est l'argument de la gaine (GÜrtel).
réentraîner. Le reste, d'ailleu:ts, n'en tomberait pas du
tout. Tout ce qui tombe en effet relève encore du Sa. Un peu auparavant, on s'était engagé, comme
dans Au-delà du principe du plaisir et chaque fois
S'agirait donc un reste suspendu. que la logique de l'inconscient force l'empirique

2.52·
Qui ne serait. pas : ni présence, ni substance, ni es- et la métaphysique à la fois, dans une « VOle
sence. En général, on pense que ce qui reste est perma-
nent, substantiel, subsistant. Ici le reste ne resterait pas purement spéculative ». Le cas très subtil était
en ce sens. celui d'une gaine pubienne (Scbamgürtel) portée
On pense aussi que le reste est le résidu d'une· opé- comme slip de bain (Scbwimmbose) qui cachait
ration (soustraction ou division), un rebut, un déchet
qui tombe ou demeure. Le reste, ici, provoquerait plutôt absolument les organes génitaux et donc la diffé-
l'opération. Le reste ne resterait en aucun de ces deux rence entre les organes génitaux (Unterscbied der
sens. Alors pourquoi ce mot, pourquoi garder un Genitalien). Cela laissait supposer aussi bien « que
« reste » qui ne cotrespond plus aux restes de la sémantique
traditionnelle? Dira-t-on qu'il garde avec cette sémantique la femme était châtrée ou qu'elle n'était pas châ-
un rapport métaphorique? Ce serait encore le réappro- trée » et permettait de surcroît (überdies) la suppo-
prier à la circulation métaphysique. Qu'est-ce qui reste sition (Annabme) de la castration de l'homme.
du « reste » quand on le met ainsi en morceaux? D'où
vient la règle de sa mise en morceaux? Doit-'Ün encore Ein solcber Fetiscb, atts Gegensatzen doppelt
chercher à déterminer une régularité quand on met en geknüpft, balt natürlicb besonders gut ). Si le
pièces ce qui reste du reste? Question strictement angu- fétiche est d'autant plus solide, a d'autant plus
laire. Le reste ici se suspend.
de consistance et de résistance économique qu'il
est doublement lié à
Donnons-nous le temps de ce suspens. Pour le mo- des contraires, la loi au lieu de citer d'autres « cas »,
ment le temps ne sera que le suspens entre la régularité et (Schr'eber encore) ou d'autres con-
l'itrégularité des morceaux de ce qui reste. s'indique dans le cas trats (le double pacte, rouge et noir,
très subtil et dans de Christophe Haitzmann et du diable
à mamelles) : « On y a peut-être
l'appendice. pensé avant moi, alors je redirai que
La question du temps est indéchiffrable dans le
chapitre du Sa : il y est à la fois annulé et relèvé, sus- La consistance, le patron des comédiens, à cause de
sa double nature, sera Tir'esias. [...]
pendu entre l'annulation (Tilgen) et la relève (Aujhe- la résistance, la res- Sept ans un vêtement d'homme, sept
ben), celle-d risquant de se perdre dans l'anneau qui
risque de se relever dans le cercle.
tance du fétiche est celui d'une femme" [.. .J sa féminité
pourchassait sa virilité, l'une et
Le temps reste+il dans le Sa, telle est pour' la question à la mesure de son l'autre étant jouées, de sorte qu'il
la structure de l'annulaire. Le temps reste-t-il et s'il .reste, lien indécidable à des n'avait jamais de repos, je veux dire de
reste-t-il dans le Sa? Qu'est-ce que rester n'est même plus fixe où se reposer. » (Lettres
la question: si rester est quelque chose, rester s'annule
contraires. Le fétiche àpointRoger Blin.)
- en genera, , l ,- ne Pour un funambule, le sanglant de
dans le cercle. Que veut dire rester n'est même plus
la question car tout ce qui veut-dire appartient à la circu- gaine : « Et ton costume? A la fois
commence donc à chaste et provocant. C'est le maillot
lation du Sa. Alors comment sortir de l'anneau et s'agit-il
d'en sortir ou de le serrer (penser) au plus près?
exister qu'en tant collant du cirque, en jersey rouge,
Si l'on pense ce que veut-dire le logos, si l'on remplit qu'il commence à sanglant. Il indique exactement ta
musculature, il te gaine, il te gante,
de pensée les mots de la phénoménologie de l'esprit et se lier à des con- mais, du col ,- ouvert en rond,
de la logique, par exemple, il n'y a aucun moyen de sortir
du cercle absolu. C'est en tous cas ce que veut-dire le
traires. Ce double coupé net comme si le bourreau allait
ce soir te décapiter - du col à ta
discours du Sa. Si l'on croit ou prétend (meint) en sortir, lien, ce double liga- hanche une écharpe, rouge aussi, mais
c'est pur verbalisme: on ne pense pas ce qu'on dit, on ne ment définit donc sa dont flottent les pans -frangés d'or. »
conçoit pas la signification des mots qui alors restent
vides.
structure la plus sub-
Le meilleur exemple - et donc l'exemple essentiel-, tile. Il faut en tirer toutes les conséquences. L'éco-
en est la Trinité. Celle·..d n'est vraiment pensée que si l'on nomie du fétiche est plus puissante que celle de
ne s'en tient pas à la formalité du trois arithmétique, à la
signification vide du trois. Or la trinité a partie liée avec la vérité _. décidable - de la chose même ou
la structure circulaire qui ne peut ni s'assimiler ni laisser qu'un discours décidant de la castration (pro aut
tomber le reste. contra). Le fétiche n'est pas opposable.
Dès lors, mais pour n'avoir plus forme de « ques-
tion >), la question du reste de temps, la question du trois Il oscille comme le battant d'une vérité qui
et la question du vide sémantique s'élaborent ensemble. cloche.
Le Sa fait le plein de sens dans l'unité sans reste d'une
structure triangulo-circulaire.
Qu'est-ce qui se passe donc quand on ne lit pas le
texte de Hegel, ou quand on le lit mal? qu'est-ce qui se
passe si l'on s'immobilise dans la représentation, la signi-
fication vide? ou si l'on s'écarte du trois, l'écart, comme
son nom l'indique, découpant le texte en carrés ou l'éle- Comme le batail dans la gorge, autrement
vant au carré, le divisant en quarts plus ou moins réguliers, dit dans le gouffre d'une cloche.
l'exaltant (au contraire ou par là même) ou y révérant la
charte, à moins qu'il ne le distribue comme des cartes à
jouer. Qu'en est-il du texte comme reste - ensemble de
morceaux qui ne procèdent plus du tout et n'en formeront
jamais tout à fait un? Ce n'est plus une question.
Par exemple, quand il décrit l'approche du Sa,
l'adverbe de temps (encore) peut-il être lu, sémantiquement Je fais ce que je ne dis pas, à peu près, je ne dis
accompli, depuis le concept absolu? ou sans lui? Dans le jamais ce que je fais.
premier cas, il disparaît, perd son sens temporel, n'est, Par exemple, tout se passe comme si je travaillais
d'une certaine façon, pas lu. Dans l'autre cas, il est privé
de conceptualité absolue et ne se laisse pas vraiment d'abord à nommer, mais aussi à fondre une cloche.
comprendre. Il n'est toujours pas lu. pans les deux cas Dans sa nomenclature la faire à la fois retentir
il est: lu à la condition de ne l'être pas. C'est que lecture a et disparaître, s'élever en haut de quelque tour
été défini simultanément comme remplissement sémantique
et comme reste de vide sémantique. et par là-même la décrochant d'un éclat de rire,
Comment - par exemple - lire l'oint du Seigneur s'effondrer, voilà ce que je dis que je fais. Je décris.
dans le texte, au seuil du Sa, à la fin de l'avant-dernier
chapitre de la phénoménologie de l'esprit? Comment
lire l'adverbe du logos? On a compris qu'il a un père
en soi mais seulement une mère effective dont il sent
l'amour éternel dans son cœur. « Sa réconciliation est
donc dans son cœur, mais encore scindée (noch entzweit) et
son effectivité encore brisée (noch gebrochen). Ce qui entre Batail est d'abord un vieux nom pour le battant
dans sa consdence en tant qu'en soi ou du côté de la d'une cloche. Mis en mouvement par le branle,
pure médiation, c'est la réconciliation résidant au-delà;
mais ce qui y entre comme présent [comme maintenant:
il vient heurter la panse (on dit aussi le pans)
aIs gegenwartig], comme le côté de l'immédiateté et de comme une sorte de marteau intérieur. Non loin
l'être-là (Dasein), c'est le monde qui doit encore (noch) de la faussure, lieu où la cloche commence à élargir
attendre sa transfiguration. Le monde est bien en soi
réconcilié avec l'essence (Wesen), et l'essence est cons- sa courbure, à s'évaser. On parIe aussi de la faussure
dente de ce qu'elle ne connaît plus l'objet comme étranger (ou faulsure) des tours.
à soi mais comme égal à soi dans l'amour. Ma.is pour la Dans le tour à tour en tous genres du fétiche
conscience de soi ce présent immédiat (diese unmittelbare
Gegenwart) n'a pas encore (nieht noeh) la figure de l'esprit. ce que je diffère '- l'évasé d'une faussure, ni
L'esprit de la communauté est ainsi, dans sa conscience ceci ni cela, voire ni vrai ni faux. Mais l'opération
immédiate, séparé de sa conscience religieuse qui pro- n'est pas négative, elle affirme d'un oui sans limite,
nonce bien (zwar es aussprieht) qu'en .foi ces consciences
ne sont pas séparées, mais prononce un en soi qui n;est immense, prodigieux, inaudible. Et elle construit,
pas réalisé ou qui n'est pas encore (noch nicht) devenu une sorte de traverse solide, pour suspendre la
absolu être-pour-soi. » cloche au milieu des deux tours. La hune, elle-
même, cette grosse pièce de bois horizontale à
laquelle est suspendue la cloche, se termine par
Qu'est-,ce qui peut suivre qui ne précède déjà - deux tourillons. Bois, matière impassible, mais,
subséquemment - cet avant-dernier pas encore? Au
chapitre du Sa) le dernier donc, ce qui reste de temps, à déjà, l'artefact. Oublié, inaperçu, amortissant toute
savoir de pas-encore, se trouve réduit, mais suspendu résonance. De bois. Le madrier. Elle est, déjà, le
entre la relève (Au]hebung) et l'annulation (Tilgen). A madrier.
quel « temps » appartient dès lors le « texte » du Sa) sur le
Sa) le temps de sa répétition, de sa lisibilité - pleine ou .
vide? Qui le lit? qui l'écrit? qui le cadre? qui le signe?

« Le temps est le concept lui-même qui est là (der da ist)


et se représente (sich vorstellt) à h conscience comme
intuition vide. C'est pourquoi l'esprit se manifeste
(erscheint) nécessairement dans le temps, et il se ~anifeste
dans le temps aussi longtemps (so lange ([ 1]) qu'il ne saisit
pas son concept pur, c'est-à-dire qu'il n'annule (tilgt)
pas le temps [tilgen : détmire, anéantir, effacer, abolir,
annuler, par exemple une dette; eine SehuM tilgen : annuler
ou amortir une dette, une faute; eine Rente tilgen : racheter Je m'écris là-dessus. Sur la hune, entre les deux.
une rente]. Le temps est le pur soi-même (Setbst) exté- Je m'entends dire, de loin, tout ce que
rieur intuitionné, non pas saisi [conceptuellement] par
soi-même, le concept seulement intuitionné; quand j'écris. Je l'imite moi-même, je m'édite moi-
[indem : tandis et en tant que] ce concept se saisit lui-même, même, j'apostrophe tous les verbes hauts. Je
il relève sa forme-de-temps (hebt er seine Zeitform au])) les assourdis.
conçoit l'intuitionner (begreijt das Anschauen) et il est
l'intuition conçue et concevante. Le temps se manifeste
comme le destin et la nécessité de l'esprit qui [en tant
qu'il] n'est pas accompli en soi... »

Le Da du concept (le temps) marque du coup son


incomplétude, sa défaillance intérieure, le vide sémantique
qui le tient en mouvement. Le temps est toujours de cette Pendule de la hune, le fétiche oscille-
vacance dont s'affecte le Sa. Car il s'en affecte lui-même, comme le battant d'une vérité qUl penche, qUI
le Sa se vide en vue de se déterminer, il se donne le temps.
Il s'impose un écart en sè signant. Le Da du Sa n'est cl-
autre que le mouvement de la signification.

La philosophie de la religion, travaillant au nom de


Dieu, distingue en effet deux significations de la signi-
fication. On s'y demande, quant à Dieu, ce que signifie L'indéniable est l'incastrable.
le mot signifier (bedeuten) lui-même. Il signifie deux
« choses » - inverses et symétriques - qui ont en com-
mun tel vacuum entre la signification (Bedeutung) èt la
représentation (Vorstellung). Quelquefois nous avons la
représentation et nous manquons le concept, le plein de la
signification (par exemple quand nous nous demandons Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de castra-
« ce que signifie le terme Dieu »). Inversement il nous
arrive d'avoir la signification sans représentation et ce
tion mais que cet ilyan' a pas lieu. Il y a qu'on ne
que nous réclamons alors, c'est un exemple (Beispiel) peut pas trancher entre les deux fonctions contraires
qui « joue à côté de l'essence », de la pensée substantielle. reconnues au fétiche, non plus qu'entre la chose
Mais cette double signification signifie toujours que la
pensée se donne d'elle-même - des exemples, d'elle-
même et son supplément. Non plus qu'entre
même se joue exemplairement. les sexes.
Il reste que, dans ce jeu, l'écart significatif permet
toujours à un texte de fonctionner à vide. Le concept peut
toujours ne pas revenir à lui dans un texte. Le triangle
ou le cercle peuvent rester ouverts quand le Sa arrive au
texte. Le texte serait alors ce que le Sa ne peut pas tpujours
La langue reste dans la gaine,
se donner, ce qui lui arrive, plutôt qu'il ne s'y arrive.
Le Sa interprète l'événement comme un de ses mo-
ments; comme son propre négatif sous la forme de la
naturalité, de la représentation, de la signification vide. l'argument de la gaine enveloppe donc tout ce qui,
Ces valeurs négatives sont régulièrement associées entre comme un gant ou comme une fleur, se retourne
elles, par exemple dans le premier moment du concept dans tous les sens ou sens dessus dessous sans pero.
de religion absolue (premier des tr'Ois du dernier des trois dre une certaine forme. Cela seul permet encore
moments de la religion révélée). C'est une lecture de des effets de langue aponévrotiques. Pour la poéti-
la Trinité selon Jean par la phénoménologie de l'esprit: que, on gagnerait encore à jouer du Littré, à en
« L'esprit représenté (vorgestellt) en premier lieu prendre de la dissemence; de la gaine il y est noté:
comme substance dans l'élément de la pure pensée est alors « 1. ttui de couteau ou d'un instrument tranchant
immédiatement l'essence simple, égale à elle-même, éter- ou aigu. Des ciseaux dans leur' gaÎne.. Terme de
nelle (sich selbst gleiche ewige Wesen)) qui pourtant n'a pas marine. Ourlet large autour des voiles pour les
fortifier, avant de coudre la ralingue.. GaÎne de
cette signification (Bedeutung) abstraite de l'essence, mais la
girouette, bande de toile qui attache la girouette
signification de l'esprit absolu. Mais l'esprit ne consiste au fût. GaÎne de flamme, fourreau de toile, où l'on
pas à être signification, à être l'intérieur, mais à être fait passer le bâton de la flamme. GaÎne de pavillon,
l'effectif (Wirkliche). La simple essence éternelle serait bande de toile cousue dans toute la largeur du
donc seulement esprit dans un mot vide (Ieeren Worte) pavillon. 2. Terme d'architecture. Espèce de sup··
si elle en restait à la représentation (Vorstellung) et à ports, plus larges du haut que du bas, sur lesquels
l'expression (Ausdruck) de l'essence éternelle et simple. on plante un buste; ainsi dits sans doute parce que
Cependant l'essency simple, étant l'abstraction, est en la demi-figure paraît en sortir comme d'une gaÎne;
fait le négatif en soi-même, et précisément la négativité de la on les nomme termes quand la gaÎne et le buste
sont d'une seule pièce. Placer des bustes sur des
pensée, ou la négativité comme elle est en soi dans l'es-
gaÎnes" 3. Terme de botanique. Partie inférieure
sence,. c'est-à-dire la différence (Unterschied) absolue de de certaines feuilles embrassant la tige et rempla-
soi-même, ou son pur devenir-autre. Comme essence, çant en quelque sorte le pétiole. Si les bords en
elle est seulement en soi ou pour nous; mais cette pureté sont soudés, la gaÎne est entière; sinon, elle est
étant justement l'abstraction ou la négativité, elle est dite fendue. 4" Terme d'anatomie. Nom donné à
pour soi-même, ou elle est le soi-même (das Se!bst), le concept. certaines parties qui servent d'enveloppes à d'au-
- Elle est donc objective (gegenstandlich), et puisque tres; cela se dit surtout des aponévroses qui enve·,
la représentation appréhende et exprime la nécessité du loppent les masses charnues. Terme d'entomologie.
concept ci-dessus mentionnée comme un événement (ais Dans les insectes suceurs, le tube qui renferme
ein Geschehen), on dira que l'essence éternelle produit pour l'appareil dont ces insectes se servent pour sucer.
soi un autre (sich ein Anderes erzeugt) ,. mais dans cet êtœ- Dans les hyménoptères, le tube où sont renfermées
la lèvre et la languette, 5" GaÎne de chauffe, se dit,
autre elle est aussi immédiatement retournée .( zurück-
dans les calorifères, dans les ventilations à chaud,
gekehrt) en elle-même, car la différence est la difféœnce en de l'engin qui de la chambre de chauffe conduit
soi, c'est-,à-dire qu'elle est immédiatement différente l'air dans le local à échauffer. Proverbe. Qui frap-
seulement d'elle-même, et ainsi est l'unité retournée en pera du couteau mourra de la gaÎne, proverbe
elle-même. répondant à : qui frappera de l'épée mourra de
l'épée" ["".] R, L'Académie, qui met un accent
circonflexe à gaÎne et à gaÎnier, n'en met pas aux
composés dégainer, engainer, rengainer. C'est une
« Les trois moments se distinguent donc, celui de irrégularité qui complique sans fruit l'orthographe.
l'essence, celui de l'être-pour-soi qui est l'être-autre de [.,] E. Wallon, vaimm; Hainaut, waine; du lat"
l'essence et pour lequel est l'essence, et celui de l'être pour- vagina, gaÎne. GaÎne est un des exemples où le v
soi ou du savoir de soi-même dans l'autre. L'essence se latin se transforme en g" La forme ancienne a da
être gaaine, représentant vagïna; mais, si on trou-
contemple donc seulement elle-même dans son être-pour-
vait gaine plus haut que le XIVe siècle, il faudrait
soi; c'est seulement dans cette aliénation (Entè/u.J3erung)
penser qu'à l'origine l'accent latin avait été déplacé
qu'elle est près d'elle-même (bei sÙh). L'être-pour-Boi qui et qu'on avait dit vagïna. »
s'exclut de l'essence est le savoir de soi-même de l'essence:
c'est le verbe (Wort) qui prononcé (ausgesprochen) laisse
aliéné et vidé (ausge!eert zurückla.J3t) celui qui le prononce,
mais qui est entendu non moins immédiatement, et c'est
-seulement ce mouvement de s'entendre soi-même qui est
l'êtœ-là du verbe (und nur dieses SÙhse!bstvernehmen ist das
DasÛn des Wortes). Ainsi les différences qui sont faites
sont résolues aussi immédiatement qu'elles sont faites, et
faites aussi immédiatement qu'elles sont résolues; et le
Question de l'accent circonflexe : d'une compli-
vrai et l'effectif sont justement ce mouvement circulant
cation « sans fruit» de l'orthographe.
en soi-même (in sÙh kreiJ'ende Bewegung).
« Ce mouvement à l'intérieur de soi-même expdme
l'essence absolue comme esprit. L'essence absolue, qui
n'est pas saisie comme esprit, est seulement le vide abstrait,
de même que l'espdt qui n'est pas saisi comme ce mouve-
ment est seulement un mot vide. (En) tant que ses mom~nts
sont pris dans leur pureté, ils sont des concepts inquiets
(ruhe!osen Begriffe) qui sont seulement en tant qu'ils sont
en eux-mêmes leur contraire et ne trouvent leur repos que A quoi va la gaine?
dans le tout. Cependant la représentation (Vorstelle'n) de « Moi je l'appelais Mag, quand je devais lui donner
un nom. Et si je l'appelais Mag c'était qu' à mon idée,
la communauté n'est pas cette pensée qui conçoit, mais
sans que j'eusse su dire pourquoi, la lettre g abolis-
elle possède le contenu sans sa nécessité et transporte
sait la syllabe ma, et pour ainsi dire crachait dessus,
dans le royaume de la pure conscience les rapports natu- mieux que toute autre lettre ne l'aurait fait. Et
rels du Père et du Fils à la place de la forme du concept. » en même temps je satisfaisais un besoin profond
Plus haut, s'agissant déjà de la « mère effective »- et et sans doute inavoué, celui d'avoir une ma, c'est-à-
du père « étant en soi », ces relations étaient présentées dire une maman, et de "annoncer, à haute voix.
comme « tirées de la génération naturelle ». La religion, Car avant de dire Mag on dit ma, c'est forcé. Et
en tant que religion, ne dépasse jamais absolument la repré- da, dans ma région, veut dire papa. D'ailleurs
sentation ou la nature. Il faut relever, dans le concept, pour moi la question ne se posait pas, à l'époque
et la figure de la représentation naturelle (par exemple celle où je suis en train de me faufiler, je veux dire la
de la chute, du fils, etc.) et la formalité arithmétique (par question de l'appeler ma, Mag ou la comtesse Caca,
exemple le compte des moments). La mort du Christ car il y avait une éternité qu'elle était sourde comme
marque à la fois la destruction de son être naturel et la fin un pot. »
« Il est significatif que Molloy, pour remplacer
de l'abstraction de l'essence divine. Dieu lui-même est
Mag par un nom quelconque, choisisse tout au
mort mais le savoir de sa mort produit cette « spirituali- hasard le titre "comtesse Caca", comme si le
sation » par laquelle« la substance est devenue sujet » sobriquet Mag était une condensation de Marna
au moment où l'abstration et la froideur cadavérique et de caca, avec un radoucissement tendre de K
(Leblosigkeit) s'élèvent à la chaude et glorieuse lumière en G. Ce G pourrait contenir en même temps
de la vie. Moment tdomphal du deuil. une allusion à la contraction pharyngée qui accom-
A l'angle de la phénoménologie de l'esprit et du Sa pagne le refus de la nourriture.
(de la grande logique), à la charnière, le tombeau du Fils. « A ce propos, le Dr lise Barande m'a signalé qu'un
patient américain, un homosexuel passif, qui par-
Iait un français très correct, prononçait régulière-
ment vaguin au lieu de vagin. Il introduisait une
occlusive, un son dur, aigu, qui coupe le souffle,
pour remplacer la fricative :2', (GE), un son glissant,
coulant. L'occlusive vélaire supplémentaire pour-
rait refléter en ce cas un phantasme de vagin denté, »
F6nagy.

Le reste du temps s'indécide entre le trois et le


plus-de-trois, l'accomplissement ou l'évidement de la
signification. Le Sa
qu'est-ce que ne pas lire ou mal lire Hegel, souffre cette indécision.
ou plutôt le texte Sa? Cette négativité
est·elle comprise et au travail dans le textè Il tente d'y retrouver
Sa? Pour l'admettre il faut d'abord le lire son rythme et comme
et bien lire Mais quel recours aurait le un retour des saisons.
texte Sa et devant quelle instance pourrait- On trouvera peut-être que je me sers beaucoup
il conduire cette non·,lecture ou cette On pourrait aussi
du Littré. Je m'en sers, c'est le mot que je cherche.
mauvaise lecture préalable, ou toutes les bien parler - les deux
séductions, dérives, perversions, ni réelles mots sont apparentés - Ne pas s'y fier, en jouer. Génétiquement. Le phan-
ni fictives, ni vraies ni fausses qui l'entraÎ- tasme étymologiste a été congédié ailleurs et
neraient hors de lui, sans se soumettre des saturnales' du Sa. depuis longtemps, celui du mot agonise; et pour
à sa juridiction? Il est impossible de savoir Fêtes en l'honneur de la poétique, si quelqu'un s'en souciait encore
si une telle feinte est possible. Plutôt, on Saturne: le dieu italique aujourd'hui, avoir seulement commenté, illustré
ne peut que la savoir impossible, si le savoir
suppose l'opposition hiéran:hisée du vrai avait été identifié avec à coups de dictionnaires, de lexiques et d'encyclo-
et du faux, de l'infini et du fini. Une feinte Kronos (un jeu de mots pédies, l'étrange mot d',
finie ne peut pas se soustraire à l'instance à vide et ce fut le Considérez le titre, le faux titre, l'apostrophe
infin ie du Sa. qui suspend et détourne l'étrange mot. Le mode
Que voudrait-dire ne pas comprendre
temps - qu'on vien-
(Hegel) le texte Sa? S'il s'agit d'une défail- drait ici fêter comme en est insolite. On attend le mot urbanisme, comme
lance finie, elle est d'avance comprise dans Sa). Il se serait réfugié dans la première phrase (<< L'étrange mot d'urba-
le texte. S'il s'agit d'une faute ou d'un nisme »). Et l'urbanisme fournit en effet le thème
manque infinis, il faudrait dire que le Sa
en Italie après que son
apparent de ces huit pages. Mais par un mouvement
ne se pense pas, ne se dit pas, ne s'écrit pas, fils l' e~t détrôné' et d'érection (encore le thème du morceau), c'est-à-
ne se lit pas, ne se sait pas, ce qui ne veut précipité du haut de dire de renversement théâtral et funèbre, l'écriture
plus rien dire, par définition Le Sa finit
toujours par être plein, gros de lui-même.
l'Olympe. Il avait décrit obliquement le titre lui-même : à savoir
L'hypothèse d'une mauvaise lecture, ici, lui-même tranché les le mot et qu'il est étrange. Et elle n'omet pas,
n'a donc aucune place" Elle n'a même pas testicules de son père comme on le fait souvent, "aspect toujours oblique
lieu, Il faut la laisser tomber, en marge ou avec l'aide de sa mère, de "érection (<< dans un cimetière, ou tout près
en exergue, comme un reste dont on ne
sait pas s'il travaille, en vue ou au service Gaia. C'est encore Gaia, du four crématoire, à la cheminée raide, oblique
de qui de quoi. Comme telle note en bas elle déjà, qui mit la fau- et phallique »).
de page du Post-Scriptum aux Miettes cille entre les mains du
Philosophiques, reliefs de reliefs sous la
scène: fils. C'est peut-être
« ... On rapporte aussi de Hegel qu'il serait elle, encore, qui s'allia
mort en disant que personne ne l'avait avec Zeus, son petit-
compris excepté un homme qui l'avait mal
compris [...] on voit tout de suite que fils, contre Kronos,
l'assertion de Hegel a le défaut d'être une son fils, et lui fit absor-
assertion directe et, donc, tout à fait ber un pharmakon qui Quant à "étrangeté du mot, voici la fin du texte
impropre à un tel malentendu; elle prouve que ce glas-ci n'a pas cessé d'accompagner, escorter
suffisamment que Hegel n'a pas vécu en l'obligea à vomir tous
les enfants qu'il avait ou précéder, ou trahir: «Où? Rome, ai-je lu, pos-
artiste dans l'équivoque de la double
sédait - mais peut-être ma mémoire me trompe -
réflexion, En outre le message de Hegel mangés. Saturne serait
étant un message direct dans la totalité un mime funèbre. Son rôle? Précédant le cortège,
de ses dix-sept volumes, si, Hegel n'a
donc un père déchu il était chargé de mimer les faits les plus impor-
trouvé personne qui le comprît, c'est tant dont le règne latin avait tants qui avaient composé la vie du mort quand
pis pour lui. \1 en serait autrement avec pourtant laissé le sou- il- le mort _. était vivant.
Socrate, par exemple, qui, en artiste,
avait réglé toute la forme de son message
venir d'un mythique âge « Improviser des gestes, des attitudes?
de façon à être mal compris" En tant que d'or. Il était devenu le « Les mots. Vécue je ne sais comment, la langue
réplique dramatique à l'instant de sa mort, dieu de l'agriculture et française dissimule et révèle une guerre que se
cette déclaration de Hegel doit plutôt être
considérée comme une erreur, une étour-
plus précisément, armé font les mots, frères ennemis, l'un s'arrachant de
derie, !par laquelle Hegel à I,'article de la d'une faucille et d'une "autre ou s'amourachant de lui. Si tradition et
mort devrait se trouver sur un chemin serpe, il présidait à la trahison sont nés d'un même mouvement original
où il ne s'est pas montré toute sa vie. Si taille de la vigne. Com- et divergent pour vivre chacun une vie singulière,
Hegel comme penseur est unique eh son par quoi, tout au long de la langue, se savent-ils
genre, alors personne ne peut lui être me Dionysos - Bacchus,
liés dans leur distorsion? »
comparé; et s'il fallait pourtant pouvoir il avait partie liée avec
le comparer à quelqu'un, ceci du moins le vin. On le considé-
est certain : qu'il n'a rien de commun
avec Socrate, »Ailleurs : « C'est proba.. rait aussi comme le
blement aussi ce procès qui se poursuit dieu des enfers.
sans cesse qui a été cause de ce malentendu Les saturnales cor-
que ce soit à un diable de spéculant que
revienne le soin de se libérer du hegelia- respondaient donc à
nisme? Pas du tout; il n'est besoin pour un rythme de saison,
cela que d'avoir une saine intelligence Ce qui est donné, livré par traditio, ici, grâce au
mot qui vient sans don de la langue et du style, c'est à la fois un exemple
humaine, le sens du comique et un peu
d'ataraxie grecque. Hors de la logique doute, comme Saturne, et une essence, un événement et une règle. Tradi-
et en partie en elle aussi, dans cet éclairage de sa/a, les fruits de la tic est un exemple de la traditio de la langue, il
équivoque que Hegel n'a pas évité, Hegel, terre et des semailles,
le hegelianisme est une incursion dans le donne le don et trahit la trahison. La langue pro-
domaine du comique. Le ci-devant Hegel de serere, semer, ou de cède par tradition et trahison. C'est ainsi que mot
a vraisemblablement déjà trouvé son maître sa/us, fils. La semaison est un mot.
en feu Socrate qui, sans doute, a trouvé est une saison, serere « Pas plus mal vécue que n'importe quelle autre
de quoi rire tandis que Hegel est resté . 1 A • •
mais cette langue comme les autres permet que se
impassible. Oui, Socrate a trouvé là un auraIt a meme origme
chevauchent les mots comme des bêtes en chaleur
homme avec qui cela vaut bien la peine de sémantique que semen,
parler et surtout d'interroger socratique- Jeminare. L'ancêtre grec et ce qui sort de notre bouche c'est une partouze
ment (ce que Socrate avait l'intention d e · A de mots qui s'accouplent, innocemment ou non,
faire avec tous les morts) pour savoir s'il pourraIt se nommer sao et qui donnent au discours français l'air salubre
sait quelque chose ou s'il ne sait rien Il (cribler). Pendant les sa- d'une campagne forestière où toutes les bêtes
faudrait que Socrate eût sensiblement turnales, l'ordre se ren- égarées s'emmanchent. Ëcrivant dans une telle
changé pour qu'il s'en laissât imposer le versait, la loi se trans-
moins du monde, quand Hegel se mettrait langue .- ou la parlant .- on ne dit rien . On per-
à déclamer des paragraphes et à promettre gressait: temps de dé- met seulement que grouille davantage au milieu
qu'à la fin tout deviendrait clair... » bauche, de licence, d'une végétation elle-même distraite, bigarrée
d'ivresse, révolution spasmodique au cours de laquelle, par ses mélanges de pollen, par ses greffes au petit
dit un anachronique traité de mythologie, « les classes bonheur, par ses surgeons, ses boutures, que
sociales étaient sens dessus dessous », les maîtres devenant grouille et que brouille une averse d'êtres oU,si
les esclaves de leurs esclaves qu'ils servaient alors à table. l'on veut, de mots équivoques comme les animaux
de la Fable.
Le mauvais tour des saisons venant détraquer l'histoire
« Si quelqu'un espère qu'au moyen d'une telle
de l'esprit,les saturnales du Sa auraient donc partie liée prolifération - ou luxuriance - de monstres il
avec un dérèglement du seminarium. pourra soigner un discours cohérent, il se trompe:
Jouer avec le quatre des saisons: ce jeu, le mal du Sa, au mieux il accouple des troupeaux larvaires et
l'ouvre d'un écart qui ne l'assure plus de pouvoir se sournois pareils aux processions des chen illes pro-
réapproprier dans le cercle trinitaire. Ce mal de saison ne cessionnaires, qui échangeront leur foutre pour
détruit ni ne paralyse absolument le concept infini. S'il en accoucher d'une portée aussi carnavalesque sans
formait seulement le négatif, il le confirmerait encore portée réelle, sans importance, issue du grec, du
dialectiquement. Ille détraque plutôt, l'enraye, le grippe saxon, du levantin, du bédouin, du latin, du gaé-
inconcevablement. Le griffe aussi d'écriture. L'étymon du lique, d'un chinois égaré, de trois mongols vaga-
Begrilf s'y attend. bonds qui parlent pour ne rien dire mais pour, en
s'accouplant, révéler une orgie verbale dont le
sens se perd non dans la nuit des temps mais dans
Dès qu'il est saisi par l'écriture, le conèept est cuit.
l'infini des mutations tendres ou brutales.
Ainsi se déchaînent peut-être les saturnales du Sa, la « Et le mime funèbre?
soûlerie, la satiété, l' «ivresse (Taumel) bachique » dont le « Et le Théâtre au cimetière?
vrai se saisit, n'épargnant aucun « mernbre » ( Glied) , « Avant qu'on enterre le mort... »
mais un délire dont il ne serait plus sûr que le. Sa s'y
introduise à lui-même, l'annonce à l'ouverture de la
phénoménologie de l'esprit: pour s'en réveiller à la fin,
passée l'ivresse d'un moment, le temps d'une partie (de
lui-même). Là je saute, allez voir vous-même ce que devient
lemort pendant la fête. Quand « la fête est finie »,
Car on pourrait être tenté de réduire la cuite du Sa on revient au mot qui, sans en avoir l'air, se laissait
à une phase typique, essentielle certes, mais très déter- bander, couvrir de fleurs tout au long de la céré-
minée, de la phénoménologie. N'y scande-t-elle pas toute monie funèbre . Ëtrange mort. «Quand on est
la phénoménologie de la religion? en ses trois temps, malin, on peut faire semblant de s'y retrouver,
on peut faire semblant de croire que les mots ne
religion naturelle, religion esthétique, religion révélée
bougent pas, que leur sens est fixe ou qu'il a bougé
ou absolue?
grâce à nous qui, volontairement, feint-on decroire,
si l'on en modifie un peu l'apparence, devenons
Indice externe : on y passe par exemple de la religion dieux . Moi, devant ce troupeau enragé, encagé dans
des fleurs, puis de l'animalité crue (religion naturelle) à le dictionnaire, je sais que je n'ai rien dit et que je
telle « débordante ivresse divine » (unbejestigste Taumel ne dirai jamais rien : et les mots s'en foutent.
des Gottes) qui doit s'apaiser en se faisant objet dans [ ... ]
l'œuvre d'art vivante de la religion esthétique. Cette « Le mime funèbre devra donc, pour la grande
ivresse aura fait passer de la fleur au fruit et au vin, au parade p.vant l'enfouissement du cadavre, s'il
veut faire revivre et remourir le mort, découvrir,
fruit fermenté, moment bachique de la religion esthé-
et oser les dire, ces mots dialectophages qui, devant
tique : pas-encore mais déjà le pain et le vin, la chair et le le public, boufferont la vie et la mort du mort»
sang de la cène chrétienne. Ce banquet phénoménologique
s'installe au centre du centre : au milieu de la religion
esthétique qui occupe elle-même une position médiatrice
bat sous la gaine,
entre la religion naturelle et la œligion révélée (absolue). s'y ébat, coupe, lézarde, reforme, absente, colle,
Ça se passe au coucher du soleil : « Ce pathos est pour soi détache, sépare, allègue et délègue, argue, tend,
l'essence du soleil levant (Aufgangs), mais qui s'est désor-
mais couchée en elle-même (in sich untergegangen) et a bande.
en elle son déclin (Untergang), la conscience de soi,et Entr'exhibe le mors mais ne bénéficie d'un
a ainsi être-là et effectivité. - Elle a ici parcouru le gain de force qu'à retenir la turbulence gonflée
mouvement de son actualisation. Descendant de sa pure
essentialité vers une force objective de la nature et vers ses sous l'étoffe.
manifestations, elle a un être-là pour l'autre, c'est-à-dire Désirable si imprenable, ou près de l'être.
pour le soi-même, par lequel elle est consommée (verzehrt
wird). La silencieuse essence de la nature privée de soi-
même (selbstlosen Natur) atteint dans le fruit (Frucht) Toilette à chaque instant du mors, pansé,
le moment où la nature, se préparant à être digérée, s'offre bandé, vérifié, momifié.
(darbietet) à la vie (du) soi-même (dem selbstischen Leben). Ce serait trop facile autrement.
Dans l'utilité de pouvoir être mangée et bue, la nature
atteint sa suprême perfection; dans cet acte, en effet, elle gl reste sous la gaine.
est la possibilié d'une existence supérieure et touche les
confins de l'être-là spirituel; - dans ses métamorphoses De tous les morcellements, de toutes les réag-
l'esprit de la terre (Erdgeist) a prospéré en partie jusqu'à
la substance silencieusement puissante (stillkriiJtigen) , glutinations sans lesquelles la schize ne pourrait
en partie jusqu'à la fermentation spirituelle (geistigen même pas se produire - gl serait, banderait le
Glirung) , là jusqu'au principe féminin de la nutrition compère transcendantal de skzz, l'originaire-ment,
(weiblichen Prinzipe der Ernahrung), ici jusqu'au principe
mâle de la force spontanée ( sich treibenden Kraft) de l'être-là comme la galalithe, synthétique, qui ferme ouvre
conscient de soi. » la vanne, barre l'écoulement à l'instant même où
d'une explosion douce il force l'écluse - de toutes
La jouissance, lCl, jouit de la manifestation, du
phénomène, de la lumière, de l'essence lumineuse (Lichtwe- les blessures, morsures, cassures, sutures, bordures
sen) en tant qu'elle surgit. Il y a là un « mystère », mais le et greffes proliférantes dont gl tira parti, ne laisser
« mystique » ne tient pas à quelque dissimulation (Ver- paraître, scène infinitive, la fin de l'opération, que
borgenheit) ou à quelque secret intime ( Geheimnis) du
savoir. Le mystique est la révélation, la manifestation de la surface huilée, lisse, sans ride ni cicatrice,
soi-même s'unissant à l'essence qui devient « consom· la mer calme de l'en-tête. Le titre étale, plus un
mable », « objet d'un désir ». C'est le moment du culte: signe de fatigue, l'intégrité apaisée, glorieuse d'un
« Ce qui ainsi, grâce au culte, est devenu manifeste à
l'esprit conscient de lui en lui-même, c'est l'essence simple mot entier, le corps verbal de glas. Interposée
comme le mouvement par lequel elle passe de son secret avant la marque disséminante, la voyelle ne se
nocturne ( nachtlichen Verborgenheit) dans la conscience voit plus, n'échafaude plus. Elle chante ou fait
pour en être la substance silencieuse et nourrissante,
tandis que d'autre part elle se perd de nouveau dans la chanter le mors.
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nuit souterraine, dans le soi-même, pour s'attarder sur Voilà OÙ (il faut) mettre l'accent dans le cas
terre seulement avec la silencieuse nostalgie maternelle.
- Mais la poussée éclatante (!autere Trieb) est l'essence
où l'on désire ehtendre quelque chose à l'écriture,
lumineuse du lever aux noms multiples (vielnamige) qui, déchiffrer ou décirconcire le texte qu'on sonne.
délaissant à son tour son être abstrait, s'est d'àbord recueil- Il n'y a là, compte tenu du mors et de la bave
lie dans l'être-là objectif du fruit, puis se livrànt à la
conscience de soi parvient en elle à la véritable effectivité,
sous-linguale, de la césure et de l'agglutination,
- et maintenant s'agite comme une horde de femmes aucun signe, aucune langue, aucun nom ni, surtout,.
exaltées (a!s ein Haufen schwarmender Weiber) - le délire aucun « mot primitif » au sens cratyléen; ni
déchaîné ( ungebandigte) de la nature dans une figure
conscience de soi. » .
davantage quelque privilège transcendantal d'un
Un tel délire manifeste seulement l'esprit immédiat, couple élémentaire auquel devrait s'arrêter enfin
l'esprit de la nature: le pain et le vin, Cérès et Bacchus. la régression analytique, ni même, puisque aucun
Les dieux supérieurs, eux-mêmes conscients d'eux-
étant ni sens n'y est représenté, un mimême.
mêmes, ne sont pas apparus. Or la conscience de soi
suppose le sacrifice de l'esprit. Ce qui s'annonce déjà dans
la nature, dans le sacrifice du pain et du vin, n'est pas
encore ce qu'il annonce:
au Conseiller aulique Forster: « le mystère de la chair
« Lagrime Christi!
A cela, nous pouvons clairement voir que
et du sang ».
les larmes que le Seigneur a versées sur les Les saisons, la Reste que: le problème de la mimesis doit être
abus catholiques n'ont pas été seulement de grippe du concept, la
l'eau salée, mais des bouteilles de feu
saturnale, le passage de ici réélaboré, au-delà de l'opposition de la nature
liquide.
Et maintenant, votre amabilité et votre la fleur au fruit, du fruit et de la loi, de la motivation et de l'arbitraire, de
bonté vont m'aider à la préparation du dis- au vin, du vin au sang,
cours que je dois pétrir; je dois tout d'abord tous les couples ontologiques qui l'ont rendu,
vous en remercier, et si le récipient qui
la fermentation spiri-
doit distiller cette liqueur de feu ne la gâte tuelle qui introduit un avec le Cratyle, illisible.
pas, mes auditeurs ._- suffisamment tour·· sexe dans l'autre, au-
mentés - vous devront la chaleur qui de
moi rayonnera jusqu à eux. »
tant de thermes : phé-
nomènes d'échauffe-
B. ~2 30 Votre Hegel»
ment ou plutôt de ré-
« Avez-vous encore, bien cher ami, une chauffement. Opposi- gl arrache le « corps », le « sexe », la « voix »
assez grande provision de Lagrimae Christi
tion du cru et du cuit,
pour pouvoir m'en céder encore une demi- et l' « écriture » à la logique de la conscience et de la
douzaine de bouteilles? S'il en était ainsi. du froid et du chaud,
vous me dispenseriez amicalement un plaisir passage d'un opposé à représentation qui dirigeait les débats. Tout en
fortifiant. - Pourriez-vous peut-être en
donner tout de suite une partie au porteur l'autre, l'esprit se réap- restant un effet de mors parmi d'autres, gl remarque
de ce mot? proprie en se réchauf-
Mes meilleurs compliments à madame votre fant, il se reprend à la aussi en lui - d'où l'effet transcendantal, toujours,
épouse -, également chère. de partie prenante .- la coupure anguleuse de
3 nature. Il s'y était
Votre Hgl 10 30. » perdu, refroidi, aliéné; l'opposition, la schize différentielle et le coulant
on ne le dit pas par
métaphore : les tropes sont ici produits par la fermen-
continu du couple, la distinction et l'unité copu-
tation spirituelle. L'échauffement signifie la vie en général, lante (par exemple de l'arbitraire et de la motiva-
la vie organique et la vie spirituelle, la consumation de tion). C'est une, seulement une mais comme
la vie. La vie naturelle se détruit pour se relever dans la
vie spirituelle. L'échauffement permet l'assimilation, la
partie prenante, des vannes dé-terminantes, ou-
digestion, la nutrition, l'intériorisation, l'idéalisation - la vertes fermées à une relecture du Cratyle.
relève. L'Atifhebung est une fermentation (fervere, fermen- Socrate feint de prendre partie. Par exemple:
tum) dans la nature et dans la religion naturelle, une fer-
« Voyant que la langue (glôtta) glisse (olistband)
veur quand la religion s'intériorise ou se spiritualise.
En revenant à lui-même dans la chaleur, en se produisant particulièrement sur le 1 (lambda), il a désigné
comme répétition de soi, l'esprit s'élève, se relève et se par des noms faits à cette ressemblance (apbo·-
tient en suspension sublime au-dessus de la fermenta-
tion naturelle comme le gaz ou l'effluve.
moiôn ônomasé) ce qui est lisse (ta tè leia),
Qu'il s'agisse de ferment ou de ferveur, l'opposition l'action même de glisser (olistbanein), l'onctueux
tumultueuse de deux « principes » est toujours à l'œuvre: (liparon), le collant (kollôde's) et toutes autres
le féminin (nuit et silence naturel de la substance) et le
masculin (lumière, logos de la conscience de soi, devenir-
choses semblables. Et comme la langue, dans son
sujet de la substance). Cette opposition, comme l'opposi- glissement (olistbanouses tes glottes), est arrêtée
tion en général, aura été à la fois la manifestation de la par la puissance du g (antilambanetai è tou gamma
différence (par conséquent de ce reste de temps où s'écarte
le vide de la signification) et le procès de son effacement dunamis), il s'en est servi pour imiter (apemime-
ou de sa réappropriation. Dès que la différence se déter- sato) le visqueux (gliskbron), le poisseux (gluku)
mine, elle se détermine en opposition, elle se manifeste, et le gluant (gloïôdès). »
certes, mais sa manifestation est en même temps (c'est
le temps du même comme effacement du reste de temps L'énigme est donc du sphingtor, de ce qu'aura
dans le soi-même [Selbst]) réduction de la différence, laissé passer le sphigme. Serrer (le texte) pour que
du reste, de l'écart. C'est la thèse. ça sécrète, refoulez-le d'un antileptique (g), l'anta-
gonisme liquide écoule la jouissance. Pas de point
L'échauffement religieux, l'histoire de la manifesta- après gl, une virgule et encore, gl reste ouverte,
tion religieuse, la religion dans la phénoménologie de
l'esprit décrit cet effort pour assimiler le reste, faire cuire, débouché, prête à toutes les concubinaisons, à
manger, engloutir, intérioriser le reste sans restes. Après tous les collages. Ce n'est pas un élément, gl
fermentation, les reliefs d'un banquet sont réappropriés débouche vers ce qu'on appelle l'élément (embou-
à la Cène.
chure sur la mer par exemple).
Le concept de la religion se remplit, se détermine
Ce n'est pas un mot - gl hisse la langue mais
en s'opposant à lui-même puis se réconcilie avec lui- n'y tient pas et la laisse toujours retomber, ne
même : en trois moments qui accomplissent l'esprit lui appartient pas - encore moins un nom, à peine
absolu. Dans un premier moment, l'esprit absolu trouve
son existence effective dans la religion, mais dans une un proprénom.
religion dont le concept reste encore vide et indéterminé.
La religion y est immédiate et naturelle. L'esprit se voit
dehors, s'appréhende comme son propre objet dans une
figure naturelle et immédiate. C'est le moment de la reli-· Mais peut être le sujet de l'annonciation.
gion naturelle (soleil, plante, animal, œuvre de l'artisan).
L'esprit se perd et se retrouve dans ces objets extérieurs,
sensibles et naturels. Le dernier des trois (des trois et non
des quatre, la religion des plantes ou des fleurs ne formant
pas une structure arrêtée, une véritable religion), le moins Les sciences, toutes, doivent ici enregistrer
naturel, l'œuvre d'artisan assure la médiation vers le
le coup de dé. Et la force d'aléa, en c1inamen -
moment suivant : la religion esthétique. Dans le premier
moment, dans la religion naturelle, l'esprit n'est pas l'autre col, que quelque double entrave.
revenu à lui-même, il n'est pas encore lui-même (Selbst). Tout s'entraîne à faire cas de la chance. Elle
En niant l'extériorité naturelle de la chose sensible dans
laquelle il s'était perdu, en la consommant, l'intériorisant,
ne peut jamais bien tomber et enchancrer le néces-
la relevant, il s'identifie, se retrouve, se reconnaît lui- saire qu'à l'instant introuvable où le nom propre
même comme tel (Selbst). Le second moment de la religion effracte la langue, s'y détruit d'une explosion
est donc celui de la « figure de la naturalité relevée où du
Selbst ». Moment de la religion esthétique : l'esprit se
-- dynamite - en y laissant comme un trou. Très
contemple dans l'objet qu'il a lui-même produit, dans son vite recouvert : une végétation parasite et sans
œuvre. Il n'a plus seulement conscience de l'objet (soleil, mémoire.
plante, animal, etc.) mais conscience de lui-même. On est
passé de la nature à 1'art, comme de la conscience à la
conscience de soi, de l'objet à la subjectivité. Cette der-
nière opposition, comme l'unilatéralité de ces deux ins-·
tances, se relève dans la religion absolue (révélée ou mani-
feste). Dans cette ultime relève, l'esprit se révèle en sa
figure vraie mais ce qui se relève et révèle ici (il suffit de
penser à ce qui se dérobe en ce mouvement de voile pour
voir s'annoncer, dans le coup de dé anagrammatique, la
Sous l'effet de l'obliquide, l'érection est tou-
fermentation de la vérité) en reste encore à la représen- jours en train de s'épancher pour tomber. Voire
tation figutale. « Si l'esprit parvient bien en elle [dans la s'inverser.
religion révélée] à sa figure vraie (zu seiner wahren Ge-
stalt) } la figure même et la représentation CVorstellung)
gl protège contre la schize que gl produit.
constituent encore le côté non surmonté (unüberwundene L'anthérection, c'est aussi ce « pendant fémi-
Seite) à partir duquel l'esprit doit passer dans le concept, nin de la grappe de Stilitano ». Pas plus que la
pour résoudre en lui tout à fait la forme de l'objectivité,
en lui qui renferme en lui-même aussi bien son con-
trahison le travestissement ne fournit le thème
traire. » Le Sa n'a pas de figure, n'est pas une figure, de ce récit, il donne sa portée à l'opération « litté-
alors que la religion absolue est encore figure (vraie) et ralre ».
représentation.
Le pendant féminin de la grappe s'élabore
D'où le cercle de cet enchaînement syllogistique : la
religion naturelle, premier moment de la religion (cons- en même temps que s'abîme le fétiche littéraire,
cience immédiate et certitude sensible) compte trois le « délassement littéraire » auquel ne se réduit
moments dont le premier (le premier moment du premier
moment) est aussi, comme le Sa} à l'autre bout, absence
pas « ce journal que j'écris ».
de figure, moment irreprésentable. La figure se dérobe à Immédiatement avant la séquence du traves-
l'origine et à la fin de la religion, avant et après la .reli- tissement et après une mise en chaîne ou en selle
gion : dont le devenir décrit littéralement une consuma-
de « croupe » (celle de Stilitano) avec les coupes,
tion de la figure, entre deux soleils. Autre jalousie du dieu
hegelien qui commence et finit par faire disparaître - coups, cols, pous et autres anthérianthèmes main-
dans le feu - sa propre représentation figurale. Cette tenant familiers, on apprend que Pépé est: arrêté. )}
jalousie, ce .zelos ne se réduit pas à la passion du Dieu juif
« - Qu'est-ce qu'il risque?
qui ne se montre jamais. Ici Dieu ne se montre ni au début
ni à la fin des temps, mais c'est pour se montrer tout le « - Perpétuité.
temps à travers ses figures et dans une lumière absolue. « Nous ne fîmes aucun commentaire~
Il est vrai qu'il se montre mieux en ne se montrant pas,
« Ce journal n'est pas qu'un délassement
puisque les figures déterminées le dissimulent précisé-
ment dans leur détermination. Entre le dieu juif et le dieu littéraire. »
hegelien, le problème du .reste se joue sous l'espèce d'un Le pou se détache sur le col de Stilitano qu'il
excès de zèle. La jalousie est entre eux.
reconnaît comme son « domaine », son « espace ».
Dans le premier moment de la religion naturelle, Le col se découpe dans toute une panoplie de
celui de l'essence-lumineuse (Lichtwesen) , l'esprit n'est variations sémantiques et formelles. La turbulence
d'abord que son propre concept. Mais ce concept demeure
dans l'indétermination abstraite, il ne s'est pas encore de ces associations appelle le faux col, qui ne vient
déployé, manifesté, produit. Il se réserve encore dans « la pas. C'est pour se plier à la force flexible mais
nuit de son essence (die Nacht seines Wesens) >}. Dans la tenace de l'écriture, à son simulacre sans fin, et
première scission qui dévoile le secret (Geheimnis) de
l'esprit, celui-ci se rapporte à lui-même selon une « relation ressurgir comme faux-cils sur l'autre page. Et se
simple >), sans médiation ni détermination. L'être « rempli >) coller aux doigts, aux phalanges plutôt.
( erfiillte) par ce concept de l'esprit est indéterminé; il Faux-cils de l'une de ces mariconas qui s'appe-
apparaît, s'apparaît comme tel: lumière pure, simple
déterminabilité, milieu pur, transparence éthérée de la lait Pedro. C'est le moment où la remarque « Ce
manifestation où rien n'apparaît que l'apparaître, la journal que j'écris n'est pas qu' ... )} transite vers
lumière pure du soleil. Cette première figure de la religion le saut d'un jeune singe sur l'épaule d'une mariconas.
naturelle figure l'absence de figure, un soleil purement
visible, donc invisible, qui donne à voir sans se montrer « Ses cils restèrent collés à :q:les phalanges, ils
ou qui se montre sans rien montrer, consumant tout étaient faux. Je venais d'apprendre l'existence des
dans son phénomène: die Gestalt der Gestaltlosigkeit. Cette truquages. »
figure est « la pure essence lumineuse qui contient et
remplit tout >), c'est celle du lever ou de l'orient (Licht-
wesen des Aujgangs). Rien ne s'y montrant encore, l'orient: Une dernière station dans la procession vers
passe ici immédiatement dans son pur être-·autre, la la grande paranthèse.
ténèbre ou l'occidentalité absolue. Analysée comme
subjectivité abstraite, cette figure sans figuœ, premier
moment de la religion naturelle dans la Phénoménologie Le pendant féminin de la grappe de Stilitano
de l'esprit, correspond au troisième moment de la religion n'est mis en place, piqué dans le texte, qu'après la
naturelle dans les Leçons sur la Philosophie de la religion
«< Historiquement le culte de la lumière est le point de castration décrite d'une autre colonne, la monu-
vue de la religion des Parsis (fondée par Zoroastre). Il mentalisation aussi de la blessure recouverte de
a en cette religion son existence. Ils n'adorent pas la fleurs.
lumière sous la forme du soleil; leur adoration n'est pas,
au sens strict, un culte de la nature; mais la lumière signifie
directement le Bien. »). C'est le glas d'une pissotière.
Pure et sans figure, cette lumière brille tout. Elle se
brille dans le brille-tout qu'elle est, ne laisse, d'elle-même
ni de rien, aucune trace, aucune marque, aucun signe de Après la destruction de l'édicule, la procession
passage. Pure consumation, pure effusion de lumière sans obséquente se met en branle, comme celle des
ombre, midi sans contraire, sans résistance, sans obstacle, bagnards après la castration de la Guyane. Au bord
ondes, ondées, flots enflammés de lumière: « Les mouve-
ments de sa propre extériorisation, ses créations dans de la cicatrice encore fumante, les tantes viennent
l'élément sans obstacle, sont des effusions de la lumière déposer leurs fleurs. La sépulture s'érige une fois
(Lichtgiisse),. elles sont, dans leur simplicité, en même de plus par les soins d'une délégation, d'un déta...
temps (zugleich) son devenir-pour-soi et le retour de son
être-là, des torrents de feu qui détruisent la figuration. >} chement de travestis.
En raison même de cette indifférence - ou plutôt de cette Un blanc, comme toujours, entre deux anthé-
absence d'opposition -, le pur contenu de cet être est
sans essence. Le brûle-tout est « un jeu sans essence, pur
rections, une marge intérieure entre deux colonnes
accessoire de la substance qui se lève sans jamais se cou- supplémentaires qui semblent l'une de l'autre déta-
cher (ein wesenloses Beiherspielen an dicser Substan,z die nur chées
aufgeht, ohne in sich niederzugehen) sans devenir sujet <:t
sans stabiliser ses différences par le moyen du soi-même « Stilitano recula lentement, protégé de son
(Selbst). » mOl
Un jeu pur sans essence, un jeu qui joue sans limite,
encore qu'il soit déjà destiné à travailler au service de vous pouvez toujours chercher le sujet.
l'essence et du sens. Mais en tant que tel, à supposer Rien ne bande jamais, semble-t-il, qu'un moignon.
qu'on puisse dire « en tant que tel >} de quelque chose qui Un poignet coupé qui repousse plus fort.
n'est pas qt:elque chose, ce jeu ne travaille pas encore, il Pompes funèbres : « Il gardait les mains dans les
n'a pas encore d'horizon onto-théo-téléologique : feu poches. Il était lourd et pourtant léger, car cha-
artiste sans être. Le mot lui-même (Beiherspielen) joue cun de ses angles restait imprécis. Il ressemblait
l'exemple (Beispiel) à côté de l'essence. Ici l'exemple pur à un saule en marche dont chaque moignon s'allège
joue tellement à t'Ôté de l'essence, il se tient tellement à et s'atténue d'une aigrette de jeunes rameaux.
l'écart de l'essence qu'il n'a pas d'essence: exemple pur, Il avait un revolver. »
sans essence, sans loi. Donc sans exemple, comme Dieu « Une attitude d'Erik: son pouc~ était passé dans
un des espaces contenus entre chaque bouton de
dont Hegel dit qu'on ne peut en faire un exemple mais
la braguette. Pareil à Napoléon qui accrochait
parce qu'il se confond, lui, avec l'essence pure, elle aussi son pouce au gilet. Un malade craignant l'afflux
sans exemple. Le brûle-tout - qui n'a lieu qu'une fois du sang à sa main bandée. »
et se répète cependant à l'infini - s'écarte si bien de Miracle de la rose: « Une autre des beautés d'Har-
toute généralité essentielle qu'il ressemble à la pure camone : sa main emmaillotée de blanc [ ...] Un
différence d'un accident absolu. Jeu et pure différence, rien le blessait. Peut-être n'avait-il rien du tout et
voilà le secret d'un brûle-tout imperceptible, le torrent qu'il simulait des blessures! Autour de sa main
de feu qui s'embrase lui-même. S'emportant elle-même, s'enroulaient des mètres de gaze blanche. [ ...]
la différence pure est différente d'elle-même, donc inèliffé- Ces linges le rendaient cruel, lui, le plus doux des
rente. Le jeu pur de la différence n'est rien, il ne se rap- anges. [ ... ] Au poignet droit, comme beaucoup de
porte même pas à son propre incendie. La lumière s'enté- mecs durs, il portait aussi un large bracelet de
cuir [...] " poignet de force" mais il était devenu un
nèbre avant même de devenir sujet. Pour devenir sujet,
ornement : un symbole de virilité. Il se laçait avec
il faut en effet que le soleil décline. La subjectivité se un cordon de cuir, à la saignée. »
produit toujours dans un mouvement d'occidentalisation. Ces linges qui bandent l'ange ressemblent à ceux
Or ici le soleil ne se couche pas - ou bien il se couche dont on emmaillote les bébés après la circoncision.
immédiatement, il ne connaît pas de déclin, de trajet C'est-à-dire tout le temps. Gaze lange et bande
qui le ramène à soi, de saison, de saison au sens du cycle, velpo. « Le huitième jour ils vinrent pour cir-
seulement une pure saison, au sens de l'effusion séminale concire l'enfant et ils l'appelaient Zacharie du nom
sans retour. Cette différence sans sujet, ce jeu sans travail, de son père. Sa mère répondit: Non! il s'appellera
cet exemple sans essence, dépourvu de soi-même (Selbst), ean. Ils lui dirent: Il n'y a personne dans ta parenté
c'est aussi une sorte de signifiant sans signifié, le gaspillage qui soit appelé de ce nom! Ils demandaient par
d'une parure sans corps propre, l'absence totale de pro- signes à son père comment il voulait qu'on l'appelle.
priété, de vérité, de sens, un déploiement à peine mani- Il demanda une tablette et écrivit : Son nom est
Jean. Ils furent tous étonnés. Mais tout de suite sa
feste de formes qui se détruisent aussitôt. C'est un Un à
bouche s'ouvrit, sa langue se délia ... » Récit par
la fois infiniment multiple et absolument différent, diffé- Luc de la naissance de Jean Baptiste.
rent dé soi, un Un sans soi, l'autre sans soi qui ne veut
rien dire, dont le langage est absolument vide, comme
un événement qui ne s'arrive jamais. Ce qu'il faut ici : s'induire les mains à panser la

.166
« Ses déterminations [celles de ce pur être ou de ce colonne. La colonne est blessée, elle ne serait pas
jeu sans essence] sont seulement des attributs qui ne une colonne autrement. Elle est tronquée, mar-
réussissent pas à atteindre l'indépendance (Selbstândig- quée, couverte de cicatrices et de légendes. Le
keit) mais restent (bleiben) seulement dés noms de l'Un Stilite porte un « énorme pansement », il a son
bras en écharpe mais «je savais que la main y man-
aux multiples noms [des noms vides, donc : il n'y a pas
quait ».
encore de sens, de temps, de cercle]. Cet Un est revêtu. des
Les cicatrices sont des tatouages, des mots et des
forces multiformes de l'être-là et des figures de l'effecti- dessins incrustés dans chaque colonne, entailles
vité comme d'un ornement sans soi (ais mit einem selbst- mêlant le noir de l'encre et le rouge du sang pour
losen Schmucke),. elles sont seulement des messagers de sa passer le contrat dans la peau et traiter le texte.
puissance dépourvus de volonté propre, des visions de La cérémonie de gl obéit donc, dans sa forme,
sa majesté, des voix qui chantent sa louange. » à l' « Ordre des Tatouages » dont l'institution
est racontée dans le Miracle de la rose.
Les tatouages ont aussi le relief de pierreries bril-
Comment le soi et le pour-soi peuvent-ils apparaî- lantes et coupantes, comme celles que les Dayaks
tre? Comment le soleil du brûle-tout entamerait-,il sa de Bornéo, je crois, enfonçaient, après incision,
course et son déclin? à la surface du pénis, pour accroître, disent-ils,
la jouissance de la femme.

Ailleurs, gl enfonce le tatouage d'un anthème


On ne voit pas, au premier abord, que la situation silencieux, précieux, brillant. «" Vadonc, effleuré."
puisse changer, et pourquoi le vide du concept devrait se Il ne veut pas dire qu'il lui suppose une églantine
remplir. tatouée sur la cuisse, ni sur l'épaule une fleur
Comment de cette consumation sans limite peut-il de lis gravée au fer rouge, mais il dit qu'il souhaite
rester quelque chose qui amorce le procès dialectique et à l'enfant d'être pénétré. »
ouvre l'histoire? Inversement, si le procès commence,
comment réduirait-il cette consumation différentielle Notre-Dame-des-F1eurs aura ainsi prescrit la forme de
pure, cette destruction pure qui ne peut procéder que du glas : « La grande occupation nocturne, celle qui
feu? Comment la dépense solaire produirait-die. un reste est bien faite pour enchanter la nuit, c'est la fabri-
- quelque chose qui demeure ou qui s'excède? Com- cation des tatouages. Mille et mille petits coups d'une
fine aiguille frappent jusqu'au sang la peau, et les
ment le pur du pur, le pire du pire, l'incendie panique du
figures les plus extravagantes pour vous s'étalent
brûle-tout pousserait-il quelque monument, fut-il créma-
aux endroits les plus inattendus. Quand le rabbin
toire? quelque forme stable, géométrique, solide, par déroule lentement la Thora, un mystère saisit de
exemple une pyramis qui garde trace de la mort? frissons tout l'épiderme, ainsi quand on voit se désha-
~yramis, c'est aussi un gâteau de miel et de farine. biller un colon. Tout le bleu grimaçant sur une peau
On l'offrait en récompense d'une nuit blanche à qui blanche revêt d'un prestige obscur mais puissant
restait ainsi éveillé. C'était aussi un gâteau en forme de l'enfant qui en est couvert, comme une colonne
cône qu'on présentait aux morts. Les Grecs ont donné ce indifférente et pure devient sacrée sous les entailles
nom aux monuments égyptiens à cause du mot pyr, des hiéroglyphes. Comme un poteau totem. Par-
croyaient certains, puisque les flammes se terminent: en fois leurs paupières sont mar'quées, les aisselles,
pointe, ou à cause de ce gâteau de farine (blé ou froment, le creux de l'aine, les fesses, le pénis et jusqu'à
pyros) en forme de cône. la plante des pieds. Les signes étaient barbares,
pleins de sens comme les signes les plus barbares:
S'il détruit jusqu'à sa lettre et son corps, comment
des pensées, des arcs, des cœurs percés, gouttant
le brûle-tout peut-il garder trace de lui-même et entamer du sang, des visages l'un sur l'autre, des étoiles, des
une histoire où il se conserve en se perdant? cr'oissants de lune, des traits, des flèches, des hiron-
Ici s'éprouve la force implacable du sens, de la média- delles, des serpents, des bateaux, des poignards
tion, du laborieux négatif~ Pour être ce qu'il est, pureté triangulaires et des inscriptions, des devises, des
du jeu, de la différence, de la consumation, le brûle-tout avertissements, toute une littérature prophétique
doit passer dans son contraire : se garder, garder son et terrible. »
mo.uvement de perte, apparaître co.mme ce qu'il est dans En Algérie, au milieu d'une mosquée que les colons
sa disparitio.n même. Dès qu'il apparaît, dès que le feu auraient transformée en synagogue, une fois sortie
de derrière les rideaux, la Thora est promenée
se mo.ntre, il reste, il se retient, il se perd co.mme feu.
dans les bras d'un homme ou d'un enfant, baisée ou
La pure différence, différente de so.i, cesse d'être ce qu'elle pelotée au passage par les fidèles. (Ceux-ci, on le
est po.ur rester ce qu'elle est. C'est l'o.rigine de l'histo.ire, sait, sont enveloppés dans un voile. Certains le
le co.mmencement du déclin, le co.ucher du so.leil, le portent tout enroulé, comme une corde, une
passage à la subjectivité o.ccidentale. Le feu devient po.ur- écharpe, ou une cravate dénouée, autour du cou.
so.i et c'est perdu; enco.re pire puisque meilleur. D'autres, plus amplement déployé sur les épaules
et sur le buste, trainant jusqu'au sol. D'autres ,-
et tous à des moments déterminés - sur la tête.
Alo.rs au lieu de to.ut brûler o.n co.mmence à aimer Le vpile est parfois rayé bleu et blanc, parfois noir
les fleurs. La religio.n des fleurs suit la religio.n du so.leil. et blanc. Parfois, presque jamais, comme par chance
ou élection, il est purement blanc. On enveloppe
le mort dans son taleth - c'est le nom du voile·-
après avoir lavé le corps et obturé tous ses ori-
L'érectio.n de la pyramide garde la vie -le mo.rt -
fices.)
po.ur do.nner lieu au po.ur-so.i de l'ado.ratio.n. Elle a la
significatio.n d'un sacrifice, d'une o.ffre par laquelle le La Thora porte robe et couronne. Ses deux rouleaux
brûle-to.ut s'annule, o.uvre l'anneau, le resserre dans sont ensuite écartés comme deux jambes, elle est
l'anniversaire de la révo.lutio.n so.laire en se sacrifiant soulevée à portée de bras et le sceptre du rabbin
co.mme brûle-to.ut, do.nc en se gardant. Le sacrifice, l'o.ffre suit approximativement le texte dressé. Les bandes/
o.U le cadeau ne détruisent pas le brûle-to.ut: qui s'y dé- dont il était entouré avaient d'abord été défaites
truit, ils le fo.nt accéder au po.ur-so.i, le mo.numentalisent. et en général confiées à un enfant. Celui··ci, qui ne
La mise en o.rbite histo.rique de l'instant de co.nsumatio.n comprenait rien à tous ces signes pleins de sens,
lui do.nne la chance du mo.uvement anniversàire d'o.rient devait monter dans une galerie où se tenaient les
en o.ccident. Chance de la substance, de la restance déter- femmes, des vieilles surtout, et leur passer les
bandes chiffonnées. Les vieilles les enroulaient
minée en subsistance. Derniers mo.ts de Das Lichtwesen :
comme des bandes velpeau pour nourrissons, et
« Mais cette vie chancelante [titubante, tum:ultueuse,
l'enfant les rapportait à la Théba.
taume/nde] do.it [mufi,. po.urquo.i do.it-elle?] se déterminer ./

en être-po.ur-so.i et do.nner une co.nsistance (Bestehen) à


Cependant le corps de la Thora était couché sur
ses figures évanescentes. L'être immédiat dans lequel cette
une table, les hommes s'affairaient, se succédaient
vie s'o.ppo.se à sa co.nscience est lui-même la puissance auprès d'elle selon le rite, pour un passage, assistés
négative qui réso.ut [disso.ut, aufti;'st] ses propres diffé- du rabbin. Ils disparaissaient debout dans ces mou-
rences. Cet être est do.nc en vérité le so.i-même (Se/bst),. vements de voiles et de phylactères (les tephilin:
et l'esprit parvient do.nc à se savo.ir dans la fo.rme du so.i- ces petits cubes de peau ou de parchemin
même. La lumière pure dissémine (witft auseinander) contiennent des fragments de textes sacrés, ils sont
sa simplicité co.mme une infinité de fo.rmes séparées, et fixés au front et sur la main par des bandelettes,
se do.nne en holo.causte au po.ur-so.i, en so.rte que le singu- des lanières, plutôt, de cuir noir qu'on serre très
lier prenne à sa substance sa subsistance. )} fort, comme un garrot, autour de la tête, du bras
La différence et le jeu de la lumière pure, la dissémi- et du doigt majeur qui en perd toute liberté de
natio.n panique et pyro.mane, le brûle-to.ut s'o.ffre en mouvement). Comme chacun des gestes consacrés
par le rite, le passage - la lecture plus ou moins
ho.lo.causte au po.ur-so.i, gibt sich dem .Fürsichsein zum
laborieuse d'un morceau de texte - était d'abord
Opier. Il se sacrifie mais c'est po.ur rester, assurer sa garde, vendu aux enchères (l'une de ces opérations oné-
se lier à lui-même, strictement, devenir lui-même, po.ur- reuses, la plus théâtrale à mes yeux, consistait,
so.i, auprès de so.i. Po.ur se sacrifier, il se brûle. La brûlure comme je l'ai dit, à élever les deux colonnes écar-
se brûle alo.rs et s'éteint, le feu s'apaise, le so.leil co.mmence tées, à les porter à bout de bras pour présenter,
à décliner, à parco.urir le trajet qui le co.nduira dans de loin, le texte à la foule des fidèles, comme s'ils
l'intériorité o.ccidentale (l'o.ccidental, o.n le sait d'ailleurs, pouvaient lire. apprendre. voire acheter de si
porte le soleil dans son cœur). Ce sacrifice appartient, oin un livre -- le premier -, dru, dense, diffi-
comme son négatif, à la logique du brûle-tout, on pourrait cile, lourd, sans accent. L'homme devait être solide
dire au double registre de son calcul comptable. Si tu et riche, ou alors se laisser soutenir par ses fils.
veux tout brûler, il faut aussi consumer l'incendie, éviter Si d'aventure, au cours du mouvement, son voile
glissait le long de ses épaules, il ne pouvait pas,
de le garder vivant comme une précieuse présence. TI
ayant les mains prises, le remonter. Un de ses fils,
faut donc l'éteindre, le garder pour le perdre (vraiment) de ceux-là même qui avaient acheté l'honneur pour
ou le perdre pour le garder (vraiment). Les deux procès lui, le faisait à sa place, dévotieusement). 11 fallait
sont inséparables, on peut les lire dans n'importe quel ensuite, le texte sacré, l'enrouler et bander de
sens, de droite à gauche ou de gauche à droite, la relève nouveau. Le chant ne s'interrompait jamais.
de l'un doit faire cas de l'autre. Inversion panique, sans Les enfants qui ont observé la pompe de cette
limite : le mot holocauste qui se trouve traduire Opier est célébration, plus encore ceux qui purent y prêter
plus approprié au texte que le mot de Hegel lui-même. la main, peut-être en rêvent-ils longtemps après,
Dans ce sacrifice, tout (holos) est brûlé (caustos) et le pour y agencer toutes les pièces de leur vie.
feu ne pourra s'éteindre qu'attisé. Qu'est-ce que je fais ici? Mettons que je travaille
à l'origine de la littérature en la mimant. Entre les
deux. Lisez par exemple Jean Paul, La vie de FibeJ, le
Nous sommes ici en ce point critique de l'anniversaire «Premier tome, contenant les rata dudit Fibel dans
où nous pouvons regarder des deux côtés de la révolution, le ventre de sa mère ».
vers l'orient et vers l'occident. « Ëmerveillez-vous tous, littérateurs de notre
temps!
«II y avait encore trente-neuf volumes ayant trait
Qu'est-ce qui s'engage id? Quel est l'enjeu de cette à la partie de sa vie postérieure à sa naissance [...]
colonne? j'acquis aisément du juif, au prix courant, la permis-
sion d'enlever, d'arracher des ouvrages tout ce
qu'il y avait imprimé, à la condition d'épargner les
Le gage, l'engage, l'enjeu, c'est bien ce dont il s'agit. couvertures. Ainsi, je me mis en état de pouvoir
Qu'est-ce qui se met en jeu dans cet holocauste du jeu garantir, par des serments de juif et par des docu·,
lui-même? ments, certains chapitres de la biographie suivante,
extraits des feuilles arrachées et que je ferai précé-
der de la mention : Chapitre de Judas. Car notre
Ceci peut-être: le don, le sacrifice, la mise en jeu ou anabaptiste judéochrétien s'appelait Judas; il avait
à feu de tout, l'holocauste, sont en puissance d'ontologie. changé son ancien nom juif de Judas qu'avait porté
Ils la portent et débordent mais ne peuvent pas ne pas lui le traître Iscariote contre le nom chrétien de Jude
donner naissance. Sans l'holocauste le mouvement dialec- [c'est le même nom en allemand], apôtre qui figure,
tique et l'histoire de l'être ne pouvaient pas s'ouvrir, s'en- chacun le sait, dans le Nouveau Testament avec la
gager dans l'anneau de leur anniversaire, s'annuler en pro- très courte épître de saint Jude. Cette assonance
duisant la course solaire d'Orient en Occident. Avant, si de noms, cette fraternité de lait, cependant, avait
l'on pouvait compter ici avec le temps, avant toute bien pu contribuer, plus qu'on le pense, à rendre
notre honnête Jude continuellement altéré de l'eau
chose, avant tout étant déterminable, il y a, il y avait,
du baptême. Car sitôt sorti des fonts baptismaux,
il y aura eu l'événement irruptif du don. Evénement qui à peine essuyé, il se perdait de nouveau dans cette
n'a plus aucun rapport avec ce qu'on désigne couramment église commune aux deux Judas, et cherchait à faire
sous ce mot. On ne peut donc plus penser la donation à communauté de biens avec l'Ancien et le Nouveau
partir de l'être, mais (< le contraire », pourrait-on dire Testament en les associant en un et compagnie
si cette inversion logique était ici pertinente au moment [en français, dans le texte]. Aussi ne se lassait-il
où il ne s'agit pas encore de logique mais de l'origine de jamais de se convertir. » Peut-être ce qu'avec vous
la logique. Dans Zeit und Sein, le don du es gibt se donne je fais
à penser avant le Sein dans le es gibt Sein et déplace tout ce
qu'on détermine sous le nom d'Ereignis, mot souvent
traduit par événement. gnon tendu, posé simplement devant lui.
.169
Comment 1'événement d'un anniversaire est-il possi- L'absence de la main était aussi réelle et efficace
ble maintenant? Qu'est-ce qui se donne dans un anni-
versaire? qu'un attribut royal, que la main de justice.
« Celles, que l'une d'entre elles appelle les
Carolines, sur l'emplacement d'une vespasienne
Ceci, peut-être: le procès du don (avant l'échange),
procès qui n'est pas un procès mais un holocauste, un
détruite se rendirent processionnellement. Les révol-
holocauste de l'holocauste, engage l'histoire de l'être mais tés, lors des émeutes de 1933, arrachèrent l'une des
ne lui appartient pas. Le don n'est pas, l'holocauste tasses les plus sales, mais des plus chères. Elle
n'est pas, si du moins il yen a. Mais dès qu'il brûle (l'in-
cendie n'est pas un étant) il doit, se brûlant lui-même, était près du port et de la caserne, et c'est l'urine
brûler son opération de brûler et commencer à être. chaude de milliers de soldats qui en avait corrodé
Cette réflexion, ce reflet de l'holocàuste engage l'histoire, la tôle. Quand sa mort définitive fut constatée,
la dialectique du sens, l'ontologie, le spéculatif. Le spécu-
latif est le reflet (speculum) de l'holocauste de l'holocauste, en châles, en mantilles, en robes de soie, en vestons
l'incendie réfléchi et rafraîchi par la glace du miroir. La cintrés, les Carolines - non toutes mais choisies
dialectique de la religion, l'histoire de la philosophie (etc.), en délégation solennelle - vinrent sur son empla-
se produit comme l'effet-reflet d'un coup de don en holo-
causte. cement déposer une gerbe de roses rouges nouée
Mais si l'embrasement n'est pas encore la philosophie d'un voile de crêpe. [...] Arrivées au port elles
(et le reste), il ne peut pas, néanmoins, ne pas donner tournèrent à droite, vers la caserne, et sur la tôle
lieu à la philosophie, à la spéculation dialectique, à
l'anneau de l'échange, à la course déclinante, à la révo- rouillée et puante de la pissotière abattue sur le
lution circulante. Il y a là un fatum du don, et cette tas de ferrailles mortes elles déposèrent les fleurs.
nécessité se disait dans le « doit >} (mufl) qui nous l'indi- « Je n'étais pas du cortège ... >}
quait plus haut: le Taumeln, le vertige, le délire doit se
déterminer en pour-soi et prendre consistance. Dès lors Ces roses déposées par des travestis au bord
que cette contrainte, cette striction du « doit>} vient d'un trou et sur l'emplacement ves-
presser l'énergie folle d'un don, ce qu'elle provoque est
forcément un contre-don, un échange, dans l'espace de
tigial d'une colonne dans laquelle «Quand j'arrivai
la dette. Jete donne '- don pur, sans échange, sans retour s'anthérigeaient d'autres fleurs- à la Centrale
- mais que je le veuille ou non, le don se garde et dès co1onnes, 1es VOlCl . . transpl '
antees, de Fontevrault,
depuis dix jours,
lors tu dois. Pour que le don se garde, tu dois. Tu dois au recousues au lieu même - il suffit Harcamone était
moins le recevoir, déjà le savoir, le reconnaître. L'échange
a commencé même si le contre-don ne donne que le rece- de retourner la page - où l'antho- aux fers. Il mou-
rait, et cette mort
voir du don. Jete donne sans rien attendre en échange, nyme se travestit. était plus belle que
mais cette renonciation même, dès lors qu'elle apparaît, Après avoir extrait, on cite une sa vie. L'agonie de
forme le ligament le plus puissant et le plus intérieur. Ce certains monu-
lien du pour-soi et de la dette, cette contracture du sens, deuxième fois, on recoud cependant ments est plus si-
c'est déjà la ruse de la raison dialectique à l'œuvre comme et tout cela, une fois le métier de gniflcative encore
le négatif dans l'holocauste. Le don ne peut être qu'un que leur période
sacrifice, tel est l'axiome de li raison spéculative. Même tisserand regardé à l'endroit, se de gloire. Ils ful-
s'il surgit « avant >} la philosophie et la religion, le don a recoupe à peu près, se remet en gurent avant de
s'éteindre. »
pour destination ou détermination, pour Bestimmung, place, le· texte à bander prend le
un retour à soi dans la philosophie, vérité de la religion.
Toujours déjà, il ouvre l'échange, il enchaîne, il construit
temps. Longue paranthèse.
ses monuments, calcule, sur deux registres, les dépenses La fleur est entée. Question de style et de goût.
et les recettes, le doit, le débit, les sorties, les entrées, à «- Tu voudrais que je m'habille en femme?
combien ça s'élève et combien il reste.
Le don, la donation du don, le cadeau pur ne se laisse murmurai-je.
donc pas penser par la dialectique à laquelle pourtant il « Soutenu par son épaule puissante, de la calle
donne lieu. La donation du don s'entend id avant le pour- Carmen à la calle Médiodia eussé-je osé faire la
soi, avant toute subjectivité et toute objectivité. Mais qu!!-nd
quelqu'un donne quelque chose à quelqu'un, on est déjà depuis retape, vêtu d'un jupon pailleté? Sauf les matelots
longtemps dans la dialectique calculatrice et l'idéalisation étrangers personne ne s'en fût étonné, mais ni
spéculative. Je me donne, je me fais cadeau. A qui? Stilitano ni moi n'aurions su choisir la robe ou la
Si l'on peut parler du don dans la langue de la philo-
sophie ou de la philosophie de la religion, on doit dire coiffure car il faut du goût. C'est peut-être ce qui
que l'holocauste, le cadeau pur, le gâteau de miel ou de nous retint. J'avais encore en mémoire les soupirs
feu se retiennent en se donnant, ne font jamais que s'échan- de Pedro, avec qui je me liai, quand il allait s'habil-
ger selon l'anneau. Don pour soi. Le prototype du cadeau,
c'est donc l'anneau, la bague ou le collier, la chaîne. ler.
L'anneau, la chaîne de l'annulaire anniversaire n'est pas « _. Quand je vois les oripeaux accrochés j'ai
un cadeau parmi d'autres, elle livre le cadeau même, un cafard! J'ai l'impression d'entrer dans une
le cadeau même du soi (Selbst) pour soi, le présent pour
soi. Le cadeau nomme ce qui se fait présent. sacristie et de me préparer à dire un enterrement.
Cadeau veut-dire chaîne. Le mot désigne, selon Littré, Ça sent la prêtraille. L'encens. L'urine. Ça pend!
les « traits de plume dont les maîtres d'écriture ornaient Je me demande comment j'arrive à entrer dans ces
leurs exemples >}, ou encore de « grandes lettres placées
en tête des actes ou des chapitres dans les manuscrits espèces de boyaux!
en écriture cursive >}. Ou encore « anciennement, fête que « .- Il m'en faudra des comme ça? Peut-être
l'on donnait principalement à des femmes, partie de même devrais-je les coudre et les tailler avec l'aide
plaisir >}. L'étymologie, toujours selon Littré, renverrait
à « Catellus, petite chaîne, de catena, à cause de la forme de mon homme. Et porter un « nœud)} ou plusieurs
enchaînée des traits de plume. Ménage nous apprend que dans les cheveux.
faire des cadeaux s'est dit pour faire des choses spécieuses, « Avec horreur je me voyais attifé d'énormes
mais inutiles, comparées métaphoriquement à ces traits
de main des maîtres d'écriture. De là on passe sans peine choux non de rubans mais de baudruches obscènes.
à cadeau dans le sens de divertissement, de fête et, finale- « -_. Ce sera un nœud fripé, me disait encore
ment, de présent. >} Je me fais présent. En vue de qui? une moqueuse voix intérieure. Le nœud fripé
L'inutile, le spécieux, le frivole n'échappent pas à la
concaténation contractuelle, y engagent au contraire, y d'un vieillard. Un nœud fripé, ou fripon! Et dans
mettent aussitôt le doit. Se faire cadeau. quels cheveux? Ceux d'une perruque artificielle
Donner veut-dire donner un anneau et donner un ou dans les miens sales et bouclés?
anneau veut-dire garder: garde le présent. (Je) (te) donne
donc (je te) donne un anneau donc (je) (te) garde. Je « Je savais quant à ma toilette que je la porte-
perds donc je gagne. Il faut mettre les pronoms person- rais très sobre, avec modestie, alors que le seul
nels entre parenthèses. Repenser ce mouvement avant la
constitution du Selbst. Le mouvement annulaire re-streint
moyen de m'en tirer eût été
l'économie générale (compte tenu, c'est-à-dire non tenu l'extravag'ance la plus foll~. contraire
le stilite au
«se cou-
de la perte) en économie drculante. Le resserrement, la Toutefois je caressai le rêve d'y pait, il avait le
restriction économique forme l'anneau du même, du coudre une rose d'étoffe. Elle bout des doigts
retour à soi, de la réappropriation. L'économie se restreint finement tail-
elle-même, le sacrifice se sacrifie. La striction ne se laisse bossellerait la robe et serait le ladé ... »
plus cerner comme catégorie ontologique, ni même, tout pendant féminin de la grappe de Stilitano.
simplement, comme catégorie, fût-ce une trans-catégorie,
un transcendantal. La striction - ce qui sert à penser «( (Longtemps apre's que je Peusse retrouvé à Anvers,
l'ontologique ou le transcendantal - est donc aussi en à Stilitano je parlai de la grappe postiche cachée dans
position de tr:ans-catégorie transcendantale, transcendan- son Jroc. Il me raconta alors qu'une putain espagnole,
tal de transcendantal. D'autant plus qu'elle ne peut pas
ne pas produire l'effet « philosophique » qu'elle produit. sous sa robe portait une rose d'étamine, épinglée à la
Il n'y a pas ici à choisir : chaque fois qu'on tient un dis- hauteur équivalente.
cours contre le transcendantal, une matrice - la striction «( - Pour remplacer sa fleur perduc, mc dit-il.)
même .- contraint le discours à mettre le non-transcen-
dantal, le dehors du champ transcendantal, l'exclu, en « [••• ] - Tu auras une toilette, Juan.
position structurante. La matrice en question constitue « J'étais écœuré par ce mot de boucher (je pensais
l'exclu en transcendantal du transcendantal, en simili- que la toilette est encore le tissu graisseux qui
transcendantal, en contre-bande transcendantale. La contre-
bande n'est pas encore la contradiction dialectique. Elle le enveloppe les tripes dans le ventre des animaux).
devient nécessairement, certes, mais son pas-encore n'est [... ] Le pied d'un jeune homme blond s'était pris
pas-encore l'anticipation téléologique, ce . qui fait qu'elle dans les dentelles. J'eus à peine la force de murmu-
ne devient jamais contradiction dialectique. Elle reste
autre chose que ce que, nécessairement, elle est à devenir. rer : « Faites attention. » Le visage du maladroit
Telle serait la loi (non dialectique) de la stricture qui à la fois s'excusait et souriait était si pâle que je
(dialectique), du lien, de la ligature, du garrot, du desmos rougis. A côté de moi quelqu'un me dit douce-
en général quand il vient serrer pour faire être. Serrure
de la dialectique. ment:
On peut suivre, si l'on sait lire en contre-bande « - Excusez-le, senora, il boite.
(terme emprunté ici au code des blasons), l'enchaînement: « On ne boite pas dans mes robes! » hurla en
spiralé du cercle de cercles. Et, logique de l'anniversaire,
l'imposition à l'angle de la courbe. moi la tragédienne enfermée. Mais on riait autour
de nous. « On ne boite pas dans mes toilettes »,
me hurlai-je. S'élaborant en moi, dans l'estomac,
me sembla-t-il, ou dans les intestins, qu'enveloppe
« la toilette », cette phrase se devait traduire par
Où en sommes-nous?
un regard terrible. Furieux et humilié je sortis
sous les rires des hommes et des Carolines. J'allais
jusqu'à la mer et j'y noyai la jupe, le corsage, la
màntille et l'éventail. La ville entière était joyeuse,
A la limite ou à la médiation entre le premier et le ivre de ce carnaval coupé de la terre, seul au milieu
second moment de la religion naturelle, entre la religion de l'Océan. J'étais pauvre et triste.
de la pure essence lumineuse et celle de la plante ou de
l'animal. C'est aussi le passage au pour-soi. Et, dans « (<< Il faut du goût... » Déjà je refusais d'en
l'histoire de la religion, le passage de la certitude sensible avoir. Je me l'interdisais. Naturellement j'en eusse
à la perception. montré beaucoup. Je savais qu'en moi sa culture
Pourquoi, la plante et l'animal, la plante puis l'animal?
Avec le devenir pour-soi, l'opposition s'intériorise. Elle m'eût -_.- non affiné - amolli. Stilitano lui-même
ne s'éparpille plus, elle se retient, se replie, serrée contre s'étonnait que je fusse aussi fruste. Mes doigts
soi, organiquement unifiée dans l'unité stricte de la multi- je les voulais gourds: je m'emp!chai d'apprendre à
plicité. Aucune opposition ne peut se former sans com-
mencer à s'intérioriser. Cette organicité se relie déjà à coudre.) »
elle-même dans la plante, mais la vie s'y représente seule- Entre les deux paranthèses en italiques (l'une
ment par anticipation. La guerre effective, comme oppo- coud, l'autre contre-coud), celui qui supporte
sition intérieure au vivant, ne se déchaîne pas encore. La
plante, en tant que telle, vit en paix: substance, certes, et il en lui une terrible tragédienne qui ne veut pas que
n'y avait pas encore de substantialité dans la lumière, dans ses robes ça boite, le travesti, donc, rend à la
mais substance paisible, sans cette guerre intérieure qui césarienne les toilettes qui lui reviennent après
caractérise l'animalité. Déjà la vie et le soi-même, mais
pas encore la guerre du désir. Vie sans désir - la plante l'étripage violent de l'accouchement. Il les noie
est une sotte de sœur. dans la mer, il les rend à la mer. En hommage et
Hegel ne dit pas la religion des plantes, mais la « reli- en vomissement: « écœuré par ce mot... )} Et il
gion des fleurs », « l'innocence de la religion des fleurs ».
La plante n'est pas la fleur mais elle trouve dans la fleur avait besoin de la mer, que cela se passât près
« son propre soi-même » (ihr eigenes Selbst). L'Encyclopédie d'elle.
propose une immense et minutieuse déduction de la Mais la structure du travestissement est encore
« nature végétale », de la floraison et de la fructification
(devenir de l'anthère, du stilus (Griffel), du stigma (Narbe, plus retorse.
cicatrice), etc.,), réglée, le plus souvent, sur La métamor.,. Il ne va pas de la terre à la mer pour lui rendre
phose des plantes (Goethe). La subjectivité de la plante ses toilettes. Il est déjà dans la mer, investi par elle,
n'est pas encore pour elle-même. Le critère en est
classique: elle ne se donne pas son propre lieu. L' « objecti- comme une île débordée de toute part ou presque.
vation »par laquelle le végétal se rapporte à lui-même reste Presque: le lieu idéal du travestissement est,
« tout à fait formelle », ce n'est pas (<une vraie objectivité». Sa bien entendu, presqu'île. Péninsule.
différenciation reste extérieure, associative, anguleuse,
plus proche des formes géométriques et: de la\ régularité Il devient presque femme sur une langue de
cristalline. Le procès de sa formation, « le procès interne terre seule pénétrant au milieu de l'Océan. Verso
du rapport de la plante à elle-·même » est d'abord un rapport ou autre version d'une lagune.
au dehors, une extériorisation, une extranéation, un
dessaisissement (Entausserung), sa croissance est un dur- La géographie écrit cela entre terre et mer,
cissement, un devenir ligneux, voire pierreux (dans le cas elle vous procure le passage plus ou moins
du tabaschir, par exemple). La plante est arrachée à elle- gratuit de Barcelone à Cadix. Barcelone est au bord
même, vers l'extérieur, par la lumière. Or la fleur libère
un progrès dans le mouvement de réappropriation et de de la mer, Cadix qu'il décide de « gagner )} est
subjectivation. Moment de relève : la lumière ne vient « construit au milieu de l'eau, mais relié au conti-
plus provoquer ou arracher du dehors, elle s'engendre au nent par une jetée très longue ». Barcelone est
contraire spontanément depuis le dedans de la plante.
Ce passage est analogue à celui qui relève la résonance tournée vers l'est, sur la Méditerranée, Cadix vers
externe du bruit dans la voix. Instance du Klang. La le soleil couchant, dans l'Océan.
couleur de la fleur manifeste cette auto-détermination Il avait suffi d'un note pour justifier la nécessité
phénoménale de la plante. « Mais la plante engendre
(gebiert) aussi la lumière à partir d'elle-même comme son de travestir: « En relisant ce texte, je m'aperçois
propre soi-même, dans la fleur, en laquelle la couleur neutre, avoir placé à Barcelone une scène de ma vie qui se
le vert, est dès l'abord déterminée en une couleur spéci.
situe à Cadix. C'est la phrase « seul au milieu de
fique. »
Toute une théorie des couleurs (ici encore référée l'Océan », qui me le rappelle. En l'écrivant je
à Gœthe et passionnément anti-newtonienne) s'implique commis donc l'erreur de la placer à Barcelone,
ici. Et la production spontanée de la lumière chromatique,
l'intériorisation du procès, le rapport à soi, la subjectivité
mais dans la description devait se glisser un détail
anthopoétique de la plante, tout cela se décrit aussi comme qui me permet de la replacer dans son lieu véri-
la dialectique d'une Hemmung, d'une stricture inhibitrice. table. »
L'introjection du soleil, la digestion sublime de l'essence'
lumineuse finira dans « le cœur de l'occidental » : elle Le fait de la langue qui glisse ici son détail,
commence dans la fleur. c'est« coupé de la terre, seul au milieu de l'Océan ».
La religion des fleurs est innocente dans la mesure Mais il avait aussi besoin, sous le nom de Cadix,
où la guerre intérieure à l'animalité ne s'y déchaîne pas
d'une « jetée très longue ».
encore. Le rapport à soi ne déclenche pas encore la
guerre parce qu'il ne fait que se représenter dans la fleur.
La religion des fleurs (comme la fleur) mime et anticipe Cette mascarade (quelque part il définit de ce
le vrai soi-même, elle se contient dans cette « représenta···
tion du soi-même sans soi-même » (selbstlose Vorstèllung mot la féminité), carnaval entre les deux paran-
des Selbsts). La fleur joue le « même », elle n'a pas la thèses contre-pointées, elle regarde donc à la fois
puissance ou elle à. seulement la puissance d'y accéder.
Mais comme elle a déjà commencé à subjectiver l'essence
vers l'Est et vers l'Ouest, terre et mer, le lever et
lumineuse et la plante, elle ne tombe plus simplement le coucher du soleil. Tout le monde bande et
dans l'extériorité dissociative. Elle n'est ni un objet: ni s'incorpore dans le travesti, les opposés en tout
un sujet, ni un non-moi, ni un moi, ni une pure altérité
sans rapport à soi ni un « Selbst ». Innocente, certes, donc
genre, le soleil et les poissons d'un côté, la mer et
non coupable mais on ne déclare son innocence (ce qu'on la nuit de l'autre. « A l'extrême terre occidentale
ne ferait pas du soleil ou de la plante) que dans la mesure j'avais soudain la synthèse de l'Orient. »Les signes
où elle est susceptible de culpabilité, coupable de pouvoir
devenir coupable. Entre tous ces opposés, l'essence de la
de l'Arabie en Espagne, cele ne peut pas se passer
fleur apparaît en sa disparition, elle vacille comme toutes ailleurs. Les poissons sont « péchés la nuit ». « Le
les médiations représentatives mais s'exclut aussi de la soleil se levait quand mes poissons étaient cuits.
structure oppositionnelle. Elle donne l'exemple de toute
représentation possible mais le système circulaire de l'entre- [...1C'est dans les ténèbres, sur les quais d'accos-
représentation permet de faire de la fleur le trope de tout tage, que j'avais ramassé les poissons. C'est encore
milieu représentatif ou de dire que toute représentation dans les ténèbres que j'avais regagné mes rochers.
est anthomorphe. La fleur se coupe d'elle-même et
s'abîme à la fois. L'arrivée du soleil me terrassait. Je lui rendais un
Adorer les fleurs, s'agenouiller devant: elles, cela ne culte. Une sorte d'intimité malicieuse s'établissait
se peut que sur le seuil de la culpabilité. Le culte des ani- entre lui et moi. Je l'honorais certes sans rituel
maux -le totémisme auquel se réfère la Phénoménologie -
surgit au contr'aire dans la guerre, la culpabilité, la lutte à
compliqué, je n'eusse pas eu l'idée de singer les
mort. Se rapportant enfin à elle·-même, la vie animale se primitifs mais je sais que cet astre devint mon dieu.
détruit pour s'élever à la vie spirituelle, elle se divise, C'est dans mon corps qu'il se levait, qu'il conti-
s'oppose à elle-même pour s'ériger en esprit. L'histoire, la
politique commencent, dans la haine, la guerre, le meurtre,
nuait sa courbe et l'achevait. Si je le voyais au
la culpabilité, le châtiment. On est sorti de la paisible nomen- ciel des astronomes eest qu'il y était la projection
clature, de la religion taxinomique tout occupée à classi- hardie de celui que je conservais en moi. Peut-être
fier les variétés botaniques. C'est aussi le passage du pan-
théisme au polythéisme, voire au monothéisme. « Çe
même le confondais-je obscurément avec Stili-
panthéisme qui consiste d'abord dans la subsistance pai- tano disparu. »
sible de ces atomes spirituels (das ruhige Bestehen dieser Le manchot tra- au bout de Stilitano, il y a l'ongle.
Geisteratome) devient mouvement d' hostilité à l'intérieur Tout cela s'écrit avec des ongles.
de soi-même (feindseligen Bewegung in sich selbst). » Ce verse donc s<;>n corps « Stilitano se coupait, il avait le bout
mouvement suppose un refoulement de la structure anté- comme une colonne des doigts finement tailladé, son ongle
rieure : une répression interne, l'effet d'une forcé qui était écrasé et noir, mais cela ajou-
solaire, il s'y lève et tait à sa beauté. (Les pourpres du
n'est plus naturelle, instinctuelle, et qui met l'esprit en
rapport avec l'universalité de la loi, d'où l'origine dè la s'y couche. L'incor- couchant, disent les physiciens, sont
le fait d'une plus grande épaisseur
culpabilité. « L'.innocence de la religion des fleurs, qui est poration de tous les d'air que seules traversent les ondes
seulement représentation sans soi-même du soi-même sexes à la fois - on courtes. Quand rien ne se passe au
(selbstlose Vorstellung des Selbsts) passe dans le sérieux de
la vie engagée dans la lutte, dans la culpabilité de la religion table encore sur un ciel vers midi, une telle apparence
nous troublerait moins, la merveille
des animaux; la tranquillité et: l'impuissance de l'indivi- banquet ou une cène, c'est qu'elle se produise le soir, au
dualité contemplative passe dans l'être-pour-soi destruc- les poissons sont moment du jour le plus pathétique
teur. - Il ne sert à rien d'avoir enlevé aux choses de la quand le soleil se couche, quand
perception la mort de l'abstraction et de les avoir élevées à mangés « presque il disparaît afin de poursuivre un
l'essence de la perception spirituelle; l'animation (Besee-· toujours sans pain ni mystérieux destin, quand il meurt
lung) de ce règne des esprits a en elle cette mort par la peut-être. Pour donner au ciel tant
sel » - suppose la de fastes, un certain phénomène de
déterminité et la négativité qui envahissent son indiffé-
rence innocente. Avec la dételminité et la négativité, la coupure et le supplé- physique n'est possible qu'à l'instant
le plus exaltant pour l'imagination: le
dispersion dans la variété des figures paisibles de plantes ment à l'intérieur de coucher du plus brillant des astres.) »
devient un mouvement d'hostilité dans lequel la haine la double bande. Mais Dans Le miracle de la rose, quand Har-
de leur être-pour·-soi les consume. - La conscience de soi
effective de cet esprit dispersé est une multitude d'esprits dès qu'en raison de camone paraît, les visages se tournent
vers lui, «comme les tournesols vers
de peuplades isolées et insociables qui, dans leur haine, se la coupture supplé-· le soleil ». Vertu apotropaJque de
combattent: à mOlt et prennent conscience d'espèces mentaire (la fleur en- l'héliotrope: c'est aussi une pierre
animales déterminées comme de leurs essences et en effet précieuse à laquelle on attribuait la
ils ne sont rien d'autre que des esprits d'animaux, qu'une tée), il y a deux ban~ singulière propriété de rendre invi-
vie animale se séparant d'une autre et consciente de soi des, s'agit un double sibles ceux qui la portaient. Par exem-
sans universalité. » Dans la forme et le nom de l'animal ple aux serpents de l'Enfer. « Tra
sexe indécidable qui questa cruda e tristissima copia /
totémique, l'esprit s'appelle, se réapproprie mais reste
encore étranger à lui-même, ne revient pas à lui-même, gaine père et mère Correvan genti nude et spaventate, /
Senza sperar pertugio 0 elitropia. »
auprès de lui-même. TI est représenté par une espèce tout à la fois.
déterminée, particulière, finie dans laquelle son (nom)
Cette opération économique (économie de la
propre s'exile. Classification supplémentaire.
Une analogie structurale après l'autre : après le mort indécidable) affecte le linguistique, le verbal,
passage de la certitude sensible à la perception, la dialec- le sémiotique, le rhétorique ou le dialectique, elle
tique du maître et de l'esclave. Elle se développe dans le n'en dépend pas.
troisième moment de la religion naturelle, celui de l'arti-
san (Werkmeister). Comme tout moment, celui-ci (s') an- Elle l'affecte comme affectent un affect ou un
nonce. Annoncé et annonçant, il se représente dans le travesti, elle les met en branle, les gagne, les touche,
moment antérieur, devient le représentant du moment les joue, les perd, les supporte, mais n'y a ni son
ultérieur et supérieur : cercle et spirale. Mais dans le
moment de l'artisanat, on assiste aussi au retour du retour, lieu ni son efficace, ni sa force ni son reste.
à la naissance déterminée de la forme ronde, de la courbe, « ••• avec Stilitano disparu.
de cette ligne particulière qui figure pourtant la totalité
du procès. Cela advient à la colonne phallique, selon « Je vous indique, de la sorte, ce que pouvait
l'exemple même de Hegel. être ma forme de sensibilité. La nature m'inquié-
L'anneau, la bague, le collier, la chaîne du cadeau, tait. Mon amour pour Stilitano, le fracas de son
le cercle anniversaire du spéculatif tourne donc toujours
irruption dans ma misère, je ne sais quoi, me
autour d'une colonne phallique, que celle-ci s'échange
avec un doigt ou une cheville, une taille ou un cou. Tout livrèrent aux éléments. Afin de les apprivoiser
ce qui se retrouve enroulé autour d'un cylindre, c'est le je les voulus contenir. Je refusai de leur dénier
mot, se sera mis à la taille du phallus.
toute cruauté, au contraire, je les félicitai d'en
Simultanément, dans le moment du Werkmeister èt
selon une nécessité interne, la signification commence à se posséder tant, je les flattai.
remplir de voix. Commence seulement : dans cette forme
merveilleuse, la résonance (Klang) que produit la simple
incidence de la lumière sur la pierre, la musique des
Memnons, à l'aube. « Une telle opération ne se pouvant réussir
par la dialectique, j'eus recours à la magie, c'est-
à-dire à une sorte de prédisposition voulue, une
Reprenons. Dans la guerre totémique, le pour-soi intuitive complicité avec la nature. Le langage ne
est « relevé », détruit et conservé. Il évite la mort pure et m'eût été d'aucun secours. C'est alors que me
simple en se retenant dans un objet qui survit à l'acte de
sa production, à la consumation du soi producteur. devinrent maternelles les choses et les circons-
L'esprit se manifeste alors comme artisan. L'artiste s'y tances où, cependant, aiguillon d'une abeille, veillait
annonce et représente seulement, comme la religion esthé- la pointe de l'orgueil. (Maternelles: c'est-à-dire dont
tique dans la religion naturelle de l'artisan. L'esprit
s'apparaît comme artisan et son opération (Tun) lui fait l'élément essentiel est cette fois, par contre, mais c'est
perdre encore connaissance. Il se produit comme objet, la féminité. En écri- pour que vous n'ayez aucun point
ne se reprend pas, ne se reconnaît pas tout à fait. Cet
objet, on ne le compare pas encore au gâteau de miel
vant cela je ne veux fixe où vous reposer, la féminité est
l'élément essentiel de la maternité.
màis à la pyramis dont l'exemple ne tarde pas. Dès les faire aucune allusion Mais il s'agit seulement d'une prédi-
premières lignes, l'opération est néanmoins rappro- à quelque référence cation. Et le jeu de la copule est subtil.
chée, selon une figure qui sera devenue traditionnelle, du Comme celui du couple en général.
travail instinctif des abeilles qui construisent leurs alvéoles
mazdéenne : j'indi- Au fait, s'agissant d'une telle paire,
(ein instinktartiges Arbeiten, wie die Bienen ihre Zeflen bauen). que seulement que pourquoi dit-on un couple? « Au
sommet d'une montée un couple (ou
La pyramide s'érige aussitôt. On y remarque cependant ma sensibilité exigeait une couple?) de colons, qui se détache
un manque - et donc une représentation de ce qui
n'apparaîtra qu'un peu plus tard, la courbe, la rondeur,
de voir autour de soi dans le ciel; une cuisse qui gonfle un
pantalon de treillis, les durs et leur
la curviligne qui ne peuvent être produites que par l'esprit une disposition fémi- braguette entrouverte d'où s'échap-
vivant. Froid, formel et mortifère, l'entendement procède nine. Elle le pouvait pent par bouffées qui vous soulèvent
géométriquement, coupe et arrête des formes anguleuses. le cq:lur le parfum des roses thé et des
La religion artisanale est l'histoire d'un angle arrondi, le
puisqu'elle avait su glycines s'oubliant vers le soir. »
passage de la pyramide à la colonne, du mathématique s'emparer des qua- Répétition - argument contraignant,
ou du calcul à la grâce incommensurable de l'esprit. Et ce lités viriles : dureté, au plaisir .- de la gaine, trois lignes
plus bas, « Harcamone enfant, em-
passage est un remplissement. La forme ronde et curviligne
est plus pleine-d'esprit. « La première forme, étant la
crua u té, indiffé- mailloté dans une gêne princière; le
forme immédiate, est la forme abstraite de l'entendement rence.) » Il est alors clairon ouvrant dans son sommeil ... ».
Depuis, Harcamone, qui «ne pouvait
et l'œuvre OTf"erk) n'est pas encore en elle-même comblée demandé au lecteur avoir de calendrier », élève son
(etjüllt) par l'esprit. Les cristaux des pyramides et des
obélisques, les combinaisons simples de lignes droites
de n'être pas « dupe » « destin comme on élève une tour »,
« unique, solitaire ». Faut-il parler
avec des surfaces planes et des rapports égaux de parties, des mots, ceUX'-Cl d'un plaisir qui naîtrait de la stricture
dans les quelle l'incommensurabilité de la courbe est échouant à garder ou des gaines de toute sorte? Quel-
éliminée (an denen die Inkommensurabilitlit des Runden ques pages plus haut : « Le mot
vertilgt ist), tels sont les travaux de cet artisan de la stricte jusqu'au reflet des plaisir ne colle pas. »
forme (der strengen Formen). En raison de la seule intellec- états « défunts ». Le
tualité (Verstandigkeit) abstraite de la forme, cette forme défunt est une « matière-prétexte », ce n'est ni
n'a pas sa signification (Bedeutung) en elle-même, .n'est
pas le soi-même spirituel. Les œuvres reçoivent donc l'objet ni la vérité du journal. Et il faut distinguer
seulement l'esprit, ou bien en elles-mêmes comme un entre ce que j'en « dis » et 1'« interprétation » par
esprit étranger décédé qui a abandonné son interpénétra- laquelle je travaille le défunt et fais le mort.
tion (Durchdringung) vivante avec l'effectivité et, étant lui-
même mort, entre dans ces cristaux privés de vie - ou Cela se passe donc entre la coupture et la
bien les œuvres se rapportent à l'esprit de manière exté- contra-coupture. Toujours à la limite, bien sûr,
rieure, comme à un esprit qui est là extédeurement et du bon goût qu' « il faut » quand on chuchote
non comme esprit, - comme à la lumière naissante qui
projette sur elles sa signification (ais au] das aujgehende à l'oreille des pucelles ou qu'on travaille en biblio-
Licht, das seine Bedeutung au] sie wirft). » thèque.
Il faut sans cesse se reporter à la philosophie de la Mais pourquoi veut-il aussi s'empêcher
nature qui dicte cette interprétation de la religion natu-
relle. Et, dans la philosophie de la nature, aux rapports d'apprendre à coudre, alors qu'il le fait si bien?
de l'espace et du temps, de la lumière et du son en leur C'est ici que l'argument de la gaine se contre-
immense et minutieuse déduction. Par exemple au cours dit nécessairement - dans sa logique domestique,
de la répétition de la « naissance du son » si « difficile à
saisir » (Die Geburt aes Klanges ist schwer zujassen) , l'acte déjà - d'un parergon qui n'est jamais, comme
par lequel vibrent les cordes, les tuyaux, les barres, est on sait, interne ou externe. D'où l'intérêt et la
décrit comme un « passage alternatif de la ligne droite difficulté du texte. Toujours une lettre en plus
à la ligne courbe ». Dans le procès d'idéalisation subjec-
tivante que scandent le tremblement (Erzittern) et la et en moins.
vibration (Schwingen) , la différence entre la nature et La rose d'étamine« remplace »- c'est le mot-
l'esprit correspond à la différence entre ce qui ne résonne la fleur perdue. L'étamine remplace la rose naturelle
pas à partir de soi, les corps (Die Korper klingen noch nicht
aus sich selbst), et ce qui résonne de soi-même. C'est qui remplace la virginité. Les détachements sans
l'histoire du Klang qui se réapproprie jusqu'à retentir de chaînes, les suppléments de coupture se relaient
lui-même. « Le Klang proprement dit (eigentliche) » est indéfiniment et mélangent - telle est la faute de
en effet la pure résonance (Nachhallen), « cette vibration
intérieure du corps sans contrainte qui se détermine libre- goût qui concerne toujours le sexe où qu'on le
ment par la nature de sa cohérence. » :Le flux qui s'écoule mette - tous les genres.
purement: et simplement ne résonne pas (Das blojJ.Flüssige Ainsi l'étamine. L'étamine - la rose de la
ist nicht klingend). L'impression s'y communique librement
au tout mais cette communication tient à l'absence totale putain, hommage d'une verge à Marie et tabou
de forme, au manque ( Mangel) total de détermination de l'hymen rendu au pétale- ne nomme pas
interne. L'air et l'eau ne .résonnent pas spontané- seulement l'étoffe légère dont se voilent parfois
ment, même si on leur reconnaît la capacité de communi-
quer le Klang. En revanche, le Klang présuppose l'identité les religieuses ou à travers laquelle on filtre les
de la détermination, il est en lui-même une forme. « Comme précieuses liqueurs. C'est aussi l'organe sexuel
la continuité massIve et l'égalité de la matièreappartien- mâle des végétaux : selon la navette .- c'est
nent au Klang pur, les métaux (les métaux nobles en
particulier) et le verre (Glas) ont la clarté de ce Klang le mot . _. qui court entre le code du textile et celui
(diesen klaren Klang) en eux-mêmes, ce qui est produit par du botanique. Disposées autour du style et de son
la fusion. » Si en revanche une cloche (Glocke) est fêlée
ou rayée (einen Riss bekommen hat) , on n'entend plus seule-
stigmate, les étamines formènt en général un
ment le balancement pur du Klang, mais le bruit (Gerauscb) filet, ou des filaments (stamina). Au-dessus du
de la matière qui fait obstacle, qui grince, qui casse, qui filet, un connectif avec quatre sacs polliniques
nuit à l'égalité de la forme. Les pierres plates, les dalles.
( Steinplatten) produisent aussi un Klang bien qu'elles soient (microsporanges) qui » élaborent et dispersent
dures, insensibles, froides, cassantes (sprOde). les grains de pollen » : l'anthère. Elle peut être
Dans le ({ chant des hommes » l'excitation extérieure introrse, extrorse ou latérale selon l'orientation des
et le timbre vocal sont ({ homogènes ». C'est dans la voix
seulement que ({ la subjectivité ou l'indépendance de la sacs polliniques. Cela dans les fleurs bisexuées, où
forme est présente ». Le violon ne résonne pas (tont nicht les étamines consti-
nach) comme la voix, il sonne seulement (sie tont nur) tuent l'androcée alors contiguë à une colonne de fumée
(effluve textuel) voici une autre rose
aussi longtemps que les cordes tendues sont frottées.
Le procès du Klang assure donc le passage du bruit
que les carpelles, d'étamine: « La voici donc [Divine],
décidée à regagner, élevée par une
à la voix. La description de l'EncycloPédie reprend, dans (ovaire, ovules et colonne de fumée, son grenier sur
ses traits généraux, celle de la Philosophie de la Nature style) forment le la porte duquel est clouée une énorme
d'Iéna. Le Klang y était déjà reconnu comme cette réper-
cussion singulière de l'intériorité dans l'extériorité. La gynécée. Lequel est rose d'étamine décolorée. » (Notre-
Dame-des-Fleurs ..)
sonorité en général (Der Ton), dans la continuité des parfois enrobé dans On appelle étamine abortive celle qui
corps terrestres, a deux et seulement deux formes : le le réceptable (fleur est privée d'anthère. Fleur abortive:
bruit (Gerausch) et la résonnance (Klang). Le bruit « celle qui tombe sans laisser aucune
exprime seulement la continuité immédiate, extérieure, épigyne). trace de fécondation. »
contrainte, de la friction (Reibung). Le Klang, au contraire, La fleur est hypo-
sa continuité intérieure, par privilège dans le cas du métal gine quand l'ovaire domine le reste de la fleur. Quel-
et du verre (Glas). Mais malgré cette différence (extérieur /
intérieur), tous les deux, bruit et Klang, ne sont déclen- quefois, les étamines se collent par leurs filets
chés que par une percussion venue du dehors ( nur· au- en une ou plusieurs « fraternités », ou se font
j3erlich angeschlagen). C'est ce qui les distingue du sens (Sinn) , encore concrescentes avec les pétales (qui se pro-
par exemple de l'ouïe; ce qui les distingue aussi de la voix,
et surtout du couple d'intériorité répercutante que for- longent parfois en éperons et portent des glandes
ment la voix et l'ouïe. La voix est l'ouïe active (das tatige nectarifères) ou avec le gynécée : c'est le cas
Gehor), l'ouïe est la voix réceptive, concevante, comme des orchidées.
on dit d'une femme (die empjangene Stimme). A travers
ce couple, la sensibilité de l'individu se reprend en elle-
Dans le cas des le pollen des orchidacées est dit
« agglutiné », celui des rosacées
même, se rassemble, revient vers elle, se contracte, passe fleurs unixesuées les « collant » : il se prend au corps des
contrat avec elle-même (sich in sich zurücknimmt) et se pièces fertiles sont animaux attirés par le pollen ou par
constitue en universel. le nectar sécrété dans certaines glan-
C'est en ce lieu de la philosophie de la nature que, semblables. La ten- des. Par exemple l'Orchis porte-
dans l'Encyclopédie, la chaleur (élément dela fermentation puis dance générale est à abeille attire par sa forme, sa couleur
de la ferveur) se déduit et se déduit, si étrange que cela et sa texture velue, des bourdons qui,
l'unisexualité des sys- croyant féconder ces fausses abeilles,
paraisse, du Klang. Pour la représentation courante le son
et la chaleur n'ont rien à voir ensemble et ({ il peut paraître tèmes floraux. Elle assurent la reproduction des orchi-
frappant » (es kann jrappant scheinen) de les rapprocher. va de pair avec la sé- dées en passant d'une avette à l'autre
ou plutôt de la forme d'une avette à
Le Klang est l'alternance (Wechsel) de l'extériorité réci-
proque des parties de la matière, de leur Aussereinander,
lection dite naturelle l'autre
et de sa négation, de son être-nié. Cette négation, comme rendant possible ou indispensable l'allogamie: les
toujours, produit l'idéalité mais une idéalité abstraite. produits sexuels sont transportés d'un individu à
L'alternance est immédiatement la négation de l'extériorité
spécifique et donc l'identité réelle de la cohésion et du un autre, les génotypes se mélangent ou se rema-
poids spécifique, - ce que Hegel appelle la chaleur. nient, le pollen, protégé des intempéries par une
« L'échauffement des corps sonnants (klingendcn Kiirper) gaine imperméable, se laisse disperser par le vent ou
comme celui des corps frappés (geschlagencn) et aussi des
corps frottés les uns contre les autres, est le phénomène par des organismes animaux.
de la chaleur naissant avec le son selon le concept. »
Il y a là encore un procès d'Aujhebung de la matérialité. Pas plus que pour la fleur, il n'y a donc de
La mise en branle du corps (Erschütterung) n'est pas
seulement « relève de la matière présente sur un mode définition morphologique ou sémantique univoque
idéel », c'est une « relève réelle » à travers la chaleur. La de l'étamine. Seulement, comme le reconnaît la
chaleur est la relève de la rigidité du corps (Aujhebcn science anthologique moderne, une définition fonc-
seiner Rigiditéit). « Le son et la chaleur sont ainsi immédiate-
ment apparentés; la chaleur est l'accomplissement (Vol- tionnelle ou syntaxique.
lcndung) du Klang [... ] Quand par exemple une cloche L'étamine s'écarte d'elle-même, crève sa gaine,
(Glocke) est frappée (geschlagcn) , elle devient brûlante; au risque de disséminer le pollen. Ce risque
et cette chaleur brûlante n'est pas extérieure [... ] Ce n'est
pas seulement le musicien qui s'échauffe mais aussi l'ins- toujours ouvert n'affecte pas seulement l'androcée,
trument. » mais le gynécée. Il faut tirer argument ,de ce que
la graine peut toujours crever ou rester en dor-
mance.
C'est au sujet de la graine, ovule fécondé,
qu'on croit parler proprement: de dissémination
(chez les angiospermes ou chez les gymnospermes).
Les graines sont parfois projetées en tous sens par
De la forme géométrique morte - rectiligne et l'éclatement du fruit. Plus souvent, elles lui échap-
plane -, l'artisanat s'élève à la « rondeur animée ». C'est
d'abord un mixte, la médiation d'un « mélange» (Vermis- pent: par des fentes ou des trous ouverts dans sa
chung) qui annonce la « libre architecture» de la religion paroi, le vent ou les animaux les dispersent.
esthétique. La germination n'est alors immédiate que si la
Qu'est-ce qui caractérise cette anticipation de l'esprit
artiste? La limite hiéroglyphique d'un langage insuffisam- lumière et: l'humidité le permettent. Autrement,
ment rempli de signification. c'est la dormance des graines mûres durant des
Cette limite tient aussi à une spatialisation du langage. semaines ou des mois dans un milieu extérieur.
Elle se marquait déjà dans le fait que le son reste extérieur,
pr:oduit par la lumière, au moment où le rayon de soleil Les dormances peuvent être vraies ou fausses.
vient frapper la pierre. Il tombe sur un monument, certes, Vraies si la graine fraîchement séparée de la
sur une pierre modelée par l'esprit, mais qui reste de plante mère n'est pas accomplie ou si elle est
pierre : blanche en Egypte, noire à la Mecqu:e. La limite
du langage se détermine depuis un certain vide de la empêchée par des substances inhibitrices qui se
signification. Un reste sensible empêche le moteur à trois résorbent peu à peu. Fausses si l'inhibition tient à
temps de tourner rond. Mais il ne fait que promettre un l'épaisseur de la gaine tégumenteuse et interdit
nouvel anniversaire.
Ce à quoi l'artisan donne une « forme plus 3:nimée », la pénétration de l'air et de l'eau. Quand elle ne

2.79
c'est: une habitation (Behausung). Son art reste encore dort pas, la graine se gonfle et se nourrit en digérant
utilitaire, il anticipe et représente seulement l'art de l'artiste.
Il est néanmoins passé d'une naturalité inanimée à un le prothalle (chez les gymnospermes) ou l'albumen
commencement de vie et à une préfiguration du soi-même (chez les angiospermes à graines exalbuminées).
(Selbst). L'embryon des graines albuminées contient en
Comment y est-il parvenu? En faisant végéter la
matière, en la portant à une sorte d'arborescence et lui-même la totalité des réserves qu'il consomme.
d'efflorescence. La vie des plantes ne forme plus l'objet
d'un culte. La fleur devient utilisable : comme ornement.
L'Esthétique décrit longuement les figures organiques
les plus proches de la nature au moment où elles viennent
de quitter cette nature, quand la plante et l'arbre s'élancent Vagir enfin.
dans les structures de pierre. Droit vers le ciel, comme
une « tige », à la fois souple et rigide (ein Stamm, ein schwan-
ker Stengel), une liane légère et puissante, érection soutenue
d'un tronc. « Le tronc de l'arbre supporte déjà, comme tel,
sa propre couronne, le chaume son épi, la tige sa fleur. »
Les colonnes dérivent des formes de plantes (Pflanzenbil- Bons ou mauvais, les vagissements du voleur
dungen) les plus variées, des lotus, par exemple, ou des (non de l'auteur, ni du narrateur - le sujet n'est
bulbes d'oignon. « Sur cette base la tige souple s'élance
alors vers le ciel » ou grimpe en s'entortillant (verschtun- pas là, ni la question - disons du sfeinctor)
gen) comme une colonne torse et « le chapiteau est aussi tentent incessamment de rengainer, d'emparapher
un entrelacement floral de feuilles et de branches (blumen- la semence, d'ensigner la dissémination, de transir
artiges Auseinandergehen von BUttem und· Zweigen) ». Mais
l'imitation de la nature végétale n'est pas « servile », les le sperme de signature, de réapproprier la généa-
formes de plantes sont soumises à une stylisation architec- logie, de reconstituer le monument doré de son
tonique (cercle, ligne droite, régularité des figures) : propre (séminaire), de digérer, d'écluser sans reste
c'est le moment de l'arabesque, racine de l' « architecture
libre ». son propre et blanc seing, d'être le fils, non la
Puis la plante s'animalise. L'artisan recourt à la fille, remarquez-bien, de soi-même.
« forme animale » (Tiergestalt). Les formes végétales
tordues, déformées ressemblent à des corps d'animaux.
A travers cette rigidité qu'on a reproché à l'arabesque,
le pour-soi se constitue.
Reconnaissant son œuvre, l'artisan relève cette forme
animale. Celle-ci est bien « aufgehobene » au moment où Il y faut un bourreau et un berceau (appelons
elle devient la1?-gage : d'abord sous la forme de ce qu'il y cela gamelle,
a de plus primitif et subordonné, asservi dans le langage,
à savoir une écriture non phonétique : « la figure animale
devient une figure relevée et le hiéroglyphe d'une autre s'avoir comme on s'appelle.
Gamelle : son prénom résonne toujours à proxi-
signification (Bedeutung), d'une pensée (Gedankens) ». La
mité. Son prénom. Lequel?
forme animale se fait signe ou écriture muette au moment De qui? De l'auteur? du narrateur/du narrataire?
où le visage humain apparaît dans la demeure, œuvre de du héros? du colosse? Et de quel texte? « Il apporte
l'artisan. La spécificité de ce moment s'indique dans les avec lui ses couvertures, sa gamelle, son quart,
représentations égyptiennes par le mélange hiéroglyphique sa cuiller de bois et son histoire. Dès les premiers
des figures animales et des figures humaines. mots,je l'arrête. Il continue de parler, mais je ne
Le hiéroglyphe s'est arraché à la peinture, il ne suis plus là.

2.80
montre pas une chose. En exprimant une pensée il annonce «- Comment tu t'appelles?
le langage mais son écriture muette n'y accède pas encore. « - Jeq.n.
Lui manque un soi-même qui se tienne là comme tel, «C'est assez. Comme moi et comme cet enfant mort
pour qui j'écris, il s'appelle Jean. Qu'importerait
portant au··dehors ce qu'il est au-dedans, exprimant une
d'ailleurs, s'il était moins beau, mais je joue de
« signification intérieure ». « Il lui manque le langage »,
malheur. Jean là-bas. Jean ici. Quand je disà quel-
la langue, la parole (Sprache). . qu'un que je l'aime, je doute que ce ne soit à moi.
Qu'est-ce que la SPrache (langue ou langage)? C'est Je ne suis plus là, parce qu'à nouveau je in'efforce
une extériorisation qui présente; elle donne le là, le de revivre ces quelques fois alors qu'il m'accorda
Da-sein, à la signification intérieure; mais pour s'avancer de le caresser. J'osais tout, et pour l'apprivoiser, je
ainsi dans la présence elle doit d'abord se laisser remplir; consentais qu'il eOt sur moi la supériorité du
combler, accomplir, gonfler, galber, arrondir par le sens qui mâle; son membre était solide comme celui d'un
la pénètre. C'est l' « élément (Element) dans lequel le sens homme et son visage d'adolescent était la douceur
remplissant lui-même (der erfü/lende Sinn selbst) est présent même, si bien qu'étendu sur mon lit, dans ma cham-
(vorhanden ist). » bre, droit, sans mouvement, quand il me déchar-
geait dans la bouche, il ne perdait rien d'une virgi-
Cet élément s'appelle la voix: spontanée production
nale chasteté. C'est un autre Jean , ici, qui me raconte
au-dehors d'un sens intérieur qui remplit dès lors de son histoire. Je ne suis plus seul, mais de ce fait
présence la forme de son émission. La spontanéité, la je suis plus seul que jamais. Je veux dire que la
production de soi par soi donne la voix. Le son, lui, solitude de la prison me donnait cette liberté
résonne depuis le coup donné de l'extérieur, il ne s'émet d'être avec les cent Jean Genet entrevus au vol
pas. Le son annonce et représente la voix mais la retient chez cent passants, car je suis bien pareil à Mignon,
aussi, trop à l'extérieur ou trop à l'intérieur. qui volait aussi les Mignon qu'un geste irréfléchi
Ce moment de mi-voix sculpte son paradigme en la laissait s'échapper de tous les inconnus qu'il avait
statue de Memnon, fils de l'aurore adoré par les Ethiopiens frôlés; mais le nouveau Jean fait rentrer en moi-
et par les Egyptiens. La « colossale statue en résonance » même ._. comme un éventail, qui se replie, les
dessins de la gaze .- fait rentrer je ne sais quoi. »
(kolossale Klangstatue) retentissait sous les premiers rayons
(Notre-Dame··des-Fleurs.)
de soleil. Le coup de lumière sur le bloc provoque une
espèce de voix, extrait, évoque une voix qui n'en est pas
encore une, même lorsque Memnon (tonend und stimm-
gebend) remercie « de sa voix » les fidèles qui viennent lui
offrir des sacrifices. Même si l' œuvre n'a plus figure
animale, le visage humain qui s'y présente est tonlose,
bruyant mais muet: « C'est: pourquoi l'œuvre [de l'artisan],
même si elle est tout à fait purifiée de l'animalité et ne
porte plus en elle que la figure de la conscience de soi,
est la figure encore muette qui a besoin du rayon du
soleil levant pour avoir un son, qui, engendré par la
lumière, est encore seulement résonance (Klang) et non
langage (Sprache), montre seulement un soi-même exté-
rieur, non le soi-même intérieur. »
Le Klang du bloc pierreux n'est pas encore la voix
qu'il est dijà : ni dans ni hors le langage, une médiation Il Y a toujours un autre Jean, éponyme et surnom,
ou un tiers exclu. Le déchiffrement du Memnon suit, dans nomothète ou épithète du « premier », l'un dou-
l'Esthétique, la lecture des colonnes phalliques. L'Orient, blant l'autre (toute la parentèle).
l'Egypte, la Grèce vouaient un culte à la vitalité générale
(allgemeine Lebenskraft) de la nature. Il s'adressait à la Qu'est-ce qu'enfin l'épithète
représentation des « organes de reproduction » animale
qui étaient mis en scène et considérés comme sacrés. avec un reste de brouet), l'ange pour
2.81
C'est surtout le cas du phallus ou du lingam (représen- bander le fils (gamelle ou gargamelle encore ça
tation hiératique du phallus chez les Indiens; le mot s'annonce), du· talc, sinon de la vaseline au bout
désigne la marque et le genre -la classe - et le phallus).
Hérodote, souvent cité, rappelle qu'à l'occasion des des doigts pour éviter l'irritation dans les plis
Dionysies, « à la place des phallus, ils ont trouvé d'autres ou au bord des orifices, l'aura glorieuse d'une voix
représentations de la longueur d'un coude, munies d'un lactée regorgeant de sperme, comme on a toujours
fil ». Des femmes phallophores tirent sur le fil et le sexe
s'élève toujours (sich immer hebt) , presque aussi grand pu la contempler, un chant- c'est-à-dire un accent
que le reste du corps. - circonflexe pour se couvrir la tête.
En lnde plus qu'ailleurs la représentation phallique
est architecturale : énormes colonnes et tours de pierre
plus larges à la base qu'au sommet. On commence à les
adorer pour <;!~les-mêmes puis on se met à y pratiquer des
ouvertures (Offnungen), des trous, des incisions, des exca- Aura-t-il plu?
vations ( Aushiihlungen) dans lesquelles on insère les images
des dieux. Us apparaissent là. On retrouve cette pratique
dans les colonnes hermétiques de la Grèce. La représen-
tation légendaire des dieux, les images, les idoles, les autels
venaient s'inscrire comme un tatouage sur la surface lisse
Aura-t-il éjaculé dans la galaxie?
de ces colonnes rigides.
Or l'origine de ce processus d'excavation, son Aus-
gangspunkt, ce sont des colonnes non trouées (unausge-
hoÏJ/ten Phallussaülen). Les incisions seraient survenues à des
colonnes primitivement inentamées. Elles sont d'ailleurs
assez rares et tendent vite à disparaître.
Les colonnes se transforment plus tard en habitations
hautes et étroites - les pagodes - séparées en coquille
et noyau.
Hérodote mentionne aussi des colonnes mâles qui
comportaient, à titre d'ornement ou de parure, les signes
de l'organe féminin. U n'en a vu qu'en Syrie, les attribue
à Sésostris et les interprète, selon Hegel, en Grec, en vrai
Grec, au sens grec : il transforme leur « signification « Les botanistes connaissent une variété de
naturelle » en « signification éthique (sittliche) ». « Toutes
les fois que Sesostris, au cours d'une campagne, avait genêt qu'ils appellent genêt ailé. » Elle décrit son
aifaire à des peuples qui s'étaient montrés courageux dans vol dans le Journal:
la lutte, il faisait planter dans leur pays des colonnes avec « Ce vol étant indestructible je décidai d'en
des inscriptions (Inschriften) mentionnant: son nom et
celui de son pays ainsi que le fait de la soumission de ces faire l'origine d'une perfection morale.
peuples à son pouvoir. Lorsque, au contraire, il obtenait « _. Il est lâche, veule, sale, bas ... (je ne le
une victoire facile, sans rencontrer de résistance, il faisait
ajouter à cette inscription la reproduction d'un organe
définirai qu'avec des mots indiquant la honte),
sexuel féminin, afin de montrer que le peuple ainsi vaincu aucun des éléments qui le composent ne me laissent
s'était montré lâche dans la lutte. » L'interprétation pro- une chance de le magnifier. Pourtant je ne renie
prement grecque, au sens grec (im grieschischem Sinne),
déchiffre donc l'éthique dans le naturel et ce passage
point ce plus monstrueux de mes fils. Je veux
de la nature à la Sittlichkeit se confond avec la hiérarchi- couvrir le monde de sa progéniture abominable.
2.82.
sation phallocentrique. Elle associe les valeurs éthiques « Mais cette époque de ma' vie je ne puis trop
positives, voire le sens même, à la virilité.
Surgissent alors les statues de Memnon. Les obélis- la décrire.· Ma mémoire voudrait l'oublier. Il
ques avaient marqué la transition. Ils ont la valeur semble qu'elle en veuille troubler les contours,
symbolique de rayons de soleil. Ils représentent eux- la poudrer de talc, lui proposer une formule com-
mêmes des rayons lumineux, des lingots d'or où des
sexes hélioïdes. Des lettres égyptiennes venaient parfois se parable à ce bain de lait que les élégantes du
graver dans la lumière pétrifiée de l'obélisque. Héliogra- XVIe siècle appelaient un bain de modestie.
vure, comme à Héliopolis où Mithra, dieu des Mèdes « Je fis remplir d'un reste de soupe ma gamelle
et des Perses, se laisse enjoindre, par un rêve, de bâtir
des obélisques, des « rayons de soleil de pierre » (Sonnen- et je m'en fus seul dans un coin la manger. Avec
strah/en in Stein) et d'y faire graver des lettres (Buchstaben moi je conservais, la tête sous l'aile, le souvenir
darauf einzugraben) « qu'on appelle égyptiennes ». d'un Stilitano sublime et abject. J'étais fier de sa
A Thèbes, les grandes statues de Memnon ne par-
laient pas, bien qu'elles eussent figure humaine. Certaines force et fort de sa complicité avec la police. Toute
étaient monolithiques (Strabon en avait vu), d'autres for- la journée je fus triste mais grave. Une sorte d'insa-·
mées de deux colosses assis. tisfaction gonflait chacun de mes actes, et le plus
Comment le langage vient-il à la colonne? D'un simple. J'eusse voulu qu'une gloire, visible, écla-
soleil intérieur. Dans l'inte1'Valle, il faut la sevrer du soleil tante, se manifestât au bout de mes doigts, que ma
sensible. Celui-ci doit être nié et la pierre se passer du puissance me soulevât de terre, explosât en moi
jour. Le phallus alors s'aveugle, perd le dehors, la lumière,
la forme, l'eidos. La pierre blanche devient noire. Le et me dissolve, m'éparpillât en averse aux quatre
Behausen - l'habitacle comme phallus - ne gagne l'inté·· vents. J'eusse plu sur le monde. Ma poudre, mon
riorité essentielle du Selbst qu'à se plonger dans la nuit, à pollen
élaborer son langage dans la pierre noire et informe.

C'est la Kabba, la pierre noire de la Mecque: pas de le pollen est toujours menacé, exposé au risque
restes, tout est raclé, repêché, inscrit, relevé. dese perdre ou desedétruire. Le voleur le remarque
au moment de retourner en Tchécoslovaquie. Il
Intériorité encore négative, recouvrement de la pierre vient encore de gravir un escalier, celui du chef
blanche, « couverture du dedans» : « A ce Selbst extérieur de la police, cette fois: «Durant l'interrogatoire
[Memnon] de la figure s'oppose l'autre figure qui indique (Pourquoi voulais-je aller en Tchécoslovaquie?
qu'elle a en elle un intérieur. La nature retournant dans Que faisais-je ici?) je tremblais qu'on ne découvr7t
son essence réduit sa multiple variété vitale se singulari- ma ruse. A ce moment je connaissais la joie inquiète,
sant et s'égarant dans son mouvement à un habitacle aussi fragile qu'un pollen sur la fleur de noisetier,
la joie matinale et dorée de l'assassin qui
inessentiel (unwesentlichen Gehause) qui est la couverture ae
s'échappe. »
l'intérieur (Decke des lnneren) ,. et cet intérieur n'est d'abord
que la ténèbre simple, l'immobile, la pierre noire et
informe. » Et le pollen n'est pas seulement fragile, comme
L'artisan se trouve pris dans cette contradiction en fuite devant la loi, il a rapport au jaune, il tombe
motrice entre le système de la pierre blanche (perdue et du jaune, ici d'une houpette de musicien :.« On
relevée) et celui de la pierre noire qui ne relève l'autre que croit que ce jaune va les poudrer de son pollen. »
pour perdre encore la vraie intériorité en manquant la (Miracle de la rose)
voix. Il faut donc unir ou réconcilier les deux présenta··
tions (Darstellungen) du dedans et du dehors. Comment On ne va pas faire ici la théorie du pollen et de
l'artisan doit-il élaborer cette contradiction? la dissemence. Depuis le début, c'est une autre
De manière énigmatique. théorie que nous suivons : la logique de l'obsé-
On doit distinguer ici entre l'énigmatique et l'oracu- quence et au parapluie apotropaique, sous «l'averse
laire. L'oracle sera, dans la religion esthétique, l'analogue aux quatre vents ». II faut toujours la rejoindre
mais après d'indispensables détours et des retards
de l'énigme, son semblable vocalisé.
à peine calculables. Je suis toujours le mort. Qui
L'artisan résout la contradiction en produisant d~s
me donne le pas.
énigmes qui composent les deux contraires, la nature et
la conscience, le dedans et le dehors, le clair et l'obscur.
li s'agit d'un mot d'esprit: difficile à déchiffrer, nocturne
dans sa forme, s'adressant aussi bien à l'inconscient,
sagesse profonde incapable de donner ses raisons, sorte de
cryptogramme que les Egyptiens eux-mê!IJ.es, à en croire
l'Esthétique, ne comprenaient pas. Le producteur de
l'énigme peut être irresponsable, aveugle à ce qui s'écrit
de sa main. « L'artisan unifie les deux moments dans le
mélange de la figure naturelle et de la figure consciente
La galaxie ne figure pas l'élément auquel mon
d'elle-même, et ces essences ambiguës, énigmes pour elles-
sperme doit toucher (<< ma poudre, mon pollen
mêmes, le conscient en lutte avec l'inconscient, l'intérieur eussent touché les étoiles »), elle est elle-même
simple en lutte avec l'extérieur multiplement figuré, l'obs- un élément disséminaI. Il faut donc comprendre aussi
curité de la pensée en lutte avec la clarté de l'expression - comment certain abbé de Notre-Dame-des-F1eurs
éclatent dans le langage d'une sagesse profonde et difficile « éjacula une semence de constellations ».
à entendre. »

Le premier langage proprement dit est donc « double »


(zweideutig) , énigmatique, il joue des contraires entre
le conscient et l'inconscient, sur deux scènes à la fois.

Le paradigme en est fourni par la religion égyptienne.


La philosophie de la religion l'interprète comme une
« religion de l'énigme », de l'obscurité, des masques
animaux, de l'inconscient muré. Il manque à l'esprit Les détours de la théorie, s'agissant de texte,
égyptien cette transparence dévoilée qui caractérise le d'inconscient, et d'obséquence, paraissent inter-
grec. Son voile représente par anticipation le dévoilement minables. Chaque pose narrative, par exemple
grec. La représentation est donc un voile, le voile une ici, dans ce qui pourrait ressembler à un mauvais
représentation. « La présentation principale (Hauptdar- roman populaire, inscrit la théorie dans la litté··
ste!!ung) qui rend complètement accessible à l'intuition rature. Chaque personnage, chaque nom, prénom,
( anJ'chau!ich) l'essence de ce combat [entre le conscient et surnom, le texte les serre, les bande en les pliant
l'inconscient, le clair et l'obscur, etc.], on pourrait la à son propre rythme, à son propre désir: prétexte
trouver dans l'image de la déesse à Sais (Neith) qui était et prébende pour un narrateur qui, comme
présentée (darge ste!!t) voilée (ver sch!eiert). L'inscription l'abbé en question, se travestit et jouit de leur
mort, voire de leur suicide: « Le geste final d'Ernes-
sur le temple le symbolise et formule expressément - « je
tine aurait pu s'accomplir vite, mais, comme Cula-
suis ce qui a été, est et sera; mon voile, aucun mortel froy d'ailleurs, elle sert un texte qu'elle ignore,
ne l'a encore soulevé » - qUÇ! la nature est un être-diffé- que j'inscris, et dont le dénouement doit arriver
rencié en soi, à savoir un autre opposé à la manifestation en son heure. Ernestine sait tout ce que son acte
mais qui s'offre immédiatement, une énigme. » comporte de misérablement littéraire, mais qu'elle
Le voile ne symbolise pas l'énigme. L'énigme, c'est doive se soumettre à une mauvaise littérature la
la structure du voile suspendu entre les contraires. rend plus touchante encore à ses yeux et aux
Hegel fait-il alors un mot, joue-t-il alors de façon nôtres. »
vicieuse, à la manière égyptienne, sur les signifiants? Ernestine, la mère de Divine sait que celui-ci va
Citant la fin de l'inscription du temple de Neith dans la mour.ir et qu'elle doit simuler le suicide de son fils :
Basse Egypte, il la déchiffre en grec-allemand pour y lire « Je dirai qu'il s'est tué. » « La logique d'Ernes-
toute la course du soleil qui se couche en Occideht et se tine, qui est une logique de scène, n'a aucun rapport
rappelle au-dedans de lui-même. L'histoire de cette Erinne- avec la vraisemblance; la vraisemblance étant le
désaveu des raisons inavouables. »
rung est une histoire de famille. Le soleil spiritùel est
à la fois le fils et le père du soleil sensible, le même et
l'inverse circulaire de celui qui éclairait en somme la
République. Voici pour annoncer la résolution hermé-
neutique et téléologique de l'énigme dans la religion
grecque (esthétique), puis dans la religion chrétienne
(révélée) : « Elle [la nature] ... a un intérieur, un caché
(ein Inneres, Verborgenes). Mais cela veut dirè plus loin
dans l'inscription: « le fruit de ma chair est Helios ». Elle donne le pas à ne pas suivre.
Cette essence encore cachée énonce donc la clarté, le
soleil, le dev~nir-soi-même-clair, le soleil spirituel (geistige
Sonne) comme le fils (den Sohn) qui naîtra d'elle. Cette
clarté est celle qui est atteinte dans les religions grecque En fait Ernestine va tuer son fils et « se couver»
et juive, là dans l'art et les belles formes humaines, ici sur la dalle du cimetière, sur sa « pierre blanche
dans la pensée objective. L'énigme est résolue; le Sphinx un peu bombée », comme un œuf ou une œuvre.
égyptien, conformément à un mythe merveilleux et plein Elle aura tenu le revolver « comme un phallus en
de sens (Bedeutungsvollen), est tué par un Grec et l'énigme action », « grosse du meurtre, enceinte d'un
mort ».
trouve sa solution, le contenu, c'est l'homme, l'esprit libre
« Ce livre ne veut être qu'une parcelle de ma vie
et disposant du savoir de soi. » intérieure. » Desseins à l'origine des Pompes
La résolution œdipienne de l'énigme sonne la fin de funèbres : la source est unique mais les embou-
la religion naturelle en son dernier moment. La pensée chures ou les colonnes doubles. Il faut passer d'une
atteint à la clarté de son là (Da-sein) dévoilé, l'artisan signature à l'autre, on ne peut pas mettre la main
devient un « travailleur de l'esprit », conscient de son ou la langue sur les deux à la fois.
activité, artiste. L'élaboration instinctive, quasi animale,
est maintenant un art.
Histoire essentiellement grecque, ouverte par la mort
du Sphinx, la religion esthétique se développe elle aussi
selon le rythme ternaire d'un syllogisme: l'œuvre d'art
abstraite, l'œuvre d'art vivante, l'œuvre d'art spirituelle.
C'est le même rythm.e, avec un contenu analogue, que
celui de la religion naturelle (abstraction indéterminée
de l'essence lumineuse, vie des plantes et des animaux, spi-
ritualité), chacun des trois moments se divisant à son tour
en trois, selon une structure syllogistique infiniment
représentative d'elle-même et toujours abyssale. Mais
l'abîme est-il saturé ou creusé par une « mise en abyme »? Telle est l'origine unique et double du meurtre.
Puis creuser, est-ce risquer? et en vue de quoi? Du meurtre unique et double.
L'œuvre d'art abstraite maintient la figure des dieux
dans le bloc de la chose spatiale. Mais le concept s'y
dépouille du cristal anguleux de l'entendement, du mélange
des formes inorganiques et végétales, de l'imitation en Desseins qui ne se réduisent jamais à un seul, d.où
général. La pierre noire est retirée de sa gangue animale, la division du glas : co/pas.
les figures représentées ne sont plus les essences de la La mère reste après avoir tué parce qu'elle ne sait
nature mais de clairs esprits, les esprits éthiques de peuples plus d'où donner de la têtée. Dessins de fleurs :
conscients d'eux-mêmes. Tant: que ce sont des figures « La vieille hallucination de mon enfance s'imposa
que je ne puis traduire que par cette image: des
nationales singulières, Athéna par exemple, elles gardent
fleurs immobiles, sans se confondre, mais ayant une
encore en elles-mêmes une certaine épaisseur naturelle, source unique, se pressent dans sa bouche qu'elles
un relief de nature. Cette naturalité doit être relevée. Màis écartent et emplissent. Un des soldats fit un léger
tant que l'œuvre n'appartient pas à l'élément de la langue, bruit. » Pompes funèbres.
tant qu'elle s'étend dans l'espace, elle reste et tombe hors
de l'opét'ation de l'artiste. Elle s'oppose à lui. Le tout
de l'œuvre est coupé, comme un reste, de son élaboration.
Cette césure prend deux formes contradictoires et
indissociables qui se recoupent sans cesse. D'une part, gl : la stricture de l'orifice - goulot d'étranglement
c'est l'effacement, l'omission de l'artiste: il est assez désin- - informe alors un bloc de caséine, par exemple,
téressé pour déclarer que son œuvre vit d'elle-même, un rot, un pet, un reste à faire en tous les cas sa
s'anime sans lui, emporte sa signature. Mais à l'emporter, tombe.
elle la garde et sous cette thématique modernitaire, Hegel
décèle aussitôt, d'autre part, la ruse ou l'envers dissimulé,
dissimulateur, l'hypocrisie de l'autre unilatéralité. L'artiste
en effet vérifie que l'œuvre, à pouvoir ainsi se couper
et tomber de lui, ne lui est pas égale, qu'elle n'a pas produit Mais c'est toujours la mère -- on sait maintenant
une essence égale à son auteur (kein ihm gleiches Wesen que ce mot ne veut plus rien dire que ce qui suit,
hervorbrachte). L'animation propre à l'œuvre, l'admiration obsèque, reste après avoir tué ce qu'elle a fait
des admirateurs, les offrandes, voire les sacrifices qu'elle naître. On vient de le vérifier pour Notre-Dame-
provoque et qui la portent à la conscience, l'artiste sait des-Fleurs. On peut le faire avec les Pompes funèbres.
alors que tout cela est inférieur à son travail, à son élabo- J'ai souvent posé la question : que veut dire ici
ration, à sa production, précisément parce que cela s'en pour un texte et dans un langage en général. Quel
détache. Par son retrait l'artiste s'élève alors au-dessus de est l'ici maintenant d'un glas?
son reste et du même coup le retient comme une petite
partie ,un morceau de lui-même.
Hegel à un amateur
d'autographes : «Si L'omission, l'inapparence de la signa-
le souhait d'ajouter ture engage simultanément: une opéra-
à une collection tion de maîtrise et la maîtrise de l'opé- D'un reste?
d'autographes quel,· D'un reste qui ne serait plus -, ni relique ni reli-
que chose de ma ration. Tout cela doit être reconnu quat - d'aucune opération.
main m'était parvenu comme le fait (Tat) de l'artiste en sa
directement, j'aurais stratégie infatigable. Si les admirateurs
prié que l'on me
dicte un texte à cet « se mettent au-dessous (darunter set.zen)
effet. Je ne puis et y reconnaissent leur essence qui les
maintenant faire cette domine, il s'en sait, lui, le maître
demande par écrit, La réponse de Pompes funèbres accuse le reste de
car de ce fait elle se ( Meister). » la mère d'avoir commis le meurtre. Arrêtons-nous
rendrait elle-même Pour cicatriser cette coupure entre
superflue. Qu'il suf- l'élaboration et l' œuvre,entre l'auteur près d'ici : « ... des fleurs fanées? Jeune! Il n'y a
fise donc à ce super- et son reste, pour .- donc ,- la penser, pas de doute, me dis-je, c'est ici ... je m'arrêtai là.
flu d'avoir fait cette " Ici " et les mots qui devaient suivre: " qu'on l'a
demande et de l'avoir, l'œuvre doit rester présente à l'artiste, tué " prononcés, fût-ce mentalement, appor-
de ce fait, anéantie. sans tomber de lui comme une chose taient à ma douleur une précision physique qui
Berlin, le 6 juillet
1827. H. »
tr:onquée dans l'espace, comme un l'exaspérait. Les mots étaient trop cruels. Puis je
excrément admirable au-dessus duquel me dis que les mots sont des mots et qu'ils ne chan-
le maître trône en s'oubliant. L'élément de l'art ne sera geaient rien aux faits.

286
donc plus chose dans l'espace et sans conscience, il sera « Je me forçai à dire, à me redire avec l'agaçante
temps et voix. Même si -, et dans la mesure où - le répétition des scies I-ci, I-ci, I-ci, I-ci. Mon esprit
temps est la vérité de l'espace qu'il relève. li faut que s'aiguisait sur l'endroit que désignait " Ici ". Je
l'œuvr:e trouve le temps pour devenir conscience pré- n'assistais même plus à un drame. Aucun drame
n'avait pu se passer dans un lieu si étroit, insuffi-
sente à elle-même. La pierre doit se mettre à parler :
sant à toute présence. " I-ci, I-ci, I-ci, I-ci. Qu'on
{( L'œuvre d'art requiert donc un autre élément de son l'a tué, qu'on l'i, tué, qu'on l'a tué, con l'a tué,
Dasein, le dieu un autr:e procès (Hervorgang) que celui au con l'a tué, .. " et je fis mentalement cette épitaphe:
cours duquel, de la profondeur de sa nuit créatrice il " Ici con l'a tué ". »
tombe dans son contraire (in das Gegenteil - son morceau
adverse - herabJallt), dans l'extériorité, dans la détermi-
nation de la chose inconsciente d'elle-même. Cet élément Reste ici ou glas qu'on ne peut arrêter.
supérieur est la langue (Sprache) , -- un Dasein qui est
existence (Existenz) immédiatement consciente d'elle-
même. De même que dans la langue, la conscience de soi
singulière est là (da ist), elle est tout aussi immédiatement
comme une contagion (Ansteckung) universelle. » L'âme
existe alors {( comme âme ».

Que quelque double entrave.

L'hymne est cette présence de l'universel au singulier,


du dedans au dehors, de la production à l'œuvre, du dieu
à sa figure animée. Le chant religieux, le flux fervent
de la voix religieuse rassemble les singularités dans un
même élément de feu et d'eau (die Andacht, inallen ange-
zündet, ist der geistige Strom). Il coule et consume tous les
restes.
Après la mort de Divine, les obsèques sont donc
Pourtant, contrairement à l'habitude, c'est d'un reste
réglées par l'abbé qui concentre sur lui tous les
qu'il est question après l'hymne, et il fait l'objet d'un désirs. C'est un travesti qui s'y connaît en effrac-
développement plus long et plus embarrassé. li s'agit de tions et en éventrations. Tous les mots suivent en
l'oracle: il se rapporte au temps de la parole comme l'énig- silence jusqu'à la dispersion complète de la théorie
me à l'espace de l'écriture. Simples et universelle,;, les et du dit séminaire. Effritement, défroque, fards
propositions oraculaires viennent du dehors de la com- et fleurs.
munauté (à la différence de l'hymne, expérience de com- « Dans la pluie ce cortège noir, étoilé de visages
munion intérieure). Elles sont sublimes mais leur univer,- multicolores, mêlé au parfum des fards et des fleurs,
salité tourne facilement à la trivialité, surtout dans le suivit le corbillard. Les parapluies ronds et plats,
premier temps de l'oracle, celui de la religion naturelle ondulant sur la théorie déambulante, la tenaient
et de l'essence lumineuse. En devenant pour-soi, l'oracle suspendue entre ciel et terre. [ ...] Le corbillar'd
avait des ailes aux essieux. Le premier, l'abbé
retrouve les vérités universelles dans un langage propre à la
sortit sous la pluie en chantant le dies irae. Il rele-
communauté : c'est par exemple la « loi certaine et non vait la chute de sa soutane et sa chape, comme au
écrite » d'Antigone, la loi des dieux qui parle dans le cœur séminair'e on lui avait appris à le faire les jours de
des citoyens. Cette relève de l'oracle « naturel » suspend mauvais temps. [...] Cet abbé, sachez-le, était
la chance, le hasard, le coup de dés dans la langue. L'oracle jeune; on lui devinait un corps vibrant d'athlète
naturel et primesautier, c'est le cas fqrtuit où le langage passionné sous ses ornements funèbres. C'est dire
tombe sur la vérité universelle. D'où une sorte de division qu'en somme il portait le travesti.
en deux de l'oracle: langage propre et langage étranger. « A l'église, tout l'office des morts n'ayant été que
Socrate, par exemple, cherche en lui la voix de la philoso- le " Faite~ ceci en mémoire de moi", s'approchant
phie mais il laisse la parole étrangère de son démon lui de l'autel à pas de loup, en silence, il avait crocheté
la serrure du tabernacle, écarté le voile comme qui
souffler des conseils sans nécessité, des préceptes contin-
écarte à minuit les doubles rideaux d'une alcôve,
gents, lui dire la bonne aventure, l'entretenir de l'oppor- retenu son souffle, saisi le ciboire avec les précau-
tunité d'un voyage, etc. « De même la conscience univer- tions d'un cambrioleur déganté, enfin, après l'avoir
selle tire le savoir du contingent du vol des oiseaux, cassée, avalé une hostie suspecte. » Explorez le
des arbres, ou des fermentations de la terre dont les vapeurs corpus, faites l'inventaire de tous les tabernacles
ravissent à la conscience de soi son pouvoir de réflexion; plus ou moins vides de sens, « habitacle secret»
car le contingent est l'irréfléchi et l'étranger, et la cons- du Miracle, «où se tient, sur la galère, le Capi-
cience éthique se laisse sur ce point déterminer d'une taine », réceptacles crochetés, fracturés, éventrés,
façon irréfléchie et étrangère comme aux dés (wie durch enfoncés. C'est aussi, dans Notre-Dame-des-Fleurs,
ein W ürje!n). » L'oracle comme tel, avant la loi intérieure et le nom d'une boîte: «Toutes les tantes du Taver-
non écrite, est lié au sort (Los). Das Orake! oder Los. nacle et des bars alentours ... »

Pendant qu'il chante, transporté dans une Hongrie


fantastique (pays des Huns et des Hongres), surgit
le visage d'un jeune étranger, un mégot éteint à
Le pétroglyphe reste hors de la conscience. Son
la bouche.
opposé, l'hymne, disparaît immédiatement, comme la
voix, au moment même de sa production. Comme le temps,
il n'est plus là aussitôt, immédiatement, dès qu'il est là, en
tant qu'il est là (wie die Zeit, unmitte!bar nicht mehr da, indem
Le mégot est dans la bouche comme un mot ou un
sie da ist). Le Da se pose en tant qu'il se retire. Dans son
mors. Exquis.
contre-temps. L'art abstrait est fait de cette double unilaté-
!alité : le non-mouvement spatial et le mouvement tem-
porel, double perte de la figure divine, l'art plastique et
l'art lyrique.
Langue argotique, objet coupé laissant presque
Cette double perte est relevée dans le; culte. L'essence
tomber sa cendre alors qu'on le suce encore, la
divine y descend de son au-delà jusqu'à la conscience. Le glose fait bander l'abbé : « Le mot" mégot" et
culte est d'abord abstrait, il s'annonce dans la ferveur la saveur du tabac sucé firent l'échine de l'abbé se
de l'hymne qui se limite à sa représentation : intérieure, raidir, se tirer en arrière de trois petits coups secs,
secrète, ineffective. C'est le. moment de la purification qui se répercutèrent en vibrations à travers tous
intérieure où l'âme ne sait pas qu'elle est le mal. Elle ses muscles et jusqu'à l'infini, qui en frémit et
purifie sa surface avec les eaux et la recouvre de linges éjacula une semence de constellations. »
blancs. Mais le culte ne doit pas être secret, il doit donner
lieu à des gestes, à des opérations effectives : le sacrifice
et la jouissance, la ruse de la jouissance dans le sacrifice. eussent touché les étoiles. J'aimais Stilitano.
L'action du culte, sa manipulation (Handlung) commence Mais l'aimer dans la sécheresse rocailleuse de ce
avec l'abandon (Hingabe), le renoncement à posséder et pays, sous un soleil irrévocable, m'épuisait, bordait
à jouir, sans profit apparent. Mais le sacrifice reprend d'une
main ce qu'il donne de l'autre et il faut en tenir le compte de feu mes paupières. Pleurer un peu m'eût dégon-
sur un double registre. Ce que l'on sacrifie part « en flé. Ou parler beaucoup, longtemps, brillamment,
fumée » (in Rauch) comme l'effluve d'une consumation devant un auditoire attentif et respectueux. J'étais
ou d'une décomposition. Mais il est gardé dans la subli-
mité de son essence, comme un esprit. L'animal sacrifié seul et sans amis. »

2.88
devient le signe d'un dieu, les fruits consommés sont Ce que j'avais redouté, naturellement, se repro-
Cérès et Bacchus vivants. Le sacrifice se réapproprie la
jouissance mais la « ruse » de la jouissance s'emporte
duit. Déjà. Le même stade. Aujourd'hui, ici,
elle-même, elle se consume elle-même: « .. : le résultat maintenant, abandonné, mOl, sur l'esplanade
dans la jouissance se dérobe lui-même son être-là (das immense, le débris de
Resultat im Genusse sich selbJ't seines Daseins beraubt). ~)
La fin de la jouissance est la fin de la jouissance:
point final. L'os de la jouissance, sa chance et sa perte,
c'est qu'elle doit se sacrifier pour être là, pour se donner
son là, pour toucher à son Da-sein. Telos de la jouissance
égale mort, ce serait le point-de-fin s'il n'y avait, pour le
désir infatigable de la dialectique spéculative, encore un
tour de plus, des anneaux encore à accomplir et des
anniversaires à célébrer. Son heure l'onction le râle grimace extrême
L'opposition du sacrifice et de la jouissance se relève la dalle la basilique s'élève pour le roide sa mère
dans le travail, mais dans la jouissance du travail, dans la qui meurt: d'envie de lui fermer elle même les
jouissance des produits durables de l'élaboration qui diffère
la jouissance. La demeure et l'ornement des dieux, tout paupières.
cet apparat solide n'a plus la naturalité des statues. Et il
est élaboré par l'homme qui s'en réapproprie la jouissance
dans la fête. Les lieux et les objets du culte, les autels,
les temples, etc., sont comme l'os dur qui reste des sacri-
fices et de la jouissance consommée, certes, mais ils occu-
pent le lieu du travail dans la cité. Le producteur humain
y partage avec le dieu toutes les jouissances de la fête.
« Au jour de la fête ce peuple orne aussi bien ses propres Dais de l' œil révulsé.
demeures et ses propres vêtements, ses cérémonies, avec
grâce et beauté. Ainsi il reçoit en échange (Erwiderung)
de ses dons la récompense du dieu reconnaissant (dank-
baren Gotte) et les preuves de sa faveur, s'étant lié (verband)
à lui grâce à son travail, et non dans l'espérance et dans
une effectivité retardée (spaten Wirklichkeit), mais dans
l'honneur rendu et dans la présentation (Darbringung) des
dons il possède immédiatement la jouissance de sa propre
richesse et parure. » Comment fait-il? Il est prêt. Il a toujours eu
C'est la fête du travail et le travail de la fête dans son cadavre sur lui, dans sa poche, dans une boîte
la cité grecque. Le sacrifice réapproprie la jouissance per- d'allumettes. Sous la main. Ça s'allume tout seul.
due par le travail dans le culte; et le culte est un échange
du travail avec le dieu qui rend aux travailleurs la jouis- Ça devrait. Il se sent faire obstacle à sa mort,
sance immédiate des produits auxquels ils avaient renoncé, c'est-à-dire lui petit vivant, à la surélévation
sans espoir apparent de retour. Le dieu reverse aux sublime, démesurée, sans taille, de son colosse. Il
travailleurs le sacrifice de la plus-value. Don contre don:
je te donne ou te sacrifie ceci qui prend plus de valeur n'est qu'un détail de son double, à moins que ce
d'être sacrifié, objet d'ornement inutile, parure perdue. ne soit le contraire.
La reconnaissance du destinataire rend la jouissance; et Toujours plus, avec un mors, qu'avec le tout de
la fête, cette fête du moins, loin d'ouvrir une pure et
impossible dépense disséminale, organise, strictement, la l'autre. Faim de la pulsion.
- circulation du jouir dans le culte. Te/os du culte, spéculer Il est prêt. Com-
la jouissance de Dieu et se la faire. ment fait-il? si dé-
Nous sommes dans
en suivant la galerie phénoménologique
le cercle dionysiaque. muni, tout nu. Tant
(<< Ce devenir présente (ste/lt". dot) un
mouvement lent et une conséquence Le troisième moment de lettres manquent.
d'esprits, une galerie d'images (eine Galerie de l'art abstrait, la' reli-
von Bi/dern) ... »), de station en station, gion qui s'y inscrit, Pas un A qui sonne
on revient vers l'le et le Sa, passé le «cal ..· dans son nom. Au···
vaire de l'esprit absolu» On y retrouve, c'est déjà la phase la
tout près du « calvaire », _. à inspecter plus abstraite du mo- cun R surtout, pas
des deux côtés - la « certitude de son ment ultérieur, l' œuvre
trône » (Gewissheit seines Throns). même un. Pas de G
Il suffit en somme, à peine, d'attendre. d'art vivante. A travers
Tout cela aura été projeté, mis en pièces, son syllogisme, un pro- non plus qu'une
clos, cloué, tombé, relevé, répété, aux cès de langage s'affaire
alentours de Pâques.
consonne, un A ou
Le cercle de la galerie phénoménologique encore à la relève du un U viennent dur-
se reproduit et s'encercle dans la grande reste.
Logique et dans l'Encyclopédie. Quelle est Le premier mo- cir ou raidir, arrêter,
la différence entre deux éditions du même
cercle? Hegel qui vient d'apprendre « la ment unilatéral, c'est le anguler. Graver.
vente rapide de la deuxième édition » de délire bachique, le Tau-
l'Encyclopédie, confie à Winter, en 1827, me!, l'ivresse débordan- Empêcher de gémir,
ses inquiétudes. Il lui demande de se porter
« garant du paiement ponctuel des hono- te au cours de laquelle
de geindre, de vagir.
raires ».« Pour le nombre de feuilles pdmi- le dieu se rend présent. Il est tout seul, sans
tif (18) dans la première édition, nous L'essence lumineuse
avons fixé les deux tiers de l'honoraire,
ascendante se dévoile
aucune des bonnes
se montant à 25 florins; pour le nombre
de feuilles postérieur, nous sommes revenus comme ce qu'elle est. lettres, elle les a
à cet honoraire, et P9ur les 18 autres La jouissance est le mys- toutes gardées pour
feuilles de la deuxième édition, nous nous
tère de cette révélation.
sommes contentés de 22 florins par feuille; elle, pour son pré-·
en concluant cet accord, je me suis réservé Car le mystique ne ré-
le droit de réclamer des honoraires pour side pas dans la dissi- nom. l lui fait aussi
ce qui serait ajouté dans une nouvelle édi-
tion. [...] Ce nombre de feuilles s'accroîtra-
mulation d'un secret défaut. L, il ne ra
t-il dans la nouvelle édition, et de combien? (Geheimnis) ou d'un "
Je ne puis encore en avoir aucune idée, étant insu. Mais ce qui se
meme pas.
dènné que ce travail m'a surpris à l'impro-
dénude ici appartient L'a laissé tomber, sans faire cas, sans un, tout
viste et que je n'ai encore pu parcourir
l'ouvrage de ce point de vue; mais d'une encore à l'esprit immé- nu, juste de quoi spéculer, sans image, sans le
façon générale, je prévois que je n'appor- diat, àl' esprit-nature. Le
terai pas de modification ou d'addition mystère du pain et du savoir, sur son nom. Sans quoi.
importante. - Le tirage reste fixé comme
auparavant à 1 000 exemplaires, avec vin n'est 'pas encore ce
18 exemplaires d'auteur, 12 sur vélin et qu'il est, déjà, celui de
6 sur papier ~ écrire. la chair et du sang. Dio-
« Du fait que j'ai reçu si tard l'annonce du Lait de deuil cacheté (coacté, pressé, serré,
besoin d'une nouvelle édition (la lettre de ny~os doit donc passer
M. Oswald est datée du 13 juillet), il dans sort contraire, s'a- caché, coagulé, caillé).
résulte que l'envoi du manuscrit ne pourra paiser pour exister,
avoir lieu que tard .- plus tard sans doute
que vous ne le souhaitez; avec mes travaux, ne pas se laisser boire
qui depuis se sont accumulés, je ne puis et consommer par la
encore rien dire de précis sur la date;
mais je ferai mon possible pour que l'édi-
« horde des femmes Je commence à être jaloux de sa mère qui a
tion puisse paraître à Pâques. » exaltées ». pu, à l'infini, changer de phallus sans se détailler.
Il fait alors de la
gymnastique. Hypothèse dieuvenue père en soi de n'être pas là.
Apollon n'est pas nommé, certes; mais l'opposé, la Lui reste léger, ne cesse de s'alléger. Comment
partie adverse, la stance contraire dans laquelle le diony-
siaque doit passer pour « s'apaiser en se faisant objet ( sich vivre ainsi. Tout est bloqué au compte maternel.
ZU111 Gegenstande beruhigen) », se dresse comme le corps Echéance. Il eût fallu si peu, un A, un R, un G,
érigé dans la gymnastique grecque, la belle « Korperlich- pour que ça prenne autrement, que ça s'arrête
keit ». La figure de l'homme se cultive à la place die la
colonne sculpturàle de la divinité. Le divin se laisse ailleurs, pour que ça s'ancre dans un autre fond,
réapproprier dans l'humain : échange encore des deux griffe ou gratte une autre surface, la même pour-
érections, des deux institutions, mise en mouvement et tant. Pour que ça ne glisse plus. Avec soi, avec sa
regain de vie. Plus-value de la contradiction qui (se)
contracte avec elle même, se fait du reste cadeau. pompe funèbre, un autre contrat. Un autre legs.
Pour solder, soudoyer le déjà de l'aïeul absolu.

« Vor der Sonne kamst du zur mir, dem Einsamsten.


Wir sind Freunde von Anbeginn : uns ist Gram und Grauen und
Grund gemeins'am : noch die Sonne ist uns gemeinsam.
Wir reden nicht zueinander, weil wir zu vieles wissen -: wir
schweigen uns an, wir lacheln uns unser Wissen zu.
[ ...] was uns gemein ist,- das ungeheure unbegrenzte Ja -... »
Mais une fois de plus, mouvement de balance, tout se
fixe dans l'objectivité extérieure qu'on a opposée à l'em- C'est très aride, sur l'esplanade immense, mais
brasement dionysiaque. On a donc deux morceaux oppo- ça ne fait que commencer, le travail, id, dès main-
sés qui se contredisent dans leur unilatéralité respective.
L'équilibre (Gleichgewicht) est sans cesse rompu. Dans tenant. Dès que ça commence à écrire. Ça com-
le délire, le soi-même (Selbst) perd connaissance; sur mence à peine. Ne manque plus qu'une pièce.
le stade, c'est l'esprit qui est hors de lui-même. Ça grince. Roule sur les troncs d'arbre cou-
chés. Poulies. Les cordes graissées se tendent, on
n'entend qu'elles, et le souffle des esclaves pliés
en deux. Bons à tirer. Fouet cinglant du contre-
A travers l'œuvre d'art spirituelle -langage de part
en part - la réconciliation s'annonce: synthèse de la maître. Regain de force liée. La chose est oblique.
religion esthétique (abstraction, vie, esprit). Le syllogisme Elle fait angle, déjà, avec le sol. Remord lente-
de l'art spirituel (epos, tragédie, comédie) conduit la ment son ombre, sûre de soi. Il eût fallu si peu, la
religion esthétique à la religion révélée. A travers, donc,
la comédie. moindre erreur de calcul, disent-ils si ça tombe, si
ça se penche et cline vers le lit de l'autre, la
machine est encore trop simple, le mode d'écriture
prée apitaliste.
Un temps pour parfaire la ressemblance entre Dio-
nysos et le Christ.
Entre les deux (déjà) s'élabore en somme l'origine
de la littérature. Ce que j'avais redouté, naturellement, déjà, se
Mais elle court à sa perte, pour avoir compté sans réédite. Aujourd'hui, ici, maintenant, le débris de
LA COMPOSITION, L'IMPRESSION ET LE
BROCHAGE DE CE LIVRE ONT ÉTÉ EFFECTUÉS
PAR FIRMIN-DIDOT S.A. POUR LE COMPTE
DES ÉDITIONS GAL.ILÉE. ACHEVÉ D'IMPRIMER
LE 27 SEPTEMBRE 1974.

PREMIER TIRAGE 5 300 exemplaires

Imprimé en France
Dépôt légal : 3" trimestre 1974
N0 d'édition: 7186 - N°d'implession : 4772

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