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Berthélemy
Monsieur Aristomène A.
Varoudakis
Résumé
Développement financier, réformes financières et croissance. Une approche en données de panel
Cet article réexamine la contribution du développement du système financier à la croissance sur la base d'estimations en
données de panel pour 82 pays et six périodes quinquennales couvrant les années soixante à quatre-vingt-dix. Nos esti-mations
ne valident pas l'hypothèse d'une influence positive du développement du système financier sur la croissance, que ce soit par le
biais de la mobilisation de l'épargne ou par celui de la qualité de son affectation. Nous montrons que ce para-doxe peut être
expliqué par une représentation du rôle du développement financier sous forme d'effets de seuil associés à des équilibres
multiples, qui sont pris en compte dans les effets fixes de nos régressions.
Abstract
Financial development. Financial reforms and growth : a panel data approach
In this paper we revisit the contribution of financial development on growth through panel data regressions based on a panel set
covering 82 countries and six five-year periods of time over the years 1960 to 1990. Our results do not confirm the existence of a
positive relation between financial development and growth, be it through savings mobilisation or through the quality of its
allocation. We resolve this paradox by interpreting the role of financial sector in a multiple equilibra model which generates
threshold effects. Such threshold effects are observable in the country fix effects of our regressions.
Berthélemy Jean-Claude, Varoudakis Aristomène A. Développement financier, réformes financières et croissance : une
approche en données de panel. In: Revue économique. Volume 49, n°1, 1998. pp. 195-206.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reco_0035-2764_1998_num_49_1_409972
Développement financier,
Jean-Claude Berthélemy
Aristomène Varoudakis*
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INTRODUCTION
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1 . Cette méthode est statistiquement la plus appropriée, comme le montrent les tests
de Fisher [F(81,380) = 3.34] et de Hausman [%2(8) = 237.53].
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vent être à l'origine de tels phénomènes ont été étudiés par Saint-Paul [1992],
Zilibotti [1994], Berthélemy et Varoudakis [1994]. Dans cette dernière étude, le
mécanisme envisagé repose sur l'existence d'externalités réciproques entre le
secteur financier et le secteur réel : le développement du secteur financier
accroît l'efficacité de l'investissement et renforce la croissance mais, en même
temps, la croissance du secteur réel favorise l'épargne et le développement des
marchés financiers, ce qui exerce un effet positif sur l'efficacité de l' intermédiat
ion financière.
Des interactions de ce type génèrent deux équilibres stables : un « équilibre
haut » avec forte croissance et développement normal du secteur financier et un
« équilibre bas » avec faible croissance, où l'économie ne réussit pas à développer
son secteur financier. Entre les deux, il y a un équilibre instable qui définit un effet
de seuil du développement du système financier sur la croissance. Au-delà de ce
seuil, l'économie converge vers l'équilibre avec forte croissance, alors que, en
deçà de celui-ci, elle reste bloquée dans une situation de piège de pauvreté.
Dans une hypothétique distribution des économies autour de ce seuil critique
(LM2*), la relation entre le taux de croissance observé et la mesure du dévelop
pement du système financier (après avoir contrôlé l'influence d'autres facteurs
de croissance) aurait l'allure d'une fonction en forme de marches d'escalier,
comme illustré par la figure 1 ci-dessous. Cela suggère que l'effet du développe
ment du système financier sur la croissance est principalement un effet de palier
qui exprime une discontinuité dans le processus de croissance. Celle-ci est liée
aux changements des caractéristiques de l'équilibre à long terme vers lequel
converge l'économie. En présence d'effets de seuil, il n'est pas pertinent
d'exprimer la contribution du développement financier à la croissance par des
fonctions linéaires qui nécessairement ignorent ces discontinuités. S'il y a un tel
effet de seuil, aucune relation entre LM2 et le taux de croissance ne peut appar
aître dans une estimation en données de panel avec effets fixes dans la mesure
où les paliers sous-jacents seront le plus probablement captés par les effets fixes
eux-mêmes. À l'inverse, une telle relation apparaîtra en coupe transversale,
comme cela est illustré par la figure 1 .
LM2* ► LM2
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1. L'influence du capital humain sur les effets fixes d'une régression de convergence
conditionnelle a été aussi établie par Islam [1995]. Dans les régressions en coupe trans
versale pour les effets fixes nous utilisons pour chaque pays le logarithme des valeurs
moyennes sur la période 1960-90 du stock de capital humain et du ratio M2/PIB.
200
estimée sur ces deux groupes de pays (équation 1.2 et 1.3, tableau 1), ne révèle
plus d'effet positif de la variable de développement financier sur l'efficacité pro
ductive. En revanche le coefficient associé au capital humain reste quasiment
identique pour les deux groupes de pays.
Ces résultats sont confirmés par l'équation 1.4 du tableau 1 qui est estimée
sur l'ensemble de l'échantillon, mais en remplaçant LM2 par une variable indi
catrice (DUM) qui rend compte de l'influence du développement financier par
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un effet de seuil (DUM = 1 pour les pays du premier groupe, à faible développe
ment financier, et 0 pour les autres). Comme on pouvait s'y attendre, le coeffi
cient associé à cette variable est négatif et hautement significatif. Cette équation
a par ailleurs des meilleures propriétés statistiques que son pendant 1.1 qui
inclut l'effet positif aberrant de LM2.
La pertinence des résultats précédents dépend toutefois de l'hypothèse d'une
stabilité des clubs de convergence au cours du temps. Nous proposons, pour véri
fier ce point, une méthode simple, qui consiste à vérifier la stabilité des effets fixes
par pays quand on coupe la période d'estimation de l'équation 1 en deux sous-
périodes (en supposant, en revanche, que les paramètres associés aux autres varia
blesexplicatives sont invariants au cours du temps). Concrètement, cela veut dire
que nous réestimons les effets fixes de l'équation 1 en admettant qu'ils puissent
différer entre la période 1960-1975 et la période 1975-1990. Si les clubs de
convergence sont instables, on doit trouver une faible relation entre ces deux
séries d'effets fixes. Nous trouvons au contraire une grande stabilité, puisque les
effets fixes estimés pour ces deux périodes ont un coefficient de corrélation très
élevé, égal à 0.96. De plus, on vérifie aussi que les ratios M2/PIB calculés sur les
deux sous-périodes sont également très correlés (coefficient de corrélation égal à
0.87), ce qui garantit aussi une assez grande stabilité intertemporelle de nos clubs
de convergences. Ces différents résultats renforcent évidemment nos conclusions.
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raît que cette variable n'a aucun effet significatif sur le ratio d'investissement .
L'équation finalement retenue est donc la suivante (où r| et a représentent
comme précédemment les effets fixes temporels et par pays) :
LINV = 0.330 LOPEN + 0.252 LH + r| + a
(5.00) (3.96) (2)
R2 = 0.884 S.E.R. = 0.229 n. obs. 492
Nous arrivons donc au même paradoxe apparent que précédemment : le
développement financier ne semble pas, contrairement à nos attentes, influencer
les comportements d'investissement. Pour étudier plus avant ce paradoxe, nous
suivons la même démarche que précédemment, concernant les effets de LM2
sur la croissance. L'existence d'équilibres multiples de croissance implique que
l'effet du développement du système financier sur le volume d'investissement
ne se manifeste pas sous une forme linéaire mais plutôt à travers un « effet de
palier » similaire à celui identifié précédemment. De plus, cet effet ne se manif
este probablement pas à travers le coefficient multiplicatif de LM2 dans l'équa
tion d'investissement mais plutôt à travers les effets fixes, qui peuvent capter la
discontinuité dans la mobilisation de l'épargne entraînée par le franchissement
d'un seuil critique de développement financier.
Pour tester cette hypothèse, nous avons, dans un premier temps, récupéré les
effets fixes de l'équation 2. Comme dans le cas des effets fixes de l'équation de
croissance, les effets fixes de l'équation d'investissement (FIXINV) sont expli
qués par deux variables : a) le logarithme du stock de capital humain et b) le
logarithme du ratio M2/PIB. L'équation 3.1 du tableau 3 illustre les résultats
obtenus par l'estimation de cette relation sur l'ensemble de l'échantillon des
82 pays en coupe transversale. Le coefficient du capital humain est positif mais
pas assez significatif. En revanche, l'influence positive de LM2 est fortement
significative. Pour vérifier si cette influence ne dissimule pas un effet de seuil
similaire à celui identifié précédemment, nous avons procédé à un test de stabi
litéstructurelle de cette régression, en triant l'échantillon global par ordre crois
santselon LM2. Les résultats de cette procédure sont illustrés à la figure 3.
Les données révèlent l'existence d'un point de rupture pour M2/PIB = 0.215,
à un niveau de signification inférieur à 5 %. Vingt-deux pays sont situés en deçà
de ce seuil et 60 pays, au-delà. Les différences entre ces deux groupes de pays
concernent aussi bien l'influence du capital humain que celle du développement
financier. Comme l'indique la régression 2.2, pour le premier groupe de 22 pays
à faible développement du système financier, le capital humain constitue un fac
teur qui a une influence positive relativement significative sur la propension à
investir. En revanche, LM2 n'a pas d'effet significatif. Dans le cas du deuxième
groupe des 60 pays, dont la taille du système financier se situe au-dessus du
seuil, le capital humain n'a pas d'influence notable sur l'investissement mais
LM2 fait apparaître une influence positive significative.
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Notre présomption est que ces résultats révèlent un effet de palier du déve
loppement financier sur la propension « naturelle » à investir, analogue à celui
établi précédemment en ce qui concerne la croissance. Cela est confirmé par la
régression 2.4 qui, à la place de LM2, inclut une variable indicatrice (DUM2) qui
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Jean-Claude Berthélemy, Aristomène Varoudakis
CONCLUSION
Nous avons montré dans cet article que la validité des résultats des études de
comparaison internationale en coupe transversale sur la contribution du système
financier à la croissance est remise en question par les estimations en données
de panel. Notre explication de ce paradoxe repose sur l'existence d'équilibres
multiples en liaison avec le développement du secteur financier. Les effets de
seuil associés aux équilibres multiples introduisent des discontinuités qui ne
sont pas captées par les estimations linéaires. Elles sont en revanche captées par
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les effets fixes des estimations en données de panel. En suivant une approche
désagrégée, nous avons identifié deux canaux à travers lesquels ces effets de
seuil influencent la croissance. Le premier repose sur la qualité de l'affectation
des ressources à l'investissement et affecte la croissance à travers la productivité
du capital. Le second repose sur la mobilisation de l'épargne par le système
financier, qui détermine le volume d'investissement et donc par ce biais aussi la
croissance.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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