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JEAN-JACQUES ROUSSEAU

(1712-1778)
Les œuvres principales de Rousseau se groupent naturellement en trois catégories, qui
correspondent à trois moments de sa pensée:

1. Œuvres de critique négative : Les Discours sur le rétablissement des sciences et des arts,
Le Discours sur l’origine et le fondement de l’inégalité parmi les hommes , La Lettre a
Dalembert sur les spectacles

2. Œuvres constructives : La Nouvelle Héloïse, Le Contrat social, L’Emile

3. Œuvres autobiographiques dont la publication est posthume : Les Confessions, les


Rêveries d’un Promeneur solitaire, œuvre inachevé

Rousseau connaît la gloire avec son premier ouvrage, Discours sur les sciences et les arts,
écrit en 1749 et couronné en 1750 par l’Académie de Dijon. Il s’y élève contre la civilisation
et devient le champion de la vie simple, de la pauvreté et de la vertu. Il se propose de reformer
sa vie, de gagner son existence en copiant de la musique.

Il expose plus clairement sa pensée dans le Discours sur l’inégalité parmi les hommes :
l’homme est bien par nature, mais il est corrompu par la société.

Rousseau se singularise dans l’histoire des lettres françaises par ce que l’exégèse a nommé le
destin de l’homme-œuvre, victime de sa propre biographie, qu’il essaie de plier aux exigences
de son idéologie. Le conflit de Rousseau avec la société le rendra un étranger et il se plaira à
se voir et à se présenter comme tel. Il le sera partout où son destin de « picaro » portera ses
pas. Il le sera encore par ses idées qui augmenteront la distance réelle ou imaginaire qui le
sépare tour à tour des gens de lettres et des philosophes de son temps, devenus, à ses yeux,
tous ses ennemis, ses persécuteurs. La rupture de Rousseau avec la société représente en
même temps la rupture du créateur avec la pensée des Lumières et l’ouverture vers le
Romantisme.

Julie ou La Nouvelle Héloïse, Lettres de deux amants habitants d’une petite ville au pied des
Alpes, recueillies et publiées par J.J. Rousseau, a source dans l’amour de l’auteur pour
madame d’Houdetot. L’illusion d’un dernier amour, la déception, l’aliénation, font partie des
éléments autobiographiques qu’il y mettra. La Nouvelle Héloïse est une œuvre complexe qui
apparaît comme une somme des idées, des sentiments et des rêves de Rousseau. Car
Rousseau, l’étranger se retire dans la fiction, en édifiant un monde à sa guise, qui le
recompose de l’amertume de la réalité, un univers qui lui offre une revanche sur la vie.

Ecrite sous forme de roman épistolaire, l’œuvre profitera des ressources du genre, permettant à
l’auteur de multiplier les voix et les points de vue sur les questions qu’il y débat. Tour à tour le
je sera assumé par Julie, Saint-Preux, Claire, M. Edouard, M. de Wolmar, le ton traversant lui
aussi un champ assez divers : confession, dissertation, réquisitoire.

Il y a dans La Nouvelle Héloïse deux parties distinctes : jusqu’au mariage de Julie c’est le
roman de la passion contrariée des amants, après le mariage c’est le roman de la vertu
conjugale. Au point de vue de la composition, Rousseau crée une symétrie entre les deux
parties par la reprise de certaines scènes, ce qui éclaircit l’évolution sentimentale des
protagonistes.

En ce qui concerne l’ordre temporel du roman, on peut affirmer qu’en grandes lignes le temps
du discours coïncide avec le temps du récit : le destinateur s’adresse à son destinataire en lui
racontant des faits, en lui présentant des états d’âme, en lui décrivant des paysages qu’il vient
de vivre ou de voir. C’est cette superposition des deux temporalités qui permet à l’auteur de
tresser les fils des événements. Mais l’évocation des moments ponctuels s’accompagne
souvent d’un retour en arrière, à des moments révolus, que le mémoire actualise et fait revivre.
Tout moment présent est le temps du malheur, par rapport auquel le passe devient le bonheur
perdu. Le ton élégiaque transforme, dans cette perspective, même le temps de l’absence en
moments de félicite, car il était animé par l’espoir, tandis que le présent en est exempt. Pour
Julie, le temps passé se colore de péché, ce qui lui donne le sentiment de culpabilité. Dans
cette perspective temporelle moralisée, ce qui pour le cœur a été le bonheur, devient pour la
conscience un bonheur coupable.

Rousseau maîtrise parfaitement, d’une manière très moderne, la temporalité de son roman, en
la soutenant avec le devenir de ses héros : leur parcours linéaire est fait d’une succession de
moments passés relatés par des narrateurs différents, de sorte qu’à la fin le lecteur découvre
qu’ils ont changé, tout en restant fidèles à eux-mêmes.

La nouveauté de La Nouvelle Héloïse ne consiste pas uniquement dans la thématique abordée,


mais aussi et surtout dans le style lyrique crée par Rousseau. Il laisse ses héros exprimer
directement leurs passions, il cultive l’effusion sentimentale. De plus, il y a tout un langage
des gestes qui accompagne la parole et trahit les états d’âme que la pudeur voudrait cacher.
Mais surtout l’associer à l’homme. La nature n’est plus un simple décor, elle est un véritable
personnage lyrique, présent dans la vie des héros, fusionnant avec leurs états d’âme, les
provoquant même.

Chez le Rousseau le temps, l’espace et le sentiment forment un triangle inséparable, ou chaque


élément conditionne les autres, comme dans le célèbre fragment de la promenade sur le lac :
ici, le mouvement régulier des vagues suggère au héros la répétition temporelle et ressuscite le
passé, provoquant un moment de crise sentimentale. Le même mouvement, par sa douceur,
induit le calme dans son âme.

La nouvelle Héloïse représente la première confirmation esthétique de la valeur du roman


sentimental. Son succès à l’époque est immense. Par cette œuvre Rousseau rompt
définitivement avec l’esprit des Lumières, donnant à la littérature une orientation vers
l’exploration de l’âme humaine et ouvrant la perspective du futur roman romantique.

Emile- le problème de l’éducation devait fatalement s’imposer à Rousseau : c’est seulement en


agissant sur les jeunes générations qu’on peut espérer faire revivre l’homme naturel dans
l’ordre social. Il écrivit Emile avec amour, en pensant à l’enfant qu’il aurait voulu être. On
objecta à l’auteur que son postulat initial (sur l’absence de mauvais instincts chez l’enfant)
était faux, - que le sens, l’intelligence et la moralité se développaient simultanément, - que les
truquages perpétuels grâce auxquels le percepteur d’Emile dirige l’éducation de cet enfant de
la nature en lui laissant l’illusion de sa liberté, étaient le comble de l’artifice. Il rappelait que
l’objet essentiel de l’éducation est de former des hommes et non des mandarins.

Contrat social-fragment d’un livre inachevé, les Institutions politiques. – construction


purement théorique, menée en dehors du temps et du l’espace.

Ce petit livre devenait le Coran des révolutionnaires ; il inspirait la déclaration des droits de
l’homme et du citoyen; il servait à légitimer les violences des jacobins. Aujourd’hui encore, sa
critique de la propriété est à la base des doctrines sociales et communistes modernes

Il formule la théorie de l’étatisme absolu : le souverain y est souverain maître des biens, de la
personne, de la conscience même des particuliers. On a soutenu que Rousseau, si
passionnément attache aux droits de l’individu, s’était ici contredit lui-même ; c’est faute
d’avoir pris garde que l’étatisme était pour lui un moyen, le seul qui lui paraissait possible
pour dissoudre les forces qui opprimaient l’individu et pour maintenir au profit de l’individu
l’égalité ainsi rétablie.
Les Confessions- écrit autobiographique

Par cette œuvre, Rousseau prétend se montrer à ses adversaires réels ou imaginaires tel qu’il
est, sans aucune correction, en pleine sincérité. Par la confession de ses erreurs et péchés,
l’auteur veut se justifier et s’absoudre lui-même contre tout calomniateur. Les confessions ont
un double destinataire : dieu et les hommes. On constate la présence diffuse du lecteur, le
témoin possible se réduisant le plus souvent au on indéfini.

Rousseau nous présente vraiment sa transformation : il est devenu un homme moral par une
rude confrontation avec les imperfections, les impuretés, les vices de son être, tout aussi
puissants que ses vertus.

En parlant du style de Rousseau, on découvre 2 « tonalités » particulièrement significatives :


le ton élégiaque, qui exprime le sentiment du bonheur perdu, favorisant le passé au détriment
du présent et faisant du moment de l’écriture le temps de la disgrâce, et la narration de type
picaresque, pour laquelle le passe est « le temps faible », c’est-à-dire temps des faiblesses, de
l’erreur, des humiliations.

Passé et présent sont doublement valorisés par Rousseau : le passé est tour à tour objet de
nostalgie et objet d’ironie, le présent est regardé tantôt comme état de dégradation morale,
tantôt comme état de supériorité intellectuelle.
LE ROMAN AU XIXe SIECLE
- les premières années du XIXe siècle enregistrent une crise du roman
- vers le gothique et vers l’intrigue sentimentale
- le roman sentimental →le roman intime= cultive le ton pathétique et déplace le conflit
vers l’intérieur (Chateaubriand, Benjamin Constant, Senancourt)

Le roman historique- le fruit du romantisme

L’influence de Walter Scott

-Donne le tableau fidèle du passé

-Introduit dans le roman des innovations :

- la description de mœurs et des caractères ;

- le dramatisme de l’action ;

- le grand rôle accordé au dialogue.

- le décor est peint avec minutie et sensibilité ;


- le costume est celui du temps qu’il décrit ;
- l’ histoire- pleine de couleur et de vie.

Les personnages

- n’appartiennent pas aux grandes personnalites historiques;


- ce sont des gentilshommes;
- leur mission- mediateurs entre les extrêmes dont le conflit fait l’intrigue

La structure narrative

- liaison établie entre l’individu et son milieu;


- les details physiques et vestimentaires, les elements du decor s’attachent a restituer la
couleur locale
- la description des milieux et le portrait occupent une large place
VICTOR HUGO
(1802-1885)

ROMAN HISTORIQUE- « Notre Dame de Paris »

- une imitation d’après Walter Scott


- le livre apporte au-delà d’un sujet factice, une évocation colorée du Paris moyenâgeux
- œuvre « d’imagination, de caprice et de fantaisie »
- va vers une suite de tableaux qui ressuscitent toute une époque
- ne met pas au premier plan les grandes figures de l’histoire. Ses personnages= individus
anonymes
- le conflit érotique y tient la première place. Chez Walter Scott, le conflit passionnel sert à
mettre en évidence l’énergie de l’histoire, tandis que chez V. Hugo l’histoire devient un
prétexte.
- Avec Notre Dame de Paris le roman historique devient une épopée médiévale, par la vie
tumultueuse qu’il donne a une ville et a une cathédrale, ainsi que par le caractère
symbolique de ses personnages.
- Victor Hugo crée un roman pittoresque qui se remarque par le mouvement des foules, les
qualités dramatiques et les vertus du dialogue.
- apporte le combat du bien et du mal
- le conflit devient moral
- l’histoire devient ainsi une leçon de morale

Victor Hugo- romancier


Victor Hugo vient au roman de très bonne heure. Après le roman historique « Notre Dame de
Paris », il publie « Claude Gueux » une ébauche des « Misérables ». La parution des
« Misérables » est reçue par réserves de la part de Flaubert, des Goncourt ou de Zola.

Il se laisse conquérait par la fantaisie dans la peinture de la réalité. Il préférait le romantisme


au réalisme et le spiritualisme au positivisme.

« Les Misérables » sont le roman de toute une vie, l’ épopée d’une conscience humaine qui
passait du mal au bien ; l’ odyssée de l’homme rejeté par la société, cet homme qui réussit à se
redresser et qui monte vers l’épreuve suprême. Il édifie un roman énorme, en huit volumes
trop chargé et inégal, mais puissant et riche, fruit de l’imagination épique et d’une
documentation sérieuse.

- le roman est dominé par une thèse humanitaire: l’injustice, l’indifférence, le système
répressif, poussent les « infortunés » à devenir des « infâmes » ; pour les sauver, il faut de
la patience et de l’amour, il faut de l’instruction, de la justice sociale et de la charité
chrétienne.
- ce que V’H. se propose par ce roman est de composer « une montagne », « le poème de la
conscience humaine », « une épopée supérieure et définitive ».

La période envisagée était 1815-1832. Le conflit était moins social que moral et
philosophique. On n’envisageait pas la lutte des pauvres et leur libération, mais l’ascension
vers un idéal spirituel= l’épopée d’une conscience

Michel Raymond dit que « V.H. ne s’intéresse pas à la réalité sociale de Jean Valjean,
mais à son salut. »

- c’est la réalité qui envahit le roman et les événements historiques y occupent une large
place

Les personnages

- quoique symboliques, existent ;


- ont une vie romanesque puissante et s’imposent par leur présence ;
- malheureusement leur psychologie est assez sommaire ;
- bâtis par contraste, ils mêlent les lumières et les ténèbres et réalisent l’équilibre sur lequel
repose le roman : l’évêque et le policier, Cosette et Thénardier ;
- Jean Valjean lui-même « illustre le mythe d’un Satan Christ » ( Raymon M.)
- les personnages secondaires prennent du relief et constituent parfois de vrais créations :
Gavroche, Eponine.

Les structures narratives

- l’œuvre laisse l’impression de chaotique

On décèle 5 parties dont 4 portent le nom d’un personnage : Fantine, Cosette, Marius, Jean
Valjean, le 4e L’Idylle rue Plumet et l’épopée rue Saint-Denis a un sens unificateur

Chaque partie débute par une longue introduction ensuite c’est le récit et l’analyse des
personnages. Les débats de conscience de Jean Valjean, l’évolution de Marius, l’évolution
sentimentale de Cosette constituaient une sorte de contrepoint à l’action extérieure.
« L’histoire contée se déroulait sur deux plans : le monde et l’âme. » (Raymond M.) Hugo
démultipliait l’action romanesque au niveau de diversité apparente comme à celui de la
profondeur cachée.

Les trois premières parties de l’ouvrage « racontent les cheminements des principaux
personnages vers cette barricade de la rue de la Chanvrerie.. ». Dès la 4e partie Hugo réunit
tous les fils de l’intrigue ; le rythme haletant du récit, après les lenteurs d’une triple
préparation, emporte d’un seul coup tous les personnages.

De grandes digressions interrompent le déroulement du temps romanesque pour imposer une


vision simultanée de l’ensemble.

Un vrai mythe de l’auteur élève celui-ci à l’omniscience. Hugo c’est la Providence qui voit
tout, qui connait tout et qui dirige les moindres gestes de ses héros.

LE ROMAN RÉALISTE
HONORÉ DE BALZAC
(1799-1850)
Principales œuvres : Le dernier Chouan ou la Bretagne en 1800 [Les Chouans]-1829 ;
Scènes de la vie privée,1830 ; La peau du chagrin, 1831 ; Romans et contes
philosophiques, 1831 ; Le médecin de campagne, 1833 ; Scène de la vie de province,
1833 ; Séraphita,1834 ; Le Père Goriot, 1834 ; Scènes de la vie parisienne, 1834 ; La
Recherche de l’absolu, 1834 ; La femme de trente ans, 1834 ; L’Interdiction 1837 ; Les
employés, 1837 ; La Vieille Fille, 1837 ; Illusions perdues, Béatrix, 1839 ; Une ténébreuse
affaire, 1841 ; Ursule Mirouët, 1841 ; Un début dans la vie, 1842, Splendeurs et misères
des courtisanes, 1843 ; Les Paysan, 1844 ; Petites misères de la vie conjugale, 1844 ; La
cousine Bette, 1846 ; Le Cousin Pons, 1847

Le roman réaliste se trouve en germe dans les théories romantiques. Par le goût du concret et
la préoccupation du détail précis, par les ambitions d’exactitude du roman historique , le
romantisme ouvre au fond, la voie au roman réaliste.

Apres 1830, Balzac s’arrête, dans de nombreuses préfaces sur la valeur du détail que ses
prédécesseurs n’avaient pas inclus dans leur programme.

Le réalisme de Balzac sera visionnaire. Pour mieux saisir les mécanismes sociaux, le
romancier sera doublé du philosophe. La philosophie de Balzac, exposée dans l’Avant-Propos
à la « Comédie Humaine » repose sur la constatation qu’ « il n’y a qu’un seul animal ». Il y a
des « Espèces sociales comme il y a des espèces zoologiques ». A la différence de l’animal,
l’homme saura transposer sa vie intérieure dans l’aspect extérieur.

Le romancier philosophe sera donc doublé du peintre, qui à l’aide de la description minutieuse
du milieu, des vêtements, de traits physiques et des particularités du langage pourra suggérer
le côté profond de l’individu.

La matière du roman est l’histoire des mœurs. Pour réaliser l’image globale de son époque, le
romancier a l’idée de relier les romans les uns aux autres à l’aide des personnages
reparaissants.

- préoccupé de la structure de l’ensemble

Les chefs-d’œ uvres de Balzac

Eugenie Grandet

- a imprimé le cachet à la révolution que Balzac a portée dans le roman.


- là c’est accomplie la conquête de la vérité absolue dans l’art, là est le drame appliqué
aux choses les plus simples de la vie privée. C’est une succession de petites causes qui
produit des effets puissants.
- Une étude minutieuse des mœurs de la vie de province
- le roman balzacien est construit sur un modèle dramatique qui exprime une vision
dynamique du réel, une attitude philosophique.
- la forme (structure narrative) du roman balzacien est une réponse aux interrogations de
la réalité, une lecture et un commentaire du réel.
- pour lui un drame= une suite d’actions, de discours, de mouvements qui se précipitent
vers une catastrophe
- le discours narratif balzacien se développe ensuite et s’étale dans des espaces textuels
amples qui semblent suspendre le récit par des retours en arrière et des descriptions
détaillées. La description de la maison de Grandet n’a pas seulement une valeur
pittoresque : elle aide à comprendre. Grâce au procédé de retour en arrière,
l’exposition gagne de la profondeur, la durée pénètre ainsi le roman.
- Balzac fait appel à l’une des ressources traditionnelles de la narration, l’analepse, la
rétrospection, l’évocation d’un événement (ou une série) antérieure au moment où
débute l’action. La fonction est de récupérer la totalité des antécédents narratifs pour
expliquer les ressorts du drame.
- Le narrateur reprend le récit là où il l’avait interrompu.
- L’insertion d’un nouveau personnage dans le récit entraîne toujours une analepse, qui
présente amplement ses antécédents.
- dans l’intention de révéler les relations d’interdépendance qui relient l’homme au
milieu où il vit, le narrateur omniscient interrompt le récit des événements par des
longs fragments descriptifs.
- la description accumule une multitude de détails à fonction référentielle
- par les détails le narrateur donne des informations sur le logement, la physionomie, les
vêtements des personnages, pour marquer leur condition humaine est sociale.
- dans le roman balzacien la perspective narrative est généralement l’attribut du
narrateur.
- l’omniscience d’un personnage est toujours l’omniscience de l’auteur
- récit à la troisième personne
- le retour des personnages- la reprise des personnages dans divers romans. Le Père
Goriot est le premier roman ou ont apparu des personnages créés pour des romans
parus antérieurement

Point de rencontre de nombreux personnages balzaciens le roman est considéré la cellule-


mère de la Comédie Humaine.

Thèmes fondamentaux de l’univers balzacien

 le thème de la paternité
 le drame de l’argent
 l’assaut des ambitions à la conquête de la fortune
 Paris comme un alambic ou les valeurs humaines se transforment en contact
avec le jeu des intérêts
Ces personnages reparaissants forment le fond social constant de la Comédie Humaine. La
réapparition des personnages dans des moments et des circonstances différentes de leur
trajectoire individuelle provoque une multiplication des plans de la narration.

Le récit linéaire est remplacé par le récit -mosaïque où chaque segment narratif est lie à
l’ensemble, des éléments du récit connus dans d’autres romans ajoutent des résonnances
supplémentaires à l’action racontée et ouvrent des perspectives vers des destinées et des
conflits complexes.

Possédés par le soif de connaître, par l’amour ou la haine, par l’ambition de s’élever dans la
hiérarchie sociale- les héros de Balzac vivent l’épopée de la volonté

Le personnage balzacien

- Balzac entretient avec ses personnages une relation autoritaire, le romancier


omniscient étant maître absolu du temps et de l’espace. En même temps, a l’intérieur et
a l’extérieur de ses personnages, il illustre la « focalisation zéro », le point de vue de
Dieu.
- Il envisage l’homme comme représentatif d’un groupe social.
- Les personnages balzaciens subissent les déterminations historiques et sociales. Si
Harpagon reste isole dans la passion, Grandet est le fruit de son époque. Balzac
restitue aux archétypes la dimension humaine. Ils se font en contact avec les réalités
sociales. Rastignac, avant d’être l’arriviste sans scrupules, a été un jeune homme plein
de candeur et tendresse.
- L’attitude du romancier à l’égard de ses personnages est celle du père Goriot à l’égard
de ses filles. Il les décrit, les juge et la mystique de la paternité envahit le monde de la
Comédie Humaine.
STHENDAL
Principales oeuvres: Correspondance, 1800-1842; Journal, 1801-1823; Pensées. Filosofia
Nova, 1802-1803 ; De l’Amour, 1822 ; Racine et Shakespeare, 1823, 1825 ; Armance, 1827 ;
Le Rouge et le Noir, 1830 ; Souvenirs d’Egotisme, 1832 ; Lucien Leuwen, 1834-1835 ; Vie de
Henry Brulard, 1835-1836 ; Mémoires d’un touriste, 1836 ; La Chartreuse de Parme, 1839 ;
Chroniques italiennes, 1839 ; Lamiel, 1839-1842

Stendhal et le roman psychologique

- Les romans de Stendal impliquent une expérience

L’action de chacun tourne autour d’un jeune homme qui ressemble plus au moins à l’auteur,
mais qui évolue dans un autre milieu et qui a un autre sort. Autour de ce personnage central
gravitent quelques figures vivantes inspirées de ses connaissances mais jamais copiées.

Armance- le thème de l’impuissance physique séparant deux amoureux. Fidèle à son idée de
réalisme subjectif, il cherchait une certaine vision du monde, l’image de la société parisienne
donnée par un infirme. L’intrigue était le contraire d’une idylle. Elle débute par l’amour,
continue par l’amitié et la séparation définitive.

Si Armance est le roman de la faiblesse, le rouge et le noir est le roman de l ’énergie et de la


volonté.

- la matière du roman- la France de 1830, la province et Paris

Julien Sorel- illustre l’énergie provinciale, les classes pauvres en ascension. Sous Napoléon il
aurait été rouge, c’est-à-dire soldat. Sous la Restauration, ce sera le noir qui l’aidera à parvenir.

- il est séminariste. Ensuite, c’est la conquête par les femmes. Madame de Rênal, Mathilde de
la Mole mêlent leurs destinées à celle du héros.

- Au fait divers et à l’expérience personnelle, Stendal ajoute des évènements historiques


réels empruntés à la société de 1830.

- Les luttes de l’opposition libérale et de la congrégation donnent à ce livre un accent de


vérité

Julien Sorel qui veut réussir doit très bien connaître le contexte social et se plier à ses
exigences.

- Le Rouge et le Noir est un des premiers roman du XIXe siècle dont le héros est âprement
confronté au monde réel.

- le réalisme de Stendal s’ajoute à ses vertus de psychologue et de moraliste.

Le Rouge et le Noir= l’histoire d’une âme noble, d’un passionne qui souffre de ce décalage
qu’il constate entre son génie et sa condition

Lucien Leuwen- sur les 3 parties que comprend le pan, Stendal n’en a réalisé que 2. Dans la
première – l’amour de Lucien pour madame Chasteller, dans la deuxième envisage
l’expérience politique du héros de même que sa liaison avec madame Grandet.

- le roman de l’initiation. A travers des expériences diverses, le héros connaît le monde réel
et se découvre soi-même.
La chartreuse de Parme nous plonge dans l’atmosphère chargée de la Cour de Parme en
1815, la duchesse Sansévérina veut pousser son neveu Fabrice et en faire une archevêque.
Apres avoir lutter à Waterloo Fabrice del Dongo change le rouge par le noir.

- Le héros de ce roman est un autre Julien Sorel

- Jeune passionné et intelligent, il vit dans un monde qu’il déteste. Admirateur de Napoléon,
Fabrice doit tricher pour réaliser ses rêves de grandeur.

- A la différence de Julien qui est un solitaire, Fabrice est toujours entouré de monde.

- Habitue à la société, il fait du mensonge un savoir-vivre

- Il a une merveilleuse aptitude au bonheur ce qui l’approche de son auteur

Lamiel – l’héroïne de ce roman inachevé est la réplique féminine du Julien Sorel. Tout aussi
énergique et forte que celui-ci, Lamiel ne finit pas sur l’échafaud, mais ne peut trouver
l’amour qu’auprès d’un forçat.

L’ originalité de Stendhal

- roman de la condition humaine, le roman stendhalien part à la recherche de l’homme


supérieur

- Stendhal étudie la psychologie amoureuse, mais ne perd pas de vue la volonté et l’énergie

- Il explore la sensation. Les mystères de l’âme sensible le préoccupent dans le plus haut
degré.

- De l’observation du soi, il arrive à l’observation des autres

- Ses romans brossent un vaste tableau de la société française et italienne

- Le Rouge et le Noir dévoile la Restauration à travers la perspective intérieure de Julien


Sorel

- l’accommodation du personnage suppose une leçon d’hypocrisie et de faux-semblant


- à la différence de Balzac, Stendhal s’intéresse à l’analyse du cœur humain

Le personnage

Auerbach dans Mimesis considère Stendhal le fondateur du réalisme dans ce sens qu’il a lié
l’individu au milieu qui l’avait produit.

- L’opposition entre la volonté et une destinée assez souvent tragique, confère à l’individu
un statut héroïque.

- Le héros stendhalien est un individu actif qui va à la rencontre de l’aventure

- Il refuse l’hypocrisie comme ennemi de la spontanéité et adopte la provocation.

- Il commence par se cherche un modèle qui pour Julien Sorel ou Fabrice del Dongo est
Napoléon Bonaparte.

- Entre le héros et son désire intervient un médiateur qui est de nature interne parce qu ’il
appartient au monde réel

- Le héros stendhalien s’oppose au héros romantique qui ne reconnaît jamais son modèle

- le personnage offre des hypostases diverses.

- Si Julien Sorel s’efforce d’étouffer en lui la voix d’une sensibilité folle, Fabrice del Dongo
ne s’intéresse qu’à son bonheur. Entièrement détaché du contingent, Fabrice promène dans
les salons une indifférence à l’égard du monde qui est l’expression d’une suprême sagesse.

- Individualiste et épicurien, Fabrice illustre dans le plus haut degré le beylisme (double
attitude devant la vie) propre au personnage de Stendhal : le culte du moi (l’égotisme), l’art
de découvrir le bonheur par l’affinement de l’intelligence et de la sensibilité.

- Le culte du l’énergie nous dévoile un être fort, toujours préoccupe a étouffer ses passions.

- Le combat avec soi-même, le rend imprévisible, redoutable, mais également vulnérable.

- Etre d’élection, ambitieux et orgueilleux, le personnage stendhalien sera moins la victime


d’une fatalité sociale, mais plutôt d’une fatalité biologique.

L’ art narratif
- N’adopte pas le modèle de Walter Scott, sa structure romanesque ne réside pas dans cette
longue exposition et cette action dramatique qui se précipite vers le dénouement.

- La composition procède d’une succession d’épisodes qui suivent les étapes d’une vie.

- L’ordre est donné par l’enchaînement temporel des événements et le retour en arrière
n’apparait que très rarement chez Stendhal, prêt surtout à accélérer qu’à ralentir.

- Dans « Le Rouge et le Noir » seul le récit d’enfance de Julien transfère le lecteur au passé.
Dans le reste on se trouve dans un présent continu ou l’analyse est tout aussi rapide que
l’action.

- A l’intérieur du roman, les descriptions sont assez courtes, d’un seul trait, Stendhal
évoquant un vaste paysage. Lorsque les descriptions sont faites par les personnages eux-
mêmes, elles sont fragmentaires, à mesure que ceux-ci découvrent la réalité extérieure.

- Une restriction du champ narratif aux perceptions et aux pensées d’un seul personnage.
L’image de la totalité est réalisée par le changement de foyer et par l’instruition de l’auteur.

- On a accès à la pensée des personnages par le monologue intérieur. Le récit de l’auteur est
lie à celui-ci par le discours indirect libre. Le lecteur saisit donc le personnage d’une
perspective complexe, de l’intérieur et de l’extérieur ce qui conduit à la transparence totale
du livre. Le lecteur vise donc a l’omniscience

- La présence de l’auteur dans ses romans est d’habitude ambiguë

Les épisodes d’ une vie

Dans Le Rouge et le Noir, Lucien Leuwen, Stendhal échappait au schéma balzacien : la


division en chapitres est parfois hasardeuse, l’auteur adopte le principe d’une simple
succession d’épisodes pour suivre les étapes d’une vie

- Assure à son récit, même s’il prétend que l’idée de faire un plan le paralyse, une forte
structure par un jeu de contrastes et de symétries

Stendhal et le souci de l’ exactitude

Ce gout de la vérité fondée sur l’observation intime écartera même Stendhal du roman en le
conduisant à l’autobiographie

- Il s’opère dans son œuvre une circulation entre l’autobiographie et le roman ; il entend bien
pénétrer ses fictions de la vérité qu’il avait pu observer en lui-même
- L’image du miroir revient volontiers sous sa plume. « Un roman : c’est un miroir qu’on
promène le long du chemin. »- met en évidence le caractère réaliste de son art. Si chez
Balzac on peut parler d’un miroir concentrique, captant les multiples facettes de la réalité,
chez Stendhal « le miroir qu’on promène » se rapporte à la fois à une réalité intérieure (de
l’individu) et à une réalité extérieure ce qui confère une double forme au roman
stendhalien : la forme biographique et la forme chronique.

- Il y a dans Le Rouge et le Noir, à côté des souvenirs personnels et des faits divers trouvés
dans La Gazette des Tribunaux, des éléments qui sont empruntés à la chronique de 1830.
Ces « pilotis » historiques donnent au roman son accent de « vérité, d’âpre vérité ».

- Julien, est contraint, s’il veut réussir, de se plier aux exigences des forces dominantes.
C’est par là que Stendhal montre son souci de la vérité et qu’il fait faire au roman moderne
un progrès décisif : le héros doit affronter les rigueurs du monde véritable.

Le Rouge et le Noir, Lucien Leuwen présentent une image vivante des mœurs du temps et des
forces qui s’affrontent. Avec Lucien Leuwen, Stendhal est encore allé plus loin dans le souci
d’exactitude.

L’exacte représentation des mœurs du temps, la peinture d’un héros qui éprouve sa valeur au
contact du monde nous fait assister, avec Le Rouge et le Noir à la naissance du roman
moderne.

- Ce roman dresse le personnage de Julien dans toute sa stature de d’ambitieux : s’il échoue,
ce n’est point par sa faiblesse, mais par celle d’une femme qui l’a aimé. L’auteur met en
relief la noblesse du héros vaincu.

Lucien Leuwen- le roman comporte moins de netteté dans sa progression et dans sa


construction. Lucien est hésitant, indécis, critique de lui-même, plus inquiet que ne l’était
Julien. Il a des contours flous, quand le caractère de Julien présentait des arrêtes vives.

L’actualité nourrit le roman de références constantes. L’amour du héros pour Mme Chasteller
est la seule valeur qui soit préservée, il fait contraste avec la misérable horreur au sein de
laquelle Lucien est oblige de vivre, à laquelle même il lui faut participer s’il veut sortir de soi
et devenir quelqu’un.

Stendhal ne veut pas se parer des dons du narrateur omniscient de type balzacien, qui prend en
charge la présentation des événements et des personnages. Il fait de ses héros- le centre de
perspectives.
On a affaire dans le récit stendhalien à plusieurs types de perspectives ou de « visions ».
Stendhal investit ce héros du don de voir les choses et puisque ce héros est toujours tourné
vers l’intérieur, prêt à analyser ce qui se passe autour de lui en fonction de ses pensées et de
ses sentiments, on peut parler « d’une vision intérieure »

- Vision extérieure, agrémentée par une infinité de tons- ironique, espiègle, familier, tendre

- Vision complice lorsque le narrateur regarde son héros par les yeux d’un autre personnage

- Stendhal sait allier le général au particulier, le subjectif à l’objectif, le concret à l’abstrait,


la clarté à l’ambiguïté

Julien, Fabrice, Lucien, Lamiel- leur vie intérieure est faite de débats incessants, tout est
expérience et découverte pour eux.

- agissent au nom de leur propre éthique, ils ne se soucient pas de plaire aux autres.

Poursuivant la trajectoire d’une existence, Stendhal présente le déroulement chronologique du


temps, ce qui assure la cohésion de l’intrigue.

On distingue 2 niveaux temporels :

- celui de la narration (exprime par le passé)

- celui du personnage qui vit au présent


GUSTAVE FLAUBERT

(1821- 1880)

Principales œuvres : Madame Bovary, 1857 ; Salammbô, 1862 ; L’Education sentimentale,


1869 ; La Tentation de Saint Antoine, 1874 ; Trois Contes ( Un cœur simple, La Légende de
Saint Julien l’hospitalier, Hérodias), 1877 ; Bouvard et Pécuchet, inachevé, posth.1831 ;
Correspondance, posth., 1909-1912

G. Flaubert illustre, d’après Albères, le réalisme documentaire. Son réalisme, il le définit au


moment où il compose Madame Bovary : « Je voudrais écrire tout ce que je vois, non tel qu’il
est, mais transfiguré. »

La littérature pour lui devient une libération car transfigurer la réalité est une façon de la nier.
Le sujet de la plupart des œuvres est tire de la réalité ignoble qui exerce sur lui, comme sur
Baudelaire, une étrange fascination.

Madame Bovary

- S’inspire d’un fait divers


C’est l’histoire d’un médecin de Ry, Eugène Delamare, qui meurt de chagrin après
l’empoisonnement de sa femme. Flaubert reprend cette histoire qu’il place dans le décore
banal d’un bourg de province.

L’héroïne, Emma Bovary, lectrice passionnée des romans sentimentaux et douée d’une
sensibilité vive, se cherche des évasions dans les rêves.

Elle transfigure la réalité, tout prend dans son imagination des proportions exagérées. Cette
puissance d’illusion devient le vrai sujet du livre. (le bovarysme)

- cette fusion du réel et de l’imaginaire rend Emma pathétique.


- une succession de tableaux et de scènes suggérait l’écoulement d’une durée
- la construction en spirale procédait par la reprise des thèmes plus amplement
développés
Le style indirect libre permet à Flaubert de s’insinuer dans la conscience de son héroïne.
L’auteur qui se veut impassible, mai qui affirme « Madame Bovary c’est moi » se dissimule
derrière la lutte avec les mots et derrière l’ironie. Le style devient l’instrument de parodie et de
caricature.

L’ironie qui transforme le lecteur « en complice de sa destinée » devient tragique.

Si l’entourage d’Emma accepte la médiocrité, elle seule, par son refus, connait le gout de
l’absolu.

Salammbô

- c’est la rêverie voluptueuse, c’est le goût de l’Orient barbare


- ressuscite un monde artificiel, repose toujours sur la documentation
- le sujet est tiré d’un fait réel
- ce roman d’un monde fastueux est à l’opposé du banal qui faisait la matière de
Madame Bovary.
- à la limite du roman historique et du roman personnel, Salammbô c’est le désire de la
solitude, le désir de sortir du monde moderne.
- la réalité semble fixée dans un présent éternel et le paysage se pétrifie

L’ éducation sentimentale
Le roman de l’échec, L’éducation sentimentale n’est pas seulement le roman d’un temps, c’est
celui d’une vie. Flaubert suit de près le paysage de l’adolescence à la maturité, jusqu’aux
résignations de la cinquantaine. L’autobiographie y tient une large place.

Son roman se retrace les espoirs et les déboires d’une vie ; il est fait du tissu ordinaire des
jours, il ne fait pas la pyramide.

On assiste à une lente désagrégation d’une vie.

La succession des scènes rend sensible l’émiettement de la vie en une poussière de menues
circonstances.

Les démarches succèdent aux démarches, les visites aux visites, les conversations aux
conversations.

Le roman de Flaubert donne l’impression de ce qui se passe dans la vie, ou il ne se passe rien,
ou c’est la vie qui passe.

Flaubert écrit avec « L’Education sentimentale » le roman d’un temps désemparé : les hommes
ont cessé de déterminer l’Histoire, ils sont marqués par elle.

Flaubert a une vue lucide, dès le début, de ce qu’il voulait faire, ou plutôt de la seule chose qui
restait à faire dans l’époque qui était la sienne.

« Je veux, écriva-t-il, faire l’histoire morale des hommes de ma génération ; « sentimentale »


serait plus vrai. C’est un livre d’amour, de passion, mais passion telle qu ’elle peut exister
maintenant, c’est-à-dire inactive. »

L’éducation sentimentale a passé longtemps pour être un roman dépourvu de composition : les
épisodes se succèdent sans cette « fausseté de perspective » par laquelle l’artiste, disait
Flaubert, donne ordinairement un sommet à son œuvre, lui fait « faire la pyramide ».

L’intrigue tourne autour d’une rencontre qui est celle du jeune Flaubert et de Mme
Schlésinguer.

L’art de Flaubert devient moins impersonnel pour faire revivre des souvenirs d’enfance et des
personnages qu’il avait réellement connus.

C’est le roman de l’expérience qui évoque l’adolescence et la maturité de toute une génération.

- réalise une véritable fresque historique


- du roman personnel il arrive au roman des mœurs
- met sur le premier plan les personnages secondaires de la vie historique
- a une valeur documentaire
- Fréderic Moreau est un velléitaire, un héros désemparé, dépourvu d’énergie, tout à
l’opposé des personnages stendhaliens
- incarne une génération en déroute, un monde qui se désagrège
- le thème de l’échec, le thème « des illusions perdues » était repris et amplifié;
- l’amour pour une femme mariée c’est un rêve impossible dans ce décor de la banalité.
- La technique romanesque est faite d’une succession de scènes. L’intrigue réduite au
minimum annonce l’esthétique naturaliste

Bouvard et Pécuchet

- Œuvre posthume, est l’aboutissement de ce drame de l’échec


- Le domaine envisage est celui de la science
- Les deux personnages, arrives à l’aisance vers la cinquantaine, s’établissent à la
campagne et décident de tout connaître, depuis l’agriculture jusqu’à la philosophie.
Leur effort comprend d’habitude deux phases :
I. documentaire, théorique
II. pratique
- la distance narrative diminue
- le dernier chapitre, suggère le retour des héros à l’automatisme d’autrefois
- avec ce roman débute la crise du genre romanesque
- L’énumération des sciences remplaçait la progression de l’action
C’est la fin du roman d’analyse, la fin du personnage et la démolition du langage.

- Le trajet circulaire, les deux héros revenant au point de départ, est révélateur d’un
échec qui ferme sur lui-même.

L’ esthétique de Gustave Flaubert

Nature impétueuse et romantique, Flaubert est attiré, dans sa jeunesse par Goethe et V. Hugo.

- doué d’une imagination ardente, épris du monumental et du fantastique ;


- il s’impose la discipline la plus rigoureuse. Sa méthode est celle des sciences
biologiques.
- une documentation sérieuse précède la rédaction du roman.
- Le roman ne devra pas révéler la vie intime de l’écrivain : « Je n’aime pas intéresser
le public avec ma personne. » Mais cette objectivité n’exclut pas l’utilisation des
éléments personnels. C’est que l’auteur doit se faire entendre sans se faire voir.
- l’ originalité de Flaubert est du à son style. « Etant à lui seul une manière absolue de
voir les choses » le style devient dans le contexte flaubertien, rythme et musique.
- le langage littéraire sera celui de la précision et de la vigueur
- l’idéal parnassien de la beauté formelle conduit Flaubert aux « offres du style »- cette
lutte de tous les jours avec les structures et les mots

Les structures narratives

- le roman flaubertien se déroule comme dans la vie sans bouleversements


spectaculaires. La succession des scènes où l’élément dramatique n’est pas
prédominant fait avancer une action d’habitude banale.
- Les structures statiques occupent, en échange, une place de choix
- Les descriptions abondent, mais elles ne répondent pas, comme chez Balzac, à une
exigence d’ordre dramatique, mais uniquement à la passion de contempler. C’est une
description gratuite qui suspend l’action et ne l’explique pas. La tension dramatique est
gênée par ces interruptions descriptives.
Le personnage

- Est envahi par ce monde extérieur et la sensation devient toute puissante


- le héros de Flaubert est l’adepte de la frénésie et de l’expérience totale (Jean pierre
Richard)
- le désir de destruction et de cruauté- Salammbô est la meilleure illustration
- l’échec est à la mesure de l’entreprise, c’est l’échec total, celui de Bouvard et Pécuchet
- « nature nerveuse et féminine » Flaubert fait preuve d’une sensibilité extrême
- un idéaliste pour lequel les limites du réel et de l’imaginaire sont bien fragiles
Composition symphonique

- Flaubert a inventé dans Madame Bovary, le principe du récit éclate


- L’art lui est apparu comme le seul monde de connaissance
- la nature de Flaubert est complexe : romantique par goût et formation et classique par
raison
Cette double tendance se manifeste par l’alternance des sujets qu’il traite : M. Bovary/
Salammbô

- quel que soit le sujet, la méthode reste la même : impersonnalité, observation et


documentation minutieuse, forme à la fois éclatante et sobre
Place de Flaubert entre le romantisme et le réalisme.

Ses goûts sont caractéristiques : il aime Victor Hugo et Boileau, Montesquieu et


Chateaubriand

- il est romantique et classique à la fois


- il tenait au romantisme par son éducation
- il avait hérité du romantisme : la haine du bourgeois, la soif de l’étrange, de l’énorme,
de l’exotique
ANDRÉ GIDE

(1869- 1951)

Principales œuvres: Les Cahiers d’André Walter, 1891; Le Traité du Narcisse, 1892; Le
Voyage d’Urien, 1893; Paludes, 1895; Les Nourritures terrestres, 1897; L’Immoraliste, 1902 ;
La Porte étroite, 1909 ; Isabelle, 1912 ; Les caves de Vatican, 1914 ; La Symphonie
pastorale, 1919 ; Les Faux- Monnayeurs, 1925-1926 ; L’Ecole des femmes, 1929 ; Robert,
1930 ; Les Nouvelles Nourritures, 1935 ; Geneviève, 1936 ; Journal, 1932 et 1936 ; Thésée,
1936

Gide a été presque uniquement connu un des plus grands écrivains de son siècle. Comparé à
Malraux, Sartre, Camus, Beckett, l’œuvre de Gide a relevé une frivolité. Mais aujourd ’hui on
se rend compte que son œuvre renouvèle le dialogue permanent entre l’art et le monde. Il a eu
un esprit très mobile désireux de tous connaître.

Il a eu des initiatives qui ont ouvert des perspectives nouvelles à la littérature. Au début il a
été influencé par le symbolisme (la période décadente)

Le personnage Hathanaël- « les Nourriture terrestres »- il est l’auteur même, il veut connaître
le véritable sens de la vie, l’exaltation, libération totale pour connaître toutes les joies de la
terre.

« L’immoraliste »- conséquence de son voyage en Tunisie et de son expérience


- se présente comme une nouvelle éthique qui devenait une science

Toutes ses œuvres- une recherche patiente de la libération complète de l’âme. Marqué par une
éducation rigide conforme aux traditions protestantes, étouffé par une affection maternelle
abusive il a voulu rompre ses chaînes.

Mais l’adolescent dispose à suivre son leçon devra commencer par se libérer des contraintes
qui entravent son élan vers les joies de la terre.

Gide gardera malgré son désir de goûter la vie, un attachement fidèle à Madeleine Rondaux et
l’admiration pour la foi chrétienne incarnée par Madeleine.

La plupart de ses œuvres révèle un conflit ou une oscillation entre l’aventure et la sagesse, le
plaisir et le sacrifice.

-être contradictoire ; ces contradictions il les met au compte de l’ironie- des livres ironiques
critiques.

Pour ses contemporains, Gide a été le grand contestataire de l’éthique imposée par une société
conventionnelle et hypocrite, un destructeur qui a fait éclater la morale et le langage, la
psychologie des caractères.

Ses livres posent des problèmes de la vie morale, mais ne leur apportent aucune solution. La
seule réponse c’est l’œuvre d’art

On peut voir successivement les problèmes :

Les caves du Vatican- l’act gratuit

La Symphonie pastorale- pb. de l’amour

La porte étroite- pb. de l’amour

Les Nourritures terrestres- la théorie de la disponibilité

L’Immoraliste- le pb. de l’individualisme, de l’égoïsme

Le Prométhée- la liberté

Paludes- l’absurde

A un seul live il donne le titre de « roman »- Les Faux-Monnayeurs


Gide renonce à la chronologie linéaire, utilisant la formule du roman dans le roman=
construction en abîme= métaroman. Pour point de départ il a choisi une aventure
extraordinaire, une bande d’escrocs qui pour exploiter la crédulité du monde catholique
reprend le bruit que le pape a été enlevé de Saint Siège.

Ainsi le monde chrétien se trouve déposséder de son chef spirituel. Pour délivrer le pape,
enfermé dans les caves du Vatican, ces aventures organisent une croisade secrète et volent
l’argent des fidèles.

On trouve une faiblesse dans la structure romanesque ; éléments divers qui s’ajoutent mais que
rien n’attire, il n’a pas pu achever son livre car les événements et les personnages ne le
conduisaient nulle part.

- l’influence de Dostoïevski dans la création du personnage ; promoteur de l’acte gratuit

L’ immoraliste

- œuvre important de Gide car s’est d’abord un témoignage d’une époque

- Le schéma : - ligne ascendante- la découverte de l’éthique

-la stagnation- l’application

- ligne descendante- les résultats

- une sorte d’osmose conjugale

Le roman est situé entre le symbolisme et l’existentialisme, le naturalisme et le Nouveau


roman

Les Faux-Monnayeurs

Gide l’a écrit après une correspondance avec Roger Martin du Gard- ils ont médité sur la
structure romanesque.

La critique a accueilli assez bien le roman ; attirée par sa nouveauté technique. Il est à la fois
théorie et pratique du roman (la mise en abime). Au centre il y a oncle Edouard ; il est en train
d’écrire ce roman; il fait des réflexions sur le roman et en même temps il a des relations avec
les personnages.
Le lecteur est dérouté par la structure, car l’auteur ne fait pas une composition dramatique
serrée, mais abandonne la chronologie et disloque le récit.

Le roman présente à la fois 3 chapitres ; il trouve que « la symétrie est nébuleuse ».

Refusant de conduire une intrigue centrale ferme, Gide multiplie les intrigue qui
s’entrecroisent et foisonnent dans des directions diverses.

Oncle Edouard en liaison avec tout le monde forme un lien assez artificiel. Cette structure
nonchalante convient à ce roman de l’adolescence, des êtres qui se cherchent, qui se forment.

La structure profonde réside dans les thèmes non dans l’intrigue.

Le thème : le titre du roman nous fait découvrir les thèmes les plus importantes.

1. Il rappelle la Cande d’enfants menée par Strouvilhon quittant d’écouler des fausses
pièces de monnaies- intrigue mineure

2. Il nous rappelle le titre du livre qu’Oncle Edouard s’efforce d’écrire. Même si cette
tentative souligne l’importance du genre romanesque, on ne peut pas dire que cette
intrigue justifie le titre

3. Le titre possède une valeur symbolique, un thème fondamentale, celui de la fausse


monnaie morale

La monnaie symbolise les valeurs éthiques les faux-monnayeurs-


MARCEL PROUST

(1871- 1922)

Principales œuvres: Les Plaisirs et les jours, 1896; La Bible d’Amiens, 1904; Du cote de chez
Swann, 1913; A l’ombres des jeunes filles en fleurs, 1918; Le Cote de Guermantes, 1921;
Sodome et Gomorrhe, 1921-1922; La Prisonnière, 1923; Albertine disparue, 1925; Le Temps
retrouvé, 1927; Chroniques, 1927; Correspondance générale, 1930-1936; Contre Sainte-
Beuve, 1954

“ A la recherché du temps perdu”: Du côté de chez Swann, A l’ombre des jeunes filles en
fleurs, Le côté de Guermantes, Sodome et Gomorrhe, La Prisonnière, Albertine disparue, Le
temps retrouvé

Par sa toute-puissante originalité de même que par sa masse énorme ce roman-là représente
pour le XX-e siècle français ce que le roman de Balzac avait représenté pour le XIXe siècle.

- Il contribue mieux que nul autre au changement radical, a la métamorphose que connait le
roman de XX sicle
- - replie sur lui-même, uniquement attentif à « traduire » fidèlement cette voix intérieure
qui lui parle, à la surprendre et fixer dans tout ce qu’elle a de fragile et de vulnérable
- A la recherche du temps perdu apporte une contribution très importante à l’histoire des
mœurs et pourrait être lu aussi comme chronique et même comme satire d’une certaine
société.
- Différence essentielle entre Balzac et Proust, il faut également admettre que les buts des 2
géants du roman français sont tout différents. Si l’un veut créer un roman qui se propose
de reproduire de la façon la plus fidèle une certaine réalité objective, l’autre ne s’intéresse
a cette réalité objective que pour nous dire que chaque conscience voit à sa manière cette
réalité et que le roman doit s’ingénier non pas à peindre le monde, mais à monter ce qui se
passe dans une conscience se trouvant face au monde.
o L’un vise en tout premier lieu le monde objectif
o L’autre – la conscience subjective
- Balzac décrit le monde tandis que Proust décrit la façon dont la conscience voit le monde.
- Le roman de Proust consacre la victoire de « la durée » sur le temps. Cette « durée » n’est
autre que le temps subjectif ou le temps vécu.
- La durée relève de l’expérience la plus intime et est différemment perçue par chaque
individu
- Le temps- « le temps des horloges » est un temps objectif, abstrait, le même pour tous, il
est conçu comme une suite régulière d’unités égales et identiques les unes aux autres,
établies par convention
- Temps des horloges- parfaitement mesurable, règle notre vie à tous, mais d’une certaine
façon (extérieure) car notre vie la plus intime est réglée par la durée→ la mémoire
volontaire

La mémoire involontaire

- l’opposé de la « mémoire volontaire » qui opère avec « le temps des horloges » (le tp.
chronologique)
- la mémoire involontaire opère tout spontanément, nous surprenant par ses découvertes ;
- elle n’est pas commandée par l’intellect et par la volonté, mais par la vie la plus secrète de
notre inconscient, de notre affectivité et de nos intuitions les plus obscures
- la mémoire volontaire nous livre un passé mort
- la mémoire involontaire nous livre un passé vivant, tout aussi vivant que le présent que
nous vivons
- ce passé revécu grâce à la mémoire involontaire a plus de réalité que le présent même
- avec Proust le roman devient un roman- quête, un roman gnoséologique
- la surprise produite par la mémoire involontaire arrête en quelque sorte le temps sur une
contemplation intérieure
- le sujet, détache de la sorte du monde extérieur, familier et habituel, va pénétrer en lui-
même
Chaque fois que la mémoire se déclenche, le narrateur a le sentiment qu’il retrouve une
sensation déjà ressentie et que cette sensation lui apporte un message fondamental caché, qu’il
veut comprendre.

Le sens se dérobe toujours, mais en revanche, le narrateur découvre chaque fois dans sa
mémoire le moment du passé où il a déjà eu cette sensation et il commence à raconter de sa
vie, ce qui suggère que le roman est autobiographique.

Chaque manifestation de la mémoire involontaire= comme une impulsion qui détermine le


narrateur à créer l’histoire de son passé.

Nouvelle conception du personnage

- on a beaucoup utilisé le mot de « discontinuité » à propos du personnage proustien


- il y a une discontinuité qui relève de cette pluralité des moi (successifs, superposés) qui
nous habitent et dont tantôt l’un tantôt l’autre vont se manifester, remis au jour par la
mémoire involontaire ces moi sont contradictoires, ils sont ce que nous avons été à tel
moment de notre existence ou à tel autre;
- ‘l’innommable », « l’incommunicable » de la vie de conscience obscure, n’y est-il
communiqué que par cet autre moyen possible : il faut le chercher dans ce qui n’a pas été
dit, et en faisant appel à sa propre expérience intérieure
- Le roman de Proust, roman sans action et sans sujet, est ennuyeux pour n’importe qui n’est
pas capable de cet effort
- Le roman est nouveau depuis sa phrase gigantesque, dont les méandres difficiles à suivre
épousent les mouvements obscurs de notre conscience, les associations arborescentes
suscitées par les sensations qui répondent, jusqu’à sa composition qui a renoncé à suivre la
chronologie des faits
Avec A la recherche du temps perdu l’expérience de l’espace et du temps devient l’objet du
récit

- dans A la recherche du temps perdu s’est opérée la métamorphose du genre romanesque


- Proust avait une vive conscience de la singularité de son entreprise
- comporte une part de chronique mondaine
- un roman d’initiation, puisque le narrateur passe par la double expérience de la mondanité
et de la passion avant d’avoir accès a la lumière de la révélation finale
- c’est l’histoire d’une vocation, Proust raconte comment Marcel devient écrivain
- le lecteur de Proust est conduit à porter moins d’attention à une intrigue qu ’au « monde
même »
- l’univers sensible de l’espace et du temps (« le monde même ») devient l’objet même du
récit, et l’auteur s’attache à utiliser toute la palette sensorielle par laquelle il peut restituer
au lecteur le monde tel qu’il apparait à la conscience du protagoniste
- le mot « tissu » indique bien que, dans le même moment, peuvent se mêler des sensations
de plusieurs ordres.
- Tout l’art de Proust, pour rendre compte de la totalité d’une expérience perceptive, consiste
à passer de l’impression à l’expression, a représenter au lecteur « le monde même », tel
que le perçoit le héros, par le truchement d’une riche réseau métaphorique
- L’action passe au second plan
La poéticité du roman

L’idée proustienne d’un 2e moi différent du moi quotidien- l’idée poétique énoncée par
Rimbaud, retrouvée dans l’esthétique surréaliste.

La présence de la musique et de la peinture acquiert dans la littérature une signification


particulière. Il y a une analogie entre la musique symphonique et les thèmes du roman : la
mort, le souvenir, la mutation de la personnalité humaine, le mystère de l’autre.

La peinture ne doit pas copier la réalité, mais la transposée.

Proust a longuement travaille sur le lexique : les noms des personnages forment un ensemble
de poéticité remarquable : Gilbert, Odette, Albertine, Swann, Guermand.

La nouveauté de Proust ne résidait pas dans l’usage de la première personne, mais de


l’emploie qu’il en faisait. Sous le couvert d’une première personne, l’auteur présentait une
succession d’événements ou de sentiments dramatiquement organisée ; il dessinait la courbe
d’une destinée. Il ne donnait pas à ses lecteurs l’occasion de suivre le fil de péripéties.

Le passage de « il » au « je » coïncidait avec le désir de fonder le roman sur une expérience


intime. Le roman se termine quand le narrateur a fini de rendre compte de tout son passé.
Le personnage proustien

Proust n’était pas seulement un moraliste, il a été un romancier capable de créer des
personnages qui vivent avec intensité.

Charlus est un des plus puissantes figures du roman français, il a la stature du Vautrin, mais il
porte en lui, comme beaucoup d’autres personnages proustiens, plus de contradictions qu’on
ne trouvait chez les haros de Balzac.

Nous ne sommes jamais place en son centre, nous n’avons sur lui que des renseignements
limites, le narrateur ne nous rapporte que ce qu’il sait.

On peut observer, chez Swann, pendant qu’il écoute la sonate de Vinteuil, la complexité et
l’enchevêtrement d’une conscience à plusieurs étages.

La multiplicité des états de conscience est souvent interprétée par Proust comme une
succession de personnages différents.

Charles passe, d’un jour à l’autre, d’un instant à l’autre de la colère à la douceur.

Marcel est pétri de contradiction

Chez André, le narrateur aperçoit 3 personnages différents

Robert de Saint-Loup, généralement ouvert et bon est subitement capable d’une méchanceté
sournoise et cynique : le narrateur parle, dans ce cas, d’une « éclipse partielle de son moi ».

Les métamorphoses du personnage dans le temps viennent accroitre encore sa complexité, car
les années accusent certains traits.

Les personnages de Proust sont des figures puissantes, proches de la vie par leur complexité,
mais fortement caractérisées.

Avec Proust on peut parler de vocation d’artiste. Le monde balzacien est à l’œuvre chez Proust
par le retour des personnages, par la réflexion sur le monde contemporain, par l’exactitude des
descriptions de milieu, par la dimension évidemment allégorique de certains personnages et
de certaines situations.

Une des thèmes les plus constantes de Proust est d’opposer le monde imaginaire, le monde
réel et le monde recréé par l’artiste.
Proust a voulu une architecture parfaite pour l’ensemble de son roman.

En Proust il y a aussi un auteur dramatique qui peut être drôle, un ironiste vivace, mais aussi
un psychologue de « Sodome et Gomorrhe »

A la recherche du temps perdu est un œuvre faussement autobiographique. Le narrateur du


roman s’appelle Marcel, les personnages du roman ne coïncident pas avec les personnages
réels.

La différence entre les conceptions de Proust- Bergson

La durée de Bergson est variable, tantôt plus ample, tantôt plus étroite, mais elle s’écoule et
passe toujours dans la même direction or, la composition de Proust est complexe, pluri-
dimensionnelle avec des fréquents retours en arrière.

L’œuvre de Proust est l’histoire d’une conscience, d’une époque.

La structure du roman est circulaire, le héros devient le narrateur, et ce narrateur ne peut que
raconter ce que nous avons déjà vu vivre le héros. Une invitation à la reprise de la lecture et la
découverte de nouveaux sens.
ALBERT CAMUS

Le XXe siècle se caractérise par une extrême diversité de directions et d'expériences


littéraires. Le trait commun consiste dans le fait qu'elles se proposent toutes de se différencier
des expériences et des courants du siècle précédent.

Cette différenciation s'opère sur deux plans: celui du contenu et celui de la forme.
Quant à la forme on refuse la structure du roman traditionnel, balzacien surtout (caractérisé
par une narration linéaire) et on rejette la philosophie déterministe positive. Sur le plan du
contenu, le XXe siècle inaugure un nouveau type de réflexion sur la réalité d'où les valeurs
traditionnelles censées être éternelles et absolues -la vérité, le bien, le beau- sont abolies; cela
parce que le XXe siècle débute sous le signe du refus de la pensée métaphysique et
théologique qui, jusque là avait imprégné non seulement le domaine de l'art mais aussi celui
des sciences.

Ce changement avait été très bien synthétisé par la célèbre phrase de Nietzsche: "Dieu
est mort". Or, l'absence de la divinité, dernier repère de toute valeur, provoque le sentiment de
l'absurde de l'existence. Ainsi, toute la création d'Albert Camus va se situer sous le signe de
cette nouvelle manière de penser.

On peut remarquer deux étapes dans l'évolution de la réflexion de Camus: il y a, dans


une première étape, le sentiment de l'absurde existentiel et le sentiment de la solitude
individuelle – l’étape existentialiste. L`individu se retrouve seul au milieu d'un monde
absourde car rien ne le fait appartenir à un système de valeurs communes. Les oeuvres qui
illustrent le mieux cette étape sont Le Mythe de Sisyphe (essai philosophique) et le roman
L`Etranger. La seconde étape marque l’évolution de Camus vers la solidarité humaine. Le
monde ne cesse d'être absurde, l'existence individuelle non plus, mais il y a des moments
limite dans la vie lorsque l`individu se voit, malgré lui, lié à la communauté humaine, en
général, par le sentiment de solidarité. Cette nouvelle attitude est illustrée par l'essai
philosophique L'Homme révolté et le roman La Peste.

Dans Le Mythe de Sisyphe le tragique est pleinement présent dans l’intrigue. L’essai est
construit à partir du sentiment de l’absurde, de ce qui est ressenti comme doué de non-sens.
Devant l’évidence du malheur, la solution à adopter n’est pas le suicide ; on doit d’abord
accepter cette condition sans se décourager et tenter de lutter contre l’absurde. Pour cela il
faut refuser de se laisser trompé par les valeurs établies par la morale traditionnelle.

Du point de vue de l’évolution, le sentiment de l’absurde est comme un déclic produit


lorsque l’homme réalise le caractère inévitable de sa fin. Face à cette situation sans issue,
l’homme absurde doit toujours se trouver dans un état de révolte, car le combat mené contre
les évidences de l’échec est cependant une victoire. Finalement, cette attitude partie d’une
existence absurde affirme non pas une victoire définitive, mais un état de satisfaction,
d’accomplissement : „Il faut imaginer Sisyphe heureux !”

La Chute est un dialogue, constituant une satire de l’intellectualité française et, en


général, occidentale, d’après la Seconde Guerre Mondiale. Le narrateur est le seul
protagoniste du texte; Clamence s’adresse à un vous impersonnel qui peut être son double,
toute une autre personne, l’auteur ou le lecteur, et refait lentement son existence, la racontant.

Clamence se rappelle d’abord sa vie insouciante, car il avait été avocat comblé de
succès à Paris, ensuite, il présente les événements qui ont déclanché le processus de prise de
conscience: d’abord un rire moqueur dans la nuit, suivi par le suicide d’une femme qui s ’est
jetée à l’eau devant lui, sans qu’il fît le moindre effort pour l’arrêter. C’est ainsi que le
protagoniste réalise la vanité de la comédie mondaine, se mettant à juger son propre
contentement borné, sa vie nette d’apparence. Cette sincérité s’avère être une invitation,
adressée à l’interlocuteur, à l’autoanalyse. L’étalage des erreurs est destiné à créer un sentiment
général de mauvaise conscience, de sorte que Clamence devient accusateur de tous. Sous le
masque de la justice, il accable tous les autres de sa faute à lui.

Clamence est présenté par Camus comme une sorte de nouveau prophète, parce qu’il
se prénomme Jean-Baptiste, mais C’est une espèce de nouveau prophète inversement
généreux, apparaissant comme un nouveau moraliste et un nouveau philosophe. Il s’agit d’un
philosophe qui affirme non pas son être mais sa chute: „Je tombe, donc je suis !”.

La Peste est considéré l’un des plus importants romans de la Résistance française
pendant l’occupation nazie. Le roman est d’abord la chronique d’une épidémie de peste,
éclatée à Oran, retracée par un médecin, mais il est aussi le récit d’un psychologue et d’un
moraliste qui analysent les réactions individuelles ou collectives. Peu à peu, les uns et les
autres font, dans le malheur, l’apprentissage de la solidarité.

On présente, d’une manière réaliste, les premiers signes de l'épidémie, son évolution
et, parallèlement, la naissance de la solidarité humaine devant le mal menaçant la
communauté. Les personnages principaux du roman sont: le docteur Rieux, Tarrou et le
journaliste Rambert. Les premiers deux sont fraternellement unis par le même désir de
soulager la douleur de leurs semblables; ils sont deux intellectuels révoltés contre toutes les
formes de la mort. Le journaliste Rambert, dont la fiancée l’attend à Paris, a été surpris par la
peste, dans la ville d’Oran, pendant un reportage. Il veut s’échapper de la ville maudite (il
avait la perspective d’un bonheur individuel), mais le moment même où il a la possibilité de
s’en échapper il change d’avis et décide d’y rester afin d’aider ses semblables dans la lutte
contre la peste. Son explication a été qu’il pouvait „avoir de la honte à être heureux tout seul ”.
C’est le moment où il devient évident que le mot clef de la pensée de Camus n’est plus le mot
„solitaire”, mais „solidaire”.

La conclusion qui en résulte est que, malgré l'absurde, malgré l'absence de tout
argument ("rien ne vaut qu'on se détourne de ce qu'on aime"), on se sent solidaire avec
l`humanité malheureuse. On a voulu voir dans l'épidémie de peste qui a frappé la
communauté d'Oran, le fascisme qui venait d'être écrasé en Europe après avoir produit de
nombreux dégâts- stricǎciuni- et victimes (le roman paraît en 1947). La Peste se présente
comme une lecture univoque appauvrissante car (tout comme la pièce d'E. Ionesco, Les
Rhinocéros) le symbole de la peste est beaucoup plus riche: il renvoie à n'importe quel
phénomène qui pourrait mettre en danger l'humanité.

Malgré l'attitude anti-métaphysique et anti-théologique de Camus on peut conclure que


toute action humaine profondément assumée repose, pour lui, sur l’amour envers ses
semblables et sur la solidarité.

De l’ homme de l’ absurde a l’ homme révolté


Tour à tour essayiste, romancier et auteur dramatique comme J.P. Sartre, Camus se
consacrera de plus en plus à sa carrière d'écrivain. Son œuvre pourrait, en gros, s'ordonner
autour de deux pôles : l'absurde et la révolte, correspondant aux deux étapes de son
itinéraire philosophique.

1. La morale de l’ absurde

La prise de conscience du non-sens de la vie le conduit à l'idée que l'homme est libre de vivre
"sans appel", quitte à payer les conséquences de ses erreurs, et doit épuiser les joies de cette
terre. Ces idées, exposées dans Le Mythe de Sisyphe, sont illustrées par le roman de
L'Étranger.

2. L’ humanisme de la révolte

L'auteur aboutit à la découverte d'une valeur qui donne à l'action son sens et ses limites : la
nature humaine. Cet humanisme apparaît dans La Peste (1947) et dans deux pièces de théâtre,
L'Etat de siège (1948) et Les Justes (1950), avant de s'exprimer vigoureusement dans
L'Homme Révolté (1951).

La carrière de Camus est donc celle d'un psychologue et d'un moraliste. Dans son exigence de
probité, avec une réserve et une sobriété toutes classiques, il accorde la première place aux
idées et refuse de sacrifier à la magie du style. Pourtant ce serait une erreur de méconnaître la
variété et l'exacte appropriation de son art d'écrivain. Sans doute a-t-il su nous imposer dans
L'Étranger et La Peste ce style neutre, impersonnel, tout en notations sèches et monotones, qui
est devenu inséparable du climat de l'absurde; mais on découvre aisément dans son œuvre des
résurgences de l'aptitude poétique à traduire les sensations dans leur pleine saveur qui
triomphait dans Noces (1938), un des premiers essais où, avant l'amère découverte de
l'absurde, le jeune Camus célébrait avec fougue ses "noces avec le monde". Et l'on sera
sensible à l'ironie et à l'humour qui jettent çà et là de discrètes lueurs, avant de briller de tout
leur éclat dans La Chute (1956), œuvre étrange et séduisante dont la verve et le rythme
capricieux font songer à la "satire" du Neveu de Rameau.

Camus et l’ absurde
Bien qu'apparenté dans une certaine mesure à l'existentialisme, Albert Camus s'en est assez
nettement séparé pour attacher son nom à une doctrine personnelle, la philosophie de
l'absurde. Définie dans Le Mythe de Sisyphe, essai sur l'absurde (1942), reprise dans
L'Étranger (1942), puis au théâtre dans Caligula et Le Malentendu (1944), elle se retrouve à
travers une évolution sensible de sa pensée, jusque dans La Peste (1947). Il importe, pour
lever toute équivoque, d'étudier cette philosophie dans Le Mythe de Sisyphe et de préciser la
signification de termes comme l'absurde, l'homme absurde, la révolte, la liberté, la passion
qui, sous la plume de Camus, ont une résonance particulière.

Non-sens de la vie

La vie vaut-elle d'être vécue ? Pour la plupart des hommes, vivre se ramène à "faire les gestes
que l'habitude commande". Mais le suicide soulève la question fondamentale du sens de la vie
: "Mourir volontairement suppose qu'on a reconnu, même instinctivement, le caractère
insensé de cette agitation quotidienne et l'inutilité de la souffrance".

1. Le sentiment de l’absurde

Pareille prise de conscience est rare, personnelle et incommunicable. Elle peut surgir de la
"nausée" qu'inspire le caractère machinal de l'existence sans but : "Il arrive que les décors
s'écroulent. Lever, tramway; quatre heures de bureau ou d'usine, repas, tramway, quatre
heures de travail, repas, sommeil et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le
même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement, le
'pourquoi' s'élève et tout commence dans cette lassitude teintée d'écœurement" . Cette
découverte peut naître du sentiment de l'étrangeté de la nature, de l'hostilité primitive du
monde auquel on se sent tout à coup étranger. Ou encore de l'idée que tous les jours d'une vie
sans éclat sont stupidement subordonnés au lendemain, alors que le temps qui conduit à
l'anéantissement de nos efforts est notre pire ennemi. Enfin, c'est surtout la certitude de la
mort, ce "coté élémentaire et définitif de l'aventure" qui nous en révèle l'absurdité : "Sous
l'éclairage mortel de cette destinée, l'inutilité apparaît. Aucune morale, aucun effort ne sont a
priori justifiables devant les sanglantes mathématiques de notre condition". D'ailleurs
l'intelligence, reconnaissant son inaptitude à comprendre le monde, nous dit aussi à sa manière
que ce monde est absurde, ou plutôt "peuplé d'irrationnels".

2. Définition de l’absurde

En fait, ce n'est pas le monde qui est absurde mais la confrontation de son caractère
irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme.
Ainsi l'absurde n'est ni dans l'homme ni dans le monde, mais dans leur présence commune. Il
naît de leur antinomie. "Il est pour le moment leur seul lien. Il les scelle l'un à l'autre comme
la haine seule peut river les êtres... L'irrationnel, la nostalgie humaine et l'absurde qui surgit de
leur tête-à-tête, voilà les trois personnages du drame qui doit nécessairement finir avec toute
la logique dont une existence est capable".

L’ homme absurde

Si cette notion d'absurde est essentielle, si elle est la première de nos vérités, toute solution du
drame doit la préserver. Camus récuse donc les attitudes d'évasion qui consisteraient à
escamoter l'un ou l'autre terme : d'une part le suicide, qui est la suppression de la conscience;
d'autre part les doctrines situant hors de ce monde les raisons et les espérances qui
donneraient un sens à la vie, c'est-à-dire soit la croyance religieuse soit ce qu'il appelle le
"suicide philosophique des existentialistes (Jaspers, Chestov, Kierkegaard) qui, par diverses
voies, divinisent l'irrationnel ou, faisant de l'absurde le critère de l'autre monde, le
transforment en "tremplin d'éternité". Au contraire, seul donne au drame sa solution logique
celui qui décide de vivre seulement avec ce qu'il sait, c'est-à-dire avec la conscience de
l'affrontement sans espoir entre l'esprit et le monde.
"Je tire de l'absurde, dit Camus, trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté, ma
passion. Par le seul jeu de ma conscience, je transforme en règle de vie ce qui était invitation
à la mort - et je refuse le suicide". Ainsi se définit l'attitude de "l'homme absurde".

1. Le défi
"Vivre une expérience, un destin, c'est l'accepter pleinement. Or on ne vivra pas ce
destin, le sachant absurde, si on ne fait pas tout pour maintenir devant soi cet absurde
mis à jour par la conscience... Vivre, c'est faire vivre l'absurde. Le faire vivre, c'est
avant tout le regarder... L'une des seules positions philosophiques cohérentes, c'est
ainsi la RÉVOLTE. Elle est un confrontement perpétuel de l'homme et de sa propre
obscurité. Elle remet le monde en question à chacune de ses secondes... Elle n'est pas
aspiration, elle est sans espoir.

Cette révolte n'est que l'assurance d'un destin écrasant, moins la résignation qui devrait
l'accompagner". C'est ainsi que Camus oppose à l'esprit du suicidé (qui, d'une certaine façon,
consent à l'absurde) celui du condamné à mort qui est en même temps conscience et refus de
la mort. Selon lui c'est cette révolte qui confère à la vie son prix et sa grandeur, exalte
l'intelligence et l'orgueil de l'homme aux prises avec une réalité qui le dépasse, et l'invite à
tout épuiser et à s'épuiser, car il sait que "dans cette conscience et dans cette révolte au jour le
jour, il témoigne de sa seule vérité qui est le défi".

2. La liberté

L'homme absurde laisse de côté le problème de "la liberté en soi" qui n'aurait de sens qu'en
relation avec la croyance en Dieu ; il ne peut éprouver que sa propre liberté d'esprit ou
d'action. Jusqu'à la rencontre de l'absurde, il avait l'illusion d'être libre mais était esclave de
l'habitude ou des préjugés qui ne donnaient à sa vie qu'un semblant de but et de valeur.

La découverte de l'absurde lui permet de tout voir d'un regard neuf : il est profondément libre
à partir du moment où il connaît lucidement sa condition sans espoir et sans lendemain. Il se
sent alors délié des règles communes et apprend à vivre "sans appel".

3. La passion

Vivre dans un univers absurde consistera à multiplier avec passion les expériences lucides,
pour "être en face du monde le plus souvent possible". Montaigne insistait sur la qualité des
expériences qu'on accroît en y associant son âme ; Camus insiste sur leur quantité, car leur
qualité découle de notre présence au monde en pleine conscience: "Sentir sa vie, sa révolte, sa
liberté, c'est vivre et le plus possible. Là où la lucidité règne, l'échelle des valeurs devient
inutile... Le présent et la succession des présents devant une âme sans cesse consciente, c'est
l'idéal de l'homme absurde".

Tout est permis, s'écriait Ivan Karamazov. Toutefois, Camus note que ce cri comporte plus
d'amertume que de joie, car il n'y a plus de valeurs consacrées pour orienter notre choix ;
"l'absurde, dit-il, ne délivre pas, il lie. Il n'autorise pas tous les actes. Tout est permis ne
signifie pas que rien n'est défendu. L'absurde rend seulement leur équivalence aux
conséquences de ces actes. Il ne recommande pas le crime, ce serait puéril, mais il restitue au
remords son inutilité. De même, si toutes les expériences sont indifférentes, celle du devoir est
aussi légitime qu'une autre." C'est justement dans le champ des possibles et avec ces limites
que s'exerce la liberté de l'homme absurde : les conséquences de ses actes sont simplement ce
qu'il faut payer et il y est prêt. L'homme est sa propre fin et il est sa seule fin, mais parmi ses
actes il en est qui servent ou desservent l'humanité, et c'est dans le sens de cet humanisme que
va évoluer la pensée de Camus.

MICHEL TOURNIER

Principales œuvres : Romans- Vendredi ou les Limbes du Pacifique (1967) ; Le Roi des
aulnes (1970), Vendredi ou la Vie sauvage (1971), Les Météores (1975) ; Gaspard,
Melchior & Balthazar (1980) ; Gilles et Jeanne (1983) ; La Goutte d'Or (1985) ; La
Couleuvrine (1994) ; Eléazar ou la Source et le Buisson (1996)

Contes et nouvelles: Le Coq de bruyère (1978) ; La Fugue du Petit Poucet (1979) ;


Pierrot ou les secrets de la nuit (1979) ; Barbe d'or (1980) ; Le Médianoche amoureux
(1989) ; Sept contes (1998)

Essais: Le Vent Paraclet (1978) ; Le Vol du vampire (1981) ; Vues de dos (1981) ; Des
clefs et des serrures (1983) ;Petites Proses (1986) ; Le Tabor et le Sinaï (1988) ; Le
Crépuscule des masques (1992) ; Le Pied de la lettre (1994) ; Le Miroir des idées
(1994) ; Le Vol du vampire (1994) ; Célébrations (1999) ; Journal extime (2002) ;
Allemagne, un conte d'hiver de Henri Heine (2003) ; Le Bonheur en Allemagne ?
(2004) ; Les Vertes lectures (2006) ; Voyages et paysages (2010); Je m'avance masqué
(2011).
Auteur de plusieurs romans remarqués dont Le Roi des aulnes, couronné par le prix Goncourt
en 1970, il est aussi un conteur et un romancier pour la jeunesse avec des œuvres comme
Vendredi ou la Vie sauvage (1971), réécriture de son premier roman Vendredi ou les Limbes
du Pacifique. Il est par ailleurs le créateur du néologisme « journal extime ».

A 42 ans il publie son premier roman Vendredi ou les Limbes du Pacifique en 1967 qui ouvre
trois décennies consacrées à la littérature. Il a bâti en neuf romans publiés de 1967 à 1996 et
en quelques recueils de nouvelles une œuvre originale qui fait de lui un des écrivains français
marquants du dernier tiers du XXe siècle.

Πuvres

Dans un style acéré et avec un sens du drame et du sacré qui n'empêche pas l'ironie
subversive, Michel Tournier crée un univers personnel animé par des personnages complexes
— essentiellement masculins — en réinterprétant les mythes comme Robinson Crusoé dans
Vendredi ou les Limbes du Pacifique (1967), Castor et Pollux dans Les Météores (1975), les
rois mages dans Gaspard, Melchior & Balthazar (1980), Barbe-Bleue et Gilles de Rais dans
Gilles et Jeanne, la bulla aura romaine dans La Goutte d'Or (1985), Moïse et la Terre promise
dans Eléazar ou la Source et le Buisson (1996).

Il en fait la trame de récits où le réalisme minutieux s'associe à la création imaginaire de


mondes différents (l'île du naufragé du XVIIIe siècle, le parcours des rois orientaux de
l'Antiquité, le contexte du guerrier et de la sainte au XVe siècle, la Prusse-Orientale du Roi
des aulnes et la napola où l'ogre dévoreur se change en saint Christophe sauveur d'enfant
durant la Seconde Guerre mondiale et le nazisme…).

Il interroge ainsi les parcours humains, soulevant des questions comme celle de la civilisation
et de la nature, de la détermination du bien et du mal et de la chute ou du rapport à l'autre et à
soi-même à travers le thème du double et de l'androgyne. Faisant intervenir le jugement
moral, on a pu lui reprocher certains aspects troubles de ses œuvres qui présentent parfois
« une polysexualité étonnante, troublante, qui participe de la nature cosmique, sans craindre
l'immoral ». Il a publié en 1978, Le Vent Paraclet, où, mêlant autobiographie et réflexion
littéraire et philosophique, il éclaire son œuvre.
Influences

Michel Tournier s'est souvent exprimé sur sa vie et sur ses œuvres. Une de ses phrases rend
compte de son ambition : « Pour moi, le sommet de la littérature française, c'est Flaubert. Les
Trois contes. Ça, c'est le super-sommet. Parce que c'est à la fois d'un réalisme total et d'une
magie irrésistible. C'est l'idéal».

Germaniste de formation, il reconnaît l'influence thématique et stylistique de la littérature


allemande sur sa création littéraire; particulièrement l'œuvre de Günter Grass (Le Tambour,
Les Années de chien, Le Turbot) qui lui apprend à maîtriser la profusion romanesque et à
démonter la vision rationaliste de l'Histoire afin d'en révéler la face légendaire, absurde et
monstrueuse. Tournier parle d'une tradition littéraire d'« authenticité par le grotesque » à
laquelle se rattachent également François Rabelais, Miguel de Cervantès et Louis-Ferdinand
Céline.

La mise en accusation du rationalisme et l'association du réalisme littéraire à la


réinterprétation des mythes apparaissent dès Vendredi ou les Limbes du Pacifique, son premier
roman, publié en 1967, présenté comme une réécriture du Robinson Crusoé de Daniel Defoe.
Tournier montre dans le journal de bord que tient le naufragé, un occidental qui s'interroge
peu à peu et qui finalement, initié par Vendredi, choisit la nature contre la culture et décide de
rester sur son île Esperanza dont il a renoncé, contrairement au héros de Defoe, à faire un
modèle réduit de la civilisation violente et pyramidale qu'il connaissait en Angleterre. Michel
Tournier reprendra en 1971 sous le titre de Vendredi ou la Vie sauvage le thème de ce roman
dans un livre pour la jeunesse qui est devenu un classique pour les collégiens.

En 1970, paraît Le Roi des aulnes qui obtient le Prix Goncourt. Le titre renvoie à un célèbre
poème de Goethe et Michel Tournier y décrit avec réalisme la Prusse-Orientale avec ses
marais et ses forêts, et certains aspects du nazisme (Hermann Göring, les Napolas,
l'extermination des Juifs) en y associant des mythes comme l'Ogre, le massacre des
Innocents, la phorie de l'enfant (le fait de porter un enfant dans ses bras ou sur ses épaules
comme le Roi des aulnes ou saint Christophe).
En 1975, dans Les Météores, Michel Tournier exploite un autre mythe, celui de Castor et
Pollux et de la gémellité, dont il questionne la face obscure et l’ambiguïté de l'androgyne en
même temps qu'il raconte un voyage initiatique autour du monde.

En 1978, paraissent deux titres : Le Coq de bruyère, un recueil de nouvelles qui regroupe des
textes divers, contes et récits, et Le Vent Paraclet, un essai dans lequel Michel Tournier parle
de lui et de son métier d'écrivain en associant autobiographie et réflexion littéraire et
philosophique.

Le quatrième roman, Gaspard, Melchior & Balthazar (1980), s'appuie quant à lui sur le mythe
des rois mages qui permet à Michel Tournier d'imaginer les voyages des légendaires rois
mages aux motivations diverses (amour, beauté, pouvoir) qui se transforment en quête
mystique et leur fait traverser un Orient reconstitué avec un souci d'authenticité. L'invention
d'un quatrième personnage, Taor, prince de Mangalore, retardataire à la recherche de la recette
du loukoum, vient troubler et vivifier le mythe en en faisant le premier à consommer
l'eucharistie, montrant le goût de Tournier pour la subversion humoristique 28. La version pour
enfants, publiée en 1983, aura pour titre Les Rois Mages.

En 1983, Gilles et Jeanne montre d'abord la proximité entre Jeanne d'Arc et Gilles de Rais,
guerrier entièrement dévoué à Jeanne, puis la dérive du guerrier qui deviendra alchimiste et
monstrueux tueur en série d'enfants mais que Tournier transforme en assassin de femmes en
en faisant une figure de Barbe-Bleue plutôt qu'un ogre dans la tradition des contes de
Perrault30.

Michel Tournier aborde de nouveaux thèmes avec La Goutte d'Or (1985), roman qui traite du
choc des cultures et du racisme ordinaire en contant l'histoire d'Idriss, un jeune Berbère
saharien. Dépossédé d'une part de lui-même par une photographie prise par une touriste
parisienne, Idriss entreprend un voyage hasardeux pour la retrouver en France. En chemin il
se fait voler un bijou en forme de bulle d'or : il perd ainsi symboliquement la liberté que
représentait la bulla aura pour les Romains de l'Antiquité 31 et affronte le sort des émigrés du
quartier de la Goutte d'or à Barbés où ils subissent le choc d'un monde des images dont ils
n'ont pas les codes et des difficultés matérielles et existentielles des déracinés.
La même année, en 1985, paraît Le Médianoche amoureux, un recueil de contes et de
nouvelles à la manière du Décaméron de Boccace puisque chacun des convives du
médianoche (repas de minuit) doit raconter une histoire vraie ou imaginaire sur le même
thème du double ou de la répétition.

La plume de Michel Tournier se fait plus rare, mais il publie quand même en 1996 un roman
d'une grande concision (139 pages), Eléazar ou la Source et le Buisson, qui raconte le voyage
d'une famille de colons du XIXe siècle irlandais en marche vers la Californie, nouvelle terre
promise. Cette reprise du mythe de Moïse explore la question du refus de Dieu, qui ne permet
pas à Eléazar/Moïse d'entrer dans la Terre Promise : il restera dans l’âpre Sierra Nevada du
buisson ardent, loin des sources irlandaises et privé du lait et du miel de Canaan.

En 1999, paraît l'un de ses derniers ouvrages, Célébrations : 82 « texticules », mot de Tournier
pour définir ces petits textes où il dit de façon souvent espiègle ses admirations pour une
œuvre, un artiste ou des éléments comme l'arbre, le cheveu, le serpent ou les saisons.

Vendredi ou les limbes du Pacifique

Voici une œuvre protéiforme, d’une rare ambition, qui embrasse de nombreux domaines de
l’activité humaine (de la marine à l’agriculture, de l’écriture à la vie sauvage, etc.) et
s’interroge sur le sens de l’existence à travers un personnage - homme nu et dépouillé – qui va
devoir se reconstruire en trouvant une signification à sa nouvelle vie de solitaire.

Le titre

Le titre révèle le propos du romancier. Michel Tournier choisit un titre - Vendredi ou les
limbes du Pacifique - qui se démarque de celui de Defoe. Substituant Vendredi à Robinson, le
romancier moderne met l’accent sur l’indien Vendredi (comme le confirme, d’ailleurs, la
version pour enfant publiée quatre années plus tard et intitulée Vendredi ou la vie sauvage,
1971) au détriment de l’Anglais Robinson. Par ailleurs, le titre insiste sur l’alternative avec
l’expression « ou les limbes du Pacifique » soulignant ainsi le no man’s life d’une personnalité
en reconstruction. Si les limbes sont, par définition, le lieu de séjour des enfants morts sans
avoir été baptisés, on aura confirmation que l’île de Speranza figure bien le lieu spatio-
temporel de la latence, d’une modification à venir pour Robinson, voire d’un enfantement en
germe.

Thèmes majeurs

Dès son premier roman Vendredi ou les Limbes du Pacifique (inspiré de Daniel Defoe) et
récompensé par le Grand prix du roman de l'Académie française, Tournier affirme sa volonté
de faire de la philosophie romanesque.

Il réfléchit sur le temps, le désir et le langage et développe une théorie originale de


l'intersubjectivité. Sa conception d'Autrui comme structure est analysée par Gilles Deleuze
dans Logique du sens. Autrui n'est ni un sujet qui me perçoit, ni un objet dans le champ de ma
perception, mais une structure du champ perceptif sans laquelle le monde objectif, fondé sur
la multiplicité des points de vue possibles, ne pourrait pas s'organiser. Autrui comme
structure, c'est l'expression d'un monde possible sans quoi le monde réel n'aurait aucune
stabilité et le sujet, corrélativement, aucune rationalité.

"Je sais maintenant que la terre sur laquelle mes deux pieds appuient aurait besoin pour ne
pas vaciller que d'autres que moi la foulent. Contre l'illusion d'optique, le mirage,
l'hallucination, le rêve éveillé, le fantasme, le délire, le trouble de l'audition... le rempart le
plus sûr, c'est notre frère, notre voisin, notre ami ou notre ennemi, mais quelqu'un, grands
dieux, quelqu'un !" Vendredi ou les limbes du Pacifique

Les thèmes

Robinson est face à l’île comme Sisyphe devant son rocher. Mais Robinson après l’avoir
appelée « L’île de la désolation » finit par la nommer « l’île Speranza ». Une différence
notable puisque quand l’un (Sisyphe) ne fait que répéter l’absurde, l’autre (Robinson) met
l’accent sur l’espoir.

Du point de vue du récit et des personnages, - n’en déplaise à feu Jean-Paul Sartre- le « 
romancier démiurge » n’a pas dit son dernier mot. Ainsi Michel Tournier, dès l’entame de son
livre, crée et trace le destin de son personnage, Robinson. Le roman s’ouvre, en effet, sur une
conversation entre le capitaine Pieter Van Deyssel et Robinson Crusoë. Celui-là prédit, en se
fondant sur le jeu de tarot de Marseille, à celui-ci son avenir – et le récit à venir. Chaque carte
tirée et commentée trouve, en effet, sa vérification dans la suite du roman. Le romancier, tel
un démiurge, soumet donc bien sa créature à ce qui lui tiendra lieu de destin.

Par ailleurs, la tempête concomitante qui se déchaîne et dévaste l’océan annonce sans doute
l’explosion de la grotte de Speranza comme une prémonition de la métamorphose à venir de
Robinson.

Une métamorphose rendue nécessaire par la solitude de Robinson longtemps privé de toute
présence humaine, Vendredi n’intervenant qu’au chapitre VII (sur XI). Dès lors, comment
remplir le vide de l’existence sans autrui se demande, avec son personnage, Michel Tournier.
Le sens donné à leur quotidien est pour la plupart des hommes, largement tributaire de leurs
semblables. Autrui n’est-il pas, en effet, l’essentiel de ce «  divertissement » que Pascal a
dénoncé parce qu’il nous détournerait de l’essentiel ? Mais sans « divertissement », il faut bien
parvenir à conjurer l’ennui et donner un sens à cette vie.

Robinson, quant à lui, cherche une raison de survivre qui se révèle peu à peu à travers son
évolution psychologique et physique. Face à la solitude insulaire de Speranza et au plus près
de la nature, il est en quête d’une vérité qui fonderait sa nouvelle vie.

Son premier mouvement est de refuser sa présence sur l’île (qu’il nomme d ’instinct Ile de la
Désolation) en fixant obsessionnellement la mer pour y apercevoir un navire et l’arrivée de
secours. Puis il envisage de la fuir en construisant un radeau. L’île sur laquelle il a échoué
figure alors bien pour lui une prison existentielle dont il faut s’évader à tout prix. Sa vie est
d’abord marquée par le refus d’assumer une situation inacceptable à ses yeux et le choix d ’une
vie animale qui le conduit à la bauge et où il se vautre en essayant d’effacer la conscience d ’un
présent malheureux par le recours aux souvenirs de l’enfance.

Pourtant, le rejet instinctif de cette Ile de la Désolation, synonyme de vacuité présente et


future, disparaît suite à l’hallucination qui lui fait voir sa sœur Lucy morte sur un vaisseau
approchant l’île. Robinson, craignant pour sa santé mentale, décide aussitôt de tourner le dos
à la mer et s’enfonce vers le centre de l’île et de la solitude, signe fort d’une acceptation de son
sort et d’un lieu qu’il baptise justement Speranza . Métaphoriquement, après le désir du
divertissement - espérer l’arrivée d’un navire et/ou s’évader avec le radeau -, Robinson accepte
enfin sa condition et son existence de naufragé solitaire.

Dès lors, la perception de Speranza – figure métaphorique de la condition humaine - par


Robinson évolue au cours de quatre périodes. D’abord, en phase de régression, il en fait une
mère et il s’acharne à explorer l’orifice-vagin de la grotte, s’enduit de lait et s’abandonne dans
une alvéole en un retour à la matrice originelle et au fœtus qu’il redevient comme s ’il s’agissait
d’une préparation à une renaissance. Puis il considère de Speranza comme un champ
d’expérimentation à ses volontés de créateur : il l’ensemence, en récolte les fruits et
l’administre en élaborant une Charte bientôt suivi d’un Code Pénal. Il multiplie les projets :
arpenter l’île ; la cadastrer ; recenser les espèces végétales et animales, parachever son projet
de transformer les marécages en rizière, créer un Conservatoire des Poids et Mesures;
construire une vraie maison, etc. L’île devient même une épouse qu’il féconde dans une
combe, dont la prairie vallonnée devient, pour lui, l’image même des lombes de Speranza ; de
ces copulations répétées naît un fruit sous la forme d’une mandragore.

Robinson renoue ainsi le contact avec la nature mais il ne peut s’empêcher d’éprouver un
violent sentiment d’absurdité : pour qui tous ces efforts ? Les trois Speranza – l’île mère, l’île
transformée et administrée, l’île femme – ne suffisent pas à lui donner une raison de vivre
satisfaisante. Sa métamorphose n’est pas achevée. L’arrivée de Vendredi devient l’élément
déterminant qui va le conduire vers son nouvel être.

Porteur d'une vie innocente, frémissante et rapide, Vendredi accepte la nature telle qu’elle est,
mène une vie instinctive, expérimente les joies du corps et privilégie la fantaisie – ce
qu’admire en lui Robinson. Au contact de son compagnon qui finit par représenter tous « les
Autres » possibles (fils, père, frère, voisin, etc.) Robinson fait ainsi l’apprentissage du respect
d’autrui et de sa différence. Cette ultime phase est celle de la métamorphose solaire : vouant
un culte au soleil, il ne se préoccupe plus que de l’instant présent et en arrive même à avoir
l’impression de revivre indéfiniment la même journée, connaissant ainsi une sorte de
sentiment d’éternité.

Se transcrit alors en filigrane dans le quotidien de Robinson, jour après jour, une conception
du bonheur de vivre faite de l’acceptation et du plaisir d’autrui et de l’absence d’inquiétude
métaphysique. On notera que c’est l’arrivée d’un navire venu d’occident qui remet en
question (passagèrement ?) ce nouvel art de vivre construit par Robinson. La fin du roman
révèle pourtant que les différences entre Robinson et Vendredi ne se sont pas comblées.
Vendredi, tout à sa fantaisie et à sa capacité d’adaptation, choisit spontanément la nouveauté
du bateau salvateur et l’attrait d’une autre vie ; Robinson, à l’inverse, décide de rester cet
homme solaire que l’île a engendré au cours de ces vingt-huit années.

La Goutte D’ Or

Le héros de la Goutte d’or, Idriss, est un jeune berger de Tabelbala, dans les confins du désert
algérien. Il rencontre par hasard des Français qui le photographient et lui promettent de lui
envoyer sa photo. Le temps passe, et elle n’arrive point. Idriss décide alors de partir vers le
nord, vers Paris, à la recherche de son image.

Le nouveau livre de Michel Tournier, la Goutte d’or « roman de formation ». Il retrace, dans
une langue superbe de dépouillement et de simplicité, l’itinéraire d’un jeune homme à la
recherche de lui-même découvrant dans son parcours des personnages fortement
emblématiques qui narrent, à l’occasion, des apologues exemplaires (sertis dans le corps du
récit, « Barberousse » et « la Reine blonde » éclairent ici brillamment le sens de l’ouvrage).

Dans son roman Michel Tournier nous fait partager le voyage initiatique d’Idriss, jeune berger
berbère, depuis son oasis natal jusqu’à Paris. Ce roman, en plus de nous raconter une
expérience de vie, interroge sur la relation à l’image que peut avoir un jeune homme né dans
le désert et n’ayant jamais été entouré par elles comme le sont les jeunes venus de pays riches.

Ce jeune héros, tout au long de son périple, va faire plusieurs expériences de l’image et de
notre société.
L’auteur nous permet alors de nous interroger sur les effets des images modernes, sur les
notions de réalité et de représentation.

On connaît la passion de Michel Tournier pour la photographie et l’on sait également combien
est grande la méfiance de l’islam à l’égard des images. Dans la Goutte d’or, cette passion et
cette méfiance s’entrechoquent, se bousculent, l’une cherchant à s’imposer à l’autre. Mais
l’écrivain - par nature iconoclaste - finit par reconnaître, la suprématie du signe. Il raille, enfin,
la pauvreté de l’analogique.

Sa quête se révèle vite fort décevante et, à chaque étape, son identité va se troubler,
s’estomper, s’émonder. La profusion des images, caractéristique de la grande ville moderne, le
captive au point de l’asservir. Du seul retour à une certaine tradition islamique - celle de la
parole et du signe abstrait - naîtra son identification. - Ignacio Ramonet

Dès l’ouverture du roman, le désert apparaît comme le lieu des origines, origine identitaire du
héros et origine textuelle. Le cadre foisonne en éléments descriptifs qui relèvent de la
« référentialité » : les dunes, le sable, le chott el Ksob, l’erg Er-raoui, les bergers et leurs
troupeaux, ainsi que des notations qui paraissent générales mais qui évoquent, en fait, des
particularités de la vie africaine : la perception de l’écoulement du temps, l’angoisse de la
solitude, l’importance de la superstition (le rôle des djenoun). Cette réalité du désert est
immédiatement placée sous le signe de l’oralité, à travers l’évocation de la légende rapportée
par la grand-mère du héros. Le peuplement est déterminé par un rapport d’opposition entre
sédentarisation et nomadisme avec un état intermédiaire, le semi-nomadisme, représenté par
les tribus Chaamba.

Le titre du roman de Tournier, La Goutte d’or, joue sur la polysémie : en désignant une rue du
quartier arabe à Paris, il annonce un roman anthropologique. Le roman a en effet cette
dimension, dans la mesure où il dépeint les mœurs d’une tribu saharienne puis l’immigration
maghrébine en France. De cette peinture, deux éléments se détachent : d’une part les rapports
ethniques entre oasiens, nomades et « noirs » ; ces derniers, tout en ayant des rôles
secondaires dans l’histoire, sont très nettement représentés : positivement, par la danseuse Zett
Zobeida et le conteur ; négativement, par le nomade Toubou qui vole l’argent de Salah Brahim
et par « l’employé noir » de l’hôtel Rym qui chasse Idriss. D’autre part, la représentation de la
femme est singulière : blonde ou brune, mère ou prostituée, elle est source de malédiction ou
de salut. Ce n’est là qu’une des figures du manichéisme qui structure ce roman.

Mais « la goutte d’or » est, dans ce roman, autre chose qu’un nom de rue : c’est un bijou qui,
en tant que tel, incarne la tradition saharienne mais qui devient enjeu narratif avant d’avoir une
fonction symbolique. La goutte d’or, bijou oasien qui appartenait à la danseuse Zett Zobeida, a
une valeur d’antidote par rapport à la photographie perdue, à l’identité volée par la touriste
blonde. Elle ponctue les différentes étapes de la vie du héros ; l’orfèvre rencontré sur le bateau
apprend à Idriss la signification de la bulla aurea : signe de liberté et témoin du passage à
l’âge adulte.
Pour finir, il nous faut noter que l’auteur a introduit dans son roman un certain nombre de
légendes, de récits à propos des images et les expériences différentes que l’on peut en faire,
bonne ou mauvaise.

- Ce livre nous oblige à réfléchir sur notre société dans laquelle les images nous envahissent
en permanence et font office de guide et de référence.
Ici il est bien question d’images « actuelles », puisque ce sont des photographies ou des
publicités, en bref, des éléments faisant partie intégrante de nos vies.
L’auteur, en faisant vivre un berger à travers son roman, confronte alors le monde
authentique au monde moderne des appareils numériques. Nous réalisons donc l’effet que
ces nouvelles technologies de l’image peuvent produire sur un être pur tel que le héros.

LAMARTINE

“Méditations poétiques”- poèmes qui le rendirent bientôt célèbre= la première manifestation


du romantisme en France

- vers lyriques évoquant les inquiétudes amoureuses et spirituelles d’une âme


tourmentée
- la versification (régulière) et le lexique restaient ceux du siècle précédent, mais
Lamartine su conférer à ses poèmes une musicalité particulière, une harmonie
fortement évocatoire, qui est considérée, l’une des principales qualités de son œuvre.

- nouvelle vision de l’individu, perçu comme être sensible, complexe et comme centre
de la représentation

- une rêverie mélancolique sur le thème de la foi et de l’amour

- parle à la première personne, évoque le souvenir de son amante perdue

- le recours au pseudonyme marque bien qu’il y a transposition des événements dans le


monde imaginaire et poétique, indiquant clairement qu’il ne faut pas lire les
Méditations comme un journal exactement fidèle a la réalité des faits

- le journal d’une âme insatisfaite, qui souffre et ne trouve pas de repos

- la poésie est investie d’une fonction existentielle : elle devient le lieu de l’épanchement
de Moi, d’une interrogation sur le sens de l’existence et d’une méditation sur la
condition de l’Homme

L’un des poèmes les plus célèbres des Méditations est une élégie :Le lac- le thème dominant-
la hantise du temps qui passe et qui corrompt tout .

Le Lac est le dixième poème du recueil de 24 poésies nommé Les Méditations poétiques. La
poétique de ce poème comme de l'ensemble du recueil des méditations est classique, des
quatrains d'alexandrins coupés à l'hémistiche donnant une harmonie, un équilibre lent propice
à la description des sentiments de l'auteur.

Le Lac est considéré, aujourd’hui encore, comme le fleuron de la poésie romantique. Ce


poème fut inspiré à Lamartine par la liaison amoureuse qu’il eut en 1816-1817 avec Julie
Charles, une femme mariée atteinte d’un mal incurable qui l’emporta en 1817. Lamartine
revient seul revoir les lieux qu'il a visités autrefois avec elle. Le Lac de Lamartine est devenu
le poème immortel de l'inquiétude devant le destin, de l'élan vers le bonheur et de l'amour
éphémère qui aspire à L'Éternité.

Dans un style très affectif, le poète et sa bien-aimée, à laquelle il prête sa voix, supplient le
temps, la forêt, les grottes, le lac lui-même, la nature tout entière de préserver à jamais les
instants de bonheur qu’ils sont en train de partager
Le thème principal de ce poème est la fuite du temps, thème traditionnel de la poésie, déjà
privilégié par les épicuriens de l’Antiquité et par les poètes de la Pléiade comme Ronsard.

Ici, le temps est représenté par la métaphore de l’eau qui est filée tout au long du poème.
Champ lexical du temps avec des divisions temporelles : "la nuit", "le jour", "l’aurore", "le
soir", "les heures", "l’année", "moments", "l’éternité" et présence d'adjectifs significatifs :
"l’heure fugitive", "nuit éternelle".

On observe la métaphore du temps "l’océan des âges" assimilé à l’eau -> métaphore filée du
temps qui coule.

Les enjambements nombreux notamment en fin de strophe semblent précipiter le poème et


rendent ainsi sensible pour le lecteur le temps qui passe trop vite.
On remarque également les expressions "heure fugitive", "rapides délices" ou la phrase "le
temps m’échappe et fuit" qui évoquent l’écoulement impitoyable du temps.

L’antithèse "ce temps qui les donna, ce temps qui les efface" suggère quant à elle la fugacité
des moments de bonheur, qui disparaissent aussi vite qu’ils ont éclos. En ce sens, le poème
porte la plainte de toute la nature humaine.

L’usage de la première personne du pluriel permet ainsi au lecteur de se reconnaître dans le cri
de douleur poussé par le poète. Tout le poème semble ainsi évoquer la fuite du temps.
L'allégorie temps-oiseau prend ici une importance particulière. "O temps suspends ton vol",
est un impératif adressé au temps comme à un oiseau pour suspendre son vol et se reposer.
Les participes passés, la voix passive soulignent la passivité et l’impuissance de l’homme face
au temps : il est soumis au mouvement du temps. L’opposition des temps verbaux (passé /
présent) : le passé évoque le souvenir, l’expérience vécue. L'imparfait insiste sur la durée des
actions et le passé simple sur le caractère bref et inattendu des moments vécus. Dans ce
poème, le présent sert à l’observation générale et à la réflexion. Il y a correspondance entre les
temps : le présent fait naître le souvenir. Les interro-négatives soulignent la douleur du poète.

Cette réflexion insiste sur l’impossibilité de l’homme à fixer le temps. Cette dernière est
signalée par les invocations au temps : il est capricieux , il est celui qui donne et qui reprend,
il a un caractère inlassable, éternel.
Le rythme est vif : notamment dans les deux premières strophes, il y a absence de points et
très peu de coupes. Les enjambements rallongent les vers.

La fragilité de l’homme est mise en valeur et donne une tonalité élégiatique et lyrique au
poème.
Lamartine réfléchit dans ce texte sur sa condition d’homme, sur sa faiblesse face à la fuite du
temps. Il s’agit d’un appel adressé à la nature qui est seule capable d’aider l’homme dans sa
lutte contre le temps.

Le pouvoir de la nature

- le titre du poème évoque un lieu aimé qui a été le refuge du poète et de sa compagne :
seule la nature peut conserver une trace intacte du bonheur.
La nature est très présente dans l’ensemble du poème. Nous la retrouvons sous la
forme de l’élément liquide avec l’image du lac mais également à travers l’évocation du
"vent" ou du "Zéphyr" qui représente l’air ou des "roches profondes" qui représente la
terre.

- les "rochers", "grottes", "rocs" permettent quant à elle une image minérale de la
nature, là où les "sapins", "coteaux", "forêts" et le "roseau" dressent une image
végétale. Cette communication imagée du poète avec les éléments de la nature n’est en
fait qu’une manière d’utiliser la fonction expressive du langage, puisque le poète n’a en
réalité pour but que d’exprimer ses sentiments.

- la nature en général et le lac en particulier sont le cadre du bonheur passé et la


métaphore du navigateur renforce le sentiment d’impuissance : l’homme est un marin
qui navigue sur l’océan des âges et voudrait jeter l’ancre pour arrêter le temps.
Le poète apostrophe ("ô" vocatif -> invocation) tous les éléments de la nature pour
qu’ils témoignent du passé, des sentiments du poète -> le réseau lexical de la nature.

L’apostrophe "Ô Lac !", caractérisée par l’usage de la majuscule donne au lac une dimension
personnelle, renforcée par le nom "flanc" et par le verbe "mugir" des vers.
Le vers "Ils ont aimé" est la concentration de tout ce qui a été dit dans le poème. Ce vers est la
chute et l’apogée du poème : le poète constate le pouvoir des sentiments. Le passé composé
signale la conséquence sur le présent : le fait d’avoir aimé l’emporte sur toutes les
constatations négatives et amères ; le poète termine sur une note optimiste.
Correspondance entre le paysage et les sentiments du poète.

Le Lac est une réflexion sur le temps en rapport avec un amour qui semble à jamais fini.
Lamartine constate avec amertume que le passé heureux est perdu à jamais, que le temps en a
effacé la trace et qu'il ne peut être restitué. La nature qui a été le témoin vivant de la présence
du poète a pu garder la trace de ce moment et le restituer au poète. C'est le paysage qui
conserve le souvenir, et non l'écriture et qui peut dire "ils ont aimé". Le titre du poème
s’explique : comme le lac retient les eaux fluides et fugitives, le poème retient le temps et fixe
pour l’éternité un moment de bonheur inoubliable. Lamartine montre ici que l’art est un
moyen de lutter contre le temps qui passe et force est de constater qu’il réussit son projet
puisque, aujourd’hui encore, nous lisons son poème et partageons avec lui son souvenir.

BAUDELAIRE

Baudelaire occupe dans l’histoire de la poésie du XIX-ème siècle une place clef: Héritier
du romantisme, plutôt d’un certain romantisme qui n’est “ ni dans le choix des sujets ni dans la
vérité exacte, mais dans la manière de sentir. »
- refuse un lyrisme facile, préfère un lyrisme du tragique de la condition humaine ;
- il a mené le romantisme jusqu'à un point de rupture qui a permis l’avènement de la poésie
moderne ;
- se situe au carrefour de trois grandes directions de la poésie du XIX-ème siècle :
Romantisme, Parnasse, Symbolisme.

Les fleurs du mal

- gardent encore certains traits du romantisme et de l’Ecole de l’Art (Parnasse) mais elles
apportent surtout ce « frisson nouveau » dont parlait V. Hugo, c’est-à-dire cette sensibilité
nouvelle, annonciatrice du symbolisme.
- il condamne le romantisme sentimental et confidentiel qui lui semble désuet, mais exalte
le romantisme imaginatif, dont il se veut le continuateur.
- le thème central du recueil est constitué par les « tourments du poète » partagé entre : le
spleen (angoisse de vivre) et l’idéal auquel il aspire.
- a la base de ce spleen se trouvent ses ennemis matériels, ses échecs, ses déficiences
physiques.
- il y a du « bas romantisme » dans ce recueil : le goût du paradoxe, la volonté d’être ou de
paraître malsain, le culte du satanisme, les accessoires de ce romantisme.
Le besoin impérieux d’unicité pousse Baudelaire vers le dandysme. Son dandysme est une
forme de protestation du « poète maudit » contre l’hypocrisie morale et le conservatisme de
la société bourgeoise.

Les Fleurs du Mal sont le livre d’un homme hanté par les problèmes de l’existence et du
destin.

- se présentent comme une suite de joies et de tristesses, de tendresses et de violences, de


jouissances et de terreurs, d’espoirs et de désespoirs, d’élans et de chutes, comme un duel
entre deux natures opposées chez le même individu ;
- en étudiant le lexique des Fleurs du Mal on met en évidence les axes qui structurent
l’univers baudelairien (les quatre pôles) : un axe horizontal, avec « ici » lieu du spleen et
de la souffrance auquel on peut échapper par le rêve ou le paradis artificiel et un axe
vertical qui comprend deux pôles- l’Enfer et le ciel, le gouffre et l’azur.
La hantise baudelairienne : Le temps « L’horloge », « L’ennemi », « Spleen »

- le temps est vécu sous le double signe de la longueur et de la lourdeur (Spleen)


- « l’obscur ennemi qui nous ronge le cœur » (Ennemi)

Le Spleen – est une conséquence immédiate de cette insatisfaction qui procure au poète sa
condition dans la société et dans l’univers ( Ennemi, Tristesse, Angoisse, Douleur, Désespoir)

L’ Idéal baudelairien est un monde surnaturel, situé hors de l’espace et du temps. Ses
principaux véhicules vers l’Idéal sont l’amour, les paradis artificiels, la musique, les parfums,
tout ce qui peut offrir l’image de la beauté et du mystère.

La Musique représente pour le poète le point de départ d’un rêve d’évasion dans l’infini
spatial.

La Femme pour Baudelaire- l’ être ambigu par excellence, magicienne à la fois sorcière et
divine ( Ciel brouille, le Poison), être satanique – elle est aussi providentielle, elle aide le
poète à créer.

La Beauté résultante de cette création (femme) possède la même ambiguïté que la femme.

- statuaire, immobile, impassible, froide, Baudelaire affirme que « le beau est toujours
bizarre ».

L’Amour repose sur un malentendu, et il est souvent du l’ordre du satanique.

- la relation amoureuse qui signifie désir, échanges érotiques et non affectifs, ne peut être
pour lui qu’un échec illustrant la solitude universelle de l’être humain.
- L’amour sororal rêve est une tentative pour dépasser cette incommunicabilité.

On remarque sa préférence pour les mouvements vagues, indéfinis : lenteur, paresse,


ondulation. La paresse baudelairienne est une paresse féconde (La Chevelure) parce qu’elle
représente un état favorable à la contemplation et é la rêverie.
Au végétal (à l’organisme en général) qui est périssable, il préfère les formations
inaltérables du minéral (où il voit des symboles de l’éternel). Ex : la pierre, le marbre, le
miroir, la vitre, les bijoux, les pierres précieuses et les métaux rares- éléments constitutifs de
son idéal de Beauté.

Les bijoux, les pierres précieuses, le fard masquent la nature et installent un ordre
artificiel qui correspond à sa conception de Beau.

La véritable beauté baudelairienne n’est ni tout à fait satanique, ni tout à fait


angélique ; elle est un singulier mélange d’angélique et de satanique.

La Mer n’est qu’un minéral mobil, lui semble être l’image la plus parfaite de l’âme et de
l’esprit humain.

Le désir d’évasion- thème majeure de la poésie baudelairienne se manifeste d’abord par


l’aspiration vers des mers et des pays lointains, vers un Eldorado où tout est splendeur, amour
et joie, où les horloges ne sonnent plus la mort, mais le Bonheur.

Baudelaire insiste sur l’opposition entre l’extérieur et l’intérieur, le corps et l’âme, la Terre et le
Ciel.

La nature extérieure est un magasin d’images et de signes.

Victime de son expérience malheureuse, le poète arrive à croire que « vivre est un mal » et
que « Le Diable fait toujours bien ce qu’il fait ». Cette conscience dans le Mal le pousse à
s’identifier à Satan et à dresser sa révolte contre Dieu (La Révolte).

Les trois visages du Mal : le vice, la douleur, la mort.

La Ville- si le rêve union ne peut pas être réalisé dans le couple (sauf par la mort) il existe
cependant une confraternité possible avec la communauté des êtres marqués par la vie : les
aveugles, les veuves… La ville est le choix du présent qui se constitue en rupture par rapport
au passé. Alors que les romantiques, insatisfaits du présent, ont cherché refuge dans le passé
et dans la nature, Baudelaire choisit le présent et la ville, ou plutôt une ville transfigurée.
La Mort est l’ultime voyage. La mort permet de rétablir l’harmonie entre le masculin et le
féminin.

Les procédés stylistiques :

- la combinaison savante des mots et de leur sonorité


- l’allitération
- l’enjambement
- la nouveauté des images
- métaphores, hyperboles
- l’oxymoron

ARTHUR RIMBAUD

L’oeuvre de Rimbaud n’a pas été structurée par Rimbaud lui- même, mais par ses
éditeurs. Les poèmes de Rimbaud sont repartis en quatre grands ensembles : « Les Poésies »,
« Les Derniers vers », « Une Saison en Enfer », « Les Illuminations ».
Rimbaud est un symboliste, il subit l’influence de Baudelaire et derrière des symboles,
Rimbaud expose les derniers moments de sa crise : les moments d’exaltation alternent avec les
moments de désillusion, le rêve alterne avec la réalité.

Arthur Rimbaud représente un cas unique dans l’histoire de la littérature. Enfant


précoce, doué d’une intelligence peu commune et d’une force visionnaire inégalable, il écrira
son œuvre jusqu'à l’âge de 21 ans, tout au plus.

La soif de la liberté qui gouverne tous les sentiments de l’adolescent, le pousse, d ’une
part, à sacraliser la Nature et, d’autre part, à dresser sa révolte contre l’ordre social hostile.

La première période de la création poétique de Rimbaud se caractérise donc par une


assez grande variété thématique : la nature, l’homme, la société, l’amour, la guerre, la
Commune.

L’originalité de Rimbaud réside surtout dans la violence incomparable avec laquelle il


exprime cette révolte, violence qui atteint le vocabulaire même. Certains poèmes sont peuplés
de termes grossiers, de mots empruntés à l’argot ou au parler régional.

La voyance rimbaldienne ne se confonde pas avec la simple clairvoyance ou avec


l’inspiration romantique conçue comme une grâce divine ; c’est à la fois un état d’esprit et une
méthode qui permettent au poète d’explorer l’inconnu, de déchiffrer le mystère du monde.

La voyance rimbaldienne comprend donc deux temps bien distincts : se faire voyant et
inventer une langue magique, capable de traduire ces visions, de transmettre intact le message
rapporté de l’inconnu.

Rimbaud distingue dans la personne humaine deux moi : un moi superficiel et un moi
profond.

Le moi superficiel est un moi subjectif ou personnel, soumis aux émotions et aux
sentiments de temps présent qui ont leur logique bien déterminée.

Autre c’est le moi profond, le vrai moi créateur- moi impersonnel, atemporel, qui est
raccordé aux choses du monde, à « l’âme universelle ».

« Le Bateau ivre » ( 1871)- évocation d’une enfance naïve, nourrie de songes et


d’illusions, mais très tôt heurtée aux contraintes et aux violences d’un monde mal bâti ; suit
l’exaltation de l’aventure intérieure du voyant. Le poème est symbolique, mais les symboles
sont encore assez transparents : le bateau ivre en dérive sur une mer orageuse, c’est le poète en
état de voyance, les Fleuves symbolisent la société, la mer c’est le monde de la « liberté
libre ». Les visions sont tantôt apocalyptiques, tantôt féeriques, mais toujours étranges et
traduites en images éblouissantes.

Des images éclatantes abondent aussi dans le sonnet « Voyelles ». Rimbaud y attribue
aux voyelles diverses couleurs. C’est la première esquisse d’une théorie de l’audition colorée.
On peut y voir, comme remarque Claude- Edmonde Magny, « un essai de recomposition
structurée de l’univers à partir des éléments premiers ».A= la terre ; E= l’eau ; I= le feu ; O=
l’Oméga, le Tout, l’unité originelle reconstituée, U= l’air.

La nature est pour Rimbaud le seul élément bénéfique, l’unique source de paix et de
pureté. Elle est le milieu privilégie, le réservoir inépuisable de fraîcheur, de santé et de
vigueur, en un mot, de vie éternelle.

« Une Saison en Enfer » - « l’Enfer » pouvait signifier pour le poète la société


parisienne, sa liaison avec Verlaine ou son incroyance, mais nous croyons que l’Enfer
rimbaldien est, avant tout, l’état de désespoir ou le jette l’échec de sa méthode de la voyance.

« Les Illuminations »= « visions » traduisent justement cet élan libérateur et offrent


l’image la plus complète de ce que Rimbaud entend par « son monde ».

Le « monde » de Rimbaud se définit par deux dimensions essentielles, l’amour ( l’harmonie)


et l’éternité.

« La chanson de la plus haute tour »


- Rimbaud se soumet au culte des symboles
- Le thème de la poésie est représenté par la révolte du poète, la révolte d ’un jeune
homme contre la société, contre la religion. Il se considère d’une autre race, il ne doit
pas se soumette aux règles de ce monde, il doit s’enfuir le plus loin possible vers la
lumière qu’il invente.
Sa supériorité est évidente dans le titre. La tour symbolise l’aspiration du poète vers
l’absolu, au mot « tour » du titre correspond le mot « cieux » de la troisième strophe. Les
cieux s’identifient à l’inconnu, à l’Univers même que Rimbaud veut atteindre, il veut
acquérir des pouvoirs surnaturels.

Les premières 4 strophes développent les aspects de la révolte du poète : social et


métaphysique.

A 18 ans le poète considère sa vie perdue, sa jeunesse ne compte plus, il veut créer une
réalité par ses propres forces, il se voit un novateur/ créateur du monde, un Démiurge.

« Que le temps vienne/ Où les cœurs s’éprennent ». On voit dans ces vers une sorte
d’optimisme chez Rimbaud, un peu d’espoir dans le pouvoir d’amour.

Rimbaud se soucie un peu de sa personne, car « Je est un Autre » dit-il, c’est-à dire il
distingue de son être apparent le moi profond capable de souder l’inconnu.

La révolte contre la religion chez Rimbaud- le Dieu représente une commodité de


style, la foi en Dieu n’est qu’une forme avancée d’optimisme, quelque chose d’habituel, de
routine.

Le thème de l’analogie universelle est présente dans la poésie de Rimbaud : dans


l’univers imaginé par le poète les sons et les couleurs créent des gravures colorées où la
fusion est totale entre le décor réel et le spectacle imaginaire.

Les éléments concrets conduisent à l’incertitude, le monde réel (jeunesse, vie, bourdon,
mouches, Notre- Dame) est remplacé par l’abstrait ( craintes, souffrances, retraite, soif,
malsaine).

On assiste à une transmutation des éléments du monde et de la pensée où les objets, les
impressions et les rêves tourbillonnent dans une sorte de vertige.

Il s’agit d’une antithèse totale dans la poésie entre le passé et le futur, entre le bien et le
mal (craintes, souffrances).
Rimbaud est symboliste à côté de Paul Verlaine et Mallarmé, il subit l ’influence des
« correspondance » baudelairiennes.

- le renouvellement que Rimbaud apporte à la poésie est d’une extrême importance : il


crée une langue poétique nouvelle et il invente le vers libre.

Un révolutionnaire en poésie, d’après lui la mission du poète est « d’être voyant , se


faire voyant, voleur de feu ».

- la vie qu’il mène en marge de la morale et de la société n’est qu’une aventure pour lui.
Il a créé son propre rêve à partir de la réalité terrestre où il crée sa propre réalité en la
rêvant, le poète se libère de limites de l’espace et du temps ; il voyage dans le passé, en
présent, en futur, mais son ego n’a pas d’âge. Le poète doit chercher de nouveau et
arriver à l’inconnu.
Arthur Rimbaud (concernant son destin, ses ambitions, sa poésie) s’est formé une légende,
un véritable « mythe ». De nombreux poètes vont se réclamer de Rimbaud. Il apportera à
Paul Claudel une véritable révélation.

Par la pratique de l’hallucination et des expériences oniriques, par la façon dont il


affranchit l’imagination des lois de la logique, Rimbaud dépasse le symbolisme et annonce
déjà l’aventure surréaliste.

On peut dire, avec Suzanne Bernard, que de Rimbaud datent à la fois une nouvelle
attitude poétique, impliquant une révolte métaphysique contre notre univers rationalise, et
un nouveau langage poétique, instrument de cette révolte. Par l’invention d’une langue
nouvelle, Rimbaud a donné au poème en prose et généralement à la poésie une orientation
décisive. Son influence dépasse les frontières de la France, car sous une forme ou sous une
autre, toute la poésie moderne- française ou étrangère lui est redevable.
APOLLINAIRE (1880 -1918)

La critique et l'histoire littéraires ont eu du mal à situer exactement la modernité


d'Apollinaire, c’est d’ailleurs juste ce qu’il voulait: dans L’esprit nouveau et les Poètes, il se
déclare vouloir rester inclassable. Mais, l'histoire littéraire fait d'habitude le partage entre un
Apollinaire qui continue la lignée des symbolistes et un autre- promoteur et créateur de la
modernité, certains spécialistes considérant que la modernité d'Apollinaire consiste dans
l'élaboration d'une „poésie cubiste". D’ailleurs, ami des peintres, avant tout de Picasso et de
Braque, il a une forte contribution au lancement du cubisme; en 1913 il va publier un livre
intitulé Les Peintres cubistes.

Comme en peinture, le cubisme littéraire désarticule l’image et en retient ses éléments


constitutifs. C'est justement cette désarticulation qui va être poussée plus loin encore par le
surréalisme. Mais les éléments désarticulés sont recombinés par la suite dans une
superposition des plans, qui offre une synthèse originale de l'ensemble. Ce second volet
caractérise toute la modernité poétique du XX -e siècle et de ce point de vue les innovations
d'Apollinaire sont bien illustratives.

De ses principales œuvres, on peut citer: Alcools, Les Peintres cubistes, Le Poète
assassiné, Calligrammes, posthumes- Il y a, Poèmes secrets à Madeleine, Le Guetteur
mélancolique, Tendre comme le souvenir, Ombre de mon amour.

Dans la première hypostase du poète, domine l'allure mélancolique, voire même


élégiaque des vers. L'expression parfaite de cette création est le poème Le Pont Mirabeau
(Alcools), l'un des plus beaux qui soient. Il chante l'écoulement éternel de la durée, figurée ici
par «l'eau courante » de la Seine, face à laquelle demeure monumentale la triste joie du poète:
Sous le Pont Mirabeau coule la Seine /Et nos amours /Faut-il qu'il m'en souvienne /La joie
venait toujours après la peiné // Vienne la nuit sonne l'heure / Les jours s'en vont je demeure

Le refrain du poème ainsi que l’emploi du subjonctif sans que apportent une idée
d’archaïsme et une musicalité discrète. La suppression de la ponctuation, par contre, y ajoute
une nuance moderne. Un autre élément de modernité consiste dans la manière d’Apollinaire
de construire les images ( dans Le Pont Mirabeau il construit une architecture à trois
niveaux: le pont des bras des amoureux, le Pont Mirabeau où ils se trouvent et la Seine qui
coule en bas). Le propre d'Apollinaire est justement l'élaboration des images assez vastes, que
développent leurs termes agencés dans des relations fort complexes. Il en est ainsi de la
plupart des poèmes d'Alcools.

Le partage entre Apollinaire -mélancolique et Apollinaire -poète de la modernité n'est


pas essentiellement chronologique. Car Alcools démarre avec Zone, poème brutalement
moderne, alors que dans un recueil comme Calligrammes, imbu de modernité, on retrouve des
fragments ou des poèmes entiers qui tiennent plutôt de la première attitude.

Quoi qu'il en soit, Zone représente un tournant dans l'évolution du discours poétique
dans son ensemble. Comme le peintre cubiste, Apollinaire opère une dislocation, mais celle-ci
est plus profonde, puisqu'elle touche l'être même du poète: il s'adresse à lui-même par le
pronom tu, se déclarant dès le départ : „À la fin tu es las de ce monde ancien”. Tout au long
du poème il y a un festival compliqué de pronoms où domine ce tu — moi. Tout se passe
comme si le moi se jetait au monde en riant et en pleurant à la fois; ensuite, dans l'acte même
de récriture, il perçoit ce spectacle et se revoit multiplié dans l'espace et dans la durée, tout en
concentrant les segments par une technique simultanéiste. Mais l'effet est plus profond que
dans la peinture et ce n'est pas par hasard que le poète invoque des volumes: „Et tu bois cet
alcool brûlant comme ta vie / Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie […] Adieu /Adieu
/Soleil cou coupé”

Cette fin de l’adieu est marquée d'abord par la circula rité entre le comparant vie pour
alcool et sa reprise comme comparé, déterminé dynamiquement par le comparant eau-de-vie,
lui-même synecdoque pour alcool. Autrement dit, la peinture langagière d'inspiration cubiste
s'enrichit par un vertige à la Van Gogh. Le cri d'adieu apporte une image démentielle: Soleil
cou coupé, qui revient d'une manière obsédante chez Apollinaire.

La structure d'Alcools repose sur l'alternance hétéroclite entre des poèmes très
concentrés et d'autres qui s'étendent sur plusieurs pages; il en est ainsi de la fin de ce recueil.

Si novateur qu’il fût, Apollinaire restait un artiste attentif aux images, aux cadences, à
la musique des mots, bref un poète qui cherchait toujours la beauté en renforçant le mystère.
Le surréalisme retint de son exemple le rejet des poncifs, le recours à la suggestion, l ’effort de
rupture et de percée vers l’inexprimable. Il développa surtout cette dernière tendance, car il
rejetait l’art comme factice et déclarait n’avoir en vue que l’expression sans arrêt de la vérité
profonde.

Apollinaire est un promoteur de la spontanéité, la surprise est le concept fondamental


de sa poétique. Dans Calligrammes, intitulé initialement Idéogrammes lyriques, Apollinaire
donne libre cours à l’imagination formelle et crée une poésie visuelle. Les Calligrammes, dans
leur ensemble, forment un recueil complexe, qui renferme plusieurs cycles composés. La
partie inédite du recueil consiste dans les poèmes disposés graphiquement sous forme
d'images. Ils sont l'aboutissement des tentatives d'exploiter les techniques d'impression
rattachées à la mise en page qu'avait entrevues Mallarmé dans Un coup de dés jamais
n'abolira le hasard.

Certains calligrammes reposent sur la simple mise en page. Le poète choisit un seul
fragment de texte qu'il dispose de manière à figurer tel ou tel objet ou même un acte quel-
conque. On peut mentionner à cet égard le poème Fumées, qui insère une phrase reproduisant
la forme d'une pipe:

„Et je fu / me /du ta bac /zoNE”


Mais après cette notation qui se veut banale, le poète s'adresse à soi-même dans la
partie finale et celle-ci renferme des images imbues de poéticité: „Tu t'étends comme un dieu
fatigué par l'amour/ Tu fascines les flammes/ Elles rament à tes pieds/ Tes feuilles de papier”

Le poète réalise aussi des calligrammes totalement figuratifs. C'est le cas du poème II
pleut qui est écrit sous forme de lignes presque verticales reproduisant la chute des gouttes de
pluie. On a l’impression de regarder un dessin représentant des fils de pluie. La lecture en est
difficile, mais bien récompensée. La première „chute” dit: „il pleut des voix de femmes
comme si elles étaient mortes même dans le souvenir”.

L'invention y est totale: le poète rompt avec la tradition de la mise en page routinière;
il choque brutalement par la vue d'une page où effectivement les lettres représentent des
gouttelettes d'eau; on a même l'impression d'y sentir le frais parfum de la pluie. En même
temps, le texte se concentre dans des énoncés courts et très denses au point de vue
sémantique. Il a l'air d'une maxime, qui, en l'occurrence est enrichie par une image inédite,
douée d'une force de suggestion extraordinaire.

Mais les calligrammes qui valorisent complètement l'iconicité sont ceux qui
reproduisent le contour des objets. C’est le cas de Coeur, couronne et miroir. Apollinaire
choisit des images qui sont pleinement symboliques: le coeur comme métonymie de la vie, la
couronne comme métonymie de la royauté et le miroir qui reproduit „graphiquement” le nom
du poète, l'ensemble se rattache au fond à la personne de celui qui écrit.

Quant au sens de la lecture: dans les calligrammes qui renferment des courbures on lit
de droite à gauche, dans le sens des aiguilles d'une montre, donc dans le sens inverse de la
lecture linéaire courante.

Le poème La Colombe poignardée et le jet d'eau est plus complexe et il évoque les
amours et les amitiés du poète. Les vers jaillissent d'un centre comme les jets d'eau, ce qui,
par rapport à d'autres images, introduit une forte dose de dynamisme.

Les formes peuvent être plus sophistiquées encore, c'est le cas de La Cravate et la
montre. Avec les calligrammes écrits à la main, le poète ajoute un nouveau élément
d'authenticité, cette fois-ci, celle de sa propre calligraphie, qui apparaît comme une sorte
d'autographe, à plus forte raison que le texte s'adresse directement à quelqu'un.

D'autres poètes se sont essayés, dans ce genre de poésie, depuis l'Antiquité jusqu'à nos
jours. Seulement, dans le cas d'Apollinaire il s'agit de tout un programme artistique, ses
Calligrammes sont le corollaire de la technique cubiste employée dans ses poèmes -
superposition de plusieurs plans et même de plusieurs modes d'expression artistique. Aux
techniques cubistes qui régissent les images d'Apollinaire s'ajoute un rythme d'ensemble,
Apollinaire construisant ainsi une musique cubiste.

La création d'Apollinaire marque un tournant dans l'histoire de la poésie française.


Après Baudelaire et le symbolisme, elle s'institue comme la troisième modernité. Elle vaut par
ses qualités intrinsèques, mais aussi par l'influence sur la poésie qui a suit. Par son caractère
contestataire, Apollinaire annonce le mouvement „dada"; par la force de l'image, par la
découverte des zones inédites de sensibilité spontanée, par le discours qui se veut libre et qui
prône la liberté, il anticipe et fonde le surréalisme. D'ailleurs c'est lui qui a forgé le mot
dans le sous-titre de son ouvrage Les Mamelles de Tirésias. Drame surréaliste en deux actes
et un prologue.

JACQUES PREVERT

(1900 - 1977)

Le mouvement surréaliste est apparu au vingtième siècle. Il est caractérisé par son humour
noir et la forte présence de négation à tout ce qu’on impose, mais la négation, ou le refus
s’accompagne d’un désir de renouvellement. Ainsi naît de nouvelles valeurs comme l’amour et
la beauté, afin d’amener chacun dans sa quête de la "vraie vie". L’esprit qui règne à l ’époque
est la révolte, la liberté et l’expression des impulsions. Les surréalistes ont libéré la poésie de
ses anciennes contraintes formelles et ont mis en avant-plan les images et les métaphores qui
rapprochent des réalités que la conscience ne songe pas à unir. C’est ainsi que naît la poésie du
quotidien.
- Jacques Prévert est né le 4 février 1900, à Neuilly-sur-Seine.
Il est un enfant heureux et gai qui rit en toutes circonstances. Il ne manque aucune
fête, aucun cirque et déjà, se passionne pour le monde du théâtre. Son père qui
connaissait des acteurs, l’emmenait en coulisses avant que les spectacles ne
commencent.

Jacques Prévert ne veut rien savoir de tout ce qui s’appelle PRISON, il n’aime guère les
prêtres et serviteurs d’Église, car cela représente, à ses yeux, le pouvoir autoritaire, le
passéisme le plus absolu et le conformisme le plus borné. La violence de l’anticléricalisme
prévertien sera souvent rejetée avec dégoût et escamotée au profit de son intérêt pour les
enfants, les fleurs ou les petits oiseaux. Sa mère commence, dès son jeune âge, à lui lire des
contes de fées, elle l’initie au monde la fiction et du rêve.

Il accompagne souvent son père chez les pauvres et il se met à les aimer, à comprendre
leurs joies et leurs peines, à découvrir les trésors de générosité, de délicatesse et de poésie qui
se cachent au fond du cœur des plus démunis de la société. Il constate que le monde n’est pas
toujours bon ; mais heureusement il y a le rêve, la lecture et le cinéma...

L’écriture de Jacques Prévert se distingue par le rapport particulier que l’auteur


entretient avec le langage. Les mots prennent vie sous sa plume et le poète compose des
œuvres avec une grande liberté. Ses recueils recèlent des figures de style et des jeux de mots
qui font toute la magie de la poésie prévertienne. Son écriture est également marquée par
l’influence des scénarios. On retrouve la spontanéité des échanges dans la composition de ses
poèmes.

Les thèmes abordés par Jacques Prévert dans ses poèmes sont très divers et
apparaissent comme le reflet de ses expériences. On retrouve ainsi l’enfance, qui rappelle le
vécu de l’auteur. En outre, Jacques Prévert est un auteur engagé qui évoque sans détour ses
prises de position. Il condamne la guerre dans des poèmes comme « Barbara » et prend
également la défense des populations délaissées, vivant dans la misère. La poésie de Jacques
Prévert rayonne donc par sa diversité langagière, mais aussi par la portée à la fois personnelle
et universelle de son écriture.

Poète à l’époque du surréalisme, Prévert est un important représentant de la poésie du


quotidien, tout comme Vian ou Cadou. Les textes de Jacques Prévert ont d'abord été publiés
isolément dans diverses revues depuis les années trente. C’est en 1946 qu’on a pour la
première fois réuni et publié ses textes sous le titre de « Paroles ». La publication du recueil a
assuré un grand succès au poète, Prévert devenant par la suite très populaire, grâce à son
langage familier, à son humour et à ses hymnes à la liberté. De son oeuvre on peut encore
citer: « Histoires » (1946), « Contes pour enfants pas sages », « Le Petit Lion », « Vignettes
pour les vignerons », « Charmes de Londres », « Bim, le petit âne », « La pluie et le beau
temps ».

Tout comme d’autres poètes du quotidien, Prévert souhaite atteindre une simplicité
dans le langage. L’artiste transfigure le quotidien par le regard personnel qu’il porte sur la
réalité. Prévert a refusé d’écrire une poésie qui ne soit pas lisible pour tous. Il a fait reculer les
limites du langage poétique, créant des oeuvres accessibles à tous. Cependant, l’écriture de
Prévert n’est pas simpliste. Par exemple, dans le poème Page d’écriture, Prévert utilise des
métaphores afin de faire comprendre ce que devrait être la signification de «vivre»: „Mais
tous les autres enfants écoutent la musique/ et les murs de la classe s’écroulent
tranquillement./ Et les vitres redeviennent sable,/ l’encre redevient eau,/ les pupitres
redeviennent arbres, /la craie redevient falaise,/ le porte-plume redevient oiseau”. C’est par
une métaphore qu’on évoque ici la vie. Les murs de la classe qui s ’écroulent représentent les
limites du quotidien, toutes les habitudes auxquelles l’homme est liés: comme, par exemple, le
travail. Redécouvrir la vie c’est pour Prévert retrouver ce contact avec la nature. La poésie du
quotidien chez Prévert, c’est démontrer des choses simples, que tout le monde connait, mais
qui sont oubliées et auxquelles on ne pense pas.

L’œuvre principale de Prévert est le volume de poésies intitulé Paroles. Le succès du


recueil s’explique par l’atmosphère de la libération qui rend le public plus sensible aux thèmes
anarchistes de Prévert, à sa défense de la liberté. Le style oral, familier et simple est une autre
raison du succès populaire de Paroles. Le vocabulaire simple et concret est d’ailleurs une
caractéristique permanente du recueil. Le poète imite le parler du peuple, emploie un lexique
restreint, des expressions toutes faites ou proverbiales. Il écrit en vers libres et remplace
souvent les rimes par des assonances.

Les aspects dominants de l'art de Jacques Prévert que souligne d'ailleurs le titre
Paroles sont la spontanéité et l'oralité nourries des influences surréalistes faites d'expressivité
nouvelle et de provocation. On retrouve les traces du surréalisme dans des procédés tels: les
inventaires, les énumérations hétéroclites d'objets et d'individus, les additions de substantifs
ou d'adjectifs, les procédés de l'image, de la métaphore et de la personnification (animal,
objet, humain).

Les thèmes du recueil sont nombreux, ils se croisent souvent et sont mis en
valeur par des procédés poétiques efficaces. Il parle de choses injustes, de gens qui souffrent
et qui meurent et en dénonce les responsables. La dénonciation de la violence, de la guerre, de
la politique bourgeoise, de la religion représentent les thèmes dominants du volume. Le thème
de la vie quotidienne et des lieux de Paris est également récurrent dans le recueil. Il traite des
choses qui touchent les gens, qui leur ressemblent, qui sont près d’eux: il s’intéresse à la vie
des humbles, au bonheur tranquille des amoureux, aux scènes de la rue. Un autre thème qu’il
évoque c’est le travail, notamment dans la Chanson des sardiniers ou la Chanson des cireurs
de souliers, qui était, jusqu’à l’époque, considéré comme un thème antipoétique.

De tous les recueils de poésie de Prévert, Histoires est sans doute l'album le
plus près des gens. Ceci est dû, non seulement au fait qu'il raconte des histoires simples du
quotidien, mais également parce que ce sont celles de Monsieur Tout Le Monde et qu'il est
facile de s'y reconnaître. Prévert sait toucher le grand public parce que sa sensibilité
s’indentifie à celle des gens simples. Il a écrit aussi pour les pauvres, en communiquant leurs
pensées Chanson des cireurs de souliers.

Dans La pluie et le beau temps, Prévert se révolte envers les autorités. Le poème
Entendez-vous gens du Viêt-Name en est bien illustratif. Dans des poèmes tels Étranges
étrangés, Confidences d'un condamné, le poète exprime les réalités cruelles de la vie.

Prévert n’utilise pas un langage poétique mais se sert du parler populaire auquel il
attribue une valeur poétique. Il l’accommode à sa manière et lui communique un renouveau de
jeunesse et de vigueur en changeant le sens des mots en les disposant selon sa fantaisie. Il
transforme ainsi le langage en poésie. L’intérêt pour la poésie de Prévert ne réside pas tant
dans son contenu mais dans l’originalité de son expression. Afin de conserver une allure
naturelle à la langue populaire devenue alors poétique, le poète accumule les répétitions qui
donnent à l’expression la démarche hésitante et désordonnée de l’improvisation. L’absence de
ponctuation accentue à cette impression. Par l’absence de ponctuation, le lecteur est appelé à
réagir de façon personnelle: accélérer, ralentir ou faire des pauses selon son désir.

L’expression de Prévert est anticonformiste. Il se manifeste sous forme d’opposition et


de refus et s’exprime de façons variées. De plus, le poète fait des changements de direction
ayant souvent pour origine des associations déclenchées par une image, un mot ou un son.
Leur caractère imprévu donne l’impression que Prévert saute d’une idée à l’autre. Dans le
monde poétique de Jacques Prévert, réalité, rêve et irréalité coexistent harmonieusement.
Cette évolution fait que tout est possible; dans certains poèmes, les personnages se trouvent
engagés dans des aventures où animaux, plantes, objets parlent, se métamorphosent,
participent à la vie.

Chez Prévert, l’humour prend des formes différentes allant du charmant au noir. Quel
que soit son aspect, il demeure spontané; plus souvent, le poète recourt à l ’humour noir, forme
qui lui permet de dire une chose sur le ton qui convient le moins. Il peut obtenir des effets
humoristiques abondants et naturels. L’humour offre également au poète l’occasion de
masquer ses sentiments lorsqu’il n’a pas envie de les laisser voir.

- Pratiquée par George Braque, Pablo Picasso ou encore Max Ernst, la forme artistique
du collage se développe dans la première moitié du XX- ème siècle. La technique de
cet art repose tout d’abord sur le choix du support, de l’image de fond sur laquelle
viendra se superposer une sélection de motifs et de représentations variées.
Jacques Prévert est un artiste en quête d’expériences nouvelles. C’est dans les années
40 qu’il part à la découverte de cette forme d’art déjà exploitée par les surréalistes et
les cubistes. Le poète est séduit par cette technique mêlant la diversité des supports à
la rencontre des images, qui n’est pas sans rappeler sa création poétique. En 1948,
l’auteur est victime d’un accident qui l’empêche temporairement de s’adonner à
l’écriture. Cette contrainte va le mener à une pratique plus régulière des collages. Cette
technique artistique le ramène finalement à ses premières passions, le cinéma et la
poésie. Il découpe, sélectionne et monte des images, tel un scénariste ou un poète.
Le collage suscite la rencontre fortuite de plusieurs réalités, de même qu ’un
inventaire visuel fort, d’une originalité excentrique et parfois subversive. En effet,
Jacques Prévert n’hésite pas à bousculer la société de l’époque en caricaturant son
conformisme.
Le lien entre les mots et les images s ’exprime clairement dans Fatras et
Imaginaires, ouvrages dans lesquels les collages alternent avec des textes de formes
variées. Cette rencontre d’éléments hétéroclites permet en outre à Jacques Prévert de
retrouver l’univers onirique qu’il avait coutume de créer dans ses œuvres poétiques.
Les images se substituent aux mots, puis les deux formes d’art deviennent peu à peu
complémentaires.
Le cinéma figure au premier rang des activités qui ont joué un rôle important dans
l’esthétique poétique de Prévert. Pour Prévert l’image est le moyen idéal d’expression.

Jouer avec le langage est un plaisir pour Prévert, même au stade le plus simple du mot.
Il crée parfois de nouveaux mots pour satisfaire son goût du jeu et lui donner, à nouveau,
l’occasion d’exprimer son anticonformisme. Par son talent et son savoir-faire, Prévert
transforme le langage de tous les jours en poésie. Il utilise avec brio les assonances, les
allitérations, source amusantes de rythmes imprévus. La répétition occupe également une
place importante, elle donne une certaine musicalité aux textes. Il utilise l’écriture
automatique, qui est une forme d’expression spontanée et intacte de l’imagination.

Modernité, expressivité et simplicité caractérisent la création de Jacques Prévert qui


continue à retenir l'attention et à nourrir les mémoires.
JEAN RACINE

Jean Racine, maître de la tragédie classique

Lorsque Racine commence sa carrière, la tragédie, originaire de l’Antiquité grecque, est un


genre très codifié, fondé sur les principes énoncés par Aristote (IVe siècle av. J.-C.), et redéfini
en France pendant la première moitié du XVIIe siècle.

Pièces en alexandrins et en cinq actes, les tragédies empruntent leurs sujets à l’histoire ou à la
mythologie. Ainsi, Mithridate, Britannicus, Bérénice, proviennent de l’histoire romaine ;
Andromaque, Iphigénie, Phèdre, de la mythologie, et si Bajazet, pièce « turque », se réfère à
l’histoire contemporaine, le manque de distance est compensé par l’exotisme géographique et
culturel.

Illustres et exemplaires, les personnages sont plongés dans une crise dont l’issue, souvent
fatale, inspire terreur et pitié, provoquant la catharsis, purgation des passions. Dans ses
préfaces, Racine revendique l’héritage des Anciens, des grecs Euripide, Eschyle, Sophocle, ou
d’auteurs latins, Virgile, Sénèque, Tacite. Esther et Athalie, tragédies religieuses, sont issues
de la Bible.

Racine suit la règle des trois unités. L’action commence le matin pour s ’achever le soir,
respectant l’ unité de temps (la durée de l’intrigue ne doit pas excéder vingt-quatre heures).
L’ unité de lieu (l’action se déroule dans un seul lieu) contribue à enfermer les personnages
dans le cercle de leurs passions. L’ unité d’ acton (une seule intrigue), extrême dans Bérénice,
est aussi respectée dans des tragédies, comme Bajazet, dont les péripéties servent le
déroulement de l’action principale. Par ailleurs, l’obligatoire vraisemblance ne coïncide pas
nécessairement avec le vrai ; Racine se conforme aux habitudes culturelles de son public,
admettant des touches de merveilleux païen (comme le « monstre » qui, dans Phèdre, attaque
Hippolyte) ou de merveilleux chrétien issu des récits bibliques. Les bienséances exigent de
ne pas heurter le goût ou les idées des spectateurs, d’éviter une violence susceptible de les
fasciner. Les brutalités – assassinats de Pyrrhus dans Andromaque, de Britannicus, de
Roxane, dans Bajazet – sont racontées et non montrées. La proscription d’un langage cru
épure un style subtil qui recourt à la litote, à l’euphémisme. Loin d’en être prisonnier, Racine
exploite les contraintes de la tragédie classique pour obtenir un maximum d’intensité. Le
dénouement doit restaurer la morale compromise par le déchainement des passions, mais
Racine achève plutôt ses tragédies par la déploration, la compassion et les larmes.

La passion et la fatalité dans le théâtre de Jean Racine

La galanterie, courant esthétique majeur alors que Racine écrit Andromaque, dépeint avec un
raffinement subtil les méandres des sentiments amoureux. Si Racine en reprend le vocabulaire
et les images (« feux », « fers », « flammes »), il les réactive, leur restitue un sens propre :
mourir d'aimer devient une réalité et cesse d'être une métaphore.
Passion irrépressible, l’amour domine le théâtre racinien. Mû(e) par une idée fixe, prêt(e) à
toutes les violences pour s’assurer la possession de l’être aimé, l’ amoureux ou l’amoureuse
(qui aime sans être aimé) s’enferme dans une aliénation croissante. L’amour passionnel est
montré jusque dans ses manifestations physiques ; ainsi, Phèdre rougit, pâlit, tremble à la vue
d’Hippolyte. Racine dépeint aussi les douceurs de sentiments tendres, purs, d’ amants (dont
l’amour est réciproque) qui se heurtent à la fureur d’un(e) amoureux(se). C’est Junie et
Britannicus affrontant Néron, Atalide et Bajazet opposés à Roxane, Aricie et Hippolyte à
Phèdre. Deuxième grande passion du théâtre racinien, l’amour du pouvoir ravage certains de
ses héros tels que Néron, Agamemnon, Athalie. Chaque tragédie s’ouvre sur une crise
passionnelle qui sera exacerbée par des obstacles - obstacles extérieurs : refus de l’être aimé,
interdits familiaux, raison d’État, ou intérieurs, comme un fort sentiment de culpabilité – et la
crise s’amplifie graduellement jusqu’à une issue le plus souvent fatale.

Tout en se livrant à une analyse lucide des sentiments ou des signes de la passion, le héros qui
souffre d’un amour pathologique ou d’un appétit incoercible de pouvoir est incapable d’obéir à
la raison. Il se débat vainement contre ses pulsions et le spectateur assiste à une marche
inexorable vers la catastrophe. Car tout est joué d’avance, l’homme, soumis à une fatalité
déterminée par les dieux, n’est pas libre. Le dénouement d’une tragédie doit rétablir des
rapports familiaux ou sociaux déréglés par le jeu des passions, mais, chez Racine, l’ordre
politique n’est jamais vraiment restauré et le spectateur, ému et fasciné par l’épreuve des
passions est, la crise achevée, invité à la compassion par les larmes que Thésée se propose de
verser sur Hippolyte, ou un dernier « Hélas ! » de Bérénice.

Le style de Racine

- toujours admiré pour sa simplicité

- point de sublime; point de mots à effet, de vers à détacher, à retenir

- il ne fait pas de pensée ou de „maximes” comme Corneille. Le « Qui te l’a dit ?


d’Hermione, le Seigneur, vous changez de visage de Monime, le Sortez de Roxane,
voilà le sublime de Racine

- mots de situations, mots très simples, locutions de la conversation courante que ne


sont terribles ou pathétiques que par les causes qu’on leur connait et les effets qu’on en
pressent

- il utilise le mot noble quand il faut, le mot trivial quand il est nécessaire, le mot exact
toujours (sauf dans les passages ou il prête a ses personnages le langage conventionnel
de la galanterie et des cours).

- les mots n’ont pas seulement pour Racine une valeur pittoresque, ils ont aussi une
valeur musicale

- la simplicité, la propriété, la poésie, l’harmonie,- voilà les grandes qualités du style


racinien
MOLIÈRE

Sa passion pour le théâtre doublée d’une curiosité intellectuelle évidente- lectures nombreuses,
contacts avec des représentants de la libre pensée de l’époque- détermine Molière à se pencher
aussi bien sur les sources livresques que sur les sources prises sur le vif. La source espagnole
sera présente dans Don Garcia de Navarre et dans Don Juan ; la source italienne se retrouve
dans Sganarelle ou Le Cocu imaginaire et d’une façon générale elle apparaît dans les portraits
des valets. Certes Molière emploie de même des sources littéraires françaises, dont tout
d’abord les farces populaires et les fabliaux.

L’authenticité qui va de pair avec la diversité se reflète dans le but permanent poursuivi par
Molière : réaliser une vaste enquête sur l’homme avec, sans doute, des procédés de farce, en
s’appuyant sur l’effet contrastant, essence/apparence, afin d’en extraire la source du comique.
Par le comique, Molière se propose de faire tomber le masque de ses personnages.
Excellent connaisseur du théâtre, Molière est implicitement un excellent connaisseur du
public, manifestant une grande préoccupation pour les rapports qui doivent s’établir entre la
scène et l’extérieur.

En partant de l’opposition courante à son époque, vices/vertus, Molière est obsédé par la
dimension de la bêtise humaine et par la distance insensible qui existe en celle-ci et la folie.
De là, la riche galerie des imaginaires : malades, médecins, précieuses, savantes, mauvais
poètes, cocus. La bêtise est présentée par Molière comme la source des défauts, tels l ’avarice,
la jalousie, la tyrannie, la folie des grandeurs.

Annoncée par la première grande comédie, Les Précieuses ridicules, la bêtise humaine après
avoir franchi l’étape Jourdain (Le Bourgeois Gentilhomme) atteint le sommet dans Le malade
imaginaire.

Si la bêtise apparaît comme un défaut presque constant, Molière n’omet pas dans ses comédies
les effets néfastes de l’hypocrisie et de l’imposture. Afin d’accroître les contours du Mal,
Molière, double d’un excellent moraliste, l’oppose au Bien, qui se traduit par le bon sens,
facteur d’harmonie, d’équilibre, source des dénouements heureux, où l’amour et la justice
triomphent.

D’une manière presque invariable, le schéma d’une comédie de Molière comporte trois
éléments obligatoires : la présence d’un jeune couple, la présence d’un obstacle en la personne
du père ou du tuteur, la présence d’un dénouement heureux concrétisé dans le mariage des
jeunes. Ce schéma suppose l’utilisation des groupes fixes de personnages selon les catégories
requises, les jeunes, les vieux, les domestiques alliés des jeunes, les raisonneurs. Il résulte de
cette distribution des personnages par groupes fixes une double opposition : de générations et
d’ordre social (maîtres/ domestiques).

En vertu du principe de mobilité, si cher à Molière, on constate des nuances très variées chez
tous les personnages de ses pièces. Les personnages de Molière changent d’attitude, de gestes,
de ton et de vocabulaire selon ceux auxquels ils s’opposent. On peut parler d’un permanent
mouvement de rotation et de révolution, car le personnage varie ses manifestations selon la
vérité des circonstances.

Si l’on pense à l’un des personnages les plus discutés, Tartuffe, on constate que ce personnage,
qui du point de vue statistique et concret apparaît dans un nombre réduit de scènes, par
rapport à l’ampleur des discutions qui préparent et commentent ses apparitions, défile devant
chaque interlocuteur avec un autre masque, puisque, de toute évidence, Tartuffe devient dans
la série des personnages moliéresques le porteur de masque le plus habile, ce qui le distingue
des porteurs inconscients de masque- les cocus, les précieuses, les savantes- qui aboutissent
par là même à la dimension ridicule.

- dans la construction des personnages Molière évite les clichés ;

Le défilé des personnages est un véritable kaléidoscope. L’unique personnage immuable du


point de vue du comportement et des réactions est le père ou le tuteur. Orgon (Tartuffe),
Harpagon (L’avare), Arnolphe (L’Ecole des Femmes), Sganarelle (L’Ecole des maris) sont tous
pareillement obtus, têtus, médiocres, tournant autour d’eux-mêmes, confinés dans leur univers
fermé.

Molière attribue des syntagmes à valeur de code, qui facilitent le déchiffrement de leur
attitude et qui, à force d’être répétés, confèrent à ces personnages la dimension typologique.

Le discours des personnages devient implicitement moyen de mise en lumière de leurs


portraits, portraits particulièrement importants, puisque l’auteur les envisage à travers une
double destination : la première est la destination immédiate, placer le personnage dans le
contexte de la pièce, prouver ce qu’il est dans l’espace scénique et partant offrir au spectateur
un trait saillant : Tartuffe, un imposteur, Harpagon, un avare, Jourdain, un parvenu ridicule,
Arnolphe, un vieux barbon ridicule. La seconde destination de ces portraits, parfaitement
rendus par le dynamisme du dialogue, est celle qui vise un effet prolongé, orienter donc
l’attention du spectateur vers leur contraire, vers ce qu’ils devraient être réellement dans la vie
quotidienne ; le portrait négatif est destiné à mettre en valeur le portrait positif, selon les v œux
de Molière, psychologue intelligent et profond, et selon l’idéal éthique et social de l’époque,
synthétisé dans la célèbre formule « l’honnête homme ».

Comme le personnage est l’élément fondamental dans la structure des comédies de Molière,
c’est autour de lui que se réalise l’unité d’action, plus exactement autour du personnage
central, Tartuffe, Harpagon, Monsieur Jourdain, Arnolphe, Argan, ou bien autour d’un couple,
le plus souvent couple maître-valet.

L’unité d’action, avec l’appui de la symétrie, confirme le parfait équilibre de toute construction
de Molière, donc l’empreinte esthétique de l’époque.

Molière n’hésite pas à faire côtoyer comique et tragique dans certaines de ses pièces.
L’audace de Molière d’avoir choisi un personnage dont l’essence est l’idée de liberté a dû
choquer ses contemporains. C’est pourquoi la postérité considère cette pièce comme meilleure
expression de l’esprit moderne de son auteur.

Une personnalité particulièrement forte, comme celle de Don Juan, l’auteur accentue le
caractère cérébral de la pièce qui s’impose justement par l’extrême densité des idées abordées :
l’inconstance, l’hypocrisie, la foi et la liberté, la quête de la vérité, la hantise de la mort. Don
Juan est un personnage riche en nuances, d’un caractère fort complexe. A la différence de la
plupart des personnages qui incarnent un seul trait : Orgon-naïf, Tartuffe- hypocrite, les
médecins- malhonnêtes, et qui apparaissent comme le produit d’un but ou d’une circonstance,
Don Juan et Alceste sont les produits d’un ensemble des circonstances sociales et morales,
reflétant par le comportement l’ambiance de la société française de ce milieu du XVIIe siècle.

Quant au Misanthrope, c’est la pièce la plus personnelle de Molière, puisqu’il n’est redevable à
aucune source livresque. Comme le vrai sujet de la pièce est la morale, l’unique source
décelable à cet égard serait l’ensemble des traités et opuscules de morale de La Mothe Le
Vayer. Construction parfaitement classique, par l’essence du sujet abordé, la pureté des
rapports entre les gens, Le Misanthrope annonce son entier respect vis-à-vis de la
vraisemblance et des bienséances. Par l’action proprement dite, qui est très mince, puisqu’elle
peut être réduite à une conversation déroulée dans un salon, donc limité dans le temps et dans
l’espace, il y a respect des unités.

La liberté de l’auteur et par la même son modernisme, se manifeste justement par la


coexistence du ridicule et du tragique. Tout en étant préoccupé par la dimension du comique à
travers les situations et le langage, l’auteur accorde le plus grand poids à la dimension
tragique, reflétée par Alceste, personnage central autour duquel se concentre l’unité d’action.

Selon Aristote, le comique cesse là où commence la souffrance. Or Alceste lucide et exigeant


comme Don Juan, demande trop mais obtient bien peu et conscient que le monde se dresse
devant lui comme un obstacle, rêve d’un monde parfait.

A la différence de Don Juan, Alceste est fort sensible, ce qui l’achemine vers la souffrance
perpétuelle, causée notamment par un amour non partage. Si dans l’ensemble de ses comédies,
Molière traite le problème des rapports hommes-femmes, lorsqu’il s’agit des différences
d’âges, à travers le thème du cocuage, l’équivalent a cet égard devient dans Le Misanthrope ,
ou il n’y a aucune différence entre les deux partenaires sauf celle des sentiments, l ’inconstance
et la fidélité. C’est là que se manifeste le ridicule d’Alceste, illustration cependant du tragique,
dans la distance qui existe entre la raison de son amertume, la coquetterie d ’une femme et la
décision qu’il prend, l’isolement. C’est la disproportion de l’opposition, une femme/ le monde
qui confère a Alceste une dimension ridicule aussi.

Moliere, auteur génial de comédies, se propose constamment de faire triompher le rire. Même
dans des pièces aussi graves que Don Juan ou Le Misanthrope, le rire est présent. La réplique
irrésistible de Sganarelle devant la mort de son maître, « Mes gages ! », confirme l’intention
de l’auteur de laisser au spectateur comme image dernier, l’image de l’humour.

L’art de Molière résulte notamment de la conciliation du rire et de la vérité, car c’est là son but
ultime, transmettre par le comique de caractère, de situation et de langage des vérités sur
l’homme.

Jean-Paul SARTRE (1905-1980)

Le théâtre français du XXe siècle frappe par son aspect hétéroclite, tradition et
expériences diverses se partagent la scène. Dans le cadre de toute cette diversité, trois
directions plus importantes s'imposent à l'observation: le théâtre de tradition, le théâtre
existentialiste et le théâtre de l'absurde.

Célèbre fondateur et représentant de l'existentialisme athée français, promoteur d'une


pensée et d'une action souvent contradictoires et contestables, Sartre a été l'une des
personnalités proéminentes de la culture européenne au XXe siècle. Philosophe, romancier,
dramaturge, critique littéraire, journaliste et militant politique, il a influencé profondément la
spiritualité contemporaine et a marqué aussi un moment d'exception dans l'histoire de la
littérature française. De son œuvre dramatique, on peut citer: Les Mouches; Huis -clos; Morts
sans sépulture; La Putain respectueuse; Les Mains sales; Le Diable et le Bon Dieu; Kean.
Le théâtre de Jean-Paul Sartre est un théâtre d’idées par excellences, mettant en scène
des personnages qui incarnent les principes fondamentaux de sa philosophie. Le thème central
y est celui de la liberté (on l’appelle d’ailleurs un « théâtre de la liberté »), mais comme il n’y
a de liberté qu’en situation, ce théâtre est surtout un « théâtre de situation », comme
l’appelle l’auteur lui-même.

Constitué, en partie, comme une réaction à l'idéalisme rationaliste de souche


cartésienne ou néo-kantienne, l'existentialisme athée de Sartre est une théorie de l'Être. L'Être
est par excellence l'indéfinissable; étant le concept le plus général, il n'a pas de genre prochain
ni de différence. De plus, toute définition doit obligatoirement employer la copule est. Il est
l’être-en-soi la seule énonciation possible qu'il tolère c'est qu'il est. Ainsi, l'Être n'est pas voué
à l'intellection. Il n'est accessible qu'à une compréhension intuitive de la conscience.

Sartre développe une phénoménologie de la conscience, qui est une liberté qui institue
le sens dans le monde. Elle n'est pas identique à elle-même; de par sa nature engagée dans un
devenir perpétuel, elle existe. La conscience à l’ avenir devant soi et se projette en avant; en
tant que projet elle est l’être-pour-soi (ou le pour-soi). Elle existe tout d'abord et ensuite, du
fait de sa liberté, se donne une série de déterminations (par des choix successifs) en acquérant
son essence. La proposition „l’existence précède l'essence” (inversion évidente de la
philosophie platonicienne) est le postulat suprême de la pensée de Sartre. C'est pourquoi
„l'homme est l'avenir de l'homme”, il „est ce qu'il se fait" parce qu'il est „condamné à être
libre". Poussée continuellement devant un nouveau choix, la conscience n'éprouve sa liberté
qu'à travers cette tonalité affective qu'est l'angoisse.

Avec sa première pièce de théâtre, Les Mouches (1943), Sartre procède à une
réinterprétation existentialiste du mythe grec des Atrides. Le véritable thème du drame c'est
l'histoire d'une conversion à la liberté. Après un exil de quinze ans, le jeune Oreste, fils
d'Agamemnon et de Clytemnestre, revient dans sa ville natale qu'il ne connaît point. Égisthe
et Clytemnestre, assassins de son père, règnent tranquillement sur un peuple auquel ils ont
infligé le remords perpétuel de leur crime. Le trajet que parcourt Oreste mène d'une liberté
inconsistante, caractérisée par une disponibilité vide et insensible à rengagement, vers une
liberté-en-situation avec son corollaire, la responsabilité totale à l'égard de l'option assumée.
Si, au début, Oreste se sent étranger il arrive finalement, par suite d'une révélation fon-
damentale, à l'évidence de sa liberté-pour-quelque-chose qui anéantit toute immixtion
éventuelle du pouvoir divin. En s'identifiant à cette nouvelle liberté, Oreste transgresse l'ordre
moral fondé sur le sens conventionnel du Bien et du Mal et invente une issue plus qu'il ne la
choisit (car le choix se définit et reste toujours dans le cadre d'un état antérieur). Il commet
donc le double meurtre et assume consciemment son acte justicier en tant qu'acte bon; par
contre, le peuple d'Argos exècre ce crime perpétré au nom de la morale commune tout comme
Electre s'en repent pétrifiée d'horreur. La parabole qui achève la pièce suggère la dimension
prométhéenne de l'acte accompli par Oreste; par la punition des coupables la ville a été
délivrée des remords (symbolisés par les mouches), mais le sauveur doit s'exiler pour toujours
afin d'éviter le retour à la situation initiale. Sa tragédie consiste dans cette solitude de la
conscience qui le sépare à jamais de ses semblables. Dans Les Mouches c'est l'aspect
irréductible du pour-soi qui est mis en évidence ; le héros partira seul, incompris, avec son
acte bon et injustifiable.

Huis-clos (1944) aborde, sous un certain jour, le thème : la relation réciproque des
consciences. L’auteur pos le problème du rapport avec les autres. Structure essentielle de la
subjectivité (c'est-à-dire du pour-soi), l'être-pour-autrui devient une source intarissable de
conflits dès que l'homme tente de contourner sa plus intime possibilité existentielle - la liberté
responsable.

À la place du reflet rassurant qui le dispenserait de vivre constamment dans l'angoisse du


choix, il s'expose souvent à ne plus recevoir en retour qu'un regard tortionnaire jugeant
impitoyablement de ses actes.

La mauvaise conscience des trois personnages - Garcin, Estelle, Inès - réunis après la mort (et
ne subsistant que par la convention dramatique) dans une chambre infernale aux apparences
plutôt familières, s'avérera vulnérable à la présence maligne d'autrui-inquisiteur. Aucune issue
n'est octroyée à ces êtres pris dans un engrenage diabolique qui les rend à la fois victimes et
bourreaux ; leur vie s'est irrévocablement fermée derrière eux et, faute de pouvoir accéder à
un nouvel acte qui en modifierait le sens, chacun sera livré au jugement éternel des autres.

La conclusion accablante de la pièce : „L'enfer c'est les autres" ne vise pas à être une sen-
tence universelle, car, sur la terre, une individualité vivante a toujours la possibilité de
rectifier la signification de son existence à condition d'assumer librement la responsabilité de
ses actes passés et futurs.

Avec la pièce Morts sans sépulture (1946) le théâtre sartrien insère la conscience dans
l'histoire réelle. Sartre revient au thème du condamné à mort qui avait fait l’objet de la
nouvelle Le Mur. Le conflit n'a plus lieu dans l'atmosphère pure et raréfiée des entités ab-
straites; l'impact de la réalité immédiate (un épisode de la Résistance), accompagné d'un
nouveau thème, celui de la torture corporelle, introduit une tension dramatique particulière.
Dans ce drame, la conscience d'une condition commune qui engendre la solidarité surmonte la
doctrine plutôt „individualiste” de l'existentialisme sartrien. Morts sans sépulture annonce
déjà la réorientation idéologique de l'auteur qui marquera de façon décisive sa pensée
ultérieure.

Avec Les Mains sales, un tournant radical se produit dans la pensée philosophique et
littéraire de Sartre, car il dépasse le subjectivisme qui caractérisait ses réflexions sur l’homme
et le monde, vers une conception plus réaliste et concrète dans tous les sens. Dans cette pièce
l’auteur utilise la technique cinématographique du flash-back, ou du retour en arrière. Cette
technique permet à l’auteur de mieux marquer les antinomies tragiques du personnage et de
révéler la signification profonde de la pièce, qui témoigne d’une tentative pour briser les murs
de la conscience malheureuse afin d’accéder aux sources de l’existence authentique.

SAMUEL BECKETT

Les pièces de Beckett sont des parodies de la condition humaine. L’auteur a une vision
tragique de l’existence, le monde lui apparait rigide, lugubre, vide et sans signification. Ses
personnages sont tous des misérables, vagabonds ou infirmes qui, au fond de leur misère
atroce, observent leur sort avec une impitoyable lucidité et posent sans cesse des questions sur
leur identité, sur leur existence présente, sur leur vie future, repoussant fermement les
illusions mensongères.

Dans le théâtre de Beckett l’intrigue manque. Le développement linéaire est remplacé par un
développement circulaire.

En attendant Godot, le chef-d’œuvre de Samuel Beckett, est une farce tragique en deux actes.
L’ordre des événements et des rapports diffère cependant d’un acte à l’autre. Vladimir et
Estragon sont des personnalités complémentaires : l’un est méditatif, l’autre plus instinctif,
plus capricieux. C’est pourquoi, malgré l’opposition de leurs tempéraments, ils doivent rester
ensemble, car ils dépendent l’un de l’autre. Conscients de leur inutilité, ils sont le symbole de
l’humanité souffrante. Le décor (notamment l’arbre et la route), les costumes, certains objets
de vêtement qui « occupent » a un moment donne la scène, la nourriture, sans parler de leurs
gestes, ont une fonction symbolique évidente, même si leur signification reste parfois
indécidable. L’espace scénique est presque vide et semble évoquer le vide de l’existence
humaine, l’absurde, le désespoir. Le seul élément de décor est un arbre qui pouce au cours de
la pièce- image du temps qui passe et qui entraîne inévitablement les personnages vers la
mort.

La réponse que Beckett a donnée à la question « Que signifie Godot ? » (ce certain Godot est
un personnage qu’ils attendent éternellement) est bien révélatrice a cet égard : « Si je savais, je
l’aurais dit dans la pièce. » D’une manière générale, on pourrait dire que Godot symbolise le
salut, et que l’attente des deux clochards signifie l’espoir de l’homme dans l’avènement d’un
être mythique, ou bien on pourrait dire que Godot symbolise l’idéal, au sens commun : ce que
chacun désiré mais ne réalise pas. Cependant, la nature exacte de Godot est d’importance
secondaire, car le sujet de la pièce est l’ attente.

En attendant Godot ne raconte pas une histoire. Il n’y a aucune progression ni dans les faits,
ni dans les caractères. Nous tournons en rond. Les deux clochards se retrouvent au début du
deuxième acte dans la même immobilité de l’attente.

Le langage des personnages n’est pas toujours cohérent ; il y a des phrases inachevées, des
questions sans réponse, des répétitions obstinées.

En attendant Godot reste une des grandes dates du théâtre contemporain. Aucune œuvre n’a
exprimé avec une rigueur aussi dépouillée la vacuité de l’existence et la vanité de l’espoir.

Dans Fin de partie on assiste à « l’épuisement d’un mécanisme jusqu’à son arrêt définitif. »
Hamm, aveugle, paralytique, dans un fauteuil roulant, vit sa dernière heure entre son fils
adoptif Clov et ses vieux parents, Nell et Nagg. Hamm et Clov sont inséparables. Malgré le
désir de quitter Hamm, malgré son exaspération qui lui rend parfois enrage, Clov ne peut pas
s’en séparer ; car Hamm, aveugle, qui ordonne et ne peut pas se lever, et Clov, qui voit,
exécute et ne peut pas s’asseoir, forment en réalité une seule personnalité, qui ne se dissociera
que dans la mort.

La seule faculté dont les pauvres créatures de Beckett disposent encore, c’est le langage. C’est
pourquoi, afin de remplir le vide qui les entoure, ils font recours à la parole. Le recours à la
parole est pour les malheureux de Beckett un divertissement qui leur fait oublier pour un
temps la misère atroce de leur condition. Plus que tout autre chose, ils détestent le silence, car
le silence est l’image même du néant. L’homme beckettien fait de la parole l’instrument d’une
quête intérieure : en parlant, il se scrute, se découvre, se met à nu.

Seule la parole donne à ces infirmes l’impression de vivre, de vaincre le temps en disant
n’importe quoi, en inventant des histoires pour empêcher de sentir que tout s’en va. Leurs
discours sont parsemés de répétitions, d’inversions, ou bien traversés de silences, de moments
de répit où ils semblent se refaire pour se relancer.

Dans Oh les beaux jours l’incessant bavardage de Winnie n’a d’autre dessein que de remplir le
temps. Ce monologue épuisant est tout ce qui lui reste avant que la terre ne l ’ensevelisse, car
tout le long de la pièce on assiste à son enterrement progressif dans les sables, au milieu du
désert. Comme les personnages des autres pièces, Winnie est en proie au processus de
dégradation et de répétition, qui constitue une des marques de l’univers beckettien.

Les conversations dans le vide, les questions sans réponses, les paroles sans signification qui
illustrent la décomposition du langage, trahissent en même temps un univers en
décomposition.

Les coups que Beckett porte au langage ne visent pas à l’éliminer de la scène. Il est vrai qu ’il
expérimente la pantomime dans des pièces courtes intitulées Actes sans paroles, mais cette
tentative est restée sans lendemain et le plus souvent le langage représente la seule raison
d’être de ses personnages.

Les pièces de Beckett sont des paraboles, qui nous disent que les hommes sont les jouets du
destin, qu’ils ne peuvent se soustraire aux misères de leur condition. La vision qu ’il offre de la
condition humaine est désespérante : aucune chance de salut n’est laissée à la créature. Cette
vision abrite cependant une immense pitié pour l’être humain soumis non plus aux caprices du
destin et des dieux, mais à l’irrémédiable déchéance que comporte sa condition.
Eugène IONESCO (1909-1994)

Le théâtre français du XXe siècle frappe par son aspect hétéroclite, tradition et
expériences diverses se partageant la scène. Dans le cadre de toute cette diversité, trois
directions plus importantes s'imposent, à savoir : le théâtre de tradition, le théâtre
existentialiste et le théâtre de l'absurde.

Le théâtre d'Eugène Ionesco fonde une nouvelle conception du spectacle dramatique


en contestant certains points essentiels du code unanimement admis du genre; c'est un anti-
théâtre dans le sens où il nie la cohérence traditionnelle établie au niveau du langage et définit
le personnage comme paradoxe, qui, incarné dans la présence d'un acteur unique n'arrive
pourtant pas à s'imposer comme identité distincte et singulière. Ce ne sont plus les sentiments
qu’on met en scène, ni des problèmes de conscience, mais le tête-à-tête d’hommes anonymes
ou communs avec une matière implacablement hostile. La faim, le désir, la peur, l’attente
apparaissent à l’état pur et comme dans leur simplicité sauvage. Cette absence de psychologie
est une des raisons pour laquelle on a nommé ce théâtre un „théâtre de l’ absurde”. Ce théâtre
n’oppose pas une nouvelle représentation de l’homme du siècle précédent à une autre, plus
ancienne, il abolit purement et simplement toute image de l’homme.
Ionesco est hanté par l’obsession de la redite et du recommencement et son
imagination est habitée par deux images effrayantes: celle du vide et celle de
l’encombrement. Ces hantises s’expriment dans La Cantatrice chauve, La leçon, Les
Chaises, Rhinocéros, Le Roi se meurt, La Soif et la faim.

Dans le théâtre de Ionesco la logique et le sens commun sont abolis, les sentiments et
le langage sont brûlés, le personnage réel et la marionnette cohabitent ; le drame devient la
représentation d’un non-sens humain. Selon lui, le théâtre doit opérer avec de véritables
tactiques de choc.

La première pièce d’Ionesco, La Cantatrice chauve a été jouée en 1950 et à défaut


d'attirer immédiatement le public, retient l'attention de plusieurs critiques et amateurs de
littérature. En 1950, il prend la nationalité française et continue d'écrire des pièces, comme La
Leçon (représentée en 1951) et Jacques ou la Soumission qui font de lui un des dramaturges
les plus importants du théâtre de l'absurde.

Dans sa première pièce, La Cantatrice chauve, l'action dramatique se situe au seul


niveau verbal; c'est la destruction progressive d'un langage réduit aux clichés et aux truismes,
désarticulé de façon vertigineuse en sons, entraînant dans cette folie ses manieurs, devenus
des fantoches. C'est là plus qu'une parodie du théâtre, c'est le drame de l'homme
contemporain, celui de la rupture entre les mots et les choses, entre la parole et l'être - une des
formes que prend dans l'art moderne la conscience de l'absurde. Cette « antipièce », comme il
l’appelle, est une critique des cliches de langage et du comportement mécanique des gens, de
leur conformisme. Conçue par l’auteur comme une « tragédie du langage », cette pièce offre le
tableau inquiétant de l’usure irrémédiable de ce moyen de communication entre les hommes et
met en question la communication même et la possibilité d’entendement dans un monde ou le
conformisme des relations sociales engendre le néant intellectuel.

Dans Les Chaises, Ionesco reprend et pousse à ses dernières conséquences la négation
du modèle de la communication oratoire entamée déjà dans Une lettre perdue de Caragiale:
un discours électoral illogique et à peu près incongru - dont la transmission est déréglée aussi
par un puissant bruitage - y est donné sans convaincre personne et il reste même
essentiellement inutile puisque le candidat sera imposé par une autorité supérieure. Ionesco
réduit systématiquement au néant chaque composante de l'acte communicatif: les deux
vieillards qui voudraient transmettre le message de leur vie à l'humanité se suicident après
l'avoir confié à un orateur sourd-muet. Mais dans la salle à laquelle il s'adresse il n'y a que des
chaises vides, absence du destinataire. Et d'ailleurs ce fameux message semble ne pas exister;
le dialogue précédent des deux vieillards suggère plutôt que leur vie ratée ne laisse rien
derrière.

« Le thème de la pièce, écrit Ionesco n’est pas le message, ni les échecs dans la vie, ni le
désastre moral des vieux, mais bien les chaises, c’est-à-dire l’absence de personnes, l’absence
de Dieu, l’absence de matière, l’irréalité du monde, le vide métaphysique, le thème de la pièce,
c’est le rien. »

Dans Le Roi se meurt, se manifeste l’affrontement du burlesque et l’angoisse


intimement liés: burlesque du roi de comédie, ridicule dans l’affirmation de sa puissance
dérisoire; angoisse devant la mort.

Le roi, nommé Bérenger Ier, évoque l’ombre des souverains, mais il ne s’enferme pas
dans l’exaltation d’un tragique ou d’un grotesque étranger. La pièce ne cherche pas à délivrer
quelque message, mais révéler la transparence d’une peur – celle de l’anéantissement. La mort
est ici partout et dans le langage lui-même, innommée, esquivée, parlée par la reine, qui doit
aider le roi à accepter sa destruction, évoquée, affirmée et finalement reconnue. Le roi
d’Ionesco est à la fois trivial, naturel et sordide dans sa grandeur, comme le monde qu’il
domine.

Roi charismatique, il essaie une dernière fois à retrouver son pouvoir magique sur les
choses et les hommes, il donne des ordres fous („j’ordonne que les arbres poussent du
plancher”), tente de noyer sa mort dans la déclamation de cette nouvelle communiquée à tous.
Le roi est dérisoire et grotesque dans son affection de puissance. Le roi, qui est avant tout un
homme comme tous les autres, atteint par le venin de la mort, n’est plus qu’une marionnette.

Le héros ionescien arrive à incarner les angoisses et l'aventure de l'homme moderne


aux prises avec les limites inéluctables de l'Histoire et de sa condition, qui se fait fort de
préserver en lui et autour de lui ce qui lui appartient en propre en tant qu'homme, contre
l'invasion des objets et les tyrannies de tout ordre. C'est là un théâtre symbolique, peuplé
d'images concrètes de l'absurde, bien plus saisissantes que la parole de ses personnages: un
cadavre qui pousse, des chaises vides que personne n'occupe, des champignons, des œufs qui
remplissent la scène. Ce sont là des métaphores -objets uniques qui portent par leur présence
matérielle même, et d'autant plus difficiles à doter d'une signification une et rigoureusement
circonscrite.
Les „rhinocéros” incarnent, de l'aveu même de l'auteur, l'esprit fasciste, grégaire et
agressif, mais aussi toute dictature qui ravit à l'homme la liberté de se manifester en tant
qu'individu, le privant des attributs de son humanité, du droit de se chercher lui-même dans
une quête jamais achevée. Riches, d'une ambiguïté fertile, ces images définissent son univers
dramatique comme oeuvre ouverte, où le sens ne s'épuise et ne peut jamais s'épuiser par la
totalité des lectures scéniques

Macbett appartient à la vague d'intertextualité shakespearienne qui traverse


aujourd’hui le théâtre; elle illustre paradoxalement la vitalité de l'archétype. L'absurde
ionescien acquiert une dimension nouvelle, plus redevable à l'histoire contemporaine. C’est
l’histoire d'un héros faible, corrompu par le pouvoir, auquel il accède au prix du crime, laisse
entrevoir un mécanisme cyclique qui tourne de mal en pis, car celui qui prend la place de
Macbett à la fin est bien pire que lui. Il ne s'agit pas seulement de répétition mais aussi de
prolifération du mal. À travers l'agitation fébrile des humains, on entrevoit la prolifération du
crime de guerre, surtout dans le grand monologue de Macbett, repris d'ailleurs par Banco,
mais aussi dans les images mêmes du massacre. C'est un avertissement à l'adresse du XX e
siècle agressif et imprudent.

En automne 1957, paraît Rhinocéros, nouvelle dans laquelle Ionesco manifeste son
effroi devant l'éclatement contagieux du patriotisme chauvin et du racisme qui saisissait la
France à l'occasion de la « Bataille d'Alger » (hiver 1956/1957). Comme la pièce touche en
France des sujets trop délicats, c'est à Düsseldorf qu'elle est représentée pour la première fois
en 1959, et le public allemand y voit pour sa part une critique du nazisme. Dans cette pièce on
assiste à une transformation progressive des habitants d’une ville en pachydermes. Cette
épidémie inconnue, la rhinocérite, implique un changement de « mentalité » et tend à
« remplacer la loi morale par la loi de la jungle », comme le fait remarquer le protagoniste de
la pièce.

Grâce à Eugène Ionesco, le théâtre est confronté à tous ses possibles mais aussi à ses
limites qui tournent paradoxalement chez lui en autant de stratégies dramatiques fertiles. Crise
et renaissance du langage, et même de l'être humain par le personnage dramatique, la
symbolique ouverte des signes de spectacle, tout s'y conjugue pour poser des questions
essentielles sur la destinée de l'homme moderne. Au-delà du ridicule des situations les plus
banales, le théâtre de Ionesco représente de façon palpable la solitude de l'homme et
l'insignifiance de son existence.
Ionesco a essayé d’extérioriser l’angoisse de ses personnages dans les objets, de faire
parler les décors, de visualiser l’action scénique, de donner des images concrètes de la frayeur
ou du regret, du remord ou de l’aliénation, de jouer avec les mots. Dans son théâtre l’ironie, le
cauchemar et le lyrisme s’entremêlent, l’ humour- synonyme de la liberté- en étant le
dénominateur commun. D’ailleurs, l’humour est pour lui l’unique voie de libération. Il
considère que le langage est réduit à une fonction mineure dans un théâtre où la parole est
continuée par le geste, le jeu, la pantomime. C’est pourquoi, il recommande à l’acteur de jouer
contre le texte.

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