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ALLÉGORIE / Allegory
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COMMENTAIRE / Analysis
La critique a souvent éprouvé beaucoup de mal à cerner la notion que recouvre le
terme allégorie. Longtemps, l’allégorie a été considérée comme l’image maîtresse de
le littérature. Dans l’Antiquité latine, l’allégorie est définie comme un trope au service
de l’élocution oratoire. Si l’on traduit le latin immutatio par allégorie comme le fait
Edmond Courbaud, cette phrase de Cicéron offre est un exemple d’allégorie réduite à
une seule image : « In uerbis etiam illa sunt, quae aut ex immutata oratione ducuntur
aut ex unius uerbi translatione aut ex inuersione uerborum. Ex immutatione, ut olim
Rusca, quom legem ferret annalem, dissuasor M. Seruilius : ‘Dic mihi, inquit, M.
Pinari : num, si contra te dixero, mihi male dicturus es, ut ceteris fecisti ?-Vt
sementem feceris, ita metes’, inquit (« Au nombre des plaisanteries de mots, nous
comptons encore celles qui se tirent de l’allégorie, de la métaphore, de l’antiphrase.
De l’allégorie : Rusca proposait autrefois une loi Annale ; M. Servilius, son adversaire
lui demande : ‘dis-moi, Pinarius, si je parle contre toi, me diras-tu des injures, comme
tu as fait aux autres ? – On récolte, lui répliqua Pinarius, ce qu’on a semé’» (De
Oratore, livre II, par. 261, Paris: Budé, p. 116).
Quintilien, quant à lui, dans Institutio Oratoriae, distingue des allégories simples et
des allégories « mixtes ». Au livre des « Tropes », il donne cette définition de
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Les poètes latins recoururent volontiers à l’allégorie, par exemple pour figurer les
qualités morales, tels Apulée dans Psyché et l’Amour, Prudence dans Psychomachia
ou Boèce dans Consolatio Philosophiae.
Et, jusqu’à une date récente, l’allégorie a été ramenée à une métaphore prolongée.
Elle le fut par exemple par Antoine Albalat dans L’art d’écrire, enseigné en vingt
leçons (Paris, Armand Colin, 1906, 12e édition). Faisant encore autorité, il proposait
cette définition : « L’allégorie n’est souvent qu’une métaphore continuée par une suite
de traits, qui doivent commencer et finir avec la phrase, comme dans cette phrase de
Bossuet :‘cette jeune plante, ainsi arrosée des eaux du ciel ne fut pas longtemps sans
porter ses fruits’ » (p.277).
Mais Tzvetan Todorov, relayé par Jean Mazaleyrat et Georges Molinié, a montré
que « l’allégorie ne saurait se réduire à une figure microstructurale » (Dictionnaire de
stylistique, Paris, P.U.F., 1989, p.9). Pour eux, c’est « uniquement le macrocontexte
qui signale et qui impose le caractère figuré du discours allégorique » (Ibid).
Cela dit, lorsque l’allégorie prend une métaphore pour point de départ, elle peut être
explicite ou implicite. Lorsqu’elle est explicite, ou in praesentia, elle peut être
introduite par une comparaison ou d’autres marqueurs qu’Henri Morier appelle
« embrayeurs rhétoriques » qui en livrent les clés. Ainsi, L’albatros de Baudelaire,
allégorie du poète, se termine explicitement par « Le poète est semblable au prince des
nuées ». L’allégorie implicite ou in absentia (en absence du comparé), se comprend
effectivement par le contexte. Ainsi, Boileau, dans L’art poétique, afin de faire
comprendre qu’un style doux est préférable à un style impétueux, file sur plusieurs
vers la métaphore du ruisseau, en ne proposant que ce comparant : « J’aime mieux un
ruisseau qui sur la molle arène/ dans un pré plein de fleurs lentement se promène,/
Qu’un torrent débordé qui, d’un cours orageux,/ Roule, plein de gravier sur un terrain
fangeux » (Chant I).
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Mais l’allégorie développée peut aussi se présenter comme une des significations
que le lecteur peut accorder à une œuvre complexe et plurivoque. Ce fut le cas dès le
Moyen Âge en Europe. Non seulement on recherche un « sensus allegoricus » dans la
Bible ou chez Ovide, comme le font par exemple Hugues de Saint-Victor, Scot
Erigène ou encore Philippe le Noir dans La mer des histoires en 1488, à propos de la
Genèse, mais on recourt à l’allégorie comme une des isotopies au sein de toutes les
formes et de tous les genres littéraires, de la satire, comme chez Raoul de Houdenc, au
XIIe siècle, à des œuvres narratives de longue haleine comme le roman et l’épopée.
Ainsi, au XIIIe siècle, le célèbre Roman de la rose peut être lu comme un vaste poème
allégorique. La première partie, écrite par Guillaume de Lorris vers 1235 narre un
songe où le poète amant chante la conquête de la femme aimée, représentée par une
rose au « verger d’Amour ». Le poète devra lutter contre toutes sortes d’entités
personnifiées (Danger, Jalousie, etc…) et sera aidé par d’autres, dont Bel -Accueil et
bien sûr Amour. Jean de Meung continua le poème, à partir de 1269-1270 jusqu’au
réveil du héros. Au début du XIVe siècle, Dante – lui-même influencé par le Roman
de la rose – dans Il convivio (Le banquet) (1304-1307), comptait le « sens
allégorique » parmi les quatre sens (avec les sens littéral, moral, anagogique) selon
lesquels les œuvres littéraires peuvent être comprises et expliquées. Le sens
allégorique est défini comme « celui qui se cache sous le manteau de ces fables et est
une vérité celée sous beau mensonge » ( Pléiade, trad. André Pézard, p. 313). Et Dante
a, bien évidemment, mis en œuvre sa doctrine dans sa Commedia (Divine comédie). A
travers les trois chants, « L’enfer », « Le purgatoire » et « Le paradis », le lecteur peut
suivre le long itinéraire de Dante héros poète, qui va de l’égarement par rapport à la
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« voie droite » vers la conversion. Les commentateurs se sont accordés sur ce sens
allégorique, la Commedia ne s’y réduisant pas puisque le sens moral et le sens
anagogique (spirituel), plus discutable, viennent s’y entremêler.
C’est à la même époque qu’à la suite d’un processus d’hypallage, le terme s’est
appliqué aux œuvres où ce mode d’expression est utilisé, telle la Nouvelle allégorique
ou Histoire des derniers troubles arrivés au royaume d’éloquence (1658) d’Antoine
Furetière lui-même, où est évoqué le conflit qui opposa les précieux, groupés autour
de Georges et madeleine de Scudéry, et leurs adversaires, notamment l’abbé
d’Aubignac. Avec Furetière, l’allégorie prend un ton critique et satirique, emprunté
aux procédés du genre burlesque. Au XVIIIe siècle, l’allégorie devient un genre
revendiqué comme tel. Ainsi, Le temple du goût (1733) de Voltaire est conçu selon la
forme d’une allégorie en prose et en vers où l’auteur raconte une visite au dieu du
Goût et décerne, avec son esprit caustique habituel, des éloges et (surtout !) des blâmes
aux écrivains de son époque ou à ceux du siècle précédent.
Depuis le XXe siècle, l’allégorie a été l’objet de multiples controverses. Les adeptes
du modernisme et de la New Criticism surtout lui furent hostiles, lui reprochant
principalement de procéder d’une conception idéaliste et de promouvoir des
implications excessivement individuelles. Ainsi Ivor Armstrong Richards la considère
comme purement « mécanique », Ezra Pound lui reproche son caractère trop abstrait.
C.S. Lewis, dans The Allegory of Love (Oxford, Oxford University Press, 1953) en fait
une diérèse symbolique complète induite par la tradition spirituelle politique ou
psychologique occidentale. Le jugement défavorable des adeptes de la New Criticism
et du modernisme relève essentiellement de deux aspects de leurs conceptions
esthétiques : la thèse de l’autonomie de l’artefact et l’association de la littérature à un
mythe collectif et récurrent, doctrine laissant peu de place à l’allégorie, image héritée
d’un autre âge. Le mouvement moderniste était certes équipé pour rendre compte de la
forme du contenu d’une œuvre et pour sonder les modèles mythiques englobés dans un
texte littéraire ; il l’était moins pour explorer le domaine qui se situe entre la forme du
contenu et la forme de l’expression, où se développent des phénomènes bizarres (au
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sens propre du terme) impliquant des paraphrases allusives, ce qui est précisément
le domaine où évolue l’allégorie. Les auteurs pratiquant l’allégorie ou la satire (les eux
allant souvent de pair) impliquent volontiers les mythes dans leurs textes mais au seul
niveau rhétorique. Aussi l’analyse scientifique, préconisée par le modernisme, a-t-elle
du mal à s’emparer du phénomène allégorique, trop imprécis et trop vague pour être
saisi par des outils fondés sur la rigueur et la rationalité.
Mais, dès 1934, Pirandello, sans se rattacher à une école, rejetait l’allégorie comme
un pur artifice, dans la préface de Sei personnagi in cerca d’autore (Six personnages
en quête d’auteur, Milano, Mondadori) : « Je hais l’art symbolique, dans lequel la
représentation perd toute spontanéité pour devenir machine, allégorie ; effort vain et
mal compris, car le seul fait de donner un sens allégorique à une représentation montre
clairement que l’on considère déjà celle-ci comme une fable qui n’a en soi aucune
vérité ni imaginaire ni réelle et qui est faite pour la démonstration d’une quelconque
vérité morale ». Il distingue alors l’allégorie, qui part d’un concept, de l’image,
« vivante et libre », porteuse de « sens » (Pléiade, trad. Michel Arnaud, p.997). En
1955, en France, le critique d’art René Huyghe, dans Dialogue avec le visible,
distingue nettement, quant à lui, l’allégorie et le symbole, au profit du second. Selon
lui, le symbole, spontané, irrationnel, a des prolongements indéfinissables et illimités ;
l’allégorie, au contraire, qui recouvre seulement une notion, n’est plus qu’un « mot
infirme » » : elle parle moins précisément qu »un texte et perd son pouvoir sur
l’inconscient (p.240). Dans son Dictionnaire de poétique et de rhétorique (Paris,
P.U.F., 1981), Morier qualifie franchement l’allégorie de « démodée ».
Mais elle a eu aussi ses défenseurs parmi les critiques et les théoriciens modernes.
Le défenseur le plus radical de l’allégorie est Cleanth Brooks qui, dans The Well
Wrought Urn (1947), « allégorise » tous les poèmes qu’il explique comme des
« paraboles about the nature of poetry ». Le critique Northrop Frye prit cette
conception à son compte et affirma dans Anatomy of Criticism (1957), que toute
analyse littéraire correspond à une « allégorisation », c’est -à- dire à la recherche d’un
sens caché. Walter benjamin, dans Origine du drame baroque allemand (Trad. De
Sybille Muller, Paris, Flammarion, 1985), voit dans l’allégorie , « au-delà de la
beauté » (p.191) un procédé de déconstruction de l’illusion qui permet de découvrir le
réel dans sa multiplicité : « Majesté de l’intention allégorique, destruction de
l’organisme du vivant – dissipation de l’illusion » (p.226). Il précise : « L’allégorie
chez Baudelaire, au contraire de l’allégorie baroque, porte les traces de rage intérieure
qui était nécessaire pour faire irruption dans ce monde et pour briser et ruiner ses
créations harmonieuses » (p.228). Ici, l’allégorie est déjà définie comme un procédé
postmoderniste.
D’ailleurs, l’allégorie a été encore pratiquée par des écrivains du XXe siècle. Ainsi,
le poète irlandais Yeats, dans A Vision ( 1925) se situe dans la lignée de Spencer. On
peut également lire des œuvres comme Das Schloss (Le château) de Kafka (1924-
1926), Animal Farm d’Orwell (1945) comme des allégories, respectivement d’une
quête d’une transcendance inaccessible et de la constitution de régimes totalitaires .
Dans ces œuvres, le héros peut être alors considéré comme assumant des fonctions
allégoriques, telles le désir, la crainte, la jalousie etc… On peut aussi, il est vrai,
considérer que toute œuvre est allégorique, dans la mesure où elle déborde son aspect
dénotatif : l’histoire racontée d’un roman en provoque immédiatement une autre,
implicite. De ce point de vue, la dimension allégorique n’est ni locale ni intermittente,
elle est générale.
Marcel De Grève †
Rijksuniversiteit Gent
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BIBLIOGRAPHIE / Bibliographie
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Van Dyke, Carolyn. – The Fiction of Truth. Structures of Meaning in Narrative and
dramatic Allegory. - Ithaca : Cornell University Press, 1985.
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