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1. Nous nous inspirons très largement des principes définis par A. André, directeur de
l’Aleph.
84 Le Français aujourd’hui n° 118, « Passons aux exercices »
2. Fondateur de l’Aleph, association qui propose des stages d’écriture personnelle, litté-
raire et professionnelle, A. André est également l’auteur de Babelheureuse (Syros, 1989), ou-
vrage qui fonde sa méthode et sa conception des ateliers d’écriture « au service de la créa-
tion littéraire... »
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« [...] les livres que j’ai écrits se rattachent à quatre champs différents,
quatre modes d’interrogation qui posent peut être en fin de compte la
même question, mais la posent selon des perspectives particulières cor-
respondant chaque fois pour moi à un autre type de travail littéraire. »
(p. 10)
Il définit ensuite ces quatre champs par les termes suivants : le quoti-
dien (ou champ sociologique), l’autobiographie, le romanesque et les
jeux oulipiens. A. André, au prix d’une formalisation très féconde pour
la pratique des ateliers, propose quatre domaines d’investigation litté-
raire qu’il nomme « territoires », et rebaptise respectivement « le monde,
le moi, l’imaginaire et la forme (le langage) ». Cette notion de « territoires »
va permettre aux élèves d’expérimenter des pratiques variées, tant au
niveau des thèmes qu’à celui des compétences : la description du
monde, l’écriture autobiographique, l’invention d’histoires et les jeux du
langage et du signifiant. Chaque proposition vise à déclencher le désir
et le plaisir d’écrire : ce peut être la lecture d’incipit, de brefs récits, d’ex-
traits, la présentation de situations fictionnelles, de jeux de langage... Le
temps d’écriture est variable, de quelques minutes à une petite heure.
Chacun se lance en sachant que l’animateur est disponible pour toute
question et/ou aide éventuelle, à caractère technique, voire affectif.
La proposition n’est pas une consigne d’écriture à laquelle il faut
répondre avec rigueur ; toute proposition peut être détournée, inter-
prétée, modifiée au gré des écrivants et sans autre nécessité que la pro-
duction d’un texte. Suit le temps de la lecture orale, qui est elle-même
suivie de réactions des membres du groupe et de l’animateur, réactions
que l’on nomme généralement « retours » pour les distinguer de toute
forme d’évaluation scolaire. Ce ne sont en aucun cas des jugements
normatifs qui jaugent le respect de la consigne. À la rigueur évaluative
est substituée une écoute susceptible d’éclairer l’émergence d’une écri-
ture singulière qui passe par l’exploration des fantasmes, des motifs, des
thèmes récurrents, du style, propres à chacun. L’animateur doit devenir
alors un scribe attentif qui, séance après séance, note ces éléments
récurrents porteurs de sens et les empreintes stylistiques de chacun des
écrits ; il peut les pointer oralement, dès ce moment d’échange, ou les
garder pour une mise en perspective ultérieure. L’émotion étant sou-
vent très forte, l’écoute et les réactions du groupe doivent être positives
et ces retours sur les textes autorisent ainsi chacun(e) à faire entendre
sa voix et à trouver sa voie.
Les élèves sont incités à recopier ou à dactylographier leurs textes afin
qu’ils puissent être offerts au groupe dans les meilleurs délais. Ils consti-
tuent la mémoire de l’atelier et le fonds commun dans lequel puiser
éventuellement le thème, voire même le sujet, de leur nouvelle à venir,
et dont la gestation inconsciente participe à n’en pas douter de tout ce
travail préparatoire.
L’exercice de l’écriture 87
Conclusion
À l’issue de ce trop bref descriptif, la question posée au début (« l’ate-
lier d’écriture est-il un exercice ? ») reste en suspens et, on l’aura
constaté, cet article ne prétend pas y répondre dans les termes où elle
est posée. Il permet peut-être de dire ce que n’est pas l’atelier : il n’est
pas un exercice permettant d’évaluer des savoirs normatifs et suscep-
tible de s’insérer dans un processus didactique formalisé comme la
séquence. L’exercice, au sens plein, a sa place dans toute démarche
pédagogique raisonnée. On rappellera cependant qu’il doit être distin-
gué de la production proprement dite à laquelle il prépare : divers tra-
vaux d’écriture dont la rédaction reste l’avatar le plus fréquent. Cette
structuration des apprentissages qui procède par analyse et décomposi-
ton des compétences s’avère nécessaire, bien sûr, dans certains
domaines. L’atelier d’écriture ne procède pas ainsi ; le processus qu’il
engage est plus synthétique, plus immédiat, et met les élèves en posture
de sujet dès le départ. En ce sens, il n’est pas un exercice au sens tradi-
tionnel.
Nous pensons néanmoins avoir établi que l’atelier d’écriture est l’oc-
casion de mettre les élèves aux prises avec des problèmes d’ordre litté-
raire, et de leur faire aborder, dans une autre perspective, certains des
savoirs et surtout des savoir-faire qui sont au cœur de notre discipline.
En cela, il est un « exercice de l’écriture », une pratique qui peut être
décrite comme un apprentissage, mais avec sa logique propre, et très
certainement un lieu d’acquisition de compétences disciplinaires.
Anne CHAMPION
MAFPEN, Paris
Jean-Bernard ALLARDI
INRP, MAFPEN, Paris