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Édition : Isabelle Walther

Mise en pages : Isabelle Walther


Couverture : Alinéa/Isabelle Walther

© CLE International, Paris, 2013. ISBN : 978-209-037570-


1
Avant-propos

Littérature en classe de FLE ?


La question, longtemps débattue, est aujourd’hui entendue : on
reconnaît la nécessité de sa place. Mais quelle place ? Lorsqu’on
examine ce qui se passe sur le terrain, cela ne va pas toujours sans
confusion.
En effet, si l’on recourt parfois à des textes présentés comme
« littéraires »1 pour servir de support à des activités purement
linguistiques (travail sur le lexique, sur un fait de langue,
compréhension de l’écrit…) et/ou pour servir de base à de la
production écrite, voire de simples prétextes pour de la production
orale, il n’est pas sûr que les raisons qui justifient cette pratique – et
il y en a de bonnes – soient clairement pensées, identifiées.
Pourquoi a-t-on choisi ces textes dont on a pris soin de signaler la
particularité de « littéraires » ? Ce ne peut être dans le seul souci de
respecter la législation ; en d’autres termes, en quoi ces textes
offrent-ils une particularité originale par rapport à un corpus non
littéraire ? Eventuellement, en quoi les faits de langue illustrés dans
le texte littéraire sont-ils à mettre en relation avec ce qui fait la
littérarité du texte ? Toutes ces questions renvoient à ce qui fait la
spécificité de la littérature.
Que penser aussi de la situation où l’on baptise « cours de
littérature » une activité de production orale : « … la recherche
montre qu’au lycée l’analyse littéraire ne s’intéresse que très peu au
texte en soi. On le quitte rapidement pour parler de la vie et des
expériences des élèves à la place […] C’est un cours de
littérature »2 ? Sans doute s’intéresse-t-on alors à l’apprenant, mais
la littérature est passée à la trappe, et l’on peut difficilement parler
d’une vraie rencontre entre le texte et l’apprenant.
Il arrive aussi qu’un texte, parfois celui-là même qui a d’abord été
exploité linguistiquement, soit utilisé pour l’enseignement de la
civilisation3 . Pourquoi pas ? Encore faut-il, quand il s’exprime sur un
fait de civilisation (ou d’histoire), qu’on le considère comme ce qu’il
est, le point de vue singulier de son auteur, et non comme un
témoignage fiable, directement utilisable pour construire un savoir
culturel. Le texte porte, dans sa structure même, des références
culturelles ? Il est le miroir d’une société, d’une mentalité à un
moment donné ? Encore faut-il que ce soit établi pour qu’il devienne
utilisable dans la construction de ce même savoir culturel. Cette
confusion sur ce qui fait la spécificité de la littérature, sur
l’enseignement de la civilisation aussi, est regrettable pour la
littérature, pour la civilisation, pour l’enseignement de ces deux
disciplines, sans parler des dommages pour l’interculturel. Nous y
reviendrons.
On observe aussi cette pratique qui consiste à utiliser le texte
littéraire comme simple prétexte pour construire un savoir culturel
autour de thèmes offerts ou permis par le texte. C’est ce que l’on
peut voir dans une thèse récente sur l’agir professoral4 où un cours
dont le support est un extrait de littérature canadienne est rapporté
intégralement5 . Toute une partie de ce cours porte sur la
géographie du Canada (quelques informations sur sa superficie, sur
sa géographie humaine), sur la francophonie (mention de quelques
pays francophones, du colonialisme comme explication), sur sa
situation de « royaume », et glisse ensuite sur les Jeux Olympiques
de Calgary et sur le voyage personnel au Canada, en Volkswagen,
de l’enseignante. Ces informations, pour utiles qu’elles auraient pu
être, du moins certaines d’entre elles, sérieusement documentées et
rapportées au texte pour éclairer son contexte, outre qu’elles
construisent ici un savoir vague, incomplet, très approximatif, sont
livrées sans aucun rapport avec la matière même du texte, encore
moins avec le fait « littéraire ». Pourquoi, dans ces conditions, avoir
eu besoin du prétexte de la littérature ? On pouvait s’en passer.
Il semble donc important de clarifier les choses, de réfléchir à la
façon de s’y prendre avec la littérature en classe de FLE. Derrière
cette formulation vague, il est question de savoir clairement :
◗ Pour quelles(s) raison(s) un enseignant veut utiliser
les textes littéraires en classe de FLE. Cela renvoie à
la réflexion sur ce qui fait la spécificité du texte
littéraire.
◗ Quelle(s) fin(s) veut-il servir en utilisant ces textes.
Cela renvoie à une préoccupation d’ordre
pédagogique.
• Des fins linguistiques ?
• L’enseignement de la civilisation ? Quelle
contribution la littérature peut-elle apporter ? À
quelles conditions ? Selon quelle méthode
procéder ?
• L’enseignement de la littérature ? En utilisant
des œuvres complètes ? Des extraits ? Pour
quoi ? Pour qui ? Avec quelles méthodes ? Pour
quelles raisons ?
Cela dit, devant l’ampleur de la réflexion impliquée par ces
questions, il importe de préciser le cadre, les contraintes, et donc les
partis pris qui ont présidé à l’élaboration de ce manuel, ce qui
explique ce qu’on y trouvera et ce qu’il n’y a pas lieu d’y chercher.

Quels sont les destinataires de cet


ouvrage ?
Il s’adresse à de jeunes enseignants de FLE qui ne sont pas des
enseignants de littérature, encore moins des chercheurs, et qui, sur
le terrain, au hasard de leur affectation, se voient confier, outre des
cours de langue, des cours de littérature. Ils se disent souvent très
démunis. D’une part, l’offre de matériel est peu abondante ; d’autre
part, lorsqu’ils se réfèrent à leur propre expérience d’étudiants,
quand elle a existé, car leur cursus universitaire n’a pas forcément
comporté de littérature, ils disent qu’elle est peu éclairante pour leur
problème pédagogique particulier. Reste évidemment le recours non
négligeable à une bibliographie sur la didactique de la littérature6 .
Elle est abondante, riche, et concerne essentiellement la recherche7 .
La consulter requiert un investissement important, d’abord en temps
de lecture, ensuite en temps de réflexion pour assimiler, intégrer des
notions, des thèses, des approches, qui sont des découvertes pour
eux, dans une langue qui est celle de spécialistes. Le saut est rude
pour ces enseignants en quête d’une première réflexion et d’une
assistance méthodologique requise par l’urgence de fournir. C’est
pourtant ce service qu’ils demandent d’abord. Cela ne rejette
évidemment pas le recours à la bibliographie. Nous y reviendrons.
Ce manuel a voulu prendre en compte également les besoins et
l’attente d’enseignants qui n’ont pas le projet, ou l’obligation, de
faire un cours de littérature, ou qui ne le peuvent pas lorsqu’ils
travaillent avec des apprenants aux niveaux les plus bas (A1, A2), et
qui souhaitent quand même recourir à des textes littéraires, soit
pour en faire occasionnellement l’exploitation littéraire, soit pour
servir des activités qui ne relèvent pas de l’enseignement de la
littérature, mais de celui de la langue ou de la civilisation, soit pour
se livrer à ces trois formes d’exploitation.
Il se propose aussi de répondre aux désirs et aux besoins
exprimés par des enseignants de français étrangers qui vont
travailler ou qui travaillent déjà à l’étranger8 , et qui demandent une
formation de base sur l’exploitation littéraire de textes appartenant à
la littérature française et à la littérature francophone.
L’objectif majeur de ce manuel est bien l’exploitation littéraire de
la littérature, mais il est complété par l’ouverture sur une utilisation
plus large des textes littéraires, qui concerne, dans une moindre
mesure, on l’aura compris, l’enseignement de la langue et de la
civilisation. Ces considérations expliquent le titre du manuel :
Littérature en classe de FLE, ce qui englobe les trois directions que
nous venons de mentionner, nonobstant leurs développements
respectifs inégaux.

Organisation du manuel
Ce manuel est organisé en trois parties :
I. FONDEMENTS THÉORIQUES
Partie consacrée d’abord à une réflexion sur la littérature, ensuite
aux raisons et aux fins pour lesquelles les textes littéraires doivent
entrer dans la classe de FLE.
II. FICHES PÉDAGOGIQUES. CONSIDÉRATIONS
MÉTHODOLOGIQUES
Ce manuel étant destiné à l’autoformation, les 35 fiches
pédagogiques proposées sont précédées d’une réflexion
méthodologique organisée selon deux axes.
1er chapitre : Comment utiliser les fiches pédagogiques.
Il s’agit alors d’aider les enseignants destinataires à utiliser
immédiatement le matériel disponible qu’ils n’auraient qu’à
adapter à leur situation et à leur objectif particulier.
2e chapitre : Comment créer ses propres fiches pédagogiques
(idéalement dans une dynamique de groupe).
III. FICHES PÉDAGOGIQUES
ANNEXES
Ces trois parties sont complétées par des ANNEXES : tableaux,
glossaire, bibliographie.

Partis pris liés aux destinataires de ce


manuel
C’est dans le souci de s’adapter aux destinataires tels qu’ils ont été
précisés que les fiches pédagogiques concernent uniquement des
extraits d’œuvres littéraires ou des textes courts pouvant être isolés
de la collection dont ils font partie.
C’est aussi dans le souci de s’adapter au terrain que le présent
ouvrage s’est voulu immédiatement accessible par la pratique d’une
langue qui limite au maximum le recours à la technicité d’un
métalangage de spécialiste dans tous les secteurs de la réflexion qui
va être conduite.
C’est particulièrement le cas dans l’exploitation littéraire des
fiches. Plusieurs raisons ont conduit à ce parti pris. Certains de ces
enseignants n’ont pas eu à étudier de littérature dans leur cursus
universitaire, ils n’ont donc pas eu l’occasion de rencontrer, encore
moins de pratiquer, cette technicité. Nous savons qu’on leur
demande quand même parfois, et même souvent pour certains, de
faire des cours de littérature en classe de FLE. Dans la perspective
qui est celle de cet ouvrage, il a semblé réaliste de ne pas exiger
d’eux un surcroît d’investissement en leur imposant de fait l’initiation
à une technicité très spécialisée, ce qui aurait pu constituer un écran
décourageant. Par exemple, certaines fiches s’intéressent aux voix
narratives et tirent des conclusions de cette observation ; mais c’est
délibérément qu’on s’est abstenu de faire référence aux notions de
focalisation zéro, interne ou externe, au narrateur homodiégétique
ou hétérodiégétique.
Par ailleurs, les fiches concernent très majoritairement des
apprenants dont les niveaux vont de A1 à B2, et qui, de surcroît, ne
sont pas non plus des spécialistes. Ils peuvent quand même être
intéressés par une activité de type littéraire.
C’est en considérant ces données, qui tiennent à la fois aux
enseignants destinataires et aux apprenants, que l’on s’en est tenu à
des outils de base, des notions fondamentales. On les tient souvent
pour acquises, mais l’expérience, le conseil de bon nombre de
collègues aussi, en prise avec la réalité du terrain, disent qu’il n’est
pas inutile de revoir et d’assurer leur définition. Ces notions figurent
dans le glossaire. Les définitions qui en ont été données sont
résolument simples, immédiatement accessibles. Il est toujours
loisible à qui veut en savoir plus de consulter des ouvrages savants.
Si ce manuel atteint son objectif, il constituera une première
étape, une incitation à entrer plus avant dans la réflexion en
consultant les travaux de recherche des spécialistes.

1 C’est-à-dire des extraits d’œuvres publiées comme telles et


signées par un auteur.
2 Citation extraite d’un courriel qui nous a été adressé par un
professeur de français suédois (MJ) le 13/07/2011.
3 Le mot « culture » a supplanté, sans l’éliminer, le mot
« civilisation » en didactique des langues, et plus précisément
dans le champ du FLE. Ce glissement s’est opéré « en référence
à l’anthropologie anglo-saxonne selon laquelle « la culture est un
tout complexe qui inclut les croyances, l’art, la morale, le droit, les
coutumes, ainsi que toutes les autres dispositions et habitudes
acquises par l’homme en tant que membre d’une société » ».
C’est ce qu’écrivent P.Bertocchini et E.Costanzo dans le Manuel
pratique de formation des professeurs de FLE qui citent Taylor E.B.,
Primitive culture, London, Murray, 1874. Cela dit, la consultation
des dictionnaires les plus savants, les plus complets, les plus
récents, nous conforte dans la conviction qu’il n’y a pas d’erreur
grossière à utiliser l’un ou l’autre terme, selon le contexte. C’est ce
que nous avons fait.
4 Le poids de la tradition. La gestion professorale de l’altérité
linguistique et culturelle en classe de FLE. Ann-Kari Sundberg. Vaxjö
University Press (2009).
5 Cours enregistré dans un lycée suédois avec, évidemment,
l’accord du professeur.
6 Il existe plusieurs ouvrages pour connaître l’évolution de la
didactique FLE en littérature. Pour n’en mentionner qu’un, nous
signalons la thèse de doctorat d’I. Gruca, Les textes littéraires dans
l’enseignement du FLE. Étude de didactique comparée. Université
Stendhal, Grenoble 3. 1993.
7 Une bibliographie figure en annexe.
8 Enseignants rencontrés par la participation à la formation initiale
et à la formation continue de professeurs de français à l’étranger.
Cette expérience est corroborée par le témoignage de nombreux
collègues se rendant dans des institutions étrangères.
Première partie
Fondements théoriques
Chapitre 1 Considérations sur
la
littérature

La plupart du temps, de l’aveu même des étudiants à qui on pose


la question, la notion de « littérature » est une espèce d’acquis
implicite sur lequel on ne s’est jamais interrogé. C’est pourtant
l’objet qu’on se propose d’exploiter en classe de FLE, et c’est par là
que nous commençons la réflexion.
On sait bien qu’il est vain de poser la question abrupte : qu’est-ce
que la littérature ? Et encore plus d’espérer y répondre de façon
exhaustive et définitive1 . Cela ne signifie pas qu’il faille renoncer à
réfléchir à ce qui fait la littérarité2 d’un texte. C’est ce à quoi
s’emploie le développement qui suit. Il ne prétend pas tout dire sur
la question, loin s’en faut. Il veut juste inviter le jeune enseignant,
notre interlocuteur ici, à s’interroger sur le sens de « littéraire »,
surtout à se demander quand il y a littérature (et, par voie de
conséquence, quand il n’y a pas littérature), et à réfléchir sur
quelques particularités de cet art du langage qui entraîneront
nécessairement des implications pédagogiques.
Paradoxalement, pour éclairer le sujet, nous allons répertorier un
certain nombre d’ambiguïtés à propos de la littérature.

AMBIGUÏTÉ LIÉE À LA RENCONTRE


ENTRE DEUX DÉMARCHES
Démarche de l’auteur
C’est ce qu’implique la définition connue : la littérature est
l’ensemble de la production écrite ou orale, objet de la
contemplation durable des hommes.
Production écrite ou orale, d’abord : l’acte littéraire est le fait de
celui qui inscrit dans le langage l’expérience, la sensibilité, la vision
du monde, les émotions… qu’il porte à l’intérieur de soi et qui lui
sont propres.
À cela, il est essentiel d’ajouter que sans doute la langue est un
bien commun, mais que le vrai écrivain est celui qui la prend et la
modèle pour en faire SA langue, unique, et reconnaissable pour être
la sienne. En d’autres termes, le produit de cet acte littéraire est –
idéalement3 – la traduction de son auteur. C’est ce que dit très bien
Maurice Blanchot : « Ce qui est écrit n’est ni bien ni mal écrit, ni
important ni vain, ni mémorable ni digne d’oubli : c’est le
mouvement parfait par lequel ce qui au-dedans n’était rien est venu
dans la réalité monumentale du dehors comme quelque chose de
nécessairement vrai, comme une traduction nécessairement
fidèle. »4
Cela implique que, dans ce cas, l’œuvre est comme son auteur,
unique, et que seul l’acte littéraire accompli fait l’écrivain. Une
intention, un projet, un sujet sur lequel on se propose d’écrire, cela
n’est rien encore. Pour s’en convaincre, on conviendra facilement
que le thème des amours contrariées de deux jeunes gens, par
exemple, a été et est encore largement exploité, mais que cela ne
donne pas toujours Roméo et Juliette…

Démarche du lecteur
Or, ce produit de l’acte littéraire, reflet d’un être singulier dans la
réalité lisible, visible, du langage, échappe maintenant, une fois
achevé, à son auteur pour rencontrer les autres. En s’emparant de
l’œuvre, ils la recréent par la lecture. C’est ce qu’explique Michel
Tournier : « À peine un livre s’est-il abattu sur un lecteur qu’il se
gonfle de sa chaleur et de ses rêves. Il fleurit, s’épanouit, devient
enfin ce qu’il est : un monde foisonnant où se mêlent
indistinctement – comme sur le visage d’un enfant les traits de son
père et de sa mère – les intentions de l’écrivain et les fantasmes du
lecteur. »5
Sans doute les lecteurs viennent-ils chercher la voix singulière,
unique, de l’auteur, mais sans doute aussi la leur : au-delà de cet
homme, et grâce à lui, c’est l’homme qu’ils rencontrent ; de là la
contemplation durable vouée aux œuvres qui échappent aux modes
et à l’air du temps pour se consacrer à la permanence des questions
et des émotions humaines. Écoutons encore Maurice Blanchot :
« L’auteur voit les autres s’intéresser à son œuvre, mais l’intérêt
qu’ils y portent est un intérêt autre que celui qui avait fait d’elle la
pure traduction de lui-même, et cet intérêt autre change l’œuvre (…)
l’œuvre devient l’œuvre des autres, l’œuvre où ils sont et où il n’est
pas, un livre qui prend sa valeur d’autres livres, qui est original s’il
ne leur ressemble pas, qui est compris parce qu’il est leur reflet. »6
Ainsi donc, ce que nous avons appelé « l’acte littéraire » ne suffit
pas pour qu’il y ait littérature. Il faut encore que cette première
démarche essentielle du créateur soit reconnue par celle des
lecteurs.

AMBIGUÏTÉ LIÉE AU MATÉRIAU : LE


LANGAGE

Ce matériau, le langage, se distingue de celui des autres arts. La


couleur rouge, par exemple, à moins d’avoir reçu un code, ne
renvoie à aucune signification. Or, le langage, lui, est un code,
constitué de l’ensemble des signes qui nomment les réalités
(concrètes, abstraites, rêvées ou supposées par une conscience), y
renvoient, et de leurs combinaisons. Partagé, il permet de
communiquer à propos de ces réalités qu’il a d’abord nommées et
exprimées. C’est en premier lieu un instrument à vocation utilitaire.
C’est ce à quoi il renvoie, qu’il signifie, qui importe.
Mais il est évident que ces signes sont aussi des choses en elles-
mêmes, tout comme le résultat de leurs combinaisons7 .
La littérature se caractérise par l’utilisation de ces deux
particularités du langage8 . Si l’écrivain choisit ses mots et leur
agencement, c’est pour ce que cela signifie, mais aussi pour leur
sonorité, celle de leurs associations, le rythme de ses phrases…,
pour ce que l’on appelle souvent « une musique », qui rendra son
écriture reconnaissable entre toutes et source de plaisir chez le
lecteur.
Cette ambiguïté de la littérature en induit une autre.

AMBIGUÏTÉ LIÉE À LA FONCTION


ESTHÉTIQUE

On se réfère ici aux fonctions du langage selon Jakobson9 .


Bien évidemment la littérature véhicule un message et le langage
y exerce toujours une fonction référentielle. Que ce message semble
parfois obscur n’infirme pas cette idée. Ce qui naît sous la plume
d’un écrivain, qu’il valide en décidant de le rendre public, qu’un
éditeur publie, cela constitue bien un message. Qu’il donne lieu à
des interprétations différentes, qu’on ne s’accorde pas sur sa
signification, sur les réalités auxquelles il renvoie, c’est une autre
question, et cela n’infirme pas non plus le fait que la fonction
référentielle du langage existe toujours dans la littérature.
Mais la littérature, telle que nous l’avons considérée – œuvre d’art
objet de la contemplation durable des hommes – se caractérise
précisément par autre chose que le message et sa fonction
référentielle. Nous venons de le rappeler, l’écrivain crée sa « voix
littéraire » non seulement par le message qu’il transmet, mais par la
mise en œuvre du code propre à sa personnalité et à ses choix
(sonorités, rythmes, figures de style…) porteuse de son message et
dont elle est indissociable. Tel écrivain10 , par exemple, a une
écriture volontairement simple et dépouillée. Lorsqu’on l’interroge
sur son style, outre les références qu’il fait à la musique, il dit
clairement que ce dépouillement étudié constitue la traduction de sa
vision du monde et qu’y contrevenir serait « raconter des histoires »
sur la vie, c’est-à-dire trahir le message qui court dans toute son
œuvre. On multiplierait les exemples11 .
C’est tout ce qui concerne l’élaboration de la forme et ses rapports
avec le message qui constitue la fonction esthétique d’un texte et
qui le fait accéder au statut d’œuvre d’art. L’analyse littéraire, dont
c’est précisément le champ d’investigation, ne devra pas l’oublier,
même si l’on sait qu’on aura beau repérer, trouver, débusquer des
explications à la beauté d’une œuvre, aux émotions et à l’admiration
qu’elle suscite, il restera toujours une part qui résiste à la mise en
équation définitive.

AUTRE AMBIGUÏTÉ : QUI PARLE DANS LA


LITTÉRATURE ?

Après bien des débats et des querelles, on sait bien aujourd’hui,


grâce à des disciplines relativement nouvelles, qu’une œuvre n’est
pas uniquement le fruit parfaitement concerté, dominé, de son
auteur.
Il n’est pas question de nier qu’un écrivain ait des intentions, qu’il
choisisse et décide. Disons avec d’autres qu’il y a bien un JE qui
parle. Mais il y a aussi toute une part de lui-même qui échappe à sa
connaissance claire, une part inconsciente, qui le constitue aussi et
qui, évidemment, « parle » dans l’œuvre. D’aucuns l’appellent le
« ÇA », vocable freudien que nous gardons par commodité.
Constatons encore une fois que la voix de l’auteur est subjective, et
que l’œuvre constitue ce qu’on appelle un témoignage. Enfin, un
auteur est situé dans un temps et dans un lieu donnés, et certains
pensent que dans l’œuvre, produit culturel situé et daté, l’auteur est
le porte-parole d’une idéologie. Sans aller jusque là, disons tout
simplement que ses structures mentales sont marquées par la
culture dont il est issu. Il y aurait donc un « ON » qui parle12 .
Là encore, entre JE, ÇA, et ON, il faudra savoir à quelle voix on
décide de s’intéresser.

QUE RETENIR DE CETTE PREMIÈRE


RÉFLEXION ?

Tout d’abord, nous savons pertinemment que tout n’y est pas dit
sur la question. Il resterait d’autres caractéristiques de la littérature
à examiner. Nous en avons seulement rassemblé quelques-unes qui
entraînent nécessairement des implications pédagogiques.
Par ailleurs, chacun des éléments recensés mériterait un
développement plus ample, avec l’exposé de points de vue voisins,
parents mais différents, sur la question traitée, des exemples, etc.
Ce n’était pas compatible avec l’objectif et la taille de ce manuel.
Notre propos est modestement d’alerter le jeune enseignant, si ce
n’était déjà fait, et de lui fournir des pistes pour sa réflexion
personnelle.
On retiendra le schéma suivant :
1 La bibliographie à ce sujet, est abondante. Il est impossible d’en
rendre compte ici.
2 Une expérience menée auprès d’un groupe d’étudiants de FLE
français et allemands les invitait à attribuer selon des degrés le
qualificatif de « littéraire » à une vingtaine de textes courts sortis
de leur contexte et sans le nom des auteurs. Résultat éloquent :
l’extrait de Voyage au bout de la nuit n’était pas du tout littéraire,
alors qu’un texte sorti d’un guide touristique au style
particulièrement fleuri l’était tout à fait, signe que la réflexion sur la
littérature n’était pas superflue… Aucun n’avait refusé l’exercice,
ce qui était pourtant la seule attitude raisonnable.
3 Idéalement seulement, car cela ne va pas sans poser de
problèmes considérables à l’écrivain, qui connaît parfois le
sentiment d’impuissance à dire, ou sans aller jusque là, l’écueil
insidieux de la traîtrise du langage, car, comme le dit Brice Parain
« il y a du jeu dans les engrenages ».
4 Revue Critique, 1947. « Le règne animal »
5 Le vol du vampire. Gallimard, 1981
6 Revue Critique, 1947 « Le règne animal ».
7 Lire Sartre Qu’est-ce que la littérature Gallimard, 1948.
8 On s’extasie sur le fameux vers de Hugo dans Booz endormi
« Un frais parfum sortait des touffes d’asphodèles », sur
l’allitération et sa musique, qu’on dit source pure de sa beauté.
Mais on connaît peut-être aussi la plaisanterie très démonstrative
qui a couru : « Un fou furieux sauta du fossé sur Adèle ». Mêmes
allitérations, même rythme, mais personne ne se pâme, sinon de
rire, tant il est vrai qu’on ne peut faire abstraction de la
signification à l’intérieur d’un contexte. Plus sérieusement, on sait
que Valéry ne dit pas autre chose.
9 Jakobson distingue la fonction référentielle, la fonction
expressive, la fonction impressive, la fonction de contact (ou
phatique), la fonction de métalangage et la fonction esthétique (ou
poétique). Notions qu’il est indispensable de connaître. Consulter
le glossaire à la fin de l’ouvrage.
10 Roger Grenier.
11 On sait aussi ce qu’il advint des écrivains qui, par idéologie,
voulurent rejeter le travail esthétique pour ne conserver que la
fonction référentielle…
12 Barthes distingue la langue « un réflexe sans choix, la
propriété indivise des hommes et non pas des écrivains », le style,
qui « ne plonge que dans la mythologie personnelle et secrète de
l’auteur […] il n’est nullement le produit d’un choix, d’une réflexion
sur la Littérature et l’écriture ». « Il y a le choix général d’un ton,
d’un éthos, et c’est ici précisément que l’écrivain s’individualise
clairement parce que c’est ici qu’il s’engage […] Son écriture est
une façon de penser la Littérature ».
Chapitre 2 Pour quelles raisons
et
à quelles fins les
textes
littéraires doivent-ils
entrer dans la classe
de FLE ?

La réponse est claire et simple : toutes les propositions qui suivent


sont possibles, et même souhaitables, à condition que l’enseignant soit
lucide sur ce qu’il veut faire, et qu’il le fasse sans tout confondre et
mélanger dans la pratique. Le choix de telle ou telle exploitation
dépend évidemment de la nature du cours qu’elle devra servir.

EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Pour quelles raisons ? Pourquoi et pour quoi ?


◗ Parce que le texte littéraire n’est pas un texte
fabriqué avec plus ou moins de bonheur pour les
besoins de l’illustration d’un fait de langue, qu’il est
donc un texte authentique ;
◗ Parce qu’il peut simplement faire partie du corpus
qui permet d’étudier un fait de langue. Il serait
aberrant de se priver de cette ressource parmi
d’autres productions authentiques ;
◗ Parce qu’il a une visée esthétique, ce qui ne veut
pas dire une recherche exclusive du « beau »
langage ; il sert un projet qui ne relève pas
seulement de la fonction référentielle du langage, il
en a pris les moyens, notamment par des faits de
langue appropriés, et qu’il est intéressant de
travailler sur des textes de cette qualité, où le fait de
langue est produit par une situation, un contexte, qui
illustrent sa nature et sa nécessité ;
◗ Parce que l’étude des propriétés d’un fait de langue
permettra de voir l’exploitation littéraire qu’un
auteur a pu en faire : le conditionnel, mode de
l’imaginaire, par exemple.
◗ Parce que le texte littéraire est une base
privilégiée pour mettre en œuvre les
compétences répertoriées dans le CECRL1 :
• Compréhension/réception de l’oral : cette
activité est évidente pour des poèmes mis en
musique, par exemple. Mais elle se justifie
pour tous les textes dès qu’ils sont lus à haute
voix2 .
• Compréhension/réception de l’écrit : cela peut
aller de la simple lecture du texte à la
recherche fouillée, détaillée, de la
compréhension du contenu du texte. Toutes
les fiches de cet ouvrage proposent cette
activité.
• Interaction orale pour toute la classe. C’est le
cas lorsqu’on propose un sujet de débat après
l’exploitation littéraire d’un texte. (Voir la
rubrique Activités complémentaires de
nombreuses fiches).
• Production écrite pour l’apprenant, doublée
d’interaction orale pour la classe lorsqu’on
propose un travail de création collective. C’est
le cas, lorsqu’on propose un travail
d’argumentation ou de création à la suite de
l’exploitation littéraire d’un texte. (Voir la
rubrique Activités complémentaires de
nombreuses fiches).

EXPLOITATION POUR L’ENSEIGNEMENT DE


LA CIVILISATION

Le texte littéraire, un témoignage


De nombreuses œuvres littéraires ont comme sujet ou comme cadre
un fait de société, ou l’histoire. Cette orientation de la littérature est
même très présente chez les écrivains français et francophones
contemporains. Cela pose évidemment la question des rapports entre
ce qui est fiction s’appuyant sur des réalités, que les auteurs en aient
été témoins ou qu’ils s’en inspirent, et les recherches de l’historien qui
veut rendre compte de ce qui est réalité. Ces rapports sont complexes
et font d’ailleurs l’objet d’abondantes discussions3 .
Nous nous limiterons à poser un préalable à respecter
impérieusement, à savoir que la littérature n’est pas une source au
sens où l’entendent les historiens et les enseignants de civilisation.

Les sources de l’historien ou de


l’enseignant de civilisation
L’histoire est une science humaine à part entière, qui a ses propres
méthodes. Les historiens classent les sources sur lesquelles ils
s’appuient en sources primaires (Les documents originaux officiels
produits au moment des faits, les textes de lois, par exemple), sources
secondaires (les travaux des historiens qui les ont précédés ou les
articles de journaux, par exemple), et sources tertiaires, constituées
par les témoignages. Encore faut-il, pour qu’ils soient pris en compte,
qu’ils soient nombreux à être concordants. L’étude de la civilisation,
« ensemble des phénomènes sociaux (religieux, moraux, esthétiques,
scientifiques, techniques) communs à une société ou à un groupe de
sociétés. »4 utilise les méthodes de l’historien et celles du sociologue,
comme la méthode des quotas, par exemple.
Or, la littérature, quand elle se donne pour cadre un fait historique
ou même qu’elle le prend comme sujet, ne constitue ni une source
primaire, ni une source secondaire, puisqu’elle est le produit d’un
individu, d’une voix unique qui s’exprime, éventuellement, sur l’histoire
ou sur un fait de société. Elle peut tout au plus entrer dans la catégorie
des témoignages puisqu’elle exprime la voix d’un auteur, même s’il est,
lui aussi, daté et situé et qu’à ce titre l’œuvre littéraire porte non
seulement le « je » et le « ça » , mais aussi le « on » , même s’il s’est
inspiré largement de la réalité : Zola a fait quantité de fiches à partir
de l’observation du réel pour écrire Germinal, mais c’est ailleurs dans le
roman qu’il faut aller chercher des informations quand on veut
s’enquérir de la réalité.
Ces considérations ne signifient pourtant pas qu’il faille renoncer à
faire une passerelle entre littérature et civilisation ou histoire, à
condition de ne pas confondre ces disciplines et de suivre une méthode
rigoureuse, riche d’enseignements, pour les croiser.

Exigence méthodologique pour


l’établissement d’une passerelle entre
les deux disciplines
On procède en plusieurs temps :
L’enseignant de littérature examine le texte en se demandant
comment l’écrivain, lui, parle du phénomène d’histoire ou de
société, comment il l’utilise pour déterminer et véhiculer sa vision
personnelle, subjective. C’est un point. On peut faire ce travail, par
exemple, sur la nouvelle de Daniel Boulanger Au Joli mois de mai, qui
se passe à Paris en mai 1968.
L’enseignant se procure les documents et les conclusions de
type « scientifique »5 chez les historiens, enseignants de civilisation
et/ou sociologues sur ce phénomène. C’est un autre point. Pour
conserver le même exemple, on se procure des documents de ce type
sur mai 68.
Il confronte alors ces documents à l’œuvre littéraire.
Prenons un autre exemple : il ne faut pas lire Thérèse Desqueyroux
avec l’intention d’apprendre quelle est la situation de la femme
appartenant à la bourgeoisie provinciale française en 1927, ou l’état de
la revendication féministe à cette époque. Ce sont d’autres documents
qui apportent cette connaissance. Mais on peut très bien confronter le
portrait, le parcours et l’analyse de Thérèse que fait Mauriac à ces
sources pour situer l’œuvre et son auteur sur ces sujets : l’écrivain fait
la peinture d’une société hiérarchisée, divisée en classes hermétiques.
L’héroïne appartient à ce qu’on appelle la bonne bourgeoisie
provinciale. Elle est mariée à qui elle devait se marier, ce qui est, dans
le roman, à l’origine d’un drame physique, psychologique et moral.
L’analyse montre qu’elle dresse la revendication du « moi », de
l’individu, contre le « nous » de la famille, du clan, et que sa révolte
est non seulement catastrophique pour elle, mais vouée à l’échec.
Ce portrait d’une femme victime, qui tourne en rond dans une cage
dont elle ne peut pas sortir, d’une femme de la bonne bourgeoisie
provinciale des années 20 est-il fiable ? On le confronte à des
documents sociologiques6 et le résultat est clair : oui, une bourgeoise
se coulait dans le moule prévu pour elle. Ou elle acceptait de renoncer
à elle-même et souvent elle souffrait, ou elle était exclue. S’étonner
que Thérèse ne parte pas, ne cherche pas à divorcer, à travailler…, la
consultation de documents sociologiques, historiques nous convainc
que c’est faire un contre-sens sur les mentalités de l’époque dans ce
cadre de la bourgeoisie provinciale. Comment situer ce portrait dans
l’histoire des femmes ? Mauriac est-il en décalage par rapport à la
réalité ? L’histoire nous dit que les choses bougent surtout dans la
bourgeoisie urbaine, et peu au fond des provinces où rien de
spectaculaire ne se produit. Le portrait de Thérèse est fiable, comme
celui de la jeune Anne qui, finalement, accepte la place et le rôle
prévus pour elle. Il peut rejoindre d’autres documents. Cela voudrait-il
dire que Mauriac a choisi d’entrer dans un combat historique ? Est-il
féministe ? Non, l’histoire, qui nous renseigne sur le mouvement
féministe (dates, actions, personnages, revendications, textes
fondateurs…)7 , et l’analyse littéraire du roman nous disent que ce n’est
pas le cas.
Cet exemple concerne la France et la littérature française, mais les
considérations générales qui ont précédé s’appliquent à l’enseignement
de toute littérature, et elles nous semblent particulièrement bien
venues dans le cadre de l’enseignement d’une littérature reçue comme
étrangère par les apprenants. Outre le bénéfice pour la connaissance
de l’œuvre, elles nous semblent poser les conditions d’un vrai dialogue
interculturel – vrai parce que ses bases sont rigoureuses - entre
l’étudiant étranger et la culture « d’ici » qu’il aura appris à connaître
par les documents qui sont ceux de l’enseignement de la civilisation
d’une part, entre l’étudiant et l’œuvre d’autre part. L’enseignement de
la civilisation et celui de la littérature ont tout à gagner à cette pratique
et à cette rigueur méthodologiques.

Bénéfices pour les deux disciplines et


l’interculturel
C’est un travail précis qui a comme objectif de situer l’auteur et
l’œuvre dans l’histoire, ou l’histoire des idées et celle des mentalités,
d’évaluer son témoignage, sa voix subjective avec des outils
d’évaluation corrects. Cela entre dans les préoccupations possibles d’un
cours de littérature. Pour reprendre l’exemple de la nouvelle de Daniel
Boulanger, cette confrontation permet de comprendre clairement la
position de l’auteur, son jugement personnel sur le phénomène
historique de mai 68.
Quand le témoignage de l’écrivain est corroboré par d’autres et par
des documents émanant des historiens, alors il entre dans les
ressources possibles d’un cours de civilisation. Pour l’exemple de Daniel
Boulanger, une fois que l’on a clairement compris son jugement sur
mai 68, on peut se poser la question de savoir si ce jugement en
rejoint d’autres. La question n’est plus de connaître le fait historique,
mais de savoir comment les contemporains ont évalué le phénomène,
et dans quelle famille se situe l’écrivain.
Si l’histoire et la sociologie se mettent au service de l’analyse
littéraire, ce n’est pas, on le voit, pour jouer le rôle d’annexes
secondaires. Ce sont des partenaires précieux, indispensables pour une
des directions possibles du travail sur la littérature d’une part, et pour
la construction de savoirs culturels d’autre part. Les deux disciplines
ont tout à gagner à cette collaboration.

EXPLOITATION LITTÉRAIRE
Trois éléments sont à considérer : l’enseignant dans sa fonction
même, les paramètres qui caractérisent l’apprenant, et l’activité
d’exploitation littéraire qui doit servir les deux partenaires, la littérature
et l’apprenant.

L’enseignant devant sa tâche

◗ Comportement envers la littérature


Quand elle répond à la définition générale qui en a été donnée,
c’est-à -dire à des critères de qualité reconnus, elle n’est jamais
« bibelot d’inanité sonore », pour emprunter une formule célèbre,
objet futile, bluette purement ornementale, superflue. Par cet acte
social d’expression et de communication, l’auteur engage son humanité
et sa responsabilité8 . Ce qui est évident pour les textes « engagés »,
justement, n’est pas moins vrai pour des œuvres – elles sont légion –
qui, sans être militantes, véhiculent des points de vue sur la société, le
monde, la vie, etc. Engagement de l’humanité de l’écrivain par le
message, donc, et aussi par le travail sur la langue, qui n’est pas un
jeu gratuit, mais qui correspond à une démarche artistique, esthétique.
Engagement de l’écrivain encore par l’acte de communication : il
s’adresse à l’humanité des lecteurs. Cela implique que l’enseignant,
dans sa fonction, puisque c’est de lui et de cette fonction qu’il s’agit,
ait une représentation de la littérature qui ne soit ni sacralisée, ni
anecdotique ou futile, même quand elle est légère, mais qu’il la tienne
pour ce qu’elle est, et la prenne au sérieux, en s’interdisant le discours
en marge.

◗ Comportement envers les écrivains


Cela ne signifie pas pour autant qu’il place les écrivains sur un
Olympe inaccessible au commun des mortels, admirables, certes, mais
de loin. Par cette déférence extrême, on les considère comme des
êtres exceptionnels auxquels « nous » pouvons un peu ressembler,
mais qui sont très différents de l’humanité courante, la nôtre, et
finalement hors de portée. C’est une admiration qui sépare le lecteur
de l’auteur, et cette révérence, souvent observée, voire proclamée, est
un alibi pour passer à côté de la littérature et la trahir.
Même si nous avons des différences culturelles, nous sommes tous
pétris de la même humanité : si nous ne donnons pas les mêmes
réponses, nous nous posons des questions sur la vie, la mort, les
relations humaines, la violence, les émotions, la politique, le corps, le
rêve… ou à tout le moins, nous avons des réactions à propos de tous
ces sujets. L’écrivain, lui, a eu besoin d’inscrire dans le langage son
expérience, ses émotions, son imaginaire…, et il a su mener cette
entreprise à bien. Les autres n’ont pas éprouvé ce besoin, mais ils
lisent, et par la lecture ils entrent en contact avec l’univers de
l’écrivain ; ils s’y reconnaissent ou découvrent un autre qui est, parce
que c’est un autre être humain, leur prochain9 . Ils s’approprient cet
univers. Entendons-nous bien, c’est toujours l’œuvre qui est au centre
dans un cours de littérature.
En soulignant ici la parenté entre lecteurs et auteur, nous voulons
simplement dire que l’œuvre n’est pas le produit extraordinaire d’un
être lui-même extraordinaire. Cela n’interdit pas l’admiration, à
condition de s’entendre sur sa définition : « On se tromperait en
s’imaginant que l’admiration rend subalterne, situe d’emblée au-
dessous de ce qu’on admire. (…) … ce n’est pas la distance, alors, qui
est sensible, mais bien la proximité… (…) Kant rapproche admiration et
respect : ils se ressemblent en ce qu’ils sont tous les deux sensibles à
la grandeur, mais le respect fige et sépare, l’admiration, plus heureuse,
unit. »10
À l’opposé de cette déférence, une familiarité si grande qu’on
s’identifie à l’auteur au point de le nier est tout aussi contestable. S’il
est important de le dire, c’est qu’une telle attitude permet de toucher
au texte comme bon nous semble. Cette liberté peut se pratiquer dans
la solitude d’un exercice personnel, mais elle n’a pas sa place dans un
cours.
En effet, par la démarche de la lecture, on s’approprie l’œuvre,
certes, mais cela ne veut pas dire qu’on en soit le créateur au point
d’oublier qu’il y a d’abord eu un auteur. Sans lui, qu’aurait-on à
recréer ? Cela s’est vu, pourtant. Cela ne veut pas dire non plus que
l’on va expliquer l’œuvre par l’auteur. Nous persistons à dire qu’un
cours s’intéresse à l’œuvre, au texte lui-même et à sa rencontre avec
les apprenants.

◗ Comportement envers les apprenants


C’est un corollaire de ce qui précède. L’enseignant n’est pas le grand
prêtre d’un culte voué aux écrivains et à leurs œuvres, chargé de
distinguer parmi les étudiants ceux qui seraient « les élus » et qu’on
appelle communément « les littéraires ». Ceux-là seraient dotés, par
une disposition heureuse de la nature, de la sensibilité et des qualités
qui les introduiraient vite et bien dans les beautés d’un texte, tandis
que d’autres, pourvus d’autres vertus tout aussi naturelles, seraient
« des scientifiques ». Ce serait, entre autres choses, une conception et
une version très limitées du travail de l’enseignant. Sans entrer dans ce
débat, nous nous contenterons de dire
✓ que les choses ne sont pas aussi tranchées, aussi
simplistes. Sans doute est-on plus ou moins enclin, par
le résultat d’une histoire personnelle, par goût aussi
peut-être, à l’étude de tel ou tel domaine, mais qu’on
n’est pas fermé pour autant à la compréhension et à
l’appréciation d’un autre ;
✓ que l’analyse littéraire pratiquée dans le cours requiert
une rigueur qui n’est pas l’apanage des seules
recherches scientifiques. Elle relève des sciences dites
« humaines » et se construit avec des outils
identifiables, des raisonnements, des arguments, des
observations… qu’on peut reconnaître et suivre. Nous y
reviendrons longuement ;
✓ que, dans ces conditions, la cohérence de la démarche
de l’enseignant, les observations et raisonnements
auxquels il a convié les étudiants sont accessibles à la
compréhension et à l’intelligence de tous, qu’il peut et
doit croire à l’efficacité de son travail.
Cela ne veut pas dire que le cours se résume à l’application d’une
technique, qu’il soit déshumanisé et qu’il se borne à cela. Ce serait un
contre-sens de le croire. Tout ce qui vient d’être dit exprime et
souligne la prééminence et le respect de l’humanité des uns et des
autres. Nous voulons seulement souligner qu’il importe que chaque
protagoniste du cours – œuvre, apprenants, enseignant – soit situé à
la place qui est la sienne, que les relations et les rôles soient bien
définis. Il y a d’abord le couple apprenant/ œuvre, le premier voulant
entrer dans la connaissance et la proximité du second, et il y a
l’enseignant dont le rôle est de favoriser cette attente de l’apprenant
en servant les deux partenaires : l’œuvre, par les méthodes d’analyse,
l’apprenant, par son écoute et par une adaptation à ce qu’il est et à ses
besoins. Nous y reviendrons dans la suite de ce chapitre et dans la
deuxième partie du manuel.

Paramètres liés aux apprenants


Les considérations qui précèdent sont toujours vraies, mais elles le
sont d’autant plus dans le cas d’apprenants étrangers. Quels sont les
paramètres spécifiques qui vont jouer ?

◗ Littérature et compétence linguistique


On le rappelle ici, quelle qu’elle soit, la langue littéraire se différencie
de la langue courante. Céline, par exemple, écrit une langue très
orale ; mais il a été amplement démontré que ce n’était pas la pure
transposition de la langue parlée familière, populaire. C’est une langue
étudiée, élaborée, travaillée. Il s’est d’ailleurs largement expliqué sur la
question. Faire un cours de littérature exige qu’on s’intéresse à ce qui
fait la particularité de cette langue propre à l’écrivain, à ses liens avec
ce qu’il veut communiquer, à la fonction esthétique du langage.
Encore faut-il que le niveau de compétence linguistique des
apprenants permette d’y accéder. Cela implique qu’ils puissent dominer
rapidement les difficultés liées à la simple compréhension du message
et qui tiennent (pour l’essentiel) au lexique et à la syntaxe. En d’autres
termes, il faut qu’ils aient le bagage linguistique qui leur permette
d’abord de comprendre le contenu informatif du texte, puis de
dépasser ce stade pour accéder à la perception et à l’analyse de ce qui
est la fonction esthétique. Sans doute peut-on leur apporter de l’aide,
mais ce secours doit rester mesuré. S’il est lourd par nécessité, c’est
que l’enseignant s’est trompé en adaptant mal le texte à étudier aux
apprenants.

◗ Compétence linguistique et longueur des


textes à étudier
L’implication directe de ce qui précède concerne la longueur de
l’œuvre ou d’un extrait d’œuvre à étudier. Cette longueur ne doit
jamais être décourageante, mais être telle que la lecture, même avec
des difficultés à résoudre, demeure un plaisir et que, menée à bien,
elle donne à l’apprenant le sentiment d’avoir maîtrisé la totalité de ce
qui était à lire.
Il est donc évident que l’étude d’œuvres complètes est impossible
avant le niveau B1, et même B2 si l’on suit les indications du CECR : À
la rubrique LIRE, B2 « Je peux comprendre un texte littéraire
contemporain en prose ». Ce ne serait qu’au niveau C1 qu’un
apprenant étranger pourrait dire « Je peux comprendre les textes
factuels ou littéraires longs et en apprécier les différences de style. »
Si les apprenants ont cette compétence linguistique minimum, on
peut alors étudier des textes complets, à condition de procéder
progressivement. Lorsqu’ils abordent pour la première fois la lecture
cursive d’une œuvre, il semble judicieux, voire impératif, de choisir une
œuvre courte – nouvelle, conte – c’est-à-dire des textes qui, outre leur
taille, ont l’avantage de présenter souvent une trame narrative facile à
suivre. On peut aussi avoir recours à des textes courts qui ressortissent
à la méditation, mais leur structure est moins facile à repérer qu’une
trame narrative. Plus le niveau de compétence linguistique est élevé,
moins le critère de la longueur intervient.
Reste la possibilité de la « lecture rapide ». Encore faut-il s’entendre
sur le sens de « lecture rapide ». Quand une œuvre est considérée
comme trop longue, on peut choisir d’en étudier des extraits et de
résumer le reste pour concilier le respect de l’œuvre entière et les
possibilités des apprenants. Si ce projet n’est pas réalisé par un éditeur
et disponible dans le commerce, il faut le constituer soi-même. Le texte
qu’on donne aux apprenants doit faire apparaître clairement ce qui est
de l’auteur et ce qui ne l’est pas, et donc se présenter sous la forme
suivante : texte authentique dans une police de caractères + texte
résumé dans une autre police de caractères + texte authentique +
résumé, etc.… C’est une solution pour respecter d’une part le fait que
l’œuvre est un tout à l’intérieur duquel les parties se comprennent,
d’autre part le niveau des apprenants et le temps dont on dispose.
Le texte en français « facile » est soit la transposition d’un texte
littéraire original en français fondamental, soit un texte écrit
spécialement par un écrivain contemporain dans un français adapté
aux compétences de publics spécifiques. Dans le premier cas, c’est
évidemment un autre texte que l’original, et il est clair qu’il n’est pas
question d’y retrouver les éléments de la fonction esthétique du
premier. Mais il n’est pas exclu que cette transposition ait des qualités
littéraires, ni qu’elle donne à l’apprenant l’envie de lire l’œuvre
originale, le jour où ses compétences linguistiques se seront
améliorées. Dans le second cas, il n’est pas exclu non plus que, malgré
la contrainte d’écriture, l’écrivain ait produit une œuvre aux qualités
littéraires. Dans ces deux cas, c’est à l’enseignant d’estimer si les
textes peuvent ou non être étudiés comme des œuvres littéraires.
Pour tous les niveaux, y compris, donc, les plus faibles, on peut
recourir à la possibilité des extraits d’œuvres, ou des textes complets
très courts. C’est cette démarche que nous avons privilégiée dans cet
ouvrage. Nous y reviendrons donc longuement.
La recherche de textes littéraires compatibles avec le niveau A1 n’est
pas la plus facile, mais elle n’est pas impossible, à condition de
destiner ces textes à des apprenants qui ont acquis ce niveau, non à
ceux qui entreprennent de l’acquérir.
Adapter les textes étudiés, leur niveau de difficulté et leur longueur
au niveau de compétence linguistique des étudiants, c’est le premier
impératif à respecter, et pour la littérature, et pour les étudiants, sans
quoi littérature et étudiants seront trahis. Condition nécessaire, mais
non suffisante.

◗ Littérature d’« ici » et apprenants


d’« ailleurs »
Par définition – pardon pour cette tautologie – l’apprenant étranger
appartient à un « ailleurs » de « l’ici » de la littérature qu’il veut
étudier. Il n’a donc pas nécessairement les connaissances du simple
contexte dans lequel les œuvres s’inscrivent (histoire, sociologie, faits
de société…) et qui sont parfois indispensables. Prenons quelques
exemples ponctuels :
« Ce fut pourtant durant cette période particulièrement dangereuse
pour nous que mon oncle se laissa aller à un geste insensé. À la fin de
juillet 1942, la nouvelle de la rafle du Vel’ d’hiv’ parvint à Cléry. »11 On
ne comprend rien si l’on ne sait rien de la rafle du Vel’ d’hiv’.
Autre exemple : Dans Le Silence de la mer, l’officier allemand dit :
« À cause de mon père. Il était un grand patriote. La défaite a été
une violente douleur. Pourtant il aima la France. Il aima Briand, il
croyait dans la République de Weimar et dans Briand. (…) Mais Briand
fut vaincu. Mon père vit que la France était encore menée par vos
Grands Bourgeois cruels, vos Henri Bordeaux et votre vieux
maréchal. »
Qui était Briand ? Que voulait-il ? Qu’était la république de Weimar ?
etc. Sans rien savoir de cela, on ne peut pas comprendre de quoi parle
le texte, encore moins ce qu’il veut dire.
Plus largement, disons qu’on ne peut pas comprendre le texte de
Kourouma (FICHE 17), ou celui de Zobel (FICHE 25) en ignorant tout
des contextes historiques et géographiques, ou encore Le Sagouin de
Mauriac (FICHE 13), Les Armoires vides d’Annie Ernaux (FICHE 30)
sans connaître la structure de la société française aux époques
concernées, pour ne prendre que ces quelques exemples. Il faudra
remédier à ces ignorances et le faire de façon rigoureuse en apportant
des renseignements indispensables clairement rapportés au texte.
L’information n’est pas difficile à trouver.
Mais il y a plus profond, plus complexe, plus insidieux aussi.
L’enseignant de FLE le sait bien et le vit dans sa pratique quotidienne.
Même si l’étudiant étranger est originaire d’une culture proche, il est
différent. Or, les particularités culturelles sont inscrites dans la
littérature : que l’auteur s’accorde ou non avec les façons de penser,
de sentir, de réagir… dominantes à l’intérieur d’une époque, d’une
culture, et relatives à des événements ou à des situations comme la
mort, la maternité, le couple…, il s’y réfère implicitement. Ses
structures mentales, son point de vue, son témoignage se situent bien
à l’intérieur d’une culture « d’ici », et c’est d’abord dans ce cadre qu’il
faut le comprendre, cadre qui n’est pas identique à celui de
l’apprenant. La différence est plus ou moins ténue, plus ou moins
radicale, mais elle existe12 . Fort heureusement, l’apprenant étranger
est conscient et averti de sa différence et de l’ignorance qu’elle
implique, ce qui attise sa curiosité. Mais c’est une chose de savoir
qu’on ignore, c’en est une autre de bien savoir maintenant ce qu’on
ignorait au départ. Il faut que l’apprenant acquière les connaissances
qui vont le mettre à même de bien comprendre la littérature, de
prévenir faux-sens et contre-sens. Qui les lui donnera ? Et comment ?
Nous y reviendrons. Pour le moment, disons qu’il est capital de prendre
les moyens pour qu’une littérature soit comprise de l’intérieur, c’est-à-
dire à l’intérieur de la culture qui l’a vue naître.
Ainsi balisé et préparé, le dialogue entre l’apprenant, ce qu’il est et
ce qu’il porte, d’une part, d’autre part la littérature, étrangère pour lui,
et ce qu’elle véhicule – point de vue de l’auteur et référence à une
culture – peut se nouer dans des conditions rigoureuses, justes. En
d’autres termes, c’est à ce prix que se construit et se mesure le
bénéfice de la dimension interculturelle : connaître l’autre et mesurer
son altérité par rapport à lui, se connaître soi-même. Ignorer cette
recherche de la connaissance de l’œuvre « de l’intérieur », passer
outre et s’en tenir aux lectures que feraient les apprenants sans cela,
ce serait, entre autres choses, pervertir et rater la dimension
interculturelle.
Toutes les considérations qui suivent découlent de ces premiers
points.

◗ Motivations et besoins
Ces deux paramètres ne concernent pas les apprenants quand c’est
l’enseignant qui a décidé l’exploitation littéraire occasionnelle d’un texte
appartenant à la littérature.
Ils concernent ceux qui suivent un cours de littérature comportant
un programme ou un certain nombre de séances. Ils sont très
différents selon que les études, dont le cours de littérature fait partie,
sont obligatoires ou volontaires.
Dans le premier cas, le cours de littérature se situe soit dans la
préparation d’études programmées dans des institutions françaises,
soit dans le prolongement d’études entamées ailleurs et s’y insère. Il
faut alors tenir compte des acquis (connaissance des textes, des
méthodes d’analyse), de la durée du programme, des besoins, parfois
exprimés par une institution partenaire. L’apprenant est évidemment
au centre des choix.
Dans le second cas, celui de l’élection volontaire d’un programme
comportant un cours de littérature, ou simplement d’un cours de
littérature, les motivations de l’apprenant sont variables : curiosité pour
une culture étrangère, goût prononcé pour un art qui relève de cette
culture, ou même, à côté de cette recherche de la rencontre avec
l’autre, volonté de mieux cerner sa propre identité. Sans doute faut-il
aussi tenir compte des acquis, de la durée du programme, des besoins
exprimés par l’étudiant. Là aussi, il est clair que l’enseignant met
l’apprenant au centre de ses préoccupations, mais il a plus de latitude.

◗ Détermination d’objectifs pédagogiques


On sait bien que tout cours doit se fixer des objectifs pédagogiques.
Dans le cadre de cette première réflexion d’ordre général, disons
d’abord que les cours qui se proposent de faire une exploitation
littéraire de la littérature pour un public d’apprenants étrangers, (qu’il
s’agisse d’un cours de littérature ou de l’exploitation occasionnelle d’un
texte littéraire) doivent se donner des objectifs qui résultent de la
conjugaison de tous les paramètres précédents. Rappelons pour
mémoire que, dans tous les cas, un tel cours :
✓ doit permettre à l’apprenant d’accéder à ce qui fait la
littérarité de l’œuvre étudiée, ou tout au moins de la
percevoir, de connaître au moins le plaisir de la lecture
d’un texte qu’il ressent comme de la littérature ;
✓ doit favoriser la rencontre entre le texte littéraire et
l’apprenant, en travaillant sur ce qui tient à l’un et à
l’autre. Il faut donc des objectifs qui visent une bonne
connaissance de l’œuvre « de l’intérieur » (pour
reprendre le vocabulaire utilisé ci-dessus), et d’autres qui
visent une prise en compte de la voix de l’apprenant et de
son altérité dans l’élaboration du cours et son
déroulement.

Activité d’exploitation littéraire


On distingue donc logiquement les deux directions de réflexion liées
à ces deux objectifs.

◗ Recherche d’une connaissance « de


l’intérieur » de l’œuvre ou de l’extrait
Dans tous les cas, le cours produit un discours sur le texte littéraire.
C’est là que les difficultés commencent : d’une part, parce qu’on sait
bien maintenant qu’aucun discours n’est innocent, d’autre part, parce
que l’on ne peut pas interroger de la même façon l’œuvre complète et
le « morceau choisi » extrait de l’œuvre.

Cas de l’étude d’une œuvre complète

L’Unité : l’œuvre
L’auteur l’a voulue telle qu’elle nous est présentée, avec un début,
une fin, et un cheminement qui y conduit. En d’autres termes, l’unité,
dans la littérature, c’est d’abord l’œuvre elle-même, entière. Si on veut
la comprendre, il importe sans aucun doute de comprendre chaque
chapitre ou tel ou tel extrait en eux-mêmes, mais il est capital de
comprendre leur place et leur rôle dans l’économie générale de
l’œuvre, ce que l’on peut résumer par une formule : tout fait sens.
C’est une évidence pour La Chute de Camus.
Prenons les chapitres 3 et 19 de Candide. Voltaire y fait la satire,
respectivement de la guerre, et de l’esclavage des noirs. Il importe de
comprendre ces chapitres en eux-mêmes, mais aussi, si l’on veut avoir
une idée de la signification globale de l’œuvre, de comprendre leur rôle
d’étapes dans le cheminement de la conscience du jeune Candide : il
s’est transformé entre ces deux épisodes, il ne dit plus « Maître
Pangloss me l’avait bien dit que tout est au mieux dans le meilleur des
mondes », mais « O Pangloss… C’en est fait, il faudra qu’à la fin je
renonce à ton optimisme. », « et il versait des larmes en regardant son
nègre ». Sa conscience est en route vers la conclusion « Cela est bien
dit, mais il faut cultiver notre jardin ».
Éventail de discours possibles
Reste à savoir comment interroger l’œuvre entière, l’édifice dans sa
globalité, avec quels outils. On dispose d’un éventail de discours
possibles.
Si l’on se réfère à la réflexion précédente sur la littérature, résumée
par un schéma, la question est d’abord de déterminer ce à quoi l’on va
s’intéresser, ce qui renvoie à un panorama de la critique. Il est hors de
propos d’entrer ici dans l’exposé d’un tel panorama. Outre le fait qu’il
faudrait commencer par un historique, le recensement de toutes les
familles de critiques reconnues et pratiquées aujourd’hui serait trop
long et, à ce stade de notre travail, nous éloignerait de l’essentiel. Il
s’agit seulement pour nous, pour le moment, de repérer le
fonctionnement et les orientations de la critique littéraire.
Revenons à la première ligne du schéma et considérons la famille de
critiques qui s’intéresse aux rapports entre le lecteur et l’œuvre.

Quelle que soit la façon dont elle se pratique, quelle que soit sa
dénomination, c’est de la critique impressionniste, celle du goûteur de
plats. De la plus simple et familière à la plus érudite, elle s’appuie sur
la notion de « valeur ». Tout le monde la connaît sous sa forme très
répandue, qu’on peut lire dans les journaux, les magazines, ou même
dans des revues spécialisées. Son auteur jauge, juge une œuvre en
avançant ses raisons, et dit s’il la trouve aimable ou non. On la
pratique couramment entre amis en s’invitant à lire telle œuvre qu’on a
aimée, ou à se dispenser de la lecture de telle autre qu’on a trouvée
mauvaise. L’interlocuteur sera parfois surpris ; c’est qu’il ne partage
pas l’enthousiasme ou le dégoût de son conseiller. Qui s’en étonnera ?
Car cette critique parle autant du lecteur que de l’œuvre lue, d’où le
qualificatif d’ « impressionniste », souvent utilisé pour la décrier. Elle a
son intérêt, et l’on sait qu’elle est très souvent pratiquée sous couvert
de mettre l’apprenant au centre de l’enseignement. Mais il nous semble
erroné de la faire entrer dans l’arsenal des méthodes pédagogiques.
Pour tout le monde dans la classe, enseignant et apprenants. Pour le
premier, il n’est pas l’objet du cours, quelle que soit la richesse de sa
personnalité. Il est facile d’en convenir. Pour les autres, le
raisonnement est plus subtil. Il oblige à s’interroger sur la finalité d’un
cours de littérature. Cela revient à se demander d’abord pourquoi on
lit. Rassemblons pêle-mêle toutes les raisons qu’on peut invoquer :
s’évader dans un univers étranger, rencontrer d’autres univers que le
sien, s’identifier à d’autres, dialoguer mentalement avec eux, aller vers
une meilleure connaissance de soi, dialoguer entre soi et soi, alimenter
une vie de l’imaginaire qui « double » la vie, ses événements et
sentiments vécus « pour de vrai ». La lecture, dont Proust dit qu’elle
est une amitié13 , nourrit la vie intérieure, toute personnelle, voire
secrète.
Dans un enseignement qui met l’apprenant au centre de ses
préoccupations, le cours de littérature a bien pour finalité de favoriser
cette rencontre entre une œuvre et les lecteurs-apprenants. Ce
dialogue peut avoir lieu immédiatement et/ou plus tard, à la faveur
d’autres lectures, d’autres expériences. Il est une affaire personnelle et
il n’y a pas de confession obligatoire pendant le cours, ni après
d’ailleurs, par le biais d’un exercice qui l’exigerait. Le cours n’ouvre pas
un droit à entrer dans le royaume secret de l’autre. Que cela soit
frustrant pour l’enseignant, c’est un fait : il a mis l’œuvre et l’apprenant
au centre de ses préoccupations, mais il a travaillé pour une fin qui lui
échappe, et qui lui échappe légitimement. Cela dit, il arrive qu’un
apprenant dise spontanément quel retentissement telle œuvre et tel
cours ont produit chez lui, parfois tout de suite, parfois beaucoup plus
tard. C’est un cadeau, qu’il faut recevoir comme tel. Lorsque ces
réactions personnelles surgissent, nous y reviendrons, il faut les
accueillir, notamment dans le premier contact avec le texte, mais en
prenant soin de les faire identifier comme telles. À la rigueur, il est
possible d’inviter les apprenants à communiquer leurs réactions en
proposant un tel sujet de production écrite, par exemple, mais à la
condition que ce soit parmi d’autres sujets. Ils pourraient choisir alors,
librement, de se livrer ou non. C’est ce qui est proposé dans les
Activités complémentaires des fiches. Ce que l’on vient d’évoquer ici,
c’est le retentissement personnel, affectif, qui fait écho à la
personnalité et à l’histoire propre de l’apprenant, et non pas le débat
d’idées. Il aura sa place dans une autre phase qui prolonge la leçon,
lors d’une activité de production orale au cours de laquelle l’enseignant
exerce un rôle d’animateur, ou par le biais d’une activité de production
écrite. Dans les deux cas, l’apprenant peut choisir, là aussi, de donner
son point de vue ou de le réserver.
Notion de grille d’analyse : « UNE vérité »
L’œuvre elle-même est aujourd’hui au centre de la critique. Nous
nous référons désormais à la suite du schéma :

Tout en spécifiant bien que message et code sont intimement liés


dans l’œuvre, ce qui est une chose, nous avons reconnu que l’analyse
littéraire, elle, pouvait s’adresser à l’un ou à l’autre, au message ou au
code, ce qui est autre chose.
On distingue trois grandes familles de discours critique : la critique
formaliste, la critique existentielle et la critique sociologique. À
quoi il faut ajouter les familles apparentées et les familles composées…
Chacune propose des grilles d’analyse, c’est-à-dire des outils
identifiables. À l’enseignant d’apprendre d’abord à connaître leur
existence, à en connaître sérieusement un certain nombre tant elles
sont nombreuses, ce qui représente un travail préalable important,
puis de faire un choix pédagogique en élisant la grille d’analyse qui
conviendra le mieux à l’œuvre et aux besoins prioritaires des
apprenants, celle qui apparaîtra comme la plus rentable
pédagogiquement. Il va de soi que l’enseignant signale clairement qu’il
a fait ce choix, qu’il existe d’autres possibilités, et qu’il donne
éventuellement des informations pour les consulter et les utiliser.
Si l’on choisit, par exemple, d’utiliser la grille du voyage initiatique,
cette structure mythique de l’imaginaire collectif14 , pour étudier
Voyage au bout de la nuit15 ou Celui qui n’avait jamais vu la mer16 , on
dispose d’un outil précis, cohérent, qu’on présente comme tel, avec
lequel on explore l’œuvre. Il s’agit de voir si oui ou non elle obéit à ce
schéma, avec quels arguments, et à quelles conclusions cela conduit. Il
est évident que dans le cadre de cette étude on sera conduit à
examiner des extraits de l’œuvre. On analysera alors les centres
d’intérêt particuliers qu’ils présentent et on examinera leur rôle dans
l’économie générale de l’œuvre en fonction de la grille retenue.
Rappelons bien que la grille d’analyse n’est pas une fin, mais un outil,
un moyen de parvenir à un sens qui court dans l’œuvre.
On obtient UN éclairage, UNE vérité sur l’œuvre, clairement
présentée comme telle. Cela n’exclut pas d’autres éclairages, d’autres
« vérités », l’enseignant l’aura dit, grâce à d’autres outils tout aussi
cohérents, qui s’ajouteraient ou s’ajouteront à ce qu’on a trouvé. Cela
n’exclut pas non plus l’activité complémentaire de production orale
pour la classe qui consiste à prolonger le travail en accueillant les
lectures des apprenants, s’ils souhaitent les communiquer.
L’enseignant aura rempli un double rôle, celui de transmetteur d’un
savoir et du moyen de se le procurer, contribuant à la construction de
l’autonomie des apprenants, et celui d’animateur qui laisse s’exprimer
leurs lectures, si tant est qu’ils le veuillent.
Compte tenu du choix qui a été fait dans cet ouvrage de travailler
sur des seuls extraits, on ne multipliera pas ici les exemples de grilles,
on ne développera pas non plus la pédagogie spéciale, l’organisation,
le découpage de l’étude en unités, l’examen d’extraits… à élaborer
pour une œuvre complète. On a seulement voulu montrer la différence
fondamentale entre deux situations pédagogiques, l’étude d’une œuvre
complète et celle d’un extrait.
Cela dit, ce type d’étude n’est possible, nous le répétons, que pour
des apprenants qui ont une bonne compétence linguistique, au
minimum B2, qui sont capables d’une lecture longue et qui adhèrent à
ce projet pédagogique, par nécessité pour leurs études ou par goût.

Cas de l’étude d’un « morceau choisi »

Il peut s’agir de l’extrait d’une œuvre, ou d’une œuvre complète très


courte. C’est la situation des fiches qui suivent.
Pour quels apprenants ?
Ce type d’enseignement s’adresse à tous les niveaux, même si l’on
sait que l’analyse sera difficile pour le niveau A1, ce qui pose la
question de la langue à pratiquer pour l’analyse : langue cible ? Langue
maternelle des apprenants ? Nous y reviendrons dans II Chapitre 1
(Comment utiliser les fiches pédagogiques proposées).
Pour quelles situations ?
Plusieurs situations se présentent à l’enseignant.
Situation contrainte : l’institution fait une demande précise à
l’enseignant, par exemple : initiation à la littérature française des XVIe ,
XVIIe et XVIIIe siècles en 45 séances de 50 minutes chacune, étalées
sur un trimestre, pour des étudiants homoglottes de niveau A2, B1.
Situation libre : l’enseignant est chargé d’un cours de littérature
comportant x séances, pour des apprenants d’un niveau précis. Il a
plusieurs possibilités pour définir un projet pédagogique. Il peut
décider de se donner une contrainte : organiser son choix de textes en
croisant leur niveau avec l’étude d’un thème ou d’une période
déterminée. Il peut aussi décider de ne se soucier que du niveau des
apprenants et donc de ne choisir des textes qu’en fonction de ce seul
critère. Enfin, il peut décider de procéder occasionnellement à
l’exploitation littéraire d’un texte. C’est à ces deux dernières situations,
mais essentiellement la dernière, que les fiches qui suivent veulent
répondre.
La grille d’analyse n’est plus pertinente.
Quel que soit le cas de figure pour l’étude de ces textes courts –
extraits d’œuvre ou textes complets, mais à l’architecture limitée et au
développement très court – les grilles, qui s’intéressent à une œuvre
longue examinée dans sa totalité, ne sont évidemment plus
pertinentes. L’examen d’un extrait, si l’on se limite à l’extrait, ne peut
pas permettre de comprendre sa fonction dans le projet d’ensemble de
l’œuvre. Prenons l’exemple de l’extrait de Ô Vous, frères humains
(FICHE 27). Rien ne nous informe sur l’événement tragique que Cohen
a entrepris de raconter, ni sur les raisons qui le font apparemment
parler d’autre chose, ni sur la composition de l’œuvre… C’est l’extrait,
et lui seul, qu’il va falloir analyser d’abord, quitte à poser des questions
ou des jalons pour d’éventuels prolongements ultérieurs de la
réflexion, ce que nous n’avons pas fait pour le texte de Cohen, car il ne
s’y prête pas.
N’oublions pas que, dans ce cas, les publics sont non spécialistes,
qu’ils sont de niveaux faibles le plus souvent, et qu’ils voient le texte
pour la première fois. Si l’on veut qu’ils puissent « parler » avec lui, il
faut respecter les deux partenaires de ce dialogue. Pour ce qui est du
texte, dans le cadre que nous avons défini, nous croyons qu’il faut
éviter les tentations de dérapage à partir de détails isolés de leur
contexte, et centrer l’étude sur ce qui semble le plus urgent à dominer
avant toute chose, et qui concerne la globalité du texte. On détermine
ainsi les premiers centres d’intérêt autour desquels organiser une
leçon. Nous disons les premiers, ce qui veut bien dire qu’il peut très
bien y en avoir d’autres ensuite.
Comment déterminer des centres d’intérêt ?
Ils peuvent logiquement concerner le message, le code, les rapports
entre l’un et l’autre, les formes d’élaboration littéraire, dont le genre et
ce qu’on appelle généralement « le style » font partie, et la façon dont
le texte se situe dans un courant de pensée, littéraire ou non, ou par
rapport à un fait de civilisation.
Pour le message, différenciation sujet/objet du texte
Pour le message, après avoir élucidé le sujet du texte, il faut
déterminer ce qui est son objet, qu’on peut traduire par son objectif,
ou sa fonction. Nous disons bien « objet » et non le sujet. Il est capital
de s’entendre sur le vocabulaire. « Le sujet d’une discussion est
simplement ce dont elle traite : l’objet est le but qu’on s’est proposé en
l’instituant » (Lalande).
Dans la littérature, quel que soit le genre pratiqué, l’auteur écrit un
texte où récit, monologue intérieur, dialogues, descriptions, etc.
mettent en scène des personnages, leurs émotions, leurs itinéraires,
les péripéties de leurs vies, des cadres… Il ne fait pas l’analyse de son
texte, il n’annonce, ni n’explique ce que l’histoire véhicule. S’il le fait, il
devient lourd et didactique, en un mot, mauvais. De la même façon,
Michel-Ange ne s’explique pas sur ce qu’il a voulu traduire dans sa
Piéta. Il l’a sculptée avec les moyens de son art ; au spectateur de
comprendre par les traits du visage, la sérénité de la posture, pour ne
parler que de cela, la douleur et l’incroyable acceptation de la mère qui
tient son fils mort dans ses bras. Si les artistes s’expliquent sur telle ou
telle œuvre, c’est dans des entretiens ou des écrits qui accompagnent
leur production, littérature, ou œuvres artistiques en général. Ce n’est
pas l’œuvre elle-même. Tout au plus donnent-ils parfois un guide de
lecture par le titre de l’œuvre ou d’un chapitre.
Pour la littérature, c’est au lecteur de comprendre ce qui court à
travers le sujet d’une page, à l’exégète de l’expliciter avec le langage
de l’analyse. Il est d’ailleurs fréquent que le lecteur se mue en exégète
quand il prend du recul, mais c’est précisément le travail de
l’enseignant. Prenons par exemple l’extrait de La Cantatrice chauve
(FICHE 1) : le sujet du dialogue entre Monsieur et Madame Smith
concerne Bobby Watson. L’objet de ce texte, la faillite du langage d’un
monde mort, fossilisé, est traduit par ce dialogue. Le spectateur voit,
entend des marionnettes. Il rit à leur conversation absurde. Il peut ou
pourra analyser ses réactions. C’est une autre démarche, qu’il fait
quelquefois, après le spectacle, quand il cherche à comprendre et à
formuler ce que tout cela voulait dire. Le travail de l’enseignant est
précisément de provoquer cette analyse. L’écrivain ne joue pas à
cache-cache, et l’enseignant ne joue pas à le débusquer. À chacun son
art et ses moyens, l’artiste écrivain d’un côté, l’enseignant de l’autre.
Si nous reprenons l’exemple de la FICHE 1, l’objet du texte est de
dénoncer la tragédie du langage mort, dans un monde fossilisé.
Comment code et formes d’écriture servent-ils cet
objectif ?
Autrement dit, quels moyens relevant du langage et de son
utilisation sont mis en œuvre pour le traduire : contradictions,
absurdité générale, communication nulle, un langage qui se détruit, le
comique résultant du décalage entre le banal et l’absurde. Et puisqu’il
s’agit d’une scène de théâtre, on s’interroge sur ce qui relève du genre
lui-même pour servir cette dénonciation, le statut des personnages et
ce qui appartient à d’autres signes que le langage17 . Tels sont les
objectifs du cours qui nous semblent prioritaires dans la situation
pédagogique que nous avons privilégiée dans cet ouvrage.
Quels outils utiliser pour l’analyse de textes littéraires ?
L’utilisation des outils d’analyse littéraire est liée à une réflexion sur
une typologie des textes littéraires. Or, on sait très bien qu’il est très
difficile de parvenir à une typologie cohérente qui classe
rigoureusement toutes les productions littéraires18 . La visée de ce
manuel est de proposer des outils facilement accessibles et praticables
à ses destinataires.
De nombreux travaux existent. On citera volontiers ceux de J-M
Adam dans Le Récit, et ceux de Y. Reuter dans L’Analyse du récit19 , ils
ont nourri notre réflexion. Nous proposons de partir d’une typologie
autour de la notion de « genres littéraires » et de recourir à des outils
(notions, définitions) que nous qualifierons de « fixes », faute d’un
vocable meilleur, parce que ce sont, pour beaucoup, des données
reconnues par tous, partout, et qui, de ce fait, n’exigent pas un
investissement préalable important : les genres littéraires, le récit, le
point de vue (ou perspective), les discours direct, indirect, indirect
libre, les figures du discours, le comique, le tragique… pour ne prendre
que quelques exemples. Souvent, ces données font déjà partie du
bagage technique des apprenants. Mais souvent aussi elles sont
utilisées sans qu’on se soit interrogé sur le contenu qu’on leur donne,
comme c’est parfois le cas pour « genres littéraires » ou « récit », ce
qui ne va pas sans à peu près. Aussi nous attacherons-nous à prévenir
cet écueil en fournissant des définitions pour les outils que nous
proposons. Ces définitions figurent dans le GLOSSAIRE à la fin de
l’ouvrage.
À côté de ces outils « fixes » connus, d’autres ne font pas
nécessairement partie du bagage technique des apprenants, comme la
notion de « fonctions du langage » selon Jakobson, mais ils sont faciles
à présenter et à acquérir.
Ces outils, rappelés et définis pendant la leçon, servent non
seulement à l’étude en cours d’un texte précis, mais contribuent aussi
à l’autonomie des apprenants, qui confortent ou augmentent ainsi leur
bagage technique.
Parmi tous les critères qui peuvent classer les genres
littéraires, nous choisissons d’en privilégier deux, les plus connus, les
plus repérables :
✓ L’un relève de la forme proposée au public,
immédiatement reconnaissable : roman, nouvelle,
conte, fragment/théâtre/poésie/essai. C’est ce que
nous appellerons par commodité « les grands
genres »20 , à l’intérieur desquels on sera conduit à
distinguer des « genres spécifiques »21 .
✓ L’autre relève de la (ou des) intention(s) portées par
le texte, reconnues par le public : comique, tragique,
engagée, lyrique, etc. La liste n’est évidemment pas
close.
Les limites de ce classement sont nombreuses et évidentes : pour le
premier critère, il est clair, par exemple, que « roman, nouvelle, conte,
fragment » peuvent présenter des éléments constitutifs de la poésie. Il
est tout aussi clair que ce qui relève de l’intention, comme
l’engagement par exemple, peut très bien caractériser tous les
« grands genres ». Nous ne multiplierons pas les exemples. Nous
estimons seulement que ce classement est de nature à proposer des
outils qui permettent des questionnements organisés, utiles pour
l’analyse littéraire dans les conditions pédagogiques que nous avons
définies.
Tableaux des différents types de textes
✓ Un tableau « Roman, nouvelle, conte,
fragment »22 ;
✓ Un tableau « Genres spécifiques » ;
✓ Un tableau « Poésie » ;
✓ Un tableau « Théâtre » ;
✓ Un tableau « Notions communes », regroupant
des outils adaptables à tous les genres précédents.

ROMAN ● NOUVELLE ● CONTE ● FRAGMENT

Repérer dans le texte les éléments de


RÉCIT récit.
Personnages impliqués dans
l’événement ?
Quel est l’événement relaté ?
Temps : Quels sont les marqueurs
temporels ? Quelle est la durée de
l’événement ? Chronologie des actions
relatées ? Durée des séquences
éventuelles ?
Espace : Où se situe l’événement ?
Qui relate l’événement ? (question du
point de vue)

✓ L’auteur ?
✓ Un personnage ?
Extérieur à l’événement ?
Impliqué dans l’événement ?

Quels est/sont le(s) temps utilisé(s) ?


Qui est le narrataire ?

Repérer dans le texte tout ce qui est


DISCOURS « discours ».
Discours direct :

✓ Contenu des discours respectifs


des personnages (message).
✓ Le discours « rentré », pensé, non
exprimé.
✓ Dans une situation de
communication, quelle(s) est/sont les
fonctions du langage utilisées ?
✓ Registre(s) de langue ?

Discours indirect (place dominante du


narrateur) :

✓ Contenu ?
✓ Raison éventuelle de ce choix ?
Discours indirect libre (présence
simultanée du narrateur et du
personnage) :

✓ Contenu ?
✓ Intention ?

Proportions respectives des trois


formes de discours ?

Repérer dans le texte les descriptions


et les portraits
Quels sont les traits dominants ?
DESCRIPTIONS
Qui les fait ?
PORTRAITS
Quelle est leur éventuelle relation avec
le récit ? avec les discours ?
Champs sémantiques ?

Qui les fait ?


COMMENTAIRES Quel registre de langue ?
Quel est leur contenu ?

GENRES SPÉCIFIQUES

Un héros ?
Des épreuves ?
ROMAN Une situation hostile ?
D’AVENTURES Une rupture avec le passé ?
La clandestinité ?
Le succès malgré les épreuves ?

AUTOBIOGRAPHIE Le personnage
AUTOFICTION Sa position par rapport à l’auteur ?
Les procédés de la distanciation ?
Les raisons de la distanciation ?
Les limites de l’authenticité ?
Un témoignage ?
Une autojustification ?
Une dénonciation ?

Une vision du monde ?


ROMAN Directement par un/des exposé(s)
PHILOSOPHIQUE Indirectement ? (Ex. : le mythe de
La Peste)

Dimensions ?
Construction dramatique ?
NOUVELLE Source ? (fait divers ? Autre ?)
Nombre de personnages ?
Informations sur les personnages ?

Éléments de réalité ?
Éléments qui échappent à la réalité
CONTE Comment l’impossible est-il rendu
possible ?
Le héros ?

POÉSIE

Définie ?
FORME Libre ?

Images ?
FIGURES DE DISCOURS Métaphores ?

É
THÉÂTRE

Qui parle ?
Contenu des discours respectifs ?
Des silences signifiants ?
En quoi les discours ont-ils modifié la
situation entre le début et la fin de la
TEXTE
scène ?
Quelle est /quelles sont la/les fonctions
du langage ?
Ces discours proposent-ils une vision du
monde ?

PERSONNAGES Quel est leur statut ?

DIDASCALIES À quels signes renvoient-elles ?


(décor, lumières, jeu des acteurs, mise
en scène…)
Quelle est leur utilité ?

LANGAGES Scénographie, lumières, décors, mise en


AUTRES QUE scène, jeu des acteurs, etc. Ces
LA PAROLE éléments, qui font partie du théâtre,
parfois indiqués dans des didascalies,
parfois ignorés par le texte présenté,
sont pourtant à évoquer.

NOTIONS COMMUNES

SUJET À déterminer.

OBJET À déterminer.

É
LITTÉRATURE Témoignage ?
ENGAGÉE Témoignage fiable ?
Les procédés de l’engagement ?
Dire : argumentation ? Montrer : récit ?
Les deux ?
Caractérisation : Satire ? Pamphlet ?
Réquisitoire ? Ironie ? Caricature ?
Les conclusions sont-elles fournies ?
Implicites ?

MODE DE Argumentation ?
PRODUCTION Chronologie ?
DU TEXTE Flux de conscience : addition,
juxtaposition, association d’idées,
d’images, de souvenirs… ?

UNE VISION DU Portée par qui ?


MONDE Par quels procédés ? Illustration ?
Argumentation ?

APPARTENANCE
À Ex. : Existentialisme ? Réalisme ?
UN Naturalisme ? Nouveau roman ?
MOUVEMENT Romantisme ? Etc.
LITTÉRAIRE

COMIQUE
TRAGIQUE
DRAMATIQUE On utilise les définitions de ces notions
LYRIQUE Elles figurent dans le GLOSSAIRE.
FANTASTIQUE
MORAL
Remarques
Ces outils doivent servir à l’enseignant dès le stade de la préparation
de la compréhension de l’écrit. Tous les questionnements présentés ne
sont pas alors pertinents pour ce travail particulier, mais ce premier
travail de compréhension de l’écrit est fondamental pour l’enseignant
lui-même, parce qu’ il l’oblige à s’interroger sur tout, et d’abord sur le
langage, sur ses formes, sur le message qu’il véhicule, et sur
l’utilisation qui en est faite, à prendre du recul, et à estimer quels
centres d’intérêt il veut éventuellement privilégier pour un public qui
rencontre le texte pour la première fois.
Dans un texte, récit, descriptions, portraits, discours direct, etc. sont
souvent mêlés, imbriqués. Il faut pourtant les repérer, s’interroger sur
le traitement de chacun de ces éléments, considérer éventuellement
leur organisation, leur fonction, pour analyser le texte. Il y aura
nécessairement un temps où il faudra reprendre le texte dans son
déroulement et sa globalité.
Pour un extrait de roman, par exemple, tous les questionnements ne
sont pas pertinents. Il se peut qu’il n’y ait ni description, ni discours
indirect libre, par exemple. Nous avons essayé de considérer un
maximum d’éventualités.
Il peut être utile de recourir à plusieurs tableaux. Lorsqu’on examine
le texte de Jean Echenoz (FICHE 26), par exemple, l’examen du
discours fera vite comprendre que ce texte s’apparente au théâtre.
C’est le travail, la responsabilité de l’enseignant de faire un choix
pédagogique pour déterminer les centres d’intérêt qu’il choisit. Cela ne
le transforme évidemment pas en détenteur et transmetteur
autoproclamés de la seule vérité qui soit. Lorsqu’il choisit des centres
d’intérêt et les outils qui les servent, c’est qu’il pense qu’ils sont les
plus rentables pédagogiquement lors de la découverte d’un texte, qu’ils
favorisent la rencontre de l’apprenant avec ce texte dans un cadre
donné, cela ne signifie pas pour autant qu’il prétendra avoir fait le tour
de tout ce qu’on pouvait analyser, ni avoir abordé tous les angles
d’analyse. Cela ne signifie pas non plus qu’il le fasse de façon rigide en
un cours magistral, ni qu’il cantonne les apprenants à cette rencontre
qu’il aurait refermée sur cette première lecture. Nous verrons qu’il peut
très bien ouvrir le travail sur la coopération, la contribution des
apprenants et sur leur écoute. Nous y reviendrons dans le point
suivant et en méthodologie.
Il fait des choix, mais aussi il fait ce qu’il peut faire. Il faut en effet
remarquer que, puisqu’on travaille sur un extrait souvent court, il n’est
pas toujours possible d’utiliser tous les éléments qui constituent un
outil. Si nous reprenons l’exemple de la FICHE 1, on se réfère au genre
illustré par le texte, le théâtre ; mais on ne peut pas aller plus loin que
le statut des personnages, les signes autres que le langage utilisés par
Ionesco, alors qu’on sait pertinemment que l’étude de ce genre
comporterait bien d’autres rubriques.
Il faut enfin se rappeler que les outils ne constituent jamais une fin,
mais un moyen.
Ces outils et ces centres d’intérêt conviennent aussi à des
apprenants français ; on peut aussi avec eux entendre ensuite leurs
lectures du texte, mais le travail ne se déroule pas de la même
manière avec des apprenants étrangers, parce qu’on prend en compte
leur altérité.
◗ Autour de quels axes concevoir cette prise
en compte de l’altérité des apprenants ?
✓ Être conscient de ce qui tient à leur
appartenance culturelle, de ce qui fait
l’altérité du texte par rapport à eux.
• De leurs représentations de la France,
et/ou de celles des pays concernés
par le texte.
• Des représentations dans leur propre
culture : du corps, de la femme, de la
maternité, du couple, de la politique,
de l’argent, des clivages sociaux, de la
vision du monde dominante (Quel
enseignant de littérature ne s’est pas
trouvé devant des apprenants pour
qui l’athéisme, par exemple, est
impensé, culturellement, et
impensable …), etc.
• De la connaissance qu’ils ont de leur
propre culture et du recul qu’ils ont ou
n’ont pas pris.
• De leur situation dans le monde, ce qui
implique la notion de l’évaluation des
distances, par exemple, et de ce que
cela implique.
• De la pédagogie qu’ils ont connue :
méthodes, positions respectives de
l’apprenant et de l’enseignant, la
parole de l’enseignant, celle de
l’apprenant, les exercices pratiqués,
etc. On peut évoquer l’exemple limite,
mais bien réel, d’un groupe
d’apprenants formés à reproduire ce
qu’ils ont dû apprendre par cœur, et
qui sont déstabilisés par une
pédagogie de l’autonomie et de la
communication.
• De ce que les noms des personnages
leur sont parfois totalement étrangers,
qu’ils les identifient mal et qu’ils ont
de la peine à les retenir.
La liste n’est pas close.
Cette conscience est donnée par l’analyse du groupe : homogène ?
Hétérogène ? Culture d’origine ? Est-ce le premier contact avec une
autre culture, ou non ? L’activité se déroule en France ou dans le pays
des apprenants ?, etc. Elle conduira à des choix de comportements ou
de pratiques pédagogiques. L’absence de données précises dans le
cadre qui est le nôtre ici nous limite à évoquer les axes généraux d’une
réflexion à conduire. Il faut en outre être conscient qu’on peut passer à
côté de formes d’altérité qui vont se révéler et qu’on va soi-même
découvrir. Le dialogue interculturel vaut dans les deux sens.
✓ Compenser des ignorances
Il est facile de concevoir les ignorances spécifiques d’un
apprenant étranger qui concernent le contexte, auxquelles il
faudra remédier :
• données historiques : par exemple, les
femmes tondues à la Libération,
l’émergence de la société de
consommation en France dans les années
soixante, la guerre au Liberia et la
situation des enfants-soldats, le débat sur
la fin et les moyens dans l’après-guerre en
France, l’histoire d’un mouvement
littéraire, les thèses de Jdanov, le Sida en
France vers 1996…
• données sociologiques : par exemple, la
hiérarchie des classes sociales et la
mobilité sociale en France à une époque
donnée, l’école en France dans l’après-
guerre, la société martiniquaise dans les
années trente, les mentalités à une
époque et dans un lieu donnés…
• références culturelles : par exemple,
des références religieuses chrétiennes
inconnues d’un public japonais ou chinois.
Elles sont indispensables pour l’extrait de
La chute proposé dans la FICHE 35.
Il faut que toutes ces informations soient
nécessaires et rapportées au texte.
✓ Prévoir des procédures pour que les lectures
éventuelles des apprenants et leur altérité
s’expriment.
On se limite ici à signaler ces procédures. On reviendra
longuement sur la façon et le moment de les mettre en
œuvre dans la Partie II Fiches pédagogiques.
• Annoncer le projet pédagogique, les
objectifs du cours, la façon de
procéder : non seulement c’est une
première marque de respect du partenaire,
mais cette démarche fait qu’il va mieux
adhérer à une entreprise qu’il comprend.
• Accueillir les réactions, notamment
celles qui sont dues à l’altérité des
apprenants, pendant la découverte du
texte. (Cf. Première séquence, en Partie II
Fiches pédagogiques)
• Fournir les informations indispensables
à la compréhension.
• Animer le dialogue interculturel dans
la phase d’activités complémentaires.

1 CECRL : Cadre européen commun de référence pour les langues.


2 On lira avec intérêt le témoignage de Akira Mizubayashi : Une
langue venue d’ailleurs. Gallimard, 2011. (Coll. L’un et l’autre).la
compréhension de l’oral et la pratique de l’oral ont joué un rôle
capital dans son apprentissage du français (langue et littérature).
3 Cf. revue L’Histoire n° 357 : L’histoire au défi du roman par
Emmanuelle Loyer.
4 Robert. Nous renvoyons également à la note 3 de la page 9.
5 On entend ici relevant de ce qu’on appelle sciences humaines
6 Les dimensions de cet ouvrage ne permettent pas de noter ici les
sources à utiliser et de répertorier leurs résultats en détail.
7 Idem.
8 Les censeurs le savent bien qui veulent faire taire les voix qu’ils
craignent, les propagandistes aussi, qui veulent répandre leurs vues
par l’écrit. Quant à la justice, il lui arrive de demander des comptes à
un écrivain : quelle est la part de responsabilité de celui qui a écrit
des textes racistes, par exemple, quand ses thèses ont été mises à
exécution ?…
9 Là encore, il y aurait beaucoup à gagner à réfléchir aux deux
démarches : écriture et lecture.
10 Jean Onimus, Lettre à mes fils. 1963.
11 Romain Gary. Les cerfs-volants.
12 On fait le même constat pour un étudiant français qui étudie sa
propre littérature du passé : Emma Bovary fait comme toutes les
femmes de sa classe à la même époque, elle met son bébé en
nourrice. Ce n’est pas la preuve qu’elle soit ou qu’elle est une mère
dénaturée, comme on le juge parfois étourdiment. Mieux, elle est
prise d’envies de voir sa fille… L’étudiant français partage l’espace
avec Emma Bovary, mais non le temps.
13 Journées de lecture.
14 Analyse du texte de Simone Vierne in Jules Verne et le voyage
initiatique, 1973.
1. PRÉPARATION : - d’un lieu : écarté et frappé des emblèmes de l’au-
delà. - du myste.
2. VOYAGE DANS L’AU-DELÀ : Il s’agit toujours d’un voyage dans l’au-
delà. Il comporte plusieurs phases : - Rites d’entrée ( voyage sans
retour) ; - Voyage proprement dit : Il se présente selon trois motifs,
qui parfois se confondent en se conjuguant.
* Tortures, épreuves : il s’agit de rencontres plus ou moins fortes,
plus ou moins radicales avec la mort.
* Regressus ad uterum
* Voyage au ciel et/ou aux enfers : mort rêvée ou simulée.
3. RENAISSANCE : Le novice, qui revient de l’au-delà, est devenu
néophyte et, nanti du savoir qu’il a acquis par ce voyage dans l’au-
delà, il commence une nouvelle vie.
15 Céline 1932
16 Le Clézio in Mondo et autres histoires. Gallimard.
17 On parle là de sémiotique sans recourir à un métalangage
spécialisé.
18 Lire, par exemple Qu’est-ce qu’un genre littéraire ? Schaeffer J-M
Le Seuil. Paris, 1989.
19 Le Récit. Adam J-M. PUF. Paris, Première édition 1984, deuxième
édition 1987. L’Analyse du récit, Reuter Y. Dunod. Paris, 1997.
20 Nous nous limitons aux genres représentés dans le choix de
textes présentés. Nous ne mentionnons pas « essai », par exemple.
21 Même remarque pour les genres spécifiques illustrés, nous
limitant à en suggérer d’autres.
22 Voir la définition donnée dans le GLOSSAIRE.
Deuxième partie
Fiches pédagogiques.
Considérations méthodologiques
Remarques préliminaires

Les considérations méthodologiques sont organisées selon que


l’on veut utiliser les FICHES proposées dans le manuel, ou qu’on se
propose d’en créer soi-même.
Dans les deux cas, le premier travail de l’enseignant consiste à
définir clairement son ou ses objectifs pédagogiques d’une part,
c’est-à-dire le type d’exploitation d’un texte littéraire qu’il veut ou
qu’il doit faire : linguistique ? et/ou civilisationnelle ? et/ou littéraire ?
Par ailleurs, il lui faut analyser les caractéristiques du groupe
d’apprenants avec lequel il va travailler, et enfin croiser toutes ces
données. Nous renvoyons à tout ce qui a été exposé sur ces
questions.
Le matériel proposé compte 35 FICHES PÉDAGOGIQUES.
Certes, le propos du manuel est bien de s’intéresser à l’exploitation
de textes littéraires en classe de FLE et les fiches pédagogiques
n’oublient pas l’exploitation linguistique et l’exploitation
civilisationnelle. Mais nous rappelons la précision déjà donnée, à
savoir que c’est à l’exploitation littéraire qu’est consacré le
développement majeur.
Ces rubriques se proposent comme des aides, utilisables, nous
l’espérons, mais cela ne signifie pas sans un travail préalable
important d’appropriation de la part de l’enseignant. Pour faire court,
il doit tout repenser, depuis le choix du texte jusqu’aux activités
complémentaires proposées, pour déterminer ses objectifs
pédagogiques, et ainsi savoir ce qu’il décide de faire et donc
d’utiliser parmi les propositions de la fiche, ce qu’il décide de ne pas
faire, ce qu’il décide éventuellement d’ajouter (des notes, par
exemples), et pour quelles raisons il veut procéder comme il l’a
décidé. Même lorsqu’on expose une méthode et le déroulement
d’une leçon, il n’est pas question d’être directif. Il s’agit là de
suggestions. La fiche ne remplace pas l’enseignant, elle est à son
service.
Chapitre 1 Comment utiliser
les
fiches
pédagogiques

DESCRIPTION D’UNE FICHE

FICHE N°.
L’AUTEUR : courte biographie
[Situation du texte dans l’œuvre]
Texte
Éventuellement information particulière
Notes en bas de page

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE
Repérage des faits de langue
On répertorie ici les faits de langue intéressants offerts
par le texte, par exemple :
1. Le passé composé
2. Le conditionnel, mode de l’imaginaire…
Compréhension de l’écrit
Sollicitations destinées à aider les apprenants à la
compréhension de l’écrit, par exemple :
1. Qui parle ?
2. Établissez la suite des actions qui composent le
récit…
Les corrigés figurent à la suite de chaque sollicitation.

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE


Pour vous aider à préparer un
commentaire littéraire
On fait figurer ici les sollicitations qui vont aider les
apprenants pour le commentaire littéraire
Le corrigé figure à la suite de chaque sollicitation.
Plan de leçon
On fait figurer ici les centres d’intérêt retenus pour le
commentaire littéraire.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES


Elles sont réparties entre activités linguistiques et
activités littéraires.

Remarque
Cette fiche représente une fiche type. Elle montre le principe de sa
composition. Suggestion : on peut utilement se référer à quelques
fiches proposées en III. pour voir comment ce principe est illustré.
CRITÈRES DE CHOIX DES TEXTES
Ce choix répond au croisement de multiples contraintes.

◗ Adaptation aux niveaux de compétence


linguistique des apprenants
La difficulté des 35 textes choisis a été étalonnée du niveau A1 au
niveau C1/C2. Ce classement a été validé par trois enseignantes
confirmées, toujours en exercice dans des établissements publics en
France. Deux d’entre elles sont des enseignantes de langue, la
troisième de littérature. Toutes les trois ont délivré et délivrent
encore des cours de didactique en master FLE et accomplissent à
l’étranger des missions ressortissant à la didactique du FLE ; la
troisième a enseigné à l’étranger et donne des cours de didactique
en master FLE. Mais la difficulté même de ce classement et les
échanges auxquels il a donné lieu montrent la nécessité de le
considérer avec souplesse.
En effet, le CECR détermine des paliers dans la compétence
linguistique, auxquels correspondent des contenus de savoir et de
savoir-faire. Ce sont des repères indispensables. Mais cela n’évite
pas le problème des apprenants qui se situent dans les « franges »,
problème bien réel qu’on rencontre inévitablement quand on
pratique leur placement. Si ces frontières sont floues, c’est aussi
qu’elles dépendent de la langue maternelle des apprenants : langue
voisine du français ou non, cela change la donne pédagogique, tout
comme la proximité ou l’éloignement culturels. On retrouve cette
difficulté pour classer les textes.
En outre, la consultation des méthodes d’apprentissage de la
langue confirme la nécessité de la souplesse. En effet, l’une propose
l’étude de tel fait de langue en A1, tandis qu’une autre attend le
niveau A2, par exemple, pour le même fait.
Par ailleurs, la difficulté n’est pas toujours égale dans un même
texte : dans L’Invitation au voyage de Baudelaire (FICHE 22) par
exemple, la strophe 2 est plus difficile que les deux autres ; mais on
ne saurait couper le texte sans le dénaturer.
Enfin, il y a parfois, dans les fiches proposées, un écart de
difficulté important entre celle du texte et celle de l’exploitation
littéraire proposée, par exemple pour les FICHES 35 et 1 : Le texte
de Camus extrait de La Chute (FICHE 35), a été classé en niveau C,
non pour sa difficulté linguistique, abordable par des apprenants
d’un niveau inférieur, mais pour celle de l’exploitation littéraire qu’on
en propose. L’extrait de La Cantatrice chauve (FICHE 1) devrait être
abordable pour des apprenants qui possèdent bien le niveau A1,
mais il n’est pas sûr que l’enseignant puisse exploiter tous les points
proposés dans le Plan de leçon. Il en va de même pour l’extrait
d’Aragon (FICHE 20)…
Il est donc clair que le classement propose des repères, et qu’il
appartient aux enseignants qui voudront s’en servir d’adapter leur
choix aux apprenants qui leur sont confiés. On rappellera aussi, juste
pour mémoire, que le plaisir que peut éprouver un enseignant à une
œuvre ne sera pas nécessairement partagé par le public étudiant, et
qu’à côté des questions de compétence linguistique, il faut réfléchir
à ce qui fait la personnalité du groupe avant de choisir un texte ou
un programme, en n’oubliant jamais qu’un cours est d’abord destiné
aux apprenants.
Enfin, ce classement propose une répartition inégale entre les
niveaux A (14 Fiches), B (16 Fiches), d’une part et C (5 Fiches)
d’autre part. Une raison surtout, il y en aurait d’autres, a motivé ce
choix : les niveaux A et B sont les plus représentés parmi les
apprenants, c’est donc sur l’exploitation des textes littéraires à ces
niveaux qu’il fallait essentiellement porter notre travail (30 FICHES).

◗ Longueur des textes


Elle est variable, à dessein, mais la majorité sont courts,
voire très courts. Quelques textes comparativement « longs », ont
été retenus, soit parce qu’il était impossible de les couper, comme
des scènes ou des séquences de théâtre dont la reproduction prenait
nécessairement beaucoup d’espace, soit parce qu’il semblait
intéressant de considérer la façon dont on pouvait mener à bien le
travail sur un texte long.

◗ Éventail des genres


Les textes étudiés essaient de représenter un large éventail de
genres : roman, nouvelle, conte, théâtre, poésie, fantastique,
littérature témoignage, autofiction, théâtre, poésie… Le tableau 1 en
ANNEXE répertorie à des fins pratiques THÉÂTRE, POÉSIE,
ROMAN (on y situe le texte d’Annie Ernaux, même si elle récuse le
terme de « roman »…), NOU VELLE, CONTE, « FRAGMENT ».
Sous l’étiquette « fragment », on a rassemblé des textes qui sont
effectivement des fragments d’une œuvre qui en propose une
collection. Ils ont une unité et peuvent être extraits de l’œuvre sans
Ô
qu’on fasse référence aux autres. On y a logé aussi l’extrait de Ô
Vous, frères humains, très facilement détachable du reste du texte.

◗ Auteurs
Il s’agit d’auteurs français et d’auteurs étrangers francophones du
XXème siècle essentiellement (3 auteurs du XIXème siècle). Certains
textes sont très récents et l’on a fait le pari qu’ils mériteraient
longtemps la contemplation des lecteurs…

◗ Publics apprenants destinataires


Les 35 textes ont été considérés comme convenant tous à des
adultes, 23 seulement sur ces 35 à des adolescents, 12 à des
adultes seulement. Là encore, ce ne sont que des indications que
l’on peut facilement discuter et qu’il appartiendra à chaque
enseignant d’apprécier en fonction de sa situation particulière.
SUGGESTIONS POUR
L’EXPLOITATION DES FICHES
Ce choix répond au croisement de multiples contraintes.

Exploitation linguistique

◗ Premier objectif : Cours sur fait de langue


Le texte littéraire peut entrer dans un corpus ou servir
d’illustration finale. On utilise alors :
• Le premier élément de la rubrique « Exploitation
linguistique » intitulé : « Repérage des faits de
langue ». Remarque importante : on s’en est tenu à
un repérage, ce qui veut dire que le travail
concernant les cours sur les faits de langue reste à
faire. Par ailleurs, ce repérage effectué fiche après
fiche ne constitue pas un parcours.
• Selon les besoins : des ou les notes en bas de
page, l’enseignant ayant toute latitude pour en
créer d’autres.
• La rubrique « Activités complémentaires » qui
propose des activités en relation avec certains faits
de langue (le futur, temps des projets, des
promesses,…).

◗ Second objectif : Compréhension de l’écrit


On utilise alors :
• Informations entourant le texte (notes en bas de
page, biographie, situation du texte dans l’œuvre,
éventuellement information particulière, qu’elle soit
donnée dans la fiche ou qu’on signale qu’il faut aller
la chercher)
• Le deuxième élément de la rubrique « Exploitation
linguistique » intitulé « Compréhension de l’écrit ».

◗ Proposition de méthode pour la


compréhension de l’écrit

Première séquence
L’objectif est que les apprenants prennent un premier contact
avec le texte et se familiarisent avec la tâche à accomplir, en
collectant toutes les données qui se raccrochent à des cadres
connus, fixes, de nature à les rassurer. Ces données sont
susceptibles de leur fournir un premier faisceau d’indices, une
première approche, et de créer une attente dont ils connaissent,
sinon la nature, du moins les contours.
Reste à savoir comment procéder, étant entendu qu’il est
impossible de proposer une durée unique, et même un déroulement
unique, valable pour tous les textes, de ce premier temps très
ouvert.
Première lecture du texte : Il est préférable qu’elle soit
silencieuse. Si celle-ci est faite par l’enseignant, elle propose déjà du
sens. La seule consigne clairement donnée est de repérer les mots
inconnus et de se servir, au besoin, des notes en bas de page. Elles
sont destinées à permettre la lecture du texte la plus fluide possible,
la moins hachée possible par des difficultés de langue : difficultés de
lexique dans la majorité des cas. La note ne reproduit pas le
dictionnaire ; son unique objectif est de donner le sens du mot dans
le texte, éventuellement sa référence culturelle, pour lever au plus
vite la difficulté de lecture. On a posé comme principe que cette
note était écrite dans la langue cible, le français.
Puis, l’enseignant s’assure de la compréhension du lexique
en répondant aux demandes éventuelles qui lui sont faites. On a
posé comme principe qu’on utilisait la langue cible, le français, mais
on sait que certains enseignants passent par la traduction pour des
apprenants homoglottes de niveau faible. Il peut parfois être utile de
s’assurer aussi d’un point de syntaxe, par exemple en demandant ce
que remplace un pronom (exemple FICHE 3).
Il invite ensuite les apprenants à communiquer, dans l’ordre
où elles viennent, leurs observations, permises par cette première
lecture. Elles peuvent concerner le genre (évident quand il s’agit de
théâtre ou d’un poème, par exemple, puisque cela se voit), le
narrateur, le ou les personnages, leur nom, le lieu où ils se trouvent,
le repérage de ce qui est dialogues/didascalies, du récit, de la
description, ce qui est dit ou fait, la langue (registre, mots
articulateurs, par exemple, éventuellement champ lexical)…, toutes
notions fixes et connues de tous. C’est pendant cette phase très
ouverte qu’on peut entendre des réactions personnelles de type
impressionniste. Il faut non seulement les entendre, mais, sans les
juger ni les rejeter, les faire reconnaître comme telles.
Chaque texte suscitant des observations particulières, il est
impossible d’une part de tout répertorier ici, d’autre part de faire une
liste, une sorte de grille fixe utilisable pour tout texte. C’est le
principe qui est à retenir : on se réfère à des notions qui sont autant
d’outils fixes appartenant déjà au bagage des apprenants, et dont le
maniement, dans ce premier temps, est destiné à créer un premier
éclairage rassurant avant l’élucidation plus rigoureuse qui va suivre.
C’est aussi dans cette phase du travail que l’enseignant
communique les éléments suivants, sans qu’il soit possible de
dire exactement à quel moment il les produit. Tout dépend de ce qui
surgit dans ce moment où l’on accueille ce qui vient « en vrac » des
apprenants.
Une courte biographie : Elle a surtout comme objet de situer
l’auteur dans le temps et dans l’espace, de tracer la grande ligne
d’un itinéraire.
La situation de l’extrait dans l’ouvrage : Il est indispensable
de donner aux apprenants les moyens de comprendre comment le
texte s’insère dans le fil d’une narration – c’est le cas le plus
fréquent – parfois dans l’exposé d’un raisonnement ou d’un itinéraire
(Camus, La Chute, ou Baudelaire, L’Invitation au voyage).
L’information particulière requise par certains textes et qui
constitue un préalable indispensable à la compréhension. L’extrait de
Zobel, par exemple, exige une information sur le contexte de la
Martinique dans les années trente. On rappelle que dans les fiches,
cette information balisée, sur l’histoire ou la société, est parfois à
aller chercher.
On fait enfin la synthèse des informations utiles recueillies pour
établir clairement les bases du travail qui suit.

Deuxième séquence
L’objectif ultime est de s’approprier le contenu informatif global du
texte, essentiellement pour déterminer clairement QUI ? OÙ ?
QUAND ? QUOI ? POURQUOI ? POUR QUOI ?, cette liste n’étant pas
d’une part exhaustive, d’autre part pertinente dans sa totalité pour
tous les textes, et de fournir des indices repérant les articulations
d’un raisonnement, ou, plus largement, la manière de progresser du
texte. Les apprenants doivent pouvoir, à la fin, faire un résumé qui
rende compte du texte.
Comment procéder ?
D’abord relecture du texte. Nous proposons une lecture à voix
haute, par l’enseignant.
On propose ensuite des sollicitations. Rubrique « Compréhension
de l’écrit ».
Elles jalonnent d’abord la progression du texte, les dernières
portent sur sa globalité. Il est donc important de les utiliser dans
l’ordre où elles sont présentées.
Elles reprennent, cette fois de façon systématique, organisée
selon les nécessités du texte, les indices récoltés dans le premier
temps. La très grande majorité reposent sur l’examen du texte :
elles doivent permettre une observation précise ou un relevé de
texte particulier. Quelques-unes sont ouvertes ; elles demandent à
l’apprenant de proposer une explication à ce qu’il vient d’observer.
Elles peuvent être utilisées de deux façons :
✓ Soit que l’enseignant les utilise pour une activité
de compréhension/réception de l’écrit pendant un
cours de langue. C’est l’option qui vient d’être
décrite.
✓ Soit que l’enseignant estime pouvoir faire faire ce
travail à des apprenants d’un bon niveau de
compétence linguistique après le premier temps.
Il utilise alors les sollicitations en préparation du
cours qui, lui, consistera en une vérification de la
compréhension, avec la consigne suivante : Vous
lisez maintenant le texte une seconde fois et vous
répondez dans l’ordre aux sollicitations
suivantes. Dans ce cas, le cours, lui, pourra alors
consister en une vérification de la compréhension
suivie soit d’activités complémentaires, soit de
l’exploitation littéraire (cf. infra), soit des deux.
Remarques
Leur nombre est variable d’une fiche à l’autre.
Elles ne comportent qu’une seule consigne à la fois.
Les corrigés se trouvent immédiatement à la suite de chaque
sollicitation. (sauf « réponse libre » pour les sollicitations
ouvertes).

Troisième séquence
Les Activités complémentaires peuvent faire l’objet d’une
troisième séquence.
Toutes les activités proposées mettent en jeu des compétences
répertoriées dans le CECR, et c’est à ce moment que certaines
d’entre elles vont, en outre, retrouver la prise en compte des
réactions et de l’altérité des apprenants.
Réception orale : Certaines fiches proposent l’écoute de textes
mis en musique.
Production orale quand on propose de dire un poème ou de
faire des exercices de phonétique.
C’est par les activités suivantes que le dialogue entre les
apprenants et le texte s’instaure dans la classe, que l’on touche à la
dimension interculturelle.
Production écrite, selon deux directions : argumentation et
création. On renvoie à toutes les fiches.
Interaction orale pour la classe, ou pour l’apprenant quand il
s’agit d’interpréter du théâtre, quand un débat est organisé sur le
message du texte, ou plus largement quand les apprenants
réagissent au texte et donnent leur(s) lecture(s).
Exploitation littéraire

◗ Éléments à utiliser
Les informations entourant le texte. On renvoie à ce qui vient
d’être dit.
La rubrique « Compréhension de l’écrit ». On renvoie à ce qui
vient d’être dit.
La rubrique « Exploitation littéraire ».
Une partie de la rubrique « Activités complémentaires ».

◗ Comment procéder ?
• Le travail de compréhension de l’écrit
doit impérativement avoir été fait avant
une exploitation littéraire : soit dans le
cadre d’un cours de langue, soit que le
niveau de compétence linguistique des
apprenants soit assez élevé pour qu’on
leur donne en préparation, après la
première séquence exposée plus haut, les
sollicitations de la deuxième séquence. On
vérifiera alors oralement au début du
cours d’exploitation littéraire que le
contenu du texte est compris.
• On utilise une préparation à la leçon
« Pour vous aider à préparer un
commentaire littéraire ».
Elle peut être utilisée par l’enseignant de deux
façons : soit comme un ensemble d’outils
pédagogiques dans le déroulement du cours lui-
même, soit donnée aux apprenants comme travail
préparatoire – difficilement possible avant le niveau
B1 – à faire avant le cours1 . Le « vous » du titre de
cette rubrique désigne donc soit les apprenants, soit
l’enseignant.
Elle se compose de sollicitations en nombre
variable selon les textes. Ces sollicitations visent à
préparer l’étude des centres d’intérêt du texte que
l’on a choisi de privilégier et qu’il est possible
d’étudier dans ce qui est un extrait.
Les corrigés se trouvent immédiatement à la suite
de chaque sollicitation.

◗ La leçon
Elle s’organise autour des centres d’intérêt du texte rassemblés
dans le Plan de leçon des fiches et va tirer parti de tout ce qui a été
fait en amont.
Le Plan de leçon comporte toujours plusieurs centres
d’intérêt. On a choisi de privilégier ceux qui sont vite accessibles
car ils prennent du recul par rapport au message que les apprenants
viennent de comprendre, à des observations qu’ils ont pu faire
confortées par les sollicitations. Dans chaque fiche, ces centres
d’intérêt sont présentés dans l’ordre qui semble le plus pédagogique.
Ils peuvent concerner :
• le message : on a identifié clairement des points
de vue sur un thème (par exemple2 , l’acculturation,
le relativisme culturel, l’enfance/l’âge adulte, les
pouvoirs de l’amour, un aspect de la condition
humaine, une vision du monde, un fait de société,
etc.) et l’objectif visé par ces points de vue. On a
pu aussi les rapporter à un courant de pensée.
• l’utilisation qui est faite du langage : du champ
lexical, des figures du discours, de l’énonciation,
etc., la construction du raisonnement…
• les caractéristiques d’un genre : par exemple,
pour le théâtre, on identifie les différents langages
– ou signes – utilisés, le statut des personnages,
l’utilisation qui y est faite du langage…
Remarques
Parmi les centres d’intérêt, certains concernent l’évaluation de la
validité du texte sur un plan culturel. La méthode qui doit permettre
cette évaluation a été longuement exposée. Rappelons qu’il s’agit
d’abord d’un travail littéraire : quelle est la position de l’auteur sur
tel ou tel fait ? On consulte ensuite les documents de type
« scientifique » sur ce fait ; c’est un travail qui ressortit à l’étude de
la civilisation. Enfin, on compare la position de l’auteur aux données
scientifiques. Si la finalité de cette procédure est bien littéraire (on
situe l’auteur et son texte dans l’histoire des idées, des
mentalités…), il n’en demeure pas moins qu’on a étudié la civilisation
pour cela, avec des moyens adaptés corrects.
Le fait que les Plans de leçon proposent plusieurs centres
d’intérêt ne signifie pas que l’enseignant veuille, ou même puisse,
tous les traiter. Il se peut par exemple, comme on l’a déjà vu, que le
niveau linguistique des apprenants, adapté pour la difficulté du
texte, soit trop limité pour tout ce qui est proposé. Dans ce cas, on
fait non seulement ce que l’on veut faire, mais aussi ce que l’on peut
faire… Il se peut aussi que tel point du Plan de leçon, comme la
versification par exemple, soit très éloigné des centres d’intérêt des
apprenants, et donc à négliger.
Les références au texte illustrant ces centres d’intérêt sont
signalées dans le Plan de leçon, mais elles n’y sont ni développées,
ni explicitées.
Ces Plans de leçon ne proposent aucun minutage. Ils peuvent
aussi être répartis sur plusieurs séances. Là encore, tout dépend
pour cela de l’analyse que l’enseignant aura faite du groupe que
constitue sa classe.
Sauf à utiliser les sollicitations de la préparation, les Plans de
leçon ne donnent pas d’indications sur les moyens pédagogiques à
mettre en œuvre pour servir ces centres d’intérêt. C’est le travail de
réflexion pédagogique de l’enseignant quand il prépare son cours et
qu’il l’adapte aux apprenants particuliers qui sont les siens. Pour des
raisons culturelles, par exemple, ils ne se comportent pas forcément
comme d’autres du même niveau linguistique, ce qui provoque le
recours à des moyens pédagogiques différents.
Le faible niveau de compétence linguistique des apprenants pose
le problème de la langue à pratiquer dans cette exploitation à visée
littéraire. Langue cible ? C’est la réponse idéale. Langue maternelle
des apprenants ? C’est parfois la réponse réaliste.

◗ Activités complémentaires
C’est à ce moment, après la leçon, que l’on propose précisément
de remettre au premier plan les apprenants et leur altérité, dans la
classe d’abord.
On a examiné le texte, c’est maintenant à leur voix de se faire
entendre et de réagir. Le rôle de l’enseignant est alors d’accueillir
des lectures et des réactions qui s’expriment, d’exploiter celles qui
s’offrent au débat collectif. C’est celui d’un animateur. Il va essayer
de recentrer les débats si de multiples directions sont lancées, ou de
proposer des sujets de discussion précis si ce n’est pas le cas. C’est
à cette dernière situation que les fiches espèrent répondre.
On retrouve une difficulté déjà signalée : ce type de prolongement
nécessaire en langue cible n’est possible que si les apprenants ont
un niveau de compétence linguistique suffisant. Les fiches des
niveaux les plus bas, qui se veulent réalistes et qui sont donc
modestes quant à l’exploitation littéraire des textes, proposent peu
d’activités complémentaires strictement littéraires. Cela ne signifie
pas que l’enseignant fasse totalement l’économie de ce moment où
les apprenants réagissent. Comme pour la leçon, il fait ce qu’il peut
faire, dans la langue qui sera efficace…
Ces activités ressortissent à toutes les formes d’exploitation
littéraire : travail sur le message, les genres, le schéma narratif, les
outils (image, métaphore, métaphore filée, caricature…), la
connaissance d’un auteur, d’un mouvement littéraire…
Ces activités ressortissent à de la production et de l’interaction
orales et croisent donc le travail de la langue.
À la suite de cette activité orale, des activités de production écrite
peuvent venir en complément.
• Production orale ou écrite quand il s’agit de débats
ou de réflexion sur un thème (par exemple, tout ce
qui est proposé autour de la littérature engagée, ou
sur l’acculturation), sur le point de vue de l’auteur
(par exemple, sur une vision du monde, sur les
mondes enfance/âge adulte), sur un genre
spécifique (par exemple, le fantastique)…
• Production écrite aussi quand il s’agit de création :
On a vu comment un texte était construit, et l’on
propose un travail d’imitation (FICHES 28, 31, par
exemple). On a utilisé les notions de « fin
fermée/fin ouverte » ; on propose de modifier le
texte et d’écrire une suite cohérente.
• Les propositions des fiches ne sont pas
accompagnées de consignes précises. C’est
pourtant à faire quand on propose un travail à des
apprenants, qu’on connaît leur niveau et ce qu’il est
légitime de leur demander. La plupart du temps, il
s’agit du nombre de mots.

Exploitation civilisationnelle

◗ Une passerelle entre littérature et


civilisation
À plusieurs reprises, notamment ci-dessus, nous avons eu
l’occasion de voir qu’il était possible d’établir une passerelle entre
littérature et civilisation.
Nous y renvoyons donc. Rappelons que la méthode de travail pour
les croiser aboutit à une évaluation de la fiabilité du témoignage de
l’auteur sur un fait de civilisation (ou d’histoire). Deux cas se
présentent : le texte véhicule un point de vue corroboré par
beaucoup d’autres ; il est donc un témoignage parmi d’autres que
l’étude de la civilisation peut prendre en compte. Ou alors, c’est un
témoignage et un jugement personnels, qu’on pourra,
éventuellement, situer dans l’histoire des mentalités.
Rappelons aussi que nous pensons que la méthode de travail
préconisée offre logiquement des bénéfices pour la littérature, pour
la civilisation et pour l’interculturel. Puisqu’elle demande de croiser
les deux disciplines, elle a été pratiquée dans l’exploitation littéraire
des textes qui présentaient cet intérêt. Nous n’y revenons donc pas
ici. Les fiches qui traitent cette question sont nombreuses (4, 17, 18,
23, 25, 26, 30, 34).

◗ Activités complémentaires
Elles consistent à demander aux apprenants de faire la recherche
de documents de type « scientifique ». Là encore, le niveau de
compétence linguistique est déterminant.
Les fiches prévoient des activités de ce type, mais ne sont pas
accompagnées de consignes précises. C’est pourtant à faire quand
on connaît le niveau des apprenants et ce qu’il est légitime de leur
demander. Par ailleurs, il est sans doute souhaitable de leur indiquer
les sources à utiliser, les rubriques à renseigner, et le volume
attendu des informations à recueillir.

1 On a donc trois cas de figure pour les apprenants : une


préparation : compréhension de l’écrit seulement, OU préparation
littéraire seulement, OU les deux préparations. Tout dépend de leur
niveau de compétence linguistique d’abord, du choix pédagogique
de l’enseignant ensuite.
2 On ne fait pas ici un inventaire exhaustif.
Chapitre 2 Comment créer ses
fiches
pédagogiques

COMMENT CHOISIR DES TEXTES


Nous l’avons vu, le travail repose sur le croisement des critères
concernant le groupe d’apprenants d’une part, et les textes d’autre
part.
Quelle que soit l’exploitation envisagée, il faut choisir des textes1 .

◗ Lire, ou relire, et élire des extraits


utilisables
On suppose que l’enseignant a été et est encore un lecteur. Au
gré de ses lectures ou de ses relectures, il repère des extraits dont il
se dit qu’ils peuvent être utiles, intéressants pour telle ou telle
exploitation.

◗ Déterminer le niveau de difficulté des


textes choisis
Repérer :
• les faits de langue. On utilise une copie du texte.
En effet, le travail de réflexion et de préparation
demande qu’on fasse des repérages différents dans
le texte. Si l’on fait tout sur le même exemplaire, on
finit par avoir un document illisible. Travailler sur
différentes copies du texte est donc un moyen
élémentaire de procéder avec méthode et, au final,
de gagner du temps.
• le lexique (nature et abondance). On utilise une
autre copie du texte.
Quels outils utiliser ? :
• les indications du CECR.
• les méthodes d’apprentissage de la langue,
éventuellement celle qui est en usage dans
l’institution.
• Et l’expérience ! Elle vient vite et elle se partage.
On y revient à la fin de chapitre.

◗ Classer les textes


On parvient à un classement des textes choisis selon le niveau de
difficulté rapporté au classement du CECR, et selon ce que l’on
projette précisément, on garde tel(s) texte(s), on écarte les autres,
qui vont finir par former une réserve obéissant déjà à un
classement. Ce travail préliminaire constitue un investissement
pédagogique.
ÉLABORATION EN VUE D’UNE
EXPLOITATION LINGUISTIQUE
◗ Objectif : cours sur un fait de langue
On repère les faits de langue utilisables. Ils entreront dans un
corpus ou le texte lui-même servira d’illustration finale. Dans le
matériel présenté, le texte 2 (Modiano), par exemple, offre une belle
succession de passés composés.
Dans ce cas, les notes en bas de page sont à élaborer
immédiatement, et si on le souhaite, des activités complémentaires
en rapport avec le fait de langue.

◗ Objectif : compréhension de l’écrit


Il faut alors élaborer dans un ordre qui n’est pas impératif :
• Les informations entourant le texte ;
• Les notes en bas de page. Elles concernent le plus
souvent le lexique. Si c’est nécessaire, on vérifie
dans un dictionnaire, et on simplifie au maximum la
définition pour qu’elle soit immédiatement claire.
Pour les allusions culturelles, par exemple « Viens
Poupoule » (Annie Ernaux), on donne ce qu’il est
utile de comprendre « Chanson populaire ».
• La situation de l’extrait dans l’œuvre.
• Une brève biographie utile.
• L’information spéciale si le texte l’exige, comme
c’est le cas des fiches concernant les textes de
Zobel, Ernaux, Kourouma… Là encore, il vaut mieux
se limiter strictement à l’information directement
utile.
• La rubrique « Compréhension de l’écrit ». Nous
renvoyons aux tableaux qui figurent pages 42 à 44,
aux remarques qui les suivent, et à la rubrique
correspondante dans COMMENT UTILISER LES
FICHES.
• des activités complémentaires, si on le souhaite,
assorties de consignes précises adaptées à la
situation pédagogique.
ÉLABORATION EN VUE D’UNE
EXPLOITATION LITTÉRAIRE
◗ Les conditions de cette exploitation
Les apprenants : Pour mémoire, il convient de prendre en
compte leur niveau de compétence linguistique, leur culture propre,
leurs besoins et leurs motivations, mais aussi la personnalité
particulière du groupe.
La situation pédagogique : Nous n’examinons pas ici la
situation contrainte qui cumule plusieurs difficultés, par exemple : 45
séances de 50 minutes pendant un trimestre, littérature française
des XVIème, XVIIème, XVIIIème siècles, pour un public A2, B1 et
au-delà. Cette situation exige la mise en œuvre de ressources
pédagogiques particulières, trop particulières pour notre propos.
Nous ne considérons que la situation libre : elle offre trois
possibilités :
• L’enseignant a la charge d’un cours de littérature
pour un nombre précis de séances étalées sur une
période déterminée : il se préoccupe uniquement
de croiser le niveau des textes et celui des
apprenants.
• Dans les mêmes conditions pédagogiques, il ajoute
un critère : les textes devront servir l’étude d’un
axe : étude d’un genre, d’un thème, par exemple.
C’est ce que l’on a un peu essayé de faire dans les
fiches : thème de l’acculturation, thème enfance/
âge adulte, par exemple. Les textes doivent être du
même niveau.
• Il n’est pas chargé d’un cours de littérature, mais il
décide occasionnellement de faire l’exploitation
littéraire d’un texte court, extrait d’une œuvre.

◗ Élaboration des rubriques


Cela étant clairement déterminé, dans quel ordre procéder pour
organiser le travail ?
Remarques préliminaires
C’est toute la fiche, ou presque, qu’il faudra élaborer puisqu’on
aura besoin des informations entourant le texte, des rubriques
« Compréhension de l’écrit » et « Exploitation littéraire » Il est à peu
près évident qu’il faudra le faire dans cet ordre. Mais l’intérieur de
chaque séquence peut offrir plus de souplesse.
Par ailleurs, l’enseignant a tout avantage à avoir élaboré toute la
préparation avant de commencer l’étude avec les apprenants, ce qui
n’interdit évidemment pas l’adaptation et la souplesse en cours de
route si la situation pédagogique l’exige. Par exemple, on peut
attendre de voir la façon dont le (ou les) cours se déroule(nt) pour
déterminer les « Activités complémentaires ».

◗ Les étapes
• 1re étape : Créer les rubriques « Informations
entourant le texte » et « Compréhension de l’écrit »
si ce n’est pas déjà fait.

• 2e étape : créer la rubrique « Pour vous aider à


préparer l’exploitation littéraire ».
Vous analysez le texte avec les outils dont il a été
question dans « Cas de l’étude d’un « morceau
choisi » ». « Comment déterminer des centres
d’intérêt » tableaux et remarques pages 39 à 45.
Ces outils, du moins ceux qui sont pertinents pour
interroger le texte, donnent des réponses. Vous
choisissez alors ce qui vous semble prioritaire,
compte tenu de l’hypothèse retenue pour la
situation pédagogique : il s’agit du premier contact
d’apprenants non spécialistes avec ce texte.

• 3e étape : créer le « Plan de leçon ».


Vous savez pourquoi et pour quoi vous décidez
d’exploiter ce texte. Vous avez vu à quels centres
d’intérêt majeurs vous pouvez rattacher cette
étude. Vous savez donc comment vous allez
organiser la leçon.
Cela dit, on peut intervertir l’ordre des étapes 2
et 3, ou les construire simultanément puisqu’en
déterminant les centres d’intérêt, vous savez ce sur
quoi dans le texte vous vous fondez pour arriver à
ces choix. Vous savez donc en même temps ce qui
peut préparer les apprenants à cette étude.

• 4e étape : créer des « Activités complémentaires »


possibles.

ÉLABORATION EN VUE D’UNE


EXPLOITATION CIVILISATIONNELLE
Nous renvoyons à la méthode proposée, déjà exposée en
plusieurs occasions. Elle donne l’ordre des étapes du travail.
Sur le plan pratique, comment obtenir les informations de type
« scientifique » ? Il y a plusieurs cas de figure : ou l’on travaille en
interdisciplinarité, et le collègue qui enseigne l’histoire ou la
civilisation fait son travail avec les méthodes qui sont celles de sa
discipline. Ou l’enseignant de FLE cherche lui-même les documents
de type scientifique, constitue une fiche, qu’il fournira aux
apprenants et qui servira de base au travail de confrontation.
VERS UNE DYNAMIQUE DE GROUPE
Il est assez facile de déduire de cette réflexion que le travail de
groupe entre enseignants ne peut être que bénéfique : si l’on
partage les mêmes fondements de réflexion théorique, si l’on
s’accorde sur le « moule » pédagogique proposé par les fiches, on
peut aller beaucoup plus loin que la seule « réserve collective » de
textes classés. Si l’on va jusqu’à mettre en commun les fiches que
les uns et les autres ont créées, non seulement on se dote d’un
matériel pédagogique plus important, ce qui n’est pas un mince
avantage pour des enseignants débutants ou jeunes, mais on ouvre
le champ de l’évaluation et de la comparaison des expériences. On
se trouve alors devant un matériel qu’il s’agit d’adapter en repensant
le travail, situation comparable au lecteur devant les fiches de cet
ouvrage. Nous renvoyons alors à ce qui a été dit du travail
d’appropriation (Partie II, Chapitre 1. Comment utiliser les FICHES
PÉDAGOGIQUES.).

1 Consultez l’article de Jean-Michel Adam « Linguistique ET


Littérature : Qu’est-ce qu’un texte ? » Le Français dans le Monde,
Littérature et enseignement. février-mars 1988 (Hatier)
Troisième partie
Fiches pédagogiques
Fiche 1 E. Ionesco
(1912-1994)
L’auteur : Ionesco est né en Roumanie d’un père
roumain et d’une mère française. Il vit en France
jusqu’en 1925, puis en Roumanie. Il y fait des études,
devient professeur de français. En 1938, poussé par la
montée du fascisme et la décision de faire une thèse, il
revient en France. Essayant d’apprendre l’anglais avec
une méthode de conversation franco-anglaise, il en écrit
une parodie : La Cantatrice chauve. Cette « anti-pièce »
est jouée en 1950. Il écrit La Leçon en 1951, Les Chaises
en 1952. Il crée ensuite le personnage de Bérenger, qui
apparaît dans Rhinocéros (1958), Tueur sans gages
(1959) et Le Roi se meurt (1962). La tragédie du langage
dépasse la cadre de la vie personnelle pour concerner la
vie collective. À partir de 1960, il connaît le succès et il
est souvent conduit à s’expliquer sur son théâtre. (Notes
et contre-notes, 1962). En 1970 il est élu à l’Académie
Française.

[Monsieur et Madame Smith, des Anglais, sont chez eux, dans un intérieur
typiquement anglais. M. Smith lit le journal et Mme Smith fait de la couture.
Pendant un long moment, elle parle, parle, parle… M. Smith, lui, fait claquer sa
langue de temps en temps. Brusquement, il se met à parler, lui aussi.]

M. Smith, toujours avec son journal


Il y a une chose que je ne comprends pas. Pourquoi à la
rubrique de l’état civil1 , dans le journal, donne-t-on toujours
l’âge des personnes décédées2 et jamais celui des nouveau-nés ?
C’est un non-sens.
Mme Smith
Je ne me le suis jamais demandé !
Un autre moment de silence. La pendule sonne sept fois.
Silence. La pendule sonne trois fois. Silence. La pendule ne
sonne aucune fois.
M. Smith, toujours dans son journal.
Tiens, c’est écrit que Bobby Watson est mort.
Mme Smith
Mon Dieu, le pauvre, quand est-ce qu’il est mort ?
M. Smith
Pourquoi prends-tu cet air étonné ? Tu le savais bien. Il est
mort il y a deux ans. Tu te rappelles, on a été à son
enterrement3 , il y a un an et demi.
Mme Smith
Bien sûr que je me rappelle. Je me suis rappelé tout de suite,
mais je ne comprends pas pourquoi toi-même tu as été si étonné
de voir ça sur le journal.
M. Smith
Ça n’y était pas sur le journal. Il y a déjà trois ans qu’on a
parlé de son décès4 . Je m’en suis souvenu par association
d’idées !
Mme Smith
Dommage5 ! Il était si bien conservé6 !
M. Smith
C’était le plus joli cadavre7 de Grande-Bretagne ! Il ne
paraissait pas son âge. Pauvre Bobby, il y avait quatre ans qu’il
était mort et il était encore chaud. Un véritable cadavre vivant.
Et comme il était gai !
La Cantatrice chauve © Gallimard, 1954.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Imparfait.
• Passé composé (formes et valeurs).
• La langue/Le langage.
• Les conditions de la communication
par le langage.

Compréhension de l’écrit

1. Lisez le texte en répondant à ces deux


questions :
a. L.2 : Que représente le mot « celui » ?
L’âge.
b. L.13,14 : Que représente le mot « en » ?
Son décès.

2. Maintenant, relisez le texte en répondant


dans l’ordre aux questions suivantes :
a. Monsieur et Madame Smith donnent des
informations. Lesquelles ? Faites-en la liste
dans l’ordre.
Le journal annonce la mort de Bobby
Watson.
Bobby Watson est mort il y a deux ans.
Bobby Watson a été enterré il y a un an
et demi.
Le journal n’annonce pas la mort de
Bobby Watson.
On a parlé de la mort de Bobby Watson il
y a trois ans.
Il y avait quatre ans qu’il était mort et son
cadavre était encore chaud.
Bobby Watson, alors, était gai.
b. Observez cette liste. Quelles remarques
faites-vous ?
Ces informations se contredisent.
Certaines sont invraisemblables.
c. La langue des Smith est-elle du français ?
Oui.
d. À la fin, que reste-t-il des informations
données par les Smith ?
Rien.
e. M. et Mme Smith se sont pourtant parlé.
Qu’ont-ils échangé ?
Du bruit.
f. Quelles sont les réactions de Mme Smith ?
Faites-en la liste en suivant le texte.
Mon dieu ! Quand est-ce qu’il est mort ?
Bien sûr que je me rappelle. Je me suis
rappelé tout de suite.
g. Observez les réactions de Madame Smith.
Quelles remarques faites-vous ?
Incohérence.
Non-sens.

3. Vous avez lu l’introduction au texte.


Rappelez-vous :
a. Que fait Mme Smith ?
Elle fait de la couture.
b. Que fait M. Smith ?
Il lit le journal.
c. Comment qualifiez-vous ces occupations ?
Ce sont des occupations banales,
ordinaires.
d. Quelle conclusion tirez-vous de toutes ces
observations pour les personnages ?
Contradiction entre les apparences
réalistes et l’absurdité qui résulte de ces
contradictions.
e. Que dit-on de leur intérieur ?
On dit qu’il est typiquement anglais, donc
banal, lui aussi. Il n’est pas étonnant.

4. Vous relisez maintenant les lignes 5, 6.


a. Que vous apprend la didascalie (indication
scénique) ?
La pendule est « folle ». Sonner ainsi n’a
aucun sens.

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Quelle est l’absurdité la plus développée dans
cette scène ?
Celle du langage.
2. Vous avez observé le discours, la
communication des Smith, les réactions de Mme
Smith, le lieu où se trouvent les personnages.
Comment qualifiez-vous ce monde ?
C’est un monde absurde, fou, où s’agitent
des marionnettes ; il n’est pas humain.
3. Quel est l’effet produit par toutes les
contradictions que vous avez observées ?
Effet comique.

Plan de leçon
1. Un monde absurde, vide, fossilisé.
Apparence de réalisme que différents
éléments viennent anéantir :
• Le lieu : banal, mais pendule
impossible.
• Le discours : du français, oui, mais
des propos qui se détruisent.
Jamais le discours ne renvoie à une
pensée cohérente. C’est du bruit.
• Les gens : occupations banales,
mais leur langage et leur
conversation en font des
marionnettes incohérentes, vides.
2. Statut des personnages :
Aucune identité, aucune histoire, aucun
élément de psychologie.
Ils sont ce qu’ils disent et ne sont que
cela. Ils sont les supports d’un discours
absurde.
3. Le comique et la tragédie du langage.
• Sources du comique
Opposition entre ce qui est banal et
ce qui est aberrant.
Le grossissement du côté aberrant.
Des bouffons.
• Fonction du comique : révéler la
tragédie du langage.
4. Comment jouer ce texte :
S’appuyer sur l’écart entre le réalisme et
l’aberrant.
Grossir au maximum le côté aberrant.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Jouer ce texte.
✓ Production écrite : inventer un
dialogue où les propos se
contredisent.

1 Article de journal où l’on note naissances, mariages, et morts.


2 Mortes.
3 On est allé à la cérémonie pendant laquelle on met le mort en
terre.
4 Sa mort.
5 Triste !, regrettable !
6 Le corps était en bon état.
7 Le corps d’un mort.
Fiche 2 P. Modiano
(né en 1945)
L’auteur : Son enfance se passe loin de ses parents. Il
est très affecté par la mort de son frère de deux ans son
cadet. Inscrit à la Sorbonne, il ne fait pourtant pas
d’études et se consacre uniquement à son activité
d’écrivain. Il reçoit le prix Goncourt en 1978 pour Rue
des boutiques obscures. Son œuvre, très importante, est
marquée par le vide, l’absence. Dans un entretien au
journal Lire, en mai 1990, il s’explique ainsi : « Ma
recherche perpétuelle de quelque chose de perdu, la quête
d’un passé brouillé qu’on ne peut élucider, l’enfance
brusquement cassée, tout cela participe d’une même
névrose qui est devenue mon état d’esprit. ».

[La narratrice est une jeune fille. Elle raconte sa vie jusqu’à l’événement raconté
dans cet extrait. Elle a 18 ans. Elle n’a pas connu son père, résistant pendant la
guerre et aventurier, mort très vite. Il est devenu son héros. Sa mère ne s’est plus
occupée d’elle. Elle vit alors dans une école religieuse très stricte, et elle est
solitaire. Un jour, elle s’en échappe, trouve de petits emplois en espérant que la
vie va commencer. Mais les gens se servent d’elle. Enfin, elle est baby-sitter dans
une famille riche. Mais surprise ! Monsieur et un ami lui demandent un drôle de
baby-sitting…]

Je suis entrée dans la salle de bains avec mon sac de voyage.


J’ai fermé la porte et j’ai tourné l’un des robinets1 du lavabo.
J’ai laissé l’eau couler. Je me suis assise sur le bord de la
baignoire et j’ai fouillé2 dans mon sac. J’en ai sorti le revolver
et la petite boîte qui contenait les balles3 . J’ai chargé le revolver.
De toute façon, ce serait toujours les mêmes gestes. Les mêmes
saisons. Les mêmes lacs. Les mêmes cars du dimanche soir4 .
Lundi. Mardi. Vendredi. Janvier. Février. Mars. Mai. Septembre.
Les mêmes jours. Les mêmes gens. Aux mêmes heures.
Toujours cinq doigts, comme disait mon père.
Je suis entrée dans la chambre. Il m’attendait, assis dans le
fauteuil, près de la coiffeuse5 . Il a sursauté6 . Il a soulevé ses
paupières7 lourdes. Pour le tir8 , je devais avoir le même don que
mon père puisque j’ai tué Monsieur9 du premier coup.

Des Inconnues II © Gallimard, 1999.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Formes et valeurs du passé
composé.
• Valeurs des imparfaits.

Compréhension de l’écrit

1. De qui parle la narratrice ?


Elle parle d’elle, puis de Monsieur.

2. À quel temps fait-elle son récit ?


Au passé composé

3. Notez sur cet axe toutes les actions au


passé composé, dans l’ordre où vous les
rencontrez.
4. Que représentent toutes ces actions ?
Le déroulement chronologique des faits,
strictement.

5. Observez le texte J’ai chargé… mon père.


a. Quel est le mot qui est répété ?
« Même »
b. Quelle est la principale caractéristique de la
vie de la jeune fille, selon elle ?
L’immobilité, la répétition de l’attente
vaine.
c. S’il y avait un mot signifiant le lien entre ces
lignes et ce qui suit, quel serait-il ?
« C’est pourquoi », si l’on regarde ces
lignes ; « Donc », si l’on regarde la suite
du texte.
d. Que représente cette partie du texte par
rapport au reste ?
Ces lignes représentent l’explication des
faits.

6. Comment comprenez-vous « toujours cinq


doigts » ?
Il n’y a et il n’y aura jamais de
changement.

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE


Pour vous aider à
préparer un
commentaire littéraire

1. Développez le raisonnement de la jeune fille


pour tuer Monsieur.
Il est inutile d’attendre et d’espérer que la
vie va commencer.
Elle n’accepte plus d’être utilisée par les
autres.

2. Qu’en concluez-vous pour son état d’esprit


d’alors ?
Le désespoir, au sens propre.

3. Comment analysez-vous le fait qu’elle tue


Monsieur ?
Réponse libre.

4. Montre-t-elle de l’émotion ?
a. Quand elle agit ?
Non.
b. Quand elle raconte ce qui s’est passé ?
Non, elle donne la chronologie sèche.
c. Qu’en concluez-vous pour son état d’esprit au
moment où elle raconte cette histoire ?
Absence de regret et de remords.
Froideur qui contraste avec son ancienne
envie de vivre.

5. Si elle est désespérée, pourquoi parle-t-


elle ?
Forme ultime et limitée de vie ?
6. Quel est le rôle du destinataire de son récit,
en l’occurrence, vous, le lecteur ?
Réponse libre.

7. Comment comprenez-vous le titre de cette


histoire ?
Cette jeune fille aurait voulu se sentir
vivre, accéder à l’être ; mais elle raconte
une vie où tout le monde l’a ignorée ou
s’est servi d’elle (voir introduction au
texte). Elle est restée « une inconnue ».

Plan de leçon
1. Bilan sec d’une vie à peine commencée.
• la répétition : « Même ».
• la certitude que rien ne changera.
« Toujours cinq doigts ».
• Pas de pathos.
2. Ses conclusions
Meurtre de Monsieur.
• Elle tue ce qui la tue. Jusque là elle
ne s’est jamais franchement
révoltée quand on l’excluait,
l’humiliait, qu’on se servait d’elle.
Ce meurtre est pour elle un acte de
vie.
• Elle commet une violence qui casse
cette répétition insipide.
Elle renonce à l’attente de la vie, à
l’espoir.
• Ce meurtre est le dernier acte de vie,
mais comme c’est le dernier, c’est une
forme de mort, donc une sorte de suicide.
3. Le titre : un guide de lecture.
Une inconnue : c’est ce qu’elle a toujours
été, pour tout le monde.
4. Fonction du récit.
Elle est la narratrice de son histoire et
dire/écrire est un acte, ce qui lui reste
quand tout a échoué dans sa vie. C’est
une métaphore de la littérature « Une
littérature désespérée, c’est une
contradiction dans les termes » (Camus).

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Interaction orale pour la classe OU


production écrite :
Vous êtes le(s) lecteur(s) de ce récit, donc
le destinataire de cette histoire.
À votre avis, qu’est-ce que l’inconnue
attend de vous ?
✓ Interaction orale pour la classe OU
production écrite :
Vous êtes l’avocat de cette jeune fille. Elle
a tué un homme.
Que dites-vous aux jurés pour obtenir des
circonstances atténuantes ?
✓ Production écrite :
• « Toujours cinq doigts » disait le
père de cette jeune fille.
Partagez-vous cette vision de la
vie ?
• La jeune fille est condamnée à des
années de prison. Vous êtes
visiteur de prison.
Que lui dites-vous ? Que lui
proposez-vous ?

1 Ce qui permet de faire couler ou d’arrêter l’eau.


2 J’ai cherché avec insistance.
3 Ce que l’on met dans un révolver pour tuer.
4 Quand elle était pensionnaire, elle revenait toujours à la pension
en car le dimanche soir.
5 Petit meuble devant lequel les femmes se coiffent ou se
maquillent.
6 Petit mouvement du corps dû à la surprise.
7 Peau qui recouvre les yeux.
8 Action de se servir d’une arme à feu.
9 C’est ainsi que dans la bourgeoisie les domestiques désignent le
maître de maison.
Fiche 3 E. Ionesco
(1912-1994)
L’auteur : Voir la fiche 1.

[Dans une petite ville ordinaire, une étrange maladie se développe : de plus en
plus de gens se transforment en rhinocéros. Bérenger voit ses amis, ses collègues
et toutes les institutions de sa ville se métamorphoser. Il met un pansement sur
son front pour empêcher la corne de pousser. Enfermé chez lui, il est rejoint par
Daisy. Commence alors une vie de couple.]

Daisy
enlevant le pansement, malgré l’opposition de Bérenger
Toujours tes peurs, tes idées noires1 . Tu vois, il n’y a rien. Ton
front est lisse2 .
Bérenger, se tâtant3 le front
C’est vrai, tu me libères de mes complexes4 . (Daisy embrasse
Bérenger sur le front.) Que deviendrais-je sans toi ?
Daisy
Je ne te laisserai plus jamais seul.
Bérenger
Avec toi, je n’aurai plus d’angoisses5 .
Daisy
Je saurai les écarter.
Bérenger
Nous lirons des livres ensemble. Je deviendrai érudit6 .
Daisy
Et surtout, aux heures où il y a moins d’affluence, nous ferons de
longues promenades.
Bérenger
Oui, sur les bord de la Seine, au Luxembourg7 …
Daisy
Au jardin zoologique.
Bérenger
Je serai fort et courageux. Je te défendrai, moi aussi, contre tous
les méchants.
Daisy
Tu n’auras pas à me défendre, va8 . Nous ne voulons de mal9 à
personne. Personne ne nous veut du mal, chéri.
Bérenger
Parfois on fait du mal sans le vouloir. Ou bien on le laisse se
répandre10 .

Rhinocéros (Acte III) © Gallimard, 1959.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Futur simple : le temps des promesses,
le temps des projets.
• « Avoir à + infinitif ».
• « Que deviendrais-je sans toi ? » :
observation d’un conditionnel avec
hypothèse.

Compréhension de l’écrit
1. Réplique 2 S’agit-il d’une vraie question ?
Non ; question rhétorique.
2. Réplique 5 Que remplace le pronom « les » ?
tes angoisses.
3. Faites la liste des promesses de Daisy.
Je ne te laisserai jamais seul
Je saurai écarter tes angoisses.
Nous ferons de longues promenades.
4. Réplique 11 Rétablissez le lien logique dans la
dernière réplique de Daisy ?
Parce que, puisque.
5. Faites la liste des engagements de Bérenger.
Je n’aurai plus d’angoisses avec toi.
Nous lirons des livres ensemble.
Je deviendrai érudit.
Je serai fort et courageux.
Je te défendrai contre les méchants.
6. Réplique 12 Que remplace le pronom « le »
dans « sans le vouloir… » ?
Sans vouloir faire du mal.
7. Que remplace le pronom « le » dans « on le
laisse se répandre » ?
Le mal.
8. Quels sont les sujets abordés par les
personnages ?
La rhinocérite.
Les pouvoirs de l’amour.
9. Quel est le sujet principal ?
Les pouvoirs de l’amour.
10. Avec les renseignements que vous avez, que
pouvez-vous dire de cette maladie ?
Cette maladie fait que les hommes
perdent leur humanité.

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Les réactions face à la rhinocérite : Comment
réagit Bérenger ?
Il craint d’en être atteint.
Il sent sa responsabilité dans le
développement de l’épidémie.
2. Comment réagit Daisy ?
Elle n’a pas conscience de la gravité de la
maladie puisqu’elle propose des
promenades au jardin zoologique.
Elle ne se sent pas concernée.
3. Les pouvoirs de l’amour reçu et donné : Quels
sont-ils selon Bérenger ?
Il épanouit l’individu.
Il améliore l’individu.
4. Dans quel genre littéraire rencontre-t-on
souvent ce thème ?
Le conte.
5. Voyez-vous des différences entre Daisy et
Bérenger ?
Bérenger est inquiet, Daisy est légère,
insouciante.

Plan de leçon
1. La rhinocérite :
• Nature de la maladie : les êtres humains
perdent leur humanité. (C’est tout ce
qu’on peut dire selon ce texte).
• Bérenger est extrêmement inquiet : il
surveille son front, a donc peur d’en être
atteint, et il a conscience de sa
responsabilité « Parfois on le laisse se
répandre ». Il a conscience de la gravité
du mal.
• Daisy n’est pas inquiète. Elle se sent à
l’abri de la maladie, non concernée par
elle. Elle n’a pas conscience de la gravité
du mal puisqu’elle propose même des
promenades au jardin zoologique !
2. L’amour :
Ses pouvoirs
Il libère et il valorise l’image que l’on
a de soi.
Il grandit et améliore l’individu
Avec l’amour, un avenir radieux ?
Un thème de conte
Ici, thème réduit à sa caricature : les
promesses s’enfilent en quelques
répliques.
Une menace sur ces pouvoirs : le
décalage entre les deux personnages et la
légèreté de Daisy.
3. Forme théâtrale : les différents langages
théâtraux
Le texte (examiné au point précédent).
Le symbole visuel : le danger de
l’infection matérialisé par la crainte de voir
pousser une corne.
Le jeu des acteurs : scène d’amour
caricaturale : tout est dit en très peu de
phrases.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Production écrite :
Vous partez dans un pays étranger pour
étudier sa langue et vous promettez à vos
parents d’y avoir une vie d’étudiant
modèle.
✓ Interaction orale :
Jouer ce texte en valorisant l’inquiétude
de Bérenger et la légèreté de Daisy.

1 Pensées pessimistes, tristes.


2 Uni, égal.
3 Touchant son front.
4 Caractères personnels venant de l’enfance, d’une grande force
affective, généralement inconscients. (terme de psychanalyse)
5 Très grandes peurs.
6 Savant.
7 Ici, jardin public dans Paris.
8 Ici, Daisy utilise ce petit mot pour exprimer de la gentillesse. Il y a
ce genre de mot dans toutes les langues.
9 Souhaiter que du mal arrive à quelqu’un.
10 Développer.
Fiche 4 C. Honoré (né

en 1970)
L’auteur : Il a fait des études de lettres modernes et une
école de cinéma. Son activité s’exerce dans plusieurs
domaines : il est critique, scénariste, réalisateur et
écrivain. Dans ses œuvres pour la jeunesse, il traite
souvent des thèmes difficiles comme l’inceste, le suicide,
le mensonge des adultes, le SIDA (AIDS).

[Marcel est un garçon de 11 ans. Il a trois frères, Tristan, Pierrot et Léo, plus âgés
que lui. Voici l’événement qui va bouleverser sa vie et qu’on lui cache : Léo vient
d’annoncer à sa famille qu’il a le sida. On est en 1996]

Je redescendais faire le bisou1 du soir. Au milieu de l’escalier,


j’ai stoppé net2 , arrêté par un silence inhabituel. Sans faire de
bruit, je me suis faufilé3 dans la salle à manger. J’ai laissé la
lumière éteinte et me suis posté4 dans l’axe5 du passe-plat, un
peu en arrière pour rester dans le noir. De là, on voit toute la
cuisine. Et j’ai vu.
J’ai vu mon père et ma mère serrés l’un contre l’autre près de
l’évier6 et qui sanglotaient7 . Jamais je n’avais imaginé que mon
père avait des yeux qui pleuraient. J’ai vu adossés8 aux portes
du grand placard9 Tristan et Pierrot qui ne pleuraient pas.
Tristan ramenait ses cheveux en arrière, il se mordait10 la
bouche, enfonçait ses mains dans les poches de son jean. Pierrot,
lui, regardait maman et papa, ses yeux étaient mangés11 par la
peur, sa jambe gauche n’arrêtait pas de bouger.
Et j’ai vu Léo au milieu de la cuisine.
Il était encore assis à table, il avait le visage baissé et cet air
un peu absent qu’il traîne depuis quelque12 temps. Il jouait à
faire des boulettes de mie de pain13 .
Tristan lui a mis la main sur l’épaule et il a demandé.
— Depuis quand ?
— Trois ans, d’après ce qu’ils disent…

Tout contre Léo © L’école des Loisirs, 1996.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Formes et valeur du passé composé.
• Imparfait.
• Vocabulaire du corps.

Compréhension
de l’écrit
1. Qui fait le récit ?
Marcel.
2. À quel temps rapporte-t-il ce qui le concerne
pendant la scène qu’il raconte ?
Le passé composé.
3. §1 Pourquoi Marcel est-il étonné pendant la
scène racontée ?
Il est étonné à cause du silence inhabituel
de sa famille.
4. §1 Que décide-t-il de faire ?
Il se cache pour voir ce que cela veut
dire.
5. Quelle est l’importance des lieux de cette
scène ?
Marcel est caché ; les autres parlent.
Marcel apprend ce qu’on veut lui cacher.
6. Relevez le texte qui annonce que le récit est
celui d’un événement important pour Marcel.
§1 « j’ai vu », employé absolument.
7. Décrivez l’attitude de chaque membre de la
famille.
On relève le texte.
8. Qu’expriment ces attitudes ?
La peur et le chagrin.
9. Quel est le verbe qui, tout au long du récit,
exprime l’événement pour Marcel ?
J’ai vu.
10. En quoi la scène racontée est-elle un
événement pour Marcel ?
Il comprend que quelque chose de très
grave concerne Léo.
Il comprend que c’est un problème de
santé. Il comprend sans doute qu’il s’agit
du sida.
Il comprend qu’on veut le lui cacher.
Il découvre la vulnérabilité des adultes.

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE


Pour vous aider à
préparer un
commentaire littéraire
1. À quelles motivations correspond l’attitude
des adultes vis-à-vis de Marcel ?
Ils veulent cacher la nature de la maladie
et l’homosexualité qu’elle implique alors.
Le SIDA est alors mortel, Léo va mourir.
Ils veulent protéger Marcel de cette
réalité parce qu’il n’a que 11 ans.
2. Marcel correspond-il à l’idée qu’ils se font de
lui ?
Non, parce que Marcel comprend qu’on
veut lui cacher quelque chose, qu’on
l’exclut d’un drame familial.
Il est capable de mettre en place une
stratégie.
Il comprend de quoi il s’agit.
3. Quelle va être la conséquence de ce que vous
venez d’observer ?
Le monde des adultes condamne Marcel à
subir seul la violence de la nouvelle. Il
n’est pas préservé, au contraire.
4. À votre avis, la situation racontée dans cette
page est-elle encore possible aujourd’hui ?
Réponse libre.
5. Selon vous, comment choisir l’interprète de
ce texte si l’on décide de le mettre en scène ?
Réponse libre.
Plan de leçon
1. Un témoignage daté : le sida en 1996.
• Frappe des gens jeunes.
• Synonyme de mort inéluctable à court
terme.
• Effet dévastateur aussi sur les familles.
• Volonté de cacher liée à la façon dont
on considère l’homosexualité.
2. Les adultes et l’enfant.
• Image faussée de l’enfance.
Méconnaissance de ce qu’il est capable de
comprendre.
• Volonté de le préserver.
• Conséquence : Par leur mensonge, les
adultes lui imposent violence et solitude,
le contraire de ce qu’ils voulaient. L’enfant
n’est pas préservé.
3. L’enfant.
• Conscient de la motivation des réactions
des adultes.
• Comprend qu’ils veulent lui cacher
quelque chose, qu’ils lui mentent.
• Découvre leur vulnérabilité : le père
pleure.
• Capable d’une stratégie pour déjouer
celle des adultes : se cache pour
surprendre leur secret.
• Comprend de quoi il s’agit.
• Supporte la violence du choc.
• Conscient qu’il a vécu une scène-clé
dans sa propre construction.
Conclusions :
Il est beaucoup plus fort que les adultes.
Il apprend le monde des adultes par la
désillusion et la violence.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Interaction orale pour la classe OU


production écrite :
Était-ce une bonne chose de cacher la
vérité à Marcel ?
✓ Production écrite :
• Imaginez une suite.
• Marcel entre dans la cuisine et dit
qu’il a tout compris. Que se passe-
t-il ?
• Marcel va trouver Léo et lui dit qu’il
sait tout. Imaginez le dialogue
entre les deux frères.
✓ Jouer ce texte.
✓ Chercher des documents sur la
situation du SIDA en France dans les
années 90.

1 Mot familier pour dire « le baiser ».


2 Immédiatement.
3 Je me suis glissé rapidement.
4 Je me suis installé sans bouger.
5 Dans la direction.
6 Endroit dans la cuisine où l’on fait couler de l’eau pour laver la
vaisselle, les légumes…
7 Les parents pleuraient très fort.
8 Le dos contre la porte du placard.
9 Sorte d’armoire intégrée dans la cuisine.
10 On mord la nourriture avec les dents ; un chien méchant mord
les gens. Ici, Tristan serre ses lèvres avec les dents.
11 Les yeux de Pierrot expriment très fort, totalement la peur.
12 Depuis un certain temps.
13 La partie molle du pain.
Fiche 5 R. Dubillard
(né en 1923)
L’auteur : Il a fait des études de philosophie. Il a d’abord
été comédien. En 1953, à la demande de Jean Tardieu,
il écrit et joue tous les jours des sketches
radiophoniques burlesques, absurdes. Il les adapte pour
la scène sous le titre Diablogues en 1975. Il est
essentiellement dramaturge.

Deux : Je me demande à quel moment elles existent vos


prétendues1 gouttes

Un : Pas avant que je les fasse sortir.

Deux : Vous ?

Un : Moi. Du compte-gouttes.

Deux : Alors non seulement il est pas2 capable de les compter,


mais il est même pas capable de les faire tout seul ! C’est pas3
lui le compte-gouttes ! le compte-gouttes ? Le compte-gouttes
c’est vous !

Un : Un compte-gouttes c’est comme une trompette. Pour jouer


de la trompette, il faut une trompette et un trompette.

Deux : Une trompette et un trompette, ça fait deux trompettes.

Un : Non.

Deux : Non ! Alors si vous-mêmes ne savez pas compter ! Une


trompette et un trompette, ça fait quoi ?
Un : Ça fait de la musique.

Deux : De la musique… Eh bien je ne vous le fais pas dire. La


musique c’est comme les gouttes. On ne peut pas les compter.
Parce que ça existe juste4 au moment où ça sort de la trompette,
avant y en a pas5 , après y en a plus.

Le Compte-gouttes, in Les Diablogues6 © Gallimard, 1975.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Les genres en français. Leur existence,
leur importance.
• Les pronoms d’adresse. Ici, « Vous ».
• La ligne intonatoire de l’exclamation et de
l’interrogation, « C’est pas lui le
comptegouttes ! Le compte-gouttes ? Le
compte-gouttes, c’est vous ! ».

Compréhension de l’écrit
1. Comment s’appellent les personnages ?
UN, DEUX.
2. Quel est le sujet de leur conversation ?
Réplique 1 : « Je me demande à quel
moment elles existent vos prétendues
gouttes ».
3. Quelle est la réponse de UN ?
« Elles existent quand il les fait sortir du
compte-gouttes. Avant cela, elles
n’existent pas. »
4. Réplique 5 : Que représente le pronom « il » ?
Le compte-gouttes.
5. Qu’est-ce qu’un trompette ?
La personne qui joue de la trompette.
6. Réplique 7 : Pourquoi cette addition est-elle
impossible ?
Elle est impossible parce qu’on ne peut
pas additionner des choses de nature
différente.
7. Réplique 11 : Que représente le pronom
« les » ?
Les gouttes.
8. Réplique 11 : Que représente le mot « ça » ?
La musique.
9. À quoi sert le compte-gouttes dans ce
dialogue ?
C’est un moyen visuel, simple et amusant
pour expliquer.
10. Quel est le véritable sujet de ce dialogue ?
C’est la musique.

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Les personnages s’appelant UN et DEUX,
quelles possibilités a-t-on pour choisir les
acteurs qui joueront ce dialogue ?
On peut choisir des hommes et/ou des
femmes. L’âge et le physique sont sans
importance.
2. Ce texte a d’abord été un dialogue
radiophonique. Pour qu’il soit facile à
comprendre par les auditeurs, comment faut-il
choisir les voix des interprètes ?
Il faut pouvoir les identifier clairement
pour les distinguer.
3. Si l’on joue ce texte sur scène, quels moyens
autres que les voix peut-on utiliser ?
Des accessoires (utilisation d’instruments
de musique ou projection d’images), à
condition que leur utilisation ne soit pas
redondante avec le texte.
4. Mettez en parallèle les éléments de la
comparaison compte-gouttes/trompette.
Compte-gouttes + utilisateur /résultat :
gouttes.
Trompette+ instrumentiste /résultat :
musique.
5. Le texte dit que la musique existe seulement
pendant qu’elle sonne dans l’air. De quel autre
art peut-on dire la même chose ?
Le théâtre, le cirque, l’opéra… Tout ce qui
s’appelle « spectacle vivant. »
6. Ce texte est extrait de Diablogues (voir la
note 6). En quoi cet extrait mérite-t-il ce titre ?
Dialogue : C’est un dialogue.
Diable : Le raisonnement utilise un moyen
facétieux, fantaisiste, le compte-gouttes.

Plan de leçon
1. Statut des personnages :
• Pas de nom, pas de sexe déterminé, pas
d’histoire.
• Ne sont que des supports pour le dialogue
dans lequel les rôles sont répartis.
• Conséquence : peuvent être interprétés
par des hommes et/ou des femmes, l’âge
et le physique n’ont pas d’importance.
Seule condition : que l’oreille de l’auditeur
puisse les identifier facilement pour que le
dialogue soit intelligible.
2. Un dialogue radiophonique :
• L’auteur a voulu que son texte sonne
dans l’air, comme la musique.
• Pour la musique : partition,
instrumentiste, musique qui sonne dans
l’air.
• Pour le dialogue : Le texte écrit
représente la partition, les acteurs sont
les instruments, la musique, c’est ce
qu’entendent les auditeurs.
• Même constat pour les spectacles vivants.
Exemple du théâtre : texte écrit, acteurs,
représentation. Avant la représentation,
ce n’est pas du théâtre, après la
représentation, il n’y a plus de théâtre.
3. Une fantaisie pédagogique :
• Le vrai sujet : Quand y a-t-il de la
musique ?
• Le compte-gouttes : un moyen
pédagogique amusant de conduire un
raisonnement par comparaison. C’est là
que réside la fantaisie.
• Le dialogue : un moyen de conduire un
raisonnement entre celui qui sait, qui
explique et celui qui ne sait pas, puis
comprend.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Interaction orale : Jouer ce texte


• Jouer ce texte en utilisant
uniquement les voix.
• Quels moyens supplémentaires
peut-on utiliser pour jouer ce texte
sur scène ?
• Les accessoires. À quelle
condition sont-ils valables ? (ne pas
être redondants avec le texte.)
• Jouer ce texte sur scène en
mettant en œuvre des moyens
supplémentaires.
✓ Interaction orale pour la classe :
• Retrouver l’origine des mots-valises
suivants : motel, franglais,
informatique.
• Travail sur les lignes intonatoires
de l’exclamation et de
l’interrogation à partir du même
texte : Tu viens/ Tu es là/Vous
sortez/Tu dors/Tu te moques
de moi.

1 Supposées. Ce terme fait référence au début de la conversation.


Ne pas s’en préoccuper ici.
2 Forme orale = il n’est pas…
3 Forme orale = ce n’est pas…
4 Seulement, précisément.
5 Forme orale = il n’y en a pas.
6 Mot valise (ou acronyme) : mot formé de syllabes de différents
mots, ici « diable » et « dialogue ».
Fiche 6 R. Grenier (né

en 1919)
L’auteur : Il fait des études de lettres, participe à la
Résistance, et entre au journal Combat du temps de
Camus et Pascal Pia dont il restera un ami proche. À
partir de ce moment, il poursuit une carrière de
journaliste (jusqu’en 1960), d’éditeur et d’écrivain,
publiant des romans, des nouvelles, des essais, des
scenarii pour la télévision. Son œuvre, couronnée de
prix prestigieux, est traduite dans de nombreuses
langues.

Le café devant la gare de Cornavin


Un café, l’après-midi, à Genève, en face de la gare de Cornavin. La salle
est à peu près1 déserte. Un homme et une femme se sont pourtant installés à
deux tables qui se touchent presque, comme s’ils avaient peur du vide. Ils
sont assis sur la même banquette2 . L’un et l’autre ont dans la trentaine.
L’homme est brun, avec une tête d’employé de bureau. La femme est plutôt
insignifiante3 : cheveux châtains4 frisottés5 , maigrichonne6 . Elle n’a pas
enlevé son imperméable et l’a seulement entrouvert sur une robe verte à
parements7 rouges. Elle boit du thé. Lui vient de finir une bière.
On a beau être en Suisse8 , l’homme semble ne pas avoir de montre, car il
demande à sa voisine :
« Pardon, Madame. Vous avez l’heure ?
–– Cinq heures moins dix. Vous n’avez pas vu la pendule, au-dessus de la
caisse ?
–– Oh, excusez-moi. Je suis distrait de nature. »
Il soupire9 : « Encore une heure, avant mon train.
–– Vous n’êtes pas de Genève ?
–– Si, mais je dois aller à La Chaux-de-Fonds. »
Il ajoute :
« Pour affaires. »
Elle répond par un « ah » qui exprime à la fois la satisfaction d’en savoir
un peu plus sur son voisin, et l’admiration pour quelqu’un qui est dans les
affaires.
« Vous voyagez beaucoup ?
–– Suffisamment.
–– Je suis de Genève, moi aussi.
–– Vous n’attendez pas un train ?
–– Non. En sortant du travail, j’étais fatiguée et j’ai eu envie de boire un
thé.
–– Toute seule ?
–– Oui. J’aime la solitude.
–– Moi aussi, j’aime la solitude.
L’éloge10 de la solitude dure quelques minutes. Excellent thème pour deux
esseulés11 qui cherchent justement à entrer en relation avec un semblable.
« Vous travaillez dans le quartier ?
–– Non.
–– Alors, vous y habitez ?
–– C’est presque sur mon chemin. Mais je ne peux pas dire que j’y habite.
Simplement, j’aime bien cette place de la gare. C’est vivant, avec tous ces
voyageurs qui partent et qui arrivent. »
Malgré cette affirmation, la salle du café est toujours aussi déserte.
« Vous avez raison. On est bien, ici.
–– C’est curieux12 , aujourd’hui, il n’y a pas grand monde.
–– C’est plus intime13 .
–– Intime, oui, vous avez trouvé le mot juste.
Inutile de rapporter le reste de la conversation qui se poursuit jusqu’à
l’heure du train de l’homme.
« Je vais être obligé de vous dire au revoir.
–– Oui, c’est l’heure pour vous.
–– Je voudrais vous demander quelque chose.
–– Oui. Volontiers.
–– Est-ce que je pourrai vous téléphoner ? Vous voulez bien me donner
votre numéro de téléphone ?
–– C’est que je n’ai pas le téléphone.
–– Quel malheur !
–– Mais, si vous me donnez votre numéro à vous, moi je vous téléphonerai.
–– Moi non plus, je n’ai pas le téléphone.
–– Alors…
–– Oui. Alors…
–– C’est dommage.
–– Oui, c’est dommage. »
Il se lève, serre la main de la jeune femme, répète : « C’est dommage. » Il
ramasse son sac de voyage, sort du café et traverse la place pour rejoindre la
gare.
Elle est restée assise. Elle rêve. Le thé est froid.

In Une Nouvelle pour vous © Gallimard, 2003.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Les formules de politesse « Je voudrais
vous demander quelque chose ».
• La formule : « C’est que je n’ai pas de
téléphone ».
• La forme orale de l’interrogation.

Compréhension de l’écrit
Début... sa voisine
1. Qui sont les personnages de l’histoire
racontée ?
Un homme et une femme. On ne connaît
pas leur identité.
2. Où sont-ils ?
Au café.
Assis sur une même banquette.
À deux tables différentes.
3. Qui raconte l’histoire ?
L’auteur est le narrateur.
4. Les connaît-il ?
Non, il se place dans une position où il
voit et entend, témoin invisible.
5. Observez le portrait de l’homme. Observez le
portrait de la femme. Quelle conclusion en
tirez-vous ?
Des gens ordinaires.
Assez semblables.

Pardon, Madame… c’est dommage

OBSERVEZ LE DIALOGUE.
4. Quelles informations l’homme donne-t-il sur
lui-même ?
Habite Genève.
Attend un train.
Est dans les affaires.
Aime la solitude, mais vit un moment
agréable.
Conclusion : Rien de franchement personnel.
5. Quelles informations la femme donne-t-elle
sur elle-même ?
Est de Genève.
Ne travaille pas dans le quartier de la
gare.
Aime la solitude, mais vit un moment
agréable.
Conclusion : Rien de franchement personnel.
6. Quels sont leurs points communs ?
Sont seuls.
Aiment la solitude, mais l’ont pourtant
rompue.

OBSERVEZ LES COMMENTAIRES DU


NARRATEUR
7. Quelle analyse fait-il de ce dialogue ?
Il analyse les réactions de la femme.
Il analyse la situation du couple : éloge de
la solitude.

Il se lève… fin

OBSERVEZ LE DIALOGUE
8. L’homme et la femme souhaitent-ils se
revoir ?
Tentative pour poursuivre le rencontre.
Tentative avortée
8 Manque de moyen ? NON.
8 Manque d’audace ? OUI.
8 Manque d’envie ? PEUT-ÊTRE.
8 Jugement commun : C’est
dommage !
OBSERVEZ LES COMMENTAIRES DU
NARRATEUR
9. Pourquoi est-il inutile de rapporter la
conversation ?
Parce qu’elle est banale, conventionnelle.
10. Quelle est son analyse du comportement
final de la femme ?
Qu’y a-t-il pour lui derrière le récit des faits
observés ?
« Elle rêve… Le thé est froid » : en
d’autres termes, boire du thé n’était pas
l’essentiel. Quel rêve peut-elle bien faire
après cette rencontre sans suite ?
11. Que s’est-il passé dans le texte ?
L’auteur narrateur raconte et commente
une scène comportant :
Une conversation de bistrot entre un
homme et une femme,
Une tentative pour nouer une relation,
L’abandon de cette tentative.

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Comment comprenez-vous que l’homme et la
femme ne trouvent pas le moyen de vaincre
l’obstacle du téléphone ?
Ils sont seulement tentés de poursuivre la
rencontre.
2. Ce qui se passe entre l’homme et la femme
est-il un événement ?
Non, c’est un non événement.
3. Cela peut-il s’appeler « un fait divers » ?
Non.
4. Qu’est-ce qui en fait une nouvelle ?
C’est l’interprétation du narrateur : il
donne sa vision de la vie.
5. Qui est le personnage principal de cette
nouvelle ?
Le narrateur.

Plan de leçon
1. Une scène banale
• L’homme et la femme : banals.
« Monsieur et Madame Tout le monde ».
• Une conversation de bistrot typique :
conventionnelle. L’homme et la femme
échangent des banalités, des lieux
communs, et donnent très peu
d’informations personnelles. Le langage
est utilisé dans sa fonction de contact.
• Scène objectivement banale et muette sur
ses protagonistes : on ne peut rien tirer
des informations, ni de la conversation
des personnages sur ce qu’ils pensent ou
veulent.
• Une rencontre anodine et sans suite. C’est
le degré zéro du spectaculaire, c’est une
sorte de non événement.
• Pourtant ce non événement est au cœur
de la nouvelle. Pourquoi ?
2. Le narrateur
Personnage central : C’est l’œil du narrateur qui
interprète la scène.
Sa vision :
• La solitude des êtres : un fait général, une
donnée fondamentale de la vie.
• Une réalité difficile à supporter.
• Le désir de la rompre : conversation
nouée, demande de poursuite par le
téléphone.
• Mais le rêve de vie est plus sûr que la
vie : la rencontre tourne court parce que
les protagonistes ne la veulent pas
vraiment. Ils sont tentés seulement et se
protègent des désillusions.
Une vision pessimiste de la vie exprimée avec
discrétion.
• Les personnages se protègent de la
souffrance possible ; ils n’expriment pas
de grandes douleurs et restent dans le
cadre d’une sociabilité sans risques. Ils
illustrent l’idée qu’à vivre peu, on souffre
peu.
• Un message à lire entre les lignes.
3. Une nouvelle
Conforme à la définition « Récit généralement
bref, de construction dramatique et présentant
des personnages peu nombreux et dont la
psychologie n’est guère étudiée que dans la
mesure où ils réagissent à l’événement qui fait
le centre du récit. »
À cela il faut ajouter que l’histoire racontée vaut
pour la valeur que l’auteur lui fait porter. Un fait
divers, par exemple, atteint une portée
générale dans la nouvelle.
Il s’agit bien d’un récit bref, de construction
dramatique : rencontre d’un homme et d’une
femme seuls, conversation pour briser la
solitude, tentative pour poursuivre la rencontre,
son échec voulu, séparation, rêverie de la
femme.
Mais les protagonistes sont si banals, leur
conversation si stéréotypée, la rencontre ne
débouchant que sur sa fin, que ce texte est le
récit d’un non événement. C’est un récit en
creux. Le texte vaut pour la vision de l’auteur
qui donne une autre dimension à cette scène
en creux.
Des lieux symboliques :
• Le café, lieu des rencontres de hasard,
ouvert sur tous les possibles.
• La gare : trains en partance vers un
ailleurs, vers du nouveau.
Fin ouverte ou fermée ?
• Les personnages ne se reverront pas :
leur rencontre est terminée. Il s’agit
donc d’une fin fermée.
• Mais l’auteur voit la femme rêver. On
n’en sait pas plus. Cela crée une
ouverture sur le contenu de la rêverie
et peut-être des développements
nouveaux dans la vie de cette femme.
III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Production écrite :
• Vous êtes témoin de la même
scène. Imaginez ce qui se passe
dans l’esprit des deux
protagonistes.
• Imaginez que cette fin n’est pas
fermée. Racontez.
✓ Interaction orale pour la classe :
• Reprenez le dialogue des deux
personnages.
• Déterminez des couples et jouez ce
dialogue.

1 Il n’y a presque personne.


2 Ici, dans le café, siège à plusieurs places.
3 On ne la remarque pas.
4 D’une couleur brun clair.
5 Ses cheveux sont frisés serré.
6 Elle est un peu trop mince, presque maigre.
7 Garnitures.
8 On est en Suisse, pays de l’horlogerie, et pourtant…
9 Il expire d’une façon qui exprime l’émotion.
10 Discours où l’on dit le bien que l’on pense de quelqu’un ou de
quelque chose.
11 Laissés seuls, sans compagnie.
12 Ici, étonnant, bizarre.
13 Ici, endroit agréable où l’on se sent un peu comme chez soi.
Fiche 7 J.-M. G. Le
Clézio (né en 1940)
L’auteur : Ses deux parents sont originaires de l’Ile
Maurice. Il écrit son premier texte à 8 ans au cours d’un
voyage où il part rejoindre son père, médecin au
Nigéria. Il fait des études de lettres en Angleterre et en
France. Il voyage beaucoup, s’attache au Mexique et à
des Indiens dont il devient spécialiste. Son œuvre est
d’abord marquée par la colère et la révolte devant le
monde moderne. Tout en continuant à contester la
civilisation industrielle occidentale, à exalter le vie
simple et pure qu’il voit dans un temps primitif, il
trouve ensuite une forme d’apaisement. Son œuvre
comprend des romans, des nouvelles (dont certaines
s’adressent à la jeunesse), des essais. Elle est couronnée
de nombreuses récompenses, dont le prix Nobel en
2008.

[De jeunes garçons se trouvent dans un pensionnat. La vie y est ennuyeuse. L’un
d’eux s’appelle Daniel. C’est un solitaire, passionné par les aventures de Sindbad
le Marin. Il rêve de la mer, qu’il n’a jamais vue. Un matin, ses camarades
découvrent qu’il est parti. La police, tous les adultes le recherchent, mais on ne le
retrouvera jamais. Alors…]

Ils1 ont dit qu’il y avait comme cela, chaque année, des
dizaines de milliers de personnes qui disparaissaient sans laisser
de traces, et qu’on ne retrouvait jamais. Les professeurs et les
surveillants répétaient cette petite phrase, en haussant les
épaules2 , comme si c’était la chose la plus banale du monde,
mais nous, quand on l’a entendue, cela nous a fait rêver, cela a
commencé au fond de nous-mêmes un rêve secret et envoûtant3
qui n’est pas encore terminé.

Quand Daniel est arrivé, c’était sûrement la nuit, à bord d’un


long train de marchandises qui avait roulé nuit et jour pendant
longtemps. Les trains de marchandises circulent surtout la nuit,
parce qu’ils sont très longs et qu’ils vont très lentement, d’un
nœud ferroviaire4 à l’autre. Daniel était couché sur le plancher
dur, enroulé dans un vieux morceau de toile à sac. Il regardait à
travers la porte à claire-voie5 , tandis que le train ralentissait et
s’arrêtait en grinçant6 le long des docks. Daniel avait ouvert la
porte, il avait sauté sur la voie, et il avait couru le long du talus7 ,
jusqu’à ce qu’il trouve un passage. Il n’avait pas de bagages,
juste8 un sac de plage bleu marine qu’il portait toujours avec lui,
et dans lequel il avait mis son vieux livre rouge9 .

Celui qui n’avait jamais vu la mer in Mondo et autres histoires © Gallimard,


1978.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Imparfait.
• Passé composé.
• Les faux-amis : « sûrement », « Comme
si c’était… ».
• Structure à observer : « jusqu’à ce que +
subjonctif ».
Compréhension de l’écrit

§1
Daniel a disparu. Les adultes disent qu’on ne le
retrouvera sans doute pas.
1. Que représente le pronom « nous » ?
Les camarades de Daniel.
2. Qui parle ?
Un des camarades de Daniel qui est en
quelque sorte leur porte-parole.
3. Quel est le mot qui vous indique la réaction
des camarades de Daniel ?
« Rêve ».

§2
4. Arrêtez-vous sur le mot « sûrement ». Les
enfants ont-ils la certitude absolue de ce qu’ils
disent ?
Non.
5. Trouvez un synonyme pour « sûrement »
dans le texte.
Probablement, vraisemblablement
6. Quelles sont les conditions de voyage
supposées par les enfants ?
Train de marchandises.
Daniel est couché sur le plancher.
Sa couverture : un morceau de toile à
sac.
Absence de bagages liés au passé.
7. Comment appelle-t-on quelqu’un qui voyage
comme Daniel ?
Un passager clandestin.
8. Quelles sont les caractéristiques de ces
conditions de voyage ?
Danger.
Inconfort.
Abandon de tout son passé. Daniel est
prêt pour du nouveau.
9. Que représente ce paragraphe par rapport à
ce que vous avez appris au premier ?
C’est le début du rêve des camarades de
Daniel.
10. Quel est le personnage principal de cette
histoire, Daniel ou ses camarades ?
« Nous », c’est-à-dire l’ensemble des
camarades de Daniel puisque c’est leur
rêve qui constitue l’histoire racontée.

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Que pense Le Clézio du monde des adultes ?
Monde morne, ennuyeux, fermé,
acceptant la disparition d’enfants.
2. Que pense Le Clézio du monde des enfants ?
Monde épris de nature, d’aventure, de
vie, d’espace, ouvert sur le rêve.
3. Comment appelle t-on ce genre de récit
inventé par les camarades de Daniel ?
Un récit d’aventures.
4. Avez-vous déjà lu des récits de voyage qui
ressemblent à celui que Le Clézio vous donne
ici ?
Réponse libre.

Plan de leçon
1. Point de vue de Le Clézio : deux mondes
opposés
Le monde des adultes
• Morne, ennuyeux, enfermé.
• Monde à la sensibilité appauvrie :
les adultes sont résignés à la
disparition d’êtres humains ; ils
sont prêts à oublier Daniel.
Le monde des enfants
• Ils sont épris de nature, d’espace,
de liberté.
• Prisonniers dans la pension, ils
s’évadent et vivent par le rêve,
l’imagination.
• Ils ont besoin de croire Daniel
vivant et sont solidaires avec lui.
2. Daniel, héros d’un récit d’aventures aux
ingrédients traditionnels :
Lieu clos initial : le pensionnat, symbole
de la société dont il est l’émanation.
Évasion
Clandestinité
Rudesse des conditions de l’évasion.
Rupture totale avec le passé : Daniel
n’emporte que son livre.
Un rêve, une obsession : voir la mer.
Goût de l’aventure.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Production écrite :
Les enfants ont commencé un rêve.
Ecrivez une suite.
Daniel est ramené au pensionnat par
les gendarmes quatre jours après son
évasion. Il raconte à ses camarades ce
qui s’est passé.
Y a-t-il un livre qui vous ait
particulièrement inspiré(e) ?

Les propositions suivantes peuvent donner lieu


à des activités de production écrite et/ou de
production orale :
1. Autour du point de vue de Le Clézio sur les
deux mondes :
• Partagez-vous ce point de vue radical sur
le monde des adultes et sur celui de
l’enfance ?
• Les adultes que vous connaissez auraient-
ils oublié Daniel ?
• Les adultes que vous connaissez ont-ils
totalement oublié l’enfance en eux ?
• Selon vous, qu’est-ce qu’être adulte ?
• Dans votre culture, comment considère-t-
on les adultes ?
2. Autour du thème de l’imagination, du rêve :
Dans la nouvelle de Le Clézio, les enfants
s’évadent par l’imagination. A-t-elle
d’autres rôles ?
3. Autour du thème de l’aventure :
• Comment définissez-vous l’aventure ?
• On dit beaucoup que l’aventure n’est plus
possible dans le monde d’aujourd’hui.
Qu’en pensez-vous ?

1 Les policiers.
2 En levant les épaules (geste que l’on fait pour montrer son
indifférence).
3 C’est un rêve qui séduit, qui captive très fort.
4 Endroit où plusieurs lignes de chemin de fer se croisent.
5 La porte n’est pas pleine, elle laisse passer la lumière.
6 En produisant un son aigu par le freinage.
7 Terrain en pente le long de la voie ferrée.
8 Seulement.
9 Sindbad le Marin (fait partie des Mille et Une Nuits). Titre réel : Les
Voyages de Sindibad le marin. Sindibad, riche marchand, raconte ses
aventures. Toujours dangereuses, elles se terminent toujours bien.
Ce récit appartient au genre merveilleux.
Fiche 8 J. Anouilh
(1910-1987)
L’auteur : Après des études de droit, il entre dans la
publicité, fait la connaissance de Prévert. En 1928, il
connaît une véritable révélation en assistant à une
représentation de Siegfried de Giraudoux. Il écrit des
pièces de théâtre qui portent une vision pessimiste de la
vie. Pendant la guerre, il adapte des pièces grecques,
connaît le succès et la polémique avec Antigone (jouée
en 1944). Il soutient Ionesco, Beckett, Dubillard. Son
œuvre se répartit en Pièces Noires, Roses, Grises,
Grinçantes, Secrètes, Farceuses, selon leur degré de
pessimisme. Toutes parlent de la nostalgie d’un monde
perdu, pur, idéal opposé au monde réel marqué par la
compromission.

[Après la mort d’Œdipe, ses deux fils, Etéocle et Polynice se sont entretués. Pour
mettre fin aux désordres du pays, Créon, le roi, a ordonné que le cadavre de
Polynice, le mauvais fils, pourrisse sur le sol, et que celui qui oserait lui rendre les
devoirs funèbres soit puni de mort. Antigone, elle, veut enterrer son frère. Elle
transgresse donc l’ordre et se fait prendre. Créon, son oncle, essaie de la sauver,
mais elle refuse. Il doit donc appliquer sa loi et la faire mourir. C’est alors
qu’Hémon, son fils et fiancé d’Antigone, surgit devant lui.]

Créon
…Chacun de nous a un jour, plus ou moins triste, plus ou moins
lointain, où il doit enfin accepter d’être un homme. Pour toi, c’est
aujourd’hui… Et te voilà devant moi avec ces larmes au bord de
tes yeux et ton cœur qui te fait mal — mon petit garçon pour la
dernière fois… Quand tu te seras détourné1 , quand tu auras
franchi ce seuil2 , tout à l’heure, ce sera fini.
Hémon, recule un peu et dit doucement.
C’est déjà fini.
Créon
Ne me juge pas, Hémon. Ne me juge pas, toi aussi.
Hémon, le regarde et dit soudain Cette grande force et ce
courage, ce dieu géant qui m’enlevait dans ses bras et me sauvait
des monstres et des ombres, c’était toi ? Cette odeur défendue et
ce bon pain du soir sous la lampe, quand tu me montrais des
livres dans ton bureau, c’était toi, tu crois ?
Créon, humblement3 .
Oui, Hémon.
Hémon Tous ces soins, tout cet orgueil4 , tous ces livres pleins de
héros, c’était donc pour en arriver là ?
Être un homme, comme tu dis, et trop heureux de vivre ?
Créon Oui, Hémon.
Hémon, crie soudain comme un enfant se jetant dans ses bras.
Père, ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas toi, ce n’est pas aujourd’hui !
Nous ne sommes pas tous les deux au pied de ce mur5 où il faut
seulement dire oui. Tu es encore puissant, toi, comme lorsque
j’étais petit. Ah ! Je t’en supplie, père, que je t’admire6 , que je
t’admire encore ! Le monde est trop nu si je ne peux plus
t’admirer.
Créon, le détache de lui.
On est tout seul, Hémon. Le monde est nu. Et tu m’as admiré trop
longtemps. Regarde-moi, c’est cela devenir un homme, voir le
visage de son père en face, un jour.

Antigone © Éditions de la Table Ronde, 1946.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Relatif « où », temps et lieu : « le
jour où… » ET « ce mur où… ».
• Expression de l’ordre/exhortation à
la première personne : « Que je
t’admire ! ».
• C’est/Ce n’est pas.

Compréhension de l’écrit
1. Réplique 1 : « accepter d’être un homme ».
Quel sens donnez-vous à « homme » ?
Un adulte.
2. Réplique 1 : Selon Créon, comment vit-on ce
passage de l’enfance à l’âge adulte ?
On le vit douloureusement.
3. Réplique 3 : Quel jugement Créon craint-il ?
(Utilisez les informations dont vous disposez)
Créon n’a plus le choix : il doit appliquer
la loi et faire mourir Antigone. Il craint le
jugement de son fils pour cela.
4. Réplique 4 : Quelle image Hémon enfant a-t-il
de son père ?
Hémon a l’image d’un homme tout-
puissant et bon.
5. Réplique 8 : Pourquoi Hémon ne pourrait-il
plus admirer son père ?
Il vient de découvrir que son père a des
limites, qu’il n’est pas un héros tout-
puissant, qu’il est contraint à un acte
cruel.
6. Réplique 9 : « Voir le visage de son père en
face ». Que signifie ici « voir en face » ?
Il s’agit de voir vraiment ce qui existe, et
non d’avoir une vision déformée.

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Quelle est la vision de l’enfance traduite dans
cet extrait ?
Monde protégé, vision fausse parce que
trop belle de la vie, paradis à perdre.
2. Quelle est la vision de l’âge adulte traduite
dans cet extrait ?
Le réel est laid.
La solitude est inévitable.
On entre nécessairement dans le monde
de la compromission. « Vivre avilit ».
3. Comment est présenté le passage de
l’enfance à l’âge adulte ?
C’est un passage douloureux, un
renoncement à la beauté, à la pureté.
C’est un moment inévitable.
4. Quelle vision de la vie le père donne t-il à son
fils ?
C’est une vision pessimiste : ou on
accepte le sacrifice de tout ce à quoi on a
cru, ou on renonce à vivre.
5. Hémon conteste t-il cette vision ?
Non.
6. Quels sont les enjeux de cette scène ?
Pour Hémon, au début, la vie ou la mort
d’Antigone ; mais il comprend que c’est
joué, Antigone va mourir.
À la fin, la question qui se pose à Hémon
est de savoir s’il va faire comme son père
et accepter de basculer dans l’âge adulte,
ou refuser et donc se suicider.

Plan de leçon
1. Une vision du monde
Donnée par deux moyens :
• Le discours du père à son fils.
• Les réactions du fils.
Quelle vision :
• L’enfance : monde protégé, factice,
un paradis à perdre.
• La vie adulte : plongée nécessaire
dans le réel. Il faut renoncer à tous
les mythes de l’enfance, à toutes
les constructions de l’esprit d’un
enfant.
• Le réel est laid.
• Les hommes ne sont pas des
héros, au contraire. Hémon
découvre l’impuissance et les
limites de son père.
• « Vivre avilit ».
• Solitude inhérente à la condition
humaine.
2. Une scène-clé
Elle dit et montre l’intensité de la douleur
du passage :
• Rôle de Créon :
• Il expose sa vision de la vie et
exhorte son fils à basculer dans
l’âge adulte. 2ème naissance,
naissance à la douleur de vivre.
• Un moment difficile : il montre ses
limites.
• Rôle de Hémon :
• Il prend conscience de ce passage
dans la douleur et la stupeur.
Un tournant dramatique :
• Enjeu immédiat de cette
discussion ? La vie d’Antigone.
Hémon ne la sauvera pas ; on le
sait en écoutant Créon.
• Enjeu concernant Hémon : Les
deux personnages sont d’accord
sur la vision de la vie. Créon a
accepté de basculer dans l’âge
adulte, mais que va faire Hémon ?
3. Forme théâtrale
• Importance capitale du langage.
Son efficacité.
• Importance du jeu : il faut montrer
les émotions : le désespoir froid du
père et la douleur du fils, qui perd
Antigone et plus encore.
III. ACTIVITÉS
COMPLÉMENTAIRES
✓ Interaction orale pour la classe OU
production écrite
• Imaginez la suite : Que va faire
Hémon ?
• Vous êtes Hémon et vous vous
révoltez. Racontez.
• Partagez-vous cette vision de la
vie ?
✓ Interaction orale : jouer la scène
Opposition entre le désespoir froid
du père et la violence du chagrin du
fils.

1 Quand tu te seras retourné pour partir.


2 Quand tu auras passé l’entrée de cette pièce où nous sommes.
3 Avec une grande simplicité, sans esprit de supériorité.
4 Sentiment très fort de dignité, de fierté.
5 Image pour dire qu’ils sont devant une difficulté qu’ils doivent
surmonter.
6 Forme d’impératif : Hémon se donne à lui-même la volonté
d’admirer encore son père.
Fiche 9 J.
D’Ormesson (né en 1925)
L’auteur : Ce fils d’ambassadeur a fait de brillantes
études de lettres, d’histoire, de philosophie. Il a une
carrière de haut fonctionnaire, d’éditorialiste, de
journaliste et d’écrivain. Son œuvre comporte souvent
une dimension autobiographique. Il a été élu à
l’Académie Française en 1972. Le conte L’Enfant qui
attendait un train, écrit en 1979, a été publié en 2009.

[Un petit garçon de six ans environ vit dans un endroit très isolé avec ses
parents. Il est passionné par le train de luxe qui passe tous les jours devant sa
maison. Il tombe gravement malade ; on croit qu’il va mourir. Le médecin a de
l’amitié pour lui.]

En sortant de la chambre, le soir après sa troisième visite,


dans la nuit qui commençait à tomber, le médecin se retourna1
encore une fois pour regarder le petit garçon qui était devenu son
ami. Il se disait qu’avec beaucoup d’argent, peut-être, on aurait
pu le sauver. On l’aurait emmené en voiture à cheval, enveloppé
dans une couverture, jusqu’à la ferme d’où le camion l’aurait
transporté vers la ville. Là, il aurait pris le train ou le car, et puis
on l’aurait envoyé très loin, par-delà2 l’océan, en Amérique où
des revues de médecine assuraient qu’il y avait des professeurs
et des laboratoires capables de donner au petit garçon ce qu’il y
avait de plus précieux au monde : encore un peu de temps avant
de mourir pour toujours. Et le vieux médecin de campagne se
disait qu’il n’avait peut-être pas tout essayé et qu’il avait, par
paresse3 , par ignorance ou par lâcheté4 , une part dans le
chagrin5 de cet homme et de cette femme qui avaient déjà passé
six mois à pleurer.

L’Enfant qui attendait un train. © Héloïse d’Ormesson, 2009.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Conditionnel, mode de l’imaginaire.
• « Avec beaucoup d’argent, on aurait pu le
sauver » → Si l’on avait eu plus d’argent…
(Si + plus-que-parfait) + conditionnel
passé.
• Relatives déterminatives.

Compréhension de l’écrit

Début… on aurait pu le sauver


1. Où se déroule ce moment du récit ?
Chez le petit garçon malade.
2. Il se disait : Que remplace le pronom « Il » ?
Le médecin.
3. on aurait pu le sauver : Que remplace le pronom
« le » ?
Le petit garçon.

On l’aurait emmené… en Amérique


4. Quel déplacement le médecin imagine-t-il ?
On l’aurait emmené à cheval jusqu’à la
ferme.
D’où le camion l’aurait transporté vers la
ville.
Là, il aurait pris le train ou le car.
Et puis on l’aurait envoyé en Amérique.
5. Pourquoi ce que le médecin imagine est-il
impossible ?
Il faut beaucoup d’argent et la famille du
petit garçon n’en a pas.

où des revues de médecine… de mourir pour


toujours
5. Quel espoir représente l’Amérique ?
L’espoir de soigner l’enfant pour qu’il ne
meure pas trop vite, avant d’avoir vécu.
6. Jusque là, vis-à-vis de qui le médecin sent-il
sa responsabilité engagée ?
Vis-à-vis de l’enfant malade.

Et le vieux médecin… fin


7. Quels reproches le médecin se fait-il ?
Paresse, ignorance, lâcheté.
8. Quelles autres responsabilités sont
évoquées ?
Vis-à-vis des parents de l’enfant.
Vis-à-vis de son métier de médecin.
9. Faites le point sur la situation réelle.
Elle semble sans remède, fermée :
l’enfant ne peut pas échapper à la mort.
10. Relevez dans ces lignes ce qui peut pourtant
représenter une ouverture.
Le vieux médecin de campagne se disait
qu’il n’avait peut-être pas tout essayé.

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Quels sont les ressorts qui vont faire agir le
médecin pour trouver une solution à
l’impossible ?
ses émotions, ses sentiments en tant
qu’homme.
le sens de sa responsabilité vis-à-vis de
l’enfant et de ses parents.
le sens de sa responsabilité qui tient à son
métier de médecin.
2. « Mourir pour toujours » : le médecin sait
bien ce que signifie « mourir ».
Pourquoi ici ajoute-ton « pour toujours » à
votre avis ?
Réponse libre.
3. Quel est le personnage principal de cet
extrait ?
Le médecin.
4. Dans quel genre rencontre-t-on un
personnage qui refuse de se soumettre à une
situation pourtant désespérée ?
Le conte.
Plan de leçon
1. Le conditionnel, mode de la représentation
mentale, de l’imaginaire.
2. Le personnage du médecin
La nature de son métier :
Situation exemplaire ici : Combat contre
la mort, combat qu’il finira toujours par
perdre. Mais sa victoire est dans la
défaite le plus tard possible, quand le
patient est vieux. Ici, l’idée de la mort
de l’enfant est inacceptable et met en
jeu le sens même de son métier.
Les responsabilités de ce métier :
Vis-à-vis des parents de l’enfant.
Vis-à-vis de l’enfant.
Vis-à-vis de lui-même.
Les sentiments de cet homme :
Envers le malade : Il a de l’affection
pour le petit garçon ; il n’est pas
seulement un technicien.
Envers sa famille.
Envers lui-même.
3. Une situation de conte :
• Un héros : il se bat contre la mort
• Un combat qui semble perdu d’avance vu
le nombre et la rigueur des obstacles.
• Un personnage qui refuse la défaite
promise. L’enfant ne doit pas mourir si
vite. Comment vaincre les obstacles ?
• Ses ressources : Comment vaincre les
obstacles ? il imagine un scénario
irréaliste, impossible, qu’il va pourtant
essayer de rendre possible.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Interaction orale ou écrite pour la


classe OU production écrite :
• Que va faire le médecin ?
• C’est un conte, donc l’histoire finit
bien : Comment réaliser
l’impossible ?
• Vous êtes à la place du médecin et
vous faites comme lui : avec le
conditionnel, vous imaginez les
solutions à mettre en œuvre pour
sauver le petit garçon.
• Rappelez-vous le titre du conte.
Quel rôle le train peut-il jouer ?
À quelles conditions ?
✓ Production orale :
• Lire ce texte à voix haute

1 S’est retourné.
2 De l’autre côté de l’Océan Atlantique.
3 Le fait d’éviter l’effort.
4 Faiblesse, manque de courage devant la difficulté.
5 Douleur, peine, souffrance.
Fiche 10 S. Beckett
(1906-1989)
L’auteur : Né en Irlande, dans une famille protestante, il
apprend très jeune le français, étudie les langues à Trinity
College, puis devient lecteur d’anglais à l’École normale
supérieure à Paris. Il fait la connaissance de Joyce. Il
enseigne en Irlande, puis s’installe à Paris et publie des
traductions. Pendant la guerre, il entre dans un réseau de
Résistance, travaille pour la Croix-Rouge irlandaise en
France.

[Deux clochards se trouvent sur une route, dans un paysage indistinct et désert. Ils
attendent Godot, personnage dont on ne sait rien.]

VLADIMIR — Attendons de voir ce qu’il va nous dire.


ESTRAGON— Qui ?
VLADIMIR — Godot.
ESTRAGON— Voilà.
VLADIMIR — Attendons d’être fixés d’abord.
— D’un autre côté, on ferait peut-être mieux de
ESTRAGON
battre le fer avant qu’il soit glacé1 .
— Je suis curieux de savoir ce qu’il va nous dire. Ça
VLADIMIR
ne nous engage à rien.
ESTRAGON — Qu’est-ce qu’on lui a demandé au juste2 ?
VLADIMIR — Tu n’étais pas là ?
ESTRAGON— Je n’ai pas fait attention.
VLADIMIR — Eh bien… Rien de bien précis.
ESTRAGON— Une sorte de prière.
VLADIMIR — Voilà.
ESTRAGON — Une vague supplique3 .
VLADIMIR — Si tu veux.
ESTRAGON— Et qu’a-t-il répondu ?
VLADIMIR — Qu’il verrait4 .
ESTRAGON— Qu’il ne pouvait rien promettre.
VLADIMIR — Qu’il lui fallait réfléchir.
ESTRAGON — À tête reposée5 .
VLADIMIR — Consulter sa famille.
ESTRAGON— Ses amis.
VLADIMIR — Ses agents.
ESTRAGON — Ses correspondants VLADIMIR — Ses registres6 .
ESTRAGON— Son compte en banque.
VLADIMIR — Avant de se prononcer7 .
ESTRAGON— C’est normal.
VLADIMIR — N’est-ce pas ?
ESTRAGON— Il me semble.
VLADIMIR — À moi aussi.
Repos

En attendant Godot (Acte 1) © Éditions de Minuit, 1952.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Avant que + subjonctif → « On ferait peut-
être mieux de battre le fer avant qu’il soit
glacé ».
• Avant + infinitif → « (Il lui fallait) consulter…
avant de se prononcer ».
• Conditionnel → « On ferait peut-être
mieux… ».
• Concordance des temps au style indirect.
Compréhension de l’écrit
1. Réplique 4 : « Voilà » : Que signifie cette
réplique ?
D’accord.
2. Réplique 6 : Cette proposition d’Estragon vous
paraît-elle sérieuse ?
C’est un jeu de mots et non une proposition
sérieuse.
3. Répliques 1 à 8 : Examinez les répliques de
Vladimir. Sont-elles cohérentes ?
Oui, mais il se répète ; il n’avance pas.
4. Répliques 1 à 8 : Examinez les répliques
d’Estragon. Est-ce qu’il répond vraiment à
Estragon ?
Non.
5. Réplique 14 : Que signifie « Voilà » ?
D’accord. Il n’a rien d’autre à ajouter.
6. Réplique 15 : Le mot « supplique » fait-il
avancer la conversation ?
Non, c’est un synonyme de prière.
7. Répliques 9 à 16 : Pouvons-nous préciser l’objet
de la relation avec Godot ?
Non
8. Répliques 17 à 28 : Faites la liste des réponses à
la question « Et qu’a-t-il répondu ? »
Qu’il verrait
Qu’il ne pouvait rien promettre
Qu’il lui fallait réfléchir / À tête reposée
(consulter sa famille/ses amis/ses
agents/ses correspondants/ses registres/son
compte en banque/avant de se prononcer).
9. C’est Estragon qui a posé la question. Qui
propose ces réponses ?
Alternativement l’un et l’autre.
10. Ces propositions font-elles avancer la
conversation ?
Non.
11. Au bout de cette conversation, quelles
informations avez-vous sur la relation des deux
hommes avec Godot ?
Aucune.
12. Avez-vous des informations sur Godot ?
Aucune.
13. Sur ce qu’ils lui ont demandé ?
Aucune.
14. Combien comptez-vous de sujets dans la
conversation des deux personnages de cet
extrait ?
Deux : Attendons (répliques 1 à 7), la
conversation passée avec Godot (le reste du
texte).

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE

Pour vous aider à préparer


un commentaire littéraire
1. Les deux personnages sont-ils conscients que
leur conversation ne fait rien avancer ?
Oui. C’est sciemment qu’ils procèdent ainsi.
2. Puisqu’on n’a aucune information sur les sujets
abordés, à quoi sert cet échange entre les deux
personnages ?
Les deux hommes ont parlé précisément
pour ne rien dire, sciemment, seulement
pour parler et avoir parlé. Ce qu’ils veulent,
c’est une parole, et une parole qui fait du
sur place.
3. Comment comprenez-vous l’indication
« Repos » ?
« Repos » implique qu’on a fait un effort, et
un effort tel qu’il mérite qu’on fasse une
halte.
4. Ils ont parlé. En quoi cela était-ce un effort
nécessitant ou méritant une halte ?
Leur projet est difficile. Il n’est pas
commode d’étirer la conversation le plus
possible sans avancer ; il faut mettre en
œuvre de nombreux moyens. Ils ont réussi
et ont épuisé toutes les possibilités du
moment. Ils peuvent se reposer un instant.

Plan de leçon
1. Thème de l’attente
• Un fait : Deux hommes attendent Godot.
• Qui est Godot ? On ne le sait pas.
• Quel est l’objet de leur attente ? Ils ont fait
une prière à Godot, prière qu’il ne
définissent pas, sinon pour dire qu’elle n’est
pas précise.
• La réponse de Godot ? Pas de réponse, mais
des formules d’atermoiement.
• Seules certitudes : ils attendent et ils
parlent.
2. Le discours des deux personnages
• Volonté de l’entretenir, de le faire durer.
• Ressources : jeu de mots, synonymes, mots
passe-partout de la conversation, fausses
questions, addition de compléments,
humour.
• Accord tacite sur l’entreprise. Les
personnages se renvoient la balle.
• Conversation vide.
• Son but : exister ; on étire tant qu’on peut,
on refuse le silence. C’est un exercice
difficile : On le pratique et on peut se
reposer après. C’est la manifestation la plus
modeste de la conscience.
• Une gageure : comment réussir à parler
pour avoir parlé, et n’avoir rien dit.
3. Message et forme théâtrale : Un texte
métaphorique
• Une métaphore de la condition humaine :
Par leur dialogue, les personnages
illustrent la condition humaine selon
Beckett : l’attente, l’attente d’on ne sait
quoi, attente qui est vaine de toute façon,
et dont on sait qu’elle est vaine. C’est une
vision qui ressortit à l’absurde (sens
philosophique). Dans ces conditions, la
seule ressource de la conscience, c’est
une révolte minimale, modeste : parler
pour exprimer cette lucidité, empêcher le
silence de s’installer. Vladimir et Estragon
n’expliquent pas ces considérations
métaphysiques, ils les illustrent, ils les
jouent par un texte qui est donc
métaphorique.
• Une métaphore de l’acte d’écrire :
Vladimir et Estragon parlent et se
parlent ; c’est un acte social. Ils refusent
le silence. Beckett écrit du théâtre qui est
joué devant des spectateurs. L’écriture dit
l’absurde et par son existence même dit la
révolte de la conscience, illustrant par là
les propos de Camus « Une littérature
désespérée, c’est une contradiction dans
les termes. ».
• Le statut des personnages.
• Un miroir :
Les spectateurs sont partie prenante : ils
sont nécessairement présents pendant la
représentation, on ne joue pas dans une
salle vide. Ils écoutent ce discours qui
n’avance pas, qui existe seulement pour
exister. Ils attendent, et cette attente ne
leur apporte que cela : du temps a passé,
il s’est passé qu’il ne s’est rien passé, et
c’est cela que des êtres humains, eux
compris, se sont dit.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Interaction orale et production orale :


travail par paires dans la classe :
• À partir de « Qu’est-ce qu’on lui a
demandé au juste ? », imaginez une
suite de six répliques entre les deux
personnages.
• Même exercice à partir de « Et qu’a-t-il
répondu ? ».
✓ Production écrite :
• Qu’avez-vous envie de répondre à
Beckett ?
• Beckett a dit ce qui lui paraissait
capital. Croyez-vous que cela
condamne toute forme d’action ?
✓ Interaction orale :
• Jouer ce texte, valoriser le jeu,
l’humour.

1 Transformation d’une expression idiomatique « Battre le fer tant qu’il


est chaud », c’est-à-dire profiter sans tarder d’un moment propice. Ici,
Estragon joue avec les mots.
2 Exactement.
3 Demande de faveur auprès d’un supérieur ; prière.
4 Formule utilisée pour dire qu’il va réfléchir, qu’il se décidera plus
tard.
5 Quand l’esprit est libre de tout souci.
6 Cahiers dans lesquels on note des faits, ou des noms, ou des
nombres qu’on veut retenir.
7 Donner son opinion, son jugement.
Fiche 11 M. Ocelot
(né en 1943)
L’auteur : Il passe son enfance en Guinée, son
adolescence en France. Il étudie aux Beaux-arts de
Rouen, puis aux Arts Décoratifs de Paris, puis au
California Institute of the Arts. Il s’oriente vers le
cinéma d’animation, travaille pour la télévision, réalise
des courts et des longs métrages. Il connaît le succès,
notamment avec Azur et Asmar.

[Azur, un Européen, a été élevé avec son frère de lait, Asmar, par une nourrice
arabe. Elle a raconté la légende de la fée des Djinns aux deux enfants. Devenu
grand, Azur veut retrouver cette fée, mais arrivé dans un pays moyen oriental, il
subit la superstition des gens qui croient que les yeux bleus portent malheur. Il
décide donc de faire comme s’il était aveugle et se fait diriger par un autre
Européen depuis longtemps dans le pays, Crapoux, monté sur son dos.]

Enfin Azur et Crapoux arrivent à la ville pleine de bruits et


d’odeurs, qu’Azur peut goûter, et débordante de formes et de
couleurs, qu’Azur, hélas, ne peut pas voir. Crapoux débite1 un
boniment2 de mendiant, en arabe, mais sans faire l’effort de bien
prononcer :
Crapoux – lillahi ya mouhsinin, allahou jayrou rraziqin3 .
Il continue à dire du mal du pays à tout propos.
Crapoux – Ce sont des dirhams. Phh, ils n’ont pas de pistoles4 !
– Il y a des écheveaux5 de laine, bleu, jaune, rouge.
Phh, ils n’ont pas de gris.
– C’est le muezzin qui appelle à la prière. Phh, ils
n’ont pas de cloche.
– Ce sont des espèces de musiciens qui agitent des
bouts de métal. Phh, ils n’ont pas de pipeau6 .
– C’est du couscous, un truc avec du blé et du mouton.
Phh, ils n’ont pas de cassoulet7 .
Ils ont zigzagué par les ruelles, celles des teinturiers8 , des
vanniers9 , des tailleurs, des potiers. Ils passent devant le palais de
la princesse Chamsous-Sabah.
Azur – Une princesse ? !… Elle est comment ?
Crapoux – Le bruit court qu’elle est intelligente. Mais personne
ne l’a jamais vue.
Azur – Pourquoi ?
Crapoux – Ici, les princesses sont enfermées à vie au fond de leur
palais. Elle est probablement moche comme un pou10 .
Et ils arrivent au marché.

Azur et Asmar © Nathan, 2008.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• C’est… Ce sont… Outil de la description.

Compréhension de l’écrit
1. Avec les explications qu’on vous a données et
les lignes 1 à 3, comment vous représentez-
vous les deux hommes ?
Azur porte Crapoux sur son dos.
Il a les yeux fermés.
Crapoux le guide et l’informe.
Crapoux mendie.
Il ne se donne pas la peine de bien
prononcer l’arabe.

Réplique 2
2. Que voit Crapoux ?
Il voit des éléments caractéristiques du
pays où il est, de sa culture.
3. Qu’en pense-t-il ?
Du mépris « pphh ».
4. Pour lui, qu’est-ce qui est bien ?
Les caractéristiques de sa culture
d’origine, européenne.
5. Que vous apprennent les lignes 12, 13 ?
Il y a beaucoup d’activités dans cette ville.
Il y a beaucoup d’artisans et de savoir-
faire.
6. Répliques 5 et 6 : Pourquoi ne voit-on pas la
princesse ?
Elle est enfermée. C’est la tradition, un
usage culturel.

II. EXPLOITATION LITÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Quelles sont les références de Crapoux ?
Toutes appartiennent à sa culture :
occidentale, française.
2. Comment définit-il les caractères propres du
pays où il se trouve ?
Il les définit comme des manques, des
insuffisances, des faiblesses.
3. Pendant tout ce trajet dans la ville, quelle est
l’attitude d’Azur ?
Il est curieux, ouvert à la nouveauté.
4. Qui est le personnage principal de cet
extrait ?
Crapoux.

Plan de leçon

1. Relativisme culturel.
Défini ici en négatif par Crapoux :
• Regard sur l’autre :
Ignorance de ce qu’il est.
Mépris et commisération.
Pour lui, l’autre se définit par des
manques « Ils n’ont pas… »
• Regard sur sa propre culture :
L’instaure a priori comme la référence
unique, le modèle.
Sentiment de supériorité.
Défini en positif par les conclusions à tirer :
• Il ne manque rien à l’autre. (faire la liste
en parallèle de « ce qu’il a »).
• Il est simplement différent.
• Il est stupide et dangereux d’instituer
une hiérarchie des usages et des valeurs.

2. Le vrai voyageur.
• Celui qui est curieux et ouvert à l’autre :
Azur.
• Crapoux s’est déplacé, mais n’a rien
appris, rien vu. Il est perdant.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Compréhension/Réception de l’oral
pour la classe :
Visionner le film Azur et Asmar. Michel
Ocelot 2006. Existe en DVD. Diaphana
édition vidéo.
✓ Interaction orale pour la classe ou
production écrite :
• Commenter les images du film : la
ville où Azur et Crapoux arrivent, les
portraits de femmes, la maison de la
nourrice.
• Vous avez voyagé dans un pays dont
la culture est très différente de la
vôtre. Qu’est-ce que vous avez tiré
de cette expérience ?
• Ce texte est extrait d’un conte. Pour
le moment, Azur est aveugle. Relisez
les informations qui vous ont été
données et imaginez une suite à cet
extrait.
• Pour ceux qui n’ont pas voyagé :
vous pensez à un pays étranger. En
quoi le voyez-vous différent du
vôtre ?
1 Il récite un discours tout fait, sans réfléchir.
2 Discours de celui qui veut vendre quelque chose, par exemple.
3 Formule traditionnelle du mendiant.
4 Ancienne monnaie (l’histoire se passe au Moyen âge).
5 Des paquets, des sortes de rouleaux.
6 Instrument de musique, espèce de flûte simple.
7 Plat traditionnel du sud-ouest de la France.
8 Artisans qui donnent la couleur aux tissus.
9 Artisans qui fabriquent des paniers.
10 Expression idiomatique familière pour dire « très laid(e) ».
Fiche 12 J. Tardieu
(1903-1995)
L’auteur : Il a eu contact avec les écrivains de la jeune
NRF. Dans les années trente, il travaille aux Musées
nationaux, puis chez Hachette et en tant qu’écrivain, il
a d’abord essentiellement une activité de poète.
Pendant la guerre, il fait partie des écrivains résistants.
Après la guerre, il écrit pour le théâtre des pièces très
courtes, dont le sujet essentiel est le langage. Il
travaille à la Radiodiffusion française comme directeur
de France Musique. Cet écrivain – poète, essayiste,
dramaturge, critique d’art, traducteur (Goethe,
Höderlin) – bien que lié aux dramaturges du théâtre de
l’absurde, est moins connu qu’eux car il a beaucoup
pratiqué l’expérimentation.

Monsieur A, quelconque. Ni vieux, ni jeune.


Madame B, même genre.
Monsieur A et Madame B, personnages quelconques1 , mais pleins
d’élan (comme s’ils étaient toujours sur le point de dire quelque chose
d’explicite2 ) se rencontrent dans une rue quelconque, devant la
terrasse d’un café.

Monsieur A
Mais, au fait3 ! Puis-je vous demander où vous…
Madame B, très précise et décidée.
Mais pas de ! Non, non, rien, rien. Je vais jusqu’au, pour aller
chercher mon. Puis je reviens à la.
Monsieur A, engageant et galant, offrant son bras.
Me permettez-vous de… ?
Madame B
Mais bien entendu ! Nous ferons ensemble un bout de.
Monsieur A
Parfait, parfait ! Alors, je vous en prie. Veuillez passer par ! Je
vous suis. Mais à cette heure-ci, attention à, attention aux !
Madame B, acceptant son bras, soudain volubile4 .
Vous avez bien raison. C’est pourquoi je suis toujours très. Je
pense encore à mon pauvre. Il allait, comme ça, sans, — ou
plutôt avec. Et tout à coup, voilà que ! Ah la la ! Brusquement !
Parfaitement. C’est comme ça que. Oh ! J’y pense, j’y pense !
Lui qui ! Avoir eu tant de ! Et voilà que plus ! Et moi je, moi je,
moi je !
Monsieur A
Pauvre chère ! Pauvre lui ! Pauvre vous !
Madame B, soupirant.
Hélas oui ! Voilà le mot ! C’est cela !

Finissez vos phrases in La Comédie du langage. © Gallimard 1987.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Étude du contexte.
• Travail de lexique à partir des propositions
des étudiants.
• Travail des lignes intonatoires :
exclamation, interrogation, expression des
sentiments.
Compréhension de l’écrit
Retrouvez les mots manquants.
Il est naturellement impossible de
proposer un corrigé.

II. EXPLOITATION LITÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Vous avez complété le texte proposé. Avez-
vous souvent le choix des mots manquants ?
Réponse libre.
2. Les didascalies vous ont-elles aidé(e) ?
Réponse libre.
3. Pourquoi était-ce un exercice facile ?
Réponse libre.
4. Que vous apprend cette facilité ?
C’est un dialogue convenu.
5. En fait, manque-t-il quelque chose au texte
proposé ?
Non.
6. Quelle est la fonction du texte tel que vous
l’avez complété ?
Établir et favoriser le contact entre les
personnages.
7. Quelle semble être la relation entre les
personnages ?
Une relation de séduction.

Plan de leçon
1. Un langage convenu pour chacun des
personnages, une parole toute faite.
2. Un dialogue convenu : scène de séduction. Les
rôles sont distribués.
3. Fonction essentielle du dialogue : assurer la
fonction phatique du langage (ou fonction de
contact5 )
4. Une comédie
• Distribution des rôles, si convenus qu’il
n’est pas nécessaire de finir les phrases.
• Opposition entre le côté convenu des
gens et un langage fou tel qu’il est offert
ici.
• Conséquence : la scène est caricaturale,
burlesque.
5. La représentation
• Il faut jouer les didascalies, autre langage
théâtral.
• Elle doit exprimer par le jeu des acteurs le
côté caricatural et burlesque que dit le
texte tronqué.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES


✓ Interaction et production orales pour la
classe :
• Comparaison des textes fournis par
les étudiants.
• Monsieur A et Madame B ont eu un
léger accident de voiture. Imaginez le
dialogue d’une scène de dispute à la
manière de Tardieu.
• Imaginez une suite à l’extrait
proposé.
• Deux personnes se rencontrent dans
un ascenseur ; elle parlent de la
météo. Imaginez leur conversation à
la manière de Tardieu.
✓ Jouer la scène.

1 Ordinaires, banals.
2 Dont le sens est très clair.
3 Formule orale, comme il y en a dans toutes les langues ; tant que
(OU puisque…) nous sommes là à discuter…
4 Elle parle beaucoup, avec rapidité et facilité.
5 Voir les fonctions du langage selon Jakobson.
Fiche 13 F. Mauriac
(1885-1970)
L’auteur : Il est né dans la haute bourgeoisie bordelaise,
catholique, conservatrice. Après des études de lettres, il
entre à l’École des Chartes, mais très vite se consacre
uniquement à son activité d’écrivain. Il écrit d’abord de
la poésie, mais c’est avec des romans où il peint et
critique son milieu qu’il connaît le succès. Il entre à
l’Académie Française en 1933, s’éloigne de plus en plus
des positions de son milieu, critique les fascistes, entre
dans la Résistance pendant la guerre. Il reçoit le prix
Nobel en 1952 et devient de plus en plus chroniqueur
politique.

[Né d’un mariage malheureux, Guillaume (Guillou) est complètement négligé par
sa famille, derniers représentants d’une classe sociale qui s’éteint, la petite
noblesse terrienne. Il est considéré comme arriéré et a été renvoyé de la pension
parce qu’il salit son lit la nuit. Comme il faut pourtant qu’il reçoive de l’éducation,
sa mère a obtenu que l’instituteur du village le rencontre. Dans l’extrait qui suit,
Monsieur Bordas, l’instituteur, emmène Guillou dans la chambre de son propre
fils, Jean-Pierre. L’histoire se passe dans l’entre-deux guerres.]

« Évidemment1 , on doit être mieux logé au château… mais


tout de même2 , ajouta l’instituteur avec satisfaction, ce n’est pas
mal… »
L’enfant n’en croyait pas ses yeux3 . Pour la première fois, le
petit châtelain4 pensa au réduit5 où il couchait. L’odeur y
régnait de Mlle Adrienne, chargée d’entretenir le linge du
château, et qui y passait les après-midi. Un mannequin6 qui ne
servait jamais se dressait7 à côté de la machine à coudre. Un lit
pliant8 recouvert d’une housse9 servait à Fraülein10 durant les
maladies de Guillou. Tout à coup il imagina la carpette élimée11
sur laquelle si souvent il avait renversé son vase12 . Jean-Pierre
Bordas avait cette chambre pour lui tout seul, ce lit peint en
blanc avec des dessins bleus, cette bibliothèque vitrée garnie de
livres.
« Presque tous, ce sont des prix13 , dit M. Bordas. Il a toujours
eu les prix de sa classe. »
Guillou effleurait14 de sa main chaque volume15 .

Le Sagouin (1951)

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Imparfait.
• Devoir « On doit être mieux logé au
château ».
• Le style indirect libre et ses incertitudes :
« Jean-Pierre Bordas avait cette chambre
pour lui tout seul ».

Compréhension de l’écrit
1. §1 : Pour Monsieur Bordas, Guillou est mieux
ou moins bien installé que son fils ?
Mieux installé que son propre fils.
2. Début du §2 : Quelles sont les réactions de
Guillou en découvrant la chambre de Jean-
Pierre ?
Étonnement extrême.
Regard sur sa propre chambre car il a
maintenant un élément de comparaison.
3. Milieu du §2 : Guillou évoque le lieu où il dort.
Quelles en sont les caractéristiques ?
C’est un débarras.
Ce n’est pas un lieu personnel.
C’est un lieu sale, puant, usé.
4. Fin du §2 : Quelles sont les caractéristiques de
la chambre de Jean-Pierre ?
C’est un lieu personnel.
C’est un lieu propre.
C’est un lieu doté d’une bibliothèque
personnelle, symbole de sa réussite
scolaire.
5. §3 : Quel sentiment Monsieur Bordas exprime
t-il ?
Il est fier de son fils.
6. §3 : Que signifie le geste de Guillou ?
Il découvre un monde merveilleux.
Il éprouve de l’admiration et du respect
pour ce monde.
7. Caractérisez le narrateur de cet extrait ?
Romancier omniscient.
8. Proposez un titre à cet extrait
Réponses libres.

II. EXPLOITATION LITÉRAIRE


Pour vous aider à
préparer un
commentaire littéraire
1. Que traduisent toutes les caractéristiques de
la chambre de Guillou ?
Ces caractéristiques sont la traduction de
la façon dont sa famille le considère.
2. En quoi cette scène transforme-t-elle
Guillou ?
Il sort de son monde, il élargit son
jugement. Ila des éléments pour
comparer.
Il comprend qu’il est maltraité, qu’il n’est
pas aimé, que ce n’est pas la norme.
Il découvre un monde enviable et des
relations où l’on peut être heureux.
3. Monsieur Bordas a-t-il conscience de ce qui
se passe dans la tête de Guillou ?
Non.
4. Pourquoi ?
D’une part, il ne sait rien de ce qui se
passe au château ; d’autre part, il imagine
le cadre de vie d’un fils de châtelain et il
pense en fonction des clivages sociaux.
5. Monsieur Bordas teste Guillou. Mais, à votre
avis, que pense Guillou quand il effleure les
livres ?
L’espoir d’entrer dans ce monde qu’il
touche à peine ?
Une admiration telle qu’elle l’intimide ?
Autre proposition ?

À
6. À la lecture de ce texte, Guillou vous semble-
t-il arriéré ?
Réponse libre.

Plan de leçon
1. Une étape importante dans la conscience de
Guillou.
Il a une double révélation :
Celle de l’indignité de son traitement.
Celle de l’existence d’un autre
monde.
Par quels moyens :
Le commentaire de Monsieur Bordas.
Et surtout un élément de
comparaison : parallélisme (deux
enfants du même âge, mais
traitements opposés).
Prise de conscience brutale : « Pour la
première fois… » :
Choc émotionnel ; « n’en croyait pas
ses yeux ». Il effleure les livres.
Côté irréversible de l’expérience :
maintenant il sait. Existence d’un
« avant » et d’un « après ».
Moyens utilisés pour traduire cette
révélation et ses caractéristiques :
Le romancier narrateur.
Le discours indirect libre (Fin du §2).
2. Le lieu : traduction romanesque de la
situation du personnage.
Un enfant aimé (commenter la description
de la chambre de Jean-Pierre).
Un enfant à qui on dénie l’existence.
Symbolisme : il n’a aucun lieu à lui dans
le monde. Le lieu où il dort est un réduit
sale.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Interaction orale pour la classe OU


production écrite :
• Guillou rentre au château. Sa mère
l’interroge. Imaginez la
conversation.
• Guillou rentre chez lui. Imaginez ce
qu’il se dit sur le trajet du retour.
• De quels moyens, autres que le
lieu, le romancier dispose-t-il pour
traduire la situation, bonne ou
mauvaise, d’un personnage ?
• Vous connaissez sans doute le
conte Cendrillon. Rappelez-vous sa
situation, ses vêtements avant le
passage de sa marraine, et après
ce passage. Racontez, commentez.

1 Bien sûr.
2 Pourtant.
3 Guillou est extraordinairement étonné par ce qu’il voit.
4 Guillou est le fils d’un noble. Il habite dans un château.
5 Très petite pièce, utilisée généralement pour le rangement.
6 Objet ayant la forme d’un corps de femme, utilisé par les
couturières.
7 Ce mannequin est debout.
8 Lit qu’on peut plier pour qu’il prenne moins de place. Il ne sert
pas souvent.
9 Enveloppe de tissu qui recouvre le mannequin.
10 Domestique que l’on appelle ainsi car elle est autrichienne.
11 Le petit tapis qui est près du lit de Guillou est très usé.
12 Ici, récipient utilisé la nuit pour faire ses besoins.
13 Récompenses données aux meilleurs élèves, la plupart du
temps des livres.
14 Touchait très légèrement.
15 Livre.
Fiche 14 C. Trénet
(1913-2001)
L’auteur : Ses parents se séparent en 1920 ; en 1928, il
part vivre à Berlin avec sa mère, qui a épousé le
réalisateur Benno Vigny. De retour à Paris, il fréquente
le milieu artistique, écrit des chansons avec le pianiste
suisse Johny Hess. Le duo se produit avec succès dans
des cabarets. À partir de 1937, Trénet se produit seul. Il
renouvelle considérablement le genre de la chanson,
introduisant les rythmes du jazz, la fantaisie, la joie de
vivre. À part une éclipse dans les années soixante, il a
toujours connu un immense succès, y compris à
l’étranger. Avec presque 1000 chansons, « le Fou
chantant » — surnom qu’on lui a donné dans les années
30 – a été, et reste, un monument de la chanson
française.

UNE NOIX

Une noix
Qu’y a-t-il à l’intérieur d’une noix ?
Qu’est-ce qu’on y voit
Quand elle est fermée ?
On y voit la nuit en rond
Et les plaines et les monts
Les rivières et les vallons1
On y voit
Toute une armée
De soldats bardés de fer2
Qui joyeux partent pour la guerre
Et fuyant3 l’orage des bois
On voit les chevaux du roi
Près de la rivière

Une noix
Qu’y a-t-il à l’intérieur d’une noix ?
Qu’est-ce qu’on y voit
Quand elle est fermée ?
On y voit mille soleils
Tous à tes yeux bleus pareils
On y voit briller la mer
Et dans l’espace d’un éclair
Un voilier noir
Qui chavire4
On y voit des écoliers5
Qui dévorent6 leurs tabliers7
Des abbés à bicyclette
Le Quatorze Juillet8 en fête
Et ta robe au vent du soir
On y voit des reposoirs9
Qui s’apprêtent10
Une noix
Qu’y a-t-il à l’intérieur d’une noix ?
Qu’est-ce qu’on y voit
Quand elle est ouverte ?
On n’a pas le temps d’y voir
On la croque11 et puis bonsoir12
On n’a pas le temps d’y voir
On la croque et puis bonsoir
Les découvertes.

Paroles de Charles TRENET, musique de Charles Trénet et Albert Lasry


© Éditions Raoul Breton, 1948, L’Intégrale (Librairie Plon 1993)

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Valeur des relatives.
• L’interrogation spontanée (orale).
• Y.
• L’absence de ponctuation.

Compréhension de l’écrit
1. Relisez les trois premiers vers. Vous, que
répondez-vous à la question ?
On ne voit rien.
2. Vers 4 à 13 : Combien de fois trouvez-vous le
verbe « voir » ?
3 fois.
3. Examinez la première réponse du poète à
« On y voit ». Qu’est-ce que cela représente ?
Des images du monde extérieur, de la
nature.
4. Examinez la deuxième réponse à « On y
voit ». Qu’est-ce que cela représente ?
Image d’une armée qui part pour la
guerre.
5. Examinez la troisième réponse à « On y
voit ». Qu’est-ce que cela représente ?
Image de chevaux courant près d’une
rivière pour échapper à l’orage.
6. Examinez le deuxième couplet. Combien de
fois trouvez-vous le verbe « voit » ?
4 fois.
7. Faites le même travail que pour le premier
couplet : examinez chaque réponse à « On y
voit ».
Image de soleils/les yeux d’une personne
aimée.
Image d’un voilier sur la mer.
Image d’enfants qui « mangent » leurs
tabliers.
Image de prêtres à bicyclette.
Image de fête de 14 juillet.
Image de la robe de la femme aimée qui
vole au vent.
Image d’une procession.
8. Ces images ont-elles un lien objectif entre
elles ?
Non, elles s’ajoutent les unes aux autres ;
elles se juxtaposent.
9. D’où proviennent-elles ?
De l’imagination et de la mémoire du
poète.
10. Examinez le 3e couplet. Que signifie
« Bonsoir les découvertes » ?
Il n’y a plus rien à découvrir.
11. Quelle est la contradiction apparente sur
laquelle repose le poème ?
On voit beaucoup d’images quand la noix
est fermée. L’imagination est ouverte.
On ne voit plus rien quand elle est
ouverte. La réalité est fermée.

II. EXPLOITATION LITÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. D’où proviennent les images évoquées dans
les deux premiers couplets ?
Elles proviennent de la mémoire et de la
sensibilité de l’auteur.
2. Quel est le mode de construction syntaxique
de ces deux couplets ?
C’est la juxtaposition.
3. Quel est le message donné par la noix fermée
puis ouverte ?
L’imagination est beaucoup plus riche que
la réalité.

Plan de leçon
1. Les images évoquées
Elles viennent de l’imagination du poète.
Comment l’imagination les a-t-elle élues ?
• Souvenirs stockés par la mémoire
et la sensibilité.
À quoi renvoient-elles ?
• à la beauté
• à l’enfance du poète
• à la culture française
Départ des soldats pour la
guerre 14/18
14 juillet en fête
Les écoliers
Les abbés à bicyclette
Les processions
• au sentiment amoureux
DONC, globalement, à la nostalgie de
l’enfance, de la jeunesse, du passé révolu.
Comment fonctionne cette imagination ?
• Par juxtaposition et addition.
• Sans limites : cela peut durer tant
que la noix est fermée et qu’on
sollicite le libre cours de
l’imagination.
2. Une métaphore filée
Une métaphore
• Définition de la figure de style :
« Substitution analogique, sans
qu’il y ait d’élément introduisant
formellement une comparaison.
Exemple : l’homme est un loup
pour l’homme » (Hobbes).
• Ici, qu’y a-t-il derrière la noix ?
Quel est le message de ce poème ?
Avant une expérience :
Imagination ouverte et sans
limites : la vraie richesse.
Pendant, puis après l’expérience :
expérience limitée, enfermée sur et
dans la réalité.
Une métaphore filée, c’est-à-dire
développée progressivement,
longuement. La comparaison implicite est
développée sur 3 couplets ; elle constitue
tout le poème.
3. Un poème
• Des strophes (dans une chanson,
« couplets »).
• Des rimes.
• Un procédé rhétorique
caractéristique de la poésie : la
métaphore.
• La chanson, refuge de la poésie
lyrique traditionnelle après
l’expérience surréaliste :
imagination, nostalgie.
• Mais absence de ponctuation :
héritage du surréalisme.
III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Compréhension/réception de l’oral :
écouter la chanson.
✓ Production écrite
• Imitation du poème : « Une noix,
qu’y a-t-il à l’intérieur d’une
noix ? ». À votre tour, répondez à
cette question.
• « Le voyage, c’est trois voyages :
celui qu’on imagine, celui qu’on
fait, ce qu’on en retient. ». Avez-
vous fait cette expérience ?
• Partagez-vous l’opinion du poète :
« Une noix… Quand elle est
ouverte, on la croque et puis
bonsoir les découvertes. » ?
• Quelles seraient pour vous les
images types de votre culture ?
✓ Production orale
Apprendre ce texte et le dire.

1 Petite vallée.
2 Recouverts d’une armure, d’une protection en métal.
3 Cherchant à échapper à l’orage.
4 Se retourne, se renverse.
5 Enfants qui vont à l’école.
6 Mangent.
7 Vêtement pour protéger les habits de ce qui peut les salir.
8 Fête nationale française.
9 Objets religieux chrétiens sur lesquels le prêtre pose l’hostie.
Souvent utilisé dans les processions. Image fréquente autrefois.
10 On prépare les reposoirs.
11 On l’écrase avec les dents pour la manger.
12 Ici, adieu ! Au revoir !
Fiche 15 T. Ben
Jelloun (né en 1944)
L’auteur : Après des études au lycée français de Tanger,
puis des études de philosophie à Rabat, il enseigne la
philosophie au Maroc. L’arabisation de l’enseignement
le conduit à Paris. Il y fait des études de psychologie,
écrit des articles pour Le Monde, devient docteur en
psychiatrie sociale. Il obtient le prix Goncourt en 1987.
Ses œuvres, écrites en français, connaissent le succès.
Elles sont traduites dans de nombreuses langues.

[La narratrice est née dans un village berbère marocain très pauvre. Son père
travaillait en France. À la suite d’un drame familial, il a emmené sa famille à Paris.
La jeune fille – elle a alors une dizaine d’années – analphabète jusque là, apprend
le français et va à l’école. Dans le récit qui suit, la nouveauté est passée. Elle a un
peu plus de onze ans et elle a fait des progrès]

Je connaissais par cœur les conjugaisons des verbes « être » et


« avoir », mais je me trompais tout le temps quand il s’agissait
de les utiliser dans une longue phrase. Je compris1 qu’il fallait
se détacher complètement du pays natal. Comment y arriver sans
déranger mes parents, sans les renier2 ? Je ne pouvais tirer un
trait3 et me trouver de plain-pied4 dans les méandres d’un autre
temps5 . Quelque chose me retenait ; pourtant ma volonté était
forte. J’étais décidée à ne plus me perdre dans les conjugaisons.
Mais le village était toujours là ; il m’entourait, rôdait6 autour de
moi, me taquinait. Les senteurs des herbes et des bêtes me
parvenaient. Je résistais. Je niais cette présence. Je pénétrai7 un
jour dans une église pour ne plus sentir les odeurs du village. Je
me cachais. Et pourtant il n’y avait rien à faire ; j’étais ramenée
au village par une main magique et je revoyais la même corde
avec les trois nœuds balancée par un petit vent. Les arbres,
toujours là, fidèles au paysage ; les pierres toujours dans le
même état. Et moi, de nouveau assise sous l’arbre, attendant,
fixant un arbre8 , espérant le voir se déplacer et partir loin…

Les Yeux baissés © Seuil, 1991.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Imparfait.
• Forme passive et complément d’agent
« J’étais ramenée au village par une main
magique. ».

Compréhension de l’écrit

Début… pays natal


1. Qui raconte l’histoire ?
La narratrice raconte son histoire au
passé.
2. Quel était le problème de la petite fille ?
Elle n’arrivait pas à utiliser son savoir en
conjugaison française.
3. Quelle est la solution selon elle pour résoudre
ce problème ?
« se détacher du pays natal. »
4. Quelles difficultés cette solution présente-t-
elle ?
« déranger [ses] parents, …les renier »
« … tirer un trait, me trouver de plain-
pied dans les méandres d’un autre
temps. »

Comment y arriver… fin


5. Réussit-elle à les dominer ?
Non.
6. Comment explique-t-elle le rapport entre son
problème de conjugaison et son attachement
au pays natal ?
Elle est déterminée par le passé qu’elle
porte en elle, notamment par la notion du
temps tel qu’elle l’a vécu jusque là. Le
temps, tel qu’on le vit à Paris, n’est plus
du tout le même.
7. Je résistais… cachais : S’agit-il de magie ?
Non. Ce passé fait partie intégrante d’elle.
Il est donc inévitable qu’elle ne puisse pas
l’éloigner, encore moins l’effacer.
8. Pourquoi parle-t-elle de « magie » ?
Parce que cela se fait malgré elle et
qu’elle ne comprend pas encore qu’il lui
est impossible de renier son passé.
9. Comment la narratrice résume-t-elle sa
situation passée ?
« Assise sous l’arbre, attendant, fixant un
arbre, espérant le voir se déplacer et
partir loin. »
II. EXPLOITATION LITÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Phrase 1 : Que révèle cette difficulté ?
L’apprentissage d’une langue ne se fait
pas par l’étude par cœur de tableaux, de
listes ; il se fait par une relation avec des
situations authentiques de la vie.
2. « Je niais cette présence ». Pourquoi la petite
fille s’y prend-elle mal pour « se détacher
complètement du pays natal » ?
Elle s’y prend mal parce qu’elle veut
quelque chose d’impossible : renoncer à
ce qui a fait son histoire, sa mémoire, son
identité.
3. Que signifie alors « se détacher
complètement du pays natal » ?
Il faut s’ouvrir à l’autre en gardant son
identité première qu’il est impossible
d’éradiquer. Il faut ajouter et non
soustraire.
4. La jeune fille a-t-elle raison quand elle craint
de renier ses parents ?
Oui, si elle cherche à oublier son identité
culturelle première. Non, si elle cherche à
en ajouter une autre.

Plan de leçon
1. Les leçons de l’apprentissage d’une langue
étrangère
Méthodes d’apprentissage :
Listes par cœur : ici, conjugaison.
Méthode inopérante.
Une pratique liée à la vie : seule
méthode efficace.
Ce que cela révèle :
• La langue = partie intégrante d’une
culture. L’expérience de la
conjugaison montre que cet aspect
de la langue est lié à la notion du
temps tel qu’il est vécu dans une
culture.
• La découverte de l’altérité et du
relativisme culturel.
• À quelles conditions : l’acceptation
de son propre déterminisme
culturel et l’ouverture à l’altérité.
• Ce qu’elle permet : une étape
privilégiée vers l’acculturation.
• Acculturation : « adaptation d’un
individu à une culture étrangère
avec laquelle il est en contact ».
(Le Robert)
2. Les difficultés de l’acculturation
• L’erreur qui consiste à vouloir
oublier qui l’on est, à nier son
identité : « Je niais cette
présence » (celle du village).
• Le saut culturel : Les deux rythmes
de vie renvoient à des cultures
totalement différentes. L’écart est
considérable et il est difficile de les
faire coexister. C’est pourtant ce à
quoi il lui faut aboutir.
• Il faut assumer le fait d’avoir une
double identité, de porter les deux
cultures, de vivre le métissage
culturel, d’arriver à ce troisième
état.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Interaction orale pour la classe :


• Recherchez dans les langues que
vous connaissez des emplois de
« être » et « avoir » et comparez
aux formulations qui traduisent ces
emplois en français.
Qu’observez-vous ?
• Comment définiriez-vous « être »
et « avoir ». Quelles conclusions en
tirez-vous ?
• Une jeune fille vit en Finlande. Sa
mère est finlandaise, son père est
français. Elle parle très bien les
deux langues. Elle ne comprend
pas une difficulté en
mathématiques. Son professeur
s’exclame, méprisante : « Je
comprends ! Vous êtes à moitié
étrangère, c’est pour ça ! ». La
jeune fille, en colère, lui répond
« Je ne suis pas à moitié, je suis
double ! ». Quelle formulation vous
paraît la plus juste ?
✓ Production écrite :
• Vous avez passé plusieurs années
dans un pays à la culture très
différente de votre culture
d’origine. Quelles difficultés avez-
vous rencontrées, avec les autres,
avec vous-même, à votre retour ?
• En quoi cela peut-il être une
chance d’appartenir à deux
mondes ?
• Voir les sujets généraux sur le
relativisme culturel, la découverte
de la pluralité des cultures dans la
FICHE 11.

1 J’ai compris.
2 Rejeter.
3 Oublier.
4 Être sur le même plan, être en harmonie avec…
5 Elle a expliqué plus haut que le temps du village ressemblait à
une corde avec trois nœuds, c’est-à-dire que le soleil rythmait trois
moments dans la journée, et donc trois activités liées à l’élevage. À
Paris, le temps est une corde avec beaucoup de nœuds serrés,
c’est-à-dire beaucoup d’activités.
6 Errait vaguement.
7 J’ai pénétré.
8 Au village, elle passait beaucoup de temps sous l’arbre, attendant
que son père revienne et espérant partir de là.
Fiche 16 P. Verlaine
(1844-1896)
L’auteur : Après le baccalauréat, il commence des
études de droit, mais s’intéresse surtout à la poésie. Il
devient employé de bureau à la mairie de Paris, publie
Les Poèmes Saturniens à 22 ans. Après quelques
années marquées par les amours passagères et l’alcool,
il se marie et continue à publier des poèmes ; mais le
mariage vole en éclats lors de sa liaison avec Rimbaud,
aventure qui le conduit à deux ans de prison en
Belgique. Il enseigne en Angleterre en 1877, puis rentre
en France. La fin de sa vie est marquée par l’alcoolisme
et des conditions de vie proches de la misère. Les
symbolistes considèrent son œuvre, très importante,
comme leur modèle.

[Ce poème fait partie de Melancholia, groupe de 9 poèmes dans Les


Poèmes saturniens que Verlaine présente ainsi :
« Les sages d’autrefois, qui valaient bien ceux-ci,
Crurent, et c’est un point encor mal éclairci,
Lire au ciel les bonheurs ainsi que les désastres,
et que chaque âme était liée à l’un des astres.
[…]
Or, ceux-là qui sont nés sous le signe de SATURNE,
Fauve planète, chère aux nécromanciens,
Ont entre tous, d’après les grimoires anciens,
Bonne part de malheur et bonne part de bile.
L’imagination, inquiète et débile,
Vient rendre nul en eux l’effort de la Raison. »]

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant1


D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est chaque fois ni tout à fait la même,
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon cœur transparent


Pour elle seule, hélas, cesse d’être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs2 de mon front blême3 ,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? Je l’ignore.


Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la vie exila4 .

Son regard est pareil au regard des statues


Et pour sa voix : lointaine, et calme, et grave, elle a
L’inflexion5 des voix chères qui se sont tues.

Poèmes saturniens (Mélancholia), 1866

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Les relatives.

Compréhension de l’écrit

Vers 1 à 8
1. Strophe 1 Quelles sont les trois
caractéristiques du rêve ?
Il est fréquent.
Il est étrange.
Il est pénétrant.
2. Strophe 2 Quels sont les mots qui expliquent
pourquoi il dit « hélas » ?
« Et les moiteurs de mon front blême Elle
seule les sait rafraîchir, en pleurant. »
3. Relevez tous les éléments qui caractérisent la
femme.
Inconnue ; amour réciproque ; image
floue ; aimante, consolatrice.
4. Comment se construit ce portrait ?
Coordination, juxtaposition.
5. Vers 7 : Comment comprenez-vous « les
moiteurs de mon front blême » ?
Il ne s’agit pas d’une description de signes
visibles. Il s’agit de traduire son malaise
et ses souffrances psychologiques, son
état morbide par les connotations des
mots « moiteurs » et « blême ».

Vers 9 à 14
6. Vers 12 : Comment définissez-vous « le
regard des statues » ?
Il est souvent vide.
7. Relevez les caractéristiques de la femme
dans ces deux strophes.
Les cheveux, aucune information ; le
nom, le regard, la voix : des adjectifs et
des comparaisons qui renvoient à l’effet
de délectation morose produit sur le
poète.
8. Vers 2 : Revenez sur « une femme
inconnue ». Que pouvez-vous dire d’elle à la fin
du poème ?
Réponse libre.

II. EXPLOITATION LITÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Comment comprenez-vous « rêve » ?
Il s’agit d’une rêverie.
2. Quel est le type d’existence de la femme du
rêve ?
C’est un fantasme.
3. Comment son portrait se construit-il ?
Il se construit par additions successives.
4. Quelle est la caractéristique de cette femme
rêvée ?
C’est une consolatrice.
5. Quelles informations retenez-vous sur le
poète ? Comparez-les à celles que donne
Verlaine dans l’introduction aux Poèmes
saturniens.
Sa réalité est malheureuse ; il souffre.
Cela correspond au fait qu’il se définit
comme un Saturnien.
6. Quelle est la fonction essentielle de cette
femme ?
Elle le console du malheur et de la
souffrance de la réalité, de lui-même, en
fait.
7. Quelles émotions le poète recherche-t-il ?
Il recherche la délectation morose.
8. En quoi ce rêve est-il étrange ?
Il est étrange par sa fréquence, par son
contenu, par la résonance qu’il a chez
Verlaine.
9. Qui est le personnage principal de ce
poème ?
Verlaine.
10. Lisez ce poème à voix haute et notez les
endroits où vous marquez des pauses pour
respecter le sens de ce que vous dites.

Plan de leçon
1. Nature de l’expérience racontée
C’est une rêverie, c’est-à-dire une
production de l’imagination qui se laisse
aller selon ses lois propres et dont
Verlaine est le témoin coopérant,
complaisant.
L’objet de la rêverie n’est pas une femme
réelle dont il ne saurait rien ou presque :
• Image floue, vers 3 et 4.
• Physique ? évoqué pour être rejeté
immédiatement dans l’inintéressant
(vers 9) ou l’inexistant (vers 12).
• Larmes : elles n’existent qu’en
imagination et ne sont considérées
que du point de vue du rêveur : il
reçoit les larmes dont il a besoin.
• C’est un climat, une atmosphère.
Verlaine la définit par des adjectifs ou
des relatives qui renseignent sur ses
caractéristiques.
En fait, c’est un fantasme : « Toute
production de l’imagination par laquelle le
moi cherche à échapper à la réalité. » (Le
Robert). Le fantasme renvoie à celui qui
le produit.
2. Le fantasme et le rêveur
Rêverie née du besoin d’échapper à une
réalité pénible.
• Réalité : « les moiteurs de mon front
blême ». Les mots ne sont pas
utilisés pour leur sens, mais pour
leurs connotations : moiteurs et
blême.
• « elle seule, hélas » le comprend,
c’est dire que dans la réalité
personne ne le comprend.
C’est une rêverie signifiante pour la
personnalité du rêveur
• Obsession (« souvent »)
• « Rêve pénétrant » : expérience forte
• Complaisance pour le rêve qui
s’installe et se déroule aussitôt qu’il
est évoqué.
Les émotions recherchées
• Amour protecteur
• Compréhension
• Goût pour les sentiments mêlés, la
délectation morose.
Un portrait de Verlaine
• Cette rêverie est née du besoin
d’échapper à une réalité pénible.
• Ce fantasme est la projections par
l’imagination des frustrations de
l’auteur.
Il échappe à la réalité et y renvoie.
• Réalité et imaginaire se complètent
pour exprimer sa sensibilité, sa
personnalité de Saturnien.
3. Une expérience vivante et ses implications
poétiques
Glissement du récit à l’expérience vivante
• Récit : « Je fais souvent… »
• Rêve « en direct » : le démonstratif
annonce une expérience qui se
déroule en direct.
La structure syntaxique qui s’installe est
donc celle du rêve
• Construction par additions
successives, par juxtaposition.
• Constructions propres au style oral,
par exemple les reprises : « et
m’aime, et me comprend. Car elle
me comprend ».
Implications poétiques
• Le rythme est celui de la rêverie et
donc l’alexandrin n’est pas coupé
classiquement : voir rejets et
enjambements.
• Coexistence simultanée de deux
rythmes qui se conjuguent dans ce
poème
◗ Le rythme musical lié à la
forme d’un sonnet : 14 vers (2
quatrains sur deux rimes, une
strophe de six vers sur trois
rimes, séparés sur le papier en
deux tercets) alexandrins,
rimes ABBA ABBA CCDEDE.
◗ Le rythme psychologique lié à
la syntaxe de la rêverie.
• À quoi il faut ajouter les
allitérations qui créent dans la
phrase et dans le rythme des effets
secondaires importants vers 1 ;
vers 5 ; vers 6, 7 par exemple.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Interprétation de ce poème. Objectif :


travailler la spontanéité de la création du
rêve.
Travailler la ponctuation,
Opérer les groupements de souffle,
Travailler le rythme à l’intérieur de
chaque groupement.

1 Qui provoque une forte impression.


2 Humidité provoquée par la sueur.
3 D’une blancheur maladive.
4 A exilés, a envoyés au loin, qui sont peut-être morts.
5 Changement de ton dans la voix.
Fiche 17 A.
Kourouma (1827-2003)
L’auteur : Il est né en Côte d’Ivoire et a travaillé dans
différents pays d’Afrique de l’ouest. Son premier livre,
Les Soleils des indépendances, le fait reconnaître comme
un écrivain de premier plan. Après la génération
d’écrivains qui écrivent un français très classique, il fait
entendre une voix originale, qui marie des structures,
des rythmes de sa langue maternelle au français. Après
sa retraite, en 1993, il vit dans son pays natal, mais ses
prises de position le contraignent à s’exiler en France en
2000. Il meurt à Lyon.

[Par la force des choses, Birahima est devenu un enfant-soldat. Il se rend au


Liberia pour retrouver sa tante. Après s’être présenté, il raconte « [sa] vie de
merde de damné ».]

Quand on dit qu’il y a guerre tribale1 dans un pays, ça signifie


que des bandits de grand chemin2 se sont partagé le pays. Ils se
sont partagé la richesse ; ils se sont partagé le territoire ; ils se
sont partagé les hommes. Ils se sont partagé tout et tout et le
monde entier les laisse faire. Tout le monde les laisse tuer
librement les innocents, les enfants et les femmes. Et ce n’est
pas tout ! Le plus marrant3 , chacun défend avec l’énergie du
désespoir son gain, et en même temps, chacun veut agrandir son
domaine. (L’énergie du désespoir signifie d’après Larousse4 la
force physique, la vitalité.)
Il y avait au Liberia quatre bandits de grand chemin : Doe,
Taylor, Johnson, El Hadji Koroma, et d’autres fretins5 de petits
bandits. Les fretins bandits cherchaient à devenir grands. Et ça
s’était partagé tout. C’est pourquoi on dit qu’il y avait guerre
tribale au Liberia. Et c’est là où j’allais. Et c’est là où vivait ma
tante. Walahé (au nom d’Allah)6 ! c’est vrai.
Dans toutes les guerres tribales et au Liberia, les enfants-
soldats, les small-soldiers ou children-soldiers ne sont pas payés.
Ils tuent les habitants et emportent tout ce qui est bon à prendre.
Dans toutes les guerres tribales et au Liberia, les soldats ne sont
pas payés. Ils massacrent7 les habitants et gardent tout ce qui est
bon à garder. Les soldats-enfants et les soldats, pour se nourrir et
satisfaire leurs besoins naturels8 , vendent au prix cadeau9 tout
ce qu’ils ont pris et ont gardé.
C’est pourquoi on trouve tout à des prix cadeaux au Liberia.
De l’or au prix cadeau, du diamant au prix cadeau, des
télévisions au prix cadeau, des 4x4, cadeau, des pistolets et des
kalachnikov ou kalach, cadeau, tout et tout au prix cadeau.
Et quand tout est au prix cadeau dans un pays les
commerçants affluent vers ce pays.

Allah n’est pas obligé © Seuil, 2000.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Quand : expression de la causalité.
• Tout : pronom indéfini.
• Présent de vérité générale.
• C’est pourquoi.

Compréhension de l’écrit
1. L’expression « guerre tribale » convient-elle
à la définition qu’en donne Birahima ?
Non, il s’agit de factions.
2. Retrouvez le texte qui explique « Les bandits
de grand chemin se sont partagé le pays ».
Ils se sont partagé la richesse… les
hommes
3. Quelles sont les trois idées exprimées dans le
1er paragraphe ?
« Guerre tribale » : des bandits se sont
partagé le pays (richesses, territoire,
hommes)
Le monde entier les laisse faire
Chaque faction veut agrandir son pouvoir
4. Que représente le 2è paragraphe par rapport
au 1er ?
C’est un exemple, une application à la
situation du Libéria.
5. §3 : Pour Birahima quelle est la raison des
massacres et des pillages ?
Les soldats ne sont pas payés.
6. Quelles en sont les deux implications ?
Ils massacrent et ils pillent, puis
revendent leur butin à prix cassés.
Cette situation économique attire des
gens guidés par le lucre.
7. Faites maintenant le plan de l’exposé de
Birahima.
1. Définition de « guerre tribale ». §1.
2. Illustration : Le Liberia. §2.
3. Raison des massacres : les soldats ne
sont pas payés. §3.

É
4. Implications : Économie ravagée et
arrivée massive de profiteurs. §4.
8. Quels sont les liens logiques qui structurent
son exposé ?
« C’est pourquoi » : lien entre 1. et 2. Il
prend l’exemple de ce qui se passe au
Liberia ; cela illustre la définition qu’il a
donnée de « guerre tribale ».
« C’est pourquoi » : lien entre 3. et 4. Les
soldats ne sont pas payés, DONC (lien
implicite) ils pillent et massacrent. C’est la
raison qui entraîne deux implications en
cascade.

II. EXPLOITATION LITÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Quelles sont les caractéristiques de l’exposé
de Birahima ?
Fondées sur le raisonnement.
Documentées
Dénuées de pathos
Dénuées d’implication personnelle, sauf à
signaler la raison pour laquelle il a été
embarqué comme enfant-soldat : il allait
chez sa tante.
2. Et ça s’était partagé tout : Que signifie l’emploi
de « ça » ?
Distance par rapport à ces bandits, mais
surtout mépris.
3. Par l’exposé de Birahima, que veut faire
l’auteur ?
Il veut dénoncer un scandale et ses
auteurs, notamment au Liberia.
4. Qui attaque-t-il ?
Les chefs de factions au Libéria : les
quatre plus importants et d’autres, plus
petits.
Le reste du monde qui laisse faire.
Les profiteurs de guerre.
5. Qui/que défend-il ?
Les populations civiles, les enfants-soldats
embarqués malgré eux.
L’idée d’un état de droit.
Le respect de l’homme et de sa vie.

Plan de leçon
1. Une leçon de géopolitique
• Une définition de « guerre
tribale ».
• Application à une situation donnée,
située et datée : Le Liberia, à partir
de 1989 jusqu’à 2000 (date de
publication du livre).
2. Un réquisitoire
Ce que Kourouma dénonce :
• Un pays livré à la loi de la jungle, à
un pillage en règle de ses richesses
et de son économie.
• L’absence d’un état de droit,
l’effondrement de l’État.
• Les massacres.
• Les pillages.
• L’exploitation et la dégradation des
soldats, en particulier des enfants-
soldats.
• La lâcheté internationale.
• Le goût du lucre et l’immoralité des
profiteurs.
Qui dénonce-t-il ?
• Nommément : Doe, Taylor,
Johnson et El Hadji Koroma.
• Les gouvernements du monde
entier et probablement l’ONU.
3. Les moyens de la dénonciation
• Un raisonnement logique
(retrouver les articulations du
raisonnement)
• Fait de l’intérieur par un enfant-
soldat, protagoniste de l’histoire.
• Sans pathos : l’exposé des faits
suffit.
• Une écriture originale :
impropriétés signifiantes. Elles
obligent le lecteur à s’arrêter.
4. Ce texte : un exemple parfait de la littérature
témoignage
Rechercher de l’information auprès des
historiens (disponible sur Internet) sur la
guerre au Liberia.
Mettre cette information en parallèle avec
la dénonciation de Kourouma pour
évaluer
• Le degré de fiabilité de ce
témoignage.
• L’engagement de Kourouma.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Interaction orale pour la classe :


• Qu’est-ce que de la littérature
engagée ?
• « Aux enfants de Djibouti : c’est à
votre demande que ce livre a été
écrit ». Comment comprenez-vous
cette dédicace de Kourouma ?
(sujet nécessitant une recherche
préalable).
• Connaissez-vous d’autres exemples
de littérature engagée ?
• Pensez-vous que les enfants
comme Birahima pourront se
relever de cette expérience
d’enfant-soldat ?
✓ Production écrite :
• Vous écrivez une lettre à Birahima.
Qu’avez-vous à lui dire ?
• Birahima vient chez vous.
Comment croyez-vous que se
passe cette rencontre ? Ce séjour ?
Imaginez et racontez en
réfléchissant aux difficultés
rencontrées par lui et par vous.
1 Qui concerne la tribu. On appelle « tribu » un groupe social et
politique fondé sur l’origine ethnique chez des peuples à
organisation primitive.
2 Voleurs qui autrefois attaquaient les voyageurs. Ici, formule naïve
de Birahima.
3 (Mot familier). Drôle, amusant.
4 Chapitre 1, l’enfant se présente et explique sa façon de raconter.
« Pour raconter ma vie de merde, de bordel de vie dans un français
approximatif, un français passable, pour ne pas mélanger les pédales
dans les gros mots, je possède quatre dictionnaires. Primo le dictionnaire
Larousse et le Petit Robert, secundo l’Inventaire des particularités
lexicales du français en Afrique noire et tertio le dictionnaire
Harrap’s. »
5 Éléments que l’on considère comme très peu importants dans un
groupe.
6 Voir note 4.
7 Ils tuent violemment.
8 Birahima commet une impropriété. « besoins naturels » veut dire
« besoin d’uriner… ».
9 Formule inventée par Birahima pour dire « très bon marché ».
Fiche 18 G. Perec
(1836-1982)
L’auteur : Il est né dans une famille juive polonaise
émigrée en France. Son père disparaît au combat en
1940, sa mère en déportation en 1943. Ces événements
vont marquer son œuvre. Il fait des études de lettres et
de sociologie. Très vite tenté par l’écriture, il reçoit le
prix Renaudot pour son premier livre, Les Choses en
1965. Il entre à l’OuLiPo en 1970. Son œuvre se
caractérise par la recherche de nouvelles formes de
création littéraire.

[Jérôme et Sylvie ont respectivement 24 et 22 ans au début des années 60. Ils
abandonnent leurs études de sociologie et entreprennent des enquêtes de
psycho-sociologie (socio marketing) pour gagner leur vie. Comme beaucoup de
jeunes gens issus de la petite bourgeoisie, ils rêvent de posséder « les choses »
que le monde de la consommation identifie au bonheur.]

L’économique1 , parfois, les dévorait tout entiers. Ils ne


cessaient pas d’y penser. Leur vie affective même, dans une
large mesure, en dépendait étroitement. Tout donnait à penser
que, quand ils étaient un peu riches, quand ils avaient un peu
d’avance2 , leur bonheur commun était indestructible ; nulle
contrainte ne semblait limiter leur amour. Leurs goûts, leur
fantaisie, leur invention, leurs appétits se confondaient dans une
liberté identique. Mais ces moments étaient privilégiés ; il leur
fallait plus souvent lutter : aux premiers signes de déficit, il
n’était pas rare qu’ils se dressent l’un contre l’autre. Ils
s’affrontaient pour un rien, pour cent francs3 gaspillés, pour une
paire de bas, pour une vaisselle pas faite. Alors, pendant de
longues heures, pendant des journées entières, ils ne se parlaient
plus. Ils mangeaient l’un en face de l’autre, rapidement, chacun
pour soi, sans se regarder. Ils s’asseyaient chacun dans un coin
du divan, se tournant à moitié le dos. L’un ou l’autre faisait
d’interminables réussites4 .
Entre eux se dressait l’argent. C’était un mur, une espèce de
butoir5 qu’ils venaient heurter à chaque instant. C’était quelque
chose de pire que la misère : la gêne6 , l’étroitesse, la minceur.
Ils vivaient le monde clos de leur vie close, sans avenir, sans
autres ouvertures que des miracles impossibles, des rêves
imbéciles, qui ne tenaient pas debout7 . Ils étouffaient. Ils se
sentaient sombrer8 .
Ils pouvaient, certes, parler d’autre chose, d’un livre
récemment paru, d’un metteur en scène, de la guerre ou des
autres, mais il leur semblait parfois que leurs seules « vraies »
conversations concernaient l’argent, le confort, le bonheur.

Les Choses © Julliard, 1965.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• L’imparfait.
• Il leur fallait lutter (sens du verbe
falloir).

Compréhension de l’écrit
1. Leur vie affective… étroitement : Que remplace le
mot « en » ?
L’économique.
2. Que représente le texte « tout donnait à
penser… réussites. » par rapport aux lignes
précédentes ?
Ce texte représente l’illustration du fait
que la vie affective de Jérôme et Sylvie
dépendait de l’économique, de l’état de
leurs finances.
3. Pourquoi Perec dit-il que la gêne de Sylvie et
Jérôme était « pire que la misère » ?
Lorsqu’on est dans la misère, on cherche
à satisfaire les besoins primaires, et on y
a bien du mal. On est très loin des désirs
de consommation. Jérôme et Sylvie sont
aux portes de la consommation, ils ont
des désirs, mais ne peuvent les satisfaire.
Les objets de leurs désirs sont à portée
de vue, mais inaccessibles.
4. Pourquoi parle-t-il de « miracles impossibles,
de rêves imbéciles » ?
« Miracles ». Il faudrait cela pour que leur
situation financière change ; or, c’est
impossible.
« Rêves imbéciles » : ils ont des rêves,
mais c’est faible et stupide parce que ces
rêves ne pourront jamais être réalisés.
5. Quel lien Sylvie et Jérôme font-ils entre
« l’argent, le confort, le bonheur » ?
L’argent donne le confort, qui donne le
bonheur.
6. Quel type de société Perec décrit-il ?
La société de consommation.

É
II. EXPLOITATION LITÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Rappel : À quelle catégorie sociale
appartiennent Jérôme et Sylvie ?
Petite bourgeoisie.
2. D’après le texte, comment pouvez-vous
définir les « goûts, l’invention, la fantaisie, les
désirs » de Sylvie et Jérôme ?
Tous ces aspects de la vie s’expriment
dans le domaine de la consommation.
3. Qu’en attendent-ils ?
Le bonheur par l’avoir.
4. Quel est alors l’élément-clé de leur bonheur ?
L’argent.
5. Qu’en pense Perec ?
C’est une aliénation.
C’est une erreur de chercher à être par
l’avoir.
5. Comment le montre-t-il ?
Description de la situation heureuse ou
malheureuse du couple selon qu’ils ont de
l’argent ou non.
Analyse.

Plan de leçon
1. Une analyse de jeunes adultes, en France,
dans les années 60
Une catégorie sociale
Petite bourgeoisie (Voir les notes qui
précèdent le texte)
Totalement définie par son rapport à la
consommation
Et par voie de conséquence, par son
rapport à l’argent.
Ils veulent « être » par « l’avoir ».
2. Un point de vue critique
Vie rétrécie et donc déformée : n’est
centrée que sur un objectif, la quête de
l’être par l’avoir.
« Monde clos de leurs vies closes ».
Aliénation de leur humanité :
Le pôle de l’avoir dirige leur vie,
jusqu’à leur vie affective.
Abandon d’intérêt pour des
préoccupations humaines : le monde
et ses vicissitudes, la culture, les
autres, tous ces sujets sont très
secondaires.
Une erreur : Un bonheur illusoire,
• parce qu’ils sont tentés par la
consommation et qu’ils n’auront
pas les ressources pour y accéder
pleinement.
• parce que la voie qu’ils suivent :
obtenir l’être par l’avoir est un
leurre.
3. Un témoignage
À confronter à des documents de
sociologues. Voir III. Activités
complémentaires.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Interaction orale pour la classe :


• Pouvez-vous définir la recherche de
l’être ?
• Quelles sont les conditions
indispensables à satisfaire pour
que les hommes aient la possibilité
et la liberté de s’adonner à la
recherche de l’être ?
• Pourquoi, à votre avis, cette quête
forcenée de l’avoir est-elle
condamnée à être perpétuelle ?
• Chercher de la documentation
sociologique sur les années 60, la
consommation et évaluer le point
de vue de Perec.
• Confrontez ce texte à ce que vous
observez aujourd’hui.
✓ Production écrite :
• Dans le roman, Jérôme et Sylvie
partent vivre au Maroc. Imaginez
ce qui se passe alors.
• Imaginez que Jérôme et Sylvie
voyagent dans un pays du Tiers-
Monde. Quel rôle ce voyage peut-il
avoir à leur retour ? Racontez.
1 Mot pris dans son sens technocratique ; il désigne le domaine de
tout ce qui a rapport à l’argent : ce qui en produit, ce qu’il permet
d’acheter, les recettes, les dépenses, etc.
2 Un peu d’économies.
3 Équivalent actuel de 15 € ; c’est une somme relativement peu
importante en 1965.
4 Jeu que l’on pratique seul, avec des cartes.
5 Ici, un élément sur lequel on s’arrête, qui empêche d’avancer.
6 Ici, difficulté d’argent : on peut acheter à peine, ou tout juste, le
nécessaire.
7 Déraisonnables, impossibles, stupides.
8 Se dit d’un bateau qui coule.
Fiche 19 E. Ionesco
(1912-1994)
L’auteur : Voir fiche 1.

[Un soir comme tous les autres, et après beaucoup d’autres, Le Vieux et la Vieille
tentent de vivre et de supporter la condition humaine. Mais les vieilles recettes
sont usées et ils décident d’utiliser celle qu’ils gardaient en réserve jusqu’à
présent : un jour, le Vieux délivrera un message à l’humanité pour la sauver. Ce
sera ce soir. La pièce bascule : les invités « arrivent », quelques individus isolés
d’abord. Les deux vieux vont chercher des chaises. Qui est assis sur ces chaises ?
Un photograveur1 ? Non, personne, en fait… et c’est à ce néant assis sur des
chaises qu’ils tiennent, entre autres, ce discours :]

La vieille, au photograveur
Nous avons eu un fils… Il vit bien sûr… Il s’en est allé…
c’est une histoire courante…plutôt bizarre… il a abandonné ses
parents… il avait un cœur d’or2 … il y a bien longtemps… Nous
qui l’aimions tant… il a claqué la porte… Mon mari et moi nous
avons essayé de le tenir de force… il avait sept ans, l’âge de
raison, on lui criait : Mon fils, mon enfant, mon fils, mon
enfant… il n’a pas tourné la tête.
Le vieux
Hélas, non… non… nous n’avons pas eu d’enfant… J’aurais
bien voulu avoir un fils… Sémiramis aussi… nous avons tout
fait… ma pauvre Sémiramis, elle qui est si maternelle. Peut-être
ne le fallait-il pas. Moi-même j’ai été un fils ingrat3 … Ah !…
De la douleur, des regrets, des remords4 , il n’y a que ça… il ne
nous reste que ça…
La vieille
Il disait : Vous tuez les oiseaux ! Pourquoi tuez-vous les
oiseaux ?… Nous ne tuons pas les oiseaux… on n’a jamais fait
de mal à une mouche… Il avait de grosses larmes dans les yeux.
Il ne nous laissait pas les essuyer. On ne pouvait pas l’approcher.
Il disait : si, vous tuez tous les oiseaux, tous les oiseaux… Il
nous montrait ses petits poings… Vous mentez, vous m’avez
trompé ! Les rues sont pleines d’oiseaux tués, de petits enfants
qui agonisent5 . C’est le chant des oiseaux !… Non, ce sont des
gémissements6 . Le ciel est rouge de sang… Non, mon enfant, il
est bleu… Il criait encore : Vous m’avez trompé, je vous adorais,
je vous croyais bons… les rues sont pleines d’oiseaux morts,
vous leur avez crevé les yeux7 … Papa, maman, vous êtes
méchants !… Je ne veux plus rester chez vous… Je me suis jetée
à ses genoux… Son père pleurait. Nous n’avons pas pu
l’arrêter… On l’entendit encore crier : C’est vous les
responsables… Qu’est-ce que c’est responsable ?
Le vieux
J’ai laissé ma mère mourir toute seule dans un fossé8 . Elle
m’appelait, gémissait faiblement : Mon petit enfant, mon fils
bien-aimé, ne me laisse pas mourir toute seule… Reste avec
moi. Je n’en ai pas pour bien longtemps. Ne t’en fais pas,
maman, lui dis-je, je reviendrai dans un instant… j’étais
pressé… j’allais au bal, danser. Je reviendrai dans un instant. À
mon retour, elle était morte déjà, et enterrée profondément… J’ai
creusé la terre9 , je l’ai cherchée… je n’ai pas pu la trouver… Je
sais, je sais, les fils, toujours, abandonnent leur mère, tuent plus
ou moins leur père… la vie est comme cela… mais moi, j’en
souffre… les autres, pas…
La vieille
Il criait : Papa, maman, je ne vous reverrai pas…
Le vieux
J’en souffre, oui, les autres, pas…
La vieille
Ne lui en parlez pas à mon mari. Lui qui aimait tellement ses
parents. Il ne les a pas quittés un instant. Il les a soignés,
choyés10 … Ils sont morts dans ses bras, en lui disant : Tu as été
un fils parfait. Dieu sera bon pour toi.
Le vieux
Je la vois encore allongée dans son fossé, elle tenait du
muguet11 dans sa main, elle criait : Ne m’oublie pas, ne
m’oublie pas… elle avait de grosses larmes dans ses yeux, et
m’appelait par mon surnom d’enfant : Petit poussin, disait-elle,
petit poussin, ne me laisse pas toute seule, là.
La vieille
Il ne nous a jamais écrit. De temps à autre, un ami nous dit
qu’il l’a vu là, qu’il l’a vu ci, qu’il se porte bien, qu’il est un bon
mari…
Le vieux
À mon retour, elle était enterrée depuis longtemps.

Les Chaises © Gallimard, 1954.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• « Si » : affirmation.
• Imparfait.
• Présent de vérité générale : « les
fils, toujours… la vie est comme
cela. ».
• Le dialogue rapporté dans la tirade
de la Vieille : « Vous tuez les
oiseaux… » : le rétablir en
attribuant les répliques qui
reviennent à chaque protagoniste.
• Dans un dialogue rapporté par le
discours direct, quels sont les
langages théâtraux aptes à traduire
✓ les différents
interlocuteurs ?
✓ le début et la fin du
discours rapporté ?
• La ponctuation dans un texte
théâtral, notamment les points de
suspension. Quelle est leur
signification ?
• Utilité et valeur du silence dans le
langage.

Compréhension de l’écrit
1. Réplique 1 : Quelles informations la Vieille
donne-t-elle ?
Le couple a eu un fils.
À sept ans, ce fils a abandonné ses
parents.
Les parents ne voulaient pas cette
rupture.
2. Réplique 2 : Quelles informations le Vieux
donne-t-il ?
Le couple n’a pas eu d’enfant.
Le Vieux a été un fils ingrat.

Réplique 3
3. Rétablissez le dialogue entre le fils et ses
parents. Indiquez les parties du texte qui
seraient des didascalies.
4. Résumez les informations données par la
Vieille.
Le fils accusait ses parents d’être
méchants, de l’avoir trompé sur leur
nature.
La Vieille réfutait ces accusations qu’elle
ne comprenait pas.

Réplique 4
5. Quelles informations le vieux donne-t-il ?
Il raconte les circonstances de la mort de
sa mère.
Il explique pourquoi il l’a abandonnée :
« le bal ».
Il dit ses remords tardifs.
Il généralise les deux histoires que le
couple vient de raconter.
6. Que signifie « J’étais pressé, j’allais au bal
danser » ?
La métaphore du bal est souvent utilisée
pour LA VIE. Il a quitté sa mère pour aller
vivre sa vie.

Répliques 5 et 6
7. Quelle information la vieille donne-t-elle ?
Le Vieux a été parfait avec ses parents ;
ils sont morts dans ses bras.
8. Dans un premier temps, vous ne reprenez
que les propos de la Vieille. Qu’est-ce que vous
en apprenez ?
Ils ont eu un fils.
Ce fils les a quittés quand il avait sept
ans.
Il leur reprochait de tuer les oiseaux.
Elle nie toute culpabilité.
Le vieux a été un fils parfait, il a
accompagné ses parents mourants.
9. Dans un deuxième temps, vous ne lisez que
les propos du Vieux. Qu’est-ce que vous en
apprenez ?
Ils n’ont pas eu d’enfant.
Il a laissé sa mère mourir seule.
10. Vous avez constaté que les histoires
racontées par La Vieille et le Vieux ne sont pas
réalistes et qu’elles se contredisent l’une
l’autre. Où le message du texte est-il clairement
exprimé ?
« Je sais, je sais, les fils toujours
abandonnent leur mère, tuent plus ou
moins leur père… la vie est comme cela. »

II. EXPLOITATION LITÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Rappel : vous avez repéré la formule qui
exprime le message du texte :
« Je sais, je sais, les fils toujours
abandonnent leur mère, tuent plus ou
moins leur père… la vie est comme cela. »
2. Le Vieux et la Vieille ont parlé
alternativement. S’agit-il d’un dialogue ?
Non. Chacun développe son sujet. Ils ne
se parlent pas.
3. Que représente l’histoire des oiseaux ?
Une métaphore.
4. Que signifie la métaphore des oiseaux ?
Les oiseaux, les enfants sont des
innocents. Le fils a fait la découverte
douloureuse de l’existence du mal.
5. Observez uniquement le discours de la
Vieille. Comment les parents ont-ils vécu et
vivent-ils le départ de leur enfant ?
Douloureusement.
6. Observez uniquement le discours du Vieux.
Comment vit-il le fait d’avoir abandonné sa
mère mourante ?
Douloureusement.

Plan de leçon
1. Analyse du discours des personnages
Un seul message :
• Séparation inéluctable
parents/enfants : « Je sais, je
sais… Les fils, toujours,
abandonnent leur mère, tuent plus
ou moins leur père… La vie est
comme cela ».
• Découverte du mal par l’enfant qui
grandit, désillusion : « Papa,
maman, je vous croyais bons, vous
êtes méchants, vous m’avez
menti ».
• Douleur inéluctable des deux côtés.
Une répartition des rôles :
• Discours de La Vieille : elle tient le
rôle des parents.
• Discours du Vieux : il tient le rôle
des enfants.
La scène : un chant de souffrance sur ces
aspects de la condition humaine :
• Les deux discours ne s’annulent
pas : La vieille dit que le Vieux a
choyé ses parents, le Vieux dit
qu’ils n’ont pas eu d’enfant. C’est
une indication claire pour entendre
ou lire la scène autrement qu’avec
une grille réaliste.
• Cette scène est un chant à deux
voix, chacun chantant sa partie du
même « air », à ceci près que
l’ordre du langage est séquentiel.
2. Forme théâtrale
Statut des personnages :
• Ils ne sont que ce qu’ils disent.
(aucun élément de réalisme)
• Ils sont des supports.
Parenté avec l’opéra.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES


✓ Jouer ce texte.
✓ Pour la classe :

É
• Écouter l’air des cartes de Carmen
(opéra de Georges Bizet) Acte III,
tableau 1 : trio Frasquita,
Mercédès, Carmen puis lire le livret
(disponible sur Internet).
• Comparer à la scène des Chaises :
• Musique : dans le livret les paroles
sont écrites à la suite les unes des
autres. Mais elles sont simultanées
dans le chant.
• Les Chaises : ordre du langage,
nécessairement séquentiel.
✓ Interaction orale pour la classe OU
production écrite :
• Comparez ce texte à celui
d’Anouilh : qu’ont-ils en commun ?
• La désillusion est-elle inéluctable
lorsqu’on découvre le monde
adulte ?

1 Photogravure : technique d’impression des photographies.


2 Il est très gentil, généreux.
3 Qui ne remercie pas.
4 Regret d’une faute qu’on a faite.
5 Vivent les derniers moments avant la mort.
6 Plaintes émises par la voix sans articuler de mots, petits cris de
douleur.
7 Vous leur avez percé les yeux, ils ne peuvent plus voir.
8 Trou le long d’une route, sur le côté.
9 J’ai fait un trou en enlevant de la terre.
10 Il les a entourés de beaucoup de soins.
11 Petites fleurs blanches en forme de clochettes.
Fiche 20 L. Aragon
(1897-1982)
L’auteur : Il avait commencé des études de médecine
quand il est parti pour la guerre. C’est là qu’il rencontre
Breton. Ils seront à l’origine des mouvements dadaïste
et surréaliste. En 1927, il entre au PCF (Parti
Communiste Français). En 1928, il se lie avec Elsa
triolet, qui sera l’amour de sa vie et à qui il consacrera
de nombreux poèmes. Il rompt avec Breton en 1932.
Jusqu’en 1939, il partage sa vie entre l’activité
militante et l’écriture. Pendant la guerre, il retrouve la
médecine militaire et s’engage dans la Résistance.
Après la guerre, il reprend ses activités d’écrivain et de
militant au sein du PCF. Après la mort de Staline
(1953), il ouvre son journal aux dissidents, mais reste
fidèle jusqu’à sa mort à son engagement.

J’en ai tant vu qui s’en allèrent


Ils ne demandaient que du feu
Ils se contentaient de si peu
Ils avaient si peu de colère

J’entends leurs pas j’entends leurs voix


Qui disent des choses banales
Comme on en lit sur le journal
Comme on en dit le soir chez soi

Ce qu’on fait de vous hommes femmes


Ô pierre tendre tôt usée
Et vos apparences brisées
Vous regarder m’arrache l’âme
Les choses vont comme elles vont
De temps en temps la terre tremble
Le malheur au malheur ressemble
Il est profond profond profond

Vous voudriez au ciel bleu croire


Je le connais ce sentiment
J’y crois aussi moi par moments
Comme l’alouette au miroir1

J’y crois parfois je vous l’avoue


À n’en pas croire mes oreilles
Ah je suis bien votre pareil
Ah je suis bien pareil à vous

À vous comme les grains de sable


Comme le sang toujours versé
Comme les doigts toujours blessés
Ah je suis bien votre semblable

J’aurais tant voulu vous aider


Vous qui semblez autres moi-même
Mais les mots qu’au vent noir je sème
Qui sait si vous les entendez

Tout se perd et rien ne vous touche


Ni mes paroles ni mes mains
Et vous passez votre chemin
Sans savoir ce que dit ma bouche

Votre enfer est pourtant le mien


Nous vivons sous le même règne
Et lorsque vous saignez je saigne
Et je meurs dans vos mêmes liens

Quelle heure est-il quel temps fait-il


J’aurais tant aimé cependant
Gagner pour vous pour moi perdant
Avoir été peut-être utile

C’est un rêve modeste et fou


Il aurait mieux valu le taire
Vous me mettrez avec en terre
Comme une étoile au fond d’un trou

Les Poètes in Le Discours à la première personne


(Discours 3, J’entends, j’entends…) © Gallimard, 1960.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• L’ordre des mots en français courant et
en poésie.

Compréhension de l’écrit
1. Strophes 1 et 2 : De qui parle Aragon ?
Il parle des gens simples malheureux.

Strophe 3
2. À qui s’adresse-t-il maintenant ?
Il s’adresse à ces gens simples,
malheureux, exploités.
3. Quel rapport y a-t-il entre les vers 1 et 2, 3 ?
Ces gens sont détruits physiquement,
vieillis avant l’âge, vraisemblablement par
le travail et les conditions de vie. Ils sont
exploités.
4. Qui est ce « on » du vers 1 ?
« On » représente ceux qui ont exploité
les pauvres.
5. Quel sentiment éprouve-t-il devant ces
pauvres gens ?
Il éprouve de la douleur (vers 4).

Strophe 4
6. Comment comprenez-vous le vers 2 ?
C’est une image pour évoquer la violence
du malheur, la guerre.

Strophe 5
7. Comment comprenez-vous le vers 1 ?
« Le ciel bleu » : image classique pour
évoquer la paix, le bonheur, l’espoir.
8. Vers 4 : qu’apporte cette comparaison ?
Cette comparaison introduit l’idée que
l’espoir de paix est à la fois réel parce
qu’on l’éprouve, et illusoire parce que
l’avenir meilleur, s’il existe, est lointain.
9. Strophes 6 et 7 : Quelle idée Aragon
développe-t-il ?
« Je suis bien votre pareil »
10. Dans la strophe 9, que faut-il comprendre
au vers 2 ?
Mon œuvre littéraire et mon action
militante au sein d’un parti politique, le
PCF.
11. Dans la strophe 10, que comprenez-vous au
vers 2 ?
C’est une allusion politique : société en
classes, avec le règne des riches sur les
pauvres, exploités par les premiers.
12. Strophes 8 à 12 : Quelle idée Aragon
développe-t-il ?
Il adresse une sorte de bilan amer au
monde des exploités :
Je suis totalement solidaire de votre sort,
de votre espoir,
Je milite en tant qu’homme et en tant
qu’écrivain pour vous, pour votre
libération.
Mais vous ne le savez pas. Mon œuvre et
mon action vous sont étrangères,
inconnues.

II. EXPLOITATION LITÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Comment le poète se définit-il ?
« … je suis bien pareil à vous » : le
monde des « damnés de la terre » est le
sien par solidarité avec leurs malheurs et
leurs espoirs.
2. Quel est le sujet de ce poème ?
Bilan d’un écrivain engagé par ses actes
et par ses écrits : il n’est pas entendu par
ceux pour qui il agit.
3. Dernière strophe : qu’est-ce qui est « un rêve
modeste et fou » ?
« avoir été peut-être utile »
4. Comment comprenez vous la comparaison du
dernier vers ?
L’étoile est la lumière dans la nuit : elle
réconforte et elle guide. C’est ce qu’il
aurait voulu être pour ce peuple et qu’on
enterrera.
5. Relevez les images du poème.
Vers 2 : feu. Vers 10 : pierre tendre. Vers
14 : la terre tremble. Vers 17 : ciel bleu.
Vers 31 : les mots qu’au vent noir je
sème. Vers 34 : mes mains. Vers 37 :
votre enfer. Vers 37 à 40.
6. Relevez les comparaisons du poème.
Vers 7, 8, 20, 25, 26, 27.
7. Combien y a-t-il de pieds dans chaque vers ?
Huit. Les vers sont des octosyllabes.
8. Observez les rimes dans chaque strophe.
Rimes embrassées.

Plan de leçon
1. Un poète engagé
S’adresse aux opprimés
« Vous », tout de suite après la 3e
personne.
Gens humbles (strophe 1)
Marqués dans leur corps « Vos
apparences brisées ».
Exploités « Ce qu’on fait de vous »
(Strophe 3, vers 1), « Nous vivons
sous le même règne », Strophe 10,
vers 2).
Exprime sa solidarité
Sentimentale, affective (strophe 3,
vers 4)
Politique : Allusions qui se réfèrent à
son engagement politique
communiste « Ce qu’on fait de vous
hommes femmes »… « Nous vivons
sous le même règne ».
Il se range à leurs côtés (surtout
strophe 10) en se revendiquant
résolument « pareil à eux », faisant
siennes leurs souffrances et
partageant leurs espoirs d’une vie
meilleure.
Un engagement largement prouvé « mes
paroles… mes mains »
« Mes paroles » renvoie à toute
l’œuvre engagée écrite.
« Mes mains » renvoie à toutes les
actions militantes d’Aragon.
2. Une réflexion sur la littérature et le poète
engagés
• La fonction du poète : Aragon a
rêvé d’être utile, « une étoile » :
symbole de lumière et de guide par
ses écrits. Référence à une des
thèses de Jdanov : la fonction de
l’écrivain est d’être un artisan de la
révolution avec les outils qui sont
les siens, la littérature.
Les destinataires de cette
« mission » l’ont ignorée. Cette
voix des pauvres, pour les pauvres,
n’est pas entendue par eux.
• Constat et bilan désenchantés d’un
vieux poète militant : texte publié
en 1960, revu et corrigé par lui en
1968. La littérature engagée qu’il a
produite est inaccessible aux gens
qu’elle veut défendre ; c’est l’échec
douloureux de sa mission. C’est le
sens de la dernière strophe.
• Une fin de parcours engagé ?
Oui, si l’on considère le constat
d’échec. Mais, ce bilan et le chagrin
qu’il a fait naître s’adressent encore
aux mêmes destinataires : ultime
recours pour se faire entendre.
3. Genre : Poésie lyrique traditionnelle
Thèmes :
Fraternité, solidarité avec les
« damnés de la terre ».
Bilan de vie d’un vieil homme engagé
et d’un poète.
Forme :
Versification : octosyllabes. Depuis le
XVIe siècle, vers traditionnels de la
poésie lyrique.
Rimes embrassées, alternance rimes
féminines et rimes masculines.
Images : toujours simples à décoder.
Comparaisons.

Donc poésie lyrique traditionnelle. Seul


héritage du surréalisme : absence de
ponctuation. Aucune surprise dans le fait
que ce poème ait été mis en musique : la
chanson est devenue le refuge de la
poésie lyrique.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

Pour la classe
✓ Compréhension de l’oral :
Écouter ce texte chanté par Marc Ogeret
(Ogeret chante Aragon, second
intermède, titre 8 J’entends, j’entends.
EPM, 1992) ou par Jean Ferrat (nombreux
enregistrements).
✓ Interaction orale ou production écrite :
• Quel est, selon vous, le pouvoir de
la littérature engagée ?
• Certains affirment que la littérature
est toujours engagée. Comment
cela est-il possible ?
• Certains assurent que c’est la
fonction et le devoir de la
littérature de s’engager. Partagez-
vous cette conviction ?
• Quelle est, ou quelles sont, selon
vous la (les) fonctions(s) de la
littérature ?
• Quels sont aujourd’hui, les autres
arts qui peuvent s’engager ?
• Connaissez-vous de la littérature
engagée dans votre propre
culture ?
• Faites-vous une différence entre
art engagé et propagande ?
Expliquez.
• Retrouvez la ponctuation qui
respecterait les groupements de
mots et le sens du texte.
• Apprenez ce texte et dites-le.

1 Le miroir aux alouettes : image connue pour dire que c’est une
illusion. On chasse les alouettes en les attirant avec un miroir.
Fiche 21 A. Camus
(1913-1960)
L’auteur : Il est né en Algérie, alors française, dans un
milieu très pauvre, et n’a pas connu son père, mort à la
guerre. Sa mère, sourde, ne sait ni lire, ni écrire. Grâce
à un instituteur, il poursuit des études au lycée. Mais
atteint de tuberculose, il ne passe pas l’agrégation. Il
fait du journalisme, du théâtre et commence à publier.
En 1940, son journal ayant été interdit, il vient à Paris,
travaille à Paris-Soir, publie L’Étranger et un essai
philosophique, Le Mythe de Sisyphe. En 1943, il entre
au journal résistant Combat ; il écrit des pièces de
théâtre, connaît Sartre, devient lecteur chez Gallimard.
Après la guerre, il poursuit son activité littéraire en
publiant romans (très grand succès de La Peste),
théâtre, essais philosophiques, notamment L’Homme
révolté (1951), dans lequel il condamne, entre autres, le
stalinisme. C’est la rupture avec Sartre. Quand
commence la guerre d’Algérie, il est déchiré ; ses efforts
pour épargner la violence sur les civils sont incompris
des deux côtés. En 1956, il publie La Chute, œuvre dans
laquelle il vise ceux qui l’ont violemment critiqué, mais
pratique aussi une sorte d’autocritique. Il reçoit le prix
Nobel en 1957. Il meurt dans un accident de voiture en
1960. Depuis, et avec l’éclairage des événements
historiques, son œuvre connaît un succès constant.

[Meursault, Français d’Algérie, note les faits de sa vie depuis l’annonce de la mort
de sa mère. Il est allé aux obsèques, puis a rencontré Marie, qui est devenue sa
maîtresse. Il a aidé un voisin, Raymond Sintès. Cet homme a frappé, puis quitté
sa compagne, une femme arabe. Il a invité Meursault et Marie à passer le
dimanche à la plage. Le frère de la femme arabe est venu se battre avec Sintès.
Meursault, qui a pris le revolver de Sintès pour éviter un drame, marche sur la
plage. L’arabe sort un couteau. Meursault tire. C’est la première partie. Dans la
2ème partie, Meursault est en prison. Le procès a lieu. Il attend le jugement.]

Nous avons attendu très longtemps, près1 de trois quarts


d’heure. Au bout de ce temps, une sonnerie a retenti2 . Mon
avocat m’a quitté en disant : « Le président du jury3 va lire les
réponses4 . On ne vous fera entrer que pour l’énoncé du
jugement. ». Des portes ont claqué. Des gens couraient dans les
escaliers dont je ne savais pas s’ils étaient proches ou éloignés.
Puis j’ai entendu une voix sourde5 lire quelque chose dans la
salle. Quand la sonnerie a encore retenti, que la porte du box6
s’est ouverte, c’est le silence de la salle qui est monté vers moi,
le silence, et cette singulière7 sensation que j’ai eue quand j’ai
constaté que le jeune journaliste8 avait détourné les yeux. Je n’ai
pas regardé du côté de Marie9 . Je n’en ai pas eu le temps parce
que le président m’a dit dans une forme bizarre que j’aurais la
tête tranchée10 sur une place publique au nom du peuple
français. Il m’a semblé alors reconnaître le sentiment que je
lisais sur tous les visages. Je crois bien que c’était de la
considération11 . Les gendarmes étaient très doux avec moi.
L’avocat a posé sa main sur mon poignet12 . Je ne pensais plus à
rien. Mais le président m’a demandé si je n’avais rien à ajouter.
J’ai réfléchi. J’ai dit : « Non. ». C’est alors qu’on m’a emmené.

L’Étranger © Gallimard, 1942.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Le passé composé.
• L’imparfait.
• Conditionnel futur du passé : « … le
président m’a dit… que j’aurais la tête
tranchée… ».
• Le futur proche : « Le président va
lire… ».
• « Quand la sonnerie a encore retenti, que
la porte… » : Que = reprise de quand.
• Analyse de la nature des subordonnées.

Compréhension de l’écrit
1. « Une sonnerie a retenti » : Que signifie ce
signal ?
Le jury a fini. On va lire le jugement.
L’avocat peut rentrer dans la salle du
tribunal.
2. « La sonnerie a encore retenti » : Que signifie
ce second signal ?
Meursault doit maintenant entrer dans la
salle du tribunal pour entendre le
jugement.
3. Faites la liste des perceptions de Meursault
pendant qu’il est à l’extérieur de la salle.
Une sonnerie a retenti.
Des portes ont claqué.
Des gens couraient, je ne sais pas où.
J’ai entendu une voix sourde.
La sonnerie a encore retenti.
4. Comment qualifier ces perceptions ?
Auditives.
Successives.
5. Quelle est la première impression de
Meursault en entrant dans le box ?
Nouvelle sensation auditive : le silence.
6. Quelle est sa deuxième impression ?
« singulière sensation quand j’ai constaté
que le jeune journaliste avait détourné les
yeux ».
7. Est-ce une sensation ?
Non, c’est une manifestation de sensibilité
de Meursault.
8. Quel est le jugement ?
Meursault est condamné à mort.
9. « Il m’a semblé… considération » : S’agit-il
d’une sensation ?
Non, Meursault fait de l’analyse
psychologique sur une impression.
10. Les gendarmes… m’a emmené : Faites la liste
de tout ce que note Meursault.
Les gendarmes étaient très doux.
L’avocat… poignet.
Je ne pensais plus à rien.
Le président m’a demandé… ajouter.
J’ai réfléchi.
J’ai dit « non ».
On m’a emmené.
11. Quel est le lien entre toutes les notations de
Meursault ?
C’est uniquement un lien chronologique.
Ces notations rapportent une succession.

II. EXPLOITATION LITÉRAIRE


Pour vous aider à
préparer un
commentaire littéraire
1. Relevez les paroles rapportées au discours
direct.
« Le président du jury va lire les
réponses. On ne vous fera entrer que
pour l’énoncé du jugement. »
« Non. »
2. Relevez les paroles rapportées au discours
indirect.
« … le président m’a dit dans une forme
bizarre que j’aurais la tête tranchée sur
une place publique au nom du peuple
français. »
« … le président m’a demandé si je
n’avais rien à ajouter. »
3. Entourez tous les marqueurs temporels du
texte.
Impossible à faire ici.
4. Examinez ce qui est strictement du récit dans
le texte : Quel est le lien entre tous les faits
relatés ?
La succession chronologique.
5. « Je n’en ai pas eu le temps parce que le
président… français. » : quel lien de cause à
effet Meursault explique-t-il ?
Il explique un fait par la chronologie.

Plan de leçon
1. Mode de construction du texte
La chronologie :
Voir les marqueurs temporels
Il n’y a pas d’autre lien entre les faits
rapportés.
La juxtaposition, notamment de très
nombreuses indépendantes brèves.
La subordination :
Essentiellement des relatives
(fonction adjectivale), des
complétives d’objet.
Deux circonstancielles de temps.
Un seul lien de cause à effet : « Je
n’en ai pas eu le temps parce
que… ». La chronologie explique un
fait qui n’a pu avoir lieu.
2. La relation de Meursault, traduction du
sentiment absurde
Transposition philosophique : des notions
indispensables à connaître
• À la question : Quel est le sens de
ma présence dans le monde ?
plusieurs familles d’esprits
répondent que les événements
n’arrivent pas par hasard. Ils sont
enchaînés par une nécessité qui
conduit dans une direction.
• D’autres pensent que les
événements arrivent, mais que
d’autres auraient tout aussi bien pu
survenir, qu’il n’y a aucune
nécessité qui préside à leur
existence, que cette succession ne
suit pas une ligne qui les
enchaînerait. Cette famille d’esprits
croit que l’existence relève de la
contingence. Elle ressent
l’existence comme absurde.
• Dans ces conditions, tout ce que
l’on peut faire, c’est dire que les
événements ont eu lieu, les relater
sans en privilégier aucun.
Meursault, l’homme absurde. La forme
même de sa relation des événements
traduit le sentiment absurde :
• Il juxtapose les événements pour
n’en donner que la succession. Il
fait un compte rendu.
• À première vue, il ne s’implique pas
dans ce compte rendu.
• Cette succession ne privilégie
aucun événement.
• Aucune stratégie traditionnelle
dans le choix des propos rapportés
au style direct et au style indirect.
• Il utilise essentiellement le passé
composé, temps historique qui se
borne à dire que les événement
ont eu lieu.
3. Meursault, l’homme absurde, mais…
Chez Meursault, des éléments qui résistent au
sentiment absurde :
« Et cette singulière sensation…
avait détourné les yeux. »
« Il m’a semblé… considération. »
Meursault est accessible à la sensibilité, à
l’affectivité, à l’analyse psychologique même si

À
ce ne sont pas les éléments dominants du texte. À
côté du sentiment absurde qui fait de lui un homme
étranger au monde, et qu’il traduit par ce compte
rendu, il EST aussi au monde.
Ce texte : une illustration du titre, L’Étranger,
mais aussi l’annonce de la révolte finale de
Meursault. (Consulter L’Ère du soupçon, Nathalie
Sarraute)

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Interaction orale pour la classe :


• Comparez ce texte au texte de P.
Modiano (FICHE 2).
• Connaissez-vous une ou des
familles d’esprits qui croient à une
nécessité ? Comment l’appellent-
ils ?
• La position de Meursault vous
paraît-elle viable ?
✓ Production écrite :
• Vous écrivez une lettre à
Meursault. Qu’avez-vous
d’important à lui dire ?
• À votre avis, Meursault peut-il avoir
connu des moments d’accord avec
le monde, des moments où il ne
s’est pas senti un étranger au
monde ?
1 Presque.
2 S’est fait entendre.
3 Ensemble des personnes qui vont prononcer le jugement.
4 Avant de prononcer le jugement, le jury répond à des questions
comme : « L’accusé est-il coupable du meurtre de… »
5 Meursault n’entend pas bien parce qu’il n’est pas dans la salle.
6 Endroit où est placé l’accusé au tribunal.
7 Bizarre, étonnante.
8 Meursault a déjà remarqué le journaliste pendant le procès.
9 Jeune femme, maîtresse de Meursault.
10 Coupée.
11 Espèce de respect.
12 Partie du corps entre la main et le bras.
Fiche 22 C.
Baudelaire (1821-1867)
L’auteur : Il perd son père à six ans et ne s’entendra
jamais avec le second mari de sa mère. Après le
baccalauréat, il vit une vie de bohême dans le Quartier
Latin. Sa famille l’envoie en voyage. Il en revient avec
des images d’exotisme qu’on va retrouver dans sa
poésie. Il ne quittera plus la vie de dandy, une vie
marginale. Des difficultés d’argent le forcent à
travailler : il devient critique d’art et traduit Edgar A.
Poe. Après avoir été tenté par l’action politique, il y
renonce pour ne se consacrer qu’à la poésie. Il fréquente
des poètes et publie Les Fleurs du mal en 1857. Il est
aussitôt attaqué et condamné pour « immoralité ». La
fin de sa vie est marquée par les difficultés et la
maladie.

[Information importante : la composition du recueil Les Fleurs du mal,


dont Baudelaire demande qu’on ne le considère pas comme un album.
On se borne ici à la composition de Spleen et Idéal, dont ce poème fait
partie : Le titre Spleen et Idéal est ainsi formulé pour raison
d’euphonie. Il faut considérer que c’est d’abord Idéal, puis Spleen.
– Le poète est épris d’idéal.
– Pour y parvenir, il « a deux champs au tuf riche et profond, l’art et
l’amour ».
– Il commence par le cycle de l’art : ses bonheurs, puis l’échec.
– Vient ensuite l’amour. Les poèmes sont répartis en 4 cycles : le cycle
de Jeanne Duval, celui de Mme Sabatier, celui de Marie Daubrun, celui
des héroïnes secondaires.
– L’Invitation au voyage appartient au cycle de Marie Daubrun.
– Les poèmes de Spleen viennent ensuite, après l’échec de l’amour.]

L’INVITATION AU VOYAGE
Mon enfant, ma sœur,
Songe1 à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ses ciels2 brouillés3
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traitres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté


Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants4 ,


Polis5 par les ans
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre6 ,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
A l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,


Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux7


Dormir ces vaisseaux8
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir9
Ton moindre10 désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
— Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe11 et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,


Luxe, calme et volupté.

Les Fleurs du mal. (Spleen et Idéal LIII)

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Le conditionnel, mode de l’imaginaire,
de la représentation mentale.

Compréhension de l’écrit

Strophe 1
1. « Mon enfant, ma sœur » : comment
comprenez-vous cette adresse à la femme
aimée ?
Ces termes qui évoquent un lien familial,
de proximité, et de proximité
indestructible traduisent la force et la
nature du lien qui unit les amants. Marie
Daubrun est une sœur d’élection pour
Baudelaire.
2. Repérez le texte qui justifie le titre du
poème.
« Songe à la douceur / D’aller là-bas vivre
ensemble ! »
3. Que signifie d’abord « là-bas » ?
Ailleurs qu’ici.
4. Par quoi définit-il ce pays ?
Il le définit par « Les soleils mouillés / de
ses ciels brouillés » : vision de peintre.
5. Pourquoi dit-il « tes traitres yeux » ?
« Traitres », parce qu’ils sont « brillant(s)
à travers leurs larmes. ». Ils expriment
des émotions opposées, on ne sait pas à
quoi s’en tenir.
6. Pourquoi choisit-il ce pays ?
Il le choisit parce qu’il ressemble à Marie
Daubrun, parce qu’il est en
correspondance avec elle.
7. Après la première strophe, avez-vous une
idée du pays dont il s’agit ?
Réponse libre.

Strophe 2
8. Qu’indique le conditionnel des verbes
« décoreraient », « parlerait » ?
C’est le conditionnel de l’imagination, de
la représentation mentale.
9. Après le pays dans la strophe 1, de quel lieu
s’agit-il dans la strophe 2 ?
Il s’agit d’un intérieur.
10. Comment comprenez-vous « parlerait » ?
Tous les éléments évoqués provoquent
des sensations d’origines différentes ;
mais identiques dans la perception qu’en
a la sensibilité. Toutes ces perceptions
sont (seraient) en correspondance entre
elles et cette synesthésie permet
(permettrait) de vivre l’idéal dont rêve le
poète.

Strophe 3
11. De quel lieu s’agit-il dans cette strophe ?
Il s’agit d’un paysage extérieur qui
s’agrandit aux dimensions du monde.
12. Quelle est la place de la femme dans ce
lieu ?
Elle en est le centre.
13. Avez-vous une idée claire du pays dont il
s’agit ?
Réponse libre.

II. EXPLOITATION LITÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Quelle est la tonalité majeure de cette
invitation au voyage ?
Une tonalité sereine, heureuse.
2. Quel rapport le poète établit-il entre la
femme aimée et ce pays ?
Cette femme ressemble à ce pays.
3. Relevez le texte qui établit ce rapport.
Vers 3 à 12.

Plan de leçon
1. Un rêve heureux
Un rêve
• Ce n’est pas la réalité de ce qui est
vécu : « Songe à la douceur /
D’aller Là-bas vivre ensemble ». Ils
n’y sont pas. Là-bas signifie
d’abord un ailleurs.
• La strophe 2 est écrite au
conditionnel.
Un amour comblé
• L’amour ressenti par Baudelaire, la
femme aimée : sœur d’élection
(vers 1), au centre du monde
(strophe 3, vers 4, 5, 6)
• L’amour partagé.
• La plénitude, l’accomplissement
des êtres
◗ « Aimer à loisir / Aimer et
mourir ».
◗ Luxe, beauté des tableaux
(strophes 2, 3) le refrain
◗ La composition du poème :
élargissement des tableaux.
On passe du pays à un
intérieur, puis à une vision
très ouverte du monde
extérieur.
2. L’amour, moyen d’accéder à l’idéal par le jeu
des correspondances
« La nature est un temple où de vivants
piliers
Laissent parfois sortir de confuses
paroles »
Dans ce poème, Correspondances,
Baudelaire pose l’existence d’un
monde sacré, perçu par les seuls
poètes, qui entendent son langage
par le moyen des sensations qu’ils
perçoivent.
* Correspondances : Baudelaire parle
de correspondances quand des
sensations de nature et d’origine
différentes sont ressenties comme
semblables. C’est la définition de la
synesthésie. Voir le poème
Correspondances, dans lequel il
donne des exemples « Il est des
parfums frais comme des chairs
d’enfant / Doux comme les hautbois,
verts comme les prairies ». La
sensation olfactive est en
correspondance avec une sensation
tactile, auditive, visuelle.
Un art poétique : En faisant jouer les
correspondances dans l’amour, le poète
va parvenir à ce monde de l’idéal. C’est
l’objet même de la poésie de réaliser cette
démarche.
Dans l’invitation au voyage :
• La femme et le pays sont en
correspondance.
• Tous les éléments de l’intérieur
sont en correspondance les uns
avec les autres. Les sensations
qu’ils occasionnent constituent un
seul langage perçu par le poète.
• Cette femme, cet amour et tout ce
qui l’entoure constituent un moyen
parfait pour atteindre l’idéal.
Mais rêve…
Cette réalisation heureuse n’existe
qu’en projet, en invitation, dans un
poème.
3. Versification
Trois strophes, séparées par deux
refrains.
Vers : imparisyllabiques. Chaque strophe
est bâtie sur le rythme suivant : 5-5-7-5-
5-7-5-5-7-5-5-7. Cf. L’Art poétique de
Verlaine « De la musique avant toute
chose/ Et pour cela préfère l’impair/ Plus
vague et plus soluble dans l’air/Sans rien
en lui qui pèse ou qui pose. »)

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Production orale :
Dire ce poème en respectant le nombre
de pieds.
✓ Compréhension/réception de l’oral :
Écouter ce poème mis en musique par
Henri Duparc.
1 Pense, rêve.
2 Forme de pluriel utilisée en peinture.
3 Mélangés : soleil et nuages.
4 Brillants.
5 Rendus très lisses.
6 Parfum précieux extrait d’une substance venant du cachalot.
7 Pluriel de canal.
8 Bateaux.
9 Satisfaire.
10 Ton plus petit désir, autrement dit, tous tes désirs.
11 Ici, couleur jaune rougeâtre.
Fiche 23 V. Khoury-
Ghata (née en 1937)
L’auteur : Elle est née au Liban. Sa langue maternelle
est l’arabe ; elle a appris le français par son père. Après
des études de lettres, elle devient journaliste à
Beyrouth. Après son divorce, elle se remarie à un
Français et s’installe à Paris en 1972. Elle a écrit de
nombreux recueils de poèmes et des romans. Son œuvre
est reconnue et saluée par des prix.

[Une Française travaille depuis peu dans une ONG, dans un minuscule village
arabe très pauvre « entre la montagne et le désert ». L’équipe se compose du
Docteur Paul, de Gonzagues, un stagiaire, et d’Amina, une recrue locale, vieille
fille, un peu marginale dans ce village. « L’étrangère », comme l’appelle Amina,
est douloureusement confrontée à une autre culture, à la tradition,
essentiellement à ce qui touche la situation des femmes. Mouvement parallèle
pour Amina, confrontée à la situation d’une femme européenne. Ce sont ses
réactions que l’on voit ici.]

Une fonctionnaire1 , l’étrangère, dit Gonzagues qui, lui aussi,


est fonctionnaire comme le docteur Paul et tous les Francaouis2 .
Qui savent lire et écrire, c’est elle cette fois qui le dit. Comment
lui expliquer qu’à Khouf la madrasa3 n’accepte que les garçons,
qu’ils y apprennent à lire le Coran, à écrire des phrases, tandis
que les filles restées chez elles lisent dans les intentions et
fabriquent des talismans4 bénéfiques ou maléfiques selon l’offre
et la demande : ramener l’époux égaré5 , jeter un sort6 à sa
rivale, lui donner si possible une maladie qui la défigure ou la
tue, sans recourir à la violence, de préférence avec douceur
comme on frappe à une porte entrebâillée7 , avec la compassion
au cœur. Verser son sang comme on verse l’eau des ablutions8
en récitant la prière connue de tout croyant digne de ce nom.
L’étrangère est mon rêve éveillé, un rêve qui marche, mange
et dort. Elle est tout ce qu’il m’est impossible d’être. Ma peau se
couvre de frissons9 quand elle écrit. C’est comme si elle me
grattait. D’ailleurs ne dit-elle pas je gratte du papier quand je lui
demande ce qu’elle fait.
Naître au nord du monde est certainement plus avantageux
qu’au sud où le soleil transforme le cerveau en bouillie10 ,
d’après Abdul. Alors, que dire de Khouf11 , planté au sud de tous
les suds ?

Sept Pierres pour la femme adultère © Mercure de France, 2007.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Comme si + imparfait.
• Relatives.
• Tandis que : articulateur de l’opposition.

Compréhension de l’écrit
1. Tous les Français de l’ONG sont désignés
comme « fonctionnaires ». Qu’est-ce que cela
implique du point de vue d’Amina ?
Ils ont tous une situation stable au sein
d’une organisation.
2. Selon Amina, dans quel domaine l’esprit des
femmes du pays a-t-il l’obligation de s’exercer ?
Les femmes sont confinées au domaine
de l’irrationnel, de la superstition.
3. Selon Amina, dans quel domaine l’esprit des
hommes peut-il s’exercer ?
Les hommes savent lire et écrire. Ils
peuvent donc lire le Coran, mais ce savoir
est une ouverture à beaucoup d’autres
domaines.
4. Amina compare l’activité des hommes à celle
des femmes. Quelle articulation logique utilise-
t-elle ?
Elle utilise « tandis que » qui marque
l’opposition.
5. Selon Amina, « l’étrangère » comprend-elle
la situation des femmes de ce pays ? Relevez le
texte qui vous éclaire sur ce point.
Non. Amina dit « Comment lui
expliquer… », §1, ce qui veut dire que ce
n’est pas facile, que c’est l’inégalité de
traitement qui sera difficile à faire
entendre.
6. Relevez le texte qui dit comment Amina
supporte sa condition de femme.
§2.
7. Quel est son souhait ?
Elle voudrait ressembler à l’étrangère, et
particulièrement savoir lire et écrire.
8. Comment comprenez-vous « un rêve qui
marche, mange et dort » ?
Le rêve d’Amina est incarné, réalisé par
cette femme réelle, « l’étrangère ».
II. EXPLOITATION LITÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire

1. Quelles informations avez-vous apprises sur


« l’étrangère » ?
Elle est fonctionnaire, sait lire et écrire.
Elle appelle cela « gratter du papier ».

2. Le personnage d’Amina :
a. Quelle est sa situation ?
Elle travaille avec les étrangers. Elle est
analphabète.
b. Quel regard porte-t-elle sur sa culture ?
Elle analyse la situation des hommes et la
situation des femmes. Elle est consciente
de l’inégalité et de l’injustice.
c. Quel regard porte-t-elle sur « l’étrangère » ?
L’étrangère est son « rêve éveillé ».
d. Quelle est sa situation psychologique ?
C’est une situation désespérée : elle sait
qu’elle ne saura jamais lire et écrire.

3. Quelles sont les conséquences du contact


entre les deux cultures ?
Amina a acquis une conscience claire de
ce qui se passe chez elle.
Ce contact a fait naître une revendication.
Il va provoquer une forme de solitude
pour Amina qui est devenue différente
des autres femmes de son monde.

Plan de leçon
1. Deux mondes très éloignés l’un de l’autre.
Khouf :
• monde rural pauvre (présence
d’une ONG).
• Forte emprise de la religion
musulmane dans sa version la plus
intégriste, notamment pour ce qui
concerne la condition des femmes.
• Population peu éduquée :
◗ Les hommes accèdent à la
lecture, d’abord pour le
Coran, mais c’est un savoir
qui peut ouvrir sur d’autres
possibilités.
◗ Les femmes sont
analphabètes ; leur monde
leur interdit l’accès à la
lecture et les confine dans la
superstition, la magie.
Monde de « l’étrangère » :
• Monde riche.
• Monde éduqué : les gens savent
lire.
2. Conséquences du contact entre ces deux
mondes
Pour « l’étrangère » :
Elle a une situation stable, assise :
« Fonctionnaire ».
Pour elle, le saut culturel est difficile
à faire : elle semble ne pas
comprendre, d’après Amina, pourquoi
il y a tant d’analphabètes,
notamment toutes les femmes, et
Amina dit qu’elle aura du mal à en
expliquer la raison (§1).
Pour Amina :
• Contact révélateur par les prises de
conscience qu’il provoque :
◗ Sur l’autre : elle entend et
voit une femme qui pense et
vit autrement que celles de
son pays. Elle apprend
qu’une femme peut être
autre chose.
◗ Sur elle-même et son
monde : elle voit l’inégalité,
l’emprise de la superstition.
• Contact provocateur
◗ Désir de changement : elle
rêve de ressembler à cette
femme, de savoir lire et
écrire.
◗ Désespoir : son rêve est
impossible (§2).
◗ Solitude : elle n’est plus
comme les femmes du pays
et elle n’est pas comme
« l’étrangère ».
3. Un texte militant
Réquisitoire contre l’injustice de la
condition des femmes en pays musulman
intégriste.
Plaidoyer pour l’instruction des femmes.
Validité de l’opposition Nord/Sud faite
dans le texte ?
S’il s’agit du plan économique, il est
effectivement « plus avantageux » de
vivre au nord. Mais ce n’est pas le sujet
essentiel de ce texte. Ici, Vénus Khoury-
Ghata traite de la condition des femmes
en pays musulman intégriste. Les deux ne
se recouvrent pas exactement.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Interaction orale pour la classe OU


production écrite :
• Quelle peut être l’efficacité de ce
texte militant ?
• Le contact d’Amina avec
« l’étrangère » est-il bénéfique
selon vous ?

1 Personne qui occupe une fonction publique. Ici, elle est salariée
d’une ONG.
2 Français ; nom formé sur « Français » avec une terminaison
arabe que les Français d’Algérie (Pieds Noirs) donnaient aux
Français de France.
3 École coranique.
4 Objet auquel on attribue des pouvoirs magiques.
5 Le mari qui trompe sa femme.
6 Ensorceler.
7 Entrouverte.
8 Lavage d’une partie du corps comme purification religieuse.
9 Petit tremblement souvent accompagné d’une sensation de froid.
Ici, signe d’une grande émotion.
10 Image pour dire que le cerveau, très gêné par la grande chaleur,
n’est plus capable de fonctionner.
11 Village imaginaire, situé au sud du Maghreb, d’après les
références données dans le texte.
Fiche 24 M. Aymé
(1902-1967)
L’auteur : Titulaire du baccalauréat, il vient à Paris et
exerce différents métiers, dont le journalisme. Après le
succès de La Jument verte, il se consacre uniquement à
l’écriture. Son pessimisme, son ennui devant le monde
moderne le conduisent vers le merveilleux. Son œuvre,
reconnue, comporte des nouvelles, des romans, du
théâtre. Il a également travaillé pour le cinéma.

Il y avait à Montmartre, au troisième étage du 75 bis de la rue


d’Orchampt, un excellent homme nommé Dutilleul qui possédait
le don singulier1 de passer à travers les murs sans en être
incommodé2 . Il portait un binocle3 , une petite barbiche4 noire,
et il était employé de troisième classe au ministère de
l’Enregistrement. En hiver, il se rendait à son bureau par
l’autobus, et, à la belle saison, il faisait le trajet à pied, sous son
chapeau melon.
Dutilleul venait d’entrer dans sa quarante-troisième année
lorsqu’il eut la révélation de son pouvoir. Un soir, une courte
panne d’électricité l’ayant surpris dans le vestibule5 de son petit
appartement de célibataire, il tâtonna6 un moment dans les
ténèbres et, le courant revenu, se trouva sur le palier du
troisième étage. Comme sa porte d’entrée était fermée à clé de
l’intérieur, l’incident lui donna à réfléchir et, malgré les
remontrances7 de sa raison, il se décida à rentrer chez lui
comme il en était sorti, en passant à travers la muraille. Cette
étrange faculté, qui semblait ne répondre à aucune de ses
aspirations, ne laissa pas8 de le contrarier un peu et, le
lendemain, profitant de la semaine anglaise, il alla trouver un
médecin du quartier pour lui exposer son cas. Le docteur put se
convaincre qu’il disait vrai et, après examen, découvrit la cause
du mal dans un durcissement hélicoïdal de la paroi strangulaire
du corps thyroïde9 . Il prescrivit10 le surmenage11 intensif et, à
raison de deux cachets par an, l’absorption de poudre de pirette
tétravalente12 , mélange de farine de riz et d’hormone de
centaure13 .

Le Passe-muraille © Gallimard, 1943.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Les temps du passé, notamment le passé
simple.
• Le passé immédiat : « venait d’entrer ».
• « Comme », il se décida… sorti.

Compréhension de l’écrit
1. Il y avait… incommodé : Quel est le don de
Dutilleul ?
Il traverse les murs sans en être gêné.
2. Qu’en concluez-vous pour la suite de la
nouvelle ?
C’est un conte.
5. Il portait… melon : Portrait de Dutilleul.
C’est un homme banal.
4. Dutilleul venait d’entrer… muraille : Comment
Dutilleul découvre-t-il son don ?
Il le découvre par hasard, un soir de
panne d’électricité.
5. Cette étrange faculté… son cas : Comment
réagit-il ?
Il pense qu’il est malade.
6. Le docteur… thyroïde : Comment qualifier le
diagnostic du médecin ?
Il est faussement scientifique, fantaisiste,
invraisemblable.
7. Il prescrivit… fin : Comment qualifier la
prescription du médecin ?
Elle est invraisemblable et faussement
scientifique : « pirette » est un mot
inventé et le centaure n’existe pas.
Il recommande le surmenage : c’est un
trait ironique de la part de l’auteur qui se
moque des fonctionnaires, réputés peu
actifs (ronds-de-cuir).

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Quels sont les éléments qui échappent au
réalisme ?
Le don de Dutilleul, sa réaction, le
diagnostic et la prescription du médecin.
2. Quels sont les éléments réalistes du cadre de
cette histoire ?
Le portrait de Dutilleul, le fait de consulter
un médecin quand on se croit malade, le
déroulement de la consultation.
3. À quel genre appartient ce texte ?
Il appartient au conte fantastique.

Plan de leçon
1. Source du comique : Décalage entre réalisme
et invraisemblance, la fantaisie.
Éléments qui échappent au réalisme :
• Le don de Dutilleul.
• La consultation médicale :
◗ Aucun étonnement de la
part du médecin. Le don
extraordinaire est considéré
comme une maladie
ordinaire.
◗ Diagnostic et traitement
fantaisistes.
Éléments réalistes :
• Personnage de Dutilleul :
personnage traditionnel du rond-
de-cuir, banal, timoré, vieux jeu,
sans imagination et peu actif.
• Sa réaction : il se considère comme
malade et va donc consulter un
médecin.
• Le déroulement de la consultation
chez le médecin : Ecoute,
diagnostic, prescription.
2. Un conte fantastique
Un conte :
Les données de l’histoire qui commence
sont invraisemblables. Elles créent un
monde surnaturel, qui ne se rencontre
pas dans la réalité.
Un conte relevant du fantastique :
Le gente littéraire fantastique se
caractérise par l’introduction du surnaturel
dans un cadre réaliste. Ici, Dutilleul, la
banalité faite homme, évolue dans un
monde réaliste et voit soudain surgir le
surnaturel.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Pour la classe. Objectif : l’écriture


collective d’un conte.
(Plusieurs compétences sont en jeu)
Vous avez les données de départ du
conte : un homme, très banal, traverse
les murs sans s’en apercevoir. Il se croit
malade. Le médecin lui a donné un
traitement à utiliser en cas de récidive.
Imaginez une suite.
Ce travail donne lieu
• à une activité d’expression orale
pour déterminer les événements,
péripéties et réactions de la
suite,
• et à une activité d’expression
écrite.
✓ Recherche sur le genre fantastique en
littérature et au cinéma.
✓ Production écrite :
• Imaginez le dialogue entre
Dutilleul et le médecin.
• Vous avez le même don que
Dutilleul. Qu’est-ce que vous en
faites ?
• Connaissez-vous d’autres contes
fantastiques ?

1 Bizarre, étonnant.
2 Gêné.
3 Lunettes sans branches se portant sur le nez.
4 Petite barbe sur le menton.
5 Entrée.
6 Il tâta plusieurs fois pour se diriger.
7 Reproches, critiques.
8 Ne manqua pas…
9 Fausse technicité médicale.
10 Conseilla. Le médecin note sa prescription de médicaments sur
un papier, une ordonnance.
11 Activité intense.
12 Fausse technicité scientifique. « Pirette » est un mot inventé.
13 Créature qui n’existe pas.
Fiche 25 J. Zobel
(1915-2006)
L’auteur : Il est né en Martinique, d’une mère employée
de maison et d’un père chauffeur de maître. Il est
d’abord élevé par sa grand-mère, qui travaille dans une
plantation. Il fréquente l’école de Petit-Bourg, puis le
lycée de Fort-de-France. Titulaire du baccalauréat, il
travaille au service des Ponts-et-Chaussées. Pendant la
guerre, il est maître d’internat au lycée. Il fait la
connaissance de Césaire, qui l’encourage. Après avoir
été attaché de presse du gouverneur Ponton (envoyé de
de Gaulle), il part à Paris en 1946, reprend des études à
la Sorbonne, est professeur. En 1957, il part au Sénégal
où il occupe des fonctions importantes. Retraité en
1974, il rentre en France, dans un village du Gard où il
meurt en 2006. Une large partie de son œuvre,
notamment La Rue Case-Nègres, est inspirée de la vie
martiniquaise, qu’il retrace avec authenticité.

[José a d’abord été élevé par sa grand-mère, rue Cases-Nègres, à Petit-


Morne, où elle travaille dans une plantation. Elle l’envoie à l’école –
espoir de promotion – à Petit-Bourg. Enfin, boursier, il entre au lycée à
Fort-de-France. Il vit alors avec sa mère, d’abord dans un quartier
misérable de Fort-de-France, Sainte-Thérése, puis Route Didier car sa
mère est devenue bonne chez un blanc.
C’est le quartier des békés sur les hauteurs de Fort-de-France. Quand
ils ne sont pas logés chez les maîtres, les domestiques habitent un
endroit appelé Petit-Fond.]

Quelques notes succinctes pour comprendre le monde dont il est


question :
L’enfance racontée par José se passe en Martinique, dans l’Entre-deux-
guerres. L’esclavage a été supprimé en 1848, mais l’économie et la
société sont encore très marquées par le passé.
L’économie repose sur la canne à sucre. Elle est cultivée dans des
propriétés appelées « habitations ».
Là, en haut de la colline (« le morne ») habitent les maîtres, des békés,
des blancs, descendants des premiers colons aristocratiques. En bas,
les ouvriers, des noirs, hommes et femmes descendants d’esclaves
pour la plupart, vivent dans des cases misérables, d’où le nom rue
Cases-Nègres.
La société est très hiérarchisée. Disons pour simplifier : en haut, les
békés, des blancs, en bas, les noirs descendants d’esclaves, au milieu,
les métis, enfants de békés et de femmes noires.(Consulter une carte
pour situer la Martinique).

…la Route Didier, tel qu’on prononçait ces trois mots, n’était-
ce pas ce qu’il y avait de plus désirable et de plus respectable !
Quartier prestigieux, ô combien !
En tout cas, la circonspection1 , le conformisme qui
marquaient l’attitude et les moindres propos des domestiques –
les seules personnes avec qui j’avais contact – en disaient assez
sur la soumission qu’ils vouaient2 à leurs maîtres et leur respect
pour ce lieu qu’ils s’appliquaient à ne troubler aucunement, se
méfiant de leur exubérance de nègres, et s’astreignant3 à vivre
aussi effacés que possible.
Pourtant on ne voyait presque pas les propriétaires de la Route
Didier.
Le matin et le soir, j’apercevais, au fond de luxueuses
automobiles qui sortaient silencieusement par les portails ou y
entraient, un homme tout rosé, mollement installé. Parfois,
c’était des femmes blanches, habillées comme des colibris4 . Ou
bien des enfants pareils à des anges de la Fête-Dieu5 . De temps
en temps aussi, je les entendais (les femmes surtout) jeter des
ordres à leurs domestiques d’une voix de pintade6 et avec un
accent qui – je ne sais comment – associait la platitude au
pédantisme7 .
L’existence de ces gens-là était la raison d’être essentielle des
locataires du Petit-Fond.
Je me trouvais avec ceux-ci au milieu d’une catégorie de
nègres que je ne connaissais pas encore.
Non, le Petit-Fond ne ressemblait quand même pas à la rue
Cases-Nègres, et je ne pouvais me retrouver avec mes nouveaux
voisins comme avec mes vieux amis du Petit-Morne ou de
Sainte-Thérèse.
Ceux de la rue Cases-Nègres et du Petit-Bourg, tels des
forçats8 , trimaient9 et s’épuisaient au profit de l’espèce des
békés ; ils les subissaient douloureusement, mais ils ne les
portaient pas dans leur cœur. Ils ne se prosternaient10 pas devant
eux. Tandis que ceux de la Route Didier formaient une catégorie
dévouée et cultivant avec dévotion la manière de servir les
békés.

La Rue Cases-Nègres © Présence Africaine, 1950.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• L’interro-négation « n’était-ce pas… ».
• « Tandis que », articulateur de
l’opposition.
• Relatives « qui », « que ».
• Non, le Petit-Fond… Cases-Nègres :
« Quand même » : pourtant.

Compréhension de l’écrit

§2
1. De qui parle José, le narrateur ?
Il parle des domestiques des békés sur la
Route Didier.
2. Relevez les noms qui définissent l’attitude
des domestiques envers leurs maîtres et les
lieux qu’ils habitent.
« Circonspection, conformisme,
soumission à leurs maîtres, respect pour
ce lieu. »
3. Comment les domestiques se caractérisent-
ils eux-mêmes ?
« Exubérance de nègres. »

§4
4. Qui sont ceux dont parle le narrateur ?
Il parle des békés.
5. Qu’est-ce qui caractérise les hommes ?
La richesse, la couleur de peau, la
mollesse.
6. Relevez les traits qui caractérisent les
femmes.
« babillées comme des colibris, voix de
pintades, platitude, pédantisme. »

L’existence… Petit-Fond
7. Comment comprenez-vous cette phrase ?
« La raison d’être essentielle » : cela
signifie que, non seulement les
domestiques sont là parce qu’il y a des
békés à servir, mais qu’ils justifient leur
existence par celle de leurs maîtres. Cette
soumission existentielle est une grave
aliénation.
3 derniers §
8. Retrouvez les différentes catégories sociales
dont parle le narrateur et leurs caractéristiques.
Les békés : blancs, propriétaires
exploitant les noirs.
Les ouvriers des plantations : noirs,
exploités.
Les Pauvres de la ville (Sainte-Thérèse et
Petit-Morne).
Les domestiques de la Route Didier :
noirs, aliénés.
9. Quelle information le narrateur donne-t-il sur
lui-même ?
Il ne partage pas l’aliénation des
domestiques de la Route Didier.

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Comparez la courte biographie de Joseph
Zobel à l’introduction au texte. Qu’en concluez-
vous sur le genre littéraire de ce roman ?
C’est un roman autobiographique, une
autofiction.
2. Vous avez retrouvé les structures sociales
dont parle le narrateur et leurs caractéristiques.
Quelle découverte le jeune homme a-t-il faite ?
Il a découvert une forme d’aliénation qui
s’apparente à l’esclavage consenti.
3. Qu’est-ce que cela révèle sur lui ?
Cela révèle un haut degré de conscience
sociale et la conviction que l’humanité
englobe tous les êtres humains sans
distinctions.
4. Quel est son point de vue sur les békés ?
Ce sont des colonisateurs. Le sentiment
de supériorité des femmes, et le racisme
qu’il implique sont révoltants.
5. Quel est son point de vue sur la société
martiniquaise de sa jeunesse ?
L’héritage de l’histoire, de l’époque de
l’esclavage, est encore très perceptible
dans l’économie, dans l’existence et les
rapports des différentes classes sociales,
et même dans la conscience de certains
noirs. C’est une société de type colonial
où la situation faite aux noirs est un déni
du respect de la dignité humaine.

Plan de leçon
1. Description des la société martiniquaise dans
les années 30
Les structures sociales et leur répartition
géographique
• Monde rural : Rue Cases-Nègres,
Petit-Bourg. Economie de la canne
à sucre. Propriétaires blancs békés,
personnel noir, pauvre.
• Monde pauvre de la ville : Petit-
Morne, Sainte-Thérèse.
• Békés : blancs, riches. Habitants du
quartier « prestigieux », La Route
Didier.
• Leur personnel de service : noirs,
habitant le Petit-Fond.
Les mentalités
• Personnel noir des plantations :
« Ils les (békés) subissaient
douloureusement, mais ils ne les
portaient pas dans leur cœur. »
• Békés : les femmes sont
arrogantes.
• Le personnel de service des békés
de la Route Didier : aliénation, se
privent eux-mêmes de leur
humanité, de leur dignité.
Peinture d’une société héritée de
l’histoire.
• Héritage de l’économie :
l’esclavage a été supprimé, mais
les noirs « triment » dans les
plantations.
• « Héritage des peaux » : les békés
possèdent et dirigent, les noirs
travaillent pour leur bénéfice.
• Héritage des mentalités : les
femmes des békés se croient
supérieures à leur personnel noir ;
ce personnel noir se croit inférieur
aux békés : Il y a encore du
chemin à faire pour que les uns et
les autres aient une vue plus
exacte et plus juste de l’humanité.
2. Fiabilité de cette peinture, de ce
témoignage ?
Rappel : ce texte est le témoignage d’un
auteur, c’est-à-dire, le message d’une voix
singulière.
Texte autobiographique : Comparer la
biographie fournie à ce texte.
Le point de vue de Zobel :
• Le jeune homme est conscient de
l’aliénation des noirs du Petit-Fond.
• Le narrateur juge :
◗ Les békés, surtout les
femmes (Voir leur portrait).
◗ Les noirs à leur service.
◗ La situation des noirs des
plantations, à peine mieux
que des esclaves, mais
conscients de leur sort.
Fiabilité de ce témoignage ?
• Rechercher de l’information sur
l’histoire de la Martinique,
notamment dans les années trente.
• Après comparaison :
◗ Peinture de la réalité.
◗ Mais, dans cette page,
généralisation de Zobel :
tous les personnels de
service pensaient-ils ainsi ?
◗ Dans cette page, rien sur la
catégorie des mulâtres.
Conclusion : toutes les réalités de la
Martinique de cette époque ne sont pas
dans cette page, mais globalement, c’est
un témoignage fiable.
3. Un texte engagé
Il dénonce des réalités en les exposant :
• Une société héritée du temps de
l’esclavage : réalités socio-
économiques
• Une société structurellement
inégalitaire où la couleur de la
peau joue un rôle majeur.
• Des mentalités qui ont encore
beaucoup à évoluer.
Une revendication implicite
• Reconnaissance de l’injustice, de
l’exploitation faite aux noirs.
• Reconnaissance de la dignité
humaine.
• Reconnaissance de l’identité créole.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Pour la classe (plusieurs compétences


sont en jeu)
Objectifs : Littérature autobiographique
Notion de texte littéraire-témoignage.
On centre donc le travail sur la
recherche d’informations auprès des
historiens d’une part, et la comparaison
avec le texte de Zobel d’autre part.
Visionnage éventuel du film tiré de ce
roman, Rue Case-Nègres, (comédie
dramatique d’Euzan Palcy. 1983), suivi
d’une discussion.

1 Prudence.
2 Portaient avec beaucoup d’ardeur.
3 S’obligeant, se contraignant à…
4 Petits oiseaux tropicaux très colorés.
5 Lors de cette fête religieuse, les enfants étaient costumés en
anges.
6 Oiseau de basse-cour au cri désagréable.
7 Fait de celui/celle qui veut étaler son savoir.
8 Nom donné aux hommes condamnés aux travaux forcés.
9 Travaillaient très durement.
10 S’incliner dans une attitude d’adoration.
Fiche 26 J. Echenoz
(né en 1947)
L’auteur : Après des études, il s’installe à Paris en 1970.
Il publie son premier livre en 1979, reçoit le prix
Médicis en 1983 et le prix Goncourt en 1999 pour Je
m’en vais. Son œuvre, couronnée de nombreux prix,
s’inscrit dans la suite des recherches du nouveau
roman.

[Félix Ferrer, la cinquantaine, tient une galerie d’art moderne à Paris. Les affaires
ne marchent pas très bien. « Je m’en vais », dit-il à sa femme, Suzanne. Il vit
plusieurs liaisons, part dans le Grand Nord canadien rechercher des pièces de
grande valeur, revient, se les fait voler, subit une grave opération, retrouve son
bien. Les affaires reprennent, il est riche et il se lie avec Hélène. On est le 31
décembre ; les postiers viennent d’offrir un calendrier au couple qui leur a donné
une forte somme d’argent en remerciement.]

Les postiers enchantés souhaitèrent au couple tout le bonheur


possible, Ferrer les entendit commenter l’événement dans
l’escalier tout en refermant la porte, mais cela fait, Hélène
annonça qu’elle aurait quelque chose à dire. Bien sûr, dit Ferrer,
qu’est-ce qui se passe ? Voilà, dit-elle, il se passait que cette
soirée chez Réparaz1 , au bout du compte2 , elle aimerait mieux
ne pas s’y rendre. Martinov3 organisait lui aussi quelque chose
avec une douzaine d’amis dans son nouvel atelier, fruit de toutes
ses ventes récentes et d’une surface mieux appropriée à sa cote4
actuelle et voilà, c’est plutôt là qu’elle préfèrerait aller. Si ça ne
t’embête pas.
Pas du tout, dit Ferrer, comme tu veux. Bien sûr ce serait un
petit peu délicat vu5 ses relations avec Réparaz, mais il allait
trouver quelque chose, il n’aurait aucun mal à décommander6 .
C’est-à-dire que non, dit Hélène en se détournant, ce n’est pas ce
que je voulais dire. Réflexion faite, il vaudrait mieux qu’elle y
aille toute seule. Et comme Ferrer poussait ses lèvres en fronçant
les sourcils, écoute, dit Hélène en se retournant vers lui, écoute.
Elle expliqua doucement qu’elle avait réfléchi. Que ce nouvel
appartement. Tous ces meubles. Cette perspective de vivre
ensemble avec tout ce ciel au-dessus d’eux, elle ne savait plus
trop. Elle n’était pas très sûre d’être prête, elle avait besoin de
réfléchir, il faudrait qu’on en reparle. Je ne dis pas qu’il faut
laisser tomber tout ça, tu vois, je dis que je voudrais y repenser.
Puis qu’on en reparle dans quelques jours. Bon, dit Ferrer en
examinant le bout de ses chaussures neuves – neuves, depuis
quelques semaines toutes ses chaussures l’étaient – bon,
d’accord. Tu es gentil, dit Hélène, je vais me changer. Tu me
raconteras comment c’était chez Réparaz. Oui, dit Ferrer, je ne
sais pas.

Je m’en vais © Éditions de Minuit, 1999.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Caractéristiques respectives du discours.
◗ Direct
◗ Indirect
◗ Indirect libre

Compréhension de l’écrit
1. Soulignez en bleu ce qui est strictement du
discours direct. Soulignez en vert ce qui est du
discours indirect.

2. Comment qualifiez-vous ce qui reste du
texte ?
Du discours indirect libre.
3. Qui parle dans le discours indirect libre ?
Le narrateur et le personnage.
4. Observez les proportions respectives des
trois types de discours ; que concluez-vous ?
Très peu de discours indirect.
La majorité du texte = discours direct +
discours indirect libre.
Une très grande proportion de discours
indirect libre par rapport au discours
direct.
5. Qui est le personnage principal ?
Hélène.
6. Quels sont les arguments d’Hélène pour ne
pas aller chez Réparaz ?
Ne pas être en couple.
Hésitation avant de plonger dans la vie de
couple installé.
7. Comment Ferrer réagit-il ?
Il est surpris.
Il accepte.
Il est désemparé.

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE


Pour vous aider à
préparer un
commentaire littéraire
1. À quel genre ce texte s’apparente-t-il ?
Il s’apparente à du théâtre.
2. Qu’est-ce qui fait la différence avec une
scène de théâtre ?
La présence du narrateur.
3. Repérez ce qui serait des didascalies.
« En se retournant » ; « Ferrer poussait
ses lèvres en fronçant les sourcils » ; « …
dit Hélène en se retournant vers lui » ;
« …Ferrer, en examinant ses chaussures
neuves ».
4. Comment comprenez-vous « Oui,…, je ne
sais pas » (dernière ligne) ?
Il accepte, c’est un homme d’aujourd’hui.
Mais il est désemparé : il ne sait pas ce
qu’il va faire. Il n’en a aucune idée.

Plan de leçon
1. « Une tentative modeste de description du
monde » (Echenoz)
Quel monde ici ? Celui du marché de
l’art : « Martinov…cote actuelle ».
Un couple d’aujourd’hui :
• L’histoire d’amour se défait, et ce,
à l’initiative de la femme.
• L’argent pervertit les rapports
humains.
É
• Évolution de la mentalité féminine :
C’est le confort, l’installation et la
durée qui font hésiter Hélène. C’est
une rupture avec des siècles
pendant lesquels la femme
recherchait l’installation, la durée.
Peur de l’engagement.
• Évolution de l’homme : il est
conciliant, mais surtout désemparé.
« Je ne sais pas. »
2. Un roman, mais…
Analyse des genres dans le texte.
• Récit fait par le romancier
narrateur, dialogue rapporté au
style indirect : un roman.
• Théâtre : dialogue (discours direct
+ discours indirect libre) et
didascalies ; c’est la majeure partie
du texte.
Glissements entre discours direct, indirect,
indirect libre.
Particularité des différents styles7 :
Dans le discours direct, le
romancier narrateur s’efface pour
mettre ses personnages sur le
devant de la scène.
Dans le discours indirect il est au
premier plan, ses personnages au
second.
Dans le discours indirect libre,
narrateur et personnages sont sur
le même plan. Le premier
accompagne ses créatures.
Conclusions :
• Le lecteur glisse constamment de
la conscience d’Hélène à celle de
Ferrer, à celle du romancier. (Voir
la FICHE 28, texte de Nathalie
Sarraute).
• Dans ce texte, on constate une très
grande présence du romancier
narrateur puisque discours direct et
indirect libre sont majoritaires.
• Présence du romancier : regard
ironique sur le monde qu’il raconte.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Travaux centrés sur l’interculturel.


Objectif : interaction orale.
• Rechercher des informations sur
l’évolution des femmes à l’intérieur
de la civilisation industrielle
occidentale.
• Cette évolution concerne-t-elle les
femmes de civilisations industrielles
autres qu’occidentales ?
✓ Production écrite :
• Pourquoi l’argent, la richesse
peuvent-ils effrayer Hélène ?
• Vous êtes Ferrer. Qu’allez-vous
faire ce soir du 31 décembre,
quand Hélène sera partie ? Écrivez
la fin du roman.
• Vous êtes Ferrer : il y a un an, il a
dit à sa femme : « Je m’en vais. ».
Aujourd’hui, c’est Hélène qui lui dit
à peu près la même chose. À votre
avis, qu’est-ce qu’il pense ?

1 Client de la galerie.
2 Tout compte fait, tout bien considéré.
3 Peintre.
4 Estimation de valeur d’un peintre, par exemple.
5 Étant donné.
6 Annuler sa présence à la soirée.
7 Consulter L’Énonciation en linguistique française de D.
Maingueneau. Paris, Hachette Supérieur, 1994.
Fiche 27 A. Cohen
(1895-1981)
L’auteur : Il est né à Corfou (Grèce) dans la
communauté juive. Sa famille s’est réfugiée à Marseille
en 1900 à la suite d’un pogrom. Il a vécu ensuite en
Suisse où il a fait des études de droit, puis de lettres. Né
ottoman, il a obtenu la nationalité suisse en 1919. Il a
été haut fonctionnaire, puis a eu une activité
diplomatique pendant la guerre (Comité
Intergouvernemental pour la Protection des Réfugiés),
est devenu directeur d’institutions spécialisées aux
Nations Unies. Son œuvre – poèmes, romans – est très
marquée par l’inspiration juive.

[Albert Cohen, âgé, entreprend de raconter un événement horrible du jour de ses


dix ans. Mais il prend son temps et éclaire d’abord le lecteur sur le point de vue
d’où il va relater cette histoire.]

Oh, ces jeunes dames provisoires qui circulent en croyant


qu’elles seront toujours vivantes, mignonnettes allantes1 et du
talon tapantes, fières et armées de leurs deux gourdes2 laitières
présomptueusement3 avancées, toutes de la race des
majorettes4 , toutes arborant5 leurs cocasses6 derrières fortement
moulés7 , toutes démangées8 de montrer le plus possible de leurs
viandes, toutes sur leurs lèvres peintes cet appel rouge des
femelles, louche9 fanal10 allumé, toutes par l’exhibition violente
d’une muqueuse11 significative affirmant leur grotesque12 souci
de susciter le désir des mâles, toutes allant, jacassantes13 et
médisantes14 , avec tant de hâte et de gaieté, toutes vers leur
durable silence, à jamais assagies, à jamais vertueuses.
Oh, ces comiques mâles qui circulent, velus15 descendants
d’anthropopithèques16 et adorateurs de la force, animal pouvoir
de meurtre, qui circulent en croyant qu’ils seront toujours
vivants, et ils discutent avec une basse passion de cette chère
équipe de football qui n’aurait pas dû être battue, et quel coup
pour l’honneur national, et c’est la faute de ce fumier17
d’arbitre, et ils discutent aussi, avec une fureur d’amour, de la
glorieuse victoire de leur héros national, cet admirable coureur
cycliste qui sait tout aussi bien qu’un singe remuer vite ses
pattes sur deux roues, et ils le vénèrent18 et l’adorent, ces
crétins19 , et de sa victoire ils sont heureux, ces malheureux, et
ils ne se doutent pas que le bois de leur cercueil20 existe déjà,
dans une scierie21 ou dans une forêt, et les attend.

Ô Vous, frères humains © Gallimard, 1972.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Importance de la ponctuation pour le
découpage et la compréhension de ces
deux très longues phrases.
• Second paragraphe : Qui parle dans un
texte ? Étudier le glissement entre le récit
fait par le narrateur et les paroles
rapportées.
Compréhension de l’écrit

Premier paragraphe
1. Quelle est l’illusion de ces femmes, selon
Cohen ?
Elles croient qu’elles seront toujours
vivantes.
2. Repérez tous les emplois de « toutes ».
Il y en a 6.
3. Examinez un par un les 5 premiers membres
de phrase commençant par « toutes ».
Quels traits de personnalité veut-il voir chez les
femmes ?
La satisfaction et la fierté de leur physique
(seins, derrière, bouche).
La volonté de provoquer le désir des
hommes.
La superficialité et la méchanceté. La
bêtise.
4. Examinez le dernier membre de phrase
commençant par « toutes » : Relevez les
termes qui marquent l’opposition à ce qui
précède :
Durable, à jamais/provisoires
silence/jacassantes/tout ce qu’elles font
pour susciter le désir des hommes +
médisantes.
Assagies, vertueuses.
5. Combien de phrases ce paragraphe
comporte-t-il ?
Une.

Deuxième paragraphe
6. Quelle définition donne-t-il des hommes ?
« Velus descendants
d’anthropopithèques ».
7. Selon lui, quel est le trait dominant de la
personnalité des hommes ?
« Adorateurs de la force, animal pouvoir
de meurtre ».
8. Quels exemples prend-il pour illustrer son
point de vue ?
Supporters irraisonnés de football.
Supporters fanatiques de coureur cycliste.
9. Comment les juge-t-il ?
Crétins, malheureux.
10. Combien de phrases ce paragraphe
comporte-t-il ?
Une.

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Relevez dans le texte le champ lexical du
monde animal.
« Viandes, femelles ; désir des mâles ;
comiques mâles ; velus descendants
d’anthropopithèques ; la force, animal
pouvoir de meurtre ; qui sait tout aussi
bien qu’un singe remuer ses pattes… ».
2. Observez le vocabulaire de l’auteur pour
parler des attributs féminins. À quel domaine
appartient-il ?
Le vocabulaire utilisé appartient à celui
des objets : « gourdes laitières, louche
fanal allumé » (pour les lèvres) ou à celui
de l’anatomie médicale (« muqueuse »)
3. Selon Cohen, les hommes sont-ils
fondamentalement différents des femmes ?
Non.
4. Quels sont leurs traits communs selon lui ?
La violence envers les autres, la
propension au mal, la bêtise, la courte
vue, l’inconscience.
5. Quelle est leur ignorance majeure ?
Ils ignorent qu’ils vont mourir.
6. Second paragraphe : Vous avez souligné les
propos supposés des hommes rapportés par le
romancier. Quel est l’effet recherché par
Cohen ?
Le sourire, le comique, l’ironie.
7. Comment caractérisez-vous ces portraits ?
Des caricatures.
8. Comparez la fin des deux paragraphes. Quel
en est le thème ?
L’ignorance d’une même condition
mortelle inéluctable pour tous les êtres
humains.
9. Qui est le personnage principal de ce texte ?
Cohen.
Plan de leçon
1. Des portraits
Stéréotypés et réducteurs : hommes et
femmes sont réduits à des clichés
rebattus.
Les femmes :
• Réduites au stade animal de
femelles cherchant le mâle.
• Sans réflexion, « majorettes »,
inconscientes de leur destin
tragique.
• Bavardes.
• Médisantes.
Les hommes :
• Réduits au stade animal
« adorateurs de la force ».
Violents.
• Imbéciles, sans réflexion
(admirateurs de futilités),
inconscients du destin tragique qui
les attend.
Des caricatures22 :
Femmes et hommes sont réduits à
ces traits grossis dans un portrait
largement incomplet.
Des portraits parallèles.
Des portraits vus du point de vue de la
mort.
Toutes les activités humaines
paraissent dérisoires, a fortiori les
manœuvres élémentaires de
séduction, un match de football ou
une course cycliste.
Des activités choisies à dessein :
• pour grossir l’écart entre les
enjeux respectifs : d’un
côté, la séduction, le
résultat d’un match, ou la
performance d’un cycliste,
de l’autre, la mort.
• pour montrer la tragique
inconscience des êtres
humains : ils se passionnent
pour le provisoire et le
dérisoire alors que la
conscience de la mort, lot
commun inéluctable, devrait
les conduire à une pitié
réciproque.
2. Cohen et la condition humaine. Une vision
tragique.
Une conscience douloureuse de la mort.
Une conscience douloureuse et révoltée
devant l’humanité :
• La permanence de la violence
imbécile et criminelle des êtres les
uns contre les autres.
(Cf. sa biographie)
• La conviction – non partagée –
implicite ici, que la seule ressource
devant ce destin est la pitié les uns
pour les autres, la solidarité
(Référence du titre Ô, Vous frères
humains au poème de Villon).
3. Genre littéraire.
« Fragment » : Méditation.
Mode de production du texte : une seule
phrase au fil de la conscience, se
construisant par additions, juxtaposition.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Rechercher le poème de Villon, La


Ballade des pendus.
✓ Production écrite :
• Avez-vous quelque chose à dire à
Cohen ? Dites-le lui dans une
lettre.
• Avec les éléments dont vous
disposez maintenant, faites un
portrait caricatural de Cohen.
• La mort rend-elle toutes les
entreprises humaines dérisoires ?
• Quel est le risque de penser que,
puisqu’on meurt, tout est
dérisoire ?
• Les deux caricatures de Cohen
concernent les êtres de la
civilisation occidentale.
À votre avis, pourquoi ?

1 Mot fabriqué à partir de « allant ».


2 Flacon pour transporter un liquide.
3 Les femmes avancent leurs seins d’une manière qui montre
qu’elles sont contentes d’elles.
4 Jeunes filles qui défilent en costumes militaires de fantaisie.
5 Montrant fièrement.
6 Ici, étonnants et comiques à la fois.
7 Les femmes portent des vêtements collants.
8 Au sens propre, quand la peau démange, on ne peut pas
s’empêcher de gratter. Ici, les femmes ne résistent pas à l’envie de
montrer…
9 Qui n’est pas clair, qui n’est pas honnête, suspect.
10 Lanterne pour guider. Ici, image pour dire « signal ».
11 La peau des lèvres est une muqueuse.
12 Ici, ridicule et comique.
13 Qui bavardent comme des oiseaux.
14 Qui disent du mal des gens.
15 Couverts de poils.
16 Fossile dont on pense qu’il est intermédiaire entre le singe et
l’homme.
17 Insulte pour dire « homme malhonnête ».
18 Adorent.
19 Ici, insulte pour dire « Idiots ! Imbéciles ! ».
20 Boîte dans laquelle on met un mort.
21 Usine où l’on coupe le bois.
22 « Caricature » : dessin ou portrait qui accentue certains traits,
ridicules ou spécifiques, à des fins satiriques.
Fiche 28 N. Sarraute
(1900-1999)
L’auteur : Elle est née en Russie, mais passe une très
grande partie de sa jeunesse en France. Après des
études en Angleterre, à Berlin et à Paris, elle devient
avocate et épouse Raymond Sarraute. Elle commence à
écrire en 1932 des textes qui seront publiés en 1939
sous le titre Tropismes. En 1941, elle est rayée du
barreau à cause des lois anti-juives. En 1956, L’Ère du
soupçon récuse les conventions du roman. Elle devient
une figure importante du nouveau roman. A côté d’une
œuvre romanesque, elle écrit pour le théâtre. Son
œuvre, reconnue, est couronnée de prix importants.

Ils semblaient sourdre1 de partout, éclos2 dans la tiédeur un


peu moite de l’air, ils s’écoulaient doucement comme s’ils
suintaient3 des murs, des arbres grillagés, des bancs, des
trottoirs sales, des squares.
Ils s’étiraient en longues grappes sombres entre les façades
mortes des maisons.
De loin en loin, devant les devantures des magasins, ils
formaient des noyaux plus compacts, immobiles, occasionnant
quelques remous4 , comme de légers engorgements5 .
Une quiétude étrange, une sorte de satisfaction désespérée
émanait d’eux.
Ils regardaient attentivement les piles de linge de l’Exposition de
Blanc, imitant habilement des montagnes de neige, ou bien une
poupée dont les dents et les yeux, à intervalles réguliers,
s’allumaient, s’éteignaient, s’allumaient, s’éteignaient, toujours
à intervalles identiques, s’allumaient à nouveau et de nouveau
s’éteignaient.
Ils regardaient longtemps, sans bouger, ils restaient là, offerts,
devant les vitrines. Ils reportaient toujours à l’intervalle suivant
le moment de s’éloigner. Et les petits enfants tranquilles qui leur
donnaient la main, fatigués de regarder, distraits, patiemment,
auprès d’eux, attendaient.

Tropismes (Tropisme 1) © Éditions de Minuit, 1939.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Travail sur le lexique.

Compréhension de l’écrit
1. Qui représente le pronom « Ils » ?
Les gens dans la rue.
2. Où sont-ils ?
Dans la rue, sur le trottoir.
3. §2 : De quoi s’agit-il quand l’auteur parle de
« remous » ?
Les gens marchent, puis ils s’arrêtent
devant des vitrines. Cela fait des
mouvements dans le flot de la circulation,
parfois des bouchons.
4. Que font-ils ?
Ils regardent une vitrine particulière : une
exposition de linge de maison et un
personnage avec des lumières
clignotantes.
5. Relevez le texte qui dit quel est leur
comportement devant la vitrine.
§3.
6. §4 : comment le texte décrit-il le
comportement des enfants ?
Leur comportement est différent de celui
des adultes. Ils n’ont pas la même
fascination qu’eux. Ils s’ennuient et
patientent.

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Qui parle dans ce texte ?
La narratrice, Sarraute.
2. Observez le vocabulaire des deux premiers
paragraphes. Qu’est-ce qui le caractérise ?
Il ne s’applique pas aux humains. Les
gens sont traités comme un flot, un
liquide qui s’écoule, ou comme des
groupes d’objets (grappes, noyaux).
3. Qu’est-ce qu’il y a de visible dans ce qui est
raconté ?
Des gens circulent dans la rue, ils
s’arrêtent devant des vitrines, notamment
une.
Certains sont accompagnés d’enfants.
4. Est-ce ce quelque chose d’important ?
Non.

Plan de leçon
1. La position du lecteur
Il s’identifie :
• Essentiellement à la conscience du
narrateur, au « je » qui dit « ils ».
C’est une conscience indéterminée
puisque le texte n’en dit rien.
• Mais aussi à « ils », et aux petits
enfants dans le dernier
paragraphe.
2. De quoi s’agit-il dans cette page ?
Ce qui est visible : des gens circulent
dans la rue, sur des trottoirs. Des groupes
s’arrêtent devant des vitrines, notamment
celle d’une exposition de blanc. Ils
regardent un éclairage clignotant. Ils
tiennent des enfants par la main. Il ne se
passe rien, il ne se dit rien. C’est une
scène très banale, passée, sans qu’on ait
d’éléments pour situer ce passé.
La vision du « je » narrateur :
• Il est le sujet principal de ce texte ;
il donne SA vision de la scène.
• Il peint l’invisible qu’il voit sous la
scène banale.
• Que voit-il ?
◗ « Ils » : groupe flou, indistinct,
sidéré par un spectacle sans
grand intérêt. Le narrateur voit
en eux « une sorte de
satisfaction désespérée ».
◗ L’état de « sous-conscience »
des adultes et celui des
enfants qui les accompagnent,
ces « petits mouvements,
petits tourbillons qui se
produisent sous la surface. Ce
sont des drames
microscopiques (…) toujours
internes, cachés, on ne peut
que les deviner à travers la
surface, à partir de nos
conversations et de nos
actions, des actions tout à fait
banales. ». Sarraute a appelé
ces mouvements des
« tropismes ». (Référence à la
réaction d’orientation des
plantes à la lumière, par
exemple.)
◗ Le rapport enfants/adultes :
Des intérêts divergents. Les
adultes sont captivés par un
spectacle publicitaire, les
enfants non. La satire affleure.
De plus, chacun est une
planète pour l’autre, la
solitude, un fait.
◗ Leur rapport n’est ni la
violence, ni l’agressivité, ni
même l’hostilité, mais une
sorte d’indifférence des
seconds aux premiers, de
patience contrainte pour les
enfants. C’est ce que Sarraute
appelle une « sous-
conversation ».
Une exploration nouvelle dans
l’histoire de l’écriture.
En choisissant de peindre l’invisible,
ces petits mouvements intérieurs
dont les protagonistes n’ont pas
forcément conscience, Nathalie
Sarraute est devenue une figure
majeure du nouveau roman pour
l’exploration de l’homme.
3. Comment N. Sarraute peint-elle cet
invisible ?
Vocabulaire, images et comparaisons
empruntés au bestiaire, au monde végétal
ou physique : déshumanisation de « ils »
dans les deux premiers paragraphes.
« Ils » sont décrits comme une sorte de
liquide désagréable circulant dans la rue,
sur le trottoir.
Distanciation par l’imparfait.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Production écrite :
Un ami vient chez vous. Vous êtes
occupé(e) à un travail urgent. Il est très
ennuyé parce qu’il a besoin d’argent, et il
est gêné de vous demander de lui en
prêter.
• Racontez la scène une première
fois, en écrivant le dialogue qui
sonne dans l’air et ce qui se dit
dans votre tête dans le même
temps.
• Racontez la scène une deuxième
fois, en reprenant évidemment le
dialogue qui sonne dans l’air, et en
imaginant ce qui se dit dans la tête
de votre ami dans le même temps.
✓ Deux chefs d’état se saluent devant les
journalistes. Imaginez leur sous-
conversation.
✓ Vous êtes invité(e) dans une fête. Vous
êtes assis(e) dans un fauteuil, seul(e),
un verre à la main. Quelqu’un vous dit :
« À quoi tu penses ? », et vous
répondez « À rien ! ».
Est-ce bien sûr ? Essayez de vous
rappeler…

1 Surgir, comme une source.


2 Sortis de l’œuf.
3 S’écoulaient très lentement.
4 Mouvements confus.
5 Encombrements, bouchons.
Fiche 29 V. Hugo
(1802-1885)
L’auteur : Il fait de nombreux voyages pendant sa
jeunesse, publie ses premiers poèmes en 1822, fonde le
Cénacle en 1825, et devient le chef de file du
mouvement romantique (Bataille d’Hernani, 1826). Il
entre sur la scène politique, mais s’exile après le coup
d’état de Napoléon III (1851-1870). Revenu en France, il
connaît un succès considérable. Son œuvre compte de la
poésie, des romans et du théâtre. La France lui a fait
des obsèques nationales.

Vieille chanson du jeune temps


Je ne songeais pas à Rose ;
Rose au bois vint avec moi ;
Nous parlions de quelque chose,
Mais je ne sais plus de quoi.

J’étais froid comme les marbres ;


Je marchais à pas distraits1 ;
Je parlais des fleurs, des arbres ;
Son œil semblait dire : Après ?

La rosée2 offrait ses perles,


Le taillis3 ses parasols ;
J’allais ; j’écoutais les merles4 ,
Et Rose les rossignols5 .

Moi, seize ans ; et l’air morose6 .


Elle vingt ; ses yeux brillaient.
Les rossignols chantaient Rose
Et les merles me sifflaient.

Rose, droite sur ses hanches,


Leva son beau bras tremblant
Pour prendre une mûre7 aux branches ;
Je ne vis pas son bras blanc.

Une eau courait, fraîche et creuse


Sur les mousses de velours ;
Et la nature amoureuse
Dormait dans les grands bois sourds.

Rose défit sa chaussure,


Et mit, d’un air ingénu8 ,
Son petit pied dans l’eau pure ;
Je ne vis pas son pied nu,

Je ne savais que lui dire ;


Je la suivais dans le bois,
La voyant parfois sourire
Et soupirer quelquefois.

Je ne vis qu’elle était belle


Qu’en sortant des grands bois sourds.
— Soit ; n’y pensons plus ! dit-elle.
Depuis, j’y pense toujours.

Les Contemplations, Livre 1 (XIX)


(Publié en 1856)

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE
Repérage des faits de
langue
• L’imparfait.
• Le passé simple.

Compréhension de l’écrit

Strophe 1, 2, 3, 4
1. Quelles informations donne la strophe 1 ?
Les personnages.
L’environnement et les circonstances.
2. Dans les strophes 2, 3, 4, qu’apprenons-nous
sur le jeune homme ?
Un adolescent mal à l’aise.
Sensualité non éveillée devant la femme.
3. Qu’apprenons-nous sur Rose ?
Une femme : vingt ans.
Sensualité.
Art de la séduction.

Strophe 5, 6, 7, 8
4. Que fait Rose ?
Elle provoque la sensualité de
l’adolescent.
5. Qu’y avait-il à voir que l’adolescent n’a pas
vu ?
Il fallait voir la beauté de Rose et son
invitation à l’amour.
6. Qui voit ce qu’il y avait à voir ?
C’est Hugo, l’homme fait, qui voit ce qu’il
y avait à voir.
7. Reprenez tout le texte : qu’est-ce qui
caractérise l’environnement des jeunes gens ?
C’est une invitation à l’amour.
8. Qui raconte cet épisode ?
L’homme fait.

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Quels sont les traits de l’adolescent mis en
scène dans ce texte ?
L’immaturité, une forme de bêtise
juvénile.
2. Quel portrait Hugo fait-il de la jeune femme ?
Elle est belle, sensuelle, libre, intelligente
dans sa stratégie, et consciente de tout
cela.
3. Comment peut-on dire que c’est un poème
des regards ?
Le regard de Rose : vers 8.
Le regard absent ou stupide de
l’adolescent : vers 18, 26, 31/32.
Le regard tardif de l’adolescent : vers 33.
Le regard de l’homme fait : il voit les
manifestations de la niaiserie du jeune
homme, la beauté de Rose, le cadre.
4. Que remplace le mot « y » dans les deux
derniers vers ?
Il remplace la première fois la scène
d’amour souhaitée et manquée, la
deuxième fois, la même scène revue et
corrigée par l’homme fait. C’est implicite.

Plan de leçon
1. Des portraits croisés
Un portrait masculin peu flatté :
L’adolescent qui ne sait encore rien et
Rose, la femme qui, elle, sait.
L’adolescent :
• Immaturité de son corps,
« froid comme les
marbres »,
• Immaturité de son regard,
insensible à la beauté, ne
voit pas l’invitation à
l’amour.
Rose :
• Elle recherche sciemment la
sensualité.
• Elle sait qu’elle est belle.
• Elle sait jouer de sa beauté :
maîtrise de la technique de
séduction et de la stratégie.
Elle joue sur le regard du
partenaire masculin pour
susciter le désir, et elle joue
du regard d’ingénue qui
laisse toute l’initiative à
l’homme.
L’adolescent et l’homme mûr.
L’adolescent qui ne sait pas et ne voit
pas.
Un portrait masculin d’homme fait :
l’homme qui voit et qui sait.
Il voit ce que l’adolescent n’a pas
vu : regard masculin, sensible à
la beauté de la femme :
sensualité tout à fait éveillée.
Il sait ce que signifie le
comportement de Rose :
l’invitation à l’amour.
Il voit le cadre, l’appel de Rose
et ce qu’il aurait dû ressentir et
faire.
2. Un poème d’homme fait.
Scène de son passé : vivacité du souvenir.
Regard de je présent à je passé :
Aucune complaisance pour
l’adolescent qu’il fut ; portrait assez
rare où un homme se montre
insuffisant pour une conduite
amoureuse.
Mais le présent rachète le passé,
l’homme fait lave la maladresse de
l’adolescent. Sa sensualité « voit », et
corrige la conduite de l’adolescent
par le regret : « J’y pense toujours. »
Cela permet un regard amusé,
moqueur, ironique.
3. Un poème du regard et du dit sans dire.
Le regard :
Composition du poème :
• Strophes 1, 2, 3, 4.
Circonstances et
informations sèches.
• Regard de Rose : vers 8.
• Regard des oiseaux
symboliques, merles et
rossignols.
• Strophes 5, 6, 8, 9. Scène
de séduction. « air ingénu »
de Rose, cécité de
l’adolescent, et regard
intelligent de l’homme fait.
• Strophe 10 : épilogue.
Regard tardif de l’adolescent
qui rejoint l’homme fait.
Le dit sans dire :
• Le discours qui sonne dans
l’air n’a rien à voir avec la
scène et ses enjeux.
• Rose ne dit rien, elle
s’exprime par sa conduite.
• Hugo, le poète qui écrit ce
poème, explique peu (vers
5), mais fait comprendre par
divers moyens :
Le déroulement de la
scène.
Le cadre : une invitation à
l’amour.
Les symboles : Merles et
rossignols.
Le sous-entendu,
l’implicite : Rose dit « n’y
pensons plus » et Hugo
« j’y pense toujours » :
aucune référence
grammaticale à « y »,
mais tout le monde
comprend de quoi il s’agit.
4. Versification.
Sept syllabes. On dit du vers de 7 syllabes
qu’il est boiteux, coupé généralement en
4+3 ou 3+4, « ce qui lui donne une allure
sautillante et saccadée, qui convient
parfaitement à certaines poésies
légères. » 9

Rimes croisées.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Activités orales :
• Apprenez ce poème et dites-le en
respectant la versification.
(production)
• Pour la classe (interaction) :
comparez le portrait de Rose à
celui que Cohen fait des femmes
(FICHE 27).
✓ Production écrite :
• Chacun d’entre nous a été, un jour,
particulièrement maladroit,
emprunté, stupide.
Quand et à quelles conditions
accepte-t-on généralement de le
raconter ?
• Imaginez le scène racontée par
Rose dans son journal intime.

1 Sans faire attention à mes pas.


2 Humidité sur la végétation le matin en été.
3 Arbres de petites dimensions, espèces de buissons.
4 Ces oiseaux sifflent. On dirait qu’ils se moquent.
5 Oiseaux symboles de l’amour.
6 Un peu triste.
7 Une baie sauvage.
8 Naïf.
9 Petit traité de versification française. Maurice Gramont (Armand
Colin, 1961).
Fiche 30 A. Ernaux
(née en 1940)
L’auteur : Elle est née dans un milieu modeste : ses
parents, d’abord ouvriers, sont devenus propriétaires
d’un café-épicerie. Elle a fait des études de lettres, est
devenue institutrice, puis professeur (agrégée). Son
œuvre s’inspire beaucoup de la sociologie et de ses
propres expériences. Elle a reçu le prix Renaudot en
1984.

[Cette histoire se déroule dans l’immédiat après-guerre. Les parents de Denise


Lesur ont voulu s’élever dans l’échelle sociale : d’abord ouvriers, ils ont acheté un
café-épicerie dans une banlieue ouvrière. Mais dans ce monde où la mobilité
sociale est très limitée, ils savent que, pour poursuivre cette ascension, il faut,
pour leur fille, compter sur l’école. Mais quelle école ? Entre l’école laïque, qui
accueille les enfants de toutes les classes sociales, et l’école libre, c’est-à-dire
confessionnelle (catholique), ils optent pour la seconde qui, à l’époque, repose
sur une sélection sociale.]

Il y a eu l’école libre. L’école, mot orange, ça ressemble à


l’église, mon père en parle de la même manière. Assis à
califourchon1 sur une chaise du café, je veux le faire danser
Viens poupoule2 parce qu’il ne connaît que ça. Il s’arrête d’un
seul coup, très sérieux. « Dis, tu vas bientôt à l’école ! Faudra
bien te tenir, bien causer. L’école libre, tu sais ! ». Il a peur que
je n’apprenne rien, que je ne sache pas… « Tu te feras punir ! ».
Je n’ai peur de rien. J’avais tout ce qu’il fallait, un cartable de
cuir, c’est les meilleurs, une ardoise et des mines. « Prête pas tes
affaires, elles coûtent cher » et « n’enlève pas ton gilet, tu vas le
perdre ». C’est mon père qui m’a portée sur la barre de son vélo,
sa salopette cachée par son veston, les jambes attachées par des
élastiques. On est entrés dans un grand couloir aux carreaux
rouges et blancs, plein de portes. Il n’y avait personne. Mon père
ne savait plus où aller, il était malheureux.
On est ressortis, on était trop en avance, on a trouvé la bonne
porte quand les autres élèves sont arrivées. C’était la rentrée de
Pâques et tout le monde était habitué. Après, j’étais dans la cour
avec les autres filles, elles voulaient que je joue. Je n’ai pas
envie, j’ai mon cartable, mon porte-mine, mon éponge. Ce ne
sont pas de vrais jeux, elles courent de tous les côtés, elles se
tapent dans le dos, elles tournent en chantant. Pas un coin pour
jouer à cache-cache, pas de casiers pour se construire une
maison, jouer à la mère, au crochet3 radiophonique. Elles ne se
tapent pas sur les fesses, elles ne se tirent pas les tifs4 . Certaines
ont des croix attachées à leur blouse par des nœuds en coque5 .
Jeux idiots, des bêtises, une agitation de poules, je t’attrape, à
moi, touchée, sans arrêt.

Les Armoires vides © Gallimard, 1974.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Alternance du passé et du présent dans
un récit.
• Les marques du style oral familier.
Observer la fréquence (sens large) de leur
utilisation ou de leur non utilisation.

Compréhension de l’écrit
1. Quelle est la nature du mot « orange »,
adjectif de couleur ou nom commun désignant
un fruit ?
C’est un nom.
2. Comment comprenez-vous alors « mot
orange » ?
« L’école libre » : le mot représente une
réalité comparable à une orange, un fruit
plein, juteux, sucré, une friandise
luxueuse à cette époque.
3. Dis… tu sais : Analysez le contenu des paroles
du père de Denise.
Il a peur qu’elle ne sache pas s’adapter à
ce nouveau milieu, que son milieu
d’origine et ce qu’il implique, selon lui, de
manques pour le langage, le savoir, les
savoir-faire en général, la pénalisent.
4. Dis… perdre : Relevez les marques du style
oral familier.
« faudra bien… ». Ellipse de « il ».
« c’est les meilleurs » accord du verbe
non fait (Ce sont les meilleurs)
« Prête pas… ». Négation réduite à
« pas », ellipse de « ne ».
5. Quelles sont les marques de l’appartenance
sociale de Denise et de son père ?
La chanson « Viens poupoule ».
Le langage.
Les recommandations concernant l’argent.
Les vêtements du père.
L’enfant transportée sur la barre du vélo.
Les jeux de l’enfant.
6. Quels sont les jeux des petites filles de
l’école ?
Elles jouent à la poursuite et à la ronde.
7. Qui dit « Ce ne sont pas de vrais jeux » ?
C’est l’enfant.
8. Quels sont les jeux de Denise ?
Se construire une maison avec les casiers
à bouteille de la boutique de ses parents,
jouer à la mère, à cache-cache, au radio-
crochet radiophonique. Certains jeux
entraînent une brutalité que l’enfant
considère comme normale et qu’elle ne
voit pas dans la cour de récréation.
9. Soulignez ce qui est écrit au présent.
Il y a eu l’école libre… peur de rien.
Je n’ai pas envie… sans arrêt.

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Quelle conscience sociale le père de Denise a-
t-il ?
Il a parfaitement conscience des classes
sociales, de leur hiérarchisation dans la
société, et il ne la conteste pas.
2. Quel contenu faut-il donner à « L’école libre,
tu sais ! » ?
Cela fait partie d’un monde différent du
nôtre (savoir, langage, exigences, pouvoir,
etc.), d’une classe supérieure à la nôtre,
qui est digne d’admiration.
3. Que découvre Denise dans la cour de
récréation ?
Elle découvre un autre monde que le sien
par les jeux des enfants.
4. Quelles sont ses premières réactions ?
Le monde dans lequel elle vient d’entrer
est factice et niais.
5. L’enfant partage-t-elle la conscience sociale
de son père ?
Non.
6. « Il y a eu l’école libre. » À la lumière du
texte, qu’est-ce qui se prépare pour Denise ?
L’acculturation et la déchirure sociale.
7. Quel est l’intérêt du présent dans ce texte ?
Il traduit la force du souvenir dans la
mémoire de la narratrice.

Plan de leçon
1. Le père : Une conscience sociale aliénée
Les marques de son appartenance
sociale : vêtements, vélo, chanson, forme
du langage, valeur de l’argent.
Le regard qu’il porte sur lui et sa classe
sociale : se regarde comme ignorant,
inférieur, et souffre du hiatus social (« Il
était malheureux »).
Le regard qu’il porte sur la classe sociale
de l’école libre : la considère comme
supérieure, aspire à y voir entrer sa fille,
sait qu’elle va devoir se couler dans ce
moule nouveau, étranger à lui, à son
monde.
Conscience sociale aliénée parce qu’il
accepte comme un fait une hiérarchie qui
le place en bas. Il se dépossède ainsi
d’une forme de dignité.
2. Denise enfant, en route vers l’acculturation
La découverte d’un autre monde :
• par le discours de son père : « mot
orange », l’école est assimilée à un
fruit coloré et luxueux. « Ça
ressemble à l’église » : domaine
étranger au monde quotidien, mais
paré de sacré, de merveilleux.
• par le contact à l’école. Elle
découvre des enfants (vêtements
et jeux) étrangers, un monde
nouveau, policé, avec lequel elle
n’a rien de commun.
La comparaison
• C’est son monde qui est vrai.
• Par opposition, elle juge ce monde
nouveau faux, artificiel. C’est
pourtant là qu’il va falloir vivre et
faire ce qu’il faut pour réussir.
Le premier stade de l’acculturation. –
« Acculturation : adaptation d’un individu
à une culture étrangère ». (Le Robert)
• Elle connaît maintenant l’existence
de deux mondes.
• Elle sait qu’elle va vivre dans les
deux.
• Elle sait qu’elle doit s’adapter au
nouveau.
Ce texte : le prélude à la déchirure
sociale.
3. Un roman autobiographique : une
autofiction ?
Une fiction : l’enfant s’appelle Denise
Lesur.
Une fiction nourrie par la vie et les
réactions d’Annie Ernaux enfant.
Comparez le texte à la biographie d’Annie
Ernaux.
Denise Lesur narratrice :
• Ce double d’Annie Ernaux permet à
la romancière une mise à distance
de son histoire et des sentiments
qu’elle a suscités en elle. Forme de
pudeur ?
• Il permet peut-être aussi de mettre
en avant le témoignage
sociologique, et par conséquent de
critiquer ces structures sociales
exposées dans leur injustice.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Interaction orale pour la classe :


Validité du témoignage. Rechercher dans
des documents d’historiens ou de
sociologues
• une description de la société
française dans l’après-guerre.
• une analyse de l’école : sa
sociologie, son rôle dans la mobilité
sociale.
Comparez ce texte à celui de Tahar Ben
Jelloun, à celui de Vénus Khoury- Gatha.
✓ Production écrite :
• Denise Lesur entre dans cette
école. Par quels moyens va-t-elle
surmonter les difficultés évoquées
par son père ?
• Denise Lesur va échapper à son
déterminisme social. Est-ce une
chance ?

1 À cheval, face au dossier.


2 Titre d’une chanson très populaire.
3 Jeu concours au cours duquel les candidats chantent une
chanson connue et où un gagnant est désigné.
4 Argot pour dire « cheveux ».
5 Les rubans sont gonflés en forme de coques d’œuf.
Fiche 31 P. Delerm
(né en 1950)
L’auteur : Il a connu une enfance heureuse. Devenu
professeur de lettres, il écrit, mais ses textes ne
connaissent le succès qu’à partir de 1983, et surtout
1997. Il abandonne le métier d’enseignant en 2001 pour
se consacrer à son activité d’écrivain.

Conseil de guerre

C’est un enfant qui joue, tout seul, agenouillé1 sur la


moquette de sa chambre. Il a les Playmobil du Far West, avec le
fort2 aux poutres3 un peu trop régulières en plastique marron,
les Indiens, les tuniques bleues4 – même celui qui joue du
clairon5 . On est là, invité, les autres sont partis au marché, on a
fait sa toilette le dernier. Il a disposé des Indiens tout autour du
fort, à plat ventre, fait coucher les chevaux. On est dans le
couloir. Délicat de se montrer – on ne voudrait pas tout arrêter –
mais délicat aussi de ne pas se montrer – il vous a déjà vu, sans
doute. Et puis on a un peu envie d’entrer dans le jeu. Pas
vraiment de jouer, mais de se prouver à soi-même qu’on pourrait
encore le faire, qu’on ne serait pas trop un pachyderme6 dans un
magasin de porcelaine. On hésite. On est vraiment intimidé. Ça
ramène à très loin, des filles qu’on n’osait pas aborder, des vies
qu’on désirait, des mots qu’on ne savait pas trouver. C’est
comme s’il y avait le même enjeu, mais on finit par se lancer :
– Tu crois que je saurais jouer au fort avec toi ?
Alors on se sent soupesé7 par un regard grave. Pas
d’exultation8 , pas de refus, pas d’assentiment de politesse.
Simplement, au bout d’un long temps de latence9 , ce geste
impérieux10 du bras tendu :
– T’as qu’à prendre les Indiens.
On prend les Indiens, et même on se remet en bouche un de
ces vieux conditionnelssésames11 qu’on avait oubliés :
– On aurait dit que je t’aurais envoyé un émissaire12 pour
parlementer.
On est accepté ! Mine de rien13 , on plonge dans l’histoire, à
coups de concessions réciproques, je te rends tes prisonniers,
mais tu me donnes des vivres pour huit jours. Quand les autres
vont rentrer du marché, il y aura des phrases comme écrites à
l’avance :
– Où sont-ils, tous les deux ?
– Dans la chambre. Ils jouent au fort, ça a l’air d’être sérieux !
Plus tard, à l’heure de l’apéro, on renoncera aux libations14 ,
on en fera un tout petit peu trop15 :
– Buvez sans moi ! J’ai encore quelques braves à sacrifier !
Et ce sera très lâche, une façon de faire croire qu’on possède
nonchalamment16 les deux univers – comme si le cœur n’avait
pas battu fort, à ce moment fragile où l’enfance pouvait vous
exiler.

La Sieste assassinée © L’arpenteur, 2001.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Le conditionnel-sésame du jeu des
enfants. Les autres possibilités.
• Le futur proche « Quand les autres vont
rentrer du marché ».
• Comme si + plus-que-parfait. « Comme
si le cœur n’avait pas battu fort ».
• Les phrases elliptiques dans la réflexion.

Compréhension de l’écrit
1. Où est l’enfant ?
Dans sa chambre.
2. Que fait-il ?
Il joue au fort avec les Indiens et les
tuniques bleues.

§1
3. Qui est « on » ?
L’auteur, un adulte.
4. Où est-il ?
Dans le couloir.
5. Pourquoi est-il seul ?
Il a fait sa toilette le dernier et les autres
sont partis au marché.
6. De quoi a-t-il envie exactement ?
Il a envie de se prouver qu’il est encore
capable de jouer comme un enfant.
7. Pourquoi est-il intimidé ?
Il doit retrouver des comportements qu’il
n’a plus depuis longtemps.

Alors on se sent soupesé… les Indiens


8. Que fait l’enfant alors ?
Il évalue la capacité de l’adulte à
participer à son jeu.
9. Que signifie sa réponse à l’adulte ?
Tu prends le camp des Indiens donc je
prends le camp des tuniques bleues.

On prend… huit jours


10. Repérez tout ce qui relève du jeu.
Le scenario du jeu : On aurait dit…
parlementer, disposition de l’imaginaire
au conditionnel et les concessions « Je te
rends tes prisonniers, mais tu me donnes
des vivres pour huit jours. »

Plus tard… exiler


11. Qu’a-t-il craint ?
Il a craint d’être rejeté par l’enfant qui
l’aurait jugé incapable de partager son
univers.
12. Pourquoi qualifie-t-il sa conduite de
« lâche » ?
Il manque de courage parce qu’il a fait
semblant aux yeux des autres de
posséder encore l’univers de l’enfance,
alors qu’il sait bien qu’il en est loin.

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Quels sont les traits de l’enfance montrés
dans cette histoire ?
L’enfant sait que tout se passe dans
l’imagination.
Il est totalement dans le jeu.
Il n’est pas entré dans le jeu social.
2. Que recherche l’adulte en jouant avec
l’enfant ?
Il cherche à se prouver qu’il n’a pas perdu
l’univers de l’enfant.
3. Pourquoi l’auteur parle-t-il de deux univers ?
Ces deux mondes diffèrent
profondément : l’adulte prend du recul
par rapport au jeu.
Il joue à jouer, il se regarde jouer. Il est
entré dans le jeu social.
4. A-t-il vécu un moment heureux ?
Sans doute, mais il a un prix à payer.

Plan de leçon
1. L’enfance telle qu’elle est vécue par l’enfant
Le jeu : une affaire sérieuse
• Pendant laquelle l’imagination règle
totalement la vie de l’enfant, qui
sait pourtant qu’il s’agit
d’imagination.
• Qui l’absorbe tout entier.
L’enfant n’est pas encore entré dans le
jeu social : il n’a aucune arrière-pensée,
ni aucun recul sur lui-même, sur l’image
qu’il donne, sur le regard d’autrui. C’est
une liberté absolue.
Regard de l’enfant sur l’adulte. Seule
préoccupation : est-il apte à entrer dans
mon jeu ?
Est-il un partenaire acceptable ?
Conclusion : l’enfant, un roi dans son
royaume.
2. L’enfance vue par l’adulte
Rôle de l’enfant dans la scène vécue par
l’adulte.
Sans même y penser, encore moins
le savoir, il le domine. C’est un fait.
Il provoque :
• la mémoire.
• la conscience claire d’un univers
perdu, le sentiment de tricher
désormais en faisant semblant de
jouer comme un enfant, en
pratiquant le double jeu.
• le sentiment d’une perte : en
perdant cette faculté de vivre fort,
totalement, dans et par
l’imaginaire, en entrant dans le jeu
social, il a perdu un univers
heureux.
• la nostalgie de cet univers.
• le sentiment de fragilité : l’adulte a
bien compris qu’il aurait bien pu
être refusé par l’enfant, banni,
« exilé » à tout jamais de l’univers
de l’enfance. Il sait la force et la
liberté de l’enfant.
3. Un moment heureux ?
Enjeu risqué : l’enfant va-t-il l’accepter
comme partenaire ? Il hésite, le
« soupèse ». Ce n’est pas gagné
d’avance.
Enjeu gagné : l’enfant l’a accepté.
Mais bonheur relatif :
• Par la conscience de ce qu’il
provoque.
• Parce que l’adulte joue un double
jeu ; il se rassure, mais il sait qu’il
triche.
• Parce que la dualité dans la
conscience est la preuve de
l’univers perdu.
4. Genre du texte
Fragment : Récit et méditation simultanée
sur soi occasionnée par la scène vécue :
différence majeure avec l’enfant qui, lui,
est totalement dans le jeu.
La distanciation dans l’écriture.
• L’acteur de cette scène : Philippe
Delerm.
• Le narrateur : l’écrivain, Philippe
Delerm.
• L’acteur et l’écrivain, ce sont deux
états de la même personne.
L’écrivain prend du recul pour
rendre compte de ce qu’a vécu
l’acteur. Cette distanciation est
traduite par l’emploi de « on »
pour désigner l’acteur.
III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Production écrite :
« Des filles qu’on n’osait pas aborder,
des vies qu’on désirait, des mots qu’on
ne savait pas trouver. »
• Analysez cette évocation de la
jeunesse.
• Comparez cette évocation de la
jeunesse à celle du poème de
Victor Hugo (FICHE 29).
• Comparez cette évocation de la
jeunesse à celle du texte de Jean
Anouilh (FICHE 8).
• Quelle différence semble-t-il y avoir
entre le jeune garçon évoqué par
la phrase suivante : « des filles
qu’on n’osait pas aborder, des vies
qu’on espérait, des mots qu’on ne
savait pas trouver » et l’enfant du
récit ?
Vous êtes avec un enfant de cinq
ans. Vous lui racontez une histoire
que vous inventez.
Racontez la scène en construisant un
récit mêlé à votre méditation
simultanée.
Comparez la forme de ce texte à
Pressentiments (FICHE 33).

1 Assis sur les genoux.


2 Bâtiment militaire destiné à la défense.
3 Grosses pièces de bois.
4 Soldats de la garde nationale désignés par leur uniforme.
5 Trompette utilisée par les militaires.
6 Éléphant.
7 Sens propre : pris dans la main pour évaluer le poids. Ici, l’enfant
évalue du regard la faculté de l’adulte à jouer avec lui.
8 Manifestation bruyante de joie.
9 Un temps d’attente où il ne se passe rien.
10 Autoritaire.
11 Sésame : mot magique prononcé par Ali Baba pour ouvrir la
caverne des 40 voleurs.
12 Un envoyé spécial représentant le camp opposé.
13 Sans en avoir l’air, imperceptiblement.
14 Cérémonie antique où l’on répandait un liquide en l’honneur
d’une divinité. Ici, fête où l’on boit énormément.
15 On exagèrera.
16 Facilement, sans grand effort.
Fiche 32 B. Vian (1920-

1959)
L’auteur : Il a été très jeune de santé fragile. Après de
brillantes études, il est devenu ingénieur. Pendant la
guerre, il fréquente St-Germain-des-Prés, joue de la
trompette dans un orchestre de jazz amateur. Il
commence à écrire et à publier. Il abandonne son métier
d’ingénieur en 1947 pour ne se consacrer qu’à son
activité d’écrivain. Son œuvre comporte des romans, des
nouvelles, des contes, de la poésie, du théâtre, des
essais, des chansons, des articles sur le jazz. Il connaît
encore un très grand succès, notamment parmi les
jeunes.

[Colin et Chloé sont jeunes et ils s’aiment ; ils vivent le grand bonheur. Colin est à
la patinoire quand on l’appelle : Chloé a eu un problème. Lequel ? Il ne le sait
pas.]

Il courait de toutes ses forces, et les gens, devant ses yeux,


s’inclinaient lentement, pour tomber, comme des quilles1 ,
allongés sur le pavé, avec un clapotement2 mou, comme un
grand carton qu’on lâche à plat.
Et Colin courait, courait, l’angle aigu de l’horizon, serré entre
les maisons, se précipitait vers lui. Sous ses pas, il faisait nuit.
Une nuit d’ouate3 noire, amorphe4 et inorganique5 , et le ciel
était sans teinte, un plafond, un angle aigu de plus, il courait vers
le sommet de la pyramide, arrêté au cœur par des sections de
nuit moins noire, mais il y avait encore trois rues avant la sienne.
Chloé reposait, très claire, sur le beau lit de leurs noces. Elle
avait les yeux ouverts, mais respirait mal. Alise6 était avec elle.
Isis aidait Nicolas7 qui préparait, d’après Gouffé8 , un
reconstituant certain, et la souris9 broyait10 de ses dents aiguës
des graines d’herbe à décoction11 pour le breuvage de chevet12 .
Mais Colin ne savait pas, il courait, il avait peur, pourquoi ça
ne suffit pas de toujours rester ensemble, il faut encore qu’on ait
peur, peut-être est-ce un accident, une auto l’a écrasée, elle serait
sur son lit, je ne pourrais pas la voir, ils m’empêcheraient
d’entrer, mais vous croyez donc peut-être que j’ai peur de ma
Chloé, je la verrai malgré vous, mais non, Colin, n’entre pas.
Elle est peut-être blessée, seulement, alors, il n’y aura rien du
tout, demain nous irons ensemble au Bois, pour revoir le banc13 ,
j’avais sa main dans la mienne et ses cheveux près des miens,
son parfum sur l’oreiller. Je prends toujours son oreiller, nous
nous battrons encore le soir, le mien, elle le trouve trop bourré, il
reste tout rond sous sa tête, et moi je le reprends après, il sent
l’odeur de ses cheveux. Jamais plus je ne sentirai la douce odeur
de ses cheveux.
Le trottoir se dressa devant lui. Il le franchit d’un bond géant,
il était au premier étage, il monta, il ouvrit la porte et tout était
calme et tranquille, la paix des tapis aux dessins gris bleu.
Nicolas lui dit : « Ce n’est pas grand-chose », et Chloé sourit,
elle était heureuse de le revoir.

L’Écume des jours (XXXII) © Gallimard, 1947.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langu
• §1 : « pour tomber ». Valeur de ce
« pour ».
• L’imparfait et le passé simple dans le
récit (Mention spéciale pour « il était au
premier étage » dans le dernier
paragraphe).

Compréhension de l’écrit
1. §1 : Comment comprenez-vous « les gens,
devant ses yeux, s’inclinaient lentement, pour
tomber, (…), allongés sur le pavé » ?
Les gens ne tombent pas vraiment ; c’est
l’impression qu’a Colin en courant. Le
texte dit bien « devant ses yeux ».
2. §2 : Comment comprenez-vous « l’angle aigu
de l’horizon (…) se précipitait vers lui » ?
Il faut imaginer en trois dimensions ce
que voit Colin : un angle aigu est un
angle inférieur à 90 degrés. Colin court
dans la rue ; elle est bordée par les
maisons et par la perspective, son œil voit
un angle aigu. Comme il court très vite, il
a l’impression que cet angle se rapproche
de lui.
3.§2 : De quelle « pyramide » s’agit-il ?
De la même façon, le ciel forme aussi un
angle aigu. Entre le ciel et le sol, il a
l’impression de voir une forme de
pyramide.

§4
4. À partir de « pourquoi ça ne suffit pas »
jusqu’à la fin du paragraphe, qui parle ?
C’est la voix de Colin, ce qui se passe
dans sa conscience pendant qu’il court.
5. Découpez les différents moments de ce
morceau du texte.
– « Peut-être est-ce un accident… mais
non, Colin, n’entre pas ». Il imagine la
pire situation : elle est morte, il a tout
perdu.
– « Elle est peut-être blessée seulement…
l’odeur de ses cheveux ». Il imagine une
situation où elle est blessée, il n’a rien
perdu.
– « Jamais plus… ses cheveux. ». Il
retourne à la première phase : elle est
morte et il a tout perdu.
6. Relevez le passage qui donne la signification
de ce morceau du texte.
« Mais Colin ne savait pas, il courait, il
avait peur. »

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE

Pour vous aider à préparer un commentaire


littéraire
1. Quelles sont les différentes voix qui parlent
dans ce texte ?
La voix du narrateur et la voix de Colin.
2. Vous avez observé les différents moments du
3è paragraphe. Comment comprenez-vous que
Colin passe de l’un à l’autre ?
Colin connaît l’alternance
désespoir/espoir/désespoir : lorsqu’il
imagine qu’il a tout perdu, il ne peut pas
aller plus loin, plus bas dans ce sens ;
c’est tellement insupportable qu’il
remonte vers une situation qui exclut la
première et la conjure ; mais il ne se fait
pas d’illusion sur l’objet de son angoisse :
c’est bien d’avoir tout perdu qu’il a peur.
3. §4 : « j’avais sa main dans la mienne et ses
cheveux près des miens, son parfum sur
l’oreiller. ». Isolée du contexte, cette phrase
semble incomplète. Pourquoi, ici, n’y manque-t-
il rien ?
Le texte reproduit le flux de conscience de
Colin : l’évocation du souvenir sur le banc,
des cheveux de Chloé près des siens à ce
moment-là appelle un autre souvenir. La
cohérence du texte est celle de la
conscience de Colin.
4. Quel est le thème de ce texte ?
Rapport amour/bonheur. La fragilité du
bonheur.
Plan de leçon
1. Une séquence de film.
Deux scènes simultanées, inégales :
• La course éperdue de Colin depuis
la rue jusqu’à l’arrivée à
l’appartement.
• L’appartement : « Ce n’est pas
grand-chose ».
• En fait, un seule scène importante,
la course de Colin : la scène dans
l’appartement est là pour donner
tout son sens à l’autre. Le lien
entre les deux « Mais Colin ne
savait pas ».
Un texte à deux voix :
• Celle de Colin : §4, « Pourquoi… »
jusqu’à la fin du paragraphe. Flux
de conscience de Colin. Le
narrateur s’est totalement effacé.
• Celle du narrateur : récit. Le
narrateur raconte la course de
Colin et ce qui se passe dans
l’appartement à la 3e personne.
• MAIS le narrateur s’efface là
encore : il met Colin au premier
plan en racontant la course vue par
le regard de Colin ; c’est ce qui
s’appelle au cinéma un plan
subjectif.
• Colin est donc bien le personnage
central de tout le texte.
2. Le risque de vivre.
Deux thèmes entrelacés : amour et
bonheur.
• Amour fou : Bonheur total. Colin ne
se jetterait pas dans cette course
éperdue si l’amour ne donnait pas
prix et sens à sa vie.
• Mais du même coup, l’enjeu que
cet amour implique est total : Colin
sait que cet amour se vit dans la
durée et qu’il aura nécessairement
une fin. Il connaît ce que Cohen
appelle « cet amour qui est
constant tremblement de perdre
l’être aimé », qu’une circonstance
particulière, ici, lui fait vivre de
façon aiguë.
Les modalités de l’angoisse :
• Un fonctionnement sinusoïdal :
quand on arrive au bout d’une
phase descendante, on bascule
dans une phase ascendante, qu’on
abandonne à son zénith pour
repartir dans une phase
descendante. Ce sont les trois
moments du flux de conscience de
Colin :
Chloé est morte, j’ai tout perdu/
Elle est blessée, je n’ai rien perdu /
J’ai tout perdu « Jamais plus… ».
• L’imagination prend tout le
pouvoir :
• 1re phase : Colin passe au futur
après le « peut-être… » suivi
d’hypothèses au conditionnel. Il
imagine même le dialogue avec un
des amis présents dans
l’appartement.
• 2e phase : Colin passe du peut-
être au futur, du futur au souvenir
à l’imparfait, de ce souvenir à la
force du présent.
• 3e phase : ce présent, c’est tout
l’enjeu. La force de cette évocation
provoque la conscience aiguë du
risque « Jamais plus ».
3. Jeunesse et conscience tragique ?
Une conscience tragique : La conscience
de la précarité du bonheur est ressentie
aussi vivement que le bonheur lui-même
par Colin, et sans doute par Boris Vian.
La jeunesse : Elle se dévoile dans l’amour
fou, sans doute aussi dans la fantaisie de
l’écriture du narrateur, dont on peut dire
qu’elle est un masque pudique de la
conscience tragique.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Production écrite :
Vous êtes à l’aéroport, vous attendez
un ami. Les passagers sortent et votre
ami n’est pas là. Écrivez ce qui se passe
dans votre tête.
✓ Production écrite ou interaction orale
pour la classe :
• Colin est jeune. Cette consciente
tragique vous paraît-elle fréquente
chez les jeunes, alors qu’on parle
souvent de l’insouciance de la
jeunesse ?
• L’écume des jours a eu et a encore
un grand succès auprès de la
jeunesse. Ce texte vous permet-il
de comprendre pourquoi ?

1 Pièces de bois cylindriques qu’on joue à faire tomber avec une


boule.
2 Bruit que fait un liquide légèrement remué.
3 Matière textile utilisée pour rembourrer un vêtement, ou pour les
soins d’hygiène.
4 Sans énergie, molle.
5 Ici, qui n’est pas vivante.
6 Alise et Isis sont des amies du couple.
7 Nicolas est le cuisinier du couple. C’est aussi un ami.
8 Cuisinier français du XIXème siècle, auteur d’un livre de cuisine
très célèbre.
9 Petit personnage constamment présent dans la vie du couple.
10 Écrasait.
11 Invention fantaisiste de Vian.
12 Invention fantaisiste de Vian.
13 Lieu du premier rendez-vous, endroit où le couple s’est
constitué.
Fiche 33 A. Coste (née

en 1954)
L’auteur : Anaïs Coste : pseudonyme d’une universitaire
spécialiste de Colette. Elle écrit des « fragments »
qu’elle regroupe en recueils, auxquels elle donne un
titre. Jusqu’à présent, elle n’a pas cherché à publier. Si
elle souhaite être lue, c’est par des lecteurs qu’elle
choisit et dont elle attend une lecture bienveillante, ce
qui ne signifie pas complaisante.

Pressentiments

Elle voyait avancer à sa rencontre la vieille dame qu’elle allait


devenir.
Son embarcation avait commencé à prendre l’eau, mais par de
si fins écartements de sa menuiserie, par une infiltration si
insensible, qu’au regard1 des autres elle semblait tenir le cap2 à
l’identique.
Elle observait, lorsqu’elles s’inscrivaient à un exposé, le
visage totalement lisse de ses étudiantes, le vallon lustré où
s’accrochait le sourcil. Dans cette peau en confiance où pas une
ligne ne marquait les soustractions de la vie, dans ce paysage
neigeux où aucun pas ne s’était imprimé, elle voyageait. Elle
franchissait des dunes d’argile rose où rebondissait une lumière
satinée, puis suivait le pourtour d’un ovale sans faille, longeait la
pente d’un galbe3 irréprochable, parvenu au pic4 de sa maturité,
à partir de quoi il ne pourra que décliner. Elle se gorgeait5 de
cette perfection idéale, suspendue magiquement à la courbe du
temps, d’autant plus émouvante qu’elle n’a pas pris conscience
de sa fragilité.
Cependant l’étudiante, inquiète d’obtenir ses crédits6 , cédait
bientôt à la panique, se croyant désavouée7 : elle balançait sur la
corde de son indignité, attribuant ce silence à une diplomatie, à
un délai de réflexion pour ne pas la vexer et, se préparant à la
censure possible d’une analyse restant à étoffer, elle cherchait à
capter le regard évasif, sollicitant quelque conseil qu’on voulût
lui donner, et quêtait d’une caution8 le signe le plus infime, sans
saisir la nostalgie dont elle était l’objet.

L’Écriveraine

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Le lexique de chaque métaphore.
• L’imparfait, auxiliaire de la distanciation.

Compréhension de l’écrit
1. Qui est « elle » ?
L’enseignante.
2. Que signifie « voyait » ?
Grâce aux premiers signes de
vieillissement, elle se représentait, elle
avait présente à l’esprit l’image de vieille
femme qu’elle allait devenir, elle le savait.
3. Quelle est la métaphore de ce premier
paragraphe ?
La métaphore d’une embarcation qui
commence à prendre l’eau.
4. Elle observait… sourcil : Quel est son métier ?
Elle enseigne à l’université.
5. Dans cette peau… elle voyageait : Qui est « Elle »
dans « elle voyageait. » ?
L’enseignante.
6. Relevez les verbes qui décrivent ce
« voyage ».
« franchissait…suivait…longeait… »
7. Quelle est la métaphore principale de ce
paragraphe ?
C’est la métaphore d’un voyage dans un
paysage neigeux.
8. Relevez toutes les métaphores secondaires
dans le deuxième paragraphe.
« vallon… (empreintes de) pas…dunes
d’argile rose… »
9. d’autant plus… fragilité : Que représente le
pronom « elle » ?
« Perfection idéale ».
10. Troisième paragraphe : Que se passe-t-il dans
la tête de l’étudiante ?
Elle interprète le silence comme l’effet
d’une « diplomatie » de l’enseignante
pour lui présenter une insuffisance de son
travail.
11. Quel est le thème majeur de ce texte ?
La peur du vieillissement, de la perte de
la beauté.
12. Qui est le personnage principal ?
La narratrice.
13. Que déduisez-vous de l’imparfait du texte ?
Il introduit une distanciation entre la
narratrice et le personnage de la scène
rapportée, entre l’écrivain et
l’enseignante.

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE

Pour vous aider à


préparer un
commentaire littéraire
1. Comment qualifier le thème principal du
texte, le vieillissement ?
Il est traditionnel, banal.
2. Qui parle dans ce texte ?
La narratrice.
3. Quel est le rapport entre « elle » et la
narratrice ?
C’est la même personne, dans deux états
différents : « elle » est l’enseignante,
« je »
est l’écrivain.
4. Combien de temps dure la scène relatée ?
Quelques instants.
5. Y a-t-il quelque chose de visible pour tous
dans cette scène ?
Non.
6. Ce texte recèle-t-il des difficultés de
grammaire ? de syntaxe ? de lexique ?…
(sans doute pas pour des apprenants de
niveau C. Le lexique, peut-être)
7. Qu’est-ce qui fait la difficulté de ce texte ?
Réponse libre (Les métaphores, sans
doute.)
8. À quel(s) genre(s) appartient-il ?
Méditation, autofiction.
Poésie en prose.

Plan de leçon
1. Une méditation traditionnelle ?
Thème de la fuite du temps et du
vieillissement.
Thème traditionnel, très présent dans
la littérature.
Thème de la jeunesse inconsciente
de ce déclin annoncé de la beauté.
Une écrivain-narratrice omnisciente ?
Il faut bien qu’il y ait un « je » de la
narratrice pour dire « elle » et
désigner chacune des deux
protagonistes, l’enseignante et
l’étudiante.
Cette narratrice est omnisciente : rien
n’est visible, mais elle sait
parfaitement ce qui se passe dans la
conscience de l’enseignante et dans
celle de l’étudiante.
2. Mais là n’est pas le texte
Un dédoublement qui ruine l’idée de
narrateur omniscient : la narratrice et
« elle » enseignante sont une seule et
même personne dans deux états
différents.
• L’enseignante regarde le visage de
l’étudiante. Elle vit et recherche
des impressions.
• La narratrice, elle, analyse les
impressions. Elle vit aussi, mais
autrement : elle prend du recul
pour comprendre et pour dire ce
« je » qu’elle était au moment de
la scène relatée.
Elle est alors écrivain. Elle traduit
cette mise à distance de l’analyse
par le pronom « elle »
et par l’imparfait. Elle interprète
l’attitude de l’étudiante : attitude
vraisemblable, mais peut-être
illustration de sa conviction : la
jeune fille ne sait ni que sa beauté
est fragile, ni qu’elle est l’objet de
nostalgie de la part d’une « sœur »
aînée. Il faut bien alors qu’elle
pense à quelque chose qui a
rapport à la situation pédagogique
où elles sont.
• Son activité en tant qu’écrivain est
évidente non seulement quand on
observe sa démarche d’analyse,
mais aussi, et peut-être surtout,
quand on considère les procédés
d’écriture mis en œuvre. Ils
correspondent à une recherche
proprement littéraire qui relève
d’une activité d’écrivain : lexique
d’une grande précision, densité de
la phrase, et surtout les
métaphores, dont deux sont des
métaphores filées.
Genre du texte.
Le thème : Une méditation lucide sur
soi conduite avec exigence et
pudeur.
Mais surtout : un texte poétique par
le recours aux métaphores. Un
texte de styliste.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Production écrite :
• Ce thème de la nostalgie de la
beauté est-il présent dans votre
culture ?
• Que vous inspire le visage d’une
personne très âgée ?
• Quels sont les dangers du
« jeunisme » ?
• Quels rapports voyez-vous entre
chirurgie et soins esthétiques d’une
part et identité d’autre part ?
✓ Interaction orale pour la classe :
• Regardez le tableau de Rembrandt
(visible sur internet, National
Gallery) :
« Portrait of Aechje Claedr. ». C’est
le portrait d’une femme âgée.
Qu’est-ce qui fait la beauté de ce
tableau ?
1 Selon l’opinion.
2 Terme de navigation : rester dans la même direction.
3 Ici, profil en forme de courbe du visage.
4 Point le plus élevé.
5 Elle absorbait le plus possible…
6 Points qui valident la réussite à un examen universitaire.
7 Contestée : elle s’imagine que le professeur ne donne pas son
approbation à son travail.
8 Approbation.
Fiche 34 P. Éluard
(1895-1952)
L’auteur : Malade, il abandonne très vite ses études. Il
connaît le front en 1917, fait la connaissance de Breton et
d’Aragon en 1919. Il participe activement aux
mouvements dadaïste, puis surréaliste. Il entre au PCF en
1926, en est exclu en 1933, abandonne les surréalistes en
1938. Pendant l’Occupation, il entre dans la Résistance et
rejoint le PCF en 1942. Son poème, Liberté, très connu
aujourd’hui, est parachuté en France à des milliers
d’exemplaires. Après la guerre, il voyage et participe à de
nombreuses rencontres pour la paix. Son œuvre poétique,
dédiée à l’amour et à la politique, est considérée comme
une œuvre majeure du XXème siècle.

[Éluard a noté sur un carnet son émotion et sa colère devant une scène
vue au moment de la Libération de Paris, en 1944 : « Je revois des idiotes
lamentables tremblant de peur sous les rires de la foule. Elles n’avaient
pas vendu la France et elles n’avaient souvent rien vendu du tout. »
Ce poème a été publié dans le journal Les Lettres Françaises en 1944,
puis dans le recueil des poèmes de Résistance, Au Rendez-vous
allemand.]

Comprenne qui voudra

En ce temps-là, pour ne pas châtier1 les coupables,


on maltraitait des filles. On allait même
jusqu’à les tondre2 .
Comprenne3 qui voudra4 Souillée8 et qui n’a pas
Moi mon remords ce fut compris
La malheureuse qui resta Qu’elle est souillée
Sur le pavé5 Une bête prise au piège
La victime raisonnable Des amateurs de beauté
À la robe déchirée Et ma mère la femme
Au regard d’enfant perdue Voudrait bien dorloter9
Découronnée défigurée Cette image idéale
Celle qui ressemble aux morts De son malheur sur terre.
Qui sont morts pour être aimés

Une fille faite pour un bouquet


Et couverte
Du noir crachat6 des ténèbres
Une fille galante7
Comme une aurore de premier
mai
La plus aimable bête

Au Rendez-vous allemand © Éditions de Minuit, 1944.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Subjonctif sans « que ».
• Valeur des relatives
◗ adjectivale restrictive de la relative
des vers 3, 4.
◗ adjectivale restrictive de la relative du
vers 10.
◗ adjectivale descriptive de la relative
du vers 17.
Compréhension de l’écrit
1. Quel est le sentiment exprimé dans le vers 1 ?
L’incompréhension devant un spectacle
révoltant.

Vers 3 à 10
2. Reliez ces vers aux informations qui vous ont
été données.
C’est la scène qu’il a vue : une jeune femme
qu’on vient de tondre. Elle a peur.
3. Quels mots résument le jugement d’Eluard sur
la situation de la jeune femme ?
« malheureuse », « victime ».
4. Comment comprenez-vous « découronnée » ?
Sa tête a été rasée. Elle a perdu ses
cheveux, sa « couronne ».
5. Comment comprenez-vous le sentiment
exprimé dans le vers 2 ?
Le remords : il a vu ce qui était fait. Il aurait
sans doute voulu avoir empêché cela. Il se
sent une responsabilité collective dans ce
qui vient de se passer et regrette cette faute
commise.

Vers 10 à 11
6. Sur quelle opposition est bâtie cette strophe ?
Opposition entre la beauté et la laideur,
l’humiliation.

Vers 16 à 20
7. Comment comprenez-vous « souillée » ?
Elle est salie par la faute d’avoir aimé un
Allemand.
8. Qu’est-ce qui fait d’elle une victime dans ces
vers ?
C’est sa beauté.

Vers 21 à 24
9. Que représente cette scène vue pour Éluard ?
Cette scène est exemplaire de la situation,
de la condition des femmes en général.

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE

Pour vous aider à préparer


un commentaire littéraire
1. Qu’est-ce qui fait de la fille une victime ?
Sa beauté et le fait de payer à la place de
vrais coupables.
2. Quels sont les sentiments d’Éluard au souvenir
de ce spectacle ?
La compassion pour cette fille, la révolte
devant l’humiliation, devant l’hypocrisie de
ce châtiment, le remords devant cette faute
collective.
3. Comment Éluard dépasse-t-il les circonstances
particulières de la scène vue ?
Il y voit un symbole de la condition
féminine.
4. Quel est le genre de ce poème ?
Élégie.
5. Repérez les groupements de mots qui
respectent les unités de souffle.
……

Plan de leçon
1. Un poème de circonstance.
Il a été témoin direct. Ce qu’il a vu.
Une belle fille, dépassée par les enjeux de
l’histoire, tondue, humiliée, apeurée.
La scène se passe à la Libération de Paris,
en 1944, à la fin de l’Occupation.
Les réactions d’un témoin bouleversé.
• Il pense que la fille est doublement victime.
◗ Elle paie sa beauté : un Allemand
« amateur de beauté » l’a aimée.
◗ Elle paie cette faute dont elle n’a pas
vraiment conscience, et elle paie à la
place d’autres qui ont commis des
fautes bien plus graves de
collaboration avec l’ennemi.
• Il est scandalisé par la malhonnêteté de ce
transfert hypocrite de culpabilité, par cette
preuve de la bêtise conjuguée à la violence
et la lâcheté.
◗ Vers 1 : Il ne peut pas comprendre,
ce qui implique admettre, ce qu’il a
vu.
◗ Vers 2 : Par le remords, il assume la
responsabilité collective de cette
ignominie.
La fille était déjà tondue et maltraitée
lorsqu’il a vu ce spectacle, il n’y a pas
participé ; mais il l’a vu et il en sait
l’injustice. C’est cette double
conscience qui crée le remords.
• Il est bouleversé par ce qu’on a fait de la
fille.
On a saccagé sa beauté : elle était jeune,
fraîche, belle (strophe 2). On l’a
« défigurée », elle « ressemble aux morts ».
On l’a saccagée en tant que femme : On a
rasé sa chevelure, attribut et symbole de sa
féminité, on l’a « découronnée ». Elle est
symboliquement détruite dans son être de
femme.
On a saccagé sa dignité humaine : par le
traitement qu’elle a subi, mais aussi par « la
robe déchirée ».
• Il est ému par la fille.
Il éprouve de la pitié devant la détresse et la
peur de la fille : « La malheureuse »… « Au
regard d’enfant perdue ».
2. Une élégie.
• Définition :
Une élégie est une œuvre poétique
lyrique dont le thème est la plainte, la
déploration.
• Élégie à cette « enfant perdue ».
Le poète se souvient de ce qu’il a vu,
du regard et de l’état de cette fille et
il ne se tait pas. Il chante pour
dénoncer le scandale, pour dire ses
réactions, ses sentiments. Sans doute
est-ce une façon de vivre et de
dépasser le « remords » qu’il
éprouve.
Dénonçant le scandale et l’injustice
de ce qu’a subi cette fille, il lui rend
un peu sa dignité volée. Il faut se
rappeler la date de publication de ce
poème : au moment de la Libération
de Paris, c’est-à-dire peu après août
1944. C’est donc clairement un
poème de circonstance.
• L’ élégie à une femme s’élargit en une
élégie à la femme.
◗ Éluard sort du cadre historique et des
circonstances particulières. Il voit
dans cette femme et ce qu’elle subit
un symbole parfait de la condition
féminine.
◗ Il rend hommage à deux images de la
femme : la femme-victime et la
femme-mère, consolatrice et
protectrice.
• Forme poétique :
◗ Images et comparaisons.
◗ Des vers libres : vers courts, qui
donnent un rythme rapide et de la
densité.
◗ Des vers inégaux, à quoi il faut
ajouter des groupements de mots
générés par le sens, font varier le
rythme. Ces variations entraînent
l’accent sur certains mots ou groupes,
par exemple les vers 4, 14, 16, 18…
◗ Absence de ponctuation : héritage
surréaliste.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES

✓ Interaction orale pour la classe :


• Faut-il ranger ce poème sous
l’étiquette « féministe » ?
• Validité de ce témoignage : Il est
hors de doute qu’Éluard a vu cette
scène, hors de doute que des
femmes ont été tondues pour ce
qu’on appelait « la collaboration
horizontale ». Interrogez les
historiens pour savoir s’ils sont
d’accord avec l’explication qu’Éluard
donne de ces actes contre des
femmes.
• « Cette image idéale/De son malheur
sur terre » dit Éluard, qui sort, non
seulement des circonstances, mais de
sa culture. Cet élargissement à la
condition féminine universelle vous
paraît-il reposer sur des bases
solides ?
• Comparez ce poème au texte de
Vénus Khoury-Ghata (FICHE 23).
✓ Production orale :
• Après avoir opéré les groupements de
mots qui respectent les groupements
de souffle, apprenez ce poème et
dites-le.

1 Punir.
2 Raser la chevelure.
3 Subjonctif de souhait sans « que ». Formule archaïque.
4 « qui voudra » est le sujet du verbe « comprenne ». Que celui qui
voudra comprenne…
5 Partie de la rue recouverte de blocs de pierre. Ici, sol de la rue faite
de cubes de pierre appelés « pavés ».
6 Salive rejetée par la bouche. Ici, image pour dire humiliation
violente.
7 Fraîche, vive, aimable.
8 Salie.
9 Entourer de tendresse.
Fiche 35 A. Camus
(1913-1960)
L’auteur : Voir fiche 21.

[Exilé à Amsterdam, un ancien avocat français qui a pris le pseudonyme


de Jean-Baptiste Clamence vient quotidiennement dans un bar louche.
Là, il attend ses compatriotes. Sous couvert d’aider un visiteur
malhabile en néerlandais, il noue conversation et informe son
interlocuteur qu’il est « juge-pénitent ».
Intrigué, celui-ci veut comprendre ce que cela veut dire. Il revient
plusieurs fois rencontrer Clamence qui lui explique que, pour y parvenir,
il doit exposer sa vie, son itinéraire personnel, ce qu’il fait sur plusieurs
jours et cinq rencontres.
Il a d’abord été un avocat défenseur des nobles causes. Ce temps du
bonheur a duré jusqu’au jour où un rire a réveillé le souvenir d’un
épisode au cours duquel il n’a pas cherché à porter secours à une
femme qui se suicidait dans la Seine (trop loin, trop tard).
Convaincu désormais d’avoir déjà participé au mal, il entre dans une
deuxième période, où il fait différentes tentatives pour recouvrer
l’innocence. Toutes se révèlent inopérantes. Le texte qui suit se situe à
ce moment du récit de son itinéraire, à la fin de cette deuxième
période.]

Fini la vie glorieuse, mais fini aussi la rage et les


soubresauts1 . Il fallait se soumettre et reconnaître sa culpabilité.
Il fallait vivre dans le malconfort. C’est vrai, vous ne connaissez
pas cette cellule de basse-fosse2 qu’au Moyen Âge on appelait
le malconfort.
En général, on vous y oubliait pour la vie. Cette cellule se
distinguait des autres par d’ingénieuses dimensions. Elle n’était
pas assez haute pour qu’on s’y tînt debout, mais pas assez large
pour qu’on pût s’y coucher. Il fallait prendre le genre empêché3 ,
vivre en diagonale ; le sommeil était une chute, la veille un
accroupissement4 . Mon cher, il y avait du génie, et je pèse mes
mots, dans cette trouvaille5 si simple. Tous les jours, par
l’immuable contrainte qui ankylosait6 son corps, le condamné
apprenait qu’il était coupable et que l’innocence consiste à
s’étirer joyeusement. Pouvez-vous imaginer dans cette cellule un
habitué des cimes et des ponts supérieurs7 ? Quoi ? On pouvait
vivre dans ces cellules et être innocent ? Improbable, hautement
improbable !
Ou sinon mon raisonnement se casserait le nez. Que l’innocence
en soit réduite à vivre bossue8 , je me refuse à considérer une
seule seconde cette hypothèse. Du reste9 , nous ne pouvons
affirmer l’innocence de personne, tandis que nous pouvons
affirmer à coup sûr la culpabilité de tous. Chaque homme
témoigne du crime de tous les autres, voilà ma foi et mon
espérance10 .

La Chute © Gallimard, 1956.

I. EXPLOITATION LINGUISTIQUE

Repérage des faits de


langue
• Concordance des temps : Imparfait du
subjonctif.
• Un style soutenu : les moyens utilisés.
• Les marques d’adresse à un
interlocuteur.

Compréhension de l’écrit
1. En vous aidant des informations qui
précèdent le texte, dites ce que représente « la
vie glorieuse », « la rage et les soubresauts. » .
« La vie glorieuse » représente la
première partie de la vie de Clamence,
jusqu’au rire qui lui a révélé qu’il avait
participé au mal. Pendant cette période, il
se croyait défenseur des valeurs.
« Les soubresauts » représentent toutes
ses tentatives pour recouvrer l’innocence
jusqu’au moment où il constate leur
échec.
2. Quelle est la nouvelle conviction de
Clamence ?
« Il fallait vivre dans la culpabilité ».
3. Clamence raconte son itinéraire personnel.
Observez la forme-même qu’il utilise pour
exprimer ce que va être cette nouvelle phase de
sa vie. Que remarquez-vous ?
Il utilise l’imparfait qui se réfère à son
itinéraire passé, mais il emploie une forme
impersonnelle. Il ne rapporte pas cette
disposition à sa vie propre uniquement. Il
glisse à une formulation générale.
4. En général… accroupissement : Observez la
description de la cellule de malconfort. Qu’en
concluez-vous pour celui qui s’y trouve ?
Impossibilité de se tenir debout ou
couché : il est toujours entre deux
positions.
Véritable torture.
Torture éternelle.
5. Qu’en concluez-vous pour la métaphore « Il
fallait vivre dans le malconfort » ?
Torture irrémédiable et éternelle de la
conscience pour celui qui a découvert qu’il
participe au mal.
6. Cette cellule… si simple : relevez les mots qui
expriment l’opinion de Clamence sur cette
cellule ?
Elle a « d’ingénieuses dimensions », « Il y
avait du génie, et je pèse mes mots, dans
cette trouvaille si simple. »
Admiration provocatrice.

Tous les jours… cette hypothèse


7. Quelles conclusions tire-t-il de cette
description ?
Il établit une relation entre la position
physique et la position morale.
Il tient des propos généraux sur
l’innocence et la culpabilité.
8. Qui est concerné par ces propos ?
Personne en particulier. Clamence n’est
impliqué que pour la justesse de ce qu’il
appelle son « raisonnement ». Voir
question 7.
9. Du reste… mon espérance : Que fait Clamence
dans ces dernières lignes ?
Il généralise la culpabilité à l’humanité
entière.

II. EXPLOITATION LITTÉRAIRE

Ce qu’il faut savoir des circonstances qui ont


conduit Camus à écrire La Chute.
La Chute date de 1956, et il est indispensable de
connaître les circonstances dans lesquelles Camus a
écrit cette longue nouvelle.
Dans L’Étranger (1942), Meursault, déjà, se révoltait
contre l’absurde, mais sa révolte était vouée à l’échec
parce qu’elle était solitaire. En 1947, La Peste
proposait un mythe du mal et offrait une solution
dans une révolte permanente contre lui. Non qu’il
faille espérer le vaincre définitivement, mais le
docteur Rieux et d’autres avec lui, chacun à sa place,
disaient non, obstinément, au mal qui humilie
l’homme. Ils retrouvaient ainsi, par delà l’absurde et
le mal, la dignité de ceux qui ne se mettent pas à
genoux, une raison d’agir, la solidarité et un sens à
leur vie. Dans la France d’après-guerre, le succès a
été considérable et Camus a alors été considéré
comme un maître à penser.
En 1951, dans l’essai philosophique L’Homme
révolté qui correspond à La Peste, œuvre esthétique,
Camus retrouve la solution de la révolte permanente
contre le mal, le refus de pactiser avec lui, ne serait-
ce que pour des moyens temporairement nécessaires
à la poursuite d’une bonne fin. On y retrouve aussi la
solidarité dans ce renouvellement du cogito cartésien
« Je me révolte donc nous sommes ». Fort
logiquement, on y trouve aussi une violente critique
de tous les systèmes qui justifient le recours au mal.
Conduit à examiner toutes les révoltes historiques,
Camus se demande si elles ont été fidèles à leur
mouvement initial. Au nombre de ces révoltes, il y a
la révolution russe et ce qui se passe depuis dans
l’URSS de Staline. Ce qui est en question, c’est le
goulag.
Certes, les communistes considèrent que c’est un
mal, mais que c’est un mal temporairement
nécessaire pour l’avènement du bien. C’est
inadmissible pour Camus, qui pense et dit que le
communisme, tel qu’il a été pratiqué historiquement,
a trahi sa révolte initiale.
La réaction est violente et immédiate. Pendant
toute l’année 1952, Camus est la cible de critiques
d’une violence inouïe, notamment dans la revue de
Sartre Les Temps modernes.
Depuis ce moment, Camus vit dans un climat qui
marque une sérieuse rupture avec celui de La Peste.
D’autres éléments, comme la maladie, s’ajoutent à
cela pour faire de ces années une période amère.
C’est alors qu’il écrit La Chute. Il veut régler des
comptes avec ceux qu’il appelle « les petits
prophètes dont notre siècle est plein » et qui l’ont
accablé. Mais ce serait appauvrir l’œuvre que de lire
uniquement cette intention polémique. Le texte
proposé à l’étude semblerait même mettre en
question l’œuvre précédente de Camus. Comment
comprendre ce qui paraît énigmatique ?
Selon le public d’apprenants :
Certains connaissent le contexte religieux et les
notions concernées : Chute, péché originel, annonce
de la venue d’un Sauveur, (prophéties, Jean-Baptiste
dernier prophète, sens des fêtes Noël et Pâques,
notamment)
procédures à suivre pour recouvrer l’innocence…
Dans ce cas, bref rappel.
Certains appartiennent à des cultures totalement
étrangères à cette vision et à ces notions. Il faudra
les leur donner.
Pour vous aider à
préparer un
commentaire littéraire
1. Quel sont les éléments du bilan que fait
Clamence ?
Deux périodes se terminent : celle où il se
voyait comme défenseur du bien jusqu’au
moment où il a découvert qu’il participait
au mal, puis celle pendant laquelle il a
essayé différents moyens pour recouvrer
l’innocence jusqu’au moment où il se rend
compte qu’il n’y a aucun moyen. Il
commence une troisième période, celle où
il sait qu’il faut vivre avec la conviction
que le mal est irrémédiablement en nous.
2. Quel est le rapport entre ce texte et le titre
de l’œuvre : La Chute ?
« La chute » est une référence à La
Genèse : l’homme a commis le mal. Il est
chassé du Jardin d’Eden. Toute sa
descendance est marquée par ce péché
originel. Les religions issues de cette
vision, dont celles qui marquent la culture
européenne à laquelle Camus appartient,
affirment qu’il y a des procédures pour en
sortir et recouvrer l’innocence.
3. Relisez les notes d’introduction au texte.
Clamence voulait ardemment recouvrer
l’innocence. Quel est nécessairement son
sentiment à ce point de son itinéraire ?
Le désespoir définitif.
4. Sur quel ton parle-t-il de son bilan du
moment ?
Ton sarcastique, ironique.
5. Comment comprenez-vous ce ton ?
Suggestion : pudeur, procédé pour
masquer le désespoir.
6. La relation avec son interlocuteur : Relevez
toutes les marques d’adresse à son
interlocuteur.
« Vous ne connaissez pas… Mon cher,…
Pouvez-vous imaginer… »
7. Il a prétendu que pour expliquer « juge-
pénitent » il lui fallait raconter son itinéraire.
En quoi cela peut-il être intéressant pour
l’interlocuteur ?
C’est intéressant pour l’interlocuteur dans
la mesure où le détail de la vie de
Clamence dépasse le cadre de la vie de ce
seul individu. Il est dans la situation d’un
lecteur de roman ou de nouvelle.
8. Au moment où il parle à son interlocuteur, il
est nécessairement dans la phase qui suit la
conviction qu’il relate dans ce texte. En quoi
parler à son interlocuteur peut-il être
intéressant pour lui-même ?
Il a déclaré qu’il était désormais juge-
pénitent. Il faut donc qu’il soit en train de
se livrer à cette occupation. Reste à se
demander ce qu’il attend de cette
occupation.
9. Clamence parle, l’interlocuteur écoute.
Quand vous lisez le texte, quel rôle jouez-
vous ?
Le lecteur a la positon et le rôle de
l’interlocuteur : il peut arrêter de lire, ou
reprendre sa lecture de la même façon
que l’interlocuteur pose la question et
revient écouter Clamence. Il peut se
poser des questions, se faire des
remarques comme l’interlocuteur. Il n’a
pas les moyens de les intégrer dans le
texte. C’est Clamence qui peut y revenir
en imaginant ce qui se passe dans la tête
de l’autre.
10. Pour ceux qui ont lu La Peste de Camus :
Vous avez vu un médecin lutter contre la peste,
symbole du mal. Le sens de sa vie était dans le
combat contre la mort, la révolte permanente
contre le mal, dans des victoires provisoires, et
non dans une victoire définitive qu’il ne
remporterait jamais. À votre avis, le propos de
La Chute remet-il en question le message de La
Peste ?
Réponse libre

Plan de leçon
1. Bilan de l’itinéraire de Clamence.
« La chute est notre condition naturelle »
• Il faut prendre acte de l’échec de
toutes les tentatives pour recouvrer
l’innocence et renoncer à l’espoir
qu’elles représentaient.
• Il faut donc admettre la
participation au mal comme une
donnée fondamentale de la
condition humaine, quoi qu’on
fasse.
Implications : une conscience
douloureuse, puisqu’il faut donc vivre
• avec le sentiment de culpabilité
que notre condition naturelle
implique, ce qui signifie ne rien
faire, pour participer au mal le
moins possible.
• avec le désespoir que cette
conviction entraîne,
• et, au mieux, la nostalgie de cet
espoir vain.
2. Que signifie alors ce que fait Clamence ?
Clamence n’est plus avocat, mais il
« fait » ; il n’a pas renoncé à toute forme
d’action :
• Le seul fait de parler à des
interlocuteurs qu’il attend dans le
bar où il a ses habitudes est un
acte social.
• Analyse de son discours : il prétend
raconter son itinéraire, mais
l’analyse de son discours dans ce
texte montre clairement que ce
n’est pas son bilan personnel qu’il
fait, mais celui de l’humanité tout
entière.
L’interlocuteur est inévitablement
concerné par ce portrait tendu
comme un miroir.
En glissant de l’auto-accusation à
celle de tous les hommes, il
s’accomplit en jugepénitent.
Que peut-il attendre de cette action par le
discours ? Des réponses qui ne s’annulent
pas, mais qui s’ajoutent les unes aux
autres.
• Pour l’interlocuteur : le conduire au
même bilan que lui. Mais à ce point
de leurs rencontres, son
interlocuteur n’est sûrement pas
naïf, ce qui limite son succès.
• Pour lui :
◗ Diluer sa culpabilité dans la
culpabilité générale ? Mais
cela ne l’abolit pas.
◗ Jouer le prophète du
désespoir, l’anti Jean-
Baptiste, celui du Nouveau
Testament, qui annonçait la
venue du sauveur, et donc
la possibilité de recouvrer
l’innocence, de triompher du
mal et de la mort. À ce
compte, il pratique une
curieuse maïeutique en
faisant naître ses disciples
au désespoir et au triomphe
du mal, et il est tout au plus
une espèce de guide de
damnés, désespérés de
l’être. Il joue pour les autres
le rôle du rire dans sa
propre vie.
Ces deux motivations ne
trouveront jamais de
satisfaction : après cet
interlocuteur, il en faudra un
autre, puis un autre…
◗ Célébrer la nostalgie de son
espoir d’innocence : il se
met du bon côté, celui de la
lucidité douloureuse. C’est
son ultime façon de vivre sa
conscience tragique de la
condition humaine. Il a
besoin d’un partenaire pour
le dire et le redire. Son
discours sans cesse
recommencé est une
célébration pour chanter sa
nostalgie et sa souffrance.
L’ironie, la pudeur, la
provocation, le style soutenu
sont alors les ressources du
style pour masquer le
désespoir de son chant de
deuil.
3. La Chute dans l’œuvre de Camus
Un mythe de la situation littéraire
• Un parallèle évident
◗ Clamence parle. Il confisque
en quelque sorte la parole
puisqu’il raconte son
itinéraire pour répondre à la
question « Qu’est-ce qu’un
juge-pénitent ? »
/l’interlocuteur pense, sans
doute, émet des questions
ou des remarques – jamais
au discours direct dans la
nouvelle, seulement reprises
par Clamence – et surtout, il
écoute.
◗ Camus écrit La Chute / le
lecteur lit et pense ; il ne
peut intervenir.
• L’unité = l’œuvre entière
Le locuteur-écrivain a un projet :
son personnage, Clamence, veut
être juge-pénitent, tendre ce
portrait miroir à un interlocuteur-
lecteur qui, par un acte de
confiance en s’embarquant dans le
livre, perd peu à peu sa naïveté du
début pour rejoindre l’auteur à la
fin. La Chute démontre que l’unité,
c’est l’œuvre entière, que chaque
extrait du texte est à comprendre
dans l’économie de l’ensemble (ce
qui explique la masse
d’informations fournies).
• La littérature : un auteur/une
œuvre / des lecteurs
L’interlocuteur revient écouter
Clamence ; s’il ne revient pas,
Clamence n’a plus à qui parler. Le
lecteur continue à lire le livre. S’il
ne le fait pas, le livre fermé
n’existe plus. On a ici l’illustration
de la définition de la littérature
comme objet de la contemplation
des hommes, impliquant
nécessairement auteur / œuvre /
lecteurs. Cela n’est possible que si
le locuteur-auteur séduit par la
qualité de l’écriture, « le beau
style » qu’on a reproché à Camus
et sur lequel lui-même s’est
interrogé dans La Chute.
Une remise en question des œuvres
précédentes ?
• Non : il sait et dit depuis toujours
que le mal est et demeure. Voir
dans La Peste le personnage de
Tarrou et le dernier paragraphe du
roman. Camus ne renie pas le
docteur Rieux, il lui adjoint
Clamence, celui qui dit qu’il
participe aussi au mal, et qui vient
tempérer ce que La Peste avait de
très, trop, civique. C’est la réaction
d’un Camus blessé dont on a
violemment critiqué « la pensée de
midi, les tâches moyennes » La
Chute n’annule pas La Peste, elle
s’y ajoute.
• Une œuvre au cœur de la
littérature. Certes, Camus s’engage
tout entier dans ses œuvres, dans
son œuvre, mais on y trouve des
vérités qu’il avait à exprimer, des
choses qu’il avait à dire, non une
somme de sa vérité. Dans La
Chute, les circonstances ont fait
qu’il a voulu parler, non de toute sa
pensée, mais d’un aspect de sa
pensée.

III. ACTIVITÉS COMPLÉMENTAIRES


Lire Les Mains sales de Sartre.
✓ Interaction orale pour la classe :
• Discuter sur le thème de la fin et
des moyens.
• Comment comprenez-vous
qu’aujourd’hui ce soit la position de
Camus qui prime sur celle de
Sartre ?
✓ Production écrite :
• « Tous les moyens ne sont pas
bons » dit Hugo dans Les Mains
Sales. « Tous les moyens sont bons
quand ils sont efficaces » lui
répond Hœderer. Ils appartiennent
au même parti politique. Discutez.
« Comme tu tiens à ta pureté mon petit
gars ! Comme tu as peur de te salir les
mains.
Eh bien, reste pur ! À quoi cela te servira-
t-il et pourquoi viens-tu parmi nous ? La
pureté, c’est une idée de fakir et de
moine. Vous autres, les intellectuels, les
anarchistes bourgeois, vous en tirez
prétexte pour ne rien faire ».
• À partir de cette citation des Mains
sales, discutez l’idée de la pureté
« prétexte pour ne rien faire ».
• À partir de cette citation des Mains
sales, demandez-vous si Camus est
« un intellectuel, un anarchiste
bourgeois. ».
• À partir de cette citation, discutez
la définition de « un intellectuel ».
1 Mouvement convulsif du corps. Ici, image.
2 Souterrain.
3 Gêné, embarrassé.
4 Position de celui qui est assis jambes repliées sur les talons.
5 Bonne idée, invention heureuse.
6 Paralysait. Qui empêchait tout mouvement.
7 Allusion claire à la première période de sa vie.
8 Qui a une déformation arrondie du dos. Ici, image.
9 Au surplus, d’ailleurs.
10 Reprise en écho sarcastique du cantique Je suis chrétien.
Annexe I Tableau par
genre
Genre Fiche Niveau Public

Théâtre 1 A1 Adolescents/adultes

3 A1 Adolescents/adultes

5 A1 Adolescents/adultes

8 A2 Adolescents/adultes

10 A2 Adultes

12 A2 Adolescents/adultes

19 B1 Adolescents/adultes

Poésie 14 A2 Adolescents/adultes

16 B1 Adultes

20 B1 Adultes

22 B1 Adolescents/adultes

29 B2 Adolescents/adultes
34 C1/C2 Adultes

Roman 4 A1 Adolescents/adultes

13 A2 Adolescents/adultes

15 B1 Adolescents/adultes

17 B1 Adolescents/adultes

18 B1 Adolescents/adultes

21 B1 Adultes

23 B2 Adolescents/adultes

25 B2 Adolescents/adultes

26 B2 Adultes

30 B2 Adolescents/adultes

32 C1 Adolescents/adultes

35 C1/C2 Adultes

Nouvelle 2 A1 Adultes

6 A1 Adultes

7 A2 Adolescents/adultes

Conte 9 A2 Adolescents/adultes
11 A2 Adolescents/adultes

24 B2 Adolescents/adultes

« Fragments » 27 B2 Adultes

28 B2 Adultes

31 C1 Adolescents/adultes

33 C1/C2 Adultes
Annexe II Tableau par
niveau
Niveau Œuvre Auteur Public

A1 La Cantatrice chauve E. Ionesco Adolescents/adulte

Des Inconnues (II) P. Modiano Adultes

Rhinocéros E. Ionesco Adolescents/adulte

Tout contre Léo C. Honoré Adolescents/adulte

Le Compte-gouttes R. Dubillard Adultes

Le Café devant la
gare de Cornavin (in R. Grenier Adultes
Nouvelle pour vous)

Celui qui n’avait J.-M. Le


A2 Adolescents/adulte
jamais vu la mer Clézio

Antigone J. Anouilh Adolescents/adulte

L’Enfant qui attendait J.


Adolescents/adulte
un train d’Ormesson

En attendant Godot S. Beckett Adultes

Azur et Asmar M. Ocelot Adolescents/adulte


Finissez vos phrases
(in La Tragédie du J. Tardieu Adolescents/adulte
langage)

Le Sagouin F. Mauriac Adolescents/adulte

Une Noix C. Trénet Adolescents/adulte

T. Ben
B1 Les Yeux baissés Adolescents/adulte
Jelloun

Mon Rêve familier


P. Verlaine Adultes
(Poèmes saturniens)

A.
Allah n’est pas obligé Adolescents/adulte
Kourouma

Les Choses G. Pérec Adolescents/adulte

Les Chaises E. Ionesco Adolescents/adulte

Discours à la
première personne L. Aragon Adultes
(III/ in Les Poètes)

L’Étranger A. Camus Adultes

L’Invitation au
C.
voyage (Les Fleurs du Adolescents/adulte
Baudelaire
mal)

B2 Sept Pierres pour la V. Khoury- Adolescents/adulte


femme adultère Ghata
Le Passe-muraille M. Aymé Adolescents/adulte

La Rue Cases-Nègres J. Zobel Adolescents/adulte

Je m’en vais J. Echenoz Adultes

Ô Vous frères
A. Cohen Adultes
humains

Tropismes. I N. Sarraute Adultes

Vieille chanson du
jeune temps (Les V. Hugo Adolescents/adulte
Contemplations)

Les Armoires vides A. Ernaux Adolescents/adulte

C La Sieste assassinée P. Delerm Adolescents/adulte

L’Écume des jours B. Vian Adolescents/adulte

Pressentiments (in
A. Coste Adultes
L’Écriveraine)

Au Rendez-vous
P. Éluard Adultes
allemand

La Chute A. Camus Adultes


Annexe III Glossaire
ABSURDE : 1. adjectif : contraire à la raison, insensé, aberrant,
stupide. Sens philosophique : dont l’existence ne semble pas
justifiée par une nécessité (Voir ce mot), mais relève du
hasard, de la contingence (voir ce mot). 2. Nom commun :
Philosophie de l’absurde.
ACCULTURATION : « adaptation d’un individu à une culture
étrangère avec laquelle il est en contact ». (Robert)
ALEXANDRIN : vers français de 12 syllabes.
ALIÉNATION : fait de perdre un bien ou un droit naturel. C’est
aussi l’état de celui qui, pour des raisons qui peuvent être
diverses, est privé de ce qui fait son humanité.
ALLITÉRATIONS : retours multiples du même son. Exemple :
« Un frais parfum sortait des touffes d’asphodèles. » (V. Hugo)
AUTOBIOGRAPHIE : biographie de l’auteur faite par lui-même.
AUTOFICTION : Néologisme créé par Serge Doubrovsky en
1977. Genre littéraire qui combine l’autobiographie et la fiction.
CARICATURE : dessin ou portrait qui accentue certains traits,
ridicules ou simplement spécifiques, à des fins généralement
satiriques.
COMPARAISON : Procédé qui consiste à mettre deux éléments
en rapport explicitement (avec des mots comme « comme, tel,
pareil à, etc. »).
CONNOTATION : un mot a un sens clair, stable qui constitue
sa dénotation. Il porte aussi des évocations qui s’ajoutent à ce
sens ; ce sont des connotations.
CONTE : (genre littéraire) récit généralement court d’aventures
imaginaires, qui prend des libertés avec le réel, dont le
contenu est variable, et qui s’adresse par conséquent à des
lecteurs très variés (contes de fée, contes philosophiques,
etc.).
CONTINGENCE : (sens philosophique) c’est la caractéristique
de ce qui est dû au hasard, qui est ou qui a été, mais qui
aurait pu ne pas être. La contingence s’oppose à la nécessité.
CORRESPONDANCES : (sens baudelairien). La nature est un
monde sacré dont le poète perçoit le langage par la
synesthésie : des sensations de natures et d’origines
différentes sont pour lui en correspondance les unes avec les
autres.
DÉTERMINISME : doctrine philosophique selon laquelle les
événements sont provoqués par l’enchaînement de faits
antérieurs.
DIDASCALIE : indication scénique.
DISCOURS DIRECT : Les paroles sont rapportées telles qu’elles
ont été prononcées par le locuteur. C’est le locuteur qui est au
premier plan.
DISCOURS INDIRECT : Le rapporteur reproduit les paroles du
locuteur dans une proposition subordonnée.
Il est alors le « je » qui rapporte les paroles de « il, le
locuteur », ce qui entraîne des modifications de pronoms
personnels, de possessifs, de temps… Exemple « … le
président m’a dit dans une forme bizarre que j’aurais la tête
tranchée… ». C’est le rapporteur qui est au premier plan.
DISCOURS INDIRECT LIBRE : il combine des caractéristiques
du discours direct (les paroles ne sont pas rapportées dans une
subordonnée) et du discours indirect (les pronoms, les temps
sont ceux du discours indirect). Rapporteur et locuteur sont
côte à côte. Exemple « Il m’a dit qu’il l’avait eu après la mort
de sa femme. Il s’était marié assez tard. Dans sa jeunesse, il
avait eu envie de faire du théâtre : au régiment, il jouait dans
les vaudevilles militaires. Mais finalement, il était entré dans les
chemins de fer et il le le regrettait pas parce que maintenant il
avait une petite retraite… » (L’Étranger, Camus).
Pour plus d’informations, consulter L’Énonciation en
linguistique française, D. Maingueneau. Paris, Hachette
supérieur, 1994).
DISTANCIATION : distance que prend le locuteur par rapport à
sa propre énonciation. C’est ce que fait Philippe Delerm, par
exemple, en employant « on » à la place de « je » (FICHE 31).
DRAMATIQUE : Plusieurs sens. Relatif au théâtre (art
dramatique, par exemple). Qui présente le déroulement d’une
action (sens utilisé dans la définition du genre de la nouvelle).
Qui est propre à susciter l’émotion, la pitié.
ÉLÉGIE : poème lyrique exprimant la plainte, une émotion
douloureuse.
FAIT DIVERS : au pluriel, les faits divers sont les événements
du jour (accidents, crimes, etc.) qui n’ont aucun lien entre eux
et qui sont traités dans une rubrique des médias. Au singulier,
c’est un de ces faits marquants.
FANTASME : « Toute production de l’imagination par laquelle
le moi cherche à échapper à la réalité. » (Robert ).
FANTASTIQUE : genre littéraire (ou cinématographique) qui se
caractérise par l’introduction du surnaturel dans un cadre
réaliste. (On se limité ici à une première définition simple. La
définition de ce genre a donné lieu à des débats).
FIN FERMÉE : l’histoire est terminée, tout est joué, le lecteur
n’a plus rien à attendre.
FIN OUVERTE : l’histoire relatée dans la nouvelle a une fin,
mais cette fin permet au lecteur d’imaginer une suite possible.
FONCTIONS DU LANGAGE SELON JAKOBSON : Il distingue :
*la fonction référentielle selon laquelle le langage fait
référence au monde extérieur ou au monde intérieur de celui
qui parle. * La fonction impressive met en jeu les moyens du
langage destinés à faire impression sur l’interlocuteur de celui
qui parle. * La fonction expressive met en jeu les moyens du
langage qui expriment les réactions ou les émotions de celui
qui parle.
* La fonction phatique (ou de contact) : le langage sert alors à
établir le contact avec un interlocuteur (exemple « allo »). * Le
métalangage caractérise le langage spécifique « qui sert à
décrire la langue naturelle » (Robert), comme la terminologie
linguistique. * La fonction esthétique (ou poétique) s’exerce
quand le message, dans sa forme, est pris comme objet de
contemplation. Elle met en jeu autre chose que sa seule
fonction référentielle.
FRAGMENT : Sous cette étiquette, nous entendons un texte
qui est effectivement un fragment d’une œuvre qui en
comporte une collection. Il a une unité et peut être extrait de
l’œuvre sans qu’on fasse référence aux autres.
IMAGE : Procédé de rhétorique. terme générique comprenant
comparaisons et métaphores (voir ces mots).
IMPARISYLLABIQUES : vers dont le nombre de syllabes est
impair.
LITTÉRATURE ENGAGÉE : littérature au service d’une cause.
MÉTAPHORE : figure de rhétorique qui consiste à substituer un
terme à un autre par analogie, sans qu’il y ait d’élément
introduisant une comparaison. Exemple : il a épousé une
poupée. Le terme substitutif doit être suffisamment clair pour
que la compréhension soit assurée.
MOT-VALISE : mot composé de morceaux de deux (ou
plusieurs) mots, le début de l’un et la fin de l’autre.
Exemples autobus = automobile + omnibus, franglais =
français + anglais.
MILITANT : (adjectif) qui lutte pour défendre une cause.
MYTHE : - Croyance erronée. - « Expression d’une idée,
exposition d’une doctrine ou d’une théorie sous une forme
imagée » (Robert). Exemple : La Peste de Camus.
NÉCESSITÉ : au sens philosophique, c’est l’enchaînement des
causes et des effets qui ne peut pas ne pas être, qui doit être.
Cette notion s’oppose à la contingence.
NOUVELLE : (genre littéraire) « Récit généralement bref, de
construction dramatique (unité d’action), présentant des
personnages peu nombreux, et dont la psychologie n’est guère
étudiée que dans la mesure où ils réagissent à l’événement qui
fait le centre du récit. » (Robert).
OCTOSYLLABE : Vers de huit syllabes.
PHATIQUE : relatif à la fonction de contact du langage.
(Référence aux fonctions du langage selon Roman Jakobson).
PLAIDOYER : discours destiné à défendre une cause ou une
personne.
POÉSIE LYRIQUE : poésie qui exprime des émotions.
POINT DE VUE (ou perspective) : Manière dont une situation
est considérée, ce qui implique qu’on détermine dans un texte
la personne ou le personnage qui exprime sa manière de
considérer la situation. En d’autres termes, cela pose la
question : Qui parle ?
RÉCIT : Relation de faits (réels ou imaginaires).
RELATIVISME CULTUREL : doctrine selon laquelle les
croyances, les valeurs sont relatives aux cultures où elles sont
apparues et dans lesquelles elles ont cours ; elles sont donc
variables.
RÉPLIQUE : texte qu’un acteur doit dire pour répondre à des
paroles qui viennent de lui être adressées.
RÉQUISITOIRE : discours ou texte destiné à accuser.
RÊVERIE : activité de l’esprit en état de veille, donc conscient,
qui se laisse aller selon des enchaînements plus ou moins
maîtrisés.
SATIRE : « Écrit ou discours qui s’attaque à quelque chose, à
quelqu’un en s’en moquant » (Robert).
SÉQUENTIEL : relatif à une suite ordonnée.
SONNET : Poème de 14 vers : deux quatrains sur deux rimes
et une strophe de six vers sur trois rimes, séparés sur le papier
en deux tercets. Rimes ABBA, ABBA, CCDEDE. (On ne juge pas
utile de donner ici plus de précisions sur les rimes).
SYNESTHÉSIE : Notion qui appartient d’abord au domaine
médical. C’est un « trouble de la perception sensorielle
caractérisé par la perception d’une sensation supplémentaire à
celle perçue normalement »
(Robert). Notion utilisée par Baudelaire.
TRAGIQUE : Relatif à la tragédie, genre dramatique dans
lequel les hommes sont confrontés à des forces qui les
dépassent, les écrasent. Leur sort suscite l’effroi et la pitié. Par
extension, ce mot signifie souvent, dans le langage courant,
malheureux, horrible, pitoyable.
TROPISME : « petits mouvements, petits tourbillons qui se
produisent sous la surface. Ce sont des drames microscopiques
(…) toujours internes, cachés, on ne peut que les deviner à
travers la surface, à partir de nos conversations et de nos
actions, des actions tout à fait banales ». Définition donnée par
Nathalie Sarraute dans l’Ère du soupçon.
VISION DE LA VIE, VISION DU MONDE : façon de concevoir le
sens de la vie.
Annexe IV
Bibliograp
hie
ABDALLAH-PRETCEILLE M., PORCHER L. Éducation et
communication interculturelle. Paris, PUF, 1996.
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Deuxième édition 1989.
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textuelles. Paris, Hachette FLE, 1991.
ADAM J-M., HEIDEMANN U. Le Texte littéraire. Pour une
approche interdisciplinaire. Au cœur des textes. Louvainla-
Neuve, Academia Bruylant, 2009.
ALBERT M-C., SOUCHON M. Les Textes littéraires en classe de
langue. Paris, Hachette, 2000.
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CICUREL F. Lectures interactives en langue étrangère. Paris,
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COLLES L. Pour une lecture pragmatique du texte littéraire en
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COLLES L. Littérature comparée et connaissance interculturelle.
De Bœck-Duculot. Bruxelles, 1994b.
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MAINGUENEAU D. Le Discours littéraire. Paratopie et scène
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MIZUBAYASHI Akira Une Langue venue d’ailleurs. Gallimard,
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NATUREL M. Pour la littérature. Paris, CLE International, 1995.
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Revues consacrées à littérature et FLE


ÉTUDES DE LINGUISTIQUE APPLIQUÉE. Paris, Didier Érudition.
Littérature à enseigner. N° 45 coordonné par Jean Peytard et
Louis Porcher. Février-mars 1982.
Littérature et cultures en situation didactique. N° 93 coordonné
par Jean-Claude Gagnon. Janvier-mars 1994.
Langue, texte, littérature. N° 102 coordonné par Jean-Michel
Adam. Avril-juin 1996.
LE FRANÇAIS DANS LE MONDE. Recherches et applications.
Paris, Hachette.
Littérature et enseignement. La perspective du lecteur. Février-
mars 1988.
LES CAHIERS DE l’ASDIFLE

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