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Pratiques : linguistique, littérature,

didactique

L'enseignement de l'écriture. Histoire et problématique


Yves Reuter

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Reuter Yves. L'enseignement de l'écriture. Histoire et problématique. In: Pratiques : linguistique, littérature, didactique, n°61,
1989. Ateliers d'écriture. pp. 68-90;

doi : https://doi.org/10.3406/prati.1989.1503

https://www.persee.fr/doc/prati_0338-2389_1989_num_61_1_1503

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PRATIQUES no 61, Mars 1989.

L'ENSEIGNEMENT DE L'ÉCRITURE
Histoire et problématique.

Yves REUTER

PRÉALABLES ET ENJEUX.
Le titre de cet article, trop ambitieux sans nul doute, nous condamne au
schématisme. Que le lecteur soit donc prévenu d'emblée des aspects partiel et
partial de ce parcours, de ses lacunes et de ses partis pris, volontaires ou non.
Nous nous sommes assigné trois objectifs. Tout d'abord, essayer de
reconstituer une histoire des pratiques "innovantes" dans l'apprentissage
scolaire de l'écriture. Ensuite, tenter de montrer — au travers de cette histoire —
comment se construit, à partir d'apports hétérogènes, la possibilité d'une didactique.
Chercher enfin à problématiser l'apprentissage de l'écriture aujourd'hui, en
intégrant le maximum d'acquis antérieurs.
Nous avons voulu conserver une perspective historique sur ces trois
dernières décennies (1). Cela n'a pas toujours été facile tant les pratiques et les
apports théoriques tendent à se " chevaucher" chronologiquement. Nos points de
repères principaux ont été les lieux de manifestation de ce que l'on pourrait
appeler l'avant-garde didactique : institutions (I.N.R.P. ...), mouvements et revues
pédagogiques, ouvrages de référence et plus récemment stages dans les P.A.F. ou
Universités d'Eté...
Nous avons choisi de nous situer essentiellement par rapport au collège
qui, contrairement au lycée, ne sacrifie pas prioritairement au commentaire et
demeure un lieu d'expérimentation des pratiques de l'écrit.
Enfin, la quantité de notes est volontairement réduite au profit de
références bibliographiques placées à la fin de cet article et reprenant chacun des points
traités. Nous n'avons conservé que les ouvrages et articles qui nous ont paru
essentiels. Certains contiennent des références complémentaires, utiles à ceux
qui souhaiteraient approfondir telle ou telle piste.

(1 ) Nous avons dû renoncer à l'histoire longue et complexe des premières décennies de l'apprentissage scolaire de
l'écriture. Les débats qui l'accompagnent sont cependant particulièrement intéressants et permettent de
constater que, selon les époques, production et commentaire sont assimilés alternativement & la facilitation de l'écriture
et/ou à sa démocratisation. Le lecteur pourra se référer — outre les articles d'A. Chervel — aux ouvrages de :
- A. Prost : Histoire de l'enseignement en France, 1800-1967, Paris, A. Colin, 1968.
— A. Compagnon : La troisième République des lettres, Paris, Seuil, 1983.

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I. - LE MODÈLE TRADITIONNEL.
Le modèle "traditionnel " — encore dominant à l'heure actuelle — demeure
sans alternative quantitativement notable au collège jusqu'à la fin des années
soixante. Les différents courants, qui s'y sont opposés, en ont produit une critique
sévère. Bien que connue dans ses grandes lignes, celle-ci nous semble à
reprendre inlassablement car les "avancées" théoriques ou pratiques modalisent
et transforment, chacune de façon spécifique, l'analyse de ce modèle. De plus, les
propositions innovantes se justifient en grande partie par les dysfonctionnements
engendrés, selon elles, par les pratiques antérieures.

1. — La rédaction :
Le premier pôle du modèle "traditionnel" est celui de la rédaction (ou
"expression écrite") avec laquelle se confond bien souvent l'écriture scolaire. Il
est intéressant de constater qu'elle n'est pas apprise en tant que telle (2) mais
considérée comme une synthèse, un aboutissement des apprentissages
consacrés aux "sous-systèmes" : grammaire (3), lexique, orthographe, conjugaisons...
Parmi les nombreuses critiques portées à rencontre de la rédaction, nous
en rappellerons sept qui nous semblent particulièrement importantes:
— la situation de communication est artificielle (absence de socialisation ; "
malentendu communicationnel " : la consigne porte sur les contenus, la réponse éva-
luative se fonde sur les "formes"; calculs de communication complexes...) ;
— le statut du texte reste très ambigu voire contradictoire (trop réduit ; purement
scolaire mais devant se garder d'un excès de "scolarisme" ; sans travail sur sa
fonctionnalité...) ;
— il existe une distorsion entre consigne (exigeant un texte) et évaluation (portant
sur les phrases) ;
— l'évaluation est perçue — par les enseignés et les enseignants — comme
ennuyeuse, inefficace et close (s'opposant aux processus d'une évaluation forma -
tive) ;
— le réfèrent quasi-exclusif de la rédaction est le récit littéraire (voir la place des
textes à imiter ou dont il faut "s'inspirer ") : l'accent est mis conséquemment
sur la "légitimité" (non expliquée) du dit et du dire;
— les stratégies d'apprentissage se réduisent bien souvent à l'imitation et à la
répétition (une rédaction tous les quinze jours) ;
— de même les stratégies d'amélioration se limitent fréquemment à des renvois
psychologisants (" Faîtes attention... ", " Réfléchissez... ") ou au retour du même
(on va retravailler tel sous-système puisqu'il ne semble pas avoir été intégré).
Dans cet ensemble, nous soulignerons encore trois faits :
— la rédaction ne repose explicitement sur aucune théorie du texte;
— elle ne dit rien de construit sur l'écriture (4) ;
— elle vit sous le joug d'un réfèrent littéraire, purement scolaire, réduit et archaï-
sant.

(2) Jusqu'à une époque récente, il n'existait ni manuel, ni cours proprement dit.
(3) La grammaire de ressource n'est pas neutre non plus : surnormative, intra-phrastique et centrée sur la
morphologie.
(4) En témoigne le passage du brouillon à la copie rendue qui n'est qu'une mise au propre. Le cours donne — au
mieux — un modèle du texte achevé, sans affirmer d'ailleurs qu'il est achevable, sous cette forme, par un élève.

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2. — Etude des textes et des auteurs :
Le second pôle de ce modèle renvoie à l'étude des textes et des auteurs. Il
renforce le poids du littéraire et, sans doute, les blocages des élèves devant
l'écriture : activité mystérieuse devant laquelle on s'incline, pratiquée par des Auteurs
pourvus d'un don étrange venu d'ailleurs. La révérence devant des textes achevés
et valorisés occulte le travail d'écriture et les problèmes rencontrés. En témoigne
le peu de séquences scolaires sur les brouillons des écrivains. Une contradiction
risque d'émerger: comment apprendre ce qui ne s'apprend pas?

3. — Autres textes, autres pratiques :


Le troisième pôle est constitué par les autres pratiques scripturales et les
autres textes utilisés/réalisés (prises de notes, résumés, textes informatifs, argu-
mentatifs, injonctifs...) qui, bien que diversifiés et fréquents, n'ont été que
rarement travaillés, jusqu'à maintenant, en tant que tels. Tout au plus, désigne-t-on les
dysfonctionnements produits. Ce traitement est révélateur de l'absence
d'apprentissage d'une grande partie de l'écriture (opérations de production-produits),
littéraire"
il renforce et la
écritures.
place duDe
récit
surcroît
littéraire
il risque
en générant
d'instaurer
des des
confusions
dilemmes
entre
importants.
écriture "Par
exemple, comment résumer des textes, lorsqu'il est dit par ailleurs que tout est
important dans un texte (littéraire) ?
Dans ce modèle, l'apprentissage est très peu problématisé. On pense en
termes d'enseignement de contenus, eux-mêmes peu théorisés.

II. - LA NARRATOLOGIE : L'IMPORTANCE D'UN APPORT


THÉORIQUE (5).
1. - Intérêts.
L'arrivée de la narratologie — très tardive en France — sur la scène scolaire
s'effectue dans les années soixante-dix. Elle aura trois grands points d'impact :
l'analyse des actions (avec, aujourd'hui, l'omni-présence du schéma quinaire),
l'analyse des actants (avec la prolifération du schéma actantiel) et, liées à la
distinction fiction/narration, des approches plus précises de la narration, des points
de vue, de catégories telles que récit/discours, temporalité-
Même si l'on doit constater les réductions ou détournements opérés par
nombre de manuels scolaires, la narratologie a eu des effets didactiques
importants et positifs:
— il est devenu possible de traiter de la structure de certains types de textes (6) ;
— des relations peuvent être établies entre fonctionnements globaux et
fonctionnements locaux (par exemple : narration — temps — pronoms...) ;
— la théorie et les concepts explicites peuvent être plus facilement expliqués;
— ils peuvent être utilisés aussi bien pour les activités de production que de
réception (7) ;

(5) Nous serons bref sur ce point: Pratiques en a déjà longuement traité (voir bibliographie).
(6) Les modèles de la narration ou de la description, convoqués mais implicites par la rédaction, se trouvent ici
formalisés.
(7) L'idée, selon laquelle "démonter" les textes permet de mieux les "monter" s'incarne très fortement dans ce
cadre.

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— de nombreux exercices ont émergé ou se sont multipliés : puzzles, suites de
textes, jeu sur les choix, parodies (8)... ;
— les référents culturels se sont ouverts à des genres auparavant minorés (contes,
fantastique...).

2. — Limites.
Il convient, d'un autre côté, de ne pas sur-estimer les effets de l'émergence
de la narratologie. La focalisation sur le récit littéraire ne disparaît pas: ouverture
des référents ne signifie pas bouleversement des hiérarchies. Complémentaire-
ment les recherches sur les autres types de textes n'auront de "retombées"
didactiques que plus tardivement.
Le travail sur les relations entre micro- et macro-structures demeure limité
(9) : nombre d'enseignants étudient certes différemment le récit mais à côté des
autres rubriques inchangées. Significativement, bien souvent les corrections de
l'écrit ne se modifient pas, portant majoritairement sur la phrase, la syntaxe, le
lexique, l'orthographe...
Dans bien des cas, l'intégration de la narratologie — à l'instar de la
linguistique appliquée — n'a pas transformé les fonctionnements pédagogiques (10).
D'une façon apparemment paradoxale, mais logique en fonction d'usages appli-
cationnistes, des cadres théoriques plus clairs et plus rigoureux ont pu engendrer
des récits d'élèves tout aussi stéréotypés qu'auparavant...
De ce survol nous retiendrons quelques éléments. Tout d'abord, la
narratologie permet sans doute de mieux appréhender les écrits mais elle ne pouvait — en
l'état — éclairer les mécanismes de l'écriture. Héritière du structuralisme, elle
exclut — avec la clôture du texte et l'immanence de l'analyse — les opérations
effectuées par le Sujet. Mais cela ne l'empêchera pas, reprise et modifiée par
d'autres pratiques et d'autres théories (voir points suivants), de favoriser l'écriture
en précisant les problèmes textuels auxquels elle se trouve confrontée, en
objectivant l'architecture des récits (11) et en générant l'image du mécano (cf. la combi-
natoire) moins "écrasante" pour les apprenants. Enfin ceci: les apports sur les
contenus sans réflexion pédagogique conjointe révèlent vite leurs limites en
matière didactique (12), même s'ils peuvent, au moins partiellement, améliorer un
enseignement.

III. - L'ÉMERGENCE D'AUTRES PRATIQUES: LES JEUX


D'ÉCRITURE.
Parallèlement, dans les années soixante-dix, se développent jeux poétiques
et/ou jeux d'écriture: acrostiches, lipogrammes, calligrammes, mots-valises...
Leur émergence au sein de l'école est passée, en grande partie, par le primaire,

(8) Et aussi fabrication de "matrices "de textes longs (voir les travaux du B.E.L.C.) et, un peu plus tard en France, les
"livres dont vous êtes le héros".
(9) II faudra attendre les "grammaires textuelles". Pour une introduction, voir B. Combattes, Pour une grammaire
textuelle. De Boeck-Duculot, 1983, et l'ouvrage très clair et très riche en exercices de M.-J. Reichler-Béguelin, M.
Denervaud et J. Jespersen, Ecrire en Français, Cohésion textuelle et apprentissage de l'expression écrite, Dela-
chaux et Niestlé, 1988.
(10) Voir, par exemple. Pratiques n° 11-12, Récit (1), novembre 1976.
(11) L'hypothèse suivante se développe massivement : maîtriser la description de l'organisation textuelle doit
favoriser les opérations de production.
(12) Ce qui n'empêche pas en revanche de favoriser la prise de conscience : a contrario, les limites mentionnées
construisent la nécessité d'autres apports.

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sans le détour théorico-universitaire qu'avait connu la narratologie, ce qui peut
expliquer leur succès et leur diffusion plus rapides. Leurs origines très diversifiées
(Oulipo, systématisation de procédés littéraires et rhétoriques, jeux de salon...) et
leur multiplicité rendent difficiles la synthèse et l'organisation de ces pratiques
(13). Il s'agit— à notre sens— d'une réalité protéiforme, hétérogène, cimentée
provisoirement par un lieu institutionnel (l'Ecole) et une conjoncture historique, mais
disponible aux utilisations les plus diverses (14).

1. - Points forts et intérêts.


En tant que pratique scolaire, les jeux d'écriture se fondent tendancielle-
ment sur une image positive de l'enfant ("créateur") qui devient un producteur
valorisé. Cela n'est pas sans intérêt sur le terrain anxiogène de l'écriture. Complé-
mentairement, l'apprentissage se construit sous le signe du jeu (15), du ludisme,
tentant de rompre avec ennui et angoisse.
Dès lors, la personne, sa subjectivité, son dit et son dire, se trouvent
convoqués et respectés. Malgré des critiques très (trop) vite portées, cette dimension
psychologique n'est pas négligeable : l'écriture et ses produits ne sauraient se
travailler en sous-estimant le Sujet et les images qui les constituent et s'y
investissent.
Les notions de règle ou de contrainte apparaissent dans ces jeux — même
de manière encore floue — favorisant l'entrée dans l'écriture (16), des relectures
plus précises et des possibilités de motiver et de justifier l'évaluation (17).
Les référents textuels se diversifient et se "modernisent": Surréalisme,
Oulipo, F. Ponge... Le rapport à ces référents change aussi : on ne les lit plus pour
les révérer mais pour y puiser des procédures, des techniques dont on peut
s'emparer pour produire a son tour, modifier et enrichir son écriture.
Complémentairement à la narratologie, mais d'une façon différente (18),
les jeux d'écriture construisent les inter-actions lecture-écriture. Une idée
maîtresse de la didactique du Français à l'heure actuelle s'élabore et se précise
ainsi : si lire peut aider à écrire, écrire peut aussi aider à lire. Il est intéressant de
constater que cette configuration s'élabore à partir d'entrées hétérogènes et sans
une conscience nette de ces conjonctions. La pratique est, en quelque sorte, en
avance sur sa théorisation.

2. — Limites.
Les jeux d'écriture vont souffrir de leurs manques théoriques sur deux
points essentiels. Tout d'abord l'image de l'enfant, simple inversion de la
représentation négative de la pédagogie "traditionnelle", se révèle propre aux dérives
mystiques (" l'enfant-poète ") et lourde de conséquences pour l'évaluation.
Comment décider devant certains faits textuels s'il s'agit d'un dysfonctionnement ou
d'une "entorse créatrice" ? Comment aussi évaluer après un tel appel au vécu ?

(13) Voir, dans la bibliographie, les articles de synthèse de J.-P. Goldenstein, J. Verrier et D. Delas.
(14) Voir leur développement et leur utilisation en formation professionnelle, dans des stages sur l'écrit, l'oral, la
communication, les groupes...
(15) Notion elle-même complexe. Se reporter sur ce point aux travaux de Winnicott.
(16) Rôle de "déclencheur" luttant contre l'angoisse de la page blanche.
(17) Déplus, elles permettent de ne pas fouf gérer: en ce sens, elles tendent à limiter ce que l'on appelle aujourd'hui la
surcharge cognitive.
(1 8) L'entrée principale de la narratologie était la lecture-analyse, celle des jeux d'écriture est l'écriture-production.

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Ces problèmes sont aggravés par l'absence de théorie du texte qui entraîne de
nombreux flottements dans la définition des objectifs. Conséquemment ces
activités, souvent vécues comme récréatives, resteront cloisonnées, sans grand lien
avec les autres dimensions du cours de Français (19).
D'autres limites existent. Ainsi le peu de réflexion sur l'origine de ces
pratiques ne permettra pas de développer des liens intéressants avec l'histoire
littéraire (20). De même l'ouverture des référents textuels s'avère restreinte : il s'agit
plus de substitutions (d'auteurs et de valeurs) que d'une réflexion sur la place et
l'usage des auteurs et des valeurs.
Enfin ces jeux restent alors — mais pouvait-il en être autrement
historiquement ? — soit en marge des autres apprentissages, soit conçus comme des
préalables, des "gammes d'écriture" selon l'expression de J.-P. Goldenstein. Il faudra
attendre quelques années pour les voir utilisés selon d'autres modalités : comme
adjuvants dans le cadre de l'écriture longue et de l'amélioration de texte (21),
comme moyen pour apprendre à élaborer d'autres types de textes (22).
Pour conclure sur ce point, nous dirons qu'avec les jeux poétiques,
l'écriture commence à apparaître comme une pratique essentielle de la didactique du
Français, tout en restant à l'horizon des réflexions théoriques. De l'écriture, les
jeux ne proposent encore qu'une image incertaine, hésitant entre la mise en
œuvre de règles et l'investissement psychique.

IV. - LES ATELIERS D'ÉCRITURE.


Avec les ateliers d'écriture une nouvelle étape est franchie. Institutionnelle
d'abord puisque les pratiques d'écriture ainsi codifiées seront de plus en plus
utilisées hors de la classe, en formation d'adultes, enseignants ou non. Théorico-prati-
que ensuite, puisque l'écriture se définit plus nettement comme procès d'écriture
et de réécriture, objet d'un travail nécessitant du temps et des dispositifs précis, en
rupture avec l'idéologie du premier jet ou de l'inspiration.
Nous ne prendrons ici — parmi de nombreux autres — que deux exemples :
les ateliers d'E. Bing d'un côté, et ceux de J. Ricardou et Cl. Oriol-Boyer de l'autre
(23). Ce choix s'explique historiquement et symboliquement. Ces deux courants
ont eu un rôle fondateur pour les ateliers d'écriture. Ils ont aussi — chacun à leur
manière — objectivé et codifié leurs pratiques. Ce sont, en conséquence, des
références majeures. D'un autre point de vue, ils représentent les deux tendances
auxquelles se réfèrent, explicitement ou implicitement, les usages dans les classes :
accentuation du pôle psychique ou accentuation du pôle textuel.

(19) Pourtant de nombreuses pistes existaient, concernant notamment les rapports jeux poétiques-syntaxe. Voir M.
Yaguello, Alice au pays du langage. Seuil, 1981.
(20) Dimension pourtant esquissée dans la Petite fabrique de littérature (voir bibliographie).
(21 ) Ainsi, A. Petitjean dans Pratiques d'écriture (CEDIC, 1982) montre comment mots-valises et mots-gigognes sont
intégrés à une description, elle-même insérée dans un projet d'écriture longue.
(22) Souvent des pratiques sont longtemps confondues avec l'objet sur lequel elles s'exercent. C'est le cas pour les
jeux poétiques.
(23) Dans les deux cas, nous nous référons à ce qu'ils en disent dans leurs écrits. Notre présentation fort simplifiée se
veut plus invitation à la lecture de ces écrits que substitut.

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1. — Dans la lignée d'E. Bing.
Outre le rôle fondateur de l'ouvrage d'E. Bing (Et je nageai jusqu'à la page),
nous retiendrons la place où se sont élaborées ces activités : un I.M.P. avec des
enfants en grande difficulté. Ce lieu originel a sans doute déterminé l'importance
du psychique, de l'investissement du Sujet (24).
E. Bing a été l'objet de nombreuses critiques. S'il est vrai qu'elle ne décrit
pas explicitement le procès d'écriture, elle mentionne néanmoins constamment la
durée et le re-tra vail nécessaire. Nous ne parlerons donc pas a priori de désaccord
mais d'ellipses qui nous gênent pour nous situer vis-à-vis de son travail.
Nous sommes en tout cas très intéressé par plusieurs dimensions intégrées
dans ses dispositifs:
— le rôle du groupe avec les notions d'écoute bienveillante, de travail de
ré-assurance et la dimension communicationnelle qui encadre et favorise la scription
individuelle;
— la sollicitation de l'investissement du Sujet et le respect de la "langue de
chacun " ;
— la place des activités de présentation, d'activation ("ce que je suis... " ; "ce que
je vois... " ; le portrait chinois...) (25) ;
— le rôle de déclencheur et de support des mythes et légendes (26) ;
— la place du corps et de l'espace intégrés dans certaines pratiques scripturales
(27).

2. — Dans la lignée de J. Ricardou et Cl. Oriol-Boyer.


Avec ces auteurs, le travail sur le texte se trouve en position dominante et
la théorie s'explicite.
En étant rapide et schématique, nous pourrions dire que le texte se
construit sur deux bases : un pôle idéel (celui du sens, du signifié) et un pôle matériel
(celui du signifiant, des formes, des rythmes...). Le texte "intéressant" est celui
qui a tissé le maximum de relations entre les pôles. A partir de là, s'impose l'idée
de fabriquer des règles bilatérales (portant sur les deux pôles). Dans leur plus
simple expression, il peut s'agir de choisir un mot, de faire un listage des termes
qui peuvent lui être associés en vertu de liens sémantiques d'un côté, matériels de
l'autre (convergences phoniques, graphiques, anagrammatiques...) et de produire
un texte en puisant dans ce matériau et en tentant d'équilibrer les deux pôles. On
pourrait, à titre d'exemple, citer l'ouvrage de Pérec (28), La disparition, qui
n'emploie aucun mot contenant la lettre /e/ (disparition du /e/) et qui traite thémati-
quement de disparitions...
L'intérêt conjoint aux deux pôles est, à coup sûr, susceptible de développer
l'attention portée aux différents paramètres textuels, au contraire d'un
sur-investissement de l'ordre de la représentation-expression occultant le travail du
signifiant ou de son inverse (tendanciellement, certains jeux poétiques).

(24) On ne gagne rien à le nier. Pour l'enseignant — qui n'est pas un psychanalyste— tout le problème consiste à gérer
ce fait au mieux des intérêts de l'apprenant et du groupe.
(25) Tous ces points se rapprochent de la construction du "climat" de la classe et delà "gymnastique préparatoire"
sur lesquels P. Bach met l'accent dans un ouvrage plus récent L'écriture buissonnière.
(26) On rencontre ici d'autres courants travaillant avec les enfants sur les contes, ou en thérapie d'adultes en référence
aux thèses jungiennes.
(27) Cela concerne plus l'ouvrage de S. Jedyniak, L'adolescence des mots.
(28) Qui écrit en référence aux travaux de l'Oulipo.

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L'explication précise de la théorie permet de mettre au premier plan la
notion de règle comme adjuvant et composante essentielle du travail (29). La
contrainte objectivée et motivée favorise plus qu'elle ne bloque. Elle sert à entrer
dans l'écriture. Elle permet de diriger mémoire et imagination et d'organiser les
éléments dans un projet textuel.
Elle autorise ensuite des re-lectures et des évaluations plus précises dans la
mesure où le texte est rapporté à ses contraintes initiales. Cela favorise le
repérage et l'analyse des dysfonctionnements qui seront construits avec des
procédures telles que le scripteur-apprenant gardera un pouvoir sur sa production. En
simplifiant toujours, on pourrait énoncer ce dispositif de la manière suivante :
— à partir d'un programme (un vouloir-faire), constitué de règles, est élaboré un
texte;
— cette réalisation, confrontée à son projet, par la mise en œuvre de modalités
précises de lecture et/ou de relecture, permet de mesurer, d'une part ce qui est
réalisé en conformité (l'écrit correspond au vouloir-faire), d'autre part ce qui
diffère;
— dans le second cas, le scripteur aura le choix entre modifier pour retrouver la
conformité au programme ou accentuer ce qui a émergé en produisant donc
une nouvelle règle, une modification du programme et, sans doute, en générant
des changements dans la structure textuelle. Vouloir-faire et faire se
dynamisent mutuellement...
Outre ce qui précède, les apports sont importants quant à l'intégration des
lectures (30), au rôle structurant du groupe, qui peut aider à partir d'un support
précis (la règle) en échappant ainsi — au moins partiellement — à l'envahissement
des affects, quant à l'écriture comme ré-écriture...
Néanmoins, il nous semble que ces ateliers peuvent être soumis à une
triple critique:
— ils demeurent encore au seuil d'une véritable réflexion sur l'écriture : entre le
vouloir-faire et le fait, le faire reste chambre obscure;
— même si, ces dernières années, d'autres types de textes ont été abordés, ces
ateliers sont principalement centrés sur l'écrit littéraire;
— ils se réfèrent à une conception du littéraire, ce qui est certes un avantage dans
la mesure où elle est explicitée, mais qui peut s'avérer dangereux car écrire ne
se réduit pas à écrire du littéraire, envisagé dans le cadre de la production
restreinte, selon les positions de X ou Y...

3. — Retour sur les ateliers d'écriture.


Nous risquerons ici une définition minimale de l'atelier d'écriture, au
travers des pratiques décrites et de nos propres expériences, afin de mieux cerner
cette forme de travail :
"L'atelier d'écriture est un espace-temps institutionnel, dans lequel
un groupe d'individus, sous la conduite d'un "expert", produit des textes,
en réfléchissant sur les pratiques et les théories qui organisent cette
production, afin de développer les compétences scripturales et méta-scriptu-
rales de chacun de ses membres".

(29) C'est, sans nul doute, un des apports fondamentaux de ce courant.


(30) Travail sur leurs modalités de questionnement, appropriation de textes d'écrivain, aide à la lecture des autres...

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La définition serait bien sûr à compléter par les notions de durée, de
ré-écriture et de règle.
Nous verrons dans les points suivants comment, sur le terrain didactique,
d'autres notions ont été ajoutées. Néanmoins, il convient de se demander si
l'atelier d'écriture ne représente pas une structure propre au changement, adaptée
notamment aux enseignants désireux de rompre avec les pratiques traditionnelles
sans pour autant — au moins dans un premier temps — bouleverser la totalité de
leur mode de fonctionnement. Les ateliers d'écriture sont, de fait, possibles à
l'intérieur des horaires de cours ou en dehors (clubs, P.A.E. ...). Ils rompent, par leur
durée et leurs règles, avec les démarches traditionnelles, tout en étant
susceptibles d'intégrer aussi bien jeux d'écriture, qu'exercices de structuration nécessités
par les contenus au programme, dans le cadre de contrats négociés avec les
élèves.

V. - REFORMULATIONS PÉDAGOGICO-DIDACTIQUES.
1. — Pédagogie du projet.
Les déplacements précédents touchant les dispositifs, ainsi que d'autres
réflexions sur l'apprentissage et les démarches, vont être ré-organisés au début
des années quatre-vingt dans le mode de travail pédagogique (M.T.P.) appelé
travail en projet. Il sera en partie élaboré et expérimenté sur le terrain spécifique du
Français (31) sous l'impulsion de différents groupes (Le Grain, le G.F.E.N.,
Pratiques...). Nous en rappellerons ici les grands traits, en nous référant à l'article
fondamental de J.-F. Halte "Travailler en projet" (32).
L'accent se déplace de l'enseignement à l'apprentissage (comment le Sujet
construit le savoir) selon l'idée qu'il faut cesser d'opposer le mode (dominant) de
l'apprentissage scolaire aux modes (dominants) de l'apprentissage social. Dans
cette optique, la production devient centrale. On n'apprend pas avant de faire, en
repoussant ce faire dans un futur hypothétique. On apprend en faisant, parce que
l'on a rencontré des problèmes précis et qu'il faut les surmonter pour continuer le
travail, hic et nunc. Les contenus ne sont donc pas programmés à l'avance mais
appelés par la tâche et finalisés par elle. C'est le projet, dans sa logique, qui
organise exercices et contenus.
Ce type de pédagogie tente aussi de répondre à la construction parfois
difficile de la motivation par son élaboration collective à l'intérieur de l'espace de la
classe. Cela explique les phases indispensables de négociation du projet (33) et
de ses modalités de réalisation, qui doivent faire l'objet d'un contrat explicite.
Tout cela est géré par le collectif -classe, avec des séances de
programmation, de socialisation, de régulation, d'évaluation. Le produit final est socialisé, ce
qui contribue à fonctionnaliser et à finaliser les activités.
Dans ce cadre pédagogique, les formes de travail peuvent être très diverses
(selon les séquences et leurs objectifs), accordant une large place à la
différenciation (34) et aux groupes. Complémentairement, l'hétérogénéité n'est plus
considérée comme un frein mais comme une richesse : des compétences diversifiées
mises au service d'un projet commun et d'une co-formation.

(31) Ce qui sera une source supplémentaire de confusion entre pédagogie et didactique.
(32) Pratiques n° 36, décembre 1982. Voir aussi du même auteur : L 'enseignement du Français dans le travail en projet,
Doctorat d'Etat, Besançon, 1985.
(33) Compromis entre désirs des élèves, faisabilité et nécessités institutionnelles.
(34) Voir, par exemple. Pratiques n° 53, Pédagogie différenciée, mars 1987.

76
Nous soulignerons un dernier point de rupture. On considère ici —
contrairement aux conceptions "traditionnelles" — que c'est le pouvoir donné aux élèves
dans cette structure qui motive et nécessite l'appel aux techniques et non
l'inverse.
Il est évident qu'un tel mode de travail pédagogique a des effets importants
sur les contenus. Des domaines spécifiques du Français se trouvent "
naturellement " convoqués plus que dans d'autres modes : les théories de renonciation
et de la communication, la pragmatique (en fonction de l'importance et de la
diversité des situations de communication et de la socialisation...), ainsi que les
différents types de textes correspondant à la diversité des tâches engendrées et
assumées par les élèves...

2. — Ecriture en projet/écriture longue.


Les exemples de pédagogie du projet sur le terrain de la didactique du
Français ont souvent été des expériences d'écriture longue. Cela a pu entretenir
certaines confusions.
Tout travail en projet n'est pas de l'écriture longue. Toute écriture longue
n'est pas un travail en projet (35) s'il manque les dispositifs pédagogiques
correspondants.
A partir de ce constat, il convient d'éviter de confondre avantages et
désavantages de chacune de ces pratiques.
L'écriture longue est fort variable, désignant soit la longueur des textes, soit
le nombre des séances, soit les deux. Les dispositifs qui l'accompagnent sont,
dans la réalité, très hétérogènes. Elle représente sans doute une modalité de
changement plus accessible aux enseignants dans la mesure où elle n'appelle une
transformation pédagogique qu'en position dominée (comme conséquence), ce
qui peut rassurer le didacticien plus assuré sur ses contenus et en butte aux
conditions matérielles de l'enseignement secondaire en France (36). Elle convoque en
tout cas des savoirs différents (sur la globalité des textes) et impose, par sa
logique, l'émergence d'autres pratiques : ré-écriture, place des groupes, négociation,
évaluation formative...
De son côté l'écriture longue en projet — au travers des expériences
connues — manifeste un certain nombre d'effets intéressants : motivation des élèves,
développement des compétences relationnelles et organisationnelles,
développement des compétences scripturales (et déblocage vis-à-vis de l'écrit) et
textuelles : longueur des écrits, meilleure structuration, intérêt des textes. Cependant les
solutions qu'elle offre — si ce n'est avec la ré-écriture sur laquelle nous
reviendrons — semblent a priori souvent plus fondées sur la pédagogie (plaisir,
motivation, explicitation, finalisation...) que sur l'écriture "en elle-même". Il est
intéressant de constater qu'il a fallu attendre de nouveaux éclairages théoriques (voir VII)
pour comprendre véritablement en quoi certains dispositifs pédagogiques
favorisaient les processus scripturaux (37). La pratique peut parfois être en avance sur
les théories...

(35) Voir, par exemple. P. Bouchard, Romanciers à treize ans, Denoél-Gonthier, 1978 ou C. Grenier, C. Besson et R.
Portay, Ecrire des romans à l'école, Magnard-L'Ecole, 1978.
(36) De fait, vu ces conditions et la maîtrise nécessaire des dimensions intra-disciplinaire et pédagogique, qui a — en
réalité — pratiqué le travail en projet, sur plus de deux classes en mâme temps ?
(37) Voir l'article fondamental de Cl. Garcia-Debanc : " Processus rédactionnels et pédagogie de l'écriture ", Pratiques
n° 49, mars 1986.

77
Cela nous conduit à avancer deux hypothèses complémentaires. En
premier lieu, l'apprentissage de l'écriture ne saurait être réduit simplement à une
meilleure connaissance des contenus et des opérations scripturales, aussi
indispensable soit-elle. Ce serait un retour à l'applicationnisme (38) qui a montré ses
limites en matière de didactique. En second lieu, l'écriture stricto sensu
qu'avancent certains, serait — en réalité — d'un intérêt limité, au moins sur le terrain
didactique. Comme pour la lecture, il serait préférable de parler de pratiques d'écriture,
diversifiées et multi-dimensionnelles, incluant la représentation de cette pratique,
le rapport que le Sujet entretient avec elle, la façon dont il la situe par rapport à ses
autres pratiques, les moyens qu'il emploie, ce qu'il y investit, ses enjeux et ses
finalités...
Pour conclure le bilan de l'écriture longue en projet, nous soulignerons
qu'elle permet au moins quatre déplacements importants:
— une attention portée sur les sujets apprenants;
— une ouverture des types de textes et des référents ;
— une diversification des références théoriques ;
— une intégration des différents domaines de l'enseignement du Français et des
pratiques antérieures.

3. — Ré-écriture — Amélioration — Elaboration de texte.


Liée historiquement et structurellement à l'écriture longue, mais aussi issue
des ateliers d'écriture, une pratique essentielle a émergé: la réécriture.
L'écriture n'est plus conçue comme le résultat intangible d'un premier jet
mais comme un procès d'élaboration nécessitant de continuelles modifications en
son cours et un retravail en plusieurs étapes. Il s'agit — didactiquement — de
mettre en forme cette conception, d'en faire prendre conscience aux apprenants
et de faciliter les tâches nécessitées par des dispositifs appropriés.
Ces pratiques ont produit des effets intéressants (39) et les hypothèses qui
les sous-tendent sont — en grande partie — validées par des courants de
recherche qui se développent à l'heure actuelle (voir VII : psycho-linguistique,
psycho-cognition, génétique textuelle).
A des fins de clarification — au moins provisoire — devant le flou et la
multiplicité des termes concurrents, nous proposerons les définitions suivantes :
• Réécriture: il s'agit de la catégorie générale subsumant les pratiques
d'élaboration — tranformation de texte. La réécriture devient de fait un équivalent
de l'écriture en accentuant travail et modifications au détriment de l'inspiration,
du premier jet...
• Elaboration : les activités de production et de modification scripturales
effectuées au cours d'un laps de temps donné aboutissant à un état de texte.
• Amélioration : désigne la transformation d'un état de texte en un autre en
fonction d'un travail d'évaluation et de programmation. L'amélioration renvoie à la
visée et aux modalités de la transformation plus qu'à ses soubassements
théoriques (qui peuvent être différents) ou à ses résultats (l'amélioration peut être
réussie ou non).
(38) On appliquerait des opérations et non plus simplement des contenus...
(39) Voir, par exemple, l'article très concret de M. -P. Vanseveren : " " Lisons-nous les uns les autres... " disait-elle, ou
les voies de la communication sont impénétrables", Recherches n° 6, mars 1987.

78
• Etat de texte : un achèvement — provisoire ou non — défini comme tel
pour des raisons d'objectifs, de temps, de séquence pédagogique. En tant que tel,
il est donc toujours arbitraire. Le problème posé est celui de la justification de cet
arbitraire.
Le fait que nous ayons éprouvé la nécessité de mieux définir ces termes
indique que les activités de réécriture restent encore en grande partie, à théoriser.
Nous rappellerons quelques questions en suspens que nous avons déjà signalées
dans d'autres articles (40).
• Quels sont les dispositifs sollicités, les avantages et difficultés liés à
chacun d'entre eux? Plus particulièrement, quelles sont la place et les formes -des
négociations, en vue de l'amélioration, entre scripteurs, groupes et enseignant ?
• Peut-on engager de telles activités en faisant l'économie d'un travail sur
les représentations des textes et de l'écriture qu'ont les apprenants (41) ? Consé-
quemment, comment s'en servir?
• Selon quelle(s) thérorie(s) de l'écriture fait-on réécrire ? Ce qui draine
aussitôt deux autres problèmes. Peut-on se contenter de dire qu'expliciter la
théorie de référence suffit, ou doit-on varier les théories de référence selon les
problèmes et les besoins des apprenants, ou doit-on encore les situer dans le champ
culturel et considérer leur pertinence dans ce cadre (42) ?
• Conséquence des points précédents, comment faire pour que l'élève ne
soit pas désapproprié de son projet d'écriture par le maître, confondant tendan-
ciellement normes d'ordre technique et normes d'ordre idéologique (ses
conceptions de l'écriture) (43). Dans cette optique la définition du projet d'écriture (vou-
loir-dire-quoi et vouloir-dire-comment) est primordiale, ainsi que ses techniques
de repérage: par exemple, ce qui précède ou commente l'écrit, ce qui "résiste"
aux tentatives de modification...

VI. - DE L'EFFET D'AUTRES PRATIQUES.


L'histoire était trop belle et trop linéaire, elle est fausse. En effet, d'autres
courants, d'autres pratiques, d'autres écrits ont permis d'avancer dnas la problé-
matisation de la didactique de l'écriture. Sans pouvoir tous les citer (44), nous en
mentionnerons deux qui ont joué un rôle important : la pédagogie Freinet et les
récits de vie. Ce rappel n'est pas innocent. Il confirme le caractère complexe d'une
histoire que certains ont tendance à simplifier ou à limiter à une seule strate
(théorique, par exemple). Il signale aussi des facteurs qui ont tissé cette histoire et qui
sont particulièrement difficiles à saisir : par exemple, l'effet des stages
(pédagogiques, didactiques ou thérapeutiques) suivis par les enseignants dans leurs
pratiques de classe.

(40) Voir notamment dans la bibliographie, Reuter, 1986.


(41) Voir point VIII.
(42) En d'autres termes, toute théorie est aussi un ensemble organisé référant à une position culturelle. Voir les
travaux de P. Bourdieu et pour une introduction : Y. Reuter " Le champ littéraire : textes et institutions ", Pratiques
n° 32, décembre 1981.
(43) Outre la référence de la note précédente. Voir aussi, sur les paralittératures, les nos 50 et 54 de Pratiques.
(44) Nous mentionnerons ici pour mémoire un ouvrage dans lequel beaucoup ont puisé, sans toujours le signaler:
Jean Guénot, Ecrire. Guide pratique de l'écrivain avec des exercices, chez Jean Guénot, 85, rue des Tennerolles,
92210 Saint Cloud, 1977.

79
1. — La pédagogie Freinet et le texte libre.
L'ouvrage important de Pierre Clanché (1988) est venu rappeler le rôle
historique considérable, mais souvent dénaturé (45), du texte libre. Il en restitue
(pp. 20 à 23) les cinq invariants:
— il n'est pas isolé mais en relation avec d'autres pratiques d'expression libre
(musique, dessin...) ; il fonctionne dans une inter-motivation et l'écriture n'est
plus le moyen privilégié de l'expression;
— il repose en aval sur des outils spécifiques (moyens de reproduction, de
conservation, de transmission...) ;
— c'est une pratique de communication avant d'être un moyen d'apprentissage de
la langue (communication réelle; choix du support et des instruments mais
aussi de la taille et de la périodicité ; signalement mais pas de sanction portant
sur orthographe, syntaxe...) ;
— pas de notation mais lecture possible dans le collectif-classe et impression en
fonction de l'intérêt suscité;
— il s'agit enfin d'une pratique parmi de nombreuses autres pratiques
scripturales..
Il est clair que cette activité a influencé — directement ou non — d'autres
courants mentionnés. Parmi les points importants, on peut remarquer la
valorisation, l'écoute et le respect de l'enfant-scripteur, le rôle du groupe, la conception de
l'écriture comme praxis n'excluant aucune dimension matérielle (l'impression)
(46), l'intérêt porté à la construction du besoin d'écrire et le primat accordé au
pourquoi sur le comment, c'est-à-dire à l'élaboration des fonctions de l'écriture
(47).

2. — Biographies — Autobiographies — Récits de vie.


Le rapport entre construction d'une histoire de vie et écriture a fait l'objet
aussi bien de recherches théoriques importantes (Ph. Lejeune) que de structures
d'écriture (dans les classes, dans les groupes "psy", en formation d'adultes).
Outre les convergences sur le projet, la motivation et l'implication
personnelle nécessaire de l'animateur, nous soulignerons trois points.
Tout d'abord l'idée que construire scripturalement sa vie instaure un autre
rapport au pouvoir: le Sujet (re)devient agent et installe une cohérence dans les
événements qu'il a vécus. En ce sens, ce type d'écriture contribue à une
auto-formation de la personne.
Ensuite, ces pratiques ont mis l'accent sur les fonctions de l'écriture, pièces
maîtresses de l'accès à la scription, des formes qu'elle prend et de sa poursuite ou
non. Certains distinguent les fonctions suivantes : catharsis, structuration-réap-
propriation, communication et énergie (par la mise en valeur du Sujet) (48). La
question de leur gestion dans une didactique de l'écriture (comment y entrer,
finalisation du produit, appel à l'une ou l'autre pour lever des blocages...) est à
l'évidence cruciale (49).

(45) Notamment par la confusion avec la rédaction à sujet libre.


(46) Ce qui reste bien souvent sous-estimé, notamment dans la réduction du "matériel" au "signifiant".
(47) Signalons que le livre de P. Clanché apporte, en outre, de précieuses informations sur la genèse de l'écriture avec
l'analyse de plusieurs centaines de textes d'enfants de six à dix ans.
(48) Voir Mona Ditisheim : "Le travail de l'histoire de vie comme instrument déformation". Education permanente n°
72-73.
(49) On en trouvera des échos dans l'article de F. Vanoye dans ce numéro.

80
Enfin la réintégration de l'histoire et du socio-culturel (50) constitue un
élément central de ce courant, avec des tentatives prometteuses pour articuler social
et psychologique (Vincent de Gaulejac). De ce point de vue, l'attention portée à la
biographie permet de voir ce qui aide ou freine dans l'accès à l'écriture, ce qui
modèle représentations et pratiques. Il peut s'agir d'une entrée particulièrement
efficace pour comprendre réticences et résistances de certains élèves.

VII. - DE NOUVEAUX APPORTS THÉORIQUES SUR L'ÉCRITURE.


Depuis quelques années, sur le terrain de la didactique du Français, se sont
imposées des références à des recherches "nouvelles" ou, du moins, à des
recherches dont on a mieux perçu la pertinence. Réintroduisant le Sujet par le
biais des opérations nécessaires à la construction de l'écrit, elles se donnent
explicitement l'écriture comme objet d'étude (51). Nous mentionnerons trois de ces
courants — très brièvement dans le mesure où il en a déjà été question dans
Pratiques— en nous intéressant principalement à leur contribution à la problématique
de l'apprentissage de l'écriture.

1. — Les approches psycho-cognitivistes et psycho-linguistiques.


Dans le numéro 49 de Pratiques intitulé Les activités rédactionnelles, Michel
Charolles et Claudine Garcia-Debanc rendaient compte des courants psycho-
cognitivistes cherchant à analyser les processus de production textuelle. Utilisant
comme instrument les protocoles (52), ces modèles distinguent plusieurs types
d'opérations constitutives de l'écriture.
Les opérations de planification concernent le but du texte (pour quoi ? pour
qui ?...) et établissent un plan-guide pour la production. On peut encore "séparer"
celles qui touchent à la conception (activation dans la mémoire des informations
pertinentes), à l'organisation (ordre et hiérarchisation), au recadrage (adéquation
du texte à l'auditoire).
Les opérations de mise en texte — ou rédaction proprement dite — gèrent
les contraintes textuelles globales et locales.
Les opérations de révision peuvent se subdiviser en relecture critique et
mise au point.
Il convient d'ajouter que ces opérations sont récursives : elles se répètent
et dans des ordres différents.
Cette formalisation — encore très embryonnaire — offre plusieurs intérêts :
— Y exploitation d'un modèle permettant de réfléchir et de discuter les
conceptions, les approches et les pratiques de l'écriture;
— une meilleure analyse des stratégies des scripteurs, des opérations qui leur font
difficulté ;
— une approche de l'évolution dans la gestion de ces tâches selon l'âge (53) ;
— la confirmation de certaines hypothèses : l'importance de la planification, le rôle
crucial de la ré-écriture, l'effet favorisant des règles et des contraintes limitant
la surcharge cognitive...

(50) Voir point VIII.


(51) II s'agit d'un mouvement homologue à celui qui s'est produit sur le terrain de la lecture.
(52) Analyse des activités et des commentaires d'accompagnement du Sujet lorsqu'il réalise une tâche (Voir Cl.
Garcia-Debanc, 1986, p. 25).
(53) Voir bibliographie.

81
De surcroît, Cl. Garcia-Debanc (54) a montré comment l'on pouvait — en
fonction de ces opérations — concevoir des situations d'apprentissage permettant
d'activer tel ou tel processus, d'automatiser tel niveau de traitement, de favoriser
le contrôle de l'élève sur ses propres activités. Elle a analysé, grâce à ce modèle,
les effets positifs constatés (mais non expliqués) de certains dispositifs
pédagogiques : le projet et le fonctionnement des groupes (qui favorisent la planification et
l'adéquation à l'auditoire), les outils d'évaluation formative (qui favorisent le
contrôle de son activité et la relecture critique...).
Cela permet de mieux utiliser dispositifs, pratiques et outils mentionnés
précédemment en fonction de leur intérêt spécifique par rapport aux difficultés
constatées chez les élèves.
Les approches psycho-linguistiques sont à la fois proches et différentes
des précédentes (55). Plus attentives aux réalisations langagières et aux types
d'écrits, elles se fondent sur l'hypopthése que les faits linguistiques (et les classes
d'unités) renvoient à des opérations articulant extra-langage (espaces référentiel
et contextuel) et langage. Elles reposent sur l'étude précise de textes réalisés.
Les opérations (contextualisation, structuration, textualisation) ne sont pas
homologues à celles postulées par les psycho-cognitivistes malgré certains points
communs (notamment l'opposition "programmation" vs mise en texte): Les
recherches sur l'écriture en sont encore à leur pré-histoire. Cela nécessite une
grande prudence de la part du didacticien qui peut en revanche tirer parti — en
fonction de ses besoins — de chacun des modèles mais aussi des instruments et
méthodes d'observation sur lesquels s'appuient les chercheurs.
Ce second modèle — outre des intérêts proches du précédent — permet en
tout cas de mieux réfléchir aux rapports entre types de texte et écriture d'une part,
types de texte — opérations et faits de langue d'autre part.

2. — La génétique textuelle.
Courant plus ancien, ce type d'approche est resté longtemps cantonné
dans des sphères littéraires et érudites (56). Il étudie la genèse des textes en
suivant minutieusement les transformations qui affectent leurs différents états
(brouillons, "avant-textes"). Si la définition des opérations scripturales est bien à
l'horizon de ces travaux, les " généticiens " se montrent prudents quant aux
extrapolations et intérêts des modèles précédemment mentionnés :
" Dire qu'en gros il faut distinguer les phases de planification, de mise en
langue et de ré-écriture et que, bien entendu, les opérations en question peuvent,
au lieu d'être linéaires, suivre un fonctionnement interactif revient en fait à admettre
à peu près autant de sous-modèles différents qu'il y a de scripteurs. "
(A. Grésillon, 1988, p. 110)
Cela explique pourquoi ils s'attachent avant tout à la construction
précise des types de modifications apportées, indices d'opérations et de
compétences. La réécriture ("retours sur du déjà-écrit") peut ainsi s'analyser en termes de

(54) Article cité, 1986, pp. 37-49.


(55) Faute de place nous renvoyons le lecteur aux articles et ouvrages de Bronckart, Bain et Schneuwly mentionnés
dans la bibliographie.
(56) Bien que nous en ayons, depuis longtemps, souligné l'intérêt pédagogique: Y. Reuter, art. cité, 1981.

82 . _
substitution orientée (ajout, suppression, permutation...), de substitutions liées ou
non, de substitutions en cours de procès (variante d'écriture) ou a posteriori
(variante de lecture) etc.. L'organisation de ces transformations peut mener à des
hypothèses concernant la logique de la réécriture.
Plus humble apparemment, ce courant offre néanmoins des intérêts non
négligeables :
— un travail précis sur les copies d'élèves permettant d'émettre des hypothèses
sur leurs stratégies, leurs motivations, leurs avantages et leurs défauts et donc
de les "conscientiser", et de les diversifier;
— des études portant sur la psychogénèse des compétences de réécriture (voir les
travaux de Cl. Fabre) ;
— une attention plus fine accordée à la mise en œuvre de la réécriture ;
— une démythification des auteurs — confrontés eux aussi aux problèmes
d'écriture — et, sans doute, une désacralisation conséquente de l'écriture.
Il nous paraît cependant que ces courants — surtout les deux premiers —
s'ils expliquent mieux, s'ils ouvrent à de nouvelles pratiques pédagogiques
n'offrent néanmoins qu'une vision limitée des activités scripturales en visant un
" noyau " de l'écriture. Cette conception ne peut certes pas être évacuée si l'on ne
veut parler de l'écriture à tout propos. Elle devient dangereuse dès lors qu'elle
supposerait que l'écriture c'est " d'abord cela " ou " uniquement cela ". Epistémolo-
giquement cela manifesterait une volonté de hiérarchisation et de normativité.
Théoriquement cela induirait une confusion entre objet construit et objet réel.
Didactiquement cela pourrait faire croire que les dysfonctionnements ne sont que
d'ordre "technique"...

VIII. - LE SUJET - LE SOCIAL - L'HISTOIRE.


S'il est vrai qu'il est nécessaire de préciser son objet de recherche afin de
ne pas " diluer " le discours théorique sur l'écriture (ou sur la lecture) dans
l'expansion infinie, il n'en est pas moins vrai que les opérations décrites sont réalisées par
un sujet dans une société donnée. L'écriture est aussi bien " avant tout " une
pratique psycho-sociale. L'oublier serait tomber sur un autre écueil : celui du reduc-
tionnisme dogmatique (57).
En d'autres termes, la pratique scripturale est investie de valeurs et de
représentations du sujet, en relation avec ses autres pratiques, envisagées dans
leur histoire. Sur tout cela, histoire, sociologie, anthropologie, ethnologie (ou
psychanalyse) apportent des éclairages qui permettent au didacticien de réfléchir sur
les fonctionnements et dysfonctionnements des apprenants.
Cela amène à comprendre des différences d'investissement selon les
milieux, les régions, les religions, les communautés. Il faut ici rappeler que
l'écriture — en ses formes et ses produits — est quantitativement et qualitativement
diversifiée selon la C.S.P. du chef de famille, selon son âge, son sexe, le lieu où l'on
habite (58)...

(57) Qui consisterait à confondre le Sujet avec une machine, l'éclairage de l'objet construit avec celui de l'objet réel, la
partie avec le tout, ou même les écritures avec l'Ecriture.
(58) Ministère de la Culture, Service des études et recherches : Pratiques culturelles des Français, Description socio-
démographique. Evolution 1973-1981, Paris, Dalloz, 1982.

83
D'où la nécessité de se référer à d'autres courants de recherche,
relativement sous-estimés :
— celui qui travaille sur les représentations qu'ont les Sujets (notamment les
élèves) de l'écriture et sur les valeurs qu'ils y investissent (59) ;
— celui qui travaille sur les discours des écrivains-écrivants pour objectiver les
différentes catégories d'écriture selon les sphères sociales de production et
mettre cette diversité au service de apprenants (60) ;
— celui qui travaille sur ces discours pour les situer dans le champ culturel, selon
l'idée que tous (y compris les "experts" chers à certains courants) sont
positionnés et que ces discours et pratiques favorisent ou contrarient
l'apprentissage en fonction des positions des apprenants (61)...
Les enjeux didactiques sont importants:
— meilleure prise en compte de l'apprenant " réel " et des pratiques d'écriture
"réelles";
— analyse
diversification
des discours
des hypothèses
et des pratiques
sur les blocages
susceptibles
et les
d'accentuer
moyens deouremédiation
de lever les;
résistances en fonction du positionnement des élèves (par exemple les phases
solitaires ou en groupe, l'enjeu du plaisir ou de l'efficacité sociale...) ;
— l'ouverture des référents textuels (62)...
Il est clair que dans cette optique la compétence d'écriture est envisagée
comme maîtrise des opérations adaptées à des situations, et non simple maîtrise
des opérations. Un vieux débat resurgit ici...
Il est non moins intéressant de constater que — comme pour la lecture —
ces courants sont utilisés pour faire le bilan, le constat des difficultés. Puis on les
oublie. Comme si le constat n'était pas différencié, impliquant des stratégies elles-
mêmes différenciées.

IX. - PROPOSITIONS : VERS UNE DIDACTIQUE DE L'ÉCRITURE.


A ce moment de notre réflexion, il nous paraît utile de souligner quelques
éléments essentiels.
Tout d'abord la complexité de l'histoire que nous venons d'esquisser, à
l'opposé d'un "progrès linéaire": avancées pratiques précédant leurs
explications, avancées théoriques à la recherche d'une application dans les classes,
théories et pratiques fructueuses par certains aspects, mutilantes par d'autres,
diversité en quête d'une impossible unité...
Ensuite la difficile émergence d'une didactique de l'écriture. Celle-ci ne
semble en effet s'élaborer véritablement qu'à partir du moment où se rencontrent
théoriquement des réflexions sur les contenus intra-disciplinaires et sur les modes
de travail pédagogiques. A partir du moment où les praticiens prennent conscience
qu'aussi bien des théories "plus rigoureuses" sans réflexion pédagogique que
des changements pédagogiques sans réflexion sur les contenus disciplinaires ne
suffisent à régler les problèmes.

(59) Voir en bibliographie Dabène, 1987.


(60) Voir l'ensemble du n° 32 de Pratiques, La littérature et ses institutions, décembre 1981.
(61) Idem et les nos 50 et 54 de Pratiques sur les paralittératures.
(62) Ibidem.

84
L'autonomie du didacticien et de la didactique réside peut-être ici : en cette
reconnaissance qu'il ne peut se priver d'aucun des pôles, d'aucune des
composantes de chacun de ces pôles. Il travaille dans la tension de cette nécessaire
articulation entre contenus intra-disciplinaires et pédagogie, dans le risque constant
d'une soumission à l'une ou l'autre de ces dimensions.
Se pose alors, inéluctablement, la question de la formalisation de ces
rapports dans une didactique de l'écriture. Plutôt que tenter de la construire —
comment rendre compte de tous les paramètres en jeu et de leurs inter-actions ? —
nous proposerons plus modestement d'en représenter certaines composantes de
base, repérées au travers de notre historique, afin de mieux en objectiver les
intérêts. Ce qui suppose quelques précisions liminaires.

1.— Composantes d'une didactique de l'écriture : schématisation


provisoire.
Nous prendrons la notion de didactique de l'écriture dans un sens similaire
à celui que lui assigne Michel Dabène (1987, pp. 11-13) : une "discipline
d'interaction", "ayant pour objet et objectifs renseignement/apprentissage" de
composantes linguistiques et non-linguistiques " en vue du développement de la maîtrise
de la production et de la réception des discours sous toutes leurs formes " écrites.
Cela suppose la définition d'une compétence scripturale (63), entendue
comme un " ensemble de composantes (...) qui rendent possibles la production et
la réception de l'écrit d'une manière adaptée et située" (64).
La modélisation qui suit n'est qu'une forme de représentation de nos
hypothèses sur ce que travaille la didactique de l'écriture pour développer cette
compétence scripturale. Elle est donc arbitraire, schématique, provisoire. Ses seuls
buts sont :
— de permettre aux didacticiens d'organiser la réflexion sur leurs représentations
et pratiques;
— de mieux percevoir ce qu'ils font ou non, pourquoi et comment ;
— d'ouvrir d'autres pistes de travail.

DELA
PERFORMANCE II - ORDRE DE LA III - ORDRE DES
I - ORDRE COMPÉTENCE COMPÉTENCES
DU SCRIPTURALE
PERFORMÉ
1 - Produits finis 1 - Savoirs 1 - Autres compétences
2 - Produits transitoires 2 - Savoirs-faire spécifiées
(états de texte) 3 - Représentations et 2 - Aptitudes —
3 - Opérations de valeurs capacités
production

2. — Explication du schéma.
Ce schéma se lit de la manière suivante : l'ordre de la performance suppose
l'ordre de la compétence qui suppose lui-même l'ordre des compétences.

(63) M. Dabène. 1987, p. 39 ei sq.


(64) Idem. p. 40.

85
L'ordre de la performance— du performé recouvre aussi bien les opérations
de scription que les écrits. La double désignation s'explique en fonction de ce que
l'on observe et avec quels moyens. Ainsi les "brouillons" (1.2.) ou les opérations
(1.3.) appartiennent à un "faire" (performance) souvent non observé, ou plus
difficilement observable, mais qui peut être, au moins en partie, objectivé (devenant
du performé) pourvu qu'on s'en donne les moyens : questionnaires, protocoles,
enregistrements... Conséquemment l'ordre de la performance-du performé
appartient tendanciellement au registre du concret, du matériel. Il s'analyse en
relation avec la situation au sein de laquelle il se réalise.

L'ordre de la compétence scripturale correspond à une coupure arbitraire


dans l'ensemble du "potentiel" (III) de l'individu. Il s'agit d'une construction
abstraite, hypothétique, mais nécessaire. Elle intègre ce que l'enseignant estime être
de son domaine en fonction de ce qu'il suppose nécessaire pour (bien) performer.
Elle intègre ce que le théoricien de l'écriture se construit comme objet spécifique,
limité par nécessité. Cette compétence comprend des savoirs (encyclopédiques,
sémiotiques, linguistiques, pragmatiques...) conscients ou non, des savoir-faire
(opérations) actualisés ou non, des représentations et valeurs, explicites ou pas.
L'ordre des compétences rappelle d'une part que les
compétences-performances spécifiques d'un sujet sont en relation avec d'autres, d'autre part qu'elles
s'intègrent dans la totalité organisée de sa vie physique, psychique, sociale.
L'hypothèse de base serait la suivante : améliorer les performances permet
de développer la compétence, développer la compétence permet d'améliorer les
performances. Mais la compétence n'est "accessible" qu'au travers des
performances, sous forme d'hypothèse.

3. — Intérêts du schéma.
En premier lieu, ce schéma permet de voir comment fonctionnent les
pratiques. Par exemple, le modèle traditionnel organise son apprentissage sur la
répétition de produits finis (I.1.), sans réflexion ni observation concernant les situations
et leurs effets, les produits transitoires (I.2.) ou les opérations de production (I.3.) ;
il réduit la notion de compétence à certains savoirs (11.1) en connectant
rapidement, dans ses hypothèses sur les dysfonctionnements, les produits finis (1.1.) aux
compétences générales (III) : " il est bête", " il ne fait pas attention ", " il n'est pas
mûr"...
Ce schéma permet ensuite de repérer les composantes traitées par les
théories, les pratiques, les instruments... Ainsi linguistique et sémiotique portent
plus sur les produits finis (1.1.) et les savoirs (11.1.) mais il peuvent servir à l'analyse
des états transitoires (I.2.). La psycho-linguistique traite plus précisément du
rapport textes réalisés (1.1.) — opérations nécessaires (II. 2.). La psycho-cognition
s'attache aux relations opérations effectuées (I.3.) — opérations postulées (II.2.) ; la
génétique textuelle aux rapports textes finis (1.1.) — textes transitoires (I.2.). La
psychanalyse s'intéresse plus aux liens textes réalisés (1.1.) — représentations et valeurs
(II. 3.). Quant aux modes de travail pédagogique, aux dispositifs, ils vont peser sur
la diversité et l'organisation des situations en s'attacha nt aux inter-relations I, II, III
de façon plus globale ou en plaçant en dominante telle composante (par exemple,
représentations et valeurs en II. 3.) à partir d'hypothèses générales sur les
conditions nécessaires au développement des compétences.

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Enfin, ce schéma va permettre en fonction des analyses précédentes:
(qu'est-ce qui est travaillé dans la pratique, et quelles théories traitent de quels
problèmes), de repérer les manques et les paramètres dominés, de multiplier les
hypothèses sur les dysfonctionnements des apprenants et les stratégies de
remédiation, d'aller puiser dans les références disponibles et adéquates.
Comme on le voit, ce schéma représente - de manière imparfaite et
incomplète — ce que le didacticien de l'écriture travaille. Cela peut l'aider à penser
ce qu'il fait, comment en fonction de quels savoirs et de quelles hypothèses, ce
qu'il pourrait faire, en se servant de quoi.
Aucune théorie, aucune pratique ne recouvre, intégralement et à elle seule,
ce domaine qui les convoque, les intègre, les fait inter-agir...
Le didacticien ne peut s'en priver, il ne peut se soumettre à l'une ou à
l'autre...

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Apprendre
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octobre 1988, sous la direction de J.-M. Zakhartchouk. Nombreux articles,
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