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DOI : 10.4000/books.septentrion.16572
Éditeur : Presses universitaires du Septentrion
Lieu d'édition : Villeneuve d'Ascq
Année d'édition : 2005
Date de mise en ligne : 23 janvier 2018
Collection : Éducation et didactiques
ISBN électronique : 9782757418918
http://books.openedition.org
Édition imprimée
ISBN : 9782859398804
Nombre de pages : 248
Référence électronique
REUTER, Yves (dir.). Pédagogie du projet et didactique du français : Penser et débattre avec Francis
Ruellan. Nouvelle édition [en ligne]. Villeneuve d'Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2005
(généré le 23 novembre 2018). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/
septentrion/16572>. ISBN : 9782757418918. DOI : 10.4000/books.septentrion.16572.
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Cet ouvrage confronte trois discours portant sur les relations entre pédagogie du projet et
didactique de l’écriture. Le premier est constitué de deux articles de Francis Ruellan – mort
prématurément en 2003 – référant à sa thèse : il y précise le cadre théorique qui est le sien,
autour du projet, de trois types de situations (fonctionnelles, différées et de structuration), de
l’articulation entre production et réflexion… et analyse un matériau empirique important :
situations, outils construits, réécritures des élèves, entretiens…
Le second discours est celui de chercheurs : J.P. Bernié, D.G. Brassart, M. Brossard, Y. Reuter,
B. Schneuwly, qui ont repris ses travaux pour en débattre autour de problèmes tels que les modes
de validation proposés, les relations entre pédagogie et didactique(s), l’évaluation des modes de
travail pédagogicodidactiques, le statut et les fonctions des situations différées, les relations
entre logiques d’enseignement et d’apprentissage, l’importance des notions de situation et de
contexte, les relations entre théories psychologiques et théories didactiques…
Le troisième discours, qui constitue la dernière partie de cet ouvrage, est celui de praticiens en
recherche, M.A. Ballenghien et B. Cauchy, qui ont expérimenté les projets d’écriture analysés et
qui témoignent des conditions de possibilité, des limites et des intérêts d’une collaboration entre
enseignants et chercheurs.
Hommage sans doute à un chercheur trop tôt disparu, ce livre se veut surtout un ouvrage
scientifique débattant d’une œuvre d’importance autour de questions cruciales pour la
didactique de l’écriture, les didactiques, la pédagogie et la psychologie de l’éducation.
YVES REUTER
Né en 1956. Après avoir été instituteur, il est devenu formateur dans les CFP de Lille et de
Paris où il a assumé diverses responsabilités, notamment en matière de recherche. Outre
sa thèse, soutenue en janvie 2000 à l'Université Charles-de-Gaulle-Lille 3 : Un mode de
travail didactique pour l'enseignement-apprentissage de l'écriture au cycle 3 de l'école primaire, il
a publié une dizaine d'articles. Il s'est éteint en janvier 2003.
2
SOMMAIRE
Présentation
Yves Reuter
Les “situations différées” de Francis Ruellan : fécondité et zones d’ombre d’un espace de
problématisation
Jean-Paul Bernié
1. Une présence remarquable
2. Quelques remarques sur l’utilisation des références à la notion de « situation » en didactique
du français
3. La « théorie des situations » de Francis Ruellan
4. Débattre avec Francis Ruellan
5. Et puisque le dialogue doit être suspendu…
Présentation
Yves Reuter
1 Le 1er janvier 2003, Francis Ruellan s’est éteint à l’âge de 46 ans. Formateur aux C.F.P. de
Paris et de Lille, membre de THEODILE depuis sa fondation, il en fut aussi le premier
doctorant. Sa thèse – Un mode de travail didactique pour l’enseignement-apprentissage de
l’écriture au cycle 3 de l’école primaire1 – a été soutenue le 14 janvier 2000 à l’université
Charles de Gaulle – Lille III et représente un apport incontestable à la didactique du
français pour trois raisons au moins :
• l’étayage théorique des intérêts de la pédagogie du projet pour la didactique de l’écriture ;
• la construction d’une théorie des situations (fonctionnelles, différées et de structuration)
qui constitue l’armature du mode de travail mis en place ;
• la constitution et l’analyse d’un matériau empirique considérable (descriptif des situations,
des outils, des productions et réécritures, des entretiens…) qui permet de juger sur pièces ce
qui a été mis en œuvre2.
2 Le projet de Francis Ruellan était d’extraire deux ouvrages de cette thèse monumentale
(plus de mille pages) : l’un à destination des chercheurs, l’autre à destination des
formateurs et des enseignants. La maladie, qui s’est déclarée dès la fin de sa thèse, l’en
aura empêché.
3 Il aurait été absurde et injuste qu’un tel travail (représentant plus de dix ans de
recherche) demeure confidentiel. C’est pourquoi nous avons décidé, parmi ceux qui
connaissaient le mieux son œuvre3, de réaliser cet ouvrage, d’hommages certes, mais
surtout de débat, car il nous a semblé que c’était le meilleur moyen de continuer un
dialogue fécond pour la communauté de didacticiens du français (et au-delà) ou, en
d’autres termes, de faire vivre une pensée qui nous paraît particulièrement stimulante.
4 Le livre s’ouvre sur deux articles de Francis Ruellan4, les plus longs à notre disposition,
qui peuvent permettre, en l’absence de la lecture de l’intégralité de sa thèse,
d’appréhender certaines des dimensions essentielles de son travail. Le premier, publié en
1999 dans le numéro 35 de Recherches, développe le « contexte didactique », les trois types
de situations proposées, les six périodes du projet d’écriture (écrire un conte merveilleux)
avec le détail des séances et leurs fonctions, avant d’établir une typologie des parcours de
réécritures des 23 élèves qui en établit la diversité. Le second article, publié en 2002 dans
5
la revue Pratiques, revient sur les principes qui ont guidé l’élaboration du mode de travail :
l’importance de la production, du temps, de la co-construction des critères, l’écriture
comme compétence, le projet comme cadre structurant, la constitution de la classe
comme instance de production et comme communauté de recherche, l’articulation entre
pratique et réflexion… Puis il présente de nouveau, mais de manière plus succincte que
dans l’article précédent, les six périodes d’un projet de huit semaines et les trois types de
situations avant d’analyser, de manière très précise, les réécritures de deux élèves,
Philippe et Alexis, au regard des périodes mentionnées, ainsi que quatre entretiens avec
ces mêmes élèves, répartis dans le temps. Cela permet d’appréhender non seulement la
diversité des parcours et des modes d’appropriation des critères mais encore de mieux
saisir comment les élèves intègrent les dispositifs ainsi que leurs rapports aux textes, aux
opérations scripturales, aux outils…
5 La seconde partie de l’ouvrage, la plus longue, est consacrée à la discussion des travaux de
Francis Ruellan. Dominique-Guy Brassart ouvre cet ensemble par une relecture
minutieuse et sans concession de l’intégralité de la thèse et notamment du matériau
empirique et de son traitement. Il replace ce travail dans une histoire de la didactique du
français (voir notamment le Plan de Rénovation) en montrant sa filiation mais aussi ses
originalités (objets langagiers supraphrastiques, introduction des situations différées et
de la verbalisation métacognitive…).
6 Et s’il émet des critiques, fortes, sur les formes des hypothèses, la construction théorique
des critères d’analyse des textes retenus ou certains choix méthodologiques, il montre
aussi la richesse et les intérêts d’une tentative de validation écologique du mode de
travail pédagogico-didactique retenu, tentative encore trop isolée dans notre domaine de
recherche.
7 Les deux contributions suivantes s’attachent, chacune à leur manière, à la théorie des
situations et à ce qui lui est sans doute le plus spécifique, les situations différées. Jean-Paul
Bernié souligne l’apport spécifique de cette théorie des situations en didactique du
français qui n’a, à la différence de la didactique des mathématiques, que peu travaillé
cette notion. Il en montre l’importance en insistant notamment sur les intérêts et la
valeur heuristique de la notion de situation différée même si, en relation avec les travaux
de Michel Brossard et les siens (voir notamment ce qui concerne la communauté discursive
), il lui semble que la dimension discursive des activités demeure relativement sous-
estimée ainsi que la spécificité du domaine choisi, l’écriture de fiction en l’occurrence.
Cela pose les questions de la prise en compte du culturel et des positions énonciatives en
relation à des communautés discursives de référence.
8 Bernard Schneuwly, après avoir reconstruit le noyau central de l’approche de Francis
Ruellan (le modèle didactique de la compétence scripturale, le mode de travail didactique
et l’articulation entre les situations…), s’attache lui aussi aux situations différées à partir
des questions liées aux passages entre savoir et faire, à la régulation des processus
d’apprentissage, aux relations entre inter et intra-psychique… En confrontant la notion
de situation différée à celle de séquence didactique, il en montre divers intérêts, loin
d’être négligeables : une régulation plus fine des situations de structuration via les
informations venant des élèves eux-mêmes, une adaptation plus précise aux modes
d’appréhension et de verbalisation des apprenants, une articulation aux textes produits
dans la classe, des modes de formalisation de l’application du savoir au faire… Demeurent
néanmoins à approfondir d’autres questions fondamentales telles la part du temps ou
6
celle des élèves, celle des raisons de l’efficience potentielle du dispositif mis en place et,
toujours, celle des relations entre logiques d’enseignement et d’apprentissage.
9 Yves Reuter, quant à lui, reprend les travaux de Francis Ruellan à partir de trois questions
qui lui semblent soulevées par sa thèse. La première est celle des relations entre
pédagogie et didactique (s) dont il s’efforce de montrer les différences en fonction des
questions structurant leur projet de connaissance mais aussi la nécessaire solidarité. La
seconde porte sur l’analyse et l’évaluation des modes de travail dans une perspective
didactique pour laquelle il propose trois axes : théorique, autour de l’étayage proposé et
des notions de congruence et d’acceptabilité, éthique, avec les questions liées aux valeurs,
et empirique avec la prise en compte de la faisabilité, des intérêts, de l’efficience… La
dernière question concerne les relations entre pédagogie du projet et didactique du
français. Dans ce cadre, Yves Reuter montre d’abord comment la pédagogie du projet
interroge ce champ de recherches (son évolution, certaines formes de ses recherches…)
avant de soulever certains problèmes quant à ses limites du point de vue de la faisabilité
ou des intérêts.
10 Michel Brossard conclut cet ensemble à partir de sa position de psychologue de
l’éducation et de spécialiste reconnu de Vygotski en s’emparant des travaux de Francis
Ruellan pour revenir sur les notions de situation et de contexte, fondamentales dans le
cadre de l’interactionnisme. Il s’attache à spécifier les activités de conceptualisation dans
les contextes scolaires avec la mise en tension organisée entre domaines scientifique et
quotidien. Il rappelle qu’il ne s’agit nullement – comme la tentation en est pourtant
répandue – de coiffer les didactiques d’une théorie psychologique mais d’ouvrir un
dialogue entre psychologie et didactiques, Vygotski lui-même ayant regretté de ne pas
avoir travaillé sur des concepts disciplinaires spécifiques.
11 La troisième et dernière partie, la plus brève puisqu’elle ne comprend qu’un seul article,
est en même temps indispensable à un tel ouvrage. Elle donne la parole – une parole qui
leur est spécifique-aux maîtres avec qui Francis Ruellan a travaillé et sans lesquels sa
thèse n’aurait pas eu de fondement empirique : Marie-Agnès Ballenghien et Bruno
Cauchy, dont la classe a mené les projets analysés. Dans leur perspective, celle de
praticiens innovants et en recherche, ils indiquent l’importance de la croyance en la
valeur du mode de travail élaboré, celle d’accords fondamentaux entre praticiens et
chercheurs (sur l’élève et les apprentissages…), celle de la complicité, incluant aussi les
enfants… Ils montrent certains problèmes liés aux différences entre logique de recherche
et d’enseignement (la gestion de la temporalité, les relations aux domaine enseignés, la
part des contraintes institutionnelles…) mais ils soulignent aussi l’intérêt d’une telle
collaboration aussi bien pour les praticiens que pour les chercheurs.
12 Ainsi, cet ouvrage confronte trois discours : celui des recherches menées par Francis
Ruellan, celui de la discussion de ses thèses par d’autres chercheurs à partir de leurs
propres travaux, celui des praticiens en recherche sans qui ces analyses n’existeraient
pas. C’est un livre que nous avons voulu dialogique afin de perpétuer, autant que faire se
peut, un dialogue devenu malheureusement impossible. Non seulement parce que Francis
Ruellan était un ami mais aussi, et fondamentalement, parce que nous pensons que sa
thèse était une œuvre d’importance pour penser la didactique de l’écriture, l’articulation
entre les situations de travail, les relations entre logiques d’enseignement et
d’apprentissage… Au lecteur maintenant de juger et de s’emparer, sous les formes qui lui
sont propres, de cette œuvre.
7
NOTES
1. Sa thèse a été reproduite par l’Atelier National de Reproduction des Thèses de Lille. On peut se
la procurer pour la somme de 135 euros à l’adresse suivante : ANRT, 9 rue Auguste Angellier
59046 – LILLE Cedex.
2. On sait que l’absence d’un tel matériau a souvent servi de prétexte pour disqualifier a priori
nombre de démarches « innovantes ».
3. Quatre membres de son jury de thèse, Jean-Paul Bernié qui avait longuement échangé avec lui
et les deux enseignants avec qui il avait travaillé.
4. Je tiens à remercier chaleureusement Francine Darras et André Petitjean, directeurs de
publication des revues Recherches et Pratiques de nous avoir autorisés à republier ces articles dans
cet ouvrage.
8
1 Comment composer avec l’hétérogénéité dans une démarche d’écriture par projet ? C’est
à partir de l’analyse d’un module de travail en projet de huit semaines que se développera
la réflexion sur l’hétérogénéité. Du 8 octobre au 16 décembre, les vingt-trois élèves de la
classe de CM 1 de Bruno Cauchy ont réalisé un recueil de contes à destination des
correspondants et des autres classes primaires de l’école du Sacré Coeur, située dans le
quartier populaire de Fives à Lille. Parmi les multiples aspects vers lesquels peut
s’orienter l’étude de l’hétérogénéité dans un projet, c’est essentiellement vers les
parcours différenciés d’écriture que sera portée l’analyse afin d’observer comment les
élèves parviennent à mobiliser savoirs et opérations pour identifier et résoudre les
problèmes d’écriture.
2 Le discernement des indices d’hétérogénéité sera établi dans la perspective de
l’enseignement de compétences d’écriture. Afin de comprendre comment se sont
construits ces itinéraires d’écriture, les principes du dispositif qui a permis aux élèves de
lire/écrire et de réfléchir ensemble sur leurs pratiques de lecteurs et de scripteurs seront
d’abord relatés. Ce sont ensuite les périodes successives du projet qui seront exposées en
relevant les aspects déterminants de l’évolution de deux élèves.
conjugaison, vocabulaire) et dans une autre classe de CM1 qui privilégie le travail par
projet en accordant une large place aux explorations créatives des élèves en écriture et en
lecture.
5 Dans la première classe, l’organisation est globalement conçue pour l’accomplissement de
tâches fragmentées et quantifiables à partir d’objectifs ordonnés en progressions
préalablement décidées par l’enseignant. Cette organisation vise, notamment, à faciliter
le contrôle de ce que les élèves ont appris, comme on pense pouvoir le faire après une
séance de grammaire et de conjugaison par un exercice noté par exemple. Dans la
seconde classe, l’entrée par la tâche complexe, plutôt que par les notions, sollicite plus
volontiers les initiatives des élèves sur un registre plus créatif. Cela appelle des formes de
coopération et de négociation qui supposent un partage des décisions et une gestion du
temps plus souple. Pour l’élève, il ne s’agit pas tant alors de prouver qu’il a intégré des
savoirs à l’issue d’une séance que d’éprouver la nécessité de leur recours et de leur
utilisation, voire de leur réorganisation, en fonction des problèmes rencontrés lors de la
réalisation du projet.
6 Quelles seront les manifestations d’hétérogénéité chez les élèves ?
• Dans une classe favorisant l’accomplissement synchronisé de tâches identiques,
individuelles, avec une dominante écrite et un caractère peu interactif des consignes
centrées plutôt sur les composantes phrastiques du texte, il est probable que l’activité
d’enseignement prévaudra et imposera sa logique à l’activité d’apprentissage en lui
définissant ainsi sa place et ses modalités Elle amènera à considérer l’hétérogénéité comme
relevant essentiellement de l’ordre de la gêne, du problème et nécessitera des remédiations
pour combler les lacunes.
• Dans une classe qui fait la part belle aux productions de textes de plus longue haleine,
l’analyse de ces tâches est assumée collectivement, en associant les interactions entre élèves
et les temps de tâtonnements individuels, les consignes précises et le travail régulier
d’explicitation des étapes et des priorités. On peut estimer que la logique en oeuvre dans la
seconde classe, poussera à exploiter au moins certains des éléments d’hétérogénéité comme
des conditions indispensables à la co-construction des savoirs et des personnes.
7 Il ne s’agit pas d’opposer, dans une présentation réductrice et caricaturale, les
enseignants de deux classes réelles mais de tenter de comprendre les principes ou
logiques – les modèles – qui sous-tendent les dispositifs d’enseignement, certaines des
causes et les traitements de l’hétérogénéité qui leur sont associés.
8 La pratique pédagogique de chaque enseignant renvoie à un modèle pédagogique,
souvent implicite, parfois peu conscient, qui oriente la façon dont il se propose de faire
construire les savoirs de ses élèves en classe. Il est intéressant de confronter
l’explicitation éventuelle de ces modèles à la perspective que dessine Meirieu (1995,
221-228) quand il définit la mutation du métier d’enseignant et de l’organisation des
apprentissages. Elle s’effectuerait par le passage d’une conception articulant les principes
du taylorisme et du béhaviorisme avec le contrôle des performances à une conception
articulant la démarche de travail en projet, le socio-constructivisme et l’évaluation des
compétences. C’est dans cette seconde perspective que je propose de situer la réflexion.
9 Faire construire les compétences des élèves est inscrit dans les instructions officielles
depuis 1989. C’est précisément aux modalités de construction de ces compétences que je
souhaite adosser la réflexion sur l’hétérogénéité. En esquissant une définition de la
11
compétence et des propositions sur ses voies de construction, je pourrai sans doute mieux
positionner la recherche d’observables sur l’hétérogénéité.
10 Devenir compétent revient à savoir agir en mobilisant et en combinant des composantes
hétérogènes (représentations, savoirs, opérations) qui, à l’intérieur d’une famille de
situations, permettent la réalisation de tâches complexes (Ruellan, 1999, 56). Selon les
représentations qu’ils se font de la tâche complexe (ici, le conte à rédiger), les sujets
peuvent l’appréhender de manières fort diverses et rencontrer des problèmes/réussites
différents. La tâche n’est pas complexe au même degré pour tous et les processus
d’appropriation des savoirs sont sans doute très dépendants des types de problèmes
détectés et résolus par les élèves. Entrer dans la démarche pédagogique par la
construction des compétences incite alors à promouvoir la sollicitation réciproque de
l’agir et du savoir : d’une part en sélectionnant et en combinant (in-) consciemment les
savoirs déjà acquis pour guider et réaliser l’action, d’autre part en générant d’autres
savoirs par un retour réflexif sur l’action réalisée.
11 Il convient en conséquence d’envisager plusieurs voies pour le développement des
compétences (Wittorski, 1998, 62-63). Celle qui relève de savoirs théoriques acquis sous
l’effet d’un enseignement et supposés s’investir dans la pratique ne peut guère suffire à
elle seule (voie 4). Deux autres voies s’avèrent indispensables. Celle qui s’établit à partir
de l’action seule par essais – erreurs, par ajustements successifs des comportements sans
accompagnement réflexif et celle qui combine un démarche d’essais – erreurs et une
posture de questionnement par rapport à l’action produite (voies 1 et 2). Une troisième
voie consiste à formaliser, par les outils critériés, les savoirs produits par une réflexion
sur l’action.
12 Ces propositions sur la compétence et sa construction influeront sur le dispositif de
travail en projet qui sera présenté peu après. Elles orientent aussi la façon de concevoir
l’hétérogénéité. En effet, ce qui sera observé ne sera pas indexé aux résultats obtenus par
les élèves à l’issue des séances collectives centrées sur la construction de notions
énoncées en termes d’objectifs. Les éléments d’hétérogénéité seront plutôt recherchés du
côté des capacités des élèves à mobiliser et à combiner les savoirs et opérations pour déceler,
formuler et résoudre les problèmes rencontrés dans leur parcours de réécriture. Sur
l’identification des ressources investies dans l’action et sur la prise en charge de la
responsabilité stratégique de la tâche, des éléments d’hétérogénéité seront aussi
recherchés. Encore faut-il que soit proposé aux élèves un dispositif qui permette les
cheminements dans l’écriture et les lectures, avec tous les détours nécessairement
imprévisibles. Le dispositif ayant conditionné les parcours individuels et les temps
d’interactions durant les huit semaines du projet va être présenté avant d’aborder
l’analyse de chaque étape du projet. Ce dispositif d’enseignement de l’écriture se fonde
sur la mise en oeuvre d’une alternance interactive (Meirieu, 1992), entre une pratique
régulière de l’écriture (situations fonctionnelles), une analyse « spontanée » de l’activité
d’écriture/lecture au cours d’échanges collectifs réguliers et non directifs (situations
différées), articulée à une analyse plus construite et formalisée des problèmes d’écriture sous
la tutelle de l’enseignant (situations de structuration). Un autre principe concourt à
l’élaboration du dispositif. La volonté d’assumer collectivement l’analyse des ressorts
complexes de la tâche d’écriture s’exerce par la co-élaboration de critères qui sont plutôt
désignés en classe comme des « conseils pour écrire ». Ces critères sont censés contribuer
à l’évolution des représentations des buts assignés (caractéristiques de l’écrit) et des
12
problèmes fondamentaux mais « diffèrent » la recherche de solutions plus élaborées. Ce sont des
débats à fonction problématisante (Halté, 1989, 19), premiers moments d’explicitation qui
prendront une tournure plus formalisée en situations de structuration (S. St.).
19 Situations intermédiaires entre les S.F. et les S. St., les situations différées constituent, en
interface, des zones de médiation qui séparent et articulent. Elles permettent, d’une part,
de finaliser les S. St. à partir de problèmes identifiés et formulés, le plus tôt possible et le
plus souvent possible, par les élèves eux-mêmes lors de débats suscitant des conflits
socio-cognitifs et elles visent la mobilisation d’une ou de solution(s) accessible(s) aux
élèves, de retour en S.F. Pour le dire autrement, elles contribuent à créer une distance
suffisante pour une construction décontextualisée, mais encore familière pour les élèves,
de l’espace de problème en S. St. et elles visent à recontextualiser les voies de réponses en
S.F. par l’appropriation cognitive individuelle des coordinations collectives. Les situations
différées relèvent de la voie 3 de construction des compétences. Durant les huit semaines
du projet, 11 heures sur un total de 46 ont été consacrées aux 24 situations différées.
20 Toutefois, ce ne sont pas les trois types de situations articulées qui valent en eux-mêmes.
Ce qui est à révéler, c’est plutôt la manière dont les élèves les ont investis pour se piloter
de manière plus autonome dans l’activité. Les savoirs et opérations se sont élaborés au
gré des espaces d’initiatives et d’interactions selon des itinéraires personnels empreints de
ruptures, d’anticipations et de réorganisations peu apparentés à une progression linéaire
à petits pas. Il nous reste à relever les dimensions constitutives de l’hétérogénéité et leur
éventuel traitement en parcourant les étapes successives du projet.
28 Toutefois, c’est bien lui qui a décidé de poser la question sur la réécriture le vendredi 14
dans un souci d’anticipation car une brève discussion informelle sur le sujet s’est déroulée
la première semaine du projet. En revanche, l’enseignant souhaitait axer la discussion du
lundi 17 (9 h 10 – 10 h) sur les différents « moments » du conte mais les échanges ont
plutôt porté sur les personnages. Voici deux des questions que se sont alors posés les
élèves : La sorcière est-elle toujours méchante ? Le héros intervient-il toujours au même moment
dans le conte ? De cette discussion a émergé très peu de repères écrits. Le bilan a consisté à
poser qu’on n’est pas « obligé » d’imaginer un personnage type (par exemple, le prince
comme héros) et qu’on n’est pas « obligé » de faire intervenir les personnages à un
moment précis du conte.
29 Cette discussion a-t-elle eu une fonction d’exploration en initiant pour la première fois à
un questionnement très ouvert ? A-t-elle sensibilisé les élèves à l’utilité de repères
communs pour faire oeuvre personnelle ? Par ce jeu de questionnement, c’est la fonction
médiatrice du critère, en tant que signe langagier, qui peut commencer à se déployer
17
(Deleau, 1989, 34). Les critères sont façonnés pour les besoins de l’activité collective en
rendant possible l’accord sur les buts de la tâche et une mise en convergence des
représentations, au moins sur les caractères spécifiques du genre. Simultanément, ces
critères constituent un moyen de s’influencer soi-même, d’orienter sa propre conduite.
30 De fait, les formalisations très lacunaires des outils des trois premiers jours tendent à
prouver que l’activité collective de questionnement et d’échange a été plus importante
que le résultat lui-même concrétisé par les outils. On peut même considérer que la
création d’une véritable situation discursive (Brassard, 1989), constituait l’objectif des
premières situations différées des lundi et mardi (SD n° 4 et n° 7). C’est-à-dire que les
élèves ont commencé à apprendre à s’instituer en tant qu’interlocuteurs en désignant des
objets de pensée communs, des critères. Même s’ils se sont effectivement investis dans les
échanges des deux S.D., il n’est pas du tout certain que les élèves aient perçu alors
l’intérêt de ces temps de verbalisation, d’exploration et de négociation des premières
significations communes. Comment les élèves vont-ils se construire des représentations
plus adaptées d’eux-mêmes en tant qu’interlocuteurs lors de ces situations différées
censées les aider à se piloter dans la complexité de l’activité d’écriture ? Les situations
différées suivantes devaient contribuer à construire cette clarté cognitive relative au
dispositif et permettre aux élèves de prendre part aux décisions d’organisation grace à
une meilleure connaissance de ses rouages.
Exploiter l’hétérogénéité des représentations sur la trame narrative pour élaborer un outil
plus complexe
33 Parmi ces propositions, on peut notamment lire ceci : Début/milieu/fin (Nicolas) ; Début/
malheur/ça finit bien (Marie) ; Tout le monde vit heureux/les méchants interviennent/les héros
sauvent le monde (Josquin) ; il était une fois/il se passe quelque chose/à la fin, ça se termine bien
(Daouhia). Ces 15 élèves reprenaient la tripartition qui s’esquissait dans l’outil n° 1
résultant de la discussion du vendredi 14 en réponse à la question « Qu’est-ce qu’un
conte ? ». Cet outil est constitué de l’ensemble des réponses des élèves. Les apports de la
18
majorité des élèves (15 sur 19 qui ont argumenté une position) n’ouvraient donc pas à
l’éventualité d’une formalisation plus complexe de la trame. Pourtant, Cynthia et Julien
avaient un tout autre point de vue. Pour Cynthia, il y a 6 parties et Julien estime qu’on ne
peut pas les compter.
34 Cynthia : Il y a six parties : « Titre/il y avait une fois/présentation des personnage/problème/
problème résolu/ils vécurent heureux ».
35 Julien : Il peut y avoir des contes qui ne finissent jamais alors les parties on ne peut pas les
compter : « Titre/il était une fois/le méchant crée le problème/le problème est résolu/le méchant
reçoit une correction/ils eurent beaucoup d’enfants ». (Ces points de vue seront-ils adoptés par
le groupe ?)
36 A la fin de ce temps de rédaction individuelle (lundi 16 h – 16 h 20), les élèves ne
connaissent pas leur points de vue respectifs, bien sûr. La situation différée du lendemain
sur la base de ces écrits (7 – SD – 9 h 00 – 9 h 45), a débouché sur une idée très floue de la
structure du conte (outil n° 2 : Il y a une présentation et 2 à 6 parties). Au moins la discussion
avait-elle permis de questionner la configuration en trois parties, majoritaire jusque-là.
Ce n’est que le vendredi suivant que l’outil n° 6 a intégré les apports de Julien et Cynthia.
Il constituait un saut qualitatif important dans la mesure où la trame était dorénavant
formalisée comme se nouant et se dénouant autour d’un problème (présentation,
complication, essai de résolution, résolution) et non plus selon une scansion temporelle
(début/milieu/fin).
37 Les élèves avaient-ils conscience de se constituer une base d’orientation en vue de
l’écriture du premier jet avec l’élaboration de ces outils ? Quels intérêts percevaient-ils à
cette collaboration ? Pressentaient-ils, à ce moment précis, qu’ils s’engageaient dans un
travail récursif de planification/révision qui allait se poursuivre tout au long du
processus d’écriture ?
38 Ces deux jours ont été détachés comme une étape du projet car ils constituent un temps
de retour à soi pour la préparation du premier jet et sa rédaction.
• Lundi 24 octobre
15 – S.D. – 9 h – 9 h l5 – Discussion collective pour déterminer les éléments
nécessaires à la création du conte (élaboration de l’outil n° 7).
16 – S.F. – 9 h 15 – 10 h 00 – Recherche individuelle pour choisir les personnages…
17 – Etude dirigée – 16 h 00 – 16 h 20 – Lire et analyser individuellement le conte
« Belle si belle aux yeux tristes ».
• Mardi 25 octobre
18 – S.F. – 8 h 40 – 10 h 00 et 10 h 30 – 11 h 30 – Rédaction du conte.
39 La discussion du lundi a abouti à l’outil n° 7. Pour inventer leur conte, les élèves
estimèrent avoir besoin des fiches de réflexion sur le conte : les personnages, la ligne du conte,
qu’est-ce qu’un conte ? Ils ont besoin aussi d’imagination, d’idées et de courage ainsi que du
dictionnaire et du Bescherelle. La construction de la compétence scripturale nécessitant « le
pilotage de l’activité complexe planifiée » (Brassart, 1991, 94), l’enseignant avait choisi, au
lieu d’entrer d’emblée dans la rédaction du premier jet, de sensibiliser les élèves à une
approche plus contrôlée du processus de planification de haut niveau. Ce processus peut
certes s’éprouver voire se découvrir et s’approfondir de manière récursive par un
recadrage des buts, par des représentations plus affinées, des opérations durant la
19
réécriture même, mais cela risque d’être très coûteux en termes de transformations à
opérer alors. Ceci dit quels sont les élèves qui utiliseront les outils avec ce souci
d’organisation anticipée ?
40 Les écrits de préparation de onze élèves ont pu être observés (16 – S.F.). L’outil n° 5
(définition des rôles des personnages) est utilisé par les onze élèves qui ont adopté les
mentions de l’outil (héros, méchant…). L’outil n° 6 (ligne du conte) est explicitement
utilisé par quatre élèves seulement. De Josquin qui présente brièvement les personnages à
Nathan qui annonce également le problème inséré dans une trame développée, il s’avère
que recruter le personnel du conte a constitué la tâche prioritaire.
41 Ces quarante-cinq minutes ont indéniablement exercé une fonction d’anticipation. Ceci se
vérifie tant pour le choix des personnages que pour la prévision globale de déroulement
du texte, à la lecture du premier jet. Les personnages et rôles préalablement sélectionnés
par Josquin, Sylvana, Maxime, Nathan et Nicolas sont effectivement repris dans leur
première version. Marie a remplacé un personnage principal (Père Noël/magicien). Anne,
Cynthia et Gérald ont renoncé aux personnages secondaires. Céline a ajouté deux
personnages secondaires, tout comme Alexis (magicien, vipère). Les propositions de
Nathan (ligne du conte en six parties) et de Nicolas (résumé) sont fidèlement suivies pour
la trame du premier jet.
42 Les différences entre élèves constatées dans l’utilisation des outils appellent-elles un
traitement spécifique ? C’est quasiment le premier moment où les élèves sont amenés à
mobiliser et combiner les outils pour une tâche d’écriture. Sans doute conviendrait-il
d’amener les élèves à percevoir la diversité des positionnements des uns et des autres,
dans le rapport entre l’écrit de planification du 24 octobre et le premier jet du 25 octobre,
en étude dirigée par exemple. Cela n’a pas été fait à ce moment du projet. Il est sans doute
difficile de faire plus car il ne s’agit pas d’imposer l’outil et d’induire un rapport normatif
mais de permettre à l’élève de construire peu à peu son propre rapport à l’outil. Par
exemple, il pourra accepter ou refuser de questionner son texte avec certains critères
parce qu’il (n’) en voit (pas) l’intérêt. Il pourra aussi reformuler d’autres critères.
L’enseignant, au moment même où il perçoit ces différences, ne peut certifier que telle
procédure pour tel élève sera plus efficace qu’une autre. Il convient de laisser aussi aux
élèves le temps de s’impliquer dans leur activité.
43 D’ailleurs, son action est moins centrée sur la certitude de l’efficacité que sur celle, plus
incertaine, de la construction du sens et de la prise de responsabilité par l’élève. A ce
moment du projet, il s’agit en effet de permettre aux élèves d’oser leurs choix, de
s’engager résolument dans l’activité, certes accompagnés de l’enseignant mais sans que
celui-ci ne puisse en contrôler toutes les étapes ni en déclencher mécaniquement le
déroulement. Ce sont les tâtonnements et les élans de l’élève qui vont prendre possession
de l’espace/temps qui s’ouvre à la création.
44 Au moment même où le maître accepte de ne pas décider (il ne se laisse pas aller à la
tentation de « maîtriser » ou il parvient à lutter contre l’anxiété de ne pas « maîtriser »), à
ce moment-là, l’élève peut apprendre à décider, à choisir. La situation, parce qu’elle est
conçue dans sa globalité et échappe au conditionnement linéaire, parce qu’elle est offerte à
l’activité personnelle imprévisible et invisible de l’apprenant, représente une sorte de « déprise » du
pouvoir du formateur qui permet au sujet de prendre lui-même le pouvoir sur son apprentissage
(Meirieu, 1995, 226). Cette conception me semble tout aussi ajustée pour l’accueil des
premiers jets qui est typiquement un temps fort d’émergence d’hétérogénéité.
20
45 Deux heures de l’emploi du temps avait été dégagées. Les élèves ont rédigé leur texte sur
le « cahier de réécriture » dénommé ainsi parce qu’il recueille les tentatives successives
d’écriture pour chaque projet. En moyenne, les premières versions ont été rédigées en 65
minutes. Mais cette moyenne masque des écarts très importants : 30mn = 1 élève ;
– 45mn = 2 ; – 60mn = 9 ; – 75mn = 2 ; – 90mn = 5 ; – 105mn 2 ; + 120mn = 1). Ces différences
très marquées pourraient constituer un véritable obstacle dans une organisation qui n’est
pas conçue pour permettre le déploiement de l’activité de l’élève. Probablement, ces
nécessaires différences n’apparaîtraient même pas si on proposait aux élèves d’écrire en
trente minutes et deux pages maximum par exemple. L’hétérogénéité dans la gestion du
temps pour la création du texte constitue un premier élément qui semble prouver que les
élèves se sont emparés de l’espace d’initiatives qui leur était proposé. Les élèves ont
rédigé leur texte le mardi 25 octobre, entre 9 h et 11 h 30. Le soir, ils étaient en vacances
et leurs textes sont restés en classe. Ils les ont retrouvés le 7 novembre.
46 Voici les premiers jets de Philippe (440 mots) et d’Alexis (148 mots) qui donnent un
aperçu de l’hétérogénéité des productions (23 écrits entre 148 et 575 mots, moyenne de
327 mots). Le texte de cette première version a été fidèlement retranscrit tel qu’il est
rédigé dans le cahier de l’élève (titre souligné, passage à la ligne, changement de page
signalé par – – –, ponctuation, orthographe).
Première version de Philippe
Noël, le jour du Père Noël.
La veille de Noël, tout le monde prépare le dîner, dans un
tout petit village, dans une petite maisonnette, les parents
été entrain de faire des cartons d’invitation et les petits
enfant fabriqué de jouet en carton puis de beaux
dessin enbalets dans du papier cadeau, quand ils eurent
finit, ils allèrent au sapin que papa avait coupé dans
le bois. Ils prennaient les paquets plennes de guirlandes
et les jettèrent sur le grande sapin de Noël, mais ils
remarquèrent qui manquait quelques chose.)
un enfant s’écria :
« oui ils manquent les boules qui vont avec les guirlandes ».
un autre dit :
« allons les chercher au magasin, ces boules de toutes
les couleur »
« bonne idée » dit le premier.
——-
——-
——-
——-
52 Pour donner un aperçu de la diversité des 23 productions, on peut les envisager sous les
points de vue de la trame narrative et de l’univers fictionnel.
53 Concernant la trame narrative, les productions peuvent être classées en trois catégories.
La première catégorie de trame (5 textes) présente un enchaînement d’actions explicite
mais dont la dynamique ne s’articule pas clairement autour d’une quête réelle ou d’un
problème à résoudre. La deuxième catégorie de trame (10 textes) présente des textes plus
clairement construits à partir de la manifestation d’un déséquilibre et de la recherche
d’un nouvel équilibre. Mais on ne retrouve pas tous les éléments de la configuration
attendue pour le conte (absence de situation finale, résolution trop vite amorcée…). Ce
qui caractérise les textes de la troisième catégorie de trame (5 textes) c’est la présence du
problème, du chemin vers sa résolution aboutissant à une situation finale en lien avec la
situation initiale.
54 Trois catégories également d’univers fictionnels. Dans la première catégorie, les textes
relatent le « vécu quotidien » de l’enfant et de l’adulte à la maison ou de l’élève en classe
sans référence au merveilleux (2 textes). La deuxième catégorie de textes intègre des
éléments merveilleux (personnages ou objets) désignés comme tels (fée, dragon, baguette,
potion) mais sans que les fonctions du merveilleux opèrent pour autant dans un univers
souvent encore très déterminé par le « réel quotidien » de l’élève (14 textes). Enfin, les
textes de la troisième catégorie mettent en scène des pouvoirs merveilleux sans
nécessairement la présence de personnages typiquement merveilleux. L’univers est
installé du début à la fin sans intrusion d’éléments hétérogènes (7 textes).
55 En combinant les deux entrées, on observe que quatre textes sur vingt-trois seulement
relèvent des troisièmes catégories de trame et d’univers merveilleux, répondant ainsi aux
critères du genre conte merveilleux. Ceci relativise la portée des outils et du travail de
critériation (et donc de sélection et de hiérarchisation) commencé avant l’écriture. Mais
l’enseignant ne se faisait pas d’illusion sur le « réinvestissement » attendu des élèves pour
le premier acte d’écriture. C’est surtout dans l’analyse de ce premier jet que sont attendus
les effets de l’élaboration des critères ne serait-ce que dans la prise de conscience de la
nécessité du recours aux outils. De ce point de vue, si la catégorisation des trames
narratives et des univers fictionnels des premiers jets montre l’hétérogénéité des
productions, c’est aussi et surtout le regard que l’élève porte sur son texte que
l’enseignant a tenté d’apprécier progressivement les jours suivants. Quels sont les élèves
(in-) consciemment démunis et les élèves (in-) consciemment munis sur quelles
composantes du texte ? Il n’est pas indifférent pour l’enseignant d’observer que pour
deux productions présentant des déficiences assez semblables l’un des deux auteurs soit
capable de désigner et solutionner un dysfonctionnement majeur quand le second s’en
révèle (momentanément ?) incapable. Si l’enjeu du dispositif didactique est bien de faire
construire des compétences et pas seulement de rassembler 23 productions dans un
recueil, il vise alors aussi le guidage de la construction des représentations (Dabène, 1991, 7).
Durant les périodes suivantes, il s’agissait précisément de faire évoluer les productions
par la transformation du premier jet et de faire évoluer les représentations par la
modification des critères. C’est conjointement la réécriture du premier jet et des critères
qui allaient être entrepris : agir pour savoir et savoir pour agir.
24
56 Après les vacances, le lundi 7 novembre, Philippe et Alexis comme tous leurs camarades
ont retrouvé leur texte, soit 13 jours plus tard. Ils se sont réinvestis dans cette aventure
collective et ce parcours individuel de lecture et de réécriture de 5 semaines. Quel regard
ont-ils porté sur leur texte ? Comment le dispositif les a-t-il amenés à envisager leur texte
comme un objet questionnable ?
57 Comment aider les élèves à reprendre leur texte et à se saisir des outils déjà construits
pour le questionner ? Comment les aider à discerner les réussites et les problèmes ? Il
revient sans doute à l’enseignant de repérer lui-même les réussites et problèmes à traiter
prioritairement, mais pour autant lui faut-il intervenir sur le texte de l’élève ? Si la
réponse est oui, doit-il le faire en présence ou en l’absence de l’élève ? Doit-il « corriger
les copies » et les « rendre » aux élèves ?
58 Si c’est bien par le jeu des multiples interactions que l’élève peut devenir compétent, en
passant peu à peu d’une pratique conjointe des régulations à leur mise en oeuvre
progressivement plus autonome en situation d’écriture et de réécriture, alors
l’accompagnement de l’enseignant ne peut plus s’inscrire dans le seul rapport au texte de
l’élève. C’est plutôt dans la perspective de l’évolution du rapport des élèves au texte et à
l’écriture que ceux-ci peuvent être accompagnés. Ce qui est en jeu, c’est la mutation des
rôles de l’enseignant vers des conduites de médiation. Concrètement, dans la perspective
de la réécriture et de l’apprentissage de la révision, comment aider l’enseignant à ne pas
intervenir… en laissant la possibilité aux élèves d’interagir ? La seconde dimension de la
construction solidaire de l’autonomie peut alors s’instaurer. La première fut l’élaboration
conjointe des critères commencée avant le premier jet et qui va se poursuivre lors des
premiers temps de la réécriture (troisième période et quatrième période). La deuxième
dimension prend maintenant la forme de travail en binômes et en trinômes pour
questionner les textes avec l’appui des outils critériés.
• Lundi 7 novembre
19 – S.F. – 8 h 30 – 8 h 45 – Retour sur les enjeux du projet.
20 – S.F. – 8 h 45 – 8 h 55 – Lecture individuelle de la première version.
21 – S.D. – 8 h 55 – 9 h – Echange d’impression sur la lecture.
22 – S.F. – 9 h 15 – 9 h 45 – Evaluation mutuelle des premières versions en trinômes.
23 – S.D. – 9 h 45 – 10 h – Bilan collectif sur les échanges en trinômes.
• Mardi 8 novembre
24 – 8 h 35 – 9 h 05 – Evaluation mutuelle en trinômes (suite).
25 – S.D. – 9 h 05 – 9 h 20 – Suite du bilan. Relevé des constats de
dysfonctionnements (élaboration de l’outil n° 8).
26 – S. St. – 9 h 20 – 10 h 00 – Critique du conte de Julien.
27 – S. St. – 15 h 10 – 15 h 40 – Critique du conte de Jérôme.
• Jeudi 10 novembre
28 – S.D. – 8 h 40 – 9 h 05 – Reformulation des constats de dysfonctionnements
énoncés le 8/1 1 (S.D. 25) en conseils pour écrire.
29 – S.F. – 9 h 05 – 9 h 15 – Travail individuel écrit pour distinguer les constats de
l’outil n° 8.
30 – S.D. – 9 h 15 – 9 h 30 – Discussion sur la manière d’aborder la réécriture ;
25
60 Durant la situation fonctionnelle n° 22, les élèves se sont retrouvés en trinômes. Chaque
élève du groupe a lu le conte des deux autres élèves. Après la lecture, un tableau en trois
colonnes est complété et remis à l’auteur du texte. Le lecteur est incité à poser par écrit
« ce qui va », « ce qui ne va pas », et « ce qui pourrait être amélioré dans le texte ». Avant
de nous interroger sur la portée de ces remarques critiques pour le guidage de la
réécriture, notons que les 113 propositions rédigées par les élèves se répartissent comme
suit :
• trame narrative : 31 (10/14/7) (ce qui va/ce qui ne va pas/à améliorer)
• personnages : 26 (3/10/1 3)
• fiction : 24 (11/7/6)
• titre : 17 (5/6/6)
• ponctuation : 6 (0/5/1)
• orthographe : 6 (0/5/1)
• problème 5 (2/1/2)
• dialogues 4 (0/2/2)
• graphie : 4 (0/1/3)
61 Soixante-seize pour cent des remarques évaluatives des élèves désignent des aspects
discursifs (trame narrative, problème narratif, personnages). Inversement, 10 % des
remarques renvoient aux aspects orthographiques et à la ponctuation. Faut-il y déceler
une conséquence significative de l’attention conjointe exercée sur les dimensions
textuelles lors des discussions collectives et inscrites dans les outils ? Sans doute, même
s’il convient de préciser que les élèves se situent, à ce moment de la démarche, dans une
phase de signalisation des éléments à travailler et qu’il convient pour eux d’approfondir
la signification des propositions apportées. En effet, les catégories « trame narrative » et
« fiction », notamment, sont très ouvertes dans ce classement. La catégorie « trame
narrative », par exemple, intègre des remarques aussi évasives que début, ça suit bien,
préciser les choses au milieu ou des remarques plus générales comme remanier l’histoire et se
relire, rallonger le texte ou des remarques très spécifiques dire comment la princesse tua le
dragon, donner un nom à la sorcière et au loup. Soit dit en passant, si certains élèves ont
rédigé des observations qui relèvent de l’outil n° 6 sur la trame narrative d’autres ont
repris des énoncés plus réducteurs des outils antécédents, montrant par là leur faible
appropriation des derniers critères plus complexes sur la « ligne du conte ».
62 Même si ces remarques écrites constituent un appui pour un échange oral entre les élèves
et peuvent donc être rédigées avec concision, il reste que le souci de désigner les
problèmes de manière précise est donc très diversement partagé selon les énoncés. La
26
proposition trouve d’autres noms de personnages est plus utile pour l’auteur que celle qui
mentionne des personnages dans la colonne du tableau intitulé « ce qui est à améliorer ».
Idem pour on ne sait pas où vit la sorcière et Mère Noël, ça ne va pas dans la colonne « ce qui ne
va pas ».
63 Lors du bilan collectif engagé sur les intérêts des échanges en trinômes (S.D. n° 23), des
élèves relèveront ces approximations. Charlotte ne comprend pas ce que Gérald désigne
comme un problème sans l’expliciter et sans apporter de solution (le perroquet, ça ne va pas
mais on ne sait pas pourquoi). Anne estime qu’Alexis lui a posé des questions qui ne le font
pas avancer dans le conte. Stéphane avance que les critiques qu’il a apportées à Maxime
au sujet de l’orthographe ne vont pas beaucoup l’aider. D’ailleurs, pour cette première
séance de travail en trinôme, il ressort que les apports résultent plutôt des lectures
différentes des deux autres élèves que des échanges. Charlotte, grâce à la lecture du conte
de Cynthia, dit avoir découvert que les paroles de personnages se disposent en passant à la
ligne. Cynthia a envie d’améliorer son conte après la lecture des descriptions des personnages
et des lieux du conte d’Anne.
64 De fait, dans les trinômes, les apports entre élèves furent très inégaux. Philippe qui fut
l’un des six élèves interviewés à cinq reprises pendant le projet estima ne pas avoir été
aidé durant les deux temps d’échange en trinômes. L’analyse des propositions des trois
élèves permet de valider son opinion. Ce qui est visé c’est autant le développement de
l’attitude de questionnement que la proposition d’une solution immédiate. Cette attitude
pourra être développée au fil des prochains échanges en trinômes (période 5) et leur
fonctionnement sera interrogé lors des situations différées adjacentes.
65 Certaines des remarques évaluatives rédigées seront énoncées oralement par leurs
auteurs lors des S.D.23 et 25 et retenues comme critères : ce n’est pas un conte parce que
l’auteur se met dans l’histoire (ex : je crois même que la maman), il manque la phrase finale, il ne
faut pas mettre la date et les jours). La deuxième séance de travail en trinôme (S.F. 24) a
permis de poursuivre les lectures et échanges entamés. Lui a succédé un second bilan
(S.D. 25) qui a débouché sur la production de l’outil n° 8.
Outil n° 8
Lecture du conte des autres
Cela m’a aidé à voir l’importance de ces points.
- mise en place du dialogue
- description des images
- donner des détails (personnage, histoire)
- remplacer le verbe "dire"
- la ponctuation
- dire ce que deviennent les personnages
- l’auteur n’est pas dans le texte
66 Ces énoncés sont des constats de dysfonctionnements qui indiquent ce qui doit sans doute
être travaillé dans la plupart des textes. Cependant en l’état de leur formulation, ils sont
trop peu précis pour contribuer à résoudre les problèmes d’écriture. Ils ont donc été
repris et reformulés lors des S.D. suivantes. Trois énoncés ont déjà fait l’objet d’une
discussion plus approfondie lors de cette S.D. 25 (ponctuation, disparition des
personnages, phrase finale). A l’issue de cette situation différée, les élèves ont sans doute
éprouvé pour la première fois que les « critiques » des autres seraient une des
composantes du projet. Pour réaliser le recueil de contes, pour rédiger son propre conte,
on ne sera pas seul.
67 En proposant à la classe un retour sur l’échange, l’enseignant a indiqué, en substance, que
les élèves :
• avaient écouté les critiques des autres, les avaient admises et cela leur a donné envie de se
servir des conseils pour réécrire leur conte ;
• avaient écouté les critiques des autres et les avaient contestées. Il a été proposé que les
élèves qui étaient dans ce cas de figure se rencontrent et essaient de se comprendre (c’est le
cas de Stéphane, Gérald et Maxime). Si l’accord ne se fait pas, on peut soumettre le problème
à la classe (c’est le cas du texte de Julien qui sera étudié par tous lors de la S. St. 26).
68 En somme, les analyses engagées à partir des lectures de contes publiés avant l’écriture
du premier jet, se sont poursuivies à partir des propres écrits des élèves. Les situations
différées ont permis le déploiement de l’espace discursif à partir de l’analyse des premiers
jets cette fois. Elles ont aussi initié corrélativement une approche plus précise des sous-
tâches d’écriture par les énoncés de l’outil n° 8. Un certain nombre de sous-tâches ne se
découvrent qu’en avançant et ne peuvent être anticipées avant l’écriture au risque d’être
imposées formellement aux élèves. En cela, la finalisation d’ensemble de l’activité
d’écriture (expliciter initialement le statut de l’écrit, permettre une représentation de
l’écrit appuyée sur des savoirs déjà constitués) s’est accompagnée alors d’une finalisation
déglobalisée des tâches. Réécrire, c’est respecter des contraintes qu’on découvre aussi en
avançant et faire des choix :
« On ne peut se contenter de rendre le texte de plus en plus conforme à une
représentation fixée au début, il est indispensable de gérer les modifications
intervenues dans cette représentation ; des points se sont affinés, d’autres sont
apparus, etc. Les choix à faire, plus limités et plus techniques, sont ceux qui
donnent sens à la réécriture »
(Séguy, 1994, 24).)
sur tel point précis, continuer à évoquer plusieurs thèmes…). Finalement, les élèves se
sont prononcés individuellement et par écrit vis à vis de chacun des constats de l’outil n
° 8 dans la perspective des décisions de réécriture. La S.D. n° 29 fut un échange sur les
stratégies pour réécrire : reprendre tout le texte ou reprendre certains aspects ? Ecrire
une seconde version du texte initial ou rédiger un autre texte ?
70 Si Marie hésite à reprendre la totalité du texte ou des passages grâce aux critiques
apportées par Nathan et Jérôme, il semble au contraire que la majorité des élèves qui se
sont exprimés choisissent de tout réécrire du début à la fin mais pour des raisons
différentes. Charlotte veut rectifier dans chaque partie. Anne veut réécrire parce qu’il y a
beaucoup de fautes d’orthographe et qu’on ne comprend pas vraiment bien. Nicolas veut
« reprendre pareil mais avec des dialogues ». Gérald veut faire parler les personnages à la
ligne et veut dire ce que deviennent les personnages. Julien annonce qu’il va reprendre un
peu des passages notamment grâce aux apports de Josquin qui a dit que des choses n’allaient
pas. De manière un peu lapidaire, on peut ainsi relever que ces élèves ne semblent pas
effrayés par la tâche de réécriture et qu’ils s’appuient sur des critères énoncés pour
exprimer leurs décisions. Tous les élèves ont débuté en même temps cette seconde
version. Par la suite les réécritures successives s’effectueront selon des parcours
singuliers. Les versions suivantes ne débuteront plus au même moment pour tous les
élèves.
71 En commençant à rédiger leurs remarques dans les trois colonnes du tableau, il est peu
probable que les élèves aient pris conscience qu’ils s’engageaient dans un processus
d’aide qui irait en s’amplifiant dans les semaines suivantes. Aider l’élève à se
responsabiliser dans la prise en charge du pilotage dans l’activité d’écriture ne se limitait
pas à prendre des initiatives pour transformer le texte. Cela consistait aussi à prendre des
initiatives pour s’insérer dans le tissu d’interactions. Au fil des semaines suivantes, il
s’agissait d’initiatives pour former les binômes/trinômes en S.F., solliciter une aide ou en
apporter, énoncer une procédure ou un problème en S.D., proposer l’étude (d’une partie)
de son texte en S. St. L’un des enjeux primordiaux du dispositif, c’est d’encourager l’élève
à essayer dans l’activité conjointe, des conduites de questionnement (détection/
diagnostic/résolution de problème) qu’il va tenter seul parallèlement. En relation avec les
quatre voies de développement de la compétence énoncées au début de l’article, il
convient en effet de préciser avec Elisabeth Nonnon (1992, 53) que :
« au-delà d’un « effet » cognitif direct qui se manifesterait à travers la
confrontation, dans une interaction donnée, lors d’une situation d’apprentissage
privilégiée, c’est plutôt à la faveur d’un tissu d’interactions fréquentes, à la fois
diverses et redondantes, que se construiraient, de façon médiatisée et à long terme,
et qu’évolueraient, à l’intérieur du groupe, attitudes, schèmes cognitifs et valeurs ».
72 Cette proposition et la référence théorique au paradigme théorique de l’interactionnisme
social (Schneuwly, 1987) inspirent les interprétations qui seront portées sur l’alternance
de temps d’écriture individuel et de confrontations entre pairs lors des trois périodes
suivantes.
73 Durant six jours effectifs de classe, les élèves se sont attelés à deux tâches
interdépendantes. Une tâche à dominante individuelle a consisté à rédiger la seconde
29
version pour tous et la troisième version, à son début, pour quelques uns (soient 5 S.F.,
3h30). Il y eut également l’explicitation en collectif des constats de dysfonctionnements
relevés le 8 novembre (cf. outil n° 8) à transformer en conseils pour réécrire (soient 5 S.D.,
2h50). Par exemple, le lundi 14 novembre, deux constats ont été repris (S.D. n° 33),
« disparition d’un personnage » et « oubli d’un passage ». Ce second constat a été transformé
en deux conseils : « il faut se mettre l’histoire dans la tête pour ne pas oublier un passage », « il
faut prendre la ligne du conte pour ne pas oublier un passage ». Le mouvement oscillant entre
l’écriture individuelle et les tentatives de discernement en collectif au gré des trois types
de situations est inhérent à l’alternance interactive promue par le dispositif. C’est la
construction conjointe de l’espace discursif et de l’espace mental (Brossard, 1989) qui se
joue progressivement et à leur rythme pour les élèves. Il y eut, en outre, quatre situations
de structuration pour analyser le problème narratif du conte de Cynthia (S. St. n° 39),
pour analyser deux contes d’auteurs afin de caractériser le marquage textuel du dialogue
(S. St. n° 43 et 44), pour élaborer un outil de verbes introducteurs du dialogue (S. ST. n
° 46).
74 Durant cette période, l’hétérogénéité s’est affirmée dans les parcours d’écriture. La
grande diversité des parcours sera présentée lors de la sixième période. Après avoir
découvert leur premier jet, nous suivrons plus précisément l’évolution de Philippe et
d’Alexis durant ces trois dernières périodes.
75 On peut déjà observer, que Philippe a terminé sa deuxième version le 18 novembre et
qu’il commence alors sa troisième version. Le seul point commun entre le premier jet et
le second texte, c’est le titre. Ce nouveau récit propose une fiction ancrée dans un univers
merveilleux avec de nouveaux personnages : les souris, Julien et Juliette, le chat roux et la
chatte, un personnage à la fois petit garçon et sorcier. Il ne s’agit donc pas de
l’amélioration du premier texte mais de la composition d’un autre texte. Il est probable
qu’une réappropriation du projet ait amené Philippe à répondre de manière plus ajustée
aux buts assignés par le groupe lors des échanges collectifs. Ce second texte qui propose
une intrigue plus complexe est aussi plus long que le premier (440/706 mots). Philippe a
entrepris la rédaction d’un troisième jet en développant la situation initiale par une
description de l’endroit où vivent les deux souris notamment.
76 Alexis occupera toutes les S.F. de cette quatrième étape à rédiger un récit beaucoup plus
long (148/913 mots) qui accumule de très nombreuses péripéties, toujours sur le thème de
l’affrontement encore assez peu motivé entre le pauvre, prénommé Artur, et le riche. Le
texte est écrit toutes les lignes, ce qui donne un aspect peu aéré, très compact aux blocs
du texte. L’absence de ponctuation, une segmentation des mots hasardeuse et une
orthographe très déficiente ne facilitent pas la lecture du texte. Cependant le récit
apparaît beaucoup plus structuré que le premier jet, encadré par une situation initiale et
une situation finale. Les nombreux problèmes qui apparaissent sont trop vite résolus
grâce aux pouvoirs considérables d’un nouveau personnage, parmi d’autres, la boule de
cristal. Visiblement, Alexis a presque exclusivement porté ses efforts sur la fiction et la
construction du récit.
77 Ce sont les élèves qui décidaient eux-mêmes de l’opportunité d’entreprendre une
nouvelle version du texte. Par exemple, Cynthia a rédigé deux textes achevés (401 et 431
mots) et deux versions partielles (168 et 280 mots) pour le 22 novembre, dernier jour de
cette période. L’enseignant était l’un de leurs interlocuteurs. Ses interventions avaient
pour but de faciliter les prises de conscience du (des) problème (s), ce n’était pas des
injonctions portant en elles-mêmes la solution. D’ailleurs l’accompagnement de
30
l’enseignant ne s’inscrit pas seulement dans son rapport au texte de l’élève mais bien plus
dans le souci de l’évolution du rapport des élèves au texte, à la réécriture, aux outils, aux
pairs, au dispositif et à eux-mêmes.
78 Comme il ne s’agit pas de transformer le texte « à la place de » l’élève mais d’étayer sa
prise en charge de la responsabilité de l’activité et de l’aider au discernement des
dysfonctionnements, c’est dans l’attention portée à la façon dont l’élève s’efforce de faire
sens que peuvent s’inscrire les propositions de l’enseignant lors du dialogue avec l’élève.
Ainsi, la façon dont s’implique un élève dans l’énonciation des critères en grand groupe,
son utilisation des outils, sa capacité à solliciter les discussions en binômes, etc. sont,
parmi d’autres, des indices de la participation de l’enfant à la « communauté de
recherche » qui s’institue progressivement en faisant émerger un univers commun de
références, un ensemble de décisions partagées qui pourront s’intérioriser pour aider à la
prise de décisions plus autonomes.
79 L’enjeu du dialogue de l’enseignant avec l’élève est d’affermir le « dialogue » de l’élève
avec son texte, c’est-à-dire d’évoluer de certaines formes de régulations externes vers
l’autorégulation en interagissant dans la zone de proche développement. De ce point de
vue, les procédures de guidage de l’enseignant, « les interventions de l’adulte ne sont pas
que facilitatrices, mais elles ont un rôle constitutif » (Brossard, 1992, 194). Sur le
processus qui conduit des régulation externe à l’autorégulation, l’enseignant ne peut pas
intervenir de la même façon avec un élève qui n’a qu’une représentation très
fragmentaire de la tâche, qui ne peut intervenir sur son texte qu’accompagné par des
sollicitations qu’il cherche à comprendre peu à peu à l’intérieur d’un projet plus
personnel et avec un élève « qui se parle à lui-même, occupant les deux pôles de
l’interaction par les questions et les réponses qu’il s’apporte » (Brossard, 1992, 195).
80 Pour le second élève ayant déjà exploré les conduites d’autorégulation, une discussion sur
une identification/diagnostic du problème et des voies de réponses peut sans doute
suffire. Les références communes partagées mais aussi les capacités à reprendre pour soi,
afin de s’orienter, les termes de la discussion avec l’enseignant et à les prolonger au
moment d’opérer sur le texte peuvent permettre une exploitation fructueuse par l’élève.
Quant au premier élève, ce qui conviendrait, c’est plutôt un dialogue qui ouvre en amont
sur la relation tâche/contexte de production, sur les mobiles de l’élève pour l’activité afin
d’identifier des points d’appui communs de référence sur les représentations de la tâche
avant de porter la discussion sur le texte. Il reviendra sans doute à l’enseignant de rédiger
des questions et des propositions de réponses sur le cahier de l’élève en relation avec les
propositions émergeant de la discussion. L’élève pourra alors exploiter cet écrit co-rédigé
pour se construire sa proposition créative personnelle avant de retrouver à nouveau
l’enseignant ou un autre élève et poursuivre le travail de réécriture.
81 Les conseils pour réécrire élaborés lors des cinq situations différées de l’étape précédente
ont été rassemblés et présentés en trois fiches-outils. Pour cette cinquième étape, sur le
plan des critères, l’activité dominante n’est plus leur élaboration mais leur utilisation. Les
situations différées ont sensiblement changé de fonction puisqu’elles ont participé cette
fois à l’appropriation des critères pour des décisions d’écriture censées être plus lucides
et autonomes. Les processus interpersonnels contribuent à générer des processus intra-
31
traiter les erreurs d’orthographe. Deux S.F. ont enfin été réservées pour la lecture des
contes à voix haute devant la classe.
87 Philippe a terminé sa troisième version en recentrant l’intrigue sur les trois personnages
principaux après l’abandon du personnage garçon/sorcier. En gardant les éléments
essentiels de l’intrigue (situations initiale et finale, les souris piégées par le fromage, le
chat manipulé par le sorcier, la révolte du chat), Philippe a inséré de nombreuses scènes
et objets magiques ou les a déplacées en leur conférant parfois une autre fonction (la
bassine d’eau chaude : ébouillanter la chatte/fondre les clés). Finalement, du premier au
troisième état de texte, on constate de nettes améliorations pour certains des critères sur
des écrits à chaque fois significativement plus longs (440/706/1232 mots).
Progressivement, l’ancrage dans le registre du merveilleux s’est réalisé, l’intrigue s’est
complexifiée tout en devenant plus lisible et les relations entre personnages ont été
mieux définies. La troisième version montre donc l’ajout de nombreuses scènes,
l’insertion de paroles de personnages, l’emploi plus varié d’organisateurs, la
segmentation de phrases plus aboutie. La maîtrise des temps du récit est égale sur les
trois textes. C’est donc sur une distance à chaque fois plus longue que Philippe a réussi à
discerner et à combiner les critères forgés en classe, au gré de choix narratifs remis en
question à chaque version.
88 Alexis a réalisé une cinquième version. Avec le même titre, on retrouve Artur comme
personnage principal et l’opposition riche/pauvre mais cette fois-ci clairement justifiée à
partir des enjeux familiaux. En ne reprenant que quelques fils narratifs de la très longue
et peu maîtrisée deuxième version, Alexis s’est attelé à une restructuration réussie en
faisant émerger un contexte permettant de finaliser de manière crédible la quête d’Artur
avec l’intervention déterminante du père à trois reprises. Au fil des cinq versions, Alexis a
su transformer un « récit accéléré » en un conte dans lequel s’inscrivent des paroles de
personnages très fonctionnelles (discussion père-fils pour retourner à la mine,
affrontement père-riches avant la situation finale). Malgré une orthographe très peu
maîtrisée qui n’a été travaillée que dans les deux dernières versions, Alexis ne s’est pas
privé d’investir centralement la construction d’un univers fictionnel et les relations entre
personnages dans une intrigue finalement structurée. Il a conservé les éléments clés de
l’organisation de départ mais en innovant sur les lieux (la maison familiale, la mine, le
village) et les actants (le père, le monsieur qui embauche, la tasse) durant le dernier jet et
en supprimant le personnage de la boule qui disposait de trop de pouvoirs. En revanche,
on constate peu de progrès, malgré quelques tentatives, pour la disposition
conventionnelle des dialogues et la disposition en paragraphes.
89 Au début de cet article, j’avais proposé que ce n’était pas tant l’évaluation des savoirs à
l’issue des séances de structuration qui allait être observée au titre de l’hétérogénéité –
même si ce n’est pas négligeable bien sûr – que leur utilisation pour parvenir à solutionner
les problèmes d’écriture à tous niveaux. Cette option permet de situer un rapport
d’hétérogénéité sur le plan de la compétence, c’est-à-dire en référence au savoir mobiliser
et combiner des savoirs et opérations pour identifier/résoudre les problèmes inhérents à la
réalisation de la tâche complexe. Que pouvons-nous observer dans les parcours de
Philippe et Alexis ?
90 Philippe et Alexis1 ont tous deux pris des risques pour transformer considérablement leur
texte. Toutefois, Philippe a investi pratiquement toutes les notions construites en séance
de structuration et donc tous les critères façonnés en classe pour opérer les
transformations en trois versions quand Alexis ne pouvait manipuler que les critères
33
95 Ces constats permettent de confirmer que les élèves ont opéré de nombreuses relectures
en cours d’écriture privilégiant divers aspects du texte et que réécrire, ne fut pas
nécessairement tout réécrire.
96 Pour rendre lisible la communication du cheminement de chaque élève, la présentation a
été organisée à partir de trois entrées suggérées par les remarques précédentes : la
clarification des enjeux, l’expansion narrative et la reprise au gré des réécritures d’une
même histoire ou de plusieurs histoires différentes. La clarification des enjeux concerne
essentiellement les motivations trop implicitées des personnages qui gênent la
compréhension du récit. Par expansion narrative, on peut entendre les scènes remaniées,
expansées de micro-séquences descriptives ou dialoguées et aussi la création de nouvelles
scènes, la transformation de sommaires en scènes, l’apparition de nouveaux personnages.
Dix-sept élèves ont gardé la même histoire (cinq catégories) au fil des versions et quatre
ont changé d’histoire (trois catégories).
• Même histoire de la première à la dernière version
97 1 – Enjeux très peu clarifiés, pas d’expansion narrative, traitement des contraintes de bas
niveau essentiellement.
P. (4) (II/2 →II/2) ; S. (9/5) (II/2 →II/2) ; X. (3) (II/2 →II/2).
98 Les chiffres, parenthèses et flèches signifient ceci, pour S., par exemple : S. a rédigé neuf
versions dont cinq partielles. Le premier jet se situait dans la catégorie II de l’univers
fictionnel et dans la configuration 2 de la trame narrative (cf. explication des catégories
de trame et d’univers fictionnel présentés lors de la troisième étape du projet). Idem pour
la dernière version (II/2).
99 2 – Enjeux peu clarifiés, expansion narrative.
J.P. (9/5) (II/2 →II/2).
100 3 – Enjeux clarifiés, remaniement de scènes, pas d’expansion narrative.
A.(9/2) (II/3 →II/3) ; N. (4) (II/3 →II/3).
101 4 – Enjeux clarifiés, expansion narrative.
102 a) –Expansion combinée dès TV2 (deuxième jet de la même histoire).
J. (3/1) (III/3 →III/3) ; J. (2) (III/3 →III/3).
103 b) – Expansion étalée au fil des versions depuis TV2.
D. (8/1) (III/2 →III/3) ; C. (3) (II/2 →II/2)
Cy. (9/3) (III/2 →III/3) ; Sy. (9/4) (III/2 →II/2).
104 c) – Expansion étalée à partir de TVn.
An., TV6, (10/2) (II/2 →III/2); Ni., TV6, (11/5) (II/2 →II/2)
105 5. – Enjeux clarifiés, expansion puis recentrage.
J.V. (7/1) (III/2 →III/3) ; Au. (7/2) (II/2 →II/3) ; AI. (5/2) (II/1 →III/3).
106 Pour comprendre ce type de parcours, prenons l’exemple de celui de J.V. Les versions 2, 3
et 4 clarifient l’histoire du premier jet qui comportait trop d’implicites. La version 5
constitue une tentative de complexification très foisonnante que la version partielle
suivante semble à nouveau réduire. La version 7 allège le récit de la version 5 avec le
traitement des erreurs d’orthographe et de la ponctuation.
• Histoires différentes – T1 puis T2
107 1 – Expansion combinée.
P.D. (3) (1/1 →III/3).
36
« - Si vous avez huit ou neuf ans, il faut avoir des aides. Par exemple, la ligne du
conte… d’abord trouver l’ambiance, quelques personnages, présenter le problème…
après on doit essayer de résoudre le problème… pour faire un conte il faut trouver
la fin du conte
- Tu penses qu’il faut d’abord connaître la fin du conte ?
- Ca aide oui. »
117 De fait, l’élan créatif de la première version a sans doute dépassé les éventuels calculs
anticipateurs de la construction du récit. Il s’avère alors que l’enseignement de la
planification ne peut reposer uniquement sur le souci de la construction d’une esquisse
de plan préalable même avec l’appui des outils. L’analyse des contraintes rencontrées en
conséquence de l’absence de planification et notamment celle de l’effort coûteux de
révision permet l’évolution des représentations. Chacun doit faire son chemin. Ainsi,
Alexis aurait-il compris et adopté les propositions de Philippe le 10 novembre alors que
lui-même ne faisait le même constat que 20 jours plus tard ? Cynthia qui n’a jamais
changé de structure narrative disait avoir pensé avant le premier jet à connaître la fin du
conte avant de commencer. Amener les élèves à échanger de telles propositions sur les
procédures d’écriture en situations différées (bilans réguliers) et en études dirigées est
une dimension constitutive de l’enseignement des compétences. Au cours du dernier
entretien, Philippe a repris l’idée d’une conception anticipée mais en y associant l’idée
qui consiste à trouver en avançant.
118 Ces enfants se sont investis dans une action finalisée par un projet collectif dont
l’aboutissement supposait l’apport de chaque production individuelle. Chacun s’est
orienté dans son activité en repartant de là où il se trouvait à l’issue du premier jet, en
avançant comme il l’a pu, accompagné/accompagnant (par) les autres élèves et le maître
dans le déploiement de son questionnement et dans sa recherche tâtonnante des outils
adaptés au traitement des problèmes qu’il a appris progressivement à identifier. Le fait
est que c’est l’élève qui (apprend à) auto-régule (r) son activité à partir des divers apports
qu’il peut solliciter. Le dispositif, avec les 22 h 30 consacrées aux situations
fonctionnelles, était conçu pour favoriser ces processus d’autorégulation. L’action de
chaque élève est orientée par le but, la représentation du résultat final à atteindre qui en
régule le déroulement. L’achèvement de cette action apparaît comme une rencontre entre
deux objets de nature différente. L’un est la représentation du but à atteindre et l’autre le
résultat en train de s’obtenir, tout à fait concret lui (le énième état du texte). Mais comme
la représentation du but se modifie par le fait même que l’action s’exerce et également
sous l’impulsion des critères reformulés, comment l’élève peut-il gérer ces
modifications ?
119 Un autre élément permet d’appréhender l’hétérogénéité des parcours des élèves. Gérard
Malglaive (1984, 103) distingue le niveau d’aspiration et le niveau d’exigence :
« Le niveau d’aspiration correspond à un investissement portant sur l’objet à
atteindre, alors que le niveau ou degré d’exigence porte sur l’objet obtenu. Au
39
dynamisme des deux objets en cause dans l’action, correspond donc un dynamisme
énergétique, tantôt réglé sur l’objet à obtenir et pouvant par exemple conduire à
remettre cent fois le métier sur l’ouvrage, tantôt réglé sur l’objet pouvant amener à
privilégier le fait d’avoir obtenu un résultat sur le résultat qu’on aurait pu
obtenir. »
120 La façon dont l’élève intériorise et manifeste cette tension entre exigence et aspiration,
constitutive de son rapport à l’écriture s’est exprimée dans l’espace d’initiative que
constituait les situations fonctionnelles. Ne pas prendre en compte cette dimension, c’est
peut-être s’exposer au risque d’être pris en flagrant délit de légèreté par ces élèves-
auteurs qui s’investissent sans tricher, sans faire semblant, dans le projet et dans une
activité qui requiert par moments toute leur vitalité.
CONCLUSION
121 Le contexte de production et d’apprentissage du projet, structuré par le processus
d’alternance des trois types de situations a pu constituer un environnement favorable
pour le déploiement de compétences et de représentations de l’activité d’écriture qui se
situent à distance de représentations suscitées par la tradition scolaire centrée sur les
sous-disciplines du français (orthographe/grammaire/conjugaison). En somme,
construire des compétences et enseigner à les construire renvoie à une conception de
l’apprentissage et de l’enseignement qui pourrait être énoncé ainsi avec Gérard Malglaive
(1988, 60) :
« Apprendre que ce soit à la faveur de l’expérience où à la faveur d’un
enseignement réglé consiste en un cycle récursif fait de deux moments articulés : le
moment du faire où le savoir s’investit dans les activités, le moment du savoir où ce
qui est déjà connu dans la pratique se réélabore à un niveau supérieur de
formalisation. Enseigner, c’est conduire les élèves sur le chemin de ce cycle récursif,
ce qui suppose que le savoir proposé soit susceptible de s’investir dans l’action ; que
les connaissances tirées de l’action soient le point de départ de nouvelles
acquisitions pour l’élaboration desquelles ceux qui apprennent doivent mobiliser et
repenser ce qu’ils savent déjà. »
122 Associées aux moments d’activité individuelle, les multiples situations d’interactions dans
les trois types de situations en alternance ont-elles permis la mise à distance et le
dépassement d’images-écrans et de représentations-obstacles du texte et de l’écriture ?
123 Nombre de représentations de l’écriture, décrites par Yves Reuter (1996, 96-98 et 71-74) et
Maurice Mas (1994,74) par exemple, peuvent constituer des obstacles ou générer des
tensions de nature à contrarier très fort voire empêcher l’activité d’écriture. Certaines
d’entre elles me semble avoir été particulièrement sollicitées et interrogées durant ce
module de travail en projet.
• L’écrit a t-il pu apparaître plus clairement comme le résultat d’un processus de travail de
reprise d’un matériau langagier (première version) en fonction du sens élaboré (mobiles
conscientisés, buts progressivement définis), plutôt que comme la traduction d’une pensée
préexistante ?
• Le « savoir-écrire », plutôt que d’être apparenté à une somme d’apprentissages linguistiques
programmés par l’enseignant pour être « réinvestis » dans l’activité d’écriture, a-t-il pu être
perçu comme la mise en relation d’opérations et de savoirs autant découverts dans l’analyse
de l’écrit et de l’activité d’écriture qu’« enseignés » en dehors de celle-ci ?
40
• Une représentation éventuelle de l’écriture envisagée comme un don qui ne s’apprend pas
réellement et répond à une inspiration a-t-elle évoluée vers une représentation de l’écriture
intégrant la prise en compte de l’effet à produire sur le destinataire (faire rêver le lecteur, le
« faire s’évader ») et nécessitant une construction textuelle, par approximations et
recadrages successifs ?
• La relecture du texte produit par l’élève a-t-elle été finalement envisagée comme une
opération récurrente sur divers aspects du texte dans la prise en compte des enjeux
discursifs ?
• Les lectures des textes de référence ont-elles été aussi perçues en réponse à des enjeux
conscientisés par les élèves (construire un outil de planification, résoudre un problème
d’écriture…) ?
124 Les réponses à ces questions n’appartiennent pas seulement à l’enseignant s’efforçant
d’évaluer les savoirs appropriés par chaque élève ou aux parents désireux d’obtenir des
repères sur le travail de leur enfants. Enseigner des compétences, cela revient aussi à
amener les élèves à reconnaître eux-mêmes les savoirs qu’ils se sont construits au cours
du cheminement. Pour être plus précis, trois dimensions peuvent être associées à la
construction et à la valorisation des compétences :
• savoir mettre en relation l’identification de problèmes et l’utilisation d’outils appropriés à
leur résolution ;
• savoir identifier ses ressources investies dans l’activité ;
• savoir identifier et valoriser les savoirs construits durant le projet.
125 Ces trois dimensions qui constituent autant de registres d’hétérogénéité, ont été
délibérément observées au cours des situations fonctionnelles. Car ce sont durant les
situations fonctionnelles que les savoirs s’investissent, les procédures se découvrent, les
outils critériés s’expérimentent comme des « conscientiseurs » plutôt que comme des
outils techniques à caractère injonctif voire normatif et que s’exerce l’apprentissage du
« savoir mobiliser et combiner » intrinsèque au développement de la compétence. Pour
aider les enfants à se situer sur les trois dimensions, les bilans et le temps d’auto-
évaluation de fin de projet eurent un rôle prépondérant.
126 Les bilans réguliers réalisés lors des deux dernières périodes notamment avaient pour but
d’inviter chacun à se situer en désignant les sous-tâches réalisées et à réaliser, en
s’efforçant d’expliciter sa position, en écoutant les autres en faire autant. Le temps
d’auto-évaluation de fin de projet, dans l’esprit de l’évaluation par port-folio (Allai, 2000)
a consisté à rédiger pour chaque élève son point de vue sur les apprentissages effectués
au regard de tous les critères élaborés ensemble.
127 Au fil de leurs parcours diversifiés, à partir de savoirs « déjà là » hétérogènes, les élèves se
sont construits de nouveaux savoirs conceptuels et opératoires différents. On peut ainsi
en relever quelques uns :
• parvenir à mieux organiser son récit en articulant de nouveaux épisodes à la structure déjà
élaborée qui se trouve ainsi complexifiée tout en développant sa cohérence (Philippe,
version 3) ;
• parvenir à mieux organiser son récit en réduisant le nombre de personnages et d’épisodes
(Alexis, version 5) ;
• s’investir dans la mobilisation et la manipulation des éléments fictionnels sans se laisser
inhiber par les contraintes syntaxiques et orthographiques provisoirement non traitées
(Alexis, version 2) ;
41
• réussir à passer d’une utilisation « étalée » à une utilisation « combinée » des critères pour le
traitement conjoint des problèmes textuels et linguistiques (Alexis, version 5) ;
• découvrir les limites d’une planification pas à pas et les coûts de révision qu’elle entraîne
(Alexis, version 5 et Philippe, version 2) ;
• associer les intérêts d’une planification de l’ensemble du texte aux intérêts d’une
planification pas à pas (Philippe) ;
• expliciter les procédures permettant d’aider un pair à prendre des décisions de
transformation du texte (Cynthia) ;
• prendre confiance en soi au fil des réécritures en parvenant à oser des transformations
(Jérôme).
128 La prise en compte de l’hétérogénéité dans une démarche de travail par projet qui a été
décrite suppose d’accepter de partir des savoirs et des savoir-faire déjà là tels qu’ils
apparaissent dans le premier jet au regard de l’enseignant et au regard des élèves qui
apprennent progressivement à les identifier. Cela suppose aussi d’apprécier le chemin
parcouru en tenant compte du point de départ. Chacun a cheminé en participant aux
échanges pour se constituer des repères communs et en sollicitant des échanges pour
transformer son texte, notamment à partir des éléments pointés dans/par le groupe. Cela
a abouti à des parcours très différents qui ont exigé des prises de conscience mais qui ont
aussi permis de « muscler » sa confiance en soi. Le développement de la confiance en soi
comme un savoir-faire (Bruner, 1983) est un élément constitutif de la construction de la
compétence. Ce fut un des indices d’hétérogénéité et il a été retenu comme un des
éléments de progrès observés.
BIBLIOGRAPHIE
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RUELLAN F. (2002) : « Evolution du rapport au texte et à l’écriture dans une démarche de travail en
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WITTORSKI R. (1997) : « La construction des compétences par et dans l’alternance », Pour, n° 154,
95-104.
NOTES
1. Toutes les versions successives de Philippe et Alexis sont reprises et analysées dans Ruellan,
2002.
AUTEUR
FRANCIS RUELLAN
CFP Lille Equipe Théodile (E.A. 1764).
Francis Ruellan est né en 1956. Après avoir été instituteur, il est devenu formateur dans les CFP
de Lille et de Paris où il a assumé diverses responsabilités, notamment en matière de recherche.
Outre sa thèse, soutenue en janvier 2000 à l’Université Charles-de-Gaulle-Lillle 3 : Un mode de
travail didactique pour l’enseignement-apprentissage de l’écriture au cycle 3 de l’école primaire, il a publié
une dizaine d’articles. Il s’est éteint en janvier 2003.
43
INTRODUCTION
1 C’est dans le contexte d’un module de travail en projet que nous situons l’étude de
l’évolution du rapport au texte et à l’écriture. Il s’agit de la classe de CM1 de Bruno
Cauchy (23 élèves, 8 filles et 15 garçons), instituteur depuis 15 ans dans l’école du Sacré
Coeur, située dans le quartier populaire de Fives à Lille. Les élèves et l’enseignant se sont
impliqués dans la rédaction d’un recueil de contes merveilleux durant huit semaines (du
8 octobre au 16 décembre). Les deux principes fondamentaux de l’organisation didactique
mise au point par l’enseignant étaient articulés. Il s’agissait de favoriser le déploiement
des parcours progressivement plus autonomes de création du conte et de permettre à
chaque élève de s’appuyer sur les élucidations construites par le groupe, sous forme de
critères, en confrontant les analyses des pratiques de lecteurs et de scripteurs. Ceci
supposait d’accorder un temps conséquent pour l’exploration et les tâtonnements
individuels centrés sur la transformation du texte et, aussi, d’accorder un temps
conséquent pour les discussions visant la confrontation des points de vue sur les
caractéristiques du genre, les problèmes rencontrés et les procédures d’écriture
esquissées.
2 Ces deux principes ont donc fondamentalement structuré l’enchaînement des activités du
projet en accordant une fonction médiatrice essentielle à la notion de critère. Les critères
qui ont émergé des discussions avaient pour fonction d’être des « balises d’orientation ».
Les critères ne sont pas de simples outils techniques mais de véritables outils
psychologiques dont le rôle est structurant dans le contrôle de l’activité d’écriture. La
théorie vygostkienne du développement, notamment du point de vue de la médiation
instrumentale, permet d’interpréter la fonction des critères à partir de l’analogie
proposée entre les outils et les signes. L’activité cognitive est médiatisée, non par l’outil
44
matériel qui agit sur la nature, mais par les (systèmes de) signes ou instruments
psychologiques qui sont orientés vers le contrôle du comportement du sujet et sur celui
des autres en contribuant à transformer les capacités internes. Michel Deleau (1989, 33) a
bien montré la fonction médiatrice du signe. Il sert à agir sur et avec les autres et il sert à
agir sur soi-même en transformant son utilisateur. Créé et utilisé dans un but social, la
fonction du signe se manifeste sur deux plans :
• les signes (ici, les critères) sont façonnés par et pour les besoins de l’action collective en
rendant possible le partage d’objectifs, la coordination et une mise en convergence de
l’activité par les membres d’une communauté, d’un collectif (fonction indicative du signe au
plan socio-historique) ;
• à travers l’interaction sociale, les signes (les critères) constituent, simultanément, un moyen
de s’influencer soi-même en devenant capable de les appliquer à sa propre conduite. La prise
en charge de la régulation consciente de celle-ci s’opère par l’élaboration d’un réseau
personnel de significations (fonction significative du signe au plan de l’histoire individuelle).
3 L’étude de l’évolution du rapport au texte et à l’écriture ne pourra donc guère être
étudiée indépendamment de l’étude du contexte didactique de production et
d’apprentissage et, en l’occurrence, de l’activité collective d’énonciation de critères à
partir de laquelle se sont déployés les parcours d’écriture. Nous pensons, en effet, avec
Michel Brossard (1992,197) que l’objet de la recherche sur le développement cognitif est
« le couple indissociable « sujet-contexte » et non pas des états mentaux encapsulés dans
la tête du sujet […], cette approche part d’une affirmation résolument relativiste selon
laquelle le sujet humain est toujours situé : ses conduites ne sont interprétables que
comme des réponses à ces contextes signifiants et dépendants de l’interprétation qu’il fait
de ces différents contextes. ». En outre, ce que vise le dispositif, ce n’est pas tant la
réalisation de la tâche complexe (rédiger un conte merveilleux) que la construction de la
compétence d’écriture. Parvenir à réaliser la tâche n’est pas seulement ce qui importe ici,
il s’agit aussi, par là, de devenir plus compétent. En nous appuyant sur les propositions de
Gillet (1991, 38) et Le Boterf (1994,150) et sur celles de Dabène (1987, 38) et Reuter (1996,
66), nous pensons que devenir compétent consiste à savoir agir en mobilisant et en combinant
des composantes hétérogènes (investissements, représentations, savoirs, opérations) qui,
à l’intérieur d’une famille de situations, permettent la réalisation de tâches complexes,
notamment par l’identification de problèmes et l’utilisation d’outils appropriés à leur
résolution (Ruellan, 1999, 56). L’axe d’intégration et de combinaison des savoirs est sans
doute très dépendant des types de problèmes détectés et résolus par les élèves.
4 C’est donc à l’apprentissage de cette combinatoire (mobiliser et combiner des
composantes hétérogènes) inhérente à la construction de la compétence qu’a été sensible
l’enseignant durant les huit semaines du projet afin de fonder ses choix pour les multiples
régulations à opérer. En conséquence, l’hypothèse qui guidera la construction de cet
article est la suivante. Le dispositif mis en oeuvre vise à favoriser l’évolution du rapport
au texte et à l’écriture qui paraît nécessaire à toute démarche de réécriture et à la
construction de la compétence. Le rapport au savoir est, pour le sujet, constitutif d’un
rapport au monde comme ensemble de significations partagées mais aussi comme espace
d’activité inscrit dans le temps (Chariot, 1997, 90). Or, précisément le projet a été conçu
comme un espace d’interactions amenant les élèves à se responsabiliser comme
« entrepreneurs » pour réaliser le recueil de contes et à se responsabiliser comme
« chercheurs » (Aumont et Mesnier, 1992,113) soucieux d’élucider les problèmes formulés
et d’expliciter les procédures efficientes. Le projet s’avère à la fois une mission à
45
1. Lancement du projet
17 Durant six jours effectifs de classe, les élèves se sont attelés à deux tâches
interdépendantes. Une tâche à dominante individuelle a consisté à rédiger la seconde
version pour tous et la troisième version (à son début) pour quelques-uns. Il y eut
également l’explicitation en collectif des constats de dysfonctionnements, relevés le 8
novembre lors de la période précédente, à transformer en conseils pour réécrire. Le
mouvement oscillant entre l’écriture individuelle et les tentatives de discernement en
collectif au gré des trois types de situations est inhérent à l’alternance interactive.
• 5 S.F. (3h20) ; 5 S.D. (2h50) ; 4 S. St. (2h20).
6. Vers un pilotage plus autonome par la mise en relation des critères appropriés (4
décembre au 16 décembre)
mettre les critères en relation. La période s’est achevée par la lecture de chaque conte
pour être soumis à une validation en fonction des critères élaborés.
• 9 S. F. (7 h) ; 5 S. D. (2 h) ; 1 S. St. (40 mn).
20 Du 7 octobre au 16 décembre, durant les 46 heures du projet, les élèves ont été confrontés
à trois types de situations (Ruellan, 1999). Sur un total de 78 situations, 34 situations
fonctionnelles ont été dénombrées, soit 22h30 du temps effectif. Observons que la moitié du
temps dévolu au projet a été consacré à ces situations durant lesquelles les élèves ont pu
prendre du temps (explorer, tâtonner, discuter) pour créer leur texte (lectures, écriture,
réécritures) en apprenant à forger leur autonomie à tous niveaux du processus d’écriture.
Pour rédiger leur texte, les élèves ont pu travailler seuls, en binôme, en trinôme, avec
l’enseignant, en utilisant ou non les listes de conseils pour écrire. Ainsi, tous les moments
voués à la transformation du texte relèvent des situations fonctionnelles.
21 L’enjeu des 20 situations de structuration (12 heures) consistait à accroître le pouvoir de
questionnement des élèves sur leur propre texte en privilégiant le discernement des
composantes (discursives, textuelles, linguistiques) du conte par le truchement des
lectures et par la formulation/résolution des problèmes d’écriture relevés lors des
situations fonctionnelles. Identifier les catégories de personnages, analyser la notion de
problème narratif, caractériser le marquage textuel du dialogue, élaborer le contrat pour
le traitement orthographique furent quelques uns des problèmes conceptualisés. La
« structuration » est considérée comme le processus et le résultat d’un travail (méta-)
cognitif mené par les élèves qui aboutit à un concept opératoire dans le cadre du projet.
L’élaboration d’un critère comme réponse à une question ou comme résolution provisoire
d’un problème, l’explicitation d’une procédure de réécriture, la mise en relation
d’attributs d’un concept directement en lien avec l’expérience vécue par les élèves en
situations fonctionnelles constituent des tâches spécifiques relevant des situations de
structuration.
22 Comment faire en sorte que les problèmes repérés en situations fonctionnelles et traités
en situations de structuration puissent effectivement aider les élèves à transformer leur
texte conformément à leur projet narratif ?
23 C’est bien le sens d’une alternance interactive qui consiste à solliciter réciproquement
l’activité d’écriture finalisée de l’élève en situation fonctionnelle et les savoirs formalisés
en situations de structuration, mobilisables comme des outils pour le retour au texte. Ce
type d’alternance ne peut se décréter autoritairement par l’enseignant au risque de faire
vivre une alternance juxtapositive sans interférence profitable entre les deux ordres de
situations. C’est l’élève qui vit l’alternance et celle-ci peut sans doute plus aisément se
déployer à partir de son questionnement inscrit dans la complexité de sa propre pratique
d’écriture.
24 Les 24 situations différées (11 heures) ont été précisément vouées à rendre public ce
questionnement plus confidentiel déjà engagé timidement seul face au texte ou dans les
interactions en binômes/trinômes ou avec l’enseignant en situations fonctionnelles. Les
questions ou remarques ou embarras rencontrés ont pu ainsi être partagés en grand
groupe et ont permis à l’enseignant de solliciter la réflexion des élèves en s’appuyant sur
49
leurs propres formulations. Ces activités sont appelées « différées » (Jaffré, 1986, 59),
« parce qu’elles se servent des activités d’écriture pour repérer les problèmes
fondamentaux mais « diffèrent » la recherche de solutions plus élaborées ». Ce sont des
débats « à fonction problématisante » (Halté, 1989, 19), premiers moments d’explicitation
qui ont pris une tournure plus formalisée en situations de structuration. Situations
intermédiaires, les situations différées constituent en interface des zones de médiation.
Elles contribuent à créer une distance suffisante pour une construction décontextualisée
mais encore familière de l’espace de problèmes en situation de structuration et elles
visent à recontextualiser les voies de réponses en situations fonctionnelles par
l’appropriation cognitive individuelle des coordinations collectives.
d’arriver à son but » (outil n° 5). Quant à la ligne du conte, elle a été formalisée en sept
moments : « 1.– On présente quelques personnages, l’ambiance ; 2.– Présentation du problème ; 3.–
Le problème se complique : intervention du méchant ; 4.– Essai de résolution du problème. Cette
partie est plus ou moins longue ; 5.– Résolution du problème (Attention, il peut y avoir un autre
problème) ; 6.– Problème résolu (joie, fête) ; 7.–Phrase finale » (outil n° 6). Ces outils ont été
conçus pour guider les choix des élèves mais on ne peut présager à cet instant de leur
utilisation. Peuvent-ils aider à déglobaliser l’activité complexe d’écriture, à finaliser les
sous-tâches qui apparaîtront sans doute plus clairement après la rédaction de la première
version ?
28 Les deux derniers jours avant les vacances, les lundi 24 et mardi 25 octobre ont été
l’occasion d’un temps de retour à soi en vue de la rédaction de la première version et de
sa préparation. Une brève discussion de 15 minutes s’est établie pour répondre à la
question « quels sont les éléments dont j’ai besoin pour créer mon conte ? ». Il semble
bien que ce fut pour l’enseignant un des moments pour évoquer le problématique passage
de l’élaboration des outils à leur utilisation. La réponse des élèves fut de créer l’outil n° 7
qui incite à utiliser les outils nos1, 5 et 6 et précise « imagination, idées, courage ». Ensuite,
de 9h15 à 10h, ce fut un temps de recherche individuelle pour choisir les personnages, le
problème, etc. sans rédiger le conte. Sylvana désigne les personnages, rôles et objets
magiques, Marie nomme les personnages et le problème, Nathan présente les
personnages, le problème et une trame en six parties. Leur texte sera-t-il conforme à ces
indications ? C’est le lendemain (8h45-10h) qu’a été rédigée la première version du conte.
Observons celle de Philippe et Alexis.
29 Philippe a été désigné par l’enseignant comme un « bon » élève et Alexis est considéré
comme un élève « faible ». Tous les deux sont des enfants francophones qui auront 10 ans
dans leur année de CM 1.
30 Philippe est capable d’intervenir dans les discussions collectives avec des propos
argumentés qui constituent de véritables apports pour le groupe. Il est cependant, par
périodes, assez imprévisible sur le plan relationnel avec ses camarades et l’enseignant.
Cette attitude n’affecte pas les bons résultats scolaires.
31 Alexis s’exprime très peu en classe. Il a très souvent beaucoup d’idées qu’il ne sait guère
exploiter dans l’écrit. Alexis éprouve de grandes difficultés en orthographe et sur le plan
syntaxique.
32 Elle a été rédigée pour Philippe, comme pour tous les élèves de la classe, le mardi 25
octobre, de 8h45 à 10h, le dernier jour de classe avant les vacances de Toussaint.
33 Ce premier texte s’avère un récit bien agencé d’une préparation de Noël par une famille
de trois enfants jusqu’à la découverte, le lendemain matin, des cadeaux amenés durant la
nuit par le Père Noël. Le texte de cette première version a été fidèlement retranscrit tel
qu’il est rédigé dans le cahier de l’élève (titre souligné, passage à la ligne, changement de
page signalé par « … », ponctuation, orthographe).
Noël, le jour du Père Noël,
La veille de Noël, tout le monde prépare le dîner, dans un
51
36 Après une première lecture, ce récit est peu compréhensible. Il raconte un affrontement
entre un « pauvre », un « riche » et leurs amis et complices respectifs.
37 La situation initiale présente le pauvre qui sauve des gens et le riche qui donne des grains
de maïs. On apprendra plus tard que le maïs est empoisonné. Le riche serait-il jaloux de
n’être connu de la moitié du monde alors que le monde entier connaît le pauvre ? Le
personnage du magicien nous est présenté de manière très confuse (lignes 5 à 8).
S’appelle-t-il vipère ? Est-il l’ami du « héros » ? Ce héros est-il le pauvre ?
38 La suite du récit présente les forces en présence : les complices du « méchant » (le riche ?)
avec une vipère et une flûte qui attire rats, souris et chauve-souris ; le héros (le pauvre ?)
a une vipère, un crayon magique et une licorne. Mais il n’y a pas de confrontation
puisqu’on apprend ensuite que le riche et le pauvre deviennent amis ce qui sauve le
monde puisque le riche promet de ne plus donner de poison… mais il en profite quand
même pour tromper le pauvre qui lui envoie sa vipère pour l’espionner. Finalement, le
pauvre sera tranquille car il réussit à faire très peur au riche.
39 Trois commentaires peuvent être apportés dans la perspective de la réécriture. Tout
d’abord, Alexis pensera-t-il à motiver la confrontation entre le pauvre et le riche ? Celle-
ci n’est pas explicitement motivée même si on peut penser que les rôles de sauveur et
d’empoisonneur appellent ces personnages l’un contre l’autre. Deuxièmement, cet
univers très manichéen (pauvre/riche, héros/méchant, sauveur/empoisonneur) peut être
exploité dans le genre du conte merveilleux. Alexis peut-il produire une progression
thématique plus maîtrisée en dépassant la succession de propositions peu articulée
comme l’indique l’usage répété des connecteurs (et, mais) à chaque début de phrase ?
Enfin, relevons qu’Alexis nomme ses personnages en reprenant les termes « héros »,
« méchant », « complices ». Il utilise le métalangage forgé en classe pour définir les
fonctions des personnages (cf. outil n° 5, présenté précédemment). Est-il sujet à une
approche normative des critères ?
40 Après les vacances, le lundi 7 novembre, Philippe et Alexis retrouveront leur texte soit 13
jours plus tard. Ils continueront alors une aventure collective et un parcours individuel
de lecture et de réécriture de 5 semaines. Quel regard porteront-ils sur leur texte ?
Comment le dispositif les amènera-t-il à envisager leur texte comme un objet
questionnable, à modifier leurs représentations, à se responsabiliser dans le processus de
réécriture ?
41 Les élèves sont donc rentrés en classe le lundi 7 novembre et ils ont commencé la
réécriture le jeudi 10 novembre de 9h30 à 10M5.
42 Après un bref retour par l’enseignant sur les enjeux du projet et les échéances à tenir, les
élèves ont lu individuellement leur première version rédigée avant les vacances. Ce fut
ensuite la première situation différée à partir de l’écriture (8h55-9h10) durant laquelle les
élèves sont intervenus pour exprimer leurs premières impressions sur leur texte. Ce fut
surtout des critiques à tous les niveaux d’organisation du texte (il y a beaucoup de fautes ;
des fois je ne marque que la moitié des mots ; j’ai oublié des points et des virgules ; j’aime bien mon
conte mais pas ma première partie ; mon titre est presque pas semblable à mon conte ; il y a des
parties de mon conte que je comprends pas bien). Il n’y eut pratiquement pas d’échanges entre
élèves. Ensuite, il y eut un temps d’évaluation mutuelle des premiers jets en trinômes (9h
54
15-9h45). Chaque élève lisait le travail de son voisin et répondait à trois questions : ce que
j’aime dans ton conte, ce que je ne comprends pas, ce que je propose. Succéda une
situation différée sur l’intérêt des échanges en trinômes (9h45-10h00). Ces deux situations
se sont répétées le lendemain mardi 8 novembre : évaluation mutuelle avec la troisième
personne du trinôme, ce qui a permis à chaque élève d’avoir deux réponses par question
(8h35-9h) et relevé des constats de dysfonctionnement en collectif (9h-9h20). Les élèves
ont notamment relevé (outil n° 8) : donner des détails (personnages, histoire) ; résolution trop
rapide du problème ; dire ce que deviennent les personnages ; mise en place du dialogue, etc.
43 Cette séance collective a débouché sur la critique du conte de Julien (lecture individuelle,
échanges en binômes, discussion en collectif ; 9h20-10h). Il s’agissait de s’interroger sur
l’un des constats « l’auteur n’est pas dans le conte ». A ce moment du projet, les élèves ne
faisaient pas la distinction entre « auteur » et « narrateur ».
44 Le jeudi 10 novembre l’enseignant voulait amener les élèves à transformer les constats
de dysfonctionnements en conseils pour réécrire. Par exemple, après avoir constaté que
le problème est résolu trop rapidement, comment fait-on pour le résoudre moins
rapidement dans le conte ? En somme après avoir clarifié ce qui était à faire (ou à refaire)
le 8 novembre, il s’agissait maintenant de se donner des conseils pour se dire comment
cela pouvait être fait. Cette situation différée (8h40-9h05) n’a pas abouti à une
reformulation des constats en conseils. Tâche très difficile de formuler alors de tels
conseils. Les élèves semblent seulement commencer à entrevoir l’intérêt de cette
transformation et l’enseignant éprouve bien des difficultés à s’expliquer sur le sens de
celle-ci. Au moins cet échange, à la suite des précédents, a sans doute fait avancer les
élèves dans l’idée que l’analyse de la tâche complexe serait assumée aussi collectivement
et que l’autonomie se construirait sur fond de régulations conjointes.
45 Dans la perspective de la réécriture, l’enseignant a ensuite proposé aux élèves
(9h05-9h15) de désigner les constats de dysfonctionnements de l’outil n° 8 qui pouvaient
concerner leur texte (croix verte) ou pas (croix rouge). Ce travail individuel a ainsi
alimenté la discussion suivante (9h15-9h30) sur la manière d’aborder la réécriture. Les
élèves viennent de disposer de dix minutes pour apprécier les éléments problématiques
de leur texte en fonction de ce qui sera perçu comme prioritaire pour la réécriture.
L’enseignant lance la discussion en posant la question « faut-il réécrire tout le texte ? ». Si
Marie hésite à reprendre la totalité du texte ou des passages grâce aux critiques apportées
par Nathan ou Jérôme, il apparaît, au contraire, que la majorité des élèves qui se sont
exprimés choisissent de tout réécrire « du début à la fin » mais pour des raisons
différentes. Charlotte veut rectifier dans chaque partie, Nicolas veut reprendre « pareil
mais avec les dialogues », Gérald veut « faire parler les personnages à la ligne » et veut « dire ce
que deviennent les personnages ».
46 C’est donc l’articulation révision-réécriture qui s’est jouée lors de cet échange.
L’appropriation individuelle d’outils co-élaborés est censée orienter les choix des élèves
pour engager la réécriture. Quels seront les choix de Philippe et Alexis ?
47 Quels furent les effets des trois jours (7-8-10 novembre) de questionnement mutuel pour
Philippe et Alexis ? Les seconds jets que nous allons analyser ont été produits après ces
trois jours d’échanges.
55
48 Le seul point commun entre le premier jet et ce second texte, c’est le titre : « Noël, le jour
du Père Noël ». En effet, ce récit, contrairement au premier, se démarque du quotidien
pour proposer une fiction ancrée dans un univers merveilleux avec de nouveaux
personnages : les souris, Julien et Juliette, le chat roux et la chatte, un petit garçon
sorcier. C’est pourquoi, nous avons désigné ce texte avec la mention T2. Il ne s’agit pas
d’une seconde version du premier texte mais d’un autre texte. Il est probable qu’une
réappropriation du projet ait amené Philippe, non pas à améliorer le premier jet mais à
réécrire pour répondre de manière plus ajustée aux buts assignés par le groupe lors des
échanges collectifs.
Noël, le jour du père noël.
La veille de noël, tout le monde prépare le
repas de noël, dans un tout petit village
dans une toute petite maisonnette, sous
l’escalier du bat il y avait un trou
avec dedant 2 souris qui s’appelait :
« Julien et Juliette ».
il vivait tranquille dans leur trou.
(J’usqu’au jour ou un petit petit garçon
desanda de l’escalier est déposa une
souricière à côté du troû est metta un
…
56
…
57
de construction de l’intrigue l’ont-ils amené à être moins vigilant sur la gestion des
organisateurs temporels ?
52 Philippe n’a pas hésité à redisposer tout à fait autrement son projet narratif. Il a construit
un nouveau texte en combinant un travail de réécriture sur plusieurs niveaux : l’intrigue,
la création de nouveaux personnages, les désignateurs variés pour un des personnages
principaux, une orthographe non sacrifiée malgré le texte plus long. Quel regard porte-t-
il sur cette transformation ?
53 Avec le même titre, c’est un récit très différent et beaucoup plus long (148/913 mots), qui
articule difficilement de nombreuses péripéties, toujours sur le thème de l’affrontement
entre le pauvre (Arture et ses amis) et le riche et ses complices.
54 Les personnages principaux sont d’abord présentés avec leur prénom les annotations
portées sur la droite sont des remarques portées par Alexis lui-même en référence aux
deux outils construits en classe sur les personnages (outil n° 5) et sur la ligne du conte
(outil n° 6).
Un rige et un pauvre
2e histoire
presantation : Le pauvre c’est Arture
Le riche c’est onbre
Le heros c’est adre la petite
vipere fin de la presentation
Il etait un long jour de printent
Arture desité d’ailé chercher une epée et un
casque il arait vut un mesieur qui fabrique )
des epée et des casque il demenda une epée )
qui etait la plus saulide et un casque ) 1 ere partie
d’un métal etoile mes le mesieuril a donne )
une epee pas ordinere alore Ardure prend
l’epée. et le casque et le mesieur. lui donne
une boule de cistale) epuis le garçon sonna
a sa maison mes. sur le chemin il a vus [10]
une cabane a landene mé cette cabane etait
endé.
Alor la nuit donpe alor il mona avec son
epee et son casque et sa boule que
le mesieur qui lui avait donné.
« Ardure a sa boule de cristale sa boule
dit vait atent sion at moi il aptait
qui mequoné me sie qui quelle qui
histoire
fin mais
Fin on ne sais pas
suis il a un
autre
probleme ou
suis c’est la
fin
55 Ce texte est un récit quatre fois plus long que le premier jet et plus structuré avec une
situation initiale (Artur achète une épée et un casque, il reçoit une boule de cristal) et une
situation finale (Artur est tranquille dans son château avec la boule, le casque et les
habitants). Le récit est marqué par une scansion temporelle explicite très régulière (il était
un long jour de printemps…, alors la nuit tombée…. le matin arriva…. le midi arriva…. le lendemain
matin… Noël arriva…. Janvier arriva…) avec une série de problèmes sur le thème de
l’affrontement toujours assez peu motivé entre le riche et le pauvre. Les problèmes qui
apparaissent (les attaques répétées du riche, de ses soldats et de ses chiens) sont à chaque
fois très vite résolus grâce aux pouvoirs considérables de la boule de cristal qui intervient
pour faire disparaître les soldats et les armes du riche ou pour donner à Artur les aides
nécessaires. Cependant, entre les lignes 60 et 70, le récit présente une contradiction. La
boule semble être en la possession du riche et c’est pourquoi Artur tente de la délivrer et,
en même temps, il demande et obtient son aide (300.000 soldats et 300 chiens).
56 La quasi-absence de ponctuation (dix points dont cinq disposés à bon escient, aucune
virgule dans le texte, quelques tentatives inadéquates de ponctuation du dialogue au
début du texte), une segmentation des mots hasardeuse et une orthographe très
déficiente ne facilitent pas la lecture du texte, comme en témoigne l’extrait suivant situé
aux deux tiers du récit : « Arture a nonsa au pauvre qui va avoir une tistur puation Arture je ta
de la monaie tou le inonde la doré ».
57 Alexis semble peut-être mieux gérer la structure du récit que les unités morpho-
syntaxiques et orthographiques. Ces difficultés manifestes pour le traitement de
l’orthographe et de la syntaxe ne l’ont pas inhibé pour la réécriture du récit. En cela, il a
mis en oeuvre et orienté un questionnement en fonction des perspectives dégagées par le
groupe lors des séances précédentes avant l’écriture du deuxième jet.
58 Deux commentaires à propos des remarques apportées par Alexis sur son deuxième jet,
sur les indications rédigées dans la marge en s’appuyant sur l’un des outils élaboré en
classe, la « ligne du conte ». Le premier commentaire renvoie à la distinction opérée par
Martine Alcorta dans une perspective vygotskienne (1998, 149 et 132) entre le brouillon
linéaire et le brouillon instrumental. Le brouillon linéaire est une étape intermédiaire du
texte définitif en attente d’améliorations, « c’est un écrit de communication, un écrit
orienté « vers les autres », l’origine de l’écrit « pour soi », caractéristique du brouillon
instrumental […], la fonction de celui-ci n’est pas de communiquer avec des destinataires
potentiels mais de permettre au scripteur d’intervenir avant la rédaction finale du texte.
Il est à la fois outil de contrôle et de construction du texte. ». Les indications portées par
Alexis en marge de son « brouillon linéaire » sont bien des traces d’instrumentalisation,
des structures écrites orientées vers la communication « pour soi ». Le second
commentaire consiste à mettre en relation le caractère instrumental du brouillon et le
62
…
63
…
64
***
***
franc.
- Non, merci dit le chat :
67
- Si aller
- Bon, d’accord.
A, on fette tes 50 centimes
ça tu peux les gardés.
- Non, ça tapartiens.
- Bon d’accord.
- Salut.
Et les deux petite souris et chat
vécurent eurent toutes sof le méchant
bien sur.
FIN
61 Avec le recentrage de l’intrigue sur les quatre personnages principaux et l’abandon du
« demi-personnage » du garçon, l’impression de juxtaposition des deux récits n’apparaît
plus. Les relations plus approfondies entre les personnages sont clarifiées. La
collaboration entre les souris et le chat contre le sorcier est légitimée à plusieurs reprises
par des échanges de services judicieux. Nous considérons ce texte comme une seconde
version du même récit, contrairement au passage entre le premier et le second état de ce
texte car, en reprenant les éléments essentiels de l’intrigue, Philippe a rajouté de
nombreuses scènes et objets magiques ou les a déplacés dans le récit en leur conférant
parfois une autre fonction.
62 Ce qui est stable d’une version à l’autre : les situations initiale et finale, les souris piégées
par le fromage, le chat manipulé par le sorcier, la révolte du chat.
63 Les scènes ajoutées : le soleil du matin à la vitre pour les souris, le bol de lait, le pacte
d’amitié, le réveil du chat et la discussion avec les souris.
64 Il est intéressant de relever comment certains éléments ont été repris et détournés entre
T2V1 et T2V2 : le cachet (endormir le chat/transformer le chat en souris), la bassine d’eau
chaude (cuire la chatte/fondre les clés), la souris dans la souricière (avalée par le chat/
rongeant l’ongle du chat pour s’évader), l’idée de vengeance (émise par l’enfant/émise
par le sorcier).
65 Du premier au troisième état de texte, on constate de très nettes améliorations pour
certains critères sur des écrits à chaque fois significativement plus longs.
Progressivement, l’ancrage dans le registre du merveilleux s’est réalisé, l’intrigue s’est
complexifiée tout en devenant plus lisible et les relations entre personnages ont été
mieux gérées. La troisième version montre une progression dans l’insertion des paroles
de personnages, la segmentation en phrases ainsi que l’emploi plus varié d’organisateurs.
C’est donc sur une distance à chaque fois plus longue que Philippe a réussi à discerner et à
combiner les critères co-élaborés en classe en les intégrant au gré des choix narratifs
remis en question à chaque version.
66 Pendant que Philippe rédigeait sa troisième version, Alexis s’engageait dans trois versions
successives.
• TV3-vendredi 25 novembre
67 Cette troisième version, qui s’arrête à la présentation des objets magiques d’Artur (boule :
casque/épée), propose une expansion bien plus lisible du dialogue initial
incompréhensible entre la boule et Artur dans la version 2.
68
Le rige et le pauvres
Il était une fois un bon jour de
printemps, Arture voulé une epée et un
casque mais Arturegrahié qu’il etait un
bon arien. ARturesur son chemin
il trouva un s au rembli de piece d’or.
et il che fait achetait une epée et un
casque et sa [… illisible] pour sa
famille il forca un monsieur qui fabrique
des epée et des casque il demanda un
casque et une epéed mais le viel homme
il donna une epée et un casque ordinère
et une boule de cristale.
• TV5-Samedi 3 décembre
71 Cette version ne résulte plus d’une réécriture partielle. On discerne beaucoup plus
clairement que dans la version 2 la structure du conte avec les situations initiale et finale
qui se répondent et surtout une quête mieux exploitée et préférable à la succession de
conflits aux enjeux peu lisibles de TV2.
Des rige et des pauvres
Il était une fois une famille
pauvre. elle avait un fils qu’il
s’appelait Arture et son père
s’appelait arlan. le père
était fermier. Arture etait
consitairé comme un bong à rien
parce que quand il allait a l’ecole
on le rechetait Alore son père desida
« je vais te dire qu’elle que chose
L’expansion du programme narratif et les épisodes successifs dans la seconde version puis
après un temps de répit (TV3 et TV4), le recentrage de l’intrigue (TV5) autour des enjeux
familiaux précisés par le père constituent l’essentiel du travail de réécriture entrepris par
Alexis au fil des cinq versions. Au fil des versions, Alexis a su transformer un « récit
accéléré » en un conte dans lequel s’inscrivent de nombreuses scènes avec des paroles de
personnages très fonctionnelles (discussion père-fils pour retourner à la mine, rencontre
Artur-la tasse, affrontement père-riches avant la situation finale).
77 Contrairement à Philippe qui a modifié son texte en investissant un questionnement
combinant la plupart des critères travaillés en classe, Alexis n’est guère parvenu à se
mobiliser sur d’autres critères que la construction de l’histoire. Des tentatives pour
présenter formellement les dialogues s’observent depuis la troisième version mais les
guillemets, le tiret et le décrochage à la ligne ne sont presque jamais correctement
disposés. Il y a peu d’améliorations pour la segmentation des phrases et l’orthographe est
nettement prise en charge à la quatrième version par Alexis mais elle a été centralement
traitée avec l’enseignant dans la cinquième version, ce qui n’apparaît pas ici. Il convient
cependant de signaler que le rapport du nombre de mots entre les premier et dernier jets
est de 3,1. C’est l’un des rapports les plus importants des productions des 23 élèves de la
classe. Malgré la charge que représente l’écriture d’un texte trois fois plus long, Alexis a
très sensiblement amélioré la graphie (tracés plus assurés, lettres plus grandes et mieux
formées) et la disposition sur la page.
« E – Qu’est-ce qui est pour toi le plus difficile à réaliser quand on rédige un conte ?
P – Le problème.
E – Trouver le problème ?
P – Le problème et les personnages.
E – Quoi dans le problème ?
P – La résolution » (6 décembre)
81 Quand il lui a été demandé (16 décembre) ce qu’il avait appris de nouveau durant le conte,
Philippe a d’abord répondu qu’il n’avait rien appris de nouveau. Puis il a de nouveau
désigné le problème.
« E – Tu n’as pas appris quelque chose de nouveau ?
P – J’ai peut-être appris quelque chose de nouveau mais je ne m’en souviens plus.
E – Par exemple, la ligne du conte, les personnages, les dialogues, tu savais tout ça ?
P – Oui les dialogues mais le problème je ne savais pas comment ça se déroulait.
E – Tu Tas appris, cette année ?
P – Oui
E – Comment tu peux dire que ça se déroule le problème ?
P – Il y a la présentation du problème… des personnages essaient de résoudre le
problème mais ils n’y arrivent pas… après il y a l’intervention d’un… et après c’est
la résolution complète du problème. » (16 décembre)
82 Philippe a distingué trois fois le « grand problème » et le « petit problème » au cours des
entretiens. Il s’était assigné une hyper-consigne : réaliser un conte en reprenant tous les
exemples de « problèmes » cités par les élèves en classe. C’était pour lui le « grand
problème ». Cela ne doit sans doute pas être interprété comme un exemple de soumission
aux propositions pointées dans les outils construits en classe. C’est par jeu, par défi, que
Philippe s’est donné cette consigne qui va lui apparaître irréaliste. C’est sans doute aussi
pourquoi il a resserré l’intrigue autour d’un plus petit nombre de personnages dans la
troisième version. En outre, on peut penser que ce qu’il énonce sur les différentes phases
relatives au problème, dans sa dernière prise de parole, résulte d’une prise de conscience
consécutive à la construction progressive du conte plutôt que d’un énoncé déclaratif
appris comme une règle par coeur.
83 Philippe a parlé des outils critériés aux deuxième et quatrième entretiens, c’est-à dire
avant et après la troisième version. L’étude de ses verbalisations permet d’avancer qu’il a
su s’appuyer sur les outils tout en sachant adopter une distance critique avec eux. Par
exemple, le 24 novembre, les élèves ont reçu trois feuilles de conseils qui proposaient une
nouvelle présentation des critères conçus jusqu’à cette date.
« E – Tu as reçu ces trois feuilles de conseils, est-ce que ces critères t’aident un peu
pour travailler ou pas ?
P – Oui, d’abord pour le dialogue… avant je mettais des guillemets à chaque phrase
quand les personnages parlaient et maintenant je mets des tirets et des guillemets.
E – Tu penses que tu peux disposer les dialogues correctement ?
P – Oui. » (25 novembre)
84 Cette évolution est surtout sensible de la première à la troisième version. La lecture des
versions deux et trois permet de valider ce qu’il avance au sujet des synonymes du verbe
« dire ».
« E – Elle t’a aidé la grille avec tous les verbes qui remplacent le verbe « dire » ?
P – Un peu parce qu’avant, je mettais quelquefois « dire » et là j’ai mis « ajouter »,
« crier », « s’écrier », « lancer ». » (25 novembre)
74
88 La conception de la planification évolue à deux reprises pour Philippe lors des entretiens.
Au début du premier entretien, il estimait ne pas avoir d’idées avant de commencer à
écrire.
75
une dans un trou de la cheminée. C’est pour ça que j’ai eu l’idée d’une souris qui
ronge l’ongle parce qu’elle fait toujours des petits trous dans le mur.
E – Comment as-tu eu l’idée du chat qui vient se plaindre au sorcier en lui racontant
son histoire ?
P – Je l’avais avant… c’était parce que le chat à chaque fois qu’il voyait la souris, il
s’enfuyait voir à côté de mon père… il allait toujours à côté du lit dans un carton.
J’ai eu l’idée du magicien avec mon père. » (16 décembre)
92 Les entretiens apportent des indices sur les représentations de la tâche et des problèmes
inhérents à l’activité que sut se construire Philippe. Il a notamment dit avoir appris
« comment faire le problème du conte ». Cette auto-évaluation nous semble
particulièrement ajustée si on la réfère à l’évolution de ses réécritures mais aussi à son
implication dans la dynamique de questions-réponses en usant d’un métalangage inspiré
par les formulations successives du groupe déposées dans les outils. Dans sa grande
détermination à se confronter à la difficile gestion du problème narratif, Philippe a
découvert les intérêts d’une réelle planification en retenant l’idée d’une conception
anticipée associée à un processus qui consiste à trouver en écrivant.
93 Cette évolution s’est effectuée au gré d’une prise de risques conséquente dans la
reconstruction des récits avec une prise en charge des composantes de l’écrit éclairée par
un usage critique des critères. C’est en reconnaissant les apports de certains critères, en
désignant ceux qui ne l’aidaient pas et ceux qu’il pensait déjà s’être appropriés, en
critiquant ceux dont les formulations ne lui semblaient pas ajustées que Philippe s’est
construit un rapport ni soumis ni défensif aux outils critériés. En interrogeant les
formulations des critères, Philippe s’est aussi construit un rapport au texte et aux
procédures puisque les critères constituaient les traces provisoires d’un questionnement
collectif sur ces deux aspects de l’activité.
94 Son appropriation de l’outil ne réside pas dans la seule manifestation d’un savoir
intériorisé mais contribue à accroître un pouvoir de résolution de problèmes d’écriture. Il
s’agit bien de problèmes au pluriel car, comme on a pu l’observer, Philippe a su mobiliser
son attention simultanément sur bien des aspects du texte sur une même version. Il a
développé explicitement un traitement combiné des critères. Il le montre par les
transformations successives opérées au fil des versions et par le métalangage qu’il s’est
approprié relativement à la désignation de ces transformations par la médiation des
outils critériés. Il s’inscrit dans le mouvement du devenir compétent. Sur cette disposition
au traitement combiné des critères, il se distingue d’Alexis.
96 Nous avons pu constater lors de l’analyse des versions successives rédigées par Alexis que
la construction de la trame narrative, les ajouts de séquences, la clarification des mobiles
des personnages et de leurs relations avaient constitué l’essentiel du travail entrepris
pour réaliser la tâche. C’est précisément sur ces points qu’il a apportés le plus d’attention
lors des entretiens. Des six élèves interviewés, Alexis semblait le plus impliqué dans la
création du récit, c’est-à-dire dans les multiples choix à opérer ou dans les décisions à
77
prendre parmi les pistes à exploiter et les possibles narratifs. Par ses verbalisations
détaillées, il donnait l’impression de vouloir reconstruire oralement tel ou tel moment du
récit.
97 C’est sur la composition de l’histoire qu’il a focalisé sa recherche en essayant de prendre
de la distance avec sa deuxième version qui résulta d’un effort créatif conséquent mais
désordonné. Alexis a su discerner des dysfonctionnements du second jet sur le plan
narratif, même s’il a dû prendre du temps pour trouver en trois tentatives (TV3 à TV5)
des réponses adaptées. Ainsi, lors de l’entretien du 3 décembre, il désigne brièvement les
dysfonctionnements et la première ébauche de solution par l’ancrage du héros dans un
contexte familial plus explicitement décrit.
« E : – Comment tu as avancé dans la rédaction de ton conte ?
P : – Mon deuxième jet était faux aussi parce qu’il y avait plusieurs problèmes et
j’arrivais jamais à les résoudre… alors j’ai recommencé l’histoire… çà… çà… la même
sauf que j’ai donné des détails sur sa famille parce qu’il disait avant « j’ai acheté une
épée… un casque et à manger pour ma famille »… et on savait pas pourquoi alors j’ai
marqué « il était une famille pauvre qui
avait un fils… alors son père a décidé… je vais te parler de quelque chose Artur… »
98 Mais avant d’en arriver à préciser l’histoire familiale pour donner un sens aux actions du
héros, Alexis s’est confronté au souci de ne pas résoudre trop vite les problèmes
rencontrés, par le héros. Il tente de s’en expliquer.
« E : – Pourquoi as-tu décidé de changer les parties de ton conte ?
A : – Parce qu’on ne sait pas la famille… après le problème se résolvait trop vite.
E : – Où as-tu résolu le problème trop vite ?
A : – Parce qu’il a trouvé un sac d’or, il va acheter à manger et il s’en va mais après
sur le chemin… il se rend compte qu’il est riche… après il trouve un monsieur qui
fabrique des épées… il demande des épées et un casque et le monsieur lui donne une
boule de cristal… après la boule de cristal elle peut faire tout… si je veux l’histoire
elle peut se finir en une page…
E : – Et cela ne va pas ?
A : – Non la boule elle fait trop de dégâts dans l’histoire
E : – Elle fait trop de dégâts au profit du héros ?
A : – Oui parce que si j’avais laissé la boule il aurait trouvé… tiens je vais acheter ça
et ça et ça… tu me donnes ça et ça et ça… après l’histoire serait plus bonne ».
99 Lors du troisième entretien, alors qu’il commence la troisième version, il annonce sa
décision de supprimer des personnages et révèle des éléments de la fiction qui
n’apparaissent pas explicitement dans le récit mais motivent les décisions des
personnages.
« A :– J’ai changé… j’ai enlevé la boule… j’ai changé le riche… j’ai changé le
monsieur… ce n’est plus le monsieur c’est celui qui embauche les gens et si ils ne
trouvent pas d’or ils sont esclaves… Artur ne le sait pas encore ça
E : – Artur ne sait pas encore que s’il ne trouve pas d’or, il sera esclave ?
A : – Oui, là c’est trop facile parce qu’il l’a emmené là où il y avait beaucoup d’or
mais les autres ils le savaient pas parce qu’il n’y a que deux mines pour les
nouveaux et pour les anciens… les anciens n’ont plus le droit de sortir sinon ils sont
frappés mais Artur je vais le faire creuser pour qu’il puisse trouver l’autre salle…
celle où il n’y a pas d’or »
100 S’agissant des rôles des personnages et de leur influence sur le déroulement de l’action,
Alexis a aussi tenté d’expliciter les choix qu’il faisait dans la perspective de la
recomposition du récit. Par exemple, la disparition de la boule de cristal laissait Artur
assez démuni. Aussi Alexis proposa un personnage qui « l’aida un peu » dans la mine.
78
102 Outre les verbalisations au sujet des personnages et de la structure narrative, Alexis a
aussi abordé à trois reprises une évaluation globale de son texte en conformité avec le
genre du conte merveilleux. En reprenant ces trois moments d’évaluation c’est aussi
l’évolution du rapport aux outils et notamment à la « ligne du conte » qui va apparaître.
103 Il évalue d’abord son texte positivement durant le premier entretien (18/11). Il justifie
son point de vue par le pouvoir magique de la baguette et de la boule. Alexis est revenu
ensuite sur cette position et une semaine plus tard, lors du deuxième entretien, il estimait
que son premier jet n’était pas un conte.
« E : – Tu as changé d’histoire ?
A : – Oui ma première histoire n’était pas un conte mais un premier jet… par
exemple… le riche était habillé avec une cape rouge…
E : – Pourquoi ce n’est pas un conte ?
A : – Parce qu’il donne la définition du personnage et moi c’est ce que je ne voulais
pas… moi je ne voulais pas que ça devienne un petit conte avec un modèle dessus…
par exemple… une flèche en dessous des lignes vides et nous on devait mettre le
temps et le lieu et à côté on écrit un peu l’histoire comme un petit bac… »
104 Il apparaît que pour Alexis, le premier jet n’est pas un conte parce qu’il a l’impression
d’avoir complété des cases, sans doute mécaniquement, pour placer des personnages
selon le découpage proposé par l’outil n° 6, la « ligne du conte », sans avoir créé une
fiction comme il l’a fait ensuite pour la seconde version. Il a utilisé cet outil le 24 octobre,
la veille de l’écriture du premier jet, comme on remplit les cases lors du jeu du petit bac
qui consiste à trouver des noms de ville, de fleuve, de pays, etc. qui commencent tous par
la même lettre. L’outil co-élaboré en classe ne dit rien de la manière dont va l’utiliser
79
chacun des élèves. Visiblement, Alexis est passé par un rapport très applicationniste à
l’outil.
105 Alexis estime, en revanche, lors du troisième entretien du 3/12, alors qu’il est engagé
dans la rédaction de la cinquième version, que son texte est un conte.
« E : – Est-ce que tu peux me dire si ton texte est un conte ?
A :– Oui on présente les personnages… après on présente le problème mais j’ai pas
fini la suite… je ne suis qu’ici… présentation de quelques personnages, l’ambiance,
présentation du problème… »
106 Il entame seulement la troisième version mais son jugement est plus assuré et son rapport
à l’outil a évolué. Il semble s’en servir maintenant comme référence, comme point d’appui
pour apprécier ses choix de composition. Ceci est confirmé par ses propos lors du dernier
entretien.
« E : – Est-ce que tu avais des idées avant d’écrire ?
A : – Au début il n’était pas un conte… au début on a fait une petite feuille comme
ça, on avait fait une petite ligne et on construisait les détails qu’on voulait et on a
fait notre premier jet et je me suis rendu compte que ce n’était pas un conte, c’était
une histoire parce que il n’y avait pas de magie… il y avait la vipère… elle marchait
par terre il n’y avait pas… le méchant il faisait rien
E : – Comment elle t’aide cette grille ?
A : – Ben c’est pour savoir les objets, les héros je ne le savais pas au début… je
n’avais pas encore inventé le pays, Artur et tout ça… les feuilles m’ont aidé à mieux
connaître mon conte et les personnages…
E : – Est-ce que ces feuilles t’ont aidé à faire progresser l’écriture du conte ?
A : – Oui parce que si on n’avait pas eu ça, on n’aurait jamais su les personnages, le
méchant, les objets… par exemple on n’aurait pas mis présentation de l’ambiance…
temps… époque… moi quand j’ai construit mon histoire je n’avais pas mis l’époque
et où ça allait se mettre… et après au milieu j’ai décidé de m’arrêter et de regarder
cette grille pour savoir laquelle sera la mieux la première ou la seconde histoire. »
107 Les propos d’Alexis semblent confirmer ce qui était avancé, à titre d’interprétation, sur la
portée instrumentale des remarques inscrites par lui, tout au long de la deuxième
version, en référence à l’outil modélisant la trame narrative du conte. Le brouillon
instrumental s’insérait dans le brouillon linéaire. Les critères étaient alors utilisés dans
leur fonction instrumentale, initiée dans les interactions entre élèves, pour aider à
intérioriser le contrôle du processus de production.
108 Pour présenter l’évolution d’Alexis au regard des opérations inhérentes à l’écriture, on
peut dire qu’il s’est lancé sans anticipation dans l’écriture du premier jet, d’une part, et
qu’il recommande, alors même qu’il arrive au terme de son parcours, des procédures de
planification d’autre part.
109 Alexis dit s’être lancé sans idées anticipées dans l’écriture malgré le travail de
planification réalisé en classe durant la deuxième semaine et les 45 minutes laissées à la
disposition des élèves pour préparer la rédaction du premier jet.
« A – Au début on n’avait pas d’idées… alors c’est ça moi j’ai inventé un riche et un
pauvre. J’avais pas encore inventé la boule et tout ça…
…/…
A – Au début on ne savait pas ce qu’il y avait… on écrivait comme ça… vite vite… on
ne savait pas… on inventait tout… »
80
CONCLUSION
112 Il s’agissait de montrer comment un dispositif conçu pour faire construire une
compétence d’écriture centrée sur le conte merveilleux amenait les élèves à évoluer dans
leur rapport au texte et à l’écriture. Les réécritures des textes et des critères ont été
restituées en parallèle parce que ces deux dimensions, collective et individuelle, de
l’activité ont été co-déterminées dans le projet : écrire pour apprendre et apprendre pour
écrire furent dialectiquement articulées.
113 L’étude des réécritures de Philippe et Alexis a montré un investissement très important
de leur part. Tous deux ont consacré beaucoup d’énergie à (re-) construire leur conte, à
s’intéresser à leurs personnages et à les rendre intéressants. Pourtant, ils ne disposaient
pas des mêmes moyens au début du projet. Alexis semblait bien plus démuni pour se
confronter à la construction narrative. Ces deux parcours, et notamment celui d’Alexis,
tendent à prouver que les scripteurs « non experts » peuvent aussi modifier leurs
productions au niveau textuel et peuvent ne pas se contenter de corriger en surface, et
par fragments, orthographe et ponctuation, contrairement, comme le rappelle C. Fabre-
Cols (2000, 12), à ce qu’avancent certaines recherches se réclamant de la psychologie
cognitive.
114 Nous avons tenté d’interpréter les textes en les mettant en relation avec le contexte de
production et nous avons pu observer que, si Alexis et Philippe ont privilégié un
traitement des aspects textuels du conte, c’est sans doute parce que les discussions dans
le groupe se sont d’abord orientées sur ces aspects. Le groupe fut, avec l’enseignant et
quelques-uns de ses pairs, un élément déterminant pour aider l’élève dans ses décisions
de transformation du texte (Ruellan, 2001). L’animation de l’enseignant a permis au
81
appel à quasiment tous les critères, donnant même l’impression de les maîtriser au
moment où ils étaient formulés et adoptés par le groupe.
BIBLIOGRAPHIE
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83
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WITTORSKI R. (1997) : « La construction des compétences par et dans l’alternance », Pour, 154,
95-104.
AUTEUR
FRANCIS RUELLAN
CFP Lille, Equipe Théodile (E.A. 1764)
Francis Ruellan est né en 1956. Après avoir été instituteur, il est devenu formateur dans les CFP
de Lille et de Paris où il a assumé diverses responsabilités, notamment en matière de recherche.
Outre sa thèse, soutenue en janvier 2000 à l’Université Charles-de-Gaulle-Lille 3 : Un mode de
travail didactique pour l’enseignement-apprentissage de l’écriture au cycle 3 de l’école primaire, il a publié
une dizaine d’articles. Il s’est éteint en janvier 2003.
84
dominante1. Elle tend à faire des didactiques des disciplines des pédagogies appliquées,
des « pédagogies spéciales », comme on disait, jadis, dans les Ecoles Normales Primaires. Il
est certes possible qu’il existe des invariants non-triviaux qui traversent les didactiques
des disciplines scolaires, constituées ou en voie de constitution. Encore faut-il « y aller
voir » réellement, comparer les didactiques ente elles, sans accorder a priori à l’une
d’entre elles, du fait de son antériorité ou de son niveau de formalisation (la didactique
des mathématiques telle que la conçoit Brousseau, par exemple), le statut de modèle de
référence indépassable. A l’issue des travaux actuellement en cours sur cette question, on
pourra, si l’on veut, qualifier de « pédagogiques » ces invariants.
8 C’est dans cette perspective d’abord pédagogique qu’il convient peut-être de comprendre
la formulation a priori surprenante de l’hypothèse soumise à l’épreuve des faits. Au terme
de ses deux longues premières parties introductives (près de 300 pages), F. Ruellan avance
en effet comme suit son unique hypothèse théorique (1999 : 279-280) :
« nous faisons l’hypothèse qu’un dispositif susceptible de favoriser l’auto-socio-
construction de compétences scripturales se structure en articulant
dialectiquement les composantes suivantes :
• une pratique en situation de production/communication écrite pour faire l’expérience tâtonnée du
contrôle de l’activité scripturale (engager le questionnement, concevoir et modifier des plans
d’action, etc.) ;
• une analyse « spontanée » de l’activité scripturale (repérage des réussites et des problèmes, des
procédures efficientes), au cours d’échanges collectifs réguliers et non directifs ;
• une analyse plus construite et formalisée des problèmes d’écriture sous la tutelle de l’enseignant,
articulée à l’analyse spontanée et visant à la construction de réponses à investir lors des situations
de production/communication ;
• une co-élaboration évolutive de conseils pour écrire, censés contribuer à l’évolution des
représentations des buts assignés associés aux moyens requis ainsi qu’à la construction d’un univers
commun de référence ;
• un accompagnement en situation de production pour favoriser l’autorégulation par des usages
critiques et différenciés des outils critériés, utilisés comme « conscientiseurs » plutôt que comme des
objets à caractère injonctif voire normatif ;
• une clarification du fonctionnement du dispositif afin de faciliter la mutation des rôles par/pour la
prise en charge de la responsabilité stratégique de l’activité par l’élève. […] C’est bien l’unité
articulant ces composantes qui constitue l’hypothèse. »
9 En général, une hypothèse ne porte pas directement sur le modèle que l’on soumet à
l’épreuve des données empiriques, mais sur les données empiriques attendues : compte
tenu de l’analyse de l’état de la question qui est l’objet de la recherche, des conjectures
théoriques qu’il est logiquement possible d’en inférer, on s’attend à constater, lors d’une
observation provoquée et contrôlée, une série de faits observables. Cette prédiction
constitue l’hypothèse, qui sera déclarée validée ou non en fonction des données
recueillies. Si l’hypothèse est validée, la conjecture théorique ou le modèle dont elle est
issue sont jugés non pas vrais mais acceptables ou plausibles.
10 Telle qu’elle est formulée, l’hypothèse avancée par F. Ruellan paraît destinée à montrer
que tout développement de la compétence rédactionnelle s’explique exclusivement par
« le MTD », le « bon modèle » à suivre. Elle impliquerait une investigation qui consisterait
à partir des performances d’une série de classes à des épreuves de rédaction du conte, à
décrire-formaliser les pratiques didactiques des maîtres de ces classes en matière
d’enseignement-apprentissage de la rédaction et à évaluer leur degré de proximité avec le
MTD. Cette démarche nettement inductive n’est pas impossible. Elle est parfois, en partie,
mise en œuvre à grande échelle dans certaines académies quand, sur la base de résultats à
des épreuves communes comme celles du BEPC, on met en évidence, « toutes choses
égales par ailleurs », un effet établissement qu’on essaie d’expliquer par des pratiques
88
11 • Le MTD présenté par F. Ruellan a une histoire. Une possible généalogie est envisagée à
l’ouverture de la deuxième partie (p. 165) :
« En pédagogie et en didactique du français, le projet de modélisation qui anime
cette recherche n’est pas une idée neuve. A partir du Plan de rénovation (Rouchette
1971), la notion de style pédagogique que proposait Romian (1979), […] en
attestent. ».
12 Mais, sans doute parce que l’entrée est d’abord pédagogique et que le MTD est issu d’un
MTP supposé valoir pour l’enseignement/apprentissage de toute compétence, la
perspective est aussitôt abandonnée. Cet oubli de l’histoire de la didactique du français
est dommage. Il aurait été utile non pas tant de reconnaître des dettes mais de mettre en
évidence les spécificités du MTD élu par F. Ruellan et, ainsi, de contribuer à une forme de
capitalisation des connaissances. Il aurait été utile de montrer que la recherche et les
réformes en matière d’éducation peuvent ne pas simplement se prévaloir de l’argument
éphémère de la nouveauté. Il vaut donc la peine d’y revenir.
13 Le Plan de Rénovation de l’enseignement du français à l’école élémentaire (1971) a très
largement inspiré l’ensemble des textes officiels publiés entre 1972 et 1980 pour
l’élémentaire mais aussi pour le premier cycle du collège2.
14 L’économie générale du dispositif repose sur une dialectique « libération-pratiques de
communication/activités spécifiques de structuration » qui accorde à la
« communication » une priorité chronologique (temps 1) et quantitative (les deux tiers de
l’horaire officiel dévolu au français, Best 1978).
15 C’est parce qu’ils sont engagés dans des situations ou projets langagiers où ils ont à
« parler, écrire pour de bon à l’école » que les élèves se libèrent, lèvent les inhibitions qui
pèsent sur leur parole, se « désaliènent » (Best 1978 : 11) et tirent ensuite le meilleur
profit des temps de structuration du langage à travers l’étude de la langue. La « vraie »
motivation relève moins de l’affectivité d’un moi profond que de l’investissement dans
une situation de communication qui, en principe, fait sens pour les élèves dans la mesure
où elle est « fonctionnelle ». Référence est ici faite (Legrand 1973 : 99-133 : chapitre IX
rédigé par Hélène Romian), un peu à Claparède (1958, 4° édition : 165 sq. en particulier :
« Une méthode fonctionnelle d’enseignement de la langue ») et surtout à Jakobson (1963,
Best 1978 : 28-30). Le fameux schéma de la communication et l’analyse des fonctions du
langage à travers les traces linguistiques spécifiques que chacune laisse en surface des
messages servent ainsi à caractériser les pratiques de communication auxquelles sont
invités les élèves et à « programmer » de nouvelles situations. La grille « de Bourges »
(1975 Repères 28), par exemple, a été produite dans cette perspective par les équipes
INRP : ce classement d’une série d’activités de production écrite selon les fonctions de
Jakobson devait constituer un quasi « référentiel » didactique. L’essentiel était que les
maîtres diversifient les situations de façon à ce que, avec le temps, les élèves rencontrent
et mettent finalement en jeu l’ensemble des fonctions du langage (Best 1978 : 11). Nulle
89
18 Dans la mesure où les évaluations scolaires, en français mais aussi dans d’autres
disciplines, se font souvent par le truchement de la production/compréhension de textes
et de discours, l’école paraît ainsi classer, trier et sélectionner les élèves sur/au moyen de
compétences qu’elle ne leur a pas enseignées/fait apprendre. Ces distorsions entre
objectif général affiché, contenus d’enseignement effectifs et procédures d’évaluation
peuvent constituer quelques uns des biais par lesquels, à l’école, se construisent les
échecs scolaires, se transforment en échecs scolaires des différences ou inégalités
socioculturelles.
19 Plusieurs raisons peuvent expliquer ce qui apparaît, rétrospectivement, comme une
impasse didactique. Elles relèvent, entre autres :
• du primat de la linguistique phrastique : c’est elle qui est censée garantir la solidité
didactique du Plan de Rénovation en permettant la mise au point de « nouveaux » contenus
d’enseignement scientifiquement fondés qui rajeunissent la grammaire scolaire sans
bouleverser les équilibres classiques. Textes et discours sont renvoyés dans le domaine non-
connaissable de la parole ou de la performance, et donc du non-enseignable.
• de l’idéologie du texte littéraire : avec, au début du XIX e siècle, la mort de la rhétorique de
l’inventio et de la dispositio et la naissance de l’idéologie « romantique » du texte littéraire,
de sa production (l’auteur comme subjectivité unique, originale et inspirée) et de sa
réception (la communion de deux âmes), c’est l’idée même d’un enseignement des textes et
des discours qui est récusée. La compétence à produire et à recevoir des textes et des
discours ne doit pas s’enseigner sous peine de déshumanisation.
• et du poids de la tradition scolaire française, de ce « préjugé séculaire [qui] réservait à
l’enseignement secondaire les exercices de composition » (Rulon et Friot 1962 : 147). Les
textes officiels réunis par Chervel (1992) montrent clairement l’origine, la persistance et le
contenu de la dichotomie « primaire/secondaire » dont hérite la réflexion sur
l’enseignement du français des années soixante-dix.
28 • F. Ruellan décrit très précisément les phases du travail en MTD mené dans la classe A où
il s’incarne (1999 : 388-524). Ce « cahier-journal » du MTD pratique fournit les pièces qui
nous permettent de formuler quelques remarques et questions et de moduler
l’architecture théorique du MTD dont l’épure vient d’être présentée (Ruellan
1999 :164-274).
29 On constate d’abord, en reprenant la catégorisation en SF, SD et SSt proposée par F.
Ruellan lui-même des 78 moments qui scandent le travail, que la durée totale consacrée
aux SF représente à peine la moitié de la durée du projet dans son ensemble. Le MTD
pratique semble s’écarter significativement du PR qui préconisait de consacrer les deux
tiers du temps aux activités de communication en SF.
30 En réalité, les choses sont un peu plus compliquées du fait du caractère inévitablement
discutable de la catégorisation des moments didactiques voire de leur repérage dans le
continuum temporel.
SF 34 22 heures 30
SD 24 11 heures
SSt 20 12 heures
• 20 SF : lecture individuelle de la première version rédigée avant les vacances (8 h 45-8 h 55)
• 21 SD : échange d’impressions après la lecture de la première version (8 h 55-9 h 10)
• 22 SF : évaluation mutuelle des premières versions en trinômes (9 h 15-9 h 45)
• 23 SD : bilan collectif sur l’intérêt des échanges en trinômes (9 h 45-10 h)
33 Du point de vue des élèves, ces questions n’ont sans doute pas grande importance puisque
c’est l’ensemble des 78 moments qui est supposé prendre sens pour eux dans la mesure où
chaque situation contribue à la réalisation du projet de communication auquel les élèves
adhèrent en principe. Du point de vue de la recherche et de ce qu’on peut légitimement
en conclure, il en va tout autrement puisque c’est le contrôle des variables qui président
au recueil des données empiriques qui est en jeu et, plus fondamentalement, la
caractérisation du MTD théorique soumis à l’épreuve des faits.
34 Les SD constituent aux yeux de F. Ruellan l’option critique de sa thèse. Mais, d’une part,
leur présence et leur poids relatifs dans le MTD pratique ne sont pas toujours clairement
établis. D’autre part, il n’est pas sûr que les MTD pratiques des classes qui font a priori
contraste avec la classe qui incarne le MTD élu par F. Ruellan, se caractérisent en réalité
par l’absence de toute SD. Toutes ces classes (sauf une classe témoin) travaillent en effet
en projet d’écriture longue (Ruellan 1999 : 293) et il est peu vraisemblable que ce mode de
travail n’implique pas, quasi naturellement, des moments de SD, certes plus ou moins
fréquents, importants et formalisés. Faute de disposer du « cahier-journal » de ces classes,
il est cependant impossible de clarifier ce point pourtant essentiel pour la recherche.
35 • Le dispositif quasi expérimental vise à comparer les effets du MTD mis en œuvre en 1992
dans la classe A à ceux produits par quatre autres modes de travail dans quatre classes
auxquelles est ajoutée une classe témoin :
• classe B : alternance SF et SSt mais pas de SD puisque, même si les critères de réussite sont
élaborées collectivement en SSt, c’est l’enseignant qui assume, en grande partie, le passage
des SF aux SSt en repérant et en formulant lui-même les problèmes rencontrés le plus
fréquemment dans les textes des élèves,
• classe C : accent mis sur l’implication dans les SF, avec peu de SD ou de SSt et sans
explicitation socialisée et capitalisée de critères de réussite,
• classe D : réécriture en SF à partir des notions travaillées en SSt selon un programme défini a
priori par l’enseignant,
• classe E : schématisations et critères textuels issus de lectures de contes, mais pas de
pratique d’écriture,
• classe T : ni écriture ni travail sur le conte.
36 Les élèves des six classes sont soumis à un pré-test et à un post-test ainsi qu’à un re-test
(rédiger un conte merveilleux). Leurs productions (238 textes) sont analysées selon sept
critères :
• ancrage de l’histoire dans un univers merveilleux (trois valeurs : univers quotidien, univers
non-quotidien mais non-merveilleux ou éléments non-fonctionnels de merveilleux, univers
merveilleux plus ou moins fonctionnel),
• présence d’une trame narrative intégrant l’apparition, le développement et la résolution
d’un (de) problème (s) (quatre valeurs : suite d’actions juxtaposées, séquence d’actions
cohérente mais non dramatisée par un problème ou une intrigue, séquence narrative avec
absence ou minoration de la situation finale, séquence narrative complète),
• nombre de personnages, nombre de personnages à fonction précise, nombre de personnages
à fonction précise bien amenée,
• intégration des paroles de personnages : nombre de répliques fonctionnelles,
94
41 Enfin et surtout, la place et le poids réels des SD dans le MTD pratique de la classe A sont,
on l’a vu, sujets à discussion, alors même que ces SD ne sont sans doute pas absentes dans
la classe B. Dans ces conditions, F. Ruellan peut conclure avec une certaine confiance à
l’intérêt d’une didactique de la composition écrite, au cycle 3 de l’école primaire, qui
s’appuie sur une alternance entre SF liées à un projet de communication, SSt et SD
formalisées ou non.
42 Cet apport à la communauté des chercheurs et des praticiens est loin d’être négligeable.
Dans une conjoncture historique différente, il aurait pu prendre l’allure de la validation
d’un PR2.
BIBLIOGRAPHIE
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communication publiée dans le Journal de Psychologie Normale et Pathologique 1924).
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capacités syntaxiques d’élèves de CM1, 6-28 ; H. Romian et A. Lafond (éds.) (1981) : Essai d’évaluation
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Paris : Vrin.
SACKS O. (1988) : L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau. Paris : Le Seuil.
NOTES
1. La publication du SGEN-CFDT de l’académie de Lille a récemment ouvert ses colonnes à une
professeure des écoles stagiaires de l’IUFM Nord - Pas-de-Calais. Elle s’y plaint, au nom de sa
liberté pédagogique, qu’on lui ait présenté les « pédagogies actives » comme les seules possibles,
sans réelle analyse critique des pédagogies transmissives. Réaction saine sans doute, dès lors
qu’une formation professionnelle universitaire se caractérise d’abord par le droit au libre
examen, mais aussi fascinant retournement de l’histoire (pour les gens de ma génération…) qui
frappe une proposition alternative, « récupérée » par l’institution et apparemment devenue,
comme disait Barthes « encratique ».
2. 1972 : Instructions relatives à l’enseignement du français à l’école élémentaire (issues des
travaux de la commission Rouchette et en particulier du Plan de rénovation rendu public en 1971
sous le titre « L’enseignement du français à l’école élémentaire. Principes de l’expérience en
cours » (Recherches Pédagogiques 47, Paris : INRDP), et, dans une présentation intégrale et
militante, sous le titre « La réforme de l’enseignement du français vue par ceux qui
l’enseignent… » (L’Enseignement Public, revue de la FEN, supplément au n° 5, décembre 1973, 3°
édition). Cf. Legrand (1977 : 142-176) pour un retour critique sur cette période par l’un de ceux
qui en furent les acteurs. 1978 : Contenus de formation à l’école élémentaire. Cycle élémentaire.
1980 : Contenus de formation à l’école élémentaire. Cycle moyen.
1977-1978 : Textes officiels sur l’enseignement du français et des langues anciennes en 6° et 5°
des collèges.
3. « L’objectif majeur sera de développer chez tous les enfants la capacité de communiquer et de
s’exprimer avec aisance, clarté et correction, oralement et par écrit, dans la langue
d’aujourd’hui » (« dans les situations de communication courante », précise-ton pour l’oral).
Cycle Moyen — 1980.
« L’enseignement du français dans les collèges vise, en premier lieu, à donner à tous les enfants
et adolescents, selon leur degré de maturation, la capacité de communiquer et de s’exprimer avec
aisance et clarté, oralement et par écrit, dans la langue d’aujourd’hui. […] Apprendre à chacun à
s’exprimer dans les conditions requises par toute situation de communication, sans risque de
malentendu ou de disqualification, c est améliorer les échanges au sein de la collectivité et
contribuer à harmoniser les chances. » Classes de Sixième et Cinquième — 1977.
4. Un Plan de Rénovation 2 (PR2) aurait pu voir le jour à ce moment, que, sur d’autres bases,
appelait de ses vœux Hélène Romian dans sa préface à l’Essai d’évaluation des effets d’une pédagogie
du français, i.e. du PR1 vs pédagogie Freinet vs « pédagogie traditionnelle ». (1980 et 1981). Tel n’a
pas été le cas, peut-être parce que le Plan Rouchette/PR1 a été institutionnellement un échec
dont certaines causes ont été analysées (Legrand 1977, Chobaux et Segré 1981).
5. C’est en 1985, chez Delachaux et Niestlé, que J.-P. Bronckart publie Le fonctionnement des
discours et M. Fayol Le récit et sa construction.
6. On peut se demander si l’enseignement de la grammaire phrastique, toujours prévu dans les
IO, n’implique pas nécessairement une progression et une programmation peu compatible avec le
caractère opportuniste des SSt. D’où la proposition de réserver un temps spécifique à cet
enseignement-apprentussage dans des situations dites décrochées (par rapport aux SF),
distinctes des SSt différées (Brassart et Gruwez 1983, 1984, 1985).
98
7. Sur le « dire du faire », voir Lahire (1998a) qui, en tant que sociologue, tente de « situer dans le
fonctionnement du monde social » les raisons de la fréquente « non-conscience » des acteurs à
l’égard de leurs pratiques et de leurs savoirs, de la distorsion entre ce qu’ils font et savent et ce
qu’ils disent faire et savoir. Voir aussi Lahire (1998b : 169-188 en particulier) pour une critique
vive, aux accents parfois boudonniens, des notions bourdieusiennes d’habitus et de sens pratique.
L’inégale aptitude des hommes à la maîtrise symbolique de la pratique en fonction de leurs
conditions matérielles d’existence et du degré l’urgence de la pratique (Lahire 1998 :171
rapportant Bourdieu et Passeron 1970 : 64-65), n’est pas sans rappeler certaines « thèses » datées
de Mauss (1991/1924 : 306) : « […] Seul l’homme civilisé des hautes castes de nos civilisations et
d’un petit nombre d’autres […] sait contrôler les différentes sphères de sa conscience. Il diffère
des autres hommes. […] Il est conscient. Il sait alors résister à l’instinct ; il sait exercer, grâce à
son éducation, à ses concepts, à ses choix délibérés, un contrôle sur chacun de ses actes. [Il] n’est
pas simplement un homme duplex, […] il est « divisé » : son intelligence, la volonté qui lui fait
suite, le retard qu’il met à l’expression de ses émotions […] l’empêchent d’abandonner toute sa
conscience aux impulsions violentes du moment. […] Mais ce ne sont pas ces hommes que nous,
sociologues, avons généralement à étudier. […] L’homme moyen de nos jours – et ceci est surtout
vrai des femmes – et presque tous les hommes des sociétés archaïques ou arriérées, est un
« [homme] total : il est affecté dans tout son être par la moindre de ses perceptions ou par le
moindre choc mental. »
8. Reuter (1991 Introduction à l’analyse du roman) sur quelques catégories narratologiques
générales (1999 : 314 et 316), Fayol (1985) pour une reprise ponctuelle et partielle de l’approche
psycholinguistique d’Applebee (1999 :317) et De Weck sur les chaînes anaphoriques (1999 : 328).
9. Faute d’avoir recours à un outil statistique comme l’analyse factorielle des correspondances, F.
Ruellan ne croise pas ces critères (sauf univers et trame narrative) et ne permet pas au lecteur de
le faire puisqu’il ne donne pas en annexes le détail des résultats de chaque élève. Il ne peut ainsi,
malheureusement, mettre en évidence des « profils » de rédacteurs et situer l’analyse à un niveau
intermédiaire entre les groupes-classes et les individus singuliers de sa quatrième et dernière
partie.
10. Toute la quatrième partie (1999 : 388-858) est consacrée à une analyse compréhensive des
dynamiques à l’œuvre dans la classe A, de l’évolution des productions des élèves de cette classe,
d’entretiens avec six de ces élèves. Contrairement à ce que F. Ruellan écrit ici ou là, elle ne peut,
faute d’éléments de comparaison, être conclusive quant aux effets du MTD. La richesse et la
finesse de l’analyse sont telles cependant qu’elles autorisent (on l’a vu à propos des SD)
l’émergence de nouvelles hypothèses. La mort a empêché F. Ruellan de les formuler précisément
et de les soumettre, patiemment et humblement, comme il savait si bien le faire, à l’épreuve des
faits.
11. Ils se maintiennent en re-test, six mois plus tard, dans des conditions trop faiblement
contrôlées cependant pour que F. Ruellan s’autorise à en tirer des conclusions fortes.
99
AUTEUR
DOMINIQUE GUY BRASSART
Equipe Théodile (E.A. 1764)
Université Charles de Gaulle - Lille 3
IUFM Nord - Pas-de-Calais
100
4 F. Ropé peut dire, dans son étude de 1989, « C’est incontestablement au niveau de la
transformation des contenus que la recherche en DFLM excelle pendant des trois
périodes » (p. 135 ; les périodes en question englobent les années 1970-1984). Dans sa
contribution de 1994, elle aborde p. 194 les recherches sur les ateliers de lecture-écriture :
ce cadre apparemment propice à une réflexion sur la notion de « situation » est en réalité
saisi dans une optique qu’elle appelle « psychopédagogique » ; dans cette perspective, la
notion de situation n’apparaît que sous un éclairage sociologique, pour définir la
spécificité de la production de textes à l’école. C’est encore le sens que lui donne un sous-
titre d’un numéro bien plus récent de « Pratiques » consacré à L’écriture et son apprentissage
(n° 115-116) : les deux articles réunis sous l’appellation « Représentations des enseignants
et situations d’écriture dans les classes » ne s’occupent pas d’analyser ce qu’ils appellent
« situation scolaire » ou « situation de travail ». Sur une trentaine de numéros du Français
Aujourd’hui, le terme « situation » n’apparaît que dans le titre de deux contributions. Dans
un cas, il ne sert qu’à évoquer le cadre d’une activité (« Brouillons d’étudiants en situation
d’examen », par A. Piolat, J.Y. Roussey et R Fleury, n° 108). L’autre pose un problème
communicatif (« Quelles situations pour apprendre à argumenter ? », par C. Golder et D.
Pouit, n° 123), et l’objectif est d’élucider les caractéristiques communicatives des
moments d’étude visés.
5 Il y a donc une inflexion, certes, mais la définition des situations est alors étroitement
dépendante de la nature de l’objet et de l’activité requise par l’appropriation de cet objet,
ce qui fait que l’étude de l’activité-forcément située-ne reçoit pas non plus le traitement
qu’elle exige. A travers la notion de situation, c’est le cadre d’intelligibilité de l’activité
qui est en cause. Un tel souci rend pourtant compte de l’apparition de réflexions sur les
situations dans d’autres contributions qui n’en font pas leur titre : par exemple, celle de
R. Tomassone, dans « Place et modalités de l’étude de l’énonciation à l’école primaire » (n
° 128) : abordant en conclusion la définition d’un « cadre approprié » (p. 47), l’auteur
signale : « Quant à l’oral, il est contraint par la situation de communication immédiate ».
C’est le même statut que l’on trouve dans la contribution de Lizanne Lafontaine, « Vers un
véritable enseignement de la communication orale en classe de français langue
maternelle » (n° 141).
6 Les didacticiens de l’oral et les spécialistes de l’école maternelle font donc un usage de la
notion dépassant progressivement la simple évocation du cadre d’une acquisition, pour
aller vers la définition et l’analyse des conditions mêmes de cette acquisition. Par
exemple, C. Le Cunff et M. Grandaty (« Situations de discours explicatif oral/écrit aux
Cycles 1 et 2 – Performances, activités métalangagières et étayage », Repères n° 9, Activités
métalinguistiques à l’école, INRP, 1994), lient deux notions qui vont jouer un rôle
grandissant (y compris dans les travaux de Francis Ruellan), celles de situation et celle de
fonctionnalité : « Avec de jeunes enfants, il s’agit de construire des situations impliquant
le métadiscursif de manière fonctionnelle dans le cadre de leur projet » (p. 147, repris en
conclusion p. 158).
7 Ainsi, peu à peu, la notion de situation se rapproche de ce qui fait l’un de ses fondements
en didactique des mathématiques : elle ne devient un objet de réflexion en didactique du
français langue maternelle que dans les cas où l’objet d’enseignement se confond à tort ou
à raison avec une compétence en actes ; où l’interaction injonctive maître-élève ne peut
permettre d’atteindre l’objectif ni de construire la compétence ; où seul un agencement
du « milieu » peut jouer un rôle moteur en ce sens. Telle est aussi la raison du sens dans
lequel diverses études des ateliers d’écriture vont évoquer la notion de « situation » : dans
103
un article déjà ancien, C. Garcia-Debanc voit l’atelier comme cadre d’une transposition
fonctionnelle de pratiques sociales de référence (« De l’usage d’ateliers d’écriture en
formation d’enseignants de français », Pratiques n° 61, Mars 1989). Mais le rapport entre
situations fonctionnelles et apprentissage ne va pas toujours de soi, ce qui amène C. Le
Cunff, tout en reliant la réflexion à un problème spécifique (« La tâche langagière chez les
deux ans », in Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire – L’écrit et l’oral réflexifs,
PUF, 2002), à se fixer comme objectif la transformation de « situations d’échanges » en
« situations d’apprentissage » (p. 191), dont la nécessité découle d’un enjeu qu’elle
formule en termes de « dévolution » (p. 197). Ce terme, inauguré en didactique par les
mathématiciens, renvoie pour eux au transfert de responsabilité à l’élève d’une situation-
problème ; ici, il s’agit simplement de la parole. Peu importe à notre stade : l’on esquisse
ainsi, sans trop s’y attarder, l’idée d’un système de dispositifs articulés, matérialisés par
des « milieux » spécifiques, correspondant à diverses phases ou à divers aspects de tout
processus de construction de connaissances.
8 Cette évolution progressive du contenu et du statut de la notion reste limitée : par
exemple, l’introduction puis la généralisation du mode de travail par « séquences
didactiques » n’a pas, nous semble-t-il, contribué à faire évoluer son usage ; les
enchaînements les plus ingénieux de lecture-écriture, d’étude de la langue, d’écrit et
d’oral, restent focalisés sur l’objet plus que sur le transfert de responsabilité à
l’apprenant. Pour des raisons tenant à la nature (problématique, hétéroclite) de ses
objets, à son histoire épistémologique et sociale (fragmentation en sous-disciplines tout
aussi hétéroclites, multiplicité des disciplines « savantes » de référence, clivage
historique des finalités entre apprentissage de la langue et enseignement de la
littérature), la discipline « français » est bien loin de pouvoir adhérer aux évidences sur
lesquelles nos amis didacticiens des mathématiques installent leur projet et leurs
édifices :
« Une situation est l’ensemble des circonstances dans lesquelles une personne se
trouve, et des relations qui l’unissent à son milieu. Prendre comme objet d’étude les
circonstances qui président à la diffusion et à l’acquisition des connaissances
conduit donc à s’intéresser aux situations. Les situations didactiques sont, dans la
langue française, des situations qui servent à enseigner. Deux points de vue
s’opposent alors : selon le premier, la situation est l’environnement de l’élève mis
en œuvre et manipulé par l’enseignant ou l’éducateur qui la considère comme un
outil. Selon le second, la situation didactique est l’environnement tout entier de
l’élève, l’enseignant et le système éducatif lui même y compris ». (Guy Brousseau,
1997).
12 Le « mode de travail didactique » proposé par F. Ruellan ne se traduit pas par des mises en
situations : ce sont elles, ou plutôt le système qu’elles forment, qui fondent le « mode de
travail didactique ». Ce point suffit à indiquer le changement de statut de la notion de
situation par rapport aux traditions de la didactique du français : il ne s’agit pas d’un
contexte au statut d’élément périphérique. Le centre est dans la périphérie. De même, le
« mode de travail didactique » est constitutif de la notion de « projet » telle qu’il l’entend
105
(ce qui constitue un premier et notable déplacement des problèmes), dans l’articulation
de trois types de situations.
13 En matière d’apprentissage de la production d’écrits, les schémas didactiques en vigueur
depuis presque trente ans sont victimes d’une aporie : celle du sujet. La perspective du
projet y a été affirmée et réaffirmée. L’idée que l’on apprend à écrire en écrivant a ainsi
conquis un droit de cité établi. L’idée de la construction de connaissances « pour » et
« sur » l’écrit à travers une activité finalisée s’est imposée. Mais la cohérence de ce
système didactique n’a pas été poussée jusqu’au bout : elle ne pouvait pas l’être parce
qu’il ne prenait pas en compte le changement de contexte. D’un côté, on a dans les faits
naturalisé les pratiques scolaires, comme si la transposition des pratiques de référence
étaient linéaire, de l’ordre de la simplification4. D’un autre, on a appelé « activités
décrochées » les moments didactiques où la nature des savoirs en jeu ou le niveau de
construction exigé imposaient une distance par rapport au fil du projet. Distance ou
rupture ? L’un des problèmes laissé en suspens par ce type de dispositif était
probablement la différence de nature entre savoirs « pour » (pour agir dans le cadre du
projet) et savoirs « sur » (impliquant une construction métalinguistique dont la valeur
outillante pour les tâches en cours n’était pas de l’ordre de l’immédiateté). La question de
la distance correspond peut-être à une mauvaise formulation du problème : c’est d’une
conversion du regard sur la langue qu’il s’agit, d’une de ces transformations du rapport
au langage que nous analysons avec Michel Brossard en termes de décontextualisation/
recontextualisation, c’est-à-dire de sortie de la dimension communicative immédiate de
l’activité pour entrer, non dans le domaine d’une quelconque abstraction « pure » mais
dans un autre contexte intellectuel et social : celui de l’objectivation du langage, celui des
linguistes et des grammairiens, transposé à l’école. Nous reviendrons sur cette référence
aux communautés d’origine des savoirs.
14 Mais comment, pour un élève, peut s’opérer cette conversion, irréductible à une simple
mise à distance ? Un tel processus semble délicat à imaginer dans le cadre de la conduite
d’un projet d’écriture. Deux voies semblent alors possibles :
• dans un cas, on s’en remet à la rencontre possible de deux processus d’enseignement
distincts ; le processus de construction de connaissances de type conceptuel ne coïncide pas
avec la formation de compétences communicatives, refuser de les distinguer nettement ne
permet pas de développer leur dialectique (nécessairement à terme) et de procéder à une
action spécifique sur chacun, condition de cette dialectique ; par conséquent, il serait
nécessaire de travailler séparément, pour commencer, savoirs « pour » et savoirs « sur », en
réservant à des situations ultérieures leur mise en synergie. Inspirée d’une certaine lecture
de la psychologie Vygotskienne, cette option ne manque pas de cohérence interne, mais,
outre qu’elle ne s’appuie guère pour le moment sur des résultats de recherche empiriques
(domaine où il est toujours délicat de suivre assez longtemps un axe longitudinal), elle ne dit
rien des conditions subjectives dans lesquelles peut s’opérer le passage d’un type de savoir à
un autre, le réinvestissement de l’un dans des situations reposant sur l’autre, etc. Elle peut
enfin sembler contradictoire avec la perspective de projet dans laquelle Francis Ruellan
voyait un moyen privilégié de combiner la dynamique de l’action et « l’incitation à (se)
questionner », comme il l’écrit dans sa thèse, p. 99.
• dans l’autre – le sien –, l’on cherchera à éviter la conception unidimensionnelle de la
stratégie de projet en le dédoublant, en l’épaississant presque, et c’est ce qu’il va traduire en
termes de types de situations. Mais un mot préalable sur les fondements, en lui donnant la
parole :
106
3. 3. Le tryptique
16 D’où l’architecture tripartite des situations. Les situations différées (désormais, comme
chez lui, SD) se situent comme intercalaires entre situations fonctionnelles (SF) et
situations de structuration (SSt). F. Ruellan les appelle aussi « intermédiaires », ce qui
nous permettra également de les interroger à la lumière de notions en développement
depuis quelques années, celles d’oral et d’écrit intermédiaires5, dont on n’oubliera pas
qu’ils ont, dès le début, été appelés aussi « réflexifs ». Mais avant de voir en quoi les
propositions de F. Ruellan légitiment ces qualifications, il faut définir leur statut dans le
dispositif. Intermédiaires entre quoi et quoi ?
17 Ce premier volet du triptyque (SF désormais) n’est pas sans analogie avec les situations
« a-didactiques » des mathématiciens, en vertu d’une terminologie qui les distingue des
situations didactiques (le maître transmet un savoir), et des situations non-didactiques
(hors de tout contexte d’enseignement, le sujet doit utiliser ce savoir pour résoudre un
problème). Une situation a-didactique est intermédiaire entre les deux : l’élève doit gérer
lui-même la résolution d’un problème, ce faisant il en accepte la responsabilité
(« dévolution »), et il produit des connaissances, les fait fonctionner et évoluer, grâce à un
aménagement du milieu, ce qui permet au maître de « communiquer ce savoir sans avoir
à le dévoiler » (G. Brousseau, 1997). Les différences qui sautent aux yeux sont à ce niveau
dues à la différence de nature des savoirs : ce que l’on cherche à construire en production
d’écrits n’a rien à voir avec du vrai/faux. Par conséquent, le dispositif didactique –
adidactique – non didactique n’a pas lieu d’être. Mais des analogies résistent un peu plus à
l’analyse : les SF sont, pour F. Ruellan, globales, complexes, inspirées de pratiques sociales
de référence ; leurs objectifs sont communicatifs et leurs paramètres définis par la teneur
du projet qui les sous-tend. Les élèves produisent pour réaliser des buts sur le plan
communicatif. Il s’agit donc d’activités ayant leurs finalités propres et sans référence
explicite à des apprentissages (elles ne comportent pas d’objectifs d’apprentissage fixé ni
de planning). Elles s’appuient sur les besoins et les intérêts des élèves, mais F. Ruellan ne
sombre pas dans le cliché de « l’enfant au centre » : ces besoins sont vus en prenant en
compte la spécificité du cadre scolaire. Il ne s’agit donc pas de besoins immédiats, et la
107
notion est définie, dans des termes quasi-Piagétiens, par la nécessité de s’adapter au
milieu ; cette nécessité crée des besoins qui suscitent une action génératrice de
connaissances. Cette action se développe dans la relation aperçue entre les besoins du
sujet et les propriétés de l’objet. Donc, elle introduit une dynamique qui doit ouvrir sur
d’autres intérêts. A travers l’investissement, la découverte, l’expérimentation qu’elles
exigent, les SF permettent la construction de compétences qui mobilisent, intègrent et
combinent des savoir-faire expérienciels et sociaux, des savoir-faire et savoirs
procéduraux, mais aussi théoriques. F. Ruellan reformule par ailleurs d’une manière qui
me semble un peu plus discutable ce à quoi aboutissent les actions à l’œuvre dans les SF :
à des habiletés sensorimotrices, à des attitudes socio-affectives et à des valeurs « autant
que de savoirs de type cognitif ou notionnel ». Une telle formulation ne risque-t-elle pas
de laisser croire que ces acquisitions peuvent être dissociées de l’approche des objets ?
Quoi qu’il en soit, les démarches mises en œuvre par les élèves dans les SF sont favorisées
par la durée et les échanges avec un tiers ou des pairs, interactions qui mettent en route
un processus de co-évaluation, où l’élève est introduit au questionnement ses propres
choix.
18 A l’autre bout du triptyque, les élèves sont amenés par un dispositif dit SSt à structurer
conceptuellement les éléments issus de leur démarche d’exploration dans les SF, avec
lesquelles les SSt sont en alternance interactive. Le choix de l’objectif spécifique d’une SSt
vient des dysfonctionnements observés. Il s’agit d’un enseignement/apprentissage
formalisé et collectif, centré sur la réponse à un problème précis rencontré en SF, source
et destination du travail fait en SSt. Les savoirs qui s’y construisent peuvent être
conceptuels ou opératoires. L’approche est plus analytique qu’en SF, dont il faut rappeler
le caractère global, mais en lien avec les « complexes » propres aux SF : on pourrait
éclairer cette notion commune à Piaget et Vygotski en la rapprochant d’une expression
proposée par J.-B. Grize : celle d’agrégat, qui illustre peut-être mieux la nature des
pseudo-concepts nés de l’action. Par rapport à cela, la perspective analytique à l’œuvre
dans les SSt correspond bien à une conversion du regard : elle privilégie (1999 : 221) le
discernement des composantes (par exemple du type d’écrit à produire : « discursives,
textuelles, linguistiques »), et implique donc une suspension de la finalité communicative,
d’autant plus que les réponses peuvent être de nouveaux problèmes. Les activités de SSt
sont ancrées dans la verbalisation (orale ou écrite) par les élèves de leur expérience en
SF : sans s’étendre d’un point de vue théorique sur la nature réflexive du langage, F.
Ruellan en est tout proche : les SSt sont pour lui ce qui permet à l’élève d’« être un
chercheur de structure qui s’efforce de comprendre comment les choses du monde sont
reliées entre elles » (Bruner). A la différence de bien des conceptions triviales des
activités de structuration, le propos est irréductible à la pure transmission frontale par le
maître d’un savoir déjà structuré. Les SSt sont bien des « situations », agencées pour
permettre des avancées d’un type nouveau à un élève qui doit tenter consciemment de
mettre en relation un nouvel élément progressivement identifié avec un autre (par
exemple les attributs d’un concept), ou avec une structure déjà maîtrisée. Nous sommes
loin des batteries d’exercices structuraux… La structuration est un processus, effet de
l’activité de l’élève, résultat (1999 : 223) d’un travail « méta-cognitif ». L’accès au méta-
signifie bien un changement de contexte. Ce qui était pertinent dans celui des SF ne l’est
plus. Il y faut un nouvel ordre de pertinence…
108
19 … et c’est bien à cette conversion que tentent de s’appliquer les situations différées (SD).
Car, d’un point de vue théorique, il faut bien parler de conversion pour envisager l’entrée
de l’élève dans l’univers de la problématisation. Il est donc vital de se demander comment
elle est entendue. Car l’enjeu et l’attente sont considérables, et, en reprenant cette notion
commune aux travaux de F. Ruellan et à la didactique des Sciences de la Vie et de la Terre,
nous voulons indiquer qu’il y a là un enjeu éducatif majeur. Dans une discussion très
critique de la notion de compétence, S. Johsua6 émet l’hypothèse que l’objectif global de
l’éducation scolaire pourrait se résumer à la construction d’une compétence de
problématisation : il se pourrait que cela passe, selon les disciplines, par la stratégie
heuristique consistant à construire une modélisation de l’ordre du « vraisemblable en
contexte », du « possible du domaine » : la problématisation serait en réalité une
heuristique, reposant sur le tâtonnement ou l’analogie fonctionnelle, mais contrôlée par
la référence aux pratiques et valeurs cognitives de la discipline. Ces expressions peuvent
s’appliquer aussi bien à l’abord de phénomènes biologiques qu’à « l’interprétation » en
classe d’un texte littéraire, comme le suggèrent les réflexions d’un didacticien de la
biologie, C. Orange :
« La discussion va plus loin que le simple changement de conceptions. S’y construit
une part fondamentale des savoirs scientifiques visés. Les raisons qui se jouent dans
les débats sont constitutives des savoirs scientifiques. La finalité de l’activité
scientifique est la construction de modèles explicatifs (bien sûr à soumettre à
l’épreuve des faits). [Il s’agit de passer…] d’une opinion plus ou moins proche des
savoirs savants à un savoir problématisé, organisé en réseau de nécessités et de
contraintes, correspondant à la mise en tension du monde des idées explicatives et
des modèles, et du monde du vécu, de l’observation et de l’expression » 7.
20 Or, la voie de la problématisation impose un traitement rigoureux de la question des
significations. Les « critères de réalisation » que les élèves élaborent dans les SD sont-ils
de l’ordre de l’instrument technique ou de l’ordre du signe ? Les SD peuvent-elles être le
cadre de réelles sémioses ? L’objet n’est rien d’autre que ce qu’en fait le processus
d’appropriation ; les critères de réalisation ne s’inscrivent dans une « mise en tension »
des deux « mondes » évoqués ci-dessus que si leur dimension sémiotique est prise en
compte – c’est-à-dire si le fonctionnement de la médiation éducative propre à ces
situations permet l’intériorisation par les élèves des conventions et valeurs
historiquement et socialement élaborées avec lesquels les outils proposés se présentent à
nous ; si les formes des interactions en font ainsi le lieu et l’agent de la réorganisation de
l’expérience individuelle. L’on sait que la question fondant l’hypothèse « communauté
discursive » au sens où nous l’entendons naît de là : ne pas se poser ces questions revient
à manquer la dimension développementale de l’enseignement/apprentissage, hors de
laquelle l’entreprise didactique perd une partie de sa légitimité. Francis Ruellan parle, lui,
de « communauté de recherche » (1999 :147) : pourquoi pas ? La question est de savoir si
une telle communauté se circonscrit à ce qu’elle trouve. Et c’est en ce sens que nous
allons engager le débat.
21 Dans le cadre du « mode de travail didactique », l’analyse des deux premiers types de
situations amène l’idée que les situations différées sont la « clé de voûte » (1999 : 225) de
l’ensemble, qui peut fonctionner en circuit long ou court. Dans les deux cas, l’élève
éprouve la liaison entre SF et SSt-entre le fonctionnel, lié à l’action, et le conceptuel-par
le truchement du jeu de continuités-ruptures propre au mouvement réflexif et discursif
109
qui est impulsé dans les SD : celles-ci ont pour fonction d’amorcer la problématisation,
d’initialiser le questionnement. En effet, l’attitude de questionnement n’est pas un donné.
Elle ne peut être suscitée chez l’élève que par une mise en tension (1999 : 134) ou en
« résonance » (1999 : 137), des SF et des SSt. Comment cela se spécifie-t-il ? F. Ruellan
retrouve, pour qualifier le processus, des termes utilisés dès 1982 par B. Combettes pour
définir un « nouvel esprit grammatical » : susciter l’étonnement (Pratiques n° 33,
GrammaireS, p. 40) pour donner accès à une démarche réflexive. Les SF sont indexées à
l’action, or, comme le dit Bachelard, cité par F. Ruellan : « Du fait à l’idée, le circuit est
trop court. […] Une expérience, pour être vraiment rationalisée, doit donc être insérée
dans un jeu de raisons multiples ». Les SD ont donc pour fonction d’enraciner la
construction des savoirs dans le questionnement du « sensible », du familier des élèves,
nécessaire pour leur faire dévolution du mouvement réflexif. La signification de
« différée » peut ici poser problème : s’il s’agit de les différer dans le temps, on voit mal
l’intégration à la logique de projet. Mais le terme doit être compris autrement : les SD « se
servent des activités pour repérer les problèmes fondamentaux, mais « diffèrent » la
recherche de solutions plus élaborées » (1999 :138).
22 Le mouvement des SF aux SSt est donc assuré par un moment où se développe une sorte
d’heuristique, impliquant la coordination de savoirs divers puisqu’il s’agit de
« recombiner les données de l’expérience pour imaginer une solution nouvelle »
(1999 :141). L’on s’oppose donc à toute démarche de présentation d’algorithmes : G.
Vergnaud est ici convoqué pour attester que l’algorithme exclut l’idée de « pas encore
fait ». Cet aspect semble donc confirmer que la communauté de recherche vise bien un
au-delà des objets au sens étroit. Ceci expliquerait également que les SD soient le siège
d’interactions très particulières, que F. Ruellan met en évidence lorsqu’il passe d’un
éclairage constructiviste à un éclairage interactionniste (pp. 142 et 145), justifié à partir
de la nécessité de se confronter aux obstacles, processus pris dans un sens Bachelardien
et spécifié à l’aide de la notion d’« objectif-obstacle » due à J.-L. Martinand.
23 La question que nous aimerions poser à la notion de SD concerne précisément cet « au-
delà » des objets, le rapport entre leur nature et le mode d’apprendre, l’enjeu commun
d’acquisitions apparemment hétéroclites : à quel niveau les observer pour définir leur
éventuelle homogénéité, en dépassant le stade des définitions théoriques ? On est frappé,
en effet, par la grande diversité des objets d’apprentissage qui y sont traités : les SD
permettent dans la première période étudiée un travail sur la notion de personnage
(1999 : 407, 410), synthétisé et problématisé (1999 : 415) ; dans la seconde un travail sur
l’invention (1999 : 418) ; dans la troisième un temps d’évaluation formative (1999 : 425
puis 432) portant sur le mode de travail, mais aussi, dans la seconde, sur plusieurs aspects
structurels et linguistiques du récit. Il en va de même dans toutes les autres SD décrites.
Face à une telle diversité des objets, il pourrait paraître anodin de parler de « phases »
différées, mais pourquoi convoquer la notion de « situation », avec tout ce qu’elle
implique de cohérence entre un agencement du milieu et des processus cognitifs
spécifiques ? Et, en poussant dans la direction dans laquelle nous pousse la référence à la
110
33 Quelle réponse trouvera-t-on ici ? Centrée sur le « Mode de Travail Didactique », la thèse
ne pose pas la question de la spécificité du domaine choisi : celui de l’écriture de fiction,
qui n’est pas l’écriture en général (existe-t-elle ?), et renvoie aux manières d’agir-penser-
parler de communautés spécifiques. Dans le chapitre définissant les compétences
scripturales (1999 : 167-196), les références aux principaux auteurs ayant marqué
profondément la réflexion sur l’écriture scolaire (Dabène, Reuter, Schneuwly…) servent à
circonscrire le champ de l’étude au couple critère-compétence. L’on en vient à se
demander si la problématisation n’aurait finalement pas pour objectif central de faire
fonctionner ce couple. Sans quoi il serait peut-être difficile d’expliquer pourquoi les SD se
trouvent parfois orientées vers des territoires comme celui de l’« aide à la prise de
décision » (483), dont la compatibilité avec la construction de savoirs problématisés (Cf.
supra Johsua et Orange) resterait à démontrer. Lorsque la communauté de recherche
travaille sur elle-même, et sur ses valeurs, ce sont celles d’une sorte de morale scolaire
générale : voir 1999 : 486, avec une intervention de l’enseignant sur « l’honnêteté » des
élèves, dont la portée, incontestable en soi, est explicitée par référence à Bruner
(« maintien de l’orientation par le rappel des objectifs » et « contrôle des frustrations »,
valoriser ce qui a déjà été réalisé). Il en va de même dans les trois SD suivantes (pp. 488,
489 et 491) : il s’agit de savoir comment on va travailler, s’aider…. Je n’ai pas trouvé trace
d’un travail portant sur les valeurs cognitives qui sous-tendent les pratiques d’écrivains,
travail dont un exemple va être examiné ci-dessous.
34 D’où une nouvelle zone d’interrogations, portant sur le méta-. « L’espace de sens » de
l’écriture de fiction va-t-il s’y déployer ? Dans l’une des SD (p. 465), comme chaque fois
que l’activité consiste à lister ou énoncer un problème, on est dans du méta-narratif, ou si
l’on préfère dans du réflexif. Chaque item de la liste des procédures engagées par les
élèves commence par « Réfléchir à… ». Cependant la discussion semble comme souvent
centrée sur le repérage des relations moyens-buts (pp. 447 et déjà 441). Nouvelle
ambiguïté : faut-il y voir un calcul techniciste ou une manière de s’inscrire dans les
attentes d’une communauté ? Le travail comporte en fait beaucoup de conceptuel et de
procédural, mais peu de culturel. La SSt suivante (p. 491) se réfère tout de même à un
conte d’auteur, mais pour en tirer de quoi faire fonctionner les temps du passé. Dans la SD
suivante (p. 492), le bilan de parcours donne lieu à un outil intitulé « Mon conte et moi »,
mais il se cantonne au listage de points formels de textualité. On reste sur une conception
où domine la « clarté cognitive des situations ». Il n’y aurait que des problèmes
113
paraître simple : pour lier processus et objets d’apprentissage, c’est-à-dire pour faire de la
didactique… Le cadre proposé par la notion de situation nous oblige à examiner la gestion de
la « tresse » des activités langagières en prenant en compte l’évolution de la relation entre
mouvements de l’objet de savoir et construction des positions énonciatives requises. A
l’heure où plusieurs équipes de chercheurs s’interrogent sur la méthodologie de l’abord et
du découpage des corpus, un outil comme la notion de situation vient nous aider à ne pas
négliger l’arrière-plan épistémologique de toute réflexion méthodologique non réductrice.
Alors, la notion de « situation différée » peut devenir, non pas un passage obligé à un
moment contraint, mais un outil heuristique. La distribution même des SD, chez Francis
Ruellan, n’obéit à aucune loi formelle, et il y aurait sans doute à re-travailler la notion de
situation en clarifiant ses relations avec celle de phase, comme le fait Claire Margolinas
(1993) pour la didactique des mathématiques.
• quelles sont les dimensions du processus d’apprentissage qui peuvent et doivent entrer en
jeu dans la problématisation ? Bien sûr, nous rejoignons la conclusion de Bachelard citée par
Francis Ruellan (1999 :136) : « Une expérience, pour être vraiment rationalisée, doit (…) être
insérée dans un jeu de raisons multiples » : d’où l’importance du processus de construction
de problème issu des SF. Où commence et où s’arrête cette multiplicité ? Tout le monde
s’accorde pour dire que la construction d’un ordre des raisons suppose un espace de sens
que la situation scolaire ne peut tirer de sa seule fermeture, mais le champ d’investigations
qui s’ouvre alors est immense et les voies multiples. Avec toutes les dimensions qui lui ont
été données dans la présente étude, pourtant bien superficielle eu égard à la « tenue » de
l’édifice agencé par F. Ruellan, telle est au fond la question que nous aurions tant aimé
pouvoir discuter avec lui.
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Niestlé.
NOTES
1. Pour nous, le moment d’émergence et de mutualisation de cette démarche reste les journées
d’étude de l’association DFLM, à l’automne 1997 à Montpellier, centrées sur ce thème.
2. « Un cadre théorique pour aborder l’étude des élèves en situation scolaire », Enfance, tome 46,
n° 4,189-200.
3. Voir Grossen in Bernié (2001) et Bernié ibid.
118
AUTEUR
JEAN-PAUL BERNIÉ
EA 3662
IUFM d’Aquitaine
Université Victor Segalen - Bordeaux II
119
Qu’est-ce qu’écrire ?
3 Pour répondre à cette question, Ruellan se donne d’abord une définition de la
compétence scripturale. A cette fin, il combine plusieurs approches lui permettant
d’obtenir une image dynamique de la compétence scripturale des élèves dont la
construction est l’objectif didactique visé. Il se réfère d’une part à des modèles de la
compétence qui visent en quelque sorte la description de la compétence scripturale elle-
même ; et d’autre part à ce qu’on pourrait appeler un « modèle didactique » – nous y
reviendrons-, à savoir la définition de dimensions de cette compétence qui seraient
enseignables. Le choix des modèles et la manière de les présenter nous donnent d’emblée
à voir où se situe Ruellan et quelles sont les dimensions de l’écriture qui l’intéressent. Ils
préfigurent le mode de travail didactique en circonscrivant les lieux d’interventions – les
endroits critiques –, de la compétence à construire.
4 L’écriture est une activité effervescente, non seulement dans ses modalités littéraires,
mais aussi ordinaires ; écrire n’est pas transcrire, n’est pas un passage d’une idée à un
texte (Fayol, 1997), comme l’affirment certaines théories linéaires de l’acte, mais
précisément la construction même de l’idée par l’écriture, et sa transformation
continuelle en écrit par l’écriture : « écrire, c’est “transformer un écrit de manière à
accroître les relations entre ses composantes” » (p. 174) cite-t-il Dabène (1987, p. 54)
citant Ricardou (1978), faisant ainsi apparaître des filiations didactico-littéraires précises
où le sujet créateur et son activité effervescente sont au centre. Cette effervescence se
réalise par un jeu de tensions (Reuter, 1996) entre différents aspects de l’écriture qui
peuvent apparaître comme obstacles : entre projet et réalisation, entre investissement et
distance, entre sens global et attention locale, entre plan de texte et textualisation, bref
entre les différentes composantes complexes organisées en un tout complexe de la
compétence. Inévitables dans le cours de l’écriture, la caractérisant même dans son
essence, ces tensions, telle est la conclusion, ne sauraient être dépassées par un
apprentissage séparé des différents éléments constitutifs, mais doivent être affrontées :
« laisser à l’élève le temps d’éprouver ces contradictions, ces détours et d’opérer une
distance avec ceux-ci, notamment par une mise en mots appropriés. » (p. 178)
5 Ceci mène à une autre dimension essentielle de la compétence scripturale : le contrôle de
l’activité d’écriture. Ce dernier s’effectue par des moyens langagiers : langage intérieur,
discours sur la langue et l’activité langagière, usage d’unités langagières ayant pour objet
le texte lui-même qui s’autoexplicite pour assurer sa propre cohérence et son rapport à
l’autre, absent, imaginé (voir pour un modèle développemental basé sur cette idée in
Schneuwly, 1988). Il est effectué à l’origine de l’extérieur à travers les outils langagiers et
leur usage par les autres pour agir sur soi (Vygotski, 1985). Ce qui implique, du point de
vue de l’enseignement, de travailler sur ces outils et de favoriser « les situations qui
offrent à l’élève la possibilité d’agir sur l’autre et celle de l’autre d’agir sur lui pour
stimuler le propre questionnement sur soi-même. » (p. 185)
6 Les modèles de l’activité d’écriture discutés par Ruellan sont transformés par l’auteur en
« modèles didactiques » (De Pietro et Schneuwly, 2003) définissant un nombre fini de
« lieux d’intervention didactique » (p. 189). Pour chacun d’eux, il est nécessaire et
possible de construire des critères en fonction d’un type de texte donné à produire dans
une situation donnée ; pour le conte par exemple des critères pour la structure du texte,
l’usage des temps du verbe ou encore le traitement des personnages. Ces critères ne sont
121
en aucun cas donnés d’avance, mais font l’objet d’une co-construction : « En interface des
objectifs d’enseignement du maître et des besoins des élèves, l’explicitation des critères
facilite le pilotage à vue de l’enseignant dans la complexité de l’animation du groupe et
du suivi de chaque élève et facilite le pilotage de l’élève dans la complexité du texte à (ré-)
écrire. » (p. 188). Comme le dit Ruellan, résumant les différentes contributions
modélisantes de l’activité scripturale et de son appropriation : « Il s’avère pertinent de
penser l’appropriation du contrôle de l’activité scripturale en termes de résolution de
problème et non d’application de règles, sur le plan textuel comme sur le plan scriptural
([sous-] tâches à accomplir, opérations à effectuer, etc.) » (p. 195). L’appropriation du
contrôle de l’activité scripturale doit donc être active et sociale à la fois.
cours collectifs [grammaire, etc.] qui constituent une aide effective pour les élèves ? […]
Comment éviter d’imposer aux élèves ce qu’il avait prédéterminé pour eux ? » (p. 215) Il
propose alors son modèle MTD comme solution. Pour continuer dans la définition du
problème : « Il reste que même si un temps conséquent est accordé à “l’entrée par le
faire” centrée sur l’activité de l’élève et à “l’entrée par le savoir” centré sur les
propositions structurantes de l’enseignant, encore faut-il provoquer l’interpénétration
des deux ordres d’apprentissage […] encore faut-il réussir l’alternance interactive, c’est-à-
dire la dynamisation, d’un point de vue didactique, de la relation savoir/savoir-faire. »
(p. 216) Tenter de répondre à cette question constitue le cœur du projet ruellanien.
10 Il reformule encore autrement son questionnement, en référence au cadre vygotskien, à
travers un rapport qui n’est à première vue pas évident, mais qui à la réflexion s’avère
pertinent. En effet, il sollicite le complexe rapport entre logique d’enseignement/
apprentissage – le obuchenie russe – et logique de développement – logiques
nécessairement incommensurables puisque se situant dans des temporalités différentes
et suivant des découpages nécessairement contrastés, comme le montre admirablement
Vygotski (1985) dans son 6e chapitre de Pensée et langage – en unités nécessairement
élémentaires, découpées, ordrées pour le premier, en agglutination d’expériences définies
par des occasions partiellement aléatoires, dépendant d’intérêts, de situations,
d’ouvertures individuelles, résultant, à des moments non prévisibles, à des
réorganisations profondes du fonctionnement mental (pour une explicitation plus
détaillée de cette idée, voir Schneuwly 1995). Sans l’expliciter dans le détail, par un
raccourci d’analogie intuitif profond, Ruellan associe enseignement/apprentissage à
l’élaboration de notions, à des propositions structurantes ; et le développement aux
occasions d’écriture ritualisée, libre. Cette association est certes trop directe – dans
chaque occasion d’apprendre, il y a toujours les deux logiques présentes – mais
correspond néanmoins à une dominance de logique qui, pourrait-on dire, reproduit dans
un dispositif d’alternance le rapport plus général entre les deux logiques constitutives de
l’apprentissage scolaire.
Un espace de médiation
11 Encore faut-il, Ruellan le dit, trouver le lieu d’articulation entre les deux espaces. Nous
arrivons ici, nous l’avons dit, au cœur de sa conception didactique. Il reformule encore
une fois différemment les deux aspects de l’apprentissage scolaire – nous utilisons ce
terme, suivant la traduction de F. Sève de Vygotski pour signifier l’ensemble de la
dialectique mise en œuvre à l’école entre enseignement et développement – en
distinguant entre « situations fonctionnelles (S.F.) » qui sont « des moments réguliers non
formalisés de productions d’écrits et d’apprentissage dans un but de communication et
dont les paramètres sont définis par le projet » et « situations de structuration (S. St) »
qui sont « des moments d’enseignements formalisés privilégiant le discernement des
composantes (discursives, textuelles, linguistiques) du type d’écrit à produire par la
formulation/résolution de problèmes constatés en S.F. » (p. 221). On voit donc que dans la
conception de Ruellan, les S. St. sont définies par les S.F. selon un procédé soit a) piloté
par l’enseignant qui observe des dysfonctionnements fréquents, soit b) initiés par les
élèves eux-mêmes qui identifient des problèmes d’écriture chez eux-mêmes. Et l’on
pourrait selon Ruellan définir la construction de compétences scripturales aussi selon un
axe qui va de a) vers b), les élèves capables de déceler les problèmes de leur propre
123
écriture ayant nécessairement construit un rapport de distance par rapport à leur propre
activité langagière d’écriture.
12 Les S. St ont un fonctionnement qu’on pourrait appeler prototypique (p. 236) :
• partir de textes d’élèves ou d’auteurs pour faire de premières observations,
• procéder à des classements provisoires et évolutifs,
• expliciter des régularités et conceptualiser les phénomènes en introduisant une
terminologien,
• exerciser » les régularités dans des problèmes exemplaires.
13 Ceci étant, comment faciliter le passage de a) à b) ? Pour répondre à cette question,
Ruellan propose un troisième type de situations : les « situations différées » (S.D.) dans
lesquelles est sollicité « par des débats en collectif, un questionnement mutuel des deux
instances précédentes (S.F. et S. St). » (p. 224). Autrement dit : « Si l’entrée privilégiée par
les S.F. est la tâche à réaliser, ce sont les obstacles majoritairement rencontrés en S.F., et
évoqués par les élèves eux-mêmes, qui constituent la cible des S.D. Elles contribuent au
repérage collectif et progressivement décontextualisé de ces expériences ». Il s’agit là de
la « clef de voûte » du MTD. Les S.D. sont « censées donner sens à l’enseignement dans la
mesure ou celui-ci s’appuie sur des problèmes rencontrés dans la pratique, sur un désir
collectif de traiter ces problèmes et sur un premier état de conceptualisation par les
apprenants eux-mêmes » (p. 225).
14 Du point de vue chronologique, les S.D. interviennent à deux moments : lors du passage
de SF à S. St, puis inversement, lors du passage de S. ST à SF. Elles ont dans chaque
positionnement des fonctions différentes qu’on peut définir comme suit. Dans le premier
cas, il s’agit d’une forme de problématisation qui porte sur la propre pratique d’écriture
des élèves (pratique qui se réalise en binôme ou trinôme, ceci facilitant la distanciation et
la formulation des problèmes). Cette prise de distance spontanée est d’une certaine
manière prise en charge collectivement dans la S.D. animée par l’enseignant qui montre
la communauté ou la diversité des thèmes abordés. L’un de ces thèmes émanant des
élèves devient à un certain moment un objectif d’une S. St.
15 Se pose évidemment la question du retour de la S. St. qui implique, nous l’avons vu le
constat de régularités, leur dénomination et leur « exercisation », à la SF, qui à nouveau
se fait par une S.D. médiatrice qui comporte deux pas pour garantir le passage du
« savoir » au « faire ». Le premier est une sorte de mise en rapport entre le savoir et le
faire qui pose la question explicitement en termes de qu’est-ce que ce savoir a à faire avec
le faire. Puis dans un deuxième temps, il y a une sorte d’opérationalisation : le savoir doit
permettre d’explorer le texte concret de l’élève. Ceci se fait par l’introduction de
plusieurs procédures possibles comme l’autoévaluation, l’évaluation conjointe ou
réciproque en binôme ou une co-évaluation avec l’enseignant. Le fait d’apprendre à
utiliser le savoir, transformé en critère d’évaluation, chez d’autres avant de le faire chez
soi constitue souvent une facilitation pour acquérir la procédure. Il s’agit donc ici
véritablement d’apprendre non seulement du savoir sur ou à propos ou autour du texte à
écrire, mais aussi d’acquérir une procédure d’autorégulation du texte, la construction
d’un rapport de distance par rapport à son propre texte à travers des démarches
systématiques de questionnement et de prise de décision.
124
Ruellan raisonne à partir d’un modèle didactique du genre (ici le conte) qui définit des
lignes directrices des contenus sur lesquelles vont porter les S. St. Ce modèle guide
l’action de l’enseignant qui en déduit les niveaux d’intervention et leurs contenus
essentiels ; pour le conte par exemple, dont il est surtout question chez Ruellan, les
personnages, les temps du verbe, certaines formes de dialogue et ainsi de suite. La place
de ce modèle didactique dans le MTD n’est pas systématiquement définie. Il fonctionne un
peu partout dans l’action enseignante décrite par le texte de Ruellan : dans le choix du
genre – qui lui n’est pas non plus défini en fonction de critères explicites et transparents
– dans la définition du projet, dans la structuration globale de la séquence
d’enseignement, et surtout aussi dans ce que Ruellan appelle la S.D. où l’on voit en œuvre
un modèle didactique puissant, même s’il n’est pas explicité ni élaboré en détail. Ces S.D.,
rappelons-le, sont conçues comme un outil2, pour l’enseignant et les élèves qui doit, plus
encore que c’est le cas par la proximité temporelle, lier étroitement SF et S. ST en
permettant de partir réellement de SF pour fonder S. ST, et pour permettre à ce qui est
élaboré en S. ST de développer tout son efficace dans SF.
22 Pendant longtemps, et dans les premières rénovations, le rapport entre activité complexe
et ses composantes a été résolu en continuité avec la tradition dans un rapport
d’extériorité pour ainsi dire. Différentes dimensions de la langue – syntaxe, vocabulaire,
conjugaison notamment – étaient appris selon une logique qui leur était en partie propre,
sans connexion systématique avec l’activité complexe de communication comme
l’écriture. On pourrait dire d’une certaine manière que la « structuration » n’était pas
encore retravaillée du point de vue de la communication. Les avancées les plus
significatives de la didactique dans le domaine de l’enseignement de l’écriture
consistaient en une articulation étroite entre l’activité langagière et ses composantes. Ou
pour le dire autrement : l’activité complexe est décomposée en une série de composantes
qui peuvent être objet d’un enseignement. Des théories diverses de référence –
notamment la théorie des textes et discours et la psychologie de l’activité rédactionnelle
– ont permis ce travail. Là aussi, Ruellan se situe dans la continuité des travaux
didactiques en reprenant les modèles de production langagière, comme nous l’avons vu :
« En somme, après avoir déglobalisé la tâche complexe en ses composantes critériées sur
un plan déclaratif d’abord, puis pas à pas sur un plan procédural et plus en plus
conscientisé mais analytiquement selon les composantes traitées séparément, ils tentent
maintenant d’en recomposer une vision d’ensemble plus systématique » (p. 502).
32 Revenons encore sur la question de la définition, voire de la découverte, par les élèves
eux-mêmes, des régularités et de leur formulation dans un processus lent d’élaboration à
partir de leur production. Il y a ici une croyance en les principes de l’éducation dite active
qui attribue une grande importance à la découverte relativement libre des problèmes et
de leur solution. Ces principes sont certes pertinents à un certain niveau, mais il faut se
demander si leur généralisation est judicieuse. Pour le dire très simplement : il n’est pas
certain que le fait que des élèves aient formulés une « loi » à respecter pour la production
d’un texte améliore significativement la connaissance de cette loi et son application. C’est
bien plus la capacité d’utiliser une régularité, une « loi », un procédé, une expression,
dans l’acte d’écriture qui est décisif. Et à ce propos, les S.D. jouent sans doute un rôle
essentiel dans la mesure où elles formalisent en quelque sorte l’application du savoir au
faire par des routines de questionnement de textes, par des schémas d’analyse du texte
qui préfigurent, dans le débat à plusieurs, à trois, à deux, avec l’enseignant, à l’extérieur,
le contrôle que devra exercer le sujet sur son propre comportement d’écriture et son
résultat le texte ; et dont l’intériorisation constitue la base du contrôle interne.
33 Mais la question reste ouverte : quelle est la part réelle des élèves dans l’élaboration des
constats par rapport au guidage de l’enseignant ? En quoi cette participation est-elle
décisive pour une meilleure appropriation des notions par les élèves ? Quelle elle
l’importance du fait de suivre un mouvement relativement lent qui, tout en étant guidé
par l’enseignant, donne une part importante à un jeu où les élèves formulent et
reformulent les constats ? comparé à une démarche où les constats sont donnés, pré-
formulés ?
34 Et plus généralement : n’est-on pas ici en train de vouloir dépasser la contradiction entre
logique d’enseignement et logique d’apprentissage en soumettant le plus possible la
première à la deuxième ? En suivant, dans l’enseignement la logique de l’apprentissage ?
Et inversement : ne soumet-on pas, par un guidage très pas à pas, très ralenti, qui certes
laisse des possibilités de bifurcation, mais toujours ramenées de fait au modèle
enseignant, le processus d’apprentissage à un seul modèle commun ? Paradoxalement : le
guidage pas à pas en collectif ne limite-t-il pas les voies possibles pour les élèves de
s’approprier des contenus ?
Pour conclure
35 Nous laissons ces questions un brin provocatrices ouvertes, pour les reprendre une autre
fois à travers des analyses plus fines d’entretiens en classes. Le MTD, avec sa composante
centrale la S.D. constitue sans contexte une manière de penser jusqu’au bout la question
de l’articulation entre savoir et faire et en même temps entre interpsychique – discours
collectif sur le faire pour le contrôler – et intrapsychique par intériorisation du contrôle
de l’autre. En cela, il constitue une très précieuse contribution à un débat à poursuivre,
précisément en observant le fonctionnement concret en classe de dispositifs de ce type.
130
BIBLIOGRAPHIE
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Paris : Armand Colin.
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PLANE, S. & SCHNEUWLY B. (Ed.) (2000) : Les outils d’enseignement du français. Repères 22.
NOTES
1. Les indications de pages sans année concernent l’ouvrage de Ruellan (1999).
2. Nous utilisons ici le terme « outil » dans un sens large ; voir Plane et Schneuwly (2000) à ce
propos. Ruellan, lui, en fait aussi usage, mais dans un sens plus restreint, dans la tradition du
groupe EVA (1991).
131
AUTEUR
BERNARD SCHNEUWLY
Université de Genève
132
2 La thèse ainsi que les articles de Francis Ruellan ne cessent de poser la question des
relations entre pédagogie et didactiques, ne serait-ce qu’en variant incessamment les
désignations de la configuration proposée : mode de travail pédagogique, mode de travail
didactique, mode de travail pédagogico-didactique…
3 De fait, cette question a déjà fait couler beaucoup d’encre sans que les réponses proposées
aient été considérées probantes en raison, sans doute, de divers facteurs de brouillage
parmi lesquels les usages courants de ces termes1, la confusion entre les espaces
concernés2 ou encore la volonté épistémologico-institutionnelle de chaque domaine de se
spécifier en annexant ou en excluant l’autre tiennent une place non négligeable.
4 Malgré cela, et sans illusion quant à une réponse « définitive », j’essaierai de proposer une
construction possible des relations et distinctions possibles de ces deux champs, à partir du
lieu qui m’est propre (la didactique du français), en précisant quelques uns des éléments de
cadrage dont je me sers.
5 D’un point de vue historico-institutionnel3, les espaces de recherche constituées par les
didactiques, se caractérisent – à la différence de celui constitué par la pédagogie- par une
double référence : aux sciences de l’éducation4 et à une discipline particulière, cette
seconde référence étant elle-même dédoublée de manière complexe entre discipline
scolaire et discipline (s) savante (s)5. Cette référence disciplinaire est d’ailleurs
fondamentale, chacune des didactiques (des mathématiques, du français…) se constituant
comme espace autonome, certes ouvert à la comparaison6, mais suspicieux quant aux
possibilités d’une « didactique générale » dans la mesure où celle-ci risquerait de diluer
les contenus disciplinaires qui, justement, fondent leur spécificité7.
6 Dans cette perspective, j’avais proposé (Reuter 1995 : 244) de définir les didactiques 8
comme des disciplines de recherche, centrées sur des savoirs et des savoirs-faire propres
à une discipline (ce qui les distingue de la pédagogie), en tant que ces savoirs et ces
savoir-faire sont « cadrés » par des activités d’enseignement-apprentissage (ce qui les
distingue des disciplines « savantes »).
7 Cette focalisation sur les savoirs et savoir-faire disciplinaires mérite cependant d’être
précisée en relation avec les différents types de questions que peuvent poser les
didactiques. Ainsi, pour une première famille de questions, étroitement liées aux
modalités d’actualisation dans les classes de l’enseignement et des apprentissages, cette
focalisation signifie avant tout une spécification de l’analyse de ce qui s’enseigne et de ce
qui s’apprend, spécification disciplinaire et intradisciplinaire des contenus en jeu qui les
134
rendent non substituables, non secondaires. En d’autres termes, pour les didactiques, ce
n’est jamais d’enseignement « en général » qu’il s’agit, mais fondamentalement
d’enseignement de contenus disciplinaires.
8 Mais les didactiques peuvent aussi (se) poser des questions plus « distanciées » de
l’actualisation dans les classes : analyse épistémologique des savoirs à enseigner/
enseignés/enseignables, mécanismes de constitution des savoirs scolaires 9, comparaisons
synchroniques ou diachroniques… Dans cette perspective, la focalisation sur les savoirs et
savoir-faire disciplinaires prend les formes d’une relative autonomisation des objets
d’analyse10 par rapport au cadrage de l’enseignement.
9 Ainsi, référée à l’espace des recherches et, en relation avec des centrations différentes
quant à l’analyse de l’enseignement, la distinction entre pédagogie et didactiques peut
sembler nette. Elle est cependant à relativiser en fonction d’autres dimensions, tout aussi
importantes.
13 Je ne le pense pas pourvu que l’on accepte que les didactiques se constituent dans un
espace en tension entre contenus disciplinaires et pédagogie (voir la définition ci-dessus)
et que ces tensions sont modulables selon les types de recherches.
14 Ainsi, dans le cas de la relative autonomisation (cf 1.2), la pédagogie est très largement
dominée et peut prendre la forme d’un arrière-plan contextuel15. En revanche, dans le cas
de recherches liées à l’actualisation de l’enseignement et à ses effets, recherches
descriptives, prospectives, évaluatives, qu’elles soient expérimentales ou non, ce qui est
construit, décrit et évalué est de l’ordre d’une configuration, didactico-pédagogique
(Halté) ou pédagogico-didactique (Ruellan).
15 Dès lors, il me semble que deux options se présentent : celle de la spécification
pédagogique ou didactique (s’effectuant par le mode d’étayage privilégié de la
135
configuration16, par les questions, par les indicateurs choisis…) ou celle de l’articulation.
Dans ce second cas, la recherche se situe à la croisée de deux espaces disciplinaires… ce
qui n’a rien de choquant en soi dans le domaine des sciences humaines. En tout état de
cause, ce que les recherches tributaires d’une actualisation des configurations
manifestent, c’est sans doute la nécessaire solidarité de la pédagogie et des didactiques
qui impose de penser, plus que cela n’a été le cas jusqu’aujourd’hui, me semble-t-il, leurs
modes d’articulation et la maîtrise que cela suppose chez les didacticiens…
19 Cet axe renvoie, en amont, aux « savoirs » du champ (théories, concepts, résultats de
recherches empiriques…), en tant qu’ils contribuent à l’étayage – au double sens
d’explicitation et de justification- du M.T.P.D. proposé.
20 Deux critères sont sans doute ici déterminants : celui de l’acceptabilité sur les dimensions
des contenus disciplinaires, de l’enseignement et des apprentissages ; celui de la
congruence entre les dimensions mentionnées.
21 Ces propositions, minimales, appellent immédiatement quelques remarques à lire comme
autant de pistes de travail :
• l’acceptabilité est une notion qui reste, en grande partie, à construire précisément, passant
peut-être par la caractérisation de diverses formes de relations possibles (non contradiction,
conformité…) ;
• l’acceptabilité sur le plan des contenus, centrale pour les didacticiens 17, passe sans doute par
la précision de la notion de modèle didactique 18, entendue comme modèle pour l’analyse des
contenus à enseigner/enseignés/enseignables ;
• l’acceptabilité implique pour le didacticien un recours, obligé mais plus risqué (dans la
mesure où il n’est pas a priori un spécialiste), aux espaces de recherche qui concernent
l’enseignement et les apprentissages ;
• l’acceptabilité, en tant qu’elle s’effectue en amont, évolue toujours au risque de
l’applicationnisme ; elle impose d’autant plus, en aval, une évaluation rigoureuse ;
• la congruence entre les dimensions me parait être un principe inévitable mais aussi une
relation à préciser et un a priori qu’il convient de ne pas naturaliser ce qui impose donc une
évaluation tout aussi rigoureuse de ses modalités et de ses effets.
136
22 Je remarquerai ici – et c’est suffisamment rare pour être souligné – que l’acceptabilité fait
l’objet d’une construction détaillée, sur toutes les dimensions mentionnées, dans les
recherches de F. Ruellan avec, notamment, la volonté manifeste de prendre au pied de la
lettre certains « principes » dérivés du socio-constructivisme : le sujet comme acteur de
ses apprentissages, les dispositifs comme outils, l’importance des interactions, de la
collaboration et des tâches proposées par le milieu, la prise en compte des différentes
voies de formation des concepts… La congruence, quant à elle, me parait s’articuler chez
F. Ruellan autour de deux piliers qui nécessiteraient, pour chacun d’eux, une discussion
théorique approfondie : le socioconstructivisme comme théorie psychologique et comme
théorie pédagogique (comme principes d’enseignement)19, l’écriture comme compétence
structurant les contenus et organisant l’enseignement et les apprentissages20.
23 Longtemps considérée avec précaution, voire avec suspicion21, la dimension éthique est,
de plus en plus thématisée explicitement dans l’espace des recherches en didactique. F.
Ruellan la met fortement en scène, via l’articulation entre compétence scripturale et
construction identitaire22 ou la solidarité entre les apprenants ainsi qu’entre les
enseignants et les apprenants. J. Dolz et B. Schneuwly (1998) insistent eux-aussi sur cette
dimension dans leur élaboration des genres de l’oral à enseigner.
24 Pour le dire très schématiquement, il s’agit – au travers de cette dimension – de
privilégier sur les divers plans impliqués (contenus, enseignement, apprentissages) des
valeurs que l’on estime positives : autonomie, coopération, solidarité… argumentation
« honnête » et « rationnelle… textes complexes et/ou « humanistes »…
25 Mais, il me semble qu’on n’a encore que trop peu attiré l’attention sur ce que
l’introduction de cette dimension implique comme hétérogénéité :
• hétérogénéïté dans les modes d’étayage du M.T.P.D. ;
• hétérogénéité virtuelle dans l’absence de congruence possible entre valeurs et savoirs du
champ et/ou efficience.
26 De surcroît, l’analyse des valeurs, en circulation/acceptables, dans le champ des
recherches en didactique est encore un chantier très largement en friche…
confort pour le maître, à ses possibilités de varier les prises d’indications sur le
cheminement des élèves et d’ajuster ses modes d’intervention, à l’investissement des
élèves, à l’ouverture de parcours plus individualisés, à la multiplicité des formes d’aide, à
l’accroissement de la prise de risques et à la diversification des formes de retour
possibles… Il me semble que, sur la majeure partie de ces points, les analyses de F. Ruellan
montrent à quel point le M.T.D.P. mis en place est intéressant, particulièrement au
travers du dispositif des situations et des indicateurs possibles pour le maître quant aux
évolutions des élèves : textes intermédiaires, réécritures, dialogues entre pairs,
discussions lors de situations différées, construction des outils, usage des situations de
structuration…
30 L’efficience réfère aux effets chez les élèves. Elle pose des questions cruciales mais, ici
aussi, trop peu thématisées encore dans le champ des recherches en didactiques 24,
notamment à ce qu’on peut appeler, dans ce cadre, des progrès, ou, plus largement à ce
qu’on estime être de l’ordre de la réussite ou de l’échec d’un enseignement, en référence
par exemple :
• à la « cible » prioritaire visée : tous les élèves ou certains d’entre eux seulement (en relation
avec les questions de l’ampleur des progrès ou de la réduction des écarts entre apprenants) ;
• aux dimensions : tels produits, telles activités de production, certains types d’erreurs (ou
d’obstacles), la capacité réflexive, certaines postures, les rapports (aux activités, à
l’apprentissage de ces activités…) ;
• à la temporalité : rythme, durée d’intégration…
• à la traductibilité au-delà des situations d’enseignement et d’évaluation…
jusqu’à la thèse de Francis Ruellan ? Je proposerai ici quatre éléments d’explication à titre
exploratoire.
38 En effet, lors de sa promotion, dans les années quatre-vingt, la pédagogie du projet s’est
constituée dans un cadre qui présentait au moins quatre caractéristiques (Pratiques 1982) :
• une volonté de lutte contre l’échec scolaire, notamment en ce qu’il était (et demeure)
socialement différencié ;
139
47 Il me reste à revenir, d’un autre point de vue, plus prospectif, sur les problèmes soulevés
par la pédagogie du projet dans l’enseignement du français.
48 Le premier d’entre eux porte sur sa faisabilité autant du point de vue des contenus que de
celui de la compétence des ensgnants. Sur le plan des contenus, il faut bien convenir que
l’on ne dispose que de peu d’analyses précises de la pédagogie du projet, en dehors du
français et de l’écriture longue, de surcroît restreintes à l’école primaire ou au collège.
Dès lors, il s’agit de savoir si ce mode de travail peut fonctionner, de manière « positive »,
en dehors de ces cadres. Il s’agit aussi de préciser ce qu’il en est de l’articulation, et de ses
effets, avec l’enseignement dans les autres matières, l’enseignement dans les autres
domaines du français lorsque c’est le cas, ainsi qu’avec le parcours ultérieur des élèves
lorsque d’autres M.T.P.D. sont mis en œuvre.
49 Sur le plan de la compétence des enseignants, le problème soulevé est celui d’une maîtrise
telle des dispositifs et des contenus que les apprentissages soient, au-delà des
cheminements singuliers, constamment orientés vers les objectifs, que le rapport aux
contenus visés soit constamment analysé précisément, que les contenus sollicités/
sollicitables au travers des situations fonctionnelles et différées soient constamment
disponibles dans des formes adéquates. On peut certes poser qu’il s’agit d’une utopie,
absolument irréaliste dans les conditions actuelles, mais on peut aussi penser qu’il s’agit
d’un objectif pertinent en fonction duquel devrait être conçue la formation des
enseignants… Néanmoins, si tel est le cas, cela impose encore d’autres recherches :
• sur les principes de fonctionnement des maîtres en pédagogie du projet 32 afin de penser leur
formalisation ;
• sur les conditions de leur appropriation en formation (initiale et/ou continue) des maîtres.
50 Le second problème concerne les intérêts, notamment du point de vue de la mise en forme
des contenus tant, au travers des expériences connues, celle-ci paraît contrainte :
l’écriture « soumettant » les autres domaines du français (orthographe, grammaire,
lecture…). Sur cette question encore, il me semble qu’on peut avancer deux éléments de
141
réflexion relativement antagonistes : soit on considère que cette contrainte est une limite
face à une diversité de combinaisons a priori souhaitables, soit on considère qu’il s’agit
d’une réponse à l’intégration des sous-domaines du français face à laquelle les études
manquent quant à la possibilité et à l’efficacité d’autres solutions…
51 Le dernier problème que j’évoquerai ici est lié à la dimension de l’efficience en ce que :
• les savoirs, tributaires de leur sollicitation et de leur réinvestissement dans un savoir-faire
(ici l’écriture d’un conte merveilleux) nécessiteraient d’être évalués en dehors de cette
production, afin de mieux appréhender leur autonomisation, leur conscience, et leur
disponibilité pour d’autres usages ;
• les savoirs et savoir-faire mériteraient d’être analysés en tant qu’ils sont articulés
disciplinairement, si l’on accepte (Reuter 2003) que la conscience disciplinaire participe de la
clarté des apprentissages scolaires.
52 Pour conclure cet article, bien trop elliptique sur de nombreux points, je dirais volontiers
qu’un des intérêts principaux de la pédagogie du projet et du M.T.P.D. proposé, est de
fonctionner comme un analyseur de problèmes plus implicités que thématisés dans le
champ de la didactique du français : distinction pédagogie/didactiques, spécification des
espaces, modes de construction et d’évaluation de configurations pédagogicodidactiques,
logique de constitution du champ et pertinence des modalités de recherche… A ce titre, il
possède, virtuellement, une valeur heuristique. Ce n’est pas le moindre mérite des
recherches de Francis Ruellan que d’avoir actualisé cette valeur heuristique dont j’ai
tenté de m’emparer en espérant, tant soit peu, contribuer à des débats cruciaux pour la
didactique du français.
BIBLIOGRAPHIE
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142
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sociétés industrielles, Lyon, Presses Universitaires de Lyon.
143
NOTES
1. Les usages courants de ces termes ont tendance à faire du pédagogue ou du didacticien
essentiellement des praticiens, souvent avec une connotation péjorative…
2. Pédagogie et didactiques réfèrent socialement à trois espaces différents (même s’ils sont
poreux et en constante interaction), dotés chacun de leurs acteurs et de leurs enjeux spécifiques :
l’espace des pratiques d’enseignement et d’apprentissages, l’espace des recherches et l’espace de
l’encadrement des pratiques (prescription, formation, militantisme…)
3. Voir, pour une étape intermédiaire, Romian 1979, et pour une analyse historico-sociologique
de la constitution du champ de la didactique du français : Ropé 1989 et 1990.
4. Et aux disciplines qui s’intéressent à l’enseignement et/ou aux apprentissages.
5. Cette double référence disciplinaire a été, à mon sens, encore trop peu analysée. Elle est
pourtant définitoire des didactiques.
6. Voir, par exemple, le numéro 141 de la Revue Française de Pédagogie, octobre-novembre-
décembre 2002.
7. Pour reprendre la formule de Jean-Louis Martinand (1987 : 24) : « Il n’est pas possible de parler
de didactique sans l’exercice de ce qu’on peut appeler une « responsabilité » par rapport au
contenu « de la discipline ».
8. Je modifie ici quelque peu les termes de la définition que j’avais proposée.
9. Voir, comme exemple de ce paradigme de questions, les travaux concernant la transposition
didactique.
10. De la même façon, des recherches en pédagogie, « autonomisées » de l’actualisation dans les
classes, peuvent concerner l’étayage idéologique des modes de travail pédagogiques, leur
typologisation, leur comparaison…
11. Manuels, cahiers…
12. Spatiaux, temporels…
13. Pourvu qu’elles soient conscientes de ce qu’elles excluent…
14. Ce lien fait qu’un enseignant est indissociablement un praticien de la didactique et un
praticien de la pédagogie. Ce qui n’empêche nullement, en fonction de la formation, des
compétences, des goûts… du praticien, que le mode d’intervention soit plutôt guidé par des
référents didactiques ou par des référents pédagogiques.
15. Ce qui n’est quand même pas sans risques…
16. Ce mode d’étayage, privilégié, principal, premier…, fait que, dans un cas, on peut parler de
« pédagogisation » des contenus et, dans l’autre, de « didactisation » d’un mode de travail
pédagogique (ou de « traduction didactique » comme le fait F. Ruellan).
17. Voir, ici encore, les travaux fondamentaux de Chevallard (1985).
18. Voir, entre autres, sur les discussions autour de la notion de modèle didactique : De Pietro et
Schneuwly 2003, De Pietro et alii 1996/97, Dolz et Schneuwly 1998, Reuter 1996,1998 et 2001.
19. Le passage d’un champ à l’autre n’a rien d’évident. Cela fait pourtant l’objet de nombreux
« glissements » non explicités.
20. Je reviendrai (en 3) sur certains des problèmes soulevés par ces options.
21. En raison, entre autres, d’une confusion fréquente entre scientificité et objectivité/neutralité,
voire même d’une occultation des questions liées aux valeurs.
22. Voir, notamment, Ruellan 1999 : 8 et sq.
23. Avec une distinction dans doute essentielle entre classes à examen final et sans examen final.
24. Sur l’ensemble de ces questions liées à l’évaluation, je suis infiniment redevable aux
réflexions constantes de D. Lahanier-Reuter.
144
25. La perspective praxéologique, consistant à « partir » des problèmes rencontrés pour tenter de
les construire théoriquement et d’ouvrir des pistes de remédiation possibles, n’est qu’une des
options possibles des recherches en didactique.
26. Savoirs ou savoir-faire, contenus considérés indépendamment ou non de leur insertion dans
des réseaux et des rapports qu’entretient le sujet à leur égard.
27. Voir aussi cette proposition assez remarquable (Ruellan 1999 : 866) : « Dans le système
scolaire, une classe est souvent plus une « organisation enseignante » vouée à une exposition
linéaire des savoirs qu’une « organisation apprenante » centrée sur la recherche des moyens et
des situations permettant à l’élève de s’autoriser à se dire et à écrire. ».
28. Ce silence peut aussi s’expliquer par le constat d’un échec (largement partagé au
demeurant) : celui de l’impuissance à pouvoir modifier cette situation.
29. Qui conduisent à avoir des didacticiens de l’écriture, de la lecture, de l’oral, de la grammaire…
30. En fait de « pédagogisation » (cf 1.4 et note 16).
31. L’exigence de reproductibilité, qui mériterait une analyse critique sérieuse dans le domaine
des sciences humaines, se nourrit sans doute, au moins en partie, du désir d’une partie des
chercheurs de guider la pratique en fabriquant des instruments (notamment des manuels) dans
l’espace de l’encadrement des pratiques. Or, de ce point de vue, la pédagogie du projet n’offre que
peu de prise…
32. Il s’agit sans doute, à ce jour, de la zone la plus faible dans les données dont on dispose sur la
pédagogie du projet.
AUTEUR
YVES REUTER
Equipe Theodile (E.A.1764)
Université Charles de Gaulle - Lille III
145
NOTE DE L'AUTEUR
Lors de la réunion amicale qui suivit sa soutenance de thèse, nous eûmes, Francis Ruellan
et moi, une conversation au cours de laquelle il me dit l’importance qu’avaient eu certains
concepts vygotskiens lors de l’élaboration de son travail : en particulier la thèse selon
laquelle une activité complexe – produire un texte par exemple – se construit d’abord sur
un plan inter – psychologique avant d’être reconstruite par l’élève seul sur un plan intra –
psychologique. j’aimerais au cours de ces quelques pages poursuivre ce dialogue en
m’interrogeant sur la manière dont on peut envisager les rapports entre Vygotski et les
didactiques. Je le ferai en m’interrogeant sur deux moments didactiques importants : la
construction du contexte et la « conceptualisation collaborative ».
2 Les didactiques des disciplines nées au cours des années 1970/1980 ont un objet différent :
l’approche scientifique des processus d’enseignement – apprentissage de contenus de
savoirs propres à une discipline déterminée. Pour des raisons historiques qu’il serait trop
long d’analyser ici, les didacticiens des mathématiques ont montré la voie ; avec des
inégalités dans les rythmes de développement se sont ensuite constitués en relation
étroite avec les disciplines enseignées d’autres domaines de recherches : didactique de la
physique, didactique de la biologie, didactique du français-langue maternelle etc.
S’adossant au socle épistémologique de la science ou de la discipline dont ils s’occupent,
les didacticiens sont amenés à intégrer pour analyser leur objet des concepts élaborés en
psychologie, en linguistique, en épistémologie des sciences etc.
3 Dès lors la question se pose sur la manière dont il nous faut concevoir les rapports entre
Vygotski et les didactiques. Faut-il voir dans l’éclosion des didactiques contemporaines la
venue à maturité du projet à peine esquissé par Vygotski à la fin du chapitre 6 de Pensée et
Langage1, auquel cas certains pourraient être amenés à voir dans Vygotski « l’un des
théoriciens des didactiques » ?2 Faut-il au contraire voir dans l’œuvre de Vygotski une
référence pour les didactiques, importante certes, mais néanmoins une référence parmi
d’autres ?
4 Nous n’adhérons à aucune de ces deux réponses. Nous en suggérerons une troisième en
conclusion.
5 Auparavant nous voudrions montrer sur deux exemples : la question du contexte et la
question de la conceptualisation, l’apport encore inexploité réalisé par la réflexion de
Vygotski à des problèmes souvent abordés dans le domaine des didactiques.
Un problème de définition
6 Contexte, situation, contexte situationnel… etc. autant de termes que tous ceux qui travaillent
dans une perspective interactionniste utilisent fréquemment mais malheureusement
souvent dans des sens différents. Afin de clarifier notre propos nous nous permettrons de
proposer « nos » définitions3.
7 Nous partirons du fait humain fondamental, souligné aujourd’hui par de nombreux
anthropologues, celui de la capacité des êtres humains à coopérer. Leakey fut l’un de ceux
qui insista sur cette idée : les premières sociétés humaines purent se développer parce
que nos ancêtres surent – en particulier à l’occasion du travail – coopérer. Ceci signifie
que les membres du groupe qui participent à une activité (chasse, pêche, repas,
cérémonie…) doivent identifier la zone d’activité (la « sphère d’activité ») dans laquelle ils
se trouvent, s’accorder sur certains buts, les moyens d’y parvenir, définir ou prédéfinir
les rôles de chacun, les règles de partage des biens obtenus etc.. Bref ils doivent
construire des cadres communs pour leurs activités. Cela ne requiert pas nécessairement
un langage articulé, mais ainsi que le souligne Vygotski à la suite de Engels, le
développement du langage s’est très probablement effectué en étroite relation avec le
besoin historiquement apparu pour les humains de construire ces cadres communs. Au
cours de ces activités communes certains gestes aquièrent une fonction communicative :
ainsi on peut supposer qu’en relation avec l’action en cours et la gestualité qui
l’accompagne, le façonnage de la voix a permis de faire émerger des premières
vocalisations simiennes l’ébauche d’un langage articulé4.
147
8 Mais une société n’est pas d’un seul tenant. On peut y distinguer un nombre relativement
limité de « sphères d’activités » : monde du travail, des échanges, des loisirs, de la vie
familiale, des apprentissages etc. Nous entendons par « sphères d’activité » un univers
organisé en vue de certaines grandes finalités sociales. Ces sphères se particularisent par
des manières d’habiter l’espace et de vivre le temps, la nature des objets utilisés, les
capacités et attitudes requises de la part des acteurs etc. Monde du travail, monde de
l’école, lieux de loisirs. De nombreuses significations sédimentées sont inscrites dans le
monde social objectif que nous habitons.
9 Une situation, loin d’être un amas de stimuli comme le voulaient les behaviouristes, est
une totalité travaillée dans sa matérialité par les significations que les groupes sociaux y
ont déposé par leur pratique antérieure. Les situations sont plus ou moins organisées,
prêtes à fonctionner dans une certaine direction en fonction des attentes sociales dont
elles sont chargées. Un acteur confronté à une situation – et ceci d’autant plus qu’elle est
nouvelle pour lui – doit en déchiffrer « l’horizon d’attentes » : c’est la lecture qu’il en fera
qui constituera le contexte. Nous entendons donc par situation l’ensemble des éléments
co-présents : cadres physico-sociaux, outils et tâches mis en œuvre dans ces cadres,
initiatives des acteurs (actions ou discours ou les deux à la fois) etc… Tous ces éléments
co-présents, forment une totalité dont les significations sont « l’âme », le principe
organisateur et c’est à l’intérieur de cette totalité qu’interviennent les acteurs (eux-
mêmes étant déjà expérimentés à des degrés divers et « habités » par le monde dans
lequel ils vont intervenir).
10 Nous distinguons immédiatement une situation de travail d’une situation familiale ou
d’une situation scolaire5. Ce qui caractérise une situation c’est d’une part son caractère
actuel et d’autre part sa dimension dynamique : elle est « prête » à fonctionner dans
certaines directions de manière à ce que les acteurs y réalisent certaines fins. Elle sollicite
de notre part dans son hic et nunc une intervention à venir. Une situation passée a perdu
la caractéristique essentielle de ce qu’est une situation pour un acteur au moment où il est
confronté à elle : sa nouveauté.
transmission par apprentissage devient dès lors décisive. L’enfant se trouve dans une
situation originale en ce qu’il n’a pas à ré-inventer les solutions déjà trouvées par ses
prédécesseurs pas plus qu’il n’a à re-parcourir les cheminements hésitants de ceux qui
l’ont précédé. Il doit par contre, pour se construire en tant que sujet humain, s’approprier
les contenus culturels de son temps. Le fait que le tout jeune enfant, en tant qu’être de
nature, soit d’emblée confronté aux formes les plus élaborées de sa culture, explique que
le développement ontogénétique soit un développement original : en lui s’épousent
étroitement un développement naturel et un développement culturel. Mais pour que
l’enfant s’approprie le monde de la culture il faut un médiateur entre lui et ce monde, un
adulte ou tout autre membre compétent de la communauté qui sache en intéragissant à
l’intérieur de la « zone de développement prochain », indiquer à l’enfant les objectifs et
les moyens de les atteindre. Cette zone de développement n’est pas une caractéristique
individuelle de l’enfant. Elle nécessite la co-construction d’un contexte commun à
l’intérieur duquel, au cours d’activités conjointes, l’adulte met à la disposition du jeune
enfant des contenus culturels sans cesse nouveaux.
22 On voit en quel sens ce que l’on étudie ici sous le terme « apprentissage » est un objet
complexe, puisqu’il inclut : l’enfant qui apprend, l’adulte qui enseigne, les contenus
culturels transmis, mais aussi les interactions communicatives entre l’enfant et l’adulte
au sein des contextes sociaux signifiants. A ceci il convient d’ajouter que les processus
d’appropriation prennent différentes formes selon qu’ils se produisent dans des
situations informelles ou formelles d’apprentissage (Brossard 2001).
23 La division sociale et technique du travail et partant de là la constitution de nouvelles
sphères d’activités, liées à l’avènement des pratiques d’écrit (J. Goody 1979) aboutissent à
la production de nouvelles formes de connaissances. Leur transmission nécessite
l’instauration de situations formelles d’apprentissage. Ces situations se caractérisent par
le fait d’avoir pour finalité explicite et exclusive la transmission des savoirs d’écrit, à
commencer par le système d’écriture lui-même. Ces situations sont instituées et
organisées de part en part en vue de cette fin. Elles jouissent en ceci d’une relative
autonomie et instaurent une rupture par rapport aux situations quotidiennes pratiquées
par l’enfant. Aux apprentissages diffus dominants dans les contextes d’oralité, se
substitue un apprentissage explicite et raisonné. Comme le souligne J. Petitat, il existe
une relation étroite, bien que non linéaire, entre culture d’écrit et institution scolaire
(Petitat 1982).
24 Les connaissances sous forme de savoirs organisés (mathématiques, grammaire etc..) sont
élaborés ailleurs que dans les domaines d’expériences quotidiennes de l’enfant. Il y aura
donc une inévitable discontinuité entre les connaissances spontanées des élèves et les
connaissances que l’école se propose de transmettre. Mais en même temps pour qu’il y ait
authentique construction de connaissances, il est nécessaire que l’enfant s’approprie ces
connaissances à partir de ses propres schèmes de pensée quitte à les remanier : c’est là la
contradiction réelle et centrale qui doit être résolue à l’intérieur d’une situation
d’enseignement-apprentissage ; et qui l’est effectivement lorsque l’enfant construit une
connaissance nouvelle. Il nous reste à comprendre comment cela est possible.
1933, il indique que l’appropriation par l’élève de concepts scientifiques ouvre un espace
de développement pour les concepts spontanés, mais il ajoute aussitôt qu’il n’est pas
possible de caractériser de manière « aprioriste » ces espaces de développement
prochain, car c’est dans chaque domaine d’apprentissage qu’il faut mettre au jour « ce
réseau interne, souterrain, génétique des sujets scolaires » (Vygotski 1933/1985b, p. 115).
Il propose des concepts aussi fondamentaux pour la théorie qu’il élabore que pour les
didactiques contemporaines : le concept d’enseignement-apprentissage (« obuchenie »)
précisé et approfondi par B. Schneuwly (art. cit.) ou celui de zone de développement
prochain, pour ne prendre que ces exemples.
51 Mais les zones de recouvrements indéniables n’excluent pas les lignes de clivage. Les
chercheurs – qu’ils s’inscrivent à l’intérieur du cadre de la théorie historico-culturelle ou
dans le domaine des didactiques des disciplines – ont tout intérêt à ce que les thèses
défendues soient clairement énoncées. De ce point de vue l’hypothèse de Vygotski selon
laquelle il existerait plusieurs types de conceptualisation et l’hypothèse plus précise encore
selon laquelle les situations scolaires d’enseignement – apprentissage des concepts
scientifiques seraient le lieu d’une forme tout à fait originale de conceptualisation, nous
semblent mériter un examen attentif.
52 Plusieurs auteurs travaillant dans le domaine des didactiques ont souligné l’intérêt de la
distinction faite par Vygotski entre concepts quotidiens et concepts scientifiques
(Vergnaud 1989, Joshua 1998) mais ils récusent cette analyse parce que selon eux
Vygotski aurait instauré « une coupure trop brutale » entre ces deux types de concepts.
Prenant un exemple dans le domaine de l’électricité et réfléchissant sur la notion
d’obstacle, S. Joshua, insiste sur les rapports nécessairement dialectiques qui s’instaurent
au cours d’un enseignement de sciences entre les conceptions spontanées des élèves et les
conceptions scientifiques que l’école cherche à leur faire acquérir (Vygotski aurait très
probablement souscrit à cette analyse). Pour rendre compte du caractère à la fois continu
(on construit les nouvelles connaissances à partir des anciennes) et discontinu (les
connaissances scientifiques ne se situent pas dans le simple prolongement des
connaissances quotidiennes) du processus de construction des connaissances
scientifiques, l’auteur se tourne alors vers une conception piagétienne des apprentissages
confiant aux « situations didactiques » (certes soigneusement aménagées dans ce but) le
soin de déstabiliser l’enfant pour l’amener à produire de nouvelles connaissances. On voit
que dans cette perspective il ne saurait exister qu’un seul type de conceptualisation : celui
qui va du bas vers le haut.
53 Dans le cadre des hypothèses vygotskiennes, l’observation et l’analyse d’une séquence
d’apprentissage, devraient mettre en lumière, outre l’activité que l’élève déploie dans la
situation pour résoudre les tâches qui lui sont proposées, le travail tout particulier qui se
déroule dans la zone de développement prochain : le maître à partir d’une question
élaborée dans le contexte de la classe, au cours du travail critique qui s’effectue sur les
conceptions spontanées, prenant appui sur des concepts déjà travaillés et en introduisant
de nouveaux, va solliciter certains schèmes de pensée des élèves et amener ces schèmes à
venir fonctionner dans le cadre de théories, c’est-à-dire d’ensembles complexes d’actions
et d’opérations collectivement élaborées. Du même coup, sous le guidage du maître, les
élèves sont amenés à effectuer des opérations de pensée que, spontanément, laissés à eux-
mêmes, ils seraient dans l’incapacité d’effectuer.
54 C’est au cours du dialogue maître – élève que se développe cette contradiction entre des
formes de pensée de niveaux différents. Au cours de la séquence d’apprentissage, l’élève
157
parviendra chaque fois qu’il pourra identifier le types de problèmes que l’on cherche à lui
faire résoudre (constitution d’un dossier, préparation d’un exposé..) à travailler avec des
systèmes de conceptualisation qui sont « en avance » sur ses conceptualisations
spontanées. Au terme de la séquence d’apprentissage – mais les concepts scientifiques
n’en sont qu’au stade de la germination dans la tête des élèves – les élèves reconstruiront
pour eux-mêmes les formes d’explication élaborées à plusieurs sous la conduite du
maître. Nous retrouvons ici, concernant la conceptualisation, la loi générale du
développement énoncée par P. Janet et reprise par Vygotski.
55 En permettant aux élèves de s’approprier des savoirs historiquement élaborés, l’école,
instaurant dans l’enfant une tension entre des niveaux différents de conceptualisation,
ouvre de ce fait un espace de développement et la possibilité de la « prise de conscience »
(Vygotski 1930-1931/1998,1934/1985a).
CONCLUSION
56 Sous des termes nouveaux, nous retrouvons un ancien problème….
57 On se souvient que lors du débat entre les défenseurs des disciplines formelles et les
psychologues behaviouristes, les premiers défendaient l’idée du rôle formateur de
disciplines telles que le latin, la grammaire ou les mathématiques. L’argument en faveur
de cette thèse consistait à dire que le développement rendu possible par l’enseignement
de ces disciplines excédait de toutes parts le seul domaine des apprentissages effectués. A
l’aide du concept de restructuration la Gestalt Psychology s’efforcera d’expliquer ce
phénomène. A l’opposé un psychologue behaviouriste comme Thorndike entreprit de
démontrer expérimentalement que les apprentissages n’avaient que des effets
spécifiques : les « habiletés » qu’un sujet peut acquérir dans un domaine ne se transfèrent
pas aux domaines voisins. Dans le contexte de développement industriel intense qui était
celui de l’époque, cela conduisait à la conclusion qu’il fallait transmettre des savoirs et
des savoir – faire utiles correspondant aux besoins nouveaux de la société. Mais comme
les tâches que Thorndike proposait à ses sujets étaient des tâches élémentaires et dénuées
de sens, Vygotski fait remarquer que ses conclusions ne sont valables que pour ce type de
tâches et nullement pour les activités culturelles complexes qui, par définition, sont
dotées de sens. La question de l’enseignement des disciplines fut débattu en Russie aux
environs des années 30. Dans le cadre de ce débat, contre ceux qui prônaient les « cours
de vie », Vygotski prit partie pour un enseignement centré sur les disciplines. Quelles
étaient ses raisons ? Adoptait – il purement et simplement la position défendue par
Herbart ? Il faut prendre en compte la théorie complexe des rapports entre apprentissage
et développement tels que Vygotski les envisage, pour comprendre la réponse qu’il
apporte. Ce serait lors de la formation des capacités – construction des capacités qui
s’effectuent entre autre lors des enseignements – apprentissages – que les fonctions
psychiques sont amenées et à se transformer. Les apprentissages – lieu de construction
des capacités – ouvrent des voies, orientent, et donnent formes au développement des
fonctions psychologiques. Le développement n’est pas spécifique à la construction de telle
ou telle capacité particulière. Ainsi un rapport conscient et volontaire à ses propres
processus de pensée sera également nécessaire pour la démonstration d’un théorème ou
la production d’un texte écrit. Voilà pourquoi ces apprentissages auront sur le
développement des retentissements allant bien au delà de ce que l’enfant a appris. En
158
transmettant les connaissances les plus élaborées, l’école ouvre les possibilités les plus
larges au développement des personnes.
58 S’il en est ainsi, la tâche du didacticien est loin d’être aisée : il lui faut prendre en compte
non seulement les contenus scientifiques, les nécessités épistémologiques de leur
transmission, les conditions didactiques de leur enseignement, mais aussi il lui faut
prendre en compte les rapports entre les contenus transmis et le développement
psychologique des élèves.
59 S. Johsua exprimait récemment l’ampleur de la tâche :
« Il est possible, écrit-il, que l’aspect formateur de l’école tienne en particulier à
l’acquisition d’une aptitude à la problématisation, et, solidairement, à la nécessité
de fonder toute stratégie de solution de ces problèmes dans « l’ordre des raisons »…
Mais – et c’est tout le problème qui est devant nous – cette compétence (dont la
généralité dépasse le champ où elle a pris naissance) ne se formerait qu’au travers
de l’étude des_domaines de haute technicité spécifique, et à condition que cette
étude soit conduite dans des formes particulières, que l’on commence à peine à
comprendre » (Johsua 1999).
60 Ainsi posée, la question des apprentissages scolaires exige que travaillent de façon
conjointe le didacticien et le psychologue du développement.
BIBLIOGRAPHIE
BROSSARD, M. (2001) : Situations et formes d’apprentissage, Revue Suisse des Sciences de l’Education,
23 (3), 423-436.
ELBERS, E. (1986) : Interaction and instruction in the conservation experiment. European Journal of
Psychology of Education, 1, (1), 77-89.
LEMEIGNAN, G., Weil-Barais, A. (1993) : Construire des concepts en physique. Paris : Hachette.
VERGNAUD, G. (1989) : La formation des concepts scientifiques. Relire Vygotski et débattre avec lui
aujourd’hui, Enfance, T. 42, n° 1-2, 111-118.
WEIL-BARAIS, A. (1994) : Heuristic value of the notion of zone of proximal development in the study
of child and adolescent construction of concepts in Physics. European Journal of Psychology of
Education, vol. 9, n° 4, 367-383.
NOTES
1. A la fin de ce chapitre en effet Vygotski s’adresse le reproche de n’avoir travaillé que sur des
concepts pris isolément et non pas sur le système des concepts d’une science particulière. Ce
travail sera entrepris, note Bernard Schneuwly, par les didactiques des disciplines (Schneuwly
1995, p. 33).
2. S. Johsua dit de Vygotski qu’il a la particularité peu répandue parmi les psychologues
« d’insister sur la spécificité des apprentissages scientifiques » (Johsua 1998).
3. A notre connaissance, Vygotski utilise très rarement le terme de « contexte ». Quand il l’utilise
c’est la plupart du temps pour désigner le contexte socio-historique, beaucoup plus rarement
pour désigner le contexte au sens restreint (c’est le cas lorsqu’il aborde la question du dialogue
dans le chapitre 7 de Pensée et Langage notamment).
4. « Le langage, l’élaboration de l’outil et l’organisation sociale s’interpénètrent » écrivent Leakey
et Lewin (1985).
5. Il faudrait dire d’une situation ce que dit Vygotski de la perception (dans les conférences qu’il
fit à Saint-Petersbourg en 1932), à savoir qu’en présence d’un objet nous en percevons en tout
premier lieu non pas les caractéristiques physiques mais la signification sociale (Vygotski
1932/1987).
6. Exemple de refus de ratifier le micromonde intenté par l’autre : « Qui croit-il être pour me
parler sur ce ton ? »
7. Deux interprétations d’une action quasiment automatisée sont possibles : la première
d’inspiration behaviouriste, consiste à penser que l’extrême familiarité de la situation dispense le
sujet de construire un contexte. La situation « déclenche » la réponse. La seconde consiste à dire
au contraire que la grande familiarité de la situation conduit le sujet à faire comme si le contexte
allait de soi. Il n’y a pas disparition du contexte ; il y a mobilisation très facile et parfois trop
rapide (la gaffe…) d’un contexte comme allant de soi.
8. Il ne peut-être qu’inféré à partir d’observables par le chercheur.
9. Elle est selon nous insuffisamment étudiée : beaucoup de difficultés attribuées à des
insuffisances des élèves s’expliqueraient si l’on s’interrogeait sur les difficultés de ces élèves à
construire le contexte pertinent pour les activités sollicitées par le maître.
10. Un concept scientifique n’existant qu’à l’intérieur d’un système, est, dit Vygotski, « un
ensemble de jugements virtuels » Collected Works, vol. 5.
11. Pour être plus précis il faudrait dire : ensemble d’opérations de pensée réglées élaborées par
une communauté de chercheurs afin de répondre à un certain nombre de questions de nature
idéelle ou matérielle. En faisant revivre « didactiquement » certaines questions, le maître
s’efforce d’amener les élèves à ré-effectuer pour leur propre compte ces opérations de pensée.
12. Dans les situations naturelles l’activité de conceptualisation n’est pas accessible à
l’observateur. Elle est par contre observable dans les situations expérimentales. Mais ces
situations sont artificielles dans la mesure où les concepts à construire ne répondent pas à de
véritables « besoins cognitifs » concernant des questions que l’on se pose sur tel ou tel domaine
du réel. Les situations scolaires offrent ce double avantage : l’activité de conceptualisation y est
161
observable et les problèmes que les élèves ont à résoudre en collaboration avec le maître sont des
problèmes réels c’est-à-dire des problèmes que, compte tenu de l’état de leurs connaissances, les
hommes ont eu et ont encore à résoudre (Vygotski 1934/1985a).
13. En termes hégeliens on pourrait dire que c’est la négation des conceptions spontanées qui est
la condition de la construction des conceptions scientifiques : c’est donc bien le même concept
qui se développe, mais il se développe en se transformant - du fait du travail didactique.
14. De même que celui qui fait un nœud à ses chaussures est tout entier absorbé par le résultat de
son action et ne concentre pas son attention sur l’opération qu’il effectue pour faire le nœud.
15. B. Schneuwly fait une remarque similaire dans un article de 1995 (Schneuwly 1995).
AUTEUR
MICHEL BROSSARD
Professeur émérite à l’université de Bordeaux II
162
1 « Prendre la plume » pour rédiger ce qui suit n’a pas été pour nous1 chose facile. Il nous a
fallu évacuer la part affective omniprésente dans l’expérience vécue et racontée ici :
Francis Ruellan était un Ami et il nous manque énormément… Au delà de la relation d’une
histoire d’amitié, il nous importait de pérenniser le travail entrepris avec F. Ruellan et de
contribuer à sa vulgarisation. C’était à la fois lui rendre hommage et entreprendre ce que
lui même souhaitait. Il avait en effet pour projet, dans la continuité de sa thèse, l’écriture
d’un ou deux ouvrages destinés plus particulièrement à un public enseignant.
2 Nous avons, d’évidence, adopté dans notre écrit le point de vue du praticien. Sans exposer
en détail l’expérimentation qui s’est déroulée dans la classe de Bruno Cauchy pendant
huit semaines, d’octobre à décembre 19942, nous l’avons relue en tentant d’en retracer la
genèse et d’y repérer l’originalité des relations entre le praticien et le chercheur.
3 C’est bien une expérience particulière que nous relatons ici et nous n’envisageons pas de
généraliser notre propos. Mais cette expérience laisse entrevoir un mode de
fonctionnement différent et productif entre chercheur et praticien et peut, à ce titre,
intéresser ceux qui participent (à) ou conçoivent des dispositifs expérimentaux, dans le
cadre scolaire ou universitaire.
4 Notre souci premier, nous l’avons dit, est de contribuer à vulgariser un Mode de Travail
Didactique (M.T.D) complexe mais efficace et passionnant. Nous espérons donner envie
aux enseignants et futurs enseignants, à la lecture de ce qui suit, de se lancer à leur tour
dans l’aventure.
5 Enfin, nous avions constamment à l’esprit, durant l’écriture, le rôle essentiel que les
élèves ont joué dans la réussite de ce projet partagé !
164
1. Genèse de l’expérimentation
1.1. Histoire d’une rencontre
6 La classe de Bruno Cauchy n’a pas été choisie au hasard par Francis Ruellan comme lieu
d’expérimentation. F. Ruellan était d’abord un enseignant et c’est dans sa pratique,
pendant quinze ans, au cycle trois de l’école primaire qu’a germé le questionnement à
l’origine de sa recherche. Des lectures innombrables, une soif de connaissance et un
cursus universitaire ont fait de ce questionnement un sujet de thèse…
7 Il a très vite partagé ses interrogations avec quelques enseignants qui, de manière
informelle puis structurés en « groupe de recherche », ont échangé pendant plusieurs
années sur leurs pratiques respectives. B. Cauchy a été l’un des éléments fondateurs de ce
groupe. F. Ruellan, alors formateur au C.F.R (Centre de Formation Pédagogique) de Lille,
en assurait le pilotage.
8 Lorsque son projet de thèse s’est précisé, c’est tout naturellement que F. Ruellan s’est
tourné vers B. Cauchy : les questions du praticien rejoignaient celles du chercheur. Elles
étaient le fruit de sept années de réflexion et d’analyse de pratique, de tâtonnement, de
validation empirique d’hypothèses parfois à peine formulées…
9 Francis Ruellan a ainsi choisi de travailler avec Bruno Cauchy en lui demandant de
continuer à « oser ses intuitions ».
10 Bruno Cauchy ne possédait pas forcément dans leur intégralité les concepts théoriques
qui étayaient la recherche de Francis Ruellan. Il partageait néanmoins intuitivement
nombre d’entre eux. Ses convictions s’appuyaient sur l’analyse de sa pratique et des
productions de ses élèves. Plusieurs échanges ont précédé et accompagné la conception
de l’expérimentation. Ils ont permis à B. Cauchy et F. Ruellan de se doter d’un lexique
commun, d’affiner la définition des concepts qu’ils semblaient partager et d’établir un
cadre de fonctionnement explicite pour l’un et l’autre mais suffisamment souple pour
permettre d’éventuels réajustements.
11 L’accord premier a porté sur la conception de l’apprentissage et de l’enfant apprenant : ce
n’est pas l’adulte qui façonne l’enfant. Il l’accompagne dans l’auto-socio-construction de
son apprentissage. La conviction de l’intérêt d’une démarche de projet était également
évidente, malgré l’insécurité qu’elle peut entraîner pour le praticien qui doit la gérer et
qui abandonne beaucoup de ses prérogatives, laissant à l’enfant et aux enfants le pouvoir
de décider ; malgré l’insécurité aussi pour le chercheur, dont le protocole doit en
permanence s’adapter au cheminement du groupe et qui doit se rendre disponible pour
saisir l’opportunité qu’apportera une discussion ou une simple question. Les deux points
évoqués induisent dans la pratique un grand respect de l’enfant et de son cheminement.
B. Cauchy et F. Ruellan partageaient ainsi une confiance profonde dans la capacité des
enfants à se piloter.
12 F. Ruellan a ensuite exposé à B. Cauchy le « cœur » du M.T.D. qu’il avait conçu et voulait
mettre en oeuvre : une dynamique de fonctionnement fondée sur l’alternance entre trois
types de situations : situations fonctionnelles, situations différées, situations de
165
structuration. Cette dynamique permet notamment de parler et/ou de lire et/ou d’écrire
quotidiennement ; de partager une culture commune de référence d’où peut émerger une
liste de constats, ces constats devenant conseils pour écrire puis critères de réussite ; de
se constituer en communauté de chercheurs ; à chaque enfant, au sein de cette
communauté, de formuler, de confronter à l’avis du groupe et ainsi de s’approprier les
invariants du type d’écrit travaillé et les libertés que peut s’accorder tout auteur ;
d’améliorer son texte par des réécritures partielles ou totales ; de se doter d’outils qui
vont aider à la planification, à la révision. Ces outils sont la trace des formulations et de la
réflexion du groupe. Ils ont deux origines possibles : les outils construits par l’enfant-
lecteur, qui s’enracinent dans l’analyse des textes d’auteurs (listes de constats, structure
d’un récit, tableaux des personnages, des lieux…) ; les outils construits par l’enfant-
écrivain, selon les dysfonctionnements repérés dans les textes.3
13 B. Cauchy n’avait jusque là jamais travaillé de cette manière. Dans sa classe, les enfants
écrivaient quotidiennement mais le projet d’écriture appartenait à chaque individu. Les
révisions se faisaient par le biais d’une discussion maître-élève et portaient
essentiellement sur l’aspect syntaxique. La critique du texte par les pairs arrivait en fin de
parcours : une fois terminé, le texte était lu au groupe-classe qui livrait ses impressions et
pointait les dysfonctionnements. Des séances de structuration découlaient des erreurs les
plus fréquemment repérées par le maître dans les textes produits. B. Cauchy questionnait
le fonctionnement pédagogique qu’il avait mis en place. Il en percevait les limites et
souhaitait accorder au collectif-classe un rôle plus important. Il avait également
l’intuition qu’entre le « texte-lieu d’expression des émotions et/ou du vécu » et le « texte-
prétexte à un travail sur la langue », il y avait place pour le développement de réelles
compétences d’écriture et de lecture. Le mode de travail proposé par F. Ruellan a
immédiatement séduit B. Cauchy parce qu’il offrait une réponse à la plupart de ses
interrogations.
14 Avant que ne débute l’observation en classe, le chercheur et le praticien ont en outre
défini le genre d’écrit à proposer aux enfants (le conte merveilleux et ses
caractéristiques) ainsi qu’une ébauche de projet (écrire un recueil de contes), que les
élèves se sont appropriée en définissant notamment le destinataire du recueil et la forme
que prendrait celui-ci. Les principales étapes du projet étaient également fixées : des
lectures individuelles ou magistrales, en début de projet, contribueraient à la constitution
d’une culture commune de référence ; l’analyse des textes lus permettrait la formulation
de constats partagés, préalablement à la rédaction d’une liste de conseils ; premier jet et
réécritures alterneraient ensuite avec des temps de structuration4. Si la durée totale du
projet avait été précisée (huit semaines), le temps à consacrer à chacune de ses étapes, en
revanche, s’est discuté au fil des semaines, en fonction des avancées des enfants.
envisagé un projet sur six semaines, B. Cauchy a fait part de son désaccord, pour plusieurs
motifs. Le premier concernait la rigidité d’un échéancier bâti au préalable par l’adulte
qui, selon B. Cauchy, se révèle souvent en décalage avec le rythme des enfants ; même si
cet échéancier existait et pouvait cadrer l’action de l’enseignant, celui-ci avait décidé, une
fois pour toute de s’adapter au rythme des enfants et d’accompagner leur progression.
17 Le second motif concernait le temps à consacrer à la lecture quotidienne de contes. Les
enfants de la classe, issus en majorité d’un milieu populaire, avaient, selon l’enseignant,
besoin de se construire une culture commune de référence particulièrement importante.
Un temps de latence lui semblait de plus nécessaire pour une « maturation » de cette
culture, avant que les enfants puissent l’exploiter pour leurs propres écrits. B. Cauchy
souhaitait consacrer quelques semaines supplémentaires à la lecture de contes et aux
échanges qui s’ensuivaient. B. Cauchy aurait également souhaité approfondir le maximum
de questions soulevées par les enfants. F. Ruellan l’a fortement incité à se recentrer sur
les questions partagées par la majorité d’entre eux (tel que cela ressortait dans les
enregistrements ou dans les écrits produits). Ils ont ensemble écarté des points de détail
qui auraient pu égarer les enfants.
18 Quoique voulant s’accorder et accorder aux enfants tout le temps nécessaire à leur
progression, l’enseignant devait par ailleurs tenir compte de contraintes externes dont il
n’avait pas l’entière maîtrise : le créneau hebdomadaire de piscine, les échanges de
service avec une autre classe, etc…. Les plages horaires à consacrer au projet, sur les six
semaines prévues, n’étaient donc pas aussi nombreuses que l’envisageait F. Ruellan.
19 Enfin, dernier motif de discussion, les projets propres à d’autres disciplines à mener de
concert. Le climat de classe, si propice à l’existence du groupe comme « communauté de
chercheurs » dans la démarche d’écriture, se bâtit également au travers d’autres projets,
au quotidien de la classe. Chaque enfant s’y conforte dans son rôle de « questionneur » et/
ou de membre à part entière du groupe-classe : en histoire, en géographie, en sport…
Mener de front ces différents projets génère, selon B. Cauchy, des interactions positives.
Cela oblige cependant à concevoir chacun d’eux sur une durée plus longue. Le projet
« écrire un conte merveilleux » s’est effectivement déroulé sur huit semaines. B. Cauchy a
limité au maximum les contraintes externes signalées plus haut et a laissé en sommeil
d’autres projets en cours. Actuellement, les projets d’écriture longue qu’il met en place se
déroulent sur près d’une année scolaire.
20 Les évaluations de fin de trimestre ont constitué un autre point de débat. Dans cette
classe, les temps d’évaluation sommative étaient programmés avec les enfants et inscrits
dans l’agenda. A plusieurs reprises, une discussion n’a pu se prolonger après la récréation
ou une structuration a dû être différée d’une journée parce qu’une évaluation écrite dans
une autre discipline était programmée à l’emploi du temps. Pour l’enseignant, le respect
de l’engagement pris avec les enfants était premier. La forme que devait revêtir
l’évaluation de la compétence « écrire un conte merveilleux » a également suscité
plusieurs discussions. Comment concilier l’attente des parents, de l’institution (collègues,
collège…) et l’évaluation d’une compétence par définition complexe ? Comment l’enfant
gère-t-il le décalage entre une démarche formatrice au quotidien d’un projet d’écriture et
une évaluation sommative en fin de période sur des savoirs fragmentés mais rassurants
pour les parents ? Quelle cohérence dans ce fonctionnement ? Ces questions restent pour
nous essentielles et nous n’y avons pas trouvé, à ce jour, de réponse satisfaisante. Lors de
l’expérimentation, les deux formes d’évaluation sont restées indépendantes : co-
évaluation formatrice des textes, interne à la classe, jusqu’au produit fini ; évaluation de
167
savoirs fragmentés sur la langue écrite, transcrite dans un livret communiqué aux
parents, en fin de période.
portée de ses interventions et veillait à en limiter les effets. Dans un débat entre élèves,
les prises de parole de l’enseignant ne sont pas neutres. Elles influencent la tournure de la
discussion : si l’enseignant reformule la proposition d’un enfant, il peut la dénaturer ; en
relevant telle proposition, au détriment de telle autre, l’enseignant la privilégie ; or pour
certains enfants, l’avis du maître peut apparaître comme un indicateur de la piste de
recherche à emprunter. L’enseignant se doit cependant d’inciter l’enfant à clarifier son
propos pour lever d’éventuelles ambiguïtés ; il est de même nécessaire qu’il s’assure de la
compréhension de tous et veille à ce que chacun puisse prendre la parole, au risque de
casser le rythme de l’échange ; s’il n’assume pas ce rôle d’animateur, il court le risque
d’échanges longs et stériles.
31 De même, la présence du chercheur n’est pas neutre dans la classe. S’il est difficile et
délicat, avec le recul et sans preuves tangibles, de le justifier, B. Cauchy reste convaincu
que la présence de F. Ruellan a eu une influence positive sur le comportement des
enfants. F. Ruellan a cherché à établir avec eux une véritable relation. Il n’intervenait pas
dans la gestion des temps collectifs ou dans les temps de production individuelle, mais la
fréquence de ses visites et son expérience d’enseignant lui ont permis de s’intégrer
comme membre à part entière du groupe classe. On peut supposer que l’y ont aidé entre
autres, le chaleureux « bonjour » qu’il adressait au groupe en arrivant ; le fait de
connaître chaque enfant par son prénom ; les discussions pendant les récréations, avec
les enfants, sur les autres projets en cours dans la classe ou l’école… Chacun d’eux se
sentait sans doute par lui reconnu en tant qu’individu et non comme simple « producteur
d’un écrit ». F. Ruellan assumait sa place de chercheur dans la classe. Ce parti pris n’est
sans doute pas celui de tous les chercheurs : il peut paraître préférable de tenter de se
faire oublier. Mais la présence d’un « étranger », si discret soit-il, a une influence, elle
aussi, sur le comportement des enfants.
32 La thèse de F. Ruellan semble avoir été un projet partagé par les deux partenaires.
B. Cauchy et F. Ruellan étaient tous deux motivés par ce projet, ils partageaient les mêmes
convictions et avaient à cœur de les transmettre en les étayant. De plus, la soutenance de
la thèse, donc l’aboutissement du projet, devait engendrer pour l’un et pour l’autre des
perspectives professionnelles : orientation universitaire pour F. Ruellan, validation
officielle d’une pratique pour B. Cauchy et publication commune d’ouvrages de
vulgarisation… Cette implication des deux partenaires a sans doute influé sur l’efficacité
de leur collaboration.
33 Questionnement initial pour le praticien comme pour le chercheur ; rôle de guidance
reconnu au chercheur par le praticien ; présence quasi-constante du chercheur sur le
terrain ; définition précise et respect mutuel du champ d’intervention de chacun mais
objectifs explicites communs et coopération ; régularité des échanges pour concevoir les
séances en classe, les analyser ou réviser leur transcription… Dans la collaboration qu’ils
avaient établie, F. Ruellan et B. Cauchy étaient l’un et l’autre, bien qu’à des degrés
différents et de manière complémentaire, des praticiens-chercheurs. Cette collaboration
singulière est, selon nous, l’une des forces de la thèse de F. Ruellan. C’est également un
élément indispensable à la vulgarisation du M.T.D. Sa mise en place concrète semble en
effet difficile à réaliser en solitaire. Elle requiert pour son efficacité la présence d’une
« communauté de praticiens-chercheurs »…
170
CONCLUSION
34 Dans l’aventure vécue d’octobre à décembre 1994, chercheur, praticien et enfants ont
formé un trio efficace. Au fonctionnement habituel enseignant/élèves et à la
collaboration, moins courante, du praticien et du chercheur telle qu’on l’a évoquée, il
nous faut ajouter l’influence chercheur/élèves : la présence du chercheur et l’enjeu de la
recherche, perceptible pour les enfants par les enregistrements et les entretiens
individuels, a favorisé leur motivation ; l’activité des enfants et les outils qu’ils
concevaient interpellaient le chercheur qui modifiait éventuellement questionnement et
protocole. C’est dans la dynamique d’un projet que chacun s’était approprié que le M.T.D.
a connu sa première concrétisation.
35 Pour tenter de valider une démarche pédagogique innovante, il paraît indispensable,
selon nous, de rendre compte des résultats mais aussi et surtout du cheminement. Il est
nécessaire que transpire la vie du groupe, ses avancées, ses hésitations, ses heurts. Il faut
réussir à rendre compte de la complexité du cheminement de la classe et de chaque
individu5, traduire un déplacement, saisir « l’âme » (anima) du groupe : la dynamique, les
émotions que « gère » au quotidien le praticien.
36 Ce qui caractérise la recherche, traditionnellement, c’est la réduction du regard : le
chercheur se définit une question précise et met en place un protocole d’observation qui
permettra l’annihilation de variables secondaires ou parasites, au risque de la
simplification… Une vision parcellaire obligée peut cependant être plus ou moins juste.
L’enseignant totalement investi dans sa classe perçoit quant à lui des indices (ou un
faisceau d’indices) auxquels une personne extérieure n’est pas sensible. La perception
devient similaire pour un chercheur présent quotidiennement pendant plusieurs
semaines et s’efforçant de traduire l’indicible, la toile d’araignée, la convergence de
preuves… F. Ruellan a tenté de rendre visible la complexité et la diversité des parcours
des enfants au sein du M.T.D., dans leur conquête d’une compétence scripturale. La
validation empirique de ses hypothèses lui a demandé un travail d’analyse titanesque,
sans que soit garantie son exhaustivité…
BIBLIOGRAPHIE
RUELLAN, F. (1998) : « Un mode de travail didactique pour l’enseignement de compétences en
production d’écrits » Spirale n° 23, 53-73.
RUELLAN, F. (2001) : « Indices d’hétérogénéité dans une démarche d’écriture en projet », Recherches
n° 35, 99-135.
171
RUELLAN, F. (2002) : « Evolution du rapport au texte et à l’écriture dans une démarche de travail en
projet » Pratiques n° 113-114,154-191.
NOTES
1. M.A. Ballenghien et B. Cauchy ont travaillé pendant près de quinze ans avec F. Ruellan.
Enseignants en cycle 3 dans la même école, ils ont mené avec leurs élèves de nombreux projets
d’écriture et ont participé à l’éclosion du Mode de Travail Didactique (M.T.D.) C’est dans la classe
de B. Cauchy qu’a eu lieu l’expérimentation décrite dans la thèse de F. Ruellan. La maîtrise et le
D.E.A. en Sciences de l’Education de M.A. Ballenghien, sous la direction de Y. Reuter, s’inscrivent
également dans le cadre du M.T.D.
2. Voir à ce sujet les articles de F. Ruellan (1998) (2001) (2002)
3. Pour plus de précisions, voir les articles de F. Ruellan (1998), (2001), (2002).
4. Voir la thèse de F. RUELLAN : Un Mode de Travail Didactique pour l’enseignement-apprentissage de
l’écriture au cycle 3 de l’école primaire, (1999), volume 2, quatrième partie, chapitre 1, pp 388-507.
5. C’est ce qu’a fait F. Ruellan, dans sa thèse : Un Mode de Travail Didactique pour l’enseignement-
apprentissage de l’écriture au cycle 3 de l’école primaire, Atelier National de Reproduction des Thèses
(1999), quatrième partie, pp. 380-858.
AUTEURS
MARIE-AGNÈS BALLENGHIE
Professeurs des écoles en cycle trois, école du Sacré Cœur, Lille-Fives
BRUNO CAUCHY
Professeurs des écoles en cycle trois, école du Sacré Cœur, Lille-Fives