Revue française de pédagogie

Halte (J.-F.). — La didactique du français, 1992 (Que sais-je ? ;

2656)
Georgette Pastiaux-Thiriat

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Pastiaux-Thiriat Georgette. Halte (J.-F.). — La didactique du français, 1992 (Que sais-je ? ; 2656). In: Revue française de
pédagogie, volume 103, 1993. pp. 121-122;

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relie » a fait long feu. Et pourtant, croyants ou
incroyants, la Grande Didactique nous interpelle
quelque part. Ne porte-t-elle pas témoignage de ce que
l'éducation, bien qu'elle procède essentiellement « par
le bas », ne peut en définitive faire l'économie d'un
sens métaphysique (quand bien même le discours
métaphysique « à la XVIIe siècle » serait condamné à
ne jamais pouvoir se reconstituer comme tel),
qu'aucun fait observable ne peut, et que la totalité des faits
additionnés ne pourra jamais lui assurer ? A suivre.
Michel Soëtard
Université catholique de Lille
HALTE (J.-F.). — La didactique du français. —
Paris, PUF, 1992. — 127 p. — (Que sais-je ? ; 2656).
S'il en était encore besoin, la parution dans la
collection Que sais-je de la synthèse de J.-F. Halte,
apporterait la preuve que la didactique du français est
désormais une discipline reconnue. Ce qui ne signifie
pas que les difficultés que pose la définition du
domaine soient toutes résolues, ni que les polémiques
qu'elle suscite soient apaisées. La fortune même du
terme, lieu de toutes les ambiguïtés et récupérations,
rend très utiles des mises au point comme celles-ci :
définir un champ et des composantes pour la
didactique, analyser l'acte d'enseigner dans sa complexité,
dégager la spécificité de l'objet « français », est le seul
moyen d'échapper au « modèle trop simple » (p. 6)
qui oppose contenus et apprentissage et nourrit encore
des conflits plus idéologiques que scientifiques...
Un rappel historique permet de voir comment le
contenu de la notion s'est précisé peu à peu et
comment le terme a progressivement remplacé celui de
pédagogie, quand il s'agit d'évoquer les problèmes
d'enseignement d'une matière. J.-F. Halte fait
remarquer avec justesse que, paradoxalement, c'est au
moment où la pédagogie connaît un essor
considérable, au début des années 80, — avec l'entreprise de
rénovation des collèges lancée par L. Legrand et la
création des MAFPEN par le ministère Savary, — que
se propage le terme de didactique, appliqué au
français langue maternelle. Il est clair que « la
préoc upation pédagogique génère des besoins didactiques »
(p. 8), car les entrées pédagogiques générales
soulèvent nécessairement des questions sur les savoirs en
jeu dans les apprentissages et transforment le
questionnement des didactiques spécifiques. Ainsi est posée, et
fortement argumentée, une définition de la didactique
qui met en relation contenus et savoirs avec les
moyens et démarches mis en œuvre pour les
transmet re (ou acquérir). Reprenant le schéma du triangle
didactique d'Y. Chevallard (1984), l'auteur souligne
l'aspect nécessairement systémique de la didactique :
même si chaque sommet du triangle (savoirs,
enseignant, élève) représente une problématique
particulière, engendrant des recherches autonomes, on ne
parlera de didactique que lorsque ces pôles seront
articulés entre eux de façon concrète, c'est-à-dire dans
une perspective d'intervention pédagogique ; la
didactique est une discipline théoricopratique, son objectif est
de nature praxéologique.
On peut se demander pourquoi la réflexion sur la
didactique du français langue maternelle est restée à la
traîne, alors que des didactiques se constituaient en
mathématiques, sciences ou français langue étrangère.
Ce retard s'explique en partie par des conjonctures
historiques, mais surtout par la spécificité de
l'enseignement du français : le français occupe une place
centrale dans le système éducatif parce qu'il est à la
fois objet et moyen d'enseignement ; mais il est aussi
le lieu de conflits de valeurs et d'oppositions
idéologiques passionnelles, de tensions politiques intenses.
Enfin, sur le plan des savoirs, il s'appuie sur des
referents théoriques hétérogènes, eux-mêmes relevant
des sciences humaines, réputées moins « scientifiques »
que les sciences dures. On comprend dès lors que tout
changement de « configuration didactique » soit
laborieux et problématique.
Faut-il pour autant affirmer que la didactique est
dans l'impasse et que « le champ du français est, en
1991, quasiment dans la même imprécision qu'il y a 10
ou même 20 ans » (p. 38) ? Certes, les pratiques
scolaires montrent une certaine incohérence, il n'y a
pas de consensus sur les finalités et l'équilibre dans la
« noosphère » n'est pas rétabli, après le
bouleversement apporté par la linguistique et la sociologie. Mais
il ne faudrait cependant pas compter pour rien les
effets sur les pratiques des avancées dans le domaine
de la psychologie cognitive et de l'attention portée aux
problèmes d'apprentissage ; ni passer sous silence
l'évolution du discours des instructions officielles, et
surtout la généralisation et l'approfondissement de la
réflexion didactique — ce dont ce petit livre porte
témoignage. Sur ce dernier point, on s'étonnera de ne
pas voir signalée la banque DAF/DAFTEL (INRP/
Université de Montréal) qui définit le champ de la
didactique de la même façon que l'auteur et qui a déjà
recensé et analysé plus de 3 800 recherches en
didactique du français langue maternelle depuis 1970.
Notes critiques 121
 C'est d'autre part simplifier abusivement les choses,
semble-t-il, que d'attribuer à la persistance d'une
configuration traditionnelle, à laquelle se mêlent des
éléments de nouveauté, les difficultés de la didactique du
français. Tel qu'il est présenté ici, et sans doute parce
que les contraintes d'un Que sais-je obligent à des
raccourcis hasardeux, le débat date un peu. En fait, et
c'est du reste ce qui ressort très clairement de
l'analyse pertinente qui est faite de la démarche didactique,
c'est l'objet lui-même — l'enseignement/apprentissage
du français — qui engendre les difficultés.
Une des questions centrales de la didactique étant la
scolarisation des savoirs, trois modalités de cette
opération sont exposées et critiquées. La première,
l'application didactique selon laquelle les concepts, outils et
méthodes des disciplines scientifiques sont appliqués à
l'enseignement, fut la démarche principale de la
didactique du français dans les années 70. Son échec
montre que les savoirs ne s'imposent pas par eux-mêmes et
que l'oubli des deux autres pôles du triangle,
l'intervention didactique et l'acquisition, entraîne de
fâcheuses conséquences. Vint ensuite la transposition
didactique, notion utilisée d'abord par M. Verret
(1974) dans un contexte sociologique, puis par Y. Che-
vallard (1984) qui l'applique à l'enseignement des
mathématiques : pour devenir objets d'enseignement,
les savoirs savants passent par une série de
manipulations de sélection et d'aménagements, manipulations
nécessaires parce que les savoirs scolaires relèvent
d'une conjoncture générale (et pas seulement de la
science d'origine) qui détermine le choix des éléments
à enseigner, et que d'autre part les savoirs savants
doivent être simplifiés pour être utilisés en classe.
L'exemple de l'utilisation dans les manuels scolaires de
la théorie de la communication de Jakobson montre la
fatale « dégradation » de l'objet ainsi que « l'effet
terminal d'évidence » qui efface les glissements et
transformations successifs, et occulte la question de
l'adéquation du savoir enseigné au savoir à enseigner
(pp. 51-52).
Pour J.-F. Halte, comme pour J.-L. Martinand et
son équipe de didactique des sciences, le concept de
transposition didactique est précieux méthodologique-
ment — il oblige à la « vigilance épistémologique » et
à une dénaturalisation des savoirs utile pour l'action
didactique. Mais il n'est pas suffisant pour construire
une didactique parce qu'il privilégie la transmission des
connaissances aux dépens des problèmes posés par leur
acquisition. D'où, selon Martinand, la nécessité de
construire des « sciences pour l'enseignement » ou
sciences impliquées, élaborées à partir de savoirs
savants, mais prenant en compte dès le départ les
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impératifs didactiques. Cette démarche, satisfaisante
puisqu'elle conjugue les caractéristiques propres aux
savoirs et celles de l'acquisition, est-elle applicable au
français ?
L'auteur ne le pense pas. Le français ne relève pas
d'une science, ses referents théoriques sont multiples,
son enseignement vise, non des connaissances
scientifiques, mais d'abord des savoir-faire et des pratiques de
l'ordre du social et du culturel. On devra donc se
contenter de parler, non de « science impliquée »,
mais plus modestement de « l'implication des sciences
dans la didactique » (p. 75). Ni subjective, ni scien-
tiste, la didactique doit construire elle-même, en toute
rigueur, mais parfois sur le mode du compromis, les
matrices théoriques des matières enseignées.
Il aurait été certainement plus convaincant de nous
faire assister au travail de construction ainsi défini, sur
un exemple précis, plutôt que de passer en revue un
certain nombre de contenus didactiques et les
problématiques qui les concernent. Mais les lois du genre
commandent. On regrettera aussi que l'enseignement/
apprentissage du texte littéraire, étant donné
l'importance qu'il a, tant sur le plan institutionnel, par la
place qu'il occupe dans les pratiques scolaires, que sur
le plan du développement psychologique et culturel de
l'enfant et de l'adolescent, soit réduit à la construction
de la notion de genre littéraire. Il aurait mérité une
discussion plus large.
Ces réserves, sur des points particuliers, n'enlèvent
pas à l'ouvrage sa pertinence et sa clarté. On peut
espérer qu'il aidera grandement à dissiper les
confusions et les malentendus et que sa conclusion sera
retenue : si la didactique est la « discipline de
référence des pratiques d'enseignement », alors il y a
urgente nécessité d'articuler théorie et intervention
didactique, savoirs de référence et pédagogie,
recherche et enseignement. Cela veut dire aussi que
les enseignants ont à se faire eux-mêmes didacticiens,
afin de ne pas devenir de simples applicateurs d'une
didactique élaborée ailleurs.
Pouvons-nous ajouter, sans pécher par excès
d'optimisme, que le processus de rapprochement semble en
marche et la conjoncture favorable ?
Georgette Pastiaux-Thiriat
INRP