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Résumé
Cet article propose une réflexion critique sur le passage de la narratologie dans le champ de la didactique du français. Après un
retour sur le contexte de son introduction et les espoirs qu'elle a suscités, il étudie les transformations qu'elle a subies et
propose un bilan hypothétique de ses effets. Il élabore enfin un programme de recherche portant sur l'enseignement-
apprentissage du récit dans un cadre proprement didactique qui ne réduit donc pas ses questions à celles des applications
possibles d'une théorie élaborée dans un autre champ scientifique.
Abstract
-Narratology, teaching the narrative and French didactics.
Yves REUTER, Theodile, University of Lille 3.
This paper puts forward some critical thoughts on how narratology has been incorporated into the field of French didactics. It
first looks back at the context of its introduction and the hopes that this gave rise to. It then studies the transformations which
have been carried out and offers a hypothetical appraisal of the effects its introduction has had. Finally, it develops a research
programme on teaching-learning the narrative in a specifically didactic frame-work which does not limit its questions to those
raised by possible applications of a theory developed in another scientific field.
Reuter Yves. Narratologie, enseignement du récit et didactique du français. In: Repères, recherches en didactique du français
langue maternelle, n°21, 2000. Diversité narrative. pp. 7-22;
doi : https://doi.org/10.3406/reper.2000.2325
https://www.persee.fr/doc/reper_1157-1330_2000_num_21_1_2325
Université
ÉquipeCharles-de-Gaulle
Yves
THÉODILE
REUTER
- EA 1 -764
Lille III
Résumé : Cet article propose une réflexion critique sur le passage de la narrato-
logie dans le champ de la didactique du français. Après un retour sur le contexte
de son introduction et les espoirs qu'elle a suscités, il étudie les transformations
qu'elle a subies et propose un bilan hypothétique de ses effets. Il élabore enfin
un programme de recherche portant sur l'enseignement-apprentissage du récit
dans un cadre proprement didactique qui ne réduit donc pas ses questions à
celles des applications possibles d'une théorie élaborée dans un autre champ
scientifique.
1. DE L'ENGOUEMENT AU FIGEMENT
Il n'est sans doute pas inutile de rappeler que, dans les années 70-80, la
narratologie a suscité un enthousiasme certain, aussi bien dans le champ des
théories littéraires (voir les revues Littérature, Poétique...) que dans celui de l'in¬
tervention didactique et de la réflexion sur celle-ci (2) à une époque où la didac¬
tique (qui ne s'appelait pas encore ainsi) était en quête d'identité.
Cet engouement se fondait sans nul doute sur des dimensions cognitive,
pédagogique, politique, institutionnelle... inextricablement mêlées. Ainsi, et pour
ne mentionner que quelques éléments de l'état d'esprit de l'époque (3), je note¬
rai :
- un sentiment de convergence avec des configurations épistémologiques
et politiques (structuralisme, marxisme...), voire des disciplines (sociolo-
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La situation que je viens d'évoquer a encore été renforcée par des phéno¬
mènes d'étayage liés à différents courants de la recherche, par exemple la psy¬
chologie cognitive (voir Denhière et Legros 1 987 ou Fayol 1 985) ou les travaux
autour des typologies de textes (sur ce point, voir aussi Nonnon 1994 : 151 -
152).
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l'origine, comme tout concept, le statut d'outil heuristique. A des pratiques d'in¬
vestigation ont donc succédé, dans un espace social différent (20), des pra¬
tiques applicationnistes et d'étiquetage.
2. UN BILAN À QUESTIONNER
En premier lieu, il convient de noter, me semble-t-il, que l'état des lieux est
particulièrement difficile à dresser. Il s'agit là d'un problème qui n'a rien de spé¬
cifique au récit et que l'on rencontre en didactique quelle que soit la question
prise en considération. On ne peut que le regretter en souhaitant que plus de
programmes de recherches y soient consacrés. A partir de ce manque, on
conviendra donc que ce qui concerne les pratiques effectives dans les points
suivants (2.2 et 2.3) est parcellaire et hypothétique.
- des analyses plus précises (22) des textes donnés à lire, écrire et analyser
aux élèves, ce qui a engendré, potentiellement, de meilleures articulations
dans l'enseignement de certaines pratiques : la production narrative, en
général (Ruellan 2000) ou à partir d'une entrée spécifique (par exemple, à
partir du personnage, voir Glaudes et Reuter 1996 et surtout Tauveron
1995), la lecture (23), le commentaire des textes, l'évaluation des écrits
(Reuter 1 994b et 1 998 et les travaux du groupe EVA) ;
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Que penser de cet hypothétique état des lieux dans une perspective didac¬
tique ? J'avancerais volontiers qu'il est tributaire - entre autres facteurs - de la
configuration de pensée d'une époque « pré-didactique » où l'importation d'un
modèle issu d'un autre espace théorique, sans repenser l'espace théorique spé¬
cifique de la didactique (Reuter 1994 et 2000), ne pouvait qu'engendrer majori¬
tairement de l'applicationnisme. Il s'agissait, en simplifiant toujours à l'extrême,
de transférer sur des objets d'enseignement - apprentissage « classiques » des
théories récentes sur ces objets, indépendamment de leurs relations à l'ensei¬
gnement - apprentissage et sans réfléchir au cadre didactique lui-même, aux
problèmes rencontrés par les élèves, aux objectifs possibles, aux démarches...
Comme je l'écrivais au début de cet article, on a sans doute fonctionné à cette
époque sur l'illusion qu'une « meilleure » théorie engendrerait un meilleur ensei¬
gnement qui, lui-même engendrerait un meilleur apprentissage. Les mécanismes
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L'enjeu est ici double : penser les écarts entre ces deux séries de pratiques
et, conséquemment, ce qui serait susceptible de les aider à s'étayer mutuelle¬
ment ; penser les lieux les plus féconds de l'intervention didactique en précisant
d'éventuels palliers de progression et lieux de résistance.
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Mais on peut aussi viser, via les récits, à développer les capacités à gérer
des référents imaginaires ou réels, à stimuler la créativité, à récapituler le vécu,
voire les aptitudes à la métacognition, à la résolution de problèmes ou aux
démarches heuristiques...
S'agit-il encore d'intervenir sur des difficultés tributaires de l'âge (voir les
analyses de Clanché, 1988 et 1992, sur les positions éthiques des jeunes
enfants réticents devant le « mentir-vrai » de la fiction réaliste) ou liées au niveau
scolaire ou à la catégorie sociale d'appartenance (voir les problèmes de dissy¬
métrie entre force de l'investissement et qualités formelles de l'écrit soulevées
par Kaïci 1992 ou ceux du rapport au langage et aux situations de communica¬
tion soulevées par Bautier et Rochex 1 998 ou Lahire 1 993) ?
S'agit-il enfin (et la clôture est ici arbitraire) de viser la réalisation de récits
« bien formés » d'un point de vue structurel et / ou correctement écrits (au
regard des normes grammaticales) et / ou contextuellement pertinents et / ou
intéressants (et pour qui ?) ? On conviendra qu'il s'agit là de choix cruciaux
mais complexes sur lesquels les décisions se prennent en général implicitement.
On conviendra encore que, bien souvent, la plupart de ces objectifs sont pré¬
sents mais reliés et hiérarchisés sous des formes différentes assez peu objecti¬
vées, explicitées et justifiées. On conviendra enfin que, selon les objectifs, les
choix concernant la progression, les démarches, les situations de travail, les
textes ressources, etc. seront sans doute fort différents. Et qu'il ne peut en être
que de même pour les théories de référence...
En effet, selon les questions traitées, il n'est pas possible de faire appel aux
mêmes paradigmes théoriques - ou au moins selon les mêmes modalités (32) -
et pour chacune de ces questions, au sein d'un même paradigme, différentes
théories sont généralement en concurrence, voire en conflit.
Il convient encore de remarquer que, sur chacun de ces pôles et plus parti¬
culièrement ici pour ce qui touche au récit, les référents théoriques n'apparais¬
sent pas également didactisables, au moins du point de vue économique (33).
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« Nous croyons que les récits décrivent des problèmes ainsi que les plans
des personnages pour les résoudre. » {idem, 286)
« Si les récits sont des traces des activités de résolution de problèmes
mises en œuvre par les personnages, alors la représentation de la structure
des récits doivent être similaires à la représentation de la résolution des
problèmes. » {ibidem, 292)
« On peut affirmer que le récit - le texte narratif - possède une structure
globale hiérarchique qui confère aux différents événements (même si leur
ordonnancement chronologique est déconstruit) une certaine valeur diffé¬
rentielle que traduit le schéma de la « super-structure narrative » :
(Adam 1987, 4)
« Somme toute, nouer une intrigue, c'est introduire un événement singulier
qui déclenche l'action (et / ou l'évaluation) et permet de sortir de la situa¬
tion initiale que celle-ci soit problématique ou non. En ce sens, « nouer »
doit être compris comme désignant une opération spécifiquement narrative
de mise en texte, indépendamment de toute dimension sémantique.
L'ultime critère du récit est donc la présence, dans un texte d'action, d'un
Nœud et d'un Dénouement. » (Revaz 1997, 195)
Pour conclure cet article, certainement décevant aux yeux de certains dans
la mesure où il pose plus de questions qu'il n'apporte de solutions, je dirais
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volontiers que la communauté des didacticiens n'a sans doute pas encore pris
la mesure des déplacements de la pensée qu'impose la didactique et qu'elle
construit pourtant avec ténacité. Le cas du récit en est un bon exemple dans la
mesure où l'on voit encore comment des propositions théoriques très intéres¬
santes ou des propositions pratiques très judicieuses peuvent être construites
dans un rapport aveugle à l'héritage d'objets scolaires. Le cas de la narratologie
est complémentairement éclairant quant aux zones de confusion entre espaces
didactiques et aux difficultés à se situer dans une configuration proprement
didactique en « s'accrochant » à des modes de pensée antérieurs liés à une
époque où celle-ci n'était pas autonomisée. Reste maintenant à travailler pour
que des recherches didactiques spécifiques (sur le récit, l'orthographe...) soient
cohérentes avec le projet didactique global qu'elles spécifient en retour...
NOTES
(1) Parmi les critiques les plus intéressantes, voir les analyses de Nonnon 1994 et 1998,
auxquelles cet article est très fortement redevable.
(2) Voir, notamment les numéros 1 -2 (1 974) à 1 4 (1 977) de la revue Pratiques.
(3) Je recommande aux plus jeunes lecteurs, entre autres, la lecture de l'éditorial du
n° 1-2 de Pratiques, suivie de (l'introduction de) l'article initial « Essai d'analyse
structurale du « Chat Noir » d'E. A. Poe. Pour une application pédagogique ».
(4) La narratologie - on l'oublie parfois - ne traite pas des questions de légitimité (ou de
valeurs) accordée aux récits qui, pour elle, relèvent de la sociologie ou de l'ethnolo¬
gie culturelle.
(5) Structures du récit et de la description, « dépassement » de la dichotomie floue entre
fond textuels...
faits et forme, déplacement des questions du « pourquoi ? » au « comment ? » des
(6) Et notamment de l'état initial avec l'introduction et de l'état final avec la conclusion.
(7) Due, au moins en partie, au retard dans les traductions de Propp en France et à la
sous-estimation de travaux tels ceux de Souriau.
(8) Je prie le lecteur de bien vouloir m'excuser pour la simplification extrême à laquelle
je me livre moi-même pour tenter de présenter plus clairement certains problèmes.
(9) Et sous quelles formes ?
(1 0) Ou didactique de la formation disciplinaire (cf. Brassart et Reuter 1992).
(11) Au moins dans un premier temps.
(12) Cela pose d'ailleurs de véritables problèmes d'articulation entre théories du texte et
théories du sujet auxquels la didactique ne peut éviter de se confronter, pas plus
d'ailleurs que les théories du texte ou les théories du sujet...
(13) Pour de multiples raisons parmi lesquelles un effet d'antériorité ou une impression de
plus grande adéquation aux cadres théoriques mis en place.
(1 4) Même au corps défendant de ses promoteurs.
(15) Pour avoir une idée d'autres approches possibles, voir - entre autres - Black et
Bower 1984, Bruner 1991, Debray et Pachoud 1992, Jolies 1930/1972, Labov 1978,
les travaux de Ricœur ainsi que les articles de Nonnon 1 994 et 2000 et de Brassart
1993.
(16) fondamentale.
Or la sélection d'un réfèrent théorique parmi d'autres possibles est une opération
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