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DE LA PHILOSOPHIE EN FRANCE
Vincent CITOT
ÉSPÉ de Paris
côté les autres modalités d’enseignement. Un mot tout de même sur la comparaison du
Secondaire et du Supérieur, qui nous semble édifiante. Il est en effet remarquable que
l’art de la problématisation philosophique soit au cœur des programmes et des exigences
du Secondaire, tandis qu’il est presque absent du Supérieur – où l’histoire de la philo-
sophie tient globalement lieu de philosophie. On caricaturerait à peine la situation en la
résumant ainsi : on demande aux élèves des filières générales et technologiques de faire
de la philosophie authentique (alors que, pour beaucoup d’entre eux, ils s’en passeraient
volontiers) ; mais dès lors que certains choisissent de faire de la philosophie leur spé-
cialité universitaire, on ne leur propose plus qu’une discipline de substitution (l’histoire
de la philosophie). Pour un nombre croissant de lycéens, l’enseignement de la philo-
sophie est une sorte d’objet éducatif non identifié – qu’il soit craint, fantasmé ou moqué.
Beaucoup seraient très heureux si on leur dictait « du contenu », c’est-à-dire si on leur
faisait apprendre les pensées positives de tel ou tel auteur. D’autres sont sensibilisés au
mode de raisonnement philosophique, à l’exigence critique et à la liberté intellectuelle
dont l’enseignement philosophique de Terminale fait la promotion. Parmi eux, quelques-
uns sont tellement motivés qu’ils choisissent de s’engager dans des études de philo-
sophie – ce qui revient souvent à faire de cette dernière un métier et une vie. Ceux-là
sont certainement déçus, une fois arrivés dans le Supérieur, de constater qu’on leur
donne comme nourriture spirituelle quelque chose de très différent de ce qui les avait
passionnés en Terminale.
Certes, un enseignement public national n’a pas pour vocation fondamentale de faire
plaisir aux élèves et étudiants, ni de répondre à leurs attentes idiosyncrasiques. Mais en
vertu d’un principe d’honnêteté et de transparence, il serait tout de même souhaitable
que ce que l’on enseigne correspondît aux dénominations des disciplines et des cours.
Le contenu doit être conforme à l’intitulé. Par exemple, si un cours porte sur telle œuvre
de tel auteur, et que son objet est de la comprendre, il faut qu’il apparaisse dans « la
maquette » comme un cours d’exégèse – ou d’explication de texte, à tout le moins. Si
l’objet du cours est d’acquérir une intelligence historique en histoire de la philosophie,
qu’il soit indiqué comme un cours d’histoire (ce qui mettrait en rivalité les historiens de
la philosophie de formation philosophique et les historiens de la philosophie de for-
mation savante). S’il s’agit de philosopher (à partir d’une œuvre, d’un auteur, ou direc-
tement à propos d’un problème général) qu’il apparaisse comme un cours de philo-
sophie. L’enseignement universitaire devrait clarifier les finalités des divers cours, donc
les compétences attendues pour les évaluations. Cela éviterait de confondre des spécia-
lités aussi diverses que l’explication, le commentaire, l’histoire et la philosophie. Il nous
semble que tout le monde y gagnerait, et que les spécialités en question seraient mieux
honorées. Mais nous ne pouvons développer ici ce point.
pouvons résumer ainsi notre propos : le programme actuel de philosophie est excellent
s’il est traité par des professeurs excellents.
une chaise pendant cinquante-cinq minutes sans bavarder avec ses voisins (mais éven-
tuellement en intervenant à l’oral après que le professeur a donné la parole). Or ce sont
la plupart du temps ceux qui auraient le plus besoin d’écouter sagement le cours qui
sont le moins disposés à le faire.
Dans ces conditions, on comprend que ces élèves ne soient pas en mesure de trans-
former les sujets de dissertation qui leur sont soumis en des problèmes philosophiques,
puis de les traiter sous une forme dissertative. En guise de dissertation, l’enseignant se
retrouve avec un déballage de préjugés vaguement mis en ordre. Dans bien des lycées,
les « bac blancs » de quatre heures sont devenus inutiles ; les élèves n’ayant plus rien à
écrire au bout de deux heures. En outre, le correcteur doit souvent constater avec dépit
que son cours n’a presque servi à rien. Ou bien il le retrouve par morceaux et trans-
figuré, comme une imprimante qui aurait restitué un fichier corrompu. Il se remonte le
moral en évoquant le souvenir de tel ou tel élève qu’il est parvenu à « tirer de là » ; à
ceux qui « s’en sont sortis », à telle ou telle remarque, en cours, qui l’a bouleversé par la
justesse de l’intuition qu’elle manifestait (et surtout du fait qu’elle était inattendue, étant
donné le niveau de la classe). Mais sur combien d’années, et par rapport à combien
d’élèves ? Quel rendement, si nous osions le terme ? Que répondre à ceux qui voudraient
tirer de tout cela argument pour supprimer purement et simplement l’enseignement de
la philosophie en classes technologiques ? Pourquoi ne pas rendre cette discipline option-
nelle, de sorte que seuls les bons lycées puissent la proposer et la dispenser, là où les
conditions de son enseignement sont présentes ? Nous ne militons pas du tout ici pour
supprimer la philosophie ou la rendre optionnelle ; et pourtant nous constatons qu’elle
n’est déjà plus enseignée comme elle le devrait dans bien des lycées (faute des condi-
tions susmentionnées).