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LOGIQUE
Préface de Ch. BRUNOLD
Directeur général de l'Enseignement du Second Degré
Court-Traité de Métaphysique.
Court-Traité de Morale.
Court-Traité de Psychologie.
Court-Traité de Philosophie (Sciences expérimentales) en préparation.
OUVRAGES DES MÊMES AUTEURS
Les grands courants de l'Esthétique contemporaine, CRITIQUE 117, Ed. de
Minuit.
De la phénoménologie de l'œuvre à l'œuvre de la phénoménologie, Et. Philo-
sophiques n° 3, 1957.
OUVRAGES D'ANDRÉ VERGEZ
Marx et Freud ou les Frères ennemis, l'Année propédeutique, 5, place de la
Sorbonne, novembre-décembre 1954.
Hume, lecteur de Pascal, Annales littéraires de l'Université de Besançon, 1955.
Technique et morale chez Platon, Revue philosophique 1956, P. U. F.
Réflexions sur les Techniques de séparation et d'union de l'âme et du corps,
S. E. T., 2, rue Mabillon, Paris (VI mars-juillet 1956.
OUVRAGES DE DENIS HUISMAN
L'Art de la Dissertation philosophique, S. E. D. E. S., 5, place de la Sorbonne,
Paris ( V
Le Guide de l'Étudiant en philosophie, P. U. F.
L'Esthétique, «Que sais-je? » n° 635, P. U. F.
Tableau de la philosophie contemporaine (Fischbacher).
Pour une Esthétique de laboratoire (Revue générale des sciences) t. LXI.
Revues, congrès et colloques (l'Encyclopédie française t. XIX), Larousse.
Anos maîtres
JEAN HYPPOLITE
Professeur à la Sorbonne
Directeur de l'École Normale Supérieure
RENÉ POIRIER
Membre de l'Institut
Professeur de Logique à la Sorbonne
et
PIERRE-MAXIME SCHUHL
Directeur de la Revue Philosophique
Professeur à la Sorbonne
Ayant déjà pris connaissance avec beaucoup d'intérêt des trois premiers fascicules
de ce Cours, respectivement consacrés à la Métaphysique, à la Morale et à la Psychologie,
j'attendais avec une curiosité sympathique de pouvoir lire la dernière partie de ce
travail qui se rapporte à la Logique. Je ne m'attendais certes pas à écrire la préface
de ce dernier volume. Bien des philosophes et des savants de ce pays eussent certaine-
ment répondu avec plus de compétence à une offre de cette nature. Si je ne l'ai pas
déclinée, c'est pour des raisons que je vais dire et qui tiennent à l'état actuel de l'ensei-
gnement de la Philosophie dans nos Lycées et Collèges.
Si la pensée philosophique manifeste en France une grande vitalité, l'enseignement
philosophique au niveau des études secondaires a connu une crise récente qu'il serait
vain de méconnaître et qui touche peut-être à sa fin. Le grand mouvement d'opinion
qui s'est développé récemment en faveur de la formation d'ingénieurs et de techniciens
dont notre pays a besoin, et qui a donné lieu à la fois à un grand débat au Parlement et
à des manifestations de toutes natures, a provoqué dans les classes terminales de nos
Lycées et Collèges un appel vers la classe de Mathématiques au détriment des effectifs
de celle de Philosophie, à laquelle nos Professeurs de cette discipline sont très attachés
parce qu'ils disposent, dans l'horaire de cette classe, d'un nombre d'heures assez élevé
qui leur permet un enseignement en profondeur.
Effectivement, plus de la moitié des élèves des classes terminales de nos établisse-
ments masculins préparent aujourd'hui le baccalauréat de mathématiques. Cette
désertion de la classe de Philosophie a pu provoquer chez ceux qui sont le plus attachés
à cette formation une inquiétude, peut-être un découragement. C'est à eux que je
m'adresse, sachant que les préfaces des livres classiques sont plus écrites pour les
maîtres que pour les élèves, et je voudrais leur dire que personne ne pense à réduire
la place éminente qu'occupe l'enseignement philosophique au sommet de notre culture
secondaire. C'est lui en effet qui contribue pour une large part à définir l'esprit de
cette culture et ce n'est pas à l'heure où elle suscite de la part de pays très industrialisés
la plus vive curiosité que les dirigeants de notre Université songent à abandonner
ce qui, dans le passé, a fait la valeur de la formation de nos élites.
Pour rester sur le seul terrain de l'enseignement scientifique, on doit constater que
le progrès très rapide de notre connaissance de l'univers implique une adaptation
toujours plus grande, parfois des modifications profondes des méthodes théoriques et
expérimentales, qui jusqu'à présent ont assuré le succès prodigieux de l'effort accompli
par les savants de toutes disciplines : mathématiques, physique, chimie ou biologie.
Il n'est pas douteux que l'état des connaissances actuelles nous apparaît plus que
jamais comme une étape, qui sera vite franchie, dans une évolution dont la rapidité
se révèle de manière plus évidente si nous nous reportons à ce qu'était l'état de ces
connaissances dans un passé peu éloigné. Force est donc, pour ceux qui veulent se
donner une solide formation scientifique et contribuer par leurs recherches ou leurs
travaux au développement de notre savoir, de réfléchir sur la méthode et l'esprit scien-
tifique, afin d'acquérir les qualités d'imagination et d'invention requises par cette
évolution. Ce qui rend si attachante la pensée d'un savant tel que Louis de Broglie,
ce n'est pas seulement la grandeur de l'effort théorique représenté par la création de
la «mécanique ondulatoire » et la fécondité d'une pensée qui a abouti en particulier
à la réalisation du microscope électronique, c'est aussi le souci qu'a ce savant de
soumettre à un effort critique permanent la méthode à laquelle il fait appel et les
concepts fondamentaux comme ceux d'ondes et de particules qui servent de base à la
théorie.
Ce souci méthodologique qu'on trouve chez les plus grands de nos physiciens
comme Paul Langevin ou Jean Perrin, montre assez la place qu'occupe dans la création
scientifique une formation d'esprit proprement philosophique. Pour tout dire, l'ensei-
gnement scientifique donné dans nos Lycées et Collèges ne pourra prétendre à ses fins
culturelles les plus hautes que s'il donne à la méthode, sous toutes ses formes, la place
qui lui revient, qu'il s'agisse des Mathématiques, des Sciences physiques ou des
Sciences biologiques.
Les instructions officielles qui préconisent l'appel, dans cet enseignement, tant
que cela est possible, à la méthode historique ou à une méthode de redécouverte,
doivent avoir pour effet de reporter l'intérêt de chaque étude, des résultats auxquels
l'effort scientifique a abouti, sur cet effort lui-même, c'est-à-dire, en définitive, sur le
savant et sur l'homme.
La définition d'un humanisme moderne requis par les besoins de notre société
implique que l'on doit faire, dans notre système secondaire, une place de plus.en plus
grande à l'enseignement scientifique, sans toutefois abandonner les traditions de notre
humanisme qui donne à la formation française, grâce à un enseignement secondaire
de longue durée, une qualité que bien d'autres systèmes universitaires étrangers lui
envient.
Si l'enseignement scientifique répond à ce souci de replacer l'homme devant l'univers,
la place légitime qu'il prendra dans l'humanisme nouveau permettra de concilier cette
double exigence de maintenir dans la formation de nos élèves la qualité que lui apportait
l'esprit de l'humanisme traditionnel, et de s'ouvrir très largement sur la vie moderne
si fortement marquée par le progrès scientifique et technique.
L'enseignement philosophique doit contribuer par son esprit et son contenu à la
conciliation de ces deux exigences. Il ne pourra le faire que si nos professeurs scienti-
fiques témoignent à l'égard des méthodes des disciplines qu'ils enseignent de la même
curiosité qu'on est en droit d'attendre de nos professeurs de Philosophie pour tout ce
qui concerne les bases mêmes de la Science.
Au surplus, l'heure est déjà venue où les problèmes posés par la condition de l'homme
dans la société actuelle revêtent une importance d'autant plus grande que le progrès
scientifique va en s'accélérant. Ce progrès ne saurait avoir d'autre fin que l'améliora-
tion de la condition humaine, but suprême de la culture, et l'enseignement de la
Philosophie, plus que tout autre, doit s'inspirer de ce souci. Il en trouvera naturellement
les moyens en se reliant au domaine entier de la connaissance, c'est-à-dire en adoptant
une forme concrète et vivante, surtout lorsqu'il s'agit d'une initiation offerte à de
jeunes esprits qui doivent recevoir, dans leur formation secondaire, des germes féconds
qui se développeront au cours de leurs études supérieures et tout au long de leur vie.
L'effort pédagogique qui se couronne aujourd'hui par la publication de cet ouvrage
semble répondre à ces exigences. Il peut constituer un excellent apport dans l'examen
critique, qui va prochainement se poursuivre, des fins et des méthodes de l'enseignement
de la Philosophie dans nos Lycées et Collèges. C'est la raison pour laquelle nous remer-
cions les auteurs d'avoir accompli cet effort auquel nous souhaitons un plein succès.
Ch. BRUNOLD
Directeur Général de l'Enseignement du Second Degré.
AVANT-PROPOS DU COURS DE PHILOSOPHIE
Rationaliste(s) ? Nous nous
efforcerons de le devenir...
Gaston BACHELARD.
1° LOGIQUE et PSYCHOLOGIE
a) La logique, science normative
D'après le Vocabulaire de Lalande, la logique est «la science ayant pour
objet de déterminer parmi les opérations intellectuelles tendant à la connais-
sance du vrai lesquelles sont valides et lesquelles ne le sont pas ». Qu'on pré-
sente la logique comme une science théorique qui cherche à quelles conditions
un jugement est vrai, ou comme une technique qui nous instruit des moyens
d'atteindre la vérité (la logique est un art de penser, «l'art de bien conduire
sa raison », dit la première phrase de la Logique de Port-Royal), dans tous
les cas la logique repose sur la distinction du vrai et du faux. Le vrai est une
valeur qui se distingue du faux comme le bien se distingue du mal, comme
le beau se distingue du laid. Le vrai est une norme, une règle et un idéal
pour nos jugements comme le bien est une norme, un idéal pour notre conduite.
C'est pourquoi on considère souvent la logique comme une science normative.
b) Opposition de la logique à la psychologie
Par là le point de vue logique se distingue radicalement du point de vue
psychologique. Le logicien étudie comme le psychologue les opérations de
notre esprit, mais pas de la même façon. Le logicien analyse un jugement
afin d'en apprécier la valeur, par rapport à une norme qui est le vrai. Ce qui
intéresse le logicien ce sont les raisons d'un jugement. Le psychologue n'a
pas à s'occuper directement de la vérité ou de la fausseté d'un jugement.
Il ne se demande pas si le jugement est vrai ou faux, mais pourquoi ce juge-
ment a été porté par telle personne en telle circonstance. On pourrait dire
que le logicien cherche un fondement et le psychologue une origine. Le psy-
chologue ne s'intéresse pas aux raisons qui justifient mais aux causes qui
expliquent. L'homme qui vient de porter un jugement est un individu concret
qui est nerveux ou flegmatique, autoritaire ou docile, qui souffre de tel ou
tel complexe, qui entretient tels ou tels rapports avec les membres de sa
famille, etc. Le psychologue ne se souciera pas de savoir si nos croyances
sont vraies ou fausses, mais il en cherchera les mobiles dans le contexte de
nos tendances personnelles, de l'éducation que nous avons reçue.
On pourrait même ajouter que pour le psychologue les jugements
faux sont beaucoup plus intéressants que les jugements vrais; l'homme
qui porte un jugement vrai montre par là qu'il a pu se délivrer pour un
moment des complexes, des passions, des habitudes, de tous ces facteurs
proprement psychologiques susceptibles de fausser l'exercice de la pensée
logique. L'homme qui porte un jugement vrai est parvenu, en termes carté-
siens, à «ajuster sa pensée au niveau de la raison »; il s'identifie à la raison
universelle et dans cette mesure échappe précisément à l'investigation psycho-
logique. Il n'y a qu'une manière de penser vrai sur un problème et cette
vérité vient non pas de nous-mêmes, de notre personnalité singulière, mais
de la structure objective de notre affirmation. En revanche, il y a mille
façons de se tromper (l'erreur est plurivoque, to pollakôs amartanein, disait
Aristote) dont chacune est caractéristique de notre psychologie. Nous sommes
tout entiers dans nos erreurs alors que la vérité est impersonnelle. C'est
pourquoi expliquer psychologiquement un jugement c'est tendre à nier ce
jugement en tant qu'il prétendait à la vérité. Ala limite, on pourrait risquer
cette formule que la logique est la science qui fonde les idées vraies, la psycho-
logie la science qui explique les idées fausses.
c) La psychologie peut rendre des services à la logique
Dans cette perspective la psychologie apparaît d'ailleurs fort utile à la
logique, précisément parce que la psychologie se montre capable d'analyser
les mécanismes qui perturbent la pensée logique. La Logique de Port-Royal
par exemple fait une place à la psychologie, lorsqu'elle analyse les sophismes (1)
«d'amour-propre, d'intérêt et de passion ». La recherche de la vérité suppose
une ascèse, un effort pour éviter les pièges de l'imagination, de l'intérêt,
des passions. Pour les cartésiens, une pensée vraie est avant tout une vraie
pensée, c'est-à-dire une pensée pure qui ne doit rien aux préjugés, aux pas-
sions, à cet ordre du corps que les romantiques nomment l'ordre du cœur.
La psychologie, en éclairant les causes profondes de nos erreurs et de nos
illusions, est un excellent auxiliaire de la logique. Nous aurons l'occasion
d'y insister : l'erreur n'est pas un simple vide, une absence de vérité, quelque
chose de purement négatif. Il y a toute une épaisseur psychologique de
l'erreur qu'il est nécessaire d'explorer sous peine d'en être victime. C'est
ce dont le logicien et l'homme de science ne voient pas toujours assez l'im-
portance. Le professeur de science, dit M. Bachelard, «ne comprend pas
qu'on ne comprenne pas ».
d) Exposé et réfutation du psychologisme
Mais si la psychologie peut nous faire comprendre tout ce qui perturbe
l'exercice de la pensée logique, elle ne saurait rendre compte de la vérité
et de la logique elles-mêmes. La vérité est une valeur qui paraît transcender
toute réduction psychologique. Et il convient de dénoncer, à la suite de
Husserl (2) et de tous les philosophes rationalistes, l'attitude qu'on nomme
psychologisme, qui refuse l'autonomie de la logique et prétend expliquer
même la pensée vraie par des causes purement psychologiques. Le pragma-
(1) Un sophisme est un raisonnement faux qui n'a que les apparences de la correction
logique.
(2) HUSSERL, Logische Untersuchungen.
tisme de W. James, par exemple, est une forme très caractéristique de psycho-
logisme. W. J ames ose définir la vérité par un facteur psychologique, c'est-à-
dire par l'utilité et par l'intérêt de celui qui la pose. Ce qui est vrai, dit-il,
«c'est ce qui est avantageux de n'importe quelle manière ». Ainsi une loi
physique ou chimique sera vraie si elle a des applications industrielles fécondes,
une religion sera vraie si elle est consolante, une philosophie sera vraie si
elle me rend heureux, si elle me justifie à mes propres yeux. Il est facile de
montrer qu'une telle attitude est aberrante. Une pensée n'est pas vraie
parce qu'elle est utile; il arrive qu'elle soit utile parce qu'elle est vraie (une
théorie scientifique et ses applications pratiques). Mais l'erreur elle-même
peut être «utile » d'une certaine manière. Il est des «vérités qui blessent »,
des mensonges qui consolent. Une croyance consolante est précisément sus-
pecte parce que nous pouvons toujours craindre qu'elle tire sa puissance de
mobiles passionnels (« Les vérités consolantes, dit M. Jean Rostand, doivent,
être démontrées deux fois »). En fait le psychologisme aboutit à un scep-
ticisme radical : il n'y a plus de jugements vrais et de jugements faux, il y a
seulement, comme le pensait le sophiste Protagoras à l'époque de Platon,
des opinions différentes, relatives à la psychologie de chacun. Si le vrai est
ce qui m'épanouit, ce qui satisfait mes tendances, il y aura autant de vérités
que d'individus : il n'y aura plus de vérité.
L'analyse psychologique du jugement ignore le problème de la valeur
du jugement sous le rapport de la vérité et équivaut pratiquement à refuser
toute valeur de vérité au jugement qu'elle explique. L'erreur du psycholo-
gisme est de prétendre expliquer tous les jugements sans exception par la,
psychologie alors que le jugement vrai échappe à toute réduction psycholo-
gique. Écoutez ce psychanalyste qui s'efforce d'expliquer à sa manière une
opinion soutenue par un de ses amis : Vous parlez ainsi, lui dira-t-il, parce
que vous avez un complexe d'infériorité, parce que vous vous êtes mal libéré
des interdits qui vous ont été imposés pendant l'enfance, etc. Il se peut que
le psychanalyste ait raison; en ce cas l'opinion de son ami, entièrement expli-
cable par les complexes dont il est victime, est une opinion fausse. Aurebours,
il est impossible de «psychanalyser » un jugement vrai. Le psychanalyste
lui-même posera implicitement que ses propres jugements échappent à
l'explication psychologique. Si nous lui disons : vos interprétations s'expli-
quent par le mécanisme psychologique de la déformation professionnelle,
il est probable qu'il nous répondra : «Pas du tout, je juge ainsi parce que
c'est vrai ». Pour défendre la vérité de ses assertions, il est bien obligé de les
soustraire à la réduction psychologique qu'il impose aux jugements portés
par les autres. Les jugements du psychologue lui-même ne peuvent prétendre
à la vérité qu'en proclamant leur transcendance par rapport à toute tenta-
tive de, les expliquer psychologiquement. La vérité de la psychologie exclut
qu'il puisse y avoir une psychologie de la vérité. Le psychologisme poussé
jusqu'à ses limites extrêmes se détruit lui-même; il aboutit à nier la valeur
de la psychologie (en tant qu'elle-même prétend à la vérité).
La vérité est indépendante du caractère, du sentiment, des passions;
les conditions de la vérité se trouvent dans les idées elles-mêmes et non
dans la nature psychologique du sujet qui pense et juge : de telles conclusions
nous conduiraient à affirmer l'existence d'un monde d'idées extérieur à la
pensée humaine. L'autonomie de la logique exigerait alors une métaphysique
de style platonicien. Le vrai existerait en soi et par soi et tout le savoir humain
serait la conquête progressive"des parcelles de la Vérité idéale et infinie.
e) Le point de vue de Goblot
Une telle conclusion, cependant, est rejetée par des logiciens éminents.
Goblot, il y a quarante ans, M. Piaget aujourd'hui, estiment qu'on peut
maintenir l'autonomie de la logique sans être contraint de situer le principe
de la Vérité à l'extérieur de la pensée humaine. Pour Goblot, la logique
transcende le domaine des tendances, des passions, de l'affectivité, mais
se confond avec la psychologie de l'intelligence. «Les lois logiques ne sont
que les lois naturelles d'une intelligence pure. C'est parce qu'une intelligence
pure est une abstraction que ses lois semblent autre chose que des lois natu-
relles et que la logique paraît s'opposer à la psychologie comme une science
de l'idéal à une science du réel » (1). La logique demeure normative par
rapport à l'homme concret qui juge (et qui ne se réduit pas à une pensée pure)
mais elle n'est plus normative par rapport à la raison elle-même : les lois de
la logique ne sont que les lois de la raison elle-même, telle qu'elle fonctionne
naturellement. La logique n'est qu'une «psychologie de l'intelligence consi-
dérée dans l'exercice normal de sa fonction essentielle ».
Goblot pense que le fonctionnement de l'intelligence se distingue par
lui-même, sur le plan des faits et sans qu'il soit nécessaire d'introduire une
métaphysique normative, des autres fonctionnements psychologiques. En
effet, tandis que les goûts et les passions diffèrent d'un individu à un autre,
les pensées rationnelles sont communes à tous les hommes. «L'idée de vérité
ne se conçoit que par la vie sociale; sans elle la pensée ne dépasserait jamais
les fins de l'individu. »C'est par son caractère social que la pensée se distingue
du psychisme individuel. Mais cette solution nous paraît ambiguë. Certes
l'avènement de la pensée logique est lié à l'existence de la société : démons-
tration, réfutation, discussion, objection, tous ces processus d'une pensée
à la recherche du vrai ont une origine sociale. Robinson dans son île n'ayant
personne à convaincre pourrait se passer de logique. Il est incontestable
que les contacts entre des groupes sociaux qui diffèrent par les croyances
et les coutumes éveillent l'esprit critique des membres de ces groupes, les
poussent à confronter leurs opinions, à essayer de se convaincre mutuellement,
à élaborer des règles de pensée vraie. La vie sociale et les conflits qu'elle
engendre imposent aux hommes la recherche de vérités universelles. Ainsi
Socrate s'efforçait-il de faire jaillir la vérité de la discussion : «Ce qu'admet
Gorgias, Polus le conteste, ce que Polus a accordé, Calliclès le refuse. Le raison-
nement solide est celui auquel ni Gorgias, ni Polus, ni Calliclès, ni aucun
autre ne saurait opposer d'objection » (2).
Le raisonnement logique est un raisonnement convaincant et personne,
comme dit La Rochefoucauld, «ne saurait être sage tout seul ».
Toutefois, pas plus que nous n'acceptons le psychologisme des pragma-
tistes, nous ne saurions accepter un sociologisme qui définirait la vérité par
l'accord social. Les erreurs aussi sont bien souvent collectives et les illusions
collectives sont les plus difficiles à déraciner, précisément parce qu'elles sont
pour l'individu qui les partage un moyen de s'intégrer au groupe social, tandis
que celui qui se délivre de l'erreur sera rejeté par le groupe et subira les
conséquences douloureuses de son anti-conformisme. Qu'on songe à Lavoisier,
LA LOGIQUE FORMELLE
a) La logique d'Aristote
La logique formelle se présente comme l'instrument d'une pensée cohé-
rente. C'est ce que signifiait Aristote en donnant le titre général d
(outil) à son traité de logique. La logique d'Aristote (IV siècle avant J.-C.)
a connu u n immense succès au moyen âge, a régné sur toute la scolastique.
Il s'agit d'une logique formelle qui prétend régler a priori la f o r m e du raison-
nement, quelle que soit la m a t i è r e à laquelle ce raisonnement puisse être
appliqué.
La logique se présente ici comme une technique du discours correct. Le mot grec logos
signifie à la fois la pensée et la parole (en latin on peut rapprocher ratio et oratio). On a souvent
remarqué qu'il n'est pas étonnant que la logique soit née en Grèce, pays de bavards où l'im-
portance des échanges commerciaux et les mœurs politiques « démocratiques » exigaient une
technique du discours convaincant.
E n dehors même du problème de l'accord de mes paroles avec la réalité,
avec les faits qu'elles expriment, on peut exiger d'elles une condition de
validité purement formelle : Je suis tenu de ne pas m e contredire, d'assurer
à mon discours une cohérence interne.
La logique d'Aristote ne se réduit pas d'ailleurs à un tel formalisme.
E n effet les mots veulent dire quelque chose, ils signifient l'être. La l o g i q u e
d ' A r i s t o t e d é b o u c h e s u r u n e ontologie, s u r u n e science d u c o n c e p t
et de la classification. La grammaire distingue des sujets et des attributs
ou prédicats qui correspondent à des substances et à des attributs réels.
Par exemple j'affirme que les hommes sont mortels; l'attribut « mortels »
appartient réellement au sujet « hommes » (1) (le verbe être qui les relie
(1) Aristote distingue les attributs essentiels (Cet homme est mortel, c'est lié à son essence)
et les attributs accidentels (cet homme est laid).
est la copule). Ces mots «hommes », «mortels » sont des concepts, c'est-à-
dire des idées générales. Par exemple Minet et Mistigri sont classés dans
le concept de chat qui est leur espèce. A leur tour les chats, les tigres, les
panthères, etc. sont classés dans le concept de félins qui est leur famille.
Les concepts se caractérisent par leur compréhension et par leur extension.
La compréhension, c'est l'ensemble des caractères que le concept comprend
(le concept de chat a pour compréhension tous les caractères des félins et
ceux qui différencient le chat parmi les félins). L'extension, c'est l'ensemble
des individus auxquels s'étend le concept. La compréhension et l'extension
varient en sens inverse. Le concept de chat a une compréhension plus riche
que celui de félin (puisqu'il comprend plus de caractères) et une extension
plus pauvre (puisqu'il y a moins de chats que de félins). Ala limite le concept
d'être a une extension infinie et une compréhension très pauvre (un seul
caractère : l'existence). Un individu particulier a une extension nulle (il n'y a
que Socrate qui soit Socrate) et une compréhension infiniment riche.
Sur la classification des concepts se fonde une machine démons-
trative très célèbre : le syllogisme.
Considérons deux propositions :
Tous les chats sont des félins
Minet est un chat
A partir de ces prémisses je peux poser une conclusion : Minet est
un félin. Il est clair en effet, en me plaçant par exemple au point de vue
de l'extension, que si le concept de félin s'étend à tous les chats (si les chats
sont tous dans la classe des félins) et si d'autre part Minet rentre dans la
classe des chats, je puis affirmer sans me contredire que Minet est un
félin : en posant Minet est un félin, je ne me contredis pas, je dis la même
chose qu'en affirmant : Tous les chats sont des félins et Minet est un chat.
Mon raisonnement est correct, c'est-à-dire tautologique (en grec to auto
legein signifie dire la même chose).
LECTURES
Sujets de dissertation
Commentez la formule de Boutroux : «La science n'est pas seulement une connaissance,
c'est une éducation ».
Qu'est-ce que le savant entend par «vérité »?
En quel sens a-t-on pu dire : «L'esprit scientifique se confond avec le rationalisme»?
La science n'est-elle qu'une langue bien faite?
La science et la réalité.
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