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INTRODUCTION
CONCLUSION
ÉLÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES
INTRODUCTION
Bonjour et bienvenue dans ce cours de didactique du français 1. Nous espérons faire
avec vous un chemin agréable, parsemé de découvertes, d’étonnements, bref de
questions plus que de réponses. Nous espérons surtout vous donner envie d’aller
plus loin, d’enseigner et de vous renseigner, sur le français, son enseignement et
sa rencontre quotidienne avec d’autres langues.
Peut-être enseignez-vous déjà ? ou avez-vous envie d’enseigner, ou êtes-vous sur
le point d’entrer dans la « carrière » - dans le sens de « voie » ou « chemin » ?
Vous avez choisi de faire une pause et de réfléchir avant de vous lancer. Car quelle
est la différence entre enseignement et didactique ? On peut dire, quitte à
caricaturer un peu, que la didactique est une réflexion sur l’enseignement. Cela
veut dire que l’un ne va pas sans l’autre et que ces deux expériences se
nourrissent l’une de l’autre ; la didactique prend sa source dans le désir d’améliorer
et de faire évoluer les pratiques d’enseignement ; quant à ces dernières, elles
évoluent grâce aux analyses et aux propositions de la didactique. Loin de nous
l’idée que l’enseignant-e ne réfléchirait pas ! Mais il est vrai que, pris-e dans le feu
de l’action et de la classe, on n’a pas toujours le temps de se pauser, de
s’interroger, de choisir, d’inventer. Disons, toujours pour simplifier, qu’un-e
didacticien-ne est quelqu’un qui double son expérience d’enseignement d’un temps
de réflexion sur cet enseignement ; cette réflexion, qu’on pourrait appeler une
activité « méta » (nous reviendrons sur cette notion), lui permet de dégager des
questionnements, des savoir-faire, un regard critique, des pistes nouvelles, qui ont
la particularité de dépasser son expérience personnelle et de pouvoir être utiles à
d’autres. Ce transfert du particulier au général ou au moins au collectif, permet à la
didactique d’être considérée, au-delà d’une discipline, comme un domaine
scientifique et de recherche à part entière.
Dans la mesure où ce domaine s’intéresse à l’éducation et à l’école, on peut dire
qu’il fait partie des sciences de l’éducation ; dans la mesure où, pour le cours qui
nous concerne, il vise l’enseignement d’une langue, le français, on peut dire qu’il
fait partie des Sciences du langage ; dans la mesure où, socialement,
l’enseignement du français a été très marqué, que ce soit en tant que langue
maternelle ou en tant que langue étrangère, par ses usages littéraires, on peut dire
aussi que ce domaine fait partie de la littérature. Vous avez déjà deviné que, pour
être plus exact, on définira la didactique du français comme un champ à
l’intersection d’au moins trois domaines scientifiques : la littérature, les sciences de
l’éducation et les sciences du langage. C’est la raison pour laquelle c’est une équipe
plurielle qui a construit ce cours, chacune d’entre nous étant spécialiste d’un aspect
ci-dessus de la didactique. Toutefois nous partageons toutes trois l’expérience de la
formation d’enseignant-e-s, en IUFM et à l’Université. Bon voyage en notre
compagnie !
De quoi est née la didactique ? On peut dire qu’elle est venue de la constatation,
peu glorifiante pour des enseignants, de l’échec scolaire – les esprits chagrins
diront : d’un échec scolaire grandissant – et de l’envie de le dépasser en
s’interrogeant sur ses causes. En effet, pendant des siècles, d’un enfant ou d’une
personne qui ne réussissait pas à apprendre, on a dit : « il / elle est paresseux /
se, il / elle ne travaille pas assez, il / elle n’est pas douée-e pour les maths, pour
1 Nous savons que le français est une langue en partage dans plusieurs pays, déclarés francophones ou pas. On
nous pardonnera, sans nous y limiter, de prendre souvent nos exemples dans le contexte français, que nous
connaissons mieux que les autres.
1
les langues, pour la musique, etc. ». Bref, c’était toujours de la faute de l’élève !
Pourtant, quelques penseurs et philosophes avaient commencé à instiller le doute
dans les esprits : Montaigne écrivait déjà dans ses Essais qu’il fallait se mettre
(descendre ?) à la hauteur de l’élève pour enseigner, Rousseau un peu plus tard
rêvait de professeurs qui comprendraient les élèves et les écouteraient : on
annonçait ainsi que les « ratés » de l’apprentissage pourraient ne pas venir des
seuls élèves.
Au XXè siècle, avec la généralisation de l’école, le désir de scolariser tout le monde,
le passage de la réussite sociale par la réussite scolaire, on a commencé à se
rendre compte que, loin de donner ses chances à toutes et tous, l’école fabriquait
aussi des « exclus sociaux ». Au point que le phénomène, lié au développement
des sciences humaines, la psychologie et la sociologie entre autres, a posé de
nouvelles questions au grand jour : et si le maitre2, le professeur, l’enseignant,
avait aussi sa part de responsabilité dans l’échec scolaire ? et s’il existait plusieurs
façons d’enseigner ? et si on devait aussi prendre en compte l’élève comme
individu et pas seulement comme « page blanche » à remplir ? et si les études
n’étaient pas faites pour créer une élite ? et si tout le monde pouvait réussir ? La
réflexion didactique est née de cette pensée généreuse et optimiste et c’est sur ce
chemin, pas toujours confortable, que nous avons le désir de vous entrainer.
Vous trouverez dans notre texte de nombreuses références à des penseurs issus de
plusieurs disciplines qui, de nos jours ou bien avant le 3è millénaire, ont essayé de
se poser des questions et de leur trouver des réponses pour que l’école devienne
pour toutes et tous un endroit non seulement des apprentissages partagés, mais
aussi du désir de savoirs et de la socialisation en devenir. Comme vous le
constatez, on ne peut séparer quelque enseignement que ce soit (ici du français)
de son contexte social et des options qui l’accompagnent. Cela signifie que le cours
que nous vous présentons ne prétend ni à l’exhaustivité ni à l’objectivité : nous
pensons que ces préoccupations sont des leurres, car tout discours est situé
socialement et idéologiquement, qu’il vienne d’universitaires, d’enseignants, de
formateurs ou de toute personne socialement engagée. Nous allons donc vous
présenter brièvement les options qui ont présidé à la conception de ce cours de
didactique du français. Ce faisant, vous comprendrez le plan que nous avons
adopté.
Nous posons d’abord que toute position pour penser la société (et l’école est partie
prenante de la société) est le fruit d’une histoire. Rien ne nait ex nihilo, et ce que
nous vivons a été préparé par ce que d’autres ont vécu avant nous. Cela explique
l’importance de la dimension historique dans les pages qui viennent : impossible
de parler d’évaluation, d’enseignement, d’élèves, de classe, d’activités, de
grammaire, etc. sans se souvenir de ce qu’on en a dit et écrit dans les années, les
décennies qui précèdent – voire davantage.
Une deuxième option est celle de l’exigence terminologique. Il nous a paru
essentiel de définir les mots 3 que nous employons souvent couramment, mais sans
les avoir questionnés, avant d’avancer dans les chapitres. Que veut dire être
élève ? enseigner ? langue maternelle ? par exemple. Mettons-nous les mêmes
sens sous ces mots a priori si familiers ? Ce souci de rigueur est aussi pour nous
une qualité d’enseignant, qui doit avoir des répercussions dans la classe : faire
partager la charge sémantique des notions utilisées en commun est sans doute le
2 Ne vous étonnez pas de ne pas trouver d’accent circonflexe sur ce mot : nous avons pris le parti, comme nous
le demandent les instructions officielles françaises, d’adopter les NNO (nouvelles normes d’orthographe)
préconisées par le JO du 6 décembre 1990. Nous en reparlerons dans notre chapitre sur l’orthographe.
3 Autant que faire se peut, nous mettrons en gras les définitions dans nos chapitres.
2
premier respect que nous devons à l’élève et à la classe, pour en faire des
interlocuteurs à part entière. Vous trouverez donc de nombreuses définitions dans
nos pages, y compris des définitions contradictoires, si les divers auteurs sollicités
ne sont pas du même avis.
Notre troisième option est un choix qu’on peut appeler scientifique. Nous
essaierons de vous démontrer que, fondamentalement, il n’est peut-être pas
justifié d’effectuer des séparations pourtant largement admises : par exemple
français langue maternelle / français langue étrangère, ou dans la classe / hors de
la classe, écrit / oral, familier / soutenu, premier degré / second degré, etc. et nous
remettrons en question ces frontières, car elles sont souvent sources de
difficultés pour les élèves et de blocages entre professeurs et élèves. De plus, les
relativiser nous permettra de constater que la didactique, comme tout domaine de
recherche et d’exercice, est soumise à variations et qu’aucune vérité n’existe en la
matière : ainsi, les choix officiels dans d’autres pays ou zones francophones que la
France diffèrent d’un endroit à l’autre. Ce qui est valable en Suisse ne l’est pas en
Belgique, les programmes du Québec ne sont pas ceux de France, etc. Il est
intéressant d’envisager l’enseignement d’une langue comme dépendante du
contexte institutionnel dans lequel il s’inscrit, et d’en connaître l’évolution, pour
mettre en valeur le fait que tout le monde cherche à mieux faire et que les
innovations pédagogiques sont des bricolages, des essais par lesquels on avance
peu à peu et à tâtons. Il va de soi, en outre, que les avancées technologiques
ont une place importante dans ces évolutions et qu’elles jouent un rôle pas
toujours prévu dans les démarches scolaires : nous leur consacrerons un chapitre.
Ces incertitudes et questionnements croisés ne sont pas la preuve que notre
discipline est indécise, mais plutôt que nous mesurons nos réussites à l’aune de
l’humain et que la complexité du domaine humain nous enjoint d’être modestes
dans nos conclusions et résultats, si nous voulons être honnêtes. Vous aurez
compris que le travail didactique répond à des exigences éthiques.
Nous avons donc structuré le cours qui suit en 5 sections de la façon suivante :
- la première est historique et replace la didactique du français actuelle dans
une continuité qui va de ce qu’on appelait la « pédagogie » jusqu’à
l’introduction des nouvelles technologies dans la classe ;
- la deuxième s’intéresse à la naissance du champ didactique, à l’intersection
d’autres domaines de recherche, jusqu’à définir ce qui fait sa spécificité ;
- on arrive ainsi, en 3è section, à envisager les mondes de l’écrit et de l’oral,
dans leur particularité et leur intersection, dont découle la façon de les
aborder dans la classe ;
- la 4è section aborde la pluralité de la didactique, on devrait sans doute dire
« des » didactiques, vu la multiplicité des pratiques envisagées, suivant
qu’on enseigne en France, hors de France, à des enfants, à des adultes, etc.
- enfin la 5è section élargit la réflexion aux relations entre école, langues et
société pour montrer à la fois comment les pratiques d’enseignement des
langues s’inscrivent dans des pratiques sociales et comment les interactions
entre ces deux domaines d’action les enrichissent mutuellement.
Au cours de notre cheminement, nous aborderons les points principaux auxquels
sont confronté-e-s élèves et enseignant-e-s dans une classe, tout en ouvrant
quelques perspectives d’avenir. Nous illustrerons nos propos d’exemples et
d’activités d’entrainement, éventuellement accompagnées de pistes de correction.
3
CHAPITRE 1 – DIMENSION HISTORIQUE
D’où viennent les questions que nous nous posons ? D’où viennent les pratiques
actuelles de nos classes ? Quels principes ont présidé à l’enseignement des langues
avant notre époque ? Quels grands penseurs en ont guidé l’évolution ? Sans
tomber dans l’érudition, nous allons vous donner quelques points de repère
indispensables pour vous guider dans les chapitres qui suivent. Une définition de
départ vous mènera des premières interrogations pédagogiques vers la révolution
informatique actuelle.
4
« pays francophones », et le « français langue étrangère », qui désignerait le
français de celles et ceux qui parlent à la maison une autre langue que le français.
À ces deux catégories, s’est ajouté de façon quasi officielle avec le livre de Jean-
Pierre Cuq (cf. bibliographie), le « français langue seconde », expression destinée à
désigner le français d’un pays où cette langue est employée couramment, entendue
dans la rue et lue dans une partie de la presse, mais où elle n’est pas la langue
familiale des enfants : autrement dit, les pays où le français, pour faire vite, a été
la langue du colonisateur et a laissé des traces dans la vie sociale (certaines zones
d’Afrique, de l’Océan indien, de l’Asie aussi, etc.).
Même commodes, ces catégories sont pourtant trompeuses. Suffit-il en effet
de vivre et d’enseigner en France pour penser qu’on enseigne du « français langue
maternelle » (FLM) ? Si on regarde les prénoms de nos élèves, leurs patronymes,
on se rend vite compte que les écoles, collèges, lycées, sont le lieu des mélanges,
des rencontres : les élèves d’origine italienne, maghrébine, d’Europe de l’Est,
d’Afrique centrale, des îles des Océans pacifique et indien, se mêlent aux fils de
réfugiés espagnols, de travailleurs polonais ou turcs, ou d’Arméniens ayant fui les
massacres dans leur pays. Il y a ainsi de fortes chances pour que le français qu’on
leur enseigne en classe ne soit pas une langue « maternelle » (au sens propre :
parlée par la mère), mais une langue découverte au mieux dans la rue et ensuite à
l’école. On peut ajouter tous ceux qui parlent une langue régionale (basque,
breton, catalan, francique, …), tous ceux dont les parents parlent des langues
différentes et communiquent dans une troisième langue avec leurs enfants, ceux
qui parlent une langue « du voyage », etc. Qui reste-t-il qui a vraiment appris le
français et rien que le français dans sa famille ? Évidemment, toutes ces données
risquent de changer la façon d’enseigner ou les contenus proposés aux élèves. Et
on voit que les notions de langue « étrangère, maternelle, seconde » sont
en fait sujettes à caution. Vous-mêmes qui nous lisez, vous avez sûrement
aussi, dans vos familles, entendu et pratiqué, peut-être, divers types de langues,
officielles ou pas, et peut-être que pour vous non plus le français n’est pas la
langue première.
De toute façon, et pour éviter ces confusions qui ont de lourdes conséquences
didactiques (peut-on enseigner de la même façon le français au monolingue qui ne
parle que français dans sa famille, et au bilingue dont les parents se parlent en
vénitien et en italien, par exemple ?), une terminologie autre a été proposée, entre
autres par nos collègues suisses : ne pouvant pas toujours savoir ce qui se parle
dans les familles, ils se contentent de nommer les langues que l’enfant apprend à
l’école, et l’ordre dans lequel il les apprend, sans se risquer à dire si ces langues
sont maternelles, étrangères, ou autres. On parle alors de langue première (= la
première langue introduite à l’école), langue seconde (= la seconde langue
introduite à l’école), etc. D’autres disent aussi, L1, L2, L3. Et c’est cet ordre
d’introduction dans le domaine des apprentissages scolaires qui va guider les
méthodes employées et les contenus des savoirs – tout en garantissant une
certaine garantie aux élèves.
Sauf cas contraire justifié dans notre cours, nous parlerons donc du français L1,
c’est-à-dire langue avec laquelle les élèves sont en contact quand ils
entrent à l’école – que ce soit en France ou ailleurs. Cela n’exclut pas qu’on
tienne compte des langues d’origine des élèves, mais cela suppose surtout qu’on
ne suppose pas cette langue « pré-connue » avant l’entrée à l’école, ne serait-ce
que de façon orale, comme on le fait pour les langues dites maternelles – ce qui
handicape fortement ceux qui n’ont pas ces pré-savoirs.
5
Nous en arrivons à affirmer ici une option forte de notre cours, à savoir qu’en
disant L1, L2 ou L3, on désigne une langue, toute langue possible, et pas
seulement le français. Celui-ci n’a pas besoin en soi d’une didactique spécifique,
mais d’une didactique valable pour toute langue qui serait, comme le
français dans notre cas, appris comme première langue scolaire par des
élèves. La didactique d’une L1 est donc valable pour l’italien, le hollandais ou le
berbère ! C’est ainsi qu’on peut parler, de notre point de vue, d’une discipline qui
s’appellerait « didactique des langues » et non pas « didactique du français », et se
diversifie suivant les diverses situations des langues en question dans l’école. On
peut à présent entamer notre voyage ensemble, en commençant par les grands
noms qui ont donné une impulsion nouvelle à l’école au début du XXè siècle.
6
complémentaires : la lecture (découverte/compréhension du message) et
l’écriture (production/émission du message). Elles sont ici indissociables et si elles
s’attachent d’abord au sens, le code 6 va prendre une importance croissante.
Au départ, il y a le texte libre, retranscription de la parole d’un enfant comme par
exemple :
« Aujourd’hui
on va à la piscine
tous ensemble.
On va bien rigoler. »
Cette petite phrase écrite par l’enseignant sous la dictée d’un élève sera lue par
groupes de souffle qui correspondent aux lignes d’écriture, on suivra avec le doigt
les mots prononcés. Des indices spatiaux, graphiques (et donc déjà
orthographiques) seront pris, mis en correspondance avec ce qu’on connait déjà et
un réajustement permanent du savoir à travers le débat collectif se produit.
Aujourd’hui, des étiquettes correspondant aux lignes sont tapées sur le clavier de
l’ordinateur. Les élèves les remettent dans l’ordre et s’en imprègnent. Par la suite
les lignes seront coupées en mots. Auparavant, elles étaient imprimées par les
élèves eux-mêmes en coopération, à partir des lettres d’une casse qu’il s’agissait
de ranger une à une dans un composteur en s’aidant d’un miroir puisque ces
dernières devaient être rangées dans un sens négatif, l’impression finale, après
encrage, renversant l’ordre.
Peu à peu, l’accumulation de textes travaillés collectivement permet la recherche
d’indices pour écrire ses propres productions. La méthode de travail est
rigoureuse : comparaison de mots lettre par lettre, comparaison de segments de
mots, regroupement de segments connus pour former de nouveaux mots,
vérification des hypothèses par la recherche dans des outils de références qui se
construisent au fur et à mesure : textes de base affichés, répertoires de mots
usuels, dictionnaires personnels, etc. L’objectif est de rendre l’élève capable
d’appliquer de façon autonome des démarches logiques de questionnement de
l’écrit.
6 Par commodité, on appelle « code » l’ensemble des conventions partagées, écrites et orales, qui font que la
langue nous permet de communiquer. C’est ce code qui demande à être enseigné (l’orthographe, l’intonation
orale, le choix du vocabulaire, l’ordre des mots dans la phrase, etc.) : il rend celui / celle qui le maitrise
capable de transmettre du sens (par exemple l’expérience de la douleur) à un interlocuteur ou un lecteur (« j’ai
mal », « ouïe, ouïe », « si tu savais comme le souffre », etc). On dit qu’on « encode » le sens que celui qui
reçoit le message le « décode » pour le comprendre.
7
correspondance reste à la base de l’apprentissage et de la motivation. Certains
écrits documentaires ou littéraires ont été introduits qui se sont révélés nécessaires
à la réalisation de divers projets à partager avec les correspondants : écritures de
recettes, explications pour fabriquer des objets, affiches pour annoncer un
spectacle à l’école, création d’un journal de classe ou d’un magazine, d’albums
réalisés suite à des visites, de textes poétiques, de contes, etc.
1.3.3. Innovation/rénovation
Au début de la IIIè République en France, le besoin s’est fait sentir de fonder un
Musée pédagogique qui s’est ensuite accompagné d’une bibliothèque, d’une
cinémathèque, d’un service de publications de l’Éducation nationale. Ces
établissements réunis en 1955 sous le nom de Centre national de
documentation pédagogique (CNDP), deviennent en 1956 l’Institut
pédagogique national (IPN). À nouveau scindé en deux en 1970, c’est en 1976
que sont officialisés d’une part le CNDP, offrant les ressources documentaires, et
d’autre part l’INRP, Institut national de recherches pédagogiques, regroupant
des chercheurs institutionnellement proches du terrain (enseignants de primaires
surtout, conseillers pédagogiques) auxquels se joindront des chercheurs
universitaires qui vont augmenter ces ressources et influencer les décisions
ministérielles.
Ces innovations correspondent à un besoin nouveau. En effet, au début des années
1970, le monde de l’Éducation connait une période de crise du savoir scolaire : les
« savoirs savants » en linguistique se sont considérablement développés et l’écart
devient trop grand entre les notions enseignées et les nouvelles recherches, et ce
notamment dans le domaine de la langue. Mais il n’y a pas encore de réelle
tentative de modélisation de l’enseignement, le terme de « didactique » n’est pas
encore apparu.7 On parle alors de « linguistique appliquée » qui se préoccupe
des « méthodologies d’enseignement » et cherche à répondre à la question
« Comment enseigner ? » (Galisson, 1977)8
C’est dans le domaine linguistique que ces innovations ont eu le plus de
retentissement.
Á l’instigation d’un groupe de chercheurs, en 1970, parait « Le Plan de Rénovation
du français à l’école élémentaire » (dit Plan « Rouchette »). Dans le souci de
préparer l’enfant à la vie sociale, culturelle et professionnelle, la priorité est donnée
à la pratique de la communication, cette dernière étant comprise comme la
faculté de comprendre et de se faire comprendre dans des situations
particulières où les formes langagières sont amenées à varier. Les principes
du Plan de rénovation reposent ainsi sur les apports des sciences du langage et de
l’éducation. Celles-ci perçoivent la communication comme une interaction entre des
sujets, comme la mise en œuvre d’une dynamique susceptible de modifier le
comportement du destinataire dans son contexte social. Le Plan de rénovation
insiste donc sur l'importance de diversifier les pratiques et usages sociaux de la
langue française9 en relation avec des supports culturels sociaux 10. Par ailleurs,
l’interaction se doit d’être permanente entre les divers apprentissages (oral et écrit,
lecture et écriture, arts et littérature...) et entre les démarches d’enseignement. On
8
conseille par exemple de prendre en compte les découvertes des élèves en
situation de recherche grâce à l'accompagnement de l’enseignant, de prendre en
compte les différences langagières entre les enfants comme facteur
d’enrichissement, comme une occasion de s'approprier les codes sociaux et leurs
variations.
Ce plan est très vite attaqué parce qu’il s’oppose, d’une part à la transmission de la
norme du « bon usage » de la langue que l’on imitait alors des « bons auteurs »
dans les « morceaux choisis » de leurs œuvres, et d’autre part à la parole
« spontanée » des enfants. Mais c’est à partir de ce travail expérimental et après
quelques modifications terminologiques que paraissent les Instructions officielles de
1972. Hélène Romian11 expliquera plus tard que la démarche proposée repose sur
un système d’interactions pédagogiques au « principe double : « libération » de la
parole / « structuration » de la langue », précisant que « « cette libération »
suppose en classe des situations de communication « fonctionnelles », où
écouter autrui, prendre la parole, lire ou écrire ont une signification, une raison
d’être nécessaires à la réalisation de projets collectifs, individuels (et entrent en
interaction). Elles sont fonctionnelles aussi en ce que la parole orale ou écrite y a
une « fonction » explicite : débattre d’une décision à prendre, présenter un poème
qu’on aime, prendre des notes…. « fonctionnelles » enfin parce qu’elles répondent
à des fonctions du langage différentes (et interactives)… ». La « libération » du
langage consiste à s'entrainer à communiquer à l'oral et à l'écrit. « La situation de
départ déterminera la forme linguistique usitée aussi naturellement que dans la
vie : on ne parle pas à un commerçant comme on parle à ses amis, ses parents, à
ses enfants, au public d’une conférence…on ne raconte pas, on ne parle pas non
plus au téléphone comme à table… »12. À l’oral, des jeux de rôle inspirés du
quotidien seront donc proposés : « chez le médecin », « à la boulangerie », « au
volant, dans la circulation »… À l’écrit, les découvertes des différents textes
proposés par l’enseignant en lecture (lettres, comptes rendus, poésies, coupures
de presse, récits…), apprendre à catégoriser les usages sociaux, les fonctions des
écrits et de s'initier aux premières rédactions. En fait, il convient que les élèves
prennent conscience non seulement des différentes « fonctions du langage »
(Jakobson, cf.2.2.), mais aussi des lois qui structurent la langue dans ses diverses
pratiques sociales. Celle-ci devient alors objet d’observation et de réflexion.
La « structuration » du langage, quant à elle, se fait par apprentissages progressifs
selon une approche interactive et métacognitive de la langue (cf.3.6.2). En
maternelle, on peut utiliser les échanges dans la classe pour mettre en place des
exercices structuraux. Par exemple, en GS, l’enseignante vise l’apprentissage de
l’emploi de la construction « C’est celui de…/ C’est celle de… ». Elle propose deux
exemples : « Je montre un objet et je vous demande : « Est-ce que c’est le cahier
de Julie? » Vous répondez : «Oui, c’est celui de Julie. » / « Est-ce que c’est la
feuille de Martin? » Vous répondez : « Oui, c’est celle de Martin. ». Après quelques
essais avec les élèves, il s’agira de réfléchir tous ensemble sur l’emploi de « celui »
et de « celle ». On proposera aussi des reconstitutions de textes à l’écrit, c’est la
grammaire textuelle qui est ici visée : comment l’information progresse d’une
phrase à une autre grâce à l’emploi des déterminants, des pronoms, des substituts
nominaux (« Une petite fille » devient dans la phrase suivante « celle-ci » puis
« cette étourdie », etc.), des ponctuations, des connecteurs (« Tout d’abord…
ensuite…finalement »). Un texte, par exemple, sera découpé sous formes
11 Romian, H. (dir), (1985). Plan de rénovation de l’enseignement du français à l’école élémentaire. Fascicule n°
3 « Et l’oral alors ? ». INRP : Nathan, pp. 4-5.
12 Plan de Rénovation ou Plan Rouchette
9
d’étiquettes correspondant à une phrase ou quelques phrases. Il faudra s’appuyer
sur des indices morphologiques, syntaxiques ou lexicaux pour reconstituer la
structure initiale du texte. Une analyse intuitive et implicite se produira d’abord
puis celle-ci deviendra explicite et permettra d’avancer dans l’analyse de la langue.
Par exemple ici, une étude des emplois des déterminants pourra s’effectuer :
Découpage d’un extrait de Le petit Nicolas de Sempé et Goscinny (2007) à
remettre dans l’ordre.
1 « Et dans l’étang, il y a des têtards ».
2 « Dans mon quartier, il y a un square »
3 « Les têtards, ce sont des petites bêtes »
4 « où nous allons jouer souvent ».
5 « Dans ce square, il y a un étang ».
6 « qui grandissent et qui deviennent des grenouilles ».
(correction : 2, 4, 5, 1, 3, 6)
C’est dans cette mouvance rénovatrice qu’Emile Genouvrier et Claudine Gruwez
vont proposer dès 1972, les fruits de leurs travaux. Ils expliquent 13
métaphoriquement que s’ils proposent des « gammes », exercices contraignants au
niveau de la grammaire de phrase, ils sont conscients que c’est pour mieux
maitriser « la mélodie » qui ne se construit au niveau de la grammaire de texte
qu’après avoir travaillé des automatismes et pris conscience des mécanismes de
fonctionnement pour produire en toute « liberté ».
Ils s’opposent à la leçon de grammaire traditionnelle qui repose sur la
mémorisation de résumés, listes et définitions accumulés sans véritables liens et
dont le seul objectif est de répondre aux « questions de dictée ». Ils critiquent
également la dispersion entre les critères d’analyse qui s’appuient parfois sur « la
forme » des groupes (avec ou sans préposition : COD, COI), parfois sur « le sens »
(compléments circonstanciels de manière, de moyen…), parfois encore sur « la
logique » (sujet/objet). Ils se proposent alors deux objectifs : « la maîtrise d’une
pratique » et « la maîtrise d’un code »14
Pour remplir le premier objectif, des exercices structuraux sont proposés pour
asseoir des automatismes linguistiques par imprégnation implicite. Ces derniers,
une fois maitrisés empiriquement, permettront d’aborder l’exploration et la
réflexion sur le fonctionnement du système qui conduiront à une description de la
langue (essentiellement sur des critères formels à partir de trois procédures :
permutation, commutation, transformation). La découverte personnelle des lois qui
régissent les structures linguistiques permet progressivement la réalisation du
deuxième objectif : « la maitrise du code ».
13 Genouvrier E. & Gruwez C. (1973). Français et exercices structuraux au CM1. Structures de la langue
française. Paris : Larousse, p. 20.
14 Pour en savoir davantage, lisez les travaux du groupe EVA de l’INRP, entre autre Évaluer les écrits à l’école
primaire, sous la direction d’Hélène Romian (cf. notre bibliographie finale).
10
À débattre : Entendu dans une conférence sur l’évaluation : « Il n’y a pas de
mauvais élèves, il n’y a que de mauvais professeurs » … Qu’en pensez-vous ?
12
profondément lié à l’idée que nous nous faisons de l’enseignant. Qu’est-ce que
noter ? c’est mettre une note (un nombre, une lettre, un symbole, un logo …) sur
un travail. En soi, cela n’a aucune valeur et le même travail obtiendra des notes
différentes selon la personne qui note, la situation de notation, l’âge et le niveau de
l’élève, ce qu’il est censé savoir ou ne pas savoir, les objectifs de l’enseignant, etc.
Par exemple, le fait d’écrire une lettre en classe peut être noté différemment selon
qu’on attend de l’élève qu’il connaisse les codes épistolaires, ou qu’il sache
raconter ou expliquer, ou faire une demande, écrire dans une langue standard …,
selon que l’élève est francophone d’origine ou pas, débutant ou avancé, selon qu’il
est enfant ou adulte, etc. Une note objective n’existe donc pas, il n’y a que des
notations situées et relatives. Cela entraine deux conséquences.
La première est qu’on note selon des critères, c’est-à-dire des façons de voir,
qui peuvent varier d’un enseignant à l’autre, suivant la période de l’année à
laquelle on est, etc. Il est indispensable d’expliciter ces critères auprès des élèves,
quel que soit leur âge, avant et après une tâche : « dans ce devoir, je vais noter
telle ou telle chose, et je vais laisser de côté telle ou telle autre ». Ces critères sont
souvent, avant le travail noté, des « objectifs d’apprentissage » sur lesquels on
aura travaillé avant de vérifier par une tâche notée s’ils ont été atteints. Par
exemple, on étudie et on s’exerce à former des noms au pluriel, puis une tâche de
vérification des acquis des marques du pluriel est proposée aux élèves et notée 15.
La deuxième est que ces critères peuvent être mis en valeur comme des
avancées du travail en classe, mais pas obligatoirement par des notes. On
peut très bien donner du poids, de la « valeur » à un savoir fraichement acquis, ou
en cours d’acquisition, sans pour autant « noter » le travail qui le vérifie : c’est
d’ailleurs ce qu’on fait dans les petites classes en disant « c’est bien », ou « c’est
très bien », ou « tu vas y arriver », à un élève. Il n’a pas besoin de « note » pour
savoir ce que « vaut » ce qu’il vient de faire. On a donc petit à petit remplacé, en
didactique, la notion de « noter » par celle d’ « évaluer », plus large et surtout plus
souple. Évaluer veut dire qu’on pèse la valeur de quelque chose : cela peut être ce
que sait l’enfant avant de commencer une nouvelle leçon, ce qu’il a acquis en cours
d’une séquence, ce qu’il sait en fin de séquence, ce qu’il en a retenu en fin
d’année, etc. Cela peut être aussi un travail collectif, le résultat final d’un projet,
etc. Et on peut évaluer à différents moments, par des mots seulement, des actes
(confier un objet, une tâche, une responsabilité), des échanges : par exemple les
réponses à un débat « cette sortie était-elle réussie ou pas ? pourquoi ? qu’avez-
vous appris ? » peuvent constituer une évaluation fine et intéressante pour tous.
Qui peut évaluer ? tout le monde ! et pas seulement l’enseignant-e … Si on
expose au grand jour les critères d’évaluation, les élèves eux-mêmes peuvent
s’auto-évaluer, ou évaluer en groupe la production de chacun (co-évaluation) ; on
peut même construire avec eux leurs propres critères (« alors, dites-moi, comment
va-t-on voir qu’un exposé est réussi ? donnez-moi vos idées, je les marque au
tableau ») et en faire une « grille d’évaluation » que chacun-e connaitra et
respectera au mieux.
Conçue ainsi, l’évaluation peut devenir un moment-clé de la vie en classe, où on
apprend à juger son propre travail et à vivre ensemble.
15 Pour en savoir davantage, lisez les travaux du groupe EVA de l’INRP, entre autre Evaluer les écrits à l’école
primaire, sous la direction d’Hélène Romian (cf. notre bibliographie finale).
11
Une pédagogie tout à fait nouvelle découle des principes ci-dessus : on peut dire
qu’il y a un avant et un après Vygotski16 !
17 Mettre « micro » ou « macro » devant un objet d’étude signifie qu’on s’intéresse à ses aspects généraux,
structurels (macro) ou au contraire à ses aspects de détail, voire microscopiques (micro). Par exemple,
regarder la classe de façon macro signifie qu’on va regarder l’ambiance collective d’une classe, son rythme, sa
progression générale ; le faire de façon micro veut dire qu’on va observer tel ou tel élève en particulier, ou telle
réaction dans une activité, etc.
13
la conception rationnelle, décontextualisée et désincarnée de l'approche par
compétences (cf. cahier des charges de la formation des maîtres de 2007). Les
compétences professionnelles présentent, à la différence des gestes
professionnels, des savoirs, des savoir-faire, savoir-être professionnels génériques,
décontextualisés, transversaux, non ancrés dans des situations didactiques
précises. Les didacticiens dénoncent cette approche comme peu opératoire pour
permettre aux enseignants de s’ajuster dans l'interaction aux processus
d'apprentissage des élèves.
14
Exercice :
La situation présentée ci-dessous ainsi que le texte produit par un élève de 3ème
sont extraits d'un compte rendu d'une activité interdisciplinaire : la narration de
recherche, conduite conjointement par deux professeurs de français et de
mathématiques avec des élèves de collège18.
Pouvez-vous analyser le ou le(s) statut(s) du français dans ce texte d'un
d'élève de 3ème, produit dans un travail en mathématiques?
L'enseignant demande aux élèves de résoudre des problèmes et d'expliquer par
écrit ce qu'ils ont compris. Les élèves sont répartis en groupes de 3 ou 4 ; les
groupes doivent résoudre ces problèmes et rédiger collectivement toutes les
phases de réflexion qui accompagnent leur recherche. Ensuite chaque membre
doit produire individuellement un texte dans lequel il revient sur l'ensemble de
l'activité : ce texte est nommé narration de recherche. En voici un exemple :
Vous trouverez comment répondre à cet exercice dans ce chapitre ainsi que dans
le chapitre futur 3.6.2. « L'oral et l'écrit réflexifs ». Pour des compléments
d'information vous pouvez consulter le compte rendu de cette expérience sur le
site que vous trouverez référencé en note de bas de page.
18 Vous trouverez le récit de cette expérience rédigée par Paulin, R. à l'adresse suivante :
http://www.math.jussieu.fr/~leidwang/wwwIREM/Deslapins.pdf
15
À partir de la mise en relief des spécificités du numérique, des recherches portent,
entre autres, sur l'efficacité didactique de ces médias pour favoriser le passage à
l'écriture d'élèves résistants, pour développer les conduites d'écriture et de
réécriture des textes, de révision des textes. D'autres portent sur l'intérêt des
correcteurs orthographiques et de leur utilisation sur le développement des
compétences orthographiques. D'autres encore s'intéressent aux postures de
lecture que la recherche sur internet développe, ou enquêtent sur l'utilisation de
logiciels d'aide à la compréhension de textes. D'autres explorent la voie
collaborative pour étudier, dans des échanges entre classes, l'intérêt du passage
par la communication écrite dans une communication à distance sur les
apprentissages.
Ouvrons la réflexion au bouleversement sociétal produit par les nouvelles
technologies. Comme le dit Serres (2012), avec Face book, le GPS, Google Earth,
Wikipédia (...) la planète, l’humanité, la culture sont à la portée de chacun, partout
et immédiatement. Le savoir n'a, aujourd'hui, plus le même statut et les facultés
sociales, cognitives, affectives se trouvent modifiées par l'utilisation des TIC. Nous
savons que l'invention de l'écriture, puis celle de l'imprimerie ont modifié les façons
de penser. Aujourd'hui nous vivons, avec l'évolution des TIC, une nouvelle ère de
mutation des façons de penser, un changement de paradigme.
16
CHAPITRE 2. LA CONSTITUTION DE LA DIDACTIQUE COMME CHAMP
17
Ces divers domaines théoriques se complétant, ils concourent à l’extension du
champ des sciences de l’éducation.
RÉFÉRENT
fonction référentielle
CODE
fonction métalinguistique
18
Pour Jakobson, dans tout acte de communication, un émetteur (destinateur)
envoie un message à un récepteur (destinataire). Le message, dont le contenu
sémantique attaché à un contexte social est appelé référent, se transmet par un
canal physique et psychologique qui établit le contact entre l’émetteur et le
récepteur, tous deux comprenant le même code (la même langue).
En outre, dans tout acte de communication, 6 fonctions du langage s’exercent
simultanément, mais avec une fonction dominante selon les messages.
La fonction expressive permet à l’émetteur d’insister sur ses émotions, son
ressenti, ses volontés (Ah ! j’ai mal !). La fonction conative incite le récepteur à
agir et réagir dans le sens impulsé par l’émetteur. (Ferme la porte !) La fonction
phatique permet de provoquer et de maintenir le contact. (Tu m’entends ?) La
fonction métalinguistique permet de s’exprimer sur le code lui-même pour
vérifier notamment qu’on l’utilise de façon identique. (« Bleu » est un adjectif.) La
fonction référentielle est orientée vers le contenu du message et sa
compréhension dans la situation de communication. (Qu’est-ce ?) La fonction
poétique est attachée à la forme du message, pas seulement poétique, mais
signifiante par elle-même. (Viens ! par opposition à Pourrais-tu venir ?).
19
la théorie des actes de langage.25
Les propositions qui sont faites en didactique de la communication pour permettre
aux élèves de prendre la parole et de développer leur production d’écrit reposent
alors sur la création de situations pragmatiques dans des contextes
diversifiés où l’élève doit prendre en compte la situation des émetteurs et
récepteurs et la fonction dominante du langage à utiliser : débats, explications de
procédures, dialogues sous forme de jeux de rôle à l’oral / lettres, textes narratifs,
descriptifs, argumentatifs à l’écrit.
À la fin des années 1980, l’oral n’est pas encore perçu comme objet autonome
d’enseignement et c’est aux modèles de l’écrit normé que l’on se réfère encore
pour l’enseigner.
Exercice :
Une mère exaspérée par la tenue vestimentaire de sa fille lui dit : « Tu appelles ça
une jupe ! »
1- Relevez dans cet énoncé les différentes fonctions du langage telles que
les a décrites Jakobson.
2- En quoi peut-on dire, selon la conception de la communication de
l’École de Palo Alto, que la fille est à l’initiative de la communication ?
Éléments de correction :
1- « Tu appelles ça une jupe ! »
Les fonctions principales sont les fonctions référentielle (il s’agit de désigner le
vêtement incriminé), poétique (l’exclamation produite et le pronom péjoratif
« ça » au centre de la phrase expriment la désapprobation de l’émetteur et
permettent de mettre en lumière la fonction expressive) et conative (l’énoncé a
pour but de faire renoncer l’émetteur à ce choix vestimentaire.)
Deux fonctions semblent moins importantes : la fonction métalinguistique est ici
utilisée de façon ironique (et donc davantage poétique), il ne s’agit pas réellement
d’une demande de précision de vocabulaire. La fonction phatique représentée par
l’emploi du pronom « tu » introduit le lien entre l’émetteur et le récepteur qui sont
l’un en face de l’autre.
2- La fille peut être considérée à l’initiative de la communication dans la mesure
où sa tenue vestimentaire peut être une marque de sa volonté de s’opposer à sa
mère.
25 Austin, J. (1962). Quand dire, c’est faire. Paris : Editions du Seuil, et Searle, J.-R. (1972). Les actes de
langage. Paris : Hermann
20
Savoir
Enseignant Élève(s)
Processus « former »
21
La constellation didactique. Dabène, M. (1995).
22
Un contrat didactique mal posé ou incompris est à l'origine de beaucoup de
malentendus(cf.2.3.7) chez les élèves qui ne savent pas ce qu'on attend d'eux. Ces
malentendus génèrent des difficultés chez l'enseignant et les élèves.
L’idée de « contrat » ne peut donc pas être prise ici dans le sens habituel de
« convention conclue au terme de négociations entre partenaires qui s’entendent
sur un projet et ses règles pour une durée donnée ». Il semblerait au contraire que
le « contrat didactique » ne puisse pas figer des règles permanentes pour chacun
des pôles, ce qui irait à l’encontre non seulement de l’asymétrie des rapports aux
savoirs (l’enseignant en sait toujours plus que l’élève et c’est lui qui décide du
degré de son intervention) mais aussi à l’encontre d’un dynamisme fondé sur les
changements du rapport au savoir (l’élève doit faire évoluer ses connaissances
dans une rupture par rapport au savoir initial). Le rôle du contrat didactique est
donc bien de générer ces changements et donc d’évoluer lui-même en fonction de
ceux-ci sur le temps court de la relation didactique. En outre, par le contrat
didactique, toute une série de règles implicites et explicites seront mises en
place selon « la coutume de la classe », la décision de l’enseignant, mais aussi en
fonction du milieu scolaire, de la logique professionnelle de l’établissement et de la
logique organisationnelle du système scolaire de l’État ayant une influence
spécifique. Le contrat didactique mettra en équilibre ces règles dans le respect des
différents partenaires et permettra à chacun de mieux comprendre ce qu’il peut
attendre de l’autre.
Or, parmi les 97 élèves, 76 ont donné l’âge du capitaine en utilisant les nombres figurant dans l’énoncé. Ces
réponses absurdes à une question absurde montre que les élèves ont intégré, comme système d'attentes, le
fait qu'un énoncé comprend les données nécessaires à la réponse à sa question et qu'il faut utiliser toutes les
données d'un problème pour répondre aux questions posées, or pour l'enseignant l’élève doit trier ce qui est
nécessaire pour la résolution du problème posé. On est face à une rupture du contrat didactique. Vous pouvez
vous reporter au livre Baruk, S. (1988). L'âge du capitaine. De l'erreur en mathématiques. Paris : Seuil.
28 Extrait du titre de l’ouvrage de Chevallard et de Joshua (1991), La transposition didactique. Du savoir savant
23
C’est tout le problème de « la transposition didactique ».
24
2.3.6. Le rapport à ; les postures ; le malentendu didactique
Charlot (1999 : 3) définit « le rapport au savoir » comme « l’ensemble
(organisé) des relations qu’un sujet humain, donc singulier, entretient
avec tout ce qui relève de l’apprendre et du savoir : objet, contenu de
pensée, activité, relation interpersonnelle, lieu, personne, situation,
occasion, obligation, etc., liés en quelque façon à l’apprendre et au savoir
». Cette notion permet :
- de substituer au déterminisme sociologique de l'échec et de la réussite scolaire,
une logique compréhensive en prenant en compte la singularité du sujet et les
logiques nourries de son histoire personnelle, familiale, sociale et scolaire qui sous-
tendent ses façons de faire
- de penser dans le contexte singulier de la situation qui lui est proposée,
d'envisager des leviers d'action.
« Le rapport à l'écriture » sert à désigner l'ensemble des relations nouées
avec l'écriture, c'est-à-dire les images, représentations, conceptions,
attentes, jugements » (Barré-De Miniac, 1997:12) qu'un sujet se construit dans
la « liaison avec un objet », autrement dit au contact de l'écriture elle-même.
Comment ces concepts peuvent-ils aider un enseignant ? Prenons un exemple
extrait d'un mémoire de CAPA-SH (Dulac, 2006) : c'est le cas de X, élève de CE1
âgé de 9 ans, qui n’entre dans la lecture qu’au cours de l’année CE1 après avoir
redoublé le CP. Pour cet élève de culture tzigane, les évaluations à l'entrée du CE1
montrent qu'il est capable de déchiffrer des mots simples dans une phrase, mais
qu’il n’entre pas dans la compréhension littérale d'une phrase et que son temps de
concentration dans des tâches de lecture est très court. Le sens qu'il donne au
savoir lire est que lire lui servira à lire les pancartes sur la route. Les entretiens
avec les parents apprennent qu'ils parlent une autre langue que le français à la
maison, qu'ils ne savent pas lire et que pour eux cet apprentissage et l’assiduité à
l’école ne semblent pas importants. Cet exemple emblématique met en lumière la
dimension non seulement cognitive, mais psychoaffective et identitaire de l'écriture
scolaire qui, dans ce cas, peut être perçue par l'élève comme s'opposant à sa
culture familiale. Ce n'est qu'en comprenant ces phénomènes que l'enseignant
pourra envisager des leviers pour permettre à cet élève de rentrer dans la lecture.
Exercice :
1- Le guide d'entretien suivant est extrait d'une recherche conduite par Barré-De
Miniac, C. & Cros, F. & Ruiz, J. (1993) 29 avec des élèves de collège. Après l'avoir
lu, pouvez-vous dégager les intentions du chercheur ainsi que les
fonctions des différentes questions ? Selon vous, serait-il intéressant
pour un enseignant d'avoir accès aux réponses produites par ses élèves
dans cet entretien ? Quelle est la nature des informations qu'il
recueillerait ? En quoi ces informations pourraient l'aider dans son
enseignement de l'écriture avec ses élèves ?
« 1. Si je te dis écriture que réponds-tu ? 2. Écris-tu ? Quand ? 3. Est-ce que
l'écriture s'enseigne ? 4. Qui t'a appris à écrire ? Quand ? Comment ? 5. Quel est
ton premier souvenir d'écriture ? 6. Est-ce que tu penses que tes professeurs
écrivent beaucoup à l'école / en dehors de l'école ? 7. Est-ce que tes parents
29 Barré-De Miniac, C. & Cros, F. & Ruiz, J. (1993). Les collégiens et l'écriture. Des attentes familiales aux
exigences scolaires. Paris : ESF. p.64.
25
écrivent ? 8. Aimes-tu écrire ? 9. Préfères-tu écrire à l'école ? Hors de l'école ? »
1- En guise de correction, donnons la parole au chercheur :
« Il s'agit d'un guide d'entretien qui permet de mettre au jour le rapport à
l'écriture des élèves. Ce guide cherche à mettre au jour leur représentation de
l'écriture, de ses modalités d'apprentissage. Dégager le rôle que les élèves
attribuent à leur famille et à l'école pour rendre compte de leurs compétences et
de leur intérêt en matière d'écriture, tant du point de vue quantitatif que du point
de vue qualitatif. »
2. Voici deux réponses données par deux élèves à la question 1.« Si je te
dis écriture que réponds-tu ? ». Pouvez-vous dégager des différences de
représentation de l'écriture dans ces réponses ? En quoi ces réponses
présentent-elles des représentations différentes de l'écriture ?
« M. Vous voulez dire expression ? Ben s'exprimer à l'écrit c'est beaucoup de
choses. ce sont les lettres, les devoirs, les petits mots, quoi ! Et puis, je sais pas.
Heu ... les poèmes aussi.(p.110)
B. Oui ben voilà, symboliquement, ça représente un peu l'École [...] Le scolaire.
[...] ça sert à travailler, à se cultiver, à s'informer, plein de choses, quoi [...] »
Vous trouverez les réponses comment répondre à cet exercice dans ce chapitre.
Pour des compléments d'information vous pouvez consulter l'ouvrage référencé en
note de bas de page.
26
Selon les rapports aux savoirs construits par les élèves, les postures langagières
mobilisées, les élèves peuvent interpréter certaines tâches différemment de ce
qu'attend l'enseignant ou encore l'enseignant interprète de que fait l'élève
différemment de ce que l'élève a voulu faire. On se trouve alors face à une non
compréhension du « contrat didactique » (cf. ch. 2.3.3.) ou pour le dire autrement
à un « malentendu didactique ». Comme pour le contrat didactique, il s'agit
d'une « construction conjointe de l’élève et de l’enseignant » (Bautier & Rayou,
2009, p.105). Ces auteurs prennent l'exemple d'une tâche fréquemment demandée
aux élèves de moyenne section de maternelle : on demande aux élèves de
découper les vignettes de mots, puis de les remettre en ordre pour constituer une
phrase. On voit alors le malentendu entre les attentes de l'enseignante qui portent
sur les stratégies de lecture permettant la remise en ordre des mots, alors que
l'activité de l'élève est centrée sur le soin apporté au découpage. Comment, pour
l'enseignant, limiter les confusions entre la tâche demandée et l’activité
intellectuelle sollicitée quand les élèves ne disposent pas des codes de l'école ?
Exercice :
Bautier et Goigoux (2004 : 94) proposent l'exemple 30 ci-dessous, extrait de la
transcription des échanges entre un enseignant et ses élèves de CP : il s'agit
d'étudier un phonème.
Pouvez-vous identifier l'activité visée par l'enseignant? Pouvez-vous
interpréter l'erreur de Kévin et la réponse de Farid ? Essayez d'utiliser
dans cette analyse les concepts didactiques de ce chapitre.
30 Cet exemple est extrait de l'article de Bautier, E. et Goigoux, R. (2004) « Difficultés d’apprentissage,
processus de secondarisation et pratiques enseignantes : une hypothèse relationnelle », in Revue Française de
Pédagogie, n° 148.
27
2.4. Quelques points forts actuels
28
transformera de nouveau quand ils aborderont la sphère, etc. On assiste alors à un
processus réflexif et créatif de l’apprenant sur ses propres acquisitions. Cette
conception s’est enrichie par la prise en compte de l’environnement et des
interactions avec toutes les personnes (enseignant, camarades, parents, milieux
extérieurs, etc.) appelées « médiateurs » qui incitent l’apprenant à réfléchir sur ce
qu’il vient d’apprendre (c’est la conception socioconstructiviste de Vygotsky et
Bruner).
Quoi qu’il en soit, une des tâches de l’enseignant est de vérifier le résultat de
l’apprentissage pour orienter ses choix didactiques et établir sa progression qui
dépend du degré d’acquisition des élèves. L’organisation réfléchie d'une
progression spécifique à la classe (dans le cadre prescrit par les programmes
nationaux) sera étroitement liée aux différentes évaluations indiquant les
performances des élèves. Tout d'abord il est à distinguer l'évaluation à visée
formative de l'évaluation à visée certificative
- L’évaluation diagnostique se situe en début de séquence. Elle a pour fonction,
avant de débuter un apprentissage, de recueillir les représentations initiales des
élèves, d'identifier les acquisitions et les difficultés éventuelles des apprenants,
d’analyser leurs besoins. Elle fournit des repères aux enseignants pour organiser la
suite des apprentissages et proposer des situations didactiques qui soient adaptées
aux besoins de leurs élèves, autrement dit des situations qui se situent dans leur
« zone proximale de développement »31 (cf. 1.3.5).
- L’évaluation formative se situe, contrairement aux deux autres modalités
évaluatives, en cours d'apprentissage. Elle a pour fonction d'aider l'élève à
apprendre. Elle suppose une orientation vers des tâches complexes et une
conception formative de l'erreur. Celle-ci s'oppose à la conception de l'erreur
comme faute qui a longtemps prévalu à l'école. En effet, pendant longtemps, les
erreurs commises par les élèves ont été considérées comme des fautes qui
témoignaient de leurs faiblesses qu'il fallait sanctionner. Depuis l'apport des
théories constructivistes et des travaux de la didactique, on sait que l'erreur est
consubstantielle au processus d'apprentissage. Elle n'est plus considérée comme
une lacune mais comme une production par laquelle l'élève manifeste ses
représentations, son mode de raisonnement, ainsi que ses résistances. Pour
l'enseignant, il s'agit de chercher à comprendre les erreurs, de mettre en évidence
les représentations que les élèves se font de la tâche, de comprendre les
démarches d’apprentissage de chaque élève, d'évaluer la pertinence des situations
qu'il propose.
L'évaluation formative permet à l'élève, grâce à l'élucidation des critères de
réalisation des tâches ou des critères de réussite, d'identifier les procédures à
suivre pour atteindre les objectifs visés, de l'aider à planifier ses façons de
résoudre les tâches demandées, ou d'apporter des modifications à ses façons de
faire. Le critère de réussite concerne le produit fini et permet à l'élève de répondre
à la question : « à quoi je vois que mon produit est réussi ? » Le critère de
réalisation caractérise la démarche qui permet la réalisation du produit réussi et
c'est ce qui permet à l'élève de répondre à la question : « qu'est-ce qu'il faut que
je fasse pour réussir la tâche demandée ? ». Cette modalité évaluative accompagne
donc l'élève dans la régulation de ses apprentissages.
31 « C'est la distance entre le niveau de développement actuel tel qu'on peut le déterminer à travers la façon
dont l'enfant résout des problèmes seul et le niveau de développement potentiel tel qu'on peut le déterminer à
travers la façon dont l'enfant résout des problèmes lorsqu'il est assisté par l'adulte ou collabore avec d'autres
enfants plus avancés » (Vygostki, 1985).
29
L'évaluation formative sert aussi pour l'enseignant à mettre en place la remédiation
nécessaire à certains élèves. Elle permet ainsi non seulement à l’enseignant
d’adapter les conditions d’enseignement, mais aussi à l’élève d’adapter son
apprentissage. (Allal, 1991) .
- L’évaluation sommative se situe au terme d'une séquence d'apprentissage. Elle
permet en fin de séquence d’établir un bilan des acquisitions et donne un repère à
l’élève sur les progrès accomplis. Il s’agit également de mesurer si les objectifs
d’enseignement sont atteints. En effet, l’enseignant vérifie ici la validité de ses
choix didactiques et peut les réajuster en fonction des résultats obtenus,
notamment lors des séquences suivantes. Les apprentissages demandant du
temps, le résultat de l’évaluation sommative ne peut être que partiel. Cette
évaluation s'appelle « certificative » quand elle se fait en fin de formation et qu'elle
débouche sur la délivrance d'un diplôme (Bac à lauréat).
Ainsi l’évaluation permettra de déterminer les compétences de l’élève. L’origine
de la notion de « compétence » provient du modèle behavioriste et a été théorisée
par B.S. Bloom dans les années 1960 aux États-Unis pour évoquer les activités
mentales réalisées dans une tâche industrielle. Il s’agissait alors de former les
ouvriers en découpant et analysant les différentes étapes du travail. Le monde de
l’éducation critique, depuis les années 90, cette parcellarisation des tâches et des
situations et la perte de sens qui en découle pour définir la compétence comme un
savoir-faire complexe qui permet d'accomplir une activité complexe. À la
différence de l'objectif pédagogique qui désigne ce que l'élève doit apprendre, la
compétence désigne les comportements potentiels (affectifs, cognitifs et
psychologiques) qui permettent à un individu d'exercer efficacement une activité
considérée généralement comme complexe »32"La compétence est la mobilisation
ou l'activation de plusieurs savoirs, dans une situation et un contexte données" 33
Le Boterf distingue plusieurs types de compétences : des savoirs théoriques (savoir
comprendre, savoir interpréter), des savoir-faire procéduraux (savoir procéder,
savoir opérer), des savoir-faire expérientiels (savoir y faire, savoir se conduire),
des savoir-faire sociaux (savoir se comporter, savoir se conduire), des savoir-faire
cognitifs (savoir traiter de l'information, savoir raisonner, savoir nommer ce que
l'on fait, savoir apprendre). En France, il existe un référentiel institutionnel de
compétences : « le socle commun de compétences et de connaissances » qui
définit en termes de connaissances, de capacité et d'attitudes les compétences que
l'élève doit maitriser à la fin de la scolarité obligatoire (cf. 5.5).
C’est à travers des objectifs linguistiques ciblés (ce qui veut dire qu’on pourrait
organiser différemment les progressions dans les programmes et donc dans les
classes) que nos élèves sont évalués en français. En France, ce sont les types de
discours qui ont guidé l’écriture des programmes officiels, et donc les
apprentissages des élèves.
Exercice 1:
Vous déterminerez à quel type d’évaluation (diagnostique, formative ou
sommative) correspondent ces situations.
Situation 1 : En CM2, l’enseignant dicte un texte de 10 lignes au présent
contenant des verbes en -yer, -eter, -eler.
Situation 2 : En GS, l’enseignant, en présentant un nouvel album, demande aux
élèves s’ils connaissent d’autres ouvrages de cet auteur.
32 Reuter, Y. (2007). Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques. Bruxelles : De Boeck. p. 67.
33 Le Boterf, G. (1995). De la compétence, essai sur un attracteur étrange. Paris : Editions d'organisations.
30
Situation 3 : En PS, l’enseignant demande à l’élève de chanter et mimer le
premier couplet de la comptine de l’« éléphant ».
Situation 4 : En CP, l’enseignant demande de dessiner l’épisode de l’histoire qui
vient d’être lue.
Situation 5 : En CM1, l’enseignant demande comment on peut faire pour trouver
le sens du mot « ininflammable ».
Situation 6 : En MS, l’enseignant demande à l’élève de raconter l’album du début
à la fin en s’aidant des illustrations.
Éléments de correction :
Situation 1 : Évaluation sommative (une évaluation diagnostique n’aurait ciblé que
les verbes)
Situation 2 : Évaluation diagnostique
Situation 3 : Évaluation formative (la comptine est en cours d’acquisition)
Situation 4 : Évaluation formative (le récit n’est pas connu entièrement)
Situation 5 : Évaluation diagnostique (pour savoir ce que savent déjà les élèves
des préfixes et suffixes)
Situation 6 : Évaluation sommative (le récit est connu en entier)
Exercice 2 :
Vous déterminerez à quel type d'évaluation correspond la situation
présentée ci-dessous extraite de Obin, J.-P. & Veslin, J. & Cardinet, J.
(1992, p.89)34.
Est-ce que l'évaluation de l'enseignant présentée dans la partie : Analyse
du travail de Mathieu » porte sur le produit ou sur la démarche de
l'élève ? Quelle est la fonction des retours à faire à l'élève présentés dans
la partie « Quels retours lui faire ? »
34 Obin, J.-P. & Veslin, J. & Cardinet, J.(1992). Corriger des copies, évaluer pour fomer. Paris : Hachette
éducation.
31
Vous trouverez comment répondre à cet exercice dans ce chapitre. Pour des
compléments d'information vous pouvez consulter l'ouvrage référencé en note de
bas de page.
32
des réalisations discursives en ne s’intéressant qu’à leur fonction. En effet un texte
possède une dominante (narrative ou argumentative, par exemple) mais il contient
aussi différentes séquences (sous-ensembles de phrases) qui peuvent correspondre
à d’autres objectifs (dans un récit, on trouve des passages de description, des
dialogues, des argumentations, etc.). L’identification de la dominante du texte peut
même parfois se révéler problématique.
Or, un texte se comprend aussi dans une situation de communication particulière,
un contexte énonciatif socio-historique et culturel qui motive sa production et son
interprétation. On parlera alors de « discours » qui correspond à la modalité
énonciative dans laquelle se produit l’énoncé. Adam propose alors la notion de
genre du discours (cf.5.3) à celle de type de textes:
- Genres narratifs (prototypes : conte, fable, etc.)
- Genres de l’argumentation (prototypes : plaidoyer, débat, etc.)
- Genres de l’explication (prototypes : conte étiologique, notice explicative, etc.)
- Genres descriptifs (prototypes : portrait, petite annonce de vente, etc.)
- Genres conversationnels (prototypes : la lettre personnelle, administrative,
l’interview, la pièce de théâtre, etc.)
Adaptées au contexte scolaire ces approches permettent de donner des repères qui
vont aider les élèves à se représenter l’énoncé oral ou écrit à produire.
33
2.4.5. Curriculum
Depuis les années 70, l'emploi du terme de curriculum s'est développé, dans
l'optique de reconstituer la culture scolaire dans un contexte alors lié aux enjeux
éthiques et économiques de la démocratisation des études longues et de la
massification scolaire.
Le terme de curriculum (cf. Dumortier, 2010) désigne la structuration d'un
projet éducatif à l'échelle d'un pays : ce concept met l'accent sur le fait que les
contenus d'enseignement sont le produit d'une sélection sociale et politique dans
un ensemble de possibles, le produit d'une construction scolaire et ce pour tous les
contenus disciplinaires.
Plus précisément, cette structure qui existe dans tous les pays définit les contenus,
les rôles des acteurs de l'éducation et leur répartition, les objectifs des diverses
formations et leurs principes pédagogiques. Il définit également les supports
didactiques, des pratiques, les procédures d'évaluation des résultats, ainsi que les
profils de sortie des formations et les phases de réalisation du plan. Pour le
didacticien d'une discipline particulière, le curriculum désigne tout ce qu'il faut
faire, au cours de la scolarité obligatoire, pour rendre possible l'appropriation par
les élèves des contenus de la discipline en question.
Ainsi, un enseignant, à travers le programme d'une année, participe à la réalisation
de ce plan inscrit dans les contextes de son établissement mais aussi de
l'institution scolaire et de la société. Ses séquences didactiques sont des maillons
intermédiaires de cette réalisation d'ensemble.
Nous conclurons sur le fait que les curriculums varient selon les pays. Par
exemple, les découpages de l'enseignement primaire, secondaire, supérieur
différent : l'école maternelle n'existe par exemple pas en Allemagne, la durée du
collège peut être de trois ans comme en Algérie, alors qu'elle est de quatre année
en France. Un autre exemple de variation est la possibilité pour un élève de
redoubler ou pas une classe dans son cursus scolaire. Pour finir, dans de nombreux
pays, c'est un examen terminal qui sanctionne la fin de l'enseignement secondaire
et détermine la poursuite d'études supérieures, alors que dans certains pays,
comme la Suède, il s'agit d'un contrôle continu.
34
CHAPITRE 3 - MONDE DE L'ÉCRIT, MONDE DE L'ORAL
Les enseignants ont l’habitude, pour se simplifier la vie, de séparer les activités
écrites et orales dans la classe : ils séparent ainsi les exercices, les notations, les
moments de classe consacrés à l’un ou l’autre monde. Il est vrai que les langues
étrangères nous ont habitués, par exemple, aux 4 domaines de compétences :
lire / écrire (réception / production à l’écrit), parler / comprendre (production /
réception à l’oral). Mais cette simplification va à l’encontre à la fois de ce qui se
passe dans la vie courante (on a souvent besoin de téléphoner, puis d’écrire à la
même personne pour confirmer une demande ou une réclamation) et dans les
formes scolaires complexes (il faudra dès le lycée apprendre à écouter et prendre
des notes en même temps, deux pratiques orale et écrite simultanées). Il serait
donc profitable, didactiquement parlant, de mêler dès les plus jeunes âges, les
activités écrites et orales pour que les enfants, et plus tard les adolescents,
s’habituent à leur complémentarité et leur co-développement. Par exemple, on
apprendra à résumer à l’écrit un débat qu’on vient de mener en classe, à rapporter
oralement sur un travail de groupe débouchant sur un texte écrit, à commenter
une exposition de poèmes écrits par la classe, etc. Ainsi les deux domaines ne
seront plus séparés, voire opposés : ils se développeront de façon complémentaire
et leur interaction s’appuiera sur leur spécificité propre. Par exemple, on écrit pour
qu’une chose qu’on vient de dire puisse rester, on parle pour communiquer et
chercher à plusieurs une solution à un problème. Cette complémentarité est
particulièrement bien mise en valeur dans la pédagogie du projet, où elle s’impose
par les tâches complexes demandées par le projet.
35
l'appropriation de l'écrit » (Barré-De Miniac, 1995) s'oppose à un enseignement
trop souvent exclusivement centré sur les techniques et les codes. Pendant
longtemps on n'accédait à la lecture de textes qu'après avoir appris le code
alphabétique, on n'apprenait à écrire qu'après avoir appris à lire. Trop souvent
l'enseignement de la lecture, de l'écriture, de l'orthographe, de la grammaire, de la
conjugaison, du vocabulaire ont été appréhendés comme des entités séparées,
sans grande relation. Les univers de l'écrit scolaire étaient faits de répétitions
d'exercices mécaniques peu stimulants, les élèves n'avaient que rarement à
produire des textes complets.
En fait, dès la maternelle, des pratiques de lectures et d'écritures signifiantes
peuvent permettre la découverte du langage écrit, de ses usages sociaux en
mettant les enfants en contact avec différents types d'écrits (comme par exemple,
le livre, l'affiche, le journal, la lettre, la recette de cuisine...) en leur permettant
d'en connaître la fonction, de travailler la compréhension et la production de textes
écrits ainsi que la découverte du code écrit. Certaines activités de productions
d'écrits utilisent la « dictée à l'adulte » (l'adulte est le secrétaire du texte élaboré
par les élèves), l'« écriture inventée » à partir des travaux d'Emilia Feirreiro (où les
élèves s'essaient eux-mêmes à des activités d'écriture alors qu'ils ne savent pas
écrire) pour développer leur conceptualisation du système d'écriture et leurs
rapports à l'écrit.
Pour l'apprentissage de la lecture au CP (contexte français), Goigoux (2001)
identifie quatre composantes impliquées dans l’enseignement de la lecture qu'il
montre indissociables de celui de l’écriture : « l’identification et la production des
mots, la compréhension de textes, la production de textes et l’acculturation à
l’écrit ». Ce travail est à entreprendre dès la maternelle, sans attendre que les
élèves identifient les mots. Les quatre composantes doivent être présentes dans
l'enseignement/apprentissage de la lecture dès le CP, pour ne pas séparer code et
sens. La question des méthodes d'apprentissage de la lecture a encore récemment
fait l'objet de débats fortement médiatisés (en 2005, lorsque un ministre veut
imposer la méthode syllabique). Il y a plusieurs façons d'aborder l'acte de lire :
- des « méthodes ascendantes » alphabétiques ou syllabiques partent de la plus
petite unité, la lettre ou la syllabe associée à un son pour conduire au déchiffrage
de mots puis par la suite de phrases,
- des « méthodes descendantes » axées sur la construction de sens en donnant la
priorité à la mémorisation des mots, à l’anticipation, à la formulation d’hypothèses,
- une « méthode mixte » où l'on vise à construire la connaissance du code à la fois
par l’analyse et par la synthèse des lettres et des syllabes (méthode aujourd'hui la
plus utilisée). Aujourd'hui les chercheurs en didactique de la lecture s'accordent à
présenter la lecture comme une activité complexe qui nécessite de travailler de
façon simultanée et interactive les quatre dimensions présentées ci-dessus et qui
ne se limite pas au décodage en lecture. La langue écrite est composées de
graphèmes composés de une ou plusieurs lettres : ch, eau, ot, ant ... Ces
graphèmes servent à transcrire les sons de la langue française appelés phonèmes
et transcrits entre crochets : [oe], [ƒ], [y], ... ils sont réunis dans l'API (alphabet
phonétique international). On appelle « décodage » en lecture l'activité qui consiste
à passer des graphèmes aux phonèmes.36. .
Il ne suffit pas en effet d'en avoir décodé les mots pour saisir le sens d'un texte.
36 Voici un exemple du système de conversion graphèmes / phonèmes nécessaire au décodage du mot chapeau,
formé de quatre graphèmes et de quatre phonèmes :
« ch » « a » « p » « eau » ==> [ƒ] [a] [p] ]o] ==> [ƒ a p o].
36
Nombreux sont les élèves qui restent dans cette croyance. Certaines pratiques
traditionnelles, comme les questionnaires écrits, évaluent la compréhension au lieu
de l'enseigner. En revanche, travailler la compréhension en lecture suppose de
rechercher des dispositifs qui favorisent la construction de sens, notamment les
inférences qui sont des opérations logiques de déduction qui consistent, à partir
d'indices présents dans le texte, à rendre explicite une information qui n'est
qu'implicite,. pour mettre en lien diverses données du texte. Cependant il ne suffit
pas de favoriser l'activité inférentielle pour travailler la compréhension. Il est
nécessaire d'accompagner la progression dans le texte d'une activité de retour sur
sa lecture, de contrôle par le lecteur de la pertinence de ses premières inférences
avec l'arrivée de nouvelles données pour les valider ou les faire évoluer. Goigoux
montre que les mauvais compreneurs ne remettent pas en cause les les
représentations erronées qu'ils se forgent dès les premières pages d'un livre. Ces
dispositifs privilégient la reformulation ou les échanges oraux entre élèves sur des
questions portant sur l'implicite, l'accès au sens perçu, à travers des interactions
entre lecture, oral et écriture.
Insistons sur l'interaction entre la lecture et l'écriture pour mettre en relief le
fait que l'expérience du travail d'écriture favorise la conception de la lecture comme
moyen de communication entre un auteur et un texte. Réciproquement, la lecture
nourrit le processus d'écriture, dans les différentes phases du projet d'écriture,
dans la planification, la production ainsi que dans la réécriture. Les travaux portant
sur l'écriture comme processus se sont intéressés aux brouillons d'écrivains et aux
brouillons d'élèves (Fabre-Cols, 2002) pour montrer l'importance de la place de la
réécriture dans le processus même d'écriture. La réécriture en tant que pratique
transformatrice du matériau est à distinguer de la correction. La réécriture
suppose, de la part d'un élève, des opérations de suppression, d'ajout, de
déplacement, de substitution et favorise une activité métadiscursive, une activité
de retour sur le fonctionnement du discours.
Vous trouverez ci-dessous une activité qui vous permettra de connaitre diverses
situations d'écriture dans les classes et de les mettre en relation avec les concepts
que nous venons de définir.
Excercice:
Dans les 5 cas suivants, quelles situations vous paraissent favoriser
l'entrée dans la culture écrite à l'école et son appropriation ? Justifiez vos
réponses.
Cas n°137 :
Voici un extrait de manuel de lecture. Un maitre de CP l'utilise
exclusivement pour travailler l'apprentissage de la lecture dans sa classe.
Ses séances suivent la trame présentée dans l'extrait de manuel scanné
ci-dessous.
37 extrait de : Houblain, L.& Raymond,V.& Paturaud,V. & de Sagazan, B. (ed. 2011). J'apprends à lire avec Daniel
et Valérie. Paris : Nathan. p.3.
37
38
Cas n°238
J-P. Jaffré (2000) présente, dans l'article référencé en bas de page, une
situation d'écriture recueillie, en grande section de maternelle, au mois de
novembre.
« Á la mi-novembre, une vingtaine d'enfants visite une exposition consacrée aux
œuvres d'Aristide Caillaud, un peintre naïf contemporain. 4 jours plus tard, ils
écrivent leurs impressions, après en avoir explicité le contenu lors d'une brève
phase préparatoire. Emmanuel propose d'écrire « J'ai aimé les peintures d'Aristide
Caillaud et les fleurs », ce qui va lui prendre environ 8 minutes. Il commence par
« écrire la date » et comme l'atelier se déroule le vendredi, il trace de mémoire
VEN. Son voisin qui regarde ces trois lettres, réagit aussitôt : « C'est pas ça ...
c'est lundi qu'on a été à l'exposition. » Emmanuel en convient et prend donc une
nouvelle feuille, hésite un instant puis va chercher l'étiquette LUNDI, qu'il recopie.
Il hésite à nouveau et dit avoir un problème avec la date. On l'aide par conséquent
à trouver la bonne date - le 9 en l'occurrence - qu'il reproduit à l'envers. Il ajoute
ensuite NOVEMBRE qui est écrit au tableau.
Emmanuel s'attaque ensuite au texte qu'il a projeté d'écrire - et qu'il répète alors
sous sa forme initiale. À une phase de prise d'informations graphiques succède une
phase au cours de laquelle il va calculer des graphies plausibles, sachant ce qu'il
sait alors du fonctionnement de l'écrit. (...) Cette phase « d'invention graphique »
est présentée « sous la forme du tableau ci-dessous ».
À la fin de l'atelier, Emmanuel relit son texte - phase imposée à tous les apprentis :
« Lundi 9 novembre, j'ai aimé les peinture d'Aristide Caillaud. » Signé, Emmanuel.
38 extrait de : Jaffré, J.P. (2000). « Ce que nous apprennent les orthographes inventées ». In Fabre-Cols (Dir).
Apprendre à lire des textes d'enfants. Bruxelles : De Boeck Duculot. pp.64-66.
39
issues d'activités antérieures, qu'elles soient sociales (lecture de documents ou
d'albums, par exemple) ou plus techniques (recherches de mots qui finissent ou qui
commencent pareil, classement des prénoms, etc...). Certains mots plus fréquents
que les autres, et dont les enfants ont plus souvent besoin, sont classés dans des
boites, des tiroirs, des fichiers ; d'autres figurent simplement en des lieux
accessibles et connus des enfants (un jeu, une recette, une lettre, un livre). »
Cet exemple permet de montrer comment Jaffré travaille à « comprendre la
démarche des enfants qui apprennent à écrire et la nature des opérations
cognitives qu'ils utilisent à ce moment-là. »
Cas n°3 39
:
Maurel, M. & Fabre-Cols, C. (2001)présentent une situation qui se situe,
dans une classe de CP, vers la fin de l'année scolaire (mars-avril). Cette
classe a pour projet d'écrire « des histoires » pour les élèves de Grande
section de maternelle. Les enfants écrivent, par groupe de deux, un
premier jet dont la réécriture fait, pour sa communication, l'objet d'un
accompagnement par l'enseignante.
L'enseignante fournit ensuite « deux documents aux élèves: une version initiale
orthographiquement correcte du texte produit (DOC.1) ; une fiche-guide résumant
sa lecture critique (DOC.2) et proposant quatre questions, quatre problèmes à
résoudre (...) Vous trouverez, ci-dessous, les deux documents transmis par
l'enseignante (DOC.1 et DOC.2) ainsi que la transcription des interactions entre les
deux élèves lors de l'utilisation de la fiche guide dans un travail de réécriture
(DOC.3)
Fiche-guide (DOC.2)
« À mon avis, votre texte est déjà un très bon texte. Vous avez, par exemple, fait
parler les personnages et vous n'avez pas oublié les guillemets: tout cela est très
bien.
Voici quelques problèmes :
1. (...)
2. À votre avis, est-ce important pour votre histoire qu'une petite souris dise qu'elle
a faim ?
Peut-on supprimer cette partie ?
3. Vous avez écrit : Tout à coup « regarde, un chapeau ! » Mais on ne sait pas qui
prononce ces paroles. Essayez d'ajouter une information pour que celui qui lira
votre histoire la comprenne bien. N'oubliez pas que vous êtes les auteurs ! »
4. (...)
39 extrait de : Maurel, M. & Fabre-Cols, C. (2001). « Fondements et modalités de l'écriture accompagnée au cycle
des apprentissages fondamentaux ». In Lidil n°23, 165-186. Les nouveaux écrits à l'école nouveaux
programmes, nouvelles pratiques, nouveaux savoirs. Numéro coordonné par Fabre-Cols.
40
réécriture (DOC.3)
« Mathilde et Manon lisent la troisième question
Mathilde : ben, les petites souris
Manon : l'une d'elles
Mathilde : l'une d'elles dit / regarde un chapeau
Manon : tout à coup, l'une d'elles dit
Mathilde : tu vas le rajouter là
Manon : (réécrit tout en lisant) tout à coup l'une d'elles dit regarde un chapeau.../
bon c'est bon
Mathilde : ben oui
Mathilde (à propos du mot « dit ») alors, qu'est-ce qu'on pourrait.../ ben/ dit je sais
pas.../ faudrait mettre un e ou pas ?
Manon : ben/dit non, c'est un t
Mathilde : oui / regarde un chapeau / elles se mirent à l'ouvrage ... / tu crois que
les petits vont comprendre ?
41
• Ses caractères
En majuscules, en gras, en relief et parfois en couleur
Les textes et les illustrations
• La quantité de texte
(...)
Cas n°541 :
J. Boussion, M. Schöttke et C. Tauveron (2000 : 126-127) présentent une situation
de classe recueillie dans une classe de CP. À l'issue d'une visite au parc de
Gévaudan, une classe de CP a pour projet la rédaction d'un texte
documentaire sur les loups dans le journal de l'école. « Au moment d'écrire
les rubriques « Disparition du loup » et « le loup aujourd'hui », l'enseignant conduit
une discussion à partir de la question : « Alors d'après ce que vous savez pourquoi
les loups ont-ils disparu ? »
Enseignante - « Alors, d'après ce que vous savez pourquoi
les loups ont-ils disparu ? »
ÉLÈVE - « ils sont tous morts. Ils n'avaient plus assez à manger. On les a tués ... »
ÉLÈVE - « oui mais on nous a dit qu'on en remettait en liberté ».
ÉLÈVE - « non pas n'importe comment ».
ÉLÈVE - « et puis il y a longtemps qu'on les a tués ... »
ENSEIGNANT - « vous avez tous raison. On avait très peur des loups.On les a
chassés et tués. Ils ont disparu à cause de l'homme. Vous avez tous lu le texte « La
disparition du loup ». Qu'en avez-vous retenu ? Ce que vous venez de dire, mais
encore ? »
ÉLÈVE - « Ils ne mangeaient pas souvent les gens ».
ÉLÈVE - « Oui mais il ne fallait pas qu'ils les mangent du tout ».
ÉLÈVE - « Maintenant on saurait se défendre ».
ÉLÈVE - « Et après il y a plein de renards qui dérangent les poules et les lapins. Et
aussi les souris. Et puis on a lu qu'il y avait trop de souris et de rats. On pense à
l'histoire du joueur de flûte et des rats partout.
Enseignant - « Vous avez peur qu'on remette les loups en liberté ? »
ÉLÈVE - « On aurait tous peur ».
ÉLÈVE - « Oui mais le loup des Vosges n'a mangé que des moutons. C'était en été
et il était tout seul ».
ÉLÈVE - « Moi j'aurais peur des meutes... »
ENSEIGNANT - « À condition d'être raisonnable, attentif à l'équilibre de la nature,
en prenant toutes les précautions, les spécialistes pensent qu'on peut remettre
quelques loups. Mais beaucoup de gens sont contre cette idée.
(...)
Donnons la parole aux chercheurs :
« Le projet central de l'enseignante est bien de former des enfants lecteurs et
producteurs de texte. Pour autant, ou plus exactement pour cette raison même, il
s'attache tout particulièrement à favoriser les interactions verbales parce qu'il sait
qu'elles sont une aide à la construction de la pensée. Il ne s'agit pas pour lui de
« faire parler » les élèves dans un jeu de questions/réponses, mais de les aider à
verbaliser et à échanger leur savoir et ce faisant à le synthétiser, le recomposer et,
sans paradoxe, le construire. » (Boussion, J., Schöttke, M., & Tauveron, C. ,2000).
41 extrait de : Boussion, J.& Schöttke, M., & Tauveron, C. (2000). Lecture, écriture et culture au CP. Paris :
Hachette. (p.126-127).
42
3.2. Monde de l’oral
On peut dire que l’oral consiste à communiquer avec un interlocuteur, dans
le même temps et le même lieu42. Ce mode communication est de plus frappé
de réciprocité puisque le récepteur peut devenir interlocuteur et le locuteur
récepteur : les rôles sont interchangeables, dans une chronologie linéaire.
Les méthodes de langues dites « étrangères » ont mis à l’honneur l’oral par leurs
méthodes «communicatives » : cela consiste à poser la réussite de la
« communication » entre deux ou plusieurs personnes comme prioritaire par
rapport à la soi-disant « correction » de la langue employée. Or, comme c’est à
l’oral que nous communiquons le plus, cette modalité et son étude sont passées
peu à peu sous les feux du projecteur didactique, y compris pour le français en
zones francophones.
On s’est en effet rendu compte à cette occasion qu’il ne suffisait pas, contrairement
à ce qu’on croyait avant, de parler français en famille pour comprendre tout ce
qu’on vous dit, voire pour faire des progrès à l’oral ou réussir les tâches orales
demandées par l’école. C’est ainsi que le besoin d’enseignement de l’oral s’est peu
à peu imposé dans toutes les classes et à tous les niveaux, s’opposant au préjugé
selon lequel n’auraient eu besoin de « leçons d’oral » que les « très jeunes enfants
et les étrangers » (résultats d’une enquête sur les représentations de l’oral, que
nous avons faite en 1999). Mais que veut dire « enseigner l’oral » ? ou son pendant
« apprendre l’oral » ? On se heurte ici à une deuxième série de préjugés, réduisant
souvent l’oral à l’action de « parler ». Il s’agirait alors de faire « parler mieux » les
élèves, de réparer leur « vocabulaire pauvre » et leurs « phrases incorrectes » :
paroles courantes d’enseignants …, qui confondent souvent écrit et oral, qui jugent
l’oral à l’aune de l’écrit et qui pensent que c’est en faisant des « phrases
correctes » qu’on se fait le mieux comprendre … Autant de questions sur lesquelles
la didactique de l’oral s’est attachée à apporter des réponses peu en accord avec ce
que pensent les non spécialistes. Quels sont donc les principes de cette didactique
de l’oral ? Nous allons les résumer en quelques points synthétiques dont vous
excuserez le côté schématique et que notre bibliographie vous aidera à approfondir
si ce sujet vous intéresse :
1 – l’oral est un « monde » (cf. Peytard, Halté JF), comme l’écrit, fait de
plusieurs dimensions en interaction les unes avec les autres, et qui sont loin de se
limiter à des compétences linguistiques. On y produit (parler), on y écoute
(comprendre), on y échange (interagir), on s’influence l’un l’autre, on fait des sous-
entendus (importance des implicites), on profite de connivences, de rappels de ce
qui est connu et commun, on s’appuie sur des situations de communication dans
lesquelles s’inscrivent ces échanges. Dans ce cadre, les gestes ou le silence
peuvent être des « actes » de l’oral au même titre que les paroles elles-mêmes,
qu’il faut autoriser, voire encourager dans la classe.
2 – l’oral, ce n’est donc pas « savoir parler » mais au moins autant « savoir
écouter ». Et cela s’apprend, cela s’entraine, cela s’évalue, cela se développe, au
même titre que la production verbale. Les activités de « réception » (écouter et
comprendre), très faciles à organiser en groupe, devraient donc constituer une
bonne moitié des séances d’oral, trop d’enseignants se plaignant de ne pouvoir
organiser ces séances sous prétexte qu’ils ont des classes trop nombreuses ! On
42 Bien sûr, cette définition de départ ne tient pas compte des avancées technologiques, qui perturbent les
frontières de départ entre oral et écrit. On peut, par le téléphone ou le magnétophone par exemple
communiquer oralement avec un interlocuteur qui est à l’autre bout du monde.
43
peut pourtant écouter à 10 comme à 50 un texte lu, une information enregistrée à
la radio, une chanson ou un conte issu-e d’un disque, une conversation enregistrée
dans un lieu public, un entretien, une émission de télé, un document sonore
disponible sur internet, etc.
3 – l’oral a une vie propre, à côté de l’écrit, mais pas au-dessous de l’écrit ou
pour servir l’écrit. En d’autres termes, à l’école, on n’apprend pas à parler POUR
savoir écrire ; on apprend à parler ET à écrire. Et il faudra poursuivre
l’apprentissage de l’oral au-delà de l’accès à l’écrit. Alors que, malheureusement,
les activités orales sont riches et inventives dans les petites classes ; puis elles
diminuent, voire disparaissent souvent à partir de 7-8 ans dans les classes, pour
réapparaitre (en France) au moment du Brevet des Collèges et de l’oral du
Baccalauréat : moments un peu tardifs pour se rendre compte que nos élèves sont
« mauvais à l’oral », n’ont « pas appris à parler » et que l‘école leur a au contraire
appris à se taire !
4 – l’usage de l’oral est une activité éminemment sociale, partagée par tous,
qui prend ses modèles dans la vie de tous les jours (convaincre, raconter, débattre,
s’interroger, expliquer, discuter) même si certaines de ses utilisations sont
particulièrement développées à l’école : expliquer, analyser, questionner, par
exemple. Il conviendra donc de partir des expériences vécues par les élèves pour
les amener à réfléchir sur les activités orales, leurs fondements, leurs qualités. Par
exemple, on partira de situations courantes : « comment convaincre ta maman de
te donner de l’argent de poche ? diras-tu la même chose pour convaincre ton papi
ou ton grand frère ? ». On mettra ainsi l’accent sur l’interlocuteur, sur sa demande
et son écoute – bref on abordera tout de suite et sans le dire les « variations » de
l’oral. « Bien » écrire n’a rien à voir avec « bien écrire », car on ne raconte pas de
la même façon à l’écrit et à l’oral, on n’argumente pas de la même façon, etc.
5 – dans ce foisonnement, quelle progression suivre ? plusieurs solutions
sont possibles. On peut suivre le programme de l’écrit et envisager les diverses
façons (avec leurs deux versants réception / production) de raconter, décrire,
expliquer, argumenter, etc., selon ce qu’on appelle la « typologie des textes »,
suggérée par JM Adam, abordée au primaire en France, puis reprise au collège
(cf.4.3). On peut aussi partir des « actes de langage » de la vie courante
(demander, raconter, se demander, expliquer, faire rire, poser une question,
contredire, émouvoir, objecter, se présenter, etc., la liste est infinie) et en travailler
quelques-uns à l’oral, en voyant les nombreuses variétés discursives et les
procédés linguistiques utilisés (formes négatives, champ lexical, mots interrogatifs,
structure des phrases, tournures de mise en relief, etc.). On peut aussi choisir la
méthode genevoise des « genres sociaux » et partir de situations sociales : écouter
/ raconter un conte, écouter / faire une interview, suivre / diriger un débat télévisé,
etc. qui, étudiés et décortiqués, vont ainsi servir de « modèles » pour construire
des schémas structurels de base, à faire évoluer suivant les années, les âges et les
niveaux (cf.5.3). On peut enfin ne rien prévoir du tout et se laisser guider par les
besoins issus de la pédagogie du projet, si c’est par projet qu’on préfère travailler.
6 – Il est très important d’évaluer l’oral (cf. notre chapitre sur l’évaluation) au
même titre que l’écrit, ou que la rencontre écrit / oral, dans les compétences de
réception et de production : dans chaque cas, il faut expliciter aux élèves le but
poursuivi (« aujourd’hui on va apprendre à dire à quelqu’un qu’on n’est pas
d’accord avec lui, mais sans le vexer », ou « aujourd’hui, on va apprendre à
écouter une fois une histoire et à en retenir 3 éléments essentiels ») pour qu’ils
sachent ce qu’on va évaluer ou noter dans leur travail.
44
En quoi consiste alors la compétence orale ? Elle consiste à savoir s’adapter et
adapter son message à celui à qui je parle et à la situation de communication
(concrète et symbolique) dans laquelle nous nous trouvons.
45
3.3.2. Les distinctions oral/écrit
Elles peuvent être d’ordres différents :
- selon les conditions d’utilisation : La communication orale est immédiate
entre les interlocuteurs et la situation spatio-temporelle permet de poser des
référents communs qui n’auront pas besoin d’être évoqués explicitement, mais qui
pourront être éventuellement désignés par des gestes. (« Tu peux me le
donner ? » Les pronoms ici utilisés sont compris dans le contexte particulier de
cette conversation. On les appelle les déictiques). Il y a donc économie de
moyens linguistiques. La communication écrite est coupée de la situation de
communication aussi bien dans le temps que dans l’espace, elle nécessite donc une
précision sur les référents que le récepteur ne connaît pas immédiatement (le
pronom « le » n’aura plus de valeur déictique, mais anaphorique en rappelant un
élément déjà cité dans le texte comme « le crayon »), mais aussi sur le contexte
spatio-temporel.
- selon les conditions de production : l’oral connaît des degrés différents de
spontanéité entre la conversation entre amis où la parole est improvisée,
l’entretien d’embauche où il faut « peser ses mots » et la conférence lue d’après un
texte écrit (qui ici confère à l’ « écrit oralisé » comme la récitation ou la lecture
orale.) Par rapport au texte écrit sur lequel on a pu revenir à différentes reprises
pour apporter des corrections, des compléments et des raffinements, le « parler
ordinaire » tel que l’ont analysé Gadet (1989) et Blanche-Benveniste (1990, 1997)
est fait de reprises, hésitations (heu..), reformulations, énoncés apparemment
tronqués, des ruptures de constructions par rapport à la norme écrite, des
éléments phatiques (« tu sais / n’est-ce pas ? »), des bruits de bouche, etc. Si en
général le locuteur n’a pas conscience de ces phénomènes, il semble tout faire pour
que son énoncé soit compréhensible pour l’auditeur, ce qui explique les répétitions
et autres faux départs pour se corriger. Or, quand ces paroles sont retranscrites, on
peut souvent y percevoir le travail d’élaboration de la pensée en construction
comparable au brouillon de l’écrit.
46
fondamental menée dans les années 1950, qu’un noyau de 800 à 1000 mots
(essentiellement déterminants, pronoms, conjonctions, prépositions) se retrouve
autant à l’oral qu’à l’écrit.
- Aux niveaux morphologique et syntaxique : les temps et les modes sont
employés aussi bien à l’oral qu’à l’écrit même si leurs conditions d’utilisation
diffèrent. C'est dans l’organisation syntaxique du discours que l'oral et l'écrit
diffèrent le plus.
Voyons maintenant en quoi, dans l’enseignement, oral et écrit peuvent interagir
pour conduire vers les apprentissages. Voici quelques exemples de situations
didactiques.
Quand l’oral interactionnel peut être considéré comme retour réflexif sur
l’écrit à produire :
- En situation de « dictée à l’adulte » en cycle 1 ou 2, les élèves sont conduits
par l’étayage du maitre à structurer et organiser la langue orale pour qu’elle puisse
devenir langue écrite. Les programmes 2008 proposent (p.13 du B.O. n°3 du 19
juin 2008, hors-série) : « À la fin de l’école maternelle, [les élèves] savent
transformer un énoncé oral spontané en un texte que l’adulte écrira sous la
dictée.» Prenons l'exemple d'un récit raconté à l'oral par un élève : le maitre écrit
ce qui dit l'enfant. Ce faisant il est amené à discuter avec l'élève de certaines
formes linguistiques qui ne seraient pas acceptées ou pas compréhensibles à l'écrit.
- En situation de dictée « négociée », les élèves de primaire regroupés par
deux ou trois rendent une seule dictée collective, élaborée à partir de leur dictée
individuelle qui a donné lieu à une négociation dans le groupe. Les interactions des
élèves font se confronter leurs conceptions sur les graphies à adopter, par exemple.
Motivés par la volonté de réussir ensemble, les élèves vont justifier leur choix,
expliquer leurs stratégies, argumenter en faisant référence à leurs connaissances
antérieures qui seront alors mutualisées.
- En situation de « texte fendu », les élèves doivent reconstituer la partie
manquante d'un texte coupé à la verticale : cette opération implique de prendre en
compte des indices orthographiques, lexicaux et syntaxiques, mais aussi d’indices
de cohérence textuelle. La motivation est créée par la situation d’énigme que
posent les processus de lecture, puis de rédaction mis en œuvre. Ces derniers, mis
au jour à travers les interactions orales, nécessitent une activité métalinguistique
intense. Cette activité nécessite d'être accompagnée par l'enseignant.
47
Si les choix radicaux de la grammaire des années 1970, centrée sur l’analyse des
formes et des structures (Cf .1.3.) se sont révélés peu opérants dans la mesure où
les élèves de primaire ont beaucoup de mal à faire abstraction du sens pour décrire
un phénomène linguistique, au fil des décennies, on a réintroduit certains éléments
de l’ancienne grammaire sémantique (le verbe exprime l’action, le sujet l’accomplit,
le complément d’objet la subit, etc.) et on a essayé d’introduire d’autres recherches
comme la théorie de l’énonciation, initiée par Benveniste, la linguistique textuelle,
etc. Or il semblerait qu’en amalgamant les différents niveaux d’analyse, en
distinguant « grammaire de phrase » et « grammaire de texte », la confusion s’est
accentuée et l’adaptation aux besoins des élèves ne s’est pas véritablement
réalisée. Bentolila évoquait l’ « insécurité linguistique »43 qui aujourd’hui nuit non
seulement au développement de la personnalité mais aussi à l’insertion sociale.
La compétence 1 du socle commun des connaissances en France s’intitule « La
maitrise de la langue française ». Il indique pour le premier palier, en fin de CE1,
que les élèves doivent44:
« - s’exprimer clairement à l’oral en utilisant un vocabulaire approprié - écrire
sans erreur sous la dictée un texte de 5 lignes en utilisant ses connaissances
lexicales, orthographiques et grammaticales »
Et pour le deuxième palier, en fin de CM2 (p.27) :
« - s’exprimer à l’oral comme à l’écrit dans un vocabulaire approprié et précis
- rédiger un texte d’une quinzaine de lignes (…) en utilisant ses connaissances
en vocabulaire et en grammaire ;
- orthographier correctement un texte simple de dix lignes - lors de sa rédaction
ou de sa dictée - en se référant aux règles communes d’orthographe et de
grammaire ainsi qu’à la connaissance du vocabulaire. ».
Il est clair que la grammaire, l’orthographe et le vocabulaire sont considérés de
façon très normée comme des outils au service de la langue. Or, si les tableaux de
progressions proposés en pages 32 (cycle 2) puis 35 à 36 (cycle 3) du même B.O.
indiquent les listes de leçons qui donneront lieu à des « séances spécifiques », le
problème qui se pose à l’enseignant est bien le réinvestissement de ces leçons qui
permettrait d’évaluer une réelle « maitrise de la langue » en situation de
communication orale et écrite.
Développons les trois démarches d’enseignement aujourd’hui connues :
- une démarche déductive : Un modèle abstrait est proposé qui sert de base de
leçon, il est validé à postériori à travers les exemples rencontrés. Les élèves ont à
accepter les descriptions du manuel et du maitre puis à les apprendre. Cette
démarche se fait plus rare aujourd’hui, mais se trouve encore dans les manuels
Bled par exemple.
- une démarche inductive : la plupart des manuels de langue aujourd’hui
proposent un extrait de textes littéraires ou documentaires dans lequel les élèves
découvriront à partir d’une série de questions des règles de fonctionnement d'un
phénomène linguistique (par exemple, l'emploi de l'imparfait) qu’ils auront à
s'approprier par la suite(cf. ci-dessous, page 122 du manuel CM2, Mot de Passe,
Hachette Education, 2011, dans la rubrique « Je retiens »). Les exercices devront
permettre l’automatisation des acquis.
48
- une démarche hypothético-déductive telle que la propose C. Tisset (2010) 45.
Prenant appui sur la résolution d’une situation- problème, cette démarche repose
sur la réflexion de l’élève et de sa classe à partir d’un obstacle réel qui est apparu
et qu’il s’agit de surmonter. Par exemple, lors d’un exercice de sciences où il faut
décrire les fourmis qui ont installé leur fourmilière dans la cour de l’école, les
élèves s'interrogent sur l’absence du « e » au mot « fourmi » : ils sont convaincus
que tous les mots féminins prennent un « e ». Les élèves proposent alors des
hypothèses sur le fonctionnement du « e » au féminin et formulent des
explications. Le maitre, sans commenter les remarques qui peuvent parfois être
erronées, les enregistre. Puis il propose des contre-exemples, des manipulations
(selon les différents cas, cela peut être des regroupements analogiques, des
suppressions, des déplacements, des remplacements) pour orienter les recherches
et faire progresser la réflexion commune. C. Tisset (id.p.20) considère que les
élèves vont ainsi « passer de l’épilinguistique au métalinguistique, d’une intuition
sur le fonctionnement à une explication rationnalisante. ». Les interactions entre
les élèves sont ici comme ailleurs très importantes, mais le rôle de l’enseignant est
primordial pour que chacun puisse passer d’une conception à une autre, au
moment précis où son cerveau est prêt à abandonner ses anciennes
45 Tisset, C.(2010). Enseigner la langue française, la grammaire, l’orthographe et la conjugaison à l’école .
profession enseignant, Paris : Hachette Education.
49
représentations et à passer à l’abstraction que demande la grammaire. La
décontextualisation de la notion sera ensuite abordée à travers des exercices où la
réflexion continuera de s’élaborer, où il faudra encore justifier son analyse et la
confronter à celle des pairs avant que le fonctionnement de la notion ne devienne
un automatisme.
Cependant de nombreuses recherches ont montré que l’automatisation des
difficultés orthographiques se fait sur le long terme et que la maturation du
cerveau joue un rôle important, certaines notions ne pouvant s’acquérir avant 13
ou 14 ans, voire plus tard. C’est pourquoi il vaut mieux prévoir que l’apprentissage
soit continu de l’école primaire au collège.
C'est dans cette perspective d’appropriation continue des règles de fonctionnement
de la langue que D. Cogis 46 propose des alternatives aux « leçons d’orthographe
traditionnelles » pour faire évoluer les conceptions orthographiques.
- l’orthographe intégrée à la séquence de production d’écrit : collectivement
les élèves sont amenés à soulever un problème orthographique nécessaire à la
réalisation de leur projet d’écriture, c’est ensemble qu’ils trouvent la solution et
l’intègrent à leurs différents textes. Par exemple, les élèves sont tombés d’accord
sur le fait qu’il fallait utiliser le passé composé pour rapporter un fait divers à
insérer dans le journal de l’école. Ensemble, ils observent ensuite des textes de
journaux (sélectionnés par le maitre) pour en déduire la règle d’accord des
participes passés.
- les rituels quotidiens d’orthographe : une « phrase du jour » est dictée aux
élèves. Lors de la correction collective, il s’agit de faire émerger les conceptions
erronées, de les discuter et de justifier les choix définitifs. Cela permet de revenir
chaque jour sur des notions déjà rencontrées et de forger des automatismes. Par
exemple, dans une école de la campagne provençale, le maitre dicte en CM1 : « Le
berger doit mener ses chèvres affamées dans les prés. ». La discussion portera sur
les terminaisons en [e] et réactivera la distinction des noms en « er » et en « é »,
mais aussi la différence entre infinitif et participe passé.
- les « chantiers d’orthographe » : à partir de corpus analysés sur plusieurs
séances consécutives et d'une question commune (par exemple en CM2 : à quoi
servent les accents en français ?), les élèves découvrent les fonctionnements
particuliers qui sont en jeu. Plusieurs notions sont abordées qui permettent de
concevoir la langue comme un système et non comme un agglomérat de règles
sans rapport entre elles. D. Cogis (2000) reprend les théories linguistiques de N.
Catach (1978)47 et propose une adaptation de la grille typologique des erreurs pour
permettre de donner des pistes aux enseignants (cf. tableau ci-dessous extrait des
pages 212, 213 op.cit. en note 20). Habitués à leurs propres classements, les
élèves peuvent élaborer leur propre grille, travail de structuration intellectuelle qui
oblige à repérer les invariants des catégories et qui permet l’intégration des
notions.
Dans ce type d'activité, les élèves s’approprient l’orthographe qui devient projet
personnel et peut-être même source de plaisir intellectuel si elle n’est plus
seulement vue comme un objet d’évaluation et de sanction48 !
46 Cogis, D.(2005). Pour enseigner et apprendre l’orthographe, nouveaux enjeux- pratiques nouvelles
Ecole/collège. Paris : Delagrave.
47 Catach, N.(1978).L’orthographe.collection : « Que sais-je ? » N° 685. Paris : PUF
48 Les programmes officiels de français en France demandent depuis plusieurs années aux enseignants
d’enseigner aux élèves les « nouvelles normes » qui étaient en 1990 seulement des propositions de
simplifications orthographiques. Il s’agit de simplifier l’écriture française, en se basant à la fois sur la
50
Exercice 1 :
Vous déterminerez la démarche d’enseignement choisie par l’enseignant
(déductive, inductive, hypothético-déductive) dans ces différentes
situations d’étude de la langue.
Situation 1 : En CM2, à partir d’un ensemble de phrases, l’enseignant demande si
le groupe de mots situé après le verbe peut s’enlever ou non. Les élèves devront
justifier leur choix à l’oral ensuite.
Situation 2 : En CE1, l’enseignant présente un tableau où sont classées les
différentes graphies du son [g], les élèves doivent le commenter puis appliquer la
règle dans leurs exercices.
Situation 3 : En CE2, les élèves doivent réécrire une recette contenant des verbes
51
à l’infinitif en utilisant la 2ème personne du singulier : « Tu découperas une
tranche… » et observer les changements.
Situation 4 : En CM1, à partir d’une représentation du roi Louis XIV, les élèves
doivent s’imaginer être des courtisans décrivant dans le détail le costume du roi à
des personnes ne l’ayant pas vu. Les productions écrites seront mises en commun
pour analyser comment les détails ont été donnés (expansions du nom).
Situation 5 : En CE2, à partir d’un texte au présent où des verbes du même
groupe connaissent une variation de terminaison, on demandera de trouver
pourquoi ces changements se produisent en relevant des indices (les différents
sujets).
Éléments de correction :
1: démarche inductive
2: démarche déductive
3: démarche inductive
4: démarche hypothético-déductive (à partir d’une situation problème)
5: démarche inductive
Exercice 2:
Vous classerez les erreurs orthographiques de ce texte extrait d'une copie
de CM2 à partir du tableau de D.Cogis. Vous proposerez quelques pistes
de remédiation pour cet élève à partir du type d’erreur le plus récurrent.
Elle esseilla de dénnicher des bonnes gosse carote avec une rasine pointu. Lerbe
était mouiller. En saprochant du caré plenter de carote, elle vit soudin lune d’elle
bougé.
Éléments de correction :
Elle esseilla de dénnicher des bonnes gosse carote avec une rasine pointu . Lerbe
était mouiller. En saprochant du caré plenter de carote , elle vit soudin lune d’elle
bougé.
Erreurs concernant le pôle lexical :
- Erreur phonétique :
« gosse » pour « grosse » : oubli d’un phonème
- Erreur de phonogramme :
→ erreurs sur le choix d’un phonogramme/morphogramme lexical
« esseilla » pour « essaya »
« rasine » pour « racine » : erreur par méconnaissance de la loi de position « s »
entre deux voyelles
« erbe » pour « herbe » : oubli ou méconnaissance du « h » étymologique
« plenter » pour « planté »
« soudin » pour « soudain »
→ erreurs sur le doublement de la consonne
« dénnicher » pour « dénicher » : avec en plus ajout de l’accent, en fait, erreur
sur la jonction préfixe/radical
« carote » pour « carotte »
« saprochant » pour « s’approchant »
« caré » pour « carré »
Erreurs concernant le pôle grammatical :
- Erreur de segmentation : (ici il s’agit d’une méconnaissance du statut des
52
mots : différenciation déterminant/nom, pronom réfléchi/verbe, pronom indéfini
de formation complexe comme « l’une ».)
« Lerbe » pour « L’herbe »
« saprocher » pour « s’approcher »
« lune » pour « l’une »
- Erreur de marque nominale ou pronominale :
« de bonnes gosse carote » pour « de bonnes grosses carottes » : marque de
nombre, accord dans le groupe nominal
« rasine pointu » pour « racine pointue » : marque de genre, accord dans le
groupe nominal
« lune d’elle » pour « l’une d’elles » : marque de nombre pour le pronom
- Erreur de marque verbale :
« caré plenter » pour « carré planté » : marque du participe passé
« bougé » pour « bouger » : marque de l’infinitif.
Il est à noter qu’il n’y a aucune erreur de majuscule ou de ponctuation, que les
deux verbes au passé simple et celui à l’imparfait sont correctement orthographiés
(Il faudrait toujours avoir un regard bienveillant sur les acquis des élèves avant de
s’attacher à la remédiation des erreurs).
Les erreurs les plus fréquentes concernent le choix des phonogrammes et
notamment le doublement des consonnes qui reste une grande difficulté de notre
langue.
Une remédiation possible consiste ici à faire observer le mot, en le rapprochant
des mots de la même famille quand c’est possible (planter, plante, plantation). On
envisagera également de programmer une leçon sur la construction des mots
dérivés pour travailler la jonction préfixe/radical (ap/procher, dé/nicher).
On pourra aussi construire des exercices sur la règle de fonctionnement de la
graphie du son [s ] ; en regardant travailler l'élève, on pourra évoquer avec lui les
difficultés pour écrire le son [s] avec ses variantes. Cela permettra également
d’évoquer le « s » morphogramme de pluriel nominal ou adjectival. Un travail
individuel est nécessaire au départ, il pourra être ensuite intégré à une phrase
dictée du jour où l’on veillera à donner la parole à cet élève pour réactiver la règle
dans sa mémoire et lui faire acquérir peu à peu les automatismes dont il manque.
53
parler de « maitrise en littéracie » puisqu’on peut toujours repousser plus loin les
besoins qui sont les nôtres suivant notre place dans la société. Le professeur de
français doit donc faire preuve de souplesse pour évaluer les besoins
littéraciques de ses élèves, au lieu de leur imposer des savoirs ou savoir-faire
tout prêts, construits en-dehors de leur vécu social.
49 Didacticiens qui ont contribué à l’ouvrage de Chabanne J.-C. et Bucheton D. (2002) Parler et écrire pour
penser, apprendre et se construire, l’écrit et l’oral réflexifs, Éducation et formation. Paris : PUF.
54
la construction d’un phrase, ajuster et développer un argument en fonction de ce
qu’on attend de la compréhension de l’autre. Il s’agirait donc de proposer des
situations où les interactions entre maitre et élèves et élèves entre eux, sont
inscrites dans un contexte connu et commun avec des règles acceptées et
devenues routines pour favoriser un climat sécuritaire dans lequel chacun
s’autorise à penser avec l’autre et à co-construire ses connaissances (Vygotski,
1934)50. Ces situations permettraient de « réfléchir » les discours entendus dans le
contexte de la classe, c’est-à-dire ici de les reprendre en les transformant
(François, 1984)51, en les faisant siens et ainsi en se construisant sa propre identité
dans la différence avec l’autre. Les discours disponibles dans la classe, et à partir
desquels on réfléchit et on apprend sont autant ceux normés du maitre, des
auteurs des différentes lectures que les discours des pairs et du sujet lui-même qui
peut être invité à retravailler son propre énoncé. En outre, ces discours, dans la
mesure où ils font écho à l’affectivité ou au système des valeurs des élèves (« oui,
chez moi aussi il faut faire comme ça ! Oui, moi aussi j’ai ressenti cela ! »), auront
d’autant plus de poids dans la construction des connaissances qu’il auront touché
une corde sensible.
Voici deux situations didactiques extraites de l’ouvrage cité ci-dessous 52 dans
lesquelles les écrits et les oraux ont une portée « réflexive » et font apparaitre une
dynamique cognitive :
- La lecture-feuilleton d’un récit littéraire en GS : M.-T. Chemla et M. Dreyfus53
analysent comment les interactions verbales entre pairs jointes l’étayage du maître
permettent de développer des compétences de compréhension / interprétation
d’écrits complexes. Voici comment les chercheuses analysent ces situations :
Les phases d’écoute de la lecture oralisée de l’enseignante (ici sous forme de
lecture feuilleton du roman de Michel Piquemal, Salamani, l’indien solitaire, en
général étudié au cycle 3) mobilisent les opérations mentales individuelles de
saisie, de mémorisation et de hiérarchisation des informations avec les diverses
inférences nécessaires à leur compréhension et interprétation. Les phases
d’interaction orale permettent d’accéder non seulement à la clarification de certains
éléments linguistiques non compris (vocabulaire, tournure syntaxique), à la
caractérisation plus précise des personnages et de leurs actions mais aussi
d’accéder aux univers que les autres se sont construits à l’écoute du même écrit,
de concevoir qu’on peut avoir d’autres émotions, qu’un tel passage peut avoir
d’autres résonnances dans l’esprit de son camarade. Pour exemple, la reprise du
passage de la mort du père du héros permet de montrer comment, même si au
premier abord on peut y voir un empilement anarchique de données, il s’agit en fait
d’une continuité syntaxique qui se développe sur plusieurs tours de parole :
« 46 Rk Et puis il est tombé il a +++54
47 Kl Il a cassé
48 Rk Il s’est fait mal
49 M Et le père de Salamani s’est fait mal
50 Rk Il est mort
50 Vygotski L. (1997), Pensée et langage, trad. F. Sève, Paris , la Dispute ; 1ère éd.,1985, Messidor/Editions
sociales.
51 François F., Hudelot C. et Sabeau- Jouannet E. (1984) Conduites linguistiques chez le jeune enfant, Paris, PUF.
52 Chabanne J-C., Bucheton D. (2002). Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire, l’écrit et l’oral
réflexifs. Paris : PUF.
53 In Chabanne J-C., Bucheton D. (2002). Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire, l’écrit et l’oral
réflexifs. Paris : PUF.
54 Le numéro correspond à celui de la réplique d’un élève dans la séance filmée. Les initiales représentent
élèves, M étant la maîtresse et +++ signifie une pause ou un silence. Les blancs graphiques permettent de
montrer la continuité linguistique du propos dans les différents échanges.
55
51 Bd Il ne pouvait plus bouger
52 M Bd
53 Bd i+++i+++
54 Mr Il s’est assommé
55 M Bd d’abord
56 Mr assommé
57 Bd Il s’est fait très mal + alors il pouvait pas bouger + alors il a brûlé
assommé ».
M.-T. Chemla et M. Dreyfus mettent en évidence comment le prédicat « il » est
repris différemment selon les élèves dans une co-construction du sens du récit et
particulièrement comment Bd, sollicité directement par l’enseignante, s’appuyant
sur le propos qu’elle vient de confirmer (s’est fait mal), sur sa propre proposition (il
ne pouvait plus bouger) et le participe proposé à deux reprises par Mr (assommé)
construit une séquence personnelle, causale et chronologique. Il s’est construit du
sens grâce à l’interaction ».
Exercice :
Chabanne et Bucheton (2002) donnent l'exemple suivant :
Une classe de CM2 de Perpignan a l’habitude de travailler le débat philosophique
de cette façon : à partir d’une lecture ou d’une situation, une question est posée
explicitement (ici : « L’homme est-il un animal ? »). Les élèves sont invités à
55 Il s’agit en fait des écrits transitoires personnels ou collectifs qui permettent soit une aide à la mémorisation
d’une leçon, d’un futur exposé oral, soit un bilan personnel d’un savoir, soit une étape conceptuelle dans
l’élaboration d’un projet plus long.
56
rédiger, chez eux, une réponse d’au moins 5 lignes sur leur cahier d’écrits
quotidiens (possibilité de faire des recherches, d’échanger avec les parents si on le
souhaite). Lors d’un débat réglé par un président de séance, les élèves exposent
leurs idées sur la question et débattent. Pour la semaine suivante, les élèves
doivent rédiger un texte où ils donnent leur nouveau point de vue sur la question.
Nous vous proposons ici les deux écrits de Cindy et un extrait du débat oral 56 ».
Vous repèrerez en quoi le passage par l’interaction avec les pairs, lors du
débat en classe, permet de faire évoluer le point de vue de Cindy. Vous
observerez notamment :
- les traces de son activité cognitive dans ses paroles,
- son évolution entre le premier et le deuxième écrit.
Premier écrit de Cindy :
« Moi, je pense qu’oui car nous descendons du singe. Presque tous les animaux
sont comme nous, ils ont un nez mais on ne dit pas forcément un nez pour un
chien ou un cheval, une bouche, des yeux, et surtout un cœur, ils respirent et
aussi ils marchent, ils font leurs besoins et puis ils ont des enfants tout comme
nous. L’homme est intelligent ».(p.59).
Débat en classe (paroles de Cindy uniquement, le numéro correspondant
à la place de sa réplique dans les échanges avec ses pairs) :
« 27 Cindy : Ben moi je pense que/merci/ que l’homme est un animal car
heu/heu/il a pre/il a presque tout comme nous/en fait/il a une pensée//les
hommes chassent aussi/on a plein de choses comme /en commun /ils sont
intelligents, on est intelligent et ils ont beaucoup d’avantages sur nous comme le
flair/ils ont une très bonne ouïe, oui, voilà (...) (p.60)
81. Cindy : Ce qui différencie l’homme de l’animal/c’est que l’homme/l’homme vit
dans/ vit dans une ville/il a/il a une vie civilisée l’a /l’animal lui/il peut/il
peut/avoir/il peut vivre dans une ville ou il peut vivre dans la nature.
86. Cindy : Mais y parlent aussi les animaux
90. Cindy : Comment tu peux savoir que/la pensée/que notre pensée est plus
dév/développée que la leur ?
107. Cindy : Moi j’ pense que c’est [l’intelligence] apprendre des choses
nouvelles/heu/penser aussi et découvrir des choses
166. Cindy : J’suis d’accord avec Olivier parce qu’on a plusieurs versions/y en a
qui disent que qu’on descend d’un mulot, d’autres qu’on descend d’un singe et
puis voilà
188. Cindy : Ceux qui disent que l’homme n’est pas un animal/les animaux ne
s’habillent pas heu/ils ne/ils ne parlent pas ». (p.61)
56 d’après les pages 59 à 67 de l’ouvrage de Chabanne J-C., Bucheton D. (2002). Parler et écrire pour penser,
apprendre et se construire, l’écrit et l’oral réflexifs. Paris : PUF.
57
Aussi on dit que l’homme est un loup pour l’homme, c’est à dire qu’il est comme
un animal capable de tuer les autres sans faire attention à leur conscience […]
Et non car l’homme crée, invente des machines. Nous, nous en avons besoin alors
qu’eux se débrouillent tout seuls. L’animal ne peut pas trop penser. Ils n’ont pas la
pensée aussi développée que nous. L’homme n’est pas un animal parce que
l’homme est instruit. Il a un langage articulé ». (p.59)
58
avec explication précise: « l’homme est un loup pour l’homme, c’est-à-dire
qu’il… » et emploi d’un vocabulaire spécialisé « sans faire attention à leur
conscience », « langage articulé ».
Le dispositif choisi par l’enseignant semble véritablement avoir permis la
circulation et l’intégration de représentations cognitives et culturelles (même si
l’idée que l’homme descende d’un mulot ou d’un singe est à revoir par la suite !)
par des formes langagières communes mais aussi par certaines expressions que
les élèves n’avaient pas eu l’occasion d’utiliser auparavant (vocabulaire
scientifique, philosophique). On peut alors parler d’acculturation puisqu’il y a eu
actualisation individualisée de ces formes dans le deuxième écrit. Les
compétences métalangagières et métacognitives développées dans ce dispositif
relèvent bien d’un aspect de la réflexivité, avec prise de conscience de ses propres
apprentissages .
59
qu'on est passé de questionnements du type : « qu'a voulu dire l'auteur ? » à des
questions du type: « pouvez-vous résumer l'intrigue en dégageant la structure du
récit, les relations entre les personnages ?» et enfin avec la centration sur le
lecteur à des questions du type : « quelles réactions avez-vous en lisant ce
passage ? ».
Aujourd'hui, la plupart des didacticiens la lecture littéraire à partir notamment
des travaux de Michel Picard (1986). Employer le terme de « lecture littéraire »
signifie que toute lecture de texte littéraire n'est pas littéraire par nature. Le texte
n'existe qu'à travers la lecture, il échappe toujours à son auteur et a besoin du
lecteur pour être actualisé dans une lecture singulière. Nous avons vu dans le
chapitre 2.3.7 que face à la lecture d'un texte, certains élèves de cycle 3 mobilisent
différentes postures de lecture et que si les lectures fusionnelles et distanciées
participent, toutes deux, à la lecture littéraire, les enseignants doivent chercher à
faire accéder tous les élèves à une lecture symbolique et critique.
Prenons le temps d'illustrer ici ce discours sur les postures par des propos d'élèves.
Pour exemple, une recherche (Crocé-Spinelli, 2007) dont le recueil consiste dans
l'enregistrement et la transcription d'un extrait de débat littéraire 58 conduit par une
enseignante avec 8 élèves de cycle 3 âgés de 10 ans. Ceux-ci durant l'échange
réagissent, à l'oral, à un passage d'un roman de littérature de jeunesse, « L'enfant
Océan » de Jean-Claude Mourlevat. Ce recueil met en valeur la manifestation, en
fin de séance, d’une lecture distanciée avec la caractérisation du genre littéraire du
texte à partir d'une interprétation d'un premier élève portant sur le fonctionnement
du texte, son genre « / moi j’ai trouvé un truc /(...) il y a une histoire qui se
rapproche plutôt de la réalité et une autre qui s’éloigne de la réalité ! / ». Un autre
élève complète cette interprétation avec l'utilisation d'une métaphore : « / on a
d’un côté de la feuille / on a l’histoire qui se passe dans la réalité / avec Yann
comme dit Romain y a du magique / et de l’autre côté de la feuille et ben il y a la
vraie vie avec tous ces mots vulgaires et tous ces sentiments et quand on replie
ces deux feuilles / elles se correspondent / ». L'analyse de ces propos au regard du
texte montre la pertinence de cette interprétation. Le texte se situe en effet
« entre conte et récit réaliste ». Cette recherche montre, par ailleurs, le processus
qui a conduit ces lecteurs à cette interprétation : cette dernière n'est pas le fait
d'élèves isolés, elle est le fruit d'une activité plurielle et collective de tout le groupe
où des lectures faites de réactions subjectives immédiates « / j’ai pas trop aimé la
fin / », de réactions évaluatives »/ pour moi l’histoire elle est pas terminée / »
permettent aux élèves d'engager, dans l'interaction, un processus de distanciation
en utilisant leurs savoirs sur les dénouements des récits « / autant une fin qui
fasse réellement un déclic pour euh / pour vraiment qu’on finisse l’histoire / », en
faisant appel à leurs expériences de lecture « / comme par exemple « Sacrée
sorcière » / ». Ce processus de distanciation à partir d'une activité de lecture
plurielle permet aux élèves d'aboutir à l’appréciation du caractère magique de cette
fin « / là c’est plus magique / » et de son inscription dans le monde des contes
merveilleux « / là / on dirait quelqu’un qui sort d’un conte merveilleux / » pour
produire l'interprétation du genre évoquée au début de cette exemple.
Cet exemple illustre la conception de la lecture littéraire comme « va et vient
dialectique entre participation psycho-affective et distanciation critique »
(Dufays, 2006) où des réactions subjectives immédiates participent, dans
l'échange, à la maturation du processus interprétatif. Il permet également
d'illustrer la place nouvelle que l'interprétation occupe à l'école primaire qui
58 Un débat littéraire désigne une situation d'échange autour d'un texte littéraire.
60
s'oppose à la conception traditionnelle de la compréhension et de l'interprétation
comme des activités séparées, avec le travail de la compréhension réservé à
l'enseignement primaire, celui d'une interprétation savante, aux classes du
secondaire.
Notre exemple permet par ailleurs d'évoquer le débat littéraire comme dispositif
didactique d'enseignement de la lecture littéraire qui s'oppose aux dispositifs
traditionnels de lecture de textes littéraires qui privilégiaient l'explication du
vocabulaire et les questionnaires de compréhension. Pour ceux qui souhaiteraient
creuser la question des dispositifs didactiques favorables à la lecture littéraire, ils
pourront notamment se référer aux travaux de Tauveron (2002) et de son équipe
dans « Lire la littérature à l'école » ainsi qu'à l'ouvrage de Giasson (2000), « Les
textes littéraires à l'école ». Ils y trouveront des dispositifs de questionnements des
textes qui proposent l'articulation de l'oral, de la lecture et de l'écriture.
Nous vous proposons ci-dessous une activité en trois étapes qui vous permettra de
différencier différentes pratiques de lecture dans la classe : vous essaierez de
voir laquelle vous parait la plus riche pour les élèves.
Activité :
1- Dans une classe de cycle 3, l'enseignant demande aux élèves de lire le
texte suivant :
(Cette situation est extraite de l'article de Cèbe, S. & Goigoux, R. & Thomazet, S.
(2004))59.
« Ce matin, nous avons accueilli dans la classe, pour la première fois, un
camarade italien. François l’a fait asseoir à côté de lui et lui a demandé son nom.
Avec une petite courbette qui nous a tous fait rire, le nouveau a dit, souriant à
toute la classe : « Angelo ». Il connaît mal notre langue car il n’est en France que
depuis une semaine. Il comprend les explications du maître et peut parfois faire
les problèmes, mais il est incapable de suivre la dictée. Il semble avoir très bon
caractère et rit avec nous de bon coeur des fautes qu’il fait en parlant. Il chante
très bien et nous a promis de nous apporter demain les photos de son pays dont il
a décoré sa chambre ».
Les élèves sont ensuite invités à répondre à des questions sur le texte. Vous
trouverez ci-dessous les questions et les réponses fournies par un des élèves :
« 1. Comment s’appelle le nouveau camarade ?
Il s’appelle François
2. Depuis quand suit-il cette classe ?
Depuis une semaine
3. Quel est l’exercice le plus difficile pour lui en classe ?
C’est les problèmes
4. En quoi est-il très bon ?
Il est très bon en caractère (ou coeur). »
59 Cèbe, S., Goigoux, R. et Thomazet, S. (2004) Enseigner la compréhension. Principes didactiques, exemples de
tâches et d’activités. In « Lire écrire, un plaisir retrouvé », dossier du groupe national de réflexion sur
l'enseignement du français en dispositif relais, préface de Catherine Bizot, inspectrice
générale de l'Éducation nationale de lettres. Paris : DESCO (MEN) En ligne sur
http://www.bienlire.education.fr/04-media/a-classerelais.asp
61
2.1- Quelles différences voyez-vous entre ces questionnements ?
2.2 -En quoi induisent-elles des activités différentes de l'élève face au
texte ?
1er questionnement extrait de Giasson, J. (2000). Enseigner les textes
littéraires à l'école. Québec : Gaëtan Morin.
(le texte sur lequel portent les questions suivantes n'est pas précisé)
« Qu'as-tu remarqué dans l'histoire ? », « Quelles émotions as-tu ressenties ? »,
« Cette histoire te fait-elle penser à ta propre vie ? Pourquoi ? », « Te fait-elle
penser à d'autres livres que tu as lus ? ».60
2ème questionnement :
(Le texte sur lequel portent les questions suivantes n'est pas précisé.)
De quoi parle le texte ? Selon toi qu’est-ce que le texte veut dire ? Qu’est ce qu’il
raconte, explique... ? Pourrais-tu trouver une phrase pour dire le type de conflit
dans lequel est engagé le personnage ? Comment ce conflit a-t-il été réglé ?
Comment l'histoire se termine-t-elle ?
3 -Comparez les trois façons de travailler un texte littéraire dans les deux
étapes précédentes. Comment les définiriez-vous ? En quoi suscitent-
elles des activités différentes chez l'élève ?
60 Extrait de Giasson, J. (2000). Enseigner les textes littéraires à l'école. Québec : Gaëtan Morin.
62
CHAPITRE 4. DIDACTIQUE DES FRANÇAIS :
DES SITUATIONS ET DES PUBLICS SPÉCIFIQUES
Ce chapitre a pour objectif de vous faire découvrir que tous nos élèves ne sont pas
de « charmantes têtes blondes », nés en France et tranquillement à l’école depuis
la maternelle … Ils peuvent venir d’ailleurs, être adultes, entendre le français pour
la première fois en entrant dans la classe, etc. Nous ne prétendons pas couvrir
toute les diversité des situations possibles, mais plutôt vous sensibiliser au fait que,
dans chaque situation différente, il faudra trouver une façon de les saluer, de les
intéresser, de les faire travailler ensemble. Autant de publics différents, autant de
traitements didactiques différents. L’enseignement est le lieu de la créativité et de
l’inventivité …, on ne vous l’avait pas encore dit ?
72 Brougère, G.& Ulmann, A-L. dir. (2009). Apprendre de la vie quotidienne. Paris : P.U.F.
langage, il n'en demeure pas moins qu'elle sélectionne ces usages, qu'elle les
hiérarchise. Ainsi certaines pratiques langagières extrascolaires ne sont pas ou peu
légitimées, se trouvant plus ou moins éloignées du langage scolaire, comme par
exemple, le slam, le rap, le tchat, les sms, certains plurilinguismes. Il n'est pas
rare que des enseignants ignorent les pratiques langagières extrascolaires de leurs
élèves, leurs compétences interculturelles alors que, par exemple, ces derniers
sont auteurs de blogs sur internet ou qu'ils tiennent des journaux intimes voire
écrivent pour un groupe musical de leur entourage. Il arrive en effet que les
pratiques d'écriture extrascolaires des élèves soient d'une grande richesse et
intensité, sans que pour autant ceux-ci les réinvestissent à l'école. Souvent, ils les
taisent. La perspective (socio)didactique cherche à établir des ponts entre les
pratiques langagières dans et hors l’école, comme moyens de circulation, en
réinterrogeant les rapports entre « la classe » et son environnement, en
comprenant les processus d’appropriation dans, mais aussi hors de la classe.
Exercice 1 :
1- Identifiez et analysez les différences entre le schéma de la
communication produit par Jakobson présenté dans la partie 2.2. Langue
et communication et celui de Charmeux (1989 : 94)73 présenté ci-dessous.
Quels sont les apports de ce second schéma de la communication produit
par E. Charmeux par rapport à celui de Jakobson ?
2- À quel schéma vous réfèreriez-vous pour décrire des situations
d'enseignement/apprentissage de la lecture ? de l'écriture ? de l'oral ?
Justifiez votre réponse.
73 Charmeux, E. (1989). Le « bon » français ... et les autres. Norme et variations du français d'aujourd'hui.
Paris :Milan Education. p. 94.
74 Charmeux, E. (1989). Le « bon » français ... et les autres. Norme et variations du français d'aujourd'hui. Paris
Milan Education. p. 94.
signification, c'est-à-dire la rapport entre le sens linguistique de l'énoncé et les
données situationnelles (qui parle ? pourquoi dit-il cela ? pourquoi le dit-il comme
cela?)Recevoir un message, ou lire un texte, implique donc plusieurs opérations.
Exercice 2 :
Quels sont les rôles des interactions verbales dans cet extrait proposé par
J ; Boussion, M. Schöttke et C. Tauveron (2000 : 126-127) ?
À l'issue d'une visite au parc de Gévaudan, dans le Massif Central, une classe de
CP a pour projet de rédiger, pour le journal de l'école, un texte documentaire sur
les loups.
« Au moment d'écrire les rubriques « Disparition du loup » et « Le loup
aujourd'hui », l'enseignant lance la discussion» suivante :
ENSEIGNANT - Alors, d'après ce que vous savez pourquoi les loups ont-ils
disparu ?
ÉLÈVE - Ils sont tous morts. Ils n'avaient plus assez à manger. On les a tués ...
ÉLÈVE - Oui mais on nous a dit qu'on en remettait en liberté .
ÉLÈVE - Non pas n'importe comment.
ÉLÈVE - Et puis il y a longtemps qu'on les a tués ...
ENSEIGNANT - Vous avez tous raison. On avait très peur des loups. On les a
chassés et tués. Ils ont disparu à cause de l'homme. Vous avez tous lu le texte
« La disparition du loup ». Qu'en avez-vous retenu ? Ce que vous venez de dire,
mais encore ? »
ÉLÈVE - Ils ne mangeaient pas souvent les gens.
ÉLÈVE - Oui mais il ne fallait pas qu'ils les mangent du tout.
ÉLÈVE - Maintenant on saurait se défendre .
ÉLÈVE - Et après il y a plein de renards qui dérangent les poules et les lapins. Et
aussi les souris. Et puis on a lu qu'il y avait trop de souris et de rats. On pense à
l'histoire du joueur de flûte et des rats partout.
Enseignant - Vous avez peur qu'on remette les loups en liberté ?
ÉLÈVE - On aurait tous peur.
ÉLÈVE - Oui mais le loup des Vosges n'a mangé que des moutons. C'était en été
et il était tout seul.
ÉLÈVE - Moi j'aurais peur des meutes...
ENSEIGNANT - À condition d'être raisonnables, attentifs à l'équilibre de la nature,
en prenant toutes les précautions, les spécialistes pensent qu'on peut remettre
quelques loups. Mais beaucoup de gens sont contre cette idée ».
(...)
En guise de correction, donnons la parole aux chercheurs :
« Le projet central de l'enseignante est bien de former des enfants lecteurs et
producteurs de texte. Pour autant, ou plus exactement pour cette raison même, il
s'attache tout particulièrement à favoriser les interactions verbales parce qu'il sait
qu'elles sont une aide à la construction de la pensée. Il ne s'agit pas pour lui de
« faire parler » les élèves dans un jeu de questions/réponses, mais de les aider à
verbaliser et à échanger leur savoir et ce faisant à le synthétiser, le recomposer et
, sans paradoxe, le construire. » Boussion, J.& Schöttke, M., & Tauveron, C.
(2000)75.
5.3. Didactique et pratiques sociales
Les genres sociaux écrits ou oraux (autre façon de créer des progressions)
Ce qui suit est issu de deux moments de ce cours. Le chapitre 2 vous a initiés à la
notion de « pratiques sociales de référence » : vous pouvez y retourner si vous
voulez vous rafraichir la mémoire. Le chapitre 3 sur l’oral a abordé la question des
« genres sociaux », dont on vous a dit que c’est la « méthode genevoise ». Nous
allons revenir sur ce point.
Une tendance de la didactique des langues, soucieuse de lier ce qui se fait à l’école
à ce qui se vit hors de l’école, a pour principe de s’appuyer sur des observations
qu’on peut faire dans la vie courante pour en déduire des activités et exercices à
développer dans la classe. L’idée est que tous les élèves partagent, hors de la
classe, des vécus communs : ils passent dans les mêmes rues, de leur ville ou de
leur village, devant les mêmes affiches, voient des journaux dans les vitrines,
entendent la radio et la télévision, côtoient des commerçants au marché ou dans
les magasins, etc. Toutes ces expériences les mettent en contact avec diverses
façons d’utiliser la langue ou les langues : on entend des marchandages sur un
produit à acheter, des débats sur la place du village, les ordres d’un gardien de
parc ou de musée, les informations d’un journaliste ; on voit des publicités sur les
murs, les magazines ou entre deux émissions de télé, on reçoit des faire-part de
mariage ou de naissance, on écrit des cartes postales ou des textos, le docteur
nous donne une ordonnance pour le pharmacien, on doit remplir un chèque ou un
formulaire d’inscription etc. On peut dire ainsi que la vie sociale est rythmée par
tous ces usages linguistiques, qui nous offrent à voir ou entendre sans arrêt des
« textes » écrits ou oraux. Certains didacticiens se sont dit qu’on pourrait mettre à
profit cet énorme réservoir d’expériences pour que celles-ci servent de « modèles »
à utiliser dans la classe.
On voit les divers avantages de cette idée : non seulement, celle-ci crée une
certaine égalité entre les élèves, puisqu’elle fait référence à des expériences
communément partagées, et non aux privilèges dus au niveau dit « culturel » de
certaines classes sociales ; par ailleurs, le fait de se référer à ces pratiques sociales
dans la classe évite à l’enseignant de justifier ses propositions de travail, car elles
trouvent leur sens dans cette expérience même. Ainsi, inutile d’expliquer à quoi
sert une publicité, un prospectus ou un annuaire : leur utilisation quotidienne leur
donne sens et on postule qu’un enfant ou un adulte travaillera plus volontiers sur
des produits dont il connaît la fonction sociale que sur des produits qui lui
paraissent gratuits et sans intérêt (une rédaction, un résumé, etc.). Un autre
avantage est la gamme infinie de ces produits sociaux, qui évoluent avec le temps
et les inventions de la modernité, varient suivant les lieux et les époques, l’âge des
acteurs sociaux, et proposent donc des difficultés très variables sur le plan
linguistique. On peut dire par exemple que, dans le domaine de la correspondance,
un faire-part sera plus facile à lire qu’une carte postale, qui sera elle-même plus
facile à écrire qu’une lettre. Et dans les lettres, on différenciera les lettres
personnelles, les lettres administratives, etc.
On appelle donc « genre social », tout « produit linguistique » issu de
l’usage social, à entendre ou lire par les usagers sociaux. Contrairement à
des produits didactiques uniquement scolaires, les genres sociaux existent toujours
75 Boussion, J.& Schöttke, M., & Tauveron, C. (2000). Lecture, écriture et culture au CP. Paris : Hachette. (p.126-
127).
en production et en réception, quasi en même temps : ainsi un conte est raconté
par un-e conteur / se et écouté par des auditeurs ; une information est donnée par
le journaliste de la radio en même temps qu’elle est diffusée aux auditeurs ; une
publicité est rédigée par un publiciste pour être distribuée dans des boites aux
lettres ou donnée à des passants dans la rue, etc. Ces genres sociaux, écrits ou
oraux, qu’on peut décrire sur le plan linguistique, discursif, lexical, syntaxique, etc.
ne se limitent pas à leur dimension linguistique : puisqu’ils sont basés sur un
objectif de communication, ils devront intégrer aussi des éléments iconiques,
spatiaux, etc. pour de l’écrit, intonatifs, déclamatifs pour de l’oral, etc. La langue
n’y est donc pas coupée des autres moyens d’expression, qui la complètent et
grâce auxquels elle prend une allure riche et complexe. Travaillant les genres
sociaux, l’élève apprend aussi à être un acteur social.
De côté de l’enseignant, le travail par les genres sociaux permet de prendre appui
sur des modèles existants (de « vraies » informations radios, de « vrais » débats
télévisés, de « vrais » règlements de train ou de bus, etc.) qu’il s’agira d’observer
avant d’en reproduire les traits linguistiques les plus saillants. L’enseignant peut
aussi créer des progressions en demandant de reproduire un seul trait linguistique
(l’infinitif, par exemple, pour les verbes d’une recette) d’un genre social, puis en
complexifiant la tâche : inclure des quantités, ajouter une liste d’ingrédients,
décrire le plat final obtenu, etc. Cette méthode facilite les co- et auto-évaluations
puisque l’apprenant, ayant un modèle sous les yeux, peut facilement, s’il est guidé
dans le choix des critères, comparer ce qu’il a produit avec le « modèle social »
proposé en début de séquence. Il peut aussi, par la suite, lui ajouter une phase de
« remédiation » pour s’approcher davantage de ce modèle. Enfin, l’infinité des
genres sociaux offre à l’enseignant une palette inépuisable de « modèles » qui
évite la monotonie et lui permet de s’adapter à des publics nouveaux en
empruntant ces modèles à leur quotidien.
Voilà pourquoi nos collègues suisses ont fait le choix de ce type de travail, tandis
que nombre des enseignants français s’appuient depuis longtemps dans leurs
classes sur des « genres sociaux » sans parfois en savoir le nom !
Auteures du cours :
Anière Karine. IUFM de Rouen.
Crocé-Spinelli Hélène. ISPEF, Université de Lyon2.
Rispail Marielle. Université de Saint Étienne, Jean Monnet.
ÉLÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES
Les incontournables
Adam, J-M. (2008 ; 1ère éd. 1997). Les textes : types et prototypes – Récit,
description, argumentation, explication et dialogue. Paris : Armand Colin.
Bautier, E. (1995). Pratiques langagières, pratiques sociales. De la sociolinguistique
à la sociologie du langage. Paris : L'Harmattan.
Bourdieu P. & Passeron J-C, (1970). La Reproduction. Éléments pour une théorie
du système d'enseignement. Paris : Éd. Minuit.
Bruner, J. (1987). Comment les enfants apprennent à parler. Paris : Retz.
Brousseau (1998). Théories des situations didactiques. Grenoble : La pensée
sauvage.
Catach, N.(1978). L’orthographe. coll. « Que sais-je ? » n° 685. Paris : PUF.
Peytard J., Genouvrier E. (1970). Linguistique et enseignement du français . Paris :
Larousse.
Goffman, E. (1974). Les rites d'interaction. Paris : Minuit.
Halté, J-F.(1992). La didactique du français. coll. « que sais-je ? ». Paris : PUF.
Lahire, B. (2000). Culture écrite et inégalités scolaires : Sociologie de l'échec
scolaire à l'école primaire. Lyon : PUL.
Reuter, Y. (Ed.). (1994). Les interactions lecture-écriture. Berne : Peter Lang.
Vygotski, L.-V. (1985). Pensée et langage. Paris : Ed. sociales
Manuel :
Manuel CM2, Mot de Passe, 2011, Paris : Hachette Education.
Entrainement
à
l’évaluation
:
Cours et documents permis
Durée : 2h. Il est conseillé de répondre en style télégraphique aux questions 1, 2 , 3 et de rédiger
une réponse argumentée pour la question 4.
Dossier :
S’exprimer en français, Séquences didactiques pour l’oral et l’écrit
Sous la direction de : Joaquim Dolz, Michèle Noverraz et Bernard Schneuwly
Volume IV, 7è, 8è, 9è, Ed. De Boeck / COROME. Bruxelles, 2001.
Séquence 1 : La parodie de conte, Danièle Marmillon
⁃ page de couverture (1 page)
⁃ tableau de départ des 6 modules (2 pages)
⁃ fiche 12 : le conte tahitien en puzzle (2 pages)
⁃ fiche 13 : le texte sans alinéas (1 page)
⁃ fiche 15 : les temps de verbes (1 page)
⁃ fiche 18 : les critères d’évaluation (grille) (1 page)
⁃ Annexe 7 : aide-mémoire (1 page)
Consignes :
1) A partir du tableau de déroulement de la séquence : 3 pts
⁃ à des enfants de quel âge peut s’adresser cette séquence ?
⁃ d’après vous, combien de temps peut-elle durer ?
⁃ quelle place y ont la construction de la langue et les savoirs grammaticaux ?
⁃ pouvez-vous repérer les éléments macros et les éléments micros de la séquence ?
⁃ pouvez-vous citer 2 ou 3 compétences visées ?
1) le puzzle sur le conte tahitien : fiches 12 et 13 : 3 pts
⁃ d’après vous, quels sont les savoirs visés ?
⁃ pouvez-vous indiquer quelques difficultés que pourraient rencontrer les élèves à réaliser ces
activités, en les classant ?
1) la grille d’évaluation : 3 pts
⁃ imaginez comment on peut construire ou faire construire cette grille, dans la classe ;
⁃ qui peut l’utiliser et comment ?
⁃ de quel type d’évaluation s’agit-il ?
4) Question longue : 5 pts + 6 pts
- A l’origine, un conte est une production langagière orale : imaginez comment on pourrait
enrichir cette séquence d’une partie orale. Quelles compétences peut-on viser ? Quelle
activité imaginer ? Quelles consignes donner ? Quelle évaluation ?
- Quelles parties du cours vous semblent mises en valeur dans ces documents et cette
séquence ? Organisez librement votre réponse par un § argumenté et exemplifié.