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1.
2.
On nous dira que tout cela est un simple problème d'étiquetage. Après tout
il importe peu qu'on range tel ou tel récit dans le fantastique, il suffit qu'on
s'entende sur les mots. Todorov lui-même, en dépit de son scientisme
exigeant, ne craint pas d'user de faux-fuyants : « Mais, d'abord, rien ne
nous empêche de de considérer le fantastique précisément comme un
genre toujours évanescent. » (p. 47) Cependant Todorov prétend adopter
une démarche hypothético-déductive, et force est de le suivre sur son
terrain. Todorov, par modestie ou par prudence, précise en préface à son
ouvrage qu'il n'est point besoin d'avoir tout lu, et que la démarche
scientifique s'appuie sur un petit nombre d'occurrences, en tire une
hypothèse générale, puis la vérifie ou l'infirme en examinant d'autres cas.
En adoptant cette démarche, on doit conclure que la définition proposée
par Todorov (la permanence de l'hésitation entre une explication naturelle
et une explication surnaturelle) ne vaut strictement rien.
Il ne s'agit naturellement pas ici de pinailler sur des listes d'auteurs. Mais il
est évident que si Todorov était plus au fait de la littérature fantastique il
aurait d'autres positions sur les rapports entre fantastique, surnaturel,
allégorie et poésie.
3.
Si l'on aborde à présent les questions théoriques, on constate que c'est la
méthode structuraliste elle-même qui est déficiente. Todorov généralise la
définition du conte fantastique victorien parce qu'en bon structuraliste il
est partisan du différentialisme. On ne peut définir une catégorie que par
opposition aux catégories limitrophes (de même qu'en phonétique on ne
peut identifier un phonème que de façon différentielle). Le fantastique est
donc sur le filet qui sépare deux cases d'un tableau, contenant l'une ce que
Todorov appelle l'étrange (ou fantastique expliqué ou apparence
surnaturelle), l'autre ce qu'il appelle le merveilleux (qui est donc pour
Todorov la même chose que le surnaturel).
4.
Notons pour finir que ce parti pris de trouver des règles cachées n'est pas
sans poser des problèmes. Prenons l'exemple des limites du récit
fantastique avec le roman scientifique. On a souvent caractérisé le récit
d'imagination scientifique par une vision cohérente de l'univers (par
opposition à l'ambiguïté ou à la contradiction logique qui caractérisent le
récit fantastique). Une autre position consiste à parler de fantastique
lorsque les prémices du récit sont clairement absurdes. C'est la position de
Pierre-Georges Castex : « ... et le conte d'extrapolation scientifique ne
concerne notre propos que lorsqu'il repose sur un postulat manifestement
absurde et inacceptable. » (Le Conte fantastique en France de Nodier à
Maupassant, p. 109). Mais Todorov trouve, quant à lui, des rapports entre
la science-fiction et le récit de Kafka La Métamorphose, et il nous explique,
sur la base de deux nouvelles de Robert Sheckley, qu'en science-fiction les «
données initiales sont surnaturelles » (sic ; l'auteur parle, plus haut, au sujet
du roman scientifique, de « prémisses irrationnelles » !) - et de citer : « les
robots, les êtres extraterrestres, le cadre interplanétaire » - mais que le
mouvement du récit nous fait voir combien ces éléments font partie, au
contraire, de notre vie. Il note que le fantastique (hors Kafka) procède à
l'inverse, en nous persuadant d'abord de la banalité du réel pour ébranler
ensuite notre confortable certitude.
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