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L’Harmattan
À ma chère femme Asmaa et mon fils Safouane
© L’Harmattan, 2015
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.harmattan.fr
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
Couverture
4e de couverture
Titre
Dédicace
Copyright
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS
Citation
PREFACE
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 – QU’EST-CE QUE LE LEADERSHIP POLITIQUE ?
I. REPÈRES HISTORIQUES
II. LA NATURE DU PROBLÈME
1. Questions fondamentales
III. TRAME CONCEPTUELLE
IV. TYPES DE LEADERSHIP
V. L’ENQUÊTE
VI. OBJETS DE L’ÉTUDE
CHAPITRE 2 – PROFILS SOCIOLOGIQUES, CULTURELS ET
POLITIQUES DES ÉLUS LOCAUX
I. CARACTÉRISTIQUES PERSONNELLES : ORIGINE,
GENRE, ÂGE ET NIVEAU D’INSTRUCTION
1. Origine et appartenance sociales
2. Genre : Masculinité/féminité
3. Age et catégories d’âge
4. Niveau d’instruction : formation et diplôme
II. CARACTÉRISTIQUES SOCIOLOGIQUES : MOBILITÉ,
STATUT PROFESSIONNEL, DISPONIBILITÉ ET REVENUS
1. Mobilité sociale et intergénérationnelle
2. Statuts socioprofessionnels
3. Disponibilité et « profession politique »
4. Revenus et argent
III. CARACTÉRISTIQUES CULTURELLES : NIVEAU «
INTELLECTUEL » ET STATUT MATRIMONIAL
1. Niveau « intellectuel » : maîtrise des langues
2. Statut matrimonial et « lien social »
IV. PROFILS POLITIQUES : ACTIVISME, LÉGITIMITÉ ET
POPULARITÉ
1. Affiliation partisane et parcours politique
2. Appartenance syndicale
3. PAdhésion associative
4. Légitimité et popularité
a) Mandats électifs et filière locale
b) Ancrage local et popularité
CHAPITRE 3 – Environnement du leadership local
I. SYSTÈME POLITIQUE LOCAL : UN PROCESSUS DE
DÉMOCRATISATION « CONTRÔLÉ »
1. Gouvernement local : une réforme par le haut (top - down)
2. Contraintes institutionnelles
II. PARTIS POLITIQUES ET REPRÉSENTATIVITÉ LOCALE
1. Représentativité partisane
2. Logiques de coalition : majorité, opposition et SAP
III. BUREAUCRATIE ET FONCTIONNAIRES
IV. LEADERSHIP “LOCAL” ET LEADERSHIP “NATIONAL”
V. NOTABLES, ENTREPRENEURS ÉCONOMIQUES,
SYNDICATS ET SOCIÉTÉ CIVILE
1. Réseaux d’économie locale
2. Syndicats et action locale
3. Associations locales et ONG
VI. MOYENS D’INFORMATION ET COMMUNICATION
POLITIQUE
CHAPITRE 4 – STRUCTURES, FONCTIONS ET RÔLES DE
LEADERSHIP
I. EXPÉRIENCE POLITIQUE, AUTORITÉ ET HEADERSHIP’
II. INSTITUTIONNALISATION DU LEADERSHIP LOCAL :
LE CAS DU CONSEIL DE LA VILLE DE CASABLANCA
III. FONCTIONS, RÔLES ET RESSOURCES
INSTITUTIONNELLES
1. Rôles formels de ‘Headership’
2. Positions et ressources institutionnelles de leadership
IV. MODALITÉS D’ACCÈS AUX RÔLES DE LEADERSHIP
CHAPITRE 5 – STRATÉGIES, BUTS ET COMPORTEMENTS DE
LEADERSHIP
I. STRATÉGIES DE LEADERSHIP : PRIORITÉS ET AGENDA
LOCAL
II. BUTS ET TÂCHES DE LEADERSHIP
III. LEADERSHIP FONCTIONNEL : LE CAS DU PRÉSIDENT
DU CONSEIL DE LA VILLE
1. Communauté et leadership « entrepreneurial »
2. Marketing politique et relations publiques
3. Cohésion politique et rôle des fonctionnaires
IV. COMPORTEMENTS DE LEADERSHIP
1. Action locale et communauté
2. Mobilisation collective et influence
a) Débats et communication
b) Action collective locale
3. Engagement et prise d’initiatives
CHAPITRE 6 – FOLLOWERSHIP, INFLUENCES ET PROCESSUS
DÉCISIONNEL
I. CHOIX POLITIQUES ET LÉGITIMATION
1. La loi de « la majorité »
2. Alliances et influences
3. Leadership « collectif » : la place de l’individu
4. Persuasion et quête de leadership
5. Confiance et relations interpersonnelles
6. Solidarité et communauté
7. Compétences, valeurs morales et éthique « utilitariste »
8. Compétition et adversité
II. LEADERSHIP ET PROCESSUS DÉCISIONNEL LOCAL :
ÉTUDES DE CAS
1. Élection du président du conseil de la ville de Casablanca
: « un jeu à plusieurs acteurs »
a) Tractations postélectorales
b) Origines
c) Idéologies et conflits d’intérêts
d) « Islamistes »
e) « Outsiders »
f) Soubresauts politiques
g) Dénouements
h) Protestations
2. Transport urbain : espace public et espace privé
a) Initiation
b) Élaboration
c) Le vote
d) Dénouement
e) Conflits
f) Tensions
3. Festival de Casablanca : « sacré et profane »
a) Origines
b) Protestations
c) Le vote
d) Dénouements
e) Des « managers » aux commandes
f) Compétition idéologique
III. FOLLOWERS ET FOLLOWERSHIP
1. Besoins et motifs des followers
2. Stratégies et modalités de followership : les « sous-leaders
»
3. Crises de followership
a) Difficultés de persuasion et vulnérabilité des leaders
b) Structures et contextes de followership
CHAPITRE 7 – CONFLITS, COHÉSION ET LEADERSHIP
I. DISCOURS ET COMPÉTITION POLITIQUES
II. SITUATIONS DE CONFLITS
III. COHÉSION ET LEADERSHIP
IV. JEUX ET ENJEUX POLITIQUES : MAJORITÉ VERSUS
OPPOSITION
V. LEADERSHIP POLITIQUE LOCAL : UN PROCESSUS
CONFLICTUEL
1. Médiation et évitement
2. Élus et fonctionnaires : compétition et coopération
CHAPITRE 8 – RESSOURCES ET MODES D’INFLUENCE
I. RESSOURCES DE LEADERSHIP ET INFLUENCE «
POTENTIELLE »
2. Revenus : Argent et fortune
3. Légalité, popularité et contrôle des emplois et des postes
électifs
4. Contrôle des sources d’information
5. Réseaux de relations
6. Disponibilité et « emploi du temps »
II. RÉPARTITION DES RESSOURCES ET MODES
D’INFLUENCE « RÉELLE »
III. VARIATIONS DE L’USAGE DES RESSOURCES DE
LEADERSHIP DANS LA VILLE DE CASABLANCA
CHAPITRE 9 – TYPES DE LEADERSHIP ET STYLES
D’INFLUENCE
I. LEADERSHIP POLITIQUE LOCAL : ESQUISSE D’UNE
TYPOLOGIE
1. Typologie webernienne : tradition, charisme et raison
2. Leadership « démocratique »
3. Leaderships « totalitaire » et « autoritaire »
4. Leaderships « transactionnel » et « transformationnel »
5. Leadership « entrepreunariel »
6. Leadership « informel »
CHAPITRE 10 – CULTURES, IDÉOLOGIES ET LEADERSHIP
I. REPRÉSENTATIONS POLITIQUES ET LEADERSHIP «
CULTUREL »
II. IDÉOLOGIES ET INFLUENCE
1. Croyances religieuses et culture politique locale
2. Langue « commune » et styles de leadership
a) Culture populaire et autochtonie
b) Marocanité, nation et patriotisme
c) « Identité islamiste » et modernité
4. Vers un leadership politico-religieux ?
5. Monarchie et « leadership islamiste »
CHAPITRE 11 – LEADERSHIP POLITIQUE AU MAROC :
CONCLUSIONS, UNE EXPLICATION ET ESQUISSE
D’INTERPRÉTATION
I. CONCLUSIONS PRINCIPALES
1. Technocratisation des notabilités locales et
renouvellement relatif des élites politiques traditionnelles
2. Persistance de la « structure du pouvoir » et démission des
acteurs politiques au sein du gouvernement local
3. Prééminence des positions d’autorité et émergence d’un
leadership « institutionnel » local
4. Effacement des stratégies de leadership et absence d’un «
agenda local »
5. Décrépitude de l’action locale et désengagement des élus
à défendre les intérêts de la collectivité
6. Centralisation bureaucratique de la prise de décisions et
crise de followership
7. Polarisation des conflits et manque de cohésion du
gouvernement local
8. Centralité des ressources personnelles d’influence et
variations dans l’origine, la forme et les cheminements des
ressources de leadership
9. Prééminence du leadership « charismatique » et
personnalisation de l’influence
II. LEADERSHIP POLITIQUE LOCAL : UNE EXPLICATION
1. Modélisation de l’influence et généralisation
2. Esquisse de l’interprétation du leadership politique au
Maroc : une personnification de l’influence
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
Annexe 1
Annexe 2
Annexe 3
Annexe 4
Annexe 5
Annexe 6
Annexe 7
Annexe 8
Annexe 9
Annexe 10
Annexe 11
Annexe 12
Annexe 13
LE MAROC AUX ÉDITIONS L’HARMATTAN
Adresse
REMERCIEMENTS
Le texte que nous livre Aziz Chahir est une thèse soutenue à la Faculté
des sciences juridiques économiques et sociales de Casablanca. Aziz est
l’un des premiers jeunes chercheurs du Centre Marocain des Sciences
Sociales (CM2S) à avoir soutenu en 2010 son travail de recherche dans le
cadre de l’axe de recherche « gouvernance locale »1.
Son travail fait partie d’un vaste programme porté par le CM2S. Il
s’inscrit dans le prolongement d’une approche de « sociologie historique »
qui consisterait à réfléchir sur la manière dont la société construit son
univers politique et pense son rapport au pouvoir. De ce point de vue,
l’analyse des itinéraires des acteurs politiques, leur capacité à représenter
les autres hommes, les conditions d’acquisition de cette capacité à la fois
compétence et reconnaissance par le groupe de celle-ci comme légitime est
très importante. Elle permet de rendre compte de la capacité du système à
perdurer et à gérer de façon efficiente les changements morphologiques.
Les référents islamique et tribal constituent certainement un point d’ancrage
essentiel, mais ils sont incapables à eux seuls d’épuiser toutes les facettes
d’une culture politique ouverte à une dynamique d’actualisation, voire de
modernisation réappropriée. C’est pourquoi une analyse en terme de
leadership n’est pas une simple reproduction des approches par les élites, ni
une simple sociologie des « za’amats » comme c’est la tradition dans les
études sur le Monde arabe.
1 Élections au Maroc : entre parti et notables, Publication du Centre Marocain des Sciences
Sociales, Annajah Al Jadida, 2010.
2 Iraki Al Maoula Aziz, Les notables du makhzen au défi de la gouvernance, (préface de M. Tozy),
l’Harmattan, 2005
3 Comme le note Tabboni, il s’agit de la plus originale et la plus importante des notions introduites
par Elias. Une configuration est un modèle d’interdépendance qui lie un phénomène social à celui qui
s’y oppose directement. Il ne s’agit pas de catégories descriptives, mais de types idéaux construits par
l’analyste. Par exemple, l’anomie doit être comprise par référence à la conformité aux normes
comme les « outsiders » doivent l’être par rapport aux established et les courtisans par rapport aux
nobles chevaliers. Plus concrètement, comprendre les comportements anomiques suppose que l’on
puisse définir en quoi consiste la conformité aux normes ; de la même manière, la connaissance des
« outsiders » exige que l’on connaisse l’image que les established ont d’eux-mêmes. L’autocontrôle
auquel se soumettent les courtisans ne peut être compris que si l’on connaît le type d’autocontrôle
auquel se soumettaient les nobles guerriers. Une configuration est donc un champ de tensions défini
par une opposition qui n’est jamais complète entre deux pôles opposés, mais à l’intérieur duquel tout
est fait de mélanges variables. Elias invite à s’éloigner des antinomies classiques dont les termes
s’excluent et à comprendre les modes de combinaison de phénomènes opposés (Tabboni, 2000).
4 Leaders et leadership. Configurations complexes, ressources politiques et influence potentielle, des
leaders dans le cas de l’Oriental marocain, in Mohamed Mahdi et all, : "Développement rural,
environnement et enjeux territoriaux. Regards croisés Oriental marocain et Sud-est tunisien », Eddif,
2011
5 L’une des nouvelles données de la vie politique locale est le renversement de l’équilibre
rural/urbain sur lequel se construisait toute l’architecture électorale des quarante dernières années. Si
l’on y ajoute les effets, même atténués, d’une mondialisation qui accélère les recompositions
territoriales et favorise apparemment un changement de signification du local qui se trouve
désenclavé et projeté de façon brutale dans une relation directe avec le monde, on peut s’attendre à
l’émergence de nouvelles catégories d’acteurs sociaux et politiques qui vont se positionner par
rapport à ces transformations pour les activer, les maîtriser ou les freiner. La connaissance de ces
acteurs et de leur stratégie est essentielle pour mieux réfléchir aux questions de gouvernance, telle est
la problématique globale dans laquelle s’inscrit cette analyse... Les premières consultations
électorales ont eu lieu le 29 mai 1960. À cette époque le Maroc amorçait à peine sa révolution
clisthènienne passant d’une gestion des personnes à une gestion du territoire. Le pays fut divisé en
800 communes qui venaient remplacer un peu plus de 700 tribus. H. Zemmouri, alors chargé du
découpage au sein du ministère avait un mandat précis « il fallait casser l’ordre tribal pour poser les
bases d’une nouvelle administration, les élections impliquent la destruction de l’ordre ancien pour
lui substituer un système basé sur l’encadrement par les partis » écrira plus tard Rémy Leveau qui
faisait partie des collaborateurs proches (Leveau, 1976 : 29 sq.). Ce temps paraît lointain, ce qui est
en partie vrai, même si la génération qui a vécu ces événements est encore en partie aux commandes.
Il ne faut pas en effet, sous-estimer les mutations profondes que connaît l’élite marocaine, le plus
déterminant étant tout simplement démographique. Quand Hassan II disait dans un discours au
Parlement dans les années quatre-vingt-dix : « Excusez-moi de ne pas vous connaître un par un », il
exprimait une angoisse due à une prise de conscience de ce phénomène inédit. Il n’est plus possible
de réunir l’élite dans un espace unique. En 1960, ils étaient 47 000 candidats se battant pour 10 200
sièges, pour une population de 11 626 000 d’habitants et 4 172 000 électeurs. En 1997, ils sont plus
de 102 179 candidats luttant pour 24 353 sièges, pour 28 millions d’habitants et 12 790 631 électeurs
(Tozy, 2001).
6 Yasmine Berriane, La féminisation des associations locales au Maroc : vers une reconfiguration
des rapports de pouvoir ?, Sciences po Paris, 2011
INTRODUCTION
Q
ui gouverne le Maroc ? Voilà une question vaste et épineuse qui se
pose toujours avec acuité dès que l’on évoque le système politique
caractérisé, historiquement, par une prééminence de la monarchie.
S’agit-il d’un système démocratique fondé sur le pluralisme qui
s’inscrit aux antipodes d’un mode de gouvernement makhzanien ancré dans
l’histoire du royaume chérifien ? Dans cette optique, serions-nous ainsi en
train de vivre une ère de développement politique qui pourrait favoriser la
construction d’un « pacte social » démocratique entre gouvernants et
gouvernés ? Dans le cas contraire, serions-nous encore empêtrés dans les
méandres d’un système de gouvernement patrimonialiste et centralisé
caractérisé par la persistance de réseaux notabiliaires, clientélistes et
népotiques relevant d’une culture de sujétion7 ?
Pour aller plus loin, l’on peut ainsi s’interroger sur l’identité politique de
ceux et celles qui nous gouvernent, c’est-à-dire les détenteurs du pouvoir
décisionnel au Maroc et dans les grandes villes tout particulièrement. On
peut en effet se demander qui sont ces individus qui dirigent la chose
publique, prétendent représenter la collectivité, agissent sur ses choix
politiques et décident de ses affaires quotidiennes au nom de « l’intérêt
général » de la cité ? Saurait-on identifier nos Hommes politiques afin de
mieux comprendre, notamment, leurs carrières politiques, leurs modes de
recrutement, leurs ressources, leurs comportements, leurs stratégies
d’action, leurs réseaux d’influence, leurs cultures politiques et leurs
idéologies ? Concrètement, serions-nous en face de chefs politiques dont le
pouvoir découle d’une autorité formelle, d’un statut notabiliaire ou bien
d’un système patrimonialiste ? Vu sous un autre angle, pourrait-on affirmer
que l’on dispose effectivement de « leaders politiques » qui bénéficient
d’une légitimité démocratique « légalo-rationnelle » émanant d’un
consentement volontaire des électeurs de la colléctivité ou de partisans ? À
l’heure des « printemps arabes », caractérisés notamment par « un
réformisme étatique », l’on peut bien se demander d’ailleurs si le système
politique marocain est gouverné par un leadership de type « démocratique »
ou bien dirigé par un leadership de type « autoritaire » ?
7 Almond et Verba analysent la culture politique en fonction de trois types de culture : une culture
paroissiale où les rôles sont non spécialisés, une culture de sujétion faisant appel un système
différencié, mais où le citoyen est réduit à l’état passif de sujet, et une culture de participation au
processus de prise de décision collective. Voir G. Almond et S. Verba, The Civic Culture. Political
attitudes in Five Countries, Princeton, Princeton University Press, 1963.
8 L’expérience dite d’« alternance démocratique » est une parfaite illustration des modes de
négociation entre le pouvoir central et ses opposants. Enclenchée officiellement en 1997, cette
expérience émane d’un « consensus de compromis » entre l’ex-premier secrétaire de l’USFP,
Abderrahman El Youssoufi, et le roi Hassan II. Ce faisant, la monarchie a permis à l’ex-opposition
(koutla démocratique) de participer à la direction des affaires en s’assurant, entre autres, le « bon
déroulement » de la succession du trône alaouite. A la même époque, le palais est parvenu à
convaincre Dr Abdelkrim Khatib (MPPC) d’intégrer les “islamistes” du PJD dans le jeu politique
institutionnel pour la première fois de l’histoire du pays. En 2001, la monarchie s’est mise d’accord
avec Mohamed Chafiq et des responsables associatifs amazighes pour créer l’IRCAM. Aziz Chahir,
leadership politique amazigh in Hassan Rachik eds. Usages de l’Identité amazighe au Maroc,
Casablanca 2006, p 225.
CHAPITRE 1
QU’EST-CE QUE LE LEADERSHIP POLITIQUE ?
Les œuvres d’historiens, tels que Ibn Khaldoun, nous apprennent par
ailleurs que les dirigeants, au sens politique du terme, sont des figures
« exceptionnelles », qui étaient essentiellement incarnées par des rois, des
Khalifes, des gouverneurs, des Beys, etc. Leur fonction principale était de
diriger leurs peuples, gérer les affaires de la communauté et superviser les
relations internes et externes de la cité9. Dans les aires culturelles arabo-
musulmanes, l’utilisation de la notion de « leader »10, même par des
spécialistes, se confondait généralement avec d’autres notions comme celles
de « marabout » ou « saint » ou bien « chef », dont les significations
peuvent désigner la chefferie, l’autorité, le commandement11 ou bien même
za’ama. Celle-ci, par exemple, renvoie justement à la notion floue de zaïm
considéré dans l’« imaginaire collectif » comme une figure de proue qui
avait marqué, d’une certaine manière, l’histoire politique du panarabisme et
du nationalisme arabe. Le terme zaïm pourrait être associé ici, toute
proportion gardée, à la notion du « chef charismatique » définie par Max
Weber comme une personne « exceptionnelle » dans son fameux « type-
idéal » de l’autorité.
I. REPÈRES HISTORIQUES
Outre le caractère polysémique de la notion de « leader », la question du
leadership au Maroc demeure, curieusement d’ailleurs, une zone d’ombre
presque entièrement inexplorée par les sciences sociales. Les chercheurs qui
se sont intéressés à la vie politique au Maroc n’abordent pas directement le
problème du leadership et préfèrent limiter leur champ d’investigation à des
recherches sur le « pouvoir » et l’« autorité » ou bien à des études souvent
descriptives sur les « élites ». Ainsi, le terme « leader » a été souvent utilisé
au même titre que d’autres notions, complètement différentes, telles que
seigneur, chef de guerre, zaïm, commandeur, cheikh, dirigeant, Amghar, etc.
Par exemple, un historien aussi rigoureux que Abdellah Laroui n’a pas jugé
important de préciser ce qu’il entend par le mot « leader » lorsqu’il tente
d’appréhender la genèse du « Mouvement national » à travers notamment
des hommes et des figures de proue de la Résistance. Pour preuve, l’auteur
n’hésite pas à remplacer, indifféremment d’ailleurs, le terme « leader » par
celui de « chef » dans certains passages de son étude sur les origines
sociales et culturelles du nationalisme marocain (Laroui, (1971) 2001 : 11
& 166). D’un point de vue analytique, comme le fait rappeler justement
McGregor Burns, les deux termes ne sont pas synonymes : alors que le chef
(Head) est dépendant des pouvoirs émanant d’une position formelle
(dissuasion), le leader, lui, ne peut compter que sur l’adhésion volontaire
des partisans (persuasion) (Burns, 1978 : 18-19).
Mais durant les années soisante-dix, l’État traversait une crise politique
(deux coups d’État) qui l’obligeait à se déployer pour préserver son autorité
et maintenir intacte la suprématie du « Commandeur des croyants ». À cette
fin, les autorités ont procédé, entre autres, à une réglementation de la sphère
politique locale20 en introduisant la « commune » comme structure
représentative « choisie » par les membres de la communauté. Ce faisant, le
pouvoir central se voulait le garant d’une « démocratie locale »21 fondée sur
le principe du suffrage universel direct. Cependant, en réalité,
l’administration n’hésitait pas à manipuler les élections et la monarchie
continuait à exercer le rôle d’acteur central dans le système politique. Le
souverain tranchait ainsi toujours dans les grandes décisions stratégiques
dont notamment celles qui relèvent des pouvoirs du gouvernement local.
Vers la fin des années soixante-dix, les chefs des partis issus du
« Mouvement national » se sont trouvés donc dominés par la monarchie
soutenue par des notabilités locales influentes22. Proches de
l’administration et du milieu d’affaires, les « notables » sont parvenus ainsi
à s’imposer sur le champ politique local à commencer par les conseils élus
des villes. De leur côté, et malgré leur ancrage local et leur popularité, les
élus des partis de l’USFP et de l’Istiqlal, en particulier, avaient du mal à
affirmer leur leadership politique.
Durant les années quatre-vingt-dix, la chose locale était dirigée par des
« entrepreneurs politiques » proches de la bureaucratie. L’accès aux conseils
communaux était devenu ainsi le moyen par lequel des politiciens
pourraient accéder à des postes de responsabilité et surtout à la richesse. Cet
état de fait n’a pas changé avec l’arrivée des partis « nationalistes » (l’ex-
opposition) au gouvernement en 1998. Pour preuve, des partis comme
l’USFP et l’Istiqlal ne sont pas parvenus à se défaire d’une « culture
notabiliaire » qu’ils ont fini parfois même par adopter pour mobiliser des
partisans lors des campagnes électorales tout particulièrement.
Après le décès du roi Hassan II, le nouveau monarque, en quête de
légitimité, allait faire du pouvoir local l’une de ses priorités majeures. Après
le limogeage de l’ex-ministre de l’Intérieur, Driss Basri, le roi décide alors
de jouer la carte de la « moralisation » de la vie publique en déclarant la
guerre aux « élus corrompus » et leurs réseaux notabiliaires. À l’époque,
plusieurs scandales politico-financiers avaient éclaté au grand jour mettant
en cause le style de gouvernement de nombreux élus locaux et officiels. En
témoigne ainsi la destitution de plusieurs présidents de conseils communaux
impliqués dans des affaires de corruption et dilapidation de deniers publics.
Pour exemple, on peut évoquer l’affaire « Slimani-Affoura »24 écroués tous
les deux par la Justice pour malversations et détournement de fonds publics
lorsqu’ils étaient en charge des affaires locales dans la ville Casablanca25.
La corruption et l’achat des votes, le manque de transparence et de
« comptabilité » (accountability), et les fraudes électorales demeurent ainsi
les principaux obstacles pour conduire une réforme démocratique du
gouvernement local. Vu sous cet angle, on suppose que la démocratie locale
reste encore un objectif difficile à atteindre surtout en l’absence de leaders
déterminés à rompre avec une « culture de l’autoritarisme » qui semble
caractériser le système politique marocain.
1. Questions fondamentales
A la lumière de ce qui précède, l’on peut donc s’interroger sur le fait de
savoir si l’on dispose ou non d’un leadership en mesure d’initier un
processus de démocratisation du système politique local ? S’il existe bien
des leaders à même de mobiliser le soutien nécessaire pour mener à terme
des réformes au sein du gouvernement local ? Si l’on est face à un système
politique de type « totalitaire » où un chef détient les pleins pouvoirs et
exerce le plus grand impact sur la prise de décisions ? (Tucker 1965 : 566).
Sinon, on peut se demander si on aurait à faire à un système « pluraliste »
où les leaders tentent et parviennent à obtenir l’adhésion volontaire à leurs
actions dans le but de satisfaire leurs intérêts et ceux de leur groupe de
partisans au sein de la collectivité (Kellermann 1984 : 78).
Cette recherche tente ainsi d’amorcer le débat sur le phénomène du
leadership politique au Maroc. La problématique centrale de la recherche
émane de la question de savoir dans quelle mesure le leadership est-il ou
non fonction de l’interaction des leaders et des followers dans un
environnement politique donné ? Plus concrètement, notre questionnement
porte principalement sur l’identification des facteurs qui déterminent
l’influence exercée par des élus locaux sur les choix des partisans lors de la
prise de décisions ? Partant de cette idée, on s’est posé d’autres questions
qui pourraient tout aussi bien aider à mieux appréhender l’étude du
leadership politique local, à savoir :
- Certaines communautés ou collectivités ne disposent-elles pas de
leaders dont le rôle principal est d’orienter les décisions en vue de
satisfaire les intérêts de la cité ?
- Les politiques ne parviennent-ils pas à amorcer un processus du
leadership local susceptible de favoriser une véritable transition
démocratique ?
- Les politiques n’arrivent-ils pas à s’imposer en tant que leaders
légitimes à même de représenter et défendre les intérêts de la
collectivité ? Seraient-ils motivés principalement par la quête du
pouvoir local afin de satisfaire des intérêts personnels ou bien ceux de
certaines élites économiques ou politiques ?
- Dans quelle mesure peut-on évoquer une hégémonie de l’administration
locale et, plus particulièrement, un interventionnisme des
fonctionnaires qui empêcheraient l’émergence d’un leadership local ?
- Le processus décisionnel local est-il dominé par des « chefs politiques »
et des bureaucrates qui relèguent au second plan les élus locaux et
tentent d’évacuer les discours idéologiques et partisans ?
- Le système politique local est-il marqué par une certaine
personnalisation de l’influence émanant de la prééminence d’une
« culture de l’autoritarisme » incarnée par le pouvoir personnel d’un
seul homme ?
- Les conseillers de la ville parviennent-ils à construire et à diffuser une
« identité politique locale » susceptible de favoriser l’émergence d’un
leadership « culturel » inhérent au système des valeurs d’une
communauté ?
Pour essayer de répondre à ces questions, on est parti de l’idée de Luis
Edinger selon laquelle : « Le leadership dépend de la capacité d’une
personne d’influer sur les comportements des partisans de manière à les
orienter vers une direction particulière ou partagée avec le groupe (Edinger
1967 : 6). Gardner adhère entièrement à cette conception du leadership qui
insiste sur la persuasion : « Le Leadership est un processus de persuasion
ou un exemple par lesquels un individu (ou une équipe de leadership)
influence le groupe pour qu’il suive certains objectifs défendus par le
leader ou bien partagés par ce dernier et ses followers. » (Gardner 1990 :
1). Cette idée est partagée aussi par Dahl qui considère le leadership :
« Comme étant l’exercice par le leader d’une influence directe sur les
décisions prises par son organisation, notamment les changements à
apporter à ses structures, ses activités, ses objectifs majeurs, etc. » (Dahl
1971 : 106).
V. L’ENQUÊTE
Pour répondre aux questions de la recherche, on s’est fixé comme
objectif empirique principal de tester un ensemble d’hypothèses afin de
vérifier la véracité de certaines propositions théoriques sur le leadership. Ce
travail a été mené dans le cadre d’une approche analytique qui a été
appliquée à la partie empirique : décrire d’abord la réalité à partir des
résultats de l’enquête, expliquer et interpréter par la suite et établir des liens
de causalité, suivant un schéma hypothétique qu’on a l’ambition de traduire
en « modèle explicatif » à la fin de la recherche (chapitre 11). Et c’est
justement dans cette optique que nous avons élaboré un « protocole de
recherche » qui permet de mieux appréhender l’analyse de l’influence
politique exercée par des élus locaux sur le processus décisionnel à travers
quatre niveaux de leadership, à savoir :
- Individuel : analyser des profils sociologiques, culturels et politiques
des conseillers de la ville ;
- Structurel : restituer le contexte, historique, politique, social,
économique et culturel du leadership local ;
- Politique : étudier les comportements et les attitudes de leadership,
notamment lors de la prise de décisions ;
- Symbolique : dégager les différents styles culturels de leadership et
analyser les idéologies rivales qui marquent le discours des leaders qui
tentent de revendiquer une identité locale « exclusive ».
Par ailleurs, il faudra bien préciser que notre objet d’étude est défini d’un
triple point de vue :
- Chronologique : l’étude a pour objectif d’analyser le leadership local à
la lumière d’une nouvelle configuration politique marquée, notamment,
par le décès du roi Hassan II, l’organisation des premières échéances
électorales sous le nouveau règne, la participation d’un parti islamiste
légaliste31 aux affaires publiques dans plusieurs villes et l’engagement
du nouveau roi à réguler la vie politique locale surtout après les
attentats du 16 mai 2003 à Casablanca. La recherche a porté par ailleurs
sur un seul mandat local (2003-2009). Quant à l’enquête, elle a duré un
peu plus de trois ans (entre 2003 - 2006). Pour rappel, elle a démarré
quatre mois avant la constitution du conseil de la ville de Casablanca, le
23 septembre 2003.
Ces objectifs feront l’objet d’une analyse détaillée tout au long de cette
étude. Chaque objectif représente par ailleurs un paramètre de base pour
appréhender notre problématique de recherche relative à l’étude du
leadership politique local. Ces dimensions se déclinent en plusieurs
questions formulées, à leur tour, sous forme d’hypothèses de travail. Ces
propositions constituent en fait la trame de fond conceptuelle d’un modèle
axiomatique qui tente de rendre compte de la complexité de l’influence
politique exercée dans la ville de Casablanca (Chapitre 11).
L’étude des profils des hommes politiques pourrait renseigner sur les
leaders potentiels susceptibles d’obtenir l’adhésion volontaire de partisans
pour orienter la prise de décisions. À cette fin, on a tenté de procéder par
décomposition du profil de chaque élu local33 en un certain nombre de
caractéristiques personnelles, sociologiques, culturelles et politiques. Dans
ce chapitre, on a essayé ainsi d’établir les profils des 131 conseillers de la
ville de Casablanca dans la mesure où cela nous permettra, d’une part,
d’expliciter d’éventuelles similarités ou différences entre les
comportements des candidats au leadership. Et d’autre part, on sera en
mesure de dégager les traits distinctifs personnels, sociaux et culturels qui
animent les conseillers, ainsi que leurs parcours politiques. Les critères qui
permettent d’établir les profils des élus locaux sont d’ailleurs très
nombreux. Dans cette étude, on a retenu les variables suivantes : sexe, âge,
origine sociale, parcours scolaire et niveau d’instruction, niveau
d’instruction du père, expérience professionnelle, niveau de revenu,
disponibilité, langues maîtrisées par l’élu local, situation matrimoniale,
trajectoire politique, légitimité et popularité34. La figure 2 tente d’illustrer la
composition des profils tels qu’ils seront traités tout au long de ce chapitre.
Pour commencer, on propose d’appréhender les caractéristiques
personnelles des conseillers de la ville de Casablanca.
Au sein du conseil de la ville, par exemple, il s’avère en effet que les élus
« natifs » de Casablanca y sont les plus représentés. L’appartenance à une
territorialité, géographique ou culturelle, représente par ailleurs un trait
distinctif de la culture politique locale. La perception d’un territoire ou le
rapport au terroir font l’objet de toute une série de constructions. Marcel
Roncayolo est revenu dans ses travaux sur cet aspect de la confection du
territoire : « La cohésion [de la territorialité] réside dans [...] la diffusion
d’images mentales, de récits, de représentations plus ou moins abstraites,
dessins ou cartes, de représentations symboliques. »37. La territorialité est
liée ici à la construction d’une identité. Ainsi, plusieurs conseillers sont
« stigmatisés »38 par leurs pairs sur la base de leur appartenance
« effective » ou non à une territorialité urbaine représentée par la ville de
Casablanca. C’est là même l’un des critères de différenciation, par exemple,
des élus « casablancais » des « non casablancais »39. D’un point de vue
culturel, les élus « originaires » de « Dar el-Baida » disposeraient ainsi
d’une légitimité symbolique émanant d’un héritage historique
« intergénérationnel ». Ce faisant, ces conseillers « privilégiés » se
présentent comme étant les candidats les mieux placés pour prendre la
direction politique des affaires de « Leur » ville.
Cela étant posé, on est en droit de s’interroger malgré tout sur l’existence
ou non d’une solidarité « communautaire » qui pourrait se manifester à
travers des revendications identitaires particulières portées par certains élus
visant à exercer des rôles du leadership local. À cet égard, il nous a semblé
intéressant de mettre l’accent sur des traits culturels distinctifs à même de
marquer l’attachement ou non d’un ensemble de conseillers à une « identité
ethnique » ou, plus précisément, à ce que Weber appelle l’« honneur
ethnique »42 qui relève d’une appartenance spirituelle, abstraite, un
sentiment de communauté. Selon Weber, le lien entre communauté politique
et conscience ethnique est exemplifié par le fait que la communauté
politique attire souvent « le symbolisme de la communauté de sang » et
suscite un sentiment de communauté ethnique (Gemeinsamkeitsgefühl). Sur
cette base subjective se produit facilement une activité politique
communautaire de « ceux qui se sentent subjectivement “frères” ou
compatriotes » (Weber, 1971 : 138).
2. Genre : Masculinité/féminité
Le dilemme masculinité-féminité est omniprésent dans la question du
leadership. Le genre biologique de l’individu intervient souvent dans la
détermination de son poste, sa position hiérarchique, ses relations sociales,
etc.45 Cette préférence s’explique en grande partie par le fait que depuis
toujours, la priorité hiérarchique du masculin sur le féminin a été clairement
désignée. Pratiquement toutes les religions et tous les peuples fondent des
rapports d’autorité entre les deux sexes (Ansart, 1977 : 25). Selon Howes et
Stevenson, la discrimination dont fait l’objet les femmes émane
principalement d’un substrat culturel qui se manifeste dans les pratiques
sociales des différentes communautés46.
L’enquête révèle ensuite que la majorité écrasante des élus (93,9%) ont
fait leurs études primaires dans l’école publique, alors que seulement 6,1%
déclarent avoir fréquenté des écoles privées, comme le démontre, à titre
illustratif, le tableau 5 ci-dessous. Parmi les élus interviewés, deux
seulement affirment avoir fréquenté, par exemple, les écoles de “la mission
française”. Le fait que la majorité des élus soit formée dans l’école publique
signifie que le prestige et la formation dispensée par l’institution scolaire ne
constituent pas un facteur déterminant pour accéder à la représentation
communale. Néanmoins, une fois au conseil, les élus seraient
vraisemblablement appelés à mettre en valeur leurs connaissances afin
d’accéder à des postes de responsabilité ou bien pour défendre leurs
propositions. Ainsi, un conseiller bien instruit et bilingue aura certainement
plus de chance de s’informer sur les affaires du gouvernement local de
manière à pouvoir mieux communiquer avec les élus et les fonctionnaires
afin de défendre ses idées, en particulier lors de la prise de décisions.
Tableau 5 : Type d’école fréquentée par les élus durant leurs études
primaires
L’enquête révèle enfin qu’une grande partie des élus détient un diplôme
d’études supérieures. En effet, près de la moitié des conseillers (42%)
déclare avoir des diplômes universitaires, notamment dans le domaine des
études juridiques et économiques. On compte ainsi quatre élus locaux
professeurs universitaires, dont une femme professeur de médecine. Par
ailleurs, on constate que 23% des conseillers affirment avoir obtenu des
diplômes supérieurs dans des instituts privés, notamment dans les domaines
du management et de gestion des entreprises. Le diplôme constitue donc
une source de valorisation du « statut social » des hommes politiques. Pour
les élus locaux, un niveau d’instruction supérieur pourrait s’avérer capital
pour gagner la confiance des conseillers, notamment lors de négociations
pour la prise de décisions. Un élu « diplômé » serait ainsi mieux disposé à
appréhender la complexité de la direction de la chose locale. il serait en
effet mieux armé, par exemple, pour comprendre et interpréter les choix des
décideurs et les actions des fonctionnaires notamment. En outre, le diplôme
pourrait favoriser l’accès de l’élu à une profession qui lui permet aussi
d’accéder à des sources de revenus et d’acquérir éventuellement un certain
‘standing social’.
Par ailleurs, la profession des élus renseigne sur leur mobilité sociale (ou
intergénérationnelle). Celle-ci relie la position sociale occupée par un
individu, à un âge où elle est stabilisée, et son origine sociale, c’est-à-dire
les occupations de ses parents49. La mobilité permet ainsi de se prononcer
sur l’inégalité des chances sociales. Dans le cas du conseil de la ville,
l’enquête révèle que les conseillers sont parvenus à réaliser des
mouvements ascendants, comme le démontre, à juste titre, la table de
mobilité (voir tableau 7 ci-dessous) où sont croisées origines sociales « en
lignes » et positions sociales « en colonnes ».
2. Statuts socioprofessionnels
L’enquête nous informe que les élus locaux sont parvenus en quelque
sorte à gravir l’échelle sociale. Ainsi, on relève que 33,6% des conseillers
sont des cadres supérieurs ou bien exercent des professions libérales. Par
ailleurs, on constate que les conseillers grands commerçants et chefs
d’entreprises (32,8%) sont également bien représentés au sein du conseil
local. La majorité des élus jouit donc d’un statut socioprofessionnel plutôt
« libéral » dans la mesure où ils exercent des professions valorisantes
(avocat, professeurs...) ou bien appartiennent aux cercles notabiliaires et au
milieu d’affaires (entrepreneurs, directeurs de société...).
La profession d’un leader peut être considérée ainsi comme une ressource
très utile pour accéder à des positions d’autorité ou bien pour exercer de
l’influence au sein d’une organisation. Dans le conseil de la ville de
Casablanca, par exemple, il s’avère qu’une grande partie des interviewés est
convaincue que l’exercice de professions « libérales » incite les élus locaux
à s’adonner pleinement à des activités politiques. Ces professions leur
permettent en effet d’acquérir certaines compétences non négligeables en
matière de direction et disposer aussi de certaines sources de revenus. Pour
exemple, la profession d’entrepreneur ou celle d’avocat offre ainsi à
certains élus des ressources nécessaires (contacts, savoir-faire...) pour
mener à bien leur entreprise politique. En plus de leur richesse, les hommes
d’affaires et les directeurs de société, par exemple, semblent bénéficier d’un
statut privilégié au sein du conseil de la ville. Pour preuve, ils sont souvent
sollicités pour donner leur avis sur une décision majeure ou bien organiser
une action ou encore obtenir des informations stratégiques auprès
d’officiels ou de politiques. À cet égard, on pourrait se demander si c’est
vraiment un hasard que trois entrepreneurs, Sajid (UC), Benkirane et
Hasban (MP), accèdent à la présidence de trois instances décisionnelles
locales, respectivement le conseil de la ville, le conseil de la région et le
conseil de la préfecture. Il est vrai que l’alliance stratégique entre les partis
de la majorité a beaucoup joué dans le choix de ces trois présidents. Mais il
est indéniable que c’est surtout grâce à leur ‘standing social’ que ces trois
hommes d’affaires ont été choisis pour diriger les affaires de la ville. L’une
des ressources dont pourraient bénéficier les élus qui exercent des
professions « libérales » renvoie par ailleurs à la « disponibilité ».
Les élus qui embrassent une carrière libérale seraient donc mieux
disposés à programmer leur vie suivant leur « agenda politique ». Pour
Weber, les avocats, par exemple, sont plus disponibles que d’autres groupes
professionnels. Leur disponibilité leur permet, à juste titre, de disposer du
temps nécessaire pour mener à terme des activités politiques (Weber, 1946 :
96). On pourrait ainsi parler d’une tendance vers une « professionnalisation
du politique » (politik als Beruf) qui se manifeste de plus en plus au sein du
gouvernement local surtout dans les grandes villes. Cela pourrait d’ailleurs
contribuer à réhabiliter le politique face à l’hégémonie du technocratique
dans le domaine de la direction de la chose locale.
4. Revenus et argent
La compétence et la disponibilité seront d’autant plus efficaces si les
leaders potentiels parviennent à disposer de certains revenus52. À cet égard,
la profession peut être considérée comme synonyme de revenu. Pour les
leaders, l’argent, le crédit et la fortune sont des moyens nécessaires pour
mener à bien les activités du groupe (Dahl, 1971 : 265). D’après l’enquête,
la majorité des conseillers de la ville semble ainsi bénéficier d’une situation
financière plutôt « confortable » puisque le revenu annuel estimatif de 48%
d’entre eux dépasse les 200.000 DH. En d’autres termes, plus de la moitié
des élus bénéficie d’un revenu annuel au-dessus d’une moyenne qui
pourrait se situer entre 80 000 et 100 000 DH53. En revanche, seulement
3,8% des conseillers déclarent avoir un revenu annuel au-dessous de 50 000
DH. Par ailleurs, 13,7% des interviewés peuvent être considérés comme des
politiciens « aisés » puisqu’ils déclarent avoir un revenu annuel qui dépasse
les 600.000 DH. Parmi ces deniers figurent surtout des hommes d’affaires
et des entrepreneurs. C’est le cas notamment du président du conseil de la
ville, un riche industriel qui préside l’association « Izdihar » regroupant les
industriels de la région de Casablanca. En 2007, il décide de se lancer dans
la promotion immobilière en créant la société « Mazagan promotion
SARL ».
Par ailleurs, les revenus sont inhérents à un certain ‘standing social’ qui
se manifeste aussi à travers le type d’habitation des élus locaux. À cet
égard, l’enquête révèle que la majorité des conseillers (38,9%) réside dans
des villas, 18,3% d’entre eux sont installés dans des appartements
« moyen » standing, alors que seulement 8,4% habitent dans des maisons
« traditionnelles » ou de type économique. L’habitat de « luxe » est souvent
considéré comme un « signe ostentatoire » de richesse. Cependant, pour un
homme politique, il est souvent déconseillé d’afficher publiquement sa
richesse devant les populations locales dont la plupart sont issus de couches
sociales défavorisées. Il existe même des sociétés où les conceptions du
pouvoir valorisent le « profil bas » pour leurs dirigeants : « Dans les
sociétés taoïstes, les références communes veulent que le sage se fasse plus
petit que les autres hommes pour ne pas les offenser. » (Burns, 1978 : 424).
Pour gagner la confiance des électeurs, les candidats aux communales
notamment avaient donc tout intérêt à se mettre au prise avec la population
en vue de disposer d’un ancrage local dans les quartiers populaires où la
clientèle électorale est plus importante. À cette fin, certains conseillers
parmi les notabilités notamment tentent ainsi de dissimuler leur richesse en
adoptant un « un profil bas » qui cadre avec le niveau et le style de vie des
populations de la ville.
En plus de l’argent, un candidat aux élections devrait acquérir un certain
« prestige social ». Un ancien conseiller semble convaincu que le lieu de
résidence est un facteur influent sur l’image de marque du candidat auprès
de l’électorat. À ce propos, il déclare ceci :
Ces mêmes conseillers n’ont pas hésité par ailleurs à fustiger le bureau du
conseil de la ville l’accusant ainsi d’avoir évité de traduire, du français à
l’arabe, les conventions et les accords conclus par le conseil avec des
partenaires externes (société privée, organisme public...). D’après certains
conseillers PJD, l’objectif « non déclaré » derrière cette manœuvre serait
d’empêcher les conseillers de comprendre aisément les objectifs « réels »
formulés en français dans les conventions signées par le bureau du conseil.
En outre, le fait que des conseillers de la ville soient polyglottes est parfois
perçu comme un handicap qui empêcherait une communication « fluide et
constructive » au sein du gouvernement local. Certains conseillers vont plus
loin en affirmant ainsi que l’usage des langues étrangères risque de nuire à
la crédibilité des élus, comme le fait remarquer, à juste titre, ce conseiller de
la majorité :
Par ailleurs, l’adhésion partisane qu’on a relevée ici ne traduit guère une
« loyauté idéologique »56 qui fait défaut non seulement aux élus locaux,
mais aussi à la majorité des hommes politiques. Cela pourrait s’expliquer
par deux raisons principales : la première relève d’un effritement des
idéologies partisanes. Dans l’absence d’une bipolarité « gauche/droite »57
de la sphère partisane, par exemple, les élus semblent ainsi avoir du mal à
s’identifier à des idéologies particulières (socialisme, libéralisme...). La
classification générique des partis en termes de tendances (‘koutla’,
centre...) ne saurait rendre compte de la configuration d’une carte partisane
fragmentée (une trentaine de partis lors du scrutin local de 2003). À cela, il
faudra ajouter les alliances hétéroclites entre les partis qui contribuent à
jeter davantage de confusion sur le système politique. Pour preuve, après les
élections communales de 2003, certains partis « de gauche », par exemple,
n’ont pas hésité à rallier les positions de partis considérés comme
« administratifs » pour accéder à des positions d’autorité au sein du
gouvernement local58. D’où justement un certain déclin de la crédibilité des
partis issus du « Mouvement national », à l’instar de l’Istiqlal et l’USFP, qui
peinent à asseoir leur pouvoir au sein des conseils municipaux des grandes
villes notamment. Les dysfonctionnements de l’institution partisane
s’aggravent par ailleurs à cause de la propagation du clientélisme et du
népotisme au sein de la classe politique, comme le fait remarquer à juste
titre Rémy Levau : « L’intervention des partis politiques ne se manifeste
guère dans le fonctionnement local des conseils communaux. Les élus, et
surtout les présidents, constituent une clientèle politique de choix, sollicitée
aussi bien par les partis que par les représentants de l’administration. »
(Levau, 1976 : 56).
4. Légitimité et popularité
Max Weber fut l’un des premiers sociologues à avoir accordé un intérêt
particulier à la question centrale de la légitimité, c’est-à-dire « l’état de ce
qui est justifié d’exister » et qui est admis comme tel. Et aussi tout ce qui
sert à justifier l’exercice du pouvoir au sein de la collectivité (Weber, 1971 :
33). Pour appréhender la « légitimité » des conseillers, on a essayé ainsi
d’examiner leur parcours communal au sein du gouvernement de la ville de
Casablanca à partir d’une double hypothèse : d’une part, on suppose que les
mandats exercés par l’élu local pourraient renseigner sur son expérience
communale à partir notamment de sa fonction représentative. Celle-ci
dépend ainsi de l’« ancienneté » de l’élu en tant que représentant
communal, régional ou national, du nombre et des types de mandats électifs
exercés dans le passé, et du degré du soutien dont il jouit auprès de son
électorat. Et d’autre part, on suppose que l’exercice de fonctions officielles
informe aussi sur l’expérience de l’élu en tant que responsable politique.
Cette responsabilité dépend surtout du nombre et des types de fonctions
officielles exercées par l’élu durant sa carrière politique. La question de la
légitimité pourrait être appréhendée ici à partir de deux axes principaux :
l’ancrage local et la « popularité ».
Ceci se révèle d’autant plus vrai lorsqu’on apprend que la majorité des
conseillers entretient une perception « dévalorisée » de la fonction
représentative locale par rapport à celle de député. Et ce n’est certainement
pas un hasard si les partis tentent de coopter les élus qui disposent d’un
ancrage local pour qu’ils se portent candidats aux législatives. D’après
l’enquête, on apprend ainsi que près de la moitié des conseillers de la ville
de Casablanca se sont portés candidats aux échéances électorales de 2007.
Parmi ces derniers plus d’une dizaine sont parvenus à décrocher leur siège
au Parlement. Le conseil de la ville est considéré ainsi comme un facteur
d’ascension politique qui permet à l’élu local d’être mieux disposé à briguer
un mandat national. C’est en tout cas l’avis de la majorité des conseillers à
l’instar de ce membre de l’opposition qui n’hésite pas à afficher
ouvertement ses « véritables » ambitions électoralistes. À ce propos, il
déclare ceci :
« Quoique l’on dise, les islamistes sont parvenus à s’implanter dans les
villes et en particulier dans les quartiers défavorisés. Ils ont pris la place
qu’occupaient jadis les élus gauchistes. Les conseillers PJD qui sont
représentés au sein du conseil de la ville ne sont que la partie émergente de
l’iceberg. Les politiciens qui connaissent très bien la ville vous diront que
ce sont bel et bien les membres de l’association Al Adl Wal Ihssan qui
contrôlent l’espace social à travers notamment leur action de proximité au
profit des populations démunies (aides alimentaires, dons et prêts ‘halal’
sans intérêt au profit de jeunes diplômés chômeurs, soutien aux personnes
âgées et handicapées, achat de moutons a l’occasion de la fête d’al-Aïd el-
Kebir au profit de familles défavorisées, encadrement des jeunes dans les
‘Maisons des jeunes’ ‘Dour Achabab’, etc.). Dans la ville de Casablanca,
les élus PJD emboitent le pas aux disciples de cheikh Yacine dont la
popularité dépasse de loin celle des politiciens et des responsables les plus
chevronnés qui nous gouvernent (...). »
- Mobilité sociale ascendante du corps des élus locaux dont le tiers exerce
des professions « libérales » qui offrent souvent aux candidats au
leadership revenus et « prestige social » ;
La deuxième contrainte qui pèse sur les élus locaux est le pouvoir de
tutelle sur les conseils élus. D’après la nouvelle Charte communale, le
président du conseil communal est considéré ainsi comme l’autorité
exécutive de la commune68. Pourtant, l’omniprésence de l’administration
est telle qu’elle réduit considérablement la marge de manœuvre des élus
locaux. Et pour cause, les pouvoirs de tutelle concernent en fait tous les
volets relatifs au contrôle du processus décisionnel local69. Au niveau du
conseil de la ville, par exemple, le wali70 intervient en effet dans l’action
locale, notamment par le biais du personnel communal dont la mission
devrait se limiter à l’exécution des décisions. En outre, le chef de
l’administration locale et les fonctionnaires ne se contentent pas de
contrôler l’action politique des conseillers. Ils se permettent aussi de faire
des propositions au bureau du conseil grâce notamment à une maîtrise
technico-administrative des dossiers de la ville.
1. Représentativité partisane
Le degré de représentativité d’un parti au sein d’un conseil élu pourrait
influer sur l’exercice du leadership local. Dans les conseils communaux au
Maroc, les partis sont représentés par des élus (mountakhabines) ou
conseillers (moustacharines). Le scrutin local du 12 septembre 2003 a été
marqué par la participation de 25 partis sur un total de 27 toutes tendances
confondues. Dans le conseil de la ville de Casablanca, par exemple, 23
partis y sont représentés et trois n’y ont obtenu aucun siège74, comme le
démontre, à titre illustratif, le tableau 12 ci-dessous. Les résultats du scrutin
avaient abouti à une atomisation du paysage politique local à en juger par
l’éclatement des voix entre les partis avec un léger avantage aux partis de la
koutla : l’Istiqlal en tête avec 19 sièges suivi de l’USFP avec 17 sièges. De
son côté, le PJD est parvenu à réalisé un bon score en décrochant la 3éme
place avec 16 sièges, alors qu’il n’a couvert que 18% des circonscriptions
électorales de la ville de Casablanca. Les conseillers« islamistes » disposent
en effet d’un ancrage local non négligeable dans le milieu urbain. En
témoigne ainsi le nombre élevé de voix qu’ils ont obtenues dans des
quartiers populaires comme Sidi Bernoussi, El Fida-Drissiya-Bouchentouf,
Sidi Othmane, Sebata et Moulay Rachid.
Cela étant posé, il semble que les fonctionnaires reprochent aux élus
locaux une certaine dévalorisation du rôle de l’autorité administrative qui se
traduit souvent par un déficit de dialogue entre les deux parties. C’est le cas
notamment du secrétaire général du conseil qui regrette le fait qu’une bonne
partie des conseillers ne prenne pas en considération le rôle de la
bureaucratie, et ce, malgré les efforts des fonctionnaires pour assister les
politiques en leur fournissant, par exemple, des informations, des conseils,
des contacts, etc. En effet, la majorité des conseillers n’hésite pas à dénigrer
le rôle de la bureaucratie locale dans la gestion des affaires de la Commune.
À cet égard, l’enquête révèle que 90,5% des conseillers n’ont jamais justifié
leur absence lors des séances publiques auprès du personnel communal. Un
comportement déprécié par les fonctionnaires qui reprochent aux
conseillers un manque de rigueur politique et une indifférence envers les
procédures administratives. Le secrétaire général de la commune regrette
ainsi l’absence de dialogue entre politiques et fonctionnaires. À cet égard, il
déclare ceci :
Par ailleurs, il apparaît que les conseillers qui parviennent à mobiliser des
hommes politiques en dehors du conseil sont minoritaires. C’est le cas
notamment du président du conseil de la ville qui arrive à utiliser ses
réseaux de relations pour appuyer certaines propositions émanant du bureau
ou bien des autorités. Ce fut le cas en 2005, par exemple, lorsque le
président s’est mis d’accord avec le ministre istiqlalien du Transport et de
l’Équipement pour la signature d’une convention avec le conseil de la ville,
d’une valeur de 232.332 DH, destinée à la réalisation de voies et ponts à
Casablanca. Grâce à sa proximité avec des cercles gouvernementaux, le
président, qui est aussi parlementaire, est parvenu ainsi à approcher et
surtout à convaincre un conseiller de l’opposition qui n’était autre que son
adversaire pour la présidence du conseil de la ville de Casablanca. Aussi, le
clivage idéologique au niveau local s’avère-t-il dépourvu de « sens » à en
juger ainsi par l’accord conclu entre un président de l’UC (majorité) et un
ministre de l’Istiqlal (opposition).
On peut donc conclure que les élus locaux qui ne parviennent pas à
accéder au Parlement (ou au gouvernement) auraient certainement peu de
chances de pouvoir mobiliser des cercles politiques influents en dehors du
conseil de la ville pour faire parvenir leurs demandes ou propositions. Mais
cela ne devrait pas pour autant nous faire oublier la fragilité des liens qui
existent, par exemple, entre députés, ministres et officiels, d’un côté, et les
élus locaux qui aspirent exercer des rôles de leadership, de l’autre. En outre,
force est de constater que les rapports entre le « local » et le « national »
sont plutôt ambivalents comme le laissent entendre ainsi plusieurs
conseillers de la ville. De plus, l’interaction entre le leadership « local » et
le leadership « national » engendre parfois même des tensions entre des
conseillers locaux et des responsables gouvernementaux. Pour preuve, cette
déclaration du président du conseil de la ville qui avait accusé,
indirectement, le gouvernement d’avoir perturbé le cours de l’action locale
dans la ville de Casablanca. Lors de la session ordinaire du conseil, tenue le
26 mai 2004, le président avait reproché ainsi aux ministres des Finances et
de l’Intérieur un certain manque de coopération avec le gouvernement local.
À cet égard, il déclare ceci :
Selon les interviews réalisées avec les conseillers, il apparaît aussi que la
majorité des propositions, faites conjointement par des élus et des
entrepreneurs économiques, concerne principalement le domaine de
l’aménagement urbain et les travaux publics (autorisation de construction,
de réaménagement ou d’exploitation de l’espace public...). C’est d’ailleurs
là l’une des préoccupations principales des acteurs économiques (banques,
entreprises, industriels...) qui tentent d’étendre leur champ d’influence au
sein de la métropole en défendant leurs propres intérêts commerciaux et
financiers. Cela explique aussi en partie les efforts déployés en vain par
certains hommes d’affaires pour entrer en contact avec des politiques afin
de les convaincre de soutenir leurs demandes auprès des conseils élus du
gouvernement local. Toutefois, et à quelques exceptions prés, cela ne
semble pas être le cas des milieux de la finance80 à en juger notamment par
le comportement des directeurs de banque, du crédit et autres services de
placements qui ne sont pas tellement impliqués dans le financement des
projets entrepris par la ville.
On peut donc conclure que les réseaux d’économie locale ne sont pas
assez sollicités par les conseillers de la ville. Ainsi, les notables sociaux ne
sont pas mis à contribution dans la réalisation de projets de développement
de la métropole. Leur rôle se limite principalement au financement de leurs
propres campagnes électorales ou bien celles de leurs candidats favoris. Par
ailleurs, les élus locaux qui appartiennent aux milieux d’affaires n’arrivent
pas apparemment à utiliser leurs réseaux d’influence (banques,
entreprises...) pour contribuer, par exemple, au financement de projets
sociaux ou culturels susceptibles d’améliorer les conditions de vie des
populations. Pour ce qui concerne les entrepreneurs économiques, ils ne
sont sollicités en effet que lorsque les autorités locales décident, par
exemple, de déléguer au secteur privé la gestion de services publics
(transport, propreté...) ou bien lorsque l’État décide de financer des projets
dont il n’a pas les moyens nécessaires (Casadev...). Face à un effacement du
rôle des notables et des entrepreneurs économiques au sein du
gouvernement local, on est en droit de s’interroger sur l’influence que
pourraient exercer des dirigeants syndicaux sur l’action locale des élus dans
la capitale économique où souvent les intérêts des salariés s’opposent à
ceux des entreprises.
Les conseillers de la ville qui déclarent avoir déjà fait des propositions
« communes » avec des acteurs associatifs semblent donc avoir du mal à
orienter les choix du gouvernement local. Malgré ces difficultés, certains
élus n’hésitent pas, par exemple, à adhérer (ou bien créer) à une association
locale (ou de quartier) afin d’entretenir un contact de proximité avec les
populations. Atteint cet objectif, ces conseillers se présentent au conseil
comme étant les « porte-voix » de leurs électeurs pour demander des
subventions qui devraient, en principe, être consacrées à la réalisation de
projets de développement à même de satisfaire les attentes et les besoins
des populations.
Ce qu’on a avancé ici à propos des associations locales s’applique tout
aussi bien aux ONG internationales considérées par Leach comme un
support pour l’actiondes leaders locaux : « Il arrive souvent que des
organisations internationales influent sur le cours des décisions relatives à
quelques projets de développement (économique, social et culturel) des
collectivités locales. Dans la plupart des cas, les leaders politiques, même
institutionnels, se trouvent obligés de composer avec ces organisations au
risque de se voir privés de sources de financement de certains de leurs
projets. » (Leach, 2000 : 106).
Les élus qui sont parvenus à présenter au conseil des propositions faites
par des ONG ne représentent qu’une infime minorité (2,3%) qui ne parvient
pas à orienter les choix des conseillers. Et pourtant, le contact permanent
avec des personnalités étrangères permet de renforcer la « réputation » d’un
leader. Il atteste indéniablement de sa mobilité, son esprit de
communication et surtout son aptitude à étendre son champ d’influence. De
fait, les conseillers pourraient toujours soutenir ce leader dans ses choix
dans l’espoir de profiter de ses réseaux de relations à l’étranger notamment
pour participer, par exemple, à un séminaire ou une conférence ou bien
bénéficier d’une formation ou d’un stage. Dans ce sens, il apparaît que
lesélus qui appartiennent aux milieux d’affaires semblent être les mieux
placés pour tisser des liens avec des organismes internationaux. C’est le cas
notamment des présidents des conseils régional et préfectoral, mais surtout
du président du conseil de la ville qui se présente comme l’interlocuteur
« privilégié » de la ville avec les personnalités publiques et associatives
étrangères (ONG, politiques...). En témoignent ainsi certains partenariats et
accords de coopération ou de jumelage signés entre le conseil de la ville de
Casablanca et nombre d’organismes étrangers (mairie, associations,
instituts...). Ces actions associatives se limitent toutefois aux efforts
individuels de certains conseillers qui occupent des positions d’autorité ou
de pouvoir et qui appartiennent surtout à des réseaux de relations établis à
l’étranger.
Les relations des leaders avec les médias de masse dépendent donc des
types de comportement adoptés par les leaders dans différentes situations :
les leaders qui s’exposent aux médias et qui se considèrent comme étant les
« porte-parole » (spokespersons) de leur communauté. Et ceux qui ne s’y
exposent pas et préfèrent charger leurs partisans de s’acquitter de cette
mission. Enfin, les leaders qui ne parviennent pas à bénéficier des supports
médiatiques à cause notamment de certaines contraintes de la part des
autorités. Selon Leach, dans les arrondissements, les provinces et les
communes rurales, par exemple, les fonctionnaires peuvent encore se
permettre de jouer un rôle dominant dans leurs relations avec les médias. Il
s’agit là d’un contrôle politique qui existe plus ou moins dans la plupart des
autorités locales. Dans le milieu urbain, en revanche, il apparaît que le
fonctionnaire s’éclipse devant le leader médiatisé, surtout lorsque ce dernier
incarne l’image d’une personnalité publique (public face) à même de
défendre les intérêts de la collectivité (Leach, 2000 : 95-96).
D’un autre côté, il semble que les élus locaux ne parviennent pas à
solliciter des acteurs de l’économie locale pour appuyer les initiatives et les
projets de la ville. De même qu’ils n’arrivent pas tellement à coordonner
leurs actions avec des acteurs syndicaux pour défendre les intérêts des
salariés dans la capitale économique. En outre, les élus manquent
considérablement d’ancrage local au sein de la communauté et ne
parviennent pas à amorcer une dynamique associative susceptible de
favoriser un contact permanent des politiques avec les populations. Enfin,
on ne manquera pas de relever un effacement de la communication
politique des élus locaux dans la mesure où ils n’utilisent pas tellement les
moyens modernes d’information pour défendre leurs idées de manière à
pouvoir toucher l’opinion publique.
62 Il s’agit de la loi 78-00 portant la Charte communale promulguée par le dahir du 3 octobre 2002,
ainsi que la loi 9-97 formant code électoral, complété par la loi 64-02 promulguée par le dahir du 24
mars 2003.
63 Le terme « arrondissement », qui s’est substitué à celui de »commune » (jama’a), émane d’un
lexique « makhzenien », car il reprend la même appellation qui désigne la « mouqata’a ». Celle-ci
désigne une entité administrative, inspirée du système « caïdal », et dont le rôle est d’assurer un
maillage administratif et sécuritaire des préfectures et des provinces du royaume.
64 R. Ojeda Garcia : Les élites locales face à la décentralisation. In Anciennes et nouvelles élites du
Maghreb. A. Sraïeb et A. Massoudi. Aix-en Provenance. Institut de Recherches et d’Études sur le
monde arabe et musulman, INAS/CERES/EDISUD, 2003, (pp.167-183), p.168.
65 La représentation proportionnelle vise à répartir les sièges à pourvoir au prorata des résultats
obtenus par les différentes listes en compétition. Les sièges sont répartis jusqu’à ce qu’ils soient
totalement attribués. Voir : la loi n° 9-97 formant Code électoral (article 66)
66 Dans l’article 199 du code électoral de 2003, le nombre des membres des conseils des communes
urbaines, dont le nombre d’habitants est égal ou supérieur à 2. 000. 001, est de 131 membres.
67 Les membres des conseils des communes dont le nombre d’habitants est supérieur à 25 000 et les
conseils d’arrondissement sont élus au scrutin de liste à la représentation proportionnelle à un tour
suivant la règle du plus fort reste sans panachage ni vote référentiel (Code électoral de 2003, article
200). Les sièges réservés au conseil des communes urbaines précitées sont répartis entre les
arrondissements les composant en tenant compte du nombre de la population légale de chaque
arrondissement.
68 « Le président préside le conseil communal, représente officiellement la commune dans tous les
actes de la vie civile, administrative ou judiciaire, dirige l’administration communale et veille sur les
intérêts de la commune (...) (Article 45 de la Charte communale 2002). « Le président du conseil
communal dirige les services communaux. Il est le chef hiérarchique du personnel communal. II
nomme à tous les emplois communaux et gère le personnel permanent, temporaire et occasionnel (...)
(article 54 de la Charte communale 2002)
69 La nouvelle Charte communale précise explicitement le rôle de la tutelle à laquelle est réservé le
titre VI comportant 2 chapitres (1 et 2) formés de 10 articles. « Les pouvoirs de tutelle conférés à
l’autorité administrative ont pour but de veiller à garantir la protection de l’intérêt général »
70 Au Maroc, depuis la réforme de la régionalisation de 1997, le wali est un préfet de région, préfet
d’une des seize régions du pays.
71 Charte communale octobre 2002, (article 85)
72 En l’occurrence, la loi 78-00 portant Charte communale modifiée par la loi 01-03 et la loi 9-97
formant code électoral, modifiée par la loi 64-02 en 2003
73 Dans l’ensemble, le PJD n’a présenté que 4.268 candidats soit 3,48% de l’ensemble. Dans les
circonscriptions régies par le scrutin uninominal, il n’a parrainé que 6% des candidats. Dans les
autres circonscriptions, régies par le scrutin de liste (villes de moins de 500.000 habitants), les élus
PJD étaient présents à hauteur de 74% des candidatures. Malgré cette »réserve », le parti »islamiste »
a réalisé un bon score (16 sièges) dans la ville de Casablanca. Mieux, il s’est classé même en tête
dans quatre arrondissements de la métropole économique, à savoir : Sidi Belyout, Hay Mohammadi,
Hay Hassani et Sidi Bernoussi, dont le président du conseil est un élu PJD.
74 Deux partis n’ont pas participé aux élections communales du 12 septembre 2003 : le Parti de
l’Action (PA) et le Parti Marocain libéral (PML).
75 Ce pourcentage qui regroupe une douzaine de conseillers corrobore, à juste titre, le résultat
susmentionné représentant le nombre des conseillers de la ville qui se déclarent sans appartenance
partisane (SAP).
76 Selon Weber, la bureaucratie assure la prééminence de la règle sur le bon vouloir de l’individu,
elle est dans l’absolu la forme d’organisation la plus juste et la plus efficace. Weber (Max), Économie
et société, 2 tomes, traduit de l’allemand par Julien Freund et al., Paris, Plon, 1971 (1922). Les
sociologues américains, à l’instar de Merton (1940), mettent davantage l’accent sur les irrationalités,
les limites et les dysfonctionnements de la bureaucratie. Robert Merton, « Bureaucratie structure and
personality » Social Forces (1940) 18 : 560568. Dans notre étude, il ne s’agit pas de chercher à
mesurer l’efficacité du système bureaucratique local et encore moins à dégager ses
dysfonctionnements. On adopte ici la conception « transactionnelle » de McGregor Burns (1978) à
propos de la bureaucratie locale qui met en relation des technocrates nommés (fonctionnaires
communaux) à des hommes politiques élus (conseillers de la ville). Les deux parties doivent
coopérer, chacune à sa manière, pour satisfaire les attentes et les besoins de la collectivité. Notre
objectif s’inscrit dans la tradition de Weber qui s’intéresse aux façons dont les hommes s’y prennent
en divers lieux et temps pour gouverner, en d’autres termes, pour imposer une autorité et faire en
sorte que la légitimité de celle-ci soit reconnue, c’est-à-dire tout simplement pour exercer un
leadership.
77 « Le dialogue entre un conseiller élu et un agent de l’autorité comprend ainsi plusieurs
mécanismes servant à transmettre des informations et des “instructions“ (formelles et informelles)
de la part des politiques vers les fonctionnaires » Steve Leach & David Wilson, Local political
leadership, The Policy Press, University of Bristol, U.K, 2000, p.69.
78 Règlement intérieur du conseil de la ville de Casablanca (approuvé le 3 octobre 2003), (article
22)
79 Max Weber (1919), le savant et le politique, Paris, Union générale des éditions, 1963.
* Au-delà du Moyen Âge, selon Max Weber, les villes finissent par perdre leur liberté face au
pouvoir central. Weber met en avant une différenciation du rôle de l’État qui se place au dessus des
individus, au-delà d’un État qui ne peut admettre une appropriation privée des attributs de la
puissance publique. L’État apparaît avec une organisation. Max Weber, La ville, ed. Aubier
Montaigne, Paris, 1982 - Ed. Française.
80 La Caisse de gestion et du dépôt (CDG) semble faire exception puisqu’elle est actionnaire dans la
société « Casadev ». Sa présence peut être interprétée par l’engagement du bras financier de l’État, et
du groupe ONA en particulier, à participer activement à la gestion des affaires locales.
81 D’après Jean-Pierre Deslauriers et Renaud Paquet, « le syndicalisme tel qu’il est pratiqué
actuellement est incompatible avec le mouvement communautaire, mais on peut l’adapter ». Jean-
Pierre Deslauriers et Renaud Paquet, « Travailler dans le communautaire », Presses de l’Université
du Québec, 2003, p. 85
82 Lors d’une conférence sur « la gouvernance et la démocratie locale », organisée en 2007 par le
conseil de la ville, en partenariat avec l’USAID, un conseiller « islamiste », vice-président du conseil,
s’est exprimé publiquement en faveur d’une « démocratie représentative » qui privilégie l’aspect
« institutionnel » de la fonction élective. Un avis que ne partagent pas nombre d’élus locaux du PJD
qui se reconnaissent plutôt dans un modèle de « démocratie participative » en arguant ainsi que « la
politique de proximité semble constituer l’un des piliers de l’action politique du parti et l’un des
traits spécifiques de sa stratégie ». La déclaration du conseiller « islamiste », citée plus haut, émane
d’un discours idéologique « rationaliste » visant à contrer les détracteurs du PJD qui n’hésitent pas à
le qualifier de parti « populiste ». La tentative du conseiller « islamiste » avait pour ambition de jeter
les bases d’un modèle de comportement « pragmatique » qui s’inscrit aux antipodes de la stratégie
politique du PJD. Celle-ci se traduit apparemment par l’engagement des élus « islamistes » à
déployer activement leur présence auprès des populations, surtout dans les localités marginalisées où
le volume de la masse considérable est plutôt considérable.
83 On reprend ici une catégorie de la « culture politique » telle qu’elle a été développée par Almond
et Verba. Voir à ce propos : G. Almond et S. Verba, The Civic Culture. Political attitudes in Five
Countries, Princeton, Princeton University Press, 1963.
CHAPITRE 4
STRUCTURES, FONCTIONS ET RÔLES DE LEADERSHIP
Pour le niveau d’instruction, il apparaît normal que les élus qui disposent
d’un niveau d’instruction supérieur (73,7%) soient favorisés pour accéder à
des postes de responsabilité de manière à pouvoir conduire les affaires de la
ville. D’ailleurs, les responsables qui accèdent à des positions de direction
semblent maîtriser des langues étrangères (68,4%) qui les aident justement
à mieux communiquer avec le monde externe (chefs d’entreprises, hauts
fonctionnaires, responsables d’ONG...)
Dans le même sens, Gardner estime que pour exercer un leadership, les
leaders doivent l’institutionnaliser même s’ils sont doués pour résoudre les
problèmes au sein de leur organisation. Un système institutionnel, à l’instar
d’un organisme gouvernemental ou une entreprise, est souvent conçu pour
endiguer les problèmes techniques et s’adapter aux changements. Le rôle du
leader « institutionnel » consiste ainsi à gérer le système soutenu dans son
entreprise par une équipe d’administrateurs. Il faut savoir d’ailleurs
qu’aucun individu n’a toutes les qualifications - et certainement pas le
temps - pour effectuer toutes les tâches complexes de leadership. Et c’est là
qu’intervient le rôle d’une équipe de partisans compétents et fidèles. La
loyauté et l’entente entre les membres de l’équipe et le leader sont en effet
des conditions nécessaires même si elles ne sont pas suffisantes pour
maintenir la relation de leadership (Gardner, 1990 : 10).
Résultat, le règlement intérieur n’a pas été tellement respecté par les
conseillers y compris parmi ceux de la majorité. Cela avait d’ailleurs
contribué à fragiliser la légitimité « légalo-rationnelle » de la présidence qui
se présentait comme le « garant » du respect des lois et des règlements en
vigueur. De plus, certains conseillers avaient ouvertement qualifié la
majorité de coalition « non démocratique » dépourvue de la légalité pour
pouvoir assurer une direction responsable des affaires locales.
Concrètement, une partie des conseillers avait décidé de boycotter les
travaux du conseil de la ville de Casablanca. Ce fut le cas notamment de
certains conseillers de l’opposition (près d’une trentaine) qui n’ont jamais
assisté aux sessions du conseil sachant que le règlement intérieur prévoit,
expressément, des sanctions contre les absentéistes (suspension après trois
absences non justifiées). Après l’adoption du « règlement intérieur » du
conseil de la ville, le président avait tenté de marquer son leadership
institutionnel par la mise sur pied s’un « nouvel organigramme » de la
Commune de Casablanca.
Dans cette optique, comme le fait remarquer justement David Rosen, les
candidats au leadership doivent intégrer des rôles formels pour influer sur le
cours des décisions. Ainsi, la distribution numérique des fonctions
d’autorité atteste de l’exercice d’un leadership « institutionnel » au sein des
organisations politiques (Rosen 1984 : 41-42). Au niveau du conseil de la
ville de Casablanca, le président semble avoir joué un rôle déterminant dans
la répartition des fonctions au sein des instances dirigeantes. Le règlement
intérieur du conseil lui permet d’ailleurs d’user de « pouvoirs légaux » pour
choisir des partisans disposés à soutenir ses orientations et ses décisions.
Les élus locaux agissent ainsi dans un contexte institutionnel marqué par
une réforme visant une certaine stabilisation du gouvernement local. D’une
part, la durée du mandat présidentiel est considérée comme une ressource
stratégique dans les mains des leaders « institutionnels ». Elle leur offre
ainsi un double avantage : inscrire les initiatives et les choix dans le long
terme et garantir aux équipes de travail une certaine continuité dans la
direction des affaires (Alistair, 1997 : 462). Et d’autre part, la suppression
de la possibilité de désinvestiture du président a permis à ce dernier en
particulier d’asseoir son autorité grâce notamment à des pouvoirs légaux
« élargis ». La présidence jouit ainsi d’importantes prérogatives lui
permettant de se placer à la tête du gouvernement local. D’après le
règlement intérieur du conseil de la ville, celui-ci est représenté par un
président et un bureau composé de 10 vice-présidents qui appartiennent à la
majorité.
Pour exercer ces fonctions, un leader potentiel doit donc disposer par
ailleurs de certaines ressources institutionnelles. Leach analyse
l’implantation d’un leader « salarial » dans les villes88 et estime que
l’engagement à plein-temps des leaders requiert des indemnités financières
importantes. En Grande-Bretagne, par exemple, les conseillers de la ville de
Leicester ont choisi un corps indépendant de citoyens pour évaluer l’action
du leader et faire des recommandations au conseil de la ville sur deux
choses : d’une part, le niveau des indemnités relatives aux responsabilités
spéciales du leader dans sa position de conseiller de la ville. Et d’autre part,
le mécanisme en mesure de gérer l’augmentation des indemnités relatives
aux missions spécifiques du leader (Leach, 2000 : 133-134).
Ceci étant posé, l’enquête révèle par ailleurs qu’il est difficile de
délimiter l’exercice du leadership « institutionnel » au sein du
gouvernement local. Ainsi, certains partisans proches du président profitent
des pouvoirs légaux dont ils disposent pour exercer une certaine influence
sur les décisions locales. C’est le cas notamment de certains membres de la
majorité qui tentaient d’user de leurs prérogatives pour gagner la sympathie
des populations dans l’espoir qu’ils voteront pour eux le jour du scrutin.
Pour exemple, certains conseillers n’hésitent pas à assister certaines
familles démunies en leur accordant des aides matérielles (denrées
alimentaires...) ou bien en prêtant main-forte aux populations en cas de
décès (prise en charge des funérailles...), etc. Lors d’une visite matinale à la
commune de Casablanca, on a constaté la présence d’une dizaine de
personnes qui attendaient l’arrivée d’un vice-président du conseil pour qu’il
leur délivre personnellement des autorisations administratives. Grâce à sa
proximité avec le président, ce dernier bénéficiait du pouvoir de signature
délégué et se permettait même de se substituer aux fonctionnaires pour
valider des documents administratifs. Son influence grandissante qui
dépassait de loin le cadre de ses attributions lui a valu d’ailleurs des
critiques acerbes de la part de ses adversaires et même de ses alliés au sein
de la majorité.
L’enquête révèle à cet égard que la majorité des élus affirme que l’accès à
des postes de responsabilité est fonction de l’habilité du candidat à
mobiliser le soutien des conseillers, sa capacité à les convaincre d’adhérer à
ses idées et son aptitude à monter des coalitions sur la base d’un consensus
de compromis entre les différentes parties en jeu. En outre, la majorité des
interviewés, qui occupent des positions d’autorité au sein du conseil, estime
que c’est grâce à la coalition entre les partis de la majorité, pour soutenir le
président, qu’ils sont parvenus à décrocher des postes de responsabilité.
Seulement une minorité de conseillers semble convaincue que la
compétence et l’expérience professionnelle ont joué un rôle déterminant
lors des négociations des postes à pourvoir. Pour preuve, ils arguent que
c’est bien des hommes d’affaires et des cadres supérieurs qui sont parvenus
à accaparer la plupart des postes de responsabilité à la tête du conseil de la
ville de Casablanca. Ce constat confirme d’ailleurs une orientation
« managériale » ardemment défendue par l’actuel président. En effet, ce
dernier avait mis en avant son expérience dans le milieu d’affaires pour
proposer un modèle de direction de type « entrepreneurial ». L’enquête
démontre à ce propos qu’une grande partie des conseillers, surtout au sein
de la majorité, s’est laissée convaincre par la capacité du président à assurer
une gestion « efficace » du conseil de la ville vu notamment son « succès »
dans le monde de l’entreprise.
« C’est grâce au PJD, à nous les militants, que Sajid a pu s’imposer dans
l’arrondissement d’Aïn Chock. Nous avons cru en lui. Nous avons cru qu’il
allait diriger le conseil d’une manière exemplaire mettant au service de la
population son expérience d’homme d’affaires moderne et cultivé. Mais il
n’en est rien de tout cela. Personnellement, je regrette de l’avoir soutenu.
Maintenant, il ne daigne même pas me répondre au téléphone (...). »
Le leadership est pour ainsi dire fonction de buts partagés par le leader et
ses partisans90. Burns affirme à cet égard que contrairement à l’exercice
d’un pouvoir ou d’une autorité (naked power wielding), le leadership est
inséparable des buts des individus qui agissent au sein de la collectivité. Ce
sont en effet les leaders qui incitent les followers à agir en vue d’atteindre
certains objectifs représentant les valeurs et les motivations (besoins,
attentes, aspirations et expectations) à la fois des leaders et des partisans
(Burns, 1978 : 19-20). Dans le même sens, Gardner estime que les leaders
doivent toujours prendre en considération les attentes des partisans, en
particulier lorsqu’ils sont amenés à prendre des décisions quotidiennes
(approuver un budget, annoncer une politique, orienter un sympathisant...)
(Gardner 1990 : 29-30). À cette fin, Blondel propose d’adopter le concept
de « buts de leadership » comme un critère de base pour évaluer les actions
des leaders. Il s’agit là d’une démarche qui tente essentiellement de
comprendre les attitudes, les stratégies et les attentes à la fois des leaders et
des followers (Blondel, 1987 : 87-96).
À l’instar des partis, il apparaît clair que les conseillers n’arrivent pas à
traduire leurs orientations politiques en buts de leadership qu’ils se doivent
d’atteindre durant l’exercice de leur mandat local. Pour preuve, les élus
locaux ne semblent pas disposés à traiter des questions politiques, telles que
la corruption et le clientélisme, qu’ils disent entraver le fonctionnement du
gouvernement local. Ce faisant, la majorité des conseillers de la ville
contribue indéniablement à « dépolitiser » l’action locale en focalisant sur
des problématiques d’ordres social et économique. Par ailleurs, ces
problèmes sont appréhendés et traités selon une approche « managériale »
qui s’inscrit aux antipodes d’une action politique émanant d’orientations
idéologiques. Cette situation s’explique en partie par l’influence exercée par
les partisans du modèle « technocratique » de gouvernement sur les acteurs
politiques dans différentes sphères décisionnelles.
Avec un peu de recul, force est de constater que lors des campagnes
électorales en 2003, la majorité des élus locaux n’a pas veillé à respecter
des lignes de démarcation idéologique pour marquer un comportement de
leadership. Ainsi, il était difficile de différencier la campagne d’un candidat
PJD de celle d’un candidat USFP, par exemple, tellement le contenu des
slogans utilisés se ressemblait dans le discours politique des antagonistes.
C’est le cas notamment du thème de « justice sociale » véhiculé presque de
la même manière par les candidats « socialistes » et « islamistes ». Durant
la campagne électorale, aucune partie n’a entrepris un travail de fond sur le
lexique utilisé dans la construction des argumentaires discursifs visant à
obtenir le soutien des électeurs. En témoigne ainsi l’effacement de la
singularité idéologique de certaines notions historiques comme celle de
« classe sociale », inhérente au discours des « gauchistes », ou encore la
notion de « al-’Adala » ou « al’adl » (justice) qui renvoie à un discours
islamiste sur la « solidarité sociale » (takafoul ijtima’i) entre musulmans.
De fait, les populations avaient vraisemblablement du mal à se forger une
opinion distincte sur les convictions et les orientations idéologiques des
candidats. On comprend donc pourquoi il était difficile pour les électeurs de
distinguer, par exemple, un programme d’un parti « de gauche » de celui
d’un parti « de droite » ou encore un programme « libéral » d’un
programme « conservateur », etc.
De fait, l’intérêt des électeurs a été porté davantage sur des personnes que
sur des idées et des programmes et encore moins sur des « choix de
société » ou « des choix de vie au quotidien ». L’effacement du rôle des
partis et des idéologies dans la vie politique locale s’est traduit ainsi par une
tendance vers une « personnalisation » des campagnes électorales. Un
ancien élu local istiqlalien, et aussi parlementaire, semble convaincu que le
désengagement des partis à encadrer les hommes politiques ne favorise pas
l’émergence d’un leadership local. A ce propos, il n’hésite pas à déclarer
ceci :
Les actions des conseillers de la ville restent donc en deçà des espérances
et des besoins des populations. Faute de moyens, et parfois de savoir et de
savoir-faire, les objectifs des conseillers de la ville ne dépassent pas souvent
le stade de « promesses électorales ». En outre, leur manque d’initiatives
encourage souvent les autorités à investir le gouvernement local par le biais
des fonctionnaires. En témoigne ainsi la compétition entre le wali de la
région du grand Casablanca et le président du conseil pour exercer des rôles
d’influence. Pour exemple, on peut évoquer l’action du wali, en 2004,
lorsqu’il a entrepris l’implantation de 10.000 arbres dans la ville pour
gagner en popularité. Cette initiative avait été mal perçue par les conseillers
qui dénonçaient justement une certaine intrusion des fonctionnaires dans
l’action politique. Par ailleurs, force est de constater que les initiatives des
autorités locales se trouvent souvent appuyées par de hauts dignitaires de
l’État ou bien par le pouvoir central. En témoignent ainsi les visites royales
effectuées à la ville de Casablanca afin de renforcer la présence de la
monarchie dans la sphère politique locale à travers notamment la réalisation
de projets de développement financés ou cofinancés par l’INDH.
Malgré ces handicaps, l’enquête atteste d’une évolution relative du
niveau de réalisation des objectifs tracés par le bureau du conseil. Pour
preuve, les initiatives des conseillers de la ville se sont ainsi multipliées
même si une bonne partie d’entre elles n’ont pas abouti à des décisions
adoptées. D’après l’enquête, entre 2003 et 2007, presque la moitié des
conseillers (47,7%) déclare avoir fixé des objectifs qu’ils avaient tenté
d’atteindre pour répondre aux doléances des populations. Alors que
seulement 12% des interviewés disent avoir réalisé effectivement certains
de leurs objectifs durant l’exercice de leur mandat. Dans le même sens, et
d’après les déclarations des interviewés, les buts du leadership déterminés
par la majorité ont augmenté quantitativement de prés de 50% depuis la
constitution du conseil de la ville en 2003. Pourtant, face aux difficultés de
faire passer leurs propositions, les conseillers se sont souvent démobilisés
pour cesser, dés le début de 2006, de défendre vigoureusement leurs
demandes renonçant ainsi à leur rôle d’exercer un certain leadership local,
comme le démontre, à titre illustratif, le graphique 27 ci-dessous. En effet,
on constate que la plupart des conseillers qui ne parviennent pas à imposer
leurs propositions dans l’ordre du jour du conseil finissent souvent par se
décourager, et partant, décident de battre en retraite.
À cela, il faudra ajouter le fait que les élus locaux ne sont pas soutenus
dans leurs entreprises par les partis politiques. Et pour cause, la majorité des
conseillers de la ville semble plutôt détachés de l’institution partisane et ne
s’identifient pas tellement à leurs chefs partisans. L’enquête relève ainsi que
presque la moitié des conseillers (45%) déclare que les objectifs politiques
qu’ils ont atteints ou bien qu’ils souhaitaient réaliser représentent justement
leurs idées personnelles et 35% affirment que les buts déterminés vont de
concert avec une politique nationale ou gouvernementale. Alors que
seulement 20% des interviewés se disent convaincus que les objectifs suivis
émanent de leur parti ou leur coalition politique.
En outre, l’enquête révèle que dans la majorité des cas, les membres du
bureau du conseil décident souvent de l’orientation du vote la veille même
des séances publiques. Il s’est avéré ainsi que le président organise
régulièrement des dîners où il invite, souvent chez lui, ses partisans afin de
rassembler les voix nécessaires pour faire approuver ses propositions. Un
vice-président nous a même confié que la programmation de l’ordre du jour,
les réunions entre élus et fonctionnaires, et les débats entre les conseillers
lors des séances plénières ne sont qu’un cérémonial destiné à légitimer en
vain l’action du gouvernement local. Car, selon lui, les stratégies
décisionnelles sont systématiquement élaborées par la majorité sous l’égide
des autorités de tutelle en dehors des institutions politiques locales
représentatives. En témoigne ainsi le rôle du président comme « corps
intermédiaire » dont l’action se réduit souvent à faire pression sur les
conseillers afin d’approuver les propositions de la majorité, lesquelles sont
souvent dictées par les représentants des autorités locales.
Leach estime que le leader doit être disponible et déterminé à faire des
sacrifices pour s’acquitter de ses fonctions et servir par là même les intérêts
de la collectivité. En effet, le travail du leader est considérable et nécessite
beaucoup de temps pour pouvoir gérer au quotidien les affaires locales :
appels téléphoniques, prise de notes, meetings avec des investisseurs et des
lobbyistes... (Leach, 2000 : 135). Dans la ville de Casablanca, les élus
locaux ne semblent pas prêts à renoncer à leurs activités professionnelles
pour s’adonner pleinement aux activités politiques vu que leur fonction
représentative n’est pas rémunérée. Ainsi, du moment où les élus locaux ne
sont pas des politiques à plein temps, ils seraient toujours vulnérables et peu
disposés à s’acquitter convenablement de leur mission de représentants de
la collectivité. Pour Weber, l’élu doit se transformer en « professionnel » de
la politique pour asseoir son pouvoir par rapport au fonctionnaire qui
s’impose parfois grâce à sa connaissance des dossiers dans la durée.
Pour bien situer le problème, nous sommes partis de l’idée selon laquelle
le leadership émerge souvent de l’articulation entre position et
comportement considérés comme deux concepts-clés pour identifier les
leaders politiques. Ainsi, nombre d’auteurs ont tendance à définir le
leadership comme étant la manière dont se comportent les leaders, ceux qui
sont élus ou désignés pour occuper des postes de responsabilité. D’autres
privilégient plutôt le comportement pour appréhender le phénomène du
leadership. Selon Leach, celui-ci ne doit pas être considéré seulement
comme une fonction émanant d’une position ou d’un statut hiérarchique.
Toutefois, l’auteur reconnaît que le comportement de la plupart des leaders
influents au niveau local demeure fortement, voire exclusivement, associé à
leur position institutionnelle. D’où justement l’importance de la position qui
offre des bases solides pour les élus qui tentent d’afficher un comportement
de leadership (Leach, 2000 : 7-8). Vu sous cet angle, on propose d’étudier
les comportements de leadership à travers trois axes principaux, à savoir :
action locale, mobilisation collective et prise d’initiatives.
En somme, force est de constater que les élus locaux ne se déploient pas
tellement pour obtenir la confiance des électeurs. Ainsi, les conseillers
n’essayent pas de mobiliser leurs partis pour résoudre les problèmes dont
souffrent les localités de la ville. Au contraire, ils attendent souvent les
campagnes électorales pour approcher les populations n’hésitant pas à faire
usage de l’« argent » sale pour acheter des voix et à multiplier des
promesses difficiles à tenir dans le seul but de gagner le scrutin. D’où
justement les difficultés que rencontrent les élus locaux pour mobiliser des
followers à même de renforcer la crédibilité de leaders en une d’influer sur
le cours des décisions du gouvernement local.
a) Débats et communication
Pour asseoir un leadership local, les élus doivent répondre aux attentes
des citoyens. À cette fin, ils doivent débattre des problèmes dont souffrent
les populations afin de pouvoir dégager leurs besoins et tenter de les
satisfaire. À cet égard, l’enquête atteste d’un déficit de dialogue entre les
acteurs de la vie politique locale. Ainsi, seule une minorité des conseillers
(22,1%) affirme avoir déjà organisé des meetings ou des réunions depuis le
début du mandat local, comme le démontre, à titre illustratif, le graphique
29 ci-dessous. Et à en croire les déclarations de ces conseillers, il apparaît
que ce sont surtout les questions sociales (alphabétisation, services
publics...) qui sont les plus traitées lors de ces meetings et réunions dans la
mesure où elles représentent des sujets prioritaires sur l’« agenda » du
gouvernement local.
Graphique 29 : « Avez-vous déjà organisé des meetings politiques
depuis 2003 ?
« Je suis certes pour la formation, mais je ne suis pas prêt à suivre une
formation dispensée par des professeurs ou des experts qui n’ont jamais fait
de politique. A quoi ça sert de passer des journées entières à écouter des
exposés théoriques savants (lafhama)96 sur la démocratie locale si l’on ne
dispose pas d’une expérience de terrain ? »
Dans le même sens, 55,7% des interviewés affirment avoir déjà participé
à une manifestation ou un rassemblement autorisé, 40,5% sont disposés à y
prendre part, contre seulement 3,8% qui refusent catégoriquement d’y
participer. En d’autres termes, dès qu’il s’agit de prendre part à des actions
plus engagées, les élus locaux semblent plutôt réticents, voire totalement
opposés. Pour preuve, seulement 15,3% des conseillers disent avoir déjà
participé à une grève, 42,7% sont disposés à y prendre part et 42% en sont
carrément défavorables. Dans le même ordre d’idées, 60,3% des
interviewés disent n’avoir jamais participé à un sit-in ou à un
rassemblement non autorisé. Pour exemple, seulement 37,4% des
conseillers se disent disposés à prendre part à un sit-in et 2,3% affirment
l’avoir déjà fait durant l’exercice de leur mandat, comme le démontre, à
titre illustratif, le graphique 31 ci-dessous. En d’autres termes, on aurait du
mal à imaginer des élus locaux engagés à entreprendre des actions radicales
de protestation ou de contestation pouvant aller, par exemple, jusqu’à
occuper un endroit particulier (bureau, Cour de justice...) pour faire
parvenir leurs revendications.
Ce faisant, les élus locaux se sont trouvés relégués au second plan par
rapport aux bureaucrates qui sont parvenus à « désamorcer » la crise due à
la décision de la Lydec d’augmenter les tarifs d’eau et d’électricité.
L’effacement du rôle des conseillers de la ville et leur manque d’initiatives
n’ont pas favorisé l’émergence d’un comportement de leadership. En outre,
plusieurs conseillers expriment un sentiment d’impuissance non justifié
ressenti vis-à-vis des agents administratifs de l’État, malaise assorti du désir
vague d’acquérir formation et qualification. D’où justement une
valorisation du technocratique par rapport au politique, c’est-à-dire un
déplacement de la légitimité démocratique en faveur d’une base de
technicité pour le leadership local, dont l’institution présente alors une sorte
de légitimité « en creux »97.
Malgré cette lacune, il serait toujours utile d’identifier les motifs qui
incitent les conseillers de la ville à accorder (ou ne pas accorder) leur
soutien aux initiatives de la majorité. Cela pourrait renseigner ainsi sur les
bases du leadership local. Les raisons qui poussent un élu à soutenir telle ou
telle proposition (ou à s’y opposer) sont par ailleurs diverses et variées. Les
motivations pourraient être d’ordre structurel, psychologique, ethnique,
professionnel et générationnel. Elles peuvent aussi être liées à la
personnalité, aux affinités intellectuelles ou idéologiques ou bien inhérentes
à des valeurs morales ou à des intérêts particuliers.
1. La loi de « la majorité »
Le leadership consiste à mobiliser le soutien nécessaire de followers pour
faire passer des propositions. L’exercice de l’influence serait ainsi
intrinsèquement lié à l’approbation (ou la désapprobation) de décisions
discutées par le conseil de la ville. Le processus de vote contribue donc à
valider lecomportement du leadership « institutionnel ». À cet égard,
l’enquête nous apprend que la plupart des conseillers sont convaincus que
« la loi de la majorité » demeure le facteur déterminant dans la prise de
décisions. Pour preuve, il apparaît que 32% des interviewés estiment que le
vote de la majorité est le moyen le plus efficace pour faire passer une
décision, 29% préfèrent convaincre le président et son bureau, 18,3%
privilégient assurer le montage administratif et technique de la proposition,
18% préfèrent chercher un soutien auprès des conseillers et seulement 3,8%
estiment nécessaire de mener une campagne de sensibilisation auprès de
l’opinion publique, comme le démontre d’ailleurs, à titre illustratif, le
graphique 33 ci-dessous.
2. Alliances et influences
Pour appuyer sa proposition, un leader aura besoin de solliciter le soutien
de followers. L’enquête révèle à cet égard que les conseillers de la ville
privilégient les alliances en vue d’obtenir l’appui nécessaire pour approuver
leurs décisions. Ainsi, la majorité des interviewés (68,7%) choisit de monter
des alliances pour faire passer leurs propositions, 11,5% d’entre eux
privilégient consulter des experts ou des techniciens, 10,7% préfèrent
recourir à des politiciens non représentés au sein du conseil et seulement
9,2% choisissent de contacter directement le président et son bureau,
comme le démontre d’ailleurs, à titre illustratif, le graphique 34 ci-dessous.
8. Compétition et adversité
Le leadership n’est pas seulement inhérent au soutien apporté aux choix
d’un leader potentiel, mais il est aussi lié à l’opposition manifestée à l’égard
de ses initiatives. Pour exercer de l’influence, un conseiller serait ainsi
obligé de s’attaquer aux initiatives de ses adversaires afin de les discréditer
auprès des followers. À cet effet, la capacité debloquer une proposition ou
voter contre une décision pourrait consolider la crédibilité du leader et
propulser une dynamique dans le groupe. Dans le conseil de la ville,
l’enquête révèle toutefois un manque de compétition entre leaders locaux.
Ainsi, la majorité écrasante des conseillers (84%) déclare n’avoir jamais
bloqué de propositions initiées par un de leurs adversaires, contre seulement
16% qui affirment l’avoir déjà fait, comme le démontre d’ailleurs, à titre
illustratif, le graphique 41 ci-dessous.
Cette méthode peut être résumée comme étant le ratio entre la fréquence
avec laquelle un individu initie des actions, dans des situations de groupe, et
la fréquence avec laquelle la personne réagit personnellement aux initiatives
des autres. Le ratio permet ainsi de mesurer quantitativement le phénomène
de leadership.
a) Tractations postélectorales
Les résultats du scrutin donnaient deux partis, l’Istiqlal et l’USFP,
membres du gouvernement à l’époque, favoris pour remporter le poste de
président du conseil de la ville de Casablanca. Selon une pure logique
arithmétique, ces deux partis étaient en mesure de former une coalition à
même de leur garantir la majorité des voix nécessaires pour se positionner à
la tête du gouvernement local :
Cela permettait aux partis de la koutla de monter des alliances avec des
partis membres du gouvernement pour accéder, plus facilement, à la
présidence du conseil avec deux voix supplémentaires (68 au lieu de 66
voix).
Face à la montée des divergences entre l’USFP et l’Istiqlal, des partis peu
représentatifs se sont empressés de présenter des candidats pour décrocher
la présidence du conseil de la ville. C’est le cas notamment de l’UC qui a
poussé Mohamed Sajid à prendre place dans la course à côté de deux
candidats de la koutla : Abdelkrim Ghallab (Istiqlal) et Khalid Alioua
(USFP). Le candidat (UC) décide alors de s’imposer en s’appuyant sur une
alliance stratégique déjà établie principalement entre notabilités locales et
islamistes légalistes. Le parti de Sajid, qui disposait de 10 voix, s’est allié
ainsi avec le MP 8 voix, le MNP 8 voix, le PJD 16 voix, l’UD 4 voix,
l’ADL 4 voix et 3 voix (SAP) pour prendre part aux élections du conseil
provincial. Ces mêmes partis « unis » au niveau provincial se sont alliés
pour barrer la route aux partis de la koutla d’accéder à la présidence du
conseil de la ville. Les candidats de ces partis sont parvenus ainsi à se faire
représenter au sein du bureau du conseil provincial. En outre, le parti du
Mouvement populaire (MP) a pu décrocher la présidence du conseil
préfectoral de la ville104.
Fort de ses alliances, le parti de l’UC était plus ou moins bien placé pour
concurrencer les partis de la koutla dans l’espoir de décrocher la présidence
du conseil de la ville de Casablanca. À cette fin, il fallait absolument
dépasser les conflits et mettre sur pied un consensus entre différents
courants politiques en compétition (islamistes, notables, libéraux...).
b) Origines
Grâce à un consensus de compromis, des notabilités locales avaient
formé une coalition pour contrer les partis de la koutla. Il s’agit là d’un
accord conclu sous l’égide d’un ancien membre de l’UC, Mohamed
Kemmou, proche d’ailleurs de l’ex-président de l’ex-CUC105 et de l’ex-
ministre de l’intérieur, Driss Basri. Grâce à ses réseaux notabiliaires,
l’homme est parvenu ainsi à rassembler bon nombre de conseillers (MP,
MNP, PJD, UC et ADL) pour soutenir une candidature commune pour la
présidence du conseil de la ville. Dans cet accord tacite, on pouvait lire
notamment ceci :
Les notabilités locales avaient désormais pris une longueur d’avance sur
leurs adversaires politiques pour décrocher la direction politique de la
métropole.
« L’USFP ne parle pas seulement en son nom, mais aussi au nom des
partis démocratiques vainqueurs des élections. Ainsi, en dehors de notre
famille politique de gauche, et à l’exception du PJD qui représente aussi un
courant politique organisé, il n’existe que des opportunistes et aucun
courant d’idées. »
d) « Islamistes »
L’élection du président du conseil de la ville de Casablanca, en 2003, est
due en grande partie à une alliance entre des « néo-notables »,112 des
islamistes légalistes et des partis dits « administratifs »113. Cette coalition
s’est traduite par un rapprochement entre les conseillers de trois parties
majeures : le « bloc haraki », l’UC et le PJD. L’objectif étant de barrer la
route aux partis de la koutla dont les deux candidats-ministres ne
s’apprêtaient pas réellement au jeu des négociations.
Outre les notabilités locales, Sajid pouvait compter sur le soutien des
conseillers PJD qui disposent d’un ancrage local dans le milieu urbain et
d’une certaine crédibilité auprès des populations. En effet, les élus PJD sont
réputés pour leur discipline et leur dévouement à leurs chefs. Les directives
du secrétariat général de ce parti étaient claires dès le début : les
négociations pour la conclusion d’accords de coalition ou de soutien d’un
candidat dans les grandes villes sont du ressort de la direction centrale. Une
cellule de coordination avait pour mission de mener les pourparlers avec les
partis politiques tant au niveau central que local. Pour ce qui concerne le
conseil de la ville de Casablanca, le PJD a décidé, au début, de soutenir
l’Istiqlal avant d’opter pour le candidat UC. Malgré ces revirements, les
seize conseillers PJD se sont toujours conformés aux consignes de vote de
la direction centrale. Le camp de Sajid pouvait désormais compter sur un
allié de taille : les islamistes légalistes.
e) « Outsiders »
Réagissant à ces alliances de tous bords, des élus « marginalisés »
décident désespérément de monter une coalition pour briguer la présidence
du conseil de la ville. Dans une manœuvre de dernière chance, le chef du
PSD114 décide d’organiser, le 21 septembre 2003, dans un hôtel de la ville,
une réunion rassemblant des conseillers appartenant à plusieurs partis (PSD,
FC, PND et MDS). Un conseiller PSD, riche notable et ancien président de
commune, avait ainsi tenté de faire campagne autour d’un thème qui se veut
« fédérateur » de la classe politique, à savoir la sécurité de la métropole
visée par la montée du « terrorisme ». L’un des slogans de cette campagne
était la dénonciation des attentats du 16 mai de Casablanca dans le cadre de
l’association « Matkich Bladi »115. À en croire ce conseiller, les
négociations pour la direction politique de la ville seraient dominées par des
élites économiques qui tendent à exclure les élus locaux. À ce propos, il
déclare ceci :
f) Soubresauts politiques
À l’issu de ces tractations, les partisans de l’accord qui comprend
notamment l’Istiqlal, l’UC et le MP se sont réunis, le lundi 22 septembre
2003 à 10 h du matin, pour chercher une issue à cette impasse politique.
Mais à la grande surprise, le candidat Ghallab n’a pas répondu présent à
l’appel et n’était pas joignable durant toute la matinée. Des conseillers
appellent au téléphone Mhaned Laenser, chef du MP qui informe l’alliance
que la mouvance ne donne pas de consignes. À 15 h de l’après-midi,
Ghallab avait contacté ses alliés pour leur informer qu’il s’est retiré de la
course à la présidence. Commentant sa décision, il rassemble toutes ses
forces et dit ceci :
g) Dénouements
Lors des tractations pour le choix du président du conseil de la ville, des
conflits ont surgi entre les partisans de Sajid tout particulièrement. À cause
d’un retard enregistré au niveau des contacts entre les chefs des partis,
certains conseillers, dont notamment ceux du « bloc haraki », avaient
commencé à protester en refusant ainsi de se soumettre aux directives de
leurs dirigeants partisans. L’accord conclu entre les partis notabiliaires et les
islamistes du PJD était sérieusement menacé par des animosités
personnelles entre certains candidats à la présidence et leurs partisans. Mais
ces tensions ont été vite canalisées juste avant la tenue de la session du
mardi 23 septembre 2003 consacrée à l’élection du président du conseil de
la ville de Casablanca.
Dans son premier test à la tête du conseil de la ville, Sajid est parvenu
ainsi à concilier ses partisans grâce à une répartition « négociée » des
fonctions hiérarchiques de responsabilité. Il tente ainsi de prôner un
leadership participatif en ces termes :
« Notre objectif est que toutes les parties représentées au sein du conseil
soient présentes au sein du bureau abstraction faite de leur poids
quantitatif. En outre, nous avons tenu à éviter le cumul des postes de
responsabilité. Ainsi, celui qui veut se présenter candidat à la présidence
des arrondissements ne pourra pas se porter candidat à la vice-présidence
du conseil. ».
h) Protestations
La session de l’élection du président du conseil s’est achevée, comme à
l’avait souligné précédemment, sans que les partis de la majorité puissent
constituer le bureau. Les jours qui suivent ont été marqués par une série de
négociations afin que l’USFP et l’Istiqlal soient représentés en vain au sein
du bureau du conseil. Un conseiller proche de Sajid évoque, lui, des
discussions entreprises entre des chefs de la majorité et des représentants de
l’opposition en vue de constituer un gouvernement local comprenant tous
les courants politiques. A cet égard, ce conseiller proche du président
déclare ceci :
a) Initiation
Malgré les efforts des autorités locales, la RATC était devenue un
véritable gouffre financier et ses véhicules un vrai danger pour la sécurité
des populations. Les élus locaux étaient du coup amenés à réagir afin de
pallier cette situation qui mettait en péril l’« intérêt général » de la
communauté. Mais les autorités centrales avaient agi seules en décidant,
unilatéralement, de concéder le transport public au privé. Les élus locaux
représentés au sein de l’ex-CUC n’avaient d’autre choix que de cautionner
cette décision programmée sous le régime de l’ancienne Charte communale.
La décision de la gestion déléguée du service du transport urbain par bus a
été adoptée par l’ex-CUC, présidée à l’époque par Saâd Abassi123 (RNI).
Ce dernier aurait été contacté par de hauts responsables du ministère de
l’Intérieur qui lui auraient demandé de faire approuver la concession du
transport en commun au secteur privé. Le 27 août 2003, lors d’une session
extraordinaire de l’ex-CUC, la décision a été adoptée dans la précipitation
par une faible majorité en l’absence de la moitié des membres.
Après la constitution du nouveau conseil de la ville en 2003, les autorités
se sont mobilisées pour entériner la décision de la concession du transport
urbain. Le conseil de la métropole a hérité ainsi d’un vieux dossier et s’est
trouvé de fait confronté à son premier défi : favoriser l’émergence d’un
leadership local à même de négocier les modalités de la concession du
transport urbain en respectant les intérêts de la collectivité. Mais le
challenge s’est avéré difficile à réaliser. Malgré l’importance de l’opération
pour l’avenir de la ville, l’enquête atteste cependant d’un manque de
participation des conseillers dans le processus de préparation et
d’élaboration de la convention autorisant la concession du transport public.
De leur côté, les partis politiques n’ont pas su impliquer leurs élus locaux
dans le processus de négociations avec les partenaires privés et les autorités
de tutelle. En outre, la majorité des conseillers de la ville n’a pas pris part
aux réunions de la commission du « suivi des services délégués » qui ont
précédé le vote de l’assemblée plénière. Le président du conseil et ses
proches collaborateurs avaient pris en charge la conduite des pourparlers
avec les concessionnaires sans que les représentants de la collectivité
interviennent pour faire parvenir leurs idées sur le dossier.
b) Élaboration
L’élaboration de la décision de concession du transport en commun a été
effectuée par des fonctionnaires. Nombre d’interviewés reprochaient ainsi
au président l’interventionnisme des bureaucrates qui privilégient une
gestion technique des dossiers. L’absence de leaders à même de mobiliser
les conseillers - dont la plupart étaient en congé d’été - autour de
propositions politiques avait permis à des technocrates d’accaparer le
dossier réduisant les négociations à de simples formalités procédurales.
Loin de toute orientation idéologique, la mission de Sajid s’apparentait à
celle d’un manager qui avait mis à profit son expérience dans le monde de
l’entreprise pour assurer le montage administratif et financier des
propositions faites par les représentants des sociétés privées124. Fin mars
2004, une commission technique avait entamé ainsi l’examen des
différentes offres soumises par les entreprises concurrentes. Mais l’examen
du dossier administratif des candidats, de l’offre technique et de l’offre
financière, qui devait en principe prendre plusieurs mois, avait été achevé
en un temps record au courant de l’été 2004. Le président est parvenu, en
un mois, à mettre en œuvre la procédure de pré-qualification pour la gestion
déléguée de la RATC. Parmi trois candidatures, deux participants menés par
la Régie autonome des transports parisiens (RATP) ont été retenus par la
commission pilotée par le ministère de l’Intérieur125. A la clé un contrat de
gestion déléguée de 15 ans et un une position monopolistique sur 57% du
réseau.
c) Le vote
Fort du soutien de sa majorité et de l’appui des autorités, le président n’a
pas hésité à mettre en avant les efforts déployés par son équipe pour doter
les Casablancais d’un transport de qualité. Impatient de voir son initiative
aboutie, il a évité soigneusement d’évoquer l’aspect social du transport en
commun qui va passer au secteur privé. Celui-ci allait hériter en effet d’une
entreprise publique en faillite et d’un problème social pas encore réglé : le
personnel de l’ex-RATC. Mais c’était trop tard. Les autorités et le bureau du
conseil ne pourraient pas faire marche arrière. Et après de longues
tergiversations, le conseil de la ville de Casablanca décide en fin
d’approuver la concession de la RATP au transporteur français avec une
faible majorité : 39 élus pour et 11 contre en présence seulement d’une
cinquantaine d’élus. Le jour du vote, les discussions n’étaient qu’un
exercice de forme visant à donner à l’opinion publique l’impression que les
représentants élus de la collectivité s’acquittaient convenablement de leurs
fonctions électives.
Le conseil de la ville n’avait donc d’autre choix que d’entériner cette
décision pour la mettre ensuite en application. Pourtant, le président du
conseil et son bureau n’avaient pas une grande marge de manœuvre pour
négocier les modalités et les termes de l’accord avec l’opérateur privé. De
leur côté, les partis politiques représentés au sein du conseil continuaient de
rejeter la décision de la gestion déléguée du transport urbain arguant qu’ils
n’ont pas participé à son élaboration. Les partis de la koutla, par exemple,
avaient contesté la légalité d’une proposition votée, d’après eux, « sous la
pression des autorités, dans la précipitation et sans aucune préparation en
amont ».
d) Dénouement
Après l’approbation de la gestion déléguée du transport urbain en 2004,
le président du conseil a tenté de gagner en crédibilité en mettant en avant
son rôle de « médiateur » entre les autorités et les opérateurs privés. Le
président essayait ainsi d’asseoir son autorité grâce notamment au soutien
de ses partisans au sein du conseil de la ville. Ces derniers semblaient
d’ailleurs apprécier le rôle joué par le chef de la majorité en tant
qu’interface avec les acteurs locaux. Certains d’entre eux essayaient en vain
de convaincre l’opinion publique du « succès » du contrat conclu avec le
secteur privé. Le reste des conseillers de la majorité, quant à eux,
cautionnait passivement l’action du président et son bureau. En fait, la
plupart des conseillers de la ville étaient au fond convaincus que c’est
surtout grâce aux autorités que le marché du transport est passé au privé. En
témoignent ainsi les déclarations d’une bonne partie des interviewés qui
attribue aux cadres de l’Intérieur l’aboutissement de la concession du
transport urbain. De leur côté, les conseillers de l’opposition se sont rendu
compte, après coup, qu’ils auraient failli à leur mission en refusant de
prendre une part directe et active au processus décisionnel dés son
enclenchement.
Mais les propos du président ne sont pas partagés par la majorité des
conseillers à commencer même par les membres du bureau. Un vice-
président, proche de Sajid, reconnaît que le sort du personnel de l’ex-RATC
n’a pas été suffisamment examiné par les parties en jeu. Malgré cela, les
partisans du président n’étaient pas prêts à lâcher leur chef. Ils savaient
pertinemment que le « dossier social » pourrait lui coûter son leadership
« institutionnel » déjà fragilisé par l’interventionnisme des fonctionnaires et
des officiels dans le processus décisionnel. En tant que chef de la majorité,
le président n’avait pas droit à l’erreur. Pour se maintenir en tête du
gouvernement local de la ville, il ne fallait surtout pas qu’il échoue dans sa
première épreuve : assumer les conséquences de la concession du transport
urbain au risque de perdre le soutien de ses partisans.
e) Conflits
Malgré les déclarations qui se voulaient rassurantes du président, la
concession du transport urbain a eu des conséquences lourdes sur la
majorité qui gouverne la ville. La question du personnel de l’ex-RATC ne
tardera pas à remonter à la surface. L’opérateur privé avait procédé ainsi à
un redressement de la régie à travers une restructuration budgétaire qui va
se répercuter sur les salariés. Cette mesure était prévisible même si une
bonne partie des conseillers se refusait de la reconnaître arguant qu’elle
n’était pas informée. A ce propos, un vice-président MP, proche de Sajid
déclare ceci :
« Selon les termes de l’accord, il est possible de réorganiser le personnel
suivant les impératifs de la rentabilité et procéder aux restructurations
nécessaires. »
- Le 5 août 2005 : Sajid refuse de recevoir les familles, les veuves et les
retraités lésés du personnel de l’ex-RATC qui se sont rendus à la
wilaya ;
f) Tensions
Sur un continuum politique à deux extrémités, « socialistes » et
« islamistes » se sont rejoints, pour une fois, sur un sujet à « caractère
social » qui cache des ambitions d’ordre politique. L’ultime objectif de ces
deux parties était, sans aucun doute, de s’approprier un rôle de leadership
grâce à la mobilisation des partisans autour des revendications des familles
du personnel de l’ex-RATC et l’augmentation des tarifs des tickets de bus.
Il s’agit là d’un leadership construit sur la base d’un référent idéologique
qui fait appel à la thématique récurrente de « justice » dans ces deux
acceptions : islamiste (Attakafoul Al-Ijtima’i) et gauchiste (justice sociale).
Ce faisant, chaque acteur en jeu voulait mobiliser les élus pour les
convaincre de rallier la position des protestataires. C’était là une occasion
pour des conseillers de la ville de gagner en crédibilité auprès de l’opinion
publique particulièrement sensible aux problèmes sociaux.
a) Origines
D’après l’enquête, il s’est avéré que l’idée de l’organisation d’un festival
à Casablanca a été annoncée juste après la constitution du conseil de la ville
en septembre 2003. Lors d’une conférence de presse très médiatisée, tenue
au siège de la wilaya en 2004129, c’est le wali en personne qui a annoncé
officiellement l’organisation de l’événement. Le président du conseil
n’avait d’autre choix que de cautionner la décision du chef de
l’administration locale. De leur côté, les élus locaux déclarent ne pas avoir
été informés d’une telle initiative reprochant surtout au président un
interventionnisme des autorités locales. Ils estimaient ainsi que c’est aux
représentants de la collectivité que revient le droit d’initier des actions
culturelles de grande envergure. Le fait que c’est le wali qui annonce
l’organisation du festival avait considérablement discrédité les élus relégués
au second plan au profit des fonctionnaires.
b) Protestations
L’idée de l’organisation du festival de Casablanca continuait d’attiser les
tensions entre les conseillers de la majorité et ceux de l’opposition. Lors de
la session de juillet 2005, un point de discorde dans l’ordre du jour
partageait les deux camps : l’examen et l’approbation d’une convention
entre le conseil de la ville et l’AFC. Le président avait tenté en vain
d’anticiper les attaques de ses adversaires pour sauver la face. Mais il s’est
avéré difficile de maintenir la discipline des membres de la majorité, dont
certains avaient déjà commencé à critiquer le bureau du conseil. Le fait de
rallier la position des autorités locales rendait ainsi difficile toute tentative
de construire un leadership local. Le choix du président de faire appel aux
bureaucrates pour élaborer le projet du festival avait réduit
considérablement son influence et ternit son image de chef du
gouvernement local. En clair, la majorité des conseillers n’avait pas
apprécié la décision du président de charger un fonctionnaire de la division
des affaires culturelles de la Commune de représenter le conseil de la ville
au sein de l’AFC. Outre cela, ils avaient mal perçu le fait que ce même
fonctionnaire prenne la parole pour présenter aux élus les grandes lignes du
programme du festival. Profitant de l’absence des conseillers au sein de
l’association, ce bureaucrate n’a pas hésité à discréditer les élus locaux en
attribuant l’initiation et la supervision du festival aux autorités en ces
termes :
c) Le vote
Face aux réserves exprimées par une bonne partie des conseillers envers
la direction de la majorité, le président et ses partisans se sont trouvés en
position délicate à la veille du vote de la décision du festival. Le jour de la
séance, les débats autour de ce point ont duré plus de quatre heures avant
que le président parvienne à approuver la signature de la convention entre le
conseil de la ville et l’AFC avec 30 voix pour et 20 contre. Le camp du
président avait essayé d’user ses adversaires en faisant durer le débat
jusqu’à des heures tardives de la soirée. Fatigués, voire même frustrés, près
d’une cinquantaine de conseillers avaient quitté la salle qui comptait au
début des travaux de la session quelque 101 élus. Les conseillers PJD
n’avaient pas voté en faveur du projet de l’accord entre le conseil de la ville
et l’AFC. En choisissant de s’abstenir, les islamistes légalistes avaient fait
preuve de « pragmatisme » en évitant ainsi de s’opposer à la proposition du
bureau et des autorités de peur de rompre leur « pacte » avec le président.
Toutefois, faut-il bien le reconnaître, leur abstention avait considérablement
discréditée le camp de la majorité dirigée par Mohamed Sajid. Pour justifier
ce choix, un conseiller PJD évoque, lui, des raisons d’ordre moral et éthique
qui seraient derrière l’abstention des conseillers islamistes au moment du
vote :
« Les choix artistiques faits par l’AFC ne respectent pas les valeurs et la
tradition des Marocains. Personnellement, je ne pourrai pas accompagner
ma famille pour regarder des spectacles qui incitent à la mixité et à la
débauche. Sans compter la marginalisation de la culture et l’art islamiques
qui constituent le socle de l’identité culturelle authentique du peuple
marocain. »
« Nous ne sommes pas contre l’art, dans ses différentes expressions, mais
nous avons voté contre ce festival parce que l’organisation a été attribuée à
une ONG sans le moindre respect des règles et procédures en vigueur :
appel d’offres, cahier de charges, contrôle financier... ».
d) Dénouements
Après plusieurs tergiversations, le premier festival de Casablanca a eu
lieu du 16 au 23 juillet 2005 en pleine saison estivale. C’est d’ailleurs ce qui
a été annoncé lors de la conférence de presse au siège de la wilaya du Grand
Casablanca. La cérémonie de l’annonce de cette manifestation a été
marquée par deux choses : d’une part, l’absence d’artistes casablancais de
renom et, d’autre part, la présence de nombreux officiels à l’instar d’un
conseiller du roi. La majorité des conseillers de la ville n’a pas pris part à
cette conférence. Certains d’entre eux avaient continué ainsi à critiquer
publiquement ce qu’ils avaient qualifié de mauvaise direction du festival.
Dépité par la démobilisation de la majorité, le président s’est trouvé affaibli
par les déclarations de presse de conseillers islamistes qui ne se
reconnaissaient pas dans l’« identité » du festival. Un conseiller PJD se
présentait ainsi à l’opinion publique comme membre d’« un parti qui
défend un modèle culturel authentique qui se veut le garant de la tradition
et des valeurs islamiques du peuple marocain ».
f) Compétition idéologique
Les discussions pour l’organisation de la deuxième édition du festival de
Casablanca ont été marquées par des tensions entre des conseillers de la
ville et des organisateurs. Un jour avant la tenue de la séance du vote, un
vice-président (UC) a pris l’initiative d’organiser une réunion avec l’AFC
pour mettre au point une stratégie d’action de la majorité. Mais lors de cette
réunion, des conseillers, menés par le président (RNI) de la commission des
« affaires culturelles », avaient commencé à protester et se sont faits
expulsés du coup par les organisateurs. Ces derniers leur reprochaient
notamment le fait qu’ils aient critiqué la direction du festival incarnée par le
président et sa majorité. Dépité, mais ne s’avouant pas vaincu, le conseiller
RNI décide alors de lancer une compagne virulente contre le bureau du
conseil de la ville. Pour commencer, il avait choisi de rallier les conseillers
PJD en déclarant par là même la guerre à un vice-président (UC) qui avait
accusé les conseillers PJD d’« opportunistes dépourvus de loyauté envers
leur président ».
Ce faisant, la majorité était une fois encore menacée par des tensions
internes à la veille du vote de la décision relative à l’organisation du festival
de la métropole. Face à ses menaces, le président décide alors de réagir pour
faire taire les voix dissonantes au sein de la majorité. À cette fin, il organise
une réunion du bureau, le 7 juin 2006, et charge un de ses vice-présidents de
s’attaquer aux conseillers PJD. Une manière pour lui de rappeler les
islamistes légalistes à l’ordre afin d’éviter une éventuelle défection à même
de fragiliser son autorité au sein du conseil de la ville. Lors de la réunion du
bureau, des conseillers islamistes se sont insurgés contre les propos du vice-
président. Ce dernier leur avait reproché notamment un certain manque de
discipline au sein de la majorité. Mais ces propos avaient été démentis par
les partisans de Sajid. Un conseiller PJD n’avait pas apprécié ce
comportement et avait demandé à un proche collaborateur du président, qui
a assisté à la réunion, de prêter sermon sur le Coran pour témoigner des
propos tenus qualifiés d’injurieux à l’égard des conseillers PJD. Ces
derniers haussent le ton et menacent de porter l’affaire devant la justice si
jamais les membres du bureau ne leur présentent pas des excuses. Pour
apaiser les tensions, un vieux conseiller Istiqlalien intervient entre les
protagonistes et parvient, raisonnablement, à réconcilier les conseillers PJD
avec le président.
Ils sont parvenus ainsi à influer sur les choix artistiques du festival
arguant que l’« art islamique » est l’une des composantes principales de la
« culture marocaine ». Aussi minime soit-elle, la participation symbolique
d’artistes d’obédience islamique atteste indéniablement de la capacité des
« leaders locaux » PJD d’investir le champ politique et d’influer sur la prise
de décisions au sein de la ville. Les différents cheminements du processus
décisionnel relatif au festival de Casablanca (voir figure 10 ci-dessous)
avaient abouti ainsi à mettre en relief quelques tentatives de leadership
entreprises sporadiquement et parfois souterrainement par les acteurs
locaux dans la ville (président du conseil, wali, conseillers, personnalités
publiques...). Ces tentatives dénotent vraisemblablement d’une compétition
politique de fond qui tend à agir sur la formation d’une « identité culturelle
locale » à partir de l’orientation des choix et des goûts artistiques inhérents
à l’ensemble de la collectivité.
Au terme de cet examen des trois décisions majeures prises par le conseil
de la ville de Casablanca, on peut affirmer que les conseillers n’exercent
pas une influence décisive sur le processus décisionnel local conduit
souvent par les autorités de tutelle. Toutefois, on peut relever des
comportements de leadership qui se manifestent, d’abord, à travers les
tentatives de certains conseillers visant à orienter l’élection du président
grâce à une alliance entre notabilités locales et islamistes légalistes. On
constate, ensuite, un déploiement actif des conseillers de l’opposition qui
sont parvenus à mener des actions collectives de protestation pour dénoncer
la situation sociale dégradée des familles des retraités de l’ex-RATC. Enfin,
on relève une influence exercée par les conseillers PJD qui avaient
revendiqué la programmation de l’« art et la culture islamiques » dans le
festival de Casablanca. Ces tentatives de leadership renvoient implicitement
à un effort fourni par certains conseillers qui essayent d’obtenir l’adhésion
de partisans pour faire parvenir leurs revendications. Il s’agit là d’un
exercice de légitimation lié intrinsèquement à la construction d’un
followership nécessaire à l’émergence du leadership.
Enfin, les followers n’arrivent pas à identifier les besoins et les valeurs
prioritaires pour la direction politique de la cité. Ainsi, les membres du
bureau ne sollicitent pas souvent le soutien de conseillers de la ville ou
d’acteurs locaux externes. En outre, les partisans de la majorité ne
procèdent pas à l’évaluation de l’action de leur chef (vice-président,
président de commissions...). L’enquête révèle, par exemple, qu’aucun
membre du bureau n’a jamais pris l’initiative d’exercer un contrôle (ou un
suivi) des propositions faites par le président. Ce dernier tente de conduire
le processus décisionnel local en l’absence d’une concertation approfondie
avec ses proches collaborateurs. Ces derniers se contentent souvent de
suivre leur chef sans qu’ils remettent en question sa direction politique. Les
rares fois où certains membres du bureau avaient critiqué certaines
décisions du président, ils n’ont pas su proposer une alternative en
parvenant, par exemple, à dégager les besoins et les motifs des followers et
ceux de la collectivité. De là, on est on droit de s’interroger sur la capacité
de ces partisans à élaborer des stratégies de légitimation visant la
construction d’un followership.
Outre les récompenses, le soutien d’un leader aux followers peut prendre
d’autres formes. Ainsi, le président du conseil de la ville est intervenu, à
plusieurs reprises d’ailleurs, pour appuyer les initiatives de ses vice-
présidents notamment. C’est le cas, par exemple, de ce conseiller PJD
devenu au fil des années l’un des plus proches collaborateurs du président.
Ingénieur de profession, ce conseiller quadragénaire est parvenu ainsi à
tisser des liens solides avec les membres du gouvernement local. En 2006,
le président du conseil l’aurait même encouragé à quitter son travail à la
CNSS pour monter sa propre affaire. L’activisme de ce conseiller islamiste
et son enthousiasme lui ont valu d’ailleurs un certain respect parmi ses
collègues surtout après que le président lui a confié la mission de
représenter le conseil à l’extérieur (séminaires, voyages à l’étranger...).
Dans le même sens, un autre conseiller de l’opposition n’a pas hésité, lui,
à accuser directement le président du conseil de la ville d’avoir soutenu une
association dont il est le président :
3. Crises de followership
L’étude de la prise de décisions atteste d’un dysfonctionnement du
processus du leadership local qui se manifeste surtout à travers une crise de
confiance entre leaders potentiels et followers. Ainsi, les conseillers de la
ville qui tentent d’exercer de l’influence semblent avoir du mal à
convaincre des partisans d’adhérer volontairement à leurs choix. Ces
derniers se trouvent, de leur côté, acculés à rallier la position de leur chef
qui dispose souvent d’une majorité « arithmétique » au sein du conseil. Le
déficit de confiance rend donc difficile l’émergence d’un leadership attribué
délibérément par des followers. Selon Gardner, le facteur qui mine la
confiance des partisans dans leurs leaders semble être une certaine
« ingénierie de consentement ». C’est-à-dire l’ensemble de pratiques des
leaders visant à obtenir, coûte que coûte, l’adhésion de partisans même si
ces derniers ne sont pas convaincus. À cette fin, les leaders n’hésitent pas,
par exemple, à manipuler les médias en donnant l’impression que leur
discours correspond parfaitement aux buts des followers (Gardner, 1990 :
33-34).
D’après l’enquête, il s’est avéré que les leaders potentiels semblent peu
persuasifs et se trouvent souvent dépourvus d’une légitimité
« démocratique » à même de leur assurer le soutien de leurs followers
(Burns, 1978 : 409). En outre, une grande partie des conseillers n’arrive pas
à s’approprier des positions du leadership sous l’effet de contraintes
structurelles, contextuelles, culturelles et politiques.
L’enquête révèle à ce propos que c’est dans des situations de conflits que
certains conseillers se démarquent du reste du groupe pour se positionner
comme des meneurs potentiels à même de faire face à leurs adversaires.
Lors de plusieurs sessions plénières, des conseillers, aussi bien de la
majorité que de l’opposition, prennent souvent la parole pour faire valoir
leurs propositions et contrer celles de leurs opposants. Ces porte-voix sont
choisis par leur groupe pour défendre leur camp souvent sans aucune
concertation avec les partis politiques. Dans le camp de la majorité, le
président du conseil tente ainsi systématiquement d’assurer la discipline de
ses partisans tout en essayant d’anticiper les attaques de l’opposition. Au
début de la session plénière, c’est souvent lui ou l’un de ses vice-présidents
les plus proches qui assurent la présentation des propositions du bureau
devant le conseil. Ensuite, les points arrêtés dans l’ordre du jour sont
discutés par les conseillers avant le moment du vote. Lors des débats, les
conseillers de l’opposition finissent souvent par rentrer en conflit avec les
membres de la majorité. Et dans la plupart des cas, les discussions se
transforment à des affrontements entre élus et parfois même entre
conseillers et fonctionnaires.
Dans un tel contexte, force est de constater que le président évite souvent
les conflits avec ses adversaires dans la mesure où il préfère charger ses
partisans de contrer les assauts de ses détracteurs. À cet effet, la stratégie du
président consiste à utiliser les conseillers islamistes légalistes du PJD pour
endiguer les attaques en règle de l’opposition menée surtout par des
conseillers « de gauche ». Et ce n’est que lorsque la situation commence à
dégénérer que le président décide d’intervenir discrètement pour défendre
ses choix et ceux de ses partisans ou alliés politiques. Ce faisant, le
président du conseil préfère ainsi se cantonner dans un rôle d’« arbitre »
loin des conflits qui traversent le camp de la majorité. Mais cette prise de
position n’est pas pour plaire aux followers qui affichent un besoin vital de
voir leur meneur prendre part aux combats qu’ils mènent contre leurs
adversaires. Et pour cause, le soutien du président pourrait ainsi les rassurer
et les mettre en confiance. Le refus du combat ou son évitement pourrait
s’avérer fatal pour un candidat au leadership. Ainsi, le fait que le président
évite de réagir aux attaques de ses détracteurs pourrait attester d’un manque
d’engagement du chef du gouvernement local à s’apprêter au jeu politique.
Et c’est justement ce que lui reprochent d’ailleurs certains conseillers de
l’opposition. Ces derniers l’accusent ainsi d’adopter un mode de direction
« apolitique » qui semble évacuer la pluralité démocratique fondée, entre
autres, sur le débat et les échanges d’idées. Un conseiller USFP n’a pas
manqué à juste titre de critiquer une certaine dépolitisation du discours du
président. Pour preuve, il n’hésite pas à citer, par exemple, une déclaration
de Mohamed Sajid lors de son premier discours adressé au conseil de la
ville après sa constitution en octobre 2003. Le président avait déclaré
clairement ceci :
Un leadership local aurait ainsi peu de chances de voir le jour dans une
collectivité peu « intégrée » où les fonctions de leadership ne sont pas bien
déterminées et la cohésion du groupe partisan (ou la coalition) du leader
n’est pas suffisamment renforcée. Le conseil de la ville de Casablanca
traduit parfaitement cet état de fait dans la mesure où les conseillers versent
souvent dans des situations de conflits manifestant ainsi un manque
d’engagement à adopter un modèle de leadership « consensuel ». En effet,
ce type de leadership n’est pas légion dans le conseil élu de la métropole. À
cet égard, l’enquête révèle trois dysfonctionnements principaux : d’abord, le
conseil de la ville manque d’un système de communication où chaque parti
dispose d’un porte-parole qui a droit notamment à des réunions (briefings)
avec les leaders du conseil élu et le chef de l’autorité de tutelle. Ensuite, le
conseil est marqué par un déficit de dialogue entre élus locaux et
fonctionnaires. En témoigne ainsi le peu de meetings organisés par les
conseillers de la ville pour élaborer des plans d’action ou discuter d’un
budget, etc. Et enfin, le conseil de la ville pèche par une absence de
conventions précisant les attributions déléguées aux instances dirigeantes,
les affaires urgentes, l’accès aux agendas, les modalités d’arbitrage et de
médiation, etc. À cet égard, il semble que les conseillers ne prennent pas
souvent des initiatives pour amorcer des discussions susceptibles
d’endiguer les conflits en dehors des commissions et des réunions
officielles (Leach, 2000 : 6061). Ces dysfonctionnements contribuent à
attiser les tensions entre les conseillers de la ville. Lesquelles tensions qui
se traduisent souvent par des affrontements entre les chefs de la majorité et
ceux de l’opposition.
IV. JEUX ET ENJEUX POLITIQUES : MAJORITÉ VERSUS
OPPOSITION
Selon Leach, la fonction du maintien de la cohésion politique pourrait
changer selon les circonstances. Ainsi, dans les conseils ruraux, par
exemple, l’existence d’un arrangement entre le leader de l’opposition et
celui de la majorité émane souvent d’un consensus interpartisan basé sur le
principe d’« intérêt général » de la communauté (what is best for the
authority). En revanche, dans les conseils urbains, contrôlés par un parti
majoritaire (ou une coalition), la cohésion interpartisane ne revêt pas une
importance particulièrement déterminante pour les leaders de la majorité et
de l’opposition (Leach, 2000 : 58). Le leadership serait donc
intrinsèquement lié à des situations de conflits qui pourraient surgir au sein
du gouvernement local. Ce dernier cas de figure pourrait bien s’appliquer
au conseil de la ville de Casablanca dans la mesure où il est marqué par une
centralisation de la prise de décisions dans les mains d’un nombre réduit
d’élus peu dépendants de leur parti politique. C’est le cas notamment du
président du conseil et certains de ses proches collaborateurs qui
s’affrontent avec les membres de l’opposition et tentent ardemment de
neutraliser les tensions afin d’obtenir le soutien nécessaire pour faire passer
les propositions du bureau.
Pour éviter des situations de conflits, ce ne sont pas seulement les leaders
de la majorité qui doivent entretenir une certaine unité au sein de leur
groupe. Les leaders de l’opposition doivent, eux aussi, agir de la même
manière tout en restant disposés à répondre, à tout moment, aux attaques de
leurs adversaires. D’ailleurs, une des tâches du leader de l’opposition est
d’être justement en mesure de perturber l’action du parti (ou la coalition)
qui représente la majorité au sein du conseil élu. La capacité du leader de
l’opposition à créer la division lui permet par ailleurs de s’imposer sur la
scène publique contribuant par là même à renforcer la crédibilité de
l’opposition (Leach, 2000 : 57). Au niveau du conseil de la ville, il semble
ainsi que les conseillers de l’opposition et de la majorité tentent d’accaparer
des rôles de leadership dans des situations de conflits. L’enquête nous
apprend à cet égard que les désaccords entre majorité et opposition seraient
la cause principale des tensions qui dominent les rapports entre certains
conseillers appartenant à différentes familles politiques. Par ailleurs, il
apparaît que ce sont les élus de l’opposition qui seraient souvent derrière
l’émergence de conflits. Ainsi, 43,2% des interviewés affirment que l’USFP
est le parti qui manifeste le plus de désaccords lors des réunions du conseil
et 19,1% désignent les autres partis de l’opposition (Istiqlal, PPS).
Dans le même registre, il faudra rappeler que les partis politiques qui
forment la koutla participent aussi au gouvernement (2003-2007).
L’identification des conseillers de l’opposition à cette « entité idéologique »
leur permet ainsi de se différencier de leurs adversaires dans la sphère
politique locale. Ce faisant, les chefs de l’opposition auraient la possibilité
de mobiliser un leadership gouvernemental pour asseoir un leadership local.
Les réponses des interviewés sont d’ailleurs riches d’enseignements
puisqu’une grande partie des élus associe, au moins dans leurs déclarations,
les partis de l’opposition à la « koutla démocratique ».
Mais le plus surprenant dans les déclarations des conseillers est le fait
qu’un parti central de la majorité, à l’instar du PJD, avec 14 conseillers, soit
perçu parfois comme un parti d’opposition. D’après l’enquête, 37,7% des
conseillers pensent ainsi que c’est le PJD qui génère le plus de conflits entre
les élus locaux, d’une part, et entre les partis représentés au sein du conseil,
d’autre part. En principe, le PJD devrait éviter les antagonismes afin de
maintenir une stabilité de la coalition qui gère les affaires locales de la ville.
Cependant, force est de constater que les conseillers islamistes légalistes
sont loin de manifester un soutien indéfectible à la majorité du conseil. Pour
preuve, ils ne votent pas systématiquement en faveur des propositions du
président et son bureau. Entre 2003 et 2007, par exemple, ils avaient
contesté près d’une vingtaine de propositions sur un total d’une centaine de
décisions votées par la majorité. En outre, les conseillers PJD préfèrent
parfois se démarquer des positionnements de la majorité. C’est le cas
notamment lorsqu’ils se sont abstenus de voter en faveur de l’organisation
du festival de Casablanca dans sa première édition. Ils avaient justifié leur
comportement par le fait que certaines initiatives du bureau du conseil ne
cadrent pas toujours avec les orientations et les principes éthiques défendus
par le parti d’obédience islamiste. Les élus locaux PJD avaient critiqué à
titre d’exemple la programmation d’artistes « underground » dans le festival
de Casablanca. Un leader « islamiste » s’est attaqué directement à la
musique urbaine en ces termes :
1. Médiation et évitement
Dans la ville de Casablanca, les élus locaux ne parviennent pas à jouer un
rôle influent dans la médiation en périodes de crise. L’enquête démontre à
cet égard l’effacement du rôle des conseillers dans la résolution des conflits
qui surgissent de temps à autre entre les membres du conseil. Ainsi, 87%
des interviewés disent n’être jamais intervenus pour apaiser les frictions
entre des élus ou des partis politiques, contre seulement 13% qui affirment
le contraire. Parmi les interviewés, seulement 18,8% déclarent avoir réussi à
résoudre plus de deux conflits au cours del’exercice de leur mandat et 6,3%
disent en avoir résolu plus de cinq, par exemple. L’évitement semble
caractériser ainsi le comportement de la majorité des conseillers de la ville.
Ces derniers tentent en effet d’éviter les rivalités qui pourraient déboucher
sur des affrontements. Ainsi, 89,2% des interviewés disent n’avoir jamais
eu de désaccord avec un élu ou une formation politique, contre seulement
10,8% qui affirment le contraire. Parmi les élus locaux qui interviennent
pour jouer les médiateurs, 81,3% déclarent avoir échoué à résoudre des
désaccords survenus entre des élus ou des formations politiques, contre
seulement 18,8% qui disent le contraire, comme le démontre d’ailleurs, à
titre illustratif, le graphique 44 ci-dessous.
Les leaders à même de résoudre les conflits qui éclatent entre les élus
locaux se font ainsi de plus en plus rares tant dans les rangs de la majorité
que l’opposition. L’enquête révèle à cet égard que parmi les 18,8% des
conseillers qui sont déjà parvenus, au moins une fois, à résoudre un conflit
entre des élus locaux appartiennent au groupe de la majorité. Il s’agit plus
précisément du président et certains de ses proches collaborateurs parmi les
vice-présidents notamment. Malgré cela, force est de constater que le camp
de la majorité manque considérablement de « médiateurs » à même
d’intervenir en périodes de crise pour contrer les attaques de l’opposition
qui vise à bloquer les propositions du bureau. Dans toutes les collectivités,
ce rôle incombe souvent au chef de la majorité ou bien à l’un de ses
partisans les plus « fidèles ». Mais cette tâche peut s’avérer difficile surtout
dans les situations où le groupe partisan (ou la coalition) ne dispose que
d’une majorité relative au sein du conseil. En témoignent ainsi les
difficultés des membres du bureau du conseil à maintenir le loyalisme de
leurs partisans à cause notamment de l’hétérogénéité politique de la
majorité. Celle-ci, faut-il le rappeler, est constituée principalement de partis
« administratifs » (UC), de partis « notabiliaires » (MP et MNP) et un parti
islamiste légaliste (PJD).
« Durant toute ma carrière politique, en tant qu’élu local, j’ai appris que
les chefs politiques dignes de ce nom se doivent de maîtriser les techniques
de communication afin d’intervenir à tout moment pour négocier des
compromis entre les différents antagonistes. Certains politiciens croient que
l’affrontement et la polarisation des conflits leur permettraient d’asseoir
leur autorité. Mais c’est faux. L’agitation et la surenchère politiques
finissent par discréditer les hommes politiques auprès de leurs partisans.
Seul un dialogue construit visant le consensus est susceptible de favoriser
l’émergence de vrais chefs (zoua’maâ). »
Maintenant que l’on a mis la lumière sur les rapports entre conflit,
cohésion et leadership, on peut s’interroger sur les ressources mobilisées
par les élus locaux en vue de neutraliser les tenions, mais aussi pour tenter
d’orienter la prise de décisions de manière à pouvoir influencer les choix du
gouvernement local. Dans le chapitre 8 qui suit, on tentera ainsi d’examiner
en détail les rapports entre ressources, modes d’influence et leadership
politique dans la ville de Casablanca.
137 Le leadership est considéré ici par rapport à la conception du conflit telle qu’elle a été élaborée
par Coser : « les dissensions ne prouvent pas la désintégration sociale : la société américaine n’est-
elle pas relativement très stable, mais très conflictuelle ? Ce n’est pas le conflit en tant que tel qui
menace la structure, mais la rigidité qui permet aux hostilités de se concentrer sur une même ligne de
clivage quand le conflit éclate ». Lewis A. Coser, Les fonctions du conflit social, PUF, 1982, (pp. 55
& 88).
138 On adopte ici la conception de Coser (1982) qui ne considère pas le conflit comme une menace
pour la cohésion sociale, mais plutôt comme une manifestation objective de l’activité humaine.
139 On emprunte les notions « appartenance et référence » à Merton qui les utilise, notamment, pour
définir le « groupe social ». Robert King Merton, Éléments de théorie et de méthode sociologique,
Librairie Plon, Paris 1965, p.240.
CHAPITRE 8
RESSOURCES ET MODES D’INFLUENCE
Par ailleurs, il apparaît que bon nombre d’interviewés sont persuadés que
la richesse a favorisé une hégémonie des notabilités locales grâce
auxquelles Sajid a pu décrocher le poste de président du conseil de la ville
de Casablanca. Dans le même sens, certains élus locaux avaient accusé ce
dernier d’avoir accordé des avantages substantiels (argent, voyages à
l’étranger…) à ses partisans pour les convaincre de voter en faveur des
comptes administratifs ou de certaines décisions stratégiques difficiles à
faire approuver. À cet égard, un conseiller de l’opposition n’hésite pas à
critiquer l’hégémonie des notables dans la vie politique locale en ces
termes :
« Vous savez, les élus riches (mallin chkara) n’hésitent pas à verser de
l’argent à certains conseillers pour faire passer certaines décisions. On ne
compte plus les prébendes et les récompenses (permis de petits taxis,
autorisations de construction, d’exploitation de kiosques, etc.) attribuées
par certains membres du bureau à leurs partisans afin qu’ils votent
systématiquement en faveur des propositions faites par le président ou le
wali ».
Ce fut le cas aussi lorsque le conseil de la ville a fait appel, en 2004, à des
experts, associés à des fonctionnaires de la commune, pour qu’ils
supervisent l’élaboration du projet de gestion déléguée du transport urbain
dans la capitale économique. Pour contrôler l’information sur le dossier, le
président a créé alors une « commission spéciale » pour étudier les appels
d’offres sous le contrôle du personnel du ministère de l’Intérieur. Mais cette
action n’a pas fait l’unanimité au sein du conseil. En témoignent ainsi les
critiques adressées au président par certains conseillers qui affirment
n’avoir pas été mis au courant de cette initiative. Même des membres de la
majorité n’ont pas été informés des procédures et de l’échéancier du projet
conduit par les pouvoirs publics. Redoutant la montée en puissance de
l’opposition, le président a décidé de défendre vigoureusement ses idées en
vue de préserver son autorité. Pour cette fin, il a emprunté ainsi une voie
bureaucratique en faisant appel à des experts administratifs chargés du
montage technico-financier et juridique du dossier du transport public. Et
c’est justement grâce à ces derniers que le président et le ministre de
l’Intérieur ont pu fonder leur décision d’attribuer le marché de gestion
déléguée du transport en commun dans la ville de Casablanca à un
opérateur français. En outre, la signature de l’accord avait précédé le débat
au sein du conseil de la ville. Le vote de la décision de concéder le transport
urbain au secteur privé n’était donc qu’un exercice de forme destiné à doter
l’initiative d’une légitimité « légalo-rationnelle ».
5. Réseaux de relations
Les réseaux de relations pourraient favoriser l’accès à des rôles de
leadership151. Un leader qui entretient de bonnes relations avec ses partisans
pourrait compter sur leur soutien pour faire passer des propositions ou
contrer celles de ses adversaires. Cela explique pourquoi certains
conseillers de la ville passent la plus grande partie de leur temps à établir un
contact permanent avec des sympathisants pour obtenir leur adhésion. Il
s’agit là d’un travail quotidien qui consiste à renforcer les liens avec des
conseillers en vue de gagner des followers et former de nouvelles alliances.
Pour un leader, l’entretien des relations interpersonnelles avec des militants
du parti, des électeurs ou des élus de la même circonscription, par exemple,
est un moyen efficace pour gagner en popularité. Cette activité prend toute
son ampleur durant les périodes électorales ou bien lors de la prise de
décisions par le conseil de la ville (élection d’un responsable hiérarchique,
vote du compte administratif...).
Outre le soutien des politiques, Sajid est parvenu en effet à mobiliser des
réseaux d’économie locale composés principalement d’hommes d’affaires
et d’industriels. Grâce à une certaine centralité dans les cercles
d’affaires,153 le candidat UC s’est présenté ainsi comme le porte-voix des
entrepreneurs de la métropole. L’homme dispose aussi de la confiance de
politiques et de certains cercles du pouvoir. Mais c’est surtout grâce au
soutien des conseillers PJD que le candidat a su s’imposer à la tête du
gouvernement local. D’après l’enquête, une grande partie des conseillers
sont persuadés ainsi que c’est grâce au soutien des islamistes du PJD que
Sajid est parvenu à décrocher la présidence du conseil de la ville, alors qu’il
était considéré comme un outsider154 au début de la compétition. Seule une
minorité parmi les interviewés semble convaincue que des affinités d’ordre
culturel - l’origine amazighe en l’occurrence - entre certains élus MP et le
président UC avaient contribué au succès du candidat soussi. Ils estiment
ainsi que le président a su jouer de son appartenance ethnique (ou tribale)
pour renforcer sa coalition et imposer son autorité155 au sein d’une
« clique » d’élus d’origine amazighe. Ces derniers auraient exprimé un
sentiment « refoulé » d’appartenance à un « groupe ethnique »
berbérophone déterminé à défendre une identité politique amazighe au sein
de la ville de Casablanca.
L’influence que les « activistes » ont exercée sur les choix des conseillers
leur a permis d’ailleurs de peser sur les décisions prises au sein du
gouvernement local. Pour preuve, ces derniers n’hésitent pas à capitaliser
sur leur expérience représentative au sein de leurs partis politiques et leurs
conseils élus pour asseoir leur autorité et gagner en popularité. Ce
comportement du leadership de type « organisationnel » se manifeste
surtout dans le camp de la majorité, en particulier parmi certains membres
du bureau du conseil sous les couleurs de l’UC et du MP. Ces derniers
multiplient, par exemple, les réunions, aussi bien avec les politiques
qu’avec les fonctionnaires, coordonnent les actions de la majorité avant le
vote, répartissent les tâches et les missions entre les membres du bureau et
veillent à entretenir un contact permanent avec des officiels, des
entrepreneurs économiques et des dirigeants associatifs. Les conseillers PJD
qui appartiennent au bureau avaient, eux aussi, fait preuve d’un sens de
l’organisation, d’une discipline et d’un engagement partisan au sein du
gouvernement local. La participation à la direction des affaires politiques de
la ville avait permis aux islamistes légalistes de se forger ainsi une
« réputation » grâce notamment à un activisme de proximité qui se traduit
par un contact permanent avec les populations.
4. Leadership « consensuel » : ce comportement s’inscrit dans une
logique de conciliation qui privilégie le dialogue et le compromis. Les
consensuels sont parvenus ainsi à des arrangements grâce au « prestige
social » dont ils bénéficient auprès d’acteurs politiques et économiques
présents dans la ville. Les consensuels font partie en effet d’un rang social
« élevé » qui leur permet un meilleur contact, notamment avec des chefs de
partis, de hauts responsables de l’État et des notabilités locales. C’est le cas
notamment de certains conseillers MP de la majorité et du président UC du
conseil de la ville de Casablanca.
Pour expliquer ces différents modes d’influence que l’on observe au sein
du gouvernement local, on peut se baser sur l’idée de Dahl selon laquelle
plus un groupe d’individus possède de ressources politiques et plus son
influence est grande. Même s’il ne lui est pas possible d’inférer de ce qu’un
individu a beaucoup d’argent, qu’il soit plus ou moins influent que d’autres
individus jouissant d’un rang social « élevé » ou ayant un meilleur accès
aux milieux officiels et gouvernementaux ou bien jouissant d’une plus
grande popularité (Dahl, 1971 : 293). Et pour cause, les conseillers de la
ville qui tentent d’exercer des rôles de leadership utilisent différemment
leurs ressources pour orienter les choix des followers. La mesure dans
laquelle les individus usent de leurs ressources pour exercer de l’influence
sur les décisions varie ainsi selon le cycle de vie (jeunes ou vieux), les
évènements et les enjeux (compagnes électorales...), les différents domaines
d’action politique et les types d’individus (politiciens professionnels ou
simples individus) (Dahl, 1971 : 295-296).
À cette fin, l’essai de Max Weber sur les types d’autorité s’avère le plus
influent dans la littérature moderne sur le leadership. Weber distingue trois
voies, désormais célèbres, pour faire accepter un pouvoir. Pour légitimer la
domination ou la direction (Herrshaft) d’un chef, il faut se rattacher à un
ordre immuable (tradition), à une personne séduisante (charme) ou bien à
des règles efficaces (raison). Les trois formes d’autorité légitime de Weber
sont incarnées par trois types de leaders : traditionnel, charismatique et
légalo-rationnel.
2. Leadership « démocratique »
Joseph Schumpeter soutient l’idée selon laquelle le leadership
« démocratique » est inhérent au soutien accordé par les followers à leurs
chefs. Selon lui, le leader démocratique est « Celui qui bénéficie tout
simplement de plus de soutien dans un contexte de compétition pour le
pouvoir ». Cela garantirait le maintien du système de la majorité en
conformité avec la logique de la « méthode démocratique ». Schumpeter
définit celle-ci comme étant : « L’arrangement institutionnel pour arriver
aux décisions politiques grâce auquel des individus acquièrent le pouvoir
de décider par les moyens d’un combat compétitif pour gagner le vote du
peuple. » (Schumpeter, 1942 : 272-273). Harold Lasswell va dans le même
sens en défendant l’idée selon laquelle le leadership « démocratique » doit
représenter toutes les couches sociales et demeure dépendant du support
actif de la communauté tout entière165. Sur un plan décisionnel, le leader
démocratique doit gagner ainsi l’assentiment de ses partisans pour faire
passer ses choix et ses initiatives. Ce faisant, le pouvoir ne sera pas
monopolisé par une strate dirigeante, mais partagé entre gouvernants et
gouvernés (Lasswell, 1948 : 108-110). Chez les deux auteurs, le leadership
« démocratique » semble donc intrinsèquement lié au degré du soutien dont
peuvent bénéficier les leaders. En d’autres termes, un leader démocratique
est celui qui a été choisi par une majorité d’électeurs ou bien qui dispose du
plus grand soutien au sein du groupe.
Cette tendance traduit, selon Gardner, tout le débat classique entre deux
courants théoriques concernant l’étude du leadership. L’un porté sur la tâche
et l’autre sur les personnes qui tentent d’exercer des rôles d’influence :
« Alors que certains leaders privilégient les tâches à réaliser, d’autres
préfèrent concentrer leur intention sur les relations personnelles. Cela
traduit le désaccord classique entre deux écoles du leadership. L’une
s’intéresse à l’efficacité et l’autre aux relations interpersonnelles. Le leader
se trouve ainsi partagé entre deux options : soit il doit se concentrer sur le
travail à accomplir, c’est-à-dire la tâche à réaliser ou la mission à remplir,
soit il doit être orienté principalement vers les personnes chargées
d’exécuter les tâches afin de satisfaire leurs besoins, leurs attentes, etc. »
(Gardner, 1990 : 25). Qu’en est-il maintenant d’un autre type d’influence
qui renvoie à un leadership « informel » ou « non institutionnel » ?
6. Leadership « informel »
Pour Burns, les leaders « informels » sont ces individus qui occupent une
certaine centralité dans des cercles influents de décisions, c’est-à-dire de
petits groupes sporadiques menés par des chefs (leaders associatifs,
officiels, etc.). Les leaders « non institutionnels » jouent ainsi un rôle
déterminant dans les situations de crise dans la mesure où ils sont disposés à
négocier des arrangements et conclure des transactions afin de tenter de
désamorcer des conflits (Burns, 1978 : 289).
Cette idée est partagée par Tucker qui dénonce le fait que les leaders
« informels » n’aient pas fait l’objet d’un intérêt particulier de la part des
politologues167. De son côté, l’auteur établie une distinction entre le leader
(constitued) qui occupe une position officielle dans un ordre politique
hiérarchique et le leader (non constitued) qui possède un pouvoir informel
et capitalise un fort soutien public : « Selon une perspective particulière de
leadership, il y a un critère-clé pour évaluer des systèmes politiques, sur les
spectres de l’autoritarisme et de la démocratie : l’importance de l’intérêt
accordé par la société à ses activistes appelés leaders informels. » D’après
Tucker, dans les régimes démocratiques, les leaders (non constitued)
prolifèrent mieux dans les conditions politiques de liberté. Celle-ci leur
donne ainsi davantage d’opportunités pour définir la situation et présenter
leurs idées au public espérant gagner le soutien de followers. En revanche,
dans les contextes autoritaires, où les citoyens sont dépourvus de liberté et
n’accèdent pas aux médias des masse, les leaders « informels » n’auraient
pas beaucoup de chances de réussir168. Cela étant posé, plusieurs leaders
(non constitued) pourraient devenir des leaders politiques en s’arrogeant des
positions hiérarchiques d’autorité. Une personne peut agir ainsi comme un
leader en définissant une situation publique ou en amorçant une action
collective. Mais tant que cette personne n’a pas réussi à mobiliser des
followers pour mener à terme son action, elle ne peut pas devenir un leader
politique (Tucker, 1982 : 71-75).
À cet égard, l’enquête nous apprend d’abord qu’une bonne partie des
conseillers se prononce en faveur d’unleadership de type « informel ».
Ainsi, 49,6% des interviewés se disent disposés à suivre un leader « non
institutionnel », c’est-à-dire « une personne de réseau disposant de
relations bien placées pour mener ses partisans », contre seulement 7,6%
qui se déclarent contre ce genre de comportement, comme le démontre
d’ailleurs, à titre illustratif, le graphique 57 ci-dessous.
Le fait que les conseillers soient partagés sur les types du leadership
pourrait s’expliquer par des facteurs culturels qui renvoient aux croyances
des individus, leurs représentations, leurs perceptions, leurs pratiques
sociales, etc., au sein de la communauté. Ce faisant, les styles personnels
d’influence seraient fonction des rapports de force et de sens entre plusieurs
acteurs locaux qui tentent de construire et diffuser un leadership « culturel »
émanant d’une identité politique locale « exclusive ». Pour vérifier cette
proposition, on consacrera le chapitre 10 qui suit à l’analyse des rapports
entre cultures, idéologies et leadership à partir de l’examen des efforts
déployés par des élus locaux pour faire parvenir leurs revendications grâce
à la production et la diffusion d’une idéologie basée principalement sur la
culture, la langue et la religion.
161 Le « leadership » doit être définitivement éloigné d’autres terminologies pouvant être
considérées de façon synonymique. On reprend ici une désignation qui revient souvent dans les
propos des interviewés. Ces derniers associent ainsi la notion de « leader » à celle de « caïd » pour
désigner le « leader politique ». La confusion ici est de taille puisque le mot utilisé renvoie surtout à
l’« agent de l’autorité » considéré comme le chef de l’administration d’un arrondissement territorial
(régional, préfectoral ou communal). Certains interviewés préfèrent parler d’un zaïm qui désigne
souvent une personnalité politique « nationaliste » qui renvoie à une certaine histoire de la résistance
au colonialisme. Le mot d’origine arabe a été forgé principalement par les défenseurs du
« panarabisme » et était introduit par certains idéologues avec la montée en puissance de
mouvements nationalistes et indépendantistes arabes vers la fin du 20e siècle. La notion de zaïm
semble désigner ainsi une figure de proue ou bien un personnage charismatique, à l’instar du
président égyptien Nasser, désormais en déclin dans les pays arabo-musulmans notamment. D’autres
interviewés, dont notamment le président et certains membres du bureau, préfèrent évoquer le
manager ou le management politique qui renvoie, d’après eux, à une direction « entrepreunarielle »
de la ville.
162 Selon Max Weber, le cadre conceptuel est plus détaillé en ce qui concerne les comportements
rationnels qui peuvent être modélisés sous forme de types parfaits. Pour Weber, la sociologie, en tant
qu’effort de rationalisation, est par définition plus apte à saisir les faits rationnels que les faits
irrationnels. Cependant, l’auteur est conscient que les idéaux-types sont des simplifications du réel,
mais c’est là, selon lui, que réside leur utilité : “Plus la construction des idéaux-types est rigoureuse,
c’est-à-dire plus elle est étrangère à la réalité en un sens, mieux elle remplit son rôle” (p. 50). Ainsi,
la sociologie, par sa méthode rationaliste, est un mode de connaissance qui tend à une compréhension
univoque des comportements tant rationnels que non-rationnels et qui, en s’éloignant de la réalité,
rend service à la connaissance (p. 49). Max Weber, Économie et société, op. cit., pp. 49-50.
163 Il faudra préciser que l’utilisation de la notion de « rationalité » est entendue ici au sens
« large » selon la définition sémantique de Raymond Boudon. Inspiré de Karl Popper, l’auteur
considère que l’acteur considère ces actions comme étant « rationnelles » malgré le fait qu’elles
soient tenues d’« irrationnelles » par l’observateur. Boudon évoque ainsi une rationalité de type
« traditionnel » qui renvoie à l’action de X qui va faire Y tout en étant convaincu qu’il n’y a aucune
raison de remettre des pratiques « anciennes » en question. Aussi, certaines actions qui relèvent de la
tradition peuvent-elles être tenues de rationnelles. Raymond Boudon, L’art de se persuader (des
idées douteuses, fragiles ou fausses), Essais, Seuil, 1992, p. 37.
164 À propos de la personnalisation de l’influence dans la sphère politique locale, Eugen Weber écrit
ceci : “la politique personnalisée est le stade introductif de la politique moderne (...) Il n’est pas
étonnant, dans ces conditions, que le bonapartisme se soit prolongé sous forme de mythe, de modèle
ou comme le ressort essentiel des suprématies locales. La politique, les problèmes, le gouvernement
étaient des abstractions. La plupart votaient ‘pour un homme’ (...) ‘pas forcément contre le
gouvernement ‘ (. ) ils sentaient encore qu’ils devaient avoir comme leader un homme ‘qui doit être
dans une certaine mesure un thaumaturge’ en cas de besoin ». Eugen Weber, La fin des terroirs, op.
cit., p.372.
165 Lasswell souligne l’importance capitale de la communauté pour l’exercice du leadership
"Unless leaders with the personality formation appropriate to democracy are supported by the
community, it is obvious that the equilibrium essential to sustain the democratic commonwealth
cannot be maintained. Leaders must be drawn from the community at large, rather than from a few
social strata”. Harold D. Lasswell, Power and Personality, New York, 1948, (pp.108-110).
166 Dans son excellent livre, The anatomy of revolution, Crane Brinton affirme que, dans
l’ensemble, le leadership révolutionnaire peut s’avérer efficace surtout au sommet de l’organisation.
Selon lui, les leaders radicaux (ou extrémistes) représentent un intérêt particulier pour le sociologue.
Ainsi, ils ont tous une chose en commun : « il combinent à des degrés variés des idéaux supérieurs à
un mépris total pour les inhibitions et les principes qui servent d’idéaux à la plupart des hommes.
(...) Ils ne sont pas des « philosopher-kings », mais des « philosopher-killers ». Ils possèdent un tact
réel et pratique, qui fait défaut à la plupart des leaders modérés, pour toucher les gens. Les
extrémistes disposent aussi d’assez de prophètes pour entretenir la flamme des followers qui
attendent voir le nouveau Jérusalem au coin de la rue ». D’après Brinton, le leader extrémiste ou
radical dispose de deux modes d’action : « il peut manipuler habilement les êtres humains les plus
complexes et pragmatiques dans les comités, les assemblées, les Parlements, les ministères, etc. Le
leader extrémiste ou radical peut utiliser largement et efficacement l’abstrait : les mots
indispensables qui persuadent et qui ont un pouvoir magique sur les groupes d’hommes en période
de révolutions. » Crane Brinton, The Anatomy of Revolution, Englewood Cliff, N.J. : Prentice-Hall,
1938, (pp. 156-160).
167 “Conventional political science more or less neglects the phenomenon of non constitued
leadership because it considers politics to be about power only, and non constitued leaders, by
definition, lack power. When and if they acquire it, they have transformed themselves into constituted
leaders. Yet non constituted leadership is something that political science overlooks at its intellectual
peril, because very much that is politically significant in the world thus remains outside its purview”
Robert C. Tucker, Politics As leadership, Columbia : University of Missouri Press, 1982, (pp.71-75)
168 Peu d’individus sont arrivés à surmonter des obstacles pour devenir des leaders « informels ».
En 1958, Andrei Sakharov, concepteur de la bombe hydrogène soviétique, demande d’annuler les
tests nucléaires sans arriver à convaincre Khrouchtchev. Il décide alors de mener un leadership
« informel » contre le régime en menant un mouvement pour le respect des droits de l’homme en ex-
URSS.
CHAPITRE 10
CULTURES, IDÉOLOGIES ET LEADERSHIP
Par ailleurs, il faudra rappeler que les aires d’identification des individus
se sont multipliées et l’État n’apparaît plus comme le principal maître
d’œuvre de la construction identitaire. L’actualité témoigne ainsi de la
diversification des stratégies identitaires des individus et des groupes :
identité nationale171 versus identité locale, etc. C’est pourquoi la conception
« primordialiste » de l’identité semble désuète, comme l’écrit d’ailleurs à
juste titre Jean François Bayart : « Il n’y a pas d’identité naturelle qui
s’imposerait à nous par la force des choses. (...). Et le terme d’“identité
primordiale”, couramment utilisée par les anthropologues ou les
politologues, est tout aussi malheureux. Il n’y a que des stratégies
identitaires, rationnellement conduites par des acteurs identifiables (...) et
des rêves ou des cauchemars identitaires auxquels nous adhérons parce
qu’ils nous enchantent ou nous terrorisent. » (Bayart, 1996 : 10). Vu sous
cet angle, une « identité locale » pourrait renvoyer à un espace socioculturel
imaginé, construit, approprié et surtout réinventé par des individus qui
occupent un territoire localisé (ville, circonscription...) ou bien qui
appartiennent à une entité politique distincte (partis, organisation...). Ces
individus seraient ainsi à même de défendre une culture commune malgré le
fait qu’ils soient partagés entre des identités plurielles et perméables, et des
réseaux enchevêtrés d’allégeances confuses qui rendraient difficile la
détermination d’une identité « exclusive ».
Dans cette optique, on peut considérer que les conseillers de la ville qui
revendiquent une « identité locale » auraient plus de chances d’accaparer
des rôles de leadership grâce à la formation et à la diffusion d’une idéologie
« spécifique » (nationaliste, progressiste...). Les leaders potentiels seraient
ainsi acculés à convaincre les partisans d’adhérer à un système de valeurs
qui permet d’élaborer des stratégies d’influence fondées sur des marqueurs
identitaires (religion, culture, langue, etc.). En d’autres termes, les
comportements de leadership seraient orientés par des idéologies exclusives
portées par des conseillers qui défendent des modes de leadership
particuliers (démocratique, conservateur…)172.
Le désaveu des élus pour les partis politiques semble donc se confirmer
au niveau local. Le rôle des partis est relégué ainsi au second plan au profit
de celui des conseillers. Ces derniers tentent en effet de se substituer à
l’institution partisane mettant en valeur le rôle primordial de l’élu local en
tant que représentant « privilégié » de la ville. Pour preuve, 55% des
interviewés déclarent qu’ils appartiennent à la ville, 35% au Maroc et
seulement 4,6% à leurs communes. L’identification des conseillers à la ville
en tant que territoire politique et socioculturel s’explique en grande partie
par la centralisation de la prise de décisions dans le conseil de la métropole
au détriment des conseils des arrondissements (ex-communes). Ces
derniers, faut-il le rappeler, ont été privés de la personnalité morale et
financière, conformément aux dispositions de la nouvelle Charte
communale de 2002. D’une certaine manière, la non-représentativité au sein
du conseil de la ville est perçue ainsi comme un indicateur de l’échec de
l’élu à s’imposer au sein du gouvernement local.
Par ailleurs, les élus locaux semblent convaincus, malgré tout, que les
partis politiques se doivent de jouer un rôle primordial dans la direction des
affaires locales. Pour preuve, 84,7% des interviewés déclarent qu‘« un élu
local sans appartenance partisane ne servira pas l’intérêt général de la
communauté ». La majorité des conseillers considère ainsi les partis comme
un acteur central à même de favoriser l’émergence d’un leadership
nécessaire pour conduire le processus de démocratisation du système
politique. Une grande partie des conseillers croit en effet que c’est
justement grâce aux partis que les élus sont recrutés, socialisés, encadrés et
surtout accrédités afin qu’ils puissent disposer d’une légitimité locale
susceptible de renforcer leur fonction représentative.
À l’instar des partis politiques, les représentations que font les conseillers
du gouvernement local revêtent une importance capitale dans le processus
de construction du leadership. L’action politique d’un leader pourrait être
orientée ainsi par sa perception de la nouvelle réforme communale, de
l’action du président, des membres de son bureau, des conseillers et du
modèle organisationnel du gouvernement local. À cet égard, l’enquête
révèle que la majorité des élus locaux ne semble pas favorable à la nouvelle
réforme du système politique local. Ainsi, 67,2% des interviewés pensent
que « la nouvelle Charte communale ne permet pas un meilleur
gouvernement des affaires locales », contre seulement 32,8% qui pensent le
contraire. Dans le même sens, 74,8% des conseillers estiment que « le
président et son bureau ne sont pas parvenus à bien organiser l’action du
conseil par rapport à l’expérience antérieure à l’application du principe de
l’unité de la ville », contre seulement 25,2% qui se disent convaincus que le
président et son équipe sont parvenus à améliorer la direction des affaires
locales au sein de la métropole. En outre, la majorité des conseillers rejette
le leadership « institutionnel » du président du conseil de la ville de
Casablanca. Ainsi, 42% des interviewés affirment qu’« ils sont très
insatisfaits de la manière dont le président et son bureau accomplissent
leurs rôles » et 22,1% parmi eux se disent « assez insatisfaits », alors que
seulement 32,8% des interviewés affirment qu’ils sont « assez satisfaits »
du rôle joué par le président et son équipe, comme le démontre d’ailleurs, à
titre illustratif, le graphique 59 ci-dessous.
D’un autre côté, l’enquête démontre que la majorité écrasante des élus
s’accorde sur l’effacement du rôle de la femme dans la vie politique locale.
Pour preuve, 90,8% des interviewés déclarent que « les femmes ne sont pas
bien représentées dans les conseils communaux ». Les conseillers
expliquent ce constat par plusieurs facteurs : d’abord, 74,% des interviewés
évoquent un « désengagement des femmes qui ne votent pas et ne se
présentent pas souvent aux élections communales ». Une partie des élus
mettent plutôt l’accent sur une certaine discrimination sociale dont font
l’objet les femmes qui aspirent faire de la politique. À cet égard, 54% des
interviewés déclarent, par exemple, que « les hommes ne facilitent pas la
tâche aux femmes pour qu’elles puissent s’affirmer dans la vie politique
locale ».
Dans le même ordre d’idées, 80,2% des conseillers de la ville croient que
« dans les coutumes, la politique a toujours été une affaire d’homme »,
comme le démontre, à titre illustratif, le graphique 60 ci-dessous. Par
ailleurs, 59,5% des interviewés s’accordent pour dire que « les lois en
vigueur empêchent les femmes de s’émanciper en politique ». Ceci étant
posé, les élus semblent toutefois partagés lorsqu’il s’agit d’évoquer la
responsabilité des partis politiques vis-à-vis de cette situation. Ainsi, 40,5%
des interviewés se disent convaincus que « les partis n’encouragent pas les
femmes à s’imposer dans la sphère politique », contre 59,5% qui déclarent
le contraire.
Bref, on serait tenté de conclure que les conseillers ont peu de chances
d’exercer une influence réelle sur le processus de prise de décisions au sein
du conseil de la ville de Casablanca. En témoignent ainsi les résultats de
l’enquête qui infirment toute tendance lourde ou toute régularité empirique
susceptibles d’attester du fonctionnement d’un leadership local « réel ».
Cependant, on suppose toutefois qu’un discours idéologique pourrait bien
renforcer l’élaboration et la diffusion d’une identité politique « exclusive ».
Celle-ci pourrait favoriser ainsi la compétition entre les partis et les élus
locaux qui tentent d’accaparer des rôles de leadership. Des identités
politiques plurielles, perméables et malléables pourraient du coup se
manifester au sein de la sphère politique à travers les comportements et les
attitudes de certains conseillers. Pour faire parvenir leurs revendications,
ces derniers devraient ainsi élaborer et diffuser, systématiquement, un
discours politique pertinent qui se réfère à des substrats culturels,
linguistiques ou religieux.
Ceci étant posé, une analyse de contenu du discours des conseillers PJD
atteste toutefois d’une utilisation accessoire du référent religieux pour faire
valoir des orientations politiques spécifiques. Ainsi, malgré le fait qu’ils
usent de commandements et préceptes religieux (hadiths, versets
coraniques...), les conseillers islamistes légalistes ne parviennent pas
souvent à peser sur les choix des élus et les décisions majeures prises par le
conseil de la ville. Dans la plupart des cas, les interventions des conseillers
PJD visent principalement à communiquer sur leur action locale pour se
différencier de leurs adversaires (progressistes, nationalistes...). Ce faisant,
ils essayent souvent de marquer les esprits en soulignant, par exemple,
l’attachement du parti à un référent historico-religieux qui met en avant une
spécificité culturelle localisée, une singularité identitaire arabo-sunnite
actualisée, un particularisme civilisationnel réinventé, etc.
Mais cela n’empêche pas pour autant les conseillers PJD d’user parfois
de la religion à des fins politiques. Pour cela, ils n’hésitent pas à propager
un discours « moralisateur » émanant d’une « éthique religieuse ». Celle-ci
est fondée principalement sur des règles et des codes culturels qui tendent à
orienter les comportements et les attitudes politiques des conseillers. Ce fut
le cas notamment lorsque l’idée du festival a été soumise, en 2004, au débat
au sein des organes du conseil de la ville de Casablanca. Ainsi, et malgré le
fait qu’ils appartiennent à la majorité, les conseillers PJD se sont montrés
particulièrement critiques à l’égard de l’organisation du festival par une
association non représentée par les élus locaux. En outre, un leader PJD,
Mustapha el-Haya, avait même considéré cet événement comme une
atteinte aux mœurs et aux valeurs de la société marocaine. À ce égard, il
avait déclaré ceci :
Dans le même sens, un conseiller PJD n’a pas hésité à exprimer les
ambitions politiques du PJD d’accaparer à terme un leadership « culturel »
à connotation religieuse. À cet égard, ce dernier n’a pas caché la
détermination de son parti à orienter l’action culturelle au sein du
gouvernement local. À cet égard, il avait déclaré ceci :
La seule femme voilée conseillère PJD est une jeune cadre supérieur au
ministère de l’Economie et des Finances. Sociable et ouverte d’esprit, elle
ne semble guère contre le principe de « mixité » à condition que les
rapports homme/femme soient fondés sur le respect mutuel. En tant qu’élue
locale à la tête de la commission des affaires juridiques du conseil, elle
n’hésite pas, par exemple, à solliciter l’aide du personnel politique et
communal, à majorité masculine d’ailleurs, pour s’acquitter
convenablement de sa mission. Les résultats du scrutin local du 12 juin
2009, faut-il le rappeler, ont permis au PJD de renforcer son leadership
féminin grâce à 5 sièges remportés par des élues islamistes dans le conseil
de la ville de Casablanca.
Cependant, rien ne permet d’attester que les conseillers PJD sont plus
actifs et engagés que les autres à revendiquer une identité islamique
« dure ». Ainsi, la singularité du comportement religieux ne représente pas
un aspect déterminant dans les attitudes des conseillers qui tentent de mettre
en avant des valeurs et des normes religieuses pour accaparer des rôles de
leadership. En outre, il semble que l’usage du référentiel religieux n’est pas
la chasse gardée des islamistes légalistes qui siègent au sein du conseil de la
ville de Casablanca. De plus, des attitudes religieuses semblent se
manifester à travers des pratiques culturelles plus ou moins détachées de
revendications politiques ou idéologiques. En d’autres termes, certains
conseillers affichent des comportements de type « conservateur » qui
émanent parfois de valeurs traditionnelles, mais sans qu’ils renvoient
nécessairement à des valeurs religieuses. Pour preuve, le cas de certains
conseillers qui, dans un élan de conservatisme, n’hésitent pas à saluer
l’intégrité des conseillers « islamistes » allant parfois même jusqu’à rallier
la position du PJD au sein du conseil de la ville. À cet égard, on peut citer
l’exemple de ce conseiller PPS qui ne semble guère marqué par l’idéologie
« progressiste » prônée « historiquement » par son parti. De plus, son
attitude religieuse laisse à penser qu’il représente un courant islamiste à en
juger par son attachement manifeste aux préceptes religieux (kamis, barbe,
assiduité dans l’accomplissement des prières...). À l’entendre une fois
regretter le fait d’avoir manqué d’accomplir la prière du vendredi, à cause
de sa présence avec les élus pour accueillir le roi, lors de sa visite du 21
juillet 2006 à Casablanca, on serait bien tenté de conclure que ce conseiller
était membre représentant du parti du PJD et non un militant PPS.
D’après l’enquête, il s’est avéré ainsi que les élus, dont la majorité est
arabophone, n’accordent pas un intérêt particulier à la maîtrise des langues,
par exemple. En outre, une grande partie des conseillers perçoit l’arabe
classique comme la « langue officielle et nationale » du pays. Et même s’ils
n’osent pas dénoncer ouvertement la diversité linguistique, ils ne
considèrent pas « légitimes » pour autant que des conseillers défendent des
revendications identitaires qui valorisent, par exemple, la langue française
ou le tamazight. De plus, une grande partie des interviewés n’apprécie
guère l’utilisation de ces registres linguistiques considérés d’ailleurs comme
étant véhiculaires. En revanche, ils préfèrent que « tous » les conseillers
élus interviennent en arabe, ou bien en langue véhiculaire à l’instar du
darija, pour défendre leurs idées et faire parvenir leurs choix au sein du
gouvernement local.
Vu sous cet angle, la langue n’est pas considérée dans une perspective
interculturelle comme étant un vecteur de l’identité d’un individu ou d’un
groupe culturel ou linguistique. La majorité des conseillers de la ville
manifeste au contraire un certain « repli identitaire » qui se traduit par une
dévalorisation des systèmes culturels concurrents. Pour preuve, la plupart
des élus locaux décrient ainsi le fait de parler français et n’hésitent pas
parfois à stigmatiser les élus francisants ou francophones. En outre, ils les
accusent même parfois de vouloir marginaliser la langue et la culture arabes
au sein du gouvernement local. Pour exemple, lors d’une réunion du conseil
de la ville en 2005, des conseillers de la majorité se sont retirés ainsi de la
salle en signe de protestation contre l’utilisation par un élu de l’opposition
de la langue française dans son intervention lors d’une séance plénière du
conseil.
« Je suis d’origine amazighe et j’en suis fier. Il ne faut pas oublier que
c’est grâce aux ‘chleuhs’ que le président est parvenu à décrocher la
mairie. J’aurais au moins le mérite de crever l’abcès en intervenant devant
le conseil de la ville en tamazight. Je crois que c’est la première fois qu’un
élu local ose affirmer haut et fort son identité reconnue désormais par la
plus haute autorité dans le pays. »
Partant de ces idées, notre objectif est d’étudier les stratégies identitaires
qui pourraient se manifester à travers les usages que font les leaders de la
notion de « culture » en vue de construire une identité politique
« exclusive » susceptible de les différencier de leurs adversaires (groupes
ou individus). Plus précisément, notre objectif consiste à analyser les efforts
individuels déployés par les conseillers de la ville qui essayent de donner un
sens à leurs idées et choix politiques grâce à la mobilisation de registres
culturels particuliers à même de favoriser la construction d’un leadership
idéologique (conservateur, progressiste...). Plus concrètement, on a cherché
à repérer dans les discours des conseillers des traits culturels distinctifs
portés par un individu, un groupe d’individus ou une coalition qui tentent
d’influencer « rationnellement » le processus décisionnel local dans la ville
de Casablanca.
Dans cette étude, notre choix a porté principalement sur l’analyse de cet
exercice d’idéologisation de la culture auquel s’apprêtent différemment
certains conseillers de la ville en quête d’influence. Il s’agira de décrire et
d’analyser les logiques sous-jacentes qui se trouvent en amont de l’action
des acteurs qui s’appuient sur des constellations socioculturelles
« rationnelles » pour produire du « sens » dans le but d’orienter les choix et
les décisions. Trois constructions lexicales logico-argumentatives et
rhétoriques méritent que l’on s’y arrête plus longuement dans ce chapitre, à
savoir « culture populaire », « identité nationale » et « identité islamique ».
Aussi, une bonne partie des conseillers plaide-t-elle pour une « culture
populaire » qui renvoie à un système de valeurs traditionnelles (authenticité,
communauté...). C’est le cas notamment des conseillers « natifs » de
Casablanca qui revendiquent, eux, une certaine « autochtonie » émanant
d’un ancrage « historique » dans la métropole. La symbolique que revêt
l’origine géographique ou l’appartenance à un territoire, à un terroir ou à
une bourgade, à la cité de Dar El Beida,196 avec sa charge historique et son
patrimoine culturel, est souvent utilisée pour marquer une identité culturelle
« exclusive ». Celle-ci leur permet ainsi de souligner une distinction sociale
entre les conseillers « casablancais » (bidawas) et des conseillers « non
casablancais »197. À cette fin, certains conseillers mettent en avant, par
exemple, leur appartenance proclamée aux « premières grandes familles
citadines migrantes » qui avaient participé à l’édification de la ville de
Casablanca, à l’instar de Lahjajma, Sidi Massâoud et Ouled Haddou. La
revendication d’un certain enracinement local permettait ainsi à certains
conseillers de l’opposition notamment de dresser des « frontières
culturelles » face à leurs adversaires à commencer par le président du
conseil de la ville, d’origine « amazighe ». Issu de la région de Taroudant,
où il est d’ailleurs député depuis plusieurs années, le président est considéré
par une bonne partie des interviewés comme un « allogène » (barrani) qui
gouverne des « autochtones » ou des « indigènes » (Ouled lebled). Des
revendications à base « communautaires »198 marquent souvent le discours
de certains « leaders locaux » qui utilisent le territoire, l’origine sociale ou
géographique pour contrer ou se différencier de leurs rivaux. C’est le cas
notamment de certains conseillers « de gauche », sous les couleurs du PPS
et de l’USFP notamment, qui avaient essayé de revendiquer une certaine
« autochtonie » liée à la ville de Casablanca, en particulier après l’accès
d’un président d’origine amazighe à la tête du gouvernement local. C’est le
cas aussi de certains conseillers qui mettent parfois en valeur une certaine
urbanité (origine urbaine) pour stigmatiser leurs adversaires qu’ils
qualifient péjorativement d’ailleurs de ruraux (ou a’roubiya)199. Un
conseiller de l’opposition regrette ainsi le fait que des conseillers issus du
milieu rural participent à la direction politique de la ville. À cet égard, il
avait déclaré ouvertement ceci :
« C’est dommage que la ville de Casablanca soit gouvernée par des élus
analphabètes et incultes qui parviennent à se faire élire grâce à leur fortune
et leurs réseaux notabiliaire et népotique. Ces gens-là sont des ruraux qui
n’ont jamais consulté la Charte communale, qui ne connaissent pas la loi et
les règlements en vigueur. Alors, je me demande bien comment peuvent-ils
prendre part au débat politique et à la gestion de la chose publique ? »
Par ailleurs, il apparaît que les conseillers de la ville qui s’alignent sur
une idéologie « officielle » manquent considérablement de ressources pour
pouvoir orienter les choix du gouvernement local. De leur côté, les autorités
centrales se trouvaient de fait renforcées dans leur rôle de tutelle sur les
conseils élus qui subissent de plus en plus l’influence hégémonique de la
bureaucratie. Pour preuve, le conseil de la ville se trouve souvent acculé à
manifester son allégeance au régime en place de peur de subir les foudres
du ministère de l’Intérieur. Pour exemple, à la fin de chaque séance, le
conseil était obligé d’adresser, au nom de son président, un message de
loyauté à la personne du roi et aux institutions de l’État. Souvent, c’est l’un
des vice-présidents présent lors de la session qui procède à la lecture de ce
message en présence des autorités. Le cérémonial se termine souvent par les
applaudissements des conseillers sous le regard veillant du wali ou son
représentant. Le même scénario s’est reproduit d’ailleurs à plusieurs fois
lorsque le conseil adressait, par exemple, des messages de félicitations au
roi à l’occasion de la fête de trône ou bien quand la ville de Casablanca a
fait l’objet d’attentats en 2005. A l’époque, les conseillers de la ville, et à
leur tête le président, n’avaient ménagé aucun effort pour dénoncer
vigoureusement ces actes qu’ils avaient qualifiés unanimement d’ « actes
terroristes et criminels étrangers à la nation marocaine ».
Le rôle de l’élu se trouve ainsi relégué au second plan par rapport à celui
du fonctionnaire ou de l’officiel. De fait, les hommes politiques ne
parviennent pas à influer d’une manière notoire sur le processus de prise de
décisions au sein du conseil de la ville de Casablanca. D’où la difficulté de
voir émerger des leaders locaux à même d’obtenir l’adhésion volontaire de
followers en vue d’orienter les choix politiques, économiques et culturels de
la collectivité. Pour exemple, le président du conseil de la ville a signé, en
mars 2008, un accord d’« entente » avec la Lydec sous l’égide du ministre
de l’Intérieur en l’absence des conseillers censés être présents de par leur
fonction représentative. En outre, les signataires n’avaient pas pris la peine
d’inviter les membres de la commission chargée des négociations avec la
Lydec afin de procéder à la révision de la convention de la gestion déléguée
de l’eau et l’électricité dans la métropole. De plus, des conseillers de la
majorité n’auraient même pas été informés de la décision des autorités de
négocier cet accord avec la société française dans les locaux du ministère de
tutelle. Cela rendait ainsi désuet le rôle de l’élu local et en particulier sa
fonction représentative au sein de la collectivité.
À cet égard, l’enquête révèle d’abord que les conseillers PJD notamment
essayent souvent de puiser leur force dans une tradition, une culture ou une
civilisation islamiques pour défendre leurs idées et intérêts politiques au
sein du gouvernement local. Certains d’entre eux, par exemple, font l’éloge
d’une certaine histoire des musulmans en évoquant ainsi le passé glorieux
d’une société islamique « idéale ». D’autres vont plus loin à l’instar de ce
conseiller qui s’est étallé une fois, lors de son intervention devant le conseil
de la ville, à défendre la langue et la culture arabo-islamiques. Il n’avait pas
hésité à ce titre à réciter des poèmes qui chantent l’héroïsme et la gloire
dont jouissaient les musulmans dans le passé. Mais ce discours n’était pas
pour plaire à des conseillers « de gauche » tout particulièrement. En
témoigne ainsi le comportement de ce chef de l’opposition, sous les
couleurs du PPS, qui a décidé de quitter la salle pour protester contre ce
qu’il a qualifié d’« utilisation abusive par certains conseillers
fondamentalistes de la religion à des fins politiques ».
La force du discours islamiste se manifestait aussi grâce à un effort de
certains conseillers PJD visant à intégrer l’idée de nationalisme dans le
cadre d’une identité culturelle inédite et composite (nationale, locale,
islamique...). Ce fut le cas notamment lorsqu’un conseiller islamiste
légaliste avait mis en avant le rôle de la religion qui aurait contribué à
cristalliser profondément le « Mouvement national ». Selon lui, la
résistance contre le colonisateur est un processus collectif conduit par des
chefs nationalistes considérés, en premier lieu, comme des moujahidines
qui défendaient des valeurs religieuses. On se rapproche ici de la notion de
« communalisme » dans laquelle Dumont voit : « Quelque chose comme le
nationalisme, mais où la nation serait remplacée par la communauté
religieuse [...] l’élément religieux qui entre dans sa composition paraît
n’être que l’ombre de la religion, la religion prise non plus comme essence
et guide de la vie de tous les domaines, mais seulement comme signe de
distinction d’un groupe humain, et virtuellement au moins politique par
rapport à d’autres. » (Dumont, 1966 : 377-378).
Malgré cela, il apparaît que certains leaders tentent d’orienter les choix
du gouvernement local grâce à la revendication d’une identité politique
homogénéisante et inclusive. C’est le cas notamment des conseillers PJD
qui essayent, par exemple, d’opérer une injonction entre des valeurs
religieuses (Islam) et des registres linguistiques vernaculaires (arabité),
lesquels renvoient implicitement à une certaine identité « arabo-
islamique ». Ce faisant, les élus locaux du PJD parviennent à gagner en
crédibilité à en juger notamment par la popularité dont bénéficient les élus
islamistes comparés à leurs adversaires politiques « de gauche »,
notamment, au sein de la ville de Casablanca. Dans l’« imaginaire
collectif », certains conseillers PJD seraient considérés à la fois comme des
chefs religieux et des leaders politiques213.
En mobilisant des registres culturels divers et variés (national, religieux,
linguistique...), les islamistes légalistes essayent ainsi de s’approprier une
légitimité traditionnelle émanant de l’attachement à une identité culturelle
protéiforme. Ce comportement s’explique principalement par l’engagement
des conseillers PJD à défendre une « rationalité axiologique » qui désigne
des actions adoptées non à des fins, mais à des valeurs ou à des principes
normatifs (Boudon, 1992 : 37). Il s’agit là de ce que Vrancken et Kuty
qualifient de « rationalisation axiologique » : « Le travail de rationalisation
axiologique de l’éthique de conviction n’est possible que s’il est mené sous
la houlette d’un tiers : le cognitif est mêlé au relationnel. C’est une idée
essentielle : la systématisation axiologique n’est pas seulement un
processus mental - ce qui renverrait à une sociologie idéaliste -, mais a
symétriquement un versant pragmatique : c’est en travaillant sur leurs
relations avec l’intervenant que les acteurs organisationnels sont capables
de travailler sur leurs propres relations au sein de l’organisation. Dès lors,
reconnaître que le cognitif et le relationnel sont étroitement mêlés, c’est lier
l’avancée cognitive à la dynamique des relations au tiers. Ce double
processus doit être mis en lumière (...) à partir des deux aspects des
identités : elles sont à la fois systèmes cognitifs et règles de décision. »
(Vrancken & Kuty, 2001 : 151). Cette « rationalisation axiologique » peut
être illustrée à travers l’idée de certains penseurs politiques selon laquelle
l’Islam ne serait pas incompatible avec la démocratie. D’une certaine
manière, ces derniers laissent entrevoir ainsi la légitime d’un « islamisme
démocratique » qui s’inscrit dans le cadre de la liberté. C’est le cas
notamment de Mohamed Mouaqit qui part de l’idée d’un réalisme politique
structurant la pensée arabo-islamique. Selon l’auteur, le référent
démocratique n’est pas la chasse gardée des progressistes dans la mesure où
certains intellectuels islamistes notamment se sont approprié la notion de
« démocratie » pour s’aligner sur les valeurs de modernité (droits de
l’homme...) (Mouaqit, 2003).
I. CONCLUSIONS PRINCIPALES
Malgré la complexité et la volatilité du phénomène du leadership
politique, on peut toujours essayer de le cerner en mettant l’accent sur les
principales conclusions de la recherche. Celles-ci peuvent être résumées
dans les points suivants :
Par ailleurs, le président ne cherche pas à coordonner ses efforts avec les
responsables des partis pour asseoir un leadership local « démocratique »
susceptible de favoriser la pluralité politique. En outre, le président semble
dénigrer la fonction d’élu local dans la mesure où il n’hésite pas parfois à
solliciter le soutien de fonctionnaires pour renforcer sa direction politique.
Parallèlement, il tente d’investir les contrées de l’action locale afin
d’étendre ses réseaux d’influence de manière à pouvoir influer sur la prise
de décisions au sein du gouvernement local.
Et pourtant, ce rapport entre élus et électeurs n’est pas basé sur une
adhésion volontaire émanant des convictions de followers. Au contraire,
leur relation semble plutôt fondée sur un mode « transactionnel » qui tend
principalement à satisfaire des intérêts particuliers de part et d’autre. Les
conseillers de la ville se contentent ainsi de manifester des attitudes de
leadership et ne fournissent pas assez d’efforts pour gagner le consentement
des partisans dans le but d’influer réellement sur la prise de décisions. En
effet, les conseillers pèchent souvent par leur manque d’engagement à
mobiliser des partisans afin de résoudre les problèmes dont souffrent les
populations locales. Souvent, ils attendent les campagnes électorales pour
nouer le contact avec les électeurs dans l’espoir d’obtenir leur voix le jour
du scrutin.
Par ailleurs, les conseillers n’entretiennent pas un dialogue permanent et
constructif avec les acteurs de la vie politique locale (partis, médias,
associatifs...). Le déficit de communication se traduit ainsi par le peu de
réunions ou débats initiés par les élus locaux. Ainsi, la majorité des
conseillers ne dispose pas d’une culture de l’action locale susceptible de les
aider à s’acquitter de leur fonction représentative. Et pour cause, ils sont
souvent livrés à eux-mêmes en l’absence d’un encadrement partisan
adéquat et une formation continue susceptible de renforcer les compétences
et le savoir-faire des élus locaux.
C’est ce qui explique d’ailleurs les difficultés à voir émerger des leaders à
même d’articuler l’organisation du conseil avec les enjeux politiques et
idéologiques qui caractérisent une collectivité « fragmentée ». Pour preuve,
les tâches de leadership qui sont soient exécutées par des administrateurs ou
des fonctionnaires, soient complètement négligées. D’où notamment
certains dysfonctionnements de la « structure » du leadership qui
contribuent à attiser les tensions au sein du gouvernement local. En
témoignent ainsi les affrontements idéologiques qui surgissent parfois entre
les conseillers de la majorité et ceux de l’opposition. Pour exemple, on peut
évoquer les discordes qui opposent souvent les conseillers PJD à ceux de
l’USFP rendant ainsi difficile les efforts du président à préserver un
leadership « institutionnel ». Ainsi, il ne parvient pas à assurer une certaine
cohésion de sa coalition et à maintenir la discipline des conseillers
« islamistes » notamment qui n’hésitent pas parfois à s’opposer aux
propositions du bureau.
Pour ce qui concerne le conseil de la ville, les élus locaux ne jouent pas
un rôle influent dans la médiation en périodes de crise dans la mesure où ils
ne parviennent pas à résoudre des conflits qui surgissent de temps à autre
entre les membres du conseil. Les conseillers tentent en effet d’éviter les
rivalités qui pourraient déboucher sur des affrontements. C’est le cas
notamment du président qui tente de fédérer sa majorité tout en essayant de
maintenir le contact avec les membres de l’opposition et les fonctionnaires.
À cet égard, force est de constater que la majorité des conseillers évite
d’entrer en conflit avec les fonctionnaires qui n’hésitent pas à intervenir
parfois pour aplanir les conflits qui surgissent au sein du conseil.
De là, il apparaît en effet l’idée d’une compétition entre des élus locaux
en vue de s’adjuger des positions de leadership. Les conseillers qui aspirent
exercer de l’influence tentent ainsi de tirer le maximum d’avantages de
leurs ressources stratégiques. On peut donc affirmer que des comportements
du leadership local se manifestent à travers quatre modes d’influence :
idéologique, radical, activiste et consensuel. Ainsi, les idéologues arrivent à
mobiliser les partisans et à justifier leur engagement, les activistes se
trouvent souvent à l’origine de l’action partisane, associative ou syndicale,
les radicaux nourrissent systématiquement le débat, même s’ils versent
parfois dans les surenchères et les polémiques, et les consensuels
parviennent, in fine, à des compromis grâce à leurs réseaux de relations et
leurs efforts de médiation entre les acteurs de la vie politique locale
(autorités, partis, notables…).
Ce constat atteste positivement de certaines variations dans l’abondance
et l’origine des ressources. Ainsi, seuls les leaders « institutionnels » qui
utilisent leurs ressources à un taux élevé sont en mesure d’exercer de
l’influence sur les décisions du conseil. Il s’agit là d’un groupe
d’« entrepreneurs politiques », à l’instar du président, qui tentent d’orienter
les choix du gouvernement local grâce au montant des ressources dont ils
disposent.
Par ailleurs, une typologie des comportements politiques des élus locaux
laisse entrevoir divers modes d’influence. Ainsi, la plupart des conseillers
de la ville semblent privilégier un style de leadership « charismatique »
émanant des qualités exceptionnelles d’un « grand homme » qui se place
au-dessus des lois et échappe à tout contrôle. Une personnalisation accrue
de l’influence s’opère en effet dans la culture politique locale au détriment
d’une logique qui tend vers une institutionnalisation des valeurs
démocratiques, de la culture des droits de l’homme et d’un État de droit.
Malgré ce constat plutôt négatif, force est de constater que certains élus
locaux essayent, non sans difficultés, de construire un leadership
susceptible d’orienter les choix du gouvernement local. Il s’agit là de
certaines tentatives sporadiques d’influence qui découlent de l’analyse
consacrée au processus du leadership dans les chapitres précédents.
Plusieurs indicateurs attestent en effet de l’engagement de certains
conseillers qui essayent d’influencer le cours des décisions locales
inhérentes aux attentes et aux besoins de la collectivité.
- Leadership : L
- Environnement : E
- Positions d’autorité : PA
- Buts : B
- Ressources : R
- Followers : F
- Comportements : C
- Conflits : Con
- Styles : S
- Idéologie : I
- Puissance : n
L = (E + PA + R + C + F + I)n
Pour aller plus loin, on a essayé de déterminer les facteurs qui influent
sur les différentes dimensions du leadership. Pour mesurer l’impact de
chaque dimension, on a cherché à savoir s’il existe des corrélations entre
des variables dépendantes (comportements/actions) et des variables
indépendantes (caractéristiques personnelles) qui influent, les unes et les
autres, sur les tentatives de leadership. Ces variables « test » ou de contrôle
sont les suivantes : âge (A), niveau d’instruction (Ni), maîtrise des langues
(Ml), catégorie socioprofessionnelle (Csp), revenu individuel Ri, affiliation
partisane Ap, expérience politique Ep et contrôle des postes d’autorité (PA).
On peut résumer ces variables explicatives à priori par la structure causale
suivante :
images97
- Leadership : L
- Catégorie d’âge : CA
- Niveau d’instruction : Ni
- Maîtrise des langues : Ml
- Catégorie socioprofessionnelle : Csp
- Revenu individuel : Ri
- Affiliation partisane : AP
- Expérience politique : EP
- Postes d’autorité : PA
images98
Toutes choses étant égales par ailleurs, on peut ainsi affirmer que les
tentatives du leadership local peuvent s’expliquer par un « modèle
théorique » qui comprend trois dimensions interdépendantes : Ressources,
Autorité et Idéologie. Les ressources sont considérées ici comme une
variable quantitative qui renvoie à l’« individu », son profil, ses
compétences, ses traits de personnalité, ses réseaux de relations, etc.
L’autorité ou le Headership est considérée comme une variable quantitative
inhérente à la « structure », c’est-à-dire à des positions hiérarchiques ou à
des rôles formels occupés au sein de l’organisation ou l’institution. Enfin,
l’idéologie est considérée comme une variable qualitative inhérente aux
efforts de certains politiciens visant à accaparer un leadership « cognitif ».
Dans la perspective boudonnienne, celui-ci serait intrinsèquement lié à la
justification de certains choix par de « bonnes raisons » qui découlent des
valeurs, des croyances, des convictions, des sentiments moraux, etc.,
lesquels représentent les caractéristiques de la culture politique
prédominante au sein d’une communauté. On peut résumer ce « modèle
explicatif » du leadership local à priori par la structure causale suivante :
images99
L = (R + PA + I)n
- Leadership : L
- Ressources : R
- Positions d’autorité : PA
- Idéologies : I
- SL : styles de leadership
- Ch : Charismatique
- T : totalitaire
- Au : autoritaire
- Li : leadership « islamiste »
- Is : Islam
- AR : arabité
- MA : marocanité
- Annexe 1 : Tableau croisé 1 « Nature des relations entre les élus locaux et
les fonctionnaires »
- Annexe 2 : Tableau croisé 2 « Les postes de responsabilité occupés par les
élus locaux au sein du conseil de la ville »
- Annexe 3 : Tableau croisé 3 « La ressource qui favorise le plus l’accès des
élus à des postes de responsabilité »
- Annexe 4 : Tableau croisé 4 « Mobilisation des partisans pour l’obtention
du soutien »
- Annexe 5 : Tableau croisé 5 « La disposition des élus locaux à répondre
aux doléances des populations »
- Annexe 6 : Tableau croisé 6 « Le moyen le plus efficace pour faire
approuver des décisions »
- Annexe 7 : Tableau croisé 7 « Capacité des élus locaux à résoudre des
conflits »
- Annexe 8 : Tableau croisé 8 « Perceptions des élus locaux du leader sage
qui dispose de capacités exceptionnelles de direction »
- Annexe 9 : Tableau croisé 9 « Perceptions des élus locaux de la
représentativité de la femme au niveau local »
- Annexe 10 : Tableau croisé 10 « La création d’un parti islamiste modéré »
- Annexe 11 : Tableau croisé 11 « La création d’un parti politique
amazigh »
- Annexe 12 : Tableau croisé 12 « Perceptions des élus locaux de
l’intervention des autorités centrales dans la sphère politique locale »
- Annexe 13 : Protocole d’interview
Annexe 1
Tableau croisé 1 « Quels sont les rapports des élus locaux avec les
représentants de l’administration locale ? »
Annexe 2
Tableau croisé 2 « Occupez-vous des postes de responsabilité au sein du
conseil de la ville ? »
Annexe 3
Tableau croisé 3 « La ressource qui favorise le plus l’accès d’élus à des
postes de responsabilité ? »
Annexe 4
Tableau croisé 4 « Mobilisez-vous des élus pour obtenir du soutien
politique ? »
Annexe 5
Tableau croisé 5 « Avez-vous déjà reçu et répondu favorablement à des
demandes présentées par les populations ? »
Annexe 6
Tableau croisé 6 « Quel est le moyen le plus efficace pour faire
approuver une décision par le conseil de la ville
Annexe 7
Tableau croisé 7 Etes-vous déjà parvenus à résoudre des conflits qui
auraient opposés des conseillers de la ville ?
Annexe 8
Tableau croisé 8 « Que pensez-vous d’un leader sage qui dispose de
capacités exceptionnelles de direction » ?
Annexe 9
Tableau croisé 9 « Pensez-vous que les femmes sont bien représentées
au niveau local ? »
Annexe 10
Tableau croisé 10 « Serait-il mieux que les politiciens d’obédience
islamique se rassemblent dans un parti politique » ?
Annexe 11
Tableau croisé 11 « Perceptions des élus locaux de la création d’un
parti politique amazigh »
Annexe 12
Tableau croisé 12 « Pensez-vous que les autorités centrales doivent
intervenir pour sanctionner les élus qui ne respectent pas la loi ? »
Annexe 13
Protocole d’entretien
31) Quels sont, à votre avis, les plus importants problèmes qui caractérisent
la ville ?
32) Voici sept formes d’action politique. Lesquelles parmi ces actions celles
que vous avez déjà entreprises, celles que vous serez capable de faire et
celles que vous ne ferez jamais ?
Vous multipliez les rencontres avec les conseillers pour leur exposer vos
idées (RDV, briefing...)
Vous préparez un rapport détaillé de votre proposition que vous présentez
aux membres des commissions
Vous chargez le service administratif d’étudier et de présenter la
proposition
Vous chargez vos partisans d’étudier votre proposition et de la présenter
au conseil à votre place
Vous décidez d’attendre la tenue des séances publiques du conseil pour
défendre votre proposition
Vous sensibilisez l’opinion publique de l’intérêt de la proposition
(interviews de presse, communiqués...)
Vous vous assurez d’abord que vous disposez des voix nécessaires pour
faire passer votre proposition
Vous évitez de présenter la proposition aux conseillers pour ne pas les
déranger et gagner ainsi du temps
Vous tentez de présenter votre proposition même à vos adversaires les
plus durs
73) Voici une liste concernant les intentions de vote d’une décision. Avec
quelle fréquence les suivez-vous avant de voter pour ou contre une
décision ?
Déplacements et transport
Conseils techniques ou juridiques
Documentation ou informations diverses
Autres (préciser S.V.P)
84) Avez-vous déjà été contacté par un fonctionnaire pour que vous fassiez
une proposition au conseil ?
85) Si oui, pouvez-vous m’indiquer l’objet, l’initiateur, la date et l’issue de
chaque proposition ?
86) Des politiciens vous ont-ils déjà encouragé à faire des propositions au
conseil ?
87) Si oui, pouvez-vous m’indiquer l’objet, l’initiateur, la date et l’issue de
chaque proposition ?
88) Avez-vous déjà participé avec des dirigeants associatifs à présenter des
propositions au conseil ?
89) Si oui, pouvez-vous m’indiquer l’objet, l’initiateur, la date et l’issue de
chaque proposition ?
90) Avez-vous déjà participé avec des dirigeants syndicaux à présenter des
propositions au conseil ?
91) Si oui, pouvez-vous m’indiquer l’objet, l’initiateur, la date et l’issue de
chaque proposition ?
92) Avez-vous déjà entrepris des actions communes avec des personnalités
politiques étrangères ?
93) Si oui, pouvez-vous m’indiquer l’objet, l’initiateur, la date et l’issue de
chaque proposition ?
94) Avez-vous déjà présenté avec des entrepreneurs des propositions
communes au conseil de la ville ?
95) Si oui, pouvez-vous m’indiquer l’objet, l’initiateur, la date et l’issue de
chaque proposition ?
96) Avez-vous déjà pris l’initiative de créer un journal ?
97) Si oui, pouvez m’indiquer son nom et sa date de création ?
98) Voici quatre propositions à propos des rôles des médias de masse.
Laquelle est la plus proche de votre propre opinion ? (Une seule
réponse)
99) Quel est votre moyen d’information préféré pour suivre l’actualité
politique ? (Une seule réponse).
100) Entretenez-vous des contacts avec des dirigeants de la presse et des
médias (journalistes...) ?
101) Avez-vous déjà accordé des interviews à la presse écrite ?
102) Si oui, pourriez-vous m’indiquer l’objet et la date de chaque interview
ainsi que le nom du journal ? Interviews :
103) Êtes-vous déjà intervenu à la TV (débat, journal d’info...) durant votre
mandat de conseiller ?
104) Si oui, pouvez-vous m’indiquer le nombre de fois où vous êtes
intervenu à la T.V ? fois
105) Avez-vous déjà tenu une conférence de presse depuis que vous siégez
au conseil de la ville ?
106) Si oui, pouvez-vous m’indiquer l’objet, la date et les objectifs de
chaque conférence tenue ? Exemples :
107) Avez-vous déjà publié des communiqués de presse depuis que vous
siégez au conseil de la ville ?
108) Si oui, pouvez-vous m’indiquer l’objet, la date et les signataires de
chaque communiqué ? Exemples :
109) Avez-vous des publications (article scientifique ou de presse, livre,
etc.) ?
110) Si oui, pouvez-vous m’indiquer les noms des documents publiés ?
Documents :
111) Voici quelques formes de dialogue entre les hommes politiques.
Laquelle est la plus dominante dans le débat entre les conseillers ? (une
seule réponse)
Discussions amicales
Altercations et disputes
Affrontements et heurts
Débats intellectuels
112) Quels sont, à votre avis, les partis politiques qui manifestent le plus
leurs désaccords lors des séances du conseil ? Les partis,
113) Pourquoi, à votre avis, ces partis manifestent-ils leurs désaccords ?
Raisons :
114) Pensez-vous que ces sujets créent des désaccords entre les conseillers ?
115) Êtes-vous déjà intervenu pour apaiser des tensions entre des
conseillers (ou formations politiques) ?
116) Si oui, pouvez-vous m’indiquer l’objet, la date et les auteurs de chaque
désaccord ? Exemple :
117) Comment êtes-vous parvenu à résoudre le (ou les) désaccord (s)
survenu (s) ? Moyens :
118) Avez-vous déjà eu un désaccord avec un conseiller (ou formation
politique) au sein du conseil ?
119) Si oui, pouvez-vous m’indiquer l’objet, la date et les antagonistes de
chaque désaccord ? Exemple :
120) Comment êtes-vous parvenu à dépasser ce (ou ces) désaccord (s) ?
Moyens :
121) Pourquoi avez-vous eu ce désaccord ? Raisons :
122) Voici quelques actions susceptibles de neutraliser les tensions.
Laquelle avez-vous adoptée pour résoudre vos désaccords notamment
avec les conseillers. (Une seule réponse)
Contacter le conseiller en privé pour trouver une solution à l’amiable
Solliciter l’arbitrage de certaines personnes (président, fonctionnaires...)
Oublier le différend tout en évitant de rentrer en contact avec l’adversaire
Porter l’affaire devant la justice si jamais les choses se dégradent
Informer l’opinion publique du désaccord (presse, communiqué...)
123) Pouvez-vous m’indiquer sur cette échelle si, selon vous, les choses
vont bien ou mal au niveau du gouvernement local de la ville. Le
chiffre 1 correspond à (très mal) et le chiffre 10 à (très bien)
124) Pensez-vous que le conseil de la ville dispose de « leaders
politiques » ?
125) C’est quoi, pour vous, un « vrai » leader politique ?
126) Voici différents types de direction. Qu’est-ce que vous pensez pour
chacun d’eux ?
131) Dans quelle mesure êtes-vous d’accord ou pas avec les opinions
suivantes ?
Les politiciens qui ne croient pas en Dieu ne doivent pas pour occuper
des fonctions publiques
Les gens ne doivent pas être influencés dans leur vote par des leaders
religieux
Il serait mieux pour le pays que les personnes avec de fortes croyances
religieuses gèrent les affaires publiques
Les décisions locales ne devraient pas être influencées par des leaders
religieux
Un parti islamiste « modéré » pourrait contribuer à moraliser la vie
politique
132) Dans quelle mesure êtes-vous d’accord ou pas avec les opinions
suivantes ?
Les conseillers sont libres d’utiliser la langue amazighe dans leurs
interventions
Il serait mieux que les gens d’origine amazighe occupent des charges
publiques
Il serait préférable que tous les conseillers interviennent en ‘arabe’
conformément à la loi
Il serait mieux que des politiciens d’origine amazighe se rassemblent au
sein d’un parti
Les conseillers francophones sont parfois obligés d’intervenir en
‘français’
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