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Résumé
Aline Rousselle, Aspects sociaux du recrutement ecclésiastique au IVe siècle, p. 333-370.
Le christianisme institutionnel a progressé très lentement en Gaule. Les documents font apparaître de nombreux obstacles au
recrutement des cadres des communautés. Les textes ecclésiastiques montrent que les restrictions se multiplient, et en
particulier les interdits sexuels. Les documents ecclésiastiques et impériaux font état de la contradiction entre les nécessités de
ce recrutement et la progressive fixation héréditaire à la profession et aux charges curiales des propriétaires fonciers. Les clercs
inférieurs peuvent être recrutés parmi les affranchis, les anciens soldats, les fonctionnaires à la retraite; les clercs supérieurs
chastes, parmi les clarissimes libres d'obligations professionnelles.
Rousselle Aline. Aspects sociaux du recrutement ecclésiastique au IVe siècle. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome.
Antiquité T. 89, N°1. 1977. pp. 333-370.
doi : 10.3406/mefr.1977.1104
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5102_1977_num_89_1_1104
ALINE ROUSSELLE
ASPECTS SOCIAUX
DU RECRUTEMENT ECCLÉSIASTIQUE
AU IVe SIÈCLE
1 Sur l'extension du christianisme (et non des seules églises constituées : J. Gaude-
met, L'Eglise dans l'Empire romain (IVe-Ve siècle), Paris, 1958, p. 87-98 et ses notes
bibliographiques; H.I. Marrou, dans J. Daniélou et H.-I. Marrou, Nouvelle Histoire de
l'Eglise, t. II, Des Origines à Saint Grégoire le Grand, Paris, 1963, p. 333-341 et surtout
Carte de l'extension du christianisme au milieu du IIIe siècle, p. 248-249; F. Van der Meer
et Christine Mohrmann, Atlas of early Christian World; voir les suggestions de J. Gaude-
met, Société religieuse et monde laïc au Bas-Empire, dans Iura, X, 1959, particulièr
ement p. 88-91 sur l'extension géographique et sociale du christianisme. Sur l'extension
du christianisme constitué en Gaule, L. Duchesne, Fastes épiscopaux de l'ancienne
Gaule, t. 1 et 2, Paris, 1907-1910, t. 3, 1915, reste essentiel. J.R. Palanque, Les évêchés de
Narbonnaise I à l'époque romaine, dans les Annales de l'Université de Montpellier et du
Languedoc Méditerranéen-Roussillon, 1. 1, 1943, p. 177-186 et Les évêchés provençaux à
l'époque romaine dans Provence Historique, 1. 1, 1951, p. 105-114. Il est question pour
nous de christianisation institutionnelle : progression numérique et organisation. Nous
ne présentons pas l'étude qualitative des croyances, problème d'évangélisation.
2 Ap. Eusèbe, Histoire Ecclésiastique, V, 1, 47, éd. et trad. G. Bardy, Sources Chré
tiennes, 41, t. 2, Paris, 1955. Discussion sur la date de cette persécution qu'on pourrait
placer en 180, P. Keresztes, Marcus Aurelius, a persecutor? dans Harv. Th. Rev., LXI,
1968, p. 321-341; cf. T. Barnes, Legislation against the Christians, dans J.RS., LVIII, 1968,
p. 32-50.
3 Cyprien, ep. 68, 3, 1, éd. et trad. Bayard, t. II, 1925, p. 236, Coll. des Univ. de France.
4 Edition des textes conciliaires : Mansi, Sacrorum Conciliorum nova et amplissima
collectio, Florence- Venise, 1758, sq.; avec les analyses et commentaires de K.J. Hefele,
Konziliengeschichte, Frankfurt, 1873-1890, dans l'édition française complétée par
H. Leclercq, Histoire des Conciles, Paris, 1907-1952. Les conciles gaulois du IVe siècle et
les Statuta Ecclesiae antiqua ont été édités par H. Munier, Concilia Galliae, a. 314-a. 506,
Corpus Christianorum 148, Turnhout, 1963, et a. 511-a. 695, ibid., 148 A, 1963. L'édition
ASPECTS SOCIAUX DU RECRUTEMENT ECCLÉSIASTIQUE AU IV« SIÈCLE 335
Tableau I
LES ÉGLISES GAULOISES AU CONCILE D'ARLES (314)
Viennoise
Marseille évêque lecteur
Arles évêque 1 prêtre 4 diacres
Vienne évêque exorciste
Vaison évêque exorciste
Orange 1 prêtre
Alpes Maritimes
Nice (portus) 1 diacre exorciste
Narbonnaise II
Apt 1 prêtre exorciste
Gaules
Reims évêque diacre
Rouen évêque diacre
Autun évêque prêtre diacre
Lyon évêque exorciste
Cologne évêque diacre
Trêves évêque exorciste
Aquitaine
Bordeaux évêque diacre
Gabales diacre
tées par des clercs n'aient pas eu d'évêques, les souscriptions d'Arles permett
ent alors de se représenter ainsi la situation en Gaule5.
La chrétienté de la vallée du Rhône compte alors quatre solides Eglises
épiscopales : Lyon, Vienne, Arles et Marseille, qui ont réussi à faire souche
dans quatre villes secondaires : Vaison, sérieuse implantation avec un évê-
que, à l'écart du Rhône mais toute proche; Orange, dans la vallée, au départ
de la route de Vaison; sur la route du Mont-Genèvre au départ d'Arles, Apt;
Nice, qui n'est pas chef-lieu de cité et ne sera que tardivement siège episcop
al, est peut-être christianisée par Marseille dont elle a longtemps dépendu.
Les Eglises du nord et de l'ouest sont localisées dans des villes import
antes : Reims, Rouen, Autun, Cologne, Trêves, Bordeaux : toutes épiscopales,
quelques points dans un désert païen. La seule Eglise un peu à l'écart des
grands courants est celle des Gabales : sans évêque. Hypothèse que cela,
vision dynamique d'un document muet.
5 Voir tableau I.
6 L'honnête scepticisme de L. Duchesne reste de mise aujourd'hui.
7 Concile de tendance arienne qui aurait provoqué l'exil d'Hilaire de Poitiers par
Constance II : Sulpice Sévère, Chron. II, 39, éd. Halm, CSEL, I, p. 92 et Hilaire, Contra
Constantium imperatorem, 2.
ASPECTS SOCIAUX DU RECRUTEMENT ECCLÉSIASTIQUE AU IV« SIÈCLE 337
cette même date exilé avec Hilaire8. A Tours, l'évêque Litorius fut consacré
en 337 9 et Clermont aurait eu un évêque nommé Urbicus avant les deux évê-
ques connus à l'époque de la crise priscillianiste, à la fin du IVe siècle 10. Pour
ces deux derniers sièges épiscopaux, accordons quelque crédit à Grégoire
devenu évêque de Tours après avoir été élevé dans l'église de Clermont.
Les cinq autres églises: Narbonne11, Saintes12, Paris13, Limoges14, Bourg
es15, ne sont attestées sérieusement qu'au Ve siècle. Ces églises, fondées ta
rdivement, ont eu sans doute le désir de se donner de nobles origines et de
naître du sang des martyrs. Peut-être d'ailleurs avaient-elles innocemment
raison, mais n'imaginant pas de chrétiens sans évêques, elles ont confondu la
présence chrétienne avec l'église organisée. Il n'est pas si hasardeux d'imagi
ner la présence sporadique de païens séduits par les discours de voyageurs
ou par les échos recueillis au cours de leurs propres déplacements, ajoutant
à leurs dieux un Christ encore mal défini, puis admettant la substitution.
C'est même ainsi que dut se propager la nouvelle religion : comme d'autres.
Des récits viennent confirmer cette hypothèse de flux et reflux d'une
croyance qui tend à s'institutionnaliser mais n'y parviendra que très lente
ment.
Les listes elles mêmes s'en font le reflet. A Poitiers : Hilaire évêque en
356. Deuxième évêque connu : Adelfius au concile d'Orléans de 511. On peut
tout aussi bien supposer une lacune dans la documentation, que des inte
rmittences dans la succession episcopale.
Grégoire de Tours donne une explication suggestive de l'interruption de
la série episcopale entre la mission (probablement mythique) de Gatien au
IIIe siècle et l'élection du prédécesseur de Martin sur le siège de Tours, Lito
rius, en 337 : « Si quelqu'un demande pourquoi depuis le trépas de l'évêque
Gatien jusqu'à Saint Martin il n'y a eu qu'un seul évêque, à savoir Litorius,
qu'il sache qu'à cause de l'opposition des païens, la cité de Tours est demeur
ée longtemps privée de la bénédiction episcopale. En effet les chrétiens de
ce temps célébraient l'office divin en cachette et dans des endroits secrets
car lorsque les païens découvraient des chrétiens, ceux-ci étaient accablés de
MEFRA 1977, 1. 22
338 ALINE ROUSSELLE
La carte des évêques gaulois de 418 dont nous ne donnons pas ici les jus
tifications, montre la progression considérable de l'église établie au cours du
IVe siècle, avant l'installation en Aquitaine des Wisigoths ariens. Il reste de
vastes zones inaltérées, principalement dans l'ouest. Mais dans les régions
déjà bien christianisées, le réseau n'a pas atteint encore toutes les cités.
Ainsi, dans le sud de la Gaule, le nombre des sièges épiscopaux doublera
encore au Ve siècle : dans la zone sous domination wisigothique arienne au
même rythme que dans la zone libre provençale. Au début du IVe siècle,
l'implantation des églises chrétiennes est donc à peine amorcée et à la fin du
IVe siècle, elle est loin d'atteindre toutes les cités.
que tout acte sexuel accompli hors du mariage est considéré comme une
faute irrémissible. Au mieux, une seule relation sexuelle peut-être effacée.
Les époux fornicateurs ne sont pas ici les adultères, dont le cas est réglé par
d'autres canons, maix ceux dont les pratiques sexuelles conjugales sont
condamnées. C'est déjà écarter de la communion un bon nombre de
croyants. Les veufs qui épousent leur belle-sœur, ceux qui détournent des
enfants ne représentent que des cas isolés à côté de la masse des fornica
teurs.Une exclusion temporaire de 5 ans frappe ceux que condamne un uni
que adultère (même peine pour l'adultère commis avec une juive ou une
païenne).
Interdits concernant les fondements de la foi23 : on craint les retours au
paganisme, surtout pour prophylaxie, on écarte les hérétiques, on se distin
gue du judaïsme. Ainsi doit-on passer d'une foi à une autre en abandonnant
toutes les vieilles sécurités : combien ont dû regarder en arrière, qui furent
ensuite laissés à la porte des églises, indécis entre un dieu nouveau et des
pratiques anciennes dont le christianisme n'offrait pas encore tous les équi
valents!
Interdits sociaux : les gens du spectacle24, les professionnels de l'accusa
tion alors que la justice fonctionne par accusation privée. Les délateurs sont
excommuniés à vie pour une cause capitale, 5 ans pour une cause moins
grave. Les faux témoins sont exclus à proportion de la cause. Ceux qui accu
sent sans preuves prêtres et évêques sont exclus à vie25.
Le concile d'Arles ne reprend pas tous ces interdits tenus pour acquis.
Au terme d'une période troublée, réunie par un prince chrétien, l'assemblée
excommunie les agitateurs et les séditieux26.
A ces conditions d'entrée et de maintien dans la communauté chrétienne
il faut ajouter les interdits qui concernent plus directement les clercs.
Conditions d'accès à la cléricature : on écarte à Elvire27, tout au moins
des fonctions supérieures (à partir du rang de sous-diacre) ceux qui ont for
niqué après leur baptême. On écarte encore les affranchis dont le patron est
23 Canons 1, 2, 3, 17, 34, 40, 41, 46, 59, 72 concernant le paganisme; 22 : l'hérésie; 49,
150, le judaïsme. Les interdits sexuels reposent sur une construction théologique et,
tout comme les relations avec le paganisme, le concile tente de les saisir dans la réalité
dont peuvent être apportés des témoignages. A mesure que s'estompent les soucis du
paganisme et de l'hérésie, les mesures disciplinaires concernent davantage les aspects
de la vie morale; c'est pourquoi j'ai séparé interdits sexuels et rigueurs théologiques.
24 Elvire, canon 62.
25 Elvire, canons 73, 74, 75.
26 Arles, canons 3 et 4.
27 Elvire, canons 30, 80, 29.
ASPECTS SOCIAUX DU RECRUTEMENT ECCLÉSIASTIQUE AU IV« SIÈCLE 341
28 On doit exorciser le démon qui les habite. J. Daniélou, V° Exorcisme, dans Dic
tionnaire de Spiritualité, p. 1995-2004.
29 Elvire, canons 18 et 33.
30 Elvire, canon 24.
31 Pour ses affaires personnelles s'il commerce. Elvire, canon 19.
32 Arles, canon 21.
33 Elvire, canon 20; Arles, canon 13.
34 Ch. Munier, Concilia Galliae, op. cit., p. 49.
35 Canon 1.
36 Canons 3 et 4.
37 Valence, canon 1.
Il est vrai que la législation civile ne favorisait guère les secondes noces, non par
souci de pureté sexuelle, mais par sourci des biens qui sont la condition de l'exercice
des munera, biens dont la transmission doit être assurée. L'Eglise qui déconseille les
342 ALINE ROUSSELLE
secondes noces les préfère cependant aux dérèglements d'un veuvage mal supporté.
Sur la législation civile : Cl. Dupont, Les constitutions de Constantin et le droit privé au
début du IVe siècle, les personnes, Lille, 1937, p. 114 sq., qu'il s'agisse du remariage du
père (C. Th., 8, 18, 3, de 334) ou de la mère (C. Th., 9, 21, 4, de 329; 1, 22, 2, de 334). En
dernier lieu, M. Humbert, Le remariage à Rome, Etude d'histoire juridique et sociale,
Milan, 1972 (Pubbl. dell'Istituto di Diritto Romano, Univ. di Roma, XLIV).
38 Sur la date du concile de Turin, J.R. Palanque, Les Discussions des Eglises des
Gaules à la fin du IVe siècle et la date du concile de Turin, dans Revue d'Histoire de
l'Eglise de France, t. XXI, 1935, p. 3-22.
39 Elvire, canon 33.
40 Toute pratique restrictive des naissances étant par ailleurs interdite.
41 Le débarquement de Maxime en Gaule après son usurpation est daté générale
ment du printemps 383. V. Grumel, Rev. des Etudes Byzantines, XII, 1954, a proposé
l'automne 382.
ASPECTS SOCIAUX DU RECRUTEMENT ECCLÉSIASTIQUE AU IV« SIÈCLE 343
Interdits sexuels
Les quatre décrétâtes précisent et aggravent encore les interdits sexuels
et en font la condition du cursus ecclésiastique. « Avec quelle pudeur osera-t-
il prêcher aux vierges et aux veuves la virginité ou la continence, persuader
de garder chaste le lit nuptial, si lui-même met toute son énergie à engendrer
des fils pour le siècle et non pour Dieu»44.
L'accès à la cléricature est interdit à ceux qui ont forniqué après le bap
tême45, à ceux qui ont été mariés plusieurs fois46, ont épousé une veuve, ont
dû faire pénitence47. La lettre à Himère, pour la première fois en Occident
demande que le clerc marié ait reçu sa femme vierge48. Innocent Ier le rap
pellera en 405 à Victrice de Rouen49 mais le dira plus fermement encore
42 Lettre ad Gallos episcopos, ap. Sirice, epist, 5, P.L· t. XIII, coll. 1191 sq.; à consul
ter de préférence dans l'édition de Ch. E. Babut, La plus ancienne decretale, Paris, 1904.
Babut attribuait cette lettre à Damase. On peut encore hésiter entre Damase (366-384)
et Sirice (384-398), voir J.R. Palanque, dans J.R. Palanque, G. Bardy, P. de Labriolle, His
toire de l'Eglise, t. III, De la paix constantinienne à la mort de Théodose, Paris, 1950,
p. 482-483.
Les deux décrétales d'Innocent I (402-417) : à Victrice évêque de Rouen, 15 février
404, Jaffé 286, P.L., t. XX, epist. 2, coll. 469-481; à Exupère évêque de Toulouse, 20
février 405, Jaffé 293, ibid, epist. 6, coll. 495-502.
43 P.L· XIII, col. 1131-1147.
44 Ep. ad Gallos episcopos, II, 5, texte latin, Babut, loc. cit., p. 76.
45 Ep. ad Gallos episcopos, V.
46 Sirice à Himère, 8.
47 Sirice à Himère, 15.
48 Sirice à Himère, 9 et 10.
49 Sous forme de rappel de l'Ecriture : Levit. XXI, 14, 13; Ezech. XLTV, 22 : Sacerdos
uxorem virginem accipiant, non viduam, non éjectant
344 ALINE ROUSSELLE
dans une decretale adressée aux évêques espagnols : l'évêque doit demander
au futur clerc s'il a pris sa femme vierge50.
Les clercs peuvent être destitués pour avoir transgressé les interdits : le
clerc qui épouse une veuve ou se remarie est réduit à la communion la
ïque51; toutes les décrétales rappellent que les évêques, prêtres et diacres
sont astreints à la continence parfaite et que, s'ils sont surpris avec leur
femme, ils doivent être excommuniés pour la vie52.
Ainsi les papes se voient-ils contraints de rappeler les décisions des
conciles (374 pour les digames, le blocage de la carrière pour les clercs qui
ont engendré), mais ils se font encore l'écho des obsessions orientales qui,
avec le mouvement monastique, s'acheminent vers l'Occident. Aux condi
tions déjà étroites : continence du clerc jusqu'à son mariage, on ajoute
l'enquête sur la virginité de son épouse.
Cette législation répétée entravait le recrutement ecclésiastique en
Gaule. Pour tout dire elle n'était pas respectée : « Nous avons appris que des
prêtres et lévites du Christ, longtemps après leur consécration ont engendré
des enfants, soit de leur propre épouse, soit d'un coït honteux»53. Himère
avait informé le pape Damase. Elu à la mort de ce pape, Sirice lui répondit et
lui rappela les normes : « tout cela les évêques de votre région n'en tiennent
aucun compte, c'est tout juste s'ils n'ont pas institué le contraire ».
Le bruit en vint aux oreilles de Jérôme, à Bethléem et comme il connaiss
ait l'un des opposants gaulois au célibat ecclésiastique, un homme soucieux
du recrutement clérical, c'est à ce Vigilance qu'il s'en prit. A en croire Vigi
lance, des évêques occidentaux n'ordonnaient que de futurs pères54.
concile de Valence en 374 s'étonne qu'on ait ordonné des femmes : c'est
peut-être bien le signe que l'église manquait d'hommes. La multiplication et
la fréquence des rappels des interdits sexuels, les destitutions de clercs supé
rieurs qu'ils devaient normalement entraîner montrent bien la difficulté de
mener de front la christianisation d'une terre païenne et le recrutement local
de cadres parfaitement continents.
Les évêques occidentaux réunis en concile rappelaient les principes et
rentraient gouverner. Avec la phase de recours à l'autorité pontificale l'Occi
dentpaysan et païen se vit contraint d'adopter la vitesse de la progression
idéologique de l'Orient citadin et chrétien. On peut croire évidemment que
les décisions pontificales restaient sans effet. Mais la législation impériale
nous prouve qu'une application sérieuse en fut faite : en 408, les clercs desti
tués furent appelés à la curie, ou si l'insuffisance de leurs biens propres les
en dispensait, contraints d'entrer dans la fonction publique55.
nés à user du ius gladii, à rendre des sentences injustes ou si la cause l'exige,
à appliquer la torture; ou encore à prendre en charge l'organisation des
spectacles, à assister à ceux qui sont donnés, mêlés enfin à tout ce à quoi ils
avaient renoncé, au mépris de la discipline d'observance qu'ils avaient reçue.
Il vaut mieux qu'ils ne briguent pas l'épiscopat. Toutefois on peut les laisser
approcher des autels après un certain temps s'ils font pénitence pour tout
cela ».
Néanmoins on allait parfois jusqu'à ordonner ces hommes que les papes
admettaient tout juste à la communion après pénitence59. «Souvent certains
de nos frères prétendent ordonner clercs des curiales ou des hommes
employés à toutes autres fonctions publiques. Par la suite ces hommes en
tirent davantage de tristesse que de reconnaissance quand une décision
impériale contraint à les révoquer. Ils sont évidemment obligés, dans l'exer
cicede leurs fonctions, de donner des spectacles, invention diabolique, cela
est certain, et de présider ou au moins d'assister aux magnificences des jeux
et des spectacles. Que vous serve d'exemple l'inquiétude et la tristesse des
frères, que nous avons souvent soulevée en présence de l'empereur, (et tu as
pu toi-même t'en rendre compte auprès de nous), les nombreuses fois que
nous sommes intervenus pour les curiales clercs inférieurs1 ou même déjà
élus évêques et que menaçait une mesure de rappel ».
Pour la première fois est évoqué par l'église le cas de curiales ordonnés
clercs, de fonctionnaires ordonnés clercs. Les raisons canoniques de leur
exclusion étaient déjà suffisantes, sans doute difficiles à appliquer. Il s'y
ajoute la crainte de voir renvoyer à leurs obligations civiles des clercs déjà
en fonction. On s'intéresse donc alors à ces hommes que le concile d'Arles
recommandait de surveiller : les fonctionnaires60. Ils sont nombreux dans les
fonctions ecclésiastiques61. «Combien en avons nous trouvés, enrôlés pour le
sacerdoce, qui après avoir reçu la grâce, se sont dirigés vers l'exercice du
barreau et se sont entêtés à plaider? Et parmi eux dit-on, Rufin et Grégoire.
Combien, venus d'une milice (civile ou militaire) qui, obéissant au pouvoir
ont nécessairement fait ce qu'on leur imposait? Combien d'anciens curiales,
qui sur l'ordre du pouvoir ont accompli ce qu'on leur ordonnait? Combien
qui ont offert au peuple des jeux et des spectacles sont parvenus à l'honneur
du sacerdoce suprême? Et aucun d'entre eux n'aurait dû être compté au
nombre des clercs de quelque rang que ce soit».
Pourquoi prendre des risques, canoniques et civils, en élisant des hom
mes souillés par le péché, à la merci d'une révocation impériale, si l'on dis
posait d'autres candidatures? Dans quel milieu social l'Eglise pouvait-elle
alors recruter ses cadres? Toute une législation impériale interdit de recru
ter ici ou là les clercs des églises, interdit à l'un ou à l'autre de se faire clerc
ou en pose les conditions. Ce n'est pas l'ensemble de cette législation que
nous allons reprendre ici. Il faut envisager toutes les classes de la société et
dans la progression du IVe siècle. On verra alors comment, au cours du
IVe siècle les possibilités de recrutement légal se sont taries et comment aux
multiples interdits religieux s'ajoutent les interdits impériaux.
Les colons62
Les décurions66
62 Nous n'évoquons pas ici, cela est inutile, l'origine du colonat, ni sa signification
sociale. Ce qui nous intéresse c'est l'attache au sol, quelles qu'en soient les formes, et
l'hérédité de cette attache. Sur le colonat, bibliographie des travaux parus avant 1950 :
E. Volterra, Bibliographia di Diritto Agrario Romano, (Osservatorio Italiano di Diritto
Agrario), Florence, 1951. M. Pallasse, Orient et Occident. A propos du colonat romain au
Bas- Empire, Bibliothèque de la Faculté de Droit de l'Université d'Alger, Lyon, 1950. P. Col-
linet, Le Colonat dans l'Empire romain, Recueils de la Société Jean Bodin, 2, Le Servage,
Bruxelles, 1937, dans la 2e édition revue et augmentée, 1959, avec une note complé
mentaire de M. Pallasse, p. 121 sq.
63 C.J., 10, 39, 3, de Philippe; C.J., 10, 40, 5, de Dioclétien.
64 C.J., 11, 63, 1, de 319.
65 C. Th., 5, 7, 1, du 30 octobre 332. Celui chez qui on aura trouvé un colon alieni
juris devra le rendre à son origo et payer la capitation qui pèse sur lui pour le temps
passé chez lui. Les colons qui forment le projet de fuir doivent être enchaînés et
réduits à condition servile.
66 L'étude fondamentale reste J. Declareuil, Quelques problèmes d'histoire des insti
tutions municipales au temps de l'Empire romain, dans Nouvelle Revue Historique de
Droit, 28e année, 1904, p. 306 sq., 474 sq., 578 sq. La législation de Constantin a été étu
diée par J. Gaudemet, Constantin et les curies municipales, dans Iura II, 1951, p. 44-75.
Voir M. Nuyens, Le statut obligatoire des décurions dans le droit constantinien, Louvain,
1964. Sur le rôle de Libanius, E. Lo Cascio, Intorno a una legge di Licinio suH'obligo
curiale, dans Helicon Vili, 1968, p. 354-359.
67 Cl, 10, 32, 7 (293).
68 A. Piganiol, L'Empire Chrétien (325-396), Paris, 1947, dans la 2e édition mise à jour
par A. Chastagnol, 1972, p. 394.
69 Dès le règne de Constantin on veille à les exclure de l'armée ou de la fonction
publique; par exemple C.J., 10, 32, 17 (326); surtout C. Th., 12, 1, 14 (326). Exclusion du
ASPECTS SOCIAUX DU RECRUTEMENT ECCLÉSIASTIQUE AU IV« SIÈCLE 349
à la cité dont ils possèdent le sol et gèrent les services collectifs, mais leurs
enfants dès l'âge de 18 ans sont tous acquis à Yordo70.
Dioclétien déjà avait voulu que les biens des curiales restassent indivis
entre les frères successeurs, chacun d'entre eux exerçant les charges municip
ales71. Constantin aussi craignait que le partage excessif des biens fonds
entre les héritiers n'aboutît à la paupérisation, donc à l'exemption de char
gesde ces hommes sur lesquels reposait la gestion des villes et de l'impôt72.
Une telle politique ne pouvait qu'inciter à la restriction des naissances et
à défaut aux abandons d'enfants.
En même temps Constantin ou ses fils enlevèrent leurs biens aux villes
au profit du fisc73 et mirent à la charge des curiales les services collectifs jus
que-là financés en partie par les revenus municipaux. Les profits réalisés par
les moyens propriétaires fonciers qu'étaient les curiales, sur le produit de
leurs terres cultivées par les colons, étaient donc absorbés partie par les
impôts partie par les charges onéreuses qu'ils exerçaient dans la cité. Ils
devenaient au profit de l'Etat les gestionnaires de leur propre patrimoine.
On s'explique aisément leurs manœuvres pour échapper à cette condition
s'ils n'adoptaient pas la motivation idéologique lancée par les princes : la
défense de la Romanité, idéologie fondée sur la conjoncture et peut-être
incapable de motiver pendant plus d'un siècle le nivellement des conditions.
clergé : voir le dossier rassemblé par J. Declareuil, Les curies municipales et le clergé au
Bas-Empire, dans RHD, 1935, p. 50-52, et J. Gaudemet, Constantin et les curies municipal
es, loc. cit., p. 55-56.
70 C Th., 12, 1, 7 (20 fév. 320) et C. Th., 12, 1, 19, (4 août 331). Est-ce dans ce but qu'il
décourage les secondes noces? Toute la législation incite à la restriction des naissan
ces alors que son but est d'assurer la pleine mise en valeur de l'Empire. La régulation
de l'exploitation des ressources, dans un temps où les besoins militaires réclamaient
une politique nataliste, s'est faite par une politique forcenée de plein emploi obliga
toireet héréditaire.
71 Cl, 10, 32, 7 (293).
72 C. Th., 12, 17, 1 (324).
73 A.H.M. Jones, The Later Roman Empire, 284-602, Oxford, 1964, II, p. 733. Julien
rendit aux villes les biens confisqués par ses prédécesseurs. Les biens des temples,
dont bénéficiaient aussi les cités, furent confisqués sans doute aussi par Constantin.
74 J.P. Waltzing, Etude historique sur les corporations professionnelles chez les
Romains, 4 vol. 1895-1900, réimprimé 1968, II, p. 259 sq.
75 C. Th., 13, 5, 5 (18 sept. 329), (date corrigée par O. Seeck), adressée au Préfet du
Prétoire d'Orient, pour les naviculaires de tout l'Empire.
350 ALINE ROUSSELLE
avec les biens dès 314 et 31576. Les boulangers furent aussi en 315 organisés
en profession héréditaire. Les deux professions étant très liées, on dut préci
serque le naviculaire héritier d'une boulangerie devrait en céder le fonds
ainsi que les biens du défunt à la corporation des boulangers, s'il ne désirait
pas gérer la boulangerie lui-même77.
b) Les immunités
Au moment où s'appesantissaient les munera des curiales, les princes en
exemptaient la plupart de leurs fonctionnaires, les soldats et les professions
libérales. Ils firent bénéficier le clergé de la même immunité.
Les clarissimes81, auxquels sont agrégés de nombreux fonctionnaires à
leur sortie de charge, sont exemptés des charges municipales82. Ils ont d'ail
leurs leurs propres charges, qui pèsent moins sur leurs amples fortunes, au
début du IVe siècle, que les charges curiales sur les moyens propriétaires
fonciers. Les vétérans lors de leur congé définitif furent exemptés des char
gesde la cité où ils s'établissaient83, mais leurs fils inaptes au service, ou
récalcitrants, revenaient à la curie84. Il fallait à l'Etat qui se privait de recru
ter ses serviteurs parmi les professions réquisitionnées, particulièrement les
propriétaires fonciers, une masse d'hommes parmi lesquels trouver les com
pétences pour la fonction publique. Constantin, en exemptant 35 métiers et
professions libérales85, suggérait aux intéressés de profiter de cette immun
itépour consacrer leur ressources à l'instruction de leurs fils.
76 C. Th., 13, 5, 1 (19 mars 314); 13, 5, 2 (1er juin 315) et 13, 5, 3 (28 mai 319).
77 C. Th., 13, 5, 2.
78 C. Th., 10, 20, 1 (21 juillet 317).
79 C. Th., 7, 22, 1 (319).
80 C. Th., 7, 22, 3.
81 J. Declareuil, Quelques problèmes des Institutions municipales, loc. cit., p. 312-316 :
les codicilles d'anoblissement.
82 C. Th., 12, 1, 24 (338), les codicilles obtenus indûment.
83 C. Th., 7, 20, 2 (Ι« mars 320 ?); 7, 20, 4 (17 juin 325).
MC.Tk, 7, 22, 1 (319).
85 C. Th., 13, 4, 2 (337).
ASPECTS SOCIAUX DU RECRUTEMENT ECCLÉSIASTIQUE AU IV« SIÈCLE 35 1
Par la suite il n'y eut que des accommodements à cet ordre fixé par
Constantin. La plupart des professions ne furent soumises au même régime
que les naviculaires et les boulangers qu'à la fin du siècle87. Les variations
essentielles au cours du IVe siècle sont dues à la contradiction d'un système
qui fixe les classes moyennes dans les fonctions locales tout en accroissant le
nombre des fonctionnaires dont l'existence suppose la mobilité sociale (pas
sage d'une classe à une autre, recrutement sur compétences) et la mobilité
géographique.
On fit rentrer dans le corps des curiales ceux qui y échappaient jusque
là soit par leur haute position, soit par la modestie de leur fortune.
86 Textes essentiels : C. Th., 16, 2, 6 de 329 (date corrigée par 0. Seeck) et C. Th., 16,
2, 3 (18 juillet 329).
87 Rappel des obligations des naviculaires en 371, C. Th., 13, 5, 14 (390), C. Th., 13, 5,
19 et 412, C. Th., 13, 5, 35; des boulangers, C. Th., 14, 3, 3 (364); C. Th., 14, 3, 13 (369). S'y
ajoutent les charcutiers, C. Th., 14, 4, 5 (389) avec des rappels et précisions ultérieures.
Une constitution d'Arcadius et d'Honorius évoque pour la première fois en 397 (C Th.,
14, 7, 1) l'obligation de tous les collegiati ou de leurs successeurs (agnats) de rester à
leur point d'origine.
88 Sur la chasse aux immunistes abusifs, J. Declareuil, op. cit., p. 313-314. Restric
tions apportées au passage de la classe curiale à celle des clarissimes, p. 316.
352 ALINE ROUSSELLE
Lorsqu'un décurion en fin de carrière, après avoir accompli toutes les hautes
charges de la cité, recevait un codicille d'anoblissement, tous ses fils le sui
vaient dans l'immunité. On commença par refuser cet honneur aux fils nés
avant l'anoblissement89. Puis en 371 on n'autorisa plus qu'un seul fils à sui
vre la nouvelle condition paternelle, tous les autres restant curiales90. Seuls à
partir de 390 les quelques centaines de sénateurs de rang illustre conser
vaient l'immunité des charges locales91, tous les autres étaient rendus aux
curies. Les charges municipales s'ajoutant aux charges sénatoriales, bien des
sénateurs ne parvenaient pas à tenir leur rang92.
Julien supprima l'immunité du clergé chrétien pour remplir les curies93.
Il était difficile de revenir tout à fait en arrière. Valentinien confirma donc
l'exemption des curiales déjà clercs à son avènement, mais contraignit tous
les autres à leurs obligations dont ils ne devaient être exemptés qu'après dix
ans de cléricature94. Les soldats eux-mêmes perdirent, dès le règne de Cons
tance95 puis davantage encore sous les règnes de Valentinien et de Valens,
les privilèges mérités par leur service96. D'autre part on étendit le nombre
des curiales en soumettant aux obligations non seulement d'anciens immu-
nistes, mais ceux que la pauvreté ou l'absence de patrimoine foncier tenaient
jusque-là à l'abri.
Les curies avaient dû s'amenuiser sous le règne de Constance. Il avait
considérablement accru le nombre des fonctionnaires en alourdissant la
bureaucratie. Il fallait bien les recruter quelque part. De plus, on laissa peu à
peu les églises choisir leurs clercs dans les rang des curiales et il fallut
ensuite régler le problème de leur remplacement. Constance décida que les
clercs recrutés librement par l'église parmi les curiales devraient laisser
leurs biens à leurs enfants qui reprendraient la charge patrimoniale, et à
défaut d'enfants, à leurs parents les plus proches ou à la curie97. Julien qui
rendit aux villes leurs biens, allégeant ainsi les charges des curiales sans
doute, leur permit d'accoître leur corps des plus riches plébéiens (non pro
priétaires fonciers donc artisans et commerçants) qu'il exempta du chrysar-
gyre. Le blé primait tout. L'épuration considérable de l'administration de
Les colons.
A partir de 366 apparaît dans les textes juridiques la catégorie des ad-
scripticii. C'est à ce moment, quand les différenciations sont les plus mar
quées dans le droit, que la réalité des conditions devient plus uniforme. En
380 le dominus qui a accueilli le colon d'autrui n'est plus comme en 332
astreint seulement à le rendre et à payer sa capitation, il est condamné à une
amende, plus importante si le colon vient du patrimoine impérial, moins
importante si c'est un colon privé". L'inquilinus, le plus libre des cultiva
teurs,est soumis dès 365 aux mêmes contraintes que le colon100. En 400 un
rescrit adressé au préfet du prétoire des Gaules Vincentius101 reconnaît que
MEFRA 1977, 1. 23
354 ALINE ROUSSELLE
102 Dès le règne de Théodose, C.J., 1, 3, 16 (409) sauf si le maître y consent; Valenti
nienNov. 3, § 4 (439) et 35 § 3 et 6 (452).
103 C. Th., 16, 2, 17 (364) : plebeios divites ab ecclesia suscipi penitus arcemus.
™C.Th., 14,3, 11 (365).
105 C. Th., 14, 4, 5 (389) et 7 (397).
106 C. Th., 14, 4, 8 (408).
ASPECTS SOCIAUX DU RECRUTEMENT ECCLÉSIASTIQUE AU IV« SIÈCLE 355
Constantin qui avait conféré l'immunité aux palatins fut amené à suggé
rer le recrutement par hérédité des officiates.
Mais l'accroissement du personnel des bureaux dut engager les chefs
des services à recruter parmi les curiales tout au moins les cadres locaux ou
diocésains de l'administration impériale. Dès le début du règne de Constance
on tenta une épuration108.
En même temps, Constance confirmait les privilèges héréditaires
d'exemption des fonctionnaires des cubicula, de la memoria, des epistulae,
libelles, largesses, des comitantenses et de chaque ville : les instruments de la
centralisation devaient être entièrement acquis à la confiance impériale109.
En 354 il étendait ces privilèges à d'autres bureaux en précisant pour la pre
mière fois le temps de service nécessaire pour sortir de charge exempté110.
Les fonctionnaires recrutés par l'Eglise avant leur temps doivent, comme on
l'avait imposé aux curiales en 362, laisser deux tiers de leurs biens à leurs
enfants ou proches, ou à défaut à leurs officia111. Ceci implique que l'Eglise
pouvait recruter des fonctionnaires à la retraite, qui gardaient la libre dispo
sition de leurs biens pourvu qu'ils aient averti leurs supérieurs.
Julien ramena à 15 ans le temps de service avant l'obtention de l'immun
ité, pour les fonctionnaires de la memoria, des lettres et libelles, d'origine
curiale112, et à 3 ans le temps des agentes in rebuslli.
Valentinien confirma les privilèges ainsi accordés aux curiales recrutés
par les bureaux. Il établit des équivalences entre les services : 25 ans de ser
vice civil ou 5 ans de service armé, libérèrent des obligations curiales114 à
115 C. Th., 1, 15, 12 (386) à tous les vicaires : il faut limiter le nombre des fonction
nairesdiocésains à 300 (ce nombre est certainement inférieur aux besoins de person
nel ecclésiastique par diocèse si l'on compte au moins 8 clercs par cité).
C. Th., 1, 12, 4 (393) destinée à la province d'Afrique. Il faut renvoyer les surnumér
aires curiales et corporati
C. Th., 6, 30, 16 (22 décembre 399) au préfet du prétoire d'Italie et mêmes disposi
tionsle lendemain (23 décembre 399, C. Th., 6, 30, 17 au compte des Largesses
Sacrées), limite à 546 les officiates des sacrae larguions et à 300 ceux de la res privata.
Tous ceux qui s'y trouvent tout en appartenant à un ordre doivent y être renvoyés,
curiales, collegiati, appariteurs des Juges. Sera déporté celui qui recrutera au delà du
nombre prévu.
116 C. Th., 8, 2, 3 (380) «hoc admodum sufficiente numero militae supplementis, qui ex
vagis veteranorumque filiis vacantibusque potuerit fida pervestigatione compleri».
117 C. Th., 16, 2, 33 (398). On n'ordonnera clercs, dans les villages ou domaines où
ils exerceront, que des hommes originaires du lieu, pour qu'ils acquittent eux-mêmes
leur capitation.
118 C. Th., 12, 1, 49 (361).
ASPECTS SOCIAUX DU RECRUTEMENT ECCLÉSIASTIQUE AU IV' SIÈCLE 357
renoncer aux deux tiers de leurs biens. On peut supposer que de réels candi
datsse firent supplier par le peuple pour être élus, mais les curiales chré
tiens ne devaient pas volontiers acclamer, malgré lui, l'un d'entre eux,
puisqu'on perdait ainsi sa contribution. Julien abrogea cette mesure de
Constance et rendit les clercs aux curies. Malgré quelque bonne volonté
Valentien Ier fut réduit à la même politique119. Arcadius et Honorius appli
quèrent à l'Eglise le système inauguré pour la fonction publique par Valenti-
nien : les cadres supérieurs (évêques, prêtres, diacres), conservèrent leurs
fonctions et leur immunité, les clercs inférieurs furent rendus à la curie120.
Cette mesure fut encore reprise jusqu'à Majorien en 458 121.
Le retour à la curie ne signifiait pas l'abandon des fonctions ecclésiasti
ques mais d'une part l'Eglise perdait la plus grande partie du temps de son
clerc occupé à ses fonctions municipales122, et d'autre part, comme l'indique
la lettre d'Innocent à Sirice, le clerc curiale était amené à organiser des spect
acles, à se mettre par fonction en dehors de la communion chrétienne.
L'élection du curiale s'imposait en cas de crise du recrutement : ce
n'était qu'un pis-aller. Un pis-aller pour l'église, un pis-aller pour la commun
autéchrétienne qui voyait fuir un contribuable. On avait de toutes parts
intérêt à faire élire aux fonctions cléricales des hommes exemptés de toute
charge. En restait- il?
Les soldats restent, après leurs 25 années de service, des recrues possi
bles, à la condition toutefois qu'ils n'aient pas reçu le baptême avant leur
congé définitif. L'Eglise qui recrutait des retraités123, soldats ou anciens fonc
tionnaires devait renouveler souvent des cadres trop âgés à leur entrée en
fonction. Elle pouvait tenter de recruter des affranchis encore jeunes puis
que le concile de Tolède en reconnaît la possibilité canonique124.
Elle pouvait encore élever des enfants abandonnés, avec la confiance
qu'une éducation donnée dans l'Eglise en ferait de bonnes recrues125. Les
Les soldats, recrutés dans la masse rurale païenne, avaient peu de chan
cesd'être chrétiens127. Ils avaient néanmoins d'excellentes raisons de se
convertir à un Dieu dont la protection se révélait efficace. Avant la conver
sionde Constantin, le Christianisme avait trouvé des adeptes dans les
comme fils. Ventes d'enfants par pauvreté ou manque de nourriture : C. J., 4, 43, 2 du
même Constantin.
126 Sirice, ep., à Himère, 9.
127 C'est l'opinion de A.H.M. Jones, op, cit., I, p. 96.
ASPECTS SOCIAUX DU RECRUTEMENT ECCLÉSIASTIQUE AU IVe SIÈCLE 359
armées128. Les trois cents soixante soldats de la garde de Julien en Gaule «ne
savaient que marmonner des prières»129. Les soldats en congé pouvaient
donc devenir des recrues pour les ordres ecclésiastiques.
L'entourage de Martin.
133 Sulpice Sévère, Vita Martini, 9, 3, 4, trad. Monceaux, loc. cit., p. 87.
134 Sulpice Sévère, Dial II, 11, trad. Monceaux, p. 212.
135 Trad. A. Baudrillart, Saint Paulin de Noie (353-431), Paris, 1905, p. 116-117. Des
cription de Marracinus par Paulin, ep. 22, trad. p. 117.
136 Paulin, ep. 17. Sur le port des lettres dans l'Antiquité tardive : D. Gorce, Les
voyages, l'hospitalité et le port des lettres dans le monde chrétien des IVe et Ve siècles,
Paris, 1925, et M.R.P. Mac Guire, Letters and Letter carriers in Christian antiquity, dans
Classical World, LUI, 1960, p. 148-153.
137 Paulin, ep. 22.
138 Victor était compagnon d'armes du destinataire de la lettre 25 et de la lettre
25 * de Paulin. Celui-ci, à la demande de Victor, tentait de convertir ce soldat à la vie
ascétique.
ASPECTS SOCIAUX DU RECRUTEMENT ECCLÉSIASTIQUE AU IV« SIÈCLE 36 1
que nous avons relevés, que de moines-soldats. Ils n'étaient pas entrés dans
le clergé de Tours.
Après Martin recruté comme exorciste et élu évêque par la suite, nous
ne connaissons qu'un autre exemple de soldat entré dans le clergé. C'est un
autre évêque, Victrice de Rouen139. Tous deux, en zone peu christianisée,
inaugurèrent un type d'épiscopat missionnaire, partant en guerre contre les
fêtes et les monuments du paganisme, en vrais soldats du Christ. On peut
tout juste soupçonner qu'ils se firent aider dans cette militia par d'anciens
compagnons de combat.
Dans la Gaule méridionale et centrale, démilitarisée, on ne pouvait faire
appel à des soldats pour les tâches subalternes de l'organisation ecclésiasti
que. Les lettres de Paulin de Noie montrent qu'on y employait des affranchis.
En 397, Paulin fit porter une lettre à un prêtre de Bordeaux Amandus,
par un de ses affranchis, Sanemarius 140. Paulin demandait à l'évêque de Bor
deaux de faire entrer cet homme dans les ordres et de l'affecter à la memona
de ses parents.
Un autre affranchi, Vigilance, a été le courrier de Sévère141, puis de Paul
in142, avant de devenir prêtre à Barcelone143. C'était une habitude de faire
porter le courrier par des esclaves. Quelle commodité de faire entrer dans
l'Eglise un de ses propres esclaves qu'on y affranchissait et qui continuait
son office!
Un autre courrier entre Bordeaux et Noie avait été acteur, Cardamas,
peut-être affranchi de Paulin144. Il a porté les lettres des années 399 et 400;
En 399, envoyé pour la première fois à Noie, déjà âgé, il était libre et clerc,
connu de Paulin qui admira ses efforts en carême. « Nous avons compris qu'il
139 Victrice, ancien soldat, voir Paulin, ep. 18, 7. Le de Laude Sanctorum de Victrice
est intéressant par son vocabulaire militaire. Sur Victrice : E. De Moreau, Saint Victrice
de Rouen, apôtre de la Belgica Ia, dans Rev. Belge de Philologie et d'Histoire, V, 1926,
p. 71-79. Trad, du de Laude Sanctorum, R. Herval, Des origines chrétiennes de la IIe Lyonn
aise gallo-romaine à la Normandie ducale, FVe-XIe siècles, Rouen-Paris, 1966, p. 108 sq.
140 Paulin, ep. 12.
141 Paulin, ep. 5, 11, loc. cit., p. 32.
142 Jérôme, ep. 58, 11.
143 Gennade, De vir. ill, 36.
144 Cardamas, porteur des lettres 14 et 15 en 399 et 19-20 en 401. On a supposé qu'il
était un ancien esclave de Paulin qui le nomme «confamulus». A. Baudrillart, op. cit.,
p. 107. P. Fabre ne le croit pas, Essai sur la chronologie, loc. cit., p. 59. J'incline à penser
que Paulin a donné des terres à l'Eglise de Bordeaux, et que Cardamas qui était
esclave fut alors affranchi par l'évêque. Il a sans doute été affranchi dans l'église : « ut
plenius homini liber esset, cum Christi libertus esse coepisset». Cela est possible depuis
Constantin, C. Th., 4, 7.
362 ALINE ROUSSELLE
s'est amendé près de votre sainteté. . . béni soit le seigneur. . . qui l'a fait
clerc, cela nous l'avons vu; sobre, il a fallu le croire»145. Paulin se préoccup
ait de son sort, agissant en patron auprès du patron réel, depuis la donation
de ses biens, l'évêque de Bordeaux : « la femme (de Cardamas) est impotente
et ne peut le servir. S'il en est vraiment ainsi, je demande qu'on lui donne
quelqu'esclave». L'année suivante Delphinus évêque de Bordeaux employait
à nouveau Cardamas promu exorciste, au courrier. Paulin demanda qu'on
respectât sa vieillesse en le laissant se reposer.
146 Sur le mouvement monastique en Gaule on doit encore consulter J.M. Besse,
Les Moines de l'ancienne France (période gallo-romaine et mérovingienne), dans Archives
de la France Monastique, Paris, 1906; on gagne toujours à relire Tillemont (Le Nain de),
Mémoire pour servir à l'Histoire ecclésiastique des six premiers siècles, Paris, 1711, XIV,
XV, XVI. Sur saint Martin l'ouvrage de Ch. E. Babut, Saint Martin de Tours, Paris, 1912,
reste stimulant, ainsi que l'article, plus récent de Ch. Courtois, L'évolution du Mona-
chisme en Gaule de saint Martin à saint Colomban, dans Settimana di studio del centro it
aliano di studi sull'alto medioevo, IV, 1957, p. 47-72. Les quelques pages d'A. Piganiol,
L'Empire chrétien, loc. cit., p. 414-420, pourraient être la meilleure introduction à une
étude qui voudrait tenter d'expliquer l'extension du mouvement monastique et sa
signification sociale.
147 Sur Primuliacum, J. Fontaine, Vie de Saint Martin, loc. cit., I, p. 17-58.
148 Sur Lérins, Alliez, Histoire du monastère de Lérins, Paris, 1862, I, consulter de
préférence le chapitre consacré par N.K. Chadwick, Poetry and Letters in early Christian
Gaul, Londres, 1955.
149 Voir O. Chadwick, John Cassian, A Study in primitive monasticism, Cambridge,
1950. Bibliographie dans J.C. Guy, éd. et trad, de Jean Cassien, Institutions Cénobitiques,
Sources Chrétiennes, îi° 109, Paris, 1965, p. 16-19.
150 Sur la date de l'élection de Martin, E. Griffe, La Gaule chrétienne à l'époque
romaine, I, Des origines chrétiennes à la fin du IVe siècle, Paris, 1964, p. 281.
151 Sulpice Sévère, Vita Martini, 7, 1.
364 ALINE ROUSSELLE
église n'aurait pas désiré avoir un évêque sorti du monastère de saint Mart
in?»152.
Nous connaissons certains de ces disciples. Parmi eux d'abord Clair «de
haute noblesse, qui plus tard devint prêtre»153, et Brice, qui succéda à Mart
insur le siège de Tours154. De celui-ci voici ce que nous apprend Sulpice
Sévère : « Brictio, qui avant d'entrer dans le clergé n'avait jamais rien pos
sédé, qui même avait été nourri au monastère par la charité de Martin, Bric
tioélevait maintenant des chevaux, achetait des esclaves» . . . «dès ses pre
mières années, il avait été élevé au monastère par Martin lui-même»155. Un
troisième disciple est Gallus, le narrateur du deuxième Dialogue de Sulpice
Sévère. Il avait été avocat156, c'était un homme de bonne famille, dont l'oncle
Evanthius possédait des esclaves157. Entre l'élection de Martin vers 370 et sa
mort en 397, nous voyons autour de l'évêque-moine un groupe de nobles. Ils
n'ont pas abandonné leurs biens : ils les ont mis au service de l'Eglise, appa
remment sans même une donation. Les quatre-vingts moines ne peuvent
vivre de la vente des manuscrits copiés par les jeunes. Avec les biens de la
communauté Brice peut mener grande vie, acheter des chevaux, des esclaves
hommes et femmes. Ce Brice entré tout enfant au monastère, élevé dans la
chasteté en milieu masculin était tout désigné pour une carrière ecclésiasti
que : il y parvint.
Dans les années qui précèdent la mort de Martin, l'un des plus riches
propriétaires fonciers de l'Occident158 liquida ses biens pour suivre le pré-
152 Sulpice Sévère, Vita Martini, 10, 6 et 8 dans la traduction de P. Monceaux, Saint
Martin. Récits de Sulpice Sévère mis en Français, Paris, 1927, p. 90.
153 Sulpice Sévère, Vita Martini, 23, 1 : «nobilissimus».
154 Brictio est connu comme moine par Sulpice Sévère et comme évêque grâce à
deux lettres du pape Zosime en 417, P.L., XX, col. 656 et 662. Il avait été accusé
d'immoralité devant le concile de Turin (398), ce qui répond assez bien au portrait fait
de lui par Sulpice Sévère.
155 Sulpice Sévère, Dialogue II, 15, trad. P. Monceaux, loc. cit., p. 246.
156 Sulpice Sévère, Dialogue I, 27, éd. Halm; CSEL, 1, p. 180 : Scholasticus.
157 Sulpice Sévère, Dialogue II, 2.
iss Prudence, /. Contra Symmachum, v. 558, éd. et trad. M. Lavarenne, Collection des
Universités de France, III, Psychomachie contre Symmaque, p. 154. Avec un peu d'exagé
rationle poète met les Paulin à égalité de fortune avec les Bassi, la plus riche famille
d'Italie. Reportant à l'époque du IIe siècle la critique païenne d'un phénomène plus
tardif, Prudence écrivait : « vos frères ont grand soin de vous offrir, après avoir vendu
leurs biens, des milliers de sesterces. On vend à de honteuses enchères les domaines
des ancêtres. L'héritier fruste de la succession en gémit. On regarde comme le comble
de la piété de dépouiller ses chers enfants. . . L'utilité publique, les finances du prince
et celles de l'Etat réclament que cet argent soit consacré au paiement des soldes, et
aide ainsi notre empereur ». Peristephanon, Hymne II, v. 74-80 et 89-92, loc. cit., IV, p. 34-
ASPECTS SOCIAUX DU RECRUTEMENT ECCLÉSIASTIQUE AU IV' SIÈCLE 365
cepte évangélique : « va, vends tout tes biens et suis-moi ». C'était un acte
révolutionnaire. Il choqua ou enthousiasma. Encouragé par deux lettres de
Jérôme à qui il avait confié son projet, Paulin donna ce qu'il ne pouvait ven
dre159. Le produit de la vente fut envoyé à Bethléem et à Jérusalem pour
nourrir les moines et financer des constructions chrétiennes160. Vigilance, un
affranchi de Paulin ou de Sulpice Sévère161 apporta à Jérôme les sommes
retirées de cette liquidation162. Il en revint révolté contre des pratiques qui
appauvrissaient l'Occident au profit d'un Orient monastique improductif:
« si tous se cloîtrent et s'établissent dans la solitude, qui accomplira les célé
brations de l'Eglise? qui sanctifiera les hommes du siècle? qui exhortera les
pécheurs à la vertu?163.
Soucieux des églises, Vigilance s'opposait à la virginité comme à la dis
persion de biens dont les églises locales auraient pu faire meilleur usage.
Paulin était, quand il vendit ses biens (394-395) à plus de 40 ans, ancien
consulaire de Campanie. Il avait été baptisé à Bordeaux après avoir renoncé
à la carrière administrative. Au sommet de la hiérarchie sociale, il était libre
parmi les libres. Vir illustris il pouvait aliéner ses biens. Ces terres sénatorial
es n'entraînaient pour l'acheteur que des contributions fiscales supportab
les. Les terres des curiales entraînaient au contraire les charges qu'avait
supportées le vendeur. Données aux églises locales les terres de Paulin
n'apportaient aucune charge municipale. Le droit privé laissait cet homme
libre de tout vendre : son père était mort, ses biens lui appartenaient. Il avait
perdu un fils nouveau-né auquel il aurait pu laisser ses domaines avant de se
consacrer à Dieu. Son unique frère avait disparu de mort violente, nous igno
rons comment. Il était difficile à des parents plus éloignés d'exiger sa mise
35. Sur la biographie de Paulin de Noie : P. Fabre, Saint Paulin de Noie et l'amitié chré
tienne, dans BEFAR, Paris, 1949 et Essai sur la chronologie de l'œuvre de Saint Paulin de
Noie, Paris, 1948.
159 Jérôme, ep. LUI, 11, éd. et trad. J. Labourt, Collection des Universités de France,
III, 1953, p. 24.
160 Jérôme, Contra Vigilantium, XIII, P.L, t. XXIII, col. 349.
161 Ch. E. Babut proposait de le considérer comme un affranchi de Sulpice Sévère,
car celui-ci parle d'un affranchi ingrat, (Dial. I, 12), Ch. E. Babut, Trois lignes inédites de
Sulpice Sévère, dans Le Moyen- Age, n.s. X, 1906, p. 205-213. Peut-être affranchi de Paulin
qui le nomme (comme d'autres) «Vigilantius noster» ep. 5, 11, éd. Hartel, CSEL, XXIX,
p. 32.
162 Jérôme, Contra Vigilantium, 13, écrit en 404. P.L·, XXIII, col. 349 : «tu refuses
l'envoi à Jérusalem d'un soutien prélevé pour les saints sur le produit de la vente des
biens. . . Alors que si tu n'étais pas venu à Jérusalem répandre ton argent ou plutôt
celui de tes patrons, nous serions tous morts de faim».
163 Vigilance, ap. Jérôme, Contra Vigilantium, 15, loc. cit., col. 351.
366 ALINE ROUSSELLE
sous tutelle pour prodigalité 164 : illustre et sans parenté, Paulin pouvait ce
qui était exclu pour les autres. Il encouragea son ami Sévère à le suivre dans
cette voie. Celui-ci, veuf, en opposition complète avec son père, vivait des
biens de sa défunte épouse, avec l'accord d'une belle-mère mondaine mais
solidement acquise à la foi nouvelle. Sans doute obtint-il l'accord de celle-ci
pour vendre tous les biens de la dot, ne gardant qu'un petit domaine à Pri-
muliacum en Première Narbonnaise165.
A l'époque de la vente de ses biens, Paulin fut ordonné prêtre à Barce
lone(Noël 394), avec la promesse qu'on ne le retiendrait pas dans son projet
de vivre en Campanie. Il vivait déjà dans la continence, avec sa femme Thera-
sia, convertie comme lui à l'ascétisme.
Quelques années plus tard dans l'île de Lérins face à la côte provençale,
un monastère fut fondé par Honorât (vers 405-410). L'un des membres de sa
famille avait eu l'honneur du consulat166, mais Honorât se tourna très jeune
vers la vie ascétique et entraîna son frère Venance ainsi qu'un vieux solitaire
dans une expédition orientale, espérant connaître les sources de la vie
monastique. Au retour, il s'installa à Lérins à la demande de l'évêque de Fré-
jus. Il y fut peu après ordonné prêtre avec l'autorisation de ne pas demeurer
dans l'Eglise de Fréjus. Nous retrouvons le cursus ecclésiastique de Paulin :
le clarissime converti à l'ascétisme, ordonné prêtre et poursuivant sa vie soli
taire.
L'Eglise d'Arles en 426, après la mort violente de son évêque Patrocle,
choisit un ermite des îles Stoechades comme évêque. Cet Helladius disparut
en 427. La cité pria l'abbé de Lérins d'accepter sa succession.
164 Sur les biens et les conditions de leur aliénation, P. Bonfante, Corso di diritto
romano, II, La propietà, éd. Milan 1968. Cl. Dupont, Les Donations dans les constitutions
de Constantin, RIDA, IX, 1962, p. 291-324; et La vente et les conditions socio-économiques
dans l'Empire romain de 312 à 355 après J.-C, dans RIDA, XIX, 1972, p. 275-310. Sur la
curatelle du fou et du prodigue, Cl. Dupont, Les constitutions de Constantin et le droit
privé au début du IVe siècle, Les personnes, Lille, 1937, p. 201. La curatelle du fou et du
prodigue, qui protégeait la propriété et l'héritage depuis les débuts de la République
(A. Garinon, // «Furiosus» e il «Prodigus» nelle «XII Tabulae», Ann. Catania, III, 1949,
p. 194-203, réimpr. dans Le origini quiritarie, Naples, 1973, p. 244-253) fut confirmée
jusqu'au IVe siècle : Constantin, C. Th., 9, 43, 1 (321) dans une autre perspective. Protec
tion du prodigue lui-même, comme le suggère Cl. Dupont, plus probablement encore
protection du patrimoine, plus important pour le prince que la personne du prodigue
ou du dément.
165 Paulin, ep. 24, à Sévère (printemps 400), loc. cit., p. 202.
166 Hilaire, Sermo de Vita beati Honorati, P.L, t. L, col. 1251.
ASPECTS SOCIAUX DU RECRUTEMENT ECCLÉSIASTIQUE AU IV« SIÈCLE 367
Tableau II
LES ÉVÊQUES SÉNATEURS EN GAULE DE 314 À 418*
* Les nos renvoient aux rubriques de K.F. Stroheker, Der senatorische Adel im spä
tantiken Gallien, Tübingen, 1948.
Tableau III
LES ÉVÊQUES LÉRINIENS AU V<= SIÈCLE*
* Les nos renvoient à K.F. Stroheker, op. cit. Ce sont les évêques moines de famille
sénatoriale. Peut-être faut-il leur joindre Loup, beau-frère d'Hilaire. Vita Lupi, 1-3,
M.G.H., s.r.m., VII, ed. B. Krusch et W. Levison, p. 295-296. Il avait étudié la rhétorique,
comme Fauste de Riez.
368 ALINE ROUSSELLE
Tous les clarissimes chrétiens n'étaient pas des adeptes de la vie ascéti
que.Mais c'étaient les seuls hommes libres de l'Empire. On ne s'étonnera
pas de les voir élire évêques sans qu'ils aient jamais manifesté l'intention de
faire carrière dans l'Eglise, et même parfois malgré eux. Les premières élec
tions de non-candidats récalcitrants doivent être mises en relation avec la
pénurie de candidatures, ajoutée à la pénurie d'hommes libres de leur dest
in. Certes la foi suppléait la vocation. La certitude de la désignation par
Dieu, quand la foule acclamait un laïc même non baptisé 169, venait en aide à
celui qu'on privait de sa vie et de sa famille, parfois de sa carrière. Mais cer-
167 Hilaire, Sermo de Vita beati Honorati, 6, loc. cit., col. 1263.
168 Voir tableau III.
169 Sur les modalités juridiques des élections : F.L. Ganshof, Note sur l'élection des
évêques dans l'Empire romain au IVe et pendant la première moitié du Ve siècle, dans
RIDA, 4, 1960 = Mélanges de Wisscher, p. 487-469. En considérant essentiellement les
élections dans lesquelles le refus du candidat forcé est dû à son désir de rester moine,
refus qui prit l'allure d'un rite, on a pu comparer ces dérobades à celles des emper
eurs : Jean Béranger, Le Refus du Pouvoir, dans Museum Helveticum, V, 1948, p. 178-
196, réimpr. : Principatus, dans Mélanges J. Béranger, Genève, 1973, p. 165-190.
ASPECTS SOCIAUX DU RECRUTEMENT ECCLÉSIASTIQUE AU IV« SIÈCLE 369
MEFRA 1977, 1. 24
370 ALINE ROUSSELLE
peut ramener cela à un simple évergétisme. Il faut peut être aller plus loin et
considérer la fonction episcopale comme un munus de type particulier, qui
fait rentrer dans le sort commun de riches sénateurs qui, seuls, lui échap
paient encore175.