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MIRACLE GREC
Léon Robin, dans son livre La pensée grecque i , a particulièrement manifesté la nature du
“miracle grec” en philosophie. Ce fut, depuis les premières réflexions morales d’Homère et
d’Hésiode jusqu’à la régression post-aristotélicienne et la renaissance plotinnienne, la lente
transformation d’une pensée mythologique en réflexion rationnelle. L’interrogation naturelle
et positive remplace progressivement l’intuition religieuse. Ce progrès a son martyr : Socrate
demeure à jamais le philosophe condamné pour impiété par le pouvoir politico-religieux. Le
drame s’est noué lorsqu’une intelligence a voulu passer au crible du raisonnement les
croyances les plus élevées de l’humanité.
La succession des différentes conceptions de l’âme est tout à fait représentative de cette
évolution. Aristote en est le témoin privilégié dans son Traité de l’Âme, où il fait pour nous
une large recension de toutes les doctrines qui ont précédé sa propre pensée. Ce n’est pas là le
moindre intérêt de ce traité, petit par la taille mais inépuisable par la profondeur de la pensée
et la hauteur des perspectives.
Il peut être alors paradoxal de penser que cet ouvrage fut apparemment - avec Avicenne,
Averroès, Thomas d’Aquin et d’autres - le fondement d’un mouvement exactement inverse de
la pensée allant du naturel au surnaturel. Tel est l’objet de notre présente réflexion : “en quoi
une conception rationnelle de l’âme, telle qu’elle est développée dans le Traité de l’âme
d’Aristote, peut servir, malgré elle, de fondement à une approche théologique”
Pour ce faire, nous observerons d’abord les diverses voies d’accès à la découverte de
l’âme. Puis nous verrons comment Aristote en fait la synthèse rationnelle dans le concept de
vie. Enfin, nous nous appuierons sur les spécificités de la vie spirituelle et de l’âme humaine
pour essayer d’envisager le problème de l’immortalité de l’âme.
* *
*
1° LES QUATRE VOIES VERS L’ÂME
a) Désir d’éternité
Le désir d’éternité est le plus antique et le plus universel motif d’affirmer l’existence
d’une âme, aussi ancien et répandu que le sentiment religieux dont il est une des premières
manifestations. Toutes les civilisations, qu’elles soient occidentales, orientales, africaines ou
océaniennes, ont formalisé des rites sociaux et domestiques pour rendre un culte aux morts,
certaines qu’elles sont de la continuité mystérieuse de la vie au delà de sa fin biologique. Au
point que les traces de pratiques funéraires sont pour les archéologues le signe évident de la
présence de sociétés humaines.
L’espérance d’éternité est le propre de l’homme, les marques de respect rendues aux
ancêtres et aux défunts en sont l’expression liturgique. Tandis que le corps est redonné à la
nature, le plus souvent dans l’attente d’une destinée future, l’âme rejoint le monde mystérieux
que sa vie terrestre lui a valu. Les offrandes déposées dans les tombeaux pour permettre la
subsistance, les armes, ou les bijoux ayant appartenu au mort, la disposition du cadavre en
position fœtale en vue d’une renaissance, ou encore, dans les pyramides, l’infrastructure d’un
voyage solaire, témoignent de la croyance en la destinée éternelle de celui qui a quitté les
siens.
Parce qu’immortelle, l’âme est quelque chose de divin, une étincelle de la divinité. Cette
seconde certitude n’appartient pas moins que la première au fonds mystico-philosophique
quasi universel de l’humanité. Les Grecs et Aristote honorent Homère comme leur père
spirituel, celui qui les a engendré à la vertu de religion et à l’intuition d’une vie divine. Ils
reconnaissent à sa suite le THUMOS périssable des vivants et la PSUCHE éternelle des
morts. Le même Aristote affirme être débiteur d’Anaxagore lorsqu’il voit dans l’intelligence
une faculté divine potentiellement ouverte à tout être. Le présocratique avait - à raison selon
lui - identifié l’âme à Dieu comme puissance infinie.
L’homme ne peut en effet se satisfaire de la précarité qu’il expérimente concrètement, et
refuse d’y voir la frontière définitive de son être. Le rejet de la finitude est sans conteste le
berceau du concept d’âme comme éclat de la substance divine éternelle et parfaite. Notons
que cette vision conduit à réserver l’attribution de l’âme à la seule nature humaine, à
l’exclusion de tout autre être vivant. Même dans l’hypothèse de la métempsycose, l’animal
n’est le plus souvent “animé” que parce qu’il est le réceptacle d’une âme qui fut d’abord
humaine, ou qui est appelée à le devenir avant de rejoindre son lieu originel.
L’esprit positiviste ne peut que classer ces conceptions parmi les croyances irrationnelles
d’une réflexion pré-scientifique. Naguère, de telles affirmations étaient combattues avec
hargne et mépris, au nom de la Philosophie des Lumières. Notre époque est en progrès sur ce
passé récent. Elle tend à reconnaître deux univers intellectuels légitimes quoique sans
dialogue possible : celui de la science, qui balaie tout le domaine du rationnel et celui de la
croyance à qui appartient le champ de l’irrationnel et du sentiment. Chacun ne peut
légitimement ni confirmer ni infirmer l’autre. Un ouvrage comme Dieu face à la science ii de
Monsieur le Ministre Claude Allègre est particulièrement emblématique de cet état d’esprit.
Pour l’instant, la conviction de l’existence d’une âme telle que nous l’avons définie relève
encore du second domaine. Le progrès tient au fait que la science se refuse aujourd’hui à
combattre la croyance.
b) Conscience de penser
c) Autonomie de mouvement
Vous et moi sommes certains qu’un nombre conséquent de nos gestes et déplacements
n’ont d’autre cause que notre volonté. Ils sont le résultat orchestré de nos désirs et de nos
propos. Nous avons en nous notre propre principe d’animation consciente, qui ne se réduit pas
à un simple équilibre dynamique de forces mécaniques au sein notre corps.
Par analogie - certains diraient par anthropomorphisme - on étend volontiers cette
propriété à tout ce qui parait avoir un mouvement dont le moteur est intime au mobile, et non
provoqué de l’extérieur. Il est arrivé à l’homme d’attribuer une âme à tout ce qui bouge de lui-
même : l’animal et le végétal, certes, mais aussi les astres et l’univers, et même à ce qui existe
en général. L’animisme est un réflexe courant de l’esprit, qui aboutit aisément à une
conception matérialiste de l’âme. Démocrite la voyait comme une particule sphérique en
perpétuelle agitation.
Notre monde actuel est partagé devant cette constatation. L’animisme est rejeté au rang
des sentiments religieux archaïques et frustres. Mais la manière dont l’homme déclenche une
succession de mouvements coordonnés pour poursuivre ce qu’il se propose mentalement
d’obtenir, ce passage du psychique au physique, cet empire du spirituel sur le mécanique,
reste un mystère inexpliqué aux yeux de la psychologie expérimentale comme de la
physiologie ou de l’anatomie.
d) Unité personnelle
Aristote voit dans le principe de la vie la synthèse naturelle qui opère la jonction entre ces
quatre voies, et qui les maintient à un niveau purement philosophique.
« L’animé se distingue de l’inanimé par le fait qu’il est en vie ». ix Ce principe posé,
savoir ce qu’est la vie demeure très obscur. On ne parvient guère à la saisir mieux que selon le
concept de “dynamisme interne à l’origine des opérations différenciées de l’être vivant”, par
opposition à l’extériorité des causes de mouvements subits ou imposés, qui sont généralement
uniformes. C’est du moins ce que nous en expérimentons par nous-même, et cette obscurité
n’empêche en rien la très grande certitude x que nous sommes vivant. « L’ être pour le vivant,
c’est la vie », xi et Aristote aurait pu écrire : “vivo ergo sum”. En savoir plus de l’intérieur
demande de connaître ce qu’est l’âme dans ses causes propres et relève d’une intelligence qui
transcende l’ordre de la vie naturelle.
Ce dynamisme a une cause : l’âme, et des effets : les opérations vitales. C’est par ces
deux extrémités qu’Aristote analyse la question. L’âme est d’abord ce qui permet à l’animé de
différer du non-vivant, parce qu’elle est la raison pour laquelle le vivant vit.
Qu’il y ait distinction entre vivant et non-vivant, deux constatations suffiront à le
démontrer : 1- il y a une différence de nature et non pas seulement de degré entre le corps
complexe, différencié et organisé du vivant et la structure homogène et uniforme du minéral ;
2- la toute première caractéristique évidente de la vie est la capacité à se reproduire presque à
l’identique.
Que ce soit par l’âme que le vivant vit, c’est pour le manifester qu’Aristote établit sa
célèbre définition : « l’âme est l’acte premier d’un corps physique organisé ». xii L’être vivant
est en effet une substance individuelle naturelle, résultant de l’union intrinsèque d’une matière
et d’une forme. La matière est organisée par la forme plutôt que l’inverse, car celle-là se tient
du côté de la potentialité et celle-ci du côté de l’actualisation. Nous appellerons âme le
principe de structuration de ce corps organisé. C’est donc grâce à l’âme que le corps est
potentiellement vivant et capable d’opérer, au moyen des organes nombreux et différenciés
dont il jouit. L’âme est donc forme en un sens suréminent. Non seulement elle confère au
vivant les mêmes propriétés que l’inerte, à savoir la permanence dans l’être, et les propriétés
inhérentes à tout corps physique (volume, poids, couleur, consistance, ...), mais elle lui offre
la capacité d’opérations sui-generis qui le caractérise comme vivant. Aller plus loin dans
l’analyse de l’âme demande donc maintenant de passer à l’autre extrême : l’étude de ces
opérations vitales dont l’âme est la cause.
Redisons le, pouvoir se reproduire est la première manifestation claire de la vie. Nous
pourrions appeler biologiques les opérations fondamentales qu’Aristote met en relief, à savoir
l’alimentation, la croissance et la reproduction. Biologiques, parce que ces fonctions sont
communes à tout être vivant, et sont au fondement même de la vie. C’est (encore aujourd’hui)
parce qu’on observe qu’un être se nourrit, se développe et se reproduit avant de mourir qu’on
le déclare vivant. Aristote parle à ce propos d’âme et de vie végétatives. Celles-ci connaissent
leur perfection dans la fertilité, qui caractérise l’adulte parvenu à maturité. L’âme se définit
alors : l’acte « qui peut engendrer un autre être semblable selon l’espèce ». xiii
Déjà par la nutrition, l’âme pose la subjectivité avant même toute émergence de la
conscience. Le végétal assimile le monde extérieur, il dissout ce qui est autre, pour le “trans-
former” en lui-même. Telle est l’opération universelle et première de la vie : prendre
possession du monde pour le faire soi. En cela, le vivant, même inconscient, est sujet.
L’alimentation concrétise aussi l’effort du vivant pour prolonger la vie. Elle permet
l’entretien, la restauration, la croissance et la fortification de l’organisme, afin de demeurer et
de progresser dans le temps. Mais c’est surtout avec la reproduction que le vivant recherche
l’éternité. Ne pouvant perdurer individuellement, l’âme biologique tend à se maintenir
spécifiquement par la génération. L’espèce est perpétuelle, comme l’est l’univers, car selon
une remarque constante chez Aristote, tout être physique cherche à rejoindre selon ses
possibilités son principe divin. « Un végétal génère un végétal de manière à participer à
l’éternel et au divin autant que possible ». xiv Malgré le poète, la rose veut vivre l’espace
d’une éternité. C’est ainsi que déjà, la seule vie biologique répond à deux des voies que nous
avons proposées : subjectivité et désir d’éternité.
c) la vie animale et humaine
d) Conclusion provisoire
3° L’ÂME SPIRITUELLE
L’étape que nous venons de franchir était utile pour comprendre comment on peut
découvrir l’âme spirituelle avec le même état d’esprit positif.
Tout ce qui peut être perçu peut donc être connu, et nous pouvons conceptualiser
l’essence de toute réalité, pourvu que cette dernière nous soit sensiblement accessible, au
moins indirectement, comme par ses effets concrets. De cela, nous sommes aussi certains que
de la constatation que nous pensons par concepts. La conséquence est immédiate quant à
l’idée que l’on peut se faire de la nature de l’intelligence. C’est une faculté capable de
recevoir immatériellement - intentionnellement, en un sens plus radical que pour la sensation -
la forme de tout ce qui existe.
la connaissance intellectuelle est la réception dans l’intelligence, de façon intentionnelle
et non matérielle, d’une forme, abstraite de la représentation sensible par l’opération de
l’intellect agent. Pour accueillir un tel objet, sans le modifier ni l’altérer, l’intelligence doit
être elle-même nécessairement immatérielle.
La constitution physiologique de l’organe sensible conditionne en effet la sensation.
Ainsi, l’œil humain est réceptif à une certaine gamme de rayonnement, et une échelle précise
de longueurs d’ondes supporte les couleurs perçues par la vue. Au delà ou en deçà, l’œil ne
voit plus rien. De même une excitation trop intense de l’organe peut le blesser ou même le
détruire, on nous en a suffisamment averti lors de l’éclipse d’août 1999. L’œil ne peut voir
que ce qui est visible, car la visibilité requiert une réaction physique à partir d’un
rayonnement de photons. Tandis que l’intelligence peut connaître tout ce qui est, quelle qu’en
soit la matérialité, et même - à supposer que de tels êtres existent et laissent des traces
sensibles - les réalités purement immatérielles. Par conséquent, un conditionnement matériel
serait pour l’intelligence un obstacle majeur à la bonne fin de l’intellection. Autrement dit, si
l’intelligence avait un organe - mettons le cerveau -, la structure anatomique de ce dernier
interférerait nécessairement avec l’appréhension de l’essence, un peu comme des lunettes
colorées modifient et obscurcissent la perception des couleurs. La conceptualisation serait
circonscrite, voire polluée, par l’essence de l’organe supposé être celui de l’intelligence et ne
pourrait porter sur tout ce qui est, mais seulement sur tout ce qui fait réagir l’organe. “Surface
plane apte à supporter des objets” ne serait plus fidèlement l’essence de la table, mais un
mixte indiscernable entre cette forme et la forme du cerveau, à supposer du moins que
l’essence en question soit matériellement apte à stimuler la matière grise.
Mais ce n’est pas de cela que nous avons l’expérience, et notre intelligence se dispense
d’organe pour opérer. Elle est immatérielle et de ce fait, parfaitement impassible devant tout
événement physique. Rien de ce qui est tel ne peut l’affecter tangiblement. Elle est ouverte à
toutes les essences, et pour cela doit être en elle-même pure indétermination. L’intelligence
comme faculté universelle de connaissance, ne peut avoir d’autre nature que d’être “pure
potentialité”. C’est aussi pourquoi est nécessaire l’intellect agent, car livrée à elle seule, la
puissance est incapable de passer d’elle-même à l’acte et ne peut rien connaître.
L’objet intelligible définit donc la faculté d’intelligence comme “pure puissance,
immatérielle et impassible”. xix Cette définition rejaillit à plus forte raison sur l’idée qu’on
peut se faire de l’intellect agent : “pure actualité, immatérielle et impassible”. xx Parce que
pure actualité, c’est à dire autonomie d’action plénière et constante dès qu’il vient à
l’existence, l’intellect agent a quelque chose de divin dans sa nature même, et non dans sa
seule finalité, à l’instar de la vie biologique. « L’intellect agent est une certaine force
immatérielle, capable de rendre autrui semblable à lui-même, c’est à dire immatériel, car
c’est par ce mode qu’il fait de l’intelligible en puissance un intelligible en acte. Ce pouvoir
actif est une sorte de participation à la lumière intellectuelle des substances séparées [les
purs esprits et Dieu] ». xxi
c) Indépendance de l’âme
Ces définitions sont essentielles pour notre propos, car Aristote pose au début de son
étude, les conditions permettant d’envisager pour l’âme humaine un sort indépendant de celui
du corps : « s’il est une des opérations, ou des affections de l’âme qui lui soit propre [et non
partagée avec le corps], on peut admettre que l’âme se sépare [du corps] ». xxii Tout le traité de
la connaissance sensible et intellectuelle semble comme sous-tendu par cette interrogation
majeure. Comme si Aristote n’avait d’autre souci que d’y répondre. Et sa conclusion est
indubitablement positive : l’âme humaine, par ses facultés intellectuelles inorganiques, est
séparable du corps, même si elle n’est pas actuellement séparée.
Que la puissance intellectuelle dans sa globalité soit “séparée” signifie comme nous
l’avons vu que son opération et sa nature sont indépendantes de la matérialité. En d’autres
termes, cela veut affirmer qu’elle n’a pas d’organe et ne peut donc être directement atteinte
par rien de corporel, pas même par la corruption et la désagrégation de la biologie. Tel est
l’enjeu plénier de la quête du Stagirite. Cette incorruptibilité actuelle de la faculté laisse
deviner l’incorruptibilité finale de l’âme dans son essence même. Le sort dernier de l’âme
humaine n’est pas dépendant de celui du corps, et cela s’établit rationnellement sur la très
grande certitude expérimentale que nous avons une âme et qu’elle formule des concepts.
* *
*
RAISON ET REVELATION
Nous sommes ainsi parvenu au terme de notre enquête : le Traité de l’Âme d’Aristote
offre à la théologie la démonstration rationnelle que l’homme jouit d’une âme spirituelle
(nous nommerons ainsi celle qui est capable d’intellection), dont le destin est en partie
découplé de celui du corps. L’apport est peut-être quantitativement restreint, mais il est
fondamental. Mais quant à déterminer quel est l’avenir réservé, post-mortem, à l’âme,
Thomas d’Aquin nous prévient que « ce n’est pas [dans le Traité de l’âme] l’intention
présente d’en discuter ». xxiii Il est cependant évident que selon la réponse donnée, la voie
reposant sur le désir d’éternité prend une dimension très variable, et peut devenir majeure.
On peut avancer diverses hypothèses :
- 1° l’âme est anéantie à l’instant même où elle est séparée du corps (en continuant
d’affirmer que la corruption physique n’est pas cause de cet anéantissement), ou bien
disparaît quelques (?) temps après.
- 2° Privée, par la mort biologique, de la sensibilité et de l’imagination où elle puise ses
concepts, l’âme est réduite aux seules forces inorganiques et impassibles de l’intellect.
Elle demeure alors indéfiniment dans un état stable d’intellection en acte de la dernière
forme abstraite. Cette hypothèse parait la plus philosophique car la plus proche des
conclusions dégagées sur la nature de l’âme. Elle alerte sur l’importance de l’état
d’esprit à l’heure de la mort : l’âme quitte le monde avec sa dernière pensée pour
éternelle méditation.
- 3° Rien n’interdit de penser enfin que l’âme se réincarne immédiatement après le
décès, ou quelques (?) temps après. Cette régénération doit cependant respecter la
nature d’ « acte premier d’un corps physique organisé ». L’âme ne peut se retrouver
prisonnière d’un corps étranger déjà vivant par lui-même, comme une substance
enfermée dans une autre substance. Elle ne peut que réanimer le corps propre avec
lequel elle a constitué - et fait revivre - une substance individuelle. Rien ne s’oppose à
parler alors de “résurrection”.
Mais autant l’hypothèse 1 que la 3 font appel à un agent “méta-physique” qui excède la
capacité de notre considération strictement naturelle. Une intervention extérieure est en effet
nécessaire soit pour anéantir soit pour régénérer l’âme.
Sur cet exemple, nous pouvons conclure que la philosophie ne conduira jamais à
l’explication de dogmes de foi comme la résurrection finale de la chair. Ceux-ci resteront
toujours des révélations hors d’atteinte de la raison. On peut même dire que, livrée à ses
seules forces, cette dernière tend vers des hypothèses en partie différentes. C’est le cas, autre
exemple, de l’alternative : « éternité du monde ou création ? », où la philosophie penche
plutôt du côté de l’éternité, mais laisse envisageable la solution de la création, dans le cadre
de conditions qui excèdent l’exercice strictement scientifique de la raison (autrement dit,
l’hypothèse « création » n’est pas de soi contradictoire). Il est intéressant de constater qu’ici
comme là, la raison laisse une pleine ouverture à la révélation, sans que jamais théologie et
philosophie ne se confondent.
G. F. DELAPORTE
2 janvier 2000
i
ROBIN Léon, La pensée grecque et les origines de l’esprit scientifique, réédition, Paris, Albin Michel,
1963, passim
ii
ALLEGRE Claude, Dieu face à la science, Paris, Fayard, 1997, notamment p. 301
iii
ARISTOTE, De l’âme, traduction BODEÜS Richard, Paris, GF-Flammarion, 1993, 427 a 21
iv
ARISTOTE, id., 431 b 20
v
DESCARTES René, Discours de la Méthode, Paris, Aubier, 1951, quatrième partie
vi
ARISTOTE, id., 402 b 4
vii
THOMAS d’AQUIN, Commentaire du Traité de l’âme, édition Pirotta, Turin, Marietti, 1959, L1, lec.1,
n°6 (traduction personnelle)
viii
ARISTOTE, id., 402 a 2 (trad. d’après le texte utilisé par Thomas d’Aquin)
ix
ARISTOTE, id., 413 a 21
x
ARISTOTE, id., 413 a 12
xi
ARISTOTE, id., 415 b 13
xii
ARISTOTE, id., 412 b 5 (trad. d’après le texte utilisé par Thomas d’Aquin)
xiii
THOMAS d’AQUIN, id., L2, lec. 9, n° 347, commentant ARISTOTE, id., 415 a 26
xiv
ARISTOTE, id., 415 a 30
xv
ARISTOTE, id., 424 a 18
xvi
ARISTOTE, id., Livre 2, ch. 5 à 12
xvii
ARISTOTE, id., 415 a 14 à 22
xviii
ARISTOTE, id., 430 a 15
xix
ARISTOTE, id., 429 a 15 à 20
xx
ARISTOTE, id., 430 a 17
xxi
THOMAS d’AQUIN, id., L3, lec. 10, n° 734, commentant ARISTOTE, id., 430 a 19
xxii
ARISTOTE, id., 403 a 11
xxiii
THOMAS d’AQUIN, id., L3, lec. 10, n° 745, commentant ARISTOTE, id., 430 a 25