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Le Figaro - jeudi 14 février 2019

SOCIÉTÉ

Comment les géants du Web fabriquent


l’addic on
BRAUN, ELISA

SUR NETFLIX, le dernier épisode d’une série s’est lancé automatiquement. La notification
d’Instagram est apparue juste avant l’heure de dormir. Impossible d’arrêter de jouer à Candy Crush
après avoir passé un tel niveau… Elles sont nombreuses, les excuses des enfants qui restent
scotchés à leurs écrans, quand on le leur a pourtant interdit. Mais si les enfants sont aussi accros
aux smartphones, réseaux sociaux et jeux vidéo, ce n’est pas seulement parce qu’ils n’ont aucune
volonté ou sont désobéissants. C’est aussi parce qu’ils font face aux puissantes techniques de
manipulation élaborées par les designers de la Silicon Valley.

Depuis dix ans, de nombreuses voix s’élèvent ainsi contre les « dark patterns ». Ce néologisme,
que l’on pourrait traduire par « design douteux », a été inventé en 2010 par un spécialiste de la
conception d’interfaces numériques, Harry Brignull. « Il s’agit de manipulations dans le design
même des services que nous utilisons, pour faire faire des choix à l’utilisateur, dont il n’est pas
conscient », résume Albert Moukheiber, docteur en neurosciences et psychologue. « Cela peut
être pour nous empêcher de quitter un service, en rendant cela particulièrement compliqué ou en
jouant sur notre culpabilité, mais aussi pour nous inciter à devenir accro, en jouant sur des biais
cognitifs », ajoute le scientifique.

Enquête en cours
Ces biais cognitifs, ce sont tous ces mécanismes de la pensée qui font parfois avoir des jugements
moins rationnels, comme celui de trouver un produit à 0,99 euro beaucoup moins coûteux qu’un
autre au prix rond. Il y en a des centaines, que les psychologues étudient depuis les années 1970.
Le monde des technologies a même un pôle de recherche référent en la matière : le laboratoire
des technologies persuasives de l’université de Stanford. Le fondateur d’Instagram est passé par
là, tout comme plusieurs designers et psychologues aujourd’hui cadres chez Facebook ou Google.
Les notifications colorées qui donnent aux smartphones des allures de magasin de bonbons ne
doivent rien au hasard. Elles sont le fruit d’un travail de fabrique de l’addiction, mûrement réfléchi.

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Les enfants sont parmi les plus sensibles à ces techniques. Budabu, éditeur d’applications de jeux
mobiles pour les plus petits, l’a bien compris. Sur Doctor Kids (une sorte d’Allô Docteurs virtuel), il
fait ainsi pleurer l’un des personnages si l’enfant refuse d’acheter des accessoires virtuels payants
sur ses jeux. D’autres applications envoient spécifiquement une notification aux horaires de sorties
d’école… « Ces pratiques sont injustes et trompeuses pour les enfants et les parents, et nous
exhortons l’autorité de protection des consommateurs à prendre des mesures appropriées et
rapides », s’insurgeait une vingtaine d’associations de défense des droits des enfants américains,
en octobre dernier. Le gendarme américain a lancé une enquête. Car avec la notion de « dark
pattern », est-ce bien l’enfant qu’il faut punir ?

Le Figaro - jeudi 14 février 2019

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