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Lacan introduit au cœur de la structure de l’inconscient la béance causale. C’est un


progrès dans la certitude de Freud, car pour Lacan, le sujet de la certitude est divisé :
« la certitude, c’est Freud qui l’a ».

Cette causalité signifiante du sujet est constituée par la paire signifiante S1 – S2, le S
désignant le sujet qui en est l’effet.

Le sujet n’est pas un être – être un –, il est la coupure, il est sujet à s’identifier. Si le
S1 désigne le signifiant qui le saisit, il ne le représente qu’à s’articuler à S2 : « Le
signifiant représente le sujet pour un autre signifiant  . »

À propos du sujet comme béance causale, rappelons ce qu’affirme Lacan : « Il n’y a de


cause de ce qui cloche  . »

S’appuyant sur les travaux de Claude Lévi-Strauss, et sur ceux des philosophes Kant
et Aristote, Lacan propose une conception non rationaliste de la causalité.

Dans La pensée sauvage, Lévi-Strauss montre la vérité de la fonction totémique ;


c’est la fonction classificatoire primaire. La nature fournit des signifiants, qui
organisent de façon inaugurale les rapports humains, en donnent les structures et les
modèlent. La cause « se distingue de ce qu’il y a de déterminant dans une chaîne,
autrement dit de la loi  ». Faisant référence à ce binaire classique entre loi et cause,
Lacan ne s’inscrit pas dans une conception positiviste à la manière d’Auguste Comte.
Kant et Aristote, pour leur part, vont faire l’objet d’une lecture critique, mais qui
ouvrira à l’élaboration de la causalité d’un manque et à une nouvelle conception de la
tuché.

Dans l’« Essai sur les grandeurs négatives », Kant pose la question suivante :
« Peut-on assimiler la cause à la raison ? » C’est la raison qui l’invente pour ordonner
la raison. Se référant à la physique, il constate la discontinuité entre la cause et l’effet.
« À cause de B » est un jugement universel qui excède les données de la perception.
La logique, c’est nous qui l’ajoutons, afin d’ordonner la raison. Entre la cause et
l’effet, il y a une béance ; ce qui vient la remplir n’est pas indéterminé pour Lacan,
mais reste un concept inanalysable pour Kant.

En effet, Kant signifie aux fondateurs d’une ontologie que les concepts les plus subtils
n’abolissent ou n’engendrent jamais un existant, et que depuis Newton, l’espace, le
temps, le mouvement ne peuvent plus être ce qu’ils étaient pour Descartes.

Quelle est la conception de Lacan ? « La cause, pour nous, toute modalité que Kant
l’inscrive dans les catégories de la raison pure, plus exactement, il l’inscrit au tableau
des relations entre l’inhérence et la communauté, la cause n’est pas pour autant

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rationalisée  . » Lacan introduit dans le domaine de la cause la loi du signifiant au


lieu où cette béance se produit. Si le problème de la cause, de l’origine, est par
excellence l’embarras des philosophes, seul le signifiant donne un équilibre à la
théorie des quatre causes d’Aristote.

Dans la « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite », Lacan définit la béance


causale dans l’ordre symbolique, et la situe comme le premier pas du mouvement
dialectique de Freud : « Dans l’ordre symbolique, les vides sont aussi signifiants que
les pleins ; il semble bien, à entendre Freud aujourd’hui, que ce soit la béance d’un
vide qui constitue le premier pas de tout son mouvement dialectique  . »

Partant de « l’étiologie des névroses », que trouve Feud dans la béance


caractéristique de la cause ? Quelque chose de l’ordre du non réalisé. L’inconscient
comme non réalisé, ni un étant, ni un non-étant, est un non-étant de la possibilité.
Un étant malgré son non-avènement, la cause inconsciente est une fonction de
l’impossible sur quoi se fonde une certitude. La discontinuité, la défaillance, la fêlure
caractérisent l’inconscient comme phénomène.

À cette discontinuité de l’inconscient s’articule l’indétermination du sujet chez Lacan.


S’il définit l’inconscient comme « cet indéterminé de pur être, qui n’a point d’accès à
la détermination  », seul le transfert donne accès au sujet de l’inconscient. Est-ce
que le « un » est antérieur à la discontinuité ? Le « un » introduit par l’expérience de
l’inconscient, c’est le un de la fente, de la rupture « Cette coupure, je l’ai
profondément liée à la fonction comme telle du sujet dans sa relation constituante au
signifiant lui-même  . »

Lacan donne une définition de son automaton et de sa tuché ; tout en restant dans le
champ du déterminisme, il aménage une place au sujet dans la rencontre avec le réel.
Cette rencontre, qui se produit comme par hasard, est déterminée. Ainsi l’aléatoire
lui-même est-il prisonnier du déterminisme.

L’analyse se définit d’une praxis qui s’inscrit au cœur de l’expérience, qui est le
« noyau du réel ». Si la tuché est une rencontre du réel, ce réel, où le rencontrons
nous ?

Il s’agit d’une rencontre essentielle avec un réel qui se dérobe, un réel au-delà de
l’automaton, du retour, de l’insistance des signes tel qu’il est commandé par le
principe de plaisir.

Ce réel qui gît derrière l’automaton, tel est le sens de la recherche de Freud, dans
l’Au-delà du principe de plaisir, en 1920. Qu’est-ce qui conduit Freud à poser
l’existence d’une pulsion de mort ? Il prend en considération, dans des registres
divers, les phénomènes de répétition qui ne se laissent pas réduire à la recherche
d’une satisfaction libidinale ou à une tentative de maîtriser les expériences
déplaisantes. Freud y voit la marque du « démoniaque  » d’une force irrépressible,
indépendante du principe du plaisir et susceptible de s’opposer à lui.

Dans « La dynamique du transfert  », il reprend la dynamique du destin du sujet


qui se joue entre deux pôles, le constitutionnel et l’accidentel : « Défendons nous ici,
contre le reproche injustifié d’avoir nié l’importance du facteur inné [constitutionnel]
en faisant ressortir le rôle des impressions infantiles. Un semblable reproche émane
de l’étroit besoin de causalité de l’homme qui, en dépit de la banale réalité, se satisfait
d’un seul facteur causal  . » Pas de causalité mécanique, simple ou directe, chez
Freud, mais un destin du sujet déterminé par les deux forces, celles du facteur
constitutionnel et du facteur accidentel. Chaque cas, chaque individu est singulier :

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« Le rôle étiologique relatif de chacune doit être évalué dans chaque cas particulier et
chez tout individu  . » Ainsi, il n’y a pas de destin type chez Freud, mais une série de
cas, où le destin se joue certes entre le constitutionnel et l’accidentel, mais toujours
dans des figures métaphoriques, telle la Gradiva, où le destin apparaît comme
métaphore de l’inconscient.

Ce qui se répète est quelque chose qui se produit comme au hasard, d’où le rapport
entre la répétition et la tuché. L’analyse travaille sur ce qui achoppe, sur ce qui
cloche ; elle introduit un nouveau déchiffrage des rapports du sujet à sa condition.

Quelle est la fonction de la tuché pour Lacan ? « C’est la rencontre en tant qu’elle peut
être manquée, qu’essentiellement elle est la rencontre manquée  . » Il va ainsi
articuler rencontre du réel et trauma.

Lacan va pointer une contradiction apparente : comment le rêve, porteur du désir du


sujet, peut-il reproduire ce qui fait resurgir à répétition le trauma ? Chez Lacan,
l’automaton est masqué par la tuché ; si le signifiant est la première marque du sujet,
la tuché n’est pas un signifiant.

À propos du réel et du hasard, Lacan, dans le séminaire sur « La lettre volée »,


précise ce qu’il entend par répétition « de ce qui n’était pas » : « Car nous ne
prétendons pas, par nos X, B, Y, ó, extraire du réel plus que nous n’avons supposé
dans sa donnée, c’est-à-dire ici rien, mais seulement démontrer qu’ils y apportent une
syntaxe à seulement déjà, ce réel, le faire hasard. Sur quoi nous avançons que ce n’est
pas d’ailleurs que proviennent les effets de répétition que Freud appelle automatisme.
C’est bien ce dont le moindre de nos “patients” en analyse témoigne  …»

Lacan introduit la rencontre du réel, ce rien, hors signifiant dans la syntaxe. Ce rien
surgit, comme rencontre du réel, mise à l’épreuve du sujet sous les formes du retour.
Ce ne sont pas des effets statistiques imprévisibles, mais la structure même du réseau
qui implique les retours. « C’est là la figure que prend pour nous à travers
l’élucidation de ce que nous appelons les stratégies, l’automaton d’Aristote  .»

Les jeux syntaxiques sont à observer dans le monologue infantile, ils relèvent du
champ préconscient. La syntaxe est préconsciente mais elle est en rapport avec « la
réserve inconsciente du sujet », ce qui lui échappe.

Qu’est-ce qui commande la syntaxe du sujet ? Elle est de plus en plus serrée par ce
que Freud appelle un noyau. Ce noyau est-il quelque chose de traumatique ? Lacan
distingue de la résistance du sujet, cette première résistance du discours quand il
procède au resserrage autour du noyau : « Le noyau doit être désigné comme du réel
en tant que l’identité de perception est sa règle  .»

Ce noyau se fonde sur ce que Freud pointe comme une sorte de prélèvement qui nous
assure que nous sommes dans la perception par le sentiment de la réalité. Selon
Lacan, du côté du sujet, cela s’appelle l’éveil.

La réalité qui détermine l’éveil, n’est-ce pas ce qui s’exprime au fond de l’angoisse du
rêve « Père, ne vois-tu pas, je brûle », c’est-à-dire le plus intime de la relation du père
au fils et qui surgit non pas de la mort mais au-delà, « dans son sens de destinée » ?

Chez Freud, la tuché serait le trauma au sens de l’accidentel, un accidentel dans la


rencontre du réel.

Ce qui se produit comme au hasard vient à la rencontre du fantasme, mais le


fantasme masque un réel premier, déterminant : « Le fantasme n’est jamais que
l’écran qui dissimule quelque chose de tout à fait premier, de déterminant dans la
fonction de la répétition  .»

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« Le réel peut se représenter, par l’accident » : c’est une réalité cachée derrière le
manque de ce qui tient lieu de représentation. Le sujet est une discontinuité dans le
réel. En ce sens, la constitution du sujet suppose une élaboration du sujet à partir des
rencontres dans le réel ; le sujet est mis à l’épreuve du réel.

Prenant l’exemple de l’enfant, Lacan introduit une nouvelle conception de la


répétition dans son articulation au « nouveau », au « ludique ». Chez Freud, la
répétition n’est pas un retour du besoin : « La répétition demande du nouveau  .»
Dans la répétition, quelque chose s’introduit ; du même surgit l’autre, le nouveau.
Dans le jeu, l’enfant exige du nouveau dans le récit du conte.

Afin d’illustrer cette élaboration du sujet dans les rencontres du réel, Lacan reprend
le jeu du Fort-Da chez Freud, en un sens nouveau.

Pour Freud, dans le jeu du Fort-Da, l’enfant réitère, tamponne l’effet de la disparition
de sa mère en s’en faisant l’agent. Pour Lacan, ce phénomène est secondaire.

Lacan, comme Wallon, souligne que l’enfant porte sa vigilance « au point même où
elle l’a quitté ». C’est là, en ce point, que Lacan situe la béance causale : l’absence de
la mère est la cause de la béance. Cette bobine, c’est un petit quelque chose du sujet
qui se détache, ce serait l’objet (a). C’est ce qui de lui se détache dans cette épreuve.
Le jeu de la bobine est la réponse du sujet à l’absence de la mère. « C’est un petit
quelque chose du sujet qui se détache tout en étant encore bien à lui, encore retenu.
C’est le lieu de dire, à l’imitation d’Aristote, que l’homme pense avec son objet  ».

Ici, Lacan articule la causalité signifiante et l’objet (a). Si le signifiant est la première
marque du sujet, c’est dans l’objet (la bobine) que se constitue le sujet.

Si l’homme pense avec son objet selon Aristote, le sujet se divise avec son objet pour
Lacan. D’Aristote à Lacan, il s’agit d’un passage d’une pensée de l’être à un sujet
divisé par son objet. « À cet objet, nous donnerons ultérieurement son nom d’algèbre
lacanien, le petit (a). »

Si l’ensemble de l’activité symbolise la répétition, c’est la répétition du départ de la


mère qui est cause d’une Spaltung dans le sujet. Le jeu du Fort-Da, en son alternance
surmonte la répétition du départ de la mère au sens où le jeu est lui-même le
représentant de la représentation.

Lacan va faire jouer la tuché dans le développement à partir d’une critique des stades
chez l’enfant. Le développement lui-même s’anime tout entier de l’accident, de
l’achoppement, de la tuché.

Reprenons la réponse à la question posée par Françoise Dolto : « Les stades


s’organisent autour de l’angoisse de castration. Le fait copulatoire de l’introduction
de la sexualité est traumatisant – voilà un accroc de taille – et il a une fonction
organisatrice pour le développement. L’angoisse de castration est comme un fil qui
perfore toutes les étapes du développement  .»

Au binaire freudien, trauma et répétition, Lacan va substituer tuché et automaton.


Mais par là même, il introduit une conception du trauma dans une dialectique du
sujet qui a pour centre une mauvaise rencontre. Il situe la mauvaise rencontre au
niveau du sexuel, comme défaut de la signification. C’est ce manque de signification,
dans la rencontre avec le réel, qui est traumatique.

« Tuché et automaton » est une création signifiante qui fait apparaître une
anticipation de l’objet (a), un objet nouveau, et une causalité du sujet comme
causalité d’une absence, un sujet mis à l’épreuve du réel.

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Là où il n’y a « rien », le sujet élabore une réponse ; de la béance causale, il en fait sa


cause, un rien qui n’est pas rien.

Quelle est la part prise par le sujet dans la rencontre avec le réel, au sens où cette
rencontre est la rencontre avec l’objet (a) ? Cet objet (a) qui divise le sujet n’est pas
freudien, Lacan interprète Freud à partir de théories, de références qui lui sont
propres.

Cette lecture est une interprétation de Freud à partir des mathématiques modernes,
de Claude Levi-Strauss, de Kant et d’Aristote.

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