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‫ال اله ا اال هللا‬

Le grand secret

de la

psychanalyse

Abdesselem Rechak
Copyright © 2020 Abdesselem Rechak.

Tous les droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés


pour tous les pays.

ISBN : 978-2-9574640-0-5

2020, Abdesselem Rechak, 14 rue romaine, 25350 Mandeure,


France.
‫ال اله ا اال هللا‬
Il n’y a pas d’Autre de l’Autre
« La tradition bien loin de rendre accessible ce qu’elle
transmet le recouvre d’abord et le plus souvent. Elle livre
à l’évidence ce contenu transmis et barre l’accès aux
ressources originelles où les catégories et les concepts
traditionnels furent en partie de manière authentique
puisés. »

Martin Heidegger, Être et Temps, Gallimard, Paris, 1986, p. 47.


Introduction

Il n’y a pas d’Autre de l’Autre. A quoi peut


renvoyer cette étrange formule que Lacan présente
comme le grand secret1 de la psychanalyse ? Je pense
qu’elle renvoie à l’islam, et plus particulièrement à
la profession de foi de l’islam. En tout cas, c’est
l’hypothèse que je propose.

Cette hypothèse risque, sans doute, d’affoler


beaucoup de psychanalystes, mais c’est une
hypothèse qui me paraît, malgré tout, indiquer une
direction tout à fait pertinente. Elle permet, à mon
sens, de révéler qu’elle est le véritable

1
Jacques Lacan, Le désir et son interprétation, Paris, Éditions
de La Martinière, 2013, p. 353.
Introduction

soubassement, le véritable pilier, de l’enseignement


de Lacan. La psychanalyse a toujours été d’une
certaine façon scandaleuse, et ce que je propose ici,
ce n’est rien d’autre que de poursuivre ce scandale.
Dire que le grand secret de la psychanalyse c’est la
profession de foi de l’islam, c'est un scandale, mais
c’est un scandale qui permet de mieux saisir la
véritable source d’où s’inspire Lacan pour concevoir
son enseignement.

Pendant longtemps, cette formule est restée


pour moi un grand mystère, mais maintenant je la
situe plus précisément. Il y a là comme un secret,
comme un savoir crypté, qu’il faut savoir décrypter.
Quand Lacan nous dit qu’il n’y a pas d’Autre de
l’Autre, il ne fait, selon moi, que retraduire il n’y a
pas d’autre Dieu que Dieu de l’islam, qui signifie
précisément qu’il n’y a pas d’autre garantie que
Dieu.

Il n’y a pas d’Autre de l’Autre est une


formule un peu énigmatique, mais elle s’éclaire très

6
Introduction

bien, si on la rapporte à la profession de foi de


l’islam. Quand on écrit côte à côte, il n’y a pas
d’Autre de l’Autre et il n’y a pas d’autre Dieu que
Dieu on s’aperçoit tout de suite, que ces deux
formules avaient vocation à être rapprochées.

Mon but ici n’est pas de mettre en avant


l’islam, mais d’essayer d’éclairer au mieux
l’orientation lacanienne. L’objectif est d’isoler la
véritable référence. Si je parts de la profession de foi
de l’islam, c’est parce que l’ensemble de
l’enseignement de Lacan semble graviter autour
d’elle. Cette voie de l’islam me paraît être celle qui
correspond le mieux à l’orientation lacanienne. Je
me suis beaucoup cassé la tête, avant de me lancer
dans cette voie. Je pense que c’est la meilleure à
suivre, la plus appropriée pour lire Lacan. Elle me
paraît indiquer le mouvement principal de l’effort de
Lacan. Elle est, à mon sens, ce qui donne sa
dynamique à l’ensemble de son enseignement.

7
Introduction

Pour comprendre l’enseignement de Lacan il


faut donc tout d’abord isoler cette formule : Il n’y a
pas d’Autre de l’Autre, car elle est, par rapport à tout
ce qu’il a pu énoncer, d'une importance capitale.
C’est la formule la plus importante à retenir. Lacan
est principalement guidé par cette formule. Elle
gouverne son enseignement de bout en bout. La
seule prise en compte de cette formule permet de
rendre compte de la logique lacanienne. Ce qui est
décisif dans l’enseignement de Lacan c’est : Il n’y a
pas d’Autre de l’Autre.

Ensuite, il faut bien voir à quoi elle se


rapporte. D’où peut-il tirer cette formule ? Cette
formule ne vient pas en tant que telle de la
psychanalyse, Lacan ne l’a pas trouvé chez Freud,
mais dans la tradition islamique. Il n’y a pas d’Autre
de l’Autre n’est qu'une reprise de la profession de foi
de l’islam, qu’une réécriture, un peu masquée, rien
de plus. L'important est de voir l'homologie entre les
deux formules. Ce sont deux grands piliers qui sont

8
Introduction

centrés essentiellement sur un il n'y a pas. Tous les


il n’y a pas chez Lacan, y compris le il n’y a pas de
rapport sexuel, ne font que reprendre ce il n’y a pas
de l’islam. Il n’y a pas d’Autre de l’Autre n'est en fait
que la profession de foi de l’islam transposée à la
psychanalyse, il faut bien s’en apercevoir.

L’enseignement de Lacan est vraiment


difficile à saisir, ce n’est que lorsque l’on dispose de
cette référence là que l’on arrive un peu à se diriger
dans son enseignement. Pour pouvoir le lire
correctement, il faut déjà disposer de la bonne
référence.

C’est que l’enseignement de Lacan n'a pas


vraiment emprunté la voie de Freud. Le retour à
Freud de Lacan ne passe pas par Freud, mais par la
tradition islamique. Lacan apporte une montagne de
références freudiennes justement pour ne pas qu’on
puisse s’en apercevoir. Il présente Freud comme
essentielle à sa construction, mais ça véritable
référence c’est l’islam. C’est pourquoi, quand on se

9
Introduction

limite à Freud on n’arrive pas vraiment à com-


prendre. Par contre si on le lit à partir de l’islam, il
devient beaucoup plus clair. Il n’y a rien de plus
illuminant que de lire Lacan en partant de la tradition
islamique.

L’enseignement de Lacan comme l’islam


sont d’abord une orientation, et elles nous mènent
dans la même direction. Si l’on veut saisir la logique
de cet enseignement, il faut donc prendre en
considération ce que l’islam enseigne. C’est ce
détour par l’islam qu’il faut prendre si l’on veut
déchiffrer l’enseignement de Lacan. C’est un détour
qui nous éclaire sur son orientation. De nombreuses
incompréhensions et difficultés peuvent-être évitées
si on prend ce détour-là.

Il n’est pas si facile de rétablir le fil parce ce


Lacan s’est beaucoup appliqué à en effacer la trace.
L’islam est une référence cachée, souterraine, elle
n’est jamais mise en plein jour directement. Il faut
arriver à se placer en deçà de ce qu’il raconte pour

10
Introduction

pouvoir retrouver cette véritable référence. Il ne faut


jamais se contenter de ce qu’il a dit, il faut encore
voir ce qu’il cache par-dessous. Un travail de
déchiffrage, d’archéologie, est nécessaire pour
s’apercevoir que Lacan opère à partir de l’islam.

Il n’est pas question ici de dépassement,


j’essaie juste de montrer, le plus simplement
possible, qu’elle est la véritable source d’où s’inspire
Lacan. Il s’agit d’aller chercher derrière les
différents habillages ce qui l’oriente vraiment. Il n’y
a pas de raison pour que la psychanalyse elle-même
ne soit pas psychanalysée. Si je fais retour ici à
l’islam, c’est bien parce que ce travail a pour
fonction essentielle de démanteler l’enseignement de
Lacan, de le déconstruire, pour le reconstruire en
fonction de sa véritable source. Le but est de montrer
sa véritable filiation.

Aborder l’enseignement de Lacan à partir de


l’islam, c’est quelque chose que je n’avais
absolument pas prévu, c’est une perspective qui s’est

11
Introduction

imposée à moi. Dans mon intention initiale


j’essayais juste de comprendre, de trouver un fil.
Mais à force de lire les séminaires de Lacan, à un
moment donné, ça m’a fait penser à l’islam. J’ai fini
par réaliser qu’il y avait entre l’enseignement de
Lacan et l’islam une connexion très forte. Je n’ai
donc pas pu m’empêcher, de faire ce rapprochement.

Il y a beaucoup de concepts que Lacan amène


dans la psychanalyse et qui ne sont pas de Freud. On
est donc forcé à un moment donné de se demander
d’où ils viennent. Si on veut bien un instant ouvrir
les yeux sur l’orientation lacanienne, sur la logique
qu'elle comporte, on s’aperçoit très vite à quel point
les concepts que Lacan introduit dans la
psychanalyse sont familiers à l’islam.

Prenons par exemple le concept de sujet, on


voit tout de suite qu’il cadre parfaitement avec
l’islam. Le sujet chez Lacan n’a rien à voir avec cette
instance de la subjectivité moderne, c’est même
l’envers. Le sujet, Lacan le rapporte « non pas à sa

12
Introduction

subjectivité mais à son assujettissement. »2 Le terme


même de sujet dont il fait usage comporte que le
sujet comme tel est soumis. Ce n’est pas sans raison
qu’il a choisi de mettre en avant ce terme, s’il a
choisi ce terme, c’est essentiellement parce que dans
ce terme de sujet lui-même il y a déjà la mise en
valeur de la soumission. L’écriture de Lacan,
l’écriture qui situe le sujet sous une barre et là, avant
tout, pour le rappeler. Pour Lacan, un sujet qui ne
serait pas soumis ne serait pas un sujet. L’institution
du sujet comporte sa soumission. Le sujet nait avec
sa soumission. Ce qui est déterminant dans
l’enseignement de Lacan c’est la soumission du
sujet. Il faut le savoir, il y a une équivalence
maîtresse dans l’enseignement de Lacan, et cette
équivalence maîtresse se situe principalement entre
le sujet barré, le sujet de l’inconscient et la
soumission. Ce qui distingue fondamentalement le

2
Jacques Lacan, La logique du fantasme, version numérique,
Association lacanienne internationale, p. 55.

13
Introduction

sujet de l’inconscient du moi imaginaire, c’est que le


sujet renvoie, au manque d’être, à la division, à la
dépendance, à la soumission, alors que le moi renvoi
à l’être, à l’identité, à l’autonomie, à la liberté. La
soumission, Lacan ne la traite pas comme une
défaillance, au contraire il définit le sujet par cette
soumission. Ce qui pose problème pour Lacan c’est
plutôt le délire d’autonomie, de liberté, d’identité.

C’est pourquoi, la soumission qui est au


fondement du sujet, on la retrouve également en fin
d’analyse. Parce que à l’origine du sujet il y a la
soumission, alors à la fin de l’analyse on retrouve
aussi la soumission. « Le désir de l’analyste n’est pas
un désir pur. C’est un désir d’obtenir la différence
absolue, celle qui intervient quand, confronté au
signifiant primordial, le sujet vient pour la première
fois en position de s’y assujettir. »3 Ce dont il s’agit
à la fin de l’analyse, c’est d’un ordonnancement

3
Jacques Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la
psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 307.

14
Introduction

subjectif par rapport à la cause, qui est toujours


corrélatif d’une soumission. La fin de l'analyse
apparaît toujours comme un retour à l'état originel du
sujet qui est la soumission. La différence absolue,
renvoie ici la différence entre l’homme et Dieu, entre
la cause et l’effet, Kierkegaard y fait également
référence dans Les Miettes Philosophiques. L'enjeu,
dans l’analyse, est de réaliser cette différence
absolue. Le but est d'obtenir que le sujet comme effet
puisse assumer la cause qui le détermine, qu’il puisse
reconnaître qu’il n’est pas cause de lui-même, mais
que l’effet d’une cause. Il faut bien saisir que le sujet
n'est qu’un réceptacle, un lieu vide, complètement
dépendant de la cause qui le détermine, c’est
important pour comprendre ce qui doit se passer en
fin d’analyse. L’exigence à laquelle il faut répondre
en fin d’analyse n’est pas d’assumer ma liberté, mais
ma causalité, 4 autrement dit, ma soumission. C’est
que « de notre position de sujet nous sommes tous

4
Jacques Lacan, Ecrits II, Paris, Seuil,1966, p. 345.

15
Introduction

responsables. »5 Nous sommes tous responsables de


notre causalité. C’est de cette façon que Lacan
conçoit la fin de l’analyse. La fin d’analyse n’est
jamais pensée par Lacan en termes de libération mais
toujours en termes de soumission. Il y a toujours, en
fin d’analyse, la présence de la soumission qui peut
être au grand Autre, au signifiant, au réel, à
l’inconscient, ou à l'Un. Quelques soit la façon dont
Lacan énonce la fin de l’analyse, il est toujours
question de soumission.

Prenons maintenant le concept du grand


Autre qu’il introduit dans la psychanalyse, on voit,
tout de suite, là aussi, qu’il est tout à fait conforme à
l’islam, à ce grand Autre, unique, séparé, situé par
Ibn Rushd comme un intellect agent, au déçus de
tous les hommes et de ce grand Autre situé par Ibn
Sînâ comme cause. De la même façon que la
tradition islamique Lacan va célébrer la toute-

5
Jacques Lacan, Ecrits II, Paris, Seuil,1966, p. 339.

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Introduction

puissance, la domination, de l’Autre sur le sujet. Le


grand Autre est tout-puissant par rapport au sujet. Il
s’affirme comme un ordre transcendant. Comme Ibn
Sînâ, Lacan va transférer tous les pouvoirs entre les
mains du grand Autre et va réduire le sujet à un
réceptacle complétement vide. Il faut penser
ensemble le sujet et le grand Autre. Il y a d’un côté
le sujet qui est vide, complétement pauvre, mort, et
de l’autre côté le désir, ce qui fait exister le sujet, ce
qui le rend vivant, qui lui vient toujours du grand
Autre. Le véritable partenaire du sujet chez Lacan ce
n’est pas son semblable, le petit autre, mais le grand
Autre. C’est pourquoi il peut dire que « le désir de
l’homme est le désir de l’Autre. »6 On a donc chez
Lacan un sujet qui est situé, avant tout, comme un
réceptacle, et qui ne gagne son existence que du désir
qui lui vient du grand Autre. La dépendance du sujet
à l’endroit du grand Autre, est aussi paradigme de

6
Jacques Lacan, Ecrits II, La direction de la cure, Paris, Seuil,
1966, p. 106.

17
Introduction

l’islam. C’est même l’un des slogans les plus célèbre


de l’islam : Allahou akbar

Prenons maintenant le concept de l’Un. Ce


concept de l'Un, Lacan n’est pas nécessairement allé
le chercher dans le Parménide de Platon, il se trouve
aussi au cœur de l’islam. Il y a l’Un du Parménide, il
y a l’Un de Plotin, l'Un Proclus, mais aussi l'Un du
monothéisme et de l’islam. S’il y a un point
fondamental dans l’islam c’est bien celui du Tawhid,
de l’unicité. C’est comme ça, que Rûmî en viendra,
bien avant Lacan, à symboliser la source du vivant
par un trait, en comparant Dieu à un signifiant, à la
première lettre de l’alphabet arabe Alif, qui s’écrit
avec un trait vertical. « Qui sommes-nous ? Dans ce
monde compliqué, qu’y a-t-il en fait d’autre que lui,
qui est simple comme l’Alif ? Rien, rien. »7 On a ici
le modèle originaire du signifiant uniaire de Lacan.
Si Lacan, a mis, à un moment donné, l’accent sur le

7
Djalâl-od-Dîn Rûmî, Mathnawî, La Quête de l’Absolu, Livres I
à III, Paris, Rocher, 2004, p. 146.

18
Introduction

trait, ce n’est pas d’une pure provenance freudienne


ou saussurienne, c’est une idée empruntée à Rûmî.
De la même manière que Rûmî, il va faire du
signifiant la cause du sujet. Dire qu’il y a de l'Un,
c’est dire qu’il est le premier, qu’il est la seule cause
véritable, c’est aussi dire qu’il n’y a pas d’Autre de
l’Autre, cela n’est pas valable que pour Lacan, on
trouve ça également dans l’islam.

Prenons maintenant le concept de cause.


L’islam comme la psychanalyse lacanienne sont
deux expériences qui se réclament de la dépendance
à une cause. Il n’y a pas que chez Lacan où l’on parle
de cause, c’est aussi le cas dans l’islam. La cause,
pour l’islam, ça ne peut-être que Dieu, seul Dieu est
vraiment cause, il est « la cause des causes. »8 Cela
est valable, en tout cas, depuis qu’Ibn Sînâ a pris la
cause première d’Aristote pour la rapporter à Dieu,
pour faire de Dieu la Cause première de tout ce qui

8
Avicenne, La Métaphysique du Shifâ’, Livre I à V, Paris, Vrin,
1978, p. 86.

19
Introduction

est. C’est lui également qui est le premier distinguer


l’essence de l’existence et qui présente le sujet,
comme un réceptacle vide, comme une non-essence,
complètement dépendant de la cause. Cette référence
à la cause, il faut dire, qu’on la trouve aussi bien dans
le Liber de Causis. Lacan ne fait que remettre au goût
du jour, comme Maître Eckhart avant lui, ce terme
de cause qui était si prégnant dans La Métaphysique
du Shifa’ et dans le Liber de Causis. Il ne faut pas
oublier, qu’il y a bien avant la Cause freudienne cette
Cause islamique, développée notamment dans La
Métaphysique de Shifa’ et dans le Liber de Causis,
et sans laquelle probablement la Cause freudienne
elle-même ne serait rien. Bien avant la Cause
freudienne, il faut le reconnaître, il y a eu La
Métaphysique de Shifa’ et le Liber de Causis. Lacan
parle beaucoup de cause mais il oublie de parler de
La Métaphysique de Shifa’ et du Libère de Causis.
Quand il nous dit que le sujet n’est qu’un réceptacle
vide, qu’un manque d’être, complètement dépendant

20
Introduction

de la cause qui le détermine, au fond, il ne fait que


réaffirmer le déterminisme islamique.

Prenons maintenant le concept du réel. Le


réel que Lacan introduit dans la psychanalyse, celui
dont il dit c’est mon invention, il faut le savoir, se
trouve déjà dans l’islam. Il n’est pas propre à Lacan
et ce n’est certainement pas son invention. Dans la
religion chrétienne, on parle de Dieu essentiellement
comme étant le père, dans le judaïsme essen-
tiellement comme étant le dieu de la loi, mais dans
l’islam, on parle de Dieu avant tout comme étant le
réel, El-haq. Le réel qui se situe dans l’inconscient,
on peut dire qu’il est analogue à celui de l’islam, à
ce Dieu qui se situe dans le Rayb. C’est dans l’islam
que l’on peut le mieux saisir le sens du réel chez
Lacan. Le réel dans l’islam ne peut que nous éclairer
sur le réel de Lacan qui lui-même ne peux
qu’échapper. La psychanalyse lacanienne, comme
l’islam, atteste d’un réel, témoigne d’un réel que l’on
ne peut démontrer, que l’on ne peut affirmer

21
Introduction

directement. Le réel de l’islam convient


particulièrement au réel de Lacan, parce que c’est un
réel hors-savoir, radical, mais en même temps la
seule garantie. C’est un réel sans loi, absolue, avec
lequel il n’y a pas du tout de rapport direct. C’est un
réel séparé, séparé de toutes formes de
représentations. C’est un réel qui subsiste hors-
représentations, mais qui pourtant soutient le sujet.

Il faut aussi savoir qu’il y a chez Lacan une


certaine équivalence conceptuelle entre le réel et le
grand Autre, entre le réel et la cause, entre le réel et
l’Un, et qu’il y a également cette même équivalence
dans l’islam, Dieu est la fois le grand Autre, le réel
El-haq, la cause, et l’Un.

Prenons maintenant le concept d’inconscient,


dans la psychanalyse il faut croire à l’inconscient, et
dans l’islam il faut croire au Rayb. Pour Lacan
comme pour l’islam, la chose la plus importante
nous échappe, elle se situe toujours là où on manque

22
Introduction

le sens, là où manque la représentation, là où il n’y a


pas d’affirmation direct.

Le fait que Lacan parle d’une expérience à


vivre plutôt que d’une cure est aussi un autre point
commun. L’islam, comme la psychanalyse, vise à
travers une expérience une réforme, une mutation
subjective.

Prenons maintenant il n’y a pas d’Autre de


l’Autre, là, aussi on voit tout de suite que ça cadre
parfaitement avec l’islam. On ne peut pas ne pas voir
l’homologie qu’il y a entre il n’y a pas d’Autre de
l’Autre et il n’y a pas d'autre dieu que dieu. On voit
bien là, en toutes lettres, dans cette formule, il n’y a
pas d’Autre de l’Autre que Lacan a mis au premier
plan, que son enseignement s'apparente à l’islam.

Même s’il n’a jamais voulu le révéler, on voit


bien que l’islam a eu une influence très forte sur lui,
on voit bien que la plupart des concepts qu’il importe
dans la psychanalyse, sont familiers à l’islam.

23
Introduction

Le sujet, le grand Autre, le réel, l’Un, la


cause, il n’y a pas d’Autre de l’Autre, ce sont là
autant de références qui sont commune à l’islam et
qui montrent à partir de quoi Lacan a construit son
enseignement. Cela peut sans doute étonner, mais
dans son ordonnancement, l’enseignement de Lacan,
est exactement similaire à l’islam. A cet égard, si on
veut comprendre l’enseignement de Lacan, c’est à
l'islam qu’il faut se référer. Même si Lacan ne cite
pas du tout l’islam, ça reste pour lui un point d’appui
essentiel. L’erreur est de croire, qu’il n’est qu’un
simple retour à Freud.

La profession de foi de l’islam c’est – le


grand secret de la psychanalyse. Essayons
tranquillement de prendre les choses à partir de là.
Ce n’est là qu’une hypothèse, mais je pense que cette
hypothèse est tout à fait crédible, tout à fait
soutenable. Ça se tient, mais il faut avancer pas à pas,
prudemment. Il y a encore plusieurs points à prendre

24
Introduction

en considération pour pouvoir apprécier la consis-


tance de cette hypothèse.

Tout d’abord, il faut bien remarquer que, ce


il n'y a pas est toujours chez Lacan, comme dans
l’islam, équivalent au semblant. Cela veut dire qu’il
n’y a pas de garantie de ce côté-là, qu’il n’y a rien, à
ce niveau-là, qui puisse soutenir l’existence du sujet.

Ensuite, il faut bien voir que ce il n’y a pas


s’oppose à il y a d’l’Un qui est la véritable garantie.
Cette opposition, on la trouve à la fois chez Lacan et
dans l’islam. Chez Lacan comme dans l’islam, il faut
soigneusement distinguer les semblants de la
garantie. La garantie, pour Lacan comme pour
l’islam, se situe uniquement au niveau de l’Un, qui
correspond au grand Autre, à la vraie cause, au réel,
à ce qui soutien réellement le sujet. Néanmoins, il
faut distinguer l’Autre du langage qui n’est qu’un
semblant de l'Autre de la garantie qui est l’Un.

25
Introduction

Quand Lacan nous dit qu’il n’y a pas d’Autre


de l’Autre, c’est avant tout pour rappeler, comme
dans l’islam, que le grand Autre est sans équivalent,
sans pareil, sans égal, qu’il est la seule et unique
garantie.

Après, il faut bien s’apercevoir que


l’expérience analytique et l’islam répondent à une
orientation commune. Qu'est-ce que ça peut bien
viser, l’expérience analytique ? He bien la même
chose que l’islam. L’expérience analytique et l’islam
visent la même chose, ils visent le réel. L’important
pour Lacan est de s’orienter en direction du réel,
mais cela n’est pas important que pour Lacan, c’est
aussi important pour l’islam. La religion, en tous les
cas l’islam, n’a pas pour but de donner du sens
comme peut le suggérer Lacan dans Le triomphe de
la religion. L’islam n’a pas pour fonction « de
9
secréter du sens » ou de trouver « une

9
Jacques Lacan, Le Triomphe de la religion, Paris, Seuil, 2005,
p. 81.

26
Introduction

correspondance de tout avec tout. »10 Lacan nous dé-


soriente lorsqu’il nous dit que la religion a pour but
de « secréter du sens. »11 En tout cas, l’islam vise un
réel hors-sens. Il faut savoir que l’islam donne avant
tout la primauté au Rayb, à ce qui échappe au sens.
L’expérience analytique et l’islam pointent dans la
même direction. Le but est de déconstruire tous les
semblants pour se mettre en rapport avec le réel. Le
réel, la cause, la garantie, l’Un, est là depuis toujours,
mais c’est juste qu’il est recouvert par les semblants.
Il s’agit donc de retirer, enlever, défaire tous les
semblants qui empêchent l’accès au réel. C'est
seulement en passant par la déconstruction, par la
négation des semblants, que l’on peut accéder à la
garantie, à ce qui soutien réellement le sujet, à savoir
le réel, la cause, la garantie, l’Un. Dans la

10
Jacques Lacan, Le Triomphe de la religion, Paris, Seuil,
2005, p. 82.
11
Ibid.

27
Introduction

psychanalyse, comme dans l’islam, il ne faut croire


en rien sauf au réel, à la cause, à l’Un.

Aussi, il faut bien saisir que l’expérience


analytique, telle que Lacan la conçoit, se fonde sur
une autre logique que celle de la recherche d’un sens
caché. Elle ne se règle pas sur l’interprétation,
comme a pu le faire Freud, mais sur la négation, sur
la déconstruction des semblants, car les semblants
sont non seulement faux, mais surtout nocifs
puisqu’ils constituent des obstacles à l’accès au réel,
ils empêchent le sujet d’accéder à la cause de son
désir. Il s’agit donc, avant tout, de déconstruction. La
méthode lacanienne ne consiste pas à déchiffrer
l’inconscient, elle vise essentiellement à retirer les
voiles, à détruire les obstacles, qui se trouvent entre
la cause et le sujet.

Il faut bien comprendre également que le


véritable problème pour Lacan, ce n’est pas le
symptôme, mais le délire d’autonomie. Le véritable
problème, c’est la croyance à l’autonomie du moi,

28
Introduction

c’est cela essentiellement qui fait barrière, qui voile


et qui empêche le sujet d’accéder à la cause, à la
garantie. C’est pourquoi Lacan conçoit toujours
l’expérience analytique comme l’envers de
l’autonomie. Le sujet doit être délivré justement de
cette fausse croyance. La psychanalyse lacanienne
concerne, avant tout, le sujet, un sujet qu’elle situe
essentiellement comme dépendant d’une cause, et
l’enjeu dans l’expérience analytique est de le
conduire à assumer la dépendance à cette cause. Il
faut concevoir l’expérience analytique comme une
régression vers le réel, vers la cause qui est à
l’origine du sujet, et cette régression vers le réel est
avant tout, une destruction, une remise en question
de l’autonomie du moi. C’est là un point tout à fait
essentiel qui permet de distinguer la psychanalyse
des différentes psychothérapies, mais qui montre
aussi à quel point la psychanalyse s’apparente à
l’islam.

29
Introduction

L’autre point important, qu’il faut prendre en


compte, c’est que la psychanalyse lacanienne vise la
cause du désir, et que l’islam vise la cause de la foi,
c’est la même orientation. Quand Lacan dit que
l’expérience analytique porte sur la cause du désir et
bien il ne dit pas autre chose que l’islam. L’islam n’a
pas pour but de donner du sens, mais de permettre au
sujet de sauvegarder, ou de retrouver la foi. La foi
ne peut se retrouver qu’à condition de détruire les
semblants qui sont des obstacles, et qui empêchent le
sujet d’accéder à la cause de la foi. C’est précisément
ce que Lacan essaie de faire dans la psychanalyse,
c’est de déconstruire les obstacles pour accéder à la
cause du désir. C’est la même méthode, il suffit de
remplacer la foi par le désir ou la foi par la
jouissance, car Lacan parle aussi de jouissance.

L’essentiel est de voir, qu’il y a dans l’islam


et dans l’expérience analytique exactement la même
logique à l’œuvre. Il s’agit de déconstruire tous les
semblants pour faire valoir ce qui opère sur le sujet,

30
Introduction

ce qui le soutient réellement. C’est exactement la


même méthode, le même procédé, il faut d’abord
faire la négation, autrement dit, il faut d’abord,
détruire, déconstruire, sacrifier les semblants, pour
retrouver l’accès à la véritable garantie.

L’enseignement de Lacan est très obscur, il


est du telle complexité que c’est très difficile de s’y
retrouver. Il s’agit, justement pour ne pas se perdre,
d’en extraire un principe. Malgré la complexité de
l’enseignement de Lacan, je pense qu’il y a tout de
même la possibilité de se repérer à partir de là.

Le but est de montrer le véritable ressort d’où


il procède dans ses différentes élaborations, de
ressaisir ce qui véritablement anime cet
enseignement. Lire Lacan ne se limite pas à répéter
son enseignement, mais à isoler sa logique. Ce que
je veux essentiellement faire voir, c’est que la
méthode constante dont Lacan fait usage, dans ses
différentes élaborations, relève de la profession de

31
Introduction

foi de l’islam. Je veux justement montrer que c’est


elle qui prescrit la logique.

32
Chapitre 1

Les sources islamiques de la psychanalyse

Le grand secret de la psychanalyse, c’est la


profession de foi de l’islam. Cette nouvelle
perspective n’est susceptible d’apparaître, qu’à
condition que certains préjugés soient remis en
question. Cela demande de prendre quelques
distances avec l’histoire officielle. Cela nécessite
une approche autre par rapport à ce qui nous a été
transmis. Comment la psychanalyse a-t-elle été
présentée jusqu’à présent ? Comme une invention
freudienne. Cette présentation a été si insistante,
tellement rabâchée, que c’est très difficile de s’en
Les sources islamiques de la psychanalyse

détacher pour pouvoir la considérer différemment. Il


est donc nécessaire tout d’abord de briser certaines
idoles, car comme le suggère Martin Heidegger « la
tradition bien loin de rendre accessible ce qu’elle
transmet le recouvre d’abord et le plus souvent. Elle
livre à l’évidence ce contenu transmis et barre
l’accès aux ressources originelles où les catégories et
les concepts traditionnels furent en partie de manière
authentique puisés. »12

Il nous faut donc être moins dupe, et nous


déprendre d’abord de l’histoire qu’on nous raconte.
La psychanalyse n’est pas une découverte freudienne
qui date de la fin du XIXe siècle. La psychanalyse
n’est que le nouveau nom attribué par Freud à une
pratique beaucoup plus ancienne. La psychanalyse,
ce nom sous lequel Freud annonce sa découverte
n’est au fond qu’un voile pour couvrir la véritable
source d’où il s’inspire. Cette pratique n’a pas été

12
Martin Heidegger, Être et Temps, Gallimard, Paris, 1986, p.
47.

34
Les sources islamiques de la psychanalyse

inauguré par Freud, elle avait cours bien avant lui,


puisqu’on la trouve déjà, parfaitement décrite, dans
le Mathnawî de Djalâl-Od-Dîn Rûmî. C’est dans le
Mathnawî que l’on trouve la véritable scène
inaugurale de la psychanalyse freudienne. Plus
précisément, dans l’histoire de ce roi devenu
amoureux d’une jeune esclave. Rûmî nous raconte
qu’un jour un roi, se rendant à la chasse à cheval «
aperçut en chemin une jeune esclave : l’âme du roi
13
devint esclave de cette esclave. » Mais
malheureusement, après qu’il l’eut gagnée à son
désir, elle tombât malade. Alors le roi convoqua tous
les médecins du pays pour leur faire une demande :
« Notre vie à tous deux est entre vos mains. Ma vie
n’a point de valeur, mais elle est la vie de ma vie. Je
souffre et suis blessé : elle est mon remède. Celui qui
guérira celle qui est ma vie emportera avec lui mon
trésor, mes perles et mon corail. » 14 Mais aucun

13
Djalâl-Od-Dîn Rûmî, Mathnawî, La Quête de l’Absolu, Livres
I à III, Paris, Rocher, 2004, p. 55.
14
Ibid.

35
Les sources islamiques de la psychanalyse

médecin traditionnel ne parvint à la guérir. « Plus ils


appliquaient de soins et de remèdes, plus la maladie
augmentait. La jeune fille devint mince comme un
cheveu, tandis que les yeux du roi ruisselaient de
15
larmes de sang. » Quelques jours plus tard,
poursuit Rûmî, le roi fini par rencontrer un médecin
devin dont la venue lui avait été annoncée en songe.
Le roi fini par raconter au médecin son problème et
le fait asseoir au chevet de la jeune fille. Celui-ci «
observa la couleur de son visage, lui prit le pouls et
examina son urine ; il entendit le récit des
symptômes et des signes de sa maladie. »16 Il finit
par déclarer qu’aucun des remèdes qui ont été
appliqués ne pouvait rendre la santé, car la malade «
souffrait dans son cœur ; son corps était bien portant,
mais son cœur était touché. »17 Il dit alors « Ô roi,

15
Djalâl-Od-Dîn Rûmî, Mathnawî, La Quête de l’Absolu, Livres
I à III, Paris, Rocher, 2004, p. 56.
16
Djalâl-Od-Dîn Rûmî, Mathnawî, La Quête de l’Absolu, Livres
I à III, Rocher, 2004, p. 59.
17
Ibid.

36
Les sources islamiques de la psychanalyse

vide la maison ; renvoie les parents et les étrangers.


Que personne n’écoute dans les corridors, afin que je
puisse demander certaines choses à cette jeune
esclave. » 18 Rûmî précise « La maison fut laissée
vide, personne n’y resta, sauf le médecin et la
malade. » A ce moment-là « il mit la main sur elle et
lui posa des questions, (…) Il interrogea la jeune fille
au sujet de ses amis, lui demandant son histoire. Et
elle révéla au médecin maintes circonstances
concernant son foyer natal … »19

Voilà le véritable début de la psychanalyse.


Voilà, la méthode, la procédure, que Freud a reprise.
Cette pratique de l’écoute, où il s’agit avant tout de
s’isoler avec le patient pour qu’il puisse parler le plus
librement possible, cette façon de faire n’a pas été
inaugurée par Freud, elle avait cours bien avant lui
puisqu’on la trouve déjà dans le Mathnawî. On

18
Djalâl-Od-Dîn Rûmî, Mathnawî, La Quête de l’Absolu, Livres
I à III, Rocher, 2004, p. 62.
19
Ibid.

37
Les sources islamiques de la psychanalyse

trouve là, chez Rûmî tout ce qui caractérise, avant


l’heure, la « découverte freudienne ». Il y a
absolument tout, y compris l’idée de placer la main
sur le patient. Voilà le véritable début de la
psychanalyse, la véritable scène inaugurale. On y
trouve, non seulement, le diagnostic pour distinguer
les maladies qui relèvent de la médecine générale et
les maladies qui relèvent de cet art particulier qui
sont liés, à la maladie du cœur, à l’amour, au
transfert. On y trouve également, cette nécessité de
s’isoler avec le patient pour le faire parler sur son
intimité. Le médecin de Rûmî est celui qui interroge,
qui pose des questions à son patient sur son passé,
sur ses relations, sur son enfance pour découvrir la
cause de son mal, et cela s’accompagne aussi d’un
geste qui consiste à poser la main sur le patient.

Mais alors, qu’est-ce qui oriente Lacan ?


Pour donner l’idée de ce qui oriente Lacan je me
contenterais également de citer Rûmî :

38
Les sources islamiques de la psychanalyse

Là où l’amour s’éveille, meurt le moi, le


sombre despote.

Toi, laisse mourir celui-ci dans la nuit.

Et respire librement dans l’aurore matinale


!

Ce passage on le trouve notamment dans


l’Encyclopédie des sciences philosophiques de
Hegel. Apparemment Hegel était beaucoup plus
honnête que Lacan, car lui au moins il citait ses
sources. Voilà ce qui témoigne de ce qui a réellement
influencé Lacan, dès le départ, dans la psychanalyse.
La première conception de la conclusion de la cure
de Lacan, que l’on trouve dans Variantes de la cure
type, c’est à Rûmî qui la doit. Dès les premières
années de son enseignement, c’est sur le modèle de
Rûmî, le model de l’obstacle, du voile narcissique
que Lacan cadre l’expérience analytique. Et là on
voit bien que son rapport à la psychanalyse n’est pas

39
Les sources islamiques de la psychanalyse

un rapport direct à Freud. Dès le début, il y a déjà


une prise de distance avec Freud. Lacan développe
une autre perspective à partir de la même source.

C’est la méthode comme telle de Rûmî qui


est reprise par Lacan. C’est chez Rûmî qu’il a trouvé,
dans cette mortification du moi, de quoi asseoir
l’opération analytique. C’est chez Rûmî, que Lacan
prend son départ pour penser l’expérience
analytique. Il prend son départ de la même source
que celle de Freud. Freud comme Lacan s’inspirent
de Rûmî. C’est Rûmî qui ouvre la voie, et qui
constitue une référence commune à Freud et à Lacan.
Néanmoins, si Lacan exploite la même source que
celle de Freud, il n’en fait pas la même lecture. Ce
qui intéresse Lacan plus particulièrement chez Rûmî,
c’est la mort du moi pour faire émerger le sujet.

Ce que l’on trouve dans Variantes de la cure-


type, c’est exactement la même méthode que chez
Rûmî. Cela consiste essentiellement à déconstruire
cette fausse croyance en l’autonomie du moi. C’est

40
Les sources islamiques de la psychanalyse

ce que Lacan appelle la subjectivation de la mort.20


Comme chez Rûmî, il faut en passer par la mort, il
faut mourir à soi-même, pour franchir le voile du
narcissisme. « Il nous faut savoir comment
combattre notre moi, en apparence intelligent et
conscient, comment éveiller la partie de nous-mêmes
de son sommeil de ce monde. Le plus grand voile qui
nous sépare de notre origine est le sentiment d’être
un existant indépendant… »21 C’est comme ça, que
Lacan est amené à concevoir la fin de l’analyse
comme une déconstruction du moi, en tant que ce
voile de l’autonomie fait écran la cause. C’est une
fois seulement dissipé le mirage de l’autonomie, que
l’on peut se mettre en rapport avec la cause, la
garantie. Le but de l'analyse est de défaire ce voile
narcissique, qui fait obstacle entre la cause et le sujet.
L'expérience analytique, comme chez Rûmî, est

20
Jacques Lacan, Ecrits I, Paris, Seuil,1966, p. 347.
21
Djalâl-Od-Dîn Rûmî, Mathnawî, La Quête de l’Absolu, Livres
I à III, Rocher, 2004, p. 17.

41
Les sources islamiques de la psychanalyse

alors constituée comme une régression vers l’ori-


gine, vers la vraie cause.

Dès la première conception de l’expérience


analytique de Lacan, on trouve donc cette
déconstruction des semblants, et c’est tout à fait
conforme à la profession de foi de l’islam. On voit
là, que la profession de foi de l’islam est déjà bien
enracinée dans la première conceptualisation de
l’expérience analytique. Le point de départ de Lacan
dans la psychanalyse, nous pouvons donc le référer
à l’islam. C’est sur la profession de foi de l’islam
qu’il se base dès ses premiers pas dans la
psychanalyse.

Cette méthode qui anime le premier


mouvement de l’enseignement de Lacan va rester
constante, c’est à partir d’elle que Lacan opère aussi
bien dans son dernier enseignement, mais d’une
manier plus radicale. A cet égard, c’est plutôt
l’expérience d’Al-Ghazâlî qui servira d’exemple à
l’expérience analytique.

42
Les sources islamiques de la psychanalyse

Pour le comprendre, là, c’est vers Al-mun-


qidh min al-dalal, La Délivrance de l’erreur, qu’il
faut se tourner. C’est dans ce texte, qu’Al-Ghazâlî
revient sur la dépression qu’il a traversé et comment
il en est sorti. Il explique notamment comment grâce
à la profession de foi de l’islam il est parvenu à
retrouver la foi, autrement dit, pour lui la guérison du
cœur. Al-Ghazâlî raconte qu’il n’a pu obtenir la
guérison qu’à la suite du rejet de toutes formes de
savoir. C’est une fois seulement la négation
accomplie sur les sens, sur l’imaginaire, sur la
théologie, sur la philosophie et sur les
mathématiques, qu’il est parvenu à sortir de la
dépression et à retrouver la foi. C’est une fois
seulement qu’il est parvenu à faire table rase de tout
ce que lui-même pouvait enseigner à Bagdad, qu’il a
pu retrouver la voie de la guérison. Il précise
notamment que cette voie essentielle n’est pas celle

43
Les sources islamiques de la psychanalyse

procède par le savoir, ou par l’argumentation,22 mais


celle qui procède par la négation et l’anéantissement.

C’est une méthode radicale qu’accomplit Al-


Ghazâlî, il rejette tout, il détruit tout, y compris son
propre égo, mais aussi le sujet supposé savoir.23 Il ne
croit plus à rien sauf au réel. C’est comme ça qu’il
arrive à retrouver la foi, la guérison du cœur. C'est
cette méthode-là que l’on retrouve au fondement de
la psychanalyse lacanienne. C’est également cette
même méthode que l’on retrouve chez Descartes, à

22
« « Ma guérison » n’est pas là le résultat de l’arrangement
convenable d’une démonstration ou de l’ordre systématique
établi à un discours, elle est due à la lumière que Dieu projeta
dans mon cœur (…) Celui qui considère que la découverte de
la vérité repose sur des arguments bien définis, limite
(souvent sans le savoir) l’amplitude de la Miséricorde
divine. » Al-Ghazâlî, La délivrance de l’erreur, Paris, Albouraq,
p. 33.
23
« Tu m’as d’abord demandé de te parler du profit que j’ai
tiré de la théologie (‘ilm al-kalâm), puis de ma répulsion pour
certaines méthodes adoptées par les partisans de
l’Enseignement d’Autorité (ahl al-ta’lîm) incapables de
parvenir à la vérité parce qu’ils se contentent de suivre
aveuglement leur guide spirituel. » Al-Ghazâlî, La délivrance
de l’erreur, Paris, Albouraq, p. 19.

44
Les sources islamiques de la psychanalyse

la différence que Descartes ne croit plus à rien, sauf


au cogito. Aussi Kant rejoint ici d'une certaine façon
Al-Ghazâlî, quand il dit : « Je devais donc supprimer
le savoir, pour trouver une place pour la foi. »24

Voilà ce qui me paraît indiquer, de la manière


la plus manifeste, l’orientation lacanienne. Dans Al-
munqidh min al-dalal, on trouve de la façon la plus
simple, la méthode Lacan. Nous avons là, les
coordonnées exactes de ce que Lacan appelle
l’expérience analytique. La méthode qui est au cœur
de l’enseignement de Lacan apparaît ici d’une façon
particulièrement claire. L’expérience analytique
implique toujours, d’une certaine façon, une
déconstruction de ce type-là. C’est simple et ça me
paraît, en plus particulièrement illuminant. Là, au
plus simple on arrive à saisir que c’est l’islam qui
oriente Lacan et non pas Freud.

24
Kant, Critique de la raison pure, Paris, Gallimard, 1980, p.
54.

45
Les sources islamiques de la psychanalyse

Par contre on pourrait croire que c’est


Descartes, car Lacan va plutôt mettre en avant «
l’acte cartésien lui-même, en tant qu’il est un acte.
Ce qui nous en est rapporté et dit, c’est précisément
à le dire qu’il est acte, c’est de ce point où s’achève
une mise en suspens de tout savoir possible, que ce
soit là ce qui assure le je suis. » 25 Il va mettre en
avant le cogito « j’ai essayé pour vous de le focaliser
autour d’une certaine conception de ce qu’est
l’expérience du cogito cartésien. »26 Pourtant ce qui
fait la particularité de l'enseignement de Lacan, c'est
bien plutôt l'effort de déconstruire le cogito
cartésien. Voilà ce qu’il peut écrire par exemple dans
La logique du fantasme : « car il est bien certain que
ce cogito cartésien, ce n’est même pas chose à dire,
que de remarquer que je ne l’ai pas choisi au hasard,

25
Jacques Lacan, L'acte psychanalytique, Version numérique,
Séminaire non publié, p. 99.
26
Jacques Lacan, Les problèmes cruciaux pour la
psychanalyse, version numérique, séminaire non publié,
p.211.

46
Les sources islamiques de la psychanalyse

c’est bien parce qu’il se présente comme une aporie,


une contradiction radicale au statut de l’inconscient,
que tant de débats ont déjà tourné autour de ce statut
prétendu fondamental de la conscience de soi. Mais
s’il se trouvait, après tout, que ce cogito se présente
comme étant exactement le meilleur envers qu’on
puisse trouver, d’un certain point de vue, au statut de
l’inconscient. » 27 Quitte à se contredire, Lacan
préfère citer Descartes qu’Al-Ghazâlî. C’est
Descartes qui va occuper le devant de la scène, il va
mettre en valeur Descartes, mais il va laisser Al-
Ghazâlî dans l’ombre. C’est pourquoi Descartes
semble être ici la référence essentielle, mais ce qui
se poursuit plus secrètement, c'est bien plutôt
l’expérience d’Al-Ghazâlî.

Le schéma essentiel à partir de quoi Lacan


construit l’expérience analytique c’est un schéma
que l’on trouve déjà dans la tradition islamique. Ce

27
Jacques Lacan, La logique du fantasme, version numérique,
Association lacanienne internationale, p. 95.

47
Les sources islamiques de la psychanalyse

n’est pas chez Freud ou chez Descartes, c’est dans la


tradition islamique que Lacan trouve l’exemple
majeur de l’expérience analytique. L’expérience
paradigmatique pour Lacan c’est celle de la tradition
islamique. C’est sur elle que se fonde l’expérience
analytique. Il n’y a pas que Freud derrière Lacan, il
y a surtout Al-Ghazâlî et Djalâl-Od-Dîn Rûmî.

La psychanalyse, pour l’apprécier, il faut


d’abord la réinscrire à sa juste place. Il faut d’abord
reconnaitre que les conditions historiques de la
psychanalyse ne s'élaborent pas à la fin du XIXe
siècle, mais dès le XIIe siècle. Il faut d’abord la
rattacher à la tradition d’où elle provient. C’est que
la psychanalyse tient à une très vieille tradition où
elle doit être réinscrite. C’est dans la tradition
islamique, c’est là où il faut replacer la psychanalyse
pour la situer correctement.

Cette perspective nous donne un autre point


de vue sur l’histoire de la psychanalyse. C’est un
point de vue différent de celui qui a été diffusé. Mais

48
Les sources islamiques de la psychanalyse

cet autre point de vue permet de mieux comprendre


d’où vient la psychanalyse et d’où vient
l’enseignement de Lacan. Revenir à l’islam, c’est
revenir à la tradition originelle qui est au fondement
de la psychanalyse freudienne, mais qui est aussi
bien au fondement de l’enseignement de Lacan, qui
lui aussi est redevable de cette même tradition. Il n’y
a pas de véritable rupture, ni de véritable révolution.
Lacan, pas plus que Freud, n’ont été en fait des
révolutionnaires.

Ce qui inspire Lacan ce n’est pas Freud, c’est


bien plutôt la tradition islamique. Lacan est surtout
guidé par ce que l’islam lui enseigne. Il n’est pas si
freudien que ça, il s’inspire beaucoup plus de l’islam
qu’on le pense. Même si elle est souterraine, l’islam
est une référence centrale. Si on veut bien un instant
ouvrir les yeux sur l’orientation lacanienne, sur la
logique qu'elle comporte, on s’aperçoit très vite de
ce qu'elle a de commun avec l’orientation islamique.
L’islam, voilà le véritable point d'appui de Lacan à

49
Les sources islamiques de la psychanalyse

partir duquel il construit son enseignement. C'est là


sa véritable référence. On n’arrive pas à comprendre
Lacan, parce que justement cette référence-là n'a
jamais été livrée par lui. Il a même tout fait pour nous
en refuser l’accès. L’islam au cœur de la
psychanalyse est tout à fait essentiel à saisir, sans
quoi on ne comprend pas grand-chose. Il est certain
que tant qu’on ne dispose pas de cette référence-là,
son enseignement restera en grande partie
hermétique.

Si l’on veut saisir ce qui anime cet


enseignement, le point clé de cet enseignement, c’est
dans la profession de foi de l’islam qu’on le trouve.
C’est là que l’on trouve l’axiome de cet
enseignement, le fondement, la base. A travers la
profession de foi de l’islam on peut, en effet, résumer
la réflexion de Lacan concernant l’expérience
analytique. A partir d’elle, on peut dégager, le
principe, la méthode Lacan. La méthode Lacan, dans
son ordonnancement est exactement similaire à la

50
Les sources islamiques de la psychanalyse

profession de foi de l’islam. On retrouve exactement


la même logique à l’œuvre. Cela repose sur la
négation des semblants, sur la déconstruction des
obstacles, pour arriver à un réel. On retrouve cette
même méthode à l’œuvre quelles que soient les
différentes élaborations de Lacan. Il en fait usage de
manière constante.

51
Les sources islamiques de la psychanalyse

52
Chapitre 2

La méthode lacanienne

Dès le départ chez Lacan, quand il introduit


la notion de sujet pour la distinguer du moi, on trouve
déjà cette méthode de déconstruction. Il y a un
obstacle entre le sujet et le symbolique et il faut
arriver à le franchir. Ce qui fait obstacle c’est
l’imaginaire, la garantie, elle, se situe du côté du
symbolique. L’imaginaire est comme un voile
interposé entre le sujet et le symbolique. Il faut donc
déconstruire l’obstacle, faire la négation sur
l’imaginaire, pour se mettre en rapport avec le
La méthode lacanienne

symbolique. C’est ce que représente le schéma L28


de Lacan. Sur ce schéma on trouve deux axes, ils
sont présentés, par Lacan, en travers l’un de l’autre.
L’axe imaginaire est présenté comme en travers de
l’axe symbolique, comme un obstacle, comme un
voile à l’élaboration symbolique.

Si on pose la question qu’est-ce qui est la


garantie à ce moment de l’enseignement de Lacan ?
La réponse c’est : Le symbolique. Ce qu’il faut donc
isoler comme garantie dans le premier enseignement
de Lacan, c’est le symbolique, dans son opposition à
ce qu’il s’agit de traverser, de déconstruire comme
obstacle, à savoir l’imaginaire. Le symbolique c’est
la garantie et l’imaginaire c’est le semblant.
L’imaginaire n’est, au regard du symbolique «
qu’ombres et reflets. »29 Dès sa première conception
de l’expérience analytique, on retrouve déjà ce

28
Jacques Lacan, Ecrits I, Paris, Seuil, 1966, p. 53.
29
Jacques Lacan, Ecrits I, Paris, Seuil, 1966, p. 11.

54
La méthode lacanienne

procédé qui consiste à déconstruire des semblants


pour se mettre en rapport avec la garantie.

Dès que son enseignement commence,


l’imaginaire est associé au moi, et c’est ce qui fait
barrière dans l’expérience, c’est ce qui s’interpose,
voile, empêche, le lien du sujet au symbolique. Ce
qui distingue fondamentalement le sujet de
l’inconscient du moi imaginaire, c’est que le sujet
renvoie à la dépendance, alors que le moi renvoi à
l’autonomie. Déjà là on voit bien que ce qui pose
problème, ce n’est pas la dépendance du sujet, mais
l’autonomie du moi.

Dans le tout premier enseignement de Lacan,


le voile, l’obstacle, est propre à l’imaginaire, et en
revanche, le symbolique, le grand Autre est
considéré comme la cause, la garantie. Il s’agit de
parvenir, au-delà de cette fausse croyance à
l’autonomie du moi, à se mettre en rapport avec la
garantie. « La solution est à chercher d’un autre côté,
du côté de l’Autre, distingué par un grand A, sous le

55
La méthode lacanienne

nom de quoi nous désignons une place essentielle à


la structure du symbolique. » 30 Lacan va situer
d’abord l’issue du côté du symbolique, autrement
dit, du côté du grand Autre, en tant qu’il est celui de
la Bonne Foi, celui qui ne trompe pas.

Par rapport à l’ego psychology, qui se centre


avant tout sur l’autonomie du moi, Lacan s’en
distingue en mettant en valeur la dépendance du sujet
au grand Autre. Le grand Autre, étant ici, le lieu de
la cause, de la garantie. Lacan saisit au fond
l’imaginaire comme un voile, entre le sujet et le
grand Autre et ça prescrit à la pratique analytique,
conformément à ce que prescrit Rûmî, la visée de
réduire le voile du moi pour dégager la dépendance
au grand Autre.

On retrouve se même procédé dans Variantes


de la cure-type. A l'autonomie du moi répond la

30
Jacques Lacan, Ecrits I, La psychanalyse et son
enseignement, Paris, Seuil, 1966, p. 451.

56
La méthode lacanienne

subjectivation de la mort.31 Ce que Lacan appelle la


subjectivation de la mort, c’est la destruction du moi.
Il faut en passer par la mort pour franchir le voile du
moi. C’est pourquoi il conçoit la fin d’analyse, en
termes de renaissance du sujet. La renaissance
suppose un mourir à soi-même. Elle suppose la
destruction du moi, pour renaître en tant que sujet.
Cette thèse, il faut bien rappeler d'où elle vient à
Lacan, ça vient de Rûmî. Le voile du moi et la mort
du moi, ce sont des métaphores qui sont celles de
Rûmî.

Quand Lacan, plus tard, articule la fin de


l’analyse à partir de la désidentification phallique,32
à partir du renoncement à se prendre pour le phallus,
on peut dire que l’on retrouve toujours là la même
méthode.

31
Jacques Lacan, Ecrits I, Paris, Seuil,1966, p. 347.
32
Jacques Lacan, Le séminaire, L’angoisse, Paris, Seuil, 2004,
p. 128.

57
La méthode lacanienne

C’est également à partir de cette même


logique que Lacan, dans L’éthique de la
psychanalyse, signale l’existence de deux barrières,
au regard du réel, qui correspondent à la fonction du
bien33 et du beau.34

Avec le fantasme, nous retrouvons une


nouvelle version de cette même méthode. 35 Le
fantasme est considéré comme un obstacle à franchir
pour accéder à la garantie, d'où la notion de traversée
du fantasme. « L’expression de traversée du
fantasme ne prend sa valeur que de ce qu’il y a une
barrière. »36 Il s’agit de penser le fantasme comme
une barrière qu’il s’agit de traverser. Le fantasme en

33
Jacques Lacan, L’éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil,
1986, p. 257.
34
Jacques Lacan, L’éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil,
1986, p. 271.
35
Jacques Lacan, Tous écrits, Proposition sur le psychanalyste
de l’école, version numérique, p. 254.
36
Jacques Alain Miller, Cours 1982-1983, Du symptôme au
fantasme, version numérique, p. 93.
http://jonathanleroy.be/2016/02/orientation-lacanienne-
jacques-alain-miller/

58
La méthode lacanienne

lui-même est une construction qu’il s’agit de


déconstruire. Il remplit la même fonction de barrière,
de voile, que le moi. Qu’est-ce qu’ils ont de commun
le moi et le fantasme ? Ce qu’ils ont de commun,
c’est qu’ils sont des semblant, des semblants d’être,
des semblants d’identité, de liberté, d’autonomie.

Qu’il s’agisse de régression imaginaire, de


mortification, de désidentification, de traversée du
fantasme, ou de chute du sujet supposé savoir, toutes
ces différentes expressions se rapportent à une seule
et même méthode. Ce que Lacan appelle la chute du
sujet supposé savoir n’est qu’une autre variante de
cette même méthode de déconstruction. Il faut savoir
que le psychanalyste en lui-même n’est qu’un
semblant. Il n’est là que comme artifice, nécessaire à
l'expérience. A la fin de l’analyse, une négation doit

59
La méthode lacanienne

s’appliquer sur le sujet supposé savoir. Il doit chu-


ter37 pour ne plus faire écran à la cause, à la garantie.

Si on compare les époques différentes de


l’enseignement de Lacan, on se rend compte que
c’est toujours la même méthode qui est reprise. On
retrouve partout le même procédé qui se répète. Cette
récurrence suffit à éclairer les choses, et à montrer
qu’il y a bien un fil que suit Lacan de séminaires en
séminaires. Il est toujours question de déconstruction
pour accéder à la garantie. Il y a chaque fois des
configurations un peu différentes, mais elles
obéissent toujours à la même logique. Nous avons à
chaque fois des termes un peu différents, mais la
méthode reste la même. Tout cela, au fond, fait écho
à la profession de foi de l’islam.

Sous des formes différentes, la profession de


foi de l’islam est visiblement présente tout au long

37
Jacques Lacan, L'acte psychanalytique, version
numérique, séminaire non publié, p. 87.

60
La méthode lacanienne

de son enseignement. On voit bien que le


soubassement de sa réflexion c’est la profession de
foi de l’islam. On voit bien qu’au fond c’est sa
grande thèse. Il y a bien entre les différentes
élaborations de Lacan une continuité. Et qui repose
sur quoi ? Sur la profession de foi de l’islam. C’est
là que se trouve le véritable ressort de l’expérience
analytique. Ce qui fait contraste avec les différences
élaborations de Lacan, c’est la permanence d’une
même méthode, une méthode qu’il a puisé dans la
tradition islamique.

Au fond de l’enseignement de Lacan, il y a


bien une logique, et cette logique est tout à fait
conforme à la profession de foi de l’islam. On
retrouve la profession de foi de l’islam à l’œuvre
quelles que soient les différentes élaborations de
Lacan. C’est de cette façon qu’il faut aborder
l’expérience analytique. Si l’on veut saisir la logique
qui anime cet enseignement, c’est dans la profession
de foi de l’islam qu’on la trouve. Comme dans

61
La méthode lacanienne

l’islam, il s’agit de négation sur les semblants pour


atteindre la garantie. C’est simple, ça permet de
situer cet enseignement dans une continuité, ça lui
enlève son côté obscur, et ça permet également
d’indiquer dans quelle tradition il s’inscrit, et
comment il peut se lire.

62
Chapitre 3

La destruction du cogito

La tradition islamique sert de manuel à


l’enseignement de Lacan. Lacan s’en sert, pour la
direction de l’expérience analytique, mais il s’en sert
aussi pour le concept de sujet. Ce qui est aussi
islamique chez Lacan c’est sa conception du sujet.
Le concept de sujet qu’introduit Lacan dans la
psychanalyse n’est pas du tout un concept freudien.
Le concept de sujet tel qu’on le trouve dans
l’enseignement Lacan, c’est un concept qui a déjà été
problématisé, par Ibn Sînâ et Ibn Rushd.
La destruction du cogito

Le mieux, sans doute, pour aborder cette


question, est de prendre en compte ce que Alain de
Libera appelle la translatio studirum, car, en effet,
on oublie trop souvent que « c’est Avicenne, non
Aristote, qui a initié l’occident à la philosophie. »38
Il ne faut surtout pas oublier comme le rappelle Alain
de Libera que quand Maître Eckhart dit que l’homme
« n’est rien en lui-même »39 que c’est pour dire la
même chose qu’Ibn Sînâ, et quand Albert le Grand
affirme que l’homme n’est que pur néant, que c’est
encore pour dire la même chose qu’Ibn Sînâ : «
Avicenne dit et prouve que tout ce qui est néant est
de lui-même néant : si en effet il était de lui-même
quelque chose, il ne dépendrait pas d’un autre selon
l’être… »40 Et quand Lacan parle du manque d’être,
lui aussi, en fait, ne fait que reprendre la thèse de Ibn

38
Alain de Libera, Penser au Moyen Age, Paris, Seuil, 1980,
p.91.
39
Alain de Libera, Métaphysique et noétique Albert le Grand,
Paris, Vrin, 2005, p. 97.
40
Alain de Libera, Métaphysique et noétique Albert le Grand,
Paris, Vrin, 2005, p. 97.

64
La destruction du cogito

Sînâ. Il n’y a rien de nouveau. Le terme lacanien de


manque d’être procède en fait de ce manque d'être de
Ibn Sînâ. Il faut bien s’en apercevoir, « l’affirmation
que la créature prise en elle-même ne contient que
néant (in se absolue habet non esse), qu’elle est en
puissance non-étant, ou plutôt qu’elle est non-étant
en tant qu’elle a puissance à ne pas être, est une
adaptation de certaines thèses patristiques,
instrumentalisée par des doctrines philosophiques
précises, dérivées d’Avicenne. »41

En effet, dans La Métaphysique du Sifhâ’,


nous dit Ibn Sînâ, hormis l’Etre nécessaire,
autrement dit la cause, « les quiddités de toutes les
autres choses, comme tu le sais, ne méritent pas
l’être. Mais au contraire par elles-mêmes, abstraction
faite de leur relation à l’Etre nécessaire, elles
méritent le non-être. C’est pourquoi toutes en elles-

41
Alain de Libera, Métaphysique et noétique Albert le Grand,
Paris, Vrin, 2005, p. 97.

65
La destruction du cogito

mêmes sont fausses et leur vérité est par lui. » 42


Aussi pour Ibn Sînâ « Tout ce qui a une quiddité a
un creux, une cavité, qui est cette
quiddité ; » 43 autrement dit, tout ce qui a une
quiddité a une forme féminine ; en tant qu’elle est
conçue pour recevoir l’être, qui ne peut lui venir que
de l’Un, « du seul Être qui soit Samad, c’est-à-dire
impénétrable, massif, et sans aucun creux. »44

C’est lui, également, qui le premier distingue


l’essence de l’existence. Distinction à laquelle il faut
absolument se former pour lire correctement Lacan.
Impossible de s’y retrouver dans l’enseignement de
Lacan sans distinguer l’essence de l’existence.

42
Avicenne, La Métaphysique du Shifâ’, Livres de VI à X, Paris,
Vrin, p. 95.
42
Cf. Amélie-Marie Goichon, La distinction de l’essence et de
l’existence d’après Ibn Sînâ, Paris, Desclée de Brouwer, 1937,
p. 144.
43
Ibn Sînâ, commentaire de la Sourate As-samadiya, cité par
Amélie-Marie Goichon, La distinction de l’essence et de
l’existence d’après Ibn Sînâ, Paris, Desclée de Brouwer, 1937,
p. 147.
44
Ibid.

66
La destruction du cogito

Commentant un des versets du coran, et notamment


le verset 2 ; 255 « Dieu seul est celui qui est, le
vivant, qui subsiste par lui-même. » Ibn Sînâ en vient
à conclure que l’essence et l’existence se distinguent
dans l’être crée en général mais qu’elles s’identifient
en Dieu. Cette distinction entre essence et existence,
aboutit en dernière analyse, à la distinction entre la
cause et l’effet, entre le créateur et la créature, entre
le vrai Être et le faux être. Seul le créateur, l’Être
nécessaire, dispose d’une essence qui se confond
avec son existence, quant à la créature, elle, elle n’a
pas d’être, pas d’essence propre, elle tire son
existence d’un Autre qu’elle-même, c’est un faux
être, un non-être. C’est ce qui fait notamment que
l’homme, pour Ibn Sînâ, n’a pas d’essence propres,
mais seulement une existence.

Il faut aussi savoir que Ibn Sînâ est le premier


à définir la vérité comme adéquation de la parole à
la chose. Néanmoins, ce qui est avant tout décisif
chez lui c’est cette vérité comme cause, cette vérité

67
La destruction du cogito

qui touche au réel, et c’est pourquoi seul l’Être né-


cessaire, El-haq, « est la Vérité en soi, » et que « tout
ce qui est autre que l’Être nécessaire est faux en soi.
»45 La vérité ça ne peut être que Dieu, car Dieu seul
est l’agent, la cause, la source, mais l’homme, lui,
n’est qu’une sorte de niche, qu’un réceptacle vide,
un faux être. Par conséquent, pour lui, seul l’Être
nécessaire peut dire « Je. »46

On voit mieux à partir de là ce qui ordonne la


perspective Lacan. On comprend mieux pourquoi, le
sujet, Lacan le conçoit comme un manque-à-être,
comme le négatif de tout ce qui l’être, comme une
non-essence. Quand Lacan nous dit qu’il n’y a pas
d’essence de l’homme, ce n’est en fait qu’une reprise
de la thèse d'Ibn Sînâ. Cette distinction entre essence

45
Amélie-Marie Goichon, La distinction de l’essence et de
l’existence d’après Ibn Sînâ, Paris, Desclée de Brouwer, 1937,
p. 36.
46
Amélie-Marie Goichon, La distinction de l’essence et de
l’existence d’après Ibn Sînâ, Paris, Desclée de Brouwer, 1937,
p. 42.

68
La destruction du cogito

et existence de Ibn Sînâ, c'est bien sur quoi Lacan


s'est appuyé dans son enseignement. C'est dans La
Métaphysique de Sifha’, qu'il a trouvé de quoi con-
cevoir le sujet de la psychanalyse.

« L'existence précède l'essence » de Sartre


n’est qu’une autre version de la thèse d’Ibn Sînâ.
Avec le recul, on finit aussi par constater
qu’Heidegger, lui aussi, s’est beaucoup appuyé sur
La Métaphysique du Shifa’. La source commune à
Heidegger à Sartre et à Lacan, c’est Ibn Sînâ et sa
Métaphysique du Shifa’.

Le « retour à Freud » de Lacan n'est pas tout


à fait un retour à Freud. Je crois que ce slogan a
recouvert ce dont il s'agit vraiment. La thèse de
Lacan, la thèse scandaleuse, comme quoi le sujet est
divisé, est en fait une thèse de Ibn Rushd. C’est par
là que Lacan on viendra à reconnaître que le sujet
n’est que division, qu’il ne se constitue
primordialement que comme divisé. La remise en
question du moi comme agent de l’unité psychique,

69
La destruction du cogito

Lacan l’a emprunté à Ibn Rushd. « C’est lui qui porte


le coup de cette première blessure narcissique faite à
47
l’humanité. » A cet égard, on peut dire la
conception de sujet chez Lacan a deux références
essentielles, Ibn Sînâ pour le manque d’être et Ibn
Rushd pour la division du sujet. Quand Lacan
formule le « ça pense, » il ne fait que reprendre la
thèse de Ibn Rushd. En effet pour Ibn Rushd le sujet
n'est pas maître de sa propre pensée, il y a quelque
chose d'autre qui le fait penser. D’après lui c'est
l'intellect unique et séparé, commun à tous les
hommes qui pense en moi quand je pense, autrement
dit, « ça pense en moi. »

S'il y a un point tout à fait décisif, dans la


thèse de Ibn Rushd c’est bien la division du sujet
entre l’intellect agent et l’intellect matériel. Voilà par
exemple ce qu’il peut écrire dans son commentaire
sur le De anima d’Aristote : « Tu dois savoir que le

47
Jean- Baptiste Brenet, Averroès l’inquiétant, Paris, Les
belles lettres, 2015, p. 11.

70
La destruction du cogito

rapport de l’intellect agent à cet intellect est comme


le rapport de la lumière au diaphane et que le rapport
des formes matérielles à cet intellect est comme celui
de la couleur du diaphane. De même, en effet, que la
lumière est la perfection du matériel. Et de même que
le diaphane n’est pas mû par la couleur ne revoit par
les intelligibles qui sont ici-bas sinon en tant qu’il est
parfait par cet intellect et qu’il est illuminé par lui. Et
de même que la lumière fait passer la couleur de la
puissance à l’acte pour qu’elle puisse mettre en
mouvement le diaphane, de même l’intellect agent
fait passer à l’acte les « intentions » intelligibles en
puissance pour que l’intellect matériel les reçoives.
Voilà comment il faut entendre ce que sont l’intellect
matériel et l’intellect agent. »48Tel que le diaphane
qui ne voit pas, qui n’est qu’un récepteur, de même
l’homme n’est pas cela même qui pense, mais ça
pense en lui.

48
Averroès, L’intelligence et la pensée, Paris, Flammarion,
1998, p. 80.

71
La destruction du cogito

Il faut savoir que cette thèse de la division du


sujet inaugurée par Ibn Rushd, c'est la thèse sur quoi
se fonde l’enseignement de Lacan. Elle va marquer
de manière irrémédiable sa conception du sujet.
C’est pourquoi, pour lui « ce qui est de la nature
même du sujet humain, s'il n'est plus un sujet divisé,
il est fou. » 49 A l'instar de Ibn Rushd, ce qu'il
considère comme étant au fondement du sujet, c'est
la division et non l'identité. C'est vraiment le point
d'appui de Lacan. La division du sujet c'est le
concept fondamental qui va le conduire à passer de
la psychiatrie à la psychanalyse. C'est la thèse qui va
influencer tout son enseignement. C’est la voie qu’il
va prendre et qu’il ne quittera plus.

Dans la genèse du sujet moderne, Ibn Rushd


occupe une place centrale, car c’est contre cette thèse
que « ça pense en moi » que s’est développée la
conception de l’homme comme agent de sa pensé. «

49
Jacques Lacan, Les formations de l'inconscient, Paris, Seuil,
1998, p. 431.

72
La destruction du cogito

Ce n’est pas chez Ibn Rushd, mais contre Averroès,


puis contre les averroïstes, puis chez eux, en réponse
aux critiques, que s’est surtout élaborée la
problématique de l’homme comme sujet agent de la
pensée. » 50 L’histoire du sujet moderne est donc
fondée sur le rejet de la thèse de Ibn Rushd, et c’est
comme ça qu’on arrive au « je pense donc je suis »
de Descartes. « C’est Thomas qui, le premier, pointe
l’exigence de la voix active contre la transformation
passive à laquelle Averroès était censé vouloir
soumettre chaque homme qui parle et qui pense. Hic
homo intelligit. Je ne suis pas pensé. Je pense. Nous
pensons. Tel est le credo, on ne peut plus « moderne
» parce qu’anti-averroïste, de Thomas. » 51 Son
œuvre L’unité de l’intellect, contre Averroès,
s’ouvre ainsi : « Cela fait quelque temps qu’une
erreur sur l’intellect a commencé à se répandre. Elle

50
Alain de Libera, Archéologie du sujet, La Double Révolution,
Paris, Vrin, 2014, p. 245.
51
Alain de Libera, Archéologie du sujet, La Double Révolution,
Paris, Vrin, 2014, p. 247.

73
La destruction du cogito

tire son origine des thèses d’Averroès, qui tente de


soutenir que l’intellect « … » est une substance
séparée du corps selon l’être, qui n’est d’aucune
façon unie au corps comme forme. » 52 D’après
Thomas l’intellect, par quoi l’homme est homme
n’est plus chez Averroès en l’homme, il est au
dehors, il lui est retiré. L’homme rushdien n’est pas
le sujet agent de la pensée, il n’est que le fournisseur
d’images ou de phantasmes pour l’intellect agent. Le
constat de Thomas est clair : l’homme selon
Averroès n’intellige pas, il ne pense pas, il est pensé.
« le couplage de l’intellect possible avec l’homme en
qui sont les images dont les espèces sont dans
l’intellect possible est comme le couplage du mur,
dans lequel est la couleur, et de la vue, dans laquelle
est l’espèce de sa couleur. « Si donc il y avait ce
couplage, » de même que le mur ne voit pas, mais
que sa couleur est vue, il en résulterait que l’homme

52
Thomas d’Aquin, Contre Averroès, Paris, Flammarion, 1994,
p. 77.

74
La destruction du cogito

ne penserait pas, mais que ses images seraient


pensées par l’intellect possible. Il est donc bien
impossible de sauver la thèse que cet homme-ci
pense si l’on adopte la position d’Averroès. »53

C’est cette même polémique anti-Ibn Rushd


que l’on va retrouver chez Descartes. Descartes ne
fait, d’une certaine façon, que poursuivre le combat
de Thomas d’Aquin contre la thèse de Ibn Rushd. Il
faut le savoir, c’est contre Ibn Rushd, à l’instar de
Thomas D’Aquin, que Descartes utilise le cogito. Le
cogito Descartes l’emprunte à Saint Augustin et
l’utiliser contre le sujet rushdien. Le cogito cartésien
est précisément l’anti-sujet rushdien, puisqu'il
stipule que la pensée appartient au sujet, qu’elle est
la propriété du sujet, qu’elle vient du sujet. C'est de
cette façon que s’élabore le sujet moderne en
philosophie, le sujet comme agent de sa pensé. « Ce
qui (…) définit intrinsèquement la modernité, c’est

53
Thomas d’Aquin, Contre Averroès, Flammarion, Paris, 1994,
p. 141.

75
La destruction du cogito

sans doute la manière dont l’être humain s’y trouve


conçu et affirmé comme la source de ses
représentations et de ses actes, comme leur
fondement ou encore comme leur auteur. »54

On peut dire que ce que comporte le cogito


de Descartes est avant tout la suppression de la
division du sujet. Le cartésianisme, c’est une
réaction à la division du sujet, c’est une lutte, une
guerre contre la théorie d’Ibn Rushd. L’argument du
pilote et du navire est essentiellement utilisé contre
la thèse rushdienne : « La nature m'enseigne aussi,
par ces sentiments de douleur, de faim, de soif, etc..,
que je ne suis pas seulement logé dans mon corps,
ainsi qu'un pilote en son navire, mais, outre cela, que
je lui suis conjoint très étroitement, et tellement
confondu et mêlé que je compose comme un seul
tout avec lui. »55 L’argument du pilote et du navire

54
Alin Renault, L’individu. Réflexion sur la philosophie du
sujet, Paris, Hatier, 1998, p. 6.
55
René Descartes, Méditations métaphysiques, méditation
sixième, Paris, Flammarion, 1992, p. 193.

76
La destruction du cogito

est un classique, on le trouve déjà chez Ibn Rushd :


« Par-là, Alexandre infirme ( la thèse) affirmant que
parmi les perfections premières de l’âme il y a une
perfection séparée, comme on le dit du pilote et du
navire, … » 56 On le retrouve aussi chez Thomas
d’Aquin contre Ibn Rushd : « Donc, une fois établi
que l’âme est caractérisée par l’activité végétative,
sensitive, intellective et par le mouvement, il
entreprend de montrer que, dans toutes ces parties,
l’âme n’est pas unie au corps comme le pilote au
navire, mais comme une forme. »57

Ce qui est plus étonnant, c’est que, par


ailleurs, Descartes, quitte à se contre dire, reprend
l’argument de « l’homme volant »58 d’Ibn Sînâ pour
s’opposer à Ibn Rushd. Cette fiction qui sert, au

56
Averroès, L’intelligence et la pensée, Flammarion, Paris,
1998, p. 66.
57
Thomas d’Aquin, Contre Averroès, Flammarion, Paris, 1994,
p. 87.
58
Etienne Gilson, Les sources gréco-arabes de l’Augustinisme
avicennisant, Paris, Vrin, 1981, p. 41.

77
La destruction du cogito

départ, à Ibn Sînâ à montrer l’existence de l’âme


comme séparée du corps, Descartes la reprend
comme argument pour combattre les partisans de la
thèse rushdienne : Voici cette fiction, supposons, dit
Ibn Sînâ, « que l’un de nous soit créé d’un coup et
crée parfait. Mais ses yeux sont voilés et ne peuvent
voir les choses extérieures. Il fut créé dans l’air, (ou
plutôt) dans le vide afin que ne le heurtât pas la
résistance de l’air qu’il pourrait sentir. Ses membres
sont séparés, donc ne se rencontrent pas ni ne se
touchent. Puis il réfléchit et se demande si sa propre
existence est prouvée. Sans avoir aucun doute, il
affirmerait qu’il existe ; malgré cela il ne prouverait
pas ses mains ni ses pieds, ni l’intime de ses
entrailles, ni un cœur ni un cerveau, ni aucune chose
extérieure, mais il affirmerait qu’il existe, sans
établir qu’il a une longueur, une largeur, une
profondeur (…) Il ignorerait l’existence de tous ses
membres, mais saurait que l’existence de son « je »,

78
La destruction du cogito

de sa anniya, est quelque chose. »59 Cet argument de


« l’homme volant » Descartes le reprend et l’utilise
contre Ibn Rushd. «… , et voyant que je pouvais
feindre que je n’avais aucun corps, et qu’il n’y avait
aucun monde ni aucun lieu où je fusse ; mais que je
ne pouvais pas feindre pour cela que je n’étais point
; et qu’au contraire, de cela même que je pensais à
douter de la vérité des autres choses, il suivait très
évidemment et très certainement que j’étais ; au lieu
que, si j’eusse seulement cessé de penser, encore que
tout le reste de ce que j’avais imaginé eût été vrai, je
n’avais aucune raison de croire que j’eusse été ; je
connus de là que j’étais une substance dont toute
l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui,
pour être, n’a besoin d’aucun lieu, ni ne dépend
d’aucune chose matérielle. En sorte que ce moi,

59
Amélie-Marie Goichon, La distinction de l’essence et de
l’existence d’après Ibn Sînâ, Paris, Desclée de Brouwer, 1937,
p. 14.
Etienne Gilson, Les sources gréco-arabes de l’Augustinisme
avicennisant, Paris, Vrin, 1981, p. 40.

79
La destruction du cogito

c’est-à-dire l’âme, par laquelle je suis ce que je suis,


est entièrement distincte du corp. »60

Ce qu’il faut voir également, c’est que


Descartes emploi exactement la même méthode
qu’Al-Ghazâlî. Il suffit de comparer Al-munqidh min
al-dalal avec Les Méditations Métaphysiques pour
se rendre à l’évidence.

Bien avant Descartes, Al-Ghazâlî, s’engage


dans une entreprise de refondation de la science,
déconstruit, met en doute, toutes les différentes
méthodes de son époque prétendant à la certitude. Il
revient d’abord sur son enfance et ses années
d’études. Il raconte que très jeune, il avait déjà une
grande soif de connaissance, qu’il a acquis dans sa
jeunesse une certaine quantité de connaissances qu’il
considérait alors comme certaines, mais que toutes
ces connaissances qu’il a hérité dans son enfance ont

60
René Descartes, Discours de la méthode, Paris, Flammarion,
2016, p. 67.

80
La destruction du cogito

fini par se briser. Il aurait pu en effet s’arrêter là, et


conclure que l’esprit humain ne peut atteindre
aucune certitude. Mais au contraire, « mu par une
force intérieure » 61 , il décide de poursuivre. Ne
pouvant se satisfaire de cette incertitude, il décide de
faire table rase du passé, de tout déconstruire, pour
tout recommencer et reconstruire la science sur des
bases solides. « Je me suis dit alors : c’est sur la
réalité des choses que je dois enquêter. Il mettait
donc indispensable de connaitre (d’abord) l’essence
véritable de la science et c’est alors qu’il m’apparut
clairement que la science certaine était celle dont
l’objet de connaissance se dévoilait sans être
entachée de doute et sans qu’aucune possibilité
d’erreur et d’illusion ne puisse s’y associer, et sans
que le cœur puisse contempler une telle éventualité.
(…) C’est ainsi que je compris que toute chose
(prodigieuse) que j’ignorais et dont je n’avais aucune
cognition certaine relevait d’une science peu fiable

61
Al-Ghazâlî, La délivrance de l’erreur, Paris, Albouraq, p. 25.

81
La destruction du cogito

et incertaine, et toute science qui manque de fiabilité


ne peut être une science certaine. »62

Dans son entreprise de refondation de la


science, Al-Ghazâlî commence tout d’abord par
mettre en doute les connaissances issues de ses sens.
« Faisant appel à toute mon énergie, je me mis à
réfléchir sur les choses perçus par le sens et sur les
vérités nécessaires, et s’il m’était possible de faire
surgir en moi quelques doutes à leur sujet. Le doute
persistant ébranla l’assurance que j’avais en les
choses perçues par le sens. Il s’insinua si
profondément en moi que je finis par me dire :
comment se fier à des choses sensibles alors que la
vue, l’un des principaux sens, lorsqu’elle fixe une
ombre, la voit figée, immobile et la déclare privée de
mouvement ? Après une heure d’observation, la vue
réalise la mobilité de cette ombre qui en fait se
déplace, non pas instantanément ni d’un trait mais

62
Ibid.

82
La destruction du cogito

progressivement, doucement, de manière à ce qu’elle


ne soit jamais immobile. Et encore, l’œil observe une
étoile et la voit aussi petite qu’une monnaie d’or,
puis les calculs géométriques démontrent que cet
astre est en fait bien plus grand que la terre. »63

Il met ensuite en doute l’imaginaire, et c’est


là qu’il prend en exemple le rêve. « Mon âme hésita
à répondre puis fit en recourant au problème
compliqué du rêve, elle dit alors : « Ne vois-tu pas
que le rêve te porte à croire certaines choses et à
imaginer certaines autres que tu retiens comme sûres
et fermes. En cet état, tu n’as aucun doute quant à
leur validité mais à son réveil, tu prends conscience
que tout ce que tu avais imaginé et cru est infondé et
inconsistant. »64

Il finit par faire table rase de tout ce que lui-


même pouvait enseigner : théologie, philosophie,

63
Al-Ghazâlî, La délivrance de l’erreur, Paris, Albouraq, p. 29.
64
Ibid.

83
La destruction du cogito

mathématiques, pour retrouver la vraie voie de la


science, de la guérison du cœur, et qui suppose
précisément qu’on ne considère pas que cette voie
essentielle soit celle qui procède par la
démonstration, ou l’argumentation, 65 mais la voie
qui procède par la négation, par l’anéantissement de
toutes formes d’obstacles. C'est cette méthode-là que
l’on retrouve chez Descartes. Descartes va se servir
de Saint Augustin, de Thomas d’Aquin, mais aussi
de Ibn Sînâ et d’Al-Ghazâlî pour combattre la thèse
de Ibn Rushd.

Voilà le véritable cadre historique, où il faut


resituer Lacan. C’est là où il faut réinscrire la
psychanalyse lacanienne. Il faut la réinscrire dans

65
« « Ma guérison » n’est pas là le résultat de l’arrangement
convenable d’une démonstration ou de l’ordre systématique
établi à un discours, elle est due à la lumière que Dieu projeta
dans mon cœur (…) Celui qui considère que la découverte de
la vérité repose sur des arguments bien définis, limite
(souvent sans le savoir) l’amplitude de la Miséricorde
divine. » Al-Ghazâlî, La délivrance de l’erreur, Albouraq, Paris,
p. 33.

84
La destruction du cogito

cette longue histoire. Cette théorie de Ibn Rushd qui


a été temps combattu, qu’on a voulue absolument
éteindre, se retrouve en fait au fondement de
l’enseignement de Lacan. On s’est beaucoup
demandé, pourquoi Lacan avait réintroduit cette
veille notion de sujet. Il y a une réponse à ça, c'est
précisément pour faire retour au sujet rushdien et
s’opposer au cogito cartésien.

Il faut le savoir, le cogito, Descartes


l’emprunte à Saint Augustin et l’utilise
essentiellement pour combattre le sujet rushdien. Le
cogito, Descartes s’en n’empare pour en faire
l’antithèse de la thèse de Ibn Rushd. Il faut le
considérer, avant tout, comme l’envers du sujet
rushdien, comme une inversion, comme une
négation de la division du sujet. Le cogito, Descartes
l’utilise essentiellement en réaction à la division du
sujet. Le « je pense donc je suis » chez Descartes
suppose que je sois le propriétaire de mes pensées, et
c’est justement cela qui est mis en question par Ibn

85
La destruction du cogito

Rushd. L’histoire du sujet moderne, initiée par


Thomas d’Aquin, à laquelle appartient aussi le
cogito cartésien, il faut la concevoir comme un
combat, comme une lutte contre le sujet rushdien,
précisément comme un reniement de la dépendance
et de la division du sujet. Il faut en passer par là pour
pouvoir comprendre pourquoi Lacan déconstruit le
cogito cartésien. C’est dans ce contexte là que
devient plus compréhensible le slogan lacanien du
« retour à Freud. » Le « retour à Freud » de Lacan est
avant tout un retour au scandale de la théorie de Ibn
Rushd.

Voilà pourquoi Jacques Lacan va chercher à


déconstruire le cogito cartésien. Si à la question «
Que Suis-je ? », la réponse du cogito de Descartes
c'est : Je suis le maître de mes pensées, la réponse de
Lacan, à l’instar de Ibn Rushd, c'est plutôt : je suis à
la place de l'esclave. Toutes les élaborations
successives de Lacan sur ce sujet conduisent à
relativiser, la souveraineté du cogito et à

86
La destruction du cogito

disjoindre le « je pense donc je suis. » Il est tout à


fait clair pour Lacan que cette formule ne tient pas
debout, dans la mesure où « je ne suis pas, là où je
suis le jouet de ma pensé. »66 Dans toutes les reprises
qu’il va faire du cogito, Lacan va toujours s’efforcer
justement de disjoindre le je pense du je suis, en
considérant que c'est ce qu'implique l'expérience
clinique. Voilà pourquoi il va écrire plutôt, « Je
pense : « Donc je suis. » 67 Il va y mettre autre
ponctuation, de cette façon, il va pouvoir relativiser
le lien entre le « je pense donc je suis » et à instaurer
à la place de ce lien d'adéquation et d'identité, une
coupure. Ce que Lacan va accomplir c’est en fait la
destruction du cogito. C’est un démantèlement du «
je pense donc je suis. » Ce démantèlement a pour but,
avant tout, de réinstaurer la division du sujet.

66
Jacques Lacan, Ecrits I, L’instance de la lettre dans
l’inconscient, Paris, Seuil, 1966, p. 515.
67
Jacques Lacan, Ecrits II, La science et la vérité, Paris, Seuil,
1966, p. 345.

87
La destruction du cogito

C’est parce que, le sujet cartésien est


l’inversion de sujet rushdien, que Lacan va faire
l’inversion du sujet cartésien. C'est ainsi que
l'enseignement de Lacan doit être envisagé. Il doit
être envisagé, avant tout, comme une inversion de
l’inversion cartésienne.

En réalité, à travers le retour à Freud de


Lacan, ce n’est que l’inspiration inaugural de Ibn
Rushd qui continue en fait à se poursuivre. Lacan n’a
fait que réintroduire, dans la psychanalyse, les
polémiques averroïstes et anti-averroïstes. C’est sur
le fond de ces polémiques que l’on peut mettre un
peu plus de lumière sur l’enseignement de Lacan.
C’est encore l’écho de ces polémiques qui résonne
dans son enseignement. Nous ne sommes, en effet,
en rien sorti des polémiques averroïste et anti-
averroïste. Ces polémiques durent encore, elles sont
toujours d’actualité. La thèse de Ibn Rushd
accompagne et caractérise encore ce qui fait la

88
La destruction du cogito

psychanalyse d’aujourd’hui. C’est pourquoi il est


encore notre contemporain.

Le point de départ de Lacan dans la


psychanalyse est avant tout marquée par le fait qu’il
a adopté la thèse d’Ibn Rushd et de Ibn Sînâ pour
combattre l’orthodoxie cartésienne. Et c’est
pourquoi, dès qu’il a introduit le sujet de la
psychanalyse il l’a mis directement en opposition
avec le cogito cartésien. Son point de départ a
consisté, avant tout, à en appeler à Ibn Rushd et à Ibn
Sînâ contre l’orthodoxie cartésienne. Et c'est comme
ça que le retour à Freud de Lacan s'est présenté, par
une négation du cogito cartésien, comme une
déconstruction de la subjectivité, comme une remise
en question de toutes ces notions, d'égo, d’identité,
d'unité, de moi, de conscience de soi. Ce qui fait la
particularité de l'enseignement de Lacan, c'est
justement l'effort de déconstruire toutes ces
catégories qui appartiennent à la tradition
cartésienne. L’enseignement de Lacan est né comme

89
La destruction du cogito

une résistance au sujet moderne. C’est une révolte,


au nom de la dépendance et de la soumission du
sujet, contre la conscience de soi, contre le moi,
contre l’identité et toutes ces valeurs de liberté et
d’autonomie. Si Lacan a préféré garder cette vielle
notion de sujet, c’est précisément pour l’opposer au
sujet moderne, au sujet comme agent. Cette notion
de sujet, il est allé la chercher, dans la tradition
islamique, et c’est comme ça qu’il a pu libérer la
psychanalyse de la notion du moi. C’est ce qui lui a
permis, entre autres, de s’opposer à l’ego psychology
pour qui le maître mot était l’autonomie du moi.

Alors évidemment ce retour à Ibn Rushd et à


Ibn Sînâ a été présenté par Lacan comme un retour à
Freud. Le retour à Freud de Lacan n’a été qu’un
voile, un voile de la véritable référence. La
promotion du retour à Freud n’a été qu’un masque,
un déguisement, car ce retour a mobilisé avant tous
les ressources d'Ibn Sînâ et d’Ibn Rushd. C’est bien
de leurs thèses que Lacan s’est emparé pour définir

90
La destruction du cogito

le sujet de la psychanalyse. Si l’on veut comprendre


Lacan, il faut évidemment lire Freud, mais il ne faut
surtout pas oublier, Ibn Sînâ et Ibn Rushd. Si on se
limite à l’enseignement de Freud, on ne peut pas
vraiment comprendre. L’enseignement de Lacan
devient beaucoup plus clair, situé dans une histoire
plus longue.

91
La destruction du cogito

92
Chapitre 4

L’expérience analytique

La soumission Lacan ne la traite pas comme


une défaillance, au contraire, il définit le sujet par la
soumission. Ce qui pose problème pour lui, c’est
plutôt la liberté. La folie, comment est-elle définie
par Lacan ? Comme un délire de liberté. Pour lui
« Les hommes libre, les vrais, ce sont précisément
les fous. » 68 La folie c’est la forclusion de la
soumission. C’est le rejet du signifiant primordial,
signifiant pour lequel, le sujet est venu « pour la

68
Jacques Lacan, Tous Ecrits, Conférence sur la psychanalyse
et la formation du psychiatre à Ste Anna, version numérique,
Association lacanienne internationale, p. 1104.
L’expérience‫ا‬analytique

première fois en position de s’y assujettir. »69 Pour


Lacan, la croyance en la liberté est un délire. C’est
pourquoi la différence à laquelle Lacan accorde une
grande importance, c’est celle de la soumission et de
la liberté. La liberté, c’est le contraire justement de
la soumission, c’est le contraire de la dépendance.
C’est pourquoi pour lui le sujet est toujours l’effet
d’une cause, tandis, que se prendre pour la cause de
soi, c’est la folie. Dans la folie, la soumission est
comme forcluse, rejetée par la croyance en la liberté.
Pour Lacan, croire être libre est de l’ordre du délire.

Ce n’est donc pas en termes de déficit, de


fragilité, de trouble, ou d’altération des fonctions
psychiques, qu’il faut concevoir la folie, mais en
termes de croyance. C’est la croyance en la liberté
qui est considéré par Lacan comme la causalité
essentielle de la folie.

69
Jacques Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la
psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 307.

94
L’expérience‫ا‬analytique

En 1946, aux journées psychiatriques à


Bonneval, alors qu’Henri Ey, fidèle à la tradition
cartésienne, qui « fait de chaque individu l’auteur de
son monde, » est conduit à considérer les maladies
mentales comme des « insultes et des entraves à la
liberté… »70 Lacan va lui répondre en avançant, au
contraire, que la folie « loin qu’elle soit pour la
liberté « une insulte », elle est sa plus fidèle
compagne, elle suit son mouvement comme une
ombre. »71 Le phénomène de la folie n’est pas, pour
lui, séparable de la liberté. Ce qui est mis en question
c’est justement la croyance en la liberté. C’est ce
qu’il confirme quelques années plus tard dans son
séminaire sur les psychoses : « J’ai essayé la
dernière foi de vous monter que le moi, quoi que
nous pensions de sa fonction, et je n’irai pas plus loin
qu’à lui donner celle d’un discours de la réalité,
comporte toujours comme corrélat un discours qui,

70
Henri Ey, cité par Lacan, Propos sur la causalité psychique
71
Jacques Lacan, Ecrits I, Propos sur la causalité psychique,
Paris, Seuil, 1966, p. 175.

95
L’expérience‫ا‬analytique

lui, n’a rien à faire avec la réalité. Avec


l’impertinence qui, comme chacun sait, me
caractérise, je l’ai désigné comme le discours de
liberté, essentiel à l’homme moderne en tant que
structuré par une certaine conception de son
autonomie. Je vous en ai indiqué le caractère
fondamentalement partiel, inexplicable, parcellaire,
différencié et profondément délirant. »72

« La « santé mentale », j’y mets volontiers


des guillemets, si on veut employer ce terme, se
mesure à la distance gardée avec l’identification à
soi-même, qui s'appelle le moi. »73 Le moi comme
tel, pour Lacan, est profondément délirant. C’est une
thèse que l’on trouve déjà dans son tout premier
enseignement où il repaire la paranoïa comme étant
intime à la fonction du moi lui-même. Par contre, le

72
Jacques Lacan, Les Psychoses, Paris, Seuil, 1981, p. 165.
73
Jacques Alain Miller, Vie de Lacan, Cours n°9 du
14/04/2010, p.5.
http://jonathanleroy.be/2016/02/orientation-lacanienne-
jacques-alain-miller/

96
L’expérience‫ا‬analytique

concept de sujet, on peut dire que c’est un concept


anti-délirant. Ce que Lacan appelle le sujet ou
manque d’être, c’est plutôt un indicateur de « santé
mentale. »

C’est que le phénomène de la folie, pour


Lacan, n’est pas séparable du problème de « l’être en
général. »74 La cause essentielle de la folie est liée à
la croyance du sujet sur son être. C’est le rapport à
l’être qui est déterminant. « Loin donc que la folie
soit le fait contingent des fragilités de
l’organisme, »75 la folie « se mesure plutôt à l’attrait
même des identifications où l’homme engage à la
fois sa vérité et son être. » 76 Ce n’est pas tant la
fragilité de l’organisme qui cause la folie que le fait
de se prendre pour l’être. La folie relève du délire
d’être, et non pas d’une défaillance organique ou

74
Jacques Lacan, Ecrits I, Propos sur la causalité psychique,
Paris, Seuil, 1966, p. 165.
75
Jacques Lacan, Ecrits I, Propos sur la causalité psychique,
Paris, Seuil, 1966, p. 175.
76
Ibid.

97
L’expérience‫ا‬analytique

d’un défaut des fonctions psychiques. C’est


pourquoi Lacan va dire « que si un homme qui se
croit un roi est fou, un roi qui se croit un roi ne l’est
pas moins. » 77 Lacan prend aussi l’exemple de la
figure du godelureau qui croit ne se devoir qu’à lui-
même, qui croit ne dépendre que de lui-même, qui
« se croit en somme ce qu’il est : un heureux coquin,
mais le bon sens lui souhaite in petto l’anicroche qui
lui révélera qu’il ne l’est pas tant qu’il le croit. »78 Il
donne également l’exemple Napoléon, « Napoléon
ne se croyait pas du tout Napoléon, pour fort bien
faire savoir par quels moyens Bonaparte avait
produit Napoléon, » 79 Napoléon ne se prenait pas
pour Napoléon, « car il savait par quel moyen
Bonaparte avait promu Napoléon, qu’il savait que
c'était une construction, un artifice, que Napoléon
était une fiction de Bonaparte. Et s’il s’est cru

77
Jacques Lacan, Ecrits I, Propos sur la causalité psychique,
Paris, Seuil, 1966, p. 170.
78
Ibid.
79
Ibid.

98
L’expérience‫ا‬analytique

Napoléon une fois, c'est au moment où il est devenu


fou, c’est-à-dire au moment où il a crû que tout était
possible, comme dirait l'autre. Où il a crû qu'en effet
rien ne lui résistait. » 80 « C’est au cœur de la
81
dialectique de l’être » que Lacan situe « la
méconnaissance essentielle de la folie. »82 Quand on
croit être ce que l’on est, là il y a méconnaissance,
jusqu’à ce que surviennent un symptôme, qui nous
révèle qu’on n’est pas aussi libre qu’on le croit.

Lacan empreinte à l’ontologie avicennienne


cette idée de dépendance à l’être, c’est de cette façon
qu’il va rendre compte de la folie. Le fou est celui
qui se prend pour l’être, qui rejette son manque
d’être et sa dépendance à l’être, c’est ce qui explique

80
Jacques Alain Miller, Vie de Lacan, Cours n°9 du
14/04/2010, p.5.
http://jonathanleroy.be/2016/02/orientation-lacanienne-
jacques-alain-miller/
81
Jacques Lacan, Ecrits I, Propos sur la causalité psychique,
Paris, Seuil, 1966, p. 170.
82
Jacques Lacan, Ecrits I, Propos sur la causalité psychique,
Paris, Seuil, 1966, p. 171.

99
L’expérience‫ا‬analytique

aussi que dans la perspective lacanienne « l’homme


fou c’est l’homme libre. » Celui qui a emprunté
également cette voie de l’ontologie avicennienne,
c’est le nommé Heidegger. Voilà ce qu’il peut écrire
par exemple dans Interprétation de la deuxième
considération intempestive de Nietzsche : « La
conception de l’homme comme « sujet » tout autant
que l’interprétation antérieur et inamovible de
l’homme comme animal raisonnable comme vivant
là-devant, font l’une et l’autre obstacles de la même
manière, en se renforçant mutuellement, à tout
questionnement plus originaire qui vise l’essence de
l’homme et de l’être-homme à partir de son
allégeance à l’être lui-même. »83

C’est dans ce même fil que Lacan conçoit


l’expérience analytique. L’opération analytique a
toujours pour but de résoudre cet obstacle majeur qui

83
Martin Heidegger, Interprétation de la deuxième
considération intempestive de Nietzsche, traduction Boutot,
Paris, Gallimard, 2009, p.185.

100
L’expérience‫ا‬analytique

est l’autonomie, pour conduire le sujet à consentir à


son manque d’être, et à faire allégeance à la cause
qui le détermine. Le sujet n’est que l’effet d’une
cause, alors qu’il a plutôt tendance à se prendre pour
la cause de soi. Il y a donc avant tout, pour Lacan,
une position du sujet qui est de dépendance, de
soumission, par rapport à une cause, par contre, celui
qui refuse de se soumettre à cette cause peut alors
être considéré comme libre, mais aussi fou. Pour le
faire sortir de son délire, le but de l’analyse est donc
de conduire à accepter son manque d’être et à se
soumettre à la cause qui le détermine. L’expérience
analytique, Lacan, la conçoit toujours comme
l’envers d’une libération, parce qu’elle vise toujours
la soumission. L’essentiel de l’expérience analytique
est un travail qui est fait sur l’autonomie, pour
obtenir sa déconstruction. Le but est de ramener le
sujet à son S barré. Le sujet barré, c’est justement
celui qui reconnait sa dépendance.

101
L’expérience‫ا‬analytique

L’objectif de l’expérience analytique est de


revenir à la position du sujet antérieur au rejet de la
cause, au rejet de l’inconscient. Elle vise une position
du sujet, antérieur à la forclusion de la soumission à
la cause, de la soumission au signifiant primordial.
Quel que soit la façon d’aborder cet enseignement,
on se rend compte qu’il va toujours contre
l’autonomie, contre la liberté, contre l’identité.
L’expérience analytique est, avant tout, faite pour
contrer cette fausse croyance qui consiste à se
prendre pour la cause de soi. C’est en cela que la
psychanalyse vise le sujet comme non-dupe. Le sujet
non-dupe est celui qui reconnait son S barré, qui
assume son manque d’être, sa dépendance, sa
soumission. C’est un cheminement qui est l’envers
de la psychothérapie. Quel est le but de toute thérapie
? C’est l’affirmation de soi, le but est de vous faire
maître de vous-même, alors que l’opération
analytique a essentiellement pour fonction de vous
reconduire à votre statut d’esclave. Ce dont il s’agit

102
L’expérience‫ا‬analytique

dans l’expérience analytique, c’est toujours d’un


ordonnancement subjectif par rapport à la cause, qui
est toujours corrélatif d’une soumission. La fin de
l'analyse apparaît toujours comme un retour à l'état
originel du sujet qui est la soumission. Parce que à
l’origine du sujet il y a la soumission, alors à la fin
de l’analyse on retrouve aussi la soumission.

Le sujet qui vient en analyse est le plus


souvent un sujet, qui croit en sa liberté, qui croit à
son propre être. Il aspire à une analyse justement
parce qu’il se sent soumis, étranger à lui-même,
parce qu’il ne supporte pas l’inconscient, parce qu’il
ressent qu’il n’est pas maître de lui-même. La plainte
qui conduit à l’entrée en analyse n’as pas d’autre but
que de vouloir être maître de soi-même. Derrière la
plainte, il y a toujours cet idéal de maîtrise, et c’est
aussi à cause de cet idéal que se constitue le
symptôme. Le rejet de la soumission revient dans le
symptôme. La soumission est toujours présente dans
les symptômes, mais parce qu’elle a été niée. C’est

103
L’expérience‫ا‬analytique

le retour du refoulé. La soumission qui ne s’inscrit


pas dans le symbolique, revient dans le réel. La
soumission, on ne peut jamais l’exclure, la rejeter.
Quand la soumission prend de plus en plus de place,
quand un sujet se sent de plus en plus dépossédé de
lui-même, au point de perdre toute possibilité, c’est
parce que la soumission a été rejetée. On peut s’en
sortir avec la soumission qu'en lui donnant raison. La
seule réponse possible à la soumission, est de
l'accepter. La soumission à l’inconscient, à la cause,
est la seule condition de notre affranchissement, de
notre libération.

Donc, le sujet gouverné par cet idéal, arrive


avec cette croyance en son être, en sa liberté, mais en
rejetant l’inconscient. A travers l’expérience
analytique il doit parvenir à déconstruire cet idéal, ce
fantasme, et se reconnaître en tant que sujet de
l’inconscient. Il arrive avec son cogito, persuadé
d’être maître de lui-même, et l’analyse a pour but de
le conduire à déconstruire cette fausse croyance et à

104
L’expérience‫ا‬analytique

consentir à sa soumission, comme sujet de


l’inconscient. Le but est de le faire renoncer à sa
liberté et à consentir à la cause qui le détermine. Le
sujet est déterminé par une cause et c'est cette cause
à la fin de l'analyse qu’il devra à nouveau assumer.

Comment le sujet passe-t-il de cette fausse


croyance en sa liberté à la position de sujet de
l’inconscient ? Et bien par la négation sur sa liberté.
Il doit faire la négation sur son moi. C’est à cette
seule condition qu’il peut retrouver l’accès à son
désir. Le sujet ne peut se mettre en rapport avec la
cause qu’en renonçant à sa liberté. A cet égard,
l’expérience analytique vise essentiellement la
déconstruction de la liberté. C’est dans l’idée que la
cause est déjà là au départ, mais voilée par le moi. Le
but de l’expérience analytique est de déconstruire cet
obstacle majeur, pour permettre à la cause de se
dévoiler de la façon la plus pure possible.

Lacan distingue des états différents du sujet,


un état antérieur et un état postérieur à l’expérience

105
L’expérience‫ا‬analytique

analytique. On a donc à l’entrée en analyse à un sujet


qui croit en son autonomie, qui croit à sa liberté, puis
à travers l’expérience analytique ce sujet fini par
traverser, déconstruire ce fantasme, et réaliser qu’il
n’est pas maître de lui-même, mais soumis à
l’inconscient. Il doit en passer par la mort pour
reconnaître sa dépendance, et accepter sa
soumission. Ce qui pour lui, auparavant, était
totalement inacceptable.

Le but est d’obtenir une transformation, un


changement de la position du sujet par rapport à la
cause. Il doit passer de l’illusion d’autonomie à la
dépendance, de l’impuissance à l’impossible, de
l’identité à la division, de la liberté à la soumission.
Cela implique la mort du moi. Il faut en passer par là
pour que cette mutation puisse se faire.

Ça veut dire que celui qui arrive déjà à se


remettre en question, qui arrive à réaliser au fond
qu’il n’est rien, qui arrive à faire la négation sur lui-
même, à mourir à soi-même, se trouve sur la bonne

106
L’expérience‫ا‬analytique

voie, vers la cause, vers le réel, mais ce n’est pas tout.


Cela implique également le sacrifice du sujet
supposé savoir. Sans le sacrifice du sujet supposé
savoir, il n’y aurait pas de fin d’analyse.

Il ne faut jamais oublier la position de


semblant du psychanalyste. La psychanalyse comme
expérience à vivre ne peut nullement se réduire à un
savoir-faire du psychanalyste. Il n’est là que comme
artifice, comme un subterfuge nécessaire à
l'expérience. Le psychanalyste n’est qu'un moyen, il
est là d'abord pour faire croire qu'une satisfaction est
possible. La visée du sujet suppose savoir est
l'induction au travail. Il est l'illusion nécessaire à
l'expérience, il soutient l'illusion de la satisfaction
pour qu'une analyse puisse débuter. Il ne fait que
s'offrir « comme point de mire »84 pour quiconque
est mordu par le culte du savoir. Il ne fait que donner
un support à ce transfert, à ce fait d'amour, à cette foi

84
Jacques Lacan, L'envers de la psychanalyse, Paris, Seuil,
1991, p.122.

107
L’expérience‫ا‬analytique

faite au savoir, alors qu'il sait très bien que cette


croyance n’est pas soutenable. Celui qui entre en
analyse, il entre parce qu’il veut savoir, mais à la fin
du parcours, il doit réaliser que du savoir, en ce
domaine, il n'y a rien vraiment à attendre. Il doit
parvenir en fin de parcours au sacrifice, du sujet
supposé savoir. « Le terme de l’analyse consiste dans
la chute du sujet supposé savoir… »85 Celui qui reste
trop fasciné et ne porte pas suffisamment de
soupçons et de doutes à l'égard du psychanalyste ne
pourrait s'en servir. En fait le psychanalyste ne
devient vraiment utile qu’à partir du moment où on
a réussi à se passer de lui. Tant qu’on reste attaché
au sujet supposé savoir où se trouve en infraction par
rapport à la cause.

L’expérience doit conduire au réel, et il n’y a


pas d’autres moyens pour y accéder que la négation,
la destruction, le sacrifice des semblants, y compris

85
Jacques Lacan, L'acte psychanalytique, version numérique,
séminaire non publié, p. 87.

108
L’expérience‫ا‬analytique

le sacrifice du sujet supposé savoir. A la fin de


l’analyse, le sujet supposé savoir, doit chuter,
justement pour ne plus faire écran, au réel. A
l’institution du sujet supposé savoir, correspond à la
fin de l’analyse sa destitution. La chute du sujet
supposé savoir ne se réduit pas seulement par la
séparation avec un analyste en particulier, mais bien
par la fin du culte voué au savoir. C'est seulement à
partir de ce renversement qu'une fin d'analyse est
concevable. Cela veut dire qu’à la fin de l’analyse, le
sujet doit réaliser qu’il ne peut compter sur rien, sauf
sur le réel. Il doit arriver à réaliser qu’il ne peut ni
compter sur lui-même, ni sur un analyste en
particulier, ni sur la psychanalyse elle-même. C’est
là que prend son sens il n’y a pas d’Autre de l’Autre.
C’est une négation radicale, généralisée qui doit se
produire. Il faut noter que l’itinéraire ici du sujet en
analyse ne fait que répéter celui d’Al-Ghazâlî qui fait
table rase de tout, qui ne croit plus à rien, sauf à l’Un.

109
L’expérience‫ا‬analytique

En fin d’analyse il faut témoigner, et de quoi


est-ce qu’on témoigne en fin d’analyse ? On
témoigne, qu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre,
autrement dit, on témoigne qu’il n’y pas d’autre
garantie que l’Un. Cela suppose de faire la négation
sur l’ensemble des semblants et de prendre acte qu’il
n’y a qu’une seule et unique garantie qui est l’Un. A
la fin de l’analyse, il faut réaliser qu’il n’y a pas
d’Autre de l’Autre, qu’il n’y a pas d’autre garantie
que l’Un et que tout le reste n’est que semblant. C’est
à cela que Lacan fait allusion quand il fait référence
à l’index levé du Saint-Jean de Léonard de Vinci.86
Il faut savoir que cela fait également éco à l’islam,
quand on témoigne, on prononce la profession de foi,
et en même temps, on lève l’index de la main droite,
justement pour indiquer qu’il n’y a pas d’autre
garantie que l’Un. Lacan nous donne beaucoup

86
Jacques Lacan, Ecrits II, La direction de la cure, Paris, Seuil,
1966, p. 119.

110
L’expérience‫ا‬analytique

d’indices, l’important est de voir à quoi ils se


rapportent.

111
L’expérience‫ا‬analytique

112
Conclusion

Pour pouvoir lire correctement Lacan il faut


déjà isoler cette formule : Il n’y a pas d’Autre de
l’Autre, car elle est, par rapport à tout ce qu’il a pu
énoncer, d'une importance capitale. C’est la formule
la plus importante à retenir. Lacan est principalement
guidé par cette formule. Elle gouverne son
enseignement de bout en bout. La seule prise en
compte de cette formule permet de rendre compte de
la logique lacanienne. Ce qui est décisif dans
l’enseignement de Lacan c’est : Il n’y a pas d’Autre
de l’Autre.

Ensuite, il faut bien voir à quoi elle se


rapporte. Cette formule ne vient pas en tant que telle
Conclusion

de la psychanalyse, Lacan ne l’a pas trouvé chez


Freud, mais dans la tradition islamique. Quand
Lacan nous dit qu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre, en
fait il ne fait que retraduire il n’y a pas d’autre Dieu
que Dieu de l’islam, qui signifie précisément qu’il
n’y a pas d’autre garantie que l’Un.

A partir de là, on peut dégager, le principe, la


méthode Lacan. La méthode Lacan, dans son
ordonnancement est exactement similaire à la
profession de foi de l’islam. On retrouve exactement
la même logique à l’œuvre. Cela repose sur la
négation des semblants, pour arriver à la garantie.
C’est simple, ça permet de situer cet enseignement
dans une continuité, ça lui enlève aussi son côté
obscur, et ça permet également d’indiquer dans
quelle tradition il s’inscrit et comment il peut se lire.

Si l’on veut saisir ce qui anime cet


enseignement, le point clé de cet enseignement, c’est
dans la profession de foi de l’islam qu’on le trouve.
C’est là que l’on trouve l’axiome, le fondement, la

114
Conclusion

base. A travers la profession de foi de l’islam on


peut, en effet, résumer la réflexion de Lacan
concernant l’expérience analytique. Voilà le
véritable point d'appui à partir duquel Lacan
construit son enseignement.

Bien que l’enseignement de Lacan se


propose comme un retour à Freud, ce qui l’anime,
plus secrètement, c’est la tradition islamique. Lacan
procède ainsi, il puise dans la tradition islamique,
mais il l’attribut à Freud. C’est pourquoi si l’on
cherche le grand secret de la psychanalyse ce n’est
pas chez Freud qu’on peut le trouver, mais dans la
tradition islamique. Lacan n’est pas si freudien que
ça, il s’inspire beaucoup plus de l’islam qu’on le
pense.

On n’arrive pas à comprendre Lacan, parce


que justement cette référence-là n'a jamais été livrée
par lui. Il a même tout fait pour nous en refuser
l’accès. L’islam au cœur de la psychanalyse est tout

115
Conclusion

à fait essentiel à saisir, faute de quoi on ne comprend


pas grand-chose.

Après, tout cela n’enlève absolument rien au


génie de Lacan. L’islam nous aide à lire Lacan. A
partir de l’islam, on peut mieux comprendre Lacan,
mais Lacan permet aussi en retour de mieux
comprendre l’islam et d’éviter de confondre l’islam
avec la perversion de l'islam qui consiste,
notamment, à vouloir imposer l’islam.

116
Tables des Matières

INTRODUCTION .............................................................................. 5
LES SOURCES ISLAMIQUES DE LA PSYCHANALYSE ........................ 33
LA METHODE LACANIENNE .......................................................... 53
LA DESTRUCTION DU COGITO ...................................................... 63
L’EXPERIENCE ANALYTIQUE .......................................................... 93
CONCLUSION .............................................................................. 113

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