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1972-06-09 UN HOMME ET UNE FEMME

Paru dans le Bulletin de l’Association freudienne n° 54 de septembre 1993 pages 13 à


21 avec l’introduction suivante signée Charles Melman : « Je retrouve dans mes papiers ce texte
de Lacan, non daté. Je crois qu’il me fut remis afin d’être publié dans Scilicet, puis (pour
quelle raison ?) retiré par l’auteur de la liasse. J’imagine ainsi qu’il s’agit d’un inédit, au moins
pour la plus grande part. Qui me corrigera ou démentira ? ».
De fait il s’agit des notes préparatoires à la séance du séminaire « D’un discours qui ne
serait pas du semblant » du 09 juin 1971, telles qu’elles furent intégralement publiées avec
les fac-similés complets, par le supplément gratuit réservé aux abonnés de l’Unebévue n°
8/9 printemps/été 1997.

(13)Un
homme et une femme peuvent s’entendre, je ne dis pas non. Ils peuvent,
comme tels, s’entendre crier.
Ce qui arrive dans le cas où ils ne réussissent pas à s’entendre autrement.
Autrement, c’est-à-dire sur une affaire qui est le gage de leur entente.
Ces affaires ne manquent pas…
(où est comprise à l’occasion, c’est la meilleure, l’entente au lit).
Ces affaires ne manquent pas, certes donc, mais c’est en cela qu’elles manquent
quelque chose : à savoir de s’entendre comme homme, comme femme, ce qui
voudrait dire : sexuellement.
L’homme et la femme ne s’entendraient-ils ainsi qu’à se taire ? Il n’en est pas
même question.
Car l’homme, la femme n’ont aucun besoin de parler pour être pris dans un
discours. Comme tels, ils sont des faits de discours.
Le sourire ici suffirait à avancer qu’ils ne sont pas que ça. Sans doute qui ne
l’accorde ? Mais qu’ils soient ça aussi, fige le sourire.
Et ce n’est qu’ainsi (NM1 : figé par cette remarque) qu’il a son sens sur les statues
archaïques. L’infatuation ricane.
C’est donc dans un discours que les étant homme et femme, naturels si l’on
peut dire, ont à se faire valoir comme tels.
Il n’est discours que de semblant. Si ça ne s’avouait pas de soi, j’ai dénoncé la
chose. J’en rappelle l’articulation.
Le semblant ne s’énonce qu’à partir de la vérité. Sans doute n’évoque-t-on
jamais sans gêne celle-ci (NM : la vérité) dans la science. Ce n’est pas là raison de
nous en faire plus de souci. Elle se passe bien de nous. Pour qu’elle se fasse

1 NM : note manuscrite de J. Lacan sur le texte dactylographié.


1
entendre, il lui suffit de dire : « Je parle » et on l’en croit parce que c’est vrai : qui
parle, parle.
Il n’est d’enjeu (NM : pari de Pascal) que de ce qu’elle dit.
Comme vérité, elle ne peut dire que le semblant sur la jouissance. Et c’est sur
la jouissance sexuelle qu’elle gagne à tous les coups.
On fera bien de me suivre dans ma discipline du nom. Le propre du nom, c’est
d’être nom propre. Même pour un tombé entre autres à l’usage de nom commun,
ce n’est pas temps perdu que de lui retrouver un emploi propre. Mais quand un
nom est resté assez propre, n’hésitez pas, prenez exemple, appelez la chose par
son nom : la chose – freudienne comme j’ai fait.
Elle se lève et fait son numéro (NM : naturellement je m’entends ici il faut m’avoir
lu). Ce n’est pas moi qui le lui dicte : ce serait même de tout repos, de ce repos
dernier au semblant de quoi tant de vies s’astreignent, si je n’étais pas comme
homme exposé là sous le vent de la castration.
Elle, la vérité, mon imbaisable partenaire, elle est certes dans le même vent, –
elle le porte même : être dans le vent, c’est ça –, mais ce vent ne lui fait ni chaud
ni froid, pour la raison que la jouissance, c’est très peu pour elle, puisque la vérité,
c’est qu’elle la laisse au semblant.
Ce semblant a un nom, repris du temps, mystérieux de ce que s’y jouassent les
mystères, où il nommait le savoir supposé à la fécondité et comme tel offert à
l’adoration sous la figure d’un semblant d’organe.
Le semblant, dénoncé par la vérité pure, est, il faut le reconnaître, assez
phalle, – assez intéressé dans ce qui pour nous s’amorce par la vertu du coït, à
savoir la sélection des génotypes avec la reproduction du phénotype qui s’ensuit,
pour (14)mériter ce nom, – bien qu’il soit clair que l’héritage qu’il couvre
maintenant se réduise à l’acéphalie de cette sélection, soit l’impossibilité de
subordonner la jouissance dite sexuelle à ce qui sub rosa spécifierait le choix de
l’homme et de la femme pris comme porteurs chacun d’un lot précis de
génotypes, puisqu’au meilleur cas c’est le phénotype qui guide ce choix.
À la vérité, – c’est le cas de le dire –, un nom propre (car c’en est encore un)
n’est tout à fait stable que sur la carte où il désigne un désert. Il est remarquable
que même les déserts produits au nom d’une religion, ce qui n’est pas rare, ne
soient jamais désignés du nom qui fut pour eux dévastateur. Un désert ne se
rebaptise qu’à être fécondé.
Ce n’est pas le cas pour la jouissance sexuelle que le progrès de la science ne
semble pas (NM : contribuer à) résoudre en savoir.
C’est par contre du barrage qu’elle constitue à l’avènement du rapport sexuel
dans le discours, que sa place s’y est évidée jusqu’à devenir évidente. Telle est, au
sens que ce mot a dans le pas logique de Frege, la Bedeutung du Phallus.

2
C’est bien pourquoi, j’ai mes malices, c’est en Allemagne parce qu’en allemand,
que j’ai porté le message à quoi répond dans mes Écrits ce titre, et ce au nom du
centenaire de la naissance de Freud.
Il fut beau de toucher en ce pays élu pour qu’y résonne ce message, la
sidération qu’il produisit.
Dire que je l’attendais ne serait pour moi rien dire. Ma force est de savoir ce
qu’attendre signifie.
(Je ne mets pas ici dans le coup les vingt-cinq ans de crétinisation raciale. Ce
serait consacrer qu’ils triomphent partout).
Plutôt insisterai-je sur ce que die Bedeutung des Phallus est « en réalité » un
pléonasme. Il n’y a pas dans le langage d’autre Bedeutung que le phallus.
Le langage, dans sa fonction d’existant, ne connote en dernière analyse que
l’impossibilité de symboliser le rapport sexuel chez les êtres qui l’habitent (qui
habitent le langage) en raison de ce que c’est de cet habitat qu’ils tiennent la
parole. Et qu’on n’oublie pas ce que j’ai dit de ce que la parole dès lors n’est pas
leur privilège, qu’ils l’évoquent dans tout ce qu’ils dominent par l’effet du
discours.
Le silence prétendu éternel des espaces infinis n’aura comme beaucoup
d’autres duré qu’un instant. Ça parle vachement dans la nouvelle astronomie.
C’est de ce que le langage n’est constitué que d’une seule Bedeutung qu’il tire sa
structure, laquelle consiste en ce qu’on ne puisse, de ce qu’on l’habite, en user
que pour la métaphore d’où résultent toutes les insanités mythiques dont vivent
ses habitants, – pour la métonymie dont ils prennent le peu de réalité qui leur
reste sous la forme du plus-de-jouir.
Or ceci ne se signe que dans l’histoire et à partir de l’apparition de l’écriture.
Laquelle n’est jamais simple « inscription », fût-ce dans les apparences de ce qui
se promeut de l’audio-visuel. L’écriture n’est jamais, depuis ses origines jusqu’à
ses derniers protéismes techniques, que quelque chose qui s’articule comme os
dont le langage serait la chair. C’est bien en cela qu’elle démontre que la
jouissance, la jouissance sexuelle, n’a pas d’os, ce dont on se doutait par les
mœurs de l’organe qui en donne chez le mâle parlant la figure comique.
Mais l’écriture, elle, pas le langage, l’écriture donne os à toutes les jouissances
qui, de par le discours, s’avèrent s’ouvrir à l’être parlant. Leur donnant os, elle
souligne ce qui y était certes accessible, mais masqué : à savoir que le rapport
sexuel fait défaut au champ de la vérité, en ce que le discours qui l’instaure, ne
procède que du semblant : à ne frayer la voie qu’à des jouissances qui parodient
celle qui y est effective, – mais qui lui demeure étrangère.
Tel est l’Autre de la jouissance, à jamais interdit, celui dont le langage ne permet
l’habitation qu’à le fournir – pourquoi pas cette image – de scaphandres.

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C’est sans doute ce qui dès longtemps faisait rêver l’homme à la lune.
Maintenant il y a mis le pied. Il en était plus près sans doute avec celui, encore
figé dans une armoire japonaise, qui savait du jardin d’un certain Pavillon
d’Argent la contempler assez-phalliquement, nous aimons à le croire, quoique ça
nous laisse (je parle de ceux que l’idée touche) dans l’embarras. Sans reconnaître
dans S(A) de mon graphe, la trace de pied sur la lune, pas moyen de s’en tirer.
Ce badinage m’avertit que je frôle le structuralisme. Je m’en déchargerai sur la
situation que je subis, en épinglant celle-ci du refus de la performance. Maladie
sous la fourche [il y a un s à fourches dans le texte] de laquelle il me faut bien
passer, puisque ce refus constitue le culte de la compétence, c’est-à-dire de la
certaine idéalité dont je suis réduit, avec la science de cette époque, à m’autoriser
devant vous.
(Le résultat c’est que mes Écrits après que l’un d’entre eux ait été traduit en
anglais sous le titre scandaleux de « The language of the self », sont sortis, on me
l’annonce l’affaire faite, en espagnol, sous le titre non moins inadmissible
d’« Aspect structuraliste de Freud » ou quelque chose d’approchant).
(15)La compétence néglige que c’est dans l’incompétence qu’elle prend assiette

à se proposer sous forme d’idéalité à son culte. Par là elle va nécessairement aux
concessions que j’illustre tout de suite de ma formule d’entrée plus haut.
« L’homme et la femme peuvent s’entendre, je ne dis pas non ». C’était pour vous
dorer la pilule. Mais la pilule, on le sait n’arrange rien.
La notion figée du terme de structuralisme tente de prolonger la délégation
faite à de dangereux spécialistes : les spécialistes de la vérité, d’un certain vide
aperçu dans la raréfaction de la jouissance.
Ce fut le défi que releva sans fard l’existentialisme, après que la
phénoménologie, bien plus faux jeton, eût jeté le gant dans ses exercices
respiratoires. Les lieux laissés déserts par la philosophie n’y étaient à vrai dire pas
appropriés. (NM : les lieux) Tout juste bons au mémorial de sa contribution, pas
mince, au discours du maître qu’elle assure définitivement de l’appui de la
science.
Marx ou pas, et qu’il l’ait balancée sur les pieds ou sur la tête, il est certain que
la philosophie n’était pas assez phalle.
Qu’on ne compte pas sur moi pour structuraliser l’affaire de la vie impossible,
comme si ce n’était pas de là qu’elle avait chance de faire la preuve de son réel.
Ma prosopopée esbaudissante du « Je parle », pour être mise au compte,
rhétorique, d’une vérité en personne, ne me fait pas choir là d’où je la tire. (NM :
je veux dire dans le puits)
Rien n’est dit là que ce que parler veut dire : la division sans remède de la
jouissance et du semblant. La vérité, c’est de jouir à faire semblant et de n’avouer
en aucun cas que la réalité de chacune de ces deux moitiés ne prédomine qu’à
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s’affirmer d’être de l’autre, soit à mentir à jet alterné. Tel est le midi (t) de la
vérité.
Son astronomie est équatoriale, soit déjà périmée quand elle naquit du couple
nuit-jour.
Une astronomie, ça ne s’arraisonne qu’à s’assaisonner.
La chose dont il s’agit, ce n’est pas sa compétence de linguiste, et pour cause,
qui à Freud en a tracé les voies. Ce que je rappelle par contre, c’est que ces voies,
il n’a pu les suivre qu’à y faire preuve et jusqu’à l’acrobatie de performances de
langage que seule la linguistique situe dans une structure, en tant qu’elle s’attache
à une compétence remarquable de ne jamais se dérober à son enquête.
Ma formule que l’inconscient est structuré comme un langage, indique qu’a
minima la condition de l’inconscient, c’est le langage.
Cela n’ôte rien à la portée de l’énigme qui consiste en ce que l’inconscient en
sache plus long qu’il n’en a l’air, puisque c’est de cette surprise qu’on était parti
pour le nommer comme on l’a fait. Mais elle tournait court à le coiffer de tous
les instincts.
L’affaire, à la vérité, était dans le sac : il ne s’agissait plus que d’y mettre
l’étiquette à l’adresse de la vérité précisément, laquelle la saute assez de notre
temps pour ne pas dédaigner le marché noir.
J’ai mis des bâtons dans l’ornière de sa clandestinité, à marteler que le savoir
en question ne s’analysait qu’à se formuler comme un langage, soit : dans une
langue particulière, fût-ce à métisser celle-ci, en quoi d’ailleurs il ne fait rien de
plus que ce que lesdites langues se permettent.
Personne ne m’a relancé sur ce que sait le langage : Die Bedeutung des Phallus, je
l’avais dit certes. Mais personne ne s’en est aperçu parce que c’était la vérité.
Qui s’intéresse à la vérité ? Des gens. Des gens dont j’ai dessiné la structure de
l’image grossière, qu’on trouve dans la topologie à l’usage des familles, de la
bouteille de Klein. (NM : dessin)
Pas un point de sa surface qui ne soit partie topologique du rebroussement qui
se figure ici du cercle seul propre à donner à cette bouteille le cul dont les autres
(NM : bouteilles) s’enorgueillissent indûment.
Ainsi n’est-ce pas là où on le croit, mais en sa structure de sujet que l’hystérique
conjugue la vérité de sa jouissance au savoir implacable que l’Autre propre à la
causer, c’est le phallus, soit un semblant.
Qui ne comprendrait la déception de Freud à saisir que le pas-de-guérison à
quoi il parvenait avec l’hystérique, n’allait à rien de plus qu’à lui faire réclamer, ce
dit semblant soudain pourvu de vertus réelles, de l’avoir accroché à ce point de
rebroussement qui, pour n’être pas introuvable sur le corps, est une figuration
topologiquement tout à fait incorrecte de la jouissance chez une femme : mais
Freud le savait-il ?
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Dans la solution impossible de son problème, c’est à en mesurer la cause au
plus juste, soit à en faire une juste cause, que l’hystérique s’accorde, des
détenteurs de ce semblant, au moins un, que j’écris l’hommoinzin, conforme à
l’os qu’il faut à sa jouissance pour qu’elle puisse le ronger. Ses approches de
l’hommoinzin ne pouvant se faire qu’à avouer au dit point de mire, qui le prend
au gré de ses penchants, la castration délibérée qu’elle lui réserve, ses chances
sont limitées, mais son succès ne passe pas par quelqu’un des hommes que le
semblant embarrasse plutôt, ou qui le préfèrent plus franc.
(NM : les sages, les masochistes)
(16)Juger ainsi du résultat est méconnaître ce qu’on peut attendre de l’hystérique

pour peu qu’elle veuille bien s’inscrire dans un discours. C’est à mater le maître
qu’elle est destinée, qui grâce à elle se rejettera dans le savoir.
N’importe ici rien d’autre que de marquer que le danger est le même, d’où à
partir malgré nous, nous prîmes avantage d’en pouvoir avertir.
Aimer la vérité, même celle que l’hystérique incarne (si l’on peut dire), soit lui
donner ce qu’on n’a pas, sous prétexte qu’elle le désigne, c’est très précisément
se vouer à un théâtre dont il est clair qu’il ne peut plus être qu’une fête de charité.
Cet « il est clair » est lui-même un effet d’Aufklärung, à peine croyable : l’entrée
en scène, si boiteuse qu’elle se soit faite, du discours de l’analyste, a suffi à ce que
l’hystérique renonce à la clinique luxuriante dont elle meublait la béance du
rapport sexuel.
C’est peut-être à prendre comme le signe, fait à quelqu’un, qu’elle va faire mieux.
La seule chose importante ici est ce qui passe inaperçu : à savoir que je parle
de l’hystérique comme de quelque chose qui supporte la quantification.
Quelque chose s’inscrirait, à m’entendre, d’un toujours apte en son
inconnue, à fonctionner dans x comme variable ?
C’est bien en effet ce que j’écris et dont il serait facile à relire Aristote de déceler
quel rapport à la femme précisément identifiée à l’hystérique, lui a permis
d’instaurer sa logique en forme de pan (talonnade).
Que impose le passage à un « toute femme » qu’un être aussi sensible
qu’Aristote n’a bien de fait jamais commis, c’est justement ce qui me permet
d’avancer que le « toute femme » est l’énonciation dont se décide l’hystérique
comme sujet, et que c’est pour cela qu’une femme est solidaire d’un papludun
qui proprement la loge dans cette logique du successeur dont Peano nous a
donné le modèle.
Mais l’hystérique n’est pas une femme. Il s’agit de savoir si la psychanalyse telle
que je la définis donne accès à une femme. Ou si qu’une femme advienne, c’est
affaire de , c’est, comme la vertu l’était au dire du Ménon (mais non, mais
non), ce qui ne s’enseigne pas.

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Ici cela se traduit : ce qui ne peut d’elle ( : d’une femme) être su dans l’inconscient,
soit de façon articulée. La question s’est élevée d’un degré depuis que j’ai
démontré qu’il y a du langagièrement articulé qui n’est pas pour cela articulable
en parole, – et que c’est là simplement ce dont se pose le désir.
Il est facile pourtant de trancher. C’est justement de ce qu’il s’agisse du désir
en tant qu’il met l’accent sur l’invariance de l’inconnue, que son évidement par
l’analyse ne saurait l’inscrire dans aucune fonction de variable, laquelle
proprement est ce qui permet à d’innombrables femmes de fonctionner comme
telles, c’est-à-dire en faisant fonction de papludun de leur être pour toutes leurs
variations situationnelles.
C’est là la portée de ma formule du désir dit insatisfait. (NM : L’hystérique est
chemin fonctionnel : /introduction au papludun/.)
Il s’en déduit que l’hystérique se situe d’introduire le papludun dont s’institue
chacune « des » femmes, par la voie du « ce n’est pas de toute femme que se peut
dire qu’elle soit fonction du phallus ». Que ce soit de toute femme, c’est là ce qui
fait son désir, et c’est pourquoi ce désir se soutient d’être insatisfait, c’est qu’une
femme en résulte, mais qui ne saurait être l’hystérique en personne. C’est bien en
quoi elle incarne ma vérité de tout à l’heure, celle qu’après l’avoir fait parler, j’ai
rendue à sa fonction structuraliste. (La Verneinung en fait justice).
Le discours analytique s’instaure de cette restitution. Il a suffi à dissiper le
théâtre dans l’hystérie. Il répond sûrement au recul théâtral dont s’autorise un
Brecht. C’est dire qu’il change de face des choses pour notre époque, et pourquoi
pas ? Seule cette canaillerie qui, de se mesurer à l’acte psychanalytique, se résorbe
en bêtise, persiste, et je me souviens de l’écho de chiasse qu’enregistra l’entrée
en jeu de ce que je dis, sous l’espèce d’un article sur le théâtre chez l’hystérique.
La psychanalyse d’aujourd’hui n’a de recours que l’hystérique pas à la page :
quand l’hystérique prouve que la page tournée, elle continue à écrire au verso et
même sur la suivante. Car elle est logicienne.
Ceci pose la question de la référence faite au théâtre par la théorie freudienne :
l’Œdipe pas moins.
Il est temps d’attaquer ce que du théâtre, il a paru nécessaire de maintenir pour
le soutien de l’autre scène. Après tout le sommeil y suffit peut-être. Et qu’il abrite
à l’occasion la gésine des fonctions fuchsiennes, peut justifier que fasse désir qu’il
se prolonge.
Il peut se faire que les représentants signifiants du sujet se passent toujours
plus aisément d’être empruntés à la représentation imaginaire.
Il est certain que la jouissance dont on a à se faire châtrer, n’a avec la
représentation que des rapports d’appareil.

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C’est bien en quoi l’Œdipe sophocléen, qui n’a ce privilège pour nous que de
ce que les autres Œdipe soient incomplets, voire perdus, est encore (17)beaucoup
trop riche (NM : c’est-à-dire qu’il est diffus) pour nos besoins d’articulation.
La généalogie du désir en tant que ce dont il est question, c’est de comment il se
cause, relève d’une combinatoire plus complexe que celle du mythe.
(NM : Nous n’avons pas à rêver sur ce à quoi a servi le mythe. C’est du
métalangage.)
À cet égard les mythologies de Lévi-Strauss sont d’un apport décisif. Elles
manifestent que la combinaison de formes dénommables du mythème dont
beaucoup sont éteintes, s’opère selon des lois de transformation précises, mais
d’une logique fort courte, ou tout au moins (NM : dont le moins qu’on puisse dire
c’est) dont il faut dire que notre mathématique l’enrichit.
Peut-être conviendrait-il de remettre en question si le discours psychanalytique
n’a pas mieux à faire que de se vouer à interpréter ces mythes sous un mode qui
ne dépasse pas le commentaire courant, – au reste parfaitement superflu puisque
ce qui intéresse l’ethnologue, c’est la cueillette du mythe, sa collation épinglée et
sa recollation avec d’autres fonctions, de rite ou de production, recensées de
même dans une écriture dont les isomorphismes articulés lui suffisent.
Pas trace de supposition, allais-je dire, sur la jouissance ainsi servie. C’est bien
vrai, même à tenir compte des efforts faits pour nous suggérer l’opérance
éventuelle d’obscurs savoirs ici gisants. La note donnée par Lévi-Strauss dans les
Structures, de l’action de parade exercée par celles-ci à l’endroit de l’amour, tranche
heureusement ayant passé au reste bien au-dessus des têtes des analystes, à sa
date en faveur.
En somme l’Œdipe a l’avantage de montrer en quoi l’homme peut répondre à
l’exigence du papludun qui est dans l’être d’une femme. Il n’en aimerait, lui,
papludune. Malheureusement ce n’est pas la même. Pour revenir toujours au
même rendez-vous, c’est celui où les masques tombés ne montrent ni lui, ni elle.
Mais cette fable ne se supporte que de ce que l’homme ne soit jamais qu’un
petit garçon. Et que l’hystérique n’en puisse démordre, est de nature à jeter un
doute sur la fonction de dernier mot de sa vérité.
Un pas dans le sérieux pourrait, me semble-t-il, se faire à embrayer ici sur
l’homme dont on remarquera que nous lui avons fait jusqu’à ce point de mon
exposé la part modeste, – encore que ça en soit un, votre serviteur en l’occasion,
qui fasse parler tout ce beau monde.
(NM : Ici le flottant, le brouillard de ce que Freud dit de l’Œdipe est-ce le
mythe – est-ce le drame sophocléen Hamlet)
Il me semble impossible, – ce n’est pas en vain que je bute dès l’entrée sur ce
mot –, de ne pas saisir la schize qui sépare le mythe d’Œdipe de Totem et Tabou.

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J’abats mes cartes : c’est que le premier est dicté à Freud par l’insatisfaction de
l’hystérique, le second par ses propres impasses.
Du petit garçon, ni de la mère, ni du tragique du passage du père au fils, passage
de quoi sinon du phallus ? De cela qui fait l’étoffe du premier, pas trace dans le
second.
Là le père jouit (terme voilé dans le premier mythe par la puissance), le père
jouit de toutes les femmes, jusqu’à ce que ses fils l’abattent, ne s’y étant pas mis
sans s’entendre. Après quoi aucun ne lui succède en sa gloutonnerie de
jouissance. Le terme s’impose de ce qui arrive en retour : que les fils le dévorent,
chacun nécessairement n’en ayant qu’une part, et de ce fait même le tout faisant
une communion. C’est à partir de là que se produit le contrat social : nul ne
touchera non pas à la mère, car (NM : il y est précisé… que seuls parmi les fils les plus
jeunes sont encore) dans le harem. (NM : C’est donc plus les) femmes du père comme
telles (NM : qui sont concernées par l’interdit). Si telle est bien l’origine de la loi, ce
n’est pas de la loi dite de l’inceste maternel pourtant donnée comme inaugurale
en psychanalyse, alors qu’en fait (mise à part une certaine loi de Manou qui la
sanctionne d’une castration réelle), elle est plutôt élidée partout.
Je ne conteste ici nullement le bien-fondé prophylactique de l’interdit
analytique. Je souligne qu’il n’est pas mythiquement justifié (NM : par Freud) et
que l’étrange commence au fait que Freud, ni personne d’autre d’ailleurs, ne
semble s’en apercevoir.
Je continue dans ma foulée : la jouissance (NM : pour Freud) est promue au rang
d’un absolu qui ramène aux soins de l’homme, de l’homme originel, c’est avoué,
et reconnaissons-y le phallus, la totalité de ce qui fémininement peut être sujet à
la jouissance, – cette jouissance, je viens de le remarquer, reste voilée dans le
couple royal de l’Œdipe, mais ce n’est pas que du premier mythe elle soit absente.
Le couple royal n’est même mis en question qu’à partir de ceci qui est énoncé
dans le drame qu’il est le garant de la jouissance du peuple, ce qui colle au reste
avec ce que nous savons de toutes les royautés tant archaïques que modernes.
Et la castration d’Œdipe n’a pas d’autre fin que de mettre fin à la peste
thébaine, c’est-à-dire de rendre au peuple la jouissance dont d’autres vont être
les garants, ce qui bien sûr, vu d’où l’on part, n’ira pas sans quelques péripéties
amères pour tous.
(18)Dois-je souligner que la fonction clef du mythe s’oppose dans les deux

strictement ? Loi d’abord dans le premier, tellement primordiale qu’elle exerce


ses rétorsions même quand les coupables n’y ont contrevenu qu’innocemment.
Et c’est de la loi que ressortit la profusion de la jouissance.
Dans le second, jouissance à l’origine. Loi ensuite dont on me fera grâce
d’avoir à souligner les corrélats de « perversion ». Puisqu’en fin de compte avec
la promotion sur laquelle on insiste assez, du cannibalisme sacré, c’est bien toutes
9
les femmes qui sont interdites de principe à la communauté des mâles qui s’est
transcendée comme telle dans cette communion. C’est bien le sens de cette autre
loi primordiale : sans quoi qu’est-ce qui la fonde ? Etéocle et Polynice sont là, je
pense, pour montrer qu’il y a d’autres ressources. Il est vrai qu’eux procèdent de
la généalogie du désir.
Faut-il que le meurtre du père ait constitué pour qui ? pour Freud ? pour ses
lecteurs ? une fascination suprême, pour que personne n’ait même songé à
souligner que dans le premier mythe il se passe à l’insu du meurtrier qui non
seulement ne reconnaît pas qu’il frappe le père, mais qui ne peut pas le
reconnaître (NM : nul ne frappe son père expressément visé comme tel) puisqu’il en a un
autre, lequel de toute antiquité est son père puisqu’il l’a adopté et que c’est même
expressément pour ne pas courir le risque de frapper ledit père qu’il s’est exilé.
Ce dont le mythe est suggestif, c’est de manifester la place que le père géniteur a
en une époque dont Freud souligne que tout comme dans la nôtre, ce père y est
problématique. Et aussi bien le serait-il, et Œdipe absous, s’il n’était pas de rang
royal, c’est-à-dire si Œdipe n’avait pas à fonctionner comme le phallus, le phallus
de son peuple, pas de sa mère, et qu’un temps ça a marché. J’ai souvent indiqué
que c’est de Jocaste qu’à dû venir le virage : est-ce de ce qu’elle ait su, ou oublié ?
Quoi de commun en tout cas avec le meurtre du second mythe, qu’on laisse
entendre être de révolte, de besoin ? À vrai dire impensable, voire impensé, sinon
comme procédant d’une conjuration ?
Ce terme m’amuse de ce qu’il s’applique à cela qui m’a empêché de traiter ce
sujet en son temps, et d’éviter par là à certains psychanalystes l’occasion de
débiter quelques insanités supplémentaires sur ces points qui font leur tabou.
Je n’en indique ici que ce qu’il faut pour nous ramener à Freud en tant qu’il
nous révèle ici que sa contribution au discours psychanalytique, ne procède pas
moins de la névrose que celle qu’il a recueillie de l’hystérique.
Peut-être le temps est-il mûr pour qu’une pareille assertion, – de toute façon
incontestable : c’est de lui que nous en tenons l’aveu – ne puisse être tenue pour
mettre en cause l’œuvre freudienne.
Bien au contraire. On ne psychanalyse pas une œuvre. On la critique. Et bien
loin qu’une névrose rende suspecte sa solidité, c’est bien souvent elle qui la
soude.
C’est au témoignage que l’obsessionnel apporte de sa structure à ce qui du
rapport sexuel s’avère comme impossible à formuler dans le discours, que nous
devons le mythe de Freud.
Non pas sa loi certes, nous en avons le fruit parfait, je veux dire par là qu’il ne
montre pas d’échappatoire, dans le mariage tout simplement de chacun à sa
chacune. C’est l’exemple éminent d’une loi inepte, mais qui n’en est pas moins
infrangible pour la raison que je dis : qu’il n’y a pas moyen d’y inscrire sa relation
10
à la jouissance qu’elle concerne. S’inscrire ne peut se faire qu’à s’écrire, et ça n’est
possible à partir d’aucune articulation du rapport sexuel chez l’être capable de
faire loi de sa parole.
Je regrette qu’il me faille rappeler ici ce que tout le monde sait et même écrit,
mais de façon parfaitement vaine.
Ce qui importe pour mon discours en tant qu’il s’articule du discours
psychanalytique, c’est comment le névrosé en témoigne, c’est qu’il se définisse
d’en témoigner, et pas vaguement comme les écrivains du cœur.
L’homme, on le sait d’expérience, n’a pas le privilège de la névrose
obsessionnelle, mais il a une préférence pour cette façon de témoigner de
l’inaptitude au rapport sexuel qui n’est pas le lot de son sexe.
Ce témoignage n’a pas moindre valeur que le témoignage de l’hystérique. Il a
pourtant moins d’avenir, non pas seulement d’avoir un passé très chargé, mais
de ne trouver place dans aucun discours qui tienne.
Cela étonne toujours plus à mesure qu’on essaie d’en dépétrer le discours
analytique.
Ce qui ne peut se faire qu’à démontrer la place qu’il y tient.
Les rappels que nous venons de faire des mythes freudiens, permettent d’aller
vite à dire qu’ils ne se supportent que du roman familial : les mythes freudiens
en font partie, et qu’ils y soient partie les juge. Nul besoin là de psychobiographie.
La métaphore paternelle, comme je l’ai dénommée depuis longtemps couvre
le phallus, c’est-à-dire la jouissance en tant qu’elle est du semblant.
C’est bien en cela qu’elle est vouée à l’échec. Il n’y a pas de père symbolique,
ne l’a-t-on pas remarqué, dans l’articulation dont j’ai différencié frustration d’une
part, castration, privation de l’autre.
(19)Le père ne saurait même énoncer la loi, même si historiquement il le paraît :

il ne peut que la servir. Le père législateur est automatiquement forclos, je l’ai


souligné pour Schreber.
Il n’y a qu’un père imaginaire, le père dit idéal, pour constituer l’agent de la
privation, laquelle ne porte que sur des objets symboliques.
C’est bien ce que toute culture qui le promeut, manifeste, comme le
confucianisme en est l’exemple, où ne le représente que la tablette dont
prendront soin ses descendants après que ses enfants se soient dévoués à sa
vieillesse, dans une parfaite méconnaissance de ce qu’il en est de sa fonction
phallique.
Ce n’est pas dire que la loi le châtre. Elle fait pire : elle le typifie.
Il est châtré bien sûr, mais c’est par l’opération du Père réel, qu’il faut
considérer à l’œuvre dans la religion juive qui, seule, a su développer sa
(dimension ? ndc) demansion propre.

11
L’homme du nuage, allais-je dire, de fumée ou de feu, selon qu’il fait jour ou
bien nuit, celui qui contient le peuple de le précéder d’un corps, de lui avoir
donné écrites sur des tables, non les lois du discours, ce qui s’appelle logique,
mais celles de la parole dont sortent les prophètes et autres espèces de profs,
cherchez : y en a plusieurs.
Sa préférence est marquée pour les femmes qui ont passé l’âge, c’est à celles-
là qu’il permet de procréer. L’accent de miracle mis sur le maintien de la lignée
des patriarches, souligne la division de la jouissance et de ce qu’elle engendre.
Ceci veut dire que la jouissance s’opère aux ordres. L’énonciation véritable du
surmoi, – je n’en ai avancé la proposition qu’obliquement, mais une fois énoncée,
elle convainc toujours plus –, elle est dans l’Ecclésiaste et elle se dit en français
« Jouis » en quoi cette langue montre son bonheur. Car la réponse d’y être
homophone, donne sa portée au commandement.
Voilà ce qui fait entendre comment Freud à la fois a pu percevoir la structure
qui conjoint la névrose obsessionnelle à ce qui s’appelle religion (pas seulement
dans notre aire ?), et lui-même avoir recouru à l’ordre qui se déduit du père, tant
s’imposait à lui que rien du sexe ne pût se soutenir que de son maintien.
Or cet ordre ne se soutient que de son impossibilité, dont la passion historique
des juifs est l’exemple.
Ce que la clinique montre pourtant à Freud, c’est la filière de la dette où
l’homme s’instaure de ne pouvoir satisfaire à la fonction du phallus. Évoquerai-
je l’homme aux rats allant ouvrir la porte (geste réel) à la figure mentale de son
père mort pour lui montrer son érection ?

12
1971-06-22 LETTRE DE JACQUES LACAN À MAUD MANNONI

Parue dans Maud Mannoni, Ce qui manque à la vérité pour être dite, Paris, Denoël,
1988, p. 190.

<FAC-SIMILE ABSENT>

Si tu avais assisté cette année à mon séminaire, tu verrais que ce que j’énonce –
qui supporte mal le terme de « théorie » – est bien fait pour répondre à la
situation très sérieuse que tu sens fort bien.
Peut-être ferai-je le point le mercredi 30. Si l’assistance m’en paraît plausible.
En tout cas crois bien que je ne perds rien de ce que tu me dis ou m’écris.

JL
Ce 22 VI 71

13
1971-11-19 OPINION DE J. LACAN SUR « UN MÉTIER DE CHIEN »
DE D. DESANTI

Paru dans un article du Monde du 19.11.1971 sur l’ouvrage de Dominique Desanti : Un


métier de chien, avec le titre : Quel est le « métier de chien » : la psychanalyse ou la
vie ?

L’opinion de Jacques Lacan

Cléo a beau oublier et faire oublier son métier, Dominique Desanti l’a
néanmoins voulue psychanalyste et se hasarde en des contrées où il est bon
de montrer patte blanche. Or, que je sache, elle n’a pas plus que moi fait ses
classes en la matière. L’avis d’un spécialiste était bon à entendre. Très
accroché par le roman, Jacques Lacan a bien voulu nous donner le sien.

« J’ai pris grand plaisir, en effet, à lire Un métier de chien, de Dominique Desanti.
Comme un roman, bien sûr, – et j’en lis peu – non comme un livre sur la
psychanalyse. Là-dessus il n’apprendra pas grand-chose au lecteur. Cléo n’y
pratique pas l’analyse, ni sur elle-même ni sur autrui.
Mais ce que je crois c’est que Dominique Desanti n’aurait pas pu réaliser ce
qu’elle a fait, avec tant de rigueur, de mordant, d’acuité, si son héroïne n’avait pas
été psychanalyste. Sous cette fiction, qui ne vaut que comme fiction, Cléo livre
sans choquer ce qui serait autrement impossible à dire, ce que jamais les vraies
psychanalystes dans la vie ne révéleront : la vérité d’une femme sur l’amour.
Nous bafouillons tous sur l’amour. Elle, pas.
Dominique Desanti a écrit « le roman de la psychanalyste » comme, sans
percer le mystère de la poésie, on écrit « le roman du poète ». Et c’est aussi bien
fichu que du Dos Passos. Pourquoi lui reprocherait-on le masque qu’elle a prêté
à son héroïne si sous ce masque quelques points de mirage et de leurre de notre
temps ont été éclairés ? »

14
1972-01-27 PRÉFACE À L’ÉDITION JAPONAISE DES ÉCRITS

Préface à l’édition japonaise des Écrits, parue dans La lettre mensuelle de l’École de la
cause freudienne, octobre 1981, n° 3, pp. 2-3.

(2)
Qu’on me traduise en japonais, me laisse perplexe. Parce que c’est une langue
dont je me suis approché : à la mesure de mes moyens.
J’en ai pris une haute idée. J’y reconnais la perfection qu’elle prend de
supporter un lien social très raffiné dans son discours.
Ce lien, c’est celui même que mon ami Kojève, l’homme le plus libre que j’aie
connu, désignait du : snobisme.
C’était là chez lui fait d’humour, et fort loin de l’humeur qu’on se croit en
devoir de montrer quant à ce mode d’être, au nom de l’humain.
Plutôt nous avertissait-il (j’entends : nous, les Occidentaux) que ce fût à partir
du snobisme qu’une chance nous restât d’accéder à la chose japonaise sans en
être trop indigne, – qu’il y avait au Japon matière plus sûre que chez nous à
justifier le dit mode.
Note marginale : ce que j’avance ainsi, certains en France le rapprocheraient
sans doute de cet « Empire des signes » dont Barthes nous a ravis, pour peu qu’ils
en aient vent. Que ceux qui au Japon se sont agacés de cette bluette étonnante,
me fassent confiance : je n’en ferai part qu’à ceux qui ne peuvent pas confondre.
Ceci dit, du Japon je n’attends rien. Et le goût que j’ai pris de ses usages, voire
de ses beautés, ne me fait pas en attendre plus.
Notamment pas d’y être entendu.
Ce n’est certes pas que les Japonais ne tendent l’oreille à tout ce qui peut
s’élucubrer de discours dans le monde. Ils traduisent, traduisent, traduisent tout
ce qui en paraît de lisible : et ils en ont bien besoin. Autrement ils n’y croiraient
pas : comme ça, ils se rendent compte.
Seulement voilà : dans mon cas, la situation est pour eux différente. Justement
parce que c’est la même que la leur : si je ne peux pas y croire, c’est dans la mesure
où ça me concerne. Mais ceci ne constitue, entre les Japonais et moi, pas un
facteur commun.
J’essaie de démontrer à des « maîtres », à des universitaires, voire à des
hystériques, qu’un autre discours que le leur vient d’apparaître. Comme il n’y a
que moi pour le tenir, ils pensent en être bientôt débarrassés à me l’attribuer,
moyennant quoi j’ai foule à m’écouter.
Foule qui se leurre, car c’est le discours du psychanalyste, lequel ne m’a pas
attendu pour être dans la place.

15
Mais ça ne veut pas dire que les psychanalystes le savent. On n’entend pas le
discours dont on est soi-même l’effet.
(3)Note marginale : ça se peut quand même. Mais alors on se fait expulser par

ce qui fait corps de ce discours. Ça m’est donc arrivé.


Je reprends de cette note : les Japonais ne s’interrogent pas sur leur discours ;
ils le retraduisent, et dans ceux mêmes que je viens de dire. Ils le font avec fruit,
entre autres du côté du Nobel.
Toujours le snobelisme.
Que peut dès lors leur faire le fait de mes difficultés avec un discours des
psychanalystes auquel personne d’entre eux que j’aie rencontré ne s’est jamais
intéressé ? Sinon au titre de l’ethnologie de la peuplade américaine, où ça
n’apparaît que comme détail.
L’inconscient, ( – pour savoir ce que c’est, lire le discours que ces Écrits
consignent pour être celui de Rome – ), l’inconscient, dis-je, est structuré comme
un langage.
C’est ce qui permet à la langue japonaise d’en colmater les formations si
parfaitement que j’ai pu assister à la découverte par une japonaise de ce que c’est
qu’un mot d’esprit : une japonaise adulte.
D’où se prouve que le mot d’esprit est au Japon la dimension même du
discours le plus commun, et c’est pourquoi personne qui habite cette langue, n’a
besoin d’être psychanalysé, sinon pour régulariser ses relations avec les
machines-à-sous, – voire avec des clients plus simplement mécaniques.
Pour les êtres vraiment parlants, l’on-yomi suffit à commenter le kun-yomi. La
pince qu’ils font l’un avec l’autre, c’est le bien-être de ceux qu’ils forment à ce
qu’ils en sortent aussi frais que gaufre chaude.
Tout le monde n’a pas le bonheur de parler chinois dans sa langue, pour qu’elle
en soit un dialecte, ni surtout, – point plus fort –, d’en avoir pris une écriture à
sa langue si étrangère que ça y rende tangible à chaque instant la distance de la
pensée, soit de l’inconscient, à la parole. Soit l’écart si scabreux à dégager dans
les langues internationales, qui se sont trouvées pertinentes pour la psychanalyse.
Si je ne craignais le malentendu, je dirais que pour qui parle japonais, c’est
performance usuelle que de dire la vérité par le mensonge, c’est-à-dire sans être un
menteur.
On m’a demandé une préface pour mon édition japonaise. J’y dis ce que je
pense pour ce dont, quant au Japon, je n’ai aucune idée, à savoir : ce qu’est le
public.
De sorte que j’ai envie de l’inviter à fermer mon livre, sitôt cette préface lue !
J’aurais l’espoir de lui laisser un souvenir indulgent.

16
Je tremble qu’il poursuive, dans le sentiment où je suis de n’avoir jamais eu,
dans son pays, de « communication » qu’à ce qu’elle s’opère du discours
scientifique, ici je veux dire : par le moyen du tableau noir.
C’est une « communication », qui n’implique pas que plus d’un y comprenne
ce qui s’y agite, voire même qu’il y en ait un.
Le discours de l’analyste n’est pas le scientifique. La communication y
répercute un sens. Mais le sens d’un discours ne se procure jamais que d’un autre.
Maintenant imaginons qu’au Japon comme ailleurs, le discours analytique
devienne nécessaire pour que subsistent les autres, je veux dire : pour que
l’inconscient renvoie leur sens. Telle qu’y est faite la langue, on n’aurait à ma
place besoin que d’un stylo. Moi, pour la tenir, cette place, il me faut un style.
Ce qui ne se traduit pas, hors l’histoire d’où je parle.
Jacques Lacan, ce 27.1.72

17
1972-05-12 DU DISCOURS PSYCHANALYTIQUE

Discours de Jacques Lacan à l’Université de Milan le 12 mai 1972, paru dans l’ouvrage
bilingue : Lacan in Italia 1953-1978. En Italie Lacan, Milan, La Salamandra, 1978,
pp. 32-55.

(32)Je remercie beaucoup M. Cesa Bianchi de nous avoir donné ces quelques
repères, ces quelques mots d’information qui étaient fort exacts sur ce qui peut
constituer un certain nombre d’étapes.
Donc, ce que j’ai fait au cours de ces années a mené à dire…
Mon embarras tient à ce que je ne sais pas… je ne peux pas apprécier d’aucune
façon le degré d’audition du français que représente votre assemblée. Je suis très
heureux d’y voir un très grand nombre de figures jeunes puisque c’est sur…
enfin, c’est dans elles je veux dire, ces figures, que je mets mon espoir.
Je dois dire que je n’aime pas du tout parler français devant des gens dont je
sais qu’ils ne sont pas familiers avec cette langue. Alors, j’espère que je vais sentir
jusqu’où je peux aller dans cet ordre d’émissions.
J’ai rappelé à déjeuner à quelques amis une expérience qui m’est arrivée à John
Hopkins University.
C’était tellement manifeste que mon assemblée n’entendrait rien si je parlais
français que, ayant pris d’abord, comme ça… à la prière générale, la résolution
de parler français, j’ai commencé par m’excuser en anglais de ne pas pouvoir
continuer, c’est-à-dire de parler français, et puis cette excuse a duré une heure et
demie, en anglais bien sûr… C’est affreux quand on m’entend parler anglais.
Mais les américains sont si complaisants, on peut se permettre de telles
dérogations, n’est-ce pas ? … Je vois que vous comprenez le français – bon –
alors ça m’encourage.
Donc je ne continuerai pas à parler des américains : là je suis tout à fait
incapable de vous parler italien, c’est pour ça que je parle français.
(33)Alors, j’ai annoncé que je parlerais Du discours psychanalytique – ce n’est pas

un terme que j’ai avancé depuis longtemps, mais quand même depuis trois ans.
Ce n’est pas commode, devant un auditoire qui n’est pas de mes élèves, qui
n’est pas formé, rompu à quelque chose… (vous voyez, je commence à ouvrir
des parenthèses)… qui n’est pas rompu à quelque chose qui est mon
enseignement, mon Séminaire comme on appelle ça : ce n’est pas un séminaire
du tout, puisque il n’y a que moi qui parle.
Enfin, c’est devenu comme ça. Pendant des années j’ai fait parler d’autres
personnes à mon séminaire, ça me reposait, mais enfin peu à peu, peut être parce
que le temps presse, j’y ai renoncé.
18
Alors, cet enseignement qui dure depuis vingt ans, dont les Écrits… – enfin, je
suis bien forcé de parler des Écrits puisqu’ils viennent de paraître, au moins un
premier morceau – il y en aura peut-être d’autres, ceci grâce à Giacomo Contri
qui a bien voulu y consacrer un très grand soin et un très grand temps.
Je suis bien forcé de parler un peu des Écrits qui, paraît-il, ne vous paraissent
pas faciles.
Ça c’est vrai : ils ne le sont pas, pas du tout même.
C’est qu’ils n’ont jamais été faits, ces fameux écrits… ils n’ont jamais été faits
pour remplacer mon enseignement.
Il y en a d’abord une bonne moitié qui ont été écrits avant que je le commence,
c’est-à-dire que ça n’est pas d’hier puisque je vous ai dit qu’il y a vingt ans que je
fais ce qu’on appelle mon séminaire.
Il y en a une bonne moitié qui sont d’avant, et en particulier ceux dont
beaucoup en sont encore à faire le pivot de ce que j’ai pu apporter au discours
psychanalytique, dont Le stade du miroir. Le stade du miroir, c’était une
communication que j’ai faite dans un congrès aux temps où je faisais encore
partie de ce qu’on appelle IPA – International Psychanalytique Avouée - ou avouable,
comme vous voudrez. Enfin, c’est une façon de traduire ces mots.
Puis, la seconde partie de ces Écrits consiste dans une série d’articles où je me
suis trouvé, disons chaque année à partir d’un certain moment, entre un certain
moment et un autre… où je me suis trouvé chaque année donner une sorte de
repère, qui permettait à ceux qui m’avaient entendu au séminaire de trouver là,
enfin, condensé, en somme concentré, ce que j’avais pu (34)apporter ou ce que je
croyais moi-même pouvoir repérer comme étant axial dans ce que j’avais énoncé.
Ça n’empêche pas que c’est une très mauvaise façon, en somme, de rassembler
un public.
C’est très difficile d’abord, la notion de public. Je vais me risquer à rappeler
que lors de cette publication, je me suis livré au jeu de mots de l’appeler
poubellication – je vois qu’il y a des gens qui savent ce que c’est le mot poubelle.
Il y a une trop grande confusion en effet, de nos jours, entre ce qui fait public et
ce qui fait poubelle ! C’est même pour ça que je refuse les interviews, parce que
malgré tout, la publication des confidences, c’est ça qui fait l’interview.
Ça consiste alors tout à fait à attaquer le public au niveau de la poubelle.
Il ne faut pas confondre la poubelle avec le pubis – ce n’est pas du tout pareil.
Le pubis a beaucoup de rapports avec la naissance du mot public.
C’est vrai, hein ?
Ça ne se discute pas, enfin… je pense.
C’était un temps où le public, ce n’était pas la même chose que le déballage du
privé, et où quand on passait au public on savait que c’était un dévoilement, mais
maintenant ça ne dévoile plus rien puisque tout est dévoilé.
19
Enfin, évidemment je ne suis pas porté à vous faire des confidences, et
pourtant je suis forcé quand même de dire quelque chose qui, étant donné que
je ne vous verrai qu’une fois – enfin, ça m’étonnerait de vous revoir d’ici peu –
je suis forcé de vous dire quelque chose tout de même qui est de l’ordre de cette
confidence.
À savoir, comment je peux me sentir actuellement dans cette position que
j’occupe auprès de gens qui ne font pas partie de mon auditoire.
Ce que je peux bien marquer, n’est-ce pas, c’est ce que j’ai dit d’abord, c’est
que les Écrits, ça me semble difficile que exportés, comme ça, hors du contexte
d’un certain effort que je fais et dont je vais vous dire sur quoi il est centré, que
les Écrits, enfin, ça suffise du tout à ce qu’on puisse là dessus élucubrer quoi que
ce soit qui corresponde vraiment à mon discours.
L’auditoire et l’éditoire, si je peux m’exprimer ainsi, ce n’est pas du tout du
même niveau, vous le voyez.
Nous jouons enfin là, éditoire, comme ça… poubellication… ça fait obscène
et du même coup auditoire se contamine.
(35)Tout ça, c’est une façon en somme de voir ce que je peux dire et de vous

introduire comme ça, tout doucement, à ce qui est très important.


Ce que j’appellerai le jeu des signifiants.
Le jeu des signifiants, ça glisse au sens.
Mais l’important dans ce que j’énonce c’est que ça ne glisse jamais qu’à la
manière d’un dérapage.
Pour ceux qui sont tout à fait inaccoutumés à ces termes, je dis simplement
ceci : les signifiants ou le jeu des signifiants, c’est lié au fait de la langue, du
langage – ce n’est pas équivalent. La langue c’est quelque chose d’assez spécifié
pour chacun, c’est la langue maternelle, l’italien pour la plupart d’entre vous.
C’est ça qui fait la langue.
Il se trouve qu’il y a quelque chose qu’on peut repérer, comme étant déterminé
vers une même fin, pour toutes les langues, et c’est en généralisant, comme on
s’exprime, qu’on parle du langage : comme caractérisant l’homme.
(Rumore nell’aula)
Qu’est-ce qu’il y a ?… Je ne demanderais pas mieux que de laisser la parole à
quelqu’un, qui me prouverait par là que moi-même je ne parle pas en vain…
Alors, le langage, on a le sentiment que ça définit un être, qu’on appelle
généralement l’homme, et après tout, en se contenant strictement de le définir
ainsi, pourquoi ?
Il est certain qu’il y a un animal sur qui le langage est descendu, si je puis dire,
et que cet animal en est vraiment marqué.
Il en est marqué au point que je ne sais pas jusqu’où je peux aller pour bien le
dire.
20
C’est pas seulement que la langue fasse partie de son monde, c’est que c’est ça
qui soutient son monde de bout en bout.
C’est pour ça que… N’essayez pas de chercher quelle est ma Weltanschauung –
je n’ai aucune Weltanschauung, pour la raison que ce que je pourrais à la rigueur en
avoir, ça consiste à dire que le Welt… le monde, c’est bâti avec du langage.
Ce n’est pas une vue sur le monde, ça ne laisse place à aucune vue – ce qu’on
s’imagine être vu, être intuitif, est évidemment lié à quelque chose qui est le fait
que nous avons les yeux, et que le regard, c’est vraiment une passion de l’homme.
La parole aussi, bien sûr. Il s’en aperçoit moins.
(36)Puis il y a d’autres éléments qui sont tout à fait cause de son désir.

Mais c’est un fait que la psychanalyse, la pratique psychanalytique nous a


montré le caractère radical de l’incidence signifiante dans cette constitution du
monde.
Je ne dis pas pour l’être qui parle, parce que ce que j’ai appelé tout à l’heure ce
dérapage, cette glissade qui se fait avec l’appareil du signifiant… c’est ça qui
détermine l’être chez celui qui parle. Le mot d’être n’a aucun sens au dehors du
langage.
On a fini quand même par s’apercevoir que ce n’est pas à méditer sur l’être
qu’on fera en rien le moindre pas.
On a fini par s’en apercevoir par la conséquence… conséquence un peu
poussée… les suites de cette pratique que j’ai appelée le glissement avec le
signifiant.
La façon qu’on a, plus ou moins savante, de déraper à la surface de ce qu’on
appelle les choses… de ce qu’on appelle les choses jusqu’au moment où on
commence à considérer que les choses, ce n’est pas très sérieux.
On arrive vraiment à concentrer la puissance du signifiant d’une façon telle
qu’une part de ce monde finit par, simplement, s’écrire dans une formule
mathématique.
Formules mathématiques auxquelles, bien sûr pour les écoliers, on essaye de
conjoindre un sens.
En effet on y parvient : la formule d’Einstein et même d’Heisenberg, enfin,
sont des petits termes qui désignent la masse.
Et la masse, ça fait toujours de l’effet, n’est-ce pas, on s’imagine qu’on sait ce
que c’est. Et en effet on ne se l’imagine pas toujours – quelques fois quand on a
des notions physiques précises, on sait comment ça se calcule, mais on aurait tort
de croire que la masse c’est ça ou ça… par le sentiment.
Ce n’est pas seulement parce que nous pesons un petit peu qu’on peut
s’imaginer qu’on sait ce que c’est que la notion de masse.
C’est seulement à partir du moment où l’on commence à faire tourner quelque
chose, que l’on voit que les corps ont une masse.
21
Mais ça reste toujours tellement contaminé par quelque chose qui est lié au fait
qu’il y a une corrélation entre la masse et le poids qu’en réalité on fait mieux de
ne pas chercher à comprendre, et simplement de s’en tenir aux formules.
(37)C’est en ça que la mathématique démontre vraiment quel est le point de

l’usage du signifiant. Bien sûr, nous sommes arrivés à… […] … que de fait nous
sommes déjà plongés dans le langage.
Vous le voyez, je ne dis pas : nous sommes des êtres parlants.
Nous sommes dans le langage, et je ne me crois pas du tout en mesure de vous
dire pourquoi nous y sommes, ni de dire comment ça a commencé.
C’est même comme ça qu’on a pu commencer à dire sur le langage quelque
petite chose, débarrassés du préjugé que c’est essentiel que ça ait un sens : ce
n’est pas essentiel que ça ait un sens, et c’est même là-dessus qu’est fondée cette
nouvelle pratique qui s’appelle la linguistique.
Ce qu’il faut – c’est là que la linguistique se centre bien – c’est se centrer sur le
signifiant en tant que tel.
Il ne faut pas croire que le signifié – qui bien entendu se produit dans le sillage
du signifiant – que ça soit là quelque chose d’aucune façon premier ; et se dire
que le langage est là pour qu’il permette qu’il y ait la signification, c’est une
démarche dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle est précipitée.
Il y a quelque chose de plus primaire que les effets de signification, et c’est là
que la recherche – si tant est que jamais on cherche quelque chose, si on ne l’a
pas d’abord trouvé, hein ? – c’est là que la trouvaille est susceptible d’avoir
d’effet.
Enfin voyez-vous, pour le signifiant, tout à l’heure j’y suis arrivé avec ce que
j’ai appelé le dérapage, l’effet de glissement…
Enfin, je serai porté à vous faire la métaphore que le signifiant, c’est comme le
style : c’est déjà pareil, c’est du style qu’on aurait déjà là.
C’est peut-être possible que l’animal humain l’ait un jour fabriqué… Nous
n’avons pas la moindre trace de ce qui pourrait s’appeler l’invention du langage…
Aussi loin dans le passé que nous le voyons fonctionner, c’est lui qui a le dessus
du pavé.
Bon, alors, vous me direz, qu’est-ce que ça à faire avec la psychanalyse ?
Ça a à faire de la façon la plus étroite, parce que si on ne part pas de ce niveau
qui est le niveau de départ, on ne peut absolument rien faire de plus dans
l’expérience psychanalytique… on ne peut rien faire de plus que (38)de faire de la
bonne psychothérapie…
C’est à dire, comme aussi bien les psychanalystes l’avouent… ils avouent tout,
ils déballent tout…
Il y a eu un jour… Claudel… comme ça, qui a imaginé que le châtiment de
Ponce Pilate, enfin, ça devait être ceci : parce qu’il avait demandé, très mal à
22
propos : Qu’est-ce que la vérité ? – que chaque fois qu’il parlait devant une idole,
l’idole ouvrait son ventre, et qu’est-ce qu’il en sortait ? C’était un formidable
déballage de sous de l’époque, des trucs qu’on mettait dans la tirelire…
Les psychanalystes sont comme ça, ils vous avouent tout… ils avouent tout…
et tout ce qu’ils racontent prouve qu’évidemment ils sont des très bonnes
personnes.
C’est fou ce qu’ils aiment l’être humain, qu’ils veulent son bien, sa normalité –
c’est inouï, enfin, n’est-ce pas, c’est inouï la folie de guérir, de guérir de quoi ?
C’est justement ça qu’il faut jamais mettre en question…
Au nom de quoi est-ce qu’on se considère comme malade ? En quoi est-ce
qu’un névrosé est plus malade qu’un être normal, dit normal ? Si Freud a apporté
quelque chose, c’est justement pour démontrer que la névrose, enfin, est
strictement insérée quelque part dans une faille qu’il nomme, qu’il désigne
parfaitement, qu’il appelle sexualité, et il en parle d’une telle façon que ce qui est
clair, c’est justement… c’est ce dans quoi l’homme n’est pas du tout à son aise.
L’homme, bien sûr, appelé au sens large, la femme non plus ; enfin, il n’y a rien
qui aille si mal que les rapports de l’homme et de la femme.
C’est ça, ce qu’il y a d’admirable, c’est qu’il y a des gens ici qui ont l’air
d’entendre ça pour la première fois. C’est absolument sublime, comme si vous
n’étiez pas nés là dedans… À savoir que pour vous baiser avec une fille, ça ne
marche jamais. Pour la fille c’est la même chose… et depuis que le monde est
monde, il y a toute une littérature, il y a la littérature qui ne sert qu’à dire ça.
Alors, Freud un jour parle de sexualité [in falsetto] et il suffit que ce mot sucré soit
sorti de sa bouche pour que tout le monde croie que c’est pour résoudre la question.
C’est-à-dire qu’à partir du moment, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, que
si l’on pose une question, c’est qu’il y a déjà la réponse, donc s’il pose la question
c’est (39)qu’il a la réponse – c’est-à-dire qu’avec ça, ça doit marcher.
Ce qui supposerait que Freud ait l’idée de l’accord sexuel.
Or, enfin, il suffit de lire, d’ouvrir son œuvre pour voir que jusqu’à la fin, lui,
parce qu’il était homme, enfin, il est resté là.
Et il le dit, il l’écrit, il l’étale, enfin, à se demander : une femme, qu’est-ce que
ça peut bien vouloir ? [risa]
Il n’y a pas besoin pour ça de faire allusion à la biographie de Freud, parce que
c’est toujours comme ça qu’on rétrécit la question, d’autant plus qu’il était
névrosé comme tout le monde, puis il avait une femme qui était une
emmerdeuse… Enfin, ça c’est connu… La vieille Madame Freud…
C’est vraiment rapetisser la question.
C’est justement pour ça que je ne me mettrais jamais à faire la psychanalyse de
Freud, d’autant plus que c’est une personne que je n’ai pas connue.

23
Ce qui est dit par Freud c’est ça, ce que je viens de dire. C’est ce dérapage du
signifiant dont je parlais tout à l’heure, qui fait qu’au nom du fait qu’il a dépeint
ça* « sexualité », on suppose qu’il savait ce que ça voulait dire : sexualité.
Mais justement ce qu’il nous explique c’est qu’il ne le sait pas.
Il ne le sait pas. La raison pour laquelle il ne le sait pas, justement, c’est ce qui
lui a fait découvrir l’inconscient.
C’est-à-dire, s’apercevoir que les effets du langage jouent à cette place où le
mot « sexualité » pourrait avoir un sens.
Si la sexualité chez l’être parlant, ça fonctionnait autrement qu’à s’empêtrer
dans ces effets du langage…
Je ne suis pas en train de vous dire que le langage est venu là pour remplir le
trou – je ne sais pas si le trou est primitif ou s’il est second : à savoir si c’est le
langage qui a tout détraqué.
Je m’étonnerais que le langage soit là pour tout détraquer.
Il y a des champs où ça réussit… mais où ça ne réussit jamais que pour faire
partage de ce qui paraît aller bien chez les animaux – à savoir qu’ils ont l’air de
baiser d’une façon bien polie.
Parce que c’est vrai, chez les animaux ça a l’air –

Qu’on dise comme fait reste oublié derrière ce qui est dit dans ce qui s’entend.
Cet énoncé qui est assertif par sa forme, appartient au modal pour ce qu’il émet
d’existence.

(41)c’est ce qui nous frappe par contraste – ça a l’air de se passer gracieusement.

* Ce mot est bien orthographié ainsi.


24
Il y a la parade. Il y a toutes sortes d’approches charmantes, et puis ça a l’air de
tourner rond jusqu’à la fin. Il n’y a pas d’apparence, chez les animaux, ni de viols,
ni non plus de toutes ces complications, tout ce baratin qu’on fait autour.
Ça se passe chez eux d’une façon pour tout dire civilisée [risa].
Chez l’homme, ça fait ce qu’on appelle des drames […]. Par quoi bien sûr tout
le malentendu […].
Plût au ciel que les hommes fassent l’amour comme les animaux, ça serait
agréable.
Je me laisse un petit peu, comme ça, entraîner à quelque chose… enfin, de
tellement patent.
Il faut quand même bien le rappeler […] quelque chose qui est quand même
ce qui est de l’expérience du psychanalyste.
Qu’il fasse comme s’il n’en savait rien, ça tient à une nécessité de discours qui
est là écrite au tableau.
Il faut bien quand même que je m’en serve, puisque je suis venu un quart
d’heure à l’avance pour l’écrire au tableau.
Ça tient les caractères-clefs dans tout discours de ce point que j’appelle le
semblant.
Mon dernier séminaire – ou appelez-le comme vous voudrez, mais ce n’est pas
le dernier puisque le dernier est celui que je suis en train de finir – mon dernier
séminaire donc, celui d’avant, s’appelait : D’un discours qui ne serait pas du semblant.
J’ai passé mon année à démontrer que c’est un discours tout à fait exclu.
Il n’y a aucun discours possible qui ne serait pas du semblant.
Ça c’est du semblant, hein ?
Bon, alors c’est tout à fait admissible à un certain niveau que le psychanalyste
fasse semblant, comme s’il était là pour que les choses marchent sur le plan du
sexuel. L’ennuyeux c’est qu’il finit par le croire, et alors ça le fige lui-même,
complètement.
C’est-à-dire, pour appeler les choses par leur nom, il en devient imbécile.
Je crois qu’il était, à une certaine date, nécessaire – pour lui permettre de faire
un peu de gymnastique, pour, (42)dans une expérience telle qu’elle est instituée,
qu’il puisse y faire quelque pas de plus – qu’il fallait au moins lui rappeler ce qu’il
fait : à savoir, malgré tout, que c’est de faire parler quelqu’un en lui expliquant
comment il faut faire, c’est-à-dire pas n’importe quoi. Lui expliquer la règle : dire
à une personne comment il faut qu’elle parle… Et que ça arrive à donner quelque
chose, qu’il s’agit de comprendre pourquoi quelque chose qui se fait avec cet
appareil que j’appelle le signifiant, ça peut avoir des effets.
Qu’il y ait un décollage nécessaire, qui consiste justement… à ne pas
comprendre trop vite, c’est ça que j’ai essayé de produire.

25
À une certaine époque… évidemment ce n’était pas une époque très bien
choisie, mais je n’avais pas le choix… Je suis entré dans la psychanalyse, comme
ça, un peu sur le tard. En effet jusqu’à ce moment-là… en neurologie un beau
jour… qu’est ce qu’il a pu me prendre ?… j’ai eu le tort de voir ce que ça peut
être ce qu’on appelle un psychotique.
J’ai fait ma thèse là-dessus : De la psychose paranoïaque – oh scandale ! – dans ses
rapports avec la personnalité.
Personnalité, vous pensez, ce n’est pas moi qui n’en ferais jamais des gorges
chaudes.
Mais enfin, à cette époque ça représentait pour moi, comme ça, une nébuleuse,
enfin, quelque chose… qui était déjà bien suffisamment scandaleux pour
l’époque, je veux dire que ça a fait un véritable effet d’horreur.
Enfin, ça m’a mené à faire l’expérience de la psychanalyse moi-même. Après
ça il y a eu la guerre, pendant laquelle j’ai poursuivi cette expérience. Au sortir de
la guerre j’ai commencé à dire que je pourrais peut-être en dire un peu quelque
chose.
« Surtout pas – m’a-t-on dit – personne n’y comprendrait rien… on vous
connaît, on vous a repéré déjà depuis un moment ».
Enfin, bref, il a fallu pour ça une espèce de crise, de crise politique, politique
intérieure… le micmac entre psychanalystes, pour que je me sois trouvé dans
une position extraite.
Et comme il y en avait qui avaient l’air de vouloir que je fasse quelque chose
pour eux…
(43)Je n’aurais commencé que, comme on dit, très sur le tard : mais moi je n’ai

jamais été ennuyé d’être tard… je n’éprouvais aucun besoin, après tout, de forcer
les gens.
Pour ne pas les forcer j’ai commencé à raconter les choses au niveau où je les
avais vues.
Retour à Freud : on m’a naturellement mis cette étiquette, que je mérite bien,
parce que c’est comme ça que je l’ai d’abord moi-même produite.
Je m’en fous de toi Freud. Simplement, c’était le procédé pour que les
psychanalystes s’aperçoivent que ce que j’étais en train de leur dire, c’était déjà
dans Freud.
À savoir, qu’il suffit qu’on analyse un rêve pour voir qu’il ne s’agit que de
signifiant. Et de signifiant dans toute cette ambiguïté que j’ai appelée tout à
l’heure la fonction de déparage2.

2 . Est-ce un lapsus ? …
26
À savoir, qu’il n’y a pas un signifiant dont la signification serait assurée. Elle
peut toujours être autre chose, et même elle passe son temps à glisser aussi loin
qu’on veut dans la signification.
Tellement sensible dans La Traumdeutung, ça ne l’était pas moins dans la La
psychopathologie de la vie quotidienne… ça l’est encore plus dans Le mot d’esprit.
Ça me paraît essentiel, c’est essentiel.
La chose qui me frappe c’est…
[Il discorso si interrompe per il cambio del nastro]
… cette priorité du signifiant.
Maintenant tout le monde est à la page. Ce que vous trouverez dans une revue
d’avant-garde, ou même pas d’avant-garde, de n’importe quoi, quant à ce
signifiant… on nous en rabat les oreilles.
Quand je pense qu’au moment où j’ai commencé, nous étions sous le règne de
l’existentialisme, et maintenant… je ne sais pas… Je ne voudrais pas avoir l’air,
enfin, d’attenter au style, à la hauteur d’un écrivain dont j’ai la plus grande
admiration : il s’agit de Sartre.
Et même Sartre… enfin, maintenant le signifiant est entré dans son
vocabulaire.
Tout le monde, enfin, sait que signifiant signifie lacanisation.
Qu’est-ce que ça veut dire ?
Ouais.
De temps en temps je m’imagine que j’y suis pour quelque chose, et dans ce
cas là, c’est bien ça qui m’a fait…
… j’ai retrouvé dans mes notes, comme ça, que (44)j’avais écrit quelque chose
le 11 avril 1956, dans un séminaire recueilli… c’est vrai que bien avant que ce
soit devenu absolument… enfin, mon œuvre maintenant connue, bien sûr, il était
tout autre…
… il n’en est pas moins vrai que ce que je suis en train de dire maintenant –
qui lui bien sûr sera exploité dans vingt ans – ce que je suis en train de vous dire
maintenant, quand c’est aux structures de la logique mathématique que je recours
pour définir de quoi il s’agit dans ce que j’appelle discours psychanalytique, je
peux très bien m’apercevoir qu’il y a des choses drôles : vous comprenez par
exemple, que si je vous ai dit, bien sûr, que de mes Écrits il ne fallait pas vous
fatiguer… mais quand même, à l’avant-dernier paragraphe de mon
« Intervention sur le transfert » il est écrit : « Le cas de Dora paraît privilégié pour
notre démonstration en ce que, s’agissant d’une hystérique, l’écran du moi y est
assez transparent pour que nulle part, comme l’a dit Freud, ne soit plus bas le
seuil entre l’inconscient et le conscient, ou pour mieux dire, entre le discours
analytique et le mot du symptôme ».

27
Évidemment, c’est en 51, le discours analytique : j’ai évidemment mis du temps
à lui donner sa place. Mais enfin, je n’écris jamais les mots au hasard, et le
discours analytique c’est tout de même ce jour-là, n’est-ce pas, que je l’ai produit.
Enfin, cinq ans plus tard, lorsque j’avais commencé mon enseignement, la
structure… la structure, écris-je alors… parce que maintenant je ferai attention,
je ne voudrais pas me rallier ou paraître me rallier à cette salade qu’on appelle le
structuralisme.
Mais enfin, la structure, j’en parlais alors parce que personne ne connaissait ce
mot. Enfin, la structure est une chose qui se présente d’abord comme un groupe
d’éléments, formant un ensemble co-variant.
Je suis maintenant à me repérer sur quelque chose qui s’appelle précisément la
Théorie des ensembles.
Je parle tout de suite après de structures closes et de structures ouvertes, ce qui
est également tout à fait à la page de ce que j’énonce maintenant.
Et spécialement… nous y voyons des relations de groupe fondées sur la notion
d’ensemble, je souligne : relations ouvertes ou fermées.
À l’époque… je ne peux pas m’exprimer autrement (45)qu’à dire que dégager
une loi naturelle, c’est dégager une formule signifiante pure. Moins elle signifie
quelque chose, plus nous pouvons la mettre du point de vue scientifique…
Je fais remarquer […] que le pas scientifique, ça consiste justement en ça : à
couper les choses, strictement, au niveau dit signatura rerum… […] du signifiant
serait là arrangé – arrangé, bien sûr, par qui ? par Dieu, parce que la signatura rerum
c’est de Jakob Böhme… – pour signifier quelque chose. La démarche
scientifique, c’est ça.
C’est, bien sûr, ponctuer le monde de signifiants mathématiques… mais
s’arrêter justement à ceci… que ce soit pour signifier… Car c’était bien ce qui
jusque là avait empêtré toutes les terres, et ce qu’on appelle improprement le
finalisme.
Nous sommes aussi finalistes que tout ce qui a existé avant le discours de la
science.
Il est tout à fait clair que rien dans aucune loi n’est là pour autre chose que
pour aboutir à un certain point, bien sûr.
Le discours scientifique est finaliste, tout à fait, au sens du fonctionnement
[…] nous ne nous rendons pas compte que ce finalisme, ça serait le finalisme…
que ce soit fait pour nous enseigner quelque chose, par exemple pour nous inciter
à la vertu, pour nous amuser simplement […] dans un monde qui peut être tout
à fait structuré sur des causes finales… il serait facile de démontrer que la
physique moderne est parfaitement finaliste.

28
L’idée même de la conservation de l’énergie est une idée finaliste… celle aussi
de l’entropie, puisque justement, ce qu’elle montre, c’est vers quel frein ça va, et
ça va nécessairement.
Ce qu’il y a de changé, c’est qu’il n’y a pas de finalisme, justement pour ça : que
ça n’a aucune espèce de sens.
[…]
[…] faire décoller le sens qui est donné couramment au subjectif et à
l’objectif… le subjectif est quelque chose que nous rencontrons dans le réel.
Non pas que le subjectif soit donné au sens que nous entendons
habituellement pour « réel », c’est-à-dire qui implique l’objectivité : la confusion
est sans cesse faite dans les écrits analytiques.
(46)Il apparaît dans le réel en tant que le subjectif suppose que nous avons en

face de nous un sujet qui est capable de se servir du signifiant comme tel… et de
se servir du signifiant comme nous nous en servons, se servir du jeu du signifiant
non pas pour signifier quelque chose, mais précisément pour nous tromper sur
ce qu’il y a à signifier… se servir du fait que le signifiant est autre chose que la
signification, pour nous présenter un signifiant trompeur.
Bref, comme vous le voyez, enfin, c’est pas d’hier.
J’insiste sur ce biais-clé.
C’est très curieux que la position d’analyste ne permette pas de s’y soutenir
indéfiniment.
Ce n’est pas seulement parce que ce qu’on appelle… ce qu’on appelait tout à
l’heure l’Internationale… pour des raisons tout à fait contingentes, y a fait
obstacle.
Et même des hommes, enfin, que j’avais formés à un moment, ils […].
Ce que en somme j’ai essayé d’en instituer a abouti à ce que j’ai appelé quelque
part, noir sur blanc, un échec.
Ce n’est pas là l’essentiel, parce qu’un échec, nous savons très bien par
l’expérience analytique ce que c’est : c’est une des formes de la réussite.
On ne peut pas dire que, en fin de compte, je n’ai pas réussi quelque chose…
j’ai réussi à ce que quelques analystes se préoccupent de ce biais que j’ai essayé
de vous expliquer : quel est le clivage entre le discours analytique et les autres.
Et puis je dirais que tout le monde depuis quelques années y est intéressé.
Tout le monde y est intéressé au nom de ceci : qu’il y a quelque chose qui ne
tourne plus rond.
Il y a quelque part, du côté de ce qu’on appelle si gentiment, si tendrement, la
jeunesse… comme si c’était une caractéristique… au niveau de la jeunesse il y a
quelque chose qui ne marche plus du côté d’un certain discours… du discours
universitaire, par exemple… Je n’aurais probablement pas le temps de vous le
commenter, le discours universitaire…
29
Celui-là, c’est le discours éternel, le discours fondamental. L’homme est quand
même un drôle d’animal, n’est-ce pas ? Où, dans le règne animal, y a-t-il le
discours du maître ? Où est-ce que dans le règne animal y a-t-il un maître ?…
(47)S’il ne vous saute pas aux yeux tout de suite, à la première appréhension,

que s’il n’y avait pas de langage il n’y aurait pas de maître, que le maître ne se
donne jamais par force ou simplement parce qu’il commande, et que comme le
langage existe vous obéissez.
Et même que ça vous rend malades, que ça ne continue pas comme ça.
Tout ce qui se passe au niveau, comme ça, de ce qu’on appelle la jeunesse, est
très sensible parce que ce que je pense c’est que si le discours analytique avait
pris corps… ils sauraient mieux ce qu’il y a à faire pour faire le révolution.
Naturellement il ne faut pas se tromper, hein ? Faire la révolution, je pense que
quand même, enfin, vous autres, vous qui êtes là et à qui je m’adresse le plus…
vous devez quand même avoir compris ce que ça signifie… que ça signifie…
revenir au point de départ.
C’est même parce que vous vous apercevez que c’est démontré
historiquement : à savoir qu’il n’y a pas de discours du maître plus vache que à
l’endroit où l’on a fait la révolution…
Vous voudriez que ça se passe autrement. Évidemment ça pourrait être mieux.
Ce qu’il faudrait, c’est arriver à ce que le discours du maître soit un peu moins
primaire, et pour tout dire un peu moins con.
… [risa nel pubblico]…
… comme vous savez le français, hein ?… c’est merveilleux.
Et en effet, si vous regardez là mes petites formules tournantes, vous devez
voir que la façon dont, ce discours analytique, je le structure… c’est exactement
à l’opposé de ça qu’est le discours du maître… à savoir qu’au niveau du discours
du maître, ce que je vous ai appelé tout à l’heure le signifiant-maître, c’est ça, c’est
ce dont je m’occupe pour l’instant : il y a de l’Un.
Le signifiant, c’est ce qui a introduit dans le monde l’Un, et il suffit qu’il y ait
de l’Un pour que ça… ça commence, ça… [indica le formule alla lavagna]… ça
commande à S2.
… c’est-à-dire au signifiant qui vient après… après que l’Un fonctionne : il
obéit.
Ce qu’il y a de merveilleux, c’est que pour obéir il faut qu’il sache quelque
chose.
Le propre de l’esclave, comme s’exprimait Hegel, c’est de savoir quelque
chose.
(46)S’il ne savait rien, on ne prendrait même pas la peine de le commander, quoi

que ce soit.

30
Mais par ce seul privilège, cette seule primarité, cette seule existence inaugurale
qui fait le signifiant… du fait qu’il y a le langage, le discours du maître ça marche.
C’est tout ce qu’il lui faut d’ailleurs, au maître, c’est que ça marche.
Alors, pour en savoir un peu plus sur les effets justement du langage, pour
savoir comment ça détermine ce que j’ai appelé d’un nom qui n’est pas tout à fait
celui de l’usage reçu : le sujet…
… s’il y avait eu un travail, un certain travail fait à temps dans la ligne de Freud,
il y aurait peut être eu… à cette place… à cette place qu’il désigne, dans ce
support fondamental qui est soutenu de ces termes : le semblant, la vérité, la
jouissance, le plus-de-jouir… il y aurait peut être eu… au niveau de la production,
car le plus-de-jouir c’est ce que produit cet effet de langage… il y aurait peut être
eu ce qui s’implique du discours analytique, à savoir un tout petit peu meilleur
usage du signifiant comme Un.
Il y aurait peut être eu… mais d’ailleurs, il n’y aura pas… parce que maintenant
c’est trop tard…
… la crise, non pas du discours du maître, mais du discours capitaliste, qui en
est le substitut, est ouverte.
C’est pas du tout que je vous dise que le discours capitaliste ce soit moche,
c’est au contraire quelque chose de follement astucieux, hein ?
De follement astucieux, mais voué à la crevaison.
Enfin, c’est après tout ce qu’on a fait de plus astucieux comme discours. Ça
n’en est pas moins voué à la crevaison. C’est que c’est intenable. C’est
intenable… dans un truc que je pourrais vous expliquer… parce que, le discours
capitaliste est là, vous le voyez… [indica la formula alla lavagna]… une toute petite
inversion simplement entre le S1 et le S… qui est le sujet… ça suffit à ce que ça
marche comme sur des roulettes, ça ne peut pas marcher mieux, mais justement
ça marche trop vite, ça se consomme, ça se consomme si bien que ça se consume.
Maintenant vous êtes embarqués… vous êtes embarqués,… mais il y a peu de
chances que quoi que ce soit se passe de sérieux au fil du discours analytique,
sauf comme ça, bon, au hasard.
À la vérité je crois qu’on ne parlera pas du (49)psychanalyste dans la
descendance, si je puis dire, de mon discours… mon discours analytique.
Quelque chose d’autre apparaîtra qui, bien sûr, doit maintenir la position du
semblant, mais quand même ça sera… mais ça s’appellera peut être le discours
PS. Un PS et puis un T, ça sera d’ailleurs tout à fait conforme à la façon dont on
énonce que Freud voyait l’importation du discours psychanalytique en
Amérique… ça sera le discours PST. Ajoutez un E, ça fait PESTE.
Un discours qui serait enfin vraiment pesteux, tout entier voué, enfin, au
service du discours capitaliste.

31
Ça pourra peut être un jour servir à quelque chose, si, bien sûr, toute l’affaire
ne lâche pas totalement, avant.
Bref, il est huit heures moins le quart et ça fait une heure et demie que je parle.
Je ne vous ai dit, bien entendu, que le quart de ce que j’avais ce soir à vous dire.
Mais il n’est peut être pas impensable qu’à partir de ce que je vous ai indiqué, de
la structure du discours capitaliste et du discours psychanalytique, que quelqu’un
me pose quelques questions.
[…]
De très braves gens, mais tout à fait inconscients de ce que disait Marx lui-
même… s’en marrent… sans Marx.
Et voilà que Marx leur apprend que ce dont il s’agit c’est uniquement de la
plus-value.
La plus-value c’est ça… c’est le plus-de-jouir… hein ?
[rumore nella sala]
Mais qu’est-ce que ces gens ont compris, c’est merveilleux… Ils se sont dit :
« Bien, voilà, c’est vrai ! ».
Il n’y a que ça qui fait fonctionner le système. C’est la plus-value. Le capitalisme
en a reçu enfin ce bond… ce coup d’ailes qui fait qu’actuellement […].
C’est quelque chose, comme ça, d’un petit peu analogue, mais pas du même
sens, que je dirais qu’ils auraient pu faire si vraiment les gens travaillaient un peu,
si vraiment ils interrogeaient le signifiant, le fonctionnement du langage. S’ils
l’interrogeaient de la même façon que l’interroge un analysant, comme je
l’appelle, c’est-à-dire pas un analysé, puisque c’est lui qui fait le travail : le type
qui est en analyse…
… s’il l’interrogeait de la même façon, peut être qu’il en sortirait quelque chose.
(50)C’est ça la règle analytique. Ça ne lui était jamais arrivé qu’on […] pas

simplement le type qui a une velléité. On le force à dire quelque chose, et là, c’est
là qu’on l’attrape, parce que quand même l’interprétation analytique, même
quand elle est faite par un imbécile, ça joue quand même sur quelque chose, au
niveau de l’interprétation. On lui montre quelques effets logiques de ce qu’il dit,
qui se contredit à la fois. Se contredire ce n’est pas de tout le monde.
Mais on ne peut pas se contredire de n’importe quelle façon. Il y a des
contradictions sur lesquelles on peut construire quelque chose, et puis d’autres
sur lesquelles on ne peut rien construire du tout.
C’est tel le discours analytique. On dit ce quelque chose, très précisément au
niveau où le signifiant est l’Un, la racine même du signifiant. Ce qui fait que le
signifiant, ça fonctionne, parce que c’est là qu’on attrape l’Un, c’est là qu’il y a de
l’Un.
[La trascrizione, per difetti di registrazione, subirà in alcuni punti un andamento
frammentario. Il tratto perduto sarà indicato […] ]
32
Nous en sommes, par ailleurs, tout de même arrivés à quelques petites
cogitations qui ne nous paraissent pas complètement superflues du côté de
l’interrogation des nombres entiers – parce que quand même la théorie des
ensembles, Cantor et tout le reste, ça consiste juste à se demander pourquoi il y
a de l’Un. C’est pas autre chose.
Et peut-être, avec un peu d’effort, on arriverait à s’apercevoir que les nombres
entiers, qu’on appelle naturels, ils ne sont pas si naturels que ça… comme le reste
des nombres.
Bref, il y a quelque chose qui devrait survenir à un certain niveau, qui est celui
de la structure.
Ces trois-quarts de siècle, qui sont maintenant écoulés depuis que Freud a sorti
cette fabuleuse subversion de tout ce qu’il en est… il y a une autre chose qui a
cavalé, et rudement bien, qui s’appelle rien de moins que le discours de la science,
qui pour l’instant mène le jeu… même le jeu jusqu’à ce qu’on en voie la limite :
et si il y a quelque chose qui est corrélatif de cette issue du discours de la science,
quelque chose dont il n’y avait aucune chance que ça ne parût avant le triomphe
du discours de la science, c’est le discours analytique.
Freud est absolument impensable avant l’émergence, non seulement du
discours de la science, mais aussi de (51)ses effets, de ses effets qui sont, bien
entendu, toujours plus évidents, toujours plus patents, toujours plus critiques, et
dont après tout on peut considérer […] on ne l’a pas encore fait, peut-être un
jour il y aura un discours appelé, comme ça : « le mal de la jeunesse ».
Mais il y a quelque chose qui crie… et une nouvelle fonction qui ne manquera
pas de surgir, n’est-ce pas, d’aborder peut-être, sauf accident, un re-départ dans
l’instauration de ce qui est… de ce que j’appelle discours.
J’ai à peine dit ce que c’est qu’un discours.
Le discours c’est quoi ? C’est ce qui, dans l’ordre… dans l’ordonnance de ce
qui peut se produire par l’existence du langage, fait fonction de lien social. Il y a
peut-être un bain social, comme ça, naturel, c’est là que se partagent,
éternellement, les sociologues… mais personnellement, je n’en crois rien.
Et il n’y en a pas trente-six possibles, il n’y en a même que quatre…
Des signifiants, il faut au moins qu’il y en ait deux.
Ça veut dire, le signifiant en tant qu’il fonctionne comme élément, ce qu’on
appelle élément justement dans la théorie des ensembles : le signifiant en tant
que c’est le mode dont se structure le monde, le monde de l’être parlant, c’est-à-
dire tout le savoir.
Il y a donc S1 et S2 – c’est d’où il faut partir pour cette définition que […] le
signifiant, c’est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant.

33
Ce sujet, ce n’est pas ce que nous croyons, ce n’est pas le rêve, l’illusion […]
c’est tout ce qu’il y a de déterminé par cet effet de signifiant. Et ça va beaucoup
plus loin que ce dont quiconque est conscient… soit connivent.
C’est ça, la découverte de Freud : c’est que, les effets du signifiant, il y en a
toute une part qui échappe totalement à ce que nous appelons couramment le
sujet. C’est, notons-le bien, le sujet, déterminé jusque dans tous ses détails par
les effets du signifiant […]. Nous savons ce que produit le langage : il produit
quoi ? Ce que j’ai appelé là le plus-de-jouir, parce que c’est le terme qui est
appliqué à ce niveau, que nous connaissons bien, qui s’appelle le désir.
Plus exactement, il produit la cause du désir. Et c’est ça qui s’appelle l’objet
petit a.
(52)L’objet petit a, c’est le vrai support de tout ce que nous avons vu

fonctionner et qui fonctionne de façon de plus en plus pure pour spécifier


chacun dans son désir.
Ce dont l’expérience analytique donne le catalogue sous le terme de pulsion
[…] pulsion qu’on appelle orale […] un très bel objet, un objet lié à ceci […] dès
qu’il a pris l’habitude de sucer […]. Il y en a qui sucent comme ça toute leur vie.
Mais pourquoi suceraient-ils toute leur vie si ce n’était pas dans l’interstice,
dans l’intervalle des effets de langage ? L’effet de langage en tant qu’il est appris
en même temps, sauf à qui reste complètement idiot, n’est-ce pas ?…
C’est ça qui donne son essence… et son essence tellement essentielle que c’est
ça, la personnalité : c’est la façon dont quelqu’un subsiste face à cet objet petit
a… Il y en a d’autres et j’ai essayé de dire lesquels.
Mais là-dessus la psychanalyse, autant que Freud, jamais plus que Freud, jamais
plus ni mieux que Freud… On a ajouté, bien sûr, des détails, une structure, un
statut, sur cette fonction de l’objet petit a… Mélanie Klein a apporté largement
sa contribution, et quelques autres aussi, Winnicott… l’objet transitionnel…
C’est ça, c’est ça la véritable âme… la nouvelle subjectivité, au sens ancien…
C’est ça, ce que nous apprend l’expérience analytique.
C’est donc là que beaucoup de psychanalystes… C’est le rôle qu’ils jouent au
niveau du semblant.
C’est ça qui les accable, c’est la cause du désir, dans celui auquel ils ouvrent la
carrière de l’analysant.
C’est de là que pourrait… pourrait peut être sortir autre chose… quelque
chose qui devrait faire un pas vers une autre construction…
C’est à savoir que ce dont il s’agit après tout, en fin de compte, c’est que
l’expérience tourne aussi court que possible – c’est-à-dire que le sujet avec
quelques interprétations s’en tient quitte et trouve une forme de malentendu dans
laquelle il puisse subsister.
Quelle est l’autre personne qui m’a posé une autre question ?
34
X – Quelle est la différence entre le discours du maître et le discours du
capitaliste ?

L – Je l’ai quand même indiquée tout à l’heure, j’ai (53)parlé latin, la chanson de
toujours n’est-ce pas, entre le sujet et le S1. Si vous voulez nous en parlerons à
la fin, en plus petit comité, mais je l’ai indiqué.

Y – Quel est le rôle de l’appareil algorithmique dans – excusez-moi le mot –


le système ? Si nous sommes dans le langage, quel métalangage pourrait
parler la chaîne signifiante ?… et votre style lui-même est la preuve qu’il n’y
a pas de métalangage possible…

L – Il faut dire aux gens qui parlent du métalangage : alors, où est le langage ?

Y – D’accord, sur ça vous êtes très facile… mais quel est l’appareil
algorithmique dans la mesure où il échappe au langage naturel, qui n’a pas
de métalangage, qui n’est pas soumis au métalangage ? Du moment où vous
employez un appareil algorithmique, n’essayez-vous pas de bloquer cette
fuite, ce dérapage continuel de la chaîne signifiante dans quelque chose qui
la définit du dehors ? Sauf si la chaîne signifiante n’est pas le langage naturel
mais un appareil logique, algorithmique au-dessus. Si vous employez
l’appareil algorithmique pour la définir et la bloquer, n’est-il pas, l’appareil
algorithmique, le seul désir finalement accompli ?

L – C’est très pertinent, à ceci près, que ce dont il s’agit dans ce que vous
appelez à très juste titre algorithme… cet algorithme ne sort pas de l’expérience
analytique elle-même.
Ce qui prend sens, je l’ai toujours expressément articulé, ce qui prend sens
valablement est toujours lié à ce que j’appellerai, si vous le voulez, le point de
contact. Et souvent est un point de contact l’idéal, comme la théorie
mathématique […].
C’est pour autant que ce S1, cet Un du signifiant, fonctionne en des points, en
des lieux différents, dans cette tentative de réduction radicale, qu’il peut prendre
sens d’être, si je peux dire, traduit […] qu’il peut être traduit d’un de ces discours
dans l’autre.
C’est pour autant que, dans ces quatre discours, jamais les termes […] ne sont
à la même place fonctionnelle, qu’après tout… – pour ce qui nous intéresse, pour
ce qui est incidence actuelle des effets subjectivants, dans ce qui nous intéresse
ça se peut pour l’instant…, je ne dis pas que ce soit la seule formule possible,
35
mais ça peut pour l’instant s’articuler de cette façon à l’algorithme – qu’il y ait
convergence entre la limite où se tient pour l’instant la logique (54)mathématique
et les problèmes de nous analystes qui essayons un tout petit peu de maîtriser ce
que nous faisons.
Qu’il y a convergence… qu’il y a la même limite algorithmique […] la fonction
de la limite…
Nous ne pouvons pas dire n’importe quoi.
Même les analystes les plus traditionnels ne se permettraient pas de dire
n’importe quoi.
C’est ce que j’ai écrit là : « qu’on dise – je ne sais même pas quand j’avais écrit
ça – qu’on dise comme fait reste oublié – je dis habituellement – derrière ce qui
est dit dans ce qui s’entend ».
« Dans ce qui s’entend » : à quoi ça se rapporte ? C’est parfaitement ambigu.
Ça peut se rapporter à « reste oublié » – c’est le « qu’on dise » qui peut rester
oublié dans ce qui s’entend, – ou c’est « ce qui est dit dans ce qui s’entend » ?
C’est un usage parfaitement exemplaire de l’ambiguïté au niveau de la structure
générale – transformationnelle, hein ?
C’est con, tout le monde le fait, à ceci près qu’on ne s’en aperçoit pas.
Qu’est ce qu’il y a ensuite dessous ?
« Cet énoncé qui est assertif par sa forme », que j’ai qualifiée d’universelle,
« appartient au modal pour ce qu’il émet d’existence ».
J’ai à peine eu le temps d’assister aujourd’hui à ce qu’il en est de l’existence :
j’avais commencé assez clair et puis enfin, comme d’habitude, je suis moi-même
sous mon fardeau plus au moins fléchissant.
Mais enfin, ce qui est tout à fait clair, c’est que nous en sommes à ça : à
interroger l’« il existe » au niveau du mathème, au niveau de l’algorithme.
Il n’est qu’au niveau de l’algorithme que l’existence est recevable comme telle.
À partir du moment où le discours scientifique s’instaure, ça veut dire tout savoir,
il ne s’inscrit que dans le mathème. Tout savoir est un savoir enseignable… Nous
en sommes là, à poser l’existence comme étant ce qui est lié à la structure-
algorithme.
C’est un effet d’histoire que nous en sommes à nous interroger, non pas sur
notre être mais sur notre existence : que je pense « donc je suis » – entre
guillemets : « donc je suis ». Soit ce à partir de quoi est née l’existence, c’est là
que nous en sommes. C’est le fait du « qu’on dise » – c’est le dire qui est derrière
tout ce qui est dit – qui (55)est le quelque chose qui en vient à surgir dans l’actualité
historique.
Et là vous ne pouvez aucunement dire que c’est un fait de désir théorique, de
ma part par exemple.

36
C’est ainsi que les choses se situent, émergent… l’émergence comme telle de
l’ordonnance du discours : c’est à partir de là qu’il y a émission d’existence,
d’existence comme de quelque chose qui est aussi bien du niveau de ce petit a
dont le sujet se divise.
C’est une question qui me paraît, enfin, parce que je viens de vous répondre,
enfin atteinte…

37
1972-07-14 L’ÉTOURDIT

Paru dans Scilicet, 1973, n° 4, pp. 5-52.

(5)En contribuant au 50e anniversaire de l’hôpital Henri-Rousselle pour la


faveur que les miens et moi y avons reçue dans un travail dont j’indiquerai ce
qu’il savait faire, soit passer la présentation, je rends hommage au docteur
Daumézon qui me l’a permis.
Ce qui suit ne préjuge, selon ma coutume, rien de l’intérêt qu’y prendra son
adresse : mon dire à Sainte-Anne fut vacuole, tout comme Henri-Rousselle et,
l’imagine-t-on, depuis presque le même temps, y gardant en tout état de cause le
prix de cette lettre que je dis parvenir toujours où elle doit.
Je pars de miettes, certes pas philosophiques, puisque c’est de mon séminaire
de cette année (à Paris I) qu’elles font relief.
J’y ai inscrit à deux reprises au tableau (d’une troisième à Milan où itinérant,
j’en avais fait banderole pour un flash sur « le discours psychanalytique ») ces
deux phrases :

Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend.
Cet énoncé qui paraît d’assertion pour se produire dans une forme universelle,
est de fait modal, existentiel comme tel : le subjonctif dont se module son sujet,
en témoignant.

Si le bienvenu qui de mon auditoire me répond assez pour que le terme de


séminaire ne soit pas trop indigne de ce que j’y porte de parole, ne m’avait de ces
phrases détourné, j’eusse voulu de leur rapport de signification démontrer le sens
qu’elles prennent du discours psychanalytique. L’opposition qu’ici j’évoque
devant être plus loin accentuée.
Je rappelle que c’est de la logique que ce discours touche au réel à le rencontrer
comme impossible, en quoi c’est ce discours (6)qui la porte à sa puissance
dernière : science, ai-je dit, du réel. Qu’ici me pardonnent ceux qui d’y être
intéressés, ne le savent pas. Les ménagerais-je encore, qu’ils l’apprendraient
bientôt des événements.

La signification, d’être grammaticale, entérine d’abord que la seconde phrase


porte sur la première, à en faire son sujet sous forme d’un particulier. Elle dit :
cet énoncé, puis qualifie celui-ci de l’assertif de se poser comme vrai, l’en

38
confirmant d’être sous forme de proposition dite universelle en logique : c’est en
tout cas que le dire reste oublié derrière le dit.
Mais d’antithèse, soit du même plan, en un second temps elle en dénonce le
semblant : à l’affirmer du fait que son sujet soit modal, et à le prouver de ce qu’il
se module grammaticalement comme : qu’on dise. Ce qu’elle rappelle non pas
tant à la mémoire que, comme on dit : à l’existence.
La première phrase n’est donc pas de ce plan thétique de vérité que le premier
temps de la seconde assure, comme d’ordinaire, au moyen de tautologies (ici
deux). Ce qui est rappelé, c’est que son énonciation est moment d’existence, c’est
que, située du discours, elle « ex-siste » à la vérité.
Reconnaissons ici la voie par où advient le nécessaire : en bonne logique
s’entend, celle qui ordonne ses modes de procéder d’où elle accède, soit cet
impossible, modique sans doute quoique dès lors incommode, que pour qu’un
dit soit vrai, encore faut-il qu’on le dise, que dire il y en ait.
En quoi la grammaire mesure déjà force et faiblesse des logiques qui s’en
isolent, pour, de son subjonctif, les cliver, et s’indique en concentrer la puissance,
de toutes les frayer.
Car, j’y reviens une fois de plus, « il n’y a pas de métalangage » tel qu’aucune
des logiques, à s’intituler de la proposition, puisse s’en faire béquille (qu’à
chacune reste son imbécillité), et si l’on croit le retrouver dans ma référence, plus
haut, au discours, je le réfute de ce que la phrase qui a l’air là de faire objet pour
la seconde, ne s’en applique pas moins significativement à celle-ci.
Car cette seconde, qu’on la dise reste oublié derrière ce qu’elle dit. Et ceci de
façon d’autant plus frappante qu’assertive, elle sans rémission au point d’être
tautologique en les preuves qu’elle avance, (7)– à dénoncer dans la première son
semblant, elle pose son propre dire comme inexistant, puisqu’en contestant celle-
ci comme dit de vérité, c’est l’existence qu’elle fait répondre de son dire, ceci non
pas de faire ce dire exister puisque seulement elle le dénomme, mais d’en nier la
vérité – sans le dire.
À étendre ce procès, naît la formule, mienne, qu’il n’y a pas d’universelle qui
ne doive se contenir d’une existence qui la nie. Tel le stéréotype que tout homme
soit mortel, ne s’énonce pas de nulle part. La logique qui le date, n’est que celle
d’une philosophie qui feint cette nullibiquité, ce pour faire alibi à ce que je
dénomme discours du maître.
Or ce n’est pas de ce seul discours, mais de la place où font tour d’autres
(d’autres discours), celle que je désigne du semblant, qu’un dire prend son sens.
Cette place n’est pas pour tous, mais elle leur ex-siste, et c’est de là que
s’hommologue que tous soient mortels. Ils ne peuvent que l’être tous, parce qu’à
la mort on les délègue de cette place, tous il faut bien, puisque c’est là qu’on veille
à la merveille du bien de tous. Et particulièrement quand ce qui y veille y fait
39
semblant du signifiant-maître ou du savoir. D’où la ritournelle de la logique
philosophique.
Il n’y a donc pas d’universel qui ne se réduise au possible. Même la mort,
puisque c’est là la pointe dont seulement elle s’articule. Si universelle qu’on la
pose, elle ne reste jamais que possible. Que la loi s’allège de s’affirmer comme
formulée de nulle part, c’est-à-dire d’être sans raison, confirme encore d’où part
son dire.

Avant de rendre à l’analyse le mérite de cette aperception, acquittons-nous


envers nos phrases à remarquer que « dans ce qui s’entend » de la première, se
branche également sur l’existence du « reste oublié » que relève la seconde et sur
le « ce qui se dit » qu’elle-même dénonce comme, ce reste, le couvrant.
Où je note au passage le défaut de l’essai « transformationnel » de faire logique
d’un recours à une structure profonde qui serait un arbre à étages.

Et je reviens au sens pour rappeler la peine qu’il faut à la philosophie – la


dernière à en sauver l’honneur d’être à la page dont (8)l’analyste fait l’absence –
pour apercevoir ce qui est sa ressource, à lui, de tous les jours : que rien ne cache
autant que ce qui dévoile, que la vérité, → = Verborgenheit.
Ainsi ne renié-je pas la fraternité de ce dire, puisque je ne le répète qu’à partir
d’une pratique qui, se situant d’un autre discours, le rend incontestable.

Pour ceux qui m’écoutent… ou pire, cet exercice n’eût fait que confirmer la
logique dont s’articulent dans l’analyse castration et Œdipe.
Freud nous met sur la voie de ce que l’ab-sens désigne le sexe : c’est à la gonfle
de ce sens-absexe qu’une topologie se déploie où c’est le mot qui tranche.
Partant de la locution : « ça ne va pas sans dire », on voit que c’est le cas de
beaucoup de choses, de la plupart même, y compris de la chose freudienne telle
que je l’ai située d’être le dit de la vérité.
N’aller pas sans…, c’est faire couple, ce qui, comme on dit, « ne va pas tout
seul ».
C’est ainsi que le dit ne va pas sans dire. Mais si le dit se pose toujours en vérité,
fût-ce à ne jamais dépasser un midit (comme je m’exprime), le dire ne s’y couple
que d’y ex-sister, soit de n’être pas de la dit-mension de la vérité.
Il est facile de rendre cela sensible dans le discours de la mathématique où
constamment le dit se renouvelle de prendre sujet d’un dire plutôt que d’aucune
réalité, quitte, ce dire, à le sommer de la suite proprement logique qu’il implique
comme dit.
Pas besoin du dire de Cantor pour toucher cela. Ça commence à Euclide.

40
Si j’ai recouru cette année au premier, soit à la théorie des ensembles, c’est
pour y rapporter la merveilleuse efflorescence qui, d’isoler dans la logique
l’incomplet de l’inconsistant, l’indémontrable du réfutable, voire d’y adjoindre
l’indécidable de ne pas arriver à s’exclure de la démontrabilité, nous met assez au
pied du mur de l’impossible pour que s’évince le « ce n’est pas ça », qui est le
vagissement de l’appel au réel.
J’ai dit discours de la mathématique. Non langage de la même. Qu’on y prenne
garde pour le moment où je reviendrai à (9)l’inconscient, structuré comme un
langage, ai-je dit de toujours. Car c’est dans l’analyse qu’il s’ordonne en discours.
Reste à marquer que le mathématicien a avec son langage le même embarras
que nous avec l’inconscient, à le traduire de cette pensée qu’il ne sait pas de quoi
il parle, fût-ce à l’assurer d’être vrai (Russell).
Pour être le langage le plus propice au discours scientifique, la mathématique
est la science sans conscience dont fait promesse notre bon Rabelais, celle à
laquelle un philosophe3 ne peut que rester bouché : la gaye science se réjouissait
d’en présumer ruine de l’âme. Bien sûr, la névrose y survit.
Ceci remarqué, le dire se démontre, et d’échapper au dit. Dès lors ce privilège,
il ne l’assure qu’à se formuler en « dire que non », si, à aller au sens, c’est le
contien qu’on y saisit, non la contradiction, – la réponse, non la reprise en
négation, – le rejet, non la correction.
Répondre ainsi suspend ce que le dit a de véritable.
Ce qui s’éclaire du jour rasant que le discours analytique apporte aux autres, y
révélant les lieux modaux dont leur ronde s’accomplit.

3. Le philosophe s’inscrit (au sens où on le dit d’une circonférence) dans le discours du maître. Il
y joue le rôle du fou. Ça ne veut pas dire que ce qu’il dit soit sot ; c’est même plus qu’utilisable.
Lisez Shakespeare.
Ça ne dit pas non plus, qu’on y prenne garde, qu’il sache ce qu’il dit. Le fou de cour a un rôle :
celui d’être le tenant-lieu de la vérité. Il le peut à s’exprimer comme un langage, tout comme
l’inconscient. Qu’il en soit, lui, dans l’inconscience est secondaire, ce qui importe est que le rôle
soit tenu.
Ainsi Hegel, de parler aussi juste du langage mathématique que Bertrand Russell, n’en loupe pas
moins la commande : c’est que Bertrand Russell est dans le discours de la science.
Kojève que je tiens pour mon maître, de m’avoir initié à Hegel, avait la même partialité à l’égard
des mathématiques, mais il faut dire qu’il en était au temps de Russell, et qu’il ne philosophisait
qu’au titre du discours universitaire où il s’était rangé par provision, mais sachant bien que son
savoir n’y fonctionnait que comme semblant et le traitant comme tel : il l’a montré de toutes
manières, livrant ses notes à qui pouvait en faire profit et posthumant sa dérision de toute
l’aventure.
Ce mépris qui fut le sien, se soutenait de son discours de départ qui fut aussi celui où il retourna :
le grand commis sait traiter les bouffons aussi bien que les autres, soit en sujets, qu’ils sont, du
souverain.
41
Je métaphoriserai pour l’instant de l’inceste le rapport que la vérité entretient
avec le réel. Le dire vient d’où il la commande.
(10)Mais ne peut-il y avoir aussi dire direct ?

Dire ce qu’il y a, ça ne vous dit rien, chers petits de la salle de garde, sans doute
dite ainsi de ce qu’elle se garde bien de contrarier le patronat où elle aspire (et
quel qu’il soit).
Dire ce qu’il y a, pendant longtemps ça vous haussa son homme jusqu’à cette
profession qui ne vous hante plus que de son vide : le médecin qui dans tous les
âges et sur toute la surface du globe, sur ce qu’il y a, se prononce. Mais c’est
encore à partir de ceci que ce qu’il y a, n’a d’intérêt qu’à devoir être conjuré.
Au point où l’histoire a réduit cette fonction sacrale, je comprends votre
malaise. Pas même possible pour vous, le temps n’y étant plus, de jouer au
philosophe qui fut la mue dernière où, de faire la valetaille des empereurs et des
princes, les médecins se survécurent (lisez Fernel).
Sachez pourtant, quoique l’analyse soit d’un autre sigle – mais qu’elle vous
tente, ça se comprend – ce dont je témoigne d’abord.
Je le dis, de ce que ce soit démontré sans exception de ceux que j’ai appelés
mes « dandys » : il n’y a pas le moindre accès au dire de Freud qui ne soit forclos –
et sans retour dans ce cas – par le choix de tel analyste.
C’est qu’il n’y a pas de formation de l’analyste concevable hors du maintien de
ce dire, et que Freud, faute d’avoir forgé avec le discours de l’analyste, le lien
dont auraient tenu les sociétés de psychanalyse, les a situées d’autres discours qui
barrent son dire nécessairement.
Ce que tous mes écrits démontrent.

Le dire de Freud s’infère de la logique qui prend de source le dit de


l’inconscient. C’est en tant que Freud a découvert ce dit qu’il ex-siste.
En restituer ce dire, est nécessaire à ce que le discours se constitue de l’analyse
(c’est à quoi j’aide), ce à partir de l’expérience où il s’avère exister.
On ne peut, ce dire, le traduire en termes de vérité puisque de vérité il n’y a
que midit, bien coupé, mais qu’il y ait ce midit net (il se conjugue en remontant :
tu médites, je médis), ne prend son sens que de ce dire.
(11)Ce dire n’est pas libre, mais se produit d’en relayer d’autres qui proviennent

d’autres discours. C’est à se fermer dans l’analyse (cf. ma Radiophonie, le numéro


juste d’avant de cet apériodique) que leur ronde situe les lieux dont se cerne ce
dire.
Ils le cernent comme réel, c’est-à-dire de l’impossible, lequel s’annonce :
il n’y a pas de rapport sexuel.

42
Ceci suppose que de rapport (de rapport « en général »), il n’y a qu’énoncé, et
que le réel ne s’en assure qu’à se confirmer de la limite qui se démontre des suites
logiques de l’énoncé.
Ici limite immédiate, de ce que « n’y a » rien à faire rapport d’un énoncé.
De ce fait, nulle suite logique, ce qui n’est pas niable, mais que ne suffit à
supporter nulle négation : seulement le dire que : nya.
Nia n’y apportant que juste d’homophonie ce qu’il faut en français pour, du
passé qu’il signifie, d’aucun présent dont s’y connote l’existence marquer que nya
la trace.
Mais de quoi s’agit-il ? Du rapport de l’homme et de la femme en tant
justement qu’ils seraient propres, de ce qu’ils habitent le langage, à faire énoncé
de ce rapport.
Est-ce l’absence de ce rapport qui les exile en stabitat ? Est-ce d’labiter que ce
rapport ne peut être qu’inter-dit ?
Ce n’est pas la question : bien plutôt la réponse, et la réponse qui la supporte, –
d’être ce qui la stimule à se répéter –, c’est le réel.
Admettons-le : où il est-là. Rien à attendre de remonter au déluge, alors que
déjà celui-ci se raconte de rétribuer le rapport de la femme aux anges.

Illustrons pourtant cette fonction de la réponse d’un apologue, logue aux abois
d’être fourni par le psychologue, puisque l’âme est aboi, et même, à prononcer
(a) petit a, (a)boi.
Le malheur est que le psychologue, pour ne soutenir son secteur que de la
théologie, veut que le psychique soit normal, moyennant quoi il élabore ce qui le
supprimerait.
L’Innenwelt et l’Umwelt notamment, alors qu’il ferait mieux de s’occuper de
l’homme-volte qui fait le labyrinthe dont l’homme ne sort pas.
(12)Le couple stimulus-réponse passe à l’aveu de ses inventions. Appeler

réponse ce qui permettrait à l’individu de se maintenir en vie est excellent, mais


que ça se termine vite et mal, ouvre la question qui se résout de ce que la vie
reproduit l’individu, donc reproduit aussi bien la question, ce qui se dit dans ce
cas qu’elle se ré-pète.
C’est bien ce qui se découvre de l’inconscient, lequel dès lors s’avère être
réponse, mais de ce que ce soit elle qui stimule.
C’t aussi en quoi, quoi qu’il en ait, le psychologue rentre dans l’homme-volte
de la répétition, celle qu’on sait se produire de l’inconscient.
La vie sans doute reproduit, Dieu sait quoi et pourquoi. Mais la réponse ne fait
question que là où il n’y a pas de rapport à supporter la reproduction de la vie.
Sauf à ce que l’inconscient formule : « Comment l’homme se reproduit-il ? »,
ce qui est le cas.
43
– « À reproduire la question », c’est la réponse. Ou « pour te faire parler »,
autrement dit qu’a l’inconscient, d’ex-sister.
C’est à partir de là qu’il nous faut obtenir deux universels, deux tous
suffisamment consistants pour séparer chez des êtres parlants, – qui, d’être des,
se croient des êtres –, deux moitiés telles qu’elles ne s’embrouillent pas trop dans
la coïtération quand ils y arrivent.

Moitié dit en français que c’est une affaire de moi, la moitié de poulet qui
ouvrait mon premier livre de lecture m’ayant en outre frayé la division du sujet.
Le corps des parlants est sujet à se diviser des organes, assez pour avoir à leur
trouver fonction. Il y faut parfois des âges : pour un prépuce qui prend usage de
la circoncision, voyez l’appendice l’attendre pendant des siècles, de la chirurgie.
C’est ainsi que du discours psychanalytique, un organe se fait le signifiant. Celui
qu’on peut dire s’isoler dans la réalité corporelle comme appât, d’y fonctionner
(la fonction lui étant déléguée d’un discours) :
a) en tant que phanère à la faveur de son aspect de plaquage amovible qui
s’accentue de son érectilité,
b) pour être attrape, où ce dernier accent contribue, dans les (13)diverses pêches
qui font discours des voracités dont se tamponne l’inexistence du rapport sexuel.
On reconnaît, même de ce mode d’évacuation, bien sûr l’organe qui d’être,
disons, « à l’actif » du mâle, fait à celui-ci, dans le dit de la copulation, décerner
l’actif du verbe. C’est le même que ses noms divers, dans la langue dont j’use,
bien symptomatiquement féminisent.
Il ne faut pourtant pas s’y tromper : pour la fonction qu’il tient du discours, il
est passé au signifiant. Un signifiant peut servir à bien des choses tout comme
un organe, mais pas aux mêmes. Pour la castration par exemple, s’il fait usage, ça
n’a (bonheur en général) pas les mêmes suites que si c’était l’organe. Pour la
fonction d’appât, si c’est l’organe qui s’offre hameçon aux voracités que nous
situions à l’instant, disons : d’origyne, le signifiant au contraire est le poisson à
engloutir ce qu’il faut aux discours pour s’entretenir.
Cet organe, passé au signifiant, creuse la place d’où prend effet pour le parlant,
suivons-le à ce qu’il se pense : être, l’inexistence du rapport sexuel.
L’état présent des discours qui s’alimentent donc de ces êtres, se situe de ce
fait d’inexistence, de cet impossible, non pas à dire, mais qui, serré de tous les
dits, s’en démontre pour le réel.

Le dire de Freud ainsi posé se justifie de ses dits d’abord, dont il se prouve, ce
que j’ai dit, – se confirme à s’être avoué de la stagnation de l’expérience
analytique, ce que je dénonce, – se développerait de la ressortie du discours

44
analytique, ce à quoi je m’emploie, puisque, quoique sans ressource, c’est de mon
ressort4.

Dans la confusion où l’organisme parasite que Freud a greffé sur son dire, fait
lui-même greffe de ses dits, ce n’est pas petite affaire qu’une chatte y retrouve
ses petits, ni le lecteur un sens.
Le fouillis est insurmontable de ce qui s’y épingle de la castration, des défilés
par où l’amour s’entretient de l’inceste, de la fonction du père, du mythe où
l’Œdipe se redouble de la comédie du Père-Orang, du pérorant Outang.
(14)On sait que j’avais dix ans pris soin de faire jardin à la française de ces voies

à quoi Freud a su coller dans son dessin, le premier, quand pourtant de toujours
ce qu’elles ont de tordu était repérable pour quiconque eût voulu en avoir le cœur
net sur ce qui supplée au rapport sexuel.
Encore fallait-il que fût venue au jour la distinction du symbolique, de
l’imaginaire et du réel : ceci pour que l’identification à la moitié homme et à la
moitié femme, où je viens d’évoquer que l’affaire du moi domine, ne fût pas avec
leur rapport confondue.
Il suffit que l’affaire de moi comme l’affaire de phallus où l’on a bien voulu me
suivre à l’instant, s’articulent dans le langage, pour devenir affaire de sujet et
n’être plus du seul ressort de l’imaginaire. Qu’on songe que c’est depuis l’année
56 que tout cela eût pu passer pour acquis, y eût-il eu consentement du discours
analytique.
Car c’est dans « la question préalable » de mes Écrits, laquelle était à lire comme
la réponse donnée par le perçu dans la psychose, que j’introduis le Nom-du-Père
et qu’aux champs (dans cet Écrit, mis en graphe) dont il permet d’ordonner la
psychose elle-même, on peut mesurer sa puissance.
Il n’y a rien d’excessif au regard de ce que nous donne l’expérience, à mettre
au chef de l’être ou avoir le phallus (cf. ma Bedeutung des Écrits) la fonction qui
supplée au rapport sexuel.
D’où une inscription possible (dans la signification où le possible est
fondateur, leibnizienne) de cette fonction comme  à quoi les êtres vont
répondre par leur mode d’y faire argument. Cette articulation de la fonction
comme proposition est celle de Frege.
Il est seulement de l’ordre du complément que j’apporte plus haut à toute
position de l’universel comme tel, qu’il faille qu’en un point du discours une
existence, comme on dit : s’inscrive en faux contre la fonction phallique pour
que la poser soit « possible », ce qui est le peu de quoi elle peut prétendre à
l’existence.

f4 Ici s’arrête ce qui paraît concurremment dans le mémorial d’Henri Rousselle.


45
C’est bien à cette logique que se résume tout ce qu’il en et du complexe
d’Œdipe.

Tout peut en être maintenu à se développer autour de ce que j’avance de la


corrélation logique de deux formules qui, à s’inscrire mathématiquement
et , s’énoncent :
(15)
la première, pour tout x, est satisfait, ce qui peut se traduire d’un V
notant valeur de vérité. Ceci, traduit dans le discours analytique dont c’est la
pratique de faire sens, « veut dire » que tout sujet en tant que tel, puisque c’est là
l’enjeu de ce discours, s’inscrit dans la fonction phallique pour parer à l’absence
du rapport sexuel (la pratique de faire sens, c’est justement de se référer à cet ab-
sens) ;
la seconde, il y a par exception le cas, familier en mathématique (l’argument x
= o dans la fonction exponentielle 1/), le cas où il existe un x pour lequel ,
la fonction, n’est pas satisfaite, c’est-à-dire ne fonctionnant pas, est exclue de fait.
C’est précisément d’où je conjugue le tous de l’universelle, plus modifié qu’on
ne s’imagine dans le pourtout du quanteur, à l’il existe un que le quantique lui
apparie, sa différence étant patente avec ce qu’implique la proposition
qu’Aristote dit particulière. Je les conjugue de ce que l’il existe un en question, à
faire limite au pourtout, est ce qui l’affirme ou le confirme (ce qu’un proverbe
objecte déjà au contradictoire d’Aristote).
La raison en est que ce que le discours analytique concerne, c’est le sujet, qui,
comme effet de signification, est réponse du réel. Cela je l’articulai, dès l’onze
avril 56, en ayant texte recueilli, d’une citation du signifiant asémantique, ce pour
des gens qui y eussent pu prendre intérêt à s’y sentir appelés à une fonction de
déjet.
Frayage certes pas fait pour qui que ce soit qui à se lever du discours
universitaire, le dévie en cette dégoulinade herméneutique, voire sémiologisante,
dont je m’imagine répondre, ruisselante qu’elle est maintenant de partout, faute
de ce que l’analyse en ait fixé la déontologie.
Que j’énonce l’existence d’un sujet à la poser d’un dire que non à la fonction
propositionnelle , implique qu’elle s’inscrive d’un quanteur dont cette fonction
se trouve coupée de ce qu’elle n’ait en ce point aucune valeur qu’on puisse noter
de vérité, ce qui veut dire d’erreur pas plus, le faux seulement à entendre falsus
comme du chu, ce où j’ai déjà mis l’accent.
En logique classique, qu’on y pense, le faux ne s’aperçoit pas qu’à être de la
vérité l’envers, il la désigne aussi bien.
Il est donc juste d’écrire comme je le fais : . L’un qui (16)existe, c’est le
sujet supposé de ce que la fonction phallique y fasse forfait. Ce n’est au rapport
sexuel que mode d’accès sans espoir, la syncope de la fonction qui ne se soutient
46
que d’y sembler que de s’y embler, dirai-je, ne pouvant suffire, ce rapport, à
seulement l’inaugurer, mais étant par contre nécessaire à achever la consistance
du supplément qu’elle en fait, et ce de fixer la limite où ce semblant n’est plus
que dé-sens.
Rien n’opère donc que d’équivoque signifiante, soit de l’astuce par quoi l’ab-
sens du rapport se tamponnerait au point de suspens de la fonction.
C’est bien le dé-sens qu’à le mettre au compte de la castration, je dénotais du
symbolique dès 56 aussi (à la rentrée : relation d’objet, structures freudiennes : il
y en a compte rendu), le démarquant par là de la frustration, imaginaire, de la
privation, réelle.
Le sujet s’y trouvait déjà supposé, rien qu’à le saisir du contexte que Schreber,
par Freud, m’avait fourni de l’exhaustion de sa psychose.
C’est là que le Nom-du-Père, à faire lieu de sa plage, s’en démontrait le
responsable selon la tradition.
Le réel de cette plage, à ce qu’y échoue le semblant, « réalise » sans doute le
rapport dont le semblant fait le supplément, mais ce n’est pas plus que le
fantasme ne soutient notre réalité, pas peu non plus puisque c’est toute, aux cinq
sens près, si l’on m’en croit.
La castration relaie de fait comme lien au père, ce qui dans chaque discours se
connote de virilité. Il y a donc deux dit-mensions du pourtouthomme, celle du
discours dont il se pourtoute et celle des lieux dont ça se thomme.
Le discours psychanalytique s’inspire du dire de Freud à procéder de la seconde
d’abord, et d’une décence établie à prendre départ de ces – à qui l’héritage
biologique fait largesse du semblant. Le hasard qui semble ne devoir pas se
réduire de sitôt en cette répartition se formule de la sex ratio de l’espèce, stable,
semble-t-il, sans qu’on puisse savoir pourquoi : ces – valent donc pour une
moitié, mâle heur à moi.
Les lieux de ce thommage se repèrent de faire sens du semblant, – par lui, de
la vérité qu’il n’y a pas de rapport, – d’une jouissance qui y supplée, – voire du
produit de leur complexe, de l’effet dit (par mon office) du plus-de-jouir.
(17)Sans doute le privilège de ces allées élégantes serait-il gain à répartir d’un

dividende plus raisonné que ce jeu de pile ou face (dosage de la sex ratio), s’il ne
se prouvait pas de l’autre dimension dont ce thommage se pourtoute, que ça en
aggraverait le cas.
Le semblant d’heur pour une moitié s’avère en effet être d’un ordre strictement
inverse à l’implication qui la promet à l’office d’un discours.
Je m’en tiendrai à le prouver de ce qu’en pâtisse l’organe lui-même.
Pas seulement de ce que son thommage soit un dommage a priori d’y faire sujet
dans le dire de ses parents, car pour la fille, ça peut être pire.

47
C’est plutôt que tant plus de l’a posteriori des discours qui l’attendent il est happé
(la happiness qu’on dit ça aux U.S.A.), tant plus l’organe a-t-il d’affaires à en porter.
On lui impute d’être émotif… Ah ! n’eût-on pu mieux le dresser, je veux dire
l’éduquer. Pour ça on peut toujours courir.
On voit bien dans le Satyricon que d’être commandé, voire imploré, surveillé
dès le premier âge, mis à l’étude in vitro, ne change rien à ses humeurs, qu’on se
trompe de mettre au compte de sa nature, quand, au contraire, ce n’est que du
fait que ne lui plaise pas ce qu’on lui fait dire, qu’il se bute.
Mieux vaudrait pour l’apprivoiser avoir cette topologie dont relèvent ses
vertus, pour être celle que j’ai dite à qui voulait m’entendre pendant que se
poursuivait la trame destinée à me faire taire (année 61-62 sur l’identification). Je
l’ai dessinée d’un cross-cap, ou mitre qu’on l’appelle encore… Que les évêques s’en
chapotent, n’étonne pas.
Il faut dire qu’il n’y a rien à faire si on ne sait pas d’une coupure circulaire, –
de quoi ? qu’est-elle ? pas même surface, de ne rien d’espace séparer –, comment
pourtant ça se défait.
Il s’agit de structure, soit de ce qui ne s’apprend pas de la pratique, ce qui
explique pour ceux qui le savent qu’on ne l’ait su que récemment. Oui, mais
comment ? – Justement comme ça : mécomment.
C’est bien du biais de cette fonction que la bâtardise de l’organo-dynamisme
éclate, plus encore que d’ailleurs. Croit-on que ce soit (18)par l’organe même que
l’Éternel féminin vous attire en haut, et que ça marche mieux (ou pire) à ce que
la moelle le libère de signifier ?
Je dis ça pour le bon vieux temps d’une salle de garde qui d’en tout cela se
laisse paumer, avoue que sa réputation de foutoir ne tient qu’aux chansons qui
s’y glapissent.
Fiction et chant de la parole et du langage, pourtant n’en eussent-ils pu,
garçons et filles, se permettre contre les Permaîtres dont il faut dire qu’ils avaient
le pli, les deux cents pas à faire pour se rendre là où je parlai dix ans durant. Mais
pas un ne le fit de ceux à qui j’étais interdit.
Après tout qui sait ? La bêtise a ses voies qui sont impénétrables. Et si la
psychanalyse la propage, l’on m’a entendu, à Henri-Rousselle justement, m’en
assurer à professer qu’il en résulte plus de bien que de mal.
Concluons qu’il y a maldonne quelque part. L’Œdipe est ce que je dis, pas ce
qu’on croit.

Ce d’un glissement que Freud n’a pas su éviter à impliquer – dans l’universalité
des croisements dans l’espèce où ça parle, soit dans le maintien, fécond semble-
t-il, de la sex ratio (moitié-moitié) chez ceux qui y font le plus grand nombre, de

48
leurs sangs mêlés –, la signifiance qu’il découvrait à l’organe, universelle chez ses
porteurs.
Il est curieux que la reconnaissance, si fortement accentuée par Freud, de la
bisexualité des organes somatiques (où d’ailleurs lui fait défaut la sexualité
chromosomique), ne l’ait pas conduit à la fonction de couverture du phallus à
l’égard du germen.
Mais sa touthommie avoue sa vérité du mythe qu’il crée dans Totem et Tabou,
moins sûr que celui de la Bible bien qu’en portant la marque, pour rendre compte
des voies tordues par où procède, là où ça parle, l’acte sexuel.
Présumerons-nous que de touthomme, si reste trace biologique, c’est qu’il n’y
en ait que d’race à se thommer, et qu’dale à se pourtouter.
Je m’explique : la race dont je parle n’est pas ce qu’une anthropologie soutient
de se dire physique, celle que Hegel a bien dénotée du crâne et qui le mérite
encore d’y trouver bien après Lavater et Gall le plus lourd de ses mensurations.
(19)Car ce n’est pas là, comme on l’a vu d’une tentative grotesque d’y fonder un

Reich dit troisième, ce n’est pas là ce dont aucune race se constitue (ce racisme-
là dans le fait non plus).
Elle se constitue du mode dont se transmettent par l’ordre d’un discours les
places symboliques, celles dont se perpétue la race des maîtres et pas moins des
esclaves, des pédants aussi bien, à quoi il faut pour en répondre des pédés, des
scients, dirai-je encore à ce qu’ils n’aillent pas sans des sciés.
Je me passe donc parfaitement du temps du cervage, des Barbares rejetés d’où
les Grecs se situent, de l’ethnographie des primitifs et du recours aux structures
élémentaires, pour assurer ce qu’il en est du racisme des discours en action.
J’aimerais mieux m’appuyer sur le fait que des races, ce que nous tenons de
plus sûr est le fait de l’horticulteur, voire des animaux qui vivent de notre
domestique, effets de l’art, donc du discours : ces races d’homme, ça s’entretient
du même principe que celles de chien et de cheval.
Ceci avant de remarquer que le discours analytique pourtoute ça à contrepente,
ce qui se conçoit s’il se trouve en fermer de sa boucle le réel.
Car c’est celui où l’analyste doit être d’abord l’analysé, si, comme on le sait,
c’est bien l’ordre dont se trace sa carrière. L’analysant, encore que ce ne soit qu’à
moi qu’il doive d’être ainsi désigné (mais quelle traînée de poudre s’égale au
succès de cette activation), l’analysant est bien ce dont le cervice (ô salle de
garde), le cou qui se ploie, devait se redresser.

Nous avons jusqu’ici suivi Freud sans plus sur ce qui de la fonction sexuelle
s’énonce d’un pourtout, mais aussi bien à en rester à une moitié, des deux qu’il
repère, quant à lui, de la même toise d’y reporter dit-mensions les mêmes.

49
Ce report sur l’autre démontre assez ce qu’il en est de l’ab-sens du rapport
sexuel. Mais c’est plutôt, cet ab-sens, le forcer.
C’est de fait le scandale du discours psychanalytique, et c’est assez dire où les
choses en sont dans la Société qui le supporte, que ce scandale ne se traduise que
d’être étouffé, si l’on peut dire, au jour.
(20)Au point que c’est un monde à soulever que ce débat défunt des années 30,

non certes qu’à la pensée du Maître ne s’affrontent pas Karen Horney, Hélène
Deutsch, voire Ernest Jones, d’autres encore.
Mais le couvercle mis dessus depuis, depuis la mort de Freud, à suffire à ce
que n’en filtre plus la moindre fumée, en dit long sur la contention à quoi Freud
s’en est, dans son pessimisme, délibérément remis pour perdre, à vouloir le
sauver, son discours.
Indiquons seulement que les femmes ici nommées, y firent appel – c’est leur
penchant dans ce discours – de l’inconscient à la voix du corps, comme si
justement ce n’était pas de l’inconscient que le corps prenait voix. Il est curieux
de constater, intacte dans le discours analytique, la démesure qu’il y a entre
l’autorité dont les femmes font effet et le léger des solutions dont cet effet se
produit.
Les fleurs me touchent, d’autant plus qu’elles sont de rhétorique, dont Karen,
Hélène, – laquelle n’importe, j’oublie maintenant, car je n’aime pas de rouvrir
mes séminaires –, dont donc Horney ou la Deutsch meublent le charmant
doigtier qui leur fait réserve d’eau au corsage tel qu’il s’apporte au dating, soit ce
dont il semble qu’un rapport s’en attende, ne serait-ce que de son dit.
Pour Jones, le biais de cervice (cf. dernière ligne avant le dernier intervalle) qu’il
prend à qualifier la femme de la deutérophallicité, sic, soit à dire exactement le
contraire de Freud, à savoir qu’elles n’ont rien à faire avec le phallus, tout en
ayant l’air de dire la même chose, à savoir qu’elles en passent par la castration,
c’est sans doute là le chef-d’œuvre à quoi Freud a reconnu que pour la cervilité
à attendre d’un biographe, il avait là son homme.
J’ajoute que la subtilité logique n’exclut pas la débilité mentale qui, comme une
femme de mon école le démontre, ressortit du dire parental plutôt que d’une
obtusion native. C’est à partir de là que Jones était le mieux d’entre les goym,
puisqu’avec les juifs Freud n’était sûr de rien.
Mais je m’égare à revenir au temps où ceci, je l’ai mâché, mâché pour qui ?
L’il n’y a pas de rapport sexuel n’implique pas qu’il n’y ait pas de rapport au sexe.
C’est bien là même ce que la castration démontre, (21)mais non pas plus : à savoir
que ce rapport au sexe ne soit pas distinct en chaque moitié, du fait même qu’il
les répartisse.
Je souligne. Je n’ai pas dit : qu’il les répartisse d’y répartir l’organe, voile où se
sont fourvoyées Karen, Hélène, Dieu ait leurs âmes si ce n’est déjà fait. Car ce
50
qui est important, ce n’est pas que ça parte des titillations que les chers mignons
dans la moitié de leur corps ressentent qui est à rendre à son moi-haut, c’est que
cette moitié y fasse entrée en emperesse pour qu’elle n’y rentre que comme
signifiant-m’être de cette affaire de rapport au sexe. Ceci tout uniment (là en effet
Freud a raison) de la fonction phallique, pour ce que c’est bien d’un phanère
unique qu’à procéder de supplément, elle, cette fonction, s’organise, trouve
l’organon qu’ici je revise.
Je le fais en ce qu’à sa différence, – pour les femmes rien ne le guidait, c’est
même ce qui lui a permis d’en avancer autant à écouter les hystériques qui « font
l’homme » –, à sa différence, répété-je, je ne ferai pas aux femmes obligation
d’auner au chaussoir de la castration la gaine charmante qu’elles n’élèvent pas au
signifiant, même si le chaussoir, de l’autre côté, ce n’est pas seulement au
signifiant, mais bien aussi au pied qu’il aide.
De faire chaussure, c’est sûr, à ce pied, les femmes (et qu’on m’y pardonne
d’entre elles cette généralité que je répudie bientôt, mais les hommes là-dessus
sont durs de la feuille), les femmes, dis-je, se font emploi à l’occasion. Que le
chausse-pied s’y recommande, s’ensuit dès lors, mais qu’elles puissent s’en passer
doit être prévu, ce, pas seulement au M.L.F. qui est d’actualité, mais de ce qu’il
n’y ait pas de rapport sexuel, ce dont l’actuel n’est que témoignage, quoique, je le
crains, momentané.
À ce titre l’élucubration freudienne du complexe d’Œdipe, qui y fait la femme
poisson dans l’eau, de ce que la castration soit chez elle de départ (Freud dixit),
contraste douloureusement avec le fait du ravage qu’est chez la femme, pour la
plupart, le rapport à sa mère, d’où elle semble bien attendre comme femme plus
de subsistance que de son père, – ce qui ne va pas avec lui étant second, dans ce
ravage.
Ici j’abats mes cartes à poser le mode quantique sous lequel l’autre moitié,
moitié du sujet, se produit d’une fonction à la satisfaire, soit à la compléter de
son argument.
(22)De deux modes dépend que le sujet ici se propose d’être dit femme. Les

voici :
et
Leur inscription n’est pas d’usage en mathématique. Nier, comme la barre mise
au-dessus du quanteur le marque, nier qu’existe un ne se fait pas, et moins encore
que pourtout se pourpastoute.
C’est là pourtant que se livre le sens du dire, de ce que, s’y conjuguant le nyania
qui bruit des sexes en compagnie, il supplée à ce qu’entre eux, de rapport nyait
pas.
Ce qui est à prendre non pas dans le sens qui, de réduire nos quanteurs à leur
lecture selon Aristote, égalerait le nexistun au nulnest de son universelle négative,
51
ferait revenir le → , le pastout (qu’il a pourtant su formuler), à témoigner
de l’existence d’un sujet à dire que non à la fonction phallique, ce à le supposer
de la contrariété dite de deux particulières.
Ce n’est pas là le sens du dire, qui s’inscrit de ces quanteurs.
Il est : que pour s’introduire comme moitié à dire des femmes, le sujet se
détermine de ce que, n’existant pas de suspens à la fonction phallique, tout puisse
ici s’en dire, même à provenir du sans raison. Mais c’est un tout d’hors univers,
lequel se lit tout de go du second quanteur comme pastout.
Le sujet dans la moitié où il se détermine des quanteurs niés, c’est de ce que
rien d’existant ne fasse limite de la fonction, que ne saurait s’en assurer quoi que
ce soit d’un univers. Ainsi à se fonder de cette moitié, « elles » ne sont pastoutes,
avec pour suite et du même fait, qu’aucune non plus n’est toute.
Je pourrais ici, à développer l’inscription que j’ai faite par une fonction
hyperbolique, de la psychose de Schreber, y démontrer dans ce qu’il a de
sardonique l’effet de pousse-à-la-femme qui se spécifie du premier quanteur :
ayant bien précisé que c’est de l’irruption d’Un-père comme sans raison, que se
précipite ici l’effet ressenti comme de forçage, au champ d’un Autre à se penser
comme à tout sens le plus étranger.
Mais à porter à sa puissance d’extrême logique la fonction, cela dérouterait. J’ai
déjà pu mesurer la peine que la bonne volonté a prise de l’appliquer à Hölderlin :
sans succès.
Combien plus aisé n’est-il pas, voire délice à se promettre, de (23)mettre au
compte de l’autre quanteur, le singulier d’un « confin », à ce qu’il fasse la
puissance logique du pastout s’habiter du recès de la jouissance que la féminité
dérobe, même à ce qu’elle vienne à se conjoindre à ce qui fait thomme…
Car ce « confin » de s’énoncer ici de logique, est bien le même dont s’abrite
Ovide à le figurer de Tirésias en mythe. Dire qu’une femme n’est pas toute, c’est
ce que le mythe nous indique de ce qu’elle soit la seule à ce que sa jouissance
dépasse, celle qui se fait du coït.
C’est aussi bien pourquoi c’est comme la seule qu’elle veut être reconnue de
l’autre part : on ne l’y sait que trop.
Mais c’est encore où se saisit ce qu’on y a à apprendre, à savoir qu’y satisfît-on
à l’exigence de l’amour, la jouissance qu’on a d’une femme la divise, lui faisant
de sa solitude partenaire, tandis que l’union reste au seuil.
Car à quoi l’homme s’avouerait-il servir de mieux pour la femme dont il veut
jouir, qu’à lui rendre cette jouissance sienne qui ne la fait pas toute à lui : d’en
elle la re-susciter.

52
Ce qu’on appelle le sexe (voire le deuxième, quand c’est une sotte) est
proprement, à se supporter de pastoute, l’  qui ne peut s’étancher
d’univers.
Disons hétérosexuel par définition, ce qui aime les femmes, quel que soit son
sexe propre. Ce sera plus clair.
J’ai dit : aimer, non pas : à elles être promis d’un rapport qu’il n’y a pas. C’est
même ce qui implique l’insatiable de l’amour, lequel s’explique de cette prémisse.
Qu’il ait fallu le discours analytique pour que cela vienne à se dire, montre
assez que ce n’est pas en tout discours qu’un dire vient à ex-sister. Car la question
en fut des siècles rebattue en termes d’intuition du sujet, lequel était fort capable
de le voir, voire d’en faire des gorges chaudes, sans que jamais ç’ait été pris au
sérieux.
C’est la logique de l’  qui est à faire partir, y étant remarquable qu’y
débouche le Parménide à partir de l’incompatibilité de l’Un à l’Etre. Mais comment
commenter ce texte devant sept cents personnes ?
Reste la carrière toujours ouverte à l’équivoque du signifiant : l’ , de
se décliner en l’ , s’éthérise, voire s’hétaïrise…
(24)L’appui du deux à faire d’eux que semble nous tendre ce pastout, fait illusion,

mais la répétition qui est en somme le transfini, montre qu’il s’agit d’un
inaccessible, à partir de quoi, l’énumérable en étant sûr, la réduction le devient
aussi.
C’est ici que s’emble, je veux dire : s’emblave, le semblable dont moi seul ai
tenté de dénouer l’équivoque, de l’avoir fouillée de l’hommosexué, soit de ce
qu’on appelait jusqu’ici l’homme en abrégé, qui est le prototype du semblable (cf.
mon stade du miroir).
C’est l’ , remarquons-le, qui, à s’y embler de discord, érige l’homme
dans son statut qui est celui de l’hommosexuel. Non de mon office, je le souligne,
de celui de Freud qui, cet appendice, le lui rend, et en toutes lettres.
Il ne s’emble ainsi pourtant que d’un dire à s’être déjà bien avancé. Ce qui
frappe d’abord, c’est à quel point l’hommodit a pu se suffire du tout-venant de
l’inconscient, jusqu’au moment où, à le dire « structuré comme un langage », j’ai
laissé à penser qu’à tant parler, ce n’est pas lourd qui en est dit : que ça cause,
que ça cause, mais que c’est tout ce que ça sait faire. On m’a si peu compris, tant
mieux, que je peux m’attendre à ce qu’un jour on m’en fasse objection.
Bref on flotte de l’îlot phallus, à ce qu’on s’y retranche de ce qui s’en retranche.

Ainsi l’histoire se fait de manœuvres navales où les bateaux font leur ballet
d’un nombre limité de figures.

53
Il est intéressant que des femmes ne dédaignent pas d’y prendre rang : c’est
même pour cela que la danse est un art qui florit quand les discours tiennent en
place, y ayant le pas ceux qui ont de quoi, pour le signifiant congru.

Mais quand le pastoute vient à dire qu’il ne se reconnaît pas dans celles-là, que
dit-il, sinon ce qu’il trouve dans ce que je lui ai apporté, soit :
le quadripode de la vérité et du semblant, du jouir et de ce qui d’un plus de –,
s’en défile à se démentir de s’en défendre,
et le bipode dont l’écart montre l’ab-sens du rapport,
puis le trépied qui se restitue de la rentrée du phallus sublime (25)qui guide
l’homme vers sa vraie couche, de ce que sa route, il l’ait perdue.
« Tu m’as satisfaite, petithomme. Tu as compris, c’est ce qu’il fallait. Vas,
d’étourdit il n’y en a pas de trop, pour qu’il te revienne l’après midit. Grâce à la
main qui te répondra à ce qu’Antigone tu l’appelles, la même qui peut te déchirer
de ce que j’en sphynge mon pastoute, tu sauras même vers le soir te faire l’égal de
Tirésias et comme lui, d’avoir fait l’Autre, deviner ce que je t’ai dit ».
C’est là surmoitié qui ne se surmoite pas si facilement que la conscience
universelle.
Ses dits ne sauraient se compléter, se réfuter, s’inconsister, s’indémontrer,
s’indécider qu’à partir de ce qui ex-siste des voies de son dire.

D’où l’analyste d’une autre source que de cet Autre, l’Autre de mon graphe et
signifié de S de A barré : pastoute d’où saurait-il trouver à redire à ce qui foisonne
de la chicane logique dont le rapport au sexe s’égare, à vouloir que ses chemins
aillent à l’autre moitié ?
Qu’une femme ici ne serve à l’homme qu’à ce qu’il cesse d’en aimer une autre ;
que de n’y pas parvenir soit de lui contre elle retenu, alors que c’est bien d’y
réussir, qu’elle le rate,
– que maladroit, le même s’imagine que d’en avoir deux la fait toute,
– que la femme dans le peuple soit la bourgeoise, qu’ailleurs l’homme veuille
qu’elle ne sache rien :
d’où saurait-il s’y retrouver en ces gentillesses – il y en a d’autres –, sauf de la
logique qui s’y dénonce et à quoi je prétends le rompre ?

Il m’a plu de relever qu’Aristote y fléchit, curieusement de nous fournir les


termes que je reprends d’un autre déduit. Cela n’eût-il pas eu son intérêt pourtant
qu’il aiguillât son Monde du pastout à en nier l’universel ? L’existence du même
coup ne s’étiolait plus de la particularité, et pour Alexandre son maître
l’avertissement eût pu être bon : si c’est d’un ab-sens comme-pas-un dont se

54
nierait l’univers que se dérobe le pastout qui ex-siste, il aurait ri, tout le premier
c’est le cas de le dire, de son dessein de l’univers « empirer ».
(26)C’est là justement que passifou, le philosophe joue d’autant mieux l’air du

midit qu’il peut le faire en bonne conscience. On l’entretient pour dire la vérité :
comme le fou il sait que c’est tout à fait faisable, à condition qu’il ne suture
(Sutor…) pas outre sa semellité.

Un peu de topologie vient maintenant.


Prenons un tore (une surface formant « anneau »). Il saute aux yeux qu’à le
pincer entre deux doigts tout de son long à partir d’un point pour y revenir, le
doigt d’en haut d’abord étant en bas enfin, c’est-à-dire ayant opéré un demi-tour
de torsion durant l’accomplissement du tour complet du tore, on obtient une
bande de Moebius : à condition de considérer la surface ainsi aplatie comme
confondant les deux lames produites de la surface première. C’en est à ce que
l’évidence s’homologue de l’évidement.
Il vaut de la démontrer de façon moins grossière. Procédons d’une coupure
suivant le bord de la bande obtenue (on sait qu’il est unique). Il est facile de voir
que chaque lame, dès lors séparée de celle qui la redouble, se continue pourtant
justement dans celle-ci. De ce fait, le bord pris d’une lame en un point est le bord
de l’autre lame quand un tour l’a mené en un point conjugué d’être du même
« travers », et quand d’un tour supplémentaire il revient à son point de départ, il
a, d’avoir fait une double boucle répartie sur deux lames, laissé de côté une autre
double boucle qui constitue un second bord. La bande obtenue a donc deux
bords, ce qui suffit à lui assurer un endroit et un envers.
Son rapport à la bande de Moebius qu’elle figurait avant que nous y fassions
coupure, est… que la coupure l’ait produite.
Là est le tour de passe-passe : ce n’est pas à recoudre la même coupure que la
bande de Moebius sera reproduite puisqu’elle n’était que « feinte » d’un tore
aplati, mais c’est par un glissement des deux lames l’une sur l’autre (et aussi bien
dans les deux sens) que la double boucle d’un des bords étant affrontée à elle-
même, sa couture constitue la bande de Moebius « vraie ».
Où la bande obtenue du tore se révèle être la bande de Moebius bipartie –
d’une coupure non pas à double tour, mais à se fermer d’un seul (faisons-là
médiane pour le saisir… imaginairement).
Mais du même coup ce qui apparaît, c’est que la bande de (27)Moebius n’est
rien d’autre que cette coupure même, celle par quoi de sa surface elle disparaît.
Et la raison en est qu’à procéder d’unir à soi-même, après glissement d’une
lame sur l’autre de la bande bipartie, la double boucle d’un des bords de cette
même bande, c’est tout au long la face envers de cette bande que nous cousions
à sa face endroit.
55
Où il se touche que ce n’est pas du travers idéal dont une bande se tord d’un
demi-tour, que la bande de Moebius est à imaginer ; c’est tout de son long qu’elle
fait n’être qu’un son endroit et son envers. Il n’y a pas un de ses points où l’un
et l’autre ne s’unissent. Et la bande de Moebius n’est rien d’autre que la coupure
à un seul tour, quelconque (bien qu’imagée de l’impensable « médiane »), qui la
structure d’une série de lignes sans points.
Ce qui se confirme à imaginer cette coupure se redoubler (d’être « plus
proche » de son bord) : cette coupure donnera une bande de Moebius, elle
vraiment médiane, qui, abattue, restera faire chaîne avec la Moebius bipartie qui
serait applicable sur un tore (ceci de comporter deux rouleaux de même sens et
un de sens contraire ou, de façon équivalente : d’être obtenus de la même, trois
rouleaux de même sens) : on voit là que l’ab-sens qui résulte de la coupure simple,
fait l’absence de la bande de Moebius. D’où cette coupure = la bande de
Moebius.
Reste que cette coupure n’a cette équivalence que de bipartir une surface que
limite l’autre bord : d’un double tour précisément, soit ce qui fait la bande de
Moebius. La bande de Moebius est donc ce qui d’opérer sur la bande de Moebius,
la ramène à la surface torique.
Le trou de l’autre bord peut pourtant se supplémenter autrement, à savoir
d’une surface qui, d’avoir la double boucle pour bord, le remplit ; – d’une autre
bande de Moebius, cela va de soi, et cela donne la bouteille de Klein.
Il y a encore une autre solution : à prendre ce bord de la découpe en rondelle
qu’à le dérouler il étale sur la sphère. À y faire cercle, il peut se réduire au point :
point hors-ligne qui, de supplémenter la ligne sans points, se trouve composer
ce qui dans la topologie se désigne du cross-cap.
C’est l’asphère, à l’écrire : l, apostrophe. Le plan projectif autrement dit, de
Desargues, plan dont la découverte comme réduisant son horizon à un point, se
précise de ce que ce point soit tel que (28)toute ligne tracée d’y aboutir ne le
franchit qu’à passer de la face endroit du plan à sa face envers.
Ce point aussi bien s’étale-t-il de la ligne insaisissable dont se dessine dans la
figuration du cross-cap, la traversée nécessaire de la bande de Moebius par la
rondelle dont nous venons de la supplémenter à ce qu’elle s’appuie sur son bord.
Le remarquable de cette suite est que l’asphère (écrit : l, apostrophe), à
commencer au tore (elle s’y présente de première main), ne vient à l’évidence de
son asphéricité qu’à se supplémenter d’une coupure sphérique.

Ce développement est à prendre comme la référence – expresse, je veux dire


déjà articulée – de mon discours où j’en suis : contribuant au discours analytique.

56
Référence qui n’est en rien métaphorique. Je dirais : c’est de l’étoffe qu’il s’agit,
de l’étoffe de ce discours, – si justement ce n’était pas dans la métaphore tomber
là.
Pour le dire, j’y suis tombé ; c’est déjà fait, non de l’usage du terme à l’instant
répudié, mais d’avoir, pour me faire entendre d’à qui je m’adresse, fait-image,
tout au long de mon exposé topologique.
Qu’on sache qu’il était faisable d’une pure algèbre littérale, d’un recours aux
vecteurs dont d’ordinaire se développe de bout en bout cette topologie.
La topologie, n’est-ce pas ce n’espace où nous amène le discours mathématique
et qui nécessite révision de l’esthétique de Kant ?
Pas d’autre étoffe à lui donner que ce langage de pur mathème, j’entends par
là ce qui est seul à pouvoir s’enseigner : ceci sans recours à quelque expérience,
qui d’être toujours, quoi qu’elle en ait, fondée dans un discours, permet les
locutions qui ne visent en dernier ressort rien d’autre qu’à, ce discours, l’établir.
Quoi m’autorise dans mon cas à me référer à ce pur mathème ?
Je note d’abord que si j’en exclus la métaphore, j’admets qu’il puisse être
enrichi et qu’à ce titre il ne soit, sur cette voie, que récréation, soit ce dont toute
sorte de champs nouveaux mathématiques se sont de fait ouverts. Je me
maintiens donc dans l’ordre que j’ai isolé du symbolique, à y inscrire ce qu’il en
est de l’inconscient, pour y prendre référence de mon présent discours.
(29)Je réponds donc à ma question : qu’il faut d’abord avoir l’idée, laquelle se

prend de mon expérience, que n’importe quoi ne peut pas être dit. Et il faut le
dire.
Autant dire qu’il faut le dire d’abord.
Le « signifié » du dire n’est, comme je pense l’avoir de mes phrases d’entrée
fait sentir, rien qu’ex-sistence au dit (ici à ce dit que tout ne peut pas se dire).
Soit : que ce n’est pas le sujet, lequel est effet de dit.
Dans nos asphères, la coupure, coupure fermée, c’est le dit. Elle, fait sujet :
quoi qu’elle cerne…
Notamment, comme le figure la sommation de Popilius d’y répondre par oui
ou par non, notamment, dis-je, si ce qu’elle cerne, c’est le concept, dont se définit
l’être même : d’un cercle autour – à se découper d’une topologie sphérique, celle
qui soutient l’universel, le quant-au-tout : topologie de l’univers.
L’ennui est que l’être n’a par lui-même aucune espèce de sens. Certes là où il est,
il est le signifiant-maître, comme le démontre le discours philosophique qui, pour
se tenir à son service, peut être brillant, soit : être beau, mais quant au sens le
réduit au signifiant-m’être. M’être sujet le redoublant à l’infini dans le miroir.
J’évoquerai ici la survivance magistrale, combien sensible quand elle s’étreint
aux faits « modernes », la survivance de ce discours, celui d’Aristote et de saint

57
Thomas, sous la plume d’Étienne Gilson, laquelle n’est plus que plaisance : m’est
« plus-de-jouir ».
C’est aussi bien que je lui donne sens d’autres discours, l’auteur aussi, comme
je viens de le dire. J’expliquerai cela, ce qui produit le sens, un peu plus loin.

L’être se produit donc « notamment ». Mais notre asphère sous tous ses avatars
témoigne que si le dit se conclut d’une coupure qui se ferme, il est certaines
coupures fermées qui de cette asphère ne font pas deux parts : deux parts à se
dénoter du oui et du non pour ce qu’il en est (« de l’être ») de l’une d’elles.
L’important est que ce soit ces autres coupures qui ont effet de subversion
topologique. Mais que dire du changement par elles survenu ?
(30)Nous pouvons le dénommer topologiquement : cylindre, bande, bande de

Moebius. Mais y trouver ce qu’il en est dans le discours analytique, ne peut se


faire qu’à y interroger le rapport du dire au dit.
Je dis qu’un dire s’y spécifie de la demande dont le statut logique est de l’ordre
du modal, et que la grammaire le certifie.
Un autre dire, selon moi, y est privilégié : c’est l’interprétation, qui, elle, n’est
pas modale, mais apophantique. J’ajoute que dans le registre de la logique
d’Aristote, elle est particulière, d’intéresser le sujet des dits particuliers, lesquels
ne sont pastous (association libre) des dits modaux (demande entre autres).
L’interprétation, ai-je formulé en son temps, porte sur la cause du désir, cause
qu’elle révèle, ceci de la demande qui de son modal enveloppe l’ensemble des
dits.
Quiconque me suit dans mon discours sait bien que cette cause je l’incarne de
l’objet (a), et cet objet, le reconnaît (pour ce que l’ai énoncé dès longtemps, dix
ans, le séminaire 61-62 sur l’identification, où cette topologie, je l’ai introduite),
l’a, je l’avance, déjà reconnu dans ce que je désigne ici de la rondelle
supplémentaire dont se ferme la bande de Moebius, à ce que s’en compose le
cross-cap.
C’est la topologie sphérique de cet objet dit (a) qui se projette sur l’autre du
composé, hétérogène, que constitue le cross-cap.
« Imaginons » encore selon ce qui s’en figure graphiquement de façon usuelle,
cette autre part. Qu’en voyons-nous ? Sa gonfle.
Rien n’est plus de nature à ce qu’elle se prenne pour sphérique. Ce n’en est pas
moins, si mince qu’on en réduise la part torse d’un demi-tour, une bande de
Moebius, soit la mise en valeur de l’asphère du pastout : c’est ce qui supporte
l’impossible de l’univers, – soit à prendre notre formule, ce qui y rencontre le
réel.
L’univers n’est pas ailleurs que dans la cause du désir, l’universel non plus.
C’est de là que procède l’exclusion du réel…
58
… de ce réel : qu’il n’y a pas de rapport sexuel, ceci du fait qu’un animal a stabitat
qu’est le langage, que d’labiter c’est aussi bien ce qui pour son corps fait organe, –
organe qui, pour ainsi lui ex-sister, le détermine de sa fonction, ce dès avant qu’il
la trouve. C’est même de là qu’il est réduit à trouver que son corps n’est pas-sans
autres organes, et que leur fonction à chacun, lui fait problème, – (31)ce dont le
dit schizophrène se spécifie d’être pris sans le secours d’aucun discours établi.

J’ai la tâche de frayer le statut d’un discours, là où je situe qu’il y a… du


discours : et je le situe du lien social à quoi se soumettent les corps qui, ce
discours, labitent.
Mon entreprise paraît désespérée (l’est du même fait, c’est là le fait du
désespoir) parce qu’il est impossible que les psychanalystes forment un groupe.
Néanmoins le discours psychanalytique (c’est mon frayage) est justement celui
qui peut fonder un lien social nettoyé d’aucune nécessité de groupe.
Comme on sait que je ne ménage pas mes termes quand il s’agit de faire relief
d’une appréciation qui, méritant un accès plus strict, doit s’en passer, je dirai que
je mesure l’effet de groupe à ce qu’il rajoute d’obscénité imaginaire à l’effet de
discours.
D’autant moins s’étonnera-t-on, je l’espère, de ce dire qu’il est historiquement
vrai que ce soit l’entrée en jeu du discours analytique qui a ouvert la voie aux
pratiques dites de groupe et que ces pratiques ne soulèvent qu’un effet, si j’ose
dire, purifié du discours même qui en a permis l’expérience.
Aucune objection là à la pratique dite de groupe, pourvu qu’elle soit bien
indiquée (c’est court).
La remarque présente de l’impossible du groupe psychanalytique est aussi bien
ce qui en fonde, comme toujours, le réel. Ce réel, c’est cette obscénité même :
aussi bien en « vit-il » (entre guillemets) comme groupe.
Cette vie de groupe est ce qui préserve l’institution dite internationale, et ce
que j’essaie de proscrire de mon École, – contre les objurgations que j’en reçois
de quelques personnes douées pour ça.
Ce n’est pas là l’important, ni qu’il soit difficile à qui s’installe d’un même
discours de vivre autrement qu’en groupe, – c’est qu’y appelle, j’entends : à ce
rempart du groupe, la position de l’analyste telle qu’elle est définie par son
discours même.
Comment l’objet (a) en tant qu’il est d’aversion au regard du semblant où
l’analyse le situe, comment se supporterait-il d’autre confort que le groupe ?
(32)J’y ai déjà perdu pas mal de monde : d’un cœur léger, et prêt ce que d’autres

y trouvent à redire.
Ce n’est pas moi qui vaincrai, c’est le discours que je sers. Je vais dire
maintenant pourquoi. Nous en sommes au règne du discours scientifique et je
59
vais le faire sentir. Sentir de là où se confirme ma critique, plus haut de l’universel
de ce que « l’homme soit mortel ».
Sa traduction dans le discours scientifique, c’est l’assurance-vie. La mort, dans
le dire scientifique, est affaire de calcul des probabilités. C’est, dans ce discours,
ce qu’elle a de vrai.
Il y a néanmoins, de notre temps, des gens qui se refusent à contracter une
assurance-vie. C’est qu’ils veulent de la mort une autre vérité qu’assurent déjà
d’autres discours. Celui du maître par exemple qui, à en croire Hegel, se fonderait
de la mort prise comme risque ; celui de l’universitaire, qui jouerait de mémoire
« éternelle » du savoir.
Ces vérités, comme ces discours, sont contestées, d’être contestables
éminemment. Un autre discours est venu au jour, celui de Freud, pour quoi la
mort, c’est l’amour.
Ça ne veut pas dire que l’amour ne relève pas aussi du calcul des probabilités,
lequel ne lui laisse que la chance infime que le poème de Dante a su réaliser. Ça
veut dire qu’il n’y a pas d’assurance-amour, parce que ça serait l’assurance-haine
aussi.
L’amour-haine, c’est ce dont un psychanalyste même non lacanien ne
reconnaît à juste titre que l’ambivalence, soit la face unique de la bande de
Moebius, – avec cette conséquence, liée au comique qui lui est propre, que dans
sa « vie » de groupe, il n’en dénomme jamais que la haine.
Je renchaîne d’avant : d’autant moins de motif à l’assurance-amour qu’on ne
peut qu’y perdre, – comme fit Dante, qui dans les cercles de son enfer, omet
celui du conjungo sans fin.

Donc déjà trop de commentaire dans l’imagerie de ce dire qu’est ma topologie.


Un analyste véritable n’y entendrait pas plus que de faire à ce dire, jusqu’à
meilleure à se prouver, tenir la place du réel.
La place du dire est en effet l’analogue dans le discours mathématique de ce
réel que d’autres discours serrent de l’impossible de leurs dits.
(33)Cette dit-mension d’un impossible qui va incidemment jusqu’à comprendre

l’impasse proprement logicienne, c’est ailleurs ce qu’on appelle la structure.


La structure, c’est le réel qui se fait jour dans le langage. Bien sûr n’a-t-elle
aucun rapport avec la « bonne forme ».
Le rapport d’organe du langage à l’être parlant, est métaphore. Il est encore
stabitat qui, de ce que labitant y fasse parasite, doit être supposé lui porter le coup
d’un réel.
Il est évident qu’à « m’exprimer ainsi » comme sera traduit ce que je viens de
dire, je glisse à une « conception du monde », soit au déchet de tout discours.

60
C’est bien de quoi l’analyste pourrait être sauvé de ce que son discours le rejette
lui-même, à l’éclairer comme rebut du langage.
C’est pourquoi je pars d’un fil, idéologique je n’ai pas le choix, celui dont se
tisse l’expérience instituée par Freud. Au nom de quoi, si ce fil provient de la
trame la mieux mise à l’épreuve de faire tenir ensemble les idéologies d’un temps
qui est le mien, le rejetterais-je ? Au nom de la jouissance ? Mais justement, c’est
le propre de mon fil de s’en tirer : c’est même le principe du discours
psychanalytique, tel que, lui-même, il s’articule.
Ce que je dis vaut la place où je mets le discours dont l’analyse se prévaut,
parmi les autres à se partager l’expérience de ce temps. Le sens, s’il y en a un à
trouver, pourrait-il me venir d’un temps autre : je m’y essaie – toujours en vain.
Ce n’est pas sans raison que l’analyse se fonde du sujet supposé savoir : oui,
certes elle le suppose mettre en question le savoir, ce pour quoi c’est mieux qu’il
en sache un bout.
J’admire là-dessus les airs pincés que prend la confusion, de ce que je l’élimine.
Il reste que la science a démarré, nettement du fait de laisser tomber la
supposition, que c’est le cas d’appeler naturelle, de ce qu’elle implique que les
prises du corps sur la « nature » le soient, – ce qui, de se controuver, entraîne à
une idée du réel que je dirais bien être vraie. Hélas ! ce n’est pas le mot qui au
réel convienne. On aimerait mieux pouvoir la prouver fausse, si par là
s’entendait : chue (falsa), soit glissant des bras du discours qui l’étreint.
Si mon dire s’impose, non, comme on dit, d’un modèle, mais (34)du propos
d’articuler topologiquement le discours lui-même, c’est du défaut dans l’univers
qu’il procède, à condition que pas lui non plus ne prétende à le suppléer.
De cela « réalisant la topologie », je ne sors pas du fantasme même à en rendre
compte, mais la recueillant en fleur de la mathémathique, cette topologie, – soit
de ce qu’elle s’inscrive d’un discours, le plus vidé de sens qui soit, de se passer
de toute métaphore, d’être métonymiquement d’ab-sens, je confirme que c’est
du discours dont se fonde la réalité du fantasme, que de cette réalité ce qu’il y a
de réel se trouve inscrit.
Pourquoi ce réel ne serait-ce pas le nombre, et tout cru après tout, que véhicule
bien le langage ? Mais ce n’est pas si simple, c’est le cas de le dire (cas que je me
hâte toujours de conjurer en disant que c’est le cas).
Car ce qui se profère du dire de Cantor, c’est que la suite des nombres ne
représente rien d’autre dans le transfini que l’inaccessibilité qui commence au
deux, par quoi d’eux se constitue l’énumérable à l’infini.
Dès lors une topologie se nécessite de ce que le réel ne lui revienne que du
discours de l’analyse, pour ce discours, le confirmer, et que ce soit de la béance
que ce discours ouvre à se refermer au-delà des autres discours, que ce réel se
trouve ex-sister.
61
C’est ce que je vais faire maintenant toucher.

Ma topologie n’est pas d’une substance à poser au-delà du réel ce dont une
pratique se motive. Elle n’est pas théorie.
Mais elle doit rendre compte de ce que, coupures du discours, il y en a de telles
qu’elles modifient la structure qu’il accueille d’origine.
C’est pure dérobade que d’en extérioriser ce réel de standards, standards dits
de vie dont primeraient des sujets dans leur existence, à ne parler que pour
exprimer leurs sentiments des choses, la pédanterie du mot « affect » n’y
changeant rien.
Comment cette secondarité mordrait-elle sur le primaire qui là se substitue à
la logique de l’inconscient ?
Serait-ce effet de la sagesse qui y interviendra ? Les standards à quoi l’on
recourt, y contredisent justement.
Mais à argumenter dans cette banalité, déjà l’on passe à la (35)théologie de l’être,
à la réalité psychique, soit à ce qui ne s’avalise analytiquement que du fantasme.
Sans doute l’analyse même rend-elle compte de ce piège et glissement, mais
n’est-il pas assez grossier pour se dénoncer partout où un discours sur ce qu’il y
a, décharge la responsabilité de le produire.
Car il faut le dire, l’inconscient est un fait en tant qu’il se supporte du discours
même qui l’établit, et, si seulement des analystes sont capables d’en rejeter le
fardeau, c’est d’éloigner d’eux-mêmes la promesse de rejet qui les y appelle, ce à
mesure de ce que leur voix y aura fait effet.
Qu’on le sente du lavage des mains dont ils éloignent d’eux le dit transfert, à
refuser le surprenant de l’accès qu’il offre sur l’amour.

À se passer dans son discours, selon la ligne de la science, de tout savoir-faire


des corps, mais pour un discours autre, – l’analyse, – d’évoquer une sexualité de
métaphore, métonymique à souhait par ses accès les plus communs, ceux dits
pré-génitaux, à lire extra –, prend figure de révéler la torsion de la connaissance.
Y serait-il déplacé de faire le pas du réel qui en rend compte à le traduire d’une
absence situable parfaitement, celle du « rapport » sexuel dans aucune
mathématisation ?
C’est en quoi les mathèmes dont se formule en impasses le mathématisable,
lui-même à définir comme ce qui de réel s’enseigne, sont de nature à se
coordonner à cette absence prise au réel.
Recourir au pastout, à l’hommoinsun, soit aux impasses de la logique, c’est, à
montrer l’issue hors des fictions de la Mondanité, faire fixion autre du réel : soit
de l’impossible qui le fixe de la structure du langage. C’est aussi bien tracer la

62
voie dont se retrouve en chaque discours le réel dont il s’enroule, et renvoyer les
mythes dont il se supplée ordinairement.
Mais de là proférer qu’il s’en faut du réel que rien ne soit tout, ce dont
l’incidence à l’endroit de la vérité irait tout droit à aphorisme plus scabreux, – ou,
à la prendre d’autre biais, émettre que le réel se nécessite de vérifications sans
objet, est-ce là seulement prendre la relance de la sottise à s’épingler du
noumène : soit que (36)l’être fuit la pensée… Rien ne vient à bout de cet être
qu’un peu plus je daphnise, voire laurifice en ce « noumène » dont vaut mieux
dire que pour qu’il se soutienne, faut qu’il y en ait plusieurs couches…
Mon tracas est que les aphorismes qu’au reste je me contente de présenter en
bouton, fassent refleurs des fossés de la métaphysique, (car le noumène, c’est le
badinage, la subsistance futile…). Je parie qu’ils se prouveront être de plus-de-
nonsense, plus drôles, pour le dire, que ce qui nous mène ainsi…
… à quoi ? faut-il que je sursaute, que je jure que je ne l’ai pas vu tout de suite
alors que vous, déjà… ces vérités premières, mais c’est le texte même dont se
formulent les symptômes des grandes névroses, des deux qui, à prendre au
sérieux le normal, nous disent que c’est plutôt norme male.
Voilà qui nous ramène au sol, peut-être pas le même, mais peut-être aussi que
c’est le bon et que le discours analytique y fait moins pieds de plomb.

Mettons en train ici l’affaire du sens, plus haut promise de sa différence d’avec
la signification.
Nous permet de l’accrocher l’énormité de la condensation entre « ce qui
pense » de notre temps (avec les pieds que nous venons de dire) et la topologie
inepte à quoi Kant a donné corps de son propre établissement, celui du
bourgeois qui ne peut imaginer que de la transcendance, l’esthétique comme la
dialectique.
Cette condensation en effet, nous devons la dire à entendre « au sens
analytique », selon la formule reçue. Quel est ce sens, si justement les éléments
qui s’y condensent, se qualifient univoquement d’une imbécillité semblable, voire
sont capables de s’en targuer du côté de « ce qui pense », le masque de Kant par
contre paraissant de bois devant l’insulte, à sa réflexion près de Swedenborg :
autrement dit, y a-t-il un sens de l’imbécillité ?
À ceci se touche que le sens ne se produit jamais que de la traduction d’un
discours en un autre.
Pourvus que nous voilà de cette petite lumière, l’antinomie tressaille qui se
produit de sens à signification : qu’un faible sens vienne à surgir à jour rasant des
dites « critiques » de la raison pure, et du jugement (pour la raison pratique, j’en
ai dit le folâtre (37)en le mettant du côté de Sade, lui pas plus drôle, mais logique), –
dès que leur sens donc se lève, les dits de Kant n’ont plus de signification.
63
La signification, ils ne la tiennent donc que du moment où ils n’avaient pas de
sens, pas même le sens commun.
Ceci nous éclaire les ténèbres qui nous réduisent aux tâtons. Le sens ne
manque pas aux vaticinations dites présocratiques : impossible de dire lequel,
mais çasysent Et que Freud s’en pourlèche, pas des meilleures au reste puisque
c’est d’Empédocle, n’importe, il avait, lui, le sens de l’orientation ; ça nous suffit
à voir que l’interprétation est du sens et va contre la signification. Oraculaire, ce
qui ne surprend pas de ce que nous savons lier d’oral à la voix, du déplacement
sexuel.
C’est la misère des historiens : de ne pouvoir lire que le sens, là où ils n’ont
d’autre principe que de s’en remettre aux documents de la signification. Eux aussi
donc en viennent à la transcendance, celle du matérialisme par exemple, qui,
« historique », l’est hélas ! l’est au point de le devenir irrémédiablement.
Heureusement que l’analyse est là pour regonfler l’historiole : mais n’y
parvenant que de ce qui est pris dans son discours, dans son discours de fait, elle
nous laisse le bec dans l’eau pour ce qui n’est pas de notre temps, – ne changeant
par là rien de ce que l’honnêteté force l’historien à reconnaître dès qu’il a à situer
le moindre sacysent. Qu’il ait charge de la science de l’embarras, c’est bien
l’embarrassant de son apport à la science.
Il importe donc à beaucoup, à ceux-ci comme à beaucoup d’autres ?, que
l’impossibilité de dire vrai du réel se motive d’un mathème (l’on sait comment je
le définis), d’un mathème dont se situe le rapport du dire au dit.
Le mathème se profère du seul réel d’abord reconnu dans le langage : à savoir
le nombre. Néanmoins l’histoire de la mathématique démontre (c’est le cas de le
dire) qu’il peut s’étendre à l’intuition, à condition que ce terme soit aussi châtré
qu’il se peut de son usage métaphorique.
Il y a donc là un champ dont le plus frappant est que son développement, à
l’encontre des termes dont on l’absorbe, ne procède pas de généralisation, mais
de remaniement topologique, d’une rétroaction sur le commencement telle
qu’elle en efface l’histoire.
(38)Pas d’expérience plus sûre à en résoudre l’embarras. D’où son attrait pour

la pensée : qui y trouve le nonsense propre à l’être, soit au désir d’une parole sans
au-delà.
Rien pourtant à faire état de l’être qui, à ce que nous l’énoncions ainsi, ne relève
de notre bienveillance.
Tout autre est le fait de l’indécidable, pour en prendre l’exemple de pointe dont
se recommande pour nous le mathème : c’est le réel du dire du nombre qui est
en jeu, quand de ce dire est démontré qu’il n’est pas vérifiable, ceci à ce degré
second qu’on ne puisse même l’assurer, comme il se fait d’autres déjà dignes de
nous retenir, d’une démonstration de son indémontrabilité des prémisses mêmes
64
qu’il suppose, – entendons bien d’une contradiction inhérente à le supposer
démontrable.
On ne peut nier qu’il y ait là progrès sur ce qui du Ménon en reste à questionner
de ce qui fait l’enseignable. C’est certes la dernière chose à dire qu’entre les deux
il y a un monde : ce dont il s’agit étant qu’à cette place vient le réel, dont le monde
n’est que chute dérisoire.
C’est pourtant le progrès qu’il faut restreindre là, puisque je ne perds pas de
vue le regret qui y répond, à savoir que l’opinion vraie dont au Ménon fait sens
Platon, n’a plus pour nous qu’ab-sens de signification, ce qui se confirme de la
référer à celle de nos bien-pensants.
Un mathème l’eut-elle porté, que notre topologie nous fournit ? Tentons-la.
Ça nous conduit à l’étonnement de ce que nous évitions à soutenir de l’image
notre bande de Moebius, cette imagination rendant vaines les remarques qu’eût
nécessitées un dit autre à s’y trouver articulé : mon lecteur ne devenait autre que
de ce que le dire passe le dit, ce dire étant à prendre d’au dit ex-sister, par quoi le
réel m’en ex-sist(ait) sans que quiconque, de ce qu’il fût vérifiable, le pût faire
passer au mathème. L’opinion vraie, est-ce la vérité dans le réel en tant que c’est
lui qui en barre le dire ?
Je l’éprouverai du redire que je vais en faire.
Ligne sans points, ai-je dit de la coupure, en tant qu’elle est, elle, la bande de
Moebius à ce qu’un de ses bords, après le tour dont elle se ferme, se poursuit
dans l’autre bord.
(39)Ceci pourtant ne peut se produire que d’une surface déjà piquée d’un point

que j’ai dit hors ligne de se spécifier d’une double boucle pourtant étalable sur
une sphère : de sorte que ce soit d’une sphère qu’il se découpe, mais de son
double bouclage qu’il fasse de la sphère une asphère ou cross-cap.
Ce qu’il fait passer pourtant dans le cross-cap à s’emprunter de la sphère, c’est
qu’une coupure qu’il fait moebienne dans la surface qu’il détermine à l’y rendre
possible, la rend, cette surface, au mode sphérique : car c’est de ce que la coupure
lui équivaille, que ce dont elle se supplémentait en cross-cap « s’y projette », ai-je
dit.
Mais comme de cette surface, pour qu’elle permette cette coupure, on peut
dire qu’elle est faite de lignes sans points par où partout sa face endroit se coud
à sa face envers, c’est partout que le point supplémentaire à pouvoir se sphériser,
peut être fixé dans un cross-cap.
Mais cette fixion doit être choisie comme unique point hors ligne, pour qu’une
coupure, d’en faire un tour et un unique, y ait effet de la résoudre en un point
sphériquement étalable.

65
Le point donc est l’opinion qui peut être dite vraie de ce que le dire qui en fait
le tour la vérifie en effet, mais seulement de ce que le dire soit ce qui la modifie
d’y introduire la  comme réel.
Ainsi un dire tel que le mien, c’est d’ex-sister au dit qu’il en permet le mathème,
mais il ne fait pas pour moi mathème et se pose ainsi comme non-enseignable
avant que le dire s’en soit produit, comme enseignable seulement après que je l’ai
mathématisé selon les critères ménoniens qui pourtant ne me l’avaient pas
certifié.
Le non-enseignable, je l’ai fait mathème de l’assurer de la fixion de l’opinion
vraie, fixion écrite avec un x, mais non sans ressource d’équivoque.
Ainsi un objet aussi facile à fabriquer que la bande de Moebius en tant qu’elle
s’imagine, met à portée de toutes mains ce qui est inimaginable dès que son dire
à s’oublier, fait le dit s’endurer.
D’où a procédé ma fixion de ce point  que je n’ai pas dit, je ne le sais pas
et ne peux donc pas plus que Freud en rendre compte « de ce que j’enseigne »,
sinon à suivre ses effets dans le (40)discours analytique, effet de sa
mathématisation qui ne vient pas d’une machine, mais qui s’avère tenir du
machin une fois qu’il l’a produite.
Il est notable que Cicéron ait su déjà employer ce terme « Ad usum autem
orationis, incredibile est, nisi diligenter attenderis, quanta opera machinata natura
sit » (Cicéron, De natura deorum, II, 59, 149.), mais plus encore que j’en aie fait
exergue aux tâtonnements de mon dire dès le 11 avril 1956.

La topologie n’est pas « faite pour nous guider » dans la structure. Cette
structure, elle l’est – comme rétroaction de l’ordre de chaîne dont consiste le
langage.
La structure, c’est l’asphérique recelé dans l’articulation langagière en tant
qu’un effet de sujet s’en saisit.
Il est clair que, quant à la signification, ce « s’en saisit » de la sous-phrase,
pseudo-modale, se répercute de l’objet même que comme verbe il enveloppe
dans son sujet grammatical, et qu’il y a faux effet de sens, résonance de
l’imaginaire induit de la topologie, selon que l’effet de sujet fait tourbillon
d’asphère ou que le subjectif de cet effet s’en « réfléchit ».
Il y a ici à distinguer l’ambiguïté qui s’inscrit de la signification, soit de la boucle
de la coupure, et la suggestion de trou, c’est-à-dire de structure qui de cette
ambiguïté fait sens5.

. Il paraîtra, j’espère ici, que de l’imputation de structuralisme, à entendre comme compréhension


5

du monde, une de plus au guignol sous lequel nous est représentée l’« histoire littéraire » (c’est de
cela qu’il s’agit), n’est malgré la gonfle de publicité qu’elle m’a apportée et sous la forme la plus
66
Ainsi la coupure, la coupure instaurée de la topologie (à l’y faire, de droit,
fermée, qu’on le note une bonne fois, dans mon usage au moins), c’est le dit du
langage, mais à ne plus le dire en oublier.
Bien sûr y a-t-il les dits qui font l’objet de la logique prédicative et dont la
supposition universalisante ressortit seulement à la sphère, je dis : la, je dis :
sphère, soit : que justement la structure n’y trouve qu’un supplément qui est celui
de la fiction du vrai.
(41)On pourrait dire que la sphère, c’est ce qui se passe de topologie. La coupure

certes y découpe (à se fermer) le concept sur quoi repose la foire du langage, le


principe de l’échange, de la valeur, de la concession universelle. (Disons qu’elle
n’est que « matière » pour la dialectique, affaire de discours du maître). Il est très
difficile de soutenir cette dit-mension pure, de ce qu’étant partout, pure elle ne
l’est jamais, mais l’important est qu’elle n’est pas la structure. Elle est la fiction
de surface dont la structure s’habille.
Que le sens y soit étranger, que « l’homme est bon », et aussi bien le dit
contraire, ça ne veuille dire strictement rien qui ait un sens, on peut à juste titre
s’étonner que personne n’ait de cette remarque (dont une fois de plus l’évidence
renvoie à l’être comme évidement) fait référence structurale. Nous risquerons-
nous au dire que la coupure en fin de compte n’ex-siste pas de la sphère ? – Pour
la raison que rien ne l’oblige à se fermer, puisqu’à rester ouverte elle y produit le
même effet, qualifiable du trou, mais de ce qu’ici ce terme ne puisse être pris que
dans l’acception imaginaire de rupture de surface : évident certes, mais de réduire
ce qu’il peut cerner au vide d’un quelconque possible dont la substance n’est que
corrélat (compossible oui ou non : issue du prédicat dans le propositionnel avec
tous les faux pas dont on s’amuse).
Sans l’homosexualité grecque, puis arabe, et le relais de l’eucharistie tout cela
eût nécessité un Autre recours bien avant. Mais on comprend qu’aux grandes
époques que nous venons d’évoquer, la religion seule en fin de compte, de
constituer l’opinion vraie, l’ , pût à ce mathème donner le fonds dont
il se trouvait de fait investi. Il en restera toujours quelque chose même si l’on
croit le contraire, et c’est pourquoi rien ne prévaudra contre l’Église jusqu’à la
fin des temps. Puisque les études bibliques n’en ont encore sauvé personne.
Seuls ceux pour qui ce bouchon n’a aucun intérêt, les théologiens par exemple,
travailleront dans la structure… si le cœur leur en dit, mais gare à la nausée.

plaisante puisque j’y étais embarqué dans la meilleure compagnie, n’est peut-être pas ce dont j’aie
lieu d’être satisfait.
Et de moins en moins dirais-je, à mesure qu’y fait montée une acception dont la vulgate
s’énoncerait assez bien de ce que les routes s’expliquent de conduire d’un panneau Michelin à un
autre : « Et voilà pourquoi votre carte est muette ».
67
Ce que la topologie enseigne, c’est le lien nécessaire qui s’établit de la coupure
au nombre de tours qu’elle comporte pour qu’en soit obtenue une modification
de la structure ou de l’asphère (42)(l, apostrophe), seul accès concevable au réel,
et concevable de l’impossible en ce qu’elle le démontre.
Ainsi du tour unique qui dans l’asphère fait lambeau sphériquement stable à y
introduire l’effet du supplément qu’elle prend du point hors ligne, l’ .
Le boucler double, ce tour, obtient tout autre chose : chute de la cause du désir
d’où se produit la bande moebienne du sujet, cette chute le démontrant n’être
qu’ex-sistence à la coupure à double boucle dont il résulte.
Cette ex-sistence est dire et elle le prouve de ce que le sujet reste à la merci de
son dit s’il se répète, soit : comme la bande moebienne d’y trouver son fading
(évanouissement).
Point-nœud (cas de le dire), c’est le tour dont se fait le trou, mais seulement en
ce « sens » que du tour, ce trou s’imagine, ou s’y machine, comme on voudra.
L’imagination du trou a des conséquences certes : est-il besoin d’évoquer sa
fonction « pulsionnelle » ou, pour mieux dire, ce qui en dérive (Trieb) ? C’est la
conquête de l’analyse que d’en avoir fait mathème, quand la mystique auparavant
ne témoignait de son épreuve qu’à en faire l’indicible. Mais d’en rester à ce trou-
là, c’est la fascination qui se reproduit, dont le discours universel maintient son
privilège, bien plus elle lui rend corps, du discours analytique.
Avec l’image rien jamais n’y fera. Le semblable s’oupirera même de ce qui s’y
emblave.
Le trou ne se motive pas du clin d’œil, ni de la syncope mnésique, ni du cri.
Qu’on l’approche de s’apercevoir que le mot s’emprunte du motus, n’est pas de
mise là d’où la topologie s’instaure.
Un tore n’a de trou, central ou circulaire, que pour qui le regarde en objet, non
pour qui en est le sujet, soit d’une coupure qui n’implique nul trou, mais qui
l’oblige à un nombre précis de tours de dire pour que ce tore se fasse (se fasse
s’il le demande, car après tout un tore vaut mieux qu’un travers), se fasse, comme
nous nous sommes prudemment contenté de l’imager, bande de Moebius, ou
contrebande si le mot vous plaît mieux.
Un tore, comme je l’ai démontré il y a dix ans à des gens en mal de m’envaser
de leur contrebande à eux, c’est la structure de la névrose en tant que le désir
peut, de la ré-pétition indéfiniment énumérable de la demande, se boucler en
deux tours. C’est à (43)cette condition du moins que s’en décide la contrebande
du sujet, – dans ce dire qui s’appelle l’interprétation.
Je voudrais seulement faire un sort à la sorte d’incitation que peut imposer
notre topologie structurale.

68
J’ai dit la demande numérable dans ses tours. Il est clair que si le trou n’est pas
à imaginer, le tour n’ex-siste que du nombre dont il s’inscrit dans la coupure dont
seule la fermeture compte.
J’insiste : le tour en soi n’est pas comptable ; répétitif, il ne ferme rien, il n’est
ni dit ni à dire, c’est-à-dire nulle proposition. D’où ce serait trop dire qu’il ne
relève pas d’une logique, qui reste à faire à partir de la modale.
Mais si comme l’assure notre figuration première de la coupure dont du tore
se fait la bande de Moebius, une demande y suffit, mais qui peut se ré-péter d’être
énumérable, autant dire qu’elle ne s’apparie au double tour dont se fonde la
bande qu’à se poser du transfini (cantorien).
Reste que la bande ne saurait se constituer qu’à ce que les tours de la demande
soient de nombre impair.
Le transfini en restant exigible, de ce que rien, nous l’avons dit, ne s’y compte
qu’à ce que la coupure s’en ferme, le dit transfini, tel Dieu lui-même dont on sait
qu’il s’en félicite, y est sommé d’être impair.
Voilà qui ajoute une dit-mension à la topologie de notre pratique du dire.
Ne doit-elle pas rentrer dans le concept de la répétition en tant qu’elle n’est
pas laissée à elle-même, mais que cette pratique la conditionne, comme nous
l’avons aussi fait observer de l’inconscient ?
Il est saisissant, – encore que déjà vu pour ce que je dis, qu’on s’en souvienne
–, que l’ordre (entendons : l’ordinal) dont j’ai effectivement frayé la voie dans ma
définition de la répétition et à partir de la pratique, est passé tout à fait dans sa
nécessité inaperçu de mon audience.
J’en marque ici le repère pour une reprise à venir.

Disons pourtant la fin de l’analyse du tore névrotique.


L’objet (a) à choir du trou de la bande s’en projette après coup dans ce que
nous appellerons, d’abus imaginaire, le trou central (44)du tore, soit autour de quoi
le transfini impair de la demande se résout du double tour de l’interprétation.
Cela, c’est ce dont le psychanalyste a pris fonction à le situer de son semblant.
L’analysant ne termine qu’à faire de l’objet (a) le représentant de la
représentation de son analyste. C’est donc autant que son deuil dure de l’objet
(a) auquel il l’a enfin réduit, que le psychanalyste persiste à causer son désir :
plutôt maniaco-dépressivement.
C’est l’état d’exultation que Balint, à le prendre à côté, n’en décrit pas moins
bien : plus d’un « succès thérapeutique », trouve là sa raison, et substantielle
éventuellement. Puis le deuil s’achève.
Reste le stable de la mise à plat du phallus, soit de la bande, où l’analyse trouve
sa fin, celle qui assure son sujet supposé du savoir :

69
… que, le dialogue d’un sexe à l’autre étant interdit de ce qu’un discours, quel
qu’il soit, se fonde d’exclure ce que le langage y apporte d’impossible, à savoir le
rapport sexuel, il en résulte pour le dialogue à l’intérieur de chaque (sexe) quelque
inconvénient,
… que rien ne saurait se dire « sérieusement » (soit pour former de série limite)
qu’à prendre sens de l’ordre comique, – à quoi pas de sublime (voire Dante là
encore) qui ne fasse révérence,
… et puis que l’insulte, si elle s’avère par l’ être du dialogue le premier
mot comme le dernier (conféromère), le jugement de même, jusqu’au « dernier »,
reste fantasme, et pour le dire, ne touche au réel qu’à perdre toute signification.
De tout cela il saura se faire une conduite. Il y en a plus d’une, même des tas,
à convenir aux trois dit-mensions de l’impossible : telles qu’elles se déploient
dans le sexe, dans le sens, et dans la signification.
S’il est sensible au beau, à quoi rien ne l’oblige, il le situera de l’entre-deux-
morts, et si quelqu’une de ces vérités lui parest bonne à faire entendre, ce n’est
qu’au midire du tour simple qu’il se fiera.

Ces bénéfices à se soutenir d’un second-dire, n’en sont pas moins établis, de
ce qu’ils le laissent oublié.
Là est le tranchant de notre énonciation de départ. Le dit premier, idéalement
de prime-saut de l’analysant, n’a ses effets de structure qu’à ce que « parsoit » le
dire, autrement dit que l’interprétation fasse parêtre.
(45)En quoi consiste le parêtre ? En ce que produisant les coupures « vraies » :

à entendre strictement des coupures fermées à quoi la topologie ne permet pas


de se réduire au point-hors-ligne ni, ce qui est la même chose, de ne faire que
trou imaginable.
De ce parêtre, je n’ai pas à exposer le statut autrement que de mon parcours
même, m’étant déjà dispensé de connoter son émergence au point, plus haut, où
je l’ai permise.
En faire arrêt(re) dans ce parcours serait du même coup le pén-êtrer, le faire
être, et même presque est encore trop.
Ce dire que je rappelle à l’ex-sistence, ce dire à ne pas oublier, du dit primaire,
c’est de lui que la psychanalyse peut prétendre à se fermer.
Si l’inconscient est structuré comme un langage, je n’ai pas dit : par –. L’audience,
s’il faut entendre par là quelque chose comme une acoustique mentale, l’audience
que j’avais alors était mauvaise, les psychanalystes ne l’ayant pas meilleure que les
autres. Faute d’une remarque suffisante de ce choix (évidemment pas un de ces
traits qui les touchaient, de les é-pater – sans plus d’ailleurs), il m’a fallu auprès
de l’audience universitaire, elle qui dans ce champ ne peut que se tromper, faire
étal de circonstances de nature à m’empêcher de porter mes coups sur mes
70
propres élèves, pour expliquer que j’aie laissé passer une extravagance telle que
de faire de l’inconscient « la condition du langage », quand c’est manifestement
par le langage que je rends compte de l’inconscient : le langage, fis-je donc
transcrire dans le texte revu d’une thèse, est la condition de l’inconscient.
Rien ne sert à rien, quand on est pris dans certaines fourchettes mentales,
puisque me voici forcé de rappeler la fonction, spécifiée en logique, de l’article
qui porte au réel de l’unique l’effet d’une définition, – un article, lui « partie du
discours » c’est-à-dire grammatical, faisant usage de cette fonction dans la langue
dont je me sers, pour y être défini défini.
Le langage ne peut désigner que la structure dont il y a effet de langages, ceux-
ci plusieurs ouvrant l’usage de l’un entre autres qui donne à mon comme sa très
précise portée, celle du comme un langage, dont justement diverge de l’inconscient
le sens commun. Les langages tombent sous le coup du pastous de la façon la plus
certaine puisque la structure n’y a pas d’autre sens, et que c’est en (46)quoi elle
relève de ma récréation topologique d’aujourd’hui.
Ainsi la référence dont je situe l’inconscient est-elle justement celle qui à la
linguistique échappe, pour ce que comme science elle n’a que faire du parêtre,
pas plus qu’elle ne noumène. Mais elle nous mène bel et bien, et Dieu sait où,
mais sûrement pas à l’inconscient, qui de la prendre dans la structure, la déroute
quant au réel dont se motive le langage : puisque le langage, c’est ça même, cette
dérive.
La psychanalyse n’y accède, elle, que par l’entrée en jeu d’une Autre dit-
mention laquelle s’y ouvre de ce que le meneur (du jeu) « fasse semblant » d’être
l’effet de langage majeur, l’objet dont s’(a)nime la coupure qu’elle permet par là :
c’est l’objet (a) pour l’appeler du sigle que je lui affecte.
Cela, l’analyste le paye de devoir représenter la chute d’un discours, après avoir
permis au sens de s’enserrer autour de cette chute à quoi il se dévoue.
Ce que dénonce la déception que je cause à bien des linguistes sans issue
possible pour eux, bien que j’en aie, moi, le démêlé.
Qui ne peut voir en effet à me lire, voire à me l’avoir entendu dire en clair, que
l’analyste est dès Freud très en avance là-dessus sur le linguiste, sur Saussure par
exemple qui en reste à l’accès stoïcien, le même que celui de saint Augustin ? (cf.
entre autres, le De magistro, dont à en dater mon appui, j’indiquais assez la limite :
la distinction signans-signatum).
Très en avance, j’ai dit en quoi : la condensation et le déplacement antécédant
la découverte, Jakobson aidant, de l’effet de sens de la métaphore et de la
métonymie.
Pour si peu que l’analyse se sustente de la chance que je lui en offre, cette
avance, elle la garde, – et la gardera d’autant de relais que l’avenir veuille apporter
à ma parole.
71
Car la linguistique par contre pour l’analyse ne fraye rien, et le soutien même
que j’ai pris de Jakobson, n’est, à l’encontre de ce qui se produit pour effacer
l’histoire dans la mathématique pas de l’ordre de l’après-coup, mais du
contrecoup, – au bénéfice, et second-dire, de la linguistique.
Le dire de l’analyse en tant qu’il est efficace, réalise l’apophantique qui de sa
seule ex-sistence se distingue de la proposition. C’est ainsi qu’il met à sa place la
fonction propositionnelle, en (47)tant que, je pense l’avoir montré, elle nous
donne le seul appui à suppléer à l’ab-sens du rapport sexuel. Ce dire s’y renomme,
de l’embarras que trahissent des champs aussi éparpillés que l’oracle et l’hors-
discours de la psychose, par l’emprunt qu’il leur fait du terme d’interprétation.
C’est le dire dont se ressaisissent, à en fixer le désir, les coupures qui ne se
soutiennent comme non-fermées que d’être demandes. Demandes qui d’apparier
l’impossible au contingent, le possible au nécessaire, font semonce aux
prétentions de la logique qui se dit modale.
Ce dire ne procède que du fait que l’inconscient, d’être « structuré comme un
langage », c’est-à-dire lalangue qu’il habite, est assujetti à l’équivoque dont
chacune se distingue. Une langue entre autres n’est rien de plus que l’intégrale
des équivoques que son histoire y a laissé persister. C’est la veine dont le réel, le
seul pour le discours analytique à motiver son issue, le réel qu’il n’y a pas de
rapport sexuel, y a fait dépôt au cours des âges. Ceci dans l’espèce que ce réel
introduit à l’un, soit à l’unique du corps qui en prend organe, et de ce fait y fait
organes écartelés d’une disjonction par où sans doute d’autres réels viennent à sa
portée, mais pas sans que la voie quadruple de ces accès ne s’infinitise à ce que
s’en produise le « nombre réel ».
Le langage donc, en tant que cette espèce y a sa place, n’y fait effet de rien
d’autre que de la structure dont se motive cette incidence du réel.
Tout ce qui en parest d’un semblant de communication est toujours rêve,
lapsus ou joke.
Rien à faire donc avec ce qui s’imagine et se confirme en bien des points d’un
langage animal.
Le réel là n’est pas à écarter d’une communication univoque dont aussi bien
les animaux, à nous donner le modèle, nous feraient leurs dauphins : une
fonction de code s’y exerce par où se fait la néguentropie de résultats
d’observation. Bien plus, des conduites vitales s’y organisent de symboles en tout
semblables aux nôtres (érection d’un objet au rang de signifiant du maître dans
l’ordre du vol de migration, symbolisme de la parade tant amoureuse que du
combat, signaux de travail, marques du territoire), à ceci près que ces symboles
ne sont jamais équivoques.
(48)Ces équivoques dont s’inscrit l’à-côté d’une énonciation, se concentrent de

trois points-nœuds où l’on remarquera non seulement la présence de l’impair


72
(plus haut jugé indispensable), mais qu’aucun ne s’y imposant comme le premier,
l’ordre dont nous allons les exposer s’y maintient et d’une double boucle plutôt
que d’un seul tour.
Je commence par l’homophonie, – d’où l’orthographe dépend. Que dans la
langue qui est la mienne, comme j’en ai joué plus haut, deux soit équivoque à
d’eux, garde trace de ce jeu de l’âme par quoi faire d’eux deux-ensemble trouve
sa limite à « faire deux » d’eux.
On en trouve d’autres dans ce texte, du parêtre au s’emblant.
Je tiens que tous les coups sont là permis pour la raison que quiconque étant
à leur portée sans pouvoir s’y reconnaître, ce sont eux qui nous jouent. Sauf à ce
que les poètes en fassent calcul et que le psychanalyste s’en serve là où il convient.
Où c’est convenable pour sa fin : soit pour, de son dire qui en rescinde le sujet,
renouveler l’application qui s’en représente sur le tore, sur le tore dont consiste
le désir propre à l’insistance de sa demande.
Si une gonfle imaginaire peut ici aider à la transfinitisation phallique, rappelons
pourtant que la coupure ne fonctionne pas moins à porter sur ce chiffonné, dont
au dessin girafoïde du petit Hans j’ai fait gloire en son temps.
Car l’interprétation se seconde ici de la grammaire. À quoi, dans ce cas comme
dans les autres, Freud ne se prive pas de recourir. Je ne reviens pas ici sur ce que
je souligne de cette pratique avouée en maints exemples.
Je relève seulement que c’est là ce que les analystes imputent pudiquement à
Freud d’un glissement dans l’endoctrination. Ce à des dates (cf. celle de l’homme
aux rats) où il n’a pas plus d’arrière-monde à leur proposer que le système  en
proie à des « incitations internes ».
Ainsi les analystes qui se cramponnent au garde-fou de la « psychologie
générale », ne sont même pas capables de lire, dans ces cas éclatants, que Freud
fait aux sujets « répéter leur leçon », dans leur grammaire.
À ceci près qu’il nous répète que, du dit de chacun d’eux, nous (49)devons être
prêts à réviser les « parties du discours » que nous avons cru pouvoir retenir des
précédents.
Bien sûr est-ce là ce que les linguistes se proposent comme idéal, mais si la
langue anglaise parest propice à Chomsky, j’ai marqué que ma première phrase
s’inscrit en faux d’une équivoque contre son arbre transformationnel.
« Je ne te le fais pas dire ». N’est-ce pas là le minimum de l’intervention
interprétative ? Mais ce n’est pas son sens qui importe dans la formule que
lalangue dont j’use ici permet d’en donner, c’est que l’amorphologie d’un langage
ouvre l’équivoque entre « Tu l’as dit » et « Je le prends d’autant moins à ma
charge que, chose pareille, je ne te l’ai par quiconque fait dire ».
Chiffre 3 maintenant : c’est la logique, sans laquelle l’interprétation serait
imbécile, les premiers à s’en servir étant bien entendu ceux qui, pour de
73
l’inconscient transcendantaliser l’existence, s’arment du propos de Freud qu’il
soit insensible à la contradiction.
Il ne leur est sans doute pas encore parvenu que plus d’une logique s’est
prévalu de s’interdire ce fondement, et de n’en pas moins rester « formalisée »,
ce qui veut dire propre au mathème.
Qui reprocherait à Freud un tel effet d’obscurantisme et les nuées de ténèbres
qu’il a aussitôt, de Jung à Abraham, accumulées à lui répondre ? – Certes pas moi
qui ai aussi, à cet endroit (de mon envers), quelques responsabilités.
Je rappellerai seulement qu’aucune élaboration logique, ce à partir d’avant
Socrate et d’ailleurs que de notre tradition, n’a jamais procédé que d’un noyau de
paradoxes, – pour se servir du terme, recevable partout, dont nous désignons les
équivoques qui se situent de ce point qui, pour venir ici en tiers, est aussi bien
premier ou second.
À qui échoué-je cette année de faire sentir que le bain de Jouvence dont le
mathème dit logique a retrouvé pour nous sa prise et sa vigueur, ce sont ces
paradoxes pas seulement rafraîchis d’être promus en de nouveaux termes par un
Russell, mais encore inédits de provenir du dire de Cantor ?
Irai-je à parler de la « pulsion génitale » comme du cata-logue des pulsions pré-
génitales en tant qu’elles ne se contiennent pas elles-mêmes, mais qu’elles ont
leur cause ailleurs, soit dans cet Autre à quoi la « génitalité » n’a accès qu’à ce qu’il
prenne « barre » (50)sur elle de la division qui s’effectue de son passage au
signifiant majeur, le phallus ?
Et pour le transfini de la demande, soit la ré-pétition, reviendrai-je sur ce
qu’elle n’a d’autre horizon que de donner corps à ce que le deux ne soit pas moins
qu’elle inaccessible à seulement partir de l’un qui ne serait pas celui de l’ensemble
vide ?
Je veux ici marquer qu’il n’y a là que recueil, – sans cesse alimenté du
témoignage que m’en donnent ceux-là bien sûr dont j’ouvre l’oreille –, recueil de
ce que chacun peut aussi bien que moi et eux tenir de la bouche même des
analysants pour peu qu’il se soit autorisé à prendre la place de l’analyste.
Que la pratique avec les ans m’ait permis d’en faire dits et redits, édits, dédits,
c’est bien la bulle dont tous les hommes se font la place qu’ils méritent dans
d’autres discours que celui que je propose.
À s’y faire d’race guidants à qui s’en remettent des guidés, pédants… (cf. plus
haut).
Au contraire dans l’accession au lieu d’où se profère ce que j’énonce, la
condition tenue d’origine pour première, c’est d’être l’analysé, soit ce qui résulte
de l’analysant.
Encore me faut-il pour m’y maintenir au vif de ce qui m’y autorise, ce procès
toujours le recommencer.
74
Où se saisit que mon discours est par rapport aux autres à contrepente, ai-je
dit déjà, et se confirme mon exigence de la double boucle pour que l’ensemble
s’en ferme.
Ceci autour d’un trou de ce réel dont s’annonce ce dont après-coup il n’y a pas
de plume qui ne se trouve témoigner : qu’il n’y a pas de rapport sexuel.
Ainsi s’explique ce midire dont nous venons à bout, celui par quoi la femme
de toujours serait leurre de vérité. Fasse le ciel enfin rompu de la voie que vous
ouvrons lactée, que certaines de n’être pastoutes, pour l’hommodit en viennent
à faire l’heure du réel. Ce qui ne serait pas forcément plus désagréable qu’avant.

Ça ne sera pas un progrès, puisqu’il n’y en a pas qui ne fasse regret, regret d’une
perte. Mais qu’on en rie, la langue que je sers s’y trouverait refaire le joke de
Démocrite sur le : à l’extraire par chute du  de la (négation) du rien qui
semble l’appeler, telle notre bande le fait d’elle-même à sa rescousse.
(51)Démocrite en effet nous fit cadeau de l’, du réel radical, à en élider

le pas », →, mais dans sa subjonctivité, soit ce modal dont la demande refait la
considération. Moyennant quoi le  fut bien le passager clandestin dont le
clam fait maintenant notre destin.
Pas plus matérialiste en cela que n’importe qui de sensé, que moi ou que Marx
par exemple. Pour Freud je n’en jurerais pas : qui sait la graine de mots ravis qui
a pu lever dans son âme d’un pays où la Kabbale cheminait.
À toute matière, il faut beaucoup d’esprit, et de son cru, car sans cela d’où lui
viendrait-il ? C’est ce que Freud a senti, mais non sans le regret dont je parlais
plus haut.
Je ne déteste donc pas du tout certains symptômes, liés à l’intolérable de la
vérité freudienne.
Ils la confirment, et même à croire prendre force de moi. Pour reprendre une
ironie de Poincaré sur Cantor, mon discours n’est pas stérile, il engendre
l’antinomie, et même mieux : il se démontre pouvoir se soutenir même de la
psychose.
Plus heureux que Freud qui, pour en aborder la structure, a dû recourir à
l’épave des mémoires d’un défunt, c’est d’une reprise de ma parole que naît mon
Schreber (et même ici biprésident, aigle à deux têtes).
Mauvaise lecture de mon discours sans doute, c’en est une bonne : c’est le cas
de toutes : à l’usage. Qu’un analysant en arrive tout animé à sa séance, suffit pour
qu’il enchaîne tout droit sur sa matière œdipienne, – comme de partout m’en
revient le rapport.
Évidemment mon discours n’a pas toujours des rejets aussi heureux. Pour le
prendre sous l’angle de l’ « influence » chère aux thèses universitaires, cela semble

75
pouvoir aller assez loin, au regard notamment d’un tourbillon de sémantophilie
dont on le tiendrait pour précédent, alors d’une forte priorité c’est ce que je
centrerais du mot-valise… On movalise depuis un moment à perte de vue et ce
n’est hélas ! pas sans m’en devoir un bout.
Je ne m’en console ni ne m’en désole. C’est moins déshonorant pour le
discours analytique que ce qui se produit de la formation des sociétés de ce nom.
Là, c’est de tradition le philistinisme qui donne le ton, et les récentes sorties
contre les sursauts de la jeunesse ne font rien de plus que s’y conformer.
(52)Ce que je dénonce, c’est que tout est bon aux analystes de cette filière pour

se défiler d’un défi dont je tiens qu’ils prennent existence, – car c’est là fait de
structure à les déterminer.
Le défi, je le dénote de l’abjection. On sait que le terme d’absolu a hanté le
savoir et le pouvoir, – dérisoirement il faut le dire : là semblait-il, restait espoir,
que les saints ailleurs représentent. Il faut en déchanter. L’analyste déclare forfait.
Quant à l’amour dont le surréalisme voudrait que les mots le fassent, est-ce à
dire que ça en reste là ? Il est étrange que ce que l’analyse y démontre de recel,
n’y ait pas fait jaillir ressource de semblant.

Pour terminer selon le conseil de Fenouillard concernant la limite,


je salue Henri-Rousselle dont à prendre ici occasion, je n’oublie pas qu’il
m’offre lieu à, ce jeu du dit au dire, en faire démonstration clinique. Où mieux
ai-je fait sentir qu’à l’impossible à dire se mesure le réel – dans la pratique ?
et date la chose de :
BELOEIL, le 14 juillet 72

Beloeil où l’on peut penser que Charles 1er quoique


pas de ma ligne, m’a fait défaut, mais non, qu’on le
sache, Coco, forcément Beloeil, d’habiter l’auberge
voisine, soit l’ara tricolore que sans avoir à explorer
son sexe, j’ai dû classer comme hétéro –, de ce qu’on
le dise être parlant.

76
1972-09-29 DISCOURS D’OUVERTURE DES JOURNÉES DE
L’ÉCOLE FREUDIENNE DE PARIS

Paru dans les Lettres de l’École freudienne,1973, n° 11, pp. 2-3


(2)[…]

Docteur LACAN – Je voudrais dire ce petit mot aux gens qui, ici sont les gens
de l’École.
Il est certain qu’avec le nombre, l’assistance que nous avons, puisque ceux qui
ne sont pas de l’École ne sont (3)là que pour savoir ce qui se fait à l’École – car
n’oublions pas ce que veulent dire ces journées – ces Journées c’est la première
manifestation d’une école qui, après tout, n’existe que de cette année – cette
année il s’est produit un certain mouvement de précipitation des choses et
notamment du travail à l’École – c’est un devoir pour ceux qui représentent, de
quelque façon que ce soit, ce qui s’est passé à l’École, de le sortir, de le manifester
ici.
Donc, tout à fait indépendamment des interventions ou des communications
déjà annoncées, il faut que chaque groupe se sente vraiment appelé, sinon
vraiment à se manifester dans toute la portée de ce qu’il a fait, du moins à
répondre à l’attente de ces gens qui viennent pour savoir ce qui peut bien se faire
à l’École freudienne de Paris.
En d’autres termes, c’est à vous qu’est la parole, à ceux qui, répartis dans cette
Assemblée sont de l’École freudienne.
Tachez de leur faire sentir que ce n’est pas de la théorie.

77
1972-09-29 INTERVENTION SUR L’EXPOSÉ DE C. CONTÉ

Intervention sur l’exposé de C. Conté : « Sur le mode de présence des pulsions partielles dans
la cure ». Journée d’étude de l’École freudienne de Paris, parue dans les Lettres de l’École
freudienne, 1973, n° 11, pp. 22-24.
Exposé […]
(22)
Docteur LACAN – Je voudrais, je ne dirais pas intervenir mais envoyer un
appel à cette assemblée. Conté vient de faire quelque chose qu’il a cru devoir lui-
même décrire ou poser comme une réflexion, une reprise, une preuve en somme
de la maîtrise qu’il a prise de ce que j’ai énoncé, tout spécialement de la pulsion,
dans mon séminaire de 1964, soit le premier que j’ai fait à l’École Normale.
Je ne peux que le remercier et le féliciter de l’exactitude justement que je
pourrais appeler topologique de la suite qu’il donne à la structure même de ce
que comportait mon dire sur la pulsion ; on ne pouvait pas mieux faire.
C’est bien entendu fait pour que s’élèvent des questions justement de la part
de ceux qui peuvent à tel ou tel endroit avoir tiqué en trouvant qu’une formule
était par exemple dangereuse ou qu’elle faisait question pour la personne, pour
l’auditeur auquel je pense.
Ce discours qu’on appelle théorique n’a absolument rien de théorique puisque
c’est justement un discours qui met en question la théorie et en particulier la
théorie de Freud.
Il est certain que cela se sent, que cette façon de rapporter comme devant
s’insérer dans le vivant quelque chose qui ne se situe en fait réellement qu’au
niveau d’une pratique, une pratique humaine – qu’est-ce que cela peut avoir à
faire d’évoquer le vivant, qu’est-ce que nous en faisons du vivant, dans un cabinet
analytique, nous lui foutons bien la paix à son côté de vivant, c’est autre chose,
n’est-ce pas cette théorie cela consiste à se rapprocher de la pratique, c’est pour
cela que j’ai fait quelque chose qu’on appelle théorie, cela veut dire : essayer de
coller à la pratique. Il ne faut pas oublier qu’il ne se passe rien qu’à partir du dire.
Enfin il est évident que bien avant que je fasse ce quart d’année sur la pulsion,
puisqu’il y en avait trois autres concepts à agiter, j’étais en fait auparavant allé
beaucoup plus loin, naturellement personne ne s’en souvient puisque c’était il y
a dix ans, que cela s’appelait le séminaire sur l’identification et que là j’avais donné
les bases, comme cela, d’une topologie que justement je travaille maintenant à
refaire recirculer dans un article que vous verrez un jour (23)ou l’autre, cette
topologie permettrait évidemment de parler, de coller d’une façon beaucoup plus
précise à la pratique ; enfin, ceux qui étaient alors mes auditeurs s’occupaient
d’autre chose, pendant que je faisais ce séminaire.

78
Comme les choses, maintenant, on les reprend au point qui était un point en
réalité très en arrière parce que ces choses-là en fin de compte je les ai
recommencées devant l’École normale, je les avais dites exactement dix ans
avant, c’est le temps qu’il faut sans doute pour que quelque chose passe dans la
circulation, il n’y a pas que Conté qui s’est mis à réinterroger ce séminaire de
1964, il y a aussi quelqu’un d’autre qui s’en occupe, qui s’en est même tellement
bien occupé que cela va sortir, comme ça, tout cru, le séminaire.
C’est pour cela que je parle, uniquement pour ce que je vais dire maintenant :
j’ai pu constater avec regret que dans la sténotypie qu’on a donc faite depuis tant
de temps de mes séminaires, qui va enfin servir à quelque chose, dans cette
sténotypie manque, quoi ? Je dirai le plus intéressant, à savoir dans un champ qui
est celui qui représentait le nouveau lieu où je parlais, à savoir l’École Normale
Supérieure, ce qui était le plus intéressant c’était de voir ce que je pouvais bien
en penser répondre, m’interpeller, les gens qui étaient là à la porte, en quelque
sorte aspirés par la présence de mon séminaire, aspirés à y venir, à écouter, à
ricaner, parce que c’était un peu inhabituel, malgré tout, ce que je disais pour eux,
étant donné ce qu’on dit d’abord de la psychanalyse, et puis à me poser des
questions dont il est assez curieux, en fin de compte – cela a été curieux pour
eux en tout cas qu’ils me reçoivent à l’examen, si je puis dire.
À la façon dont j’ai répondu à leurs questions ils ont vu que ce n’était pas si
con que ça.
Comme je n’ai pas dans la sténotypie la note de ces premiers dialogues, cela se
passait du côté, je crois, de mon séminaire numéro 2, de cette année-là, cela
devait être à la fin de janvier, ou même du séminaire peut-être un peu plus loin
mais pas beaucoup plus loin, en d’autres termes, les premières questions qu’on
m’a posées qui étaient ce qui, moi, m’avait intéressé le plus, et en tout cas, c’est
ce qui avait (24)emporté le morceau, ces premières questions avaient paru être du
superflu à la sténotypiste.
Alors je fais un appel puisque c’est une chance que j’ai là d’avoir un certain
nombre de personnes dont il n’est pas impensable qu’elles aient été présentes au
séminaire de 1964, elles ne sont pas toutes mortes depuis, il en reste, il en reste
même beaucoup, et il n’est pas exclu qu’elles soient présentes, si quelqu’un
pouvait avoir pris des notes et les retrouver, avoir pris des notes de ces premières
questions qui m’ont été posées en 1964, à l’École Normale Supérieure, ces
personnes je leur serais très reconnaissant de me les apporter.

79
1972-09-30 INTERVENTION AU COURS D’UNE TABLE RONDE
RÉUNIE AUTOUR DE J. CLAVREUL

Intervention au cours d’une table ronde réunie autour de J. Clavreul (après midi). Journée
d’étude de l’École freudienne de Paris, parue dans les Lettres de l’École freudienne, 1973,
n°11, pp. 213-230.

[…]
(213)[…] M. DIDIER – Je répondrai en même temps à une autre question : je

ne crois pas avoir employé le mot « dérisoire » ou si je l’ai employé, c’est


vraiment pour essayer d’établir un contraste (214)entre l’importance d’un
symptôme et un fait qui peut paraître minime de l’extérieur.

M. LACAN – Vous avez dit « dérisoire » parce que la salle a ri. C’est tout !

M. DIDIER – Mais ce grain de sable, bien sûr, est métaphorique, il n’a rien de
dérisoire. C’est même quelque chose de plutôt dramatique.
Ce sur quoi j’ai voulu insister, c’est que tant qu’un sujet pouvant souffrir
d’un symptôme névrotique, même cruellement, il pourra envisager l’analyse,
en se disant « quand même, ça me ferait du bien, ça serait pas mal, mais
enfin, je n’ai pas le temps… » tandis que, par opposition, cette métaphore
du petit « grain de sable », introduit qu’il n’est même plus question de se
poser la question : il n’est plus libre du tout de choisir ou de ne pas choisir.
J’ai pris cet exemple là ; il y en aurait d’autres, peut-être plus forts, à citer.
J’en ai un en tête qui me paraît très significatif aussi : c’est un ami analyste
qui m’a raconté ce fragment d’analyse d’un pervers et de la façon dont ce
pervers est entré en analyse : ce monsieur était un prêtre dont la perversion
consistait à aller voir des prostituées et, après la consommation de la
situation, de dire à la jeune personne : « Est-ce que tu sais avec qui tu viens
de faire l’amour ? Avec un curé ». Et tout son plaisir lui était procuré par la
tête que faisait, à ce moment-là, la dame, parce qu’il faut croire que c’est un
milieu dans lequel un curé, c’est important, voire sérieux.
Un jour, il répétait son machin, et après avoir dit à la jeune personne : « avec
un curé ! » elle lui a répondu : « Mon pauvre vieux ! ». Il est sorti dans un état
d’angoisse indescriptible, et il n’a pas eu le choix de ne pas courir chez un
psychanalyste ! (Rires).
Ce qu’il a vécu à ce moment-là n’avait rien de dérisoire, c’était très grave
pour lui. Alors le problème qu’on se posait, au niveau d’opposer des
diagnostics de structure avec ce que métaphoriquement on a appelé grain de
80
sable, c’est : est-ce qu’on ne pourrait pas penser que, dans les entretiens
préliminaires, quand (215)cette situation n’existe pas, on a à essayer d’utiliser
les entretiens préliminaires, éventuellement de les multiplier, pourquoi pas,
pour arriver à créer cet instant où vraiment les choses ne tiennent plus en
place.

M. LACAN – Dans un cas comme dans l’autre, dans vos deux exemples, il s’agit
à proprement parler de faits de structure. D’ailleurs certains vous l’ont indiqué.
Ça peut même se préciser d’une façon tout à fait étroite. Ce sont des faits de
structure. Il y a en effet une structure exigible – pas exigible comme limite, mais
une structure exigible au sens que c’est la plus souhaitable pour déclencher une
analyse.

[…]
(229)[…]M. BENOIT – Je pense qu’il y a quelque chose d’autre, quelque chose

de plus à propos de la médecine. Ce passage que vous avez pointé du


discours du maître, c’est le diagnostic, l’examen si je vous ai bien compris.
Et le traitement, c’est le discours universitaire.
Ça, bien sûr, c’est vrai, pour le médecin, en tout cas pour le médecin
moderne, pour l’idéologie médicale moderne. Mais si on voit les choses du
côté du patient, le traitement ne fonctionne pas du tout comme ça. Ou en
tout cas très souvent ne fonctionne pas du tout comme ça.
Par exemple, lorsque le traitement prend la forme d’un médicament ; le
médicament va fonctionner chez le patient – ou peut fonctionner – tout à
fait autrement que ce que d’après son savoir pense le « maître » qui l’a
prescrit.
On pourrait développer cela : comme ça fonctionne, un médicament ? Je ne
veux pas m’étendre. Mais prenez par exemple un des plus courants,
l’aspirine – aspirer, aspiration. L’aspirine d’ailleurs, bien des gens y aspirent
et se la prescrivent à eux-mêmes (230)sans passer par le savoir et la
prescription du médecin (la preuve, c’est que l’aspirine sous sa forme la plus
commune originelle, l’aspirine Usines du Rhône, n’est pas remboursée par
la Sécurité Sociale). Ils se la prescrivent d’après une croyance intime à son effet.
Même lorsque un médicament est consommé sur prescription il se passe
souvent quelque chose, comme une vacillation qui fait que ses vertus
éprouvées, supposées, espérées ou craintes peuvent l’emporter sur ses
propriétés pharmacologiques. C’est très important dans la pratique médicale la
plus courante, cela explique comment la thérapeutique médicale échappe si
fréquemment aussi bien à ce que vous avez pointé comme le discours du
maître que comme le discours universitaire.
81
Pour conclure, un petit exemple à cause du mot qu’il va me permettre de
faire. Supposez un médecin qui fonctionne avec un pendule – ça existe – et
que pour lui, le traitement soit ensuite de faire des « passes » magnétiques
au-dessus du patient. Je vous assure, qu’il arrive que ça fonctionne très bien !
Qu’est-ce qui se passe ? Et qu’est-ce qui passe ?

M. LACAN – M. Benoît vous rappelle que c’est la dimension sacrale. Il est


effectif, comme il l’a dit aussi, que le médecin moderne se situe là où vous l’avez
dit.

[…]

82
1972-10-01 INTERVENTIONS SUR L’EXPOSÉ DE M. SAFOUAN

Interventions sur l’exposé de M. Safouan : La fonction du père réel, aux Journées d’étude
de l’École freudienne de Paris, parues dans les Lettres de l’École freudienne, n° 11, pp.
137-144.
Exposé […]
(136)M. SAFOUAN – […] Je ne laisserai pas ces développements sans lever une

équivoque. Je veux dire par là qu’il n’y a aucune commune mesure entre le
père réel en tant qu’il se rehausse de l’effet métaphorique que nous avons
isolé comme père imaginaire, et la sorte de maîtrise qui apparaît réalisée chez
un père pour qui la loi est comme une lettre morte, ce qui aboutit à sa
forclusion chez l’enfant.
La distinction entre les deux peut s’exprimer à l’aide d’un jeu de mots, que
je trouve particulièrement joli, du Dr. Lacan, à savoir que l’un, le père
imaginaire, le père réel en tant qu’il se rehausse de ce prestige, fait figure de
chef, alors que l’autre c’est la figure du « méchef ».
(Peut-être que j’ai mis dans le français ce qui n’y est pas ; à votre réaction je
l’ai senti. Mischief en anglais…)

(137)M. LACAN – Méchef existe en français.

[…]

(139)[…] M. LACAN – Cher Safouan, certains ont été déçus parce que ça ne
faisait pas assez congrès. Vous voyez ce que ça fait quand ça fait congrès.
Enregistrons les effets ordinaires du congrès, et passons à la suite,
puisqu’aujourd’hui ça revient au congrès !

M. LEMOINE – Je voudrais poser une question à Safouan. C’est à propos de


la psychose, et à propos de cette synchronie de signifiants qui sont des
signifiants sans lettre (ça peut être écrit de deux façons, d’ailleurs : soit « sans
lettre » soit « sans l’être »).
Néanmoins, est-ce que tu veux dire par là que c’est justement des signifiants
sans le support matériel de la lettre ?

M. SAFOUAN – Non. À première vue, on chancelle quand on voit le


fonctionnement de ce Nom-du-Père à l’état refoulé, et surtout qu’à sa place
il y a un trou. Alors dans la mesure où, au niveau de l’énonciation, le lieu de
l’Autre est un lieu où une synchronie signifiante, où les signifiants se
83
maintiennent sans support matériel, ce qui est inconcevable, mais en même
temps, s’il y a un appel, ça doit se diriger vers quelque chose, alors, pour
résoudre ce paradoxe, je parlais de l’homologie entre le Nom-du-Père
comme signifiant dans lequel notre être est intéressé, avec la distinction du
Dr. Lacan entre désir et demande. Il y aura donc un niveau (et c’est pour
cela (140)que je me suis référé au graphe) où le Nom-du-Père est inarticulable.
Donc c’est un signifiant qui a son support matériel, bel et bien, mais qui, du
fait même qu’il est articulé, devient inarticulable selon une déduction qu’il
n’y a pas lieu de répéter.

M. LEMOINE – À quel endroit tu le mets dans le graphe ?

M. SAFOUAN – C’est la déduction qu’on trouve par exemple dans « la


Signification du Phallus » que j’ai d’ailleurs commentée à un moment donné,
où Lacan insiste sur le moment de la disparition de la particularité au niveau
du refoulement primaire. Donc c’est un signifiant bel et bien sans support
matériel, mais il y a nécessité à ce qu’il soit inarticulable.

Mme AUBRY – C’est la lettre sans signifiant.

M. LACAN – C’est une des significations du S(A). C’est à ce niveau-là qu’il n’est
pas articulable. Ça n’empêche pas qu’il le soit à la barre du dessous. C’est ce qui
dénonce également l’inanité du terme « agencement collectif de l’énonciation ».

M. SAFOUAN – Avec l’exemple que j’ai donné de cet homme qui rêve de
Goya, on ne peut pas mieux montrer comment vraiment le sujet, au moment
où il parle, ne peut pas dire de quel père il parle, le réel ou l’imaginaire. S’il
fait un tel rêve ou tout cela se signifie, où son rapport refoulé au père réel
revient. C’est justement de la fonction paternelle.

M. LEMOINE – C’est le père du trou, moi, qui m’intéresse.

M. SAFOUAN – Je me suis exprimé encore d’une autre façon. Je ne peux que


vous rappeler ce que j’ai dit, à savoir qu’il prononce le mot, il dit « mon père »
dans un laissé-en-plan assez tragique. Mais la question n’est pas là ; et là le
mot est dit « mon père ». Mais qu’est-ce qui le retient (c’est à ce niveau-là)
de s’offrir à la jouissance de ce père ?

M. LACAN – Quand nous parlons, ce qui me frappe, c’est comment le mot


« trou » est sorti même par une sorte de nécessité, même dans des témoignages
84
de certaines personnes qui font partie de cette partie de l’assistance dont je parlais
(141)tout à l’heure, celles qui étaient déçues, le mot « trou » est sorti à un niveau

tout à fait naïf. C’est assez frappant.


Il faut remarquer quand même qu’il faut se garder de faire de ce trou une image
de rupture, une crevaison de surface, alors que ce que j’ai dit déjà depuis dix ans,
en essayant d’articuler la névrose et particulièrement de figurer la différence de
la demande et du désir dans la topologie du tore, il est bien évident que, dans le
tore, ce qui fonctionne comme structure du tore, c’est quelque chose qui
précisément vient de ce qu’à la surface, il n’y a pas de trou, mais que par contre
il en résulte qu’il y ait un type de coupures fermées qui n’ont absolument rien à
faire avec la coupure fermée sur la sphère.
Vous y voyez encore la preuve qu’il n’y a pas d’agencement collectif de
l’énonciation.
En guise de conclusion de ces journées6, je dirai peu de choses, parce que je
trouve qu’il est temps de vous renvoyer à vos chères études !
La première, c’est que j’ai mis longtemps à obtenir qu’il y ait un certain nombre
de gens qui rentrent dans ce par quoi j’essaye, en somme, de contribuer au
maintien du discours analytique, en montrant combien facilement il oblique, il
dévie, il se résout dans d’autres discours. Tout ça est évidemment lié au fait que,
s’il est particulièrement intenable, c’est précisément pour la même raison qui a
provoqué sa nécessité, à savoir quelque chose d’encore plus intenable dans ce
qui constitue le discours où nous sommes tous pris. Nous y sommes tous pris,
c’est un fait historique, ce n’est pas moi qui ai à le démontrer. Ça me semble
avoir été fait. Ça s’appelle le discours capitaliste.
C’est là où s’avère qu’on ne peut pas dire n’importe quoi. C’est là ce que le
discours analytique est chargé de suivre, là où s’en montrent les méfaits.
(142)Il est certain que, bien sûr, cette contribution si elle a mis si longtemps à se

peupler de gens qui en prennent la veine, c’est très évidemment les analystes eux-
mêmes qui l’ont empêchée, parce que comme cette position est intenable, ils ont
essayé de se la rendre plus commode. Et la meilleure façon, c’était d’empêcher
que puisse entrer dans ce discours auquel je pense avoir pu enfin apporter ma
contribution, d’empêcher d’y entrer ce que malheureusement, au niveau de
Freud, on n’appelle que trop dédaigneusement la foule. Disons que les
circonstances m’ont servi. Je veux dire que, plus on me repoussait du discours
analytique, plus après tout mon discours était repris à un autre niveau. C’est bien
ça dont témoignent les jours précédents et qui fait que pour moi, la plus grande
satisfaction que j’ai tirée de ces journées, c’est de voir quand quelqu’un – ce n’est
pas pour élire spécialement une personne entre toutes, j’ai les plus grands

6 . Texte non relu par l’auteur.


85
compliments à faire (je les ai adressés directement, à qui il me semblait le devoir
faire à quelques-unes des personnes qui ont parlé dans ces deux dernières
journées – mais quand j’entendais ce matin la gentille Lydie Tordo (je peux bien
avoir des mouvements, moi aussi !) c’est vraiment le moment où elle m’a fait
rire ; ce qu’elle disait n’était pas spécialement rigolo ; c’est ponctué de « hein ?
hein ? »… Mais enfin c’est un amour, pour dire le mot qu’elle m’inspirait ! Ce
qu’il y a de certain, c’est que ce qu’elle a senti au niveau de cet enfant votif, de
cet enfant qui vient là à la place des vacances escomptées, et qu’est-ce que c’est
là que le désir dans son rapport avec l’attente, et qu’est-ce qu’elle fait, elle, comme
a dit quelqu’un d’autre encore : « de quoi je m’occupe ! » tout ça, c’est certain
qu’elle l’aurait dit exactement de la même façon si je n’avais jamais rien dit.
Seulement ça n’aurait pas été entendu, tout simplement.
De même que toute une partie de ce que nous disent ceux que quelqu’un a
regretté qu’on appelle les patients, c’est vrai, après tout, pourquoi est-ce qu’on
ne les appellerait pas au départ les consultants ? Ce seraient eux les consultants,
vous êtes le consulté, vous, cher Pierre Benoît ; il faut un peu comme ça de temps
en temps relustrer l’emploi des termes ! – enfin, Lydie Tordo voilà que ça prend
place, rien de plus ; elle ne parlait pas Lacan ; mais ça se trouve se loger d’une
façon telle que comme c’est les autres, ceux qui n’ont pas moufté ici, c’est eux
qui sont, comme ça, peu à peu marqués du discours Lacan, alors les autres l’ont
entendue, c’est-à-dire qu’on lui a donné l’attention qu’elle méritait.
(143)De sorte qu’en somme, moi, ce dont je suis le plus content, c’est des deux

jours précédents. Ce qui a été dit aujourd’hui était évidemment absolument


formidable, mais vous voyez comme vous y avez répondu : « en gardant de
Conrart le silence prudent ». Mais c’est simplement une conséquence de ceci qu’il
n’y a pas d’agencement collectif de l’énonciation. Quant un est là au niveau d’une
énonciation suffisante, les autres n’ont qu’à la boucler ! À la boucler dans tous
les sens du terme, la double boucle du sujet. Ça ne veut pas dire qu’ils n’ont rien
entendu ; c’est plutôt le contraire !
Ceci dit, après avoir eu comme ça un petit contentement (il a fallu que je
l’attende ! mais je suis patient. C’est moi le patient !) je dirai que la chose qui
m’intéresse, qui m’intéresse vraiment, c’est qu’après avoir donné ce témoignage
modique, et même incommode pour certains, de ce qui résulte de ce que j’ai
attendu aussi très longtemps, à savoir que l’École, il y ait un lieu pour ça ; c’est la
condition de l’existence d’une École ; jusque là, c’était une antécole, une
antichambre ; j’aurai fait longtemps antichambre !… Alors ce qui m’intéresse,
c’est ça, ce qui va résulter dans l’École, et c’est ce que j’attends, et c’est en quoi
je fais appel à ceux ici qui la fréquentent, lui donnent sa raison d’être, c’est de
voir ce qui en sortira comme propositions (il faudrait quand même que ce ne soit
pas toujours moi qui les fasse, les propositions), comme propositions au moins
86
pour ceci, au niveau d’une prise dans la structure ; la structure qui implique cette
école, puisqu’elle a été faite pour ça, pour être dans le courant d’air de la
structure ; les propositions qui pourraient en résulter pour de futures journées,
dont je préférerais qu’elles n’aient pas toutes l’apparence d’un congrès. Comme
me le disait quelqu’un hier soir, la seule vue de 400 fauteuils rouges et d’une
tribune suffit à lui inspirer le découragement ! Ça ne veut pas dire du tout
forcément qu’il faille s’en passer et que tout s’arrangerait, comme le disent les
gens formés dans la pratique du groupe, pour que tout le monde soit content
(moi, je n’en ai jamais vu aucunement la nécessité, puisqu’en vérité personne ne
l’est jamais) pour que tout le monde soit content, il paraît qu’il faudrait faire des
petits groupes. Ça a aussi des conséquences, conséquences qui peuvent être
justement que viennent à dominer les fonctions de groupe.
Les fonctions de groupe, c’est tout à fait clair, elles n’ont rien à faire avec la
structure ; elles ont à faire avec l’imaginaire, comme le démontre toute pratique
de groupe, à quelque niveau et de quelque côté qu’elle nous vienne et qu’on
l’épingle de ce terme.
(144)Une des preuves les plus certaines, c’est que ce matin, nous avons été

réduits à entendre ici portée à cette tribune une répétition pure et simple, et une
répétition non seulement agrégée mais qui dans certains cas y perdait certaines
de ses articulations essentielles, de ce qui avait été produit au niveau de ces petites
salles réservées – mythiquement – au fonctionnement des groupes que, dans
l’occasion, on ne sait pas pourquoi, on appelle petits, pourquoi seraient-ils plus
petits que ce qui se passe dans une grande salle, sous prétexte que la salle est plus
petite.
Il faudrait aviser à une meilleure possibilité de publication, de retentissement
public, ou de poubellication de ce qui se fait dans l’École. En effet, le niveau où
nous avons porté ces journées était un niveau public. Ça ne veut pas dire que des
réunions à l’intérieur de l’École n’auraient pas pour l’École encore beaucoup plus
d’importance.
J’en profite pour signaler qu’il est très important qu’à l’intérieur de l’École – je
ne le développerai pas ici puisque nous sommes quasiment au dehors – il se passe
quelque chose qui concerne ce qu’on appelle publications, alors précisément que
ce n’est pas des publications ; ce sont des organes à définir comme étant à
l’intérieur. Ce qu’on appelle les Lettres, dites freudiennes, il est très important
que ça s’accélère, ça se rythme d’une certaine façon dans l’École ; ce n’est pas du
tout simplement au niveau de la communication, c’est précisément au niveau de
la formation.
Enfin, j’attends de l’intérieur de l’École de tous et de tout un chacun, signe,
appel de ce qui a pu lui apparaître dans les collatéraux de ce que je viens de dire.
(Applaudissements)
87
1972-10-01 PRÉSENTATION DE L’EXPOSÉ DE M. SIBONY
Présentation de l’exposé de M. Sibony : « L’infini, la castration et la fonction paternelle ».
Journée d’étude de l’École freudienne de Paris, parue dans les Lettres de l’École
freudienne, 1973, n° 11, p. 114.
(114)M. LACAN – Vous allez maintenant entendre M. Sibony pour une

communication que je présume importante, sans en connaître encore moi-même


les linéaments.
[…]

88
1972-10-04/26 DÉDICACE ET LETTRE DE JACQUES LACAN À
RAMON SARRÓ

Dédicace de Jacques Lacan à Ramon Sarró sur un exemplaire des Écrits. Parue, ainsi qu’une
lettre que nous présentons ci-dessous, dans Freudiana (publicacion de la Escuela europea de
psicoanálisis del campo freudiano, Cataluña, Paidos), 1992, n° 4/5, p. 44.
<FAC-SIMILE ABSENT>

Au cher, cher, cher de toujours, cher à jamais Ramon Sarró – à tous les siens.
À Noemi dont j’attends – l’avenir.
J. Lacan
le 4.X.72

Lettre que Jacques Lacan a adressée à Ramon Sarró,

5, rue de Lille VII°


Littré 30 01

(44)
Cher, cher Ramon,

Des jours ont passé – où j’ai si souvent pensé à vous, à votre élégance, à cette
supériorité avec laquelle vous soutenez votre fonction. Éminente : vous
maintenez par votre présence, une tradition critique.
J’ai été pendant ce séjour heureux – et que ce soit grâce à vous je n’en doute
pas.
Dites-moi ce que je pourrais, à votre groupe, ajouter par quelque appoint.
Tout ce qui se passe à Barcelone m’intéresse désormais. Je ne le savais pas tout
de suite. Je le sais un peu plus maintenant.
Dites mes hommages à votre femme et sachez-moi vôtre.
J. Lacan

89
Ce 26.X.72
Que devient la charmante Florence Chevillard (de Beriàn) ? Elle est très
remarquable.
Elle ne m’a tenu que les propos les plus pertinents – sur son travail, son
enfance, ses enfants.
Elle a le sens des choses.
J.L.

J. Lacan
le 4.X.72

90
1972-10-13 LA MORT EST DU DOMAINE DE LA FOI

Ce texte est celui de la bande enregistrée de la conférence de Jacques Lacan donnée à la grande
rotonde de l’université de Louvain, le 13 octobre 1972. Nous avons cependant noté des
différences par rapport à la cassette vidéo que nous avons signalées. Nous utilisons dans ce
fichier des notes numérotées (et non avec des astérisques). Paru dans Quarto (supplément belge
à La lettre mensuelle de l’École de la cause freudienne), 1981, n° 3, pp. 5-20.
(5)Puisqu’on a eu la bonté de me présenter, je vais entrer dans la difficile tâche

de vous faire entendre ce soir, disons, quelque chose. Je serais reconnaissant aux
personnes qui sont à la périphérie de me signaler, de la façon qui leur conviendra,
si on m’entend bien ; comme je n’aime pas énormément cette sorte d’ustensile,
je l’ai mis sous ma cravate. Mais, si par hasard, ça fait un obstacle, ayez la
gentillesse de me le dire. On entend ? On n’entend pas ! (rires). Et comme ça,
m’entend-on ? Ça va ? Alors la cravate donc était un obstacle. J’ai eu le plaisir
tout à l’heure d’avoir en face de moi ce que j’avais demandé, ce que j’avais
demandé à J. Schotte et à Vergote, à savoir quelques uns d’entre vous, qui m’ont
posé des questions qui, comme je leur ai dit, m’intéressent, m’intéressent
beaucoup, m’intéressent beaucoup en ceci que toute question ne se fonde jamais
que sur une réponse. C’est certain. On ne se pose de questions que toujours là
où on a déjà une7 réponse, ce qui a l’air de limiter beaucoup la portée des
questions ; néanmoins, c’était pour moi une occasion de mesurer ce qui pour
chacun était une8 réponse. Évidemment les réponses diffèrent pour chacun.
C’est même ce qui fait obstacle à ce que si gentiment on appelle la
communication ; enfin je vois que j’ai un auditoire. La communication, voilà des
gens sympathiques, la communication, ça fait rire ; et bien c’est pour moi un très
vif encouragement ; si vous en êtes déjà là, on va pouvoir avancer un peu, un
peu ; vous ne m’en demandez pas plus.

J’ai pris comme ça quelques notes sur un petit papier, lorsque9 j’ai terminé avec
les 25 ou 30 personnes qui ont eu la gentillesse de répondre à l’invitation de mes
hôtes. J’étais tellement content, puisque ça ne m’arrive jamais qu’on m’extraie 25
personnes avant, pour que j’ai une idée avec10 qui je vais parler. J’étais tellement
content que je suis resté avec eux jusqu’à 6h30 alors que j’étais là depuis 4h et
bien entendu ça ne permet pas la préparation de ce que l’on appelle une

7. Lacan dit « la réponse », en accentuant le la.


8. idem.

9. parce que.

10. d’à qui je vais parler.

91
conférence. Je n’ai jamais eu la moindre intention de vous faire une conférence,
mais j’ai un enseignement ; j’ai fait ça pendant, oui pendant très longtemps, enfin,
j’ai fait ça pendant 17 ans, et croyez bien que je le prépare ; mais pour en principe
venir parler à des personnes qui forcément n’ont de tout ça que cette chose
curieuse, enfin, n’est-ce pas, cette chose qui se propage par des voies
impersonnelles, qui se propage par des voies imperceptibles, et certainement de
moi inconnues, celles qui font que j’ai toujours dû plutôt croire ce qu’on appelle
mon audience. Alors après les questions qu’on m’a posées jusqu’ici, je ne pouvais
vraiment rien faire que de me dire que j’improviserais, comme on dit, ce qui ne
veut rien dire, je n’improvise pas bien sûr, je n’improvise pas, quoique j’aie un
nombre beaucoup plus considérable que je n’attendais autour de moi, de têtes ;
je dis ça parce que je ne vois qu’elles, des têtes. C’est très captivant des têtes.
C’est même si captivant que cela vous la tourne souvent. Et bien, vous m’en
croirez si vous voulez, je vous laisse libre, à moi cela ne me la tourne pas ; ça ne
me la tourne pas parce que je suis un analyste, et que de ce fait, je ne pense pas,
pour chacun de vous, que tout passe par là, bien loin de là. Ça n’empêche pas,
bien entendu, qu’à cause de certains termes dont je me sers dans de certains
milieux qui sont comme par hasard des milieux dits analytiques, ça se dit que je
fais une psychanalyse intellectualiste, (6)ce sous le prétexte que je suis parti, le jour
où comme toujours, il se trouvait que je me suis trouvé comme ça hors du champ
de ce qu’on appelle la société psychanalytique dite internationale. C’est pas parce
que j’en étais sorti, il faut bien savoir ça ; moi je ne suis jamais sorti de l’endroit
où j’avais des gens qui avaient avec moi une commune expérience ; mais enfin,
il se trouve qu’à ce moment-là, c’était le moment de la fondation d’une de ces
sociétés filiales qui font la force d’un certain groupement, il s’est trouvé
quelqu’un qui avait pensé comme ça, pour des raisons de politique, que c’était
pas plus mal quand même à ce moment là de faire qu’on réponde à une demande
qui était évidemment celle de la formation analytique. Il s’est trouvé quelqu’un
pour agir comme on agit partout enfin c’est-à-dire que si on n’est plus d’accord,
on dit « je donne ma démission », alors cette personne que j’aime beaucoup, en
fin de compte je l’aime beaucoup, je n’en suis pas fou, mais enfin je l’aime
beaucoup, cette personne a donné sa démission de l’internationale ; on ne me l’a
pas dit, on a fait ça la veille du jour où on devait se rencontrer avec moi pour
fonder un nouveau groupe. Si on me l’avait dit, je lui aurais dit : « consultez les
statuts quand même », qu’est-ce que ça a comme conséquence de donner sa
démission, ça a toujours des conséquences, il faut savoir lesquelles. Alors il se
trouvait qu’à la suite de ça, à un certain congrès de Londres, comme les gens
s’étaient comportés loyalement, – je rends justice et hommage à la personne dont
je vous parlais –, on n’a plus pu prendre la parole, ce qui est toujours ennuyeux
quand il s’agit d’une question en débat. Ça a rendu difficile bien sûr la suite des
92
rapports, surtout quand la même personne qui avait donné sa démission n’a plus
eu qu’une hâte, c’était de rentrer au sein de l’Alma Mater internationale. Enfin,
tout ça sont des détails.

La chose dont je voudrais ce soir que vous ayez un peu le sentiment, parce que
je suppose quand même que, mises à part les personnes qui veulent bien
m’accueillir ici, enfin c’est pas le cas de tout le monde, c’est ce que c’est la
psychanalyse. Au point où j’en suis, et où vous n’en êtes pas, bien sûr, j’ai appelé
ça un discours. Naturellement, il faut savoir ce que j’entends par là, un discours ;
ce que j’entends par là c’est ceci : un discours, c’est cette sorte de lien social, c’est
ce que nous appellerons d’un commun accord, si vous voulez bien, l’être parlant,
ce qui est un pléonasme, n’est-ce pas ? C’est comme parce qu’il est parlant qu’il
est être, puisqu’il n’y a d’être que dans le langage. Alors le parlant, – le parlant
vous l’êtes tous, enfin du moins je le suppose –, le parlant que vous êtes tous se
croît être dans bien des cas, en tout cas dans celui-ci ; il suffit de se croire pour
être en quelque façon cet être parlant, généralement classé comme animal, est
tout à fait, à juste titre, cet être parlant classé comme animal, il est tout à fait
sensible qu’il a des liens sociaux ; en d’autres termes, ce n’est pas sa condition
commune de vivre en solitaire. Non seulement ce n’est pas sa condition
commune mais en fin de compte, il ne l’est jamais. Néanmoins, il passe son
temps à rêver, il pourrait bien l’être, il en résulte de charmants romans comme
Robinson Crusoë. Qu’est-ce qui pourrait bien lui arriver s’il était tout seul, ça on
ne peut pas dire qu’il n’y aspire pas. Seulement voilà, s’il y a une chose qui est
bien claire dans ces sortes de mythes qui rejaillissent toujours, c’est qu’il y a
quelque chose en tout cas qui ne l’abandonne pas, c’est justement ça, qu’il soit
parlant : quand il est tout seul, il continue à parler ; en d’autres termes, il continue,
comme s’exprime notre cher ami Heidegger dont nous parlions tout à l’heure au
dîner, il continue d’habiter le langage. Par là il faut tout de même bien que je
sonde un peu les choses. Il faut partir de là. Mais quand il est sur une île déserte,
il habite le langage et en quelque sorte, ces moindres pensées lui viennent de là ;
on aurait bien tort de croire (7)que s’il n’y avait pas de langage, il penserait ; c’est
pas qu’il pense avec, c’est le langage qui pense ; et puis il en reçoit d’autant plus
de choses qu’il y a longtemps qu’il était là-dedans, et c’est pas une raison, parce
qu’il a fait un petit naufrage, pour que ça cesse.

Il parlait d’animal, et tout à l’heure, on m’a posé des questions ; je dois dire
qu’elles m’ont toutes d’autant plus intéressé, que c’est ce sur quoi j’allais modeler
ce que je pouvais avoir à vous dire. On a parlé d’un certain Szondi pour qui j’ai
beaucoup d’estime, à part ceci, comme je l’ai bien souligné, ça n’a strictement
aucun rapport avec le discours analytique. Le discours analytique fait partie de
93
ceci que nous pouvons savoir en tout cas avec une entière certitude, c’est que le
minimum qu’on puisse dire, c’est que tout ce qui s’édifie entre ces animaux dits
humains, est construit, fabriqué, fondé sur le langage ; ça veut pas dire que les
autres animaux sociaux, enfin vous en avez bien entendu parler, les fourmis, les
abeilles et quelques autres exemples distingués sur lesquels nous sommes
penchés comme on dit, sur lesquels nous passons notre temps à nous pencher,
nous autres êtres langagiens, ont quelque chose, on ne sait pas quoi d’ailleurs, on
en est réduit à dire que c’est l’instinct, quelque chose qui les tient ensemble ; il
paraît difficile de ne pas s’apercevoir que ce qui fait que les êtres humains
tiennent ensemble eux aussi, ça a rapport avec le langage. J’appelle discours ce
quelque chose qui dans le langage se fixe, se cristallise, qui use des ressources du
langage qui sont évidemment plus larges, qui ont beaucoup plus de ressources,
qui use de ça pour que le lien social entre êtres parlants, ça fonctionne. C’est à la
suite de ça que, en parlant de ce à quoi nous avons affaire, j’ai essayé de donner
à cette idée une petite cristallisation ; ça m’a permis de distinguer le premier celui
qui reste à la base, comme tout le monde vous en connaissez un bout, c’est ce
qu’on appelle, enfin ce que j’ai appelé comme ça, mais je ne suis pas le premier,
j’avais déjà les voies frayées par un certain nombre de personnes, le discours du
maître. Vous voyez où nous en sommes, on appelle ça le discours maître. Maître,
c’est-à-dire le magistaire11, c’est de ça qu’a hérité la langue française. Or, il est
clair que ça s’appelait avant, le discours de la domination. Mais les choses avaient
déjà glissé, il faut croire, pour qu’on appelle ça le discours du maître ; c’est-à-dire
c’est déjà ce qui apparaît dans un titre du nommé St Augustin, le magistaire, de
magistro. Magistaire, c’est pas rien, c’est ce qu’on appelait jusqu’à un certain
moment, le pédant, c’est-à-dire celui à qui le maître confiait ses enfants ; mais
maintenant c’est le pédant qui a la magistrature, il faut tenir compte de ça et
distinguer quand même par quelque chose ce petit…, dans mes schémas ça fait
un quart de tour.

Il est certain que tous ici, tant que vous êtes, vous êtes inclus dans cette
seconde sorte de discours. Vous attendez quelque chose d’une accession à cette
sorte de pouvoir que confère ce qui a été promu par le quart de tour en question
à une certaine place qu’on appelle le savoir. C’est une révolution historique ; non
pas du tout bien sûr que je fasse de tout ça des étapes. Effectivement dans le
petit peu que nous savons d’histoire, on peut, mais ça vacille, on peut concevoir
le moment où le savoir s’est donné le pouvoir ; ça veut dire que si on peut le
concevoir, ça veut dire que ce n’était pas ça avant, et en effet le vrai maître, le
dominus, il a besoin de rien savoir. La seule chose qu’il faut, comme je me suis

11 Lacan l’a-t-il écrit au tableau, ou est-ce le fait du transcripteur ?


94
exprimé comme ça, c’est que ça marche. Celui qui a à savoir quelque chose c’est
celui qui est chargé à ce que ça marche, c’est-à-dire ce qu’un certain Hegel a
appelé l’esclave. C’est d’ailleurs parmi les esclaves qu’étaient toujours choisis les
pédants, parce qu’on savait bien qu’il y avait que là qu’on savait (8)quelque chose.
Et puis ça c’est mis à tourner comme ça doucement, et il est arrivé d’autres
choses dont je ne vais pas vous faire le graphique. Par quel bond, par quel saut
en sommes-nous à un point où il y a au moins une personne, enfin qui, moi…
moi entre autre, mais enfin quand même moi qui comme ça ai fait une petite
opération de frayage pour avoir l’idée que c’est à ce rang qu’il faut mettre le
discours analytique. Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire, que le fait que ce
petit remue-ménage comme ça qui s’est passé autour de Freud fasse
maintenant… que vous soyez là aussi nombreux, et que la psychanalyse, ça vous
tracasse, ça vous pose des problèmes, ça vous laisse même dans l’idée qu’il se
passe là quelque chose d’important, enfin, auquel on pourrait bien avoir recours
quand tout le système, enfin, ça marcherait plus très bien ; comme je disais tout
à l’heure, c’est vrai enfin qu’il y a comme ça des petites annonces que ça marche
plus très bien. Alors du discours analytique, qu’est-ce que vous pouvez en avoir
comme idée ? Je ferai tout à l’heure quand même d’une façon très pertinente
enfin parler de ce Szondi comme quelqu’un qui sans doute déjà guidé, frayé par
le discours analytique, avait voulu faire une sorte de pont entre ce qui était
fomenté dans ce discours et, mon Dieu, la condition tout de même
fondamentalement animale où en est ce parlant qui se croit être.

J’ai été comme ça un tout petit peu entraîné à faire remarquer que, sur le sujet
de la biologie, la psychanalyse enfin, ça n’a pas apporté grand-chose et pourtant
ça n’a que ça à la bouche : les pulsions de vie enfin et « je te glougloute », les
pulsions de mort. Enfin il vous en est un tout petit peu parvenu quelque chose,
oui ou non ?, parce que sans ça je passe, oui ou non, plutôt oui ou plutôt non.
Ah ! il faut se méfier de tout ce bavardage (applaudissements). Un tout petit peu
de sérieux !… La mort est du domaine de la foi. Vous avez bien raison de croire
que vous allez mourir bien sûr ; ça vous soutient. Si vous n’y croyez pas, est-ce
que vous pourriez supporter la vie que vous avez ? Si on n’était pas solidement
appuyé sur cette certitude que ça finira, est-ce que vous pourriez supporter cette
histoire ; néanmoins ce n’est qu’un acte de foi ; le comble du comble, c’est que
vous n’en êtes pas sûr. Pourquoi est-ce qu’il en aura pas un ou une qui vivrait
jusqu’à 150 ans, mais enfin quand même, c’est là que la foi reprend sa force.
Alors, au milieu de ça, vous savez ce que je vous dis là moi, c’est parce que j’ai
vu ça, il y a une de mes patientes (il y a très longtemps de sorte qu’elle n’en
entendra plus parler, sans ça je ne raconterais pas son histoire) elle a rêvé un jour
comme ça que l’existence rejaillirait toujours d’elle-même, le rêve pascalien, une
95
infinité de vies se succédant à elles-mêmes sans fin possible, s’est réveillée
presque folle. Elle m’a raconté ça ; bien sûr je ne trouvais pas ça drôle. Seulement
voilà, la vie, ça c’est du solide, ce sur quoi nous vivons justement. Dans la vie,
dès qu’on commence à en parler comme telle, la vie bien sûr, nous vivons, c’est
pas douteux, on s’en aperçoit même à chaque instant ; souvent il s’agit de la
penser, prendre la vie comme concept ; alors là, on se met tous à l’abri tous
ensemble pour se réchauffer avec un certain nombre de bestioles qui nous
réchauffent naturellement d’autant mieux que pour ce qui est de notre vie à nous,
on n’a aucune espèce d’idée de ce que c’est. Dieu merci, c’est le cas de le dire, il
nous a pas laissé tout seul ! Depuis le début, depuis la Genèse, il y avait
d’innombrables animaux. Que ce soit ça qui fasse la vie ça, ça a la plus grande
vraisemblance, c’est ce qui nous est commun avec les petits animaux.

Première approximation, c’est beau la vie comme vous savez ça remue, c’est
chaleureux enfin, c’est sensible enfin, c’est bouleversant. Alors on commence à
penser, on pense, Dieu sait pourquoi, que ça se conserve la vie ; c’est (9)quand
même un signe enfin que là quelque chose passe d’un peu plus sérieux. Pour que
ça dure, il faut que ça se conserve, ça fait ce qu’il faut pour se conserver, ce qui
commence à compliquer un petit peu plus les choses. Ce qui est très sérieux,
enfin je vous dis ça parce que je voudrais quand même essayer de décanter un
peu ce qui vous parvient de la psychanalyse, qui bien sûr enfin n’est pas tellement
collée à cette bêtise. Il suffit comme ça d’un tout petit peu de jugeote, n’est-ce
pas, pour s’apercevoir que c’est pas du tout ça, la vie c’est pas du tout forcément
ce qui remue, ni ce qui est chatouilleux, ni ce qui fait ce qu’il faut pour se
conserver ; il y a excessivement longtemps qu’on s’est aperçu que la vie enfin
c’est bien de vie qu’il s’agit dans le végétal. Si j’ose dire, – je dis, si j’ose dire
puisque je vais le reprendre, je vais le rattraper –, ça a été senti très tôt notre
parenté de vivant avec l’arbre ; il semble, par le peu que nous sachions d’histoire
que les innombrables métamorphoses dont le mythe antique nous exprimait ses
vérités, nous en témoignent. De sorte que, si étonnant que ça puisse vous
paraître, il se trouve qu’on a pas eu besoin des derniers progrès de la biologie,
n’est-ce pas, on n’a pas eu besoin de mon cher ami André Jacob, pour mettre
l’accent sur ceci, qui est le seul trait caractéristique de la vie : c’est que ça se
reproduit, parce que pour tout le reste jusqu’à nouvel ordre, vous pourrez
toujours chercher ce que c’est la vie.

Mais on n’a pas entendu A. Jacob, je l’ai nommé parce que c’est mon ami, on
n’a pas eu besoin du tout d’entendre ça pour s’en apercevoir que ce n’était que
ça, à savoir que dire que ce que j’ai appelé tout à l’heure c’est chatouilleux, ça
veut dire que ça jouit ou que ça souffre, c’est du même ordre ; ça a un corps. Est-
96
ce qu’un arbre a un corps. Les anciens, comme on les appelle, n’en doutaient pas,
à preuve et à preuve seulement mais ce n’est pas rien, à preuve les mythes de
métamorphoses. Quand j’ai dit très tôt, vous voyez tout de suite l’ambiguïté, ça
veut dire qu’ils étaient plus malins qu’on ne s’y attendait, ou est-ce que ça veut
dire qu’ils étaient plus savants peut-être que nous ne le sommes. Là est la
question, la question du savoir, nous savons pas mal de petites choses et qui nous
paraissent naturellement, forcément sans rapport avec ce que savaient les autres,
ceux qui nous ont prédécédé12 sur cette planète, enfin dont nous avons la trace,
quelques documents ; mais nous pouvons par définition avoir aucune espèce
d’idée des choses de ce que eux savaient, et que nous ne savons plus peut-être.
Mais la question du savoir et nommément du savoir de l’esclave, du savoir qui
maintenant nous régit, reste entièrement en suspens. Ce que je voudrais vous
dire c’est ça, c’est qu’il y a quelque chose qui déjà, lorsque nous en gardons
comme ça une petite machine flottante qui s’appelle le Ménon de Platon, et qui
pose la question : la science définie comme ce qui se transmet comme savoir est
à côté de l’opinion vraie, qui ne se définit qu’en ceci qu’elle n’est pas la science,
c’est-à-dire qu’il n’y a pas de moyen de la transmettre, mais qu’elle n’en est pas
moins vraie et qu’on en est réduit à y recourir comme ça quand on la trouve,
c’est-à-dire à s’apercevoir que, pour faire le bond que je suis bien forcé de faire
faute de pouvoir éterniser ce discours, qu’il y a une certaine façon de fermer sa
phrase autour, qui fait que ça a des effets, je veux dire que quelque chose change
pour qui cette phrase est la portée ; ça n’en laisse pas moins l’opinion vraie chue
de l’affaire, mais ça a ses effets sur celui qui s’accroche à cette phrase. Je
demande, je demande ce qu’on peut imaginer de la psychanalyse si on ne voit
pas que c’est là la question, à savoir pourquoi quelque chose qui a une certaine
visée d’être dite a certains effets. Il est tout de même clair que la psychanalyse
n’opère pas par aucun autre instrument. Le recours qui est habituellement donné
à l’effet dit de transfert, à savoir à force de se voir pendant des jours on finit par
être (10)complètement captivé par un certain être, et puis après, quelle image
offre-t-il cet être qui est là dans son fauteuil à vous écouter ? Quel exemple, quel
enseignement ? Je veux bien que l’amour mène loin, mais quand même on a
rarement vu dans l’amour un partenaire comme ça (rires). En plus après avoir
recouru à ce tour de passe-passe, c’est encore trop, c’est un amour sans doute
transféré, illusoire, c’est ma maman, c’est mon papa que j’aime en toi. Freud était
quand même un peu plus sérieux, il a quand même dit que le transfert c’est
l’amour purement et simplement. Pourquoi est-ce qu’on aime un être pareil ? Je
laisse pour l’instant la question en suspens. J’en ai donné enfin une formule, et
c’est à propos du transfert que j’ai parlé dans des termes qui sont pleins de pièges,

12 Faute de frappe ou néologisme ?


97
comme d’habitude, comme dans tout ce que je dis, bien sûr. Pourquoi dirais-je
autre chose que ce dont il s’agit justement, lorsqu’il en est de l’inconscient, à
savoir que le langage ça n’a jamais, ça donne jamais, ça ne permet jamais de
formuler que des choses qui ont 3, 4, 5, 25 sens, le sujet supposé savoir. C’est
vrai bien sûr que pendant un certain temps on a pu croire que les psychanalystes
savaient quelque chose, mais ça n’est plus très répandu (rires). Le comble du
comble, c’est qu’ils n’y croient plus eux-mêmes (rires), en quoi ils ont tort, car
justement ils en savent un bout, seulement exactement comme pour l’inconscient
dont c’est la véritable définition, ils ne savent pas qu’ils le savent. Alors ça a un
autre sens, c’est pas un monsieur ou un copain ou quelqu’un qui est supposé
comme ça savoir. Il y a quelqu’un qui à la sortie tout à l’heure m’a dit que mon
discours faisait un peu trop appui sur je ne sais quel savoir absolu ; s’il y a bien
quelqu’un qui pense que le savoir absolu, c’est bien ce qui a de fêlure enfin
absolument irrémédiable dans toute la phénoménologie dite de l’esprit de Hegel,
s’il y a quelqu’un qui la souligne en long, en large, en travers, c’est bien moi. La
pensée sous prétexte de ce développement fabuleux justement du discours du
maître dont ce n’est pas par hasard que Hegel a donné le couronnement, la
progressive montée de l’esclave qui dans Hegel très pertinemment est supposé
en effet être le support du savoir, s’élèvera jusqu’à l’absolu, la puissance du
maître, et que ce sera ça qui conjuguera le savoir à l’absolu, c’est vraiment un des
plus… enfin, c’est la dialectique, c’est tout dire. Il faut se guider au fanal de la
dialectique : pour être sûr de tourner en rond, il y a pas mieux.

Alors reprenons notre fil. Cette vie, cette vie dont nous avons la bouche à l’abri
de ce qui est le plus sûrement voué à la mort, cette vie dont nous avons plein la
bouche, à quel titre vaut-il de s’en servir ? Ce que je suis en train d’énoncer dans
ses débuts, dans cette entrée en matière, c’est ceci, c’est l’usage qu’on en fait de
métaphores ; c’est-à-dire que là où nous sommes pas capables de rendre compte
du moindre comportement enfin, il y a quand même là la couverture, le chapeau
de la vie : c’est comme ça parce que c’est la vie. Il est clair que pour si peu que
nous prenions d’appui dans l’usage de ce mot, il peut venir qu’aux termes.
Partout où on a osé l’employer d’une façon qui a eu des conséquences, et pas
d’une façon futile.
Là où on a parlé de « je suis la voie, la vérité et la vie », la vie vient en dernier,
et encore, si vous fouillez un peu dans toute cette littérature, la vita nuova, ça veut
dire qu’il faut se débarrasser de pas mal de choses qui sont généralement
considérées comme de la vie, pour que vienne la vie neuve. Elle est toujours
l’aboutissement de quelque chose qui d’abord est frayage de sens, et comme on
dit, essayer de nous donner à la vie un sens. Alors la meilleure façon de
commencer à lui donner un sens, c’est pas croire que c’est elle-même qui est le
98
sens. Il arrive qu’elle soit l’aboutissement du sens. S’il y a une chose absolument
certaine, c’est que c’est pas du tout à donner un sens à la vie qu’aboutit le discours
(11)psychanalytique. Il donne un sens à des tas de choses, à des tas de

comportements, mais il lui donne pas le sens de la vie, pas plus d’ailleurs que
quoi que ce soit qui commence à raisonner sur la vie. Quand le biologiste, le
béhavioriste commence à considérer comment ça se comporte, il peut en effet
parler de ce que j’appelais tout à l’heure se conserver, et s’il pousse un peu les
choses, il parlera de survie. Survivre à quoi ? Là est la question. Pour ce qu’il en
est de l’être parlant, il y a quelque chose qui s’appelle l’acte, et ça fait là pas le
moindre de doute que le sens, la caractéristique de l’acte en tant que tel, c’est
d’exposer sa vie, de la risquer ; c’en est strictement la limite. Et je m’en vais pas
me mettre à exposer le pari de Pascal, pour dire que la vie, pour qui pense et sent
un peu, n’a strictement qu’un sens, pouvoir la jouer. En échange de quoi ? Sans
doute d’innombrables autres vies. Il n’en reste pas moins que ce dont il s’agit,
c’est de la jouer, c’est du pari. Jusqu’au point où nous en sommes c’est ce que le
discours, le discours du maître particulièrement et ça Hegel l’a fort bien vu, c’est
que hors du risque de la vie, il n’y a rien qui à la dite vie donne un sens.

Une autre forme de déchiffrage, c’est ce que je mets en jeu ici ; une autre forme
de déchiffrage nous est proposée, mais l’étrange c’est que ça ne parte que d’un
autre discours. Il y a pas de trace dans le début du discours de Freud, de référence
à la vie. Il s’agit d’un discours, d’un discours dont il enseigne, celui de l’hystérique,
et ce discours, qu’est-ce qu’il y découvre ? Très précisément, un sens. Et ce sens,
par rapport à tout ce qui s’est jusque là évalué, est autre. C’est, vais-je dire, le ou
la, disons pour frayer, la chose, c’est la jouissance ; mais si vous mettez la chose
en 2 mots avec un petit trait d’union, c’est le joui-sens. Pas un seul des propos
de ces biens-venus, ces bien-aimés, – j’ai appelé la malade de ma thèse dont je
parlais tout à l’heure, Aimée, ce n’était pas une hystérique –, pas un seul propos
de ces hystériques dont nous ne puissions dénoncer quel fil, fil d’or de la
jouissance, les guide ; et c’est même très précisément pour cela que ce discours
énonce le désir, et fait ce désir pour le laisser insatisfait. Freud nous guide et il
nous a donné, c’est vrai, un nouveau discours qui fait, vous ne vous en apercevez
même pas, que toutes les façons que nous avons d’aborder le sentiment,
l’incident, l’affectuation13 de quelque chose dans un certain champ, vous tous,
pas besoin pour ça que vous soyez en analyse, ni analyste, vous savez l’interroger
d’une façon dont il n’y a rien dans toute la littérature passée, même si telle qu’elle
est faite, elle témoigne de tourner autour de ça. Je parlais tout à l’heure d’un
romancier, George Meredith, qui écrivait tout à fait au début de ce siècle ou

13 Faute de frappe ou néologisme ?


99
même un petit peu avant, quand nous le lisons, enfin, si nous pouvons sentir,
enfin, quelle justesse brûlante, quelle divinité comique le guidait, c’est dans des
termes qui étaient strictement impensables à l’ère victorienne où ce roman
sortait.
Qui donc avant Freud était capable, à propos d’un deuil, – c’est quand même
une chose qui se rencontre de temps en temps, pas souvent –, à propos d’un
deuil guidé, pas par quel fil, parce que Freud a écrit bien sûr sur le deuil, mais qui
peut traduire ça, en termes sensibles. Quand dans Deuil et mélancolie, littéralement
je n’ai eu, pour tout vous dire, qu’à me laisser guider ; enfin, si j’ai un jour inventé
ce que c’était l’objet petit a, c’est que c’est écrit dans Trauer und Melancolie. La
perte de l’objet, qu’est-ce que c’est que cet objet, cet objet qu’il n’a pas su
nommer, cet objet privilégié, cet objet qu’on ne trouve pas chez tout le monde,
qu’il arrive qu’un être incarne pour nous ? C’est bien dans ce cas-là qu’il faut un
certain temps pour digérer son deuil, jusqu’à ce que cet objet, on se (12)le soit
résorbé. C’est dit en clair, écrit dans Freud. Mais de nos jours, il y a un tas de
gens qui, sans jamais avoir lu ce texte de Freud, mais simplement à cause de ce
qui circule, de ce qui se passe comme ça dans la conscience commune, comme
on dit, sont capables de se dire, ça c’est pas un vrai deuil, et discuter la question.
C’est un petit jeu masochiste, par exemple. De nos jours, c’est à 15 ans qu’on sait
se servir du terme maso : il est maso. Tu es maso, je suis maso, il est maso, ça se
conjugue. Et tout le monde sait que maso, c’est du toc. C’est pas un vrai deuil,
c’est à la portée de tout le monde ça. Enfin, est-ce que vous imaginez cette
question-là discutée avant Freud ? Moi j’ai entendu ça de mes oreilles, et ce qui
prouve que quand même il est arrivé quelque chose. Oui. Cette dimension du
sens en étant identifiée à la jouissance, avec ceci de surcroît hein, – c’est à ça que
servait ma petite histoire d’à l’instant –, c’est que c’est pas simplement ce qui était
déjà à la portée de tout le monde, mais que personne n’avait jamais exprimé
avant, la conscience, la pensée, la maîtrise, enfin un très très grand nombre de
catégories qui avaient bien aussi leur prix mais qui étaient un peu soufflées quand
même. On a expliqué beaucoup de choses, mais quand même pas toutes, dont
nous avons quand même hérité, hérité dans l’usage, n’est-ce pas, qu’on en fait.
Faut pas vous figurer qu’il y avait même des philosophes, des écoles comme ça
un peu particulières qui avaient trouvé que la jouissance ça méritait mention hein,
parce que ne vous y trompez pas, Épicure, enfin, c’est pas du tout la jouissance,
c’est le plaisir, et le plaisir ça consiste à ce que, comme on dit, la tension soit le
plus bas possible. Moins vous en faites d’abord, mieux ça vaut, mais moins vous
en sentez aussi, plus c’est agréable. Il n’y a pas l’ombre de recherches de
jouissance, et entre nous, qui est-ce qui la recherche ? Réponse : les pervers ; ça
c’est l’enseignement de Freud. Il y en a qui sont des mordus de la jouissance, et
pour cela ils sont prêts à tout. Ça les mène loin sans doute, mais ça ne les mène
100
pas dans une certaine voie avec laquelle on pourrait imaginer quand même
quelques rapports c’est la jouissance sexuelle. Il est certain qu’il y a dans Freud
ceci d’abord, qui consiste à montrer que la jouissance sexuelle est le point idéal
par rapport auquel se repèrent les diverses jouissances perverses, ceci d’une part,
et d’autre part que toutes sortes de comportements qui jouent avec le désir en
jouent d’une façon telle, que ce dont il s’agit, c’est que en aucun cas on aboutisse
à la jouissance, et ceci s’appelle la névrose.
Les deux percées, les deux trouées que fait Freud, c’est ça ; les Trois essais sur la
sexualité, c’est ça que ça veut dire. Dans Malaise dans la civilisation, là cette espèce
de cri qui tranche d’autant plus que, par rapport à l’ensemble de son discours
enfin, ça détonne, que la jouissance sexuelle est sans aucun doute, enfin, le
moment de la jouissance. Il y a quand même ce quelque chose qui reste à côté,
c’est que tout ce qu’il démontre dans le comportement humain, c’est que s’il y a
une chose pour quoi le comportement est fait, c’est pour se défendre de la
jouissance. Freud a donc apporté cela ; tout ce qu’il a apporté comme
théorisation qu’on appelle énergétique n’est que tentative de fonder quelque
chose qui ressemble à la physique moderne, avec cette étoffe, dirais-je, ce fluide,
cette hypothétique chose qu’est la jouissance comme support. Qu’est-ce que veut
dire « principe de plaisir », sinon la transposition lucide. Il est d’autant plus
remarquable qu’il ne s’est pas trompé un seul instant sur le sens d’une certaine
morale dont j’ai parlé tout à l’heure, sous le nom de morale épicurienne. Il ne
fallait pas entrer dans ce jeu de la jouissance, c’est ça qui était le plaisir. Freud
transforme ça en terme de niveaux, de même qu’on pourrait dire que la physique,
la mécanique, la dynamique moderne est fondée sur le principe du moindre
travail. Je veux dire que pour que quelque (13)chose passe d’un niveau à un autre,
il y passera par la voie la plus courte, que tout le raisonnement sur ce quelque
chose, enfin, mythique, j’espère que vous vous en rendez compte, qui s’appelle
l’énergie, de quoi s’agit-il ? Énergie électrique, thermique, l’énergie quoi, qu’est-
ce que ça veut dire ? Ça veut dire simplement que quand vous faites le compte à
la fin, vous devez retrouver le même chiffre qu’au début, et comme les chiffres,
vous les fixez de façon tout à fait précise sur chaque « déplacement » de
l’ensemble, vous les choisissez de façon à ce qu’à la fin, ça fasse le même total,
c’est pas autre chose, l’énergie. Freud ne peut pas s’être tout à fait aperçu de ça,
parce que comme beaucoup de gens, enfin, à son époque, il croyait que l’énergie
c’était autre chose qu’un calcul. Et alors, qu’est-ce qu’il inscrit ? Il inscrit ceci,
que le principe du plaisir, de même que la chute des corps dans la loi du moindre
travail, le principe du plaisir c’est la pente de la moindre jouissance. Et puis, il
s’aperçoit dans un second temps que cela ne suffit pas, et il fait l’au-delà du
principe du plaisir, et qu’est-ce qu’il nécessite à cet au-delà, c’est ce qu’il appelle
automatisme de répétition.
101
Il faut un peu se laisser guider comme ça surtout quand on n’a pas le temps
infini à parler, il faut se laisser un peu guider par la langue ; il n’y a pas qu’en
français que répétition ça veut dire ce que ça veut dire, c’est-à-dire deux fois ou
trois fois ou une infinité de fois, la pétition c’est-à-dire la demande. Et la
répétition, ça veut dire que la demande, ça ne s’arrête pas, et que rien ne l’étanche.
Et là il est forcé d’élucubrer toute une mécanique du retour qui bien entendu est
beaucoup plus que lisible, qui est même traduisible, du retour de la vie à la mort ;
et en effet pourquoi pas ; à part ceci, comme je viens de vous le faire remarquer,
que cela laisse complètement intacte la question de ce que c’est, la vie. Je suis
parti de là, ça m’a été inspiré par les questions tout à l’heure autour de Szondi,
mais enfin, c’est tout à fait clair que là, la mécanique dite du plaisir trouve sa
limite. Non seulement elle trouve sa limite, mais elle la trouve tellement qu’il y a
encore beaucoup d’analystes pour trouver que le taux de Trieb, pour ne pas le
traduire par instinct, la dérive de la mort, ça ne colle pas, eux ne marchent pas
dans cette affaire. Tout ça reposant bien sûr sur le malentendu fondamental que
le plaisir, c’est la jouissance. Bref ce que je veux faire remarquer, c’est qu’il y a un
certain second discours de Freud qui est la tentative d’une économie, d’une
balance des comptes, d’une énergétique, pour dire le mot, qui est inspiré du
discours scientifique et qui n’est pas du tout d’ailleurs forcément à côté, mais qui
n’a strictement pas les moyens de pousser son articulation jusqu’à des
conséquences sûres qui montrent elles-mêmes sa défaillance, qui mettent en
avant l’au-delà du principe du plaisir en clair, comme ce que ça est, à savoir que
ce qui est au-delà du principe du plaisir, c’est très précisément tout ce qui pèche,
tout ce à quoi à affaire l’analyste, c’est-à-dire cette répétition d’une demande, qui
est tout de même là pour quelque chose, pour quelque chose d’autre que
d’aboutir à l’anéantissement. Là il y a quelque chose qui insiste et ce qui insiste,
c’est justement ce qui a le plus de sens, et ce sens c’est de l’ordre de la jouissance.
Freud sans aucun doute se rejoint lui-même à travers ce détour qui lui est imposé
par l’énigme des faits auxquels il apprend, au-delà du discours de l’hystérique, à
s’affronter. Il n’en reste pas moins que s’il y a une énigme, une énigme qu’il laisse
béante, et qui est ce par quoi enfin s’amorce ce sur quoi à la fin des fins tombe
sa plume, à savoir la division, le clivage de ce qu’il appelle le Ich, à savoir le sujet,
car au moment où il se déconcerte, du fait que le Ich soit divisé de lui-même, à
savoir qu’il poursuit concurremment le désir contradictoire, là en ce point
extrême de rencontre avec ceci, (14)disons pour aller vite, qui est le point où je
reprends la chose. Il a tout de même depuis bien avant posé la question dite du
narcissisme, c’est à savoir. Par contre d’où je suis parti comme peut-être une
partie d’entre vous, c’est à savoir sous l’espèce de ce que j’ai intitulé le stade du
miroir. Il y a un mode de jouissance imaginaire qui est celui-ci, que l’homme se
102
satisfait de son image, cette ombre, ce découpage, ce profil, cette chose dont
nous nous servons dans les expériences d’éthologie, faire peur à une poule avec
un découpage d’aigle ou de faucon. Freud marque ça tout de suite après la guerre
de 14. Pourquoi est-ce que un objet, en apparence aussi éloigné de la fonction
de la jouissance, que ce trompe-l’œil, c’est bien le cas de le dire, qu’est ce double,
l’image spéculaire, comment est-ce que ça peut constituer un point d’attache,
c’est de là que Freud insiste, marque dans toute sa seconde topique que c’est le
vrai fondement de ce qui préside au moi. Si à la fin il aboutit à ce quelque chose
qui se formule la division de l’Ich-Spaltung, la brisure du moi, c’est bien qu’à ce
moment là, quelque chose enfin une nouvelle fois, le frappe. Le frappe dans
quoi ? Mais dans rien d’autre que dans la cohérence, dans la cohérence de ce que
le sujet manifeste. Dans quoi ? Dans l’inconscient. Dans l’inconscient en tant
que quoi ? En tant que l’inconscient, ça se lit. C’est parce que Freud lit, traduit,
interprète, interprète deux symptômes, dont l’un veut dire le contraire de l’autre,
à savoir que dans un cas il veut à tout prix avoir un phallus, et dans l’autre cas il
ne veut à aucun prix l’avoir, qu’il parle, qu’il avance dans ses derniers écrits sur
lesquels se termine son message de l’Ich-Spaltung, de la division du sujet.
Si j’ai parlé dans un temps de retour à Freud, c’était pour rappeler au niveau
de l’expérience, au niveau d’une pratique, d’une pratique qui n’opère que dans le
champ langagier, où c’est presque tout le temps un seul qui parle ; à cause de
cela, j’ai appelé un jour comme ça, parce que j’avais ma claque d’entendre parler
de l’analysé, je l’ai appelé l’analysant ; parce que c’est vrai, c’est lui qui fait tout le
truc. Ça je dois dire que ça a eu du succès, j’ai jamais vu ça ; dans les huit jours
même à l’Institut Psychanalytique de Paris, qui comme vous le savez n’est pas
tout à fait de mon bord, tout le monde n’en avait que l’analysant à la bouche.
C’est pas mal, ça prouve que c’était toucher juste, et puis après tout, ils savaient
peut-être pas que ça venait de chez moi ; ça se dit comme ça de bouche à oreille,
mais en fin de compte, je veux dire que c’est très possible, il y a tout de même
des choses convaincantes. Je regrette de n’avoir pas toujours autant de succès.

J’ai rappelé ceci : qu’au niveau d’une pratique, il y a pas besoin d’au-delà. On
m’a posé tout à l’heure la question de savoir si je n’hypostasiais pas quelque chose
sous le symbolique, sous l’imaginaire, et encore deux choses différentes ; mais
bien sûr, tout à fait d’accord, mais hypostase, il faut quelques réserves. C’est bien
possible que j’hypostasie quelque chose, mais ça ne regarde que moi ! Je ne suis
pas sûr, mais qu’est-ce qu’il hypostasie comme ça, un petit peu, comme ça sans
le vouloir. C’est justement comme ça qu’on est foutu, on hypostasie à tour de
bras, toute la journée. J’ai quand même jamais dit enfin que le logos, ce fût
quelque chose même en un point idéal, quelque chose qui soit situable. Je ne l’ai
jamais dit, parce que vraiment je ne le pense pas, ça n’a aucune espèce
103
d’importance. Je ne pense pas, je dis : « l’inconscient est structuré comme un
langage, parce que dès l’émergence de cette notion apportée par Freud il est clair
qu’il ne s’agit que de ça ». Si le rêve signifie quelque chose, c’est parce qu’on le
raconte, et qu’à partir du moment où il est raconté, on se pose plus aucune espèce
de question sur le fait que c’est ou non bien ça vraiment qu’on (15)a rêvé.
L’important c’est pas ce qu’il a rêvé, c’est ce qui sort ou ce qui ne sort pas. La
preuve, c’est quand il y revient après coup et qu’il dit « Ah, mais j’avais oublié
ça », tout est là. C’est qu’il a mis cette note de surcroît dans un second temps, et
c’est la seule chose qui nous importe, il l’a dit dans un second temps, donc il
essayait est-ce de nous piper, est-ce de se piper, il y a en tout cas quelque chose
de certain, il ne l’a pas tout de suite raconté ; en d’autres termes, tout ce qu’il est
en train de déclarer sera retenu contre lui. Et c’est la seule chose qui importe,
c’est ce qu’on va pouvoir lire à travers ça, pour ça, tous les modes de traduction
sont bons, tous les coups sont bons, à ceci près, bien sûr, que ce n’est pas
l’analyste qui les porte ; c’est parce qu’il est inhérent au signifiant d’être
équivoque, que tous les coups sont bons. C’est parce que déjà c’est de ce fait
équivoque, que l’analysant, le sujet qui raconte, se sustente, et à partir du moment
où on s’est aperçu de ça, que la première chose, ce à quoi sert une langue, ce qui
la distingue de la voisine, c’est les jeux de mots qu’on peut faire dans cette langue-
là, et pas dans cette langue-ci. Quand Freud a la chance d’avoir un sujet qui
possède deux langues, il ne se prive pas un instant du truc pour équivoquer aussi
d’une langue à l’autre ; je le répète, à ce niveau-là tous les coups sont bons. Et ce
que je viens de dire sur le rêve est tout aussi vrai, et encore plus frappant pour le
lapsus qui sont… justement le premier que vous trouverez dans la vie
quotidienne, le type qui sort les clés de sa poche au moment où il arrive chez son
analyste comme ça ; tout le monde comprend ça, c’est pour ça que je me sers de
celui-là. Ouvrez à n’importe quelle page de la Psychopathologie de la vie quotidienne,
c’est dans la façon dont le type raconte son ratage, son acte manqué comme on
dit, c’est dans la façon dont il le dit qu’il est pipé, c’est-à-dire qu’on lui démontre
qu’il vient de le dire lui-même : je croyais que je rentrais chez moi. Et bien voilà,
mon vieux, mais oui, c’est cela, vous rentriez chez moi et vous croyiez que vous
rentriez chez vous. Et bien, il vient de le dire, je ne te le fais pas dire, comme on
dit. Je te fais remarquer que là je suis passé sur le plan de la grammaire, parce
qu’il n’y a qu’en français que je ne te le fais pas dire, ça veut dire, tu l’as dit. Mais
ça peut aussi vouloir dire, je te l’ai fait dire par personne. Si vous croyez que
Freud n’use tout le temps que de l’équivoque signifiante, vous n’avez qu’à vous
reporter au texte, pour vous apercevoir qu’il se sert encore plus de la grammaire,
et que toute sa spéculation là au début du Président Schreber sur le… je l’aime, ce
n’est pas lui que j’aime, ce n’est pas moi qui l’aime, c’est lui qui m’aime et ainsi
de suite, n’est-ce pas, ça consiste à jongler avec ce qui n’est inscrit en fin de
104
compte que dans la grammaire, parce que mise à part la grammaire, je vous
demande quel rapport il y a entre le voyeurisme et l’exhibitionnisme. Ça ne tient
dans Freud que sur un jeu de grammaire, mais ça n’empêche pas d’y faire foi.

Alors là je voudrais tout de même faire remarquer ceci : j’ai dit que, comme ça
dans son temps, l’inconscient est structuré comme un langage ; après ça, j’ai été
forcé d’appuyer, de dire que là-dedans, ça voulait dire que, le langage est avant.
Mais est-ce que c’était la même chose dont je parlais, quand j’ai dit l’inconscient
est structuré comme un langage, avec la brève façon dont je viens là d’essayer de
vous faire vivre, et puis qu’après j’ai dit que le langage était la condition de
l’inconscient. Ce qu’il y a d’amusant, c’est qu’on fait jamais attention à ce que je
dis, absolument jamais, parce que le langage, ça n’a rien à faire avec un langage.
Jamais personne n’a vu le langage hors d’un langage, seulement ça n’empêche
pas que le langage, ça veut quand même dire quelque chose. Ça veut tellement
dire quelque chose qu’il y a même des gens pour y croire, on les appelle (16)des
linguistes. Ils essaient de retrouver dans chaque langue quelque chose qui serait
le langage. Ils y arriveront peut-être, on peut même dire qu’ils sont sur la voie,
mais c’est coton. Moi, les linguistes c’est des gens que j’aime beaucoup, et tout
le monde, enfin, presque tout le monde est agacé de l’état que je fais comme ça,
un peu à tort et à travers de la linguistique ; en tout cas les linguistes sont
exaspérés. Oui, ils ne savent pas ce qu’ils me doivent ; ils me doivent quand
même beaucoup d’élèves ; c’est fou ce qu’on s’est déversé de mon séminaire dans
la linguistique, n’est-ce pas, pour ne parler que ce dont je peux témoigner par des
noms. Tout à l’heure enfin quelqu’un me disait comme ça que, j’étais, par jeu,
universitaire. Dieu sait pourtant que ce n’est pas mon genre, et si vous m’écoutez
si longtemps c’est parce que je vous distrais du discours universitaire. J’ai parlé
de la métaphore et de la métonymie comme ça, à la place de ce que Freud avait
vu comme ça bien avant les linguistes pour bien faire comprendre les rapports
que j’essaie de montrer enfin du discours psychanalytique là et cette vérité afin
que l’inconscient, c’est la structure d’un langage. Oui, c’est quand même frappant
à quel point Freud en apportant la condensation, dont je crois démontrer très
simplement que c’est la matérialité même de la métaphore, enfin, c’est une
métaphore obscure, enfin mais il y a pas un autre moyen de rendre compte de ce
qu’il appelle condensation sinon le fait qu’un signifiant se substitue à un autre en
créant par cette substitution même, quelque chose qui ait une autre dimension
de sens que le déplacement, qui veut dire qu’on fait exprès, enfin, de prendre une
vessie pour une lanterne, n’est-ce pas, que c’est exactement la même chose que
dans cette phrase « prendre des vessies pour des lanternes », c’est exactement la
même chose, et alors… (rires).

105
X– Vous allez me brutaliser, mais je m’exprime à ma façon comme ce
monsieur. Est-ce que vous me comprenez ?

LACAN – Oui, je vous comprends.

X – Voulez-vous jouer avec moi ?

LACAN – Oui, tout à l’heure, vous voulez ?

X – Mais n’avez-vous pas encore assez de ce monologue, non ?

LACAN – Oui, ça c’est vrai !

X – Est-ce que vous ne vous rendez pas compte que le public auquel vous
vous adressez est par définition même le plus médiocre et le plus méprisable
auquel on peut s’adresser, le public étudiant ?

LACAN – Vous croyez ?

X – Oui. Vous n’avez pas encore compris que historiquement il est temps
maintenant de se rassembler pour autre chose que pour écouter quelqu’un
qui parle de quelque chose qui l’intéresse. Au fond, moi, je viens parler
maintenant de quelque chose qui m’intéresse, c’est-à-dire les gâteaux.
PUBLIC – Laissez-le parler.
X – Pardon. Qui m’invite ? Je m’invite au fond. La petite lubie de ce
monsieur est de s’interroger sur le langage, et la mienne est de construire des
petits châteaux avec de la pâtisserie (rires). Alors je voudrais encore ajouter
que j’interviens au moment où j’ai envie d’intervenir, et que, disons que
l’ensemble, ce qui jusqu’il y a environ 50 ans pouvait être appelé culture,
c’est-à-dire, expression de gens qui dans un canal parcellaire, exprimaient ce
qu’ils pouvaient ressentir, ne peut plus et est maintenant un mensonge, et ne
peut plus être appelé que spectacle, et est au fond la toile de fond qui relie
au fond, et qui sert de liaison entre toutes les activités personnelles aliénées.
Au fond, si maintenant les gens qui sont (17a)ici se rassemblent à partir d’eux-
mêmes, et authentiquement veulent communiquer, ce sera une toute autre
base et avec une toute autre perspective ; il est évident que ce n’est pas une
chose qu’il faut attendre des étudiants qui sont par définition, ceux qui d’un
côté s’apprêtent à devenir le cadre du système avec toutes leurs justifications,
et qui sont précisément le public qui, avec sa mauvaise conscience, va se
repaître précisément des résidus des avant-gardes et du spectacle en
106
décomposition. C’est pour ça que je choisis précisément ce moment pour
m’amuser, quoi, parce que si je vois par exemple, des types qui s’expriment
authentiquement quelque part, je vais précisément venir les ennuyer, mais
j’ai choisi précisément ce moment-ci quoi !

LACAN – Oui, vous ne voulez pas que j’essaye d’expliquer la suite ?

X – Quelle suite ? Par rapport à ce que je viens de dire ? J’aimerais bien que
vous me répondiez.

LACAN – Mais oui, bien cher, mais je vais vous répondre. Mettez-vous là, je
m’en vais vous répondre. Restez tranquille là où vous étiez. Peut-être que j’ai
quelque chose à vous raconter pourquoi pas ?

X – Vous voulez que je m’assieds ?

LACAN – Oui c’est ça c’est une très bonne idée… Bon alors, nous en étions
arrivés au langage, si vous vous êtes là comme ça exprimé devant ce public, qui
en effet est tout prêt à entendre des déclarations insurrectionnelles, mais qu’est-
ce que vous voulez faire ?

X – Où je veux en venir ?

LACAN – Oui voilà.

X – C’est la question au fond que les parents, les curés, les idéologues, les
bureaucrates et les flics, posent généralement aux gens comme moi, qui se
multiplient quoi !, je peux vous répondre, je peux faire une chose, c’est la
révolution.

LACAN – Oui.

X – Vous voyez et, bon il est clair, au moment où nous en sommes pour le
moment, une de nos cibles préférées, ce sont ces moments précis où des
gens comme vous, qui sont en train de venir, au fond, apporter à tous ces
gens qui sont là, la justification de la misère quotidienne, au fond, c’est ça
que vous faites vous !

LACAN – Oh pas du tout ! (rires).

107
X – Oui.

LACAN – Il faut d’abord la leur montrer, leur misère quotidienne.

X – Mais c’est justement ce que je voudrais ajouter, c’est qu’on est justement
au moment où on n’a plus besoin de spécialistes qui doivent le montrer. Il
est clair, que suffisamment de gens, et ça se manifeste pour le moment, la
décomposition se manifeste à l’échelle planétaire avec suffisamment de
force, pour qu’on voie qu’il règne pour le moment, un malaise, je veux bien
concéder cette parenthèse…

LACAN – Un malaise…

X – Le public estudiantin est probablement à l’arrière-garde, bien que ce soit


probablement de ce côté-là qu’il y ait le plus de troubles spectaculaires et
superficiels. Bon, mais il est clair que le malaise et la conscience de son
aliénation et de son refus, la familiarité de son aliénation grandit de plus en
plus. Il reste maintenant à faire le pas décisif, de voir l’alternative possible.
Vous n’êtes certainement pas là pour ça, quoique je ne méprise absolument
pas ce que vous venez de faire mais euh… (rires applaudissements). Bon
mais maintenant, au fond, je n’ai pas grand-chose à dire ; si tous ces gens ici,
se rendent compte qu’au fond, la vie que nous sommes en train de mener
en général, doit être changée, au fond, si ces gens là s’organisent entre eux,
je voudrais dire encore quelque chose, parce que après, je m’en vais très vite,
parce que…

(17b)LACAN – Non non, pas du tout, il faut rester.

X – Mais si ces gens-là s’organisent, parce qu’au fond, la seule chose qui est
à l’heure actuelle nécessaire, c’est qu’il y ait une organisation, il feront autre
chose que de venir écouter quelqu’un qui parle, et même qui puisse parler
de politique, ou de n’importe quoi, et euh…

LACAN – Et vous voyez, vous voilà dans l’organisation !

X – Oui, oui.

LACAN – Parce que le propre d’une organisation, c’est d’avoir des membres,
et les membres, pour qu’ils tiennent ensemble, qu’est-ce qu’il faut ?

108
X – de la cohésion.

LACAN – Je ne vous le fais pas dire ! (rires). C’est là que j’en étais, parce que,
figurez-vous que ce que vous êtes en train de raconter là, ça a comme ça un petit
air de logique. Vous êtes un logicien.

X – Vous faites là un grave saut, enfin, parce que ce n’est pas parce qu’on a
de la logique, qu’on en fait, c’est un discours de spécialiste.

LACAN – Pas du tout, votre organisation, qu’est-ce que c’est ? Vous venez de
le dire, c’est de la cohésion, c’est de la logique.

X – Non, ce n’est pas de la cohésion, ce n’est pas de la logique, je m’en fous


de ce niveau-là. En partie de la volonté subjective de chacun, de moi, comme
d’autres, et comme j’en suis sûr, tout plein dans cette salle probablement,
malgré qu’ils soient ici, et qu’ils soient venus euh, vous écouter, mais j’en
suis sûr que c’est de la volonté subjective de chacun qui a envie.

LACAN – Pourquoi parlez-vous de subjective ?

X – De subjective, c’est au fond, une chose que tout le monde comprend.

LACAN – Ah, je ne vous le fais pas dire, tout le monde comprend ! (rires).

X – Bon mais attendez, cette subjective qui, c’est ça le sens, au fond, de


l’histoire maintenant, qui veut se lier avec les autres, pour euh…, ce n’est
que là que l’alternative sociale, au fond, dans l’intersubjectivité, et c’est là au
fond, la cohésion de, ce n’est même pas besoin d’être un logicien, comme
vous dites.

LACAN – Vous n’avez pas remarqué que les révolutions ont pour principe,
comme le nom l’indique, de revenir au point de départ, c’est-à-dire de restaurer
ce qui justement clochait.

X – Oui, mais ça c’est un mythe journalistico-sociologique (rires), qu’au


fond, il ne faut pas venir spécialement après les heures de cours, pour venir
l’entendre dire, mais je suis sûr que tous les professeurs doivent le dire, et au
fond, tous les journaux… Je vous dis que c’est une erreur, et que
probablement que dans les années à venir, vous verrez l’erreur à vos dépens,
probablement, comme aux dépens de tous les spécialistes, qui sont pour le
109
moment comme vous, ici, en train de lécher les dernières miettes du
spectacle et je vous en prie, profitez-en ! (rires).

LACAN – Ça m’étonnerait, ça m’étonnerait que ça soit comme vous dites, la


fin du spectacle.

X – Mais écoutez, sur ce plan là je ne discute pas avec vous, on verra hein !
vous verrez !

LACAN – Oui on verra, mais c’est pas couru, vous savez !

X – Enfin oui, à la base, c’est une sale discussion parce que à la base, vous
n’avez pas les mêmes intérêts que moi.

LACAN – Vous ne savez pas. Vous avoueriez vos véritables intérêts ?

X – Pardon ?

LACAN – Quels sont vos véritables intérêts ?

X – Non mais ça au fond, j’ai dit ce que j’avais à dire, je l’ai d’ailleurs dit…

LACAN – Vous voyez comme vous aimez dire quelque chose !

X – C’est la première chose que j’ai dite au fond.

(18a)LACAN – Oui c’est aussi la dernière, parce que vous ne pouvez pas aller
plus loin, vous ne pouvez pas aller plus loin que cette idée de volonté subjective,
qui est une idée justement, qu’on trouvait, je viens de faire remarquer justement
que le sujet n’est jamais pleinement d’accord avec lui-même, même vous qui…
la preuve c’est que vous avez tout de suite commencé à parler d’organisation, au
moment où…

X – Là je peux dire quelque chose, peut-être que vous ne voyez pas très
clair ?

LACAN – Juste après le moment où vous avez fait la pagaille, vous voulez
l’organisation ; avouez que quand même !

110
X – Bon mais monsieur, est-ce que je pourrais vous répondre quelque
chose ?

LACAN – Je n’attends que ça !

X – Il est aisé de voir que dans une certaine situation donnée, il faut à un
moment donné, disons, capter ou plutôt casser ce qui est existant pour qu’à
un moment donné, c’est au fond ça la dialectique, au fond.

LACAN – Car vous en êtes encore là, vous en êtes encore à la dialectique ?

X – Mais quand vous parliez de, quand vous parliez d’un semblant de
contradictions entre la volonté subjective et l’organisation, ce n’est pas une
contradiction ; l’organisation à un moment donné est une concession
subjective à l’histoire.

LACAN – Vous voyez que vous en êtes déjà aux concessions, mon Dieu.

X – Il s’agit, monsieur, la survie dans laquelle nous vivons pour le moment,


n’a fait que vivre sur les concessions infligées aux individus. Il s’agit pour le
moment de trouver une organisation sociale qui dépasse le point où on en
est pour le moment, et qui satisfasse au fond, satisfasse le mieux…

LACAN – Vous voyez, maintenant, vous en êtes au mieux, qu’est-ce que c’est
ce mieux, un superlatif ou un comparatif ?

X – C’est un dépassement vous comprenez ? Il ne s’agit pas de Jésus ou Dieu


ou bien d’une situation, il ne s’agit pas d’absolu ou de, non c’est un
dépassement, c’est ça l’histoire.

LACAN – Qu’est-ce qu’il vous faut quand vous veniez de dire le mieux, il
semble bien que c’est un superlatif.

X – Le plus mieux, enfin. (rires).

LACAN – Ah voilà, écoutez, vous êtes exactement mon vieux, vous êtes un
appui précieux à mon discours, c’est justement là que je voulais en venir, c’est au
plus mieux.

111
X – Mais je vous écoutais déjà depuis cinq minutes, mais il ne me semblait
pas que c’est de ça que vous causiez.

LACAN – Mais si, je parle de ça, c’est du plus mieux qu’il s’agit.

X – Il y a ici 300 personnes, vous êtes au départ d’accord avec moi, vous êtes
d’accord que au fond, l’université en soi n’est pas là, comme tout le reste
d’ailleurs, comme la cigarette gauloise, comme le pain de campagne ou
comme vous-même, en tant qu’objet hein (rires) ; vous n’êtes là au fond
vous ne pouvez vous justifier que par le fait même que vous êtes là ; il n’y a
plus au fond, on n’en peut plus à un moment donné trouver de justification,
par exemple à l’université ? Est-ce que quand vous êtes venu causer ici, vous
avez dit que l’université est à détruire, à supprimer de fond en comble ?

LACAN – Je n’ai pas dit ça.

X – Nous sommes ici 500 personnes qui chacune, du fait qu’on est dans des
situations précises, qui a chacune des talents divers, des situations
privilégiées, il serait possible, étant donné que l’on partirait du postulat que
l’on aurait envie de changer quelque chose, il serait possible de trouver
ensemble une forme d’organisation qui puisse être une forme efficace. Est-
ce que quand vous venez causer vous parlez de ça, ou bien est-ce que vous
parlez d’autre chose, qui à ce moment-là ne fait que… vous parlez 3 heures,
puis après on rentre, puis après bon, hein…
PUBLIC – Tais-toi maintenant.

(18b)LACAN – Bon, alors on continue quand même !

PUBLIC – Oui.

LACAN – Oui, ah ! (soupir). J’en étais à ce point, n’est-ce pas que le langage
détermine et est substantiellement ce en quoi justement repose la réalité de ce
terme de structure. C’est très précisément parce qu’un certain discours se trouve
approché très insupportablement du réel, du réel qui n’est pas ce qu’on appelle
enfin, comme vient de le démontrer avec beaucoup de talent mon interlocuteur,
du réel qui n’est pas quelque chose qui a affaire avec ce qu’on appelle
communément la réalité, à savoir en effet comme je viens de vous le faire
remarquer, le fait que vous soyez tous là et que vous ayez à mon égard une grande
patience, qui est en effet quelque chose qui a ses limites ; ce quelque chose c’est
vrai enfin, qui vous intéresse du fait que vous êtes là, est en effet lié à chacun
112
d’ailleurs de façon qui lui est entièrement personnelle, subjective, comme il l’a
dit, subjective et ce pourquoi vous êtes enfin, entre Charybde et Scylla, entre la
chèvre et le chou, entre ceci et cela, mais assurément pas unifié par autre chose,
comme vous venez d’entendre un discours qui malgré tout du fait même du
contexte prend l’aspect d’un exposé, d’un exposé de quelque chose dont vous
attendez après tout quelque chose qui puisse s’épingler, se ranger quelque part,
comme étant une certaine conception du monde. Il y a rien de plus différent de
cette sorte de frayage qui est très positivement fondé sur une certaine expérience,
sur l’expérience qui consiste dans l’existence de ce qu’on appelle névrose, et pour
simplement les indiquer deux grands versants d’une névrose dont l’essence est
de situer le sujet par rapport à un désir qu’il veut garder insatisfait et d’une autre
qui, la seconde enfin, celle dont je n’ai pas encore dit en avant le nom car dans
la première vous avez certainement reconnu les hystériques, dans la seconde la
confrontation à un désir strictement défini, situé, constitué comme un désir
impossible ; que quelque chose se manifeste dans ce contexte n’est-ce pas, qui
est la mise au premier plan, l’interrogation comme telle de la névrose et la
tentation d’élucider aussi loin qu’il est possible un sens, s’il se produit quelque
chose comme ça et s’il se produit aussi quelque chose, après tout mon Dieu,
qu’on peut bien dire jusqu’à un certain point être nouveau, à savoir cet appel
éperdu à un changement, on ne sait pas lequel, mais qui, comme je l’ai déjà dit
bien des fois en présence d’interruptions comme celles-ci, est quelque chose qui
n’aboutit en fin de compte qu’au vœu qu’on soit tous ensemble, et pourquoi,
pour uniquement cette visée, ce but, cette instance pressante et en quelque sorte
exigée à tout prix, n’est-ce pas, qui est que ça change ; que ça change à quoi ?
(interruption)

Que ça change pour une nouvelle organisation ; cette organisation, c’est pas
du tout exclu ; qu’on la voit naître, on la voit sous forme d’un régime qui
s’intitule, s’intitule même, mon Dieu, pour ce qui est leur inspiration en effet
suprême, n’est-ce pas, c’est la totalité enfin, c’est comme il vous disait à l’instant
enfin, n’est-ce pas, qu’on y soit tous, qu’on se serre encore un petit peu plus les
coudes pour être ceux qui veulent quoi ? Organisation qu’est-ce que ça veut dire,
si ce n’est pas un nouvel ordre ; un nouvel ordre, c’est le retour à quelque chose
qui, si vous avez bien suivi ce que je vous ai dit et d’où je suis parti, est quelque
chose qui est de l’ordre de quoi ? mais du discours du maître, tout simplement.
C’est le seul mot qui n’ait pas été prononcé dans tout ça, mais que le terme même
d’organisation implique. Jusqu’à un certain point, c’est tout à fait convenable,
qu’il y ait beaucoup de progrès dans ce sens, si on peut appeler ça progrès ; je
veux dire que ce que nous révèle l’approche de ce qui se passe, enfin de ce qui
se passe quand même dans un certain nombre de sujets, c’est-à-dire quelque
113
chose d’éminemment précieux qu’il a évoqué tout à (19a)l’heure sous le terme de
volonté subjective, cette volonté subjective, si nous la voyons d’une façon
vraiment permanente de ne pouvoir se manifester que de sa propre division, c’est
assurément fait pour nous suggérer quelque chose, c’est à savoir que c’est pas
quand même l’image de l’harmonie totale enfin réalisée, c’est un appel que vous
avez entendu, que je connais bien et qui est touchant enfin, ça aboutit à quelques
inconvénients comme ça sur ma cravate. C’est l’amour, c’est l’amour qu’il vous
prêche ; si on était tous comme ça, tous ensemble à s’aimer, c’est la Jérusalem
céleste n’est-ce pas, qu’il vient vous annoncer comme ça ; ça s’est vu quelquefois
au cours de l’histoire et jamais dans des moments indifférents. C’est bien
justement parce que quelque chose se manifeste qui est tout de même strictement
inséré enfin dans l’ordre du discours, c’est parce qu’il y a eu un discours qui est
en train de proliférer enfin, qui engendre d’innombrables petits qui vous
deviennent à tous et à chacun, à moi aussi enfin terriblement incommodes, à
savoir le discours scientifique qui de plus en plus enfin est là imminent, menaçant
par sa présence, n’est-ce pas, par l’idée que tout ça va se régler enfin en termes
mécaniques, de balistique, d’équilibre, de courants et puis, plus on en saura,
mieux ça vaudra, et bientôt enfin nous saurons comment produire enfin, tel ou
tel type d’individu qui lui saura marcher avec tous, n’est-ce pas. Ce que
l’expérience nous montre c’est évidemment tout autre chose ; ce que l’expérience
nous montre, c’est que c’est un langage dont j’ai parlé et qui est ce dans quoi
vous avez tous cru et grandi, que ce n’est pas là quelque chose qui vous a été
transmis sans vous véhiculer en même temps toute une réalité frémissante et
vacillante qui vous est faite du désir de vos parents. C’est pour autant que dans
la formation de chacun, cette incidence par la mère enfin, par la langue
maternelle, n’est-ce pas, ce quelque chose qui est à la fois au principe, que c’est
vers là que se tourne l’amour, que c’est vers ce frémissant appel à l’union dans
quoi ? Dans quelque chose de très évidemment, comme il l’a dit, aliénant. Ce
qu’il y a d’absolument incroyable, c’est qu’il imagine que c’est en frappant avec
ses poings la voûte du ciel que cette aliénation, qui est justement ceci qui fait que,
après tout, ce qu’il vous disait, c’est quelque chose qui était un appel d’ailleurs.
Un appel vers quoi ? Vers plus de vérité ; sa parole lui paraissait vraiment
identique enfin à cette vérité dont il se trouvait dans l’occasion l’instrument, le
messager enfin, l’ange chargé de vous sortir de quoi, de votre sommeil en fin de
compte, de vos fantasmes, de votre particularité. Malheureusement, c’est tout à
fait clair que non seulement cette particularité résiste, mais qu’elle est là ce à quoi
on a à faire.

Et pour en venir au dernier terme, puisque dans ce petit entretien que j’ai eu
avec un groupe limité, on y est arrivé à la fin à me demander raison de ce quelque
114
chose qui est la pointe sur laquelle enfin arrive à un certain tournant, sinon à un
certain terme, n’est-ce pas ce dont il s’agit de la parole comme créatrice du sens
comme la parole qui en fin de compte se révèle n’être que le support de la
jouissance. De quelle jouissance ? Sinon, de ceci, qui nous est montré à l’horizon,
c’est à savoir quelque chose qui tourne autour de ce point, ce point idéal, qu’est
en fin de compte ce dont il s’agit, à savoir la relation d’essai, de ceci, n’est-ce pas,
et cet être que nous sommes tous, que je suis là avec vous, c’est quoi ? C’est cet
extraordinaire enfin, manifeste impuissance qui est véritablement celle de tous ;
je ne vais pas dire en face de toutes, parce que la femme ici je l’indique, je l’ai
indiqué, vous le lirez dans ce qui va sortir dans mon dernier écrit, la femme ne
peut pas comme l’homme être épinglée d’un rapport univoque avec ce quelque
chose qui se trouve avoir été révélé par le discours analytique ; c’est à savoir que
dans ce qui est de l’approche des sexes, il y a toujours un tiers, que ce tiers vous
le fixiez dans l’Autre, (19b)l’Autre avec un grand A, cet autre14 qui est le lieu dans
lequel vous témoignez ou vous articulez ce que vous avez à dire, vous manifestez
enfin chacun comme le témoin de ce que vous avez pu recueillir de vérité, ou si
c’est autre chose encore que l’analyse a pointé de façon beaucoup plus proche,
n’est-ce pas, à savoir la fonction énigmatique jamais véritablement transfixée,
jamais vraiment serrée de près, mise au point et celle qui s’exprime par le terme
de toute puissance de la pensée, c’est-à-dire une notation véritablement
ethnographique qui n’a véritablement pas de portée mais qui se coagule dans
cette fonction, qui est marquée par ce qui distingue les sexes d’un rapport
différent au phallus ; ce tiers, cette fonction tierce n’est pas portée par l’analyse,
dans son rapport à la fonction phallique comme étant ce qui se rencontre en
quelque sorte nécessairement, ce qui fait butée n’est-ce pas, ce qui fait aussi tout
un drame, celui qui tourne autour de la castration, ce qui ne veut rien dire d’autre,
que la reconnaissance d’une certaine limite. Cette limite est très précisément ceci,
que c’est la même chose, je ne dis pas l’un est premier, l’autre second, n’est-ce
pas ni inversement, n’est-ce pas, qui est ceci, que cette chose qui paraît
véritablement liée à la reproduction, à cette reproduction passagère qui est
l’énigme de la vie, n’est-ce pas, cette chose qui consiste en la différenciation chez
tout vivant de deux fonctions qui sont appelées les sexes, c’est très précisément
ce qui est du fait même de la fonction et de l’existence du langage, impossible à
formuler autrement que, comme je l’ai dit tout à l’heure, par métaphore. Toute
cette histoire qui fait que je peux dire, je suppose, enfin j’imagine, j’ose imaginer
que pas un de ceux qui sont ici, pas un d’entre vous n’est pas sans avoir éprouvé,
et de la façon la plus directe la difficulté de la rencontre, n’est-ce pas, le miracle
de la rencontre, ce qui de tout temps a fait le rêve de l’amour, qui est à la fois

14 . il doit plutôt s’agir de cet Autre.


115
bien en effet, le pivot, le point tournant de tout ce qui s’est proféré jusqu’à
présent de discours, et qui pourtant est si on peut dire, véritablement voué à ce
que Freud exprime sous le terme du ratage, de ce qui est toujours manqué.

C’est ça, c’est cet horizon n’est-ce pas, que nous a révélé Freud, c’est que si le
sexe est en quelque sorte le point idéal autour de quoi tout discours prend son
sens, il n’en reste pas moins vrai que ce point idéal est un point qui est en quelque
sorte en dehors de la carte, et que la structure, c’est ça, de même qu’en
mathématiques, il est non seulement pensable, mais plus que pensable, courant
de se référer à ce point insituable, à ce point dont le support est en réalité
beaucoup plus présent qu’on ne le soupçonne n’est-ce pas, ressemble à ce
quelque chose qui se construit, et autour de quoi se construit l’idée, dans la
topologie, du plan projectif, c’est très exactement vers ce point de béance que
sans doute tout le discours humain converge, et d’ailleurs là le discours
scientifique nous en donne autant de preuves que les autres ; et c’est la révélation
de cette structure qui est ce sur quoi se fonde, et sur quoi dans des cas privilégiés
qui sont précisément ceux que j’ai définis tout à l’heure par la névrose, que tourne
et s’édifie le discours analytique. Pour ceci, il est évident qu’il faut accentuer,
préciser quels sont les membres, les membres qui sont situables langagièrement,
n’est-ce pas, au niveau le plus élémentaire de la fonction du langage. C’est ça que
l’analyse nous apprend à repérer, c’est ça qui nous situe, qui définit l’analyste.

Si j’ai parlé tout à l’heure, je ne pourrais, car il faut que ce discours finisse, que
faire allusion à ce que j’ai appelé l’objet petit a, ce autour de quoi tourne tout le
procès d’une analyse. C’est dans le fait que quelque chose s’est inauguré, qui se
définit par la fonction de l’analyste, qui est celui qui peut se permettre, qui ose se
permettre de se mettre en position (20)par rapport au sujet, au sujet en effet plus
ou moins affolé par cet extraordinaire condition humaine d’habiter le langage,
qui est d’être celui qui se met en position de cause du désir. C’est vrai que le
transfert n’est pas rien, mais s’il n’y avait pas la parole, la parole du sujet parlant,
de l’analysant lui-même qui en trace en quelque sorte les voies, jamais
l’interprétation de l’analyste ne pourrait en somme faire cette coupure, ce quelque
chose grâce à quoi une structure change. C’est bien pourquoi l’analyse, je l’ai fait
remarquer tout à l’heure s’est fait remarquer par ce quelque chose qui en est dans
les conditions de l’histoire où nous sommes, un nouveau discours, un nouveau
mode de lien social. Ce quelque chose qui s’établit de l’analysant à l’analyste est
là la cellule initiale de quelque chose qui doit aller beaucoup plus, qui ira ou n’ira
pas, mais si elle va, elle tiendra une place, n’est-ce pas, cette position de l’analyste,
elle tiendra une place essentielle dans quelque chose qui nous mettra en repos,
qui compensera, qui étanchera le mode de malaise, en effet, malaise dans la
116
civilisation, – déjà Freud l’avait promu, il l’avait certes promu en sachant ce qu’il
disait parce qu’il en sentait venir les symptômes – mais ce malaise s’accentuera
certainement, il ne peut que s’accentuer en raison de ce qu’apporte de tout à fait
nouveau dans le lien social lui-même, ce discours scientifique.
C’est en cela que l’époque où nous vivons fait de l’avènement de l’analyse non
pas du tout un progrès, parce que, comme j’ai déjà plusieurs fois fait allusion
dans ce discours, ce qui se gagne d’un côté, se perd d’un autre ; ce que nous
avons acquis comme ressort, comme usage du savoir, comme mise à la question
du savoir dans ses rapports avec la vérité, c’est quelque chose qui assurément
existe, qui est vraiment le tampon, la marque, le saut, l’épingle, le blason de cette
ère que nous vivons. Mais nous ne savons pas non plus, nous sommes bien
incapables de dire par rapport même à des stades, à des époques qui nous sont
proches, quel était à ce moment le savoir qui était précisément ce qui faisait
l’équilibre, ce autour de quoi enfin s’apaisait cette horrible impatience ; et c’est
bien parce que nous ne le savons pas que nous en sommes réduits à nos propres
moyens.
1972-10-14 ENTRETIEN À LA TÉLÉVISION BELGE

Entretien à la télévision belge avec Françoise Wolff portant sur « Les grandes questions de la
psychanalyse ». Cassette MK2 vidéo sous le titre : Jacques Lacan. Conférence de
Louvain suivie d’un entretien avec Françoise Wolff. Au cours de cet entretien sont
insérés des commentaires sur Lacan que nous indiquerons par […].

F. Wolff – Si nous demandons à Jacques Lacan ce qu’est la psychanalyse,


c’est parce que nous croyons qu’il est une des plus prestigieuses figures de la
psychanalyse contemporaine.

J. LACAN – La psychanalyse est quelque chose dont l’existence commence à


être connue de, par beaucoup de monde. L’expérience analytique, ça n’est certes
pas moi qui l’ai inventée. C’est quelque chose qui s’est constitué selon ses voies,
ses voies n’ont peut-être pas toujours été les plus conformes à aller droit à leur
but. Néanmoins il y a quelques sortes de formes dans lesquelles elle s’est instituée
et ces formes, quoique très évidemment d’artifice, ce qui est commun à toute
espèce d’expérience, n’est-ce pas, ont permis une certaine élucidation concernant
quelque chose dont il ne suffit pas de dire, n’est-ce pas, qu’il s’agisse de troubles.
Qu’il s’agisse de malaise est quelque chose qui soit hautement significatif, c’est
évidemment ce qui résulte de l’expérience analytique elle-même.

117
À cet endroit, le fait que un public de plus en plus nombreux soit averti de la
possibilité d’une telle expérience est quelque chose qui est la base à partir de
laquelle je me trouve avoir quelque chose à dire.

[…]

Je me trouve avoir insisté, enfin, sur, sur ce qui est évident, enfin, non
seulement à première inspection mais à la seconde et à toutes les inspections
possible, jusqu’à la dernière. L’analyse est une pratique de langage. La découverte
de l’inconscient par Freud, il suffit d’ouvrir un de ses trois premiers livres, les
livres fondamentaux concernant justement la découverte de l’inconscient, il n’y
a pas d’autre appréhension de l’inconscient dans Freud qu’une appréhension
langagière et c’est d’ailleurs en quoi l’expérience analytique le confirme c’est que,
rien n’y passe que par la parole, celle de celui que j’appelle l’analysant, ou celle de
l’analyste. Il serait quand même extravagant que par rapport à ce fait pratique,
enfin, on cherche un alibi dans je ne sais quelle construction accessoire.

F. Wolff – Comment définissez-vous l’inconscient ?

J. LACAN – Je définis l’inconscient… c’est devenu, c’est devenu un petit


bateau, enfin, je définis l’inconscient comme étant structuré comme un langage.
Ce n’est évidemment pas ici que je m’en vais me mettre à en faire le commentaire.
Il est certain que c’est à partir de là que commencent les questions. Comment le
fait que ces sortes d’êtres qui ce langage l’habitent, comment est-ce que ça se fait
que ce serait, à m’en croire n’est-ce pas, par le véhicule du langage qu’il se
trouverait dans tout ce que découvre l’analyse à l’intérieur de ce fait, comment
se fait-il que lui sont transmises, enfin, des conditions aussi dramatiques, c’est le
cas de le dire n’est-ce pas, que le fait qu’il soit tellement dans la dépendance de
tout ce qu’il a attendu dans le monde et tout spécialement au niveau bien sûr qui
est celui dont il a reçu transmission de ce langage, de ce langage qui est celui que
lui a parlé sa mère, comment à travers ça quelque chose d’aussi prévenant, je
veux dire dominant n’est-ce pas, que le désir dont il est en somme le résultat, la
conséquence, comment sa destinée entière peut-elle être marquée par cela ? C’est
évidemment là que commence l’exploration, mais le mode d’alibis, enfin, plus ou
moins prétentieux, enfin, désignés sous le terme d’affects alors que, à quelle
occasion ont jamais pu se produire les dits affects, c’est à l’occasion de
déclarations plus ou moins opportunes, enfin, c’est là que commence
l’expérience analytique ; mais ne pas lui donner comme prémisse que c’est bien
au niveau du langage qu’est le problème, me paraissait d’autant plus difficile de

118
l’éviter qu’il ne s’agit pas là du tout d’une question théorique mais d’une question
qui emporte tout l’efficace de la pratique analytique.

[…]
F. Wolff – Quel est le rôle de l’analyste ? Est-ce, comme vous l’avez dit hier
soir, ce rôle de « je ne te le fais pas dire » ?

J. LACAN – Oui, je me suis en effet, hier soir, armé, enfin, pour en faire un
exemple, pour rendre sensible une dimension qui est celle que j’exprimais en
spécifiant que j’ai dit « structuré comme un langage », c’est-à-dire une langue
particulière. Nous ne connaissons que ça, enfin je voulais bien marquer la
différence, l’accent, enfin l’accent précis que cela comporte, qu’après tout on ne
peut qu’en habiter une ou plusieurs, mais on ne peut qu’habiter certaines de ces
langues. Alors ce que vous me demandez maintenant, si je comprends bien, c’est
quel est le rôle de l’analyste, m’avez-vous dit ? Re-précisez bien ce que vous
vouliez dire par là. Le rôle de l’analyste…

F. Wolff – dans la relation analytique…

J. LACAN – et bien…

F. Wolff – Est-ce c’est de faire dire ou de ne pas faire dire ?

J. LACAN – Oui, c’est ça, c’est le fameux « je ne te le fais pas dire ». Je l’avançais
comme exemple que de ce qui justement spécifie ce, un langage. On ne peut pas
jouer sur l’ambiguïté que comporte l’expression « je ne te le fais pas dire » qui
peut dire, qui peut vouloir dire deux choses tout à fait différentes en français :
« tu l’as dit » et, je me mets hors du jeu : « c’est pas moi qui te l’ai fait dire par
quiconque ». C’était un exemple destiné à montrer la spécificité d’une langue
entre les autres et c’était pour montrer que l’intervention soulignée, que
l’intervention analytique est très typiquement ce qui fera toujours usage de cette
équivoque.

[…]
F. Wolff – Dans l’expérience analytique, il y a le transfert. Comment, en tant
qu’analyste, vivez-vous cela ?

J. LACAN – En tant que quoi ?

F. Wolff – En tant qu’analyste.


119
J. LACAN – Oui, en tant qu’analyste, j’en ai l’expérience ; elle est toujours,
même j’ai pu le constater pour les analystes les plus chargés justement
d’expérience, à chaque fois une surprise nouvelle, et je ne peux même pas ici
témoigner de ceux qui m’en ont fait l’aveu. Je ne vois pas pourquoi je les mettrais
en avant quand moi-même c’est ce que j’ajouterai à leur témoignage, c’est que
pour moi aussi c’est un sujet d’émerveillement, mais… ça ne dit en rien ce que…
où chacun peut, fait situer enfin cette manifestation si sensible et si étonnante à
voir dans une expérience que j’ai définie à l’instant par quelque chose, qu’on ne
se méprenne pas, ce n’est pas la diminuer que de dire qu’elle est marquée d’un
certain nombre d’artifices. Ce n’est pas du tout une raison pour penser que le
transfert est lui-même artifice. C’est bien sûr là, beaucoup d’analystes, enfin,
s’abriteront, dirais-je, parce qu’à la vérité, la surprise n’est jamais sans provoquer
aussi un effet de terreur. S’abriter derrière la motivation artificielle du transfert
pour penser qu’après tout ce n’est qu’un artifice, c’est se mettre à l’abri de
quelque chose qui, on le comprend, peut paraître lourd, parce que, comme Freud
lui, enfin, il ne manquait pas de le regarder en face, il n’y a aucune distinction
entre le transfert et l’amour. À partir de là commence la question : comment en
effet, une situation d’artifice peut-elle déterminer un ordre de sentiment qui
paraît un ordre aussi élevé dans l’ordre naturel que l’amour, je dois ajouter, car le
transfert n’a pas que cette forme, il a aussi celui de la haine. Mais si l’analyse a
démontré quelque chose, c’est le profond, étroit accolement de l’amour et de la
haine. J’ai, je crois, le premier, essayé de, ce transfert, enfin, de façon qui motive
l’ordre, l’ordre élevé de son phénomène, je l’ai inscrit, enfin, la rubrique de ce
que l’analyste se trouve effectivement dans l’expérience analytique occuper
comme place et je l’ai épinglé de termes qu’il faut accueillir même sous la réserve
de cette ambiguïté dont je parlais tout à l’heure : le sujet supposé savoir. Quelle
est la relation d’un sentiment tel que l’amour avec une formule de l’ordre du sujet
supposé savoir ? C’est assurément ce qu’il est tout à fait impossible non
seulement d’expliquer, mais même seulement de faire sentir dans un aussi court
entretien.

[…]
F. Wolff – Certains psychanalystes disent détenir la clef du normal. N’est-ce
pas dangereux ?

J. LACAN – Oui, enfin c’est une, c’est une opinion, (il soupire) à la vérité, tout à
fait déplacée, enfin. Aucun analyste ne devrait, je ne dis pas… (un technicien
intervient puis, Lacan avec un geste d’humeur … non, ne recommencez pas
toute l’affaire. J’étais à aucun analyste, passons à moi, allez …) aucun analyste ne
120
peut s’autoriser sous aucun angle à parler du normal, de l’anormal non plus
d’ailleurs. L’analyste, en présence d’une demande d’analyse, a à savoir s’il pense
que cette demande d’analyse a forme propice à ce que le procès analytique
s’engage, c’est le cas de le dire, enfin, cordonnier pas au-delà de la semelle, au
nom de quoi l’analyste parlerait-il d’une norme quelconque, sinon, permettez-
moi la plaisanterie, d’une mal norme, d’une norme mâle.

[…]
F. Wolff – Donc sous le couvert de la psychanalyse, il n’y a pas une
répression de la liberté ?

J. LACAN – (rire) Oui…, ces termes, le terme me font rire, oui…, je ne parle
jamais de la liberté.

121
1972-10-14 JACQUES LACAN À L’ÉCOLE BELGE DE
PSYCHANALYSE

Séance extraordinaire de l’École belge de psychanalyse, le 14 octobre 1972. Paru dans Quarto
(supplément belge à La lettre mensuelle de l’École de la cause freudienne), 1981, n°
5, pp. 4-22.
(4)VERGOTE – Je suis heureux d’accueillir, au seuil d’une année nouvelle de

nos activités, celui qui, par tout son retour à Freud, a libéré la psychanalyse
de toutes sortes de contaminations qui lui venaient de toutes sortes de
biologismes ou de psychologismes. Lorsque j’ai été inviter Monsieur Lacan
au mois de juin, pour notre École, il m’a dit qu’il ne voyait pas beaucoup de
sens à faire une conférence suivie de quelques échanges ; il m’a dit qu’il
préférait avoir des contacts plus prolongés et même passer une journée ou
presque, avec nous. Je n’osais pas en demander autant, mais nous n’en
sommes que plus heureux. M. Lacan a même préféré, pour que ces échanges
portent tous leurs fruits, de ne pas commencer par faire la conférence
demandée, proposée et que je vous avais annoncée sous la réserve que vous
comprenez ; M. Lacan a préféré laisser venir tout de suite les questions, et je
pense que nous avons avec nous maintenant celui que j’ose à peine nommer
un maître de pensée pour nous, non pas que ce mot de maître ne soit pas
tout à fait à sa place ici, mais pour ce que ce mot peut évoquer de l’obésité
du savoir dont M. Lacan a horreur. Mais certains d’entre nous avons assisté
hier après-midi à cette maîtrise socratique avec laquelle M. Lacan peut faire
surgir de toutes les questions, disons même ingénues, leur véritable sens.
N’ayons donc pas peur de dire ce que nous avons à dire. Si on ne peut pas
statufier M. Lacan, si on ne peut jamais le récupérer et le mettre quelque part
dans une nécropole d’un savoir établi, c’est aussi parce que M. Lacan ne
refuse aucune question, et qu’il ne nous demande jamais de jeter un voile
pudique, sur ce que nous désirons lui demander. Alors je vous invite à ne
pas refouler les questions qui viennent, à dire franchement ce qui veut se
dire en vous, et je vous donne la parole tout de suite.

LACAN – Bon, écoutez, ici on est entre soi, c’est comme ça qu’il faut prendre
les choses. Dans ce qui va suivre, je voudrais en fait répondre à l’invitation très
sympathique qui m’a été faite et, je réponds toujours à ces choses-là comme à
une gageure. C’est pas mon champ propre, vous êtes ici tout à fait hors de ma
portée pour tout dire, et c’est tout à fait légitime. Mais à partir du moment où j’y
suis, j’aimerais bien que se manifeste quelque chose qui me donne une idée de
votre existence en tant qu’École. J’aimerais bien, cela me ferait plaisir, ce serait
une récompense en tout cas à l’effort que j’ai pu faire hier soir, qui était plutôt
un effort de, je ne sais pas de quoi, d’exhibition n’est-ce pas, et même encore
plus suspect que de tout ce que vous pouvez formuler enfin, témoigner que j’étais
encore un peu là, mais enfin c’est pas suffisant. Je dirais même que cela n’a pas
de justification véritable, exactement comme le disait celui-là qui était intervenu ;
il ne savait pas ce qu’il disait, bien entendu, mais cela n’empêche pas que ce qu’il
disait, je pouvais l’entendre. Alors, j’aimerais bien savoir ; ici, il doit y avoir, non
seulement je le suppose, mais j’en suis sûr, il doit y avoir un peu de sérieux ;
j’aimerais bien savoir comment pour vous se pose…, je ne sais pas si vous voulez,
et dans toute la mesure où vous voulez m’en faire part, je serais de savoir
comment…, quels sont vos problèmes intérieurs, votre fonctionnement enfin.
Ne croyez pas que tout cela me laisse froid. Moi aussi, j’ai mes affaires intérieures,
j’ai mes problèmes. C’est pas du tout que j’ai une certaine idée préalable de la
façon dont il faut mener ça. Je me pose des tas de questions, comme je l’ai fait
remarquer hier soir à quelqu’un, et ne croyez pas que les questions soient moins
pressantes pour moi que pour vous. C’est justement ce que, pour moi, (5)j’appelle
ma récompense, c’est ce que pourraient me suggérer vos questions. Enfin,
j’aimerais que vous me donniez une idée de la façon dont ça marche ici. Allez-
y!

DUQUENNE – Mais cela laisse ouverte la question de ce qu’est l’acte, et qui


a été laissée en suspens hier, l’acte psychanalytique.

LACAN – Oui.

DUQUENNE – Je crois que c’est le pentum saliens qui est à l’horizon de toutes
les questions qu’on se pose ici.

JORION – Il y a un autre mot qui a été prononcé hier, c’est le mot


organisation, et vous l’avez relevé.

LACAN – Oui,… et bien voilà, parlons-en de l’organisation. Dites-moi quelle


idée vous vous en faites. Il y a forcément une organisation ici (hm). Quelle idée
vous faites-vous de cette organisation en tant que telle ?

JORION – C’est justement le problème. Mais je me situe de manière


différente, dans la mesure où je ne suis pas encore dans l’organisation. Mon
acte de venir ici est un premier pas.

123
LACAN – En tout cas, vous restez sur la réserve.

JORION – J’en ai parlé avec certains qui sont dans l’organisation, de ce qui se
passait, et cela m’a laissé sur ma réserve.

LACAN – Oui, vous êtes là au bord de… Vous êtes sur la réserve, mais vous y
êtes quand même porté, et la preuve en est que vous êtes là.

JORION – Je puis un peu justifier le fait que je sois au bord, qui est qu’il me
semble que l’organisation joue le rôle de prothèse pour certains qui ne
trouveraient pas en eux-mêmes la puissance suffisante que de se réclamer
que d’eux-mêmes.

LACAN – Oui… Les mots sur un sujet aussi mouvant, ont beaucoup
d’importance J’ai dit « ne s’autorise que de lui-même », j’ai pas dit « ne se réclame
que de lui-même », pour la bonne raison que se réclamer est un peu clamatoire,
et en principe sinon en fait, on peut se réclamer de rien. Oui. En fait, cela a été
diversement interprété, cette petite formule. Pour beaucoup de gens, cela veut
dire que presque n’importe qui peut se déclarer analyste, ce qui, je dois dire, est…
légal. Rien n’empêche en effet quiconque de se conduire de cette façon
irresponsable. On omet dans cette petite phrase que l’analyste, cela a pour moi
un sens très problématique. Je veux dire qu’il faut d’abord que cette position soit
(hm), je dirais presque, occupable ; cela laisse même un doute sur l’existence de
l’analyste. Enfin, à partir de quand y a-t-il un analyste ? C’est pour ça que dans
cette École, qui est la mienne, j’ai tenté, comme École qui doit encore faire ses
preuves, j’ai fait cette proposition qui vraiment a fait fuir à partir d’elle, un certain
nombre de personnes qui…, ce qui est curieux je n’étais pas du tout sûr d’avance
de cet effet, loin de là. Je me rendais très bien compte que c’était des choses
difficiles à faire entrer comme exercice. Mais ce n’est pas parce que ces personnes
ont cru devoir s’en aller que c’est plus facile. C’est une expérience en cours. J’ai
proposé, j’ai essayé de proposer qu’on éclaire par le témoignage de l’intéressé, de
quiconque ne pourrait en témoigner que de lui-même (hm), témoignage de
l’intéressé du moment, (6)qui n’est pas bien sûr (hm) témoigner de ce que c’est
qu’être analyste puisque c’est justement ça qui est en suspens, du moment qui
témoigne de ceci, où il en est, ce qui est arrivé à le faire au moins désirer de l’être,
et – si on en croit ce que j’ai fondé comme principe, à savoir que l’analyste ne
pouvait même se concevoir s’il n’a pas parcouru lui-même quelque chose qui
ressemble à l’expérience analytique –, où il en est au moment où, ou bien ça se
confirme, ou bien ça s’affirme tout simplement, ce qui l’a fait désirer d’occuper
cette position. J’ai laissé d’ailleurs libre chacun d’en témoigner ou pas. Personne

124
n’est forcé de s’offrir à l’expérience de ce que j’appelle un peu comme j’ai pu, la
passe. J’ai cru qu’il était… (hm), qu’il offrait plus de chance à ce témoignage de
pouvoir être rendu, que ça ne se passe pas avec quelqu’un déjà en position de
prononcer le dignus est intrare, n’est-ce pas. Il n’en reste pas moins qu’il faut quand
même qu’il y ait quelqu’un qui le prononce, ce dignus est intrare. L’idée de séparer
celui qui recueille le témoignage, de celui qui produit ce dignus est intrare, s’imposait
en quelque sorte à partir de là. J’ai tenté cette voie qui consiste à commencer :
pour frayer une voie, il y a toujours un initium qui comporte une part d’arbitraire.
Quand j’ai dit que les analystes qui sont censés avoir une spéciale expérience de
formation, doivent avoir malgré tout une façon de sélectionner malgré tout
moins raide, qu’on ne le croit dans un temps que je voudrais faire révolu, n’est-
ce pas ; en principe un didacticien, il ne faudrait pas croire que c’était quand
même si rigide. Il s’agissait de protester contre cette auto-sélection que j’ai raillée
dans une sorte d’écrit qui s’appelle « Situation de la psychanalyse en 1956 », que
j’ai raillé, comme vous savez peut-être, car c’est vrai que ça prenait cette
tournure-là, n’est-ce pas. C’est un article qui a sa portée. Enfin c’était vraiment
tout de même d’un contentement commun sans ça, cela n’aurait pas eu d’utilité
que j’essaye de faire rire ; c’est que dans le fond, tout le monde se reconnaît très
bien, même ceux que j’appelle les petits souliers, rien de plus adorable que d’être
dans ses petits souliers, tout le monde adore ça. Alors, l’expérience a donc
commencé. Il y avait des gens qui étaient choisis par ceux qui étaient déjà installés
dans le système ; pour les faire sortir de leur système, il faut forcément prendre
appui sur le système lui-même : il y a aussi des gens qui ont été désignés. Il ne
faut pas croire que cela donne du tout des résultats scabreux, chahutants. Il est
vrai que des passeurs ont été très bien désignés. Je veux dire que c’était des gens
sérieux, honnêtes, capables, menant des analyses propres, je les ai choisis parmi
ceux-là, parmi les frais et moulus, ou encore en analyse, et ils ont reçu ceux qui
eux-mêmes se trouvaient, se croyaient en état ou humeur de témoigner de leur
affaire.

JORION – Est-ce qu’il n’est pas significatif que c’est précisément sur ces
problèmes de didactique, de reproduction qu’achoppent les organisations ?

LACAN – Oui, mon cher, que ce soit significatif, c’est à peu près cela, mais que
ce soit significatif de quoi ? […] Il y a quand même organisation et organisation.
Il s’agirait justement d’apercevoir que c’est vrai qu’il faudrait au moins pour le
discours analytique qu’il en sorte, si c’est possible. Il faudrait un tout autre mode
de reproduction ; si je puis dire. C’est très bien votre rapprochement là. Il se fait
que cela va très bien. C’est aussi ce qui résulte de ce que j’appelais hier le discours,
n’est-ce pas, ce qui résulte de l’existence du discours du maître. Il en résulte des

125
races qui se reproduisent, je veux dire qu’il faut avoir une notion de race tout de
même, une approximation qu’il faut juste prendre ne fût-ce qu’au niveau de
l’horticulture ; on y voit bien que […] parce que là…, on produit et on reproduit
des choses qui ne passent pas par le sexe, mais par…, on prend une serpette, on
fait des greffes, on fait ce qu’il faut pour produire (7)des fleurs particulièrement
soignées. Le discours du maître, c’est ça qui fait l’être parlant. Le maître, ça se
reproduit. Il y a la race des maîtres qui se perpétue. Et celle des esclaves. […] Il
est absolument clair que Freud a choisi dans ce sens, à savoir que la psychanalyse
se reproduirait de la même façon. Il a voulu au moins que ce qu’il avait sorti ne
se perde pas.

[…]

Il faudrait voir comment pourrait s’animer notre mode de reproduction. Alors


j’ai voulu d’abord essayer comme ça d’introduire ça par des choses qui s’écrivent,
qui sont tout de même publiées, là, à la portée de tout le monde, dans le numéro
2/3 de Scilicet. Il y avait hier un type très gentil, assez astucieux qui m’a posé des
questions, et comme ce n’était pas des questions décourageantes, j’en ai profité
pour glisser que j’ai travaillé durant l’année sur ça ; l’approche, la façon de cerner
montrait en tout cas d’une façon plus sensible avec des petites lettres, que enfin
c’est fondamentalement différent de tout ce qu’on avait écrit.

JORION – Et le discours de l’universitaire ?

LACAN – Il est certain que les deux ont partie liée, enfin n’est-ce pas. Je ne
peux pas entrer ici dans les détails. Mais ce que je voudrais vous dire, c’est
quelque chose dont… malheureusement j’y arrive pas à ce que quelqu’un tout de
suite en témoigne, l’écrive ; enfin, c’est une façon de parler, parce qu’au niveau
de ceux qui recueillent le témoignage des passeurs, à savoir ce que j’ai institué
comme… en gardant autant que possible les anciennes dénominations, j’ai
maintenu ce terme de « jury d’agrément », il y a bien quelque chose, c’est ce dont
je parlais tout à l’heure, du dignus est intrare, et comme après tout cette passe était
faite pour sélectionner des gens dont on avait au moins le sentiment qu’ils sont
au fait de ce frayage, n’est-ce pas, eux après se sont exposés alors à ceci que c’était
dans l’épreuve de la passe et dont on a recueilli quelque chose qui soit assez porté
pour qu’on puisse le considérer par la suite, que sur ce plan-là, sur ce plan-là
seulement, ils étaient en position pour poursuivre le travail, c’est-à-dire pour
poursuivre un mode tout à fait différent de recrutement de ceux qui sont en
position de donner le dignus est intrare, comme ça, en conservant quelque chose
qui était déjà un premier frayage ; le terme d’analyste de l’École chez nous a un

126
autre sens que membre dit titulaire ailleurs. Ces analystes de l’École étaient des
gens qui ne recevaient pas pour autant la consécration de l’expérience […]. J’ai
voulu prôner un recrutement qui soit plutôt un recrutement plus jeune que ceux
qui se trouvent simplement avoir, alors vraiment pour l’extérieur, parce qu’il faut
bien conserver quelque chose qui ait une surface, n’est-ce pas, pour l’extérieur,
le titre d’analyste membre de l’École ; cela fait A.M.E., c’est amusant, et c’est
celui à propos duquel l’École reconnaît qu’il a vraiment une pratique d’analyste
et qu’il peut rendre un témoignage de sa pratique […]. Et on peut aussi souhaiter
que la personne en question soit tout de même capable d’élaborer quelque chose,
un travail. Quant aux A.E., c’était l’idée d’un travail en flèche, ils seraient
spécialisés dans cette interrogation de la formation, de ce que c’est, comment
être sinon s’autoriser analyste ; et tout donnait le sentiment qu’en effet, c’était
une voie, il y en a qui sont de ce registre-là. Alors ce que je voulais dire, c’est que
jusqu’ici, cela ne nous a pas amené à recrutement large. Il faut dire que des A.E.,
on n’en a pas estampillé beaucoup, ce qui fait déjà quelques années qu’il y a cette
expérience. Il y a toutes sortes de choses curieuses. Les gens qui étaient des
analystes installés […] cela les avait forcés […] à cette introduction, par cette
voie-là ; à la fonction d’A E. C’était certainement pas ceux qui étaient déjà plus
installés qui se (8)trouvaient en mesure, comme il fallait s’y attendre, de porter un
témoignage chaud de l’expérience qui les avait amenés là, et c’est dommage dans
la mesure où les meilleurs doivent savoir tout de même quelque chose, malgré
une certaine distance qu’ils ont pris par rapport à ce moment justement, à ce
moment crucial du passage, du passage à l’acte. C’est de ça qu’il s’agit, pas un
acting-out, mais du passage à l’acte. C’est précisément ce qui est véhiculé par ces
travaux concernant un certain champ, celui du passage à l’acte. C’est ce à quoi,
vous voyez, je fais toujours allusion et maintenant j’arrive à la dire […]. C’est que
les passants en arrivent par cette expérience de la passe, à un résultat absolument
pas croyable, à une précipitation de tas de choses qui étaient là encore en suspens
dans leur analyse. […] De même, et vous voyez comme tout ça, c’est d’une
relation très très complexe, il n’y a pas d’exemple où le témoignage des passeurs
eux-mêmes n’était…, c’est les passeurs qui montraient même souvent le
témoignage le plus saisissant, dans la mesure où même maintenant […] cette
expérience de la passe était pour tous […] une chose absolument consumante,
brûlante, absolument chavirée, n’est-ce pas, et ça se voit dans des effets qui
étaient absolument considérables.

[…]

Mais c’est quand même par cette voie qu’on a une toute petite chance d’avoir
de la formation de l’analyste une vue qui soit par cette routine, cette

127
automatisation de ceci qui se résumait jusqu’à présent, en quelque sorte, à
attendre le temps qu’il faut pour qu’un type soit assez vieilli sous le harnais, pour
qu’il soit consenti par un de ses collègues, reçu comme A.M.E. Ce très vieux
mode de recrutement est très général, et surtout dans l’administration, ce qui dit
très bien ce que ça veut dire […]. On va s’efforcer de le conserver pour tout ce
qui est des rapports avec l’extérieur. Mais alors qu’est-ce qui en règle le relief
propre, du discours analytique qui est quand même autre chose ? Qu’est-ce qui
le distinguerait d’une vieille routine, comme ça, de culture, d’horticulture. Là
aussi, il faut bien en passer par là, par l’idée qu’il y a une autre voie, un autre type
de sélection ; enfin évidemment, cela nous force à sortir de ce champ de
l’horticulture. […]
Personne ne sait à peu près combien de temps il faut pour domestiquer le
chien, le chat… C’est très amusant de penser à leur descendance, à ces animaux
très spécifiquement domestiques ; n’est-ce pas. Il y a quand même un moment
où ça a commencé. Imaginons que le chien ait été créé en même temps que
l’homme, et que pour lui rendre service, il y ait eu un moment où c’est l’homme
qui […] Pourquoi est-ce qu’il ne ferait pas ça avec n’importe quelle espèce
animal ? Il arrive quelque fois d’ailleurs que des animaux de ce type soient très
parasites et ne sont pas domestiqués.
[…]
On aurait tort de ne pas s’apercevoir de ce que l’on constate autour de soi, qu’il
n’y a pas un seul propos humain qui ne soit profondément enraciné dans le
racisme, « enraciné » dans la racine. Tous, tels que nous sommes ici, nous
sommes tous des racistes, tout le monde en plus le sait, tout le monde passe son
temps à tout faire pour que pratiquement finisse la race, mais il est tout à fait
clair que c’est absolument indéracinable. S’il y a quelque part une petite chance,
c’est au niveau de l’histoire analytique, c’est la seule qui soit arrivée à décoller
quelque chose comme « autonomisant » (hm)…
[…]
Ce qui est important, c’est que le discours analytique nous permet d’être sûrs
de ça ; à soi tout seul, c’est justement le témoignage que quelque chose se décante
par du réel, n’est-ce pas, d’une façon qui vaut la peine d’être retenue en sa faveur.
Alors, c’est ça, nous sommes dans cet espoir, cet espoir qu’on pourrait vraiment,
ce que je disais tantôt, lui donner son (9)statut propre, et ça passe dans un mode,
un type différent comme production. Mais bien entendu, c’est pas du tout pour
dire que la mythologie du père… L’idée donc, c’est un témoignage latéral où
nous sommes, d’une place où on peut s’apercevoir de ça, se rendre compte sur
quoi c’est fondé, n’est-ce pas. Ce qui ne veut pas dire qu’on sera analyste de père
en fils, c’est même tout le contraire. Mais enfin, il y a là quelque chose qui est à
mettre à l’épreuve, et c’est pour ça qu’il n’y a rien de plus important qui peut se

128
passer actuellement lorsque nous sommes réduits à l’épingler comme ça. Si on
ne fait pas très attention, c’est là qu’on pourrait parler de groupe analytique. C’est
très précisément justement un piège qui est assurément offert là par quelque
chose qui est même démontré, que pour un rien, c’est là qu’on se précipiterait
tête baissée, à savoir dans une porte sans issue ; encore que l’analyse justement
ait permis enfin d’introduire une pratique, ce que j’appelle ses preuves, ses
expériences de groupe ; ce qui n’est bien sûr justement possible que parce que le
discours analytique est ce qu’il est ; c’est justement parce qu’il est ce qu’il peut
s’isoler là comme l’autre champ que je venais de dire. On peut considérer le
groupe dans sa dynamique propre, n’est-ce pas, il est très certain que c’est pas de
là qu’on peut partir, parce que s’il y a quelque chose qui est absolument soumis
à toutes les captures de l’imaginaire, c’est tout ce qui est justement de cet ordre.
C’est ce qu’il faudrait éviter, c’est ce qui est en fin de compte le plus
caractéristique de ce qui fonctionne en fait, c’est que les analystes forment des
groupes. J’ai même aussi tâché de voir si on ne doit pas sortir de ça, parce que
ça, c’est incontestablement une voie sans issue. C’est aux rapports de groupe
qu’on se fie pour des solutions à ce problème, de la reproduction des analystes.
On n’arrivera certainement à rien qu’à s’enfoncer un peu plus. Enfin, ce qu’on
peut dire, c’est que ça fonctionne pour l’instant à plein, n’est-ce pas. Voilà, j’avais
comme ça ponctué ces choses pour quelqu’un qui me semble être à un moment
sensible de son agrégation, comme on dit, c’est-à-dire à ça, n’est-ce pas, entrer
dans un groupe. J’en ai profité pour lui dire que mes essais de poser la question,
n’est-ce pas…, que cette question s’est posée quelque part, dans ce drôle de lieu
de passage qu’est l’École à Paris. Je ne sais pas si j’en aurais jamais les premières
semences levées. J’ai apporté plus tard quelque chose qui n’est même pas…,
enfin je n’ai aucune raison de sortir la façon dont je l’interprète comme aucune
raison de le sortir très naturellement parce qu’il faut vraiment la clarté plus d’une
fois, si on veut là la promesse ; enfin je vous ai dit le résultat tout à fait dominant,
absolument éclatant, de cette mise à l’épreuve, de ce qu’il en est de la formation
de l’analyste. Voilà je voudrais bien que quelqu’un d’autre sur cette base ou sur
une autre, pose une question.

JORION – Je vous remercie d’avoir évoqué ces deux spectres qui me


semblaient avoir hanté les journées parisiennes, qui étaient donc d’une part
ceux qui sont sortis, et puis le problème de papa et maman.

LACAN – Oui, enfin, je ne sais pas ce que vous en avez ressenti, de ces journées
parisiennes. Enfin, comme vous l’avez vu, j’ai exprimé mon sentiment à la
tribune, il était moins déprimant pour moi que pour beaucoup d’autres, peut-être
que je suis trop intéressé. C’est possible… Mais ces élucubrations sur Abraham

129
et Isaac et la suite, ça signifie quand même quelque chose ; oui… C’est pas…,
c’est une voie dans laquelle j’avais au début d’une année beaucoup de choses à
dire, c’est l’année où on n’a pas voulu que je continue, de sorte que je n’y
reviendrai pas, sur cette histoire biblique. Je n’y reviendrai pas parce que ça a
perdu pour moi son actualité. Mais il y a d’autres biais par où le prendre ; les
remarques que j’ai faites aujourd’hui par exemple sur la distinction radicale du
père et (10)du géniteur, c’est un biais qui irait parfaitement pour Abraham, Isaac,
Jacob. Cela aurait peut-être intéressé ceux qui restent vivement attachés à un
certain phylum qui n’est pas rien dans l’analyse, cela aurait peut-être pu leur
donner quelques petites lumières. Mais c’est justement ceux-là qui ont mis un
terme à ce moment-là à mon discours. Qu’ils se démerdent maintenant, avec leur
histoire.

PATSALIDES – Vous utilisez souvent l’expression suivante : le discours du


maître. Qu’est-ce que c’est ?

LACAN – Vous n’avez pas remarqué que c’est quand même une chose étrange,
que dans l’espèce parlante l’obéissance existe. Non seulement elle existe, mais
c’est là dedans qu’elle se déplace.
En fin de compte tout de même, le discours du maître, comme ça au départ, il
est évident que ce soit un discours fondamental.
Nous trouvons chacun notre place. Il y a que c’est cela qui est le premier
élément de toute topologie. Il faut vraiment accéder à ce qu’il y a de plus tordu
pour avoir l’idée de ce qu’est la topologie.

PATSALIDES – Mais le terme discours laisse entendre qu’il y a autre chose à


entendre que le discours du maître.

LACAN – Le terme discours… oui, bien sûr, naturellement, puisque c’est tout
ce que je viens d’essayer de dire ; c’est que par la voie de quelque chose qui ne se
révèle pas du tout au premier temps, enfin, par la voie de quelque chose que
j’appelle la topologie, nous pouvons nous apercevoir de ce qui lie le discours du
maître à quelque chose qui ne trouve peut-être pas son ressort d’une façon aussi
simple qu’il apparaît, à savoir…, dans cette fonction d’obéissance n’est-ce pas, il
y a des points de torsion, il y a des couloirs qui se créent, qui montrent que la
topologie n’est pas si ronde que ça. C’est justement à s’attacher à ça que le
discours analytique peut montrer sur quoi repose cette formidable « soufflure »
du discours du maître que nous habitons depuis toujours, si je puis dire. C’est ça
que l’analyste investigue : c’est des gens qui sont entortillés autrement qu’on peut
croire. On appelle ça des névrosés. Il y a évidemment une autre topologie que

130
cette sphéricité. Mais enfin, il faut s’y intéresser (hm), c’est déjà une drôle d’idée
de ce que ça marche si bien comme ça, tout seul, depuis toujours que… (hm)
franchement on ne voit pas pourquoi on en changerait. Mais il apparaît depuis
quelques temps qu’il y a… enfin toutes les trouvailles de Freud, cette insistance
d’une demande qui ne signifie absolument rien d’autre qu’une insatisfaction
fondamentale (hm). C’est à ça que l’analyse fait un sort ; l’analyse n’est pas
définissable autrement. Que cette chose qui a toujours en fin de compte été là, à
la portée de tout le monde, et même qu’une partie de l’art, de la littérature
explore, à savoir que ça ne va pas du tout comme ça. Il faut monter, imaginer,
élucubrer autre chose, mais on s’en accommode fort bien. C’est ce qu’il montre,
ce rapport bizarre qu’on appelle les lettres, les arts ; enfin on a bien isolé le
phénomène et on vit avec. C’est une tumeur (hm). Oui, en sorte qu’on n’a jamais,
jamais tiré les conséquences. Cela a l’air très sauvage, ce qu’en dit l’analyse, et ça
l’est. C’est tout à fait évident. C’est pas bête du tout la façon <dont> l’analyse a
reconnu là les effets qualifiés comme ça, de – elle ne sait pas très bien ce qu’elle
dit, la psychanalyse – de sublimation ; avoir déjà permis d’épingler ça, c’est déjà
en soi tout seul un drapeau levé, enfin. Tout ce qu’a dit Freud là-dessus est
évidemment très lourd,… et ça continue. Mais c’était quand même génial de
s’apercevoir que c’était là un point d’exclusion, n’est-ce pas. Ce qu’il en dit en
commentaire est court, d’un côté, on ne peut plus être reconnaissant de dire des
choses courtes parce (11)que c’est elles qui portent (hm).

X – Vous venez dans votre discours de définir, à travers tout ce que vous
venez de dire, ce qu’est une fin d’analyse. Vous l’avez défini à travers
justement ce passage de la parole vide, pour comprendre ce qui finalement
peut être considéré comme la fin d’une analyse, qui arrive là où le sujet se
trouve alors devant lui-même, et doit y faire face.

LACAN – Ça, c’est certain. Ce que j’ai consenti avec mes petites lettres, ça a
l’avantage de montrer, enfin de donner à… mettre à l’essai un certain nombre
d’interprétations, parce que dans ce que j’ai écrit dans mes tableaux, ce que
j’appelle mes quadripodes15, S1, c’est en somme la même inscription que ce S1

15 . Les quatre discours :


discours du maître discours de l’hystérique
S1 S2 S S1
___ ___ ___ ___
S a a S2
discours universitaire discours analytique
S2 a a S
___ ___ __ __

131
qui, dans le discours du maître, se situe exactement dans la diagonale, je l’ai mis
là au niveau de la production du plus-de-jouir. Ça a l’avantage d’introduire au
moins la question enfin, puisqu’il s’agit de produire le discours du maître. Et
pourquoi pas ? Ils passent leur temps à faire ça (hm) ! Je te laisse avec un Moi
fort. Qu’est-ce que cela veut dire ? C’était pas ça. Enfin, pour l’instant, c’est la
doctrine. L’interprétation de S1 à droite en bas, c’est quelque chose dans lequel
les analystes comme ça formés auraient pu se trouver comme poisson dans l’eau.
Ils y auraient trouvé, dans ce que je dis, une confirmation de leur système. Ils ne
s’aperçoivent même pas de ça, ils ne peuvent même pas s’apercevoir comment
ils pourraient se servir de moi ! C’est quand même un signe.

X – Parce qu’ils se réifient… probablement.

LACAN – Vous supposez ? Tout est là ! C’est là qu’est la distinction. Oui, enfin,
cela mériterait quelques commentaires… Enfin, une analyse, ça se termine bien,
ou ça se termine mal. On doit admettre que, si à sa suite, quelqu’un devient
analyste, cela se termine mal (hm). Mais, c’est tout de même par là qu’il faut en
passer, pour parler du discours analytique. C’est un peu provocant, ce que je dis,
cela n’a pas d’autre valeur que de provocation.
[… ]
Quand je dis, ce n’est pas de l’analyse terminée, c’est pour mettre l’accent sur
ça se termine. Quand on suppose que c’est terminé, cela ne veut pas dire que
l’analyse est ratée. Ce n’est jamais raté, une analyse. Cela veut dire, dans ce cas-
là, qu’on tombe dans le trou. Mais il est peut être nécessaire qu’il y ait un certain
nombre de personnes qui tombent dans le trou… Ça motive, ça présentifie pour
les autres le problème, ce dont il s’agit depuis le temps que ça tourne… Le propre
de la langue, c’est qu’elle permet comme ça quelques petites astuces
grammaticales, ce qui permet de (12)différencier…, c’est ça la précieux, le précieux
je souligne. On ne peut parler qu’en style précieux. C’est ce qu’on a fait d’ailleurs.

[…]
JORION – Je voudrais encore vous demander quelque chose. C’est à propos
des quadripodes que vous venez d’évoquer, la façon dont ils tournent. Il m’a
semblé justement à ces journées parisiennes qu’on arrivait à ce quatrième
moment, et qu’on assistait dans la bouche de ces jeunes dont vous évoquiez
la fraîcheur, à l’avènement d’un nouveau héros, celui qui dit la vérité, celui
qui fait la théorie, qu’on appelle indifféremment l’hystérique et l’analysant,

S1 sS S2 S1

132
est-ce que c’est la même ? Est-ce que nous arrivons à ce quatrième moment,
où l’analyste va être détrôné par celui qui parle chez lui ?

LACAN – Il y a longtemps que l’analyste est détrôné par celui qui parle chez
lui, oui. Le fauteuil analytique, c’est pas un trône, hein ! Freud n’était pas du tout
installé sur un trône ; il a même passé son temps à dire qu’il était prêt à rengainer
toutes ses théories devant, simplement le […] de ses patients, puisque c’est
comme ça qu’il s’exprimait. Il n’a jamais considéré… Ce qui est fou, c’est qu’il
ait réussi à nous livrer la suite de ses élucubrations, et je dois dire qu’il n’y a rien
de plus passionnant que cette série de substitutions, ce qui recouvre chez lui un
mode d’existence tout à fait fameux. C’est en ça que vraiment il est un type de
frayeur de loi. Ce qui est amusant, c’est que je ne sais plus qui employait de moi,
l’expression de fragmentaire, à propos de – simplement il était venu à la petite
convocation hier, je ne sais pas s’il est là, enfin, il faisait partie de ce qu’on a eu
la gentillesse de m’apporter comme échantillon de ce que je devais rencontrer le
soir –, il soulignait comme une des faces de la façon dont j’essaye de
communiquer quelque chose, ce caractère fragmentaire. Je ne sais pas si ça peut
convenir, mais je crois que si ce n’était pas fragmentaire, je serais rentré dans la
plus vieille des ornières, celle qui consiste à croire qu’il y a un monde comme ça,
où on peut saisir. Tout ça nous donne la petite idée d’où nous en sommes.
Évidemment, cela fait partie de notre constitution. Il faut absolument ça. Il n’y
a pas une seule personne qui puisse se rencontrer et qui n’ait pas vraiment sa
petite idée bien totale du monde. C’est peut-être un organe comme le poumon,
n’est-ce pas, un drôle d’organe, oui. Il n’est pas sûr qu’on puisse aussi respirer
autrement. Enfin, que Freud soit fragmentaire, c’est ce qui est vraiment énorme,
c’est que ce ne soit pas la première chose sensible à quiconque ouvre son œuvre,
et ce rien que déjà par la distance fabuleuse qu’il y a de la Traumdeutung à ce qu’on
a réuni sous le nom des Essais de psychanalyse. On ne peut pas ne pas être sensible
au chemin parcouru, au fait qu’il s’agit de deux émergences. J’ai essayé de dire ça
hier soir, très rapidement. Ce qu’il y a d’inouï de plus, c’est que tout ça soit épinglé
dans Freud ; mais de là à penser que comme c’est signé Freud, tout ça fait un
système, cela servira à tout ce que l’on veut, à un chausse-pied, on fera entrer le
pied dans la chaussure, de force ; même si la chaussure claque ou si le pied perd
corps, on y va ! Du moment que c’est Freud, ça ne peut être qu’une
Weltanschauung, ce que la plupart traduit par conception du monde. C’est comique
(ha), oui. J’ai été un jour convoqué, invité par un cercle d’études marxistes, qui
avait je ne sais quel président, j’ai oublié son nom, qui a commencé par parler de
Marx, en lui accolant immédiatement le terme de Weltanschauung. Enfin s’il y a
quelque chose qui va exactement contre, c’est la pensée de Marx. Enfin, qu’est-
ce qu’ils disent, alors là suspendus sur certains points comme ça, et ça comporte

133
des suites à proprement parler incalculables, et dénommées pour lui, par lui
comme tel. S’il y a quelque chose qui originalise Marx, c’est bien ça. Notez qu’il
a mis Hegel sur ses pieds, sur sa tête, peu importe, c’est une métaphore qui n’a
strictement aucun sens, enfin…

(13)MALENGREAU – Je voudrais dire quelque chose. J’éprouve un certain


malaise par rapport aux questions qui sont posées. C’est qu’en vous
demandant de venir parmi nous, on espérait débattre avec vous des
problèmes qu’on a entre nous.

LACAN – Eh bien, allez-y, mon vieux ! C’est exactement ce que j’attends. Bon

MALENGREAU – Alors j’aurais deux questions à poser. D’abord à propos du


racisme. Il y a quelque chose qui m’a frappé. Il y a un racisme aussi des sujets
dont on peut parler. Il y a des sujets qu’il est très difficile d’aborder dans
l’École ici, et c’est d’abord la question même de la formation du
psychanalyste, à savoir qu’il y a certaines règles qui ont été énoncées par
l’École, mais qui ne sont plus remises en question, ou qui ne sont plus
rediscutées par l’ensemble des participants. L’autre question qui me semble
faire problème, pour moi en tout cas, c’est la place qu’occupe la formation
universitaire par rapport à la formation du psychanalyste. Je veux dire que
personnellement j’ai une dette énorme par rapport à l’enseignement
universitaire, mais il reste quand même une question, à savoir, pour une
école de psychanalyse, que signifie la formation de l’universitaire. Voilà deux
thèmes en tout cas qui me semblent faire partie des débats que nous avons
eus entre nous, en petits groupes ou en groupes plus élargis, et que je
souhaiterais pouvoir rediscuter.

LACAN – Oui, mais est-ce que très concrètement, est-ce que c’est vrai que ce
que je viens de dire là, et que j’ai énoncé dans ce qui s’appelle ma proposition, ce
quelque chose de tout à fait hypothétique dans l’École, est-ce que ça ne vous
paraît pas être proprement du champ de vos questions… Oui, mais ça, c’est votre
affaire, oui ! Oui, bon, à ce propos-là, je pense tout de même, j’ai dit quelque
chose en disant que… dans la mesure où les choses en sont là, ce que cette
proposition a apporté est ferme, ne serait-ce ce minime effet que ça profite
littéralement à un certain nombre de gens […] des plus fervents, qui n’étaient
pas les derniers venus, et qui ont cru devoir partir. On pourrait même croire que
ça m’a affecté […]. Eh bien, non, j’ai pas de cœur, quoi, je vous demande pardon.
Enfin, c’est pas du tout propice à la fonction de l’analyste, je dirais même que
c’est peut-être une objection d’entrée ; en plus, ce que je dis là, tout le monde le

134
sait, enfin, je dirais même plus qu’on a fondé là-dessus tout un type d’attitudes,
la fameuse neutralité, qu’est-ce que ça veut dire ce terme. C’est ce que je viens de
dire. Bon, il faut…, enfin, tout est là. C’est toujours la même chose, avec le
langage, c’est que si on emploie de ces termes, comme ça un peu abstraits, ça
permet de se dérober enfin n’est-ce pas ; la neutralité, c’est très souvent une
manière d’alibi, n’est-ce pas. Si je le disais comme ça, cela aurait peut-être plus
de portée, on verrait très bien où est pointée la visée du terme neutralité… Bon,
alors, je vous renvoie la balle. C’est pour autant que vous le puissiez, parce qu’il
faut encore savoir ce qui peut vous empêtrer au niveau où ce problème est chez
ceux, pour qui ce problème a de l’importance. C’est à vous de le faire passer par
la voie qui vous semblera la plus convenable. Je ne suis pas du tout en train de
vous dire que ma proposition soit là l’articulation fondamentale, j’ai cru pouvoir
la choisir comme tenant un point d’appui à un certain mode d’interroger ; vous
avez à vous interroger par rapport à ce qui est le terme que j’ai appelé tout à
l’heure le groupe. Il me semble que sur le discours universitaire, puisque c’est
comme ça que je l’intitule, vous avez dit vous, formation universitaire, vous
semblez au moins éveillé à ceci que, la formation universitaire vous paraît d’un
autre style que de ce que comporte la formation de l’analyste. Cela ne vous
empêche pas bien sûr de (14)savoir ce que vous lui devez, à cette formation
universitaire, et de ce que vous pouvez vous en extraire, c’est ce que je vous dis,
c’est votre affaire. Dans l’état actuel des choses, il ne me semble pas que je puisse
faire plus que d’indiquer ce que j’indiquais tout à l’heure. Maintenant c’est à vous
de voir comment quelque chose après tout n’a rien à faire avec un champ sur qui
j’ai d’autre autorité que votre référence à ce que je dis, enfin. C’est à vous de voir
et de faire, n’est-ce pas, avec cette indication que j’ai donnée dans un article de
logique, que la hâte peut avoir une certaine fécondité proprement logique ; il y a
toujours un moment où ce qui se passe est passage à l’acte, est une bascule, n’est-
ce pas. Il est évident qu’il vaut mieux avant avoir bien compris. Mais il n’y a pas
moyen d’éviter ce je ne sais quoi de hâtif dans le moment de conclure. Vous avez
assez présent le texte auquel je fais allusion, qui s’appelle le temps logique.

BAUDSON – Je voudrais dire quelque chose. J’ai l’impression qu’on vous met
dans une situation ambiguë, c’est-à-dire, on vous demande à. la fois de vous
situer comme tiers, et il me semble que l’École, au niveau où elle se trouve,
a besoin de se situer par rapport à un tiers, et en même temps, on vous
demande de répondre au niveau du savoir, et de prendre position par rapport
à un certain nombre de choses ; et il me semble qu’il est très difficile de jouer
à la fois sur les deux plans.

135
LACAN – Pour moi, j’aime ça. Mais je pense que je n’ai même pas besoin de
montrer, ni de savoir que […]. Il est certain qu’il y a une place de l’analyste par
rapport au savoir qu’il faut maintenir, et pour en revenir toujours à son
quadripode, qu’il faut maintenir à une place tout à fait éminente.

BAUDSON – Il me semblait que les gens vous posaient au début la question


de savoir comment nous nous situons en tant que groupe. Il me semble qu’il
y a ce désir de se repérer par rapport à un tiers, et ce de manière plus intense
qu’auparavant.

LACAN – Oui. […] Je n’en vois pas du tout l’inconvénient. De toute façon,
c’est vrai qu’une touche de présence y apporte une dimension disons d’exister.
Mais (ha) ce n’est pas depuis aujourd’hui que je prends cette position de tiers…

BAUDSON – Mais je crois qu’il y a quand même quelque chose de très


différent à cette référence justement, à votre manque à être et à cette
référence à vous en tant que personne concrète, vous parlant.

LACAN – Oui, c’est bien possible. Mais enfin, j’ai été accueilli ici d’une façon
si sympathique, si charmante et si comblante même par certains côtés, parce que
je ne peux pas dire qu’on m’ait refusé ce que je voulais, puisqu’au contraire, on
me l’a donné avec surabondance.

BAUDSON – Mais je crois que vous en avez besoin.

LACAN – Et je suis prêt, quand cela vous chantera, de revenir. Il faut quand
même reconnaître des charmes de ces ombrages splendides, n’est-ce pas. C’est
vraiment un endroit très agréable pour converser (ha). Enfin, je ne peux pas dire
si ce serait à votre gré ou pas que je vienne tous les huit jours.

QUINTART – La question, si je comprends bien le débat actuel dans l’École,


est celle-ci : faut-il avoir une formation universitaire pour entrer dans
(15)l’École…, entre autres, c’est une question.

LACAN – C’est une question, si par exemple, elle pouvait se transformer dans
celle-ci : est-ce qu’il y a objection à une formation universitaire pour entrer dans
l’École ?
Alors à ceci, je répondrai naturellement en racontant comme ça, il m’a semblé
posément, la situation là où j’ai introduit, je crois avoir introduit un certain style,
il est certain qu’il en résulte, me semble-t-il, en général dans l’École, dans l’École

136
freudienne de Paris, puisque c’est comme ça qu’elle s’intitule, il en résulte
certainement que le recrutement n’est pas du tout spécialement universitaire, on
peut vraiment vous dire qu’il y a des gens de toutes sortes de bords, dont on ne
peut pas dire que ce soit la formation universitaire qui les ait… Mais ça, ça peut
être dû à toutes sortes d’autres éléments de la configuration. Je crois qu’il est très
important qu’il n’y ait pas une dominance, une concertation, des habitudes ; enfin
ça a un sens le mot habitude, c’est que pendant des siècles on a parlé de ça, et
c’est pas des choses idiotes qu’on en a dites. Il est certain que ce serait mieux de
se débarrasser des habitudes, de là à dire que le seul fait de devoir, qu’on doive
une dette de méconnaissance, – comme le disait là, avec beaucoup d’authenticité,
qu’il semblait à mon interlocuteur, là, à gauche, qu’on ait une dette à la formation
universitaire –, il semble que ce serait aller un peu loin que de penser que ce soit
en soi une charge trop lourde, que pour s’engager dans la formation analytique.
Je crois quand même que ça mérite en tout cas d’être mis à l’épreuve, mis à
l’épreuve après un temps d’expérience qui justement découlerait de ceci, que ce
serait à partir du moment où on est dans le champ du discours analytique, que
ça serait un tout autre mode d’habitude dont on essayerait de frayer la voie ; alors
qu’on s’aperçoive à ce moment-là qu’il n’y a pas de doute, que l’université est de
nature absolument rebelle, ça mérite quand même d’être soumis à un certain
temps d’épreuve. Voilà me semble-t-il quelque chose qui paraît mesuré,
raisonnable, et en ceci que, il me semble quant à moi, vis-à-vis de ce à quoi j’avais
affaire, j’ai pas procédé en quoi que ce soit par l’abolition de tous les statuts en
quelque sorte acquis précédemment, d’autant plus qu’après tout, ces statuts
n’étaient quand même pas si mauvais, qu’ils découlaient de quelque chose, d’une
voie peut-être en impasse, mais quand même une voie qui ait permis à ce
mouvement, pour l’appeler par un autre mot que discours, à ce mouvement
analytique, de subsister dans un certain sens qui doive à moment être mis en
question, si on veut rester dans une ligne qui soit suffisamment élaborée, fondée
de ce qui est à proprement parler le discours analytique, oui, bien sûr ; mais enfin,
j’ai pas dit dans ma proposition, j’ai pas proposé tout d’un coup que tout le
monde soit remis sur le même plan et au même pas, et que tout le monde déclare
que tout ce qu’il pouvait avoir acquis comme expérience, devait être considéré
comme nul et non-avenu, et qu’il se trouvait sur le même pied que le débutant,
je n’ai absolument pas imaginé un seul instant que cela soit possible. À ce titre
ce que vous pouvez vous-mêmes en porter, à voir même jusqu’à un certain degré
d’évidence, l’allégeance à la formation universitaire, ça peut en effet très
sérieusement être mis en question. Mais je dirais que c’est votre affaire,
justement. C’est, enfin…, il paraît difficile, à partir du moment où vous êtes
analystes, que même les plus universitaires d’entre vous, ne soient pas…, enfin,
qu’il n’y ait pas quelque chose qui vous soit sensible tout à fait indépendamment

137
du discours, évidemment le discours étant un mode de cristallisation, que vous
ne soyez pas sensibles au fait qu’il fallait faire… ; il y a une rupture désirable qui
est en quelque sorte inhérente au fondement du discours analytique, et
certainement il en résulterait des effets, n’est-ce pas, le minimum étant des effets
ruineux (hm). Bon mais, il faut pas avoir peur de payer le prix, (16)parce que c’est
la règle générale, n’est-ce pas. Dans l’institution universitaire, en tant qu’elle est
fondée, qu’elle existe, là aussi on paie le prix ; on paie toujours le prix de ce dans
quoi on s’insère ; c’est très curieux que cette notion, pourtant de toujours et qui
est si présente…, et qui a toujours été manifeste pour tout le monde. Je ne sais
quelle béatitude, issue des aspirations comme ça, tend à l’oublier comme ça.
Depuis que ça existe, enfin, il faut toujours payer le prix (hm). Il s’agit justement
de savoir ce qu’on est prêt à sacrifier, à une certaine visée, à un certain acte.

LEBRUN – Mais il me semble que cela ne soit pas seulement notre affaire,
parce que c’est quand même bien vous qui venez de redéfinir l’analyse
comme quelque chose qui réserve un sort à cette demande insistante, et j’ai
un petit peu l’impression que, dans la mesure où nous sommes dans une
École d’analystes qui en partie quand même se réclame de vous, il y a aussi
ici des demandes qui se font insistantes, et on a l’impression qu’il ne leur est
plus réservé de sort.

LACAN – C’est quand même votre affaire que de le faire savoir !

LEBRUN – Oui, d’accord. Mais précisément dans la mesure où l’École ici qui
fonctionne, ne parvient plus à articuler quelque chose de ces demandes-là,
de cette écoute-là, de cette entente-là, il est évident qu’on se tourne en partie
vers celui qui a défini précisément l’analyse comme étant ça, et pas la
constitution d’un moi fort, la constitution de bons analystes, la constitution
d’analystes qui savent des choses, et qu’on se tourne vers vous pour que ça
se mette à ré-entendre si vous voulez. Ça me semble important.

LACAN – Vous remarquerez, au moins pour l’instant, que je ne vous ménage


pas mes réponses, et même je viens de dire quelque chose…, je suis prêt à
renouveler cette mise en présence. Croyez-vous que je puisse faire plus ?

LEBRUN – Non, mais j’ai l’impression que ça a un sens que ce soit ici que les
questions se posent de cette manière.

LACAN – Bon, maintenant, je crois que ça pourrait suffire, à moins que vous
ayez encore quelque chose à fournir.

138
JORION – Vous avez dit : « Quittez l’université », en 69, à Vincennes.

LACAN – Ah oui, j’ai dit ça ? D’une manière si impérative ? Cela fait partie du
discours du maître. S’il y a quelque chose qu’explique bien mon petit quadripode,
c’est ceci. C’est que contrairement à ce qu’on croit, la structure offre toujours
quelque part un trou, comme ça passivement. Dans quelque discours que ce soit,
c’est justement ce en quoi il est lié à la structure. Alors il est bien possible que, à
Vincennes, un jour, j’ai dit : quittez l’université. C’était certainement pas un
commandement ; c’était pour faire remarquer ceci : c’est que chacun de ces
discours, si vous y regardez de près, je le souligne comme ça, n’est pas quelque
chose à quoi on soit tout à fait prisonnier. C’est fait comme une nasse. Alors,
sortir d’une nasse, chacun sait que c’est pas facile, parce que sans ça on n’aurait
pas besoin de la construire, n’est-ce pas. En fait, quand on est dans la nasse, il
faut un peu d’astuce pour en sortir, il faut même beaucoup d’astuce, mais lorsque
j’ai dit : quittez l’université, c’était peut-être en rétorsion à je ne sais quoi, j’étais
interpellé, enfin, cela voulait dire, rien ne vous retient après tout ; c’était
évidemment une sorte de défi, parce que, au contraire, tout vous retient, non
seulement tout vous retient, mais je ne suis pas sûr même que tous ceux qui
restent d’une façon comme ça (17)pataugeante, c’est bien le cas de le dire, vous
l’avez vu exemplifié hier soir, je ne suis pas du tout sûr que, pour l’appeler par le
nom par lequel je l’ai épinglé, le fameux « émoi de mai », eut été en fin de compte
autre chose, parce que cela s’est démontré depuis, cela ne s’est que trop démontré
depuis, que… ce qu’on désirait, c’était que la nasse soit mieux faite, qu’on puisse
y être confortablement installé. D’ailleurs combien de ces contestataires se sont
vus introduits enfin, et se trouvent dans des places fort confortables…

X – Ils se seraient le mieux installés dans la nasse ?

LACAN – Oui, bien sûr, oui ? Alors, quittez l’université, je crois qu’il faut
parfois faire le compte de l’ironie dans ce que je dis.

VERGOTE – Il reste une heure.

LACAN – Je vous demande pardon mais j’ai envie comme cela de voir une série
de trucs qui sont là à ma portée. Je pars à 3h1/2. Et c’est très bien que, après
tout si vous le savez, vous pouvez me sortir les questions que vous pouvez avoir
à me poser avant mon départ. Comme je vous l’ai dit, je suis tout prêt à revenir
si vous y voyez quelque avantage. Mais on peut régler la chose d’ici une heure.
Je veux dire : que tous ceux qui ont une question à me poser la posent.

139
VERGOTE – Plusieurs se sont déjà annoncées. Peut-être serait-ce bien que
vous écoutiez quelques questions, ainsi vous pouvez faire votre choix et ainsi
on voit s’il y a une certaine convergence.

LACAN – Oui, c’est cela.

CORNET – Ma question rejoint ce dont il a été question en partie ce matin,


elle a aussi rapport à ce qui a été dit aux journées d’études de votre École.
Pour la poser, je partirai volontiers de la psychanalyse des enfants dont il a
été beaucoup question à Paris, sur une remarque de Dolto si je me souviens
bien ; il a été dit que les analystes chevronnés, et qui ont donc une longue
expérience, lorsqu’ils s’affrontent à des enfants en psychanalyse, de toute
façon doivent pratiquement « repasser sur le divan », à savoir parce qu’il y a
toute une série de choses qui dans l’analyse courante, didactique disons, ne
sont même pas effleurées, à savoir un certain nombre de pulsions partielles,
etc., et qui en face du psychotique ou des enfants sont mises en jeu et
réclament une autre tranche d’analyse.

LACAN – Vous évoquez là ce qu’a dit Dolto.

CORNET – Oui. je voudrais vous entendre parler à ce propos et notamment


quant à ce qui fait peut-être le plus résistance tant dans la didactique
maintenant que dans la formation analytique dans une école quant à ce genre
de question.
J’aurai une seconde question qui prend place dans notre séminaire de l’an
passé sur les indications d’analyse. Il y a une chose que je n’ai jamais pu
accepter pour ma part l’an passé, c’est qu’il semblait y avoir un consensus de
toute une série de gens sur le fait qu’une analyse en soi pouvait ne pas aller
au bout – je ne parle pas d’une analyse sans fin – pouvait ne pas aller au
bout, et que au niveau du corps par exemple il était souvent nécessaire de
mettre en jeu autre chose à côté ou après l’analyse, pour que ce qui avait été
le travail d’analyse s’accomplisse vraiment. Je parle des techniques de
psychodrame et de toute une série de technique de (18)groupe. Pour ma part,
j’ai toujours considéré – mais c’est seulement une pensée – que dans ces cas-
là, quand on en arrive à ce résultat, c’est que l’analyse n’avait jamais eu lieu,
qu’il n’y avait jamais eu vraiment analyse. Alors je voudrais vous entendre
parler à ce propos. Le corps en analyse, qu’est-ce qu’il en est…

140
LACAN – Il faudrait quand même que je sache parce qu’il faut quand même
que je dose mon temps.

X – C’est une toute petite question. Il y avait sur le programme que vous
diriez quelque chose sur le déclin du complexe d’Œdipe. Si vous pouviez en
parler. C’est une question très très simple.

VAN RILLAER – Vous avez parlé de l’agressivité, de la violence dans bon


nombre de vos écrits et c’est sans doute là que l’on trouve le mieux matière
à réflexion sur cette question. Est-ce que vous avez peut-être des choses à
ajouter par rapport à ce que nous pouvons trouver dans vos Écrits sur ces
questions brûlantes ?

JORION – Seule question de fait, on peut trancher simplement. Dans le


discours de Rome, la version qui a été publiée dans la psychanalyse et la
version qui a été publiée dans les Écrits, il y a une différence de lettre. À la
phrase de la dernière note, il est mis dans l’un un certain ton, dans l’autre un
certain don. Peut-on trancher quelle est la version autorisée.

LACAN – Ah… (rires). Si je savais le contexte.

JORION – Il s’agit des dons qui sont donnés par les vieux aux jeunes
analystes.

LACAN – Cela doit être équivalent quoi. Enfin je suis peu porté à penser que
pour être analyste ce soit lié à un don. Alors je pense que le plus vraisemblable,
c’est que c’est un certain ton. […] C’est même tout à fait le contraire de la
fonction analytique, c’est que cela ne nous vient pas du ciel.
Vous m’avez posé la question de l’agressivité. Vous savez quand même,
comme toute chose, les écrits cela porte sa date ; je veux dire que quand au moins
en France n’est-ce pas, les choses ont pris comme cela leur suite après la guerre,
c’était la note, presque la consigne n’est-ce pas, donnée dans la formation, c’était
très précisément dire que l’analyse comme telle était restée en route, parce qu’on
avait pas du tout analysé ou pas assez analysé l’agressivité ; et vraiment du moins
en France, on n’avait pas assez vu ou laissé passer l’agressivité. Il est certain qu’à
un certain niveau enfin, c’était peut-être en effet justifié enfin, mon effort à ce
moment-là, et il y a beaucoup de choses qui en portent la trace ; encore quelque
chose comme la direction de la cure et les principes de son pouvoir portent la
trace de ce qui était à ce moment-là une opinion qui s’avérait dominante dans la
psychanalyse. Ce que j’essaye de dénoncer dans la direction de la cure et les

141
principes de son pouvoir, c’est justement la contamination qui en résulte et qui
est liée à des faits de langage, n’est-ce pas, le terme de résistance qui […] ; c’est
vraiment ce sur quoi ont porté les premiers séminaires n’est-ce pas ; c’est que la
notion de résistance doit être justement à l’aire de ces divisions catégoriques de
symbolique et d’imaginaire ; cette notion de résistance doit réserver ce domaine
que j’ai essayé de schématiser à ce moment-là par certains petits dessins qui sont
vraiment (19)évocables du texte même de Freud, il y a un noyau autour duquel
s’écarte un discours ; il est clair que – c’est des choses qui vont être publiées
puisque je vous ai annoncé cela, je vous l’ai dit, mes séminaires vont sortir peu à
peu –, le schéma même de Freud est tout à fait clair, s’il y a des choses dont le
discours fait le tour, autour de quoi on arrive pas à faire autre chose que de se
resserrer de plus en plus, mais laisse la trace de ce qui nécessite justement cet
écart, il est bien clair que c’est d’un tout autre ordre que celui de l’agressivité. J’ai
bien essayé de scinder, de montrer autour de quoi doit se disjoindre enfin, ce qui
relève de l’imaginaire et ce qui relève d’un impossible à dire. Je dis cela dans mon
vocabulaire présent. Il se trouve enfin que vous aurez quand même senti,
appréhendé… Il y a donc là une distinction à faire entre ce qui est énoncé dès le
début de l’analyse de l’ambivalence amour-haine qui tienne à la même chose
d’essentiel : l’être de l’autre si je peux dire, et puis ce qu’il y a d’essentiellement
imaginaire dans la relation agressive, ce qui fait qu’il y tient au fait que ce soit leur
semblable et qu’il faille, sauf à passer par un tout autre tour, vraiment l’agresser
enfin. Ça je dois dire que là-dessus, c’est même très curieux que les analystes
soient restés sourds […] à ce sur quoi joue tout l’existentialisme sartrien enfin
n’est-ce pas, en fin de compte il y a déjà tellement du dramatisme de Sartre enfin
qui tourne autour du thème de la conscience de l’autre comme telle, mais
seulement ce qu’ils ne voient pas, à savoir que c’est de l’ordre de l’imaginaire, que
l’inconscient soit l’autre, que ce soit l’autre vraiment qu’il mette en jeu, c’est toi
ou moi, c’est moi ou toi, c’est, il faut en découdre alors. C’est là le sens de ce que
j’ai pu pondre sous le titre de l’agressivité. Cela n’a absolument rien à faire, et
c’est ce que j’ai essayé d’articuler, de démêler qu’entre ce qu’il en est de la haine,
ce que supporte le discours, ce discours en tant qu’il y a quelque chose qu’il
n’arrive pas <à> atteindre […] de lié à l’imaginaire du semblable, à cette image
qui en quelque sorte le dérobe à lui-même en même temps qu’elle engendre
l’agressivité. Ces choses bien sûr datent enfin n’est-ce pas, je veux dire que cela
datait d’une époque où la confusion pouvait se faire facilement dans l’aire de
l’agressivité enfin ; l’analyse de ce que supporte le transfert comme digne d’[…]
c’était de l’ordre de l’imaginaire. Dans cet ordre de l’imaginaire, ce pathétique
propre enfin à la présence du semblable est quelque chose d’un autre registre, ce
que nous agressons, ce n’est rien d’autre que nous-mêmes enfin n’est-ce pas, et
ça ne veut pas dire que rien de ce qui a été senti à cette époque et mis en garde

142
dans le jeu, dans l’expérience de l’analyse, n’ait pas été jusqu’à un certain point
fondé. Mais ce qui n’était pas entendu, c’est ce collapsus, c’est cette confusion
entre ce qui était à proprement parler analyse du transfert, c’est-à-dire ne pas
oublier la face de haine de tout amour n’est-ce pas, et distinguer cela de ce qui
en quelque sorte est résolu dès les premiers temps du fait qu’on s’adresse à
l’autre ; c’est-à-dire que la demande analytique est déjà fondée sur quelque chose
qui la perd dans l’existence de l’autre ; c’est-à-dire que ce que j’ai exprimé dans
l’article sur l’agressivité, auquel vous vous référez je pense, c’est déjà la demande
analytique en tant qu’on suppose que cela est surmonté ; il y a déjà quelque chose
par le seul fait de sa demande où le sujet reste ouvert et c’est pour cela que ce
que j’ai accentué, c’est que le rapport de cette « agressivité » dans son étymologie,
c’est que là nous sommes d’avant, d’un avant qui peut dès lors n’être jamais à
l’avant, il n’y a aucune raison que quelqu’un qui serait en proie à une agressivité
radicale vis-à-vis du semblable (refuse) l’analyse, il n’y a aucune raison ; c’est vrai
enfin, l’homme est un loup pour l’homme, c’est notre très étroite limite d’ailleurs,
il y a très longtemps qu’on le sait ; le seul fait d’une demande est déjà quelque
chose qui est d’un autre ordre enfin, qui instaure justement la primauté de cette
demande comme telle, quoiqu’on ne sache pas du (20)tout vraiment ce qu’elle
vise, (à part qu’elle est) déjà plus forte. Le sens de, et c’est à cela que je m’attarde,
de ce que j’ai essayé de cliver, c’est ce qu’il se trouve que j’ai trouvé bon de
publier, parce qu’il y a bien autre chose enfin comme vous savez, […] mais j’avais
peut-être plusieurs raisons de ne pas le publier dans le même corps ; c’est peut-
être que moi-même je n’avais pas encore assez distingué des deux registres…
Ces fameux articles sur la famille dans l’Encyclopédie française, il se trouve que je ne
les ai pas repris, ce n’est pas sans raisons, c’est que je voulais que cela se tienne
comme cela pas trop mal, et à l’expérience, il se trouvait que justement cela ne
clivait pas assez cette distinction vraiment radicale. Alors vous, vous ce que vous
m’avez dit c’est quoi ? Ah le déclin. Bien oui, je n’ai pas parlé du déclin, je n’ai
pas parlé du déclin parce que je ne vois pas pourquoi je serais arrivé ici avec
quelque chose de préparé enfin, de bien limité comme cela, le déclin. En effet
n’est-ce pas il y aurait beaucoup de choses à en dire, ce serait très important de
le reprendre, cette notion du déclin du complexe d’Œdipe n’est-ce pas, ce serait
une question même tout à fait d’actualité. Ce qui serait le plus important, c’est
que n’en décline pas pour nous l’importance, qu’en fin de compte […] une petite
énigme n’est-ce pas. Si dans la vie amoureuse enfin quelle qu’elle soit n’est-ce
pas, la note, l’accent donné par la relation à la mère est si distinguable, ce n’est
certainement pas que le complexe d’Œdipe a décliné de ce côté-là. Ce dont il
s’agit, c’est de la formation du surmoi. Qu’est-ce que c’est ? C’est une grosse
affaire. C’est une réflexion enfin du discours analytique sur lui-même. Ce qui est
inouï, c’est que ça est passé comme une lettre à la poste, à savoir que c’est

143
vraiment le nœud des nœuds enfin n’est-ce pas. Et d’ailleurs Freud, n’est-ce pas,
dans toute son épargne, qu’est-ce qu’il dit dans Malaise dans la civilisation si ce n’est
qu’on n’arrive jamais à satisfaire assez à cette voix qui commande, quoi qu’on
fasse ; c’est vraiment ce que j’ai appelé dans son temps, tout à fait à l’origine de
ce qu’il a produit dans l’enseignement, c’est cette figure obscène et féroce, qui
pouvait se qualifier le surmoi. C’est la vue enfin qui découle de ce que j’ai essayé
de montrer enfin n’est-ce pas que la référence du discours analytique, c’est à
proprement parler la jouissance et pas n’importe laquelle enfin n’est-ce pas, c’est
le plus-de-jouir. Si paradoxal que cela paraisse, l’essence même du
commandement, de la conscience morale, c’est ça, non pas la jouissance en elle-
même, mais ce quelque chose qui résulte enfin de ce que la jouissance, c’est un
commandement ; c’est un commandement impossible à satisfaire, nous en
sommes réduits à ce plus, à ce plus mieux là que l’autre a sorti avec une innocence
sublime, on est sur la voie du plus mieux n’est-ce pas, il n’y a aucun moyen de
s’arrêter, c’est un gouffre. Alors c’est cela à l’aide de quoi j’aurais pu en effet, si
j’avais accepté d’avoir un sujet à l’avance, reprendre ce qu’il en est du déclin du
complexe d’Œdipe que Freud nous présente si joliment en faisant ce premier
frayage de la différence qu’il y a entre ce déclin chez la fille et chez le garçon et
en montrant à quel point pour la fille c’est plus aisé. Enfin ce sera pour une autre
fois, à l’occasion, si cela me chante…
Alors vous n’est-ce pas c’est pour cela que je finis par vous… il s’est dit des
choses enfin dont je suis heureux que quelqu’un ait été sensible à leur pathétique.
Sur les deux terrains qui semblent vous avoir là affecté enfin n’est-ce pas, je peux
vous faire remarquer que c’est quand même le versant féminin de l’acte
psychanalytique. Il est incontestable qu’il n’est absolument pas éliminable enfin
que le corps soit intéressé. Alors la référence à la jouissance, c’est à proprement
parler ce que met en question toute l’expérience analytique. S’il n’y avait pas de
corps, il n’y aurait aucun sens. Qu’incontestablement les femmes aient toujours
été beaucoup plus intéressées par ce qui est vraiment la référence de l’expérience
analytique, (21)le corps comme tel, vous n’aurez pas moins vu que d’autres que
c’était au niveau du langage que se trouvaient les lignes de force qui faisaient que
où qu’on promène la boussole, c’était toujours vers ce nord que cela se tournait ;
et qu’elles aient vraiment senti comme pas une, que c’était bien là le nord ; toute
la difficulté commence à ceci enfin n’est-ce pas, c’est qu’il ne faut pas que ce soit
un nord mythique, n’est-ce pas, il ne faut pas que la langue enfin donne à ce
corps plus de corps langagier qu’il n’en a ; c’est vrai tout ce qui s’est dit de ce
pointage enfin qui fait que, au niveau de l’enfant, nous sommes encore à un
moment où nous en sommes réduits à l’approcher comme cela par une approche
palpatoire enfin, ce corps, encore que je sache enfin, parmi celles des praticiennes
de la psychanalyse d’enfant, et nous en avons eues d’éminentes n’est-ce pas, il

144
n’y a pas besoin d’évoquer Mélanie Klein n’est-ce pas ; il est clair qu’elle a
toujours connu ces enfants auprès desquels elle se permet les interprétations les
plus sauvages, il est clair qu’elle s’en tient enfin n’est-ce pas à la perspective
scopique de tout ce qu’est capable de faire l’enfant – se cacher, se replier dans
une armoire, bon, elle les incite à dessiner enfin, elle fait tout ce qu’elle peut pour
que quelque chose se dépose de cette activité corporelle. Que ce soit là encore
vraiment un domaine clef, mais une clef qui tâtonne dans sa serrure n’est-ce pas,
c’est évidemment bien ce qui est fait pour nous dire en effet que […] ce que le
discours analytique comporte, c’est une interprétation très essentiellement […]
qu’il y ait ce rapport […] à l’occasion, justement dans ces journées s’est bien
exprimée cette interrogation passionnée un peu qui était comme la marque d’une
béance n’est-ce pas, au sujet de ce rapport en fin de compte le plus proche de
tous mais à condition qu’on le décompose, ce rapport de la mère à l’enfant, c’est
évidemment le témoignage que non seulement il y a à interroger mais qu’il n’y a
que l’interrogation qui puisse là, qui soit digne de ceci, c’est à savoir que
justement là il n’y a pas de réponse, il n’y a pas de réponse sinon ceci enfin que
nous y sommes affrontés. La remarque de Dolto bien sûr ; c’est tout Dolto, c’est
que c’est là qu’elle se tient ; ce qui quand même est remarquable enfin c’est que
ce soit la seule qui ne se soit jamais départie – étant donné ce qu’elle osait
énoncer – qui ne se soit jamais départie d’une fidélité à un discours – le mien –
qui lui est littéralement inaudible. Il faut croire quand même qu’il y a quelque
chose qui la satisfait enfin n’est-ce pas, puisque c’est quand même là qu’elle se
sent capable de dire tout ce qu’elle peut dire. Il est clair que la seconde question
que vous me posez – à savoir par exemple quelque chose qui s’exprime dans le
discours de Montrelay – il était très très bien ce discours – elle est quand même
beaucoup plus vraiment accrochée, mais elle voit cette face qui est inéliminable,
et qui n’est inéliminable que de l’effet même du discours analytique, c’est vrai
enfin, le discours analytique aboutit enfin, converge enfin vers cette notion de la
pulsion ; ce qui est inouï et ce qui est enseignant enfin, c’est cette espèce comme
cela de scotome n’est-ce pas, qui fait que, passionnée en quelque sorte par
quelque chose qui est en effet plus réel que quoi que ce soit – à savoir la prise du
corps dans le jeu de tout ce qui conditionne un discours – c’est cela qui est
vraiment à interroger. Qu’il y ait quelque chose qui soit sauté, et très spécialement
et non pas sans fruit car après tout il n’y a jamais eu après Freud que des femmes
qui aient eu dans l’analyse un petit peu de génie. C’est qu’elles ne voient pas enfin
qu’il n’y aurait même pas question de pulsion, et telle qu’elles le centrent, autour
de l’organe n’est-ce pas, si justement la seule chose qui pose la question d’à quoi
cela serve un organe, c’est justement de partir d’un discours. Je parle d’un
discours parce qu’il est d’ores et déjà constitué ce discours analytique. Enfin
avant ce discours il est clair que les autres posent tout autant à la question.

145
Comme le démontre même enfin ceci : les plus récentes sorties de la thématique
du corps sans (22)organe, c’est bien clair que c’est une façon d’éclairer certaine
chose enfin, qui s’appelle la schizophrénie. Cela veut dire que là le langage ne
réussit pas à mordre, à savoir que tout de même le corps n’est pas tellement sans
organe, il y en a au moins un qui est le langage parce que s’il y a quelque chose
dans quoi baigne la schizophrène, c’est devant ce maniement enfin affolé enfin
du langage, simplement il n’arrive pas à le faire mordre sur un corps et en effet à
partir de là on peut considérer que le corps est sans organes mais qu’est-ce que
cela veut dire enfin ? Cela veut dire que si on se pose la question de la fonction
d’un organe, c’est à partir du langage en tant que le langage est le premier à quoi
le corps se trouve absolument subordonné. Et alors ce pas s’éclaire, il est
aisément franchi parce qu’il y a là quelque chose qui là fait court-circuit, intéresse
celles qui se trouvent en position analytique c’est-à-dire d’être des analystes et
des analystes femmes. Là, ce qui les passionne c’est en fin de compte ceci : si cela
sert si bien enfin à une certaine fonction n’est-ce pas, – de s’apercevoir que tout
est là, c’est pourquoi ils ont cette fonction-là –, si cela sert si bien, il faut qu’il ait
là en quelque sorte quelque chose d’originel, d’inhérent, d’inhérent à l’organe ;
toute cette espèce de multiplication d’interrogation pathétique qui fait qu’on
étend le champ de cette fonction organique enfin, que même une personne
comme Dolto introduit la jouissance respiratoire, elle l’appelle pas même comme
cela, pour elle cela apparaît noyau, c’est pas noyau, c’est quelque chose de cerné,
enfin, et il se trouve, chose curieuse, que ce que l’analyse nous réserve, nous
réserve c’est le cas de le dire, nous permet d’isoler comme pulsion justement
enfin n’implique jamais enfin ce qui est pourtant certain : qu’il y a jouissance
respiratoire ; mais il se trouve que cela ne prend pas à cause que c’est déjà enfin
pris dans tout autre chose n’est-ce pas, qui est la voix, n’est-ce pas, c’est déjà
beaucoup plus proche qu’aucun autre, qu’aucun autre organe impliqué enfin,
quel que soit le […] qui est relationnel, n’est-ce pas, qui est lié à la fonction de la
parole ; alors cette vacillation n’est-ce pas, de la jouissance organique qui élide en
quelque sorte, que cela ne passe qu’à travers la complète subversion, cette
suppléance n’est-ce pas sexuelle que réalise le langage, c’est en effet quelque
chose qui par soi-même vaut la question que cela vous fait. Enfin, cela pourrait
avoir des suites après tout si vous la posez, si vous la ressentez comme telle, c’est
dans la mesure où je vous le disais au départ, vous en avez déjà la réponse, cette
réponse j’ai essayé comme cela d’en linéer les traits. Si le langage n’était pas déjà
l’organon par excellence, il n’y a pas de question à propos des organes ; qu’est-ce
qui nous donne le moindre test que les animaux aient un rapport à leurs organes ?
Qu’est-ce qui donne à penser qu’une mouche se demande à quoi sert sa patte,
elle trotte, il n’y a pas de question enfin, c’est le corps sans organes au sens où il
n’y a pas question. S’il y a une question, c’est qu’il y a déjà cette réponse qu’à soi

146
tout seul constitue le langage à l’intérieur duquel peuvent se propager les
questions. Je ne sais pas si ce que je vous réponds là est quelque chose qui vous
permet sur un certain ton, une certaine sonorité que vous avez entendu de ces
journées et votre réaction même est quelque chose qui vous satisfait, mais je crois
que c’est comme cela qu’il faut le centrer.

(23)DUQUENNE – Est-ce que Monsieur Cornet est satisfait quant au versant


de l’analyse didactique de sa question ? Oui ou non ?

CORNET – En ce moment oui.

VERGOTE – Nous vous remercions. Vous reviendrez, je ne vous le fais pas


dire.

147
LACAN 1971-72. …Ou pire

148
Ce document de travail a pour sources principales :

...Ou pire, reprographie datée de 1981.


...Ou pire, sténotypie sur le site de l’E.L.P.
...Ou pire, fichiers « mp3 » des séances, sur le site de Patrick Valas.

Le texte de ce séminaire nécessite l’installation de la police de caractères spécifique, dite


« Lacan », disponible ici :

http://fr.ffonts.net/Lacan.font.download (placer le fichier Lacan.ttf dans le


répertoire c:\windows\fonts)

Les références bibliographiques privilégient les éditions les plus récentes. Les
schémas sont refaits.

N.B. Ce qui s’inscrit entre crochets droits [ ] n’est pas de Jacques Lacan.

(Contact)

Table des matières

Leçon 1 08 décembre 1971


Leçon 2 15 décembre 1971
Leçon 3 12 janvier 1972
Leçon 4 19 janvier 1972
Leçon 5 09 février 1972
Leçon 6 08 mars 1972
Leçon 7 15 mars 1972
Leçon 8 19 avril 1972
Leçon 9 10 mai 1972
Leçon 10 17 mai 1972
Leçon 11 14 juin 1972
Leçon 12 21 juin 1972

149
08 Décembre 1971
Séminaire : Panthéon-Sorbonne Table des matières

Je pourrais commencer tout de suite en passant sur mon titre dont après tout,
dans un bout de temps,
vous verriez bien ce qu’il veut dire. Néanmoins par gentillesse, puisqu’aussi
bien il est fait pour retenir,
je vais l’introduire par un commentaire portant sur lui : « …Ou pire ».

Peut-être tout de même certains d’entre vous l’ont compris, « …Ou pire » en
somme c’est ce que je peux toujours faire.
Il suffit que je le montre pour entrer dans le vif du sujet. Je le montre en
somme à chaque instant.
Pour ne pas rester dans ce sens qui comme tout sens - vous le touchez du doigt,
je pense - est une opacité,
je vais donc le commenter textuellement.

« …Ou pire » : il est arrivé que certains lisent mal, ils ont cru que c’était ou le pire.
C’est pas du tout pareil. Pire, c’est tangible, c’est ce qu’on appelle un adverbe
comme « bien » ou « mieux ».
On dit : « je fais bien », on dit : « je fais pire ».

C’est un adverbe, mais disjoint, disjoint de quelque chose qui est appelé à
quelque place, justement le verbe,
le verbe qui est ici remplacé par les trois points. Ces trois points se réfèrent à
l’usage, à l’usage ordinaire pour marquer...
c’est curieux, mais ça se voit dans tous les textes imprimés
...pour faire une place vide.

Ça souligne l’importance de cette place vide.


Et ça démontre aussi bien que c’est la seule façon de dire quelque chose avec
l’aide du langage.
Et cette remarque, que le vide c’est la seule façon d’attraper quelque chose avec
le langage,
c’est justement ce qui nous permet de pénétrer dans sa nature, au langage.

150
Aussi bien - vous le savez - dès que la logique est arrivée à s’affronter à quelque
chose, à quelque chose qui supporte
une référence de vérité, c’est quand elle a produit la notion de « variable ». C’est
une variable apparente.
La variable apparente x est toujours constituée par ceci que l’x, dans ce dont il
s’agit, marque une place vide.

La condition que ça marche, c’est qu’on y mette exactement le même signifiant


à toutes les places réservées vides.
C’est la seule façon dont le langage arrive à quelque chose et c’est pourquoi je
me suis exprimé dans cette formule
« qu’il n’y a pas de métalangage ». Qu’est-ce que ça veut dire ?

II semblerait que ce disant, je ne formule qu’un paradoxe, car d’où est-ce que je
le dirais ? Puisque je le dis dans le langage, ça serait déjà suffisamment affirmer
qu’il y en a un d’où je peux le dire. Il n’en est évidemment rien pourtant.

Le métalangage, comme bien sûr il est nécessaire qu’on l’élabore comme une
fiction chaque fois qu’il s’agit de logique,
c’est à savoir qu’on forge à l’intérieur du discours ce qu’on appelle « langage-
objet », moyennant quoi c’est le langage
qui devient « méta », j’entends le discours commun sans lequel il n’y a pas
moyen même d’établir cette division.

« Il n’y a pas de métalangage » nie que cette division soit tenable.


La formule forclot dans le langage qu’il y ait discordance.

Qu’est-ce qui occupe donc cette place vide, dans le titre que j’ai produit pour
vous retenir ?
J’ai dit : forcément un verbe, puisqu’un adverbe il y a. Seulement c’est un verbe
élidé par les trois points.
Et ça dans le langage, à partir du moment où on l’interroge en logique, c’est la
seule chose qu’on ne puisse pas faire.

Le verbe en l’occasion il n’est pas difficile à trouver, il suffit de faire basculer la


lettre qui commence le mot pire,
ça fait : dire.
Seulement comme en logique le verbe c’est précisément le seul terme dont
vous ne puissiez pas faire place vide,

151
parce que quand une proposition vous essayez d’en faire fonction, c’est le
verbe qui fait fonction
et c’est de ce qui l’entoure que vous pouvez faire argument.

À vider ce verbe donc, j’en fait argument, c’est-à-dire quelque substance, ce


n’est pas « dire » c’est « un dire ».
Ce dire, celui que je reprends de mon séminaire de l’année dernière, s’exprime
comme tout dire
dans une proposition complète : « il n’y a pas de rapport sexuel ».

Ce que mon titre avance c’est qu’il n’y a pas d’ambiguïté, c’est qu’à sortir de là,
vous n’énoncerez, vous ne direz, que pire. « Il n’y a pas de rapport sexuel » se
propose donc comme vérité.

Mais j’ai déjà dit de la vérité qu’elle ne peut que se mi-dire,


donc ce que je dis c’est qu’il s’agit somme toute que l’autre moitié dise pire.
S’il n’y avait pas pire, qu’est-ce que ça simplifierait les choses ! C’est le cas de le
dire.

La question est : est-ce que ça ne les simplifie pas déjà, puisque si ce dont je
suis parti c’est de ce que je peux faire
et que ce soit justement ce que je ne fasse pas, est-ce que ça ne suffit pas à les
simplifier ?
Seulement voilà, il ne peut pas se faire que je ne puisse pas le faire ce pire.
Exactement comme tout le monde.

Quand je dis qu’il n’y a pas de rapport sexuel, j’avance très précisément cette vérité
chez l’être parlant
que le sexe n’y définit nul rapport.

Ce n’est pas que je nie la différence qu’il y a, dès le plus jeune âge, entre ce
qu’on appelle une petite fille et un petit garçon. C’est même de là que je pars.

Attrapez tout de suite, comme ça, que vous ne savez pas - quand je pars de là -
de quoi je parle.
Je ne parle pas de la fameuse petite différence qui est celle pour laquelle, à l’un des
deux il paraîtra, quand il sera sexuellement mûr, il paraîtra tout à fait de l’ordre d’un
bon mot, du mot d’esprit, de pousser : « Hourra ! Hourra pour la petite différence ! »

152
Rien que ça soit drôle suffit à nous indiquer, dénote, fait référence, au rapport
complexuel...
c’est-à-dire au fait tout inscrit dans l’expérience analytique, et qui est ce à quoi
nous a mené
l’expérience de l’inconscient, sans lequel il n’y aurait pas de mot d’esprit
...au rapport complexuel avec cet organe, la petite différence, déjà détaché très
tôt comme organe,
ce qui est déjà tout dire : ὄργανον [organon], instrument.

Est-ce qu’un animal a l’idée qu’il a des organes ?


Depuis quand a-t-on vu ça ?
Et pourquoi faire ?

Suffira-t-il d’énoncer :
« Tout animal… »…
c’est une façon de reprendre ce que j’ai énoncé récemment à propos de la
supposition de la jouissance
dite sexuelle comme instrumentale chez l’animal, j’ai raconté ça ailleurs, ici je le
dirai autrement
…« Tout animal qui a des pinces ne se masturbe pas ». [Rires]

C’est la différence entre l’homme et le homard ! [Rires]


Voilà, ça fait toujours son petit effet.

Moyennant quoi, vous échappe ce que cette phrase a d’historique.


Ce n’est pas du tout à cause de ce qu’elle asserte...
je ne dis rien de plus : elle asserte
...mais de la question qu’elle introduit au niveau de la logique.

Ça y est caché...
mais c’est la seule chose que vous n’y ayez pas vue
...c’est qu’elle contient le « pas-tout » qui est très précisément et très
curieusement ce qu’élude la logique aristotélicienne
pour autant qu’elle a produit, qu’elle a produit et détaché la fonction des
prosdiorismes...
qui ne sont rien d’autre que ce que vous savez, à savoir l’usage de « tout »,
« pas », de « quelques »
...autour de quoi Aristote fait les premiers pas de la logique formelle.

153
Ces pas sont lourds de conséquences, c’est eux qui ont permis d’élaborer ce
qu’on appelle la fonction des quantificateurs. C’est avec le « Tout » que s’établit la
place vide dont je parlais tout à l’heure.

Quelqu’un comme Frege ne manque pas quand il commente la fonction de


l’assertion,
devant laquelle il place l’assertion en rapport à une fonction - vraie ou fausse -
Φ de x,
il lui faut, pour que x ait existence d’argument, ici placé dans ce petit creux,
image de la place vide, qu’il y ait quelque chose qui s’appelle « tout x » [;], qui
convienne à la fonction.

L’introduction du « Pas-Tout » est ici essentielle :


le « Pas-Tout » n’est pas cette universelle négativée,
le « Pas-Tout » ça n’est pas « nul... », ça n’est pas nommément : « Nul animal qui
ait des pinces se masturbe »,
c’est « Non, pas tout animal qui a des pinces... » est par là nécessité à ce qui suit.

Il y a organe et organe, comme il y a fagot et fagot, celui qui porte les coups et celui
qui les reçoit.

Et ceci nous porte au cœur de notre problème, car vous voyez qu’à simplement
en ébaucher le premier pas,
nous glissons ainsi au centre...
sans avoir même eu le temps de nous retourner
...au centre de quelque chose où il y a bien une machine qui nous porte. C’est la
machine que je démonte.

Mais - j’en fais la remarque à l’usage de certains - ce n’est pas pour démontrer
que c’est une machine,
encore bien moins pour qu’un discours soit pris pour une machine,
comme le font certains justement à vouloir s’embrayer sur le mien, de discours.
[référence à Deleuze et Guattari]

En quoi, ce qu’ils démontrent, c’est qu’ils n’embrayent pas sur ce qui fait un
discours, à savoir le Réel qui y passe.

154
Démontrer la machine n’est pas du tout la même chose que ce que nous
venons de faire,
c’est-à-dire d’aller sans plus de façons au trou du système, c’est-à-dire à l’endroit
où le Réel passe par vous.
Et comment qu’il passe, puisqu’il vous aplatit !

Naturellement moi j’aimerais, j’aimerais bien, j’aimerais beaucoup mieux,


j’aimerais sauver votre canaillerie naturelle
qui est bien ce qu’il y a de plus sympathique, mais qui hélas, « hélas toujours
recommençant » comme dit l’autre [Sisyphe ?],
en vient à se réduire à la bêtise par l’effet même de ce discours qui est celui que
je démontre.

En quoi vous devez sentir, sur l’instant, qu’il y a au moins deux façons de le
démontrer ce discours.
Restant ouvert que la mienne de façon ça soit encore une troisième.

Il faut pas me forcer à insister, bien sûr, sur cette énergétique de la canaillerie et
de la bêtise,
auxquelles je ne fais jamais allusion que lointaine.
Du point de vue de l’énergétique, bien sûr ça ne tient pas. Elle est purement
métaphorique.
Mais elle est de cette veine de métaphore dont l’être parlant subsiste, je veux dire
qu’elle fait pour lui le pain et le levain.

Je vous ai donc demandé grâce, sur le point de l’insistance. C’est dans l’espoir
que la théorie y supplée...
vous entendez l’accent du subjonctif, je l’ai isolé parce que, parce que ça en
aurait pu être recouvert par l’accent interrogatif, pensez à tout ça, comme ça, au
moment où ça passe, et spécialement pour ne pas manquer
ce qui vient là, à savoir le rapport de l’inconscient à la vérité
...la bonne théorie, et c’est elle qui fraye la voie, la voie même ou l’inconscient
en était réduit à insister.

Il n’aurait plus à le faire si la voie était bien frayée.


Mais ça ne veut pas dire que tout serait résolu pour ça, bien au contraire.

La théorie, puisqu’elle donnerait cette aise, devrait elle-même être légère, légère
au point de ne pas avoir l’air d’y toucher, elle devrait avoir le naturel que
jusqu’à ce jour n’ont que les erreurs. Pas toutes ! Une fois de plus : bien sûr !
155
Mais ça rend-il plus sûr qu’il y en ait certaines à soutenir ce naturel dont tant
d’autres font semblant.

Voilà, j’avance que pour que celles-ci - les autres - puissent faire semblant, il
faut que de ces erreurs, à soutenir le naturel, il y en ait au moins une,
homoinzune. Reconnaissez ce que j’ai déjà écrit l’année dernière, avec une termi-
naison différente, très précisément à propos de l’hystérique et de l’« homoinzun »
qu’elle exige.

Cette « homoinzune », le rôle, c’est évident, ne saurait en être mieux soutenu que
par le naturel lui-même.
C’est en quoi je niais au départ... [lapsus]

C’est en quoi au contraire, c’est en quoi je ne niais pas au départ la différence


qu’il y a, parfaitement notable
et dès le premier âge, entre une petite fille et un petit garçon, et que cette
différence qui s’impose comme native
est bien en effet naturelle, c’est-à-dire répond à ceci :
que ce qu’il y a de réel dans le fait que dans l’espèce qui se dénomme elle-
même...
comme ça fille de ses œuvres, en ça comme en beaucoup d’autres choses
...qui se dénomme « homo sapiens », les sexes paraissent se répartir en deux
nombres à peu près égaux d’individus
et qu’assez tôt - plus tôt qu’on ne l’attend - ces individus se distinguent.
Ils se distinguent, c’est certain.

Seulement...
je vous le fais remarquer en passant, ça ne fait pas partie d’une logique
...seulement ils ne se reconnaissent, ils ne se reconnaissent comme êtres parlants
qu’à rejeter cette distinction
par toutes sortes d’identifications dont c’est la monnaie courante de la
psychanalyse
que de s’apercevoir que c’est le ressort majeur des phases de chaque enfance.
Mais ça c’est une simple parenthèse.

L’important logiquement est ceci : c’est que ce que je ne niais pas - c’est justement
là le glissement - c’est qu’ils se distinguent. C’est un glissement, ce que je ne niais
pas ce n’est justement pas cela :
ce que je ne niais pas c’est qu’on les distingue, ce n’est pas eux qui se
distinguent.
156
C’est comme ça qu’on dit :

« Oh ! le vrai petit bonhomme, comme on voit déjà qu’il est tout à fait différent d’une petite
fille,
il est inquiet, enquêteur - hein ! - déjà en mal de gloriole ».

Alors que la petite fille est loin de lui ressembler. Elle ne pense déjà qu’à jouer
de cette sorte d’éventail
qui consiste à se fourrer sa figure dans un trou et à refuser de dire bonjour.

Seulement voilà, on ne s’émerveille de ça que parce que c’est comme ça, c’est-à-
dire exactement comme ça sera plus tard, soit conforme aux types d’homme et
de femme tels qu’ils vont se constituer de tout autre chose,
à savoir de la conséquence du prix qu’aura pris dans la suite la petite différence.

Inutile d’ajouter que « la petite différence, hourra ! » était déjà là pour les parents
depuis une paye
et qu’elle a déjà pu avoir des effets sur la façon dont a été traité « petit
bonhomme » et « petite bonne femme ».
C’est pas sûr, c’est pas toujours comme ça.

Mais il n’y a pas besoin de ça pour que le jugement de reconnaissance des adultes
circonvoisins repose donc sur une erreur, celle qui consiste à les reconnaître,
sans doute de ce dont ils se distinguent, mais à ne les reconnaître
qu’en fonction des critères formés sous la dépendance du langage, si tant est
que comme je l’avance,
c’est bien de ce que l’être soit parlant qu’il y a complexe de castration.
Je rajoute ça pour insister, pour que vous compreniez bien ce que je veux dire.

Donc, c’est en ça que l’homoinzune d’erreur, rend consistant le naturel d’ailleurs


incontestable de cette vocation prématurée, si je puis dire, que chacun éprouve
pour son sexe.
Il faut d’ailleurs ajouter, bien sûr, que dans le cas où cette vocation n’est pas
patente, ça n’ébranle pas l’erreur puisque, elle peut se compléter avec aisance de
s’attribuer à la nature comme telle, ceci, bien sûr, non moins naturellement.

Quand ça ne colle pas, on dit « c’est un garçon manqué » n’est-ce pas ? Et dans ce
cas là, le manque a toute facilité pour être considéré comme réussite dans la
mesure où rien n’empêche qu’on lui impute, à ce manque, un supplément de
157
féminité. La femme, la vraie, la petite bonne femme, se cache derrière ce manque
même, c’est un raffinement tout à fait
d’ailleurs pleinement conforme à ce que nous enseigne l’inconscient, de ne
réussir jamais mieux qu’à rater.

Dans ces conditions, pour accéder à l’autre sexe il faut réellement payer le prix,
justement celui de la petite différence,
qui passe trompeusement au réel par l’intermédiaire de l’organe, justement à ce
qu’il cesse d’être pris pour tel,
et du même coup révèle ce que veut dire d’être organe :
un organe n’est instrument que par le truchement de ceci dont tout instrument
se fonde, c’est que c’est un signifiant.

Eh bien, c’est en tant que signifiant que le transexualiste n’en veut plus et pas en
tant qu’organe.
En quoi il pâtit d’une erreur, qui est l’erreur justement commune.

Sa passion, au transexualiste, est là folie de vouloir se libérer de cette erreur,


l’erreur commune qui ne voit pas que :

le signifiant c’est la jouissance,

et que le phallus n’en est que le signifié.

Le transexualiste ne veut plus être signifié phallus par le discours sexuel, qui - je
l’énonce - est impossible.
Il n’a qu’un tort, c’est de vouloir le forcer le discours sexuel...
qui en tant qu’impossible est le passage du réel
...à vouloir le forcer par la chirurgie.

Voilà, c’est la même chose que ce que j’ai énoncé dans un certain programme pour
un certain « Congrès sur la sexualité féminine ». Seule, disais-je...
pour ceux qui savent lire, bien sûr
...seule disais-je, l’homosexuelle - à écrire là au féminin - soutient le discours sexuel
en toute sécurité.

Ce pourquoi j’invoquais le témoignage des Précieuses...


qui vous le savez, restent pour moi un modèle
...les Précieuses qui si je puis dire, définissent si admirablement l’Ecce Homo...
permettez-moi d’arrêter là le mot : « l’excès au mot »
158
...l’Ecce homo de l’amour, parce que - elles - elles ne risquent pas de prendre le
phallus pour un signifiant.

« Ф donc ! » signiФ donc : ce n’est qu’à briser le signifiant dans sa lettre qu’on
en vient à bout au dernier terme.
Il est fâcheux pourtant que cela ampute pour elle, l’homosexuelle, le discours
psychanalytique, car ce discours, c’est un fait, les remet, les très chères, dans un
aveuglement total sur ce qu’il en est de la jouissance féminine.

Contrairement à ce qu’on peut lire dans un célèbre drame d’Apollinaire16, celui


qui introduit le mot « surréaliste »,
Thérèse revient à Tirésias...
je viens de parler d’aveuglement, n’oubliez pas
...non en lâchant, mais en récupérant les deux oiseaux dits « sa faiblesse » ...
je cite Apollinaire pour ceux qui ne l’auraient pas lu
...soit les petits et gros ballons qui, sur le théâtre, les représentent et qui sont
peut-être...
je dis « peut-être » parce que je ne veux pas détourner votre attention, je me
contente d’un « peut-être »
...qui sont peut-être ce grâce à quoi la femme ne sait jouir que dans une absence.

L’homosexuelle n’est pas du tout absente dans ce qu’il lui reste de jouissance.
Je le répète, cela lui rend aisé
le discours de l’amour, mais il est clair que ça l’exclut du discours psychanalytique
qu’elle ne peut guère que balbutier.

Alors essayons d’avancer. Vu l’heure je ne pourrai qu’indiquer rapidement ceci :


que pour ce qu’il en est
de tout ce qui se pose comme ce rapport sexuel, l’incitant, l’instituant, par une
sorte de fiction qui s’appelle le mariage,
la règle serait bonne que le psychanalyste se dise, sur ce point : « qu’ils se
débrouillent comme ils pourront ».

C’est ça qu’il suit dans la pratique. Il ne le dit pas, ni même ne se le dit par une
sorte de fausse honte,

16
Guillaume Apollinaire : « Les mammelles de Tirésias » in « L’enchanteur pourrissant », Poésie
Gallimard, 1972.

159
car il se croit en devoir de pallier à tous les drames. C’est un héritage de pure
superstition : il fait le médecin.
Jamais le médecin ne s’était mêlé d’assurer le bonheur conjugal et, comme le
psychanalyste ne s’est pas encore aperçu
qu’il n’y a pas de rapport sexuel, naturellement le rôle de « Providence des ménages » le
hante.

Tout ça, n’est-ce pas...


la fausse honte, la superstition et l’incapacité de formuler une règle précise sur
ce point,
celle que je viens d’énoncer là : « qu’ils se débrouillent »
...relève de la méconnaissance de ceci que son expérience lui répète,
mais je pourrais même dire lui serine : qu’il n’y a pas de rapport sexuel.

Il faut dire que l’étymologie de « seriner » nous conduit tout droit à sirène.
C’est textuel, c’est dans le dictionnaire étymologique 17, c’est pas moi qui me livre ici
tout d’un coup à un chant analogue.

C’est sans doute pour ça que le psychanalyste - comme Ulysse le fait en telle
conjoncture - reste attaché à un mât.
Oui, naturellement pour que ça dure, ce qu’il entend comme le chant des
sirènes, c’est-à-dire en restant enchanté,
c’est-à-dire en l’entendant tout de travers.

Eh bien le mât...
ce fameux mât dans lequel naturellement vous ne pouvez pas ne pas
reconnaître le phallus,
c’est-à-dire le signifié majeur, global
...eh bien, il y reste attaché et ça arrange tout le monde.

Ça n’arrange quand même tout le monde qu’en ceci : que ça n’a aucune
conséquence fâcheuse, puisque c’est fait pour ça, pour le navire
psychanalytique lui-même, c’est-à-dire pour tous ceux qui sont dans le même
bateau.
Il n’en reste pas moins qu’il l’entend de travers ce serinage de l’expérience, et que
c’est pour ça que jusqu’à maintenant,

17
Oscar Bloch et Walther Von Wartburg : Dictionnaire étymologique de la langue française, PUF, 7ème
éd. 1986 : serin p. 587.

160
ça reste un domaine privé, « un domaine privé » : j’entends pour ceux qui sont sur
le même bateau.

Ce qui se passe sur ce bateau, où il y a aussi des êtres des deux sexes, est pour-
tant remarquable :
ce qu’il arrive que j’en entende par la bouche de gens qui parfois viennent me
visiter, de ces bateaux...
moi qui suis - mon Dieu - sur un autre, que ne régissent pas les mêmes règles
...serait pourtant assez exemplaire si la façon dont j’en ai vent n’était pas si
particulière.

À étudier ce qu’il ressort d’un mode de méconnaissance de ce qui fait le discours


psychanalytique,
à savoir les conséquences que ça en a sur ce que j’appellerai « le style » de ce qui
se rapporte à « la liaison ».
Puisque enfin l’absence du rapport sexuel est très manifestement ce qui n’empêche
pas - bien loin de là - « la liaison »,
mais ce qui lui donne ses conditions.

Ceci permettrait peut-être d’entrevoir ce qui pourrait résulter du fait que le


discours psychanalytique reste logé sur ces bateaux où actuellement il vogue et dont
quelque chose laisse craindre qu’il reste le privilège.
Il se pourrait que quelque chose de ce style vienne à dominer le registre des
liaisons
dans ce qu’on appelle improprement « le vaste champ du monde », et à la vérité ça
n’est pas rassurant.

Ça serait sûrement encore plus fâcheux que l’état présent qui est tel que c’est à
cette méconnaissance
que je viens de pointer, que c’est d’elle que ressortit ce qui après tout n’est pas
injustifié,
à savoir ce qu’on voit souvent à l’entrée de la psychanalyse : les craintes
manifestées, ma foi, par les sujets...
qui ne savent que c’est en somme d’en croire le silence psychanalytique institu-
tionnalisé
sur le point de ce qu’« il n’y a pas de rapport sexuel »
...qui évoque chez ces sujets, ces craintes, à savoir - mon Dieu - de tout ce qui
peut rétrécir, affecter
les relations intéressantes, les actes passionnants, voire les perturbations créatrices
que nécessite cette absence de rapport.
161
Je voudrais donc avant de vous quitter amorcer ici quelque chose.
Puisqu’il s’agit d’une exploration de ce que j’ai appelé « une nouvelle logique », celle
qui est à construire de ce qui se passe,
de ceci à poser en premier : qu’en aucun cas rien de ce qui se passe, du fait de
l’instance du langage,
ne peut déboucher sur la formulation d’aucune façon satisfaisante du rapport.

Est-ce qu’il n’y a pas quelque chose à prendre de ce qui...


dans l’exploration logique, c’est-à-dire dans le questionnement
...de ce qui, au langage, non pas seulement impose limite dans son
appréhension du Réel,
mais démontre dans la structure même de cet effort de l’approcher...
c’est-à-dire de repérer dans son propre maniement
...ce qu’il peut y avoir de Réel à avoir déterminé le langage ?

Est-ce qu’il n’est pas convenable, probable, propre à être induit, que si c’est au
point d’une certaine faille du réel...
à proprement parler indicible, puisque ça serait elle qui déterminerait tout
discours
...que gît, que gisent les lignes de ces champs qui sont celles que nous découvrons
dans l’expérience psychanalytique ?

Est-ce que tout ce que la logique a dessiné, à rapporter le langage à ce qui est
posé de réel,
ne nous permettrait pas de repérer dans certaines lignes à inventer...
et c’est là l’effort théorique que je désigne de cette aisance qui trouverait une
insistance
...est-ce qu’il n’est possible ici de trouver orientation ?

Je ne ferai, avant de vous quitter, aujourd’hui que pointer qu’il y a 3 registres...


à proprement parler déjà émergés de l’élaboration logique
...3 registres autour desquels tournera cette année mon effort de développer ce
qu’il en est des conséquences de ceci, posé comme premier : qu’il n’y a pas de
rapport sexuel.

Premièrement, ce que vous avez vu déjà dans mon discours pointer : les
prosdiorismes.

162
Je n’ai aujourd’hui, au cours de ce premier abord, rencontré que l’énoncé du «
pas-tous ».

Celui-là, déjà l’année dernière j’ai cru vous l’isoler - très précisément : . ! -
auprès de la fonction elle-même
que je laisse ici totalement énigmatique, de la fonction, non pas du rapport
sexuel,
mais de la fonction qui proprement en rend l’accès impossible.

C’est celle-là, à définir en somme, à définir cette année, imaginez-la : jouissance.


Pourquoi ne serait-il pas possible d’écrire une fonction de la jouissance ?

C’est à l’épreuve que nous en verrons la soutenabilité, si je puis dire, ou non.

La fonction du « pas-tous », déjà l’année dernière je n’ai pu avancer...


et certainement d’un point beaucoup plus proche quant à ce dont il s’agissait,
je ne fais aujourd’hui qu’aborder notre terrain
...je l’ai l’année dernière avancée d’une barre négative [.], mise au-dessus du
terme qui dans la théorie des quanteurs, désigne l’équivalent...
c’en est seulement l’équivalent, je dirai même plus :
la purification au regard de l’usage naïf fait dans Aristote
...du prosdiorisme « tout » [;]. L’important, c’est que j’ai aujourd’hui avancé devant
vous la fonction du « pas-tout ».

Chacun sait qu’à propos de ce qu’il en est de la proposition dite, dans Aristote,
« particulière »,
ce qui en surgit, si je puis dire naïvement, c’est : « il existe quelque chose » qui y
répondrait.

Quand vous employez « quelque », en effet ça semble aller de soi. Ça semble


aller de soi et ça va pas de soi.
Parce qu’il est tout à fait clair qu’il ne suffit pas de nier le « pas tout » pour que
de chacun des deux morceaux,
si je puis m’exprimer ainsi, l’existence soit affirmée. Bien sûr, si l’existence est
affirmée, le « pas-tout » se produit.

C’est autour de cet « il existe » que doit porter notre avancée.


Depuis si longtemps là-dessus les ambiguïtés se perpétuent, qu’on est arrivé
à confondre l’essence et l’existence,
et d’une façon encore plus étonnante, à croire que c’est plus d’exister que d’être.
163
C’est peut-être justement qu’« il existe » assurément des hommes et des
femmes...
et pour tout dire qui ne font rien de plus que d’exister
...qu’est tout le problème.

Parce qu’après tout, dans l’usage correct qui est à faire à partir du moment où la
logique se permet de décoller un peu du réel...
seule façon à vrai dire qu’elle ait par rapport à lui de pouvoir se repérer
...c’est à partir du moment où elle ne s’assure que de cette part du réel où il y ait
possible une vérité...
c’est-à-dire une mathématique,
...c’est à partir de ce moment qu’on voit bien que ce que désigne un « Il existe » quel-
conque, ce n’est rien d’autre,
par exemple, qu’un nombre à satisfaire une équation.

Je ne tranche pas de savoir si le nombre est à considérer ou non comme du réel.


Pour ne pas vous laisser dans l’ambiguïté, je peux vous dire que je tranche : que
le nombre fait partie du réel.
Mais c’est ce réel privilégié à propos de quoi le maniement de la vérité fait pro-
gresser la logique.

Quoi qu’il en soit, le mode d’existence d’un nombre n’est pas à proprement
parler
ce qui peut pour nous assurer ce qu’il en est de l’existence chaque fois que le
prosdiorisme « quelque » est avancé.

Il y a un deuxième plan sur lequel ce que je ne fais ici qu’épingler comme repère...
du champ dans lequel nous aurons à nous avancer
...d’une logique qui nous serait propice, c’est celui de la modalité.

La modalité, comme chacun sait aussi, à ouvrir Aristote, c’est ce qu’il en est du
possible, de ce qui se peut.
Je ne ferai ici qu’en indiquer aussi l’entrée, le frontispice. Aristote joue des
quatre catégories :
de l’impossible qu’il oppose au possible,
du nécessaire qu’il oppose au contingent.

Nous verrons qu’il n’est rien de tenable dans ces oppositions, et aujourd’hui je
vous pointe simplement
164
ce qu’il en est d’une formulation du nécessaire qui est proprement ceci : « ne pas
pouvoir ne pas ».
« Ne pas pouvoir ne pas », c’est là proprement ce qui, pour nous, définit la
nécessité.

Ça va où ?
De l’impossible : « ne pas pouvoir »,
à « pouvoir ne pas » : est-ce le possible ou le contingent ?

Mais ce qu’il y a de certain c’est que si vous voulez faire la route contraire, ce
que vous trouvez c’est pouvoir ne pas pouvoir, c’est-à-dire que ça conjoint
l’improbable, le caduc, de ceci qui peut arriver, à savoir :
non pas cet impossible auquel on retournerait en bouclant la boucle,
mais tout simplement l’impuissance.
Ceci simplement pour indiquer, en frontispice, le deuxième champ des
questions à ouvrir.

Le troisième terme c’est la négation.


Est-ce que déjà il ne vous semble pas, bien que ce que j’ai ici écrit de ce qui le
complète dans les formules l’année dernière déjà notées au tableau : : !, c’est à
savoir qu’il y a 2 formes tout à fait différentes de négation possibles,
pressenties déjà par les grammairiens. Mais à la vérité, comme c’était dans une
grammaire qui prétendait aller
« des mots à la pensée » 18, c’est tout dire : l’embarquement dans la sémantique,
c’est le naufrage assuré !

La distinction pourtant faite de la forclusion et de la discordance est à rappeler à


l’entrée de ce que nous ferons cette année.
Encore faut-il que je précise...
et ce sera l’objet des entretiens qui suivront,
de donner à chacun de ces chapitres le développement qui convient
...la forclusion ne saurait, comme le disent Damourette et Pichon, être liée en soi-
même
au « pas »,
au « point »,
au « goutte »,
au « mie »,

18
Jacques Damourette et Édouard Pichon : « Des mots à la pensée, Essai de grammaire de la langue
française », 1911-1946, Vrin 2001.
165
ou à quelques-uns des autres de ces accessoires qui paraissent le supporter dans
le français.
Néanmoins il est à remarquer que ce qui va contre c’est notre précisément « pas
tous » : notre « pas tous » c’est la discordance.

Mais qu’est-ce que c’est que la forclusion ?


Assurément, elle est à placer dans un registre différent de celui de la discordance.
Elle est à placer au point où nous avons écrit le terme dit de « la fonction ».

Ici se formule l’importance du dire : il n’est de forclusion que du dire.


Que de ce quelque chose qui existe, l’existence étant déjà promue à ce
qu’assurément il nous faut lui donner de statut : que quelque chose puisse être
dit ou non, c’est de cela qu’il s’agit dans la forclusion.
Et de ce que quelque chose n’en puisse être dit, assurément, il ne saurait être conclu
qu’une question sur le réel.

Pour l’instant la fonction x, telle que je l’ai écrite, ne veut dire que ceci : que
pour tout ce qu’il en est de l’être parlant,
le rapport sexuel fait question. C’est bien là toute notre expérience, je veux dire le
minimum que nous puissions en tirer.

Qu’à cette question, comme à toute question...


il n’y aurait pas de question s’il n’y avait de réponse
...que les modes sous lesquels cette question se pose, c’est-à-dire les réponses ce
soit précisément
ce qu’il s’agit d’écrire dans cette fonction, c’est là ce qui va nous permettre sans
aucun doute de faire jonction
entre ce qui s’est élaboré de la logique, et ce qui peut, sur le principe...
considéré comme effet du réel
...sur le principe qu’il n’est pas possible d’écrire le rapport sexuel, sur ce principe
même de fonder ce qu’il en est de la fonction,
de la fonction qui règle tout ce qu’il en est de notre expérience, en ceci : qu’à faire
question, le rapport sexuel...
qui n’est pas, en ce sens qu’on ne peut l’écrire
...ce rapport sexuel détermine tout ce qui s’élabore d’un discours dont la nature est
d’être un discours rompu.

166
15 Décembre 1971
Séminaire : Panthéon-Sorbonne Table
des matières

On m’a donné ce matin, on m’a apporté ce matin, on m’a fait cadeau ce matin,
de ça : d’un petit stylo.
Si vous saviez ce que c’est difficile pour moi de trouver un stylo qui me plaise,
eh bien, vous sentiriez combien ça m’a fait plaisir, et la personne qui me l’a
apporté, qui est peut-être là, je la remercie.

C’est une personne qui m’admire, comme on dit !


Moi, je m’en fous qu’on m’admire. [Rires]
Ce que j’aime, c’est qu’on me traite bien !
Seulement, même parmi celles-là, ça arrive rarement.

Bon, quoi qu’il en soit, je m’en suis tout de suite servi pour écrire et c’est de là
que partent mes réflexions.
C’est un fait que, au moins pour moi, c’est quand j’écris que je trouve quelque
chose.
Ça veut pas dire que si j’écrivais pas, je trouverais rien, mais enfin je m’en
apercevrais peut-être pas.

En fin de compte, l’idée que je me fais de cette fonction de l’écrit...


qui comme ça, grâce à quelques petits malins, est à l’ordre du jour et sur quoi
enfin
je n’ai peut-être pas trop voulu prendre parti, mais on me force la main.
Pourquoi pas ?
...l’idée que je m’en fais en somme...
et c’est ça qui peut-être dans certains cas a prêté à confusion
...je vais le dire comme ça, tout cru, tout massif, parce que aujourd’hui
justement je me suis dit
que l’écrit ça peut être très utile pour que je trouve quelque chose.

Mais écrire quelque chose pour m’épargner ici, disons la fatigue ou le risque, ou
bien d’autres choses encore
que je veux vous parler, ça ne donne pas finalement de très bons résultats.
Il vaut mieux que je n’aie rien à vous lire.

167
D’ailleurs, ce n’est pas la même sorte d’écrit
qui est l’écrit où je fais quelques trouvailles de temps en temps,
ou l’écrit où je peux préparer ce que j’ai à dire ici.

Puis alors il y a aussi l’écrit pour l’impression, qui est encore tout à fait autre
chose, qui n’a aucun rapport,
ou plus exactement dont il serait fâcheux de croire que ce que je peux avoir
écrit une fois pour vous parler,
ça constitue un écrit tout à fait recevable et que je recueillerais.

Donc je me risque à dire quelque chose comme ça, qui saute le pas.
L’idée que je me fais de l’écrit, pour le situer, pour partir de là, on pourrait
discuter après, bon enfin disons-le :
c’est le retour du refoulé.

Je veux dire que c’est sous cette forme...


et c’est ça qui peut-être a pu prêter à confusion dans certains de mes Écrits
précisément
...c’est que si j’ai pu parfois paraître prêter à ce qu’on croie que j’identifie le
signifiant et la lettre, c’est justement parce que
c’est en tant que lettre qu’il me touche le plus, moi comme analyste,
c’est en tant que lettre que le plus souvent je le vois revenir le signifiant, le
signifiant refoulé.

Alors que je l’image dans « L’instance de la Lettre... », enfin avec une lettre, ce
signifiant,
et d’ailleurs je dois dire que c’est d’autant plus légitime que tout le monde fait
comme ça,
la 1ère fois qu’on entre à proprement parler dans la logique...
il s’agit d’Aristote et des « Analytiques »
...ben on se sert de la lettre aussi, pas tout à fait de la même façon que celle
dont la lettre revient à la place
du signifiant qui fait retour. Elle vient là pour marquer une place, la place d’un
signifiant qui, lui, est un signifiant qui traîne,
qui peut tout au moins traîner partout.

Bon. Mais on voit que la lettre, elle est faite en quelque sorte pour ça,
et on s’aperçoit qu’elle est d’autant plus faite pour ça que c’est comme ça
qu’elle se manifeste d’abord.

168
Je sais pas si vous vous rendez bien compte, mais enfin j’espère que vous y
penserez, parce que ça suppose quand même quelque chose qui n’est pas dit
dans ce que j’avance. Il faut qu’il y ait une espèce de transmutation qui s’opère
du signifiant à la lettre - quand le signifiant n’est pas là, est à la dérive n’est-ce
pas, a foutu le camp - dont il faudrait
se demander comment ça peut se produire.

Mais ce n’est pas là que j’ai l’intention de m’engager aujourd’hui. J’irai peut-être
un autre jour. Oui !
Tout de même on ne peut pas faire que, sur le sujet de cette lettre, on n’ait
affaire dans un champ qui s’appelle mathématique, à un endroit où on ne peut pas
écrire n’importe quoi. Bien sûr ce n’est pas...
Je ne vais pas non plus m’engager là-dedans.

Je vous fais simplement remarquer que c’est en ça que ce domaine se distingue,


et c’est même probablement ça qui constitue ce à quoi je n’ai pas encore fait
allusion ici, c’est-à-dire ici au séminaire, mais enfin que j’ai amené dans
quelques propos où sans doute certains de ceux qui sont ici ont assisté,
à savoir à Sainte-Anne, quand je posais la question de ce qu’on pourrait appeler
un mathème,
en posant déjà que c’est le point pivot de tout enseignement, autrement dit qu’il
n’y a d’enseignement que mathématique, le reste est plaisanterie.

Ça tient bien sûr à un autre statut de l’écrit que celui que j’ai donné d’abord.
Et la jonction enfin, en cours de cette année de ce que j’ai à vous dire, c’est ce
que j’essaierai de faire.

En attendant, ma difficulté...
celle en somme où malgré tout je tiens,
je ne sais pas si ça vient de moi ou si c’est pas plutôt par votre concours
...ma difficulté c’est que mon mathème à moi, vu le champ du discours que j’ai à
établir, eh ben il confine toujours à la connerie.

Ça va de soi avec ce que je vous ai dit, puisqu’en somme ce dont il s’agit c’est
que le rapport sexuel : il n’y en a pas.
Il faudrait l’écrire h.i-h.a.n et appât, avec deux p, un accent circonflexe et un t à
la fin : « hi-han appât ».

169
Il ne faut pas confondre naturellement : des relations sexuelles il n’y a que ça, mais
des rencontres sexuelles c’est toujours raté, même et surtout quand c’est un acte.
Bon, enfin passons... [Rires]

C’est ça qui m’a tout de même attiré une remarque comme ça. J’aimerais,
pendant qu’il en est encore temps que...
parce qu’on aura à le voir, on aura tout au moins à voir des choses autour,
c’est une très bonne introduction, c’est quelque chose d’essentiel, et c’est la
« Métaphysique » d’Aristote
...je voudrais vraiment que vous l’ayez lu, pour faire enfin que quand j’y
viendrai, je sais pas, au début du mois de mars, pour y voir le rapport avec
notre affaire à nous, il faudrait que vous ayez bien lu ça.

Naturellement c’est pas de ça que je vous parlerai. C’est pas que je n’admire pas
la connerie, je dirai plus : je me prosterne. Vous, vous ne vous prosternez pas,
vous êtes des électeurs conscients et organisés, vous votez pas pour des cons,
c’est ce qui vous perd ! [Rires] Un heureux système politique devrait permettre à la
connerie d’avoir sa place et d’ailleurs
les choses ne vont bien que quand c’est la connerie qui domine. Ceci dit, ce n’est
pas une raison pour se prosterner.

Donc, le texte que je prendrai, c’est quelque chose qui est un exploit, et un
exploit comme il y en a beaucoup qui sont,
si je puis dire inexploités : c’est le « Parménide » de Platon qui nous rendra service.
Mais pour bien le comprendre,
pour comprendre enfin le relief qu’il y a à ce texte pas con, il faut avoir lu la
« Métaphysique » d’Aristote.

Et enfin j’espère, j’espère parce que quand je conseille qu’on lise la Critique de la
raison pure comme un roman [lapsus]
...de la raison pratique, c’est quelque chose de plein d’humour, je ne sais pas si
personne, enfin, a jamais suivi ce conseil
et a réussi à le lire comme moi.

On m’en a pas fait part, c’est quelque part dans le « Kant avec Sade » dont je sais
jamais si personne l’a lu.
Alors je vais faire pareil, je vais vous dire : lisez la « Métaphysique » d’Aristote , et
j’espère que, comme moi,
vous sentirez que c’est vachement con. [Rires]

170
Enfin je ne voudrais pas m’étendre longtemps là-dessus, c’est comme ça des
petites remarques latérales bien sûr,
qui me viennent, ça ne peut que frapper tout le monde quand on le lit, quand
on lit le texte bien sûr.
Il s’agit pas de la « Métaphysique » d’Aristote comme ça dans son essence, dans le
signifié,
dans tout ce qu’on vous a expliqué à partir de ce magnifique texte, c’est-à-dire
tout ce qui a fait la métaphysique
pour cette partie du monde où nous sommes, car tout est sorti de là, c’est
absolument fabuleux.

On parle de « la fin de la métaphysique », au nom de quoi ? Tant qu’il y aura ce


bouquin, on pourra toujours en faire !
Ce bouquin, c’est un bouquin - c’est très différent de la métaphysique - c’est un
bouquin écrit dont je parlais tout à l’heure. On lui a donné un sens qu’on appelle
la métaphysique, mais il faut quand même distinguer le sens et le bouquin.

Naturellement une fois qu’on lui a donné tout ce sens, c’est pas facile de
retrouver le bouquin.
Si vous le retrouvez vraiment vous verrez ce que tout de même des gens, qui
ont une discipline...
et qui existe, et qui s’appelle la méthode,
la méthode historique, critique, exégétique, tout ce que vous voudrez
...qui sont capables de lire le texte avec évidemment une certaine façon de se
barrer du sens,
et quand on regarde le texte, eh bien évidemment il vous vient des doutes.

Je dirai que, comme bien entendu parce que cet obstacle de tout ce qu’on en a
compris, ça ne peut exister qu’au niveau universitaire et que l’Université
n’existe pas depuis toujours, enfin dans l’Antiquité 3 ou 4 siècles après Aristote,
on a commencé à émettre des doutes, naturellement les plus sérieux sur ce
texte, parce qu’on savait encore lire,
on a émis des doutes, on a dit de ça que c’est des séries de « notes » ou bien que
c’est un élève qui a fait ça,
qui a rassemblé des trucs.

Je dois dire que je ne suis pas convaincu du tout.


C’est peut-être parce que je viens de lire un bouquin d’un nommé Michelet...
pas le nôtre, pas notre poète, quand je dis « notre poète », je veux dire par là que je le
place très haut le nôtre
171
...c’est un type comme ça qui était à l’Université de Berlin, qui s’appelait
Michelet lui aussi,
qui a fait un livre sur la « Métaphysique » d’Aristote 19, précisément là-dessus.

Parce que la méthode historique qui florissait alors l’avait un peu taquiné avec
les doutes émis,
non sans fondement puisque ils remontent à la plus haute Antiquité.
Je dois dire que Michelet n’est pas de cet avis et moi non plus.
Parce que vraiment, comment dirais-je, la connerie fait preuve pour ce qui est de
l’authenticité.

Ce qui domine c’est l’authenticité si je puis dire, de la connerie.


Peut-être que ce terme « authentique » qui est toujours un petit peu compliqué
chez nous, comme ça,
avec des résonances étymologiques grecques, il y a des langues où il est mieux
représenté, c’est « echt »,
je sais pas comment avec ça on fait un nom, ça doit être l’Echtigkeit ou quelque
chose comme ça, qu’importe.
Il y a tout de même rien d’authentique que la connerie.

Alors cette authenticité, c’est peut-être pas l’authenticité d’Aristote, mais la


Métaphysique - je parle du texte -
c’est authentique, ça ne peut pas être fait de pièces ou de morceaux,
c’est toujours à la hauteur de ce qu’il faut bien maintenant que j’appelle, que je
justifie de l’appeler : la connerie.

La connerie c’est ça, c’est ce dans quoi on entre quand on pose les questions à un
certain niveau,
qui est celui-là précisément, déterminé par le fait du langage [S1→ S2], quand on
approche de sa fonction essentielle
qui est de remplir tout ce que laisse de béant qu’il ne puisse y avoir de rapport sexuel,
ce qui veut dire qu’aucun écrit ne puisse en rendre compte en quelque sorte
d’une façon satisfaisante, qui soit écrit en tant que produit du langage [S1→ S2 ↓a].

19
Carl Ludwig Michelet : « Examen Critique de l'Ouvrage d'Aristote Intitulé Métaphysique », Vrin,
2002.

172
Parce que, bien entendu, depuis que nous avons vu les gamètes, nous pouvons
écrire au tableau :
« homme = porteur de spermatozoïdes ». Ce qui serait une définition un peu drôle
parce qu’il n’y a pas que lui qui en porte,
il y a des tas d’animaux ! De ces spermatozoïdes-là, des spermatozoïdes d’hommes
alors, commençons à parler de biologie !

Pourquoi les spermatozoïdes d’hommes sont-ils justement ceux que porte


l’homme ?
Parce que, comme c’est des spermatozoïdes d’homme qui font l’homme, nous
sommes dans un cercle qui tourne là ! Mais qu’importe, on peut écrire ça.

Seulement ça n’a aucun rapport avec quoi que ce soit qui puisse s’écrire, si je
puis dire, de sensé,
c’est-à-dire qui ait un rapport au réel. Ce n’est pas parce que c’est biologique que
c’est plus réel :
c’est le fruit de la science qui s’appelle biologique.

Le réel c’est autre chose :


Le réel c’est ce qui commande toute la fonction de la signifiance.
Le réel c’est ce que vous rencontrez justement : de ne pouvoir, en mathématique, pas
écrire n’importe quoi.
Le réel c’est ce qui intéresse ceci : que dans ce qui est notre fonction la plus commune
vous baignez dans la signifiance.

Eh bien vous ne pouvez les attraper tous en même temps les signifiants, hein !
C’est interdit par leur structure même : quand vous en avez certains, un paquet,
vous n’avez plus les autres, ils sont refoulés.
Ça ne veut pas dire que vous les dites pas quand même : justement, vous les dites
« inter », ils sont inter-dits.

Ça vous empêche pas de les dire, mais vous les dites censurés :
ou bien tout ce qu’est la psychanalyse n’a aucun sens, est à foutre au panier,
ou bien ce que je vous dis là doit être votre vérité première.

Alors c’est ça dont il va s’agir cette année : du fait qu’en se plaçant à un certain
niveau...
Aristote ou pas, mais en tout cas le texte est là authentique
...quand on se place à un certain niveau, ça va pas tout seul.
173
C’est passionnant de voir quelqu’un d’aussi aigu, d’aussi savant, d’aussi alerte,
d’aussi lucide,
se mettre à patauger là de cette façon. Parce que quoi ? Parce qu’il s’interroge
sur le principe.
Naturellement il n’a pas la moindre idée que le principe c’est ça, c’est qu’il n’y a
pas de rapport sexuel.
Il n’en a pas idée, mais on voit que c’est uniquement à ce niveau-là qu’il se pose
toutes les questions.

Et alors ce qu’il lui sort comme vol d’oiseau à sortir du chapeau où simplement
il a mis une question
dont il ne connaît pas la nature : vous comprenez, c’est comme le prestidigi-
tateur qui croit avoir mis...
enfin, il faut bien qu’on l’introduise le lapin, naturellement, qui doit sortir
...et puis après il en sort un rhinocéros ! c’est tout à fait comme ça pour Aristote.

Car où est le principe ?


Si c’est le genre, mais alors si c’est le genre il devient enragé parce que : est-ce que
c’est le genre général ou le genre le plus spécifié ?
Il est évident que le plus général est le plus essentiel,
mais que tout de même le plus spécifié, c’est bien ce qui donne ce qu’il y a
d’unique en chacun.

Alors, sans même se rendre compte...


Dieu merci, parce que grâce à ça il ne les confond pas
...parce que cette histoire d’essentialité et cette histoire d’unicité, c’est la même chose
ou plus exactement
c’est homonyme à ce qu’il interroge - Dieu merci, il ne les confond pas - c’est
pas de là qu’il les fait sortir.

Il se dit :
est-ce que le principe c’est l’Un ?
ou bien est-ce que le principe c’est l’Être ?

Alors à ce moment-là, ça s’embrouille vachement !


Comme il faut à tout prix que ce l’Un soit, et que l’Être soit Un, là nous perdons
les pédales. Car justement, le moyen de ne pas déconner, c’est de les séparer
sévèrement, c’est ce que nous essaierons de faire par la suite. Assez pour
Aristote.
174
Je vous ai annoncé...
j’ai déjà franchi le pas l’année dernière
...que ce non-rapport, si je puis m’exprimer ainsi, il faut l’écrire, il faut l’écrire à tout
prix,
je veux dire écrire l’autre rapport, celui qui fait bouchon à la possibilité d’écrire
celui-ci.

Et déjà l’année dernière, j’ai mis sur le tableau quelques choses dont après tout je ne
trouve pas mauvais de les poser d’abord.
Naturellement, il y a là quelque chose d’arbitraire. Je ne vais pas m’excuser en
me mettant à l’abri des mathématiciens,
les mathématiciens font ce qu’ils veulent, et puis moi aussi.

Tout de même, simplement pour ceux qui ont besoin de me donner des
excuses, je peux faire remarquer que dans les « Éléments » de Bourbaki20 on
commence par foutre les lettres sans dire absolument rien de ce à quoi elles
peuvent servir.

Je parle... appelons ça symboles écrits, car ça ne ressemble même pas à aucune


lettre, et ces symboles représentent quelque chose qu’on peut appeler des opérations,
on ne dit absolument pas desquelles il s’agit, ça ne sera que 20 pages plus loin
qu’on commencera à pouvoir le déduire rétroactivement d’après la façon dont
on s’en sert.

Je n’irai pas du tout jusque-là. J’essaierai tout de suite d’interroger ce que


veulent dire les lettres que j’aurais écrites.
Mais comme après tout je pense que pour vous, ça serait beaucoup plus
compliqué que je les amène une par une,
à mesure qu’elles s’animeront, qu’elles prendront valeur de fonction, je préfère
poser ces lettres
comme ce autour de quoi j’aurais à tourner ensuite.

Déjà l’année dernière j’ai cru pouvoir poser ce dont il s’agit : x, et que je
crois...
pour des raisons qui sont de tentatives

20
Nicolas Bourbaki : « Éléments d’histoire des mathématiques », Hermann, 1974.

175
...pouvoir écrire comme en mathématiques, c’est à savoir :
la fonction qui se constitue de ce qu’il existe cette jouissance appelée jouissance
sexuelle
et qui est proprement ce qui fait barrage au rapport.

Que la jouissance sexuelle ouvre pour l’être parlant la porte à la jouissance, et là ayez
un peu d’oreille,
apercevez-vous que la jouissance, quand nous l’appelons comme ça tout court,
c’est peut-être la jouissance pour certains - je l’élimine pas - mais vraiment c’est
pas la jouissance sexuelle.

C’est le mérite qu’on peut donner au texte de Sade que d’avoir appelé les
choses par leur nom :
jouir, c’est jouir d’un corps,
jouir c’est l’embrasser, c’est l’éteindre, c’est le mettre en morceaux.

En droit, avoir la jouissance de quelque chose c’est justement ça :


c’est pouvoir traiter quelque chose comme un corps, c’est-à-dire le démolir,
n’est-ce pas.
C’est le mode de jouissance le plus régulier, c’est pour ça que ces énoncés ont
toujours une résonance sadienne.
Il ne faut pas confondre sadienne avec sadique, parce qu’on a dit tellement de
conneries
précisément sur le sadisme que le terme est dévalorisé !
Je ne m’avance pas plus sur ce point.

Ce que produit cette relation du signifiant à la jouissance, c’est ce que j’exprime


par cette notation X.
Ça veut dire que X lui ne désigne qu’un signifiant. Un signifiant ça peut être
chacun de vous,
chacun de vous précisément au niveau, au niveau mince où vous existez comme
sexués.

Il est très mince en épaisseur si je puis dire, mais il est beaucoup plus large en
surface que chez les animaux,
chez qui, quand ils ne sont pas en rut, vous ne les distinguez pas ce que
j’appelais dans le dernier séminaire,
le petit garçon et la petite fille, les lionceaux par exemple, ils se ressemblent tout à
fait dans leur comportement.
Pas vous, à cause que justement c’est comme signifiant que vous vous sexuez.
176
Alors il ne s’agit pas là de faire la distinction, de marquer le signifiant « homme »
comme distinct du signifiant « femme », d’appeler l’un X et l’autre Y, parce que
c’est justement là la question : c’est comment on se distingue.

C’est pour ça que je mets ce X à la place du trou que je fais dans le signifiant,
c’est-à-dire que je l’y mets ce X comme variable apparente. Ce qui veut dire que
chaque fois que je vais avoir affaire
à ce signifiant sexuel, c’est-à-dire à ce quelque chose qui tient à la jouissance, je vais
avoir à faire à X,
et il y a certains, quelques uns, spécifiés parmi ces X qui sont tels qu’on peut
écrire : pour tout x quel qu’il soit : X,
c’est à dire que fonctionne ce qui s’appelle en mathématiques une fonction ,
c’est-à-dire que ça, ça peut s’écrire : ;!

Alors je vais vous dire tout de suite, je vais éclairer, enfin « éclairer » : il y a que
vous qui serez éclairés bien sûr,
enfin vous serez éclairés un petit moment. Comme disaient les stoïciens n’est-ce
pas : « quand il fait jour, il fait clair ».
Moi je suis évidemment, comme je l’ai mis au dos de mes Écrits, du parti des
lumières : j’éclaire, dans l’espoir du Jour J, bien sûr. Seulement, c’est justement lui qui
est en question, le jour J, il n’est pas pour demain.

Le premier pas à faire quant à la philosophie des Lumières, c’est de savoir que le
jour n’est pas levé,
que le jour dont il s’agit est celui de quelque petite lumière dans un champ
parfaitement obscur.

Moyennant quoi vous allez croire qu’il fait clair quand je vous dirai que X, ça
veut dire la fonction qui s’appelle la castration. Comme vous croyez savoir ce que
c’est que la castration, alors je pense que vous êtes contents, au moins pour un
moment ! [Rires]

Bon, figurez-vous que moi si j’écris tout ça au tableau, et que je vais continuer,
c’est parce que moi je sais pas du tout ce que c’est que la castration !

Et que j’espère, à l’aide de ce jeu de lettres venir, à ce qu’enfin justement « le


jour se lève »,

177
à savoir qu’on sache que la castration, il faut bien en passer par là et qu’il n’y
aura pas de discours sain...
à savoir : qui ne laisse dans l’ombre la moitié de son statut et de son
conditionnement
...tant qu’on ne le saura pas, et on ne le saura qu’à avoir fait jouer à différents
niveaux de relations topologiques,
une certaine façon de changer les lettres et de voir comment ça se répartit.
Jusque-là vous en êtes réduits à de petites histoires, à savoir que Papa a dit : « on
va te la couper »...
Enfin, comme si c’était pas la connerie type !

Alors il y a quelque part un endroit où on peut dire que tout ce qui s’articule de
signifiant tombe sous le coup de X,
de cette fonction de castration. Ça a un petit avantage de formuler les choses comme
ça.
Il peut vous venir à l’idée justement que si tout à l’heure j’ai...
non sans intention, je suis plus rusé que j’en ai l’air
...je vous ai amené comme remarque sur le sujet de l’inter-dit, à savoir :
« que tous les signifiants ne peuvent pas être là tous ensemble » jamais, ça a peut être
rapport :
je n’ai pas dit que l’inconscient = la castration,
j’ai dit que ça a beaucoup de rapport.

Évidemment, écrire comme ça X c’est écrire une fonction d’une portée, comme
dirait Aristote, incroyablement générale. Que ça veuille dire que le rapport à un
certain signifiant...
vous voyez que je l’ai pas encore dit, mais enfin disons-le
...un signifiant qui est par exemple « un homme » ...
tout ça est tuant parce qu’il y a beaucoup à remuer, et puis personne ne l’ayant
fait
jamais avant moi, ça risque à tout instant de me dégringoler sur la tête
... « un homme », j’ai pas dit « l’homme » : c’est assez rigolo tout de même que dans
l’usage comme ça, du signifiant,
on dise au gars « sois un homme », on ne lui dit pas « sois l’homme », non, on lui dit
« sois un homme », pourquoi ?
Ce qu’il y a de curieux, c’est que ça ne se dit pas beaucoup « sois une femme »,
mais on parle par contre de « la femme », article défini. On a beaucoup spéculé
sur l’article défini. Mais enfin, nous retrouverons ça quand il faudra.

178
Ce que je veux simplement vous dire, c’est que ce qu’écrit X, ça veut dire - je
ne dis même pas ces deux signifiants-là précisément - mais eux et un certain
nombre d’autres qui s’articulent avec donc ont pour effet
qu’on ne peut plus disposer de l’ensemble des signifiants et que c’est peut-être bien là
une première approche
de ce qu’il en est de la castration, du point de vue bien sûr de cette fonction
mathématique que mon écrit imite.

Dans un premier temps je ne vous demande pas plus que de reconnaître que
c’est imité.
Ça ne veut pas dire que pour moi qui y ait déjà réfléchi, ça n’aille pas beaucoup
plus loin.

Enfin, il y a moyen d’écrire que X, ça fonctionne.


C’est le propre d’une façon d’écriture qui est issue du premier traçage logicien
dont Aristote est le responsable,
ce qui lui a donné ce prestige tient du fait que c’est formidablement jouissif la logique
justement parce que ça tient à ce champ de la castration.

Enfin, comment pourriez-vous justifier, à travers l’histoire, qu’une période


aussi ample comme temps,
aussi brûlante comme intelligence, aussi foisonnante comme production, que
notre Moyen âge,
ait pu s’exciter à ce point sur ces affaires de la logique, et aristotélicienne !

Pour que ça les ait mis dans cet état…


car ça venait à soulever des foules, parce que par l’intermédiaire des logiciens ça
avait des conséquences théologiques où la logique dominait beaucoup le théo, ce qui
n’est pas comme chez nous où il n’y a plus que le théo qui reste, toujours là bien
solide dans sa connerie, et où la logique est légèrement évaporée
…c’est bien que c’est jouissif cette histoire.

C’est d’ailleurs de là qu’est pris tout le prestige qui, dans la construction


d’Aristote, a retenti sur cette fameuse « Métaphysique », où il débloque à plein
tube.

Mais à ce niveau-là...
car je ne vais pas aujourd’hui vous faire un cours d’histoire de la logique
...si vous voulez aller chercher simplement les « Premiers Analytiques », ce qu’on
appelle plus exactement
179
les « Analytiques antérieurs », même pour ceux qui - bien entendu les plus
nombreux - n’auront jamais le courage de le lire, encore que ce soit fascinant, je
vous recommande quand même - ce qu’on appelle le Livre I, chapitre 46 21
n’est-ce pas - de lire ce qu’Aristote produit sur ce qu’il en est de la négation, à
savoir sur la différence qu’il y a à dire « l’homme n’est pas blanc »,
si c’est bien ça le contraire de « l’homme est blanc » ou si...
comme bien des gens le croyaient, et le croyaient déjà à son époque - ça ne l’a
pas arrêté pour autant
...ou si le contraire c’est de dire « l’homme est non blanc ».

C’est absolument pas la même chose.


Je pense que rien qu’à l’énoncer comme ça, la différence est sensible.

Seulement il est très important de lire ce chapitre parce que, on vous a raconté
tellement de choses sur la logique des prédicats, au moins ceux qui ont déjà essayé
de se frotter aux endroits où on parle de ces trucs là,
que vous pourriez vous imaginer que le syllogisme est tout entier dans la logique
des prédicats.
C’est une petite indication que je fais latéralement.
Comme je n’ai pas voulu m’y attarder, peut-être que j’aurai le temps de le
reprendre un jour.

Je veux simplement dire qu’il y a eu - pour que je puisse l’écrire ainsi - au début
du XIXème siècle, une mutation essentielle, c’est la tentative d’application de
cette logique à ce dont déjà tout à l’heure je vous ai indiqué qu’il a un statut
spécial,
à savoir le signifiant mathématique. Ça a donné ce mode d’écriture dont je
pense que j’aurai le temps par la suite
de vous faire sentir le relief et l’originalité, à savoir que ça ne dit plus du tout la
même chose que les propositions
- car c’est de cela dont il s’agit - qui fonctionnent dans le syllogisme.

À savoir que, comme je l’ai déjà écrit l’année dernière : . !, le signe de la négation mis
au niveau où il y a le grand A [], c’est une possibilité qui nous est ouverte
justement par cette introduction des quanteurs,
dans l’usage de ces quanteurs appelés généralement quantificateurs, et que je
préfère appeler ainsi...
je ne suis pas le seul ni le premier, parce que la chose importante

21
Aristote : « Organon III. Les premiers analytiques », trad. Tricot, Vrin 2001, pp. 194-195.
180
est que vous sachiez ce qui est évident : que ça n’a absolument rien à faire avec
la quantité,
on l’appelle comme ça parce qu’on n’a pas trouvé mieux, ce qui est un signe
...enfin, cette articulation des quanteurs nous permet ce qui n’a jamais été fait
dans cette logique des quanteurs,
c’est ce que je fais parce que je considère que pour nous ça peut être très
fructueux, c’est la fonction du « pas-tous ».

Il y a un ensemble de ces signifiants qui supplée à la fonction du sexué, qui y


supplée pour ce qui est de la jouissance,
à un endroit où c’est « pas-tous » qui fonctionne dans la fonction de la castration.
Je continue à me servir des quanteurs.
Il y a une façon qu’on a de les articuler c’est d’écrire X, ça veut dire « il existe ».
Il existe - quoi ? - un signifiant.

Quand vous traitez de signifiant mathématique, ceux qui ont un autre statut
que nos petits signifiants sexués,
qui ont un autre statut et qui mord autrement sur le réel, il faudrait peut-être
quand même essayer de faire prévaloir
dans votre esprit qu’il y a au moins une chose de réelle, et que c’est la seule dont
nous sommes sûrs, c’est le nombre.

Ce qu’on arrive à faire avec ! On en a fait pas mal ! Pour arriver jusqu’à
construire les nombres réels,
c’est-à-dire justement ceux qui ne le sont pas, il faut que le nombre, ce soit quelque
chose de réel.
Enfin, j’adresse ça en passant aux mathématiciens qui vont peut-être me lancer
des pommes cuites,
mais qu’importe, ils le feront dans le privé parce qu’ici je les intimide.

Revenons à ce que nous avons à dire : « il existe ».


Cette référence que je viens de faire n’est pas simplement une discrétion plutôt
une digression, plutôt vous dire
que « il existe » c’est là que ça a un sens, ça a un sens précaire : c’est bien en tant
que signifiant que vous existez tous.
Vous existez, vous existez sûrement... mais ça ne va pas loin. Vous existez en
tant que signifiant.

Essayez bien de vous imaginer comme ça, nettoyés de toute cette affaire, vous
m’en direz des nouvelles.
181
Après la guerre, comme ça, on nous a incités à exister de façon fortement
contemporaine. Eh ben regardez ce qu’il en reste. Vous comprenez, j’oserai dire
que les gens avaient quand même un tout petit peu plus d’idées dans la tête
quand ils démontraient l’existence de Dieu. C’est évident que Dieu existe, mais
pas plus que vous, ça va pas loin.
Enfin ceci pour mettre au point ce qu’il en est de l’existence.

Qu’est-ce qui peut bien nous intéresser concernant cet « il existe » en matière de
signifiant ?
Ça serait qu’il en existe « au moins un » pour qui ça ne fonctionne pas cette
affaire de castration [:§],
et c’est bien pour ça qu’on l’a inventé, c’est ce qui s’appelle le Père.
C’est pourquoi le Père existe au moins autant que Dieu, c’est-à-dire pas
beaucoup.

Alors naturellement il y a quelques petits malins...


je suis entouré de petits malins, ceux qui transforment ce que j’avance en
pollution intellectuelle [Rires],
comme s’exprimait une de mes patientes que je remercie de m’avoir fourni ça,
elle a trouvé ça toute seule parce que c’est une sensible - hein ? -
d’ailleurs en général il n’y a que les femmes qui comprennent ce que je dis
...alors il y en a qui ont découvert que je disais que le Père, c’était un mythe
parce que il saute aux yeux en effet
que X ne marche pas au niveau du mythe d’Œdipe.

Le Père n’est pas châtré, sans ça comment est-ce qu’il pourrait les avoir toutes ?
Vous vous rendez compte !
Elles n’existent même que là en tant que « toutes », car c’est aux femmes que ça
convient le pas-tous,
mais enfin je commenterai ça plus loin prochainement.

Donc à partir de ce qu’« il existe un » c’est à partir de là que tous les autres
peuvent fonctionner,
c’est en référence à cette exception, à cet « il existe ». Seulement voilà, à très bien
comprendre qu’on peut écrire
le rejet de la fonction : X nié [§],« il n’est pas vrai » que ça se castre, ça c’est le
mythe.
Seulement, ce dont il ne se sont pas aperçus les petits malins, c’est que c’est
corrélatif de l’existence
et que ça pose l’« il existe » de cet « il n’est pas vrai » de la castration.
182
Bon, il est deux heures !
Alors je vais simplement vous marquer la 4ème façon de faire usage de ce qu’il en
est de la négation fondée sur les quanteurs, qui est d’écrire / : « il n’en existe pas ».
« Il n’en existe pas » - qui, quoi ? - pour qui il ne soit pas vrai que la fonction X soit ce
qui domine ce qu’il en est de l’usage du signifiant.

Seulement est-ce que c’est ça que ça veut dire ?


Car tout à l’heure l’existence je vous l’ai distinguée de l’exception, et si la négation
là voulait dire / §,
sans l’exception de cette position signifiante, elle peut s’inscrire dans la négation de
la castration,
dans le rejet, dans le « il n’est pas vrai » que la castration domine tout.

C’est sur cette petite énigme que je vous laisserai aujourd’hui parce que, à la
vérité, c’est très éclairant pour le sujet.
À savoir que la négation, c’est pas une chose dont on peut user, comme ça,
d’une façon aussi simplement univoque qu’on le fait dans la logique des
propositions,
où tout ce qui n’est pas vrai est faux, et où - chose énorme - tout ce qui n’est
pas faux devient vrai.

Bon, je laisse les choses au moment où c’est l’heure qui me coupe comme il
convient, et je reprendrai les choses
le deuxième mercredi de Janvier au point précis où je les ai laissées aujourd’hui.

183
12 Janvier 1972
Séminaire : Panthéon-Sorbonne
Table des matières

Si nous trouvions dans la logique, moyen d’articuler ce que l’inconscient


démontre de valeur sexuelle,
nous n’en serions pas surpris. Nous n’en serions pas surpris, je veux dire ici
même, à mon séminaire, c’est-à-dire
au ras de cette expérience, l’analyse, instituée par Freud et dont s’instaure une
structure de discours que j’ai définie.

Reprenons ce que j’ai dit dans la densité de ma première phrase.


J’ai parlé de « valeur sexuelle ». Je ferai remarquer que ces valeurs sont des valeurs
reçues, reçues dans tout langage,
l’homme, la femme, c’est ça qu’on appelle « valeur sexuelle ».

Au départ qu’il y ait l’homme et la femme...


c’est la thèse dont aujourd’hui je pars
...c’est d’abord affaire de langage.

Le langage est tel que pour tout sujet parlant :


ou bien c’est lui,
ou bien c’est elle.
Ça existe dans toutes les langues du monde.
C’est le principe du fonctionnement du genre : féminin ou masculin.

Qu’il y ait l’hermaphrodite, ce sera seulement une occasion de jouer avec plus
ou moins d’esprit
à faire passer dans la même phrase le lui et l’elle. On ne l’appellera « ça », en
aucun cas.
Sauf à manifester par là quelque horreur du type « sacrée », on ne le mettra pas au
neutre.

Ceci dit, l’homme et la femme, nous ne savons pas ce que c’est.


Pendant un temps, cette bipolarité de valeurs a été prise pour suffisamment
supporter, suturer ce qu’il en est du sexe.
184
C’est de là-même qu’est résultée cette sourde métaphore qui pendant des siècles a
sous-tendu la théorie de la connaissance. Comme je l’ai fait remarquer ailleurs, le
monde était ce qui était perçu, voire aperçu comme à la place de l’autre valeur sexuelle.
Ce qu’il en était du νοῦς [nouss]22 - du pouvoir de connaître - étant placé du
côté positif, du côté actif
de ce que j’interrogerai aujourd’hui en demandant quel est son rapport avec
l’Un.

J’ai dit que si le pas que nous a fait faire l’analyse nous montre, nous révèle, en
tout abord serré de l’approche sexuelle,
le détour, la barrière, le cheminement, la chicane, le défilé, de la castration,
c’est là et proprement ce qui ne peut se faire qu’à partir de l’articulation telle
que je l’ai donnée du discours analytique.

C’est là ce qui nous conduit à penser que la castration ne saurait en aucun cas
être réduite à l’anecdote,
à l’accident, à l’intervention maladroite d’un propos de menace ni même de
censure.
La structure est logique. Quel est l’objet de la logique ?

Vous savez, vous savez d’expérience, d’avoir ouvert seulement un livre qui
s’intitule « Traité de Logique », combien fragile, incertain, éludé, peut être le pre-
mier temps de tout traité qui s’intitule de cet ordre : « l’art de bien conduire sa
pensée »...
la conduire où, et en la tenant par quel bout ?
...ou bien encore tel recours à une normalité dont se définirait le rationnel, indé-
pendamment du réel.
Il est clair que, après une telle tentative de le définir [le réel] comme objet de la
logique,
ce qui se présente est d’un autre ordre et autrement consistant.

22
Aristote expose sa théorie de la connaissance dans la « Métaphysique » et le « De anima ». Il
distingue dans le νοῦς deux fonctions distinctes :

la fonction réceptive, liée à l’activité sensorielle, œuvre du νοῦς passif (νοῦς παθητιχός) et la
fonction active, celle du νοῦς agent (νοῦς ποιητιχόν)
sur lequel se fonde la science. Cf. Jeanne Croissant : Aristote et les mystères, Droz, Paris, 1932.

185
Je proposerais s’il fallait, si je ne pouvais tout simplement laisser là un blanc -
mais je ne le laisse pas - je propose :
« ce qui se produit de la nécessité d’un discours ». C’est ambigu sans doute mais ce
n’est pas idiot puisque cela comporte l’implication que la logique peut
complètement changer de sens, selon d’où prend son sens tout discours.

Alors puisque c’est là ce dont prend son sens tout discours, à savoir à partir d’un autre, je
propose assez clairement
depuis longtemps pour qu’il suffise de le rappeler ici : le réel...
la catégorie que dans la triade dont est parti mon enseignement : le symbolique,
l’imaginaire et le réel
...le réel s’affirme, par un effet qui n’est pas le moindre de s’affirmer dans les
impasses de la logique.

Je m’explique. Ce qu’au départ, dans son ambition conquérante, la logique se


proposait, ce n’était rien de moins
que le réseau du discours en tant qu’il s’articule, et qu’à s’articuler ce réseau devait se
fermer en un univers
supposé enserrer et recouvrir comme d’un filet ce qu’il pouvait en être de ce
qui était à la connaissance offert.

L’expérience, l’expérience logicienne, a montré qu’il en était différemment.


Et sans avoir ici aujourd’hui - où par accident je dois m’époumoner - à entrer
plus dans le détail...
ce public est tout de même suffisamment averti d’où en notre temps a pu
reprendre l’effort logique,
pour savoir qu’à aborder quelque chose en principe d’aussi simplifié comme réel
que l’arithmétique
...il a pu être démontré que dans l’arithmétique, quelque chose peut toujours
s’énoncer, offert ou non offert à la déduction logique, qui s’articule comme en
avance sur ce dont les prémisses, les axiomes, les termes fondateurs dont peut
s’asseoir ladite arithmétique, permet de présumer comme démontrable ou
réfutable.[cf. les deux théorèmes d’incomplètude de Gödel]

Nous touchons là du doigt, en un domaine en apparence le plus sûr


[l’arithmétique] :
ce qui s’oppose à l’entière prise du discours, à l’exhaustion logique,
ce qui y introduit une béance irréductible,
c’est là que nous désignons le Réel.

186
Bien sûr avant d’en venir à ce terrain d’épreuve qui peut paraître à l’horizon,
voire incertain à ceux qui n’ont pas serré de près ses dernières épreuves, il
suffira de rappeler ce qu’est « le discours naïf ».
« Le discours naïf » se propose d’emblée, s’inscrit comme tel, comme vérité.

Il est depuis toujours apparu facile de lui démontrer à ce discours naïf « qu’il ne
sait pas ce qu’il dit »,
je ne parle pas du sujet, je parle du discours. C’est l’orée - pourquoi ne pas le
dire - de la critique, que le sophiste...
à quiconque énonce ce qui est toujours posé comme vérité
...que le sophiste lui démontre qu’« il ne sait pas ce qu’il dit ». C’est même là
l’origine de toute dialectique.

Et puis c’est toujours prêt à renaître : que quelqu’un vienne témoigner à la


barre d’un tribunal,
c’est l’enfance de l’art de l’avocat que de lui montrer qu’il ne sait pas ce qu’il dit.
Mais là nous tombons au niveau du sujet, du témoin, qu’il s’agit d’embrouiller.

Ce que j’ai dit au niveau de l’action sophistique, c’est au discours lui-même que
le sophiste s’en prend.
Nous aurons peut-être cette année - puisque j’ai annoncé que j’aurais à faire
état du « Parménide » - à montrer
ce qu’il en est de l’action sophistique.

Le remarquable, dans le développement auquel tout à l’heure je me suis référé,


de l’énonciation logicienne,
où peut-être d’aucuns se seront aperçu qu’il ne s’agit de rien d’autre que du
« théorème de Gödel » concernant l’arithmétique,
c’est que ce n’est pas à partir des valeurs de vérité que Gödel procède à sa
démonstration...
qu’il y aura toujours dans le champ de l’arithmétique quelque chose d’énonçable
dans les termes propres qu’elle comporte, qui ne sera pas à la portée
de ce qu’elle se pose à elle-même comme mode à tenir pour reçu de la
démonstration
...ce n’est pas à partir de la vérité, c’est à partir de la notion de dérivation.

C’est en laissant en suspens la valeur vrai ou faux comme telle, que le théorème
est démontrable.
Ce qui accentue ce que je dis de la béance logicienne sur ce point là, point vif...
point vif en ce qu’il illustre ce que j’entends avancer
187
...c’est que si le réel...
assurément d’un accès facile
...peut se définir comme l’impossible...
cet impossible en tant qu’il s’avère de la prise même du discours, du discours
logicien
...cet impossible-là, ce réel-là doit être par nous privilégié.

« Par nous » : Par qui ? Par les analystes.


Car il donne d’une façon exemplaire, qu’il est le paradigme de ce qui met en
question ce qui peut sortir du langage.
Il en sort certains types - que j’ai définis - de discours, comme étant ce qui instaure
un type de lien social défini.

Mais le langage s’interroge sur ce qu’il fonde comme discours.


II est frappant qu’il ne puisse le faire qu’à fomenter l’ombre d’un langage qui se
dépasserait, qui serait métalangage.
J’ai souvent fait remarquer qu’il ne peut le faire qu’à se réduire dans sa
fonction,
c’est-à-dire déjà à engendrer un discours particularisé.

Je propose...
en nous intéressant à ce réel en tant qu’il s’affirme de l’interrogation logicienne
du langage
...je propose d’y trouver le modèle de ce qui nous importe, à savoir de ce que livre
l’exploration de l’inconscient qui loin d’être...
comme a pensé pouvoir le reprendre un Jung, à revenir à la plus vieille ornière
...loin d’être un symbolisme sexuel universel, est très précisément ce que j’ai
tout à l’heure rappelé de la castration,
à souligner seulement qu’il est exigible qu’elle ne se réduise pas à l’anecdote d’une
parole entendue.

Sans quoi, pourquoi l’isoler, lui donner ce privilège de je ne sais quel


traumatisme, voire efficace de béance ?
Alors qu’il n’est trop clair qu’elle n’a rien d’anecdotique, qu’elle est
rigoureusement fondamentale
dans ce qui, non pas instaure, mais rend impossible l’énoncé de la bipolarité
sexuelle comme telle,
à savoir comme - chose curieuse - nous continuons de l’imaginer au niveau
animal.

188
Comme si chaque illustration de ce qui, dans chaque espèce, constitue le tropisme
d’un sexe pour l’autre
n’était pas aussi variable pour chaque espèce qu’est leur constitution corporelle.

Comme si, de plus, nous n’avions pas appris - appris déjà depuis un bout de
temps - que le sexe...
au niveau non pas de ce que je viens de définir comme le réel,
mais au niveau de ce qui s’articule à l’intérieur de chaque science, son objet
étant une fois défini
...que le sexe, il y a au moins deux ou trois étages de ce qui le constitue, du
génotype au phénotype et qu’après tout,
après les derniers pas de la biologie - est-ce que j’ai besoin d’évoquer lesquels ?
- il est sûr que le sexe ne fait
que prendre place comme un mode particulier dans ce qui permet la
reproduction de ce qu’on appelle un corps vivant.

Loin que le sexe en soit l’instrument type, il n’en est qu’une des formes, et ce
qu’on confond trop...
encore que Freud là-dessus ait donné l’indication, mais approximative
...ce qu’on confond trop c’est très précisément la fonction du sexe et celle de la
reproduction.

Loin que les choses soient telles qu’il y ait la filière de la gonade d’un côté, ce
que Weissmann appelait le germen,
et le branchement du corps, il est clair que le corps, que son génotype véhicule
quelque chose qui détermine le sexe
et que ça ne suffit pas : de sa production de corps, de sa statique corporelle, il
détache des hormones qui,
dans cette détermination, peuvent interférer.

Il n’y a donc pas d’un côté


d’un côté le sexe, irrésistiblement associé - parce qu’il est dans le corps - à la
vie,
le sexe imaginé comme l’image de ce qui dans la reproduction de la vie serait
l’amour, il n’y a pas cela d’un côté
et de l’autre côté le corps, le corps en tant qu’il a à se défendre contre la mort.

La reproduction de la vie telle que nous arrivons à l’interroger, au niveau de


l’apparition de ses premières formes,

189
émerge de quelque chose qui n’est ni vie, ni mort, qui est ceci : que très
indépendamment du sexe...
et même à l’occasion de quelque chose de déjà vivant
...quelque chose intervient que nous appellerons le programme ou le codon
encore,
comme ils disent à propos de tel ou tel point repéré des chromosomes.

Et puis le dialogue « vie et mort », ça se produit au niveau de ce qui est reproduit


et ça ne prend, à notre connaissance,
un caractère de drame qu’à partir du moment où dans l’équilibre vie et mort, la
jouissance intervient.

Le point vif, le point d’émergence de quelque chose qui est ce dont tous ici
nous croyons plus ou moins faire partie,
l’être parlant pour le dire, c’est ce rapport dérangé à son propre corps qui s’appelle jouis-
sance.

Et cela, ça a pour centre, ça a pour point de départ...


c’est ce que nous démontre le discours analytique
...ça a pour point de départ un rapport privilégié à la jouissance sexuelle.

C’est en quoi la valeur du partenaire autre, celle que j’ai commencé de désigner
respectivement par l’homme et par la femme, est inapprochable au langage, très
précisément en ceci :
que le langage fonctionne, d’origine, en suppléance de la jouissance sexuelle,
que c’est par là qu’il ordonne cette intrusion, dans la répétition corporelle, de la
jouissance.

C’est en quoi je vais aujourd’hui commencer de vous montrer comment, à user


de fonctions logiques,
il est possible de donner de ce qu’il en est de la castration une autre articulation
qu’anecdotique.
Dans la ligne de l’exploration logique du réel, le logicien a commencé par les
propositions.
La logique n’a commencé qu’à avoir su, dans le langage, isoler la fonction de ce
qu’on appelle les prosdiorismes,
qui ne sont rien d’autre que le « Un », le « quelque », le « tous » et la négation de ces
propositions.

Vous le savez, Aristote définit pour les opposer,


190
« les Universelles »,
et « les Particulières »,
et à l’intérieur de chacune :
« affirmative »,
et « négative ».

Ce que je peux marquer, c’est la différence qu’il y a de cet usage des prosdiorismes
à ce qui...
pour des besoins logiques, à savoir pour un abord qui n’était autre que de ce réel
qui s’appelle le nombre
...à ce qui s’est passé de complètement différent.

L’analyse logique de ce qu’on appelle fonction propositionnelle s’articule de l’isolement


dans la proposition,
ou plus exactement du manque, du vide, du trou, du creux qui est fait, de ce qui doit
fonctionner comme argument. Nommément il sera dit que tout argument d’un
domaine...
que nous appellerons comme vous le voulez X ou un A gothique [;] –
...tout argument de ce domaine, mis à la place laissée vide dans une
proposition,
y satisfera, c’est-à-dire lui donnera valeur de vérité [; !].

C’est ce qui s’inscrit de ce qui est là en bas à gauche, ce A renversé X : ; !...


peu importe quelle est là la proposition
...la fonction prend une valeur vraie pour tout X du domaine.

Qu’est-ce que cet X ?


J’ai dit qu’il se définit comme d’un domaine.
Est-ce à dire pour autant qu’on sache ce que c’est ?

Savons-nous ce que c’est qu’un homme, à dire que « tout homme est mortel » ?
Nous en apprenons quelque chose du fait de dire qu’il est mortel et justement
de savoir que pour tout homme, c’est vrai. Mais avant d’introduire le « tout homme »
nous n’en savons que les traits les plus approximatifs
et qui peuvent se définir de la façon la plus variable.

191
Ça, je suppose que vous le savez depuis longtemps, c’est l’histoire que Platon
rapporte, n’est-ce pas, du poulet plumé23.

Alors c’est bien dire qu’il faut qu’on s’interroge sur les temps de l’articulation
logique, à savoir ceci : que ce que détient
le prosdiorisme n’a, avant de fonctionner comme argument, aucun sens, il n’en
prend un que de son entrée dans la fonction.
Il prend le sens de vrai ou de faux.

Il me semble que ceci est fait pour nous faire toucher la béance qu’il y a du
signifiant à sa dénotation,
puisque le sens, s’il est quelque part, il est dans la fonction,
mais que la dénotation ne commence qu’à partir du moment où l’argument vient
s’y inscrire.

C’est du même coup mettre en question ceci qui est différent, qui est l’usage de la
lettre E également inversée : , « il existe ».
« Il existe » quelque chose qui peut servir dans la fonction comme argument et en
prendre ou n’en pas prendre valeur de vérité.
Je voudrais vous faire sentir la différence qu’il y a de cette introduction de l’« il
existe » comme problématique :

à savoir, mettant en question la fonction même de l’existence


par rapport à ce qu’impliquait l’usage des particulières dans Aristote,

à savoir que l’usage du « quelque » semblait avec soi entraîner l’existence, de sorte
que, comme le « tous » était censé comprendre ce « quelque », le
« tous » lui-même prenait valeur de ce qu’il n’est pas,
à savoir d’une affirmation d’existence.
Nous ne pourrons - vu l’heure - le voir que la prochaine fois :
il n’y a de statut du « tous », à savoir de l’Universel, qu’au niveau du possible.
Il est possible de dire - entre autre - que « tous les humains sont mortels ».
Mais bien loin de trancher la question de l’existence de l’être humain, il faut d’abord,
chose curieuse, qu’il soit assuré qu’il existe.

Ce que je veux indiquer, c’est la voie où nous allons entrer la prochaine fois.

23
Platon (Politique) définit l’homme comme « un bipède sans plume »,
Diogène plume un poulet et lui lance, le contraignant à ajouter « ...et aux ongles plats ».
192
Je voudrais dire que de l’articulation de ces quatre conjonctions argument-
fonction sous le signe des quanteurs :

C’est de là et de là seulement que peut se définir le domaine dont chacun de ces


X prend valeur.
Il est possible de proposer la fonction de vérité qui est celle-ci, à savoir que « tout
homme » se définit de la fonction phallique,
et la fonction phallique est proprement ce qui obture le rapport sexuel.

C’est autrement que va se définir cette lettre :


« A renversé » dite quanteur universel, munie, comme je le fais de la barre qui la
nie : ..
J’ai avancé le trait essentiel du « pas tous » : . !, comme étant ce dont peut s’ar-
ticuler un énoncé fondamental
quant à la possibilité de dénotation que prend une variable en fonction
d’argument.

La femme se situe de ceci :


que ce n’est pas toutes qui peuvent être dites avec vérité en fonction d’argument
dans ce qui s’énonce de la fonction phallique. Qu’est-ce que ce « pas toutes » ?

C’est très précisément ce qui mérite d’être interrogé comme structure, car
contrairement...
c’est là le point très important
...à la fonction de la « particulière négative », à savoir qu’il y en a « quelques » qui ne
le sont pas,
il est impossible d’extraire du « pas toutes » cette affirmation.

C’est le « pas toute » à quoi il est réservé d’indiquer que quelque part, et rien de
plus, elle a rapport à la fonction phallique.
Or c’est de là que partent les valeurs à donner à mes autres symboles.

C’est à savoir que rien ne peut approprier ce « tous » à ce « pas toutes », qu’il
reste...
entre ce qui fonde symboliquement la fonction argumentaire des termes :
l’homme et la femme
193
...qu’il reste cette béance d’une indétermination de leur rapport commun à la
jouissance.
Ce n’est pas du même ordre qu’ils se définissent par rapport à elle.

Ce qu’il faut...
comme je l’ai déjà dit d’un terme qui jouera un grand rôle dans ce que nous
avons à dire par la suite
...ce qu’il faut c’est que malgré ce « tous » de la fonction phallique en quoi tient la
dénotation de l’homme,
malgré ce « tous », il existe...
et « il existe » là veut dire il existe exactement comme dans la solution d’une
équation mathématique
...il existe « au moins un », il existe au moins un pour qui la vérité de sa
dénotation ne tient pas dans la fonction phallique.

Est-ce qu’il est besoin de vous mettre les points sur les i et de dire que le mythe
d’Œdipe,
c’est ce qu’on a pu faire pour donner l’idée de cette condition logique qui est
celle de l’approche,
de l’approche indirecte que la femme peut faire de l’homme ?

Si le mythe était nécessaire, ce mythe dont on peut dire qu’il est déjà à soi tout
seul extraordinaire
que l’énoncé ne paraisse pas bouffon, à savoir celle de l’homme originel qui
jouirait précisément de ce qui n’existe pas,
à savoir « toutes les femmes », ce qui n’est pas possible, pas simplement parce qu’il
est clair que… que l’on a ses limites [Rires], mais parce qu’il n’y a pas de « tout »
des femmes.

Alors ce dont il s’agit c’est bien sûr autre chose, à savoir qu’au niveau d’« au
moins un »
il soit possible que soit subvertie, que ne soit plus vraie, la prévalence de la
fonction phallique.
Et ce n’est pas parce que j’ai dit que la jouissance sexuelle est le pivot de toute
jouissance,
que j’ai pour autant suffisamment défini ce qu’il en est de la fonction phallique.
Provisoirement, admettons que ce soit la même chose.

Ce qui s’introduit au niveau de l’« au moins un » du père, c’est cet au moins un qui
veut dire que ça peut marcher sans.
194
Ça veut dire, comme le mythe le démontre, car il est uniquement fait pour
assurer ça, c’est à savoir :que la jouissance sexuelle
sera possible mais qu’elle sera limitée.

Ce qui suppose pour chaque homme, dans son rapport avec la femme, quelque
maîtrise, pour le moins, de cette jouissance. Il faut à la femme au moins ça : que ça
soit possible la castration, c’est son abord de l’homme.
Pour ce qui est de la faire passer à l’acte, ladite castration, elle s’en charge.

Et pour ne pas vous quitter avant d’avoir articulé ce qu’il en est du quatrième
terme,
nous dirons ce que connaissent bien tous les analystes : c’est ce que veut dire
le / §.

Faudra que j’y revienne bien sûr, puisque aujourd’hui nous avons été un peu
retardés. Je comptais couvrir, comme chaque fois d’ailleurs, un champ
beaucoup plus vaste, mais comme vous êtes patients, vous reviendrez la
prochaine fois.

Ça veut dire quoi [le / §] ?


Le « il existe », nous l’avons dit, est problématique.
Ce sera une occasion cette année d’interroger ce qu’il en est de l’existence.

Qu’est-ce qui existe après tout ?


Est-ce qu’on s’est même jamais aperçu qu’à côté du fragile, du futile, de
l’inessentiel, que constitue l’« il existe »,
l’« il n’existe pas » lui, veut dire quelque chose ?

Qu’est-ce que veut dire d’affirmer qu’« il n’existe pas » d’X qui soit tel qu’il
puisse satisfaire à la fonction X pourvue
de la barre qui l’institue comme n’étant pas vraie : / § ? Car c’est très
précisément ce que j’ai mis en question
tout à l’heure : si « pas toutes » les femmes n’ont affaire avec la fonction
phallique, est-ce que ça implique qu’il y en a
qui ont affaire avec la castration ? Ben c’est très précisément le point par où
l’homme a accès à la femme.

Je veux dire, je le dis pour tous les analystes, ceux qui traînent, ceux qui
tournent, empêtrés dans les rapports œdipiens du côté du père. Quand ils n’en
sortent pas de ce qui se passe du côté du père, ça a une cause très précise,
195
c’est qu’il faudrait que le sujet admette que l’essence de la femme ça ne soit pas
la castration, et pour tout dire, que ce soit à partir du réel, à savoir : mis à part
un petit rien insignifiant - je ne dis pas ça au hasard - ben, elles sont pas
castrables. Parce que le phallus - dont je souligne que je n’ai point encore dit ce
que c’est - eh bien elles ne l’ont pas.

C’est à partir du moment où c’est de l’impossible comme cause, que la femme


n’est pas liée essentiellement à la castration, que l’accès à la femme est possible
dans son indétermination. Est-ce que ceci ne vous suggère pas
- je le sème pour que ça puisse avoir ici la prochaine fois sa résonance - que ce
qui est en haut et à gauche :

:§, l’« au moins un » en question, résulte d’une nécessité ? Et c’est très


proprement en quoi c’est une affaire de discours.
Il n’y a de nécessité que dite, et cette nécessité est ce qui rend possible
l’existence de l’homme comme valeur sexuelle.
Le possible - contrairement à ce qu’avance Aristote - c’est le contraire du
nécessaire.

C’est en cela - que :s’oppose à ; - qu’est le ressort du possible.


Je vous l’ai dit, le « il n’existe pas » [/] s’affirme d’un dire, d’un dire de l’homme,
l’impossible,
c’est à savoir que c’est du réel que la femme prend son rapport à la castration.

Et c’est ce qui nous livre le sens du . c’est-à-dire du « pas toutes ». Le « pas toutes »
veut dire...
comme il en était tout à l’heure dans la colonne de gauche [« ce qui est en haut et à
gauche »]
...veut dire le pas impossible : il n’est pas impossible que la femme connaisse la
fonction phallique.

Le pas impossible, qu’est-ce que c’est ?


Ça a un nom que nous suggère la tétrade aristotélicienne, mais disposée
autrement ici :
de même que c’est au nécessaire que s’opposait le possible,
à l’impossible, c’est le contingent.

196
C’est en tant que la femme, à la fonction phallique se présente en manière d’ar-
gument dans la contingence,
que peut s’articuler ce qu’il en est de la valeur sexuelle « femme ».

Il est 2 heures 16, je ne pousserai pas plus loin aujourd’hui.


La coupure est faite à un endroit qui n’est pas tout à fait spécialement sou-
haitable.
Je pense avoir assez avancé avec cette introduction du fonctionnement de ces
termes,
pour vous avoir fait sentir que l’usage de la logique n’est pas sans rapport avec
le contenu de l’inconscient.

Ce n’est pas parce que Freud a dit que l’inconscient ne connaissait pas la contradiction,
pour qu’il ne soit pas « terre promise » à la conquête de la logique.
Est-ce que nous sommes arrivés en ce siècle sans savoir qu’une logique peut
parfaitement se passer du principe de contradiction ?

Quant à dire que dans tout ce qu’a écrit Freud sur l’inconscient, la logique
n’existe pas,
il faudrait n’avoir jamais lu l’usage qu’il a fait de tel ou tel terme...
« je l’aime elle, je ne l’aime pas lui », toutes les façons qu’il y a de nier le « je l’aime
lui »,
par exemple, c’est-à-dire par des voies grammaticales
...pour dire que l’inconscient n’est pas explorable par les voies d’une logique.

197
19 Janvier 1972
Séminaire : Panthéon-Sorbonne
Table des matières

[Au tableau]

L’art, « l’art de produire une nécessité de discours », telle est la dernière fois la formule
que j’ai glissée, plutôt que proposée,
de ce que c’est que la logique. Je vous ai quittés dans le brouhaha de tout un
chacun qui se levait,
pour vous faire remarquer qu’il ne suffisait pas que Freud ait noté comme
caractère de l’inconscient,
qu’il néglige, qu’il fait bon marché du principe de contradiction pour que, comme se
l’imaginent quelques psychanalystes,
la logique n’ait rien à faire dans son élucidation.

S’il y a discours, discours qui mérite de s’épingler de la nouvelle institution


analytique,
198
il est plus que probable que, comme pour tout autre discours, sa logique doive
se dégager.

Je rappelle au passage que le discours, c’est ce dont le moins qu’on puisse dire est
que le sens reste voilé.
À vrai dire, ce qui le constitue est très précisément fait de l’absence de sens.
Aucun discours qui ne doive recevoir son sens d’un autre.

Et s’il est vrai que l’apparition d’une nouvelle structure de discours prend sens,
ce n’est pas seulement de le recevoir, c’est aussi bien s’il apparaît que ce
discours analytique,
tel que je vous l’ai situé l’année dernière, représente le dernier glissement sur
une structure tétraédrique, quadripode...
comme je l’ai appelé dans un texte publié ailleurs
...par le dernier glissement de ce qui s’articule au nom de la signifiance, il devient
sensible que quelque chose d’original
se produit de ce cercle qui se ferme.

« L’art de produire - ai-je dit - une nécessité de discours », c’est autre chose que cette
nécessité elle-même.
La nécessité logique - réfléchissez-y, il ne saurait y en avoir d’autre - est le fruit
de cette production.
La nécessité, ἀνάγκη [ananké] ne commence qu’à l’être parlant,
et aussi bien tout ce qui a pu en apparaître, s’en produire, est toujours le fait
d’un discours.

Si c’est bien ce dont il s’agit dans la tragédie, c’est bien pour autant que la
tragédie se concrétise
comme le fruit d’une nécessité qui n’est point autre...
c’est évident, car il ne s’y agit que d’êtres parlants
...d’une nécessité, dis-je, que logique.

199
Rien, il me semble, n’apparaît ailleurs que chez l’être parlant de ce qui est
proprement de ἀνάγκη [ananké].
C’est aussi bien pour cela que Descartes ne faisait des animaux que des
automates.
En quoi sûrement il s’agit d’une illusion, illusion dont nous montrerons l’inci-
dence au passage,
à propos de ce que nous allons, de cet art de produire une nécessité de discours...
« de ce que nous allons » : je vais l’essayer
...essayer de frayer.

« Produire », au double sens :

de démontrer ce qui était là avant, c’est bien en cela déjà qu’il n’est point sûr
que quelque chose ne se reflète, ne contienne l’amorce de la nécessité
dont il s’agit dans le préalable, dans le préalable de l’existence animale. Mais
faute de démonstration, ce qui est à produire doit en effet être tenu pour être
avant inexistant.

Autre sens de produire, celui sur lequel toute une recherche issue de
l’élaboration d’un discours déjà constitué, dit le discours du Maître, a déjà avancé
sous le terme de : réaliser par un travail.

C’est bien en quoi consiste ce qui se fait de... pour autant que je suis moi-même
le logicien en question, le produit
de l’émergence de ce nouveau discours, que la production au sens de
démonstration peut être devant vous ici annoncée.
Ce qui doit être supposé avoir été déjà là, par la nécessité de la démonstration,
produit de la supposition de
la nécessité de toujours, mais aussi justement témoignait de la - pas moindre -
nécessité du travail, de l’actualiser.

Mais dans ce moment d’émergence, cette nécessité donne du même coup la


preuve
qu’elle ne peut être d’abord supposée qu’au titre de l’inexistant.

Qu’est-ce donc la nécessité ?


Non ! Ce qu’il faut dire ce n’est pas « ce donc » mais « qu’est » et directement, ce « ce
donc » comportant en soi trop d’être.

200
C’est directement « Qu’est la nécessité ? » telle que du fait même de la produire
elle ne puisse, avant d’être produite,
qu’être supposée inexistante. Ce qui veut dire posée comme telle dans le
discours.
Il y a réponse à cette question comme à toute question, pour la raison qu’on ne
la pose, comme toute question,
qu’à avoir déjà la réponse. Vous l’avez donc, même si vous ne le savez pas.

Ce qui répond à cette question « Qu’est la nécessité ? » c’est ce qu’à faire


logiquement, même si vous ne le savez pas,
dans votre bricolage de tous les jours, ce bricolage qu’un certain nombre ici...
d’être avec moi en analyse, il y en a quelques uns, bien sûr pas tous
...viennent me confier sans pouvoir prendre d’ailleurs, avant un certain pas
franchi, le sentiment de ce qu’à le faire, de venir me voir, ils me supposent être
moi-même - ce bricolage - à le faire donc, c’est-à-dire tous, même ceux qui ne me
le confient pas, ils répondent déjà.

Comment ? À le répéter tout simplement, ce bricolage, de façon inlassable. C’est


ce qu’on appelle :
le symptôme à un certain niveau,
à un autre : l’automatisme, terme peu propre mais dont l’histoire peut rendre
compte.

Vous réalisez à chaque instant - pour autant que l’inconscient existe - la


démonstration dont se fonde l’inexistence
comme préalable du nécessaire, c’est l’inexistence de ce qui est au principe du
symptôme, c’est sa consistance même
au dit symptôme, depuis que le terme, d’avoir émergé avec Marx, a pris sa valeur,
ce qui est au principe du symptôme c’est à savoir l’inexistence de la vérité qu’il
suppose, quoiqu’il en marque la place.

Voilà pour le symptôme en tant qu’il se rattache à la vérité qui n’a plus cours. À ce titre
on peut dire que comme n’importe qui
qui subsiste dans l’âge moderne, aucun de vous n’est étranger à ce mode de la
réponse.

Dans le second cas, le dit automatisme, c’est l’inexistence de la jouissance que


l’automatisme dit « de répétition » fait venir au jour, de l’insistance de ce
piétinement à la porte, qui se désigne comme sortie vers l’existence.

201
Seulement, au-delà, ce n’est pas tout à fait ce qu’on appelle une existence qui vous
attend,
c’est la jouissance telle qu’elle opère comme nécessité de discours et elle n’opère, vous
le voyez, que comme inexistence.

Seulement voilà, à vous rappeler ces ritournelles, ces rengaines que je fais bien
sûr dans le dessein de vous rassurer,
de vous donner le sentiment que je ne ferai là qu’apporter des speeches sur ce
dans quoi... au nom de ceci qui aurait certaine substance, la jouissance, la vérité en
l’occasion telle qu’elle serait prônée dans Freud,
il n’en reste pas moins qu’à vous en tenir là, ce n’est pas à l’os de la structure
que vous pouvez vous référer.

« Qu’est la nécessité - ai-je dit - qui s’instaure d’une supposition d’inexistence ? Dans
cette question, ce n’est pas ce qui est inexistant qui compte, c’est justement la
supposition d’inexistence, laquelle n’est que conséquence de la production de la
nécessité. L’inexistence ne fait question que d’avoir déjà réponse - double certes -
de la jouissance et de la vérité, mais elle inexiste déjà.

Ce n’est pas par la jouissance ni par la vérité que l’inexistence prend statut, qu’elle peut
inexister,
c’est-à-dire venir au symbole qui la désigne comme inexistence, non pas au sens
de ne pas avoir d’existence,
mais de n’être existence que du symbole qui la ferait inexistante et qui, lui, existe :
c’est un nombre, comme vous le savez généralement désigné par zéro. Ce qui
montre bien que l’inexistence n’est pas ce qu’on pourrait croire : le néant.

Car qu’en pourrait-il sortir, hors la croyance, la croyance en soi ? il n’y en a pas
36 de croyances !
Dieu a fait le monde du néant, pas étonnant que ce soit un dogme.

C’est la croyance en elle-même, c’est ce rejet de la logique qui s’exprime...


il y a un de mes élèves qui a un jour trouvé ça tout seul
...et qui s’exprime selon la formule qu’il en a donnée, je le remercie : « Sûrement
pas, mais tout de même » [Octave Manoni ?].

Ça ne peut aucunement nous suffire.


L’inexistence n’est pas le néant.
C’est, comme je viens de vous le dire, un nombre qui fait partie de la série des
nombres entiers.
202
Pas de théorie des nombres entiers si vous ne rendez pas compte de ce qu’il en
est du zéro.

C’est ce dont on s’est aperçu, dans un effort dont ce n’est pas hasard qu’il est
précisément contemporain,
un peu antérieur certes, de la recherche de Freud, c’est celui qu’a inauguré, à
interroger logiquement
ce qu’il en est du statut du nombre, un nommé Frege, né 8 ans avant lui et
mort quelque 14 ans avant.

Ceci est grandement destiné [à]...


dans notre interrogation de ce qu’il en est de la nécessité logique du discours de
l’analyse
...c’est très précisément ce que je pointais de ce qui risquait de vous échapper
de la référence
dont à l’instant je l’illustrais comme application - autrement dit usage
fonctionnel - de l’inexistence,
c’est-à-dire qu’elle ne se produise que dans l’après-coup dont surgit d’abord la
nécessité,
à savoir d’un discours où elle se manifeste avant que le logicien - je vous l’ai dit -
y advienne lui-même comme conséquence 2nde, c’est-à-dire du même temps
que l’inexistence elle-même.

C’est sa fin que de se réduire où elle se manifeste d’avant lui, cette nécessité,
je le répète, la démontrant cette fois en même temps que je l’énonce.

Cette nécessité c’est la répétition elle-même : en elle-même, par elle-même, pour elle-même,
c’est-à-dire ce par quoi la vie se démontre elle-même n’être que nécessité de
discours,
puisqu’elle ne trouve pas pour résister à la mort - c’est-à-dire à son lot de
jouissance - rien d’autre qu’un truc,
à savoir le recours à cette même chose que produit une opaque pro-
grammation...
qui est bien autre chose, je l’ai souligné, que « la puissance de la vie », « l’amour »,
ou autres balivernes
...qui est cette programmation radicale qui ne commence pour nous, un peu, à
se désenténébrer qu’à ce que font
les biologistes au niveau de la bactérie et dont la conséquence n’est précisément
que la reproduction de la vie.

203
Ce que le discours fait...
à démontrer ce niveau où rien d’une nécessité logique ne se manifeste que dans la
répétition
...paraît ici rejoindre, comme un semblant, ce qui s’effectue au niveau d’un
message qu’il n’est nullement facile de réduire
à ce que de ce terme nous connaissons et qui est de l’ordre de ce qui se situe au
niveau d’une combinatoire courte
dont les modulations sont celles qui passent de l’acide désoxyribonucléique à ce qui
s’en transmettra au niveau des protéines
avec la bonne volonté de quelques intermédiaires qualifiés notamment
d’enzymatiques, ou de catalyseurs.
Que ce soit là ce qui nous permet de référer ce qu’il en est de la répétition,
ceci ne peut se faire qu’à élaborer précisément ce qu’il en est de la fiction par
quoi quelque chose nous paraît soudain
se répercuter du fond même de ce qui a fait un jour l’être vivant capable de
parler.

Il y en a, en effet, un entre tous qui n’échappe pas à une jouissance par-


ticulièrement insensée
et que je dirai locale au sens d’accidentelle, et qui est la forme organique qu’a
prise pour lui la jouissance sexuelle.

Il en colore de jouissance tous ses besoins élémentaires, qui ne sont chez les
autres êtres vivants que colmatages au regard de la jouissance. Si l’animal bouffe
régulièrement, il est bien clair que c’est pour ne pas connaître la jouissance de la
faim.

Il en colore donc, celui qui parle...


et c’est frappant, c’est la découverte de Freud
...tous ses besoins c’est-à-dire ce par quoi il se défend contre la mort.

Faut pas croire du tout pourtant pour ça que la jouissance sexuelle, c’est la vie.
Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, c’est une production locale, accidentelle,
organique,
et très exactement liée, centrée, sur ce qu’il en est de l’organe mâle.
Ce qui est évidemment particulièrement grotesque.

La détumescence chez le mâle a engendré cet appel de type spécial qui est le
langage articulé grâce à quoi s’introduit, dans ses dimensions, la nécessité de parler.
C’est de là que rejaillit la nécessité logique comme grammaire du discours.
204
Vous voyez si c’est mince ! Il a fallu, pour s’en apercevoir, rien de moins que
l’émergence du discours analytique.

« La signification du phallus », dans mes Écrits quelque part, j’ai pris soin de loger
cette énonciation que j’avais faite,
très précisément à Munich, quelque part avant 1960 : il y a une paye ! J’ai écrit
dessous « die Bedeutung des Phallus ».
C’est pas pour le plaisir de vous faire croire que je sais l’allemand - encore,
encore que ce soit en allemand,
puisque c’était à Munich, que j’ai cru devoir articuler ce dont j’ai donné là le
texte retraduit.

Il m’avait semblé opportun d’introduire sous le terme de Bedeutung ce qu’en


français,
vu le degré de culture où nous étions à l’époque parvenus, je ne pouvais
décemment traduire que par la signification.
Die Bedeutung des Phallus c’était déjà, mais les Allemands eux-mêmes, étant
donné qu’ils étaient analystes...
j’en marque la distance par une petite note qui est, au début de ce texte,
reproduite
...les Allemands n’avaient...
bien entendu je parle des analystes, on était au sortir de la guerre
et on ne peut pas dire que l’analyse avait fait, pendant, beaucoup de progrès
...les Allemands n’y ont entravé que pouic.

Tout ça leur a semblé, comme je le souligne au dernier terme de cette note, à


proprement parler inouï.
C’est curieux d’ailleurs que les choses ont changé au point que ce que je
raconte aujourd’hui
peut être devenu pour un certain nombre d’entre vous déjà, à juste titre,
monnaie courante.

Die Bedeutung, pourtant, était bien référé à l’usage que Frege24 fait de ce mot
pour l’opposer au terme de Sinn,
lequel répond très exactement à ce que j’ai cru devoir vous rappeler au niveau
de mon énoncé d’aujourd’hui,
à savoir le sens, le sens d’une proposition.

24
Gottlob Frege : « Sens et dénotation » (Sinn und Bedeutung), in « Écrits logiques et philosophiques »,
Seuil 1971, ou Points Seuil 1994.
205
On pourrait exprimer autrement...
et vous verrez que ce n’est pas incompatible,
...ce qu’il en est de la nécessité qui conduit à cet art de la produire comme nécessité de
discours.

On pourrait l’exprimer autrement : que faut-il pour qu’une parole dénote


quelque chose ?
Tel est le sens...
faites attention, les menus échanges commencent
...tel est le sens que Frege donne à Bedeutung : la dénotation.

Il vous apparaîtra clair, si vous voulez bien ouvrir ce livre qui s’appelle « Les
fondements de l’arithmétique » 25...
et qu’une certaine Claude Imbert, qui autrefois, si mon souvenir est bon,
fréquenta mon séminaire, a traduit, ce qui le laisse là pour vous,
à la portée de votre main, entièrement accessible
...il vous apparaîtra clair - comme c’était prévisible - que pour qu’il y ait à coup
sûr dénotation,
ce ne soit pas mal de s’adresser d’abord, timidement, au champ de l’arithmétique
tel qu’il est défini par les nombres entiers.
Il y a un nommé Kronecker qui n’a pas pu s’empêcher, tellement est grand le
besoin de la croyance,
de dire que « les nombres entiers, c’est Dieu qui les avait créés ». Moyennant quoi,
ajoute-t-il, l’homme a à faire tout le reste
et comme c’était un mathématicien, le reste c’était pour lui tout ce qu’il en est du
reste du nombre.

C’est justement pour autant que rien n’est sûr qui soit de cette espèce,
à savoir qu’un effort logique peut au moins tenter de rendre compte des
nombres entiers,
que j’amène dans le champ de votre considération le travail de Frege.

Néanmoins, je voudrais m’arrêter un instant - ne serait-ce que pour vous inciter


à le relire - sur ceci :
que cette énonciation que j’ai produite sous l’angle de « La signification du
phallus » ...

25
Gottlob Frege : « Les fondements de l’arithmétique : Recherche logico-mathématique sur le concept de
nombre », Seuil 1970.
206
dont vous verrez qu’au point où j’en suis - enfin c’est un petit mérite dont je
me targue –
il n’y a rien à reprendre, bien qu’à cette époque personne vraiment n’y entendît
rien :
j’ai pu le constater sur place
...qu’est-ce que veut dire La signification du phallus ?

Ceci mérite qu’on s’y arrête, car après tout une liaison ainsi déterminative,
il faut toujours se demander si c’est un génitif dit « objectif » ou « subjectif »,
tel que j’en illustre la différence par le rapprochement des deux sens, ici le sens
marqué par deux petites flèches :

un désir → d’enfant, c’est un enfant qu’on désire : [génitif] objectif.


un désir ← d’enfant, c’est un enfant qui désire : [génitif] subjectif.

Vous pouvez vous exercer, c’est toujours très utile.


La loi du talion que j’écris au-dessous sans y ajouter de commentaires, ça peut
avoir deux sens :
la loi qu’est le talion, je l’instaure comme loi,
ou ce que le talion articule comme loi, c’est-à-dire « œil pour œil, dent pour dent ».
Ça n’est pas la même chose.

Ce que je voudrais vous faire remarquer, c’est que La signification du phallus...


et ce que je développerai sera fait pour vous le faire découvrir
au sens que je viens de préciser du mot « sens », c’est-à-dire la petite flèche
...c’est neutre. La signification du phallus, ça a ceci d’astucieux que ce que le phallus
dénote, c’est le pouvoir de signification.

Ce n’est donc pas - ce x - une fonction du type ordinaire, c’est ce qui fait qu’à
condition de se servir - pour l’y placer comme argument - de quelque chose qui
n’a besoin d’avoir d’abord aucun sens,
à cette seule condition de l’articuler d’un prosdiorisme : « il existe » ou bien « tout »,
à cette condition, selon seulement le prosdiorisme...
produit lui-même de la recherche de la nécessité logique et rien d’autre
...ce qui s’épinglera de ce prosdiorisme prendra signification d’homme ou de femme,
selon le prosdiorisme choisi, c’est-à-dire :

soit l’« il existe » [:], soit l’« il n’existe pas » [/],

soit le « tout » [;], soit le « pas tout » [.].


207
Néanmoins il est clair que nous ne pouvons pas ne pas tenir compte de ce qui
s’est produit d’une nécessité logique,
à l’affronter aux nombres entiers, pour la raison qui est celle dont je suis parti,
que cette nécessité d’après-coup implique la supposition de ce qui inexiste
comme tel.

Or il est remarquable que ce soit à interroger le nombre entier, à en avoir tenté


la genèse logique,
que Frege n’ait été conduit à rien d’autre qu’à fonder le nombre 1 sur le
concept de l’inexistence.
Il faut dire que pour avoir été conduit là, il faut bien croire que ce qui jusque là
courait sur ce qui le fonde le 1,
ne lui donnait pas satisfaction, satisfaction de logicien.

Il est certain que pendant un bout de temps on s’est contenté de peu.


On croyait que ce n’était pas difficile : il y en a plusieurs, il y en a beaucoup...
ben on les compte.
Ça pose bien sûr, pour l’avènement du nombre entier, d’insolubles problèmes.

Car s’il ne s’agit que de ce qu’il est convenu de faire, d’un signe pour les
compter, ça existe,
on vient de m’apporter comme ça un petit bouquin pour me montrer comment
le... il y a un poème arabe là-dessus,
un poème qui indique comme ça, en vers, ce qu’il faut faire avec le petit doigt,
puis avec l’index, et avec l’annulaire,
et quelques autres, pour faire passer le signe du nombre.

Mais justement, puisqu’il faut faire signe, c’est que le nombre doit avoir une
autre espèce d’existence
que simplement de désigner - fût-ce à chaque fois avec un aboiement - chacune
par exemple des personnes ici présentes : pour qu’elles aient valeur de 1 il faut -
comme on l’a remarqué depuis toujours - qu’on les dépouille de toutes leurs
qualités sans exception. Alors qu’est-ce qui reste ?

Bien sûr, il y a eu quelques philosophes dits « empiristes » pour articuler ça en se


servant de menus objets
comme de petites boules : un chapelet bien sûr, c’est ce qu’il y a de meilleur.
Mais ça ne résout pas du tout la question de l’émergence comme telle du 1.

208
C’est ce qu’avait bien vu un nommé Leibniz qui a cru devoir partir - comme il
s’imposait - de l’identité,
à savoir de poser d’abord :
2 =1+1
3 =2+1
4 =3+1
et de croire avoir résolu le problème en montrant qu’à réduire chacune de ces
définitions à la précédente,
on pouvait démontrer que 2 et 2 font 4.

Il y a malheureusement un petit obstacle dont les logiciens du XIXème siècle se


sont rapidement aperçus,
c’est que sa démonstration n’est valable qu’à condition de négliger la parenthèse
tout à fait nécessaire à mettre sur 2 = 1+1,
à savoir la parenthèse enserrant le (1+1), et qu’il est nécessaire - ce qu’il néglige
- qu’il est nécessaire de poser l’axiome que : (a+b)+c = a+(b+c).

Il est certain que cette négligence de la part d’un logicien aussi vraiment
logicien qu’était Leibniz,
mérite sûrement d’être expliquée, et que par quelque côté quelque chose la
justifie.
Quoiqu’il en soit, qu’elle soit omise suffit, du point de vue du logicien, à faire
rejeter la genèse leibnizienne,
outre qu’elle néglige tout fondement de ce qu’il en est du 0.

Je ne fais ici que vous indiquer à partir de quelle notion du concept, du concept
supposé dénoter quelque chose,
il faut les choisir pour que ça colle. Mais après tout on ne peut pas dire que les
concepts...
ceux qu’ils choisit : satellites de Mars voire de Jupiter
...n’aient pas cette portée de dénotation suffisante pour qu’on ne puisse dire
qu’un nombre soit à chacun d’eux associé.

Néanmoins, la subsistance du nombre ne peut s’assurer qu’à partir de


l’équinuméricité des objets que subsume un concept. L’ordre des nombres ne
peut dès lors être donné que par cette astuce qui consiste à procéder
exactement
en sens contraire de ce qu’a fait Leibniz, à retirer 1 de chaque nombre, de dire
que le prédécesseur c’est celui...
le concept de nombre, issu du concept
209
...le nombre prédécesseur c’est celui qui...
mis à part tel objet qui servait d’appui dans le concept d’un certain nombre
...c’est le concept qui - mis à part cet objet - se trouve identique à un nombre
qui est très précisément caractérisé de ne pas être identique au précédent,
disons à 1 près.

C’est ainsi que Frege26 régresse jusqu’à la conception du concept en tant que vide,
qui ne comporte aucun objet,
qui est celui, non du néant puisqu’il est concept, mais de l’inexistant et que c’est
justement à considérer ce qu’il croit être le néant, à savoir le concept dont le
nombre serait égal à 0, qu’il croit pouvoir définir de la formulation d’argument :
x différent de x, x  x, c’est-à-dire différent de lui-même.

C’est-à-dire ce qui est une dénotation assurément extrêmement problématique,


car qu’atteignons-nous ?
S’il est vrai que le symbolique soit ce que j’en dis, à savoir tout entier dans la
parole, qu’il n’y ait pas de métalangage,
d’où peut-on désigner dans le langage un objet dont il soit assuré qu’il ne soit
pas différent de lui-même ?

Néanmoins c’est sur cette hypothèse que Frege constitue la notion que le concept
« égal à 0 » donne un nombre différent...
selon la formule qu’il a donnée d’abord pour celle qui est du nombre prédécesseur
...donne un nombre différent de ce qu’il en est du 0 défini, tenu - et bel et bien
- pour le néant,
c’est-à-dire de celui auquel convient non pas l’égalité à 0, mais le nombre 0.

Dès lors c’est en référence avec ceci :


que le concept auquel convient le nombre 0 repose sur ceci qu’il s’agit de
l’identique à 0, mais non identique à 0,
que celui qui est tout simplement identique à 0 est tenu pour son successeur et
comme tel égalé à 1.
La chose se fonde, se fonde sur ceci qui est le départ dit de l’équinuméricité, il
est clair que l’équinuméricité du concept sous lequel ne tombe aucun objet au
titre de l’inexistence est toujours égal à lui-même.

26
Sur tout ce qui suit à propos de Frege, cf. Jacques-Alain Miller : « La suture » in Cahiers pour
l’analyse, no 1, p. 43 ou no1- 2, p. 37,
ou l’exposé originel de Jacques-Alain Miller, lors de la séance du 24-02-65 du Séminaire 1964-
65 : « L’objet de la psychanalyse ».
210
Entre 0 et 0, pas de différence. C’est le « pas de différence » dont, par ce biais,
Frege entend fonder le 1.

Et ceci de toute façon, cette conquête nous reste précieuse pour autant qu’elle
nous donne le 1 pour être essentiellement...
entendez bien ce que je dis
...le signifiant de l’inexistence.

Néanmoins est-il sûr que le 1 puisse s’en fonder ?


Assurément la discussion pourrait se poursuivre par les voies purement
fregeiennes.

Néanmoins, pour votre éclaircissement, j’ai cru devoir reproduire ce qui peut
être dit n’avoir pas de rapport
avec le nombre entier, à savoir le triangle arithmétique. Le triangle arithmétique
s’organise de la façon suivante :
il part, comme donnée, de la suite des nombres entiers.

Chaque terme à s’inscrire est constitué sans autre commentaire, il s’agit de ce qui
est au-dessous de la barre, par l’addition...
vous remarquerez que je n’ai parlé encore jamais d’addition, non plus que
Frege
...par l’addition des deux chiffres : celui qui est immédiatement à sa gauche, et
celui qui est à sa gauche et au-dessus.

Vous vérifierez aisément qu’il s’agit ici de quelque chose qui nous donne...
par exemple quand nous avons un nombre entier de points que nous
appellerons « monades »
...qui nous donne automatiquement ce qu’il en est, étant donné un nombre de
ces points, du nombre de sous-ensemble

211
qui peuvent, dans l’ensemble qui comprend tous ces points, se former d’un
nombre quelconque,
choisi comme étant au-dessous du nombre entier dont il s’agit.

C’est ainsi par exemple que si vous prenez ici la ligne qui est celle de la
« dyade » : 0, 1, 3, 6, 10, 15, 21...
à rencontrer une dyade, vous obtenez immédiatement qu’il y aura dans la dyade,
2 monades.
Une dyade, c’est pas difficile à imaginer : c’est un trait avec deux termes, un
commencement et une fin.

Et que si vous interrogez ce qu’il en est - prenons quelque chose de plus


amusant - de la « tétrade »,
vous obtenez une « tétrade » :
0, 1, 5, 15, 35...
vous obtenez quelque chose qui est 4 possibilités de triades, autrement dit pour
vous l’imager :
4 faces du tétraèdre : 0, 1, 4, 10, 20...
Vous obtenez ensuite six dyades, c’est-à-dire :
les six côtés du tétraèdre : 0, 1, 3, 6, 10, 15...
et vous obtenez :
les quatre sommets d’une monade : 0, 1, 2, 3, 4, 5...
Ceci pour donner support à ce qui n’a à s’exprimer qu’en termes de sous-
ensembles.

Il est clair que vous voyez qu’à mesure que le nombre entier augmente, le nombre
des sous-ensembles qui peuvent se produire en son sein dépasse de beaucoup et
très vite le nombre entier lui-même : 0, 1, 4, 10, 20... Ceci n’est pas ce qui nous
intéresse. Mais simplement qu’il ait fallu, pour que je puisse rendre compte du
même procédé, de la série des nombres entiers,
que je parte de ce qui est très précisément à l’origine de ce qu’a fait Frege.

Frege qui en vient à désigner ceci que le nombre, le nombre des objets qui
conviennent à un concept en tant
que concept du nombre, du nombre N nommément, sera de par lui-même ce
qui constitue le nombre successeur.
Autrement dit, si vous comptez à partir de 0 : 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, ça fera toujours
ce qui est là,
à savoir 7 - 7 quoi ? - 7 de ce quelque chose que j’ai appelé inexistant, d’être le
fondement de la répétition.
212
Encore faut-il, pour que soit satisfait aux règles de ce triangle, que ce 1 qui se
répète ici, surgisse de quelque part.
Et puisque partout nous avons encadré de 0 ce triangle, 0, 1, 1, 1, 1, 1..., il y a
donc ici un point, un point à situer
au niveau de la ligne des 0, un point qui est 1 et qui articule quoi ?

Ce qu’il importe de distinguer dans la genèse du 1, à savoir la distinction


précisément du pas de différence entre tous ces 0,
à partir de la genèse : 0, 1, 0, 0, 0, 0... de ce qui se répète, mais se répète comme
inexistant.

Frege ne rend donc pas compte de la suite des nombres entiers, mais de la
possibilité de la répétition.
La répétition se pose d’abord comme répétition du 1, en tant que 1 de l’inexistence.

Est-ce qu’il n’y a pas...


je ne peux ici qu’en avancer la question
...quelque chose qui suggère qu’à ce fait, qu’il n’y ait pas un seul 1 mais :

l’1 qui se répète,

et l’1 qui se pose dans la suite des nombres entiers, dans cette béance nous avons
à trouver quelque chose qui est de l’ordre de ce que nous
avons interrogé en posant, comme corrélat nécessaire de la question
de la nécessité logique, le fondement de l’inexistence ?

213
09 Février 1972
Séminaire : Panthéon-Sorbonne
Table des matières
[ Au tableau ]

gài fēi yě qǐng jù shōu wǒ


zèng.

Je te demande de me refuser ce que je t’offre, parce que c’est pas ça.

Vous adorez les conférences, c’est pourquoi j’ai prié hier soir...
par un petit papier que je lui ai porté vers 10 heures et quart
...j’ai prié mon ami Roman Jakobson, dont j’espérais qu’il serait ici présent, je
l’ai prié donc, de vous faire la conférence qu’il ne vous a pas faite hier, puisque
après vous l’avoir annoncée...
je veux dire avoir écrit sur le tableau noir quelque chose d’équivalent à ce que je
viens de faire ici
...il a cru devoir rester dans ce qu’il a appelé les généralités, pensant sans doute
que c’est ce que vous préfériez entendre, c’est-à-dire une conférence.
Malheureusement - il me l’a téléphoné ce matin de bonne heure - il était pris à
déjeuner
avec des linguistes, de sorte que vous n’aurez pas de conférence.

Car à la vérité moi je n’en fais pas. Comme je l’ai dit ailleurs très sérieusement,
je m’amuse : amusements sérieux ou plaisants. « Ailleurs » - à savoir à Sainte-Anne -
je me suis essayé aux amusements plaisants. Ça se passe de commentaires.
Et si j’ai dit - j’ai dit là-bas - que c’est peut-être aussi un amusement, ici je dis
que je me tiens dans le sérieux.
Mais c’est quand même un amusement. J’ai mis ça en rapport ailleurs, au lieu de
l’amusement plaisant,
avec ce que j’ai appelé « la lettre d’a-mur ». Ben en voilà une, c’est typique :

« Je te demande de me refuser ce que je t’offre...

ici arrêt, parce que j’espère que il y a pas besoin de rien ajouter pour que ça se
comprenne,
c’est très précisément ça la lettre d’a-mur, la vraie : « de refuser ce que je t’offre ».
On peut compléter pour ceux qui par hasard n’auraient jamais compris ce que
c’est que la lettre d’a-mur :

214
...de refuser ce que je t’offre parce que ça n’est pas ça ».

Vous voyez, j’ai glissé, j’ai glissé parce que - mon Dieu - c’est à vous que je
parle, vous qui aimez les conférences :
« ça n’est pas ça ». Il y a ça d’ajouté : « n’ ». Quand le « ne » est ajouté, il n’y a pas
besoin qu’il soit explétif
pour que ça veuille dire quelque chose, à savoir la présence de l’énonciateur, la
vraie, la correcte.
C’est justement parce que l’énonciateur serait pas là que l’énonciation serait
pleine et que ça devrait s’écrire :

« ...parce que c’est pas ça ».

J’ai dit qu’ici l’amusement était sérieux, qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ?
À la vérité j’ai cherché, je me suis renseigné, comment ça se disait « sérieux »,
dans diverses langues.
Pour la façon dont je le conçois, je n’ai pas trouvé mieux que la nôtre qui prête
au jeu de mots.
Je sais pas assez bien les autres pour avoir trouvé ce qui, dans les autres, en
serait l’équivalent,
mais dans la nôtre, « sérieux », comme je l’entends, c’est « sériel ».

Comme vous le savez déjà j’espère, un certain nombre d’entre vous, sans que
j’aie eu à vous le dire,
le principe du sériel, c’est cette suite des nombres entiers qu’on n’a pas trouvé
d’autres moyens de définir qu’à dire : qu’une propriété y est transférable de n à
n+1, qui ne peut être que celle qui se transfère de 0 à 1,
le raisonnement par récurrence ou induction mathématique, dit-on encore.

Seulement voilà, c’est bien le problème que j’ai essayé d’approcher dans mes
derniers amusements,
qu’est-ce qui peut bien se transférer de 0 à 1 ? C’est là le coton !
C’est pourtant bien ce que je me suis donné comme visée cette année de
serrer ...ou pire.

Je n’avancerai pas aujourd’hui dans cet intervalle - qui de prime abord est sans
fond - de ce qui se transfère de 0 à 1. Mais ce qui est sûr et ce qui est clair, c’est
qu’à prendre les choses 1 par 1, il faut en avoir le cœur net.
Car quelque effort qu’on ait fait pour logiciser la suite, la série, des nombres
entiers, on n’a pas trouvé mieux
215
que d’en désigner la propriété commune - c’est la seule ! - comme étant celle de
ce qui se transfère de 0 à 1.

Dans l’intervalle, vous avez été - enfin ceux de mon École - avisés de ne pas
manquer ce que Roman Jakobson
devait vous apporter de lumière sur ce qu’il en est de l’analyse de la langue,
ce qui à la vérité est fort utile pour savoir où je porte maintenant la question.

C’est pas parce que j’en suis parti, pour en venir à mes amusements présents, que
je dois m’y tenir pour lié.
Et ce qui assurément m’a frappé - entre autre ! - dans ce que vous a apporté
Roman Jakobson,
c’est quelque chose qui concerne ce point d’histoire que ce n’est pas
d’aujourd’hui que la langue c’est à l’ordre du jour.

Il vous a parlé entre autres d’un certain Boetius Daccus, fort important a-t-il
souligné, parce qu’il a articulé
des Suppositiones. Je pense qu’au moins pour certains ça fait écho à ce que je dis
depuis longtemps de ce qu’il en est du sujet, du sujet radicalement, ce que
suppose le signifiant.

Puis il vous a dit que, il se trouvait que depuis un certain moment ce Boèce...
ce Boèce qui n’est pas celui que vous connaissez, celui-là il a extrait les images
du passé, Daccus
qu’il s’appelle, c’est-à-dire « danois », c’est pas le bon, c’est pas celui qui est dans
le dictionnaire Bouillet
...il vous a dit qu’il avait disparu comme ça pour une petite question de
déviationnisme. En fait il a été accusé d’averroïsme, et dans ce temps-là on ne
peut pas dire que ça ne pardonnait pas, mais ça pouvait ne pas pardonner
quand on avait l’attention attirée par quelque chose qui avait l’air un peu solide,
comme par exemple de parler des « Suppositiones ».

De sorte qu’il n’est point tout à fait exact que les deux choses soient sans
rapport et c’est ce qui me frappe.
Ce qui me frappe c’est que pendant des siècles, quand on touchait à la langue
fallait faire attention.
Il y a une lettre qui n’apparaît que tout à fait en marge dans la composition
phonétique c’est celle-là : H,
qui se prononce hache en français.

216
Ne touchez pas la hache, c’est ce qui était prudent pendant des siècles quand
on touchait à la langue.
Parce qu’il s’est trouvé que pendant des siècles, quand on touchait à la langue,
dans le public, ça faisait de l’effet, un autre effet que l’amusement.

Une des questions qu’il ne serait pas mal que nous entrevoyions, comme ça, tout à fait
à la fin...
encore que là où je m’amuse d’une façon plaisante,
j’en ai donné, sous la forme de ce fameux mur, l’indication
...il serait peut-être pas mal que nous entrevoyions pourquoi maintenant l’analyse
linguistique ça fait partie de la recherche scientifique. Qu’est-ce que ça peut bien vouloir
dire ?

La définition - là je me laisse un peu entraîner - la définition de « la recherche


scientifique », c’est très exactement ceci
- il n’y a pas loin à chercher - c’est une recherche bien nommée en ceci que c’est
pas de trouver qu’il est question,
en tout cas rien qui dérange justement ce dont je parlais tout à l’heure, à savoir
le public.

J’ai reçu récemment d’une contrée lointaine...


je voudrais faire à quiconque aucun ennui, je vous dirai donc pas d’où
...une question de recherche scientifique, c’était un « Comité de recherche scientifique
sur les armes ». Textuel !
Quelqu’un, qui ne m’est pas inconnu...
c’est bien pour ça qu’on me consultait sur ce qu’il en était de lui
...se proposait pour faire une recherche sur la peur.

Il était question pour ça de lui donner un crédit, un crédit qui - traduit en francs
français - devait tout doucement dépasser son petit million d’anciens francs,
moyennant quoi il passerait...
c’était écrit dans le texte, le texte lui-même, je peux pas vous le donner, mais je
l’ai
...il était question qu’il passe à Paris trois jours, [Rires] à Antibes vingt-huit, à
Douarnenez dix-neuf, à San Montano -
qui je crois...
Antonella, tu es là ? San Montano, ça doit être une plage assez agréable, non,
ou je me trompe ?
Non, tu ne sais pas ? Bon, c’est peut-être à côté de Florence, enfin on ne sait
pas
217
...à San Montano quinze jours, et ensuite à Paris trois jours.

Grâce à une de mes élèves j’ai pu résumer mon appréciation en ces termes « I
bowled over with admiration ».
Puis j’ai mis une grande croix sur tout le détail des appréciations qu’on me
demandait sur la qualité scientifique du programme, ses
résonances sociales et pratiques, la compétence de l’intéressé et ce qui s’ensuit.

Cette histoire n’a qu’un intérêt médiocre, mais elle commente ce que
j’indiquais, ça ne va pas au fond de la recherche scientifique, mais il y a quelque
chose quand même que ça dénote, et c’est peut-être le seul intérêt de l’affaire :
c’est que j’avais d’abord proposé comme ça au téléphone, à la personne qui -
Dieu merci - m’a corrigé : « I bowled over ».
Vous ne savez pas naturellement ce que ça veut dire. Je ne le savais pas non
plus [Rires]. Bowl, b.o.w.l., c’est la boule. Je suis donc boulé. Je suis
comme un jeu de quilles tout entier quand une bonne boule le bascule.

Eh ben vous m’en croirez si vous voulez, ce que j’avais proposé au téléphone,
moi qui ne connaissais pas l’expression
« I bowled over » c’était : « I’m blowed over, Je suis soufflé » C’était naturellement
complètement incorrect, car « blow »
- qui veut en effet dire souffler, c’est ce que j’avais trouvé – « blow » ça fait
« blown », ça fait pas « blowed ».
Donc si j’ai dit blowed, est-ce que c’est pas parce que « sans le savoir je le savais »
que c’était bowled over ? [Rires]
Là nous rentrons dans le lapsus, c’est-à-dire dans les choses sérieuses.

Mais en même temps, c’est fait pour nous indiquer que comme Platon l’avait
déjà entrevu dans le « Cratyle »,
Eh ben que le signifiant soit arbitraire, c’est pas si sûr que cela, puisque après
tout, bowl et blow - hein ? -
c’est pas pour rien que c’est si voisin, puisque c’est justement comme ça que je
l’ai manqué d’un poil, le bowl.
Enfin, je sais pas comment vous qualifierez cet amusement, mais je le trouve
sérieux.

Moyennant quoi, nous revenons à l’analyse linguistique, dont certainement, au


nom de la recherche,
vous entendrez de plus en plus parler. C’est difficile d’y mener son chemin là
où le clivage en vaut la peine.
218
On apprend des choses : par exemple qu’il y a des « parties du discours ».
Je m’en suis gardé comme de la peste, je veux dire de m’y appesantir, pour ne
pas vous engluer.
Mais enfin, comme certainement la recherche va se faire entendre, comme elle se fait
entendre ailleurs, je vais partir du verbe.

On vous énonce que le verbe exprime toutes sortes de choses et il est difficile
de se dépêtrer entre l’action et son contraire. Il y a le verbe intransitif qui
manifestement ici fait un obstacle, l’intransitif devient alors très difficile à
classer.
Pour nous en tenir à ce qu’il y a de plus accentué dans cette définition,
on vous parlera d’une relation binaire pour ce qu’il en est du verbe type où, il
faut bien le dire,
le même sens du verbe ne se classe pas de la même façon dans toutes les
langues :
Il y a des langues où l’on dit l’homme bat le chien.
Il y a des langues où l’on dit il y a du battre le chien par l’homme. Ce n’est pas essentiel,
la relation est toujours binaire.
Il y a des langues où on dit l’homme aime le chien.

Est-ce que c’est toujours aussi binaire, quand dans cette langue - car là, il y a des
différences –
on s’exprime de la façon suivante : « l’homme aime au chien » pour dire non pas
qu’il le « like »,
enfin qu’il aime ça comme un bibelot, mais qu’il a de l’amour pour son chien ?

« Aimer à quelqu’un », moi ça m’a toujours ravi.


Je veux dire que je regrette de parler une langue où on dit « j’aime une femme »,
comme on dit « je la bats ».
« Aimer à une femme » ça me semblerait plus congru.

C’est même au point qu’un jour je me suis aperçu - puisque nous sommes dans
le lapsus, continuons - que j’écrivais :
« tu ne sauras jamais combien je t’ai aimé ».
J’ai pas mis de « e » à la fin, ce qui est un lapsus, une faute d’orthographe si vous
voulez, incontestablement.
C’est en y réfléchissant justement que je me suis dit que si j’écrivais ça comme
ça,
c’est parce que je devais sentir « j’aime à toi ». Mais enfin, c’est personnel. [Rires]

219
Quoiqu’il en soit, on distingue avec soin, de ces premiers verbes, ceux qui se
définissent par une relation ternaire :
« je te donne quelque chose ». Ça peut aller de la nasarde 27 au bibelot, mais enfin là il
y a trois termes.
Vous avez pu remarquer que j’ai toujours employé le « je te... » comme élément
de la relation.
C’est déjà vous entraîner dans le sens qui est bien celui où je vous conduis,
puisque là, vous le voyez, il y a du

« je te demande de me refuser ce que je t’offre ».

Ça va pas de soi, parce qu’on peut dire : « l’homme donne au chien une petite caresse
sur le front ».
Cette distinction de « la relation ternaire » avec « la relation binaire » est tout à fait
essentielle.
Elle est essentielle en ceci :
c’est que quand on vous schématise la fonction de la parole, on vous parle - petit d,
grand D - du destinateur et du Destinataire. À quoi on ajoute la relation que, dans
le schéma courant, on identifie au message et certes on souligne que le destinataire
doit posséder le code pour que ça marche. S’il ne le possède pas, il aura à le
conquérir, il aura à déchiffrer.

Est-ce que cette façon d’écrire est satisfaisante ?


Je prétends, je prétends que la relation...
s’il y en a une - mais vous savez que la chose peut être mise en question - s’il y
en a une qui se passe par la parole
...implique que soit inscrite la fonction ternaire, à savoir que le message soit distingué
là et qu’il n’en reste pas moins que,
y ayant un destinateur, un Destinataire, un message, ce qui s’énonce dans un verbe
est distinct.

C’est à savoir que le fait qu’il s’agisse d’une demande - d qui est là - mérite
d’être isolé, pour grouper les trois éléments, c’est justement en ça que c’est
évident...

27
Nasarde : A) chiquenaude sur le nez.
B) parole blessante, camouflet.
220
et seulement évident quand j’emploie je et te, quand j’emploie tu et me
...c’est que ce je et ce te, ce tu, ce me, ils sont précisément spécifiés de l’énoncé
de la parole.

Il ne peut y avoir ici aucune espèce d’ambiguïté. Autrement dit, il n’y a pas que
ce qu’on appelle vaguement « le code »...
comme s’il n’était là qu’en un point
...la grammaire fait partie du code, à savoir cette structure tétradique que je viens de
marquer comme étant essentielle à ce qui se dit.

Quand vous tracez votre schéma objectif de la communication : émetteur,


message, et à l’autre bout le destinataire,
ce schéma objectif est moins complet que la grammaire, laquelle fait partie du
code.
C’est bien en quoi il était important que Jakobson vous ait produit cette
généralité :
que la grammaire elle aussi, fait partie de la signification, et que ce n’est pas pour
rien qu’elle est employée dans la poésie.

Ceci est essentiel, je veux dire de préciser le statut du verbe, parce que bientôt
on vous décantera les substantifs
selon qu’ils ont plus ou moins de poids. Il y a des substantifs lourds si je puis dire,
qu’on appelle concrets,
comme s’il y avait autre chose comme substantifs que des substituts.
Mais enfin, il faut de la substance, alors que je crois urgent de marquer d’abord
que nous n’avons affaire qu’à des sujets. Mais laissons là les choses pour l’instant.

Une critique qui curieusement ne nous vient que réfléchie, de la tentative de


logiciser la mathématique,
se formule en ceci,en ceci où vous reconnaîtrez la portée de ce que j’avance,
c’est que, à prendre la proposition comme fonction propositionnelle, nous aurons à
marquer la fonction du verbe
et non pas de ce qu’on en fait, à savoir fonction de prédicat.

La fonction du verbe, prenons ici le verbe demander :

- je te demande... : F - j’ouvre la parenthèse, x, y c’est je et te... F(x, y, ...


qu’est-ce que je te demande ?
...de refuser... autre verbe.

221
Ce qui veut dire qu’à la place de ce qui pourrait être ici la petite caresse sur le
tête du chien, c’est-à-dire z, vous avez
par exemple f et de nouveau x, y : F (x, y, f(x, y)). Et là, est-ce que vous êtes forcés de
terminer c’est-à-dire d’y mettre ici z ?
Ça n’est nullement nécessaire car vous pouvez avoir très bien... par exemple je
mets un φ, ne le mettons pas 
parce que tout à l’heure ça fera des confusions, je mets un petit φ, et encore x,
y : ...ce que je t’offre...
Moyennant quoi, nous avons à fermer trois parenthèses : F(x, y, f(x, y, φ(x, y))).

Ce à quoi je vous conduis est ceci : c’est de savoir non pas - vous allez le voir -
comment surgit le sens,
mais comment c’est d’un nœud de sens que surgit l’objet, l’objet lui-même et pour
le nommer,
puisque je l’ai nommé comme j’ai pu, l’objet petit(a).

Je sais que... il est très captivant de lire Wittgenstein.


Wittgenstein, pendant toute sa vie, avec un ascétisme admirable, a énoncé ceci
que je concentre :

« ce qui ne peut pas se dire, eh bien, n’en parlons pas ».

Moyennant quoi il pouvait dire presque rien. À tout instant il descendait du


trottoir et il était dans le ruisseau,
c’est-à-dire qu’il remontait sur le trottoir, le trottoir défini par cette exigence.
Ce n’est assurément pas parce qu’en somme mon ami Kojève a expressément
formulé la même règle...
Dieu sait que lui ne l’observait pas !
...mais ce n’est pas parce qu’il l’a formulée que je me croirais obligé d’en rester à
la démonstration,
à la vivante démonstration qu’en a donnée Wittgenstein.

C’est très précisément, me semble-t-il, de « ce » dont on ne peut pas parler qu’il


s’agit,
quand je désigne du « c’est pas ça » ce qui seul motive une demande telle que « de
refuser ce que je t’offre ».
Et pourtant s’il y a quelque chose qui peut être sensible à tout le monde, c’est
bien ce « c’est pas ça ».
Nous y sommes à chaque instant de notre existence.

222
Mais alors tâchons de voir ce que ça veut dire car ce « c’est pas ça » nous
pouvons le laisser à sa place, à sa place dominante, moyennant quoi évidemment
nous n’en verrons jamais le bout. Mais au lieu de le couper, tâchons de le
mettre
dans l’énoncé lui-même. C’est pas ça - quoi ? Mettons-le de la façon la plus
simple, ici le je, ici le te, ici je te demande : D,
de me refuser : R, ce que je t’offre : O, et puis là il y a de la perte : Ç .

Mais si c’est pas ce que je t’offre, si c’est parce que « c’est pas ça » que je te
demande de refuser,
c’est pas ce que je t’offre que tu refuses, alors j’ai pas à te le demander. Et voilà
qu’ici aussi ça se coupe [en R].

Moyennant quoi, si j’ai pas à te demander de le refuser, pourquoi est-ce que je te le


demande ? Ça se coupe aussi ici [en D].

Moyennant quoi, pour reprendre dans un schéma plus correct :

223
où le je et le te sont ici, la Demande, ici, le Refuser, ici, et l’Offre, ici. À savoir une
première tétrade qui est celle-ci :

Je te demande de refuser.

Une seconde :

refuser ce que je t’offre.

Peut-être - ce qui ne nous étonnera pas - nous pouvons voir, dans la distance
qu’il y a des deux pôles distincts
de la demande et de l’offre, que c’est peut-être là qu’est le « c’est pas ça ».

Mais, comme je viens de vous l’expliquer, si nous devons ici dire que c’est
l’espace qu’il y a, qu’il peut y avoir entre :
ce que j’ai à te demander,
et ce que je peux t’offrir,
à partir de ce moment-là, il est également impossible de soutenir la relation
de la demande au refuser,
et du refuser à l’offre.

Est-ce que j’ai besoin de commenter dans le détail ? Ça sera peut-être quand
même pas inutile.
Pour la raison de ceci d’abord :
vous pouvez vous demander comment ça se fait qu’après tout, de tout ça, je
vous donne un schéma spatial.
C’est pas de l’espace qu’il s’agit, c’est de l’espace pour autant que nous y projetons nos
schémas objectifs.

Mais ça nous en indique déjà assez.


À savoir que nos schémas objectifs commandent peut-être quelque chose de
notre notion de l’espace,
je dirais, encore avant que ça soit commandé par nos perceptions.
Je sais bien, nous sommes enclins à croire que c’est nos perceptions qui nous
donnent les trois dimensions.

224
Il y a un nommé Poincaré28 qui n’est pas sans vous être connu, qui a fait pour
le démontrer une très jolie tentative. Néanmoins ce rappel du préalable de nos
schémas objectifs ne sera peut-être pas inutile pour apprécier plus exactement
la portée de sa démonstration.

Ce que je veux, ce sur quoi je veux plutôt insister :


ce n’est pas seulement ce rebondissement du « c’est pas ça que je t’offre »,
au « c’est pas ça que tu peux refuser »,
ni même au « c’est pas ça que je te demande »,
c’est ceci, c’est que « ce qui n’est pas ça »,
ça n’est peut-être pas du tout « ce que je t’offre » et que nous prenons mal les
choses à partir de là,
c’est « que je t’offre ».

Car qu’est-ce que ça veut dire « que je t’offre » ?


Ça veut pas dire du tout que je donne, comme il suffit d’y réfléchir.
Ça veut pas dire non plus que tu prennes, ce qui donnerait un sens à « refuser ».

Quand j’offre quelque chose, c’est dans l’espoir que tu me rendes.


Et c’est bien pour ça que le potlatch existe.
Le potlatch c’est ce qui noie, c’est ce qui déborde l’impossible qu’il y a dans l’offrir,
l’impossible que ce soit un don.

C’est bien pour ça que le potlatch dans notre discours, nous est devenu com-
plètement étranger.
Ce qui ne rend pas étonnant que dans notre nostalgie nous en faisions ce que
supporte l’impossible, à savoir le réel.
Mais justement : le réel comme impossible.

Si ce n’est plus dans le « ce que » de « ce que je t’offre » que réside le « c’est pas ça »,
alors observons ce qui procède de la mise en question de l’offrir comme tel.

28
Henri Poincaré : La science et l’hypothèse, Paris, Flammarion, 1968, 2ème partie, chap.III « La
géométrie de Riemann » :
« Imaginons un monde uniquement peuplé d’êtres dénués d’épaisseur et supposons que ces animaux « infiniment
plats » soient tous dans un même plan et n’en puissent sortir.
Admettons de plus que ce monde soit assez éloigné des autres pour être soustrait à leur influence. Pendant que
nous sommes en train de faire des hypothèses, il ne nous en
coûte pas plus de douer ces êtres de raisonnement et de les croire capables de faire de la géométrie. Dans ce cas, ils
n’attribueront certainement à l’espace que deux dimensions.»

225
Si c’est, non « ce que je t’offre », mais « que je t’offre » que je te demande de refuser,
ôtons l’offre...
ce fameux « substantif verbal » qui serait un moindre substantif, c’est pourtant
bien quelque chose
...ôtons l’offre, et nous voyons que la demande et le refus perdent tout sens,
parce que, qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire de « demander de refuser » ?

Il vous suffira d’un tout petit peu d’exercice pour vous apercevoir qu’il en est
strictement de même
si vous retirez de ce nœud : « je te demande de me refuser ce que je t’offre », n’importe
lequel des autres verbes.
Car si vous retirez le refus, qu’est-ce que peut vouloir dire l’offre d’une demande,
et comme je vous l’ai dit, il est de la nature de l’offre que si vous retirez la
demande, refuser ne signifie plus rien.

C’est bien pourquoi la question qui pour nous se pose n’est pas de savoir ce
qu’il en est du « c’est pas ça » qui serait en jeu à chacun de ces niveaux verbaux,
mais de nous apercevoir que c’est à dénouer chacun de ces verbes de son nœud
avec les deux autres que nous pouvons trouver ce qu’il en est de cet effet de
sens en tant que je l’appelle l’objet (a).

Chose étrange, tandis qu’avec ma géométrie de la tétrade je m’interrogeais hier


soir
sur la façon dont je vous présenterai cela aujourd’hui, il m’est arrivé...
dînant avec une charmante personne qui écoute les cours de M. Guilbaud
...que comme une bague au doigt [sic] me soit donné quelque chose que je vais
maintenant, que je veux vous montrer, quelque chose qui n’est rien de moins,
paraît-il - je l’ai appris hier soir - que les armoiries des Borromée.
Il y faut un peu de soins, c’est pour ça que je l’y mets. Et voilà !

Vous pouvez refaire la chose.


Vous n’avez pas apporté de ficelle ?

226
Enfin, vous pouvez refaire la chose avec les ficelles.

Si vous copiez bien ça soigneusement - j’ai pas fait de faute - vous vous
apercevrez de ceci :
c’est que - faites bien attention - celui-ci, le troisième, là vous le voyez plus...
vous pouvez faire un effort comme ça, c’est accessible
...vous le voyez plus.

Vous pouvez remarquer que les deux autres, vous voyez, celui-là passe au-
dessus de celui de gauche
et il passe au-dessus aussi là. Donc ils sont séparés. Seulement à cause du
troisième, ils tiennent ensemble.
Ça, vous pouvez faire l’essai pour faire... si vous avez pas d’imagination faut
faire l’essai avec trois petits bouts de ficelle. Vous verrez qu’ils tiennent.

Mais il y a rien à faire - hein ? - Il suffit donc que vous en coupiez un, pour que
les deux autres...
encore qu’ils aient l’air noués tout à fait comme dans le cas de ce que vous
connaissez bien,
à savoir les trois anneaux des Jeux Olympiques, n’est-ce pas, et qui eux
continuent de tenir
quand il y en a un qui a foutu le camp
...ben ceux-là, fini !

C’est quelque chose qui a tout de même son intérêt, puisqu’il faut se souvenir
que quand j’ai parlé de chaîne signifiante,
j’ai toujours impliqué cette concaténation.

Ce qui est très curieux...


c’est ce qui va nous permettre aussi de retourner au verbe binaire
...c’est que les binaires, on ne semble pas s’être aperçu qu’ils ont un statut spécial
très très en rapport avec l’objet petit(a).

Si au lieu de prendre l’homme et le chien, ces deux pauvres animaux, comme


exemple, on avait pris le je et le te,
on se serait aperçu que le plus typique d’un verbe binaire, c’est par exemple :
« je t’emmerde »,
ou bien :
« je te regarde »,
ou bien :
227
« je te parle »,
ou bien :
« je te bouffe ».

C’est les 4 espèces 29, comme ça, les 4 espèces [du (a)] qui n’ont précisément
d’intérêt que dans leur analogie grammaticale,
à savoir d’être grammaticalement équivalents.

Dès lors est-ce que nous n’avons pas là, en réduit, en minuscule, ce quelque chose
qui nous permet d’illustrer
cette vérité fondamentale que tout discours ne tient son sens que d’un autre
discours ?
Assurément la demande ne suffit pas à constituer un discours, mais elle en a la
structure fondamentale
qui est d’être, comme je me suis exprimé, un quadripode.

J’ai souligné qu’une tétrade est essentielle à la représenter, de même qu’un


quaternion de lettres : f, x, y, z, est indispensable.
Mais « demande, refus et offre », il est clair que dans ce nœud que j’ai avancé
aujourd’hui devant vous, ils ne prennent leur sens que chacun l’un de l’autre,
mais que ce qui résulte de ce nœud tel que j’ai essayé de le dénouer pour vous,
ou plutôt, à prendre l’épreuve de son dénouement, de vous dire, de vous
montrer que ça ne tient jamais à deux tout seul, que c’est là le fondement, la
racine, de ce qu’il en est de l’objet petit(a).

Qu’est-ce à dire ?
C’est que je vous en ai donné le nœud minimum.
Mais vous pourriez en ajouter d’autres.

« Parce que ce n’est pas ça » - quoi ? - que je désire.


Et qui ne sait que le propre de la demande, c’est très précisément de ne pouvoir
situer ce qu’il en est de l’objet du désir ?
Avec ce désir, ce que je t’offre qui n’est pas ce que tu désires, nous bouclerions aisément
la chose avec ce que tu désires que je te demande. Et la lettre d’a-mur s’étendra ainsi
indéfiniment.

29
C’est-à-dire les quatre occurrences de l’objet (a) dans l’ordre de leur énoncé ce jour là : l’objet
anal, l’objet scopique, l’objet vocal, l’objet oral.
228
Mais qui ne voit le caractère fondamental, pour le discours analytique, d’une
telle concaténation ?
J’ai dit autrefois...
il y a très longtemps, et il y a des gens encore qui s’en bercent
...qu’une analyse ne finit que quand quelqu’un peut dire :
non pas « je te parle »,
ni « je parle de moi »,
mais « c’est de moi que je te parle »,
...c’était une première esquisse.

Est-ce qu’il n’est pas clair que ce dont se fonde le discours de l’analysant, c’est
justement ça :

« Je te demande de me refuser ce que je t’offre, parce que ce n’est pas ça ».

C’est là la demande fondamentale, et c’est celle qu’à négliger, l’analyste fait toujours
plus prégnante.
J’ai ironisé en un temps : « avec de l’offre, il fait de la demande » .

Mais la demande qu’il satisfait c’est la reconnaissance de ceci de fondamental :


que ce qui se demande « c’est pas ça ».

229
08 Mars 1972
Séminaire : Panthéon-Sorbonne
Table des matières

Les choses sont telles, que puisque je vise cette année à vous parler de l’Un,
je commencerai aujourd’hui à énoncer ce qu’il en est de l’Autre.

De cet Autre, avec un grand A, à propos duquel j’ai recueilli, il y a un temps,


l’inquiétude...
l’inquiétude marquée par un marxiste à qui je devais la place d’où j’avais pu
reprendre mon travail
...l’inquiétude qui était celle-ci :
que cet Autre c’était ce tiers qu’à l’avancer dans le rapport du couple il - il le
marxiste - lui ne pouvait l’identifier qu’à Dieu.

Cette inquiétude dans la suite a-t-elle cheminé assez pour lui inspirer méfiance
irréductible
à l’endroit de la trace que je pouvais laisser ?

C’est une question que je laisserai de côté pour aujourd’hui, parce que je vais
commencer par le dévoilement tout simple de ce qu’il en est de cet Autre que
j’écris en effet avec un grand A.
L’Autre dont il s’agit, l’Autre est celui du couple sexuel - celui-là même - et que
c’est bien pour cela
qu’il va nous être nécessaire de produire le signifiant qui ne peut s’écrire que de
ce qu’il le barre, ce grand A : S(A).

« On - c’est pas facile, hein...


« On - je souligne sans m’y arrêter car je ne ferais pas un pas...
« On ne jouit que de l’Autre ».

Il est plus difficile d’avancer en ceci, qui semblerait s’imposer, parce que ce qui
caractérise la jouissance...
après ce que je viens de dire
230
...se déroberait : avancerai-je que « on n’est joui que par l’Autre » ?

C’est bien l’abîme que nous offre en effet la question de l’existence de Dieu,
précisément celle que je laisse à l’horizon comme ineffable.

Parce que ce qui est important...


ce n’est pas le rapport avec ce qui jouit, de ce que nous pourrions croire notre
être
...l’important, quand je dis qu’« on ne jouit que de l’Autre », est ceci :
c’est qu’on n’en jouit pas sexuellement - il n’y a pas de rapport sexuel - ni n’en est-
on joui.

Vous voyez que « lalangue » - lalangue que j’écris en un seul mot - lalangue qui est
pourtant « bonne fille », ici, résiste.
Elle fait la grosse joue.

On en jouit - il faut bien le dire - de l’Autre : on en jouit « mentalement ».


Il y a une remarque dans ce Parménide, enfin n’est-ce pas, qui ici prend sa valeur
de modèle, c’est pour ça que je vous ai recommandé d’aller vous y décrasser un
peu. Naturellement, si vous le lisez à travers les commentaires qui en sont faits à
l’Université, ben vous le situerez dans la lignée des philosophes, vous y verrez
que c’est considéré comme un exercice particulièrement brillant. Mais après ce
petit salut, on vous dit qu’il n’y a pas grandchose à en faire,
que Platon a simplement poussé là, jusqu’à son dernier degré d’acuité, ceci
qu’on vous déduira de sa théorie des formes.

C’est peut être autrement qu’il vous faut le lire. Il faut le lire avec innocence.
Remarquez que de temps en temps
quelque chose peut vous toucher, ne serait-ce par exemple que cette remarque,
quand il aborde, comme ça,
tout à fait en passant, au début de la 7ème hypothèse qui part de « si l’Un n’est
pas », tout à fait en marge il dit :
« et si nous disions que le Non-Un n’est pas ? ». Et là il s’applique à montrer que la
négation de quoi que ce soit,
pas seulement de l’Un, du non-grand, du non-petit, cette négation comme telle se
distingue de ne pas nier le même terme.

C’est bien à ce dont il s’agit, de la négation de la jouissance sexuelle, ce à quoi je


vous prie à l’instant de vous arrêter.

231
Que j’écrive ce S parenthèse du grand A barré : S(A), qui est la même chose que ce
que je viens de formuler :
que « de l’Autre on en jouit mentalement », ceci écrit quelque chose sur l’Autre, et
comme je l’ai avancé : en tant que terme de
la relation qui, de s’évanouir, de ne pas exister, devient le lieu où elle s’écrit,
où elle s’écrit telle que ces quatre formules sont là écrites, pour transmettre un
savoir.

Parce que j’y ai déjà fait, il me semble, suffisamment allusion, le savoir en la


matière, ce savoir peut-être s’enseigne,
mais ce qui se transmet c’est la formule.

C’est justement parce qu’un des termes devient le lieu où la relation s’écrit,
qu’elle ne peut plus être relation puisque le terme change de fonction,
qu’il devient le lieu où elle s’écrit et que la relation n’est que d’être écrite justement
au lieu de ce terme.

Un des termes de la relation doit se vider pour lui permettre, à cette relation, de s’écrire.
C’est bien en quoi ce « mentalement » que j’ai avancé tout à l’heure entre des
guillemets que la parole ne peut pas énoncer, c’est cela qui radicalement
soustrait à ce « mentalement » toute portée d’idéalisme.

Cet idéalisme incontestable à le voir se développer sous la plume de Berkeley, des


remarques que j’espère vous connaissez, qui reposent toutes sur ceci « que rien de ce qui
se pense n’est que pensé par quelqu’un ».

C’est bien là argument, ou plus exactement argumentation irréductible et qui


aurait plus de mordant s’il s’agissait,
s’il avouait ce dont il s’agit : de la jouissance. Vous ne jouissez que de vos
fantasmes.
Voilà ce qui donnerait portée à l’idéalisme que personne, par ailleurs, malgré
qu’il soit incontestable, ne prend au sérieux. L’important, c’est que vos fantasmes
vous jouissent et c’est là que je peux revenir à ce que je disais tout à l’heure,
c’est que, comme vous voyez, même lalangue « qui est bonne fille » ne laisse pas
sortir cette parole facilement.

232
Que l’idéalisme avance qu’il ne s’agit que de pensées, pour en sortir lalangue « qui
est bonne fille » mais pas si bonne fille que ça, peut peut-être vous offrir quelque
chose, que je vais quand même pas avoir besoin d’écrire
pour vous prier de faire consonner ce « que » autrement.

Enfin... s’il faut vous le faire entendre : q.u.e.u.e., « queue de pensées », c’est ce que
permet la bonne fillerie de lalangue en français...
c’est dans cette langue que je m’exprime, je ne vois pas pourquoi je n’en
profiterai pas,
si j’en parlais une autre, je trouverais un autre truc
...il ne s’agit là « queue de pensées »,
non, comme le dit l’idéaliste, en tant qu’on les pense,
ni même seulement qu’on les pense « donc je suis », ce qui est un progrès
pourtant,
mais qu’elles se pensent réellement [cf. « Je pense donc se jouis »].

C’est en ça que je me classe...


pour autant que ça a le moindre intérêt,
parce que je vois pas pourquoi je me classerai philosophiquement
...moi par qui émerge un discours qui n’est pas le discours philosophique, le
discours psychanalytique nommément...
celui dont le schéme je l’ai reproduit à droite [disc. A]
...que je qualifie de « discours » en raison de ceci que j’ai souligné, c’est que :

« rien ne prend de sens que des rapports d’un discours à un autre discours ».

→ → →
disc. H disc. M disc. U disc. A

Ça suppose bien entendu cet exercice, à quoi je peux pas dire, ni espérer, que je
vous aie vraiment rompus.
Tout ça vous passe bien sûr comme l’eau sur les plumes d’un canard puisque...
et d’ailleurs c’est ce qui fait votre existence
...vous êtes bien solidement insérés dans des discours qui précèdent, qui sont là
depuis un temps, une paye,
le discours philosophique y compris, pour autant que vous le transmet le discours
universitaire, c’est-à-dire dans quel état...
233
vous y êtes bien solidement installés et ça fait votre assiette.

Ceux qui occupent la place de cet Autre, de cet Autre que moi je mets au jour,
faut pas croire qu’ils soient tellement
plus avantagés sur vous, mais quand même, on leur a mis entre les mains un
mobilier qui n’est pas facile à manier.
Dans ce mobilier, il y a le fauteuil dont on n’a pas encore très bien repéré la
nature.

Le fauteuil est pourtant essentiel, parce que le propre de ce discours, c’est de


permettre à ce quelque chose qui est écrit
là-bas en haut à droite, sous la forme du S, et qui est comme toute écriture, une
forme bien ravissante...

que le S soit ce que Hogarth donne pour la trace de la beauté, c’est pas tout à
fait un hasard,
ça doit avoir quelque part un sens, et puis qu’il faille le barrer, ça en a sûrement
un aussi
...mais quoiqu’il en soit, ce qui se produit à partir de ce sujet barré, c’est quelque
chose dont il est curieux de voir
que je l’écris de la même façon [i.e. « S » aussi] que ce qui tient dans le discours du
Maître une autre place, la place dominante.

Ce S de 1 [S1] c’est justement ce que j’essaie pour vous, en tant qu’ici je parle,
c’est ce que j’essaie pour vous de produire. En quoi, je l’ai déjà dit maintes fois,
je suis à la place, la même...
et c’est en cela qu’elle est enseignante
...je suis à la place de l’analysant.

Ce qui est écrit, s’est-il pensé ? Voilà la question.

On peut ne plus pouvoir dire par qui ça s’est pensé, et c’est même, en tout ce
qui est écrit, ce à quoi vous avez affaire.
234
La « queue de pensées » dont je parlais, c’est le sujet lui-même, le sujet en tant que
hypothétique de ces pensées...
cet hypothétique, on vous en a tellement rebattu les oreilles depuis Aristote,
de l’ὑποχείμενον [upokeimenon] qui était pourtant bien clair,
on en a fait une telle chose, n’est-ce pas, qu’une chatte n’y retrouverait plus ses
petits
...je vais l’appeler « la traîne », la traîne justement, cette queue de pensées de ce quelque
chose de réel
qui fait cet « effet de comète » que j’ai appelé la « queue de pensées » et qui est peut-
être bien le phallus.

Si ce qui se passe là, n’est pas capable d’être reconquis par ce que je viens
d’appeler la traîne...
ce qui n’est concevable que parce que l’effet qu’elle est, est de même saillie que
son avènement,
à savoir le désarroi, si vous me permettez d’appeler ainsi la disjonction du
rapport sexuel
...si ce qui se passe là n’est pas capable d’être reconquis nachträglich [après-coup], si
ce qui s’est pensé est ouvert,
à portée des moyens d’une re-pensée, ce qui consiste justement à s’apercevoir à
l’écrire que c’étaient des pensées...
parce que l’écrit quoiqu’on en dise, vient après que ces pensées, ces pensées
réelles, se soient produites
...c’est dans cet effort de repenser, ce nachträglich, qu’est cette répétition qui est le
fondement de ce que nous découvre l’expérience analytique.

Que ça s’écrive c’est la preuve...


mais preuve seulement de l’effet de reprise, nachträglich
...c’est ce qui fonde la psychanalyse.

Combien de fois dans les dialogues philosophiques voyez-vous l’argument « si tu ne


me suis pas jusque là, il n’y a pas de philosophie ». Ce que je vais vous dire c’est
exactement la même chose, de deux choses l’une :

ou ce qui est encore reçu dans le commun, dans tout ce qui s’écrit sur la
psychanalyse, dans tout ce qui
coule de la plume des psychanalystes, à savoir que ce qui pense n’est pas pensable,
et alors il n’y a pas de psychanalyse,

235
[ou] pour qu’il puisse y avoir psychanalyse, et pour tout dire interprétation,
il faut que ce dont part la « queue de pensées » ait été pensé - pensé en tant que
pensée réelle.

C’est bien pour ça que je vous ai fait des tartines avec ce Descartes, le « Je pense
donc je suis » ne veut rien dire s’il n’est vrai.
Il est vrai parce que « donc je suis » c’est ce que je pense avant de le savoir et -
que je le veuille ou non - c’est la même chose.

La même « chose », c’est ce que j’ai appelé justement « La Chose freudienne ».


C’est justement parce que c’est la même chose...
ce « je pense » et ce que je pense, c’est-à-dire : « donc je suis »
...c’est justement parce que c’est la même chose, que ça n’est pas équivalent.

Parce que c’est pour ça que j’ai parlé de La Chose freudienne, c’est parce que dans
une Chose, deux faces...
et écrivez ça comme vous voudrez : « face » ou « fasse »
...deux faces c’est non seulement pas équivalent, c’est-à-dire remplaçable l’un
par l’autre dans le dire,
c’est pas équivalent, c’est même pas pareil.

C’est pour ça que je n’ai parlé de La Chose freudienne que d’une certaine façon.
Ce que j’ai écrit, ça se lit. C’est même curieux que ce soit une des choses qui
forcent à le relire.
C’est même pour ça que c’est fait.

Et quand on le relit, on s’aperçoit que je ne parle pas de La Chose...


parce qu’on peut pas en parler, en parler
...je la fais parler elle-même, La Chose dont il s’agit énonce :

« Moi la vérité, je parle. 30 »

Et elle ne le dit pas, bien sûr, comme ça...


mais ça doit se voir, c’est même pour ça que je l’ai écrit
...elle le dit de toutes les manières, et j’oserais dire que ce n’est pas un mauvais
morceau :

30
« La chose freudienne » in Écrits, Seuil, 1966, p. 409.
236
« je ne suis appréhendable que dans mes cachotteries ».

Ce qu’on en écrit de la Chose il faut le considérer comme ce qui s’en écrit venant
d’elle, non pas de qui écrit.
C’est bien ce qui fait que l’ontologie...
autrement dit la considération du sujet comme être
l’ontologie est une honte si vous me le permettez [« honto-logie »].

Vous l’avez donc bien entendu - n’est-ce pas ? - il faut savoir de quoi on parle :

Ou le « donc je suis » n’est qu’une pensée, à démontrer que c’est l’impensable qui
pense.

Ou c’est le fait de le dire qui peut agir sur la Chose, assez pour qu’elle tourne
autrement.

Et c’est en cela que toute pensée se pense de ses rapports à ce qui s’en écrit.
Autrement, je le répète : pas de psychanalyse.
Nous sommes dans l’« i.n.a.n. » qui est actuellement ce qu’il y a de plus répandu,
l’inanalysable.

Il ne suffit pas de dire qu’elle est impossible, parce que ça n’exclut pas qu’elle se
pratique.
Pour qu’elle se pratique sans être « inan », c’est pas la
qualification d’« impossible » qui importe,
c’est son rapport à l’impossible qui est en cause, et le rapport à l’impossible est un
rapport de pensée.
Ce rapport ne saurait avoir aucun sens si l’impossibilité démontrée n’est pas
strictement une impossibilité de pensée
parce que c’est la seule démontrable.

Si nous fondons l’impossible dans son rapport au réel, il nous reste à dire ceci que
je vous donne en cadeau...
je le tiens d’une charmante femme, lointaine dans mon passé, restée pourtant
marquée d’une charmante odeur de savon [Rires], avec l’accent vaudois qu’elle
savait prendre pour - tout en s’en étant purifiée - savoir le rattraper

« rien n’est impossible à l’homme...


qu’elle disait - je peux pas vous imiter l’accent vaudois, moi je ne suis pas né là-
bas
237
...ce qu’il peut pas faire, il le laisse » [Rires].

Ceci pour vous centrer ce qu’il en est de l’impossible en tant que ce terme est
recevable pour quelqu’un de sensé.
Eh bien, cette annulation de l’Autre ne se produit qu’à ce niveau où s’inscrit de
la seule façon qu’il se peut inscrire,
à savoir comme je l’inscris :  de X et la barre dessus [§]. Ce qui veut dire
qu’on ne peut pas écrire que ce qui y fait obstacle, à savoir que la fonction
phallique ne soit pas vrai. Alors, qu’est-ce que veut dire ?

À savoir il existe X, tel qu’il pourrait s’inscrire dans cette négation de la vérité de
la fonction phallique [:§].
C’est ce qui mérite que nous l’articulions selon des temps, et vous voyez bien
que ce que nous allons mettre en cause
est très précisément ce statut de l’existence, en tant qu’il n’est pas clair. Je pense
qu’il y a assez longtemps que
vous avez les oreilles, la comprenoire, rebattues de la distinction de l’essence et
de l’existence, pour ne pas en être satisfaits.

Qu’il y ait là dans ce que le discours analytique nous permet d’apporter de sens
aux discours précédents [disc. H,U,M],
ce n’est quelque chose que je pourrai en fin de compte, de la connexion de ces
formules, épingler que du terme
d’une motivation dont l’inaperçu est ce qui engendre par exemple la dialectique
hégélienne, qui en raison de cet inaperçu, ne s’en passe - si je puis dire - qu’à
considérer que le discours comme tel régente le monde. Ouais...

Me voilà rencontrant une petite note latérale.


Je ne vois pas pourquoi je ne la reprendrai pas, cette digression, d’autant plus
que vous ne demandez que ça,
vous demandez que ça parce que si je vais tout droit, ça vous fatigue.

Ce qui laisse une ombre de sens au discours de Hegel, c’est une absence,
et très précisément cette absence de la plus-value telle qu’elle est tirée de la jouissance
dans le réel du discours du Maître.
Mais cette absence quand même note quelque chose : elle note réellement l’Autre
non pas comme aboli,
mais justement, comme impossibilité de corrélat, et c’est en présentifiant cette
impossibilité qu’elle colore le discours de Hegel.

238
Parce que vous ne perdrez rien à relire, je ne sais pas, simplement la préface de
la « Phénoménologie de l’Esprit »
en corrélation avec ce que j’avance ici...
vous voyez tous les devoirs de vacances que je vous donne : « Parménide » et la
« Phénoménologie »,
la « Préface » au moins parce que la Phénoménologie, naturellement vous ne lisez
jamais.
Mais la préface est foutrement bien. Elle vaut à elle seule le boulot de la relire
Et vous verrez que ça confirme, que ça prend sens de ce que je vous dis.

J’ose pas encore vous promettre que le Parménide en fera autant : prendra sens,
mais je l’espère.
Parce que c’est le propre d’un nouveau discours que de renouveler ce qui se perd
dans le tournoiement des discours anciens : justement le sens.

Si je vous ai dit qu’il y a quelque chose qui le colore ce discours de Hegel, c’est que là le
mot couleur veut dire autre chose que sens.
La promotion de ce que j’avance, justement le décolore, achève l’effet du discours
de Marx,
où il y a quelque chose que je voudrais souligner et qui fait sa limite.

C’est qu’il comporte une protestation, dont il se trouve qu’il consolide le discours du
Maître en le complétant,
et pas seulement de la plus-value, en incitant...
je sens que ça va provoquer des remous
...en incitant la femme à exister comme égale.

Égale à quoi ?
Personne ne le sait, puisqu’on peut très bien dire aussi que l’homme égale zéro,
puisqu’il lui faut l’existence de quelque chose qui le nie pour qu’il existe comme
« tous ».

En d’autres termes, la sorte de « confusion » [i.e. le « tous » qui les « confond »] qui
n’est pas inhabituelle,
nous vivons dans la confusion et on aurait tort de croire que nous en vivons, ça ne
va pas de soi,
je vois pas pourquoi le manque de confusion empêcherait de vivre.
C’est même très curieux qu’on s’y précipite, c’est bien le cas de le dire : on s’y
rue.

239
Quand un discours, tel que le discours analytique, émerge, ce qu’il vous propose
c’est d’avoir les reins assez fermes
pour soutenir le complot de la vérité. Chacun sait que les complots - hein ? - ça
tourne court.
C’est plus facile de faire tant de bla-bla-bla qu’on finit par très bien repérer tous
les conjurés.
On confond, on se précipite dans la négation de la division sexuelle, de la
différence si vous voulez :

Si j’ai dit « division », c’est que c’est opérationnel.

Si je dis « différence » c’est parce que c’est précisément ce que prétend effacer cet
usage du signe « égal » : la femme = l’homme.

Ce qu’il y a de formidable, n’est-ce pas, ce qui est formidable je vais vous le dire
- c’est pas toutes ces conneries -
ce qui est formidable c’est l’obstacle qu’elles prétendent de ce mot grotesque
transgresser.
J’ai enseigné des choses qui ne prétendaient rien transgresser, mais cerner un certain
nombre de points-nœuds, points d’impossible. Moyennant quoi bien sûr il y a des gens
que ça dérangeait, parce qu’ils étaient les représentants, les « assis » du discours
psychanalytique en exercice, qui m’ont fait comme ça un de ces coups qui vous
affaiblissent la voix.

Il m’est arrivé par un charmant gars, physiquement, comme ça...


il m’a fait ça un jour, c’est un amour !
...il y a mis un courage ! Il l’a fait « malgré que » j’étais en même temps sous la
menace...
d’un truc auquel je croyais pas spécialement, mais enfin je faisais comme si
...d’un revolver.

Mais les types qui m’ont coupé la voix dans un certain moment, ils l’ont pas fait
« malgré que »,
ils l’ont fait « parce que » j’étais sous la menace d’un flingue, celui-là, d’un vrai,
pas d’un joujou, comme l’autre.
Ça consistait à me soumettre à l’examen, c’est-à-dire au standard précisément
des gens qui voulaient rien entendre
du discours analytique encore qu’ils en occupassent la position « assise ».

Alors, « que vouliez-vous que je fisse ? » [Rires].


240
Du moment que je me soumettais pas à cet examen, j’étais d’avance condamné,
n’est-ce pas,
ce qui naturellement rendait beaucoup plus facile de me couper la voix...
Ha ! Parce que ça existe une voix. Ça a duré comme ça plusieurs années je dois
dire, j’avais si peu de voix.

J’ai tout de même une voix dont sont nés les « Cahiers pour la psychanalyse », une
très, très, très bonne littérature,
je vous les recommande décidément, parce que j’étais tellement tout entier
occupé à ma voix
que moi, ces Cahiers pour la psychanalyse, pour tout vous dire je peux pas tout
faire, je peux pas lire le Parménide,
relire la Phénoménologie et autres trucs [Rires] et puis lire aussi les Cahiers pour la
psychanalyse.

Il fallait que j’aie repris du poil de la bête !


J’en ai maintenant, je les ai lus, de bout en bout, c’est formidable ! [Rires]
C’est formidable mais c’est marginal parce que c’était pas fait par des
psychanalystes.
Pendant ce temps-là les psychanalystes bavardaient, on n’a jamais autant parlé
de la transgression autour de moi
que pendant le temps où j’avais la [geste du doigt indiquant la gorge coupée]
Pfuit ! Voilà ! Ouais…

Parce que figurez-vous,quand il s’agit du véritable impossible, de l’impossible qui se


démontre, de l’impossible tel qu’il s’articule,
et ça bien sûr on y met le temps.

Entre les premiers scribouillages qui ont permis la naissance d’une logique à
l’aide du questionnement de la langue,
puis le fait qu’on s’est aperçu que ces scribouillages rencontraient quelque
chose qui existait...
mais pas à la façon dont on croyait jusqu’alors, à la façon de l’être,
c’est-à-dire de ce que chacun d’entre vous se croit,
se croit être, sous prétexte que vous êtes des individus
...on s’est aperçu qu’il y avait des choses qui existaient
en ce sens qu’elles constituent la limite de ce qui peut tenir de l’avancée de
l’articulation d’un discours.

C’est ça le réel !
241
Son approche par la voie de ce que j’appelle le symbolique et qui veut dire les
modes de ce qui s’énonce par ce champ,
ce champ qui existe du langage, cet impossible en tant qu’il se démontre, ne se
transgresse pas.
Il y a des choses qui depuis longtemps ont fait repérage, repérage mythique
peut-être, mais repérage très bien.
Pas seulement de ce qu’il en est de cet impossible mais de sa motivation.
Très précisément à savoir que ne s’écrit pas le rapport sexuel.

Dans le genre on n’a jamais rien fait de mieux que, je ne dirai pas la religion...
parce que comme je vous le dirai, je vous l’expliquerai en long et en large, on
ne fait pas d’ethnologie quand on est psychanalyste, et noyer la religion comme ça
dans un terme général, c’est la même chose que de faire de l’ethnologie
...je peux pas dire non plus qu’il y en ait qu’une, mais il y a celle dans laquelle
nous baignons, la religion chrétienne.
Eh bien croyez-moi, la religion chrétienne, elle s’en arrange foutrement bien, de
vos transgressions.

C’est même tout ce qu’elle souhaite, c’est ce qui la consolide : plus il y a de


transgressions, plus ça l’arrange.
Et c’est bien de ça qu’il est question, il s’agit de démontrer où est le vrai de ce
qui fait tenir debout
un certain nombre de discours qui vous empêtrent.

Je finirai aujourd’hui...
j’espère que j’ai pas abîmé ma bague... [Rires]
...je finirai aujourd’hui sur le même point par lequel j’ai commencé.

Je suis parti de l’Autre, j’en suis pas sorti, parce que le temps passe
et puis qu’après tout faut pas croire qu’au moment où la séance finit, moi j’en ai
pas ma claque.
Je rebouclerai donc ce que j’ai dit, trait local, concernant l’Autre, laissant ce
qu’il pourra en être
de ce que j’ai à vous avancer de ce qui est le point pivot, le point que je vise
cette année, à savoir l’Un.

Ce n’est pas pour rien que je ne l’ai pas abordé aujourd’hui,


parce que vous verrez, il y a rien qui soit aussi glissant que cet Un.
C’est très curieux, en fait de chose qui a des faces à ce qu’elles se fassent non
point innombrables mais singulièrement divergentes, vous le verrez c’est bien l’Un.
242
L’Autre, ce n’est pas pour rien qu’il faut d’abord que j’en prenne l’appui.

L’Autre...
entendez-le bien
...c’est donc un ENTRE : l’Entre dont il s’agirait dans le rapport sexuel, mais
déplacé et justement de s’Autreposer.

De s’Autreposer, il est curieux qu’à poser cet Autre, ce que j’ai eu à avancer
aujourd’hui ne concerne que la femme,
et c’est bien elle qui, de cette figure de l’Autre, nous donne l’illustration à notre
portée, d’être comme l’a écrit un poète,

« entre centre et absence 31 »

Entre le sens qu’elle prend dans ce que j’ai appelé cet « au moins un » où elle ne
le trouve qu’à l’état de ce que je vous ai
annoncé - annoncé, pas plus ! - de n’être que pure existence.

Entre centre, et l’absence que devient - quoi ? - pour elle justement cette seconde
barre que je n’ai pu écrire qu’à la définir
comme « pas toute » [.] :
celle qui n’est pas contenue dans la fonction phallique sans pourtant être sa
négation.

Son mode de présence est entre centre et absence,


entre la fonction phallique dont elle participe, singulièrement de ce que l’« au
moins un » qui est son partenaire dans l’amour, y renonce pour elle,
ce qui lui permet à elle de laisser ce par quoi elle n’en participe pas, dans
l’absence qui n’est pas moins jouissance, d’être « jouissabsence ».

Et je pense que personne ne dira que ce que j’énonce de la fonction phallique


relève d’une méconnaissance de ce qu’il en est de la jouissance féminine.
C’est au contraire de ce que la « jouisseprésence » - si je puis ainsi m’exprimer - de
la femme...
dans cette partie qui ne la fait « pas toute » ouverte à la fonction phallique
...c’est de ce que cette « jouisseprésence », « l’au moins un » soit pressé de l’habiter,
dans un contresens radical sur ce qui exige son existence.

31
Henri Michaux : « Entre centre et absence », éd. Matarasso, 1936.
243
C’est en raison de ce contresens qui fait
qu’il ne peut même plus exister,
que l’exception de son existence même est exclue,
qu’alors ce statut de l’Autre - fait de n’être pas universel - s’évanouit et que la
méconnaissance de l’homme en est nécessitée. Ce qui est la définition de l’hystérique.

C’est là-dessus que je vous laisserai aujourd’hui.


Je mets un point, et je vous donne rendez-vous dans huit jours.
La séance de Sainte-Anne tombe un jour tel - le premier jeudi d’Avril - que j’en
avertis ceux qui sont ici
pour qu’ils le fassent savoir aux autres qui fréquentent Sainte-Anne : elle n’aura
pas lieu.

244
15 Mars 1972
Séminaire : Panthéon-Sorbonne
Table des matières

La dernière fois, je vous ai raconté quelque chose qui était centré sur l’Autre.
Ce qui est plus commode que ce dont je vais parler aujourd’hui, dont je vous ai
déjà caractérisé ce qu’on pourrait appeler le rapport, le rapport à l’Autre, très
précisément en ceci qu’il n’est pas inscriptible, ce qui ne rend pas les choses plus
faciles.

Il s’agit de l’Un.

De l’Un pour autant que déjà je vous ai indiqué, vous indiquant aussi comment
la trace s’en est frayée dans le Parménide de Platon, dont le premier pas pour y
comprendre quelque chos, c’est de vous apercevoir que tout ce qu’il en énonce
- comme dialectisable, comme se développant - de tout discours possible au
sujet de l’Un, c’est d’abord
- et à ne le prendre qu’à ce niveau qui n’est rien en dire d’autre, comme il
s’exprime - que « c’est Un ».

Et peut-être y en a-t-il un certain nombre d’entre vous à avoir, sur mes


adjurations, ouvert ce livre
et de s’être aperçu que c’est pas la même chose que de dire que « l’Un est » :
« C’est Un », c’est la première hypothèse,
et « l’Un est », c’est la seconde.

Elles sont distinctes. Naturellement pour que ceci porte, faudrait que vous
lisiez Platon avec un petit bout de quelque chose qui viendrait de vous, faudrait
pas que Platon soit pour vous comme ce qu’il est : un auteur.
Vous êtes formés depuis votre enfance à faire de l’« auteur-stop ».
Depuis le temps que c’est passé dans les mœurs, cette façon de vous adresser
aux machins là, comme autorisés :
vous devriez savoir que ça ne mène nulle part, encore bien sûr que ça puisse
vous mener très loin.

Ces observations étant faites, c’est de l’Un donc...


pour des raisons dont il va falloir encore que je m’excuse,
car au nom de quoi est-ce que je vous occuperais avec ça ?
245
...c’est de l’Un que je vais vous parler aujourd’hui.
C’est même pour ça que j’ai inventé un mot qui sert de titre à ce que je vais
vous en dire.

Je suis pas très sûr, je suis même sûr du contraire : je n’ai pas inventé « l’unaire ».
Le trait unaire qu’en 62 j’ai cru pouvoir extraire de Freud qui l’appelle einzig, en
le traduisant ainsi.
Ce qui a paru à l’époque miraculeux à quelques-uns.

C’est bien curieux que l’einziger Zug, la 2ème forme d’identification distinguée par
Freud, ne les ait jamais retenus jusque là.
Par contre le mot, dont je ferai accolade à ce que je vais vous dire aujourd’hui,
est tout à fait nouveau,
et il est fait comme d’une précaution, parce qu’à la vérité il y a beaucoup de
choses qui sont intéressées à l’Un.

De sorte qu’il n’est pas possible... je vais essayer pourtant de frayer tout de suite
quelque chose qui situe
l’intérêt que mon discours...
pour autant qu’il est lui-même frayage du discours analytique
...l’intérêt que mon discours a à passer par l’Un.

Mais d’abord prenez-en le champ, en gros désigné donc de « l’unien » : u.n.i.e.n.


C’est un mot qui ne s’est jamais dit, qui a pourtant son intérêt d’amener une
note - une note d’éveil - pour vous
chaque fois que l’Un sera intéressé et qu’à le prendre ainsi, sous une forme
épithète,
ça vous rappellera ce que Freud... [lapsus]ce que Platon d’abord promeut : c’est
que de sa nature il a des pentes diverses.

Dans l’analyse qu’il en soit parlé, ce qui ne vous échappe pas je pense, à vous
souvenir de ce qu’il préside à cette bizarre assimilation de l’éros à ce qui tend à
coaguler. Sous prétexte que le corps c’est très évidemment une des formes de
l’Un,
que ça tient ensemble, que c’est un individu sauf accident, il est - c’est singulier
- promu par Freud.
Et c’est bien, à vrai dire, ce qui met en question la dyade avancée par lui d’Ἔρως
[Éros] et de Θάνατος [Tanathos].

246
Si elle n’était pas soutenue d’une autre figure, qui est très précisément celle où
échoue le rapport sexuel,
à savoir celle de l’Un et de « pas-un », c’est à savoir zéro, on voit mal la fonction
que pourrait tenir ce couple stupéfiant.
Il est de fait qu’il sert, il sert au profit d’un certain nombre de malentendus,
d’épinglages de la pulsion de mort,
ainsi dite à tort et à travers. Mais il est certain qu’en tout cas l’Un ne saurait,
dans ce discours sauvage qui s’institue
de la tentative d’énoncer le rapport sexuel, il est strictement impossible de
considérer la copulation de deux corps comme n’en faisant qu’un.

Il est extraordinaire qu’à cet égard, le « Banquet » de Platon...


alors que les savants ricanent du « Parménide »
...le « Banquet » de Platon soit pris au sérieux comme représentant quoi que ce
soit qui concerne l’amour.

Certains se souviennent peut-être encore que j’en ai usé dans une année...
exactement celle qui précède celle que j’ai avancée tout à l’heure, l’année 61-62
...c’est en 60-61 que j’ai pris Le Banquet pour terrain d’exercice
et je n’ai rien songé à en faire d’autre qu’à en fonder le transfert 32.

Jusqu’à nouvel ordre - le transfert - qu’il y ait quelque chose de l’ordre du 2,


peut-être, à son horizon,
ne peut pas passer pour une copulation. Je pense tout de même avoir un petit
peu indiqué alors
le mode de dérision sur lequel se déroule cette scène à très proprement parler
désignée comme bachique.

Que ce soit Aristophane qui promeut, qui invente, la fameuse « bipartition de


l’être » qui de prime abord n’eût été
que « bête à deux dos » qui se tient serrée, et dont c’est la jalousie de Zeus qui en
fait deux à partir de là,
c’est assez dire dans quelle bouche [Aristophane] est mis cet énoncé pour
indiquer qu’on s’amuse, on s’amuse bien d’ailleurs.

Le plus énorme, c’est qu’il n’apparaisse pas que celle qui couronne tout le
discours, la nommée Diotime,

32
Cf. Séminaire 1960-61 : « Le transfert dans sa disparité subjective, sa prétendue situation, ses excursions
techniques ». Seuil 2001.
247
ne joue pas un autre rôle puisque ce qu’elle enseigne, c’est que l’amour ne tient
qu’à ce que l’aimé
- qu’il soit homo ou hétéro - on n’y touche pas, qu’il n’y a que l’Aphrodite
Uranienne qui compte.

Ça n’est pas précisément dire que ce soit l’Un qui règne sur l’ Ἔρως [Éros].
Ce serait déjà à soi tout seul une raison d’avancer quelques propositions - déjà
frayées d’ailleurs - sur l’Un,
s’il n’y avait pas en outre ceci : c’est que dans l’expérience analytique le premier
pas c’est d’y introduire Un,
en analyste qu’on est, on lui fait faire le pas d’entrée.

Moyennant quoi l’analysant dont il s’agit - cet Un - le premier mode de sa mani-


festation,
est évidemment de vous reprocher de n’être qu’« Un entre autres », mais bien sûr
sans s’en apercevoir.
Moyennant quoi ce qu’il manifeste, c’est très précisément que ces autres, il n’a
rien à faire avec eux,
et que c’est pour ça qu’avec vous - l’analyste - il voudrait être le seul pour que
ça fasse deux,
et qu’il ne sait pas que ce dont il s’agit c’est justement qu’il s’aperçoive que deux,
c’est cet Un qu’il se croit et où il s’agit qu’il se divise.

Alors donc « Yad’lun ».


Faudrait écrire ça, aujourd’hui je ne suis pas très porté à écrire mais enfin
pourquoi pas : Yad’lun.
Pourquoi pas l’écrire comme ça ?

L’écrire comme ça, vous allez le voir, ça a un certain intérêt qui n’est pas sans
justifier le choix de cet Unien de tout à l’heure. C’est qu’« Yad’lun » écrit comme
ça, ça met en valeur une chose propice de la langue française,
et dont je ne sais pas si on peut tirer le même avantage du « there is » ou du « es
gibt ».

Les gens qui en ont le maniement pourront peut-être me l’indiquer. Es


gibt commande l’accusatif, n’est-ce pas ?
On dit :
es gibt einen… quelque chose, quand c’est au masculin,
there is, on peut dire there is one, there is a… quelque chose.

248
Je sais bien qu’il y a le there qui est une amorce de ce côté là, mais c’est pas
simple.
En Français on peut dire : Y’en a.

Chose très étrange, je n’ai pas réussi...


ça ne veut pas dire que ça ne soit pas trouvable, mais enfin comme ça, à la
façon assez hâtive
dont je procède malgré tout, la fonction de la hâte en logique j’en sais un petit
quelque chose,
faut bien que je me presse, le temps me presse
...je n’ai pas réussi à voir, à trouver quelque chose, ni à simplement...

Je vais vous dire ce que j’ai consulté :


le « Littré »,
le « Robert », pendant que j’y étais,
le « Damourette et Pichon » et quelques autres quand même.

L’émergence historique...
tout ce qu’un dictionnaire comme le « Bloch et von Wartburg » est fait pour vous
donner
...l’émergence d’une formule aussi capitale que « il y a » qui veut dire ça : « y en
a ».

C’est sur le fond de l’indéterminé que surgit ce que désigne et pointe à


proprement parler l’« il y a »,
dont curieusement, « y a » - je vais dire n’y a pas - n’y a pas d’équivalent - c’est
vrai - d’équivalent courant
dans ce que nous appellerons les langues antiques.

Au nom de quoi, justement se désigne que le discours...


eh bien comme dit et comme le démontre le « Parménide »
...le discours, ça change.

C’est bien en ça que le discours analytique peut représenter une émergence et qu’il
s’agirait peut-être que vous en fassiez quelque chose, si tant est que dès ma
disparition...
aux yeux de beaucoup d’esprits, bien sûr toujours présente comme possible
sinon imminente
...dès ma disparition on s’attend, dans le même champ, à la véritable pluie
d’ordures qui déjà s’annonce
249
parce qu’on croit que ça ne peut plus tarder. [Rires]

Dans la trace de mon discours, il vaudrait peut-être mieux que se confortent ceux
qui pourraient donner à ce frayage une suite, dont heureusement aussi, j’ai dans
un endroit, un endroit bien précis, quelques prémisses, mais rares.

Parce qu’on passe son temps à me casser les pieds et les oreilles avec le fait de
savoir « le rapport du discours analytique avec
la révolution ». C’est peut-être justement lui qui porte le germe d’aucune révolution
possible, de ce qu’il faut pas confondre
la révolution avec le vague à l’âme qui peut vous prendre comme ça à tout bout
de champ sous cette étiquette.
C’est pas tout à fait la même chose.

« Y en a » donc, c’est sur fond de quelque chose qui n’a pas de forme.
Quand on dit « y en a » ça veut dire d’habitude « y en a du...» ou « y en a des...».
On peut même ajouter de temps en temps à ce « des », « des qui » : des qui pensent,
des qui s’expriment, des qui racontent,
des machins comme ça... ça reste un fond d’indétermination.

La question commence sur ce que ça veut dire « de l’Un ».


Car dès que l’Un est énoncé, le « de » n’est plus là que comme un mince
pédicule sur ce qu’il en est de ce fond.
D’où est-ce que cet Un surgit ? C’est très précisément ce que dans la première
hypothèse, Platon essaie d’avancer,
à dire comme il peut, faute qu’il ait à sa disposition d’autres mots, ἓν εἰ ἔστιν :
s’il est Un ?

Car ἔστιν a manifestement là la fonction de suppléance de ce qui ne s’accentue


pas comme en français de l’« il y a ».
Et ce qu’il faudrait sûrement traduire...
je comprends le scrupule qui y arrête les traducteurs
...faudrait sûrement traduire : « s’il y a Un » ou l’Un, c’est à vous de choisir.
Mais ce qui est certain, c’est que Platon choisit, et que son Un n’a rien à faire
avec ce qui englobe.

Il y a même quelque chose de remarquable, c’est que ce qu’il en démontre


immédiatement, c’est que il ne saurait avoir aucun rapport avec quoi que ce soit
dont il a fait sous mille formes la recension métaphysique et qui s’appelle la
dyade
250
en tant que dans l’expérience - dans l’expérience de pensée - elle est partout :

le plus grand - le plus petit,


le plus jeune - le plus vieux etc., etc.,
l’incluant - l’inclus,
et tout ce que vous voudrez de cette espèce.

Ce qu’il commence par démontrer est très précisément ceci, qu’à prendre l’Un
par le moyen d’une interrogation discursive.
Et qui est là interrogé ?
Ce n’est évidemment pas le pauvre petit, le cher mignon, le dénommé Aristote
si mon souvenir est bon,
dont il semble difficile de croire que ça puisse être à ce moment-là celui qui
nous a laissé sa mémoire,
il est bien clair que comme dans tout dialogue, dans tout dialogue platonicien, il y
a pas trace d’interlocuteur.

Ça semble ne s’appeler dialogue que pour illustrer ce que j’ai depuis longtemps
énoncé, que le dialogue justement, y en a pas.
Ça ne veut pas dire qu’il n’y ait pas, présente au fond du dialogue platonicien,
une bien autre présence
- présence humaine disons-le - que dans bien d’autres choses qui se sont écrites
depuis.

Il ne nous en faudrait pour témoignage que ceci que dans les premières
approches, la façon dont se prépare
ce qui constitue l’os du dialogue, ce que j’appellerai l’entretien préliminaire.

Celui qui nous explique, comme dans tous les dialogues, comment c’est arrivé que
cette chose folle qui ne ressemble en rien
à quoi que ce soit qu’on puisse appeler « dialogue »...
c’est là que vraiment on peut le sentir si déjà on ne savait pas par le commun de
la vie
qu’on n’a jamais vu un dialogue aboutir à quoi que ce soit
...il s’agit dans ce qu’on appelle « dialogue », dans cette littérature qui a sa date,
justement de serrer quel est le réel
qui peut faire croire, qui donne l’illusion qu’on peut parvenir à quelque chose
en dialoguant avec quelqu’un.

Alors ça vaut qu’on prépare le truc, qu’on dise de quel zinzin il s’agissait.
251
Le vieux Parménide et sa clique qui est là, fallait rien moins que ça pour que
puisse s’énoncer quelque chose
qui fait parler - qui ? - eh bien, justement : l’Un.

Et à partir du moment où vous le faites parler l’Un ,


ben ça vaut la peine de regarder à quoi ça sert celui qui tient l’autre crachoir,
qui ne peut que dire des trucs comme ça :

« ταυτο ἀνάγκη οὐ γὰρ οὐν τί δέ αληθή »


ho, là, là, encore trois fois plus vrai que vous ne le disiez, n’est-ce pas ?

C’est ça le dialogue naturellement, quand c’est l’Un qui parle. Ce qui est curieux
c’est la façon dont Parménide l’introduit.
L’Un, il lui passe la main dans le dos, il lui explique

« cher mignon allez-y, parlez cher petit Un, tout cela n’est que bavardage ».

Parce que ne me traduisez pas ἀδολεσχὶα par l’idée qu’il s’agit d’adolescents, je dis
ça pour ceux qui ne sont pas avertis, surtout que comme en face de la page on
vous dit qu’il s’agit de se conduire comme des innocents, comme des jeunots,
vous pourriez confondre. Ils ne sont pas nommés comme ça, les jeunots, dans
le texte grec,
ἀδολεσχὶα [adoleskia] ça veut dire bavardage.

Mais on peut considérer que c’est là quelque chose de l’amorce, de la préfiguration


de ce que nous appelons dans notre rude langage...
tressé par ce qu’on a pu, la phénoménologie qu’on pouvait à ce moment-là
avoir à la portée de sa main
...ce qu’on a traduit par « associations libres ».

Naturellement l’association n’est pas libre, si elle était libre, elle n’aurait aucun
intérêt, n’est-ce pas,
mais c’est la même chose que le bavardage : c’est fait pour apprivoiser le
moineau.
L’association, il est bien entendu qu’elle est liée, je ne vois pas quel serait son
intérêt si elle était libre.

Le bavardage en question, il est certain que - il ne fait aucun doute - comme


c’est pas quelqu’un qui parle

252
mais que c’est l’Un, on peut voir là, à quel point c’est lié. Parce que c’est très
démonstratif.

À mettre les choses dans ce relief, ça permet de situer pas mal de choses,
et en particulier le pas qui se franchit de Parménide à Platon.

Parce qu’il y avait déjà un pas franchi par Parménide dans ce milieu où il
s’agissait en somme de savoir ce qu’il en est du réel. Nous en sommes toujours
tous là.
Après qu’on ait dit que c’était l’air, l’eau, la terre, le feu, et qu’après ça on n’avait
plus qu’à recommencer,
il y a quelqu’un qui s’est avisé que le seul facteur commun de toute cette substance
dont il s’agissait, c’était d’être « dicible ». C’est ça le pas de Parménide.

Seulement le pas de Platon c’est différent :


c’est de montrer que dès que on essaie de dire d’une façon articulée ce qui se
dessine de « la structure »...
comme on dirait dans ce que j’ai appelé tout à l’heure « notre rude langage »
...le mot « structure » ne vaut pas mieux que le mot d’« associations libres »,
mais ce qui se dessine fait difficulté, et que le réel c’est dans cette voie qu’il faut
le chercher.

Εἰδος [Eidos], qu’on traduit improprement « la forme », est quelque chose qui
déjà nous promet le serrage,
le cernage de ce qui fait béance dans le dire. En d’autres termes Platon était pour
tout dire lacanien. [Rires]
Naturellement il pouvait pas le savoir.
En plus, il était un peu débile. [Rires]
Ce qui ne facilite pas les choses, mais ce qui sûrement l’a aidé. J’appelle débilité
mentale le fait d’être un être parlant
qui ne soit pas solidement installé dans un discours, c’est ce qui fait le prix du
débile. Il n’y a aucune autre définition
qu’on puisse lui donner sinon d’être ce qu’on appelle un peu à côté de la plaque,
c’est-à-dire qu’entre deux discours, il flotte.

Pour être solidement installé comme sujet il faut s’en tenir à un [discours], ou
bien alors savoir ce qu’on fait.
Mais c’est pas parce qu’on est en marge qu’on sait ce qu’on dit.
De sorte que pour ce qui est de son cas, ça lui a permis solidement... après tout
il avait des cadres,
253
il faut pas croire qu’en son temps, les choses fussent pas prises dans un très solide
discours et il en montre le bout de l’oreille quelque part dans les entretiens préli-
minaires de ce Parménide. C’est tout de même lui qui l’a écrit.

On ne sait pas si il se marre ou non, mais enfin il n’a pas attendu Hegel pour nous
faire « la dialectique du Maître et de l’Esclave »,
et je dois dire que ce qu’il en énonce est d’une autre assiette que ce qu’avance
toute la « Phénoménologie de l’Esprit ».
Non pas qu’il conclue, mais qu’il donne les éléments matériels.

Il avance, il avance, il le peut parce que de son temps c’est pas du chiqué.
On se demande si c’était mieux, plutôt que pire, de penser que les maîtres et les
esclaves, c’était là affirmé,
ça permettait de s’imaginer que ça pouvait changer à tout instant, et en effet ça
changeait à tout instant :
quand les maîtres étaient faits prisonniers ils devenaient esclaves,
et quand les esclaves étaient affranchis, ben ils devenaient maîtres.

Grâce à quoi Platon s’imagine, et il le dit dans les préliminaires de ce dialogue,


que l’essence-maître, l’εἰδος [eidos],
et celle de l’esclave, ben on peut considérer qu’elles n’ont rien à faire avec ce
qu’il en est réellement.
Le Maître et l’esclave sont entre eux dans des rapports qui n’ont rien à faire avec le
rapport de l’essence-maître et de l’essence-esclave.

C’est bien en ça qu’il est un peu débile.


C’est que nous avons vu faire le grand mélange, n’est-ce pas, qui s’opère
toujours, par une certaine voie,
dont il est curieux qu’on ne voie pas à quel point elle promet la suite : c’est qu’on
est tous frères !

Il y a une région comme ça de l’histoire, du mythe historique, je veux dire du


mythe en tant qu’il est histoire,
ça ne s’est vu qu’une fois, chez les Juifs, où on sait la fraternité à quoi ça sert, ça
a donné le grand modèle.
Elle est faite pour qu’on vende son frère, ce qui n’a pas manqué de se produire
dans la suite de toutes les subversions
qui sont dites tourner autour du discours du Maître.

254
Il est tout à fait clair que l’effort dont Hegel s’exténue au niveau de la
« Phénoménologie... » :
« la crainte de la mort », « la lutte à mort de pure prestance » ... et j’t’en raconte, et j’t’en
remets...
Moyennant quoi - c’est l’essentiel à obtenir - y a un esclave.

Mais, je le demande...
à tous ceux qui ont des frémissements comme ça de changer les rôles
...je le demande : qu’est-ce qui peut faire - puisque l’esclave survit - qu’il
devienne pas tout de suite...
après « la lutte à mort de pure prestance », aujourd’hui, et « la crainte de la mort »
...qu’il change de camp, que tout ça ne subsiste, n’a chance de subsister qu’à
condition qu’on voie très précisément
ce que Platon écarte.

Ce que Platon écarte...


mais qui saura jamais au nom de quoi, parce qu’on ne peut pas, mon Dieu,
sonder son cœur,
c’est peut-être débilité mentale simplement
...il est clair au contraire, que c’est là la plus belle occasion de marquer ce qu’il
en est
de ce qu’il appelle le μετέχειν [metékein] la participation.

Jamais l’esclave n’est esclave que de l’essence du Maître. De même que le Maître...
j’appelle ça « l’essence », appelez-le comme vous voudrez,
j’aime beaucoup mieux l’écrire S1, le signifiant-maître,
...et quant au Maître, s’il n’y avait pas S2, le savoir de l’esclave qu’est-ce qu’il en
ferait ?

Je m’attarde, je m’attarde, pour vous dire l’important de cette chose


invraisemblable : qu’il y en ait, de l’Un.
C’est là le point à mettre en relief. Car dès qu’on interroge cet Un, ce qu’il
devient, enfin comme une chose qui se défait,
c’est qu’il est impossible de le mettre en rapport avec quoi que ce soit,
hors la série des nombres entiers, qui n’est rien d’autre que cet Un.

Bien sûr ceci ne survient, n’arrive, ne surgit, qu’à la fin d’une longue élaboration
de discours.
Dans la logique de Frege, celle qui s’inscrit dans les « Grundlagen der Arithmetik »,
vous verrez à la fois l’insuffisance de toute déduction logique du 1,
255
puisqu’il faut qu’elle passe par le 0 dont on ne peut tout de même pas dire que
ce soit l’Un,
et pourtant tout se déroule : que c’est de ce 1 qui manque au niveau du 0 que
procède toute la suite arithmétique.

Alors que déjà, parce que déjà de 0 à 1 ça fait 2, dès lors ça en fera 3 parce qu’il
y aura 0, 1, et 2 avant, et ainsi de suite.
Et ceci très précisément jusqu’au 1er des ‫[ א‬aleph] qui, curieusement et pas pour rien,
qui ne peut se désigner que d’0‫[ א‬aleph zéro].

Bien sûr ceci peut vous paraître à une distance savante.


C’est bien pour ça qu’il faut l’incarner, et que j’ai mis d’abord « Yad’lun ».
« Yad’lun ! » et que vous, vous ne sauriez trop vous exclamer de cette annonce,
d’autant de points d’exclamation
à la suite, que précisément l’aleph zéro [0‫ ]א‬sera juste suffisant pour sonder ce
qu’il peut en être,
si vous l’approchez suffisamment, de l’étonnement que mérite qu’il y ait de l’Un.

X dans la salle – « ouille ! »

Oui ! Ça mérite bien d’être salué de cet ouille ! hein, puisque nous parlons en langue
d’ouille, je veux dire « hoc est ille » [c’est ainsi].

Ici, eh bien celui-là dont il s’agit, l’Un, le responsable...


car c’est à l’attraper par les oreilles, n’est-ce pas, que « y en a » montre bien le
fond dont il ex-siste
...le fond dont il ex-siste tient en ceci, qui ne va pas de soi, c’est que...
pour prendre d’abord le premier meuble que j’avais à la portée de ma main
...l’Un débile mental, vous pouvez y ajouter : une grippe, un tiroir, un pied de nez,
une fumée, un « bonjour de ta Catherine ! »,
une civilisation, et - voire ! - une jarretière dépareillée, ça fait 8. Si épars que ça vous
paraisse, hein ?
Il y en a, comme ça à la pelle, mais ils viennent tous à l’appel : petits ! petits ! petits
! petits !…

Et l’important...
parce qu’il faut évidemment vous rendre sensible une chose,
les choses autrement que par un 0,1et par l’aleph [‫]א‬, n’est-ce pas ?
...l’important c’est que ça suppose toujours le même Un, l’Un qui ne se déduit
pas,
256
contrairement à la poudre aux yeux que peut nous jeter John-Stuart Mill,
simplement de prendre des choses distinctes,
à les tenir pour identiques.

Parce que ça, c’est simplement quelque chose qu’illustre, dont donne le modèle,
le boulier. Mais le boulier a été fait exprès pour que ça se compte et qu’à
l’occasion se comptent les 8 épars que je vous ai fait surgir tout à l’heure.
Seulement ce que le boulier ne vous donnera pas, c’est ceci qui se déduit
directement et sans aucun boulier du Un,
c’est à savoir qu’entre ces 8 « meubles » dont je vous ai parlé tout à l’heure,
il y a - parce qu’ils sont 8 - 28 combinaisons 2 par 2, pas une de plus.
Et que ça c’est comme ça, du fait de l’Un.

Naturellement, j’espère que ça vous frappe et comme j’en ai pris 8, rien ne vous
empêche...
Ça vous sidère !
Vous ne saviez pas d’avance que ça ferait 28 combinaisons ?

Encore que ce soit facile : c’est je ne sais pas quoi : n(n-1)/2


8 fois 7 : 42 [lapsus] voyez-vous, ça fait pas 28, ça fait 21...
Bon, et alors, ça change rien, le chiffre, on peut le connaître, voilà ce dont il
s’agit.

Si j’en avais mis moins, c’est quelque chose qui vous aurait porté à travailler, à
me dire que peut-être,
que même il faudrait aussi que je compte les rapports de chacun à l’ensemble.
Pourquoi je le fais pas ? C’est ce que je serai forcé d’attendre la prochaine fois
pour vous expliquer.
Parce que les rapports de chacun à l’ensemble ça n’élimine pas justement que y
a Un ensemble
et que de ce fait, ça veut dire que vous en remettez un.

Ce qui aboutirait à, en effet, augmenter considérablement le nombre des


combinaisons 2 par 2.
Au niveau du triangle, si je vous avais mis seulement trois 1, ça aurait fait 3
combinaisons seulement.
Vous en avez tout de suite 6 si vous prenez l’ensemble pour 1.

Mais justement ce dont il s’agit, c’est de s’apercevoir là d’une autre dimensions de


l’Un,
257
que j’essaierai de vous illustrer la prochaine fois du triangle arithmétique.

En d’autres termes l’Un donc, n’a pas toujours le même sens.


Il a le sens, par exemple, de ce 1 de l’ensemble vide qui, chose curieuse, à notre
numération d’éléments ajouterait deux,
je démontrerai pourquoi et à partir d’où.

Néanmoins nous approchons déjà de quelque chose, qui à ne pas partir du tout
de l’Un comme « Tout »,
nous montre que l’Un dans son surgissement n’est pas univoque. En d’autres termes,
nous renouvelons la dialectique platonicienne.

C’est bien ainsi que je prétends vous mener quelque part à poursuivre, par cette
bifidité de l’Un...
encore faut-il voir si elle tient
...cet Un que Platon si bien distingue de l’Être. C’est assurément que l’Être, lui,
est Un, toujours, en tous les cas,
mais que l’Un sache être comme être, voilà qui est dans le « Parménide »
parfaitement démontré.

C’est bien historiquement d’où est sortie la fonction de l’existence.


Ce n’est pas parce que l’Un n’est pas qu’il ne pose pas la question, et il la pose
d’autant plus qu’où que ce soit - à jamais - qu’il doive s’agir d’existence, ce sera
toujours autour du Un que la question tournera.

La chose dans Aristote ne s’approche que timidement au niveau des


propositions particulières.
Aristote s’imagine qu’il suffit de dire que « quelques » - quelques seulement, pas
tous - sont comme-ci ou comme-ça,
pour que ça les distingue. Que c’est en les distinguant de ce qui, lui, est comme
ça, si celles-ci ne le sont pas par exemple, ça suffit à assurer leur existence. C’est
bien en quoi l’existence déjà, dès sa première émergence, s’amorce tout de
suite, s’énonce de son inexistence corrélative. Il n’y a pas d’existence sinon sur
fond d’inexistence et inversement :
ex-sistere ne peut tenir son soutien que d’un dehors qui n’est pas.

Et c’est bien là ce dont il s’agit dans l’Un. Car, à la vérité, d’où surgit-il ? En un
point où Platon arrive à le serrer.
Il ne faut pas croire que ce soit, comme il semble, seulement à propos du temps :
il l’appelle τὸ εξαίφνης [to ekxaifnés].
258
Traduisez ça comme vous voudrez c’est l’instant, c’est le soudain, c’est le seul
point où il peut le faire subsister
et c’est bien en effet toujours où toute élucidation du nombre, et Dieu sait
qu’elle a été poussée assez loin pour nous donner l’idée qu’il y a d’autres aleph
[‫ ]א‬que celui des nombres, et celui-là, cet instant, ce point, car c’est ça qui en
serait
la véritable traduction, c’est bien ce qui ne se trouve décisif qu’au niveau d’un
aleph [‫ ]א‬supérieur, au niveau du continu.

L’Un donc, ici précisément semble se perdre et porter à son comble ce qu’il en
est de l’existence jusqu’à confiner
à l’existence comme telle, en tant que surgissant du plus difficile à atteindre, du
plus fuyant dans l’énonçable,
et c’est ce qui m’a fait trouver...
à me reporter à cet εξαίφνης [ekxaifnés]
...dans Aristote lui-même, à m’apercevoir qu’en fin de compte il y a eu
émergence de ce terme d’« exister »
quelque part dans la « Physique » où vous pourrez le trouver...
où vous pourrez le trouver surtout si je vous le donne
...c’est quelque part au Livre IV de la « Physique » d’Aristote33...
je ne le vois pas ici dans mes papiers, mais à la vérité il doit y être
...Aristote le définit comme justement ce quelque chose qui...
ἀναίσ θήτω χρόνω [anais onto krono],
dans un temps qui ne peut pas être senti,
διὰ μικροτητα [dia microteta]
en raison de son extrême petitesse,
...est το ἐξτάν [to extan].
[24 : Τὸ δ’ἐξαίφνης τὸ ἐν ἀναισθήτῳ χρόνῳ διὰ μικρότητα ἐκστάν :
Tout à coup s’emploie pour exprimer que la chose survient par un dérangement subit dans un
temps qui, par sa petitesse, est imperceptible. (trad. Barthélémy Saint-Hilaire)]

Je ne sais pas si ailleurs qu’en cet endroit, en cet endroit du Livre IV de la


« Physique »,
le terme ἐξτάν [extan] est proféré dans la littérature antique, mais il est clair qu’il
vient de...
C’est un participe passé, le participe passé de l’aoriste second d’ἴστημι [istemi],
de cet aoriste qui se dit ἕστην [esten],

33
Aristote : « Physique », Livre IV : Le lieu, le vide, le temps, 222b (24).
259
c’est σταν [stan], mais je ne sache pas qu’il y ait de verbe ἐξίστημι [existemi],
c’est à contrôler.

Quoiqu’il en soit, le « sistere » est déjà là l’être stable, être stable à partir d’un
dehors : το ἐξτάν [to extan], ce qui n’existe qu’à n’être pas, c’est bien de cela qu’il
s’agit, c’est cela que j’ai voulu ouvrir aujourd’hui sous le chapitre général de
l’Unien.
Et je vous en demande pardon, si j’ai choisi l’Unien,
pardonnez-moi, c’est que c’est l’anagramme d’ennui.

260
19 Avril 1972
Séminaire : Panthéon-Sorbonne
Table des matières

Je commence dès maintenant parce qu’on m’a demandé...


on m’a demandé en raison de choses prévalentes dans le fonctionnement de cet
endroit...
on m’a demandé de finir plus tôt, beaucoup plus tôt que d’habitude. Voilà !

Alors, pour aborder ce qui vient, comme ça, dans une trame dont j’espère que
le souvenir ne vous est pas trop lointain, je le reprends du « Yad’lun, que j’ai
déjà proféré pour ceux qui sont là, qui se parachutent d’une contrée lointaine,
je répète ce que ça veut dire, parce que ça n’est pas d’une sonorité très
habituelle.

« Yad’lun », ça a l’air de venir de je ne sais où. De l’Un, de l’Un, hein ?


On ne s’exprime pas comme ça habituellement.
Enfin, c’est pourtant de ça que je parle. De l’Un : L, apostrophe, U, N, « y en a ».

C’est une façon de s’exprimer qui va se trouver, je l’espère du moins pour vous,
en accord avec quelque chose,
qui j’espère n’est pas nouvelle pour tout le monde ici. Et Dieu merci, je sais que
j’ai des oreilles, certaines averties
des champs qu’il se trouve que je dois toucher pour faire face à ce dont il s’agit
dans le discours psychanalytique.

Ça va se montrer d’accord - je vous expliquerai en quoi - cette façon de


s’exprimer,
avec ce qui historiquement s’est produit dans la théorie des ensembles. Vous avez
entendu parler de ça !
Vous avez entendu parler de ça parce que c’est comme ça qu’on enseigne
maintenant les mathématiques
à partir de la classe de onzième. Il n’est pas sûr, bien sûr, que ça en améliore
beaucoup la compréhension.

261
Mais enfin, par rapport à ce qu’il en est d’une théorie, dont un des ressorts c’est
l’écriture…
non pas bien sûr que la théorie des ensembles implique une écriture univoque,
mais que - comme bien des choses en mathématiques - elle ne s’énonce pas
sans écriture
…la différence donc avec cette formule, ce « Yad’lun » que j’essaie de faire
passer, c’est justement toute la différence
qu’il y a de l’écrit à la parole. C’est une faille qui n’est pas toujours, toujours facile à
combler.

C’est bien pourtant à quoi je m’essaie en l’occasion, et vous devez tout de suite
pouvoir comprendre pourquoi,
s’il est vrai que, comme je les ai réécrites au tableau, les deux supérieures de ces
quatre formules
où j’essaie de fixer ce qui supplée à ce que j’ai appelé « l’impossibilité d’écrire »
justement, ce qu’il en est du rapport sexuel,
c’est bien dans la mesure où, au niveau supérieur, deux termes s’affrontent
dont l’un est il existe et l’autre il n’existe pas, que j’apporte - je tente d’apporter -
la contribution qui peut affairer utilement à partir de la théorie des ensembles.

Il est remarquable déjà, n’est-ce pas, il est frappant que « y ait de l’Un » n’ait
jamais fait aucun sujet d’étonnement.
C’est tout de même peut-être aller un peu vite que de le formuler ainsi, car
enfin on peut mettre à l’actif
de ce que j’appelle comme étonnement...
ce en quoi je vous interpelle de vous étonner
...on peut y mettre à l’actif justement ce dont j’ai parlé, dont je vous ai vraiment
invité de la façon la plus vive
à prendre connaissance, c’est ce fameux Parménide n’est-ce pas, du cher Platon,
qui est toujours si mal lu,
enfin en tout cas - moi - que je m’exerce à lire d’une façon qui n’est pas tout à
fait celle reçue.

Pour le Parménide, c’est tout à fait frappant de voir à quel point, à un certain
niveau,
qui est celui proprement du discours universitaire, il met dans l’embarras.
262
La façon qu’ont tous ceux qui profèrent des choses sages au titre de l’Université
est toujours prodigieusement embarrassée. Comme s’il s’agissait là d’une gageure,
n’est-ce pas, d’une sorte d’exercice en quelque sorte purement gratuit, de ballet.
Et le déroulement des huit hypothèses concernant les rapports de l’Un et de
l’Être reste en quelque sorte problématique, un objet de scandale.

Certains bien sûr se distinguent en en montrant la cohérence, mais cette


cohérence apparaît dans l’ensemble gratuite et
la confrontation des interlocuteurs elle-même, paraît confirmer le caractère
anhistorique, si on peut dire, de l’ensemble.

Je dirais...
si tant est que je puisse avancer quelque chose sur ce point
...je dirais que ce qui me frappe, c’est vraiment tout à fait le contraire, et que si
quelque chose me donnait l’idée
qu’il y a dans le dialogue platonicien je ne sais quelle 1ère assise d’un discours
proprement analytique,
je dirais que c’est bien celui-là, le Parménide, qui me le confirmerait.

Il est tout à fait clair en effet que si vous vous rappelez ce que j’ai donné, ce
que j’ai inscrit comme structure...
pardon de me taire pendant que j’écris, parce que sinon ça va faire des
complications [pb. de micro...]
...ce que j’ai donné comme structure est bien que quelque chose dont ce n’est
pas par hasard
que ça s’inscrit comme le signifiant indexé 1 [S1] qui se trouve au niveau de la
production dans le discours analytique.

Et c’est déjà quelque chose qui, encore que j’en conviens, ça ne puisse pas vous
apparaître tout de suite,
je ne vous demande pas de le prendre comme une évidence, c’est une
indication de l’opportunité de centrer
très précisément sur - non pas le chiffre - mais le signifiant Un, notre
interrogation dans sa suite.

Ça ne va pas de soi, qu’il y ait d’lun.


263
Ça a l’air d’aller de soi comme ça, parce que par exemple il y a des êtres vivants et
que vous avez bien toute l’apparence, tout un chacun, enfin, qui êtes là si bien
rangés, n’est-ce pas, d’être tout à fait indépendants les uns des autres
et de constituer chacun ce qu’on appelle de nos jours une réalité organique, de
tenir comme individu.
C’est bien de là bien sûr que toute une première philosophie a pris un appui
certain.

Ce qu’il y a par exemple de frappant, c’est qu’au niveau de la logique


aristotélicienne, le fait de mettre sur la même colonne,
c’est-à-dire - dans l’occasion je vous le rappelle - de mettre au principe de la
même spécification de l’X,
à savoir - je l’ai dit, je l’ai déjà énoncé - de l’homme, de l’être qui se qualifie chez
le parlant comme masculin,
si nous prenons le « il existe » : il existe au moins un pour qui X n’est pas recevable
comme assertion : : §,
eh bien de ce point de vue, du point de vue de l’individu, nous nous trouvons
placés devant une position qui est nettement contradictoire, à savoir que la
logique aristotélicienne, laquelle est fondée sur cette intuition de l’individu
qu’il pose comme réel : Aristote nous dit que, après tout ce n’est pas l’idée du cheval
qui est réelle, c’est le cheval bel et bien vivant, sur lequel nous sommes forcés de nous
demander précisément comment, comment vient l’idée, d’où nous la retirons.
Il renverse, non sans arguments péremptoires, ce dont parlait Platon, qui est à
savoir :
que c’est de participer à l’idée du cheval que le cheval se soutient, que ce qu’il y a
de plus réel, c’est l’idée du cheval.

Si nous nous plaçons sous l’angle, sous le biais aristotélicien, il est clair qu’il y a
contradiction entre l’énoncé que :
« pour tout x, x remplit dans X la fonction d’argument »,
et le fait que « il y a quelque X qui ne peut remplir la place d’argument que dans
l’énonciation » : exacte négation de la 1ère.

264
Si on nous dit que : « tout cheval - ce que vous voudrez enfin - est fougueux » et si
on y ajoute
que « il y a quelque cheval - au moins un - qui ne l’est pas » : dans la logique
aristotélicienne, c’est une contradiction.

Ce que j’avance est fait pour vous faire saisir que justement si je peux, si j’ose
avancer deux termes,
ceux qui sont à droite dans mon groupe à 4 termes - c’est pas par hasard qu’ils
sont 4 - si je peux avancer quelque chose
qui manifestement fait défaut à ladite logique, c’est bien certainement dans la
mesure où le terme d’« existence »
a changé de sens dans l’intervalle et où il ne s’agit pas de la même existence
quand il s’agit de l’existence d’un terme
qui est capable de prendre dans une fonction mathématiquement articulée la place
de l’argument.
Rien encore ici ne fait le joint de ce « Yad’lun » comme tel avec cet « au moins
un » qui est très précisément
ce qui est formulé par la notion E inversé x : :, il existe un x, au moins un qui
donne, à ce qui se pose comme fonction, une valeur qualifiable du vrai. Cette
distance qui se pose de « l’existence », si l’on peut dire...
je ne l’appellerai pas autrement aujourd’hui faute d’un meilleur mot
...« l’existence naturelle », qui n’est pas limitée aux organismes vivants.

Ces Uns par exemple, nous pouvons les voir dans les corps célestes dont ce n’est
pas pour rien qu’ils sont parmi les premiers à avoir retenu une attention
proprement scientifique, c’est très précisément dans cette affinité qu’ils ont
avec l’Un.
Ils apparaissent comme s’inscrivant au ciel comme des éléments d’autant plus
aisément marquables de l’Un
qu’ils sont punctiformes et il est certain qu’ils ont beaucoup fait pour mettre
l’accent - comme forme de passage -
pour mettre l’accent sur le point.

Si entre l’individu et ce qu’il en est de ce que j’appellerai « l’Un réel » dans


l’intervalle,
les éléments qui se signifient comme punctiformes ont joué un rôle éminent
pour ce qui est de leur transition,
est-ce qu’il ne vous est pas sensible, et certainement est-ce que ça n’a pas retenu
votre oreille au passage,

265
que je parle de l’Un comme d’un Réel, d’un Réel qui aussi bien peut n’avoir rien
à faire avec aucune réalité ?

J’appelle « réalité » ce qui est la réalité, à savoir par exemple votre existence
propre,
mode de soutien qui est assurément matériel, et d’abord parce qu’il est corporel.

Mais il s’agit de savoir de quoi l’on parle quand on dit Yad’lun,


d’une certaine façon dans la voie dans laquelle s’engage la science.
Je veux dire à partir de ce tournant où décidément c’est au « nombre » comme tel
qu’elle s’est fiée pour ce qui est son grand tournant, le tournant galiléen, pour le
nommer.

Il est clair que de cette perspective scientifique le Un que nous pouvons


qualifier d’individuel, Un et puis quelque chose qui s’énonce dans le registre de la
logique du nombre, il n’y a pas tellement lieu de s’interroger sur l’existence, sur le
soutien logique qu’on peut donner à une licorne tant qu’aucun animal n’est pas
conçu d’une façon plus appropriée que la licorne elle-même.

C’est bien dans cette perspective qu’on peut dire que ce que nous appelons « la
réalité », la réalité naturelle,
nous pouvons la prendre au niveau d’un certain discours...
et je ne recule pas à prétendre que le discours analytique ne soit celui-là
...la réalité nous pouvons toujours la prendre au niveau du fantasme.

Ce réel dont je parle, et dont le discours analytique est fait pour rappeler que son
accès c’est le symbolique.
Le dit « réel » c’est dans et par cet impossible que ne définit que le symbolique, que
nous y accédons.
J’y reviens au niveau de l’histoire naturelle d’un Pline.

Je ne vois pas ce qui différencie la licorne d’aucun autre animal, lui


parfaitement existant dans l’ordre naturel.
La perspective qui interroge le réel dans une certaine direction nous commande
d’énoncer ainsi les choses.
Je ne suis pas du tout pour autant en train de vous parler de quoi que ce soit
qui ressemble à un progrès.

Ce que nous gagnons sur le plan scientifique qui est incontestable,

266
n’accroît absolument pas pour autant par exemple notre sens critique en
matière de vie politique par exemple.
J’ai toujours souligné que ce que nous gagnons d’un côté est perdu de l’autre,
pour autant qu’il y a une certaine limitation inhérente à ce qu’on peut appeler
« le champ de l’adéquation » chez l’être parlant.

Ce n’est pas parce que nous avons fait, concernant la vie, la biologie, des
progrès depuis Pline, que c’est un progrès absolu.
Si un citoyen romain voyait comment nous vivons...
il est malheureusement hors de cause de l’évoquer à cette occasion en personne
...mais enfin il serait probablement bouleversé d’horreur. Comme nous ne
pouvons en préjuger que d’après les ruines qu’a laissées cette civilisation, l’idée
que nous pouvons nous en faire, c’est de voir, ou d’imaginer
ce que seront les restes de la nôtre dans un temps, s’il est supposable,
équivalent.

Ceci, n’est-ce pas, pour ne pas que vous vous montiez le bourrichon, si je puis
dire, sur le sujet d’une confiance
que je ferais particulièrement à la science. Il ne s’agit pas dans le discours analytique,
d’un discours scientifique,
mais d’un discours dont la science nous fournit le matériel, ce qui est bien
différent.

Donc il est clair que la prise de l’être parlant sur le monde où il se conçoit
comme plongé...
schéma déjà qui sent son fantasme, n’est-ce pas ?
...que cette prise tout de même ne va en augmentant - ça c’est certain -
cette prise ne va en augmentant que dans la mesure où quelque chose s’élabore,
et c’est l’usage du nombre.

Je prétends vous montrer que ce nombre se réduit tout simplement à ce


« Yad’lun ».
Alors, il faut voir ce qui, historiquement nous permet d’en savoir sur
ce Yad’lun
un petit peu plus que ce que Platon en fait, si je puis dire, en le mettant tout à
plat avec ce qu’il en est de l’Être.

Il est certain que ce dialogue est extraordinairement suggestif et fécond,


et que si vous voulez bien y regarder de près vous y trouverez déjà
préfiguration de ce que je peux...
267
sur la base, sur le thème de la théorie des ensembles
...énoncer ce « Yad’lun ».

Commencez seulement l’énoncé de la 1ère hypothèse :


si l’Un - il est à prendre pour sa signification - si l’Un est Un, qu’est-ce que nous
allons pouvoir en faire ?
La première chose qu’il y met comme objection est ceci c’est que cet Un
ne sera nulle part, parce que s’il était quelque part, il serait dans une enveloppe,
dans une limite, et que ceci est bien contradictoire avec son existence d’Un.

Qu’est-ce qu’y a ? Ben voilà ! Je parle doucement.


C’est comme ça, tant pis, c’est comme ça que je parle aujourd’hui, c’est sans doute que je peux
pas faire mieux.

Pour que l’Un ait pu être élaboré dans son existence d’Un de la façon que fonde
la « Mengenlehre », la théorie des ensembles, pour le traduire comme on l’a traduit -
non sans bonheur - en français, mais certainement avec un accent qui ne
répond pas tout à fait avec le sens du terme original en allemand qui, du point
de vue de ce qu’on vise, n’est pas meilleur.

Eh bien ceci n’est venu que tard, et n’est venu qu’en fonction de toute l’histoire
des mathématiques elles-mêmes,
dont bien entendu il n’est pas question que je retrace même le plus bref des
abrégés, mais dans lequel il faut tenir compte de ceci, qui a pris tout son accent,
toute sa portée, à savoir de ce que je pourrais appeler les extravagances du nombre.

Ça a commencé évidemment très tôt puisque déjà au temps de Platon le nombre


irrationnel faisait problème
et qu’il se trouvait hériter...
il nous en donne l’énoncé avec tous les développements dans le « Théétète »
n’est-ce pas
...le scandale pythagoricien du caractère irrationnel de la diagonale du carré, du
fait qu’on ne finira jamais...
ceci est démontrable sur une figure. Et c’est bien ce qu’il y avait de plus heureux
pour leur faire apparaître à cette époque
l’existence de ce que j’appelle « l’extravagance numérique », je veux dire quelque chose
qui sort du champ de l’Un.

Après ça, quoi ? Quelque chose que nous pouvons, dans la méthode dite
d’exhaustion d’Archiméde,
268
considérer comme l’évitement de ce qui vient tellement de siècles après,
sous la forme des paradoxes du calcul infinitésimal,
sous la forme de l’énoncé de ce qu’on appelle l’infiniment petit,
chose qui met très longtemps à être élaboré en posant, en posant quelque
quantité finie dont on dit que de toute façon, un certain mode d’opérer
aboutira à être plus petit que ladite quantité,
c’est-à-dire en fin de compte à se servir du fini pour définir un transfini.

Et puis l’apparition - ma foi, on ne peut pas ne pas la mentionner - l’apparition


de la série trigonométrique de Fourier
qui n’est pas certainement sans poser toutes sortes de problèmes de fondement
théorique.
Tout ceci conjugué avec la réduction à des principes parfaitement finitistes du
calcul dit infinitésimal
qui se poursuit à la même époque et dont Cauchy est le grand représentant.

Je ne fais cette évocation ultra rapide que pour dater ce que veut dire la reprise
sous la plume de Cantor de ce qui est
le statut de l’Un. Le statut de l’Un, à partir du moment où il s’agit de le fonder,
ne peut partir que de son ambiguïté.
À savoir que le ressort de la théorie des ensembles tient tout entier à ce que
le Un qu’il y a de l’ensemble,
est distinct de l’Un de l’élément.

La notion de l’ensemble repose sur ceci : qu’il y a ensemble même avec un seul
élément. Ça ne se dit pas comme ça d’habitude, mais le propre de la parole est
justement d’avancer avec des gros sabots. Il suffit d’ailleurs d’ouvrir n’importe
quel exposé de la théorie des ensembles, pour toucher du doigt ce que ceci
implique.

À savoir que si l’élément posé comme fondamental d’un ensemble est ce quelque
chose que la notion même de l’ensemble permet de poser comme un ensemble vide,
eh bien ceci fait, l’élément est parfaitement recevable.

À savoir qu’un ensemble peut avoir l’ensemble vide comme constituant son élément, qu’il est
à ce titre absolument équivalent
à ce qu’on appelle communément un « singleton » pour ne pas justement
annoncer tout de suite la carte du chiffre 1.

269
Et ceci de la façon la plus fondée pour la bonne raison que nous ne pouvons
définir le chiffre 1
qu’à prendre la classe de tous les ensembles qui sont à un seul élément
et à en mettre en valeur l’équivalence comme étant proprement ce qui constitue
le fondement de l’Un.

La théorie des ensembles est donc faite pour restaurer le statut du nombre.
Et ce qui prouve qu’elle le restaure effectivement - ceci dans la perspective de
ce que j’énonce –
c’est que très précisément, à énoncer comme elle le fait le fondement de l’Un
et à y faire reposer le nombre comme classe d’équivalence, elle aboutit à la mise en
valeur de ce qu’elle appelle le non-dénombrable qui est très simple et vous allez le
voir, d’un accès immédiat, mais qu’à le traduire dans mon vocabulaire j’appelle
non pas « le non-dénombrable », objet que je n’hésiterai pas à qualifier de mythique
mais « l’impossibilité à dénombrer ».

Ce qui se démontre par la méthode...


ici je m’excuse de ne pas pouvoir en illustrer immédiatement au tableau la
facture,
mais vraiment après tout, qu’est-ce qui empêche ceux d’entre vous que ce
discours intéresse
d’ouvrir le moindre traité dit Théorie naïve des ensembles pour s’apercevoir que :
...par la méthode dite diagonale, on peut faire toucher du doigt qu’il y a moyen à
énoncer - d’une série de façons différentes - la suite des nombres entiers, car à
la vérité on peut l’énoncer de trente six mille façons,
qu’il sera immédiatement accessible de montrer que, quelle que soit la façon
dont vous l’ayez ordonnée, il y en aura...
à prendre simplement la diagonale, et dans cette diagonale
à en changer à chaque fois selon une règle à l’avance déterminée les valeurs
...une autre façon encore de les dénombrer.

C’est très précisément en ceci que consiste le réel attaché à l’Un.


Et si tant est qu’aujourd’hui je ne peux en pousser assez loin dans le temps
auquel j’ai promis que je me limiterai,
la démonstration, je vais tout de même dès maintenant mettre l’accent sur ce
que comporte cette ambiguïté
mise au fondement de l’Un comme tel.

C’est très exactement ceci :


que contrairement à l’apparence, l’Un ne saurait être fondé sur la « mêmeté »,
270
mais qu’il est très précisément, au contraire, par la théorie des ensembles,
marqué comme devant être fondé sur la pure et simple différence.

Ce qui règle le fondement de la théorie des ensembles consiste en ceci, que


quand vous en notez,
disons pour aller au plus simple, 3 éléments, chacun séparé par une virgule,
donc par deux virgules,
si un de ces éléments d’aucune façon apparaît être le même qu’un autre,
ou s’il peut lui être uni par quelque signe que ce soit d’égalité,
il est purement et simplement tout-un avec celui-ci.

Au premier niveau de bâti qui constitue la théorie des ensembles,


est l’axiome d’extentionnalité qui signifie très précisément ceci : qu’au départ il ne
saurait s’agir de même.

Il s’agit très précisément de savoir à quel moment dans cette construction


surgit la « mêmeté ».
La « mêmeté » non seulement surgit sur le tard dans la construction, et si je puis
dire, sur un de ses bords,
mais en plus je puis avancer que cette « mêmeté » comme telle se compte dans le
nombre, et que donc le surgissement de l’Un, en tant qu’il est qualifiable du
« même », ne surgit, si je puis dire, que d’une façon exponentielle.

Je veux dire que c’est à partir du moment où l’Un dont il s’agit n’est rien d’autre
que cet aleph zéro [‫אּ‬0]
où se symbolise le cardinal de l’infini, de l’infini numérique, cet infini que
Cantor appelle « impropre »
et qui est fait des éléments de ce qui constitue le premier infini propre, à savoir
l’‫אּ‬0 en question,
c’est au cours de la construction de cet ‫אּ‬0 qu’apparaît la construction du même
lui-même,
et que ce même, dans la construction est compté lui-même comme élément.

C’est en quoi, disons il est inadéquat dans le dialogue platonicien


de faire participation de quoi que ce soit d’existant à l’ordre du semblable.
Sans le franchissement dont se constitue l’Un d’abord, la notion du semblable ne
saurait apparaître d’aucune façon.

271
C’est ce que nous allons, j’espère, voir. Si nous ne le voyons pas ici aujourd’hui
puisque je suis limité à un quart d’heure de moins que ce que j’ai d’habitude, je
le poursuivrai ailleurs.
Et pourquoi pas la prochaine fois, au jeudi de Sainte-Anne, puisqu’un certain
nombre d’entre vous en connaîssent le chemin.

Néanmoins ce que je veux marquer, c’est ce qui résulte de ce départ même de


la théorie des ensembles
et de ce que j’appellerai - pourquoi pas ? - la cantorisation, à condition de l’écrire
c.a.n, du nombre.

Voici ce dont il s’agit.

Pour y fonder d’aucune façon « le cardinal » [d’un ensemble],


il n’y a d’autres voies que celles de ce qu’on appelle « l’application bi-univoque d’un
ensemble sur un autre ».

Quand on veut l’illustrer, on ne trouve rien de mieux, on ne trouve rien d’autre


que d’évoquer alternativement
je ne sais quel rite primitif de potlatch pour la prévalence d’où sortira
l’instauration d’un chef au moins provisoire,
ou plus simplement la manipulation dite du maître d’hôtel, celui qui confronte
un par un chacun des éléments
d’un ensemble de couteaux avec un ensemble de fourchettes.

C’est à partir du moment où il y en aura encore Un d’un côté et plus rien de


l’autre...
qu’il s’agisse des troupeaux que font franchir un certain seuil, chacun des deux
concurrents au titre de chef
ou qu’il s’agisse du maître d’hôtel qui est en train de faire ses comptes
...il apparaîtra quoi ?

L’Un commence au niveau où il y en a Un qui manque.


L’ensemble vide est donc proprement légitimé de ceci qu’il est, si je puis dire la
porte
dont le franchissement constitue la naissance de l’Un, le premier Un qui se
désigne à une expérience recevable,
je veux dire recevable mathématiquement, d’une façon qui puisse s’enseigner,
car c’est cela que veut dire « mathème »,
et non pas qui fasse appel à cette sorte de figuration grossière qui est celle...
272
c’est à peu près la même chose ce qui constitue l’Un et très précisément qui le
justifie, qui ne se désigne que comme distinct, et non d’aucun autre repérage
qualificatif, c’est qu’il ne commence que de son manque.

Et c’est bien en quoi nous apparaît, dans la reproduction que je vous ai faite ici
du triangle de Pascal,
la nécessité de distinguer chacune de ces lignes dont vous savez...
je pense depuis un bout de temps, je l’ai assez souligné
...comment elles se constituent, chacune étant faite de l’addition
de ce qui est en haut,
et sur la même ligne de ce qui est noté sur la droite,
chacune de ces lignes est donc constituée ainsi :

Il importe de s’apercevoir de ce que désigne chacune de ces lignes.


L’erreur, le manque de fondement qui s’énonce de la définition d’Euclide, qui
est très précisément celle-ci :

« Μονάς ἐστι Χαθ’ ἣν ἕκαστον τῶν ὄντων ἓν λέγεται Ἀριθμὸς δὲ τὸ ἐκ


μονάδων συγκείμενον πλῆθος »
« La monade est ce selon quoi chacun des étants peut être dit Un, et le nombre, arithmos, est
très précisément cette multiplicité qui est faite de monades ». (Euclide, Éléments, VII, 1-2)

Le triangle de Pascal n’est pas ici pour rien.


Il est là pour figurer ce qu’on appelle dans la théorie des ensembles, non pas les
éléments, mais les parties de ces ensembles.
Au niveau des parties, les parties énoncées monadiquement d’un ensemble quelconque sont
de la seconde ligne : la monade est 2nde.
Comment appellerons-nous la 1ère, celle qui est en somme constituée de cet
ensemble vide
dont le franchissement est justement ce dont l’Un se constitue ?
Pourquoi ne pas user de l’écho que nous donne la langue espagnole et ne pas
l’appeler la « nade » ?

273
Ce dont il s’agit dans ce Un répété de la première ligne, c’est très proprement la
nade,
à savoir la porte d’entrée qui se désigne du manque.
C’est à partir de ce qu’il en est de la place où se fait un trou, de ce quelque chose
que, si vous en voulez une figure,
je représenterais comme étant le fondement du « Yad’lun », il ne peut y avoir de
l’Un que dans la figure d’un sac,
qui est un sac troué. Rien n’est Un qui ne sorte, ou qui - du sac, ou qui dans le
sac - ne rentre :
c’est là le fondement originel - à le prendre intuitivement - de l’Un.

Je ne puis, en raison de mes promesses, et je le regrette, pousser donc ici plus


loin aujourd’hui ce que j’ai apporté.
Sachez simplement que nous interrogerons...
comme j’en avais ici déjà désigné la figure
...que nous interrogerons, à partir de la triade, la forme la plus simple où les
parties...
les sous-ensembles faits des parties de l’ensemble
...où ces parties sont figurables d’une façon qui nous satisfasse, pour remonter
à ce qui se passe au niveau de la dyade
et au niveau de la monade.

Vous verrez qu’à interroger, non pas ces nombres premiers, mais ces premiers
nombres,
sera soulevée une difficulté dont le fait qu’elle soit une difficulté figurative,
j’espère, ne nous empêchera pas de comprendre quelle est l’essence, et de voir
ce qu’il en est du fondement de l’Un.

274
10 Mai 1972
Séminaire : Panthéon-Sorbonne
Table des matières

Il m’est difficile de vous frayer la voie dans un discours qui ne vous intéresse
pas tous.
Je vais dire comme « pas tous » et même j’ajoute : que comme « pas tous ».
Une chose est évidente, c’est le caractère clé dans la pensée de Freud, du
« tous ».

La notion de foule qu’il hérite de cet imbécile qui s’appelait Gustave Le Bon lui
sert à entifier ce tous.
Il n’est pas étonnant qu’il y découvre la nécessité d’un « il existe » dont, à cette
occasion,
il ne voit que l’aspect qu’il traduit comme « le trait unaire », der einziger Zug.

Le trait unaire n’a rien à faire avec l’« Yad’lun » que j’essaie de serrer cette année
au titre qu’il n’y a pas mieux à faire,
ce que j’exprime par : …ou pire, dont ce n’est donc pas pour rien que j’ai dit le
dire adverbialement.
J’indique tout de suite, le trait unaire est ce dont se marque la répétition comme
telle.
La répétition ne fonde aucun « tous » ni n’identifie rien, parce que tautologiquement, si
je puis dire, il ne peut pas y en avoir de 1ère.

C’est en quoi toute cette psychologie de quelque chose qu’on traduit par « des
foules » : « psychologie des foules »,
loupe ce qu’il s’agirait d’y voir avec un peu plus de chance, la nature du « pas
tous » qui la fonde,
nature qui est celle justement de « la femme » à mettre entre guillemets, qui pour
le père Freud a constitué jusqu’à la fin
le problème, problème de « ce qu’elle veut ». Je vous ai déjà parlé de ça.

Mais revenons à ce que j’essaie cette année de filer pour vous.


N’importe quoi - c’est vrai - peut servir à écrire l’ 1de répétition.
275
Ce n’est pas qu’il ne soit rien, c’est qu’il s’écrit avec n’importe quoi pour peu
que ça soit facile à répéter en figures.

Rien de plus facile à figurer...


pour l’être qui se trouve en charge de faire que dans le langage, ça parle
...rien de plus facile à figurer que ce qu’il est fait pour reproduire naturellement,
à savoir, comme on dit, son semblable ou son type. Non pas qu’il sache
d’origine faire sa figure, mais elle le marque, et ça il peut lui rendre,
lui rendre la marque qui justement est le trait unaire.

Le trait unaire est le support de ce dont je suis parti sous le nom de stade du
miroir, c’est-à-dire l’identification imaginaire.

Mais non seulement ce pointage d’un support typique c’est-à-dire imaginaire...


la marque comme telle, le trait unaire
...ne constitue pas un jugement de valeur, comme il m’est revenu - on l’a dit
- que je faisais, jugement de valeur du type :
imaginaire : « caca !
symbolique : miam ! miam ! ».

Mais tout ce que j’ai dit, écrit, inscrit, dans les graphes, schématisé dans le
modèle optique à l’occasion,
où le sujet se réfléchit dans le trait unaire, et où c’est seulement à partir de là qu’il
se repère comme moi-idéal,
tout cela insiste justement sur ce que l’identification imaginaire s’opère par une
marque symbolique.

De sorte que, qui dénonce ce manichéisme : « le jugement de valeur, pouah ! », dans ma


doctrine, démontre seulement ce qu’il est, pour m’avoir entendu ainsi depuis le
début de mon discours dont il est pourtant contemporain.
Un porc, pour se dresser sur ses pattes et faire le porc debout, n’en reste pas
moins le porc qu’il était de souche,

276
mais il n’y a que lui pour s’imaginer qu’on s’en souvient.

Pour revenir à Freud dont je n’ai fait là que commenter la fonction qu’il a
introduite sous le nom de narcissisme,
c’est bien de l’erreur qu’il a commise en liant le moi sans relais à sa
Massenpsychologie que relève l’incroyable de l’institution
dont il a projeté ce qu’il appelle « l’économie du psychisme », c’est à savoir
l’organisation à quoi il a cru devoir confier
la relance de sa doctrine. Il l’a voulue telle pourquoi ? Pour constituer la garde
d’un noyau de vérité.

C’est ainsi que Freud l’a pensé et c’est bien ainsi aussi que ceux qui s’avèrent
être les fruits de cette conception s’expriment pour - même s’ils déclarent
modeste ce noyau - s’en attirer la considération.
Ce qui, du point où les choses en sont maintenant dans l’opinion, est comique.
Il suffit pour le faire apparaître d’indiquer ce qu’implique cette sorte de garant :
une école de sagesse.
Voilà comment, de toujours, on aurait appelé ça. L’est-ce ? Point d’interrogation.

La sagesse...
comme il apparaît du livre même de la patience…[lapsus] de la sapience qu’est
l’« Ecclésiaste »
...c’est quoi ? C’est, comme il est dit là clairement, c’est le savoir de la jouissance.

Tout ce qui se pose comme tel se caractérise comme ésotérisme et l’on peut
dire que il n’y a pas de religion
- hors la chrétienne - qui ne s’en pare, avec les deux sens du mot.

Dans toutes les religions...


la bouddhique et aussi bien la mahométane, sans compter les autres
...il y a cette parure et cette façon de se parer, je veux dire de marquer la place de
ce savoir de la jouissance.
Ai-je besoin d’évoquer les tantras pour l’une de ces religions, les soufis pour
l’autre ?

C’est ce dont s’habilitent aussi les philosophies présocratiques et c’est ce avec


quoi rompt Socrate,
qui y substitue - et l’on peut dire nommément - la relation à l’objet(a), qui n’est
rien d’autre que ce qu’il appelle « âme ».

277
L’opération s’illustre suffisamment du partenaire qui lui est donné dans le
« Banquet » sous l’espèce parfaitement historique d’Alcibiade, autrement dit de
la frénésie sexuelle, à quoi aboutit normalement le discours du maître,
si je puis dire absolu, c’est-à-dire qui ne produit rien que la castration symbolique.

Je rappelle « la mutilation des Hermès », je l’ai fait en son temps quand de ce


« Banquet » je me suis servi pour articuler le transfert.
Le savoir de la jouissance à partir de Socrate ne survivra plus qu’en marge de la
civilisation,
non bien entendu sans qu’elle en ressente ce que Freud appelle pudiquement
son « malaise ».

Un dingue de temps en temps mugit à s’y retrouver, dans le fil de cette


subversion.
Ça ne fait date qu’à ce qu’il soit capable de la faire entendre dans le discours
même qui a produit ce savoir...
le discours chrétien, pour mettre les points sur les i
...puisque, n’en doutons pas, c’est l’héritier du discours socratique.

C’est le discours du maître « up to date », du maître dernier modèle et des petites filles
modèles-modèles 34 qui sont sa progéniture. On m’assure que dans ce genre, celui
que j’appelle le « modèle-modèle »...
qui maintenant se pare d’initiales diverses mais qui commencent toujours par
«M»
...il en vient ici à la pelle.

Je le sais parce qu’on me le dit. Car moi d’où je suis, il ne me suffit pas pour les
voir de vous regarder,
parce que justement de départ elles ne sont « pas toutes » modèles-modèles. Oui,
remarquons-le.

Ça fait de l’effet évidemment, quand cette remarque qu’il y a eu subversion, et


j’ai dit que ça fait date,
c’est un Nietzsche qui la profère. Je fais simplement remarquer qu’il ne peut la
proférer - je veux dire se faire entendre –
qu’à l’articuler dans le seul discours audible, c’est-à-dire celui qui détermine le
maître up to date, comme sa descendance.

34
Allusion aux mouvements féministes et particulièrement ici au MLF (cf. « mais qui commencent
toujours par M »)
278
Tout ce beau monde s’en régale, naturellement, mais ça n’y change rien.
Tout ce qui s’est produit en fait partie depuis le départ, et bien entendu que les
initiales elles-mêmes,
dont il était tout à l’heure question, y soient aussi depuis le départ, ne se
découvre que nachträdglich.
Je ne crois pas inutile de marquer ici que le « pas tous » vient de glisser comme il est
naturel en « pas toutes ». C’est fait pour ça.

Tout le bla-bla dont je ne produis aujourd’hui qu’on peut pointer quelque


mouvement dans l’émergence du discours,
qu’à marquer que le sens en reste problématique, notamment de ce qu’il ne faut
pas entendre dans ce que je viens de dire,
à savoir un sens de l’histoire, puisque comme tout autre sens il ne s’éclaire que
de ce qui arrive,
et que ce qui arrive ne dépend que de la « fortune ».

Pourtant ceci ne veut pas dire qu’il ne soit pas calculable. À partir de quoi ? De
l’1 qu’on y trouve.
Seulement, il ne faut pas se tromper sur ce qu’on trouve d’1. Ce n’est jamais
celui qu’on cherche.
C’est pourquoi, comme je l’ai dit après un autre qui est dans mon cas : « Je ne
cherche pas - qu’il a dit - je trouve 35 »,
la manière, la seule, de ne pas se tromper c’est, à partir de la trouvaille, de
s’interroger sur ce qu’il y avait
- si on l’avait voulu - à chercher.

Qu’est-ce que la formule dont j’ai un jour articulé le transfert ?


Ce - depuis fameux – « sujet supposé savoir », mes artefacts d’écriture y démon-
trent un pléonasme.
On y peut écrire sujet de : S, ce qui rappelle qu’un sujet n’est jamais qu’un
supposé, ὑποχείμενον [upokeimenon],
je n’use de la redondance qu’à partir de la surdité de l’Autre.

Il est clair que c’est le savoir qui est supposé et personne ne s’y est jamais trompé.
Supposé à qui ?

35
Pablo Picasso : « Le désir attrapé par la queue », Paris, Gallimard, 1995.
279
Certainement pas à l’analyste mais à sa position. Ce sur quoi on peut consulter
mes séminaires, car c’est bien ce qui frappe à les relire, pas de bavures, à la
différence de mes « Écrits ». Ouais c’est comme ça ! C’est parce que j’écris vite.
Je me l’étais jamais dit. Mais je m’en suis aperçu parce qu’il est arrivé que je
parle récemment à quelqu’un.

Je l’ai fait depuis la dernière fois où certains d’entre vous m’ont entendu à
Sainte-Anne. J’ai avancé des choses
à partir de la théorie des ensembles, ici invoquée pour mettre en question cet Un
dont je parlais tout à l’heure, à l’instant.
Je prends toujours mes risques, on ne peut pas dire que cette fois-là, je les ai
pas pris avec tout l’humour nécessaire.

2 1- 0‫א‬, deux puissance aleph indice zéro, moins un.


Je crois vous avoir suffisamment souligné la différence qu’il y a de l’indice...
[lapsus] de l’index 0 à la fonction du 0
quand elle est utilisée dans une échelle exponentielle.

Bien sûr ce n’est pas dire que je n’aie chatouillé là la sensibilité de


mathématiciens qui pouvaient être ce soir-là
dans mon auditoire. Ce que je voulais dire...
et attendant que quelque chose m’en revienne, c’était une interpellation
...ce que je voulais dire c’est que, soustrait l’1, tout cet édifice des nombres
devrait...
à l’entendre comme produit d’une opération logique,
nommément celle qui procède de la position du 0 et de la définition du
successeur
...se défaire de toute la chaîne, jusqu’à revenir à son départ.

Il est curieux qu’il m’ait fallu convoquer expressément quelqu’un pour que de
sa bouche je retrouve le bien-fondé
de ce qu’aussi la dernière fois j’ai énoncé, à savoir que ceci comporte non pas
seulement l’1 qui se produit du 0
mais un autre, que comme tel j’ai marqué repérable dans la chaîne, du passage
d’un nombre à l’autre
quand il s’agit de compter ses parties. C’est là-dessus que j’espère conclure.

Mais dès maintenant je me contente de noter que la personne qui ainsi me


confirmait...
c’est elle qui dans une dédicace qu’elle m’a fait l’honneur de me faire
280
à propos d’un article où elle-même s’était énoncée
...que j’écrivais vite. Ça ne m’était pas venu à l’idée parce que ce que j’écris, je le
refais dix fois,
mais c’est vrai que la dixième fois, je l’écris très vite.

C’est pour ça qu’il y reste des bavures, parce que c’est un texte.
Un texte, comme le nom l’indique, ça ne peut se tisser qu’à faire des nœuds.
Quand on fait des nœuds, il y a quelque chose qui reste et qui pend.

Je m’en excuse, je n’ai jamais écrit que pour les gens censés m’avoir entendu et
quand, par exception, j’écrivais d’abord
- le rapport du congrès par exemple - je n’y ai jamais donné qu’un discours sur
mon rapport. Qu’on consulte ce que j’ai dit
à Rome, pour le congrès ainsi nommé, j’ai fait le rapport écrit qu’on sait et ça a
été publié en son temps,
ce que j’ai dit je ne l’ai pas repris dans mon écrit mais on y sera certainement
plus à l’aise que dans le rapport lui-même.

Ceux pour qui donc, en somme, j’avais fait ce travail de reprise logique, ce
travail qui part du Discours de Rome,
dès qu’ils abandonnent la ligne critique qui en résulte, de ce travail, pour
retourner aux « êtres »...
dont je démontre précisément que ce discours doit s’abstenir
...pour retourner à ces « êtres » et en faire le support du discours de l’analysant,
ne font que revenir au bavardage.
C’est pourquoi ceux-là même qui ont pris le large de ce discours - aussitôt dit,
aussitôt fait ! -
en ont complètement perdu le sens.
C’est bien pourquoi, à propos de mon « sujet supposé savoir », il s’est trouvé, enfin
qu’ils émettent,
voire qu’ils impriment noir sur blanc, ce qui est plus fort...
justement à s’apercevoir de décoller de ce où je les conduisais, de la ligne où je
les maintenais
...qu’ils ne savaient plus rien. À partir de quoi je le répète, ils ont été à dire qu’à
le supposer ce savoir,
à la position de l’analyste, « c’est très vilain », parce que c’est dire que l’analyste
fait semblant.

Il n’y a à ça qu’une petite paille que j’ai déjà pointée tout à l’heure, c’est que
l’analyste ne fait pas semblant, il occupe...
281
il occupe avec quoi : c’est ce que je laisse à y revenir
...il occupe la position du semblant. Il l’occupe légitimement parce que, par rapport à
la jouissance...
à la jouissance telle qu’ils ont à la saisir dans les propos de celui qu’au titre
d’analysant,
ils cautionnent dans son énonciation de sujet
...il n’y a pas d’autre position tenable, qu’il n’y a que de là que s’aperçoit jusqu’où la
jouissance de cette énonciation autorisée, peut se mener sans dégâts trop
notoires.

Mais le semblant ne se nourrit pas de la jouissance...


qu’il bafouerait, au dire de ceux qui reviennent au discours de l’ornière
...il donne, ce semblant, à autre chose que lui-même, son porte-voix et justement
de se montrer comme masque...
je dis ouvertement porté, comme dans la scène grecque
...le semblant prend effet d’être manifeste : quand l’acteur porte le masque, son
visage ne grimace pas, il n’est pas réaliste.

Le πάθος [pathos] est réservé au « Chœur » qui s’en donne - c’est le cas de le
dire - à cœur joie. Et pourquoi ?
Pour que le spectateur - je dis celui de la scène antique - y trouve son plus-de-
jouir communautaire, à lui.
C’est bien ce qui fait pour nous le prix du cinéma. Là le masque est autre
chose, c’est l’irréel de la projection.

Mais revenons à nous. C’est de donner voix à quelque chose, que l’analyste peut
démontrer que cette référence à la scène grecque est opportune. Car qu’est-ce
qu’il fait, d’occuper comme telle cette position du semblant ? Rien d’autre que
de démontrer justement, de le pouvoir démontrer, que la terreur ressentie du
désir dont s’organise la névrose,
ce qu’on appelle défense, n’est - au regard de ce qui s’y produit de travail en pure
perte - que conjuration à faire pitié.

Vous retrouvez aux deux bouts de cette phrase ce qu’Aristote désigne de l’effet
de la tragédie sur l’auditeur.
Et où ai-je dit que le savoir dont procède cette voix soit de semblant ?
Doit-elle même le paraître ? Prendre un ton inspiré ?

Rien de pareil, ni l’air ni la chanson du semblant ne lui conviennent, à l’analyste.

282
Seulement voilà, comme il est clair que ce savoir n’est pas l’ésotérique de la jouissance,
ni seulement le savoir-faire de la grimace, il faut se résoudre à parler de la vérité
comme position fondamentale, même si de cette vérité on ne sait pas tout,
puisque je la définis par son mi-dire, par le fait qu’elle ne peut plus que se mi-dire.

Mais qu’est-ce alors que le savoir qui s’assure de la vérité ?


Il n’est rien que ce qui provient de la notation qui résulte du fait de la poser à
partir du signifiant
- maintien assez rude à soutenir - mais qui se confirme de fournir un savoir non-
initiatique parce que procédant
- n’en déplaise à quelqu’un - du sujet [S] qu’un discours [U] assujettit comme tel à
la production :

Ce sujet, qu’il se trouve des mathématiciens pour qualifier de créatif et à préciser


que c’est bien de sujet qu’il s’agit,
ce qui se recoupe de ce que le sujet, dans ma logique, s’exténue à se produire
comme effet de signifiant,
bien entendu en en restant aussi distinct qu’un nombre réel d’une suite dont la
convergence est assurée rationnellement.

Dire « savoir non-initiatique », c’est dire savoir qui s’enseigne par d’autres voix que
celles, directes, de la jouissance,
lesquelles sont toutes conditionnées de l’échec fondateur de la jouissance sexuelle.
Je veux dire de ce par où la jouissance constitutive de l’être parlant se démarque
de la jouissance sexuelle.

Séparation et démarquage dont certes l’efflorescence est courte et limitée, et


c’est pourquoi on en a pu faire le catalogue, précisément à partir du discours
analytique dans la liste parfaitement finie des pulsions.
Sa finitude est connexe de l’impossibilité qui se démontre dans le questionnement
véritable du rapport sexuel comme tel.
Plus exactement, c’est dans la pratique même du rapport sexuel que s’affirme le
lien que nous promouvons

283
- nous, comme êtres parlants - promouvons partout ailleurs, de l’impossible et du
réel.
À savoir que le réel n’a pas d’autre attestation.

Toute réalité est suspecte d’être, non pas imaginaire comme on me l’impute...
car à la vérité il est assez patent que l’imaginaire
tel qu’il surgit de l’éthologie animale, c’est une articulation du Réel
...ce que nous avons à suspecter de toute réalité, c’est qu’elle soit fantasmatique.

Et ce qui permet d’y échapper c’est qu’une impossibilité...


dans la formule symbolique qu’il nous est permis d’en tirer
...en démontre le réel, et dont ce n’est pas pour rien qu’ici pour désigner le
symbolique en question, on se servira du mot terme.

L’amour, après tout, pourrait être pris pour l’objet d’une phénoménologie.
L’expression littéraire de ce qui en est émis est assez profuse pour qu’on puisse
présumer qu’on en pourrait tirer quelque chose.

C’est tout de même curieux que, mis à part quelques auteurs, Stendhal,
Baudelaire...
et laissons tomber la phénoménologie amoureuse du surréalisme
dont le moralisme coupe les bras, c’est le cas de le dire
...il est curieux que cette expression littéraire soit si courte, pour qu’il ne puisse
même pas nous en apparaître
que la seule chose qui nous intéresserait c’est l’étrangeté, et que si ceci suffit à
désigner tout ce qui s’en inscrit
dans le roman du XIXème siècle, pour tout ce qui est d’avant c’est le contraire.

C’est - reportez-vous à L’Astrée, qui pour les contemporains n’était pas rien -
c’est que nous y comprenons si peu
ce qu’elle pouvait être justement pour les contemporains, que nous n’en
ressentons plus qu’ennui.
De sorte que cette phénoménologie, il nous est bien difficile de la faire et qu’à
reprendre ce qui y ferait inventaire,
on ne puisse en déduire d’autre chose que la misère de ce sur quoi elle s’appuie.

La psychanalyse, elle, est partie là-dedans en toute innocence.


Bien entendu c’est pas très gai ce qu’elle a rencontré d’abord.

284
Il faut reconnaître qu’elle ne s’y est pas limitée, et ce qui lui en reste de ce
qu’elle a frayé d’abord d’exemplaire,
c’est ce modèle d’amour en tant qu’il est donné par les soins donnés de la mère
au fils,
à ce qui s’inscrit encore dans le caractère chinois hǎo, qui veut dire « le bien », ou
ce qui est bien.
C’est rien d’autre que ça : qui veut dire « le fils », tseu, et ça nǚ : qui veut dire la
femme.

好子女
hǎo tseu nǚ

À étendre ça de la fille chérissant le père sénile, et même à ce à quoi je fais


allusion à la fin de ma « Subversion du sujet »,
à savoir au mineur que sa femme frictionne avant qu’il la baise, c’est pas ça qui
nous éclairera beaucoup le rapport sexuel.
Le savoir sur la vérité est utile à l’analyste pour autant qu’il lui permet d’élargir un
peu son rapport à ces effets de sujet justement, et dont j’ai dit qu’il les cautionne en
laissant le champ libre au discours de l’analysant.

Que l’analyste doive comprendre le discours de l’analysant, ça semble en effet


préférable.
Mais savoir d’où, est une question qui ne semble pas s’imposer aux yeux,
de la seule notation de ce qu’il lui faille être dans le discours [A] à occuper la
position du semblant.

Il faut bien sûr accentuer que c’est en tant que (a) que cette position du
semblant, il l’occupe.
L’analyste ne peut rien comprendre sinon au titre de ce que dit l’analysant,
à savoir de se voir, non comme cause mais effet de ce discours, ce qui ne l’empêche
pas en droit de s’y reconnaître.
Et c’est pour cela qu’il vaut mieux qu’il soit passé par là, dans l’analyse
didactique,
qui ne peut être sûre qu’à n’avoir pas été engagée à ce titre.

Il y a une face du savoir sur la vérité qui prend sa force d’en négliger totalement
le contenu,

285
d’asséner que l’articulation signifiante est tellement son lieu et son heure que
quelque chose qui n’est rien que cette articulation, dont la monstration au sens passif
se trouve prendre un sens actif et s’imposer comme démonstration à l’être,
à l’être parlant qui ne peut faire à cette occasion que de reconnaître - le
signifiant - non seulement l’habiter,
mais n’en être rien que la marque.

Car la liberté de choisir ses axiomes, c’est-à-dire le départ choisi pour cette
démonstration,
ne consiste qu’à en subir - comme sujet - les conséquences qui elles, ne sont
pas libres.
À partir seulement de ceci que la vérité peut se construire à partir seulement de 0
et 1, ce qui s’est fait seulement
au début du dernier siècle, quelque part entre Boole et Morgan, avec
l’émergence de la logique mathématique.

En quoi il ne faut pas croire que 0 et 1 ici notent l’opposition de la vérité et de


l’erreur.
C’est la révélation qui ne prend sa valeur que « nachträglich », par Frege et
Cantor,
de ce que ce 0, dit de l’erreur, qui encombrait les Stoïciens, pour qui c’était ça, et
que ça conduisait
à cette charmante folie de l’implication matérielle dont ce n’est pas pour rien
qu’elle était refusée par certains,
de ce qu’elle pose que l’implication est véritable qui fait résulter la vérité
formulée de l’erreur formulée.

L’erreur impliquant la vérité est une implication vraie. Il n’est rien de pareil dans
la position de ceci :
(0 → 1) → 1 avec la logique mathématique. Que « 0 implique 1 » est une
implication notable de 1, c’est-à-dire du vrai.
0 a tout autant de valeur véridique que 1, parce que 0 n’est pas la négation de la
vérité 1, mais la vérité du manque
qui consiste en ce qu’à 2, il en manque 1. Ce qui veut dire, sur le seul plan de la
vérité, que la vérité ne puisse parler
qu’à s’affirmer à l’occasion, comme ça s’est fait pendant des siècles, être la
double vérité, mais jamais à être la vérité complète.

0 n’est pas la négation de quoi que ce soit - notamment d’aucune multitude - il joue
son rôle dans l’édification du nombre.
286
Il est tout à fait arrangeant, comme chacun sait. S’il n’y avait que des 0, comme
on se la coulerait douce !
Mais ce qu’il indique, c’est que quand il faudrait qu’il y en ait 2, il n’y en a
jamais qu’1, et ça, c’est une vérité.
0 implique 1, le tout impliquant 1 [(0 → 1) → 1], est à prendre non comme le
faux impliquant le vrai, mais comme deux vrais, l’un impliquant l’autre. Mais aussi
d’affirmer que le vrai ne soit jamais qu’à manquer de son partenaire.

La seule chose à quoi le 0 s’oppose, mais résolument, c’est à avoir une relation
à 1 telle que 2 puisse en résulter.
Il n’est pas vrai - ce que je marque de la barre qui convient - que 0 impliquant
1, implique 2.

Comment donc saisir ce qu’il en est de ce 2, sans quoi il est clair que ne peut se
construire aucun nombre ?
Je n’ai pas parlé de les numérer, mais de les construire.

C’est bien pour ça que la dernière fois je vous ai mené jusqu’à l’aleph [‫]א‬, c’était
pour au passage vous faire sentir
que dans la génération d’un nombre cardinal à l’autre, dans le comptage des
sous-ensembles,
quelque chose quelque part se compte comme tel qui est un autre Un, ce que j’ai
marqué du triangle de Pascal,
en faisant remarquer que chaque chiffre qui se trouve, à droite, marquer le
nombre des parties,
se fait de l’addition de ce qui y correspond comme parties dans l’ensemble
précédent.

C’est ce 1, ce 1 que j’ai caractérisé quand il s’agit du 3 par exemple, à savoir l’ab
opposé au c, et du ba qui vient de même. Pour qu’il y en ait 4, il faut qu’à l’ab,
au ba, à l’ac, il y ait l’abc, la juxtaposition des éléments de l’ensemble précédent,
leur juxtaposition comme telle, qui vienne en compte au seul titre de 1.

287
C’est ce que j’ai appelé « la mêmeté de la différence ». Parce que c’est en tant que
rien d’autre dans leur propriété
n’est que d’être différence, que les éléments qui viennent ici supporter les sous-
ensembles, que ces éléments sont comptés
eux-mêmes dans la génération des parties qui vont suivre.
J’insiste, ce qui est en question c’est ce dont il s’agit quant au dénombré, c’est
« l’Un en plus » en tant qu’il se compte comme tel dans le dénombré, dans l’aleph
[‫ ]א‬de ses parties à chaque passage d’un nombre à son successeur.

C’est de se compter comme tel de la différence comme propriété, que la


multiplication qui s’exprime dans l’exponentielle 2n-1 des parties de l’ensemble
supérieur, de sa bipartition, que s’avère dans l’aleph [‫ ]א‬- quoi ? - à être mis à l’épreuve
du dénombrable.
Que c’est là que se révèle en tant que d’un Un, de l’Un qu’il s’agit, c’est d’un
autre qu’il s’agit, que ce qui se constitue
à partir de l’1 et du 0 comme inaccessibilité du 2 ne se livre qu’au niveau de
l’aleph zéro [0‫ ]א‬c’est à dire de l’infini actuel.

Je vais pour terminer, vous le faire sentir, et sous une forme tout à fait simple
qui est celle-ci :
de ce qu’on peut dire quant à ce qu’il en est des entiers concernant une
propriété qui serait celle de l’accessibilité.

Définissons là de ceci : qu’un nombre est accessible de pouvoir être produit


soit comme somme,
soit comme exponentiation,
des nombres qui sont plus petits que lui.

À ce titre, le début des nombres se confirme de n’être pas accessible et très


précisément jusqu’à 2.
La chose nous intéresse tout spécialement quant à ce 2, puisque du rapport de
l’1 à 0, j’ai suffisamment souligné
que l’1 s’engendre de ce que le 0 marque de manque.

288
Avec 0 et 1, que vous les additionniez, ou que vous les mettiez l’un à l’autre - voire l’un
à lui-même - dans une relation exponentielle, jamais le 2 ne s’atteint. Le nombre 2 au
sens où je viens de le poser, qu’il puisse d’une sommation ou d’une exponentiation
s’engendrer des nombres plus petits, le test s’avère négatif : il n’y a pas de 2 qui
s’engendre au moyen du 1 et du 0.

Une remarque de Gödel est ici éclairante :


c’est très précisément que l’aleph zéro [0‫]א‬, à savoir l’infini actuel, est ce qui se
trouve réaliser le même cas.
Alors que pour tout ce qu’il en est des nombres entiers à partir de 2,
commencez à 3 :
3 se fait avec 1 et 2,
4 peut se faire d’un 2 mis à sa propre exponentiation,
et ainsi de suite,
il n’y a pas un nombre qui ne puisse se réaliser par une de ces deux opérations à
partir des nombres plus petits que lui. C’est précisément ce qui fait défaut et ce en
quoi au niveau de l’aleph zéro [0‫ ]א‬se reproduit cette faille que j’appelle de
l’inaccessibilité.

Il n’y a proprement aucun nombre qui...


qu’on s’en serve à en faire l’addition indéfinie, voire avec tous ses successeurs,
ni non plus à le porter à un exposant aussi grand que vous voudrez
...qui jamais accède à l’aleph.

Il est singulier...
et ceci est ce qu’aujourd’hui je dois laisser de côté,
quitte à le reprendre si ça intéresse quelques-uns, dans un cercle plus étroit
...il est tout à fait frappant que de la construction de Cantor,
il résulte qu’il n’y a pas d’aleph qui, à partir de l’aleph zéro [0‫]א‬, ne puisse être
tenu pour accessible.

Il n’est pas moins vrai que, de l’avis de ceux qui ont fait progresser cette
difficulté de la théorie des ensembles,
c’est seulement de la supposition que dans ces aleph, il y en a d’inaccessibles,
que peut se réintroduire dans ce qu’il en est des nombres entiers, ce que
j’appellerai la consistance.

Autrement dit, que sans cette supposition : l’inaccessible quelque part se


produisant dans les aleph [‫]א‬,

289
ce dont il s’agit et ce dont je suis parti, est ce qui est fait pour vous suggérer
l’utilité de ce qu’il « y ait d’l’Un »,
à ce que vous sachiez entendre ce qu’il en est de cette bipartition à chaque
instant fuyante,
de cette bipartition de l’homme et de la femme.

Tout ce qui n’est pas homme est-il femme ? On tendrait à l’admettre.


Mais puisque la femme n’est pas « tout », pourquoi tout ce qui n’est pas femme
serait-il homme ?

Cette bipartition, cette impossibilité d’appliquer en cette matière du genre,


quelque chose qui soit le principe de contradiction,
qu’il ne faille rien de moins que d’admettre l’inaccessibilité de quelque chose au-
delà de l’aleph pour que la non contradiction soit
consistante,
qu’il soit fondé de dire que ce qui n’est pas 1 soit 0, et que ce qui n’est pas 0
soit 1,
c’est cela que je vous indique comme étant ce qui doit permettre à l’analyste
d’entendre...
un peu plus loin qu’à travers les verres de lunettes de l’objet(a)
...ce qui ici se produit d’effet, ce qui se crée de Un, par un discours qui ne
repose que sur le fondement du signifiant.

290
17 Mai 1972
Séminaire : Panthéon-Sorbonne
Table des matières

[Au tableau ]

Il n’y a pas d’autre existence de l’Un que l’existence mathématique

Voilà ! Ça tourne autour de ce que l’analyse nous conduit à formuler cette


fonction !,
de ce par rapport à quoi il s’agit de savoir s’il existe, s’il existe un X qui satisfasse à
la fonction [:!].
Alors, naturellement, ça suppose d’articuler ce que ça peut être que l’existence.

Il est à peu près certain que, historiquement, ça n’a surgi, cette notion de
l’existence, qu’avec l’intrusion du réel mathématique comme tel. Mais c’est une
preuve de rien parce que nous ne sommes pas ici pour faire l’histoire de la
pensée,
il ne peut y voir aucune histoire de la pensée, la pensée est une fuite en elle-
même.
Elle projette sous le nom de mémoire, n’est-ce pas, la méconnaissance de sa moire.

Tout ça n’empêche pas que nous pouvons essayer de faire certain repérage et...
pour partir de ce qui n’est pas par hasard que j’ai écrit en forme de fonctions
...j’ai commencé d’énoncer quelque chose qui j’espère vous rendra service, un
dire que, si je l’écris, c’est dans un sens, dans le sens que c’est une fonction sans
rapport avec quoi que ce soit qui fonde d’eux - d, apostrophe, e, u, x - Un.

Alors vous voyez que toute l’astuce est sur le subjonctif qui appartient à la fois
au verbe « fonder » et au verbe « fondre ».
D’eux n’est pas fondu en Un, ni 1 fondé par 2. C’est ce que dit Aristophane
dans une très jolie petite fabulette du Banquet :
291
Ils ont été séparés en deux, ils étaient d’abord en forme de « bête à deux dos », ou de bête à
dos d’eux.

Ce qui bien sûr...


si la fable songeait le moins du monde un instant à être autre chose qu’une
fable, c’est-à-dire à être consistante
...n’impliquerait nullement qu’ils ne refassent pas des petits à deux dos, à dos
d’eux, ce dont personne ne fait la remarque
et heureusement, parce qu’un mythe est un mythe et celui-là en dit assez, c’est
celui que j’ai d’abord projeté
sous une forme plus moderne, sous la forme de !.

C’est en somme ce qui, concernant les rapports sexuels, se présente à nous comme
l’espèce de discours...
je parle de la fonction mathématique
...l’espèce de discours...
tout au moins je vous le propose comme modèle
...qui sur ce point nous permettrait de fonder autre chose : du semblant, …ou
pire.

Bon ! Ce matin moi, j’ai commencé dans le pire et malgré tout, je trouve pas
superflu de vous en faire part,
ne serait-ce que pour voir où ça peut aller. C’était à propos de cette petite
coupure de courant dont je ne sais pas jusqu’où vous l’avez eue, mais moi je l’ai
eue jusqu’à dix heures. Elle m’a énormément emmerdé, parce que c’est l’heure
où d’habitude je rassemble, je repense à ces petites notes, et que ça ne me le
facilitait pas.

En plus, à cause de la même coupure, on m’a cassé un verre à dents auquel je


tenais beaucoup.
S’il y a des gens qui m’aiment ici, ils peuvent m’en envoyer un autre.
J’en aurais peut-être comme ça plusieurs, ce qui me permettra de les casser tous
sauf celui que je préférerai.
J’ai une petite cour qui est faite exprès pour ça.

Alors, je me disais, en pensant que bien sûr cette coupure, ça ne nous venait
pas de personne,
ça nous venait d’une décision des travailleurs... Moi j’ai un respect que l’on ne
peut même pas imaginer
292
pour la gentillesse de cette chose qui s’appelle une coupure, une grève.
Quelle délicatesse de s’en tenir là ! Mais là il me semblait que, vu l’heure...

Quoi ?!

X dans salle - On n’entend rien.

On n’entend pas ? On n’entend pas !


J’étais en train de dire qu’une grève c’était la chose du monde la plus sociale qui
soit,
qui représente un respect du lien social qui est quelque chose de fabuleux.

Mais là il y avait une pointe dans cette coupure de courant qui avait une signifi-
cation d’une grève,
c’est que c’était justement l’heure où, tout comme à moi, qui préparais ma
cuisine, pour vous parler maintenant,
qu’est-ce que ça devait pouvoir enquiquiner celle qui...
malgré tout, étant à l’occasion la femme du travailleur
...s’appelle, de la bouche même du travailleur, qui - quand même, j’en
fréquente ! - s’appelle « la bourgeoise » !
C’est vrai qu’ils les appellent comme ça !

Et alors je me mettais quand même à rêver. Parce que tout ça se tient. Ce sont
des travailleurs, des exploités.
C’est tout de même bien parce qu’ils préfèrent encore ça à l’exploitation
sexuelle de la bourgeoise !
Voilà, ça c’est pire, c’est le …ou pire.

Vous comprenez ? Parce que, à quoi ça mène de prononcer des articulations


sur des choses à quoi on ne peut rien ?
Le rapport sexuel ne se présente, on ne peut pas dire que sous la forme de
l’exploitation,
c’est d’avant : c’est à cause de ça que l’exploitation s’organise parce que, il n’y a
même pas cette exploitation-là.
Voilà, ça c’est pire, c’est le ...ou pire.

C’est pas sérieux, c’est pas sérieux quoiqu’on voit bien que c’est là que devrait
aller « un discours qui ne serait pas du semblant », mais c’est un discours qui finirait
mal. Ça serait pas du tout un lien social, comme c’est ce qu’il faut que soit un dis-
cours.
293
Bon, alors il s’agit maintenant du discours psychanalytique,
et il s’agit de faire que celui qui y fait fonction de (a) tienne une position...
je vous ai déjà expliqué ça la dernière fois, bien sûr naturellement ça vous est
passé comme l’eau
sur les plumes d’un canard, mais enfin certains quand même en ont paru un
peu comme ça mouillés
...tienne la position du semblant.

Ceux qui sont vraiment intéressés là-dedans, j’en ai eu quand même des échos,
ça les a émus.
Il y a certains psychanalystes qui ont quelque chose qui les tourmente, qui les
angoisse de temps en temps.
C’est pas pour ça que je dis ça, que j’insiste sur le fait que l’objet(a) doive tenir la
position du semblant,
c’est pas pour leur foutre de l’angoisse, je préférerais même qu’ils n’en aient
pas.

Enfin, c’est pas un mauvais signe que ça la leur donne, parce que ça veut dire
que mon discours n’est pas complètement superflu, qu’il peut prendre un sens.
Mais ça ne suffit pas, ça n’assure absolument rien qu’un discours ait un sens,
parce qu’il faut au moins que ce sens, on puisse le repérer, n’est-ce pas.

Si vous faites ça, enfin, le mouvement brownien, à chaque instant, ça a un sens.


C’est bien ce qui rend la position du psychanalyste difficile, c’est parce que
l’objet (a), sa fonction c’est le déplacement.
Et comme ce n’est pas à propos du psychanalyste que j’ai fait descendre du ciel
pour la première fois l’objet (a),
j’ai commencé dans un petit graphe...
qui était fait pour donner os, ou repère, aux formations de l’inconscient
...à le cerner dans un point d’où il ne pouvait pas bouger.

Dans la position du semblant c’est beaucoup moins facile d’y rester parce que
l’objet(a)
il vous fout le camp en moins de deux entre les pattes puisque c’est...
comme je l’ai déjà expliqué quand j’ai commencé - à propos du langage - à en
parler
294
...c’est « il court, il court, le furet... » : dans tout ce que vous dites, il est à chaque
instant ailleurs.

Alors c’est pour ça que nous essayons d’appréhender d’où pourrait se situer
quelque chose qui serait au-delà du sens,
de ce sens qui fait qu’aussi bien je ne peux pas obtenir d’autre effet que
l’angoisse là où c’est pas du tout ma visée.
C’est en ça que nous intéresse que soit ancré ce réel, ce réel que je dis - pas pour
rien - être mathématique,
parce que, somme toute, à l’expérience de ce qu’il s’agit, de ce qui se formule, de
ce qui s’écrit à l’occasion, nous voyons, nous pouvons toucher du doigt que là, il
y a quelque chose qui résiste, je veux dire dont on ne peut pas dire n’importe quoi.
On ne peut pas donner au réel mathématique n’importe quel sens.
Il est même tout à fait frappant que ceux qui se sont en somme, dans une
époque récente,
approchés de ce réel avec l’idée préconçue de lui faire rendre compte de son
sens à partir du vrai...
Il y avait comme ça un immense farfelu, que vous connaissez bien sûr de
réputation,
parce qu’il a fait son petit bruit dans le monde, qui s’appelait Bertrand Russell,
qui est au cœur de cette aventure et c’est quand même lui qui a formulé
quelque chose comme ceci :

« que la mathématique, c’est quelque chose qui s’articule d’une façon telle
qu’en fin de compte on ne sait même pas si c’est vrai ce qui s’articule, ni si ça a un sens ».

Ça n’empêche pas que, justement, ça prouve ceci, c’est qu’on ne peut lui en
donner n’importe lequel,
ni dans l’ordre de la vérité,
ni dans l’ordre du sens,
et que ça résiste au point que, pour aboutir à ce résultat que moi je considère
comme un succès...
le succès même, n’est-ce pas le mode sous lequel ça s’impose, que c’est réel
...c’est que justement ni « le vrai » ni « le sens » n’y dominent, ils sont secondaires.

Et que de là, la position...


cette position seconde, à ces deux machins qui s’appellent le vrai et le sens
...leur restait inhabituelle à eux, enfin que ça donne un peu le tournis aux gens
quand ils prennent la peine de penser.

295
C’était le cas de Bertrand Russell, il pensait. C’était... c’est une manie
d’aristocrate, n’est-ce pas,
et il n’y a vraiment aucune raison de trouver que ce soit là une fonction
essentielle.

Mais ceux qui édifient...


je ne suis pas en train de faire de l’ironie
...la théorie des ensembles ont bien assez à faire dans ce réel pour trouver le temps
de penser à côté.
La façon dont on s’est engagé dans une voie non seulement dont on ne peut
pas en sortir,
mais dont ça mène quelque part, avec une nécessité et puis en plus une
fécondité,
fait qu’on touche, qu’on a affaire à tout autre chose [le réel] que ce qui est
pourtant employé [les « petites lettres »].

Ce qui a été la démarche dans l’initium de cette théorie, c’était d’interroger tout
ce qu’il en était de ce réel,
car c’est de là qu’on est parti parce qu’on ne pouvait pas ne pas voir que le
nombre c’était réel,
et que depuis quelque temps, enfin il y avait du rififi avec l’1.

C’était pas quand même une mince affaire de s’apercevoir que le nombre réel,
on pouvait mettre en question si ça avait à faire quelque chose avec l’1,
l’1 comme ça, le premier des nombres entiers, des nombres dits naturels.
C’est qu’on avait eu le temps, depuis le XVIIème siècle jusqu’au début du
XIXème siècle,
d’approcher le nombre un tout petit peu autrement que les Anciens ne l’avaient
fait.

Si je pars de ça, c’est bien parce que c’est ça l’essentiel.


Non seulement « Yad’lun », mais ça se voit à ça : que l’Un, lui, il ne pense pas.

Il pense pas : « donc je suis », en particulier.


Quand je dis : il pense pas : « donc je suis », j’espère que vous vous souvenez que
même Descartes, c’est pas ce qu’il dit.
Il dit : ça se pense « donc je suis » entre guillemets.

L’Un, ça se pense pas, même tout seul, mais ça dit quelque chose, c’est même ça
qui le distingue, et il n’a pas attendu que
296
des gens se posent à son propos, à propos de ses rapports, la question de ce
que ça veut dire du point de vue de la vérité.
Il n’a pas attendu même la logique. Car c’est ça la logique. La logique c’est de
repérer dans la grammaire
ce qui prend forme de la position de vérité, ce qui dans le langage le rend
adéquat à faire vérité. Adéquat, ça veut pas dire qu’il réussira toujours, alors à bien
rechercher ses formes on croit approcher ce qu’il en est de la vérité.

Mais avant qu’Aristote s’avise de ça, à savoir du rapport à la grammaire, l’Un


avait déjà parlé, et pas pour rien dire.
Il dit ce qu’il a à dire : dans le « Parménide » c’est l’Un qui se dit.
Il se dit - il faut bien le dire - en visant à être vrai, d’où naturellement
l’affolement qui en résulte.

Il n’y a personne, parmi les personnes qui font la cuisine du savoir, qui ne se sente pas
à chaque fois en prendre un bon coup. Ça casse le verre à dents ! C’est bien
pour ça qu’après tout...
encore que certains aient mis une certaine bonne volonté, un certain courage à
dire :
« qu’après tout ça peut s’admettre quoique ce soit un peu tiré par les cheveux »
...on n’en est pas encore venu à bout de cette chose qui était pourtant simple :
de s’apercevoir que l’Un,
quand il est véridique, quand il dit ce qu’il a à dire, on voit où ça va : en tout cas à la
totale récusation d’aucun rapport à l’être.

Il n’y a qu’une chose qui en ressorte quand il s’articule, c’est très exactement ceci : il y
en a pas deux. Je vous l’ai dit, c’est un dire.
Et même vous, pouvez y trouver, comme ça, à la portée de la main, la
confirmation de ce que moi je dis, quand je dis que

« la vérité ne peut que se mi-dire ».

Parce que, vous n’avez qu’à casser la formule : pour dire ça il ne peut que dire
ou bien « y en a », et comme je le dis : « Yad’lun »,
ou bien « pas deux », ce qui s’interprète tout de suite pour nous : « il n’y a pas de
rapport sexuel ».

C’est donc déjà, vous voyez bien, à la portée de notre main...


bien sûr, pas à la portée de la main unienne de l’Un
...d’en faire quelque chose dans le sens du sens.
297
C’est bien pour ça que je recommande à ceux qui veulent tenir la position de
l’analyste...
avec ce que ça comporte de savoir ne pas en glisser
...de se mettre à la page de ce qui bien sûr, pourrait pour eux se lire à seulement
travailler le Parménide,
mais ça serait quand même un peu court, on se casse les dents là-dessus.

Au lieu qu’il est arrivé autre chose qui rend tout à fait clair...
si bien sûr on s’obstine un peu, si on s’y rompt, si on s’y brise, même
...qui rend tout à fait claire la distinction qu’il y a
d’un réel qui est un réel mathématique,
avec quoi que ce soit de ces badinages qui partent de ce « je ne sais quoi »,
qui est notre position nauséeuse qui s’appelle « le vrai » ou « le sens ».

Bien sûr, naturellement, ça ne veut pas dire que ça n’aura pas d’effet...
d’effet de massage, d’effet de revigoration, d’effet de soufflage, d’effet de
nettoiement
...sur ce qui nous paraîtra exigible au regard du vrai ou bien du sens.

Mais justement, c’est bien ce que j’en attends :


c’est qu’à se former à distinguer ce qu’il en est de l’Un,
simplement à s’approcher de ce réel dont il s’agit, en ce qu’il supporte le
nombre,
déjà ça permettra beaucoup à l’analyste.

Je veux dire qu’il peut lui venir...


dans ce biais où il s’agit d’interpréter, de rénover le sens
...de dire des choses de ce fait un peu moins court-circuitées, un peu moins
« chatoiement »,
que toutes les conneries qui peuvent nous venir et dont tout à l’heure - ...ou pire,
comme ça -
je vous ai donné l’échantillon à partir simplement de ce qui pour moi n’était
que la contrariété du matin.

J’aurais pu broder comme ça sur le travailleur et sa bourgeoise et en tirer une


mythologie.
Ça vous a fait rire d’ailleurs, parce que dans ce genre il y a...
le champ est vaste, le sens et le vrai, ça ne manque pas,
c’est même devenu la mangeoire universitaire justement
298
...il y en a tellement, il y a un tel éventail qu’il s’en trouvera bien un, un jour pour
faire avec ce que je vous dis,
une ontologie, pour dire que j’ai dit que :

« la parole, c’était un effet de comblement de cette béance qui est ce que j’articule : il n’y a pas
de rapport sexuel ».

Ça va tout seul comme ça. Interprétation subjectiviste, n’est-ce pas ?


C’est parce qu’il ne peut pas la chatouiller qu’il lui fait du baratin.
C’est simple ça, c’est simple !

Moi ce que j’essaie, c’est autre chose.


C’est de faire que dans votre discours, vous mettiez moins de conneries - je
parle des analystes.
Pour ça, que vous essayiez d’aérer un peu « le sens » avec des éléments qui
seraient un peu nouveaux.
Alors c’est pourtant pas une exigence qui ne s’impose pas, parce qu’il est bien
clair qu’il n’y a aucun moyen de répartir deux séries quelconques - quelconques,
je dis - d’attributs qui fassent
une série mâle d’un côté,
et de l’autre côté la série femme.
Je n’ai d’abord pas dit homme pour ne pas faire de confusion, parce que je vais broder là
dessus encore pour rester dans le pire.

Évidemment c’est tentant, même pour moi. Moi, je m’amuse. Et puis je suis
sûr de vous amuser à montrer
que ce qu’on appelle « l’actif »...
si c’est là-dessus que vous vous fondez parce que, naturellement, c’est la
monnaie courante
...que c’est ça « l’homme » : il est actif le cher mignon !
Dans le rapport sexuel alors, il me semble que c’est, c’est plutôt la femme qui,
elle, en met un coup. Bon...

Puis il y a qu’à le voir quand même dans des positions que nous appellerons
nullement primitives,
mais c’est pas parce qu’on en rencontre dans le tiers monde...
qui est « le monde de Monsieur Thiers », n’est-ce pas ?
...que c’est pas évident que dans la vie normale...
je parle pas bien sûr naturellement des types du « Gaz et de l’Électricité de France »
qui eux ont pris leur distance, qui se sont rués dans le travail
299
...mais dans une vie comme ça, appelons-la simplement ce qu’elle est, ce qu’elle
est partout...
sauf quand il y a eu une grande subversion chrétienne, notre grande subversion
chrétienne
...l’homme il se les roule, la femme elle moud, elle broie, elle coud, elle fait les
courses et elle trouve le moyen encore,
dans ces solides civilisations qui ne sont pas perdues, elle trouve encore le
moyen de tortiller du derrière après pour...
je parle d’une danse bien sûr, hein !
...pour la satisfaction jubilatoire du type qui est là!

Alors pour ce qu’il en est de l’actif et du passif permettez-moi de...


C’est vrai qu’il chasse ! [Rires] Et il y a pas de quoi rigoler mes petites, c’est très
important !
Puisque vous me provoquez, alors je continuerai à m’amuser. C’est malheureux
parce que comme ça,
je n’arriverai pas au bout de ce que j’avais à vous dire aujourd’hui concernant
l’Un. Il est deux heures !

Mais quand même puisque ça fait rigoler, la chasse...


Je sais pas, je sais pas si tout de même, malgré tout, c’est pas absolument
superflu d’y voir justement la vertu de l’homme, la vertu justement par laquelle il
se montre, il se montre ce qu’il a de mieux : être passif.
Parce que, d’après tout ce qu’on sait, quand même, je sais pas si vous vous
rendez bien compte,
parce que bien sûr vous êtes tous ici des « jean foutre », et s’il y a pas ici de
paysans, personne ne chasse,
mais s’il y avait aussi ici des paysans : ils chassent mal.

Pour le paysan...
c’est pas forcément un homme, hein, le paysan, quoiqu’on en dise
...pour le paysan, le gibier ça se rabat : pan ! pan ! On lui ramène tout ça. C’est
pas ça du tout la chasse !
La chasse quand elle existe, il y a qu’à voir dans quelles transes ça les mettait,
ça, parce qu’on le sait,
enfin on en a eu des petites traces de tout ce qu’ils offraient de propitiatoire à la chose
- quoi ! -qui pourtant n’était plus là.

Vous comprenez ils étaient quand même pas plus dingues que nous, une bête
tuée est une bête tuée.
300
Seulement, s’ils avaient pas pu tuer la bête, c’est parce qu’ils s’étaient si bien
soumis à tout ce qui est de sa démarche,
de sa trace, de ses limites, de son territoire, de ses préoccupations sexuelles,
pour s’être justement, eux, substitués
à ce qui n’est pas tout ça, à la non-défense, à la non-clôture, aux non-limites de
la bête, à la vie il faut dire le mot.
Et que quand cette vie ils avaient dû la soustraire, après y être devenus telle-
ment, eux, cette vie même,
que ça se comprend bien sûr, qu’ils aient trouvé que non seulement ça faisait
moche mais que c’était dangereux.
Que ça pouvait bien, à eux, leur arriver aussi.

Ça pourrait être de ces choses qui ont même fait penser, comme ça, quelques-
uns, parce que ces choses-là quand même, ça continue à se sentir, et j’ai
entendu ça, moi, formulé d’une façon curieuse par quelqu’un d’excessivement
intelligent,
un mathématicien : que...
mais alors là il extrapole le gars quand même, mais enfin je vous le fournis
parce que c’est excitant
...que le système nerveux dans un organisme, c’était peut-être bien pas autre chose que ce qui
résulte d’une identification à la proie, hein ?

Bon, je vous lâche l’idée comme ça, je vous la donne, vous en ferez ce que vous
voudrez, bien sûr,
mais on peut déconner là-dessus une nouvelle théorie de l’évolution qui sera un tout
petit peu plus drôle que les précédentes.
Je vous la donne d’autant plus volontiers :
d’abord, [parce] qu’elle n’est pas à moi, à moi aussi on me l’a refilée,
mais je suis sûr que ça excitera les cervelles ontologiques.

C’est vrai bien sûr aussi pour le pêcheur. Enfin dans tout ce par quoi l’homme
est femme.
Parce que la façon dont un pêcheur passe la main sous le ventre de la truite qui
est sous son rocher - faut qu’il y ait ici
un pêcheur de truite, quand même il y a des chances, il doit savoir ce que je dis
là - ça, c’est quelque chose !

Enfin tout ça ne nous met pas sur le sujet de l’actif et du passif, dans une
répartition bien claire.

301
Alors je ne vais pas m’étendre parce qu’il suffit que je confronte chacun de ces
couples habituels
avec un essai de répartition bisexuelle quelconque pour arriver à des résultats
aussi bouffons.
Alors qu’est-ce que ça pourrait bien être ?

Quand je dis « Yad’l’Un »...


il faut quand même que je balaie le pas de ma porte et puis je vois pas pourquoi
je n’en resterai pas là puisque je vous parlerai donc le jeudi, le jeudi 1er Juin je
crois, quelque chose comme ça.
Vous vous rendez compte, le 1er jeudi de Juin je suis forcé de revenir des
quelques jours de vacances pour ne pas manquer à Sainte Anne !
...alors je vais quand même là, tout de même faire la remarque que « Yad’l’Un »,
ça ne veut pas dire...
il me semble que quand même pour beaucoup ça doit être déjà su, mais
pourquoi pas ?
...ça ne veut pas dire qu’il y a de l’individu.

C’est bien pour ça, vous comprenez, que je vous demande d’enraciner cet
« Yad’l’Un » de là où il vient. C’est-à-dire

« qu’il n’y a pas d’autre existence de l’Un que l’existence mathématique ».

Il y a Un quelque chose, Un argument qui satisfait à Une formule.

Et un argument c’est quelque chose de complètement vidé de sens, c’est


simplement l’Un comme Un.
C’est ça que j’avais, au départ, l’intention de vous bien marquer dans la théorie
des ensembles.
Je vais peut-être quand même pouvoir vous l’indiquer tout au moins avant de
vous quitter.
Mais il faut liquider aussi ceci d’abord : que même pas l’idée de l’individu, ça ne
constitue en aucun cas l’Un.

Parce que, on voit bien quand même, que ça pourrait être à la portée, pour ce
qui est du rapport sexuel,
sur lequel en somme, pas mal de gens s’imaginent que ça se fonde : il y a autant
d’individus d’un côté que de l’autre...
en principe, au moins chez l’être qui parle, le nombre des hommes et des
femmes sauf exception, n’est-ce pas, je veux dire des petites exceptions :
302
dans les Iles Britanniques, il y a un peu moins d’hommes que de femmes,
il y a les grands massacres, naturellement des hommes, bon !
Mais enfin ça n’empêche pas que chacune a eu son chacun
...ça ne suffit pas du tout à motiver le rapport sexuel, qu’ils aillent un par un.

C’est quand même drôle que vous l’ayez vu, qu’il y ait là une espèce d’impureté
de la théorie des ensembles
autour de cette idée de la correspondance biunivoque, on voit bien en quoi là
l’ensemble se rattache à la classe
et que la classe, comme tout ce qui s’épingle d’un attribut, c’est quelque chose
qui a affaire avec le rapport sexuel.

Seulement c’est justement ça que je vous demande de pouvoir appréhender


grâce à la fonction de l’ensemble.
C’est qu’il y a un 1 distinct de ce [Un] qui unifie, comme attribut, une classe.

Il y a une transition par l’intermédiaire de cette correspondance biunivoque.


Il y en a autant d’un côté que de l’autre et que certains fondent là-dessus l’idée
de la monogamie.
On se demande en quoi c’est soutenable, mais enfin c’est dans l’Évangile.

Comme il y en a autant, jusqu’au moment où il y aura une catastrophe sociale,


ça, c’est arrivé parait-il au milieu du Moyen-Âge en Allemagne, on a pu statuer
parait-il à ce moment là
que le rapport sexuel pouvait être autre chose que bi-univoque.

Mais c’est assez amusant ceci, c’est que le sex-ratio, il y a des gens qui se sont
posé le problème en tant que tel :
y a-t-il autant de mâles que de femelles ?
Et il y a eu une littérature là-dessus, qui est vraiment très piquante, très
amusante, parce que ce problème
est en somme un problème qui est résolu le plus fréquemment par ce que nous
appellerons la sélection chromosomique.
Le cas le plus fréquent est évidemment la répartition des deux sexes en une
quantité d’individus reproduits
égaux dans chaque sexe, égaux en nombre.

Mais c’est vraiment très joli qu’on se soit posé la question de ce qui arrive si un
déséquilibre commence à se produire.

303
On peut très facilement démontrer que dans certains cas de ce déséquilibre, ça ne
peut aller qu’en s’accroissant ce déséquilibre, si on s’en tient à la sélection
chromosomique, que nous n’appellerons pas de hasard puisqu’il s’agit d’une
répartition.
Mais alors la solution tellement élégante qu’on y a donnée, c’est que dans ce cas
ça doit être compensé par la sélection naturelle. La « sélection naturelle » on la
voit, là, se montrer à nu.

Je veux dire que ça se résume à dire ceci : que les plus forts sont forcément les
moins nombreux
et que comme ils sont les plus forts, ils prospèrent et que donc ils vont
rejoindre les autres en nombre.
La connexion de cette idée de la sélection naturelle avec justement le rapport
sexuel,
est un des cas où se montre bien que ce qu’on risque à tout abord du rapport
sexuel, c’est de rester dans le mot d’esprit.

Et en effet, tout ce qui s’en est dit est de cet ordre.


S’il est important qu’on puisse articuler autre chose que quelque chose qui fasse
rire,
c’est bien justement ce que nous cherchons pour assurer la position de
l’analyste d’autre chose
que de ce qu’elle paraît être, dans beaucoup de cas : un gag.

Le départ se lit en ceci dans la théorie des ensembles : qu’il y a fonction d’élément.
Être un élément dans un ensemble, c’est être quelque chose qui n’a rien à faire à
appartenir à un registre qualifiable d’universel, c’est-à-dire à quelque chose qui
tombe sous le coup de l’attribut.
C’est la tentative de la théorie des ensembles de dissocier, de désarticuler d’une
façon définitive le prédicat de l’attribut.

Ce qui, jusqu’à cette théorie, caractérise la notion justement en cause dans ce


qu’il en est du type sexuel...
pour autant qu’il amorcerait quelque chose d’un rapport
...c’est très précisément ceci : que l’universel se fonde sur un commun attribut.

Il y a là en outre l’amorce de la distinction logique de l’attribut au sujet,


et le sujet, de là, se fonde : c’est à quoi quelque chose qui se distingue peut être
appelé attribut.
De cette distinction de l’attribut, ce qui résulte, c’est tout naturellement ceci :
304
qu’on ne met pas sous un même ensemble les torchons et les serviettes par
exemple.

À l’opposé de cette catégorie qui s’appelle « la classe », il y a celle de « l’ensemble »


dans laquelle non seulement le torchon et la serviette sont compatibles,
mais qu’il ne peut, dans un ensemble comme tel de chacune de ces deux
espèces, y en avoir qu’un.

Dans un ensemble il ne peut y avoir...


si rien ne distingue un torchon d’un autre
...il ne peut y avoir qu’un torchon, de même qu’il ne peut y avoir qu’une
serviette.

L’1 en tant que différence pure est ce qui distingue la notion de l’élément.

L’Un en tant qu’attribut en est donc distinct.

La différence entre l’« 1 de différence » et l’« Un attribut » est celle-ci : c’est que
quand vous vous servez,
pour définir une classe, d’un énoncé attributif quelconque, l’attribut ne viendra
pas, dans cette définition, en surnombre.
C’est-à-dire que si vous dites : l’homme est bon, et si à ce propos...
ce qui peut se dire, car qui n’est obligé de le dire ?
...poser que l’homme est bon n’exclut pas qu’on ait à rendre compte de ce qu’il ne
réponde pas toujours à cette appellation.

On trouve d’ailleurs toujours suffisamment de raisons pour montrer qu’à cet


attribut il est capable de ne pas répondre, d’éprouver une défaillance à le
remplir. C’est la théorie qu’on fait et où on se livre...
on n’a que vraiment... on a tout le sens à sa disposition pour, pour y faire face,
à expliquer
que de temps en temps quand même, il est mauvais mais ça change rien à son
attribut
...que si on en venait alors à devoir faire la balance du point de vue du
nombre...
combien y en a qui y tiennent,
et combien y a qui n’y répondent pas ?
...l’attribut « bon » ne viendrait pas dans la balance en plus, en plus de chacun des
hommes bons.

305
C’est très précisément la différence avec le « 1 de différence », c’est que quand il
s’agit d’articuler sa conséquence,
ce « 1 de différence » a comme tel, à être compté dans ce qui s’énonce de ce qu’il
fonde qui est ensemble et qui a des parties.
Le « 1 de différence », non seulement est comptable, mais doit être compté dans
les parties de l’ensemble.

J’arrive à l’heure, Deux précisément. Je ne peux donc que vous indiquer ce qui
sera la suite de ce pour quoi
- comme d’habitude - je suis amené à couper, c’est-à-dire très souvent à peu
près n’importe comment,
et aujourd’hui, sans doute en raison justement d’une autre coupure, qui est celle
de mon courant de ce matin,
avec ses conséquences, je suis donc amené à ne pouvoir que vous donner
l’indication de ce qui, sur cette affirmation, affirmation-pivot, sera là repris.

C’est ceci, le rapport de cet Un qui a à se compter « en plus » avec ce qui, dans ce
que j’énonce comme, non pas suppléant, mais se déployant en un lieu « d’à la
place du rapport sexuel », se spécifie de « il existe » [:], non pas !,
mais le dire que ce !n’est pas la vérité : :§, que c’est de là que surgit l’Un qui fait
que cet :§doit être mis...
et c’est le seul élément caractéristique
...doit être mis du côté de ce qui fonde l’homme comme tel.

Est-ce à dire que ce fondement le spécifie sexuellement ? C’est très précisément ce


qui sera dans la suite à mettre en cause,
car bien entendu il n’en reste pas moins que la relation ; !,
est ce qui définit l’homme, là attributivement, comme « tout homme ».

Qu’est-ce que c’est que ce « tout » ou ce « tous » ?


Qu’est-ce que c’est que « tous les hommes » en tant qu’ils fondent un côté de cette
articulation de suppléance ?

C’est où nous reprendrons à nous revoir la prochaine fois que je vous


rencontrerai.

La question « tous » : « qu’est-ce qu’un tous », est entièrement à reposer à partir


de la fonction qui s’articule « Yad’l’Un ».

306
14 Juin 1972
Séminaire : Panthéon-Sorbonne
Table des matières

Recanati

[Au tableau]

« Qu’on dise - comme fait - reste oublié derrière ce qui se dit, dans ce qui s’entend. »

Lacan

Naturellement cet énoncé, qui est assertif dans sa forme d’universel, relève du
modal pour ce qu’il émet d’existence.
Alors, mettez-y du vôtre, puisque ça semble, comme la dernière fois, marcher
assez mal.
Est-ce que cette fois-ci j’arrive à me faire entendre ? Un peu plus ? Bon ! Je vais
faire de mon mieux.
Bonjour, Sibony, venez donc un peu plus près.
Venez un peu plus près, on ne sait pas, ça peut servir à quelque chose tout à
l’heure.

Alors, en tenant compte de ce que j’appelais tout à l’heure « le mixage », les


communications qui ont pu se faire
entre mon public d’ici et celui de Sainte-Anne, je suppose que maintenant ils se
sont unifiés, c’est le cas de le dire.
Vous avez pu voir que nous sommes passés de ce que j’ai appelé un jour ici,
d’un prédicat formé à votre usage, nommément « l’unien », nous sommes passés
la dernière fois à Sainte-Anne au terme d’une autre facture qui se promouverait
du terme, de la forme « unier ». Ce dont je vous ai parlé, ce que j’ai avancé la
dernière fois, à Sainte-Anne, c’est le pivot qui se prend dans cet ordre qui se
fonde, mettez fonde, fondez-le enfin, que ça soit, que ça soit du fondé-fondu.

Lacan - Qu’est-ce qu’il y a ?

307
X Dans le public : On n’entend rien !

Je dis donc que cet « unier » qui se fonde, et je vous priais que ce « fondé » ne
vous paraisse pas trop fondamental,
c’est ce que j’appelais le laisser dans le fondu, cet « unier » qui se fonde, il y en a
Un, il en existe Un qui dit que non.

Ça n’est pas tout à fait pareil que de nier, mais cette forgerie du terme « unier »,
comme un verbe qui se conjugue et d’où nous pourrions avancer en somme
pour ce qu’il en est de la fonction,
de la fonction représentée dans l’analyse par le mythe du père, p.e.r.e. : il unie,
c’est ça que ceux qui ont pu réussir à entendre à travers les pétards,
le point sur lequel j’aimerais justement aujourd’hui, enfin, vous permettre,
disons d’accommoder.

Le père unie donc. Dans le mythe, il a ce corrélat des toutes, « toutes les femmes ».
C’est là, si l’on suit mes inscriptions quantiques, (q.u.a.n.t.i.q.u.e.), qu’il y a lieu
d’introduire une modification.
Il les unie certes, mais « pas toutes » justement.

Ici se touche à la fois ce qui n’est pas de mon cru, à dire, à savoir la parenté
de la logique
et du mythe,
ça marque seulement que l’une puisse corriger l’autre. Ça, c’est du travail qui
reste devant nous.

Pour l’instant je rappelle qu’avec ce que je me suis permis, enfin


d’approximations du père, avec ce que j’ai inscrit de l’é-pater, vous voyez que la voie
qui conjoint à l’occasion le mythe avec la dérision, ne nous est pas étrangère.
Ça ne touche en rien au statut fondamental des structures intéressées.

C’est amusant que, comme ça, il y a des gens qui découvrent, qui découvrent
sur le tard,
ce dont je peux bien dire de ma place que c’est un peu général pour l’instant
toute cette effervescence,
cette turbulence qui se produit autour de termes comme le signifiant, le signe, la
signification, la sémiotique,
tout ce qui occupe pour l’instant le devant de la scène, c’est curieux, les
singuliers retards qui s’y montrent.

308
Il y a une très bonne petite revue, enfin pas plus mauvaise qu’une autre, dans
laquelle je vois surgir sous le titre de L’Atelier d’écriture un article, mon Dieu, pas
plus mauvais qu’un autre qui s’appelle « L’Agonie du Signe »...
Vous entendez ?
...qui s’appelle « L’Agonie du Signe ».

C’est toujours très touchant l’agonie. Agonie veut dire lutte.


Mais aussi agonie veut dire qu’on est en train de tourner de l’œil et alors
L’agonie du signe ça fait, ça fait pathétique.
J’eusse préféré enfin que ce ne fût pas au pathétique que tout cela tournât.
Ça part d’une invention charmante, de la possibilité de forger un nouveau
signifiant qui serait celui de « fourmi, fourmidable ». En effet c’est fourmidable tout
cet article et on commence par poser la question de quel peut bien être le statut de
fourmidable ?

Moi j’aime bien ça.


D’autant plus que c’est quelqu’un qui quand même est très averti depuis
longtemps d’un certain nombre de choses
que j’avance et qui pour, en somme, au début de cet article, se croire obligé de
faire l’innocent, à savoir d’hésiter,
à propos de fourmidable, à le ranger soit dans la métaphore, soit dans la métonymie et
de dire qu’il y a quelque chose
qui est négligé donc, dans la théorie jakobsonienne, c’est celle qui consisterait à
emboutir des mots les uns avec les autres.

Mais il y a longtemps que j’ai expliqué ça !


J’ai écrit L’Instance de la lettre exprès pour ça, S sur petit s avec le résultat, un,
parenthèse, effet de signification,
[long soupir de Lacan, rires dans le public] c’est le déplacement, c’est la condensation.

C’est très exactement la voie par où en effet on peut créer...


ce qui est quand même un petit peu plus amusant et utile que « fourmidable »
...on peut créer « unier » [Rires].

Et puis ça sert à quelque chose.


Ça sert à vous expliquer par une autre voie, ce que j’ai tout à fait renoncé à
aborder par celle du Nom-du-père.
J’y ai renoncé parce qu’on m’en a empêché à un moment, et puis que c’était justement
les gens à qui ça aurait pu rendre service qui m’en ont empêché. Ça aurait pu
leur rendre service dans leur, dans leur intimité personnelle.
309
C’est des gens particulièrement impliqués du côté du Nom-du-père.
Il y a une clique très spéciale dans le monde, comme ça, qu’on peut épingler
d’une tradition religieuse,
c’est eux que ça aurait aéré, mais je vois pas pourquoi je me dévouerais
spécialement à ceux-là.

Alors j’explique l’histoire de ce que Freud a abordé comme il a pu, justement,


pour éviter sa propre histoire...
« El shaddaï » en particulier, c’est le nom dont il désigne « celui dont le nom ne se dit
pas »
...il s’est reporté sur les mythes, puis il a fait quelque chose de très propre en
somme, d’un peu aseptique,
Il ne l’a pas poussé plus loin, mais c’est bien là ce dont il s’agit, c’est qu’on
laisse passer les occasions
de reprendre ce qui le dirigeait, et ce qui devrait faire maintenant que le
psychanalyste soit à sa place dans son discours.
Sa chance est passée. Je l’ai déjà dit.

De sorte que dans l’avion là, qui me ramenait de je ne sais où, qui me ramenait
de Milan d’où je reviens hier soir...
bon ! j’ai pas apporté le truc
...c’est vraiment très bien, c’est dans l’avion, dans un truc qui s’appelle Atlas et
qui est distribué à tous les voyageurs
par la Compagnie Air France : il y a un très très joli petit article...
heureusement que je ne l’ai pas, je l’ai oublié chez moi, heureusement parce que
ça m’aurait entraîné
à vous lire des passages et il n’y a rien d’ennuyeux comme d’entendre lire,
il n’y a rien d’ennuyeux comme ça !
...enfin, il y a des psychologues, des psychologues de la plus haute volée, n’est-ce
pas, qui s’emploient aux Amériques
à faire des enquêtes sur les rêves. Parce que sur les rêves on enquête, n’est-ce
pas.

On enquête et on s’aperçoit, enfin, que c’est très rare les rêves sexuels. [Rires]
Ils rêvent de tout, ces gens-là :
ils rêvent de sport, ils rêvent de tas de blagues, ils rêvent de chutes,
enfin, il n’y a pas une majorité écrasante de rêves sexuels. [Rires]

310
D’où il résulte, n’est-ce pas, que comme ce qui est la conception générale -
nous dit-on dans ce texte - de la psychanalyse, c’est de croire que les rêves sont
sexuels, eh bien le grand public...
le grand public qui justement est fait de la diffusion psychanalytique,
vous aussi vous êtes un grand public
...ben le grand public naturellement va être défrisé, n’est-ce pas, et tout le
soufflé va tomber comme ça,
s’aplatir dans le fond de la casserole.

C’est quand même curieux que personne, en somme, dans ce grand public
supposé, car tout ça c’est de la supposition, enfin c’est vrai que dans une
certaine résonance tous les rêves, c’est ce qu’aurait dit Freud, qu’ils étaient tous
sexuels.
Il n’a jamais dit ça justement... jamais, jamais dit ça !
Il a dit que les rêves étaient « des rêves de désir ».
Il n’a jamais dit que c’était du désir sexuel !

Seulement, comprendre le rapport qu’il y a entre le fait que les rêves soient « des
rêves de désir »
et cet ordre du sexuel qui se caractérise par ce que je suis en train d’avancer,
parce qu’il m’a fallu le temps pour l’aborder et ne pas jeter le désordre dans
l’esprit de ces charmantes personnes, n’est-ce pas, qui ont fait qu’au bout de 10 ans
que je leur racontais des trucs, n’est-ce pas,
ils songeaient qu’à une chose, rentrer dans le sein de l’Internationale
Psychanalytique.

Tout ce que j’avais pu raconter, c’était bien sûr des beaux exercices, des
exercices de style.
Eux étaient dans le sérieux : le sérieux, c’est l’Internationale Psychanalytique.

Ce qui fait que maintenant je peux avancer - et qu’on l’entende - qu’il n’y a pas de
rapport sexuel,
et que c’est pour ça qu’il y a tout un ordre qui fonctionne à la place où il y
aurait ce rapport.
Et que c’est là, dans cet ordre, que quelque chose est conséquent comme effet de
langage, à savoir le désir.
Et qu’on pourrait peut-être avancer un tout petit peu, et penser que quand
Freud disait
que « le rêve, c’est la satisfaction d’un désir » : « satisfaction » dans quel sens ?

311
Quand je pense que j’en suis encore là, n’est-ce pas, que personne...
de tous ces gens qui s’occupent à embrouiller ce que je dis, à en faire du bruit
...personne ne s’est encore jamais avisé d’avancer cette chose qui est pourtant la
stricte conséquence de tout ce que j’ai avancé, que j’ai articulé de la façon la plus
précise...
si mon souvenir est bon, en 57... attendez, même pas : en 55 !
...à propos du « rêve de l’injection d’Irma » : j’ai pris, pour montrer comment on
traite un texte de Freud,
je leur ai bien expliqué ce qu’il avait d’ambigu, que ce soit là justement...
mais pas du tout dans l’inconscient : au niveau de ses préoccupations présentes
...que Freud interprète ce rêve, ce rêve de désir qui n’a rien à faire avec le désir
sexuel,
même s’il y a toutes les implications de transfert qui nous conviennent.

Le terme d’« immixtion des sujets », je l’ai avancé en 55, vous vous rendez
compte : 17 ans, hein...

Et puis il est clair qu’il faudra que je le publie comme ça, parce que si je l’ai pas
publié c’est que j’étais absolument écœuré
de la façon dont ça avait été repris dans un certain livre sorti sous le titre
d’« Auto-analyse » 36,
c’était mon texte, mais en y remettant de façon à ce que personne n’y
comprenne rien.

Qu’est-ce que ça fait un rêve ? Ça ne satisfait pas le désir ! Pour des raisons
fondamentales...
que je ne vais pas me mettre à développer aujourd’hui parce que, parce que ça
vaut 4 ou 5 séminaires
...pour la raison qui est simplement celle-ci et qui est touchable, et que Freud
dit :
que le seul désir fondamental dans le sommeil, c’est le désir de dormir. [Rires]

Ça vous fait rigoler, parce que vous n’avez jamais entendu ça. Très bien !
Pourtant, c’est dans Freud...

Comment est-ce que ça ne vient pas tout de suite à votre jugeote, en quoi ça
consiste de dormir ?

36
Didier Anzieu : « L’auto-analyse », PUF, 1959.
312
Ça consiste en ceci que ce qui dans ma tétrade, là, le semblant, la vérité et la
jouissance, et le plus de jouir...
faut pas que je le récrive au tableau, non ?
...ce qu’il s’agit de suspendre...
c’est pour ça que c’est fait le sommeil,
n’importe qui n’a qu’à regarder un animal dormir pour s’en apercevoir
...ce qu’il s’agit de suspendre justement, c’est cet ambigu qu’il y a dans le rapport
au corps avec lui-même : le jouir.

S’il y a possibilité que ce corps accède au jouir de soi, c’est bien évidemment
partout :
c’est quand il se cogne,
qu’il se fait mal,
c’est ça la jouissance.
Alors l’homme a là de petites portes d’entrée que n’ont pas les autres, il peut en
faire un but.

En tout cas quand il dort, c’est fini.


Il s’agit justement de faire que ce corps, il s’enroule, il se mette en boule.
Dormir, c’est ne pas être dérangé.

La jouissance, quand même, c’est dérangeant.


Naturellement on le dérange, mais enfin tant qu’il dort, il peut espérer ne pas
être dérangé.

C’est pour ça qu’à partir de là tout le reste s’évanouit : il n’est plus question
non plus de semblant,
ni de vérité puisque tout ça, ça se tient, c’est la même chose,
ni de plus-de-jouir.

Seulement voilà... ce que Freud dit c’est que le signifiant, lui, continue pendant ce
temps-là à cavaler.
C’est bien pour ça que, même quand je dors, je prépare mes séminaires.
Monsieur Poincaré découvrait les fonctions fuchsiennes...

Qu’est-ce qu’il y a ?
313
X dans la salle – Cest une pollution !

Qui vient de dire ce terme précis ?

X dans la salle – C’est moi.

Oui c’est ça, mais je suis particulièrement satisfait de vous voir choisir ce terme, vous
devez être particulièrement intelligent [Rires].

Je me suis déjà réjoui publiquement de ce qu’une de mes analysées...


qui est quelque part donc par là,
qui est une personne particulièrement sensible
...ait parlé en effet à propos de mon discours de « pollution intellectuelle ».

C’est une dimension très fondamentale, voyez-vous la pollution.

J’aurais pas probablement poussé les choses jusque-là aujourd’hui, mais vous
avez l’air tellement fier
d’avoir fait surgir ce terme de « pollution » que je soupçonne que vous ne devez
rien y comprendre.
Néanmoins vous allez voir que je vais tout de suite, non seulement en faire
usage, mais me réjouir une seconde fois
que quelqu’un l’ai fait surgir, car c’est précisément ça la difficulté du discours
analytique.

Je relève cette interruption, je saute là-dessus, j’embarque une chose que dans
l’urgence d’une fin d’année,
je me trouverai donc avoir l’occasion de dire.

C’est ceci : puisque c’est à la place du semblant que le discours analytique se caractérise de
situer l’objet petit(a), figurez-vous, Monsieur, qui croyez avoir fait là un coup
d’éclat, que vous abondez précisément dans le sens de ce que j’ai à avancer.

C’est à savoir que la pollution la plus caractéristique dans ce monde, c’est très
exactement l’objet petit(a)

314
dont l’homme prend, et vous aussi vous prenez votre substance, et que c’est de
devoir...
de cette pollution qui est l’effet le plus certain sur la surface du globe
...de devoir en faire - en son corps, en son existence d’analyste - représentation,
qu’il y regarde à plus d’une fois.
Les chers petits en sont malades, et je dois vous dire que je ne suis pas non plus
moi-même dans cette situation plus à l’aise.

Ce que j’essaie de leur démontrer, c’est que ce n’est pas tout à fait impossible
de le faire un peu décemment.
Grâce à la logique, j’arrive à leur - s’ils voulaient bien se laisser tenter - leur
rendre supportable cette position
qu’ils occupent en tant que petit(a) dans le discours analytique, pour se permettre
de concevoir que ce n’est évidemment pas peu de choses que d’élever cette
fonction à une position de semblant qui est la position-clé dans tout discours.

C’est là qu’est le ressort de ce que j’ai toujours essayé de faire sentir comme la
résistance...
et elle n’est que trop compréhensible
...de l’analyste, à vraiment remplir sa fonction.

Il ne faut pas croire que la position du semblant elle soit aisée pour qui que ce soit,
elle n’est vraiment tenable qu’au niveau du discours scientifique et pour une simple
raison,
c’est que là, ce qui est porté à la position de commandement est quelque chose
de tout à fait de l’ordre du réel,
en tant que tout ce que nous touchons du réel,
c’est la Spaltung,
c’est la fente,
autrement dit c’est la façon dont je définis le sujet.

C’est parce que dans le discours scientifique, c’est le grand S, le S barré [S] qui est là,
à la position-clé, que ça tient.

Pour le discours universitaire, c’est le savoir :

315
Là, la difficulté est encore bien plus grande, à cause d’une espèce de court-
circuit :
parce que pour faire semblant de savoir, il faut savoir faire semblant.
Et ça s’use vite.

C’est bien pour ça que quand j’étais là, là d’où je reviens comme je vous l’ai dit
tout à l’heure, à savoir à Milan,
j’avais une assistance évidemment beaucoup moins nombreuse que la vôtre,
mettons le quart,
mais qu’il y avait là beaucoup de jeunes, beaucoup ces jeunes qui sont ceux
qu’on appelle « dans le mouvement »,
il y avait même un personnage tout à fait respectable et d’une assez haute stature
qui se trouve en être là-bas le représentant, sait-il ou ne sait-il pas...
on m’a dit qu’il n’était là qu’après, je n’ai pas voulu l’interroger
...sait-il ou ne sait-il pas qu’en étant là dans cette pointe, ce qu’il veut c’est
comme tous ceux qui sont ici intéressés
un peu par le mouvement, c’est redonner au discours universitaire sa valeur.

Comme le nom l’indique, elle aboutit aux « unités de valeurs ».


Ils voudraient qu’on sache un peu mieux comment faire semblant de savoir.
C’est cela qui les guide. Ben en effet, c’est respectable et pourquoi pas ?

Le discours universitaire est d’un statut aussi fondamental qu’un autre.


Simplement ce que je marque c’est que c’est pas le même, parce que c’est vrai : ça
n’est pas le même que le discours psychanalytique. La place du semblant y est tenue
différemment.

Et alors c’est comme ça que j’ai été amené là-bas...


Mon Dieu, comment faire avec un auditoire nouveau et surtout s’il peut
confondre ?
J’ai essayé de leur expliquer un tout petit peu quelle était ma place dans
l’histoire.

J’ai commencé par dire


que mes Écrits c’était la poubellication,
qu’il fallait pas qu’ils croient qu’ils pouvaient là-dessus se repérer.
316
Il y avait quand même et alors là le mot « séminaire ». Bien sûr comment leur
faire comprendre que...
ce que j’ai été forcé d’expliquer, d’avouer
...que le séminaire, ce n’est pas un séminaire, c’est un truc que je dégoise tout
seul, mes bons amis, depuis des années, mais qu’il y avait autrefois un temps où
ça méritait son nom, où il y avait des gens qui intervenaient ?
Alors c’est ça qui m’a mis hors de moi, d’en être forcé d’en venir là.
Et comme sur la route du retour quelqu’un me pressait pour me dire :
« ah ben, comment est-ce que c’était au temps où c’était comme un séminaire ? », je me suis
dit, aujourd’hui je vais leur dire...
pour l’avant-dernière fois que je vous vois, parce que je vous verrai encore une
fois
...bon Dieu, que quelqu’un vienne dire quelque chose !

Là-dessus je reçois une lettre de Monsieur Recanati...


je vous raconte pas d’histoire pour l’instant, je fais pas semblant de faire surgir
du floor une intervention, je dis simplement que j’ai reçu une lettre, qui était
d’ailleurs une réponse à une des miennes
...de Monsieur Recanati qui est là, qui m’a prouvé, à ma grande surprise - n’est-
ce pas ? - qu’il avait entendu quelque chose de ce que j’ai dit cette année.

Alors je vais lui passer la parole parce qu’il a à vous parler de quelque chose qui
a les plus étroits rapports
avec ce que j’essaie de frayer, avec la théorie des ensembles notamment, n’est-ce
pas,
et avec la logique mathématique, il va vous dire laquelle.

317
François Recanati

La lettre à laquelle le Dr Lacan vient de faire allusion était en fait quelques


remarques et commentaires,
sur trois textes de Peirce que je lui ai remis, non pas tant qu’il ne les connût
pas, c’est évident,
mais parce que ces textes, justement, différaient de ce à quoi il avait pu, par
ailleurs, faire référence.

Il s’agissait d’une part de textes de cosmologie, et d’autre part de textes ayant


rapport à la mathématique.
Je vais tout d’abord préciser un peu la teneur de ces trois textes avant d’en
venir à la manière dont je pourrai en parler.
Quant à la mathématique, Peirce donne une critique des définitions qu’il
connaît des ensembles continus.
Il examine trois définitions, nommément celle d’Aristote, celle de Kant, celle de
Cantor,
qu’il critique toutes, et en fonction d’un critère unique.

Le critère, c’est qu’il voudrait que dans chaque définition soit marqué le fait
même de la définition,
puisque, dit-il, à définir un ensemble continu, on n’est pas sans le déterminer d’une
certaine manière
et ceci est important pour le résultat de la définition.
Le processus même de la définition doit être marqué quelque part, comme tel.

Quant à la cosmologie, Peirce parle d’un problème à peu près similaire, d’une
préoccupation similaire à propos
du problème de la genèse de l’univers. Son problème c’est celui de l’avant et de
l’après. On ne peut accéder
à ce qu’il y avait avant en faisant la simple opération analytique qui consiste à
retirer à ce qu’il y a eu après,
tout ce qui fait le caractère de cet après, puisque on n’aboutirait par là qu’à un
après raturé et que précisément
c’est sur le mode de cette rature que se constitue l’après, qui ne diffère que par
une inscription précise,
ici sur le mode de la rature, de l’avant.

318
Autrement dit l’avant est en quelque sorte un après... ou plutôt l’après est un avant
inscrit et l’on ne pourra absolument pas déduire l’avant de l’après puisque l’avant
qui est inscrit dans l’après, c’est précisément l’après qui dans ce sens n’a plus rien
à voir avec l’avant dont le propre est justement de n’être pas inscrit.
Autrement dit c’est l’inscription qui compte, je veux dire que l’avant ça n’est
rien.

C’est ce que dit Peirce, quand il parle de la genèse de l’univers : avant il n’y avait
rien, mais ce rien c’est quand même un rien spécifique, ou plutôt justement il
n’est pas spécifique, parce que de toute façon il n’est pas inscrit, et on peut dire
que tout ce qu’il y a eu après, c’est rien non plus, mais comme rien c’est inscrit.
Ce non-inscrit en général qu’il va retrouver un peu partout, et pas seulement dans
la cosmologie, Peirce l’appelle le potentiel et c’est de ça que je vais dire quelques
mots maintenant.

Mais avant de ce faire, je voudrais dire quelques mots sur ma position ici qui est
évidemment paradoxale,
puisque je ne suis spécialiste évidemment de rien et pas plus de Peirce que d’un
autre, et que tout ce que je vais dire
sur cet auteur et sur d’autres, puisque je vais parler d’autres, sera ce que je peux
reprendre au discours
que tient le Docteur Lacan. Dans ma parole même, je conserve mon statut
d’auditeur.

Et comment cela est-il possible ? Justement à ne signifier dans mon discours à


moi, que le fait d’avoir écouté.
Ceci pose le problème d’à qui m’adresser. Car à l’évidence si je m’adresse à
ceux qui comme moi ont écouté,
ça ne leur servira à rien, et si je m’adresse à ceux qui n’ont pas écouté, je ne
pourrai qu’inscrire le rien de leur non-écoute et permettre par là une
élaboration qui évidemment s’en servira dans sa suite et qui n’aura plus rien à
voir avec le rien pur qui était au début. En l’occurrence donc, ça ne changera
rien, [Rires] et c’est en tant que mon intervention d’auditeur ne dérange rien,
que je peux effectivement représenter l’auditoire.

Puisque somme toute, toutes les interventions d’Aristote ne sont que


supposées dans le discours de Parménide,
et que justement le plus vite c’est terminé le mieux c’est généralement, quant
aux interventions d’Aristote,

319
plutôt pour qu’il puisse lui-même tenir un véritable discours, il faut qu’à son
tour, il ait un auditeur muet à qui,
à quoi il puisse s’identifier, ce qui explique que l’autre Aristote dans la
Métaphysique dit « Nous platoniciens… »,
car c’est après que Platon a parlé, ou si on veut après que Parménide a parlé
pour l’autre, qu’il peut lui-même commencer à le faire. D’où ici le paradoxe,
mais comme ce paradoxe n’est pas de mon fait, je laisse au Dr Lacan le
commenter après, parce que je n’en puis rien dire quant à moi.

On ne peut pas, dit Peirce, opposer le vide, le 0, au quelque chose, car le 0 est
quelque chose, c’est bien connu.
Le vide représente quelque chose et Peirce dit qu’il fait partie de ces concepts
secondants, concepts importants
chez Peirce et que je reverrai un peu dans la suite. Il n’est pas une monade,
comme vide inscrit, mais il est relatif.
En effet, si l’on pose ce vide, on l’inscrit. En l’occurrence l’inscription de l’ensemble
vide peut donner ceci {Ø}.
Ceci se reconnaît pour être l’ensemble vide considéré comme un élément de
l’ensemble des parties de l’ensemble vide.

Donc, si le vide se constitue comme 1 et si l’on voulait répéter un peu


l’opération et faire l’ensemble des parties de l’ensemble des parties de l’ensemble vide, on
aurait vite quelque chose comme ça : {Ø, {Ø}}, ce qui donne à peu près ça :
{{Ø}},
et ceci se reconnaît pour pouvoir très bien représenter le 2. Aussi bien ceci peut-il
représenter le 1.

C’est par là qu’on est amené à refaire cette remarque, que bien sûr c’est la
répétition d’une inexistence qui peut fonder bien des choses, et notamment la suite
des nombres entiers en l’occurrence, mais ce qui intéresse Peirce dans cette
remarque,
c’est que ce qui se répète, ce n’est pas l’inexistence comme telle, ou plutôt pas
exactement, c’est l’inscription de l’inexistence, en tant que l’inexistence se marque
de cette inscription.

Et c’est ce qu’il développera à bien des reprises, dans plusieurs textes, et je vais
en parler. On rejoint là son propos mathématique. Quant on veut, dit-il, définir
un système où cette inexistence est répétée, il faut préciser qu’elle est répétée
comme inscrite. C’est au départ qu’il y a une inscription d’une inexistence. Et ceci
est très important pour la logique.
320
Le quanteur universel, tout seul, ne saurait rien définir. Le quanteur universel,
pour Peirce, est quelque chose de secondant, aussi paradoxal que cela paraisse,
comme il le dit, il est relatif à quelque chose.
Ce qui fonde ce quanteur, c’est la « néantisation préalable et inscrite des variables » qui
le contredisent.
Ainsi, d’un point de vue purement méthodologique, Peirce s’attaque à Cantor.

Cantor a tort parce que sa définition du continu renvoie nommément à tous les
points de l’ensemble.
Peirce précise qu’il faut faire varier la définition d’un point de vue logique. Une
ligne ovale n’est continue, que parce qu’il est impossible de nier qu’au moins un
de ses points doit être vrai pour une fonction qui ne caractérise absolument pas
l’ensemble. Par exemple, quand il s’agit de passer de l’extérieur à l’intérieur, il
faut nécessairement passer par l’un
des points du bord. Ceci est, en quelque sorte, une approche latérale. On ne
peut pas poser comme ça le quanteur universel, il faut passer par une néantisation
préalable, et qui passe, elle-même, par une fonction préalable.

La négation ici, est elle-même érigée en fonction, et l’ensemble des ensembles


pertinents pour cette fonction...
en l’occurrence dans la mesure où il est impossible de nier etc.
...est l’ensemble vide qui inscrit la négation comme impossible. Le même type d’exemple
pourrait être pris en topologie éventuellement. Si l’on écoutait Peirce, le théorème
des points fixes devrait s’énoncer comme suit, je vais l’écrire :

Il est impossible de nier que dans une déformation d’un disque sur son bord,
au moins un point échappe à la déformation qui l’autorise, par le fait même d’y
échapper.

Lacan - Recommencez bien ça.

François Recanati

Le théorème des points fixes, si on prend par exemple quelque chose comme un
disque, il s’agit, en quelque sorte,

321
il s’agit de déformer de manière continue un disque sur son bord. Il est certain -
et c’est donné comme théorème -
qu’au moins un point du disque échappe à la déformation, c’est-à-dire reste fixe,
et que c’est par ce fait qu’il y a ce point
qui reste fixe qu’on peut effectuer la déformation générale. Sans quoi ce ne serait
pas possible, et ici il y a évidemment contradiction. Disons qu’il y a une liaison
très nette entre ce point qui échappe à la fonction qu’il autorise.

Lacan

Ça, c’est un théorème démontré. Il n’est pas seulement démontrable, il est


démontré.
D’autre part, ce théorème se symbolise, vous pouvez peut-être le commenter,
comment il est symbolisé par ce :...
car c’est une formule qui est très près, en somme, de celle que j’ai l’habitude
d’inscrire
...: tel qu’il faille nier - qu’il n’y a pas de :, qu’il faille nier qu’il n’y a pas
d’existence de X - tel que X soit nié.

François Recanati

Il y a bien une double négation, certes, mais les deux négations ne sont pas
équivalentes, c’est pas exactement les mêmes. Et d’autre part, surtout cette
double négation, dans la mesure où elle est inscrite, c’est pas la même chose
que de l’affirmer simplement. On aurait pu affirmer. Là, c’est pour ça que j’ai cité
au début la critique du quanteur universel en quelque sorte comme donné
comme ça. S’il est le produit d’une double négation, cette première négation
non inscrite,
elle porte sur une négation érigée comme fonction.

Par exemple : les points ne restent pas fixes. Eh bien il y a un point qui jus-
tement échappe à cette fonction,
et à ce titre là, la nécessité est avant tout de les inscrire. C’est pourquoi je l’ai
fait là. Et il faudrait marquer,
peut-être d’une manière spécifique ce que j’ai dit être une impossibilité. Mais en
même temps, ici, c’est simplement ici l’ensemble vide posé comme seul
ensemble fonctionnant pour la fonction de la négation.

Lacan

322
Je crois que ce qu’il faut ici souligner c’est ceci que la barre portée ici sur les
deux termes chacun comme nié
est un « il n’est pas vrai que », un « il n’est pas vrai que » fréquemment utilisé en
mathématiques, puisque c’est le point-clé,
c’est ce à quoi fait aboutir la démonstration dite de la contradiction. Il s’agit en
somme, de savoir pourquoi
en mathématiques, il est reçu qu’on puisse fonder, mais seulement en
mathématiques, parce que partout ailleurs, comment pourriez-vous fonder quoi
que ce soit d’affirmable sur un « il n’est pas vrai que » ?

C’est bien là que l’objection vient dans l’intérieur des mathématiques à l’usage
de la démonstration par l’absurde.
La question est de savoir comment, en mathématiques, la démonstration par
l’absurde peut fonder quelque chose,
qui se démontre en effet comme tel de ne pas mener à la contradiction.

C’est là que se spécifie le domaine propre des mathématiques. Alors sous cet
« il n’est pas vrai que » - il s’agit de donner
le statut à la barre négative qui est celle dont j’use en un point de mon schéma,
pour dire que ça c’est une négation,
/ § : il n’existe pas de x qui satisfasse à ceci : x nié.

François Recanati

Dans les termes de Peirce, cette barre-là est ce qui vient en premier, qui est la
première inscription.
Parce qu’il dit, le potentiel...
et ça j’allais y revenir dans le cours parce que c’est un concept qui est
finalement assez élaboré
...c’est le champ d’inscription des impossibilités, mais avant que des impossibilités,
des impossibilités non-inscrites encore,
c’est le champ des impossibilités possibles.

Et dans ce champ, quelque chose vient le subvertir par ce trait, en quelque


sorte, qui est ici impossibilité,
qui est une espèce de coupure, coupure qui est faite à l’intérieur d’un domaine
qui, auparavant, est en quelque sorte unique, et c’est pour ça que, dit Peirce, il
faut inscrire la première impossibilité d’abord. Ça, ça détermine tout.

323
Et ensuite, éventuellement, la négation et toutes ces spécifications-là
continuent à déterminer,
mais c’est déjà là à l’intérieur, de l’impossible. Autrement dit, il dit qu’il y a deux
champs :

il y a d’une part le champ du potentiel, qui est l’élément du pur 0, on pourrait dire
du pur vide, ça j’y reviendrai,

et d’autre part les impossibles qui sont ceux qui naissent du potentiel, mais
pour s’y opposer très nettement,
et à l’intérieur des impossibles on peut dire des choses comme ça, c’est-à-dire :
il n’existe pas x tel que non x, ou il existe x tel que non x. [/ §, ou : §]

Mais il fait une opposition de ces deux champs comme, fondamentalement


opposés, l’un étant l’élément du pur 0, l’autre étant l’élément que je
dirai du 0 de répétition, et c’est là-dessus que je voudrais arriver.

Lacan

Vous admettez, par exemple, que je transcrive tout ce que vous avez dit
en disant que le potentiel égale le champ des possibilités comme déterminant
l’impossible.

François Recanati

Comme déterminant, mais je précise tout de suite qu’il a dit, c’est ce champ des
possibilités qui détermine l’impossible mais pas au sens de Hegel, il faut faire
attention, dit-il lui-même, ça le détermine non pas nécessairement, mais potentiellement,
c’est-à-dire qu’on ne peut pas dire : « nécessairement ça devait arriver », on remarque
que c’est arrivé.
On sait que c’est ce potentiel qui a déterminé cet impossible, mais non pas
nécessairement, on est d’accord.
Donc c’est exactement ce que je voulais dire, le potentiel...

Lacan

On pourrait peut-être le transcrire comme ça : potentiel = champ des


possibilités comme déterminant l’impossible.

François Recanati
324
Donc, c’est avec cette sorte de considération que Peirce construit le concept de
potentiel. C’est donc le lieu
où s’inscrivent les impossibilités, c’est la possibilité générale des impossibilités non
effectuées, c’est-à-dire non-inscrites.
C’est le champ des possibilités comme déterminant l’impossible. Mais il ne
comporte, on vient de le dire, par rapport
aux inscriptions qui s’y produisent, aucune nécessité, ce qui signifie notamment,
pour un problème mathématique,
que du 2 on ne peut pas rendre compte rationnellement, au sens de Hegel, c’est-à-
dire nécessairement.
Le 2 est venu, on ne peut dire d’où il est venu, on peut simplement le mettre en
rapport avec le 0,
avec ce qui se passe entre le 0 et le 1, mais de dire pourquoi il est venu,
impossible.

Le potentiel permet ça, de définir le paradoxe du continu, et ça, c’est dans un


texte de Peirce...
je cite ça, mais en fait, je l’ai pas regardé de bien près donc je ne le développerai
pas
...si un point d’un ensemble continu potentiel se voit conférer une
détermination précise, une inscription,
une existence réelle, alors la continuité, elle-même, est rompue.

Et ceci c’était intéressant non pas du point de vue du continu, mais du point de
vue du potentiel.
C’est que le potentiel existe vraiment comme potentiel et que dès lors, qu’il
s’inscrive d’une manière ou d’une autre,
il n’y a évidemment plus de potentiel, c’est-à-dire qu’il est lui-même produit
d’un impossible qui est issu de lui-même.

X - Là, Cantor a tort !

François Recanati

Pour ce qui est de la cosmologie, le 0 absolu, le pur néant, comme dit Peirce, est
différent du 0 qui se répète dans la suite des entiers. Il n’est autre, ce 0 qui se répète
dans la suite des entiers, que l’ordre en général du temps, et j’y reviendrai,
tandis que le 0 absolu, c’est l’ordre en général du potentiel. Ainsi le 0 absolu a une
dimension propre, et Peirce essaie d’insister pour que cette dimension soit
325
inscrite quelque part, soit au moins marquée, soit présentée dans les définitions
mathématiques. Le problème est évidemment…

Lacan - Là, Cantor n’est pas contre.

François Recanati

Le problème est évidemment : comment peut-on passer d’une dimension, celle


du potentiel par exemple,
à l’autre que je dirai celle de l’impossible ou celle du temps, ou ce qu’on voudra.
Peirce présente ainsi ce problème : comment penser non temporellement ce
qu’il y avait avant le temps ?
Ça rappelle certes Spinoza et Saint Augustin mais ça rappelle surtout les
empiristes.
Et ici je dois dire qu’on a souvent remarqué que Peirce a repris le style des
empiristes et leurs préoccupations.

Mais pour situer véritablement l’originalité de Peirce, on n’a jamais rapporté ça


aux empiristes,
on n’a jamais cherché ce qui chez eux a pu préparer tout ça. Or pourtant ces
deux dimensions...
l’une potentielle et l’autre, si l’on veut, temporelle, ou plutôt une dimension du 0 absolu, et
une dimension du 0 de répétition
...c’est présent dès le début de l’épopée empiriste.
Et c’est là-dessus que je voudrais dire un petit mot pour montrer comment on
peut le dégager.

Lacan - Dites-le bien, tonitruez-le !

François Recanati

Je ferai cela, et après je reviendrai à la sémiotique de Peirce en rapport avec tout


ça.
Oui, l’objet de la psychologie empirique - c’est un premier point qu’on a fait
exprès, à chaque fois, d’évacuer –
c’est les signes et rien d’autre, c’est le système des signes. Il s’agit d’une extension, on
peut le dire, du système quaternaire
de Port Royal, telle que, somme toute, Saussure aussi n’en est qu’une extension
à la limite :

326
la chose comme chose et comme représentation,
le signe comme chose et comme signe,
l’objet du signe comme signe étant la chose comme représentation.

C’est la même chose que dit Saussure - je le disais mais je ne le développerai pas - le
signe comme concept et comme image acoustique. Seulement, on a évacué avec la
scolastique le problème en général de « la chose en soi », et on a même été jusqu’à
voir dans le monde - et ça, avec toutes les théories du Grand livre
du monde - le signe de la pensée.

Dès lors, on aboutit à quelque chose comme ça : le monde comme représentation -


en tant que le monde, on ne peut le connaître que comme représentation -
remplace la chose, dans le système quaternaire du signe, et la pensée du monde
en général remplace la représentation, ce qui équivaut à mettre face à face pensée
du monde - monde de pensée.

Or il est évident que la pensée du monde et le monde de pensée qui diffèrent peut-être
par certains côtés, c’est la même chose. Alors il y a un problème pour le
système quaternaire parce qu’il y a une dualité irréductible dans le système
quaternaire,
il faut soit l’abandonner, soit le changer, on sait que Berkeley l’abandonne, en -
justement - établissant un système d’identité entre la pensée du monde et le
monde de pensée.

Quant à Locke, il le change. Quand il dit, c’est...


et je m’excuse de m’appesantir un peu sur cette introduction
...ce qu’il dit c’est les représentations, les idées, ne représentent pas les choses,
elles se représentent entre elles.

Ainsi les idées les plus complexes représentent les plus simples. Il y a des
facultés par exemple, de représentation
des idées entre elles, et c’est très développé, il y a toute une topique qui est à
peu près ce qu’on en a dit,
une hiérarchie des idées et des facultés.

Mais ce sur quoi je voudrais justement appuyer un peu, et qui est ce qui n’a pas
été remarqué chez Locke, et qui est précisément le plus intéressant, puisque ça
permet Condillac et que Condillac par là précède en quelque sorte Peirce, c’est
qu’il y a une autre faculté pour Locke, qui permet tout ça. Parce que comment
ça se passe ?
327
Ça fonctionne tout seul apparemment, il faut quelque chose pour que ça
fonctionne le système.

Et il y a une nouvelle faculté, une nouvelle opération qu’il appelle - et qu’on n’a
jamais repérée parce qu’elle n’est pas dans ses classifications, elle est toujours
dans les notes - « observation » l’observation, qui est quelque chose qui
fonctionne tout seul, qui marche à tous les niveaux, qui se retrouve partout et
qui est aussi intrinsèque à tous les éléments, quelque chose d’assez
incompréhensible, et qui est à la fois le processus de la transformation et le milieu,
l’élément en général du transformé.

C’est à la fois le milieu... par cette observation, en quelque sorte, une idée
simple se transforme en image d’elle-même, c’est-à-dire en idée complexe
puisque son objectivité est placée à ses côtés dans l’idée, et dans cette idée
générale par où elle est transformée, il y a une inscription, il y a connotation de
l’inscription de sa transformation. C’est-à-dire l’idée,
une fois qu’elle est transformée, c’est en quelque sorte qu’elle est inscrite, c’est
en ça qu’elle devient une idée complexe
et non plus une idée simple.

Alors, tout le problème à cet endroit, c’est : qu’est-ce qui rend ça possible ?
Soit :
qu’est-ce qu’il y avait au départ,
qu’est-ce qui se transforme au départ,
à partir de quoi on transforme pour obtenir la première cause ?
Qu’est-ce qui est l’avant premier, en quelque sorte?

Et Locke le pose en ces termes quand il parle de sensation irréductible d’une


réflexion originaire. Si une réflexion est originaire, qu’est-ce qui est réfléchi qui
soit pré-originaire. Soit quel est le pré-originaire, soit qu’est-ce qui permet,
à proprement parler, qu’est-ce qui permet cette faculté ?

Et là il y a Condillac qui prend la relève. Sa méthode était absolument


exemplaire : il va cerner ce quelque chose
qu’il a vu chez Locke, ce quelque chose d’inatteignable, en lui donnant un nom,
en le faisant fonctionner comme
une inconnue dans une équation. Et par la suite, quand les auteurs ont voulu
critiquer Condillac, ils ont dit

328
que son système, c’était pas du tout uniquement de la psychologie, c’était de la
logique profondément, qu’il en avait fait un système logique, ce système où il n’y
avait pas de contenu etc., vous voyez, justement c’est là l’intérêt de Condillac.

Et notamment cette sensation, dont il dit que tout dérive, au moins dans un de
ses traités majeurs, cette sensation là, finalement, n’est rien, à aucun moment il
ne la définit précisément, au contraire tout le développement qu’il en donne,
tout ce qu’il montre en dériver, est une espèce de contribution à sa définition.
Mais ce qui permet à proprement parler - et tout le reste en dérive, tout ce qui
est à proprement parler les attributs
de la sensation - tout ce qui permet cette attribution, c’est ce qu’il indique
comme l’élément 0 qui est toujours donné
au départ, toujours donné dans la sensation, et dont il se demande ce que c’est, et
on va s’interroger avec lui.

Il va caractériser, pour essayer d’atteindre cet élément irréductible, tout ce qui se


passe avec l’aide de cet élément,
mais avec plus que cet élément, c’est-à-dire en un mot, comme il dit, tout ce qui
se passe dans l’entendement.
Avec ça, on va pouvoir arriver à voir ce qui fonde véritablement l’originalité de
la sensation, si tant est que c’est
de la sensation que dérive tout ce qui se passe dans l’entendement.

Or le propre de l’entendement dit-il, et ce dans son premier essai - j’insiste


parce qu’il y a eu une petite divergence après, il s’est éloigné de cette idée qui
est évidemment son originalité la plus grande - le propre de l’entendement,
c’est l’ordre, c’est la liaison en général, liaison comme liaison des idées, liaison
des signes, liaison des besoins,
en fait c’est toujours une liaison des signes, c’est toujours la même chose.

Chez l’homme, l’ordre fonctionne tout seul, dit-il, et il s’en explique un peu,
tandis que chez les bêtes,
il faut, pour mettre l’ordre en branle, une impulsion extérieure ponctuelle, et
Condillac précise : « entre les hommes et les bêtes
- et c’est une assez belle phrase qu’il dit - entre les hommes et les bêtes, il y a les
imbéciles et les fous » :

les uns n’arrivent pas à accrocher l’ordre - il s’agit des imbéciles - systématiquement ils
n’arrivent pas à accrocher l’ordre,
329
et les autres n’arrivent plus à s’en détacher. Eux, ils sont complètement noyés
dans l’ordre, ils n’arrivent plus à prendre de distance, ils
n’arrivent plus à s’en détacher.

L’ordre en général, c’est ce qui permet de passer d’un signe à un autre. C’est la
possibilité d’avoir une idée de la frontière entre deux signes. Et Condillac a une
conception du signe, mais comme toujours impropre, toujours une métaphore, et
il le dit, cette fois nommément, dans une courte étude où il fait l’apologie des
tropes, reprenant peut-être, je n’en suis pas sûr, des termes de Quintilien.

Toujours est-il que pour lui, un signe, c’est ce qui vient remplir l’intervalle entre
deux autres signes. Dans ce sens,
dans un signe, qu’est-ce qui est considéré ? Ce sont les deux autres signes
limitrophes, au moins deux qui sont considérés, mais pas comme signes en tant
qu’ils pourraient entraîner une représentation, du point de vue de leurs bords à
eux,
c’est-à-dire du point de vue formel. Et il précise bien que ça ne peut pas être, à
proprement parler, des représentations,
mais uniquement des signes, puisqu’il dit :

il n’y a pas de représentation formelle,


il n’y a pas de représentation abstraite,
il y a toujours une représentation qui représente une représentation, c’est-à-dire qu’il y a
toujours une médiatisation de la représentation du signe, mais
jamais une immédiatisation du contenu, par exemple.

Comme il dit lui-même, l’image d’une perception, sa répétition n’est que sa


répétition hallucinatoire. Il dit que c’est la même chose. On ne peut pas différencier
une perception et son image, et par là il fait la critique de toutes les théories
antérieures. Donc l’ordre, c’est ce que le signe représente, en tant que le signe
substantifie un intervalle entre deux signes. Seulement, les signes en général
sont censés, par toutes les théories dont lui hérite, Condillac, représenter
quelque chose.

Et ça, ça lui fait évidemment problème, il n’arrive à s’en dépatouiller, comment


se fait la liaison entre le signe formel
et sa référence en général ? Cette liaison elle-même - dit Condillac pour s’en
débarrasser - elle dérive de l’inconnu,

330
elle dérive de la sensation. Alors, l’inconnu est déjà une relation entre le signe
comme événement et le signe comme inscription de l’événement. Et ça je précise, c’est pas
Condillac qui le dit, mais il le laisse entendre, c’est Destutt de Tracy,
son exégète, qui affirme ça, et je trouve que c’est pas mal. Et Maine de Biran
qui lui, était élève...

Lacan

Les deux phrases que j’avais commencé à écrire tout au long du truc,
que certains ont peut-être copiées sont directement l’énoncé que reproduit
Recanati ici...

François Recanati

Maine de Biran, lui-même disciple de Destutt de Tracy, est d’abord nourri à


cette différence entre
l’événement et l’inscription de l’événement. Et on voit comme elle est le pivot de toute
la théorie.

Il y a, dit-il, un perpétuel décalage entre l’inscription et l’événement. Ce


décalage, dit Maine de Biran,
vient du décalage chez l’être parlant - et je ne plaisante pas - entre le sujet de
l’énoncé et le sujet de l’énonciation.
C’est dans les fondements de la psychologie de Maine de Biran, où il montre à
peu près que, à se représenter le moi,
dans la mesure où dans toute représentation, il y a déjà un moi, c’est-à-dire qu’à
ce moment-là, il y en a deux.
Dès qu’on essaie de se représenter le « je », ça veut dire qu’automatiquement, il
y en a deux, ça veut dire qu’immédiatement il y en a deux, ça veut dire que
médiatement il n’y en a jamais... qu’il n’y en a jamais un que médiatement.

Pour Condillac, l’ordre des signes, en tant que l’ordre des signes est l’ordre de
ce décalage, a comme modèle l’espace
qu’il dit pluridimensionnel du temps, et je ne m’étale pas là-dessus.
Le temps, on peut dire que ce n’est que la répétition infinie des ponctualités.
La ponctualité comme temps-zéro est le même problème qui plus haut se pose.

Ce n’est pas la même ponctualité :

celle qui se répète dans le temps,


331
et celle dont le temps est issu : la ponctualité-zéro - celle dont le temps est issu - la
ponctualité-zéro comme transparence, précisément, entre
l’inscription et l’événement.

La ponctualité qui se répète dans le temps, toujours pour Condillac, est


relativisée à être considérée dans le temps comme cette ponctualité-là, présente,
passée ou à venir. Elle aussi est considérée du point de vue de ses bords,
du point de vue de sa frontière. Le temps, plutôt qu’une série de ponctualités
est donc la série des frontières interponctuelles,
en tant que la frontière est justement le pointage des bords respectifs de deux
ponctualités ou aussi bien de deux signes.

Il y a donc la même différence entre la ponctualité absolue et le temps, qu’entre


l’ensemble vide et l’ensemble
de ses parties. C’est l’inscription du 0 qui est élément de celui-ci, de même que
c’est l’inscription de la ponctualité qui est l’élément du temps. Ainsi il y a une
faille qui est donnée au départ de toute cette théorie et que Maine de Biran
essayait peut-être de mieux discerner. Le système des signes n’est que la
répétition infinie de cette faille, en tant que telle, pure faille, et cela se répète
dans tous les écrits des Empiristes, elle sort de l’expérience et de l’investigation
de leur école, c’est-à-dire : on n’en parle pas.

Condillac lui aussi, ça lui arrive rarement, parle de la nature humaine à un


moment en disant qu’il se demanderait bien comment, au début, ça se fait cette
relation et cet ordre, pourquoi puisque justement, il est raté, l’ordre entre
l’inscription et l’événement, pourquoi puisque c’est raté, puisque ça colle pas,
pourquoi quand même ça existe ?
Pourquoi il y a une inscription que de ce qui n’est que du 0 ? C’est évidemment
son problème, et à ce moment-là
il répond, après avoir fait un petit morceau de bravoure : je n’en sais rien, c’est
la nature humaine.

C’est cette faille en général qui permet l’auto-motricité du système des signes,
selon Condillac, dont il a dit,
le système des signes, là ça marche tout seul, tandis que dans son Traité des
Animaux il raconte des tas de trucs
pour montrer comment chez les bêtes, il y a également un système des signes et
comment il est sous la dépendance de tous les objets extérieurs, sous la
dépendance de tous les [?]
332
On rejoint par là la sémiotique de Peirce dont on était parti. Peirce appelle
phanéron - du mot grec φανερόν - l’ensemble de tout ce qui est présent à l’esprit,
c’est d’ailleurs à peu près le sens de phanéron, réel ou pas, l’immédiatement
observable. Et il part de là, il décompose les éléments de phanéron. Il y a trois
éléments dans le phanéron, indissociables, qu’il appelle :

d’une part ce qu’on pourrait traduire par le primant, la monade en général, je


crois qu’il emploie le mot monade, élément complet en lui-même,

d’autre part le secondant, force statique, opposition, tension statique entre deux
éléments, c’est-à-dire que chaque élément, immédiatement, évoque cet autre
avec quoi il est en relation et c’est en quelque sorte un ensemble,
un ensemble absolument indissociable,

et le plus important, c’est le tertiant, élément immédiatement relatif à la fois à un


premier et à un troisième et Peirce précise, toute continuité, tout procès en
général, relève de la ternarité. À partir de là, à partir de cette conception de la
ternarité, qu’on peut montrer dériver de ses théories astronomiques, qu’il a
produit au début de sa vie, mais enfin ça je n’en dis mot.

Lacan - Peirce as astronomer…

François Recanati

Donc à partir de cette ternarité il construit une logique qui se spécifie en


sémiotique, Logic of semiotic, la sémiotique elle-même se
spécifiant à certains niveaux comme rhétorique. Et ça c’est important pour
Peirce.
Tout tient dans sa définition du signe en général, le signe, il l’appelle representamen, je
suis désolé de citer :

« C’est quelque chose le representamen, qui, pour quelqu’un, tient lieu d’une autre chose,
d’un certain point de vue ou d’une certaine manière. »

Là-dedans, il y a quatre éléments, pour quelqu’un est le premier, et je re-cite


Peirce :

« Cela signifie que le signe crée dans l’esprit du destinataire un signe plus équivalent, ou même
plus développé. »
333
Le deuxième point découle de celui-là, la réception du signe est donc un deuxième signe
fonctionnant comme interprétant.

X dans la salle - C’est de la connerie !

Troisièmement, la chose dont le signe tient lieu est dite « son objet ». C’est ces
trois éléments-là qui feront
les trois sommets du triangle sémiotique. Le quatrième terme qui vient est plus
discret mais non moins intéressant.

Lacan - Vous croyez que Peirce a tort, vous aussi ?

X dans la salle - Je pense qu’il s’allonge.

Lacan - Ça veut dire quoi, ça ?

François Recanati

Le quatrième terme, plus discret, c’est ce que Peirce appelle le ground. Le signe
tient lieu de l’objet, non absolument mais en référence à une espèce d’idée
appelée le ground, c’est-à-dire le sol, le fond de la relation du signe et de l’objet.
Ces quatre termes, dans leur ensemble définissent trois relations. Et ces trois
relations sont les objets respectifs des trois branches de la sémiotique. Première
relation, la relation signe-fond, sign-ground. C’est la grammaire pure ou spéculative, dit
Peirce.
II s’agit de reconnaître...

Lacan

Parce qu’on n’a pas inventé la grammaire spéculative il y a quelques années,


comme Monsieur voudrait nous le faire croire et...

François Recanati

334
Il s’agit de reconnaître ce qui doit être vrai du signe pour avoir du sens, l’idée
en général est la focalisation du representamen sur un objet déterminé selon le
ground ou le point de vue.

On voit donc que la signification s’enlève, en quelque sorte, sur un fond


différencié et que le ground, la détermination
du ground c’est presque la détermination du premier point de vue qui détermine
l’inscription, tout ceci sur du potentiel. C’est-à-dire que le ground en général,
c’est déjà le potentiel. De même, le representamen est, par rapport à son fond,
la détermination d’un certain point de vue qui commande le rapport à l’objet.
Le ground est donc l’espace préliminaire de l’inscription.

La deuxième relation, representamen-objet, c’est le domaine de la logique pure, pour


Peirce.
C’est la science de ce qui doit être vrai du representamen, pour qu’il puisse tenir
lieu d’un objet.

La troisième, qui est la plus importante pour ce que nous nous proposons ici,
c’est la relation entre le representamen
et l’interprétant que Peirce appelle avec génie la rhétorique pure, qui reconnaît les
lois - ça fonctionne au niveau
des lois - selon lesquelles un signe donne naissance à un autre signe qui le
développe selon le cursus de l’interprétant qu’on va voir. Et cette question de la
rhétorique pure, Peirce l’aborde à l’aide de son triangle sémiotique :
representamen, interprétant, objet.

Je vais préciser chacun de ses termes pour qu’on saisisse mieux. Je suis Peirce
pour ce qui est de cette relation.

« Le representamen, premier, a une relation primitive à un deuxième, l’objet. »

L’objet dont le deuxième, le signe, est donné d’abord.

« Mais cette relation peut déterminer un troisième, l’interprétant à avoir la même relation à
son objet que lui-même entretient. »

335
Autrement dit, la relation de l’interprétant avec l’objet est commandée à être, par
la relation du representamen avec l’objet,
à être la même relation. La même au point de vue de l’ordre, mais différente
cependant, différente, c’est-à-dire
plus spécifiée, c’est-à-dire d’une certaine manière on a un peu réduit le champ
des possibilités de ce signe qui vient,
et comme ça, ça continue à l’infini, on le réduit de plus en plus, on va voir ça.

Le ground est absent ici, détermine la relation du representamen à l’objet lui-même.


Et la représentation du representamen
à l’objet détermine comme répétition la relation du représentant à l’objet qui
détermine comme répétition elle-même...
qu’est-ce que je disais ? J’ai dit du représentant ?
...Oui donc le representamen-objet détermine l’interprétant-objet.

Et d’une certaine manière on peut dire, et Peirce le dit, que l’objet de la relation
entre l’interprétant et l’objet, ce n’est pas exactement l’objet,
qui est l’objet de l’interprétant, mais c’est l’ensemble de cette relation, c’est-à-dire :
d’une part, tout ça c’est l’objet de ça,
et que, d’autre part ça, ça doit répéter ça, ça doit le répéter en général dans la
forme et l’avoir pour objet.

Et on pourra prendre un exemple, Peirce prend un exemple.

Lacan - C’est ce que je traduis en disant que l’existence, c’est l’insistance.

François Recanati

On voit que tout le problème, c’est le début. C’est ce qui se passe entre le
representamen et l’objet.
Or justement il est impossible de rien dire de ce qui se passe là-dessus,
impossible de revenir de ce qui se passe là-dessus. Tout ce qu’on sait, c’est que
ça, ce qui se passe là-dedans, entre les deux, ça entraîne tout le reste.
Je vais finir par inscrire le reste parce que ça, ça se continue à l’infini.

Dès qu’on veut savoir, dès que... pour que ça, ça ait du sens [R-O], dit Peirce...
le procès de signification il se fait à partir de là... pour que ça, ça ait du sens, d’une
manière ou d’une autre,
il faut nécessairement que du rapport... si on prend l’objet en tant que « justice »,
et si on prend le representamen comme étant « balance »
336
...il faut justement que cette relation-là, qui en soi n’est rien, elle soit interprétée
par ses interprétants.

Ces interprétants, ça pourra être n’importe quoi, ça pourra être « égalité », et à ce


titre là, la relation générale, c’est-à-dire
de l’interprétant à ici va être elle-même interprétée par un deuxième interprétant.
On pourra mettre « communisme »,
on pourra mettre ce qu’on voudra, et ça continue sans arrêt. Si bien qu’au
départ, il y a toutes les données,
il y a une espèce de ground, un fond qui est choisi à l’intérieur d’un fond
indifférencié, et à partir de là il y a une tentative d’exhaustion absolument
impossible de ce fond à partir de la première étape qui est donnée dans le tout.

Le triangle sémiotique, on le voit, c’est très clair, reproduit la même relation


ternaire que vous aviez citée à propos
des armoiries des Borromée. C’est-à-dire, et Peirce le dit, enfin il ne dit pas les
armoiries des Borromée
mais il emploie les mêmes termes, les trois pôles sont liés par cette relation
d’une manière qui n’admet pas de relations duelles multiples, mais une triade
irréductible. Je le cite :

« L’interprétant ne peut avoir de relation duelle à l’objet, mais à la relation que lui
commande celle du signe-objet qu’il ne peut avoir sous forme cependant identique mais
dégénérée. La relation signe-objet sera le propre objet de l’interprétant comme signe ».

Donc le triangle se développe en chaîne comme interprétation interminable...


et le mot est de Peirce, c’est quand même fantastique interprétation interminable
comme expression
...c’est-à-dire qu’à chaque fois c’est ce que vous tracez comme nouvelle
hypothénuse qui est pris comme objet
du nouvel interprétant à chaque fois.

Ceci qui n’est là qu’en pointillés, en quelque sorte se voit affirmé comme objet
ensuite pour le nouvel interprétant,
et ce triangle continue à l’infini. Dans l’exemple que j’ai pris, la relation égalité-
justice est de même ordre que la relation balance-justice, mais ce n’est pourtant pas
337
la même. Égalité vise non seulement justice, mais aussi le rapport balance-
justice.

Alors, pour revenir à Locke par exemple, on voit que justement c’est, ceci est
pris comme objet d’une interprétation,
mais ce qui est nouveau, en quelque sorte, dans le point de vue terminal, dans
le résultat de l’interprétation,
c’est que l’inscription de l’objet y est marquée comme telle, parce que
justement, le rapport en général balance-justice
est mis à côté de l’objet lui-même, à savoir la justice.

Tel est le modèle du procès de la signification en tant qu’il est interminable.

D’un premier écart - celui qui est donné par un premier trait à l’intérieur du
ground, representamen-objet –
d’un premier écart naissent une série d’autres et l’élément pur de ce premier
écart était ce ground analogue au pur 0.

Ici encore surgit la double fonction du vide. Vu l’heure, je ne vais pas continuer
parce qu’il y aurait peut-être des tas d’exemples à prendre, et ce, aussi bien un
peu partout dans Peirce, qu’un peu partout dans toutes les théories,
là j’ai pris l’empirisme, on aurait pu prendre un peu n’importe quoi. Vous avez
notamment cherché du côté de Berkeley, c’est une bonne idée parce que c’est
très riche. On pourrait multiplier ces exemples, mais ce ne serait que s’en tenir
au commentaire.

Lacan a dit que son discours permettait de redonner sens aux discours plus
anciens.
C’est certainement le premier fruit qu’on peut en tirer.
Mais le repérage de ce qui s’est produit en général comme frayage, sous la
plume de Peirce par exemple,
n’est encore qu’une inscription dans ce qui comptait jusque là pour du beurre,
jusque là, jusqu’à Peirce, jusqu’à Lacan, comme on voudra.

Dorénavant, de cette inscription de ce qui était jusque là du zéro, doit naître


une énorme suite infinie
et c’est à cette suite qu’il s’agit de faire place.

[Applaudissements]
338
Lacan

Il a fallu que j’aille à Milan pour éprouver le besoin d’obtenir une réponse.

Je trouve que celle que je viens d’obtenir est très suffisamment satisfaisante
pour que vous puissiez,
pour aujourd’hui, vous en satisfaire aussi.

339
21 Juin 1972
Séminaire : Panthéon-Sorbonne
Table des matières

[Au tableau]

« Qu’on dise comme fait reste oublié derrière ce qui est dit, dans ce qui s’entend. »

Aujourd’hui, je prends congé de vous.


De ceux qui sont venus et puis de ceux qui ne sont pas venus et qui viennent
pour ce congé.

Voilà ! Il n’y a pas de quoi pavoiser, hein ?


Bon ! Qu’est-ce que je peux faire ?
Que je me résume comme on dit, c’est absolument exclu.

Que je marque quelque chose, un point, un point de suspension.


Bien sûr, je pourrais dire que j’ai continué de serrer cet impossible dans lequel se
rassemble ce qui est pour nous,
pour nous dans le discours analytique, fondable comme réel. Voilà !

Au dernier moment, et ma foi en raison d’une chance, j’ai eu le témoignage que


ce que je dis s’entend.
Je l’ai eu en raison de celui qui a bien voulu - et c’est un grand mérite - parler
dans le dernier moment, comme ça,
de cette année, qui a bien voulu me prouver qu’en effet pour certains, pour
plus d’un, pour des veines dont je ne peux pas du tout prévoir dans quel biais
elles se produisent, trouver en somme intérêt à ce que j’essaie d’énoncer.

Bon. Je remercie donc la personne qui m’a donné, pas seulement à moi, qui a
donné à tous une espèce de...
j’espère qu’il y en a assez pour qui ça a fait écho, qui se sont aperçus que ça
peut rendre.
Il est toujours difficile naturellement de savoir, de savoir jusqu’où ça s’étend.

En Italie, j’y fais un peu allusion parce qu’après tout ça ne me paraît pas
superflu,

340
j’ai fait la rencontre de quelqu’un que je trouve très gentil, qui est dans… je ne
sais pas, l’histoire de l’art, l’idée de l’œuvre.
On ne sait pas pourquoi, mais on peut arriver à le comprendre, ce qui s’énonce
sous le titre de la structure,
et nommément ce que j’ai pu moi-même en produire, l’intéresse. Ça l’intéresse
en raison de problèmes personnels.
Cette idée de l’œuvre, cette histoire de l’art, cette veine, ça rend esclave, c’est certain.

Ça se voit bien quand on voit ce que quelqu’un qui n’est ni un critique ni un


historien,
mais qui était un créateur, a formé comme image, comme image de cette veine :
l’esclave, le prisonnier.
Il y a un nommé Michel-Ange qui nous a montré ça.

Alors en marge, il y a l’ historien et critique qui prie pour l’esclave.


C’est une mômerie comme une autre, c’est une espèce de service divin qui peut
se pratiquer. Oui !
Ça cherche à faire oublier qui commande, parce que l’œuvre, ça vient toujours
à la commande, même pour Michel-Ange.

Ben celui qui commande, c’est ça que j’ai d’abord essayé de vous produire cette
année sous le titre « Yad’lun », n’est-ce pas ? Ce qui commande c’est l’Un : l’Un
fait l’Être...
Je vous ai prié d’aller chercher ça dans le « Parménide ». Vous avez peut-être,
pour certains, obtempéré.
... l’Un fait l’Être comme l’hystérique fait l’homme.

Oui ! Évidemment, cet Être que fait l’Un, il n’est pas l’Être, il fait l’Être.

Évidemment c’est ça qui insupporte, une certaine infatuation créativiste, et


dans le cas de la personne dont je parle,
qui a été vraiment très gentil avec moi et qui m’a bien expliqué comment il
s’était accroché à ce qu’il appelle, lui,
« mon système », pour y dénoncer ses piquants, et c’est pour ça aussi que je le
mets aujourd’hui en épingle
pour éviter une certaine confusion : il s’est accroché à ce qu’il trouve que je fais
trop d’ontologie.

C’est tout de même drôle, enfin je ne pense pas qu’ici, bien sûr, il n’y ait que
des oreilles ouvertes.
341
Je pense qu’il y a comme partout une quantité de sourds.
Mais dire que je fais de l’ontologie, quand même c’est assez drôle !

Et la placer dans ce grand Autre...


que très précisément je montre comme devant être barré
et épinglé très précisément du signifiant de ce barrage lui-même
...c’est curieux !

Parce que ce qu’il faut voir dans le retentissement, la réponse qu’on obtient,
c’est quand même qu’après tout les gens vous répondent avec leurs problèmes.

Et comme son problème à lui, c’est que l’ontologie et même l’Être déjà, lui
restent en travers de la gorge à cause de ceci : c’est que si l’ontologie c’est
simplement la grimace de l’Un, c’est évidemment que tout ce qui se fait à la
commande devient, à l’Un, suspendu, et - mon Dieu - ça l’embête...

Alors ce qu’il voudrait bien en somme, c’est que la structure fût absente.

Ça serait plus commode pour le « passez-muscade ». Ce qu’on voudrait c’est que


l’escamotage...
l’escamotage qui a lieu n’est-ce pas et qui est l’œuvre d’art
...c’est que l’escamotage n’ait pas besoin de gobelets.

Vous n’avez qu’à regarder ça, il y a un tableau de Breughel...


qui était un artiste qui était très au-dessus de ça
...il ne dissimule pas comment, comment que ça se fait la captivation des
badauds. Bon !

Alors ici évidemment, c’est pas à ça que nous nous occupons.


Nous nous occupons du discours analytique.

Et du discours analytique, j’ai pensé quand même qu’il ne serait pas mal de
ponctuer quelque chose avant de vous quitter, qui vous donne l’idée justement,
que non seulement c’est pas ontologique, c’est pas philosophique,
mais c’est seulement nécessité par une certaine position.

Une certaine position que je rappelle, qui est celle où j’ai cru pouvoir condenser
l’articulation d’un discours,
et vous montrer quand même quel rapport ça a, avec ce fait que les analystes ont
quand même rapport...
342
et vous auriez tort de croire que je le méconnais
...avec quelque chose qu’on appelle comme ça « l’être humain », oui bien sûr,
mais moi je ne l’appelle pas comme ça.

Je ne l’appelle pas comme ça pour ne pas que vous vous montiez la tête, pour
que vous restiez bien là où il faut,
pour autant, bien sûr, que vous êtes capables de percevoir quelles sont les
difficultés qui s’offrent à l’analyste.

Ne parlons plus bien sûr de « connaissance », parce que le rapport de l’homme


à un « monde sien »,
il est évident que nous avons démarré de là depuis longtemps, que d’ailleurs, de
toujours, ça n’a jamais été qu’une simagrée
au service du discours du Maître.

Il n’y a de monde comme sien que le monde que le maître fait marcher au doigt
et à l’œil.
Et quant à la fameuse « connaissance de soi-même » : γνῶθι σἑαυτῶ [gnôthi
séauton], supposée faire l’homme,
partons de ceci qui est tout de même simple et touchable, n’est-ce pas : que oui
si on veut, elle a lieu, elle a lieu du corps :
la connaissance de soi-même c’est l’hygiène.

Partons bien de là, n’est-ce pas.


Alors pendant des siècles il restait la maladie bien sûr.
Parce que chacun sait que ça se règle pas par l’hygiène.

Il y a la maladie, et ça c’est bien quelque chose d’accroché au corps.


Et la maladie ça a duré pendant des siècles, c’est le médecin qui était supposé la
connaître.

Connaître, j’entends « connaissance » et je pense avoir assez souligné rapidement


lors d’un de nos derniers entretiens
- je ne sais même plus où - l’échec de ces deux biais, n’est-ce pas.
Tout ça est patent dans l’histoire, ça s’y étale en toutes sortes d’aberrations.

Alors, tout de même, la question que je voudrais vous faire sentir aujourd’hui
c’est ça,
c’est l’analyste qui est là et qui a l’air de prendre un relais.

343
On parle de maladie, on sait pas : en même temps on dit qu’il n’y en a pas...
qu’il n’y a pas de maladie mentale par exemple,
...à juste titre au sens où c’est une entité nosologique comme on disait autrefois,
c’est pas du tout entitaire la maladie mentale.

C’est plutôt la mentalité qui a des failles, exprimons-nous comme ça


rapidement.

Alors, tâchons de voir ce que suppose par exemple ça, qui est écrit là , et qui est
supposé énoncer où se place
une certaine chaîne qui est très certainement et sans aucun espèce d’ambiguïté,
la structure :

on y voit se succéder deux signifiants,


et le sujet n’est là que pour autant « qu’un signifiant le représente pour l’autre
signifiant »,
et puis ça a quelque chose qui en résulte et que nous avons largement, au cours
des années, développé assez de raisons
pour motiver que nous le notions de l’objet(a).

Évidemment si c’est là dans cette forme, dans cette forme de tétrade, c’est pas une
topologie qui soit sans aucune espèce de sens.
C’est ça la nouveauté qui est apportée par Freud. La nouveauté qui est apportée
par Freud, c’est pas rien.

Il y avait quelqu’un qui avait fait quelque chose de très bien, en situant, en
cristallisant le discours du maître,
en raison d’un éclairage historique qu’il avait pu attraper, c’est Marx.

C’est quand même un pas, un pas qu’il n’y a pas lieu du tout de réduire au
premier,
il n’y a pas non plus lieu de faire entre les deux un mixage,
on se demande au nom de quoi il faudrait absolument qu’ils s’accordent.
Ils ne s’accordent pas, ils sont parfaitement compatibles : ils s’emboîtent.

Ils s’emboîtent et puis il y en a certainement un qui a sa place avec toutes ses


aises, c’est celui de Freud.
344
Qu’est-ce qu’il a apporté en somme d’essentiel ? Il a apporté la dimension de la
surdétermination.
La surdétermination, c’est exactement ça que j’image avec ma façon de formaliser de
la façon la plus radicale l’essence du discours,
en tant qu’il est en position tournante par rapport à ce que je viens d’appeler un
support.

C’est quand même du discours, que Freud a fait surgir ceci :


que ce qui se produisait au niveau du support avait affaire avec ce qui s’articulait
du discours.
Le support c’est le corps.

C’est le corps, et encore faut faire attention quand on dit « c’est le corps » : c’est
pas forcément un corps.
Parce qu’à partir du moment où on part de la jouissance, ça veut très exactement
dire que le corps n’est pas tout seul,
qu’il y en a un autre.

Ce n’est pas pour ça que la jouissance est sexuelle,


puisque ce que je viens de vous expliquer cette année, c’est que le moins qu’on
puisse dire
c’est qu’elle n’est pas rapportée cette jouissance, c’est la jouissance de corps à
corps.

Le propre de la jouissance, c’est que quand il y a deux corps...


encore bien plus quand il y en a plus, naturellement,
...on ne sait pas, on ne peut pas dire lequel jouit.

C’est ce qui fait qu’il peut y avoir dans cette affaire, pris plusieurs corps et
même des séries de corps.
Alors la surdétermination, elle consiste en ceci, c’est que les choses qui sont pas
le sens,
où le sens ça serait supporté par un signifiant, justement le propre du
signifiant...

Et je ne sais pas, je me suis mis comme ça de fil en aiguille, Dieu sait pourquoi,
puis un peu plus...
Peu importe... J’ai retrouvé quelque chose, un séminaire que j’ai fait au début
d’un trimestre,

345
juste le trimestre qui était la fin de l’année sur ce qu’on appelle le cas du
Président Schreber, c’était le 11 avril 1956.

C’est très précisément juste en deçà : c’est les deux premiers trimestres qui sont
résumés dans ce que j’ai écrit :

« D’une question préalable à tout traitement possible de la psychose ».

À la fin, le 11 avril 1956, j’ai posé ce que c’était que...


puis comme ça je l’appelle par son nom, le nom que ça a dans mon discours
...la structure.

C’est pas toujours ce qu’un vain peuple pense, mais c’est parfaitement dit à ce
niveau-là.
Ça m’amusera de le republier, ce séminaire...
si la « tapeuse » n’avait pas fait un grand nombre de petits trous, faute d’avoir
bien entendu.
Si elle avait seulement reproduit correctement la phrase latine que j’avais écrite
au tableau,
dont je ne sais plus maintenant à quel auteur elle appartient.
[Cicéron : « Ad usum autem orationis, incredibile est, nisi diligenter attenteris quanta opera
machinata natura est ».]
...je le ferai, je ne sais pas, dans le prochain numéro de Scilicet.

Le temps qu’il va me falloir pour retrouver de qui est cette phrase latine, va
certainement me faire perdre du temps,
enfin peu importe, tout ce que j’ai dit à ce moment-là du signifiant...
du signifiant à un moment où vraiment on ne peut pas dire que ce fût à la
mode : en 56
...ça reste frappé d’un métal où je n’ai rien à retoucher.

Oui ! Ce que j’en dis très précisément, c’est qu’il se distingue en ceci que, qu’il
n’a aucune signification.
Je le dis d’une façon tranchante parce qu’à ce moment-là il faut que je me fasse
entendre de...
Vous vous rendez compte, qu’en plus c’étaient des médecins qui m’écoutaient !
Qu’est-ce que ça pouvait leur foutre ? Simplement que c’était de... enfin, ils
entendaient du Lacan.
Enfin, du Lacan : c’est-à-dire cet espèce de clown, n’est-ce pas, que...
Bon, il faisait merveilleusement son trapèze bien entendu.
346
Pendant ce temps-là, ils lorgnaient déjà à la façon dont ils pourraient retourner
à leur digestion,
parce qu’on peut pas dire qu’ils rêvent. Ça serait très beau. Ils rêvent pas, ils
digèrent !
C’est une occupation après tout comme une autre.

Ce qu’il faut tout de même bien essayer de voir, c’est que, ce que Freud
introduit, c’est quelque chose qui...
on s’imagine que je le méconnais parce que je parle du signifiant
...c’est le retour à ce fondement qui est dans le corps, et qui fait que...
tout à fait indépendamment des signifiants dont on les articule
...ces 4 pôles [1 dans chaque discours] qui se déterminent de l’émergence comme
telle de la jouissance justement comme insaisissable,
eh bien c’est ça qui fait surgir les 3 autres [dans chacun des discours], et en réponse !
Le 1er [pôle]qui est la vérité, ça - la vérité - implique déjà le discours.

→ → →

Ça ne veut pas dire que ça puisse se dire, je me tue à dire que ça ne peut pas se
dire, ou que ça ne peut que se mi-dire.
Mais enfin pour la jouissance, enfin ça, ça existe. Il faut qu’on puisse en parler.
Moyennant quoi il y a quelque chose qui est autre et qui s’appelle « le dire ».

Eh bien je vous ai en somme expliqué pendant une année, j’ai mis assez de
temps à l’articuler, parce que pour l’articuler...
c’est en ça qu’il faut que vous voyiez que la nécessité qui est la mienne, la façon
dont je procède
...justement je ne peux jamais l’articuler comme une vérité.

Il faut, selon ce qui est votre destin à tous, il faut en faire le tour.
Plus exactement voir comment ça tourne, comment ça bascule, comment ça
bascule dés qu’on le touche
et comment même jusqu’à un certain point, c’est assez instable pour prêter à
toutes sortes d’erreurs.

347
Quoiqu’il en soit si j’ai émis...
ce qui est tout de même d’un certain culot
...le titre « D’un discours qui ne serait pas du semblant ».

Je pense que c’était pour vous faire sentir, et que vous avez senti que le discours
comme tel est toujours discours du semblant,
et que si il y a quelque part quelque chose qui s’autorise de la jouissance,
justement c’est de faire semblant.

Et c’est de ce départ qu’on peut arriver à concevoir ce quelque chose que nous
ne pouvons qu’attraper là,
mais d’une façon déjà tellement assurée, tellement assurée par quelqu’un dont il
faut saluer la mémoire,
la mémoire telle que je l’écris [mé-moire], en donnant au « mé » le même sens que
le « mé » de méconnaissance,
celui qu’on a si bien mémorisé [mes mots risée] que c’est faire risée de ses mots dont il
s’agit plutôt, à savoir Platon.

Quand même, s’il y a quelqu’un qui a attrapé ce qu’il en est du plus de jouir,
quelque chose qui fait penser que Platon c’est pas seulement « les Idées » et « la
Forme » mais tout ce que on a...
avec une certaine grille - une grille qui, j’en conviens, est vraisemblable
...traduit de ces énoncés.

Platon c’est celui quand même qui a avancé la fonction de la dyade comme étant
ce point de chute, là où tout passe,
là où tout fuit : pas de « plus grand » sans « plus petit », de « plus vieux » sans « plus
jeune », et le fait que la dyade soit
le lieu de notre perte,
le lieu de la fuite,
le lieu grâce à quoi il est forcé de forger cet Un de l’Idée, de la Forme,
cet Un qui d’ailleurs aussitôt se démultiplie, « s’Un-saisit »
348
...oui c’est bien parce qu’il est là comme nous tous plongé dans ce seul
supplément...
je parle de tout ça dans le 11 avril 1956
...le supplément, la différence qu’il y a entre le supplément et le complément.

Enfin j’avais dit très très bien tout ça depuis l’année 56, ça aurait pu servir, me
semble-t-il, à cristalliser quelque chose
du côté de cette fonction qui est à remplir, celle de l’analyste et dont il semble
qu’elle soit si impossible - plus que d’autres - qu’on ne songe qu’à la camoufler.

Oui ! Alors, c’est là-dessus que ça tourne et que, et qu’il faut bien voir certaines
choses.
C’est qu’entre ce support, ce qui arrive au niveau du corps, et d’où surgit tout sens,
mais inconstitué,
parce que après ce que je viens d’énoncer de la jouissance, de la vérité, du semblant
et du plus de jouir comme faisant là le fond, le ground, comme s’exprimait l’autre
jour la personne qui a bien voulu ici venir nous parler de Peirce,
pour autant que c’est dans la note de Peirce qu’il avait entendu ce que je disais.

Inutile de vous dire que c’est à peu près vers la même époque que j’ai sorti les
quadrants de PEIRCE auxquels...
ça a bien sûr du tout servi à rien, parce que qu’est-ce que vous pouvez bien
penser...
que les remarques sur l’ambiguïté totale de l’Universel, qu’il soit Affirmatif ou
Négatif,
et du Particulier de même
...qu’est-ce que ça pouvait bien faire à ceux qui ne songeaient dans tout ça qu’à
retrouver leur ritournelle ?

Oui ! Le ground donc est là. Il s’agit en effet du corps avec ses sens radicaux sur
lesquels il y a aucune prise.
Parce que c’est pas avec la vérité, le semblant, la jouissance ni le plus de jouir qu’on fait
de la philosophie.
On fait de la philosophie, à partir du moment où il y a quelque chose qui
bourre, qui bourre le support,
qui n’est articulable qu’à partir du discours, qui le bourre de quoi ?

Il faut bien le dire, hein, que ce dont vous êtes tous faits, et encore d’autant
mieux que vous êtes un peu philosophes,

349
ça arrive quelquefois, mais enfin c’est rare, vous êtes surtout « astudés » comme
je l’ai dit un jour,
vous êtes à la place où le discours universitaire vous situe. Vous êtes pris comme a-
formés [comme « sujets » : S].

Depuis quelque temps, il se produit une crise, mais on en parlera tout à l’heure.
C’est secondaire.
La question donc est différente.
Il faut bien que vous vous rendiez compte que ce dont vous dépendez le plus
fondamentalement...
parce qu’enfin l’université n’est pas née d’hier
...c’est le discours du maître quand même, qui est le 1er surgi, et puis c’est lui qui
dure et qui a peu de chance de s’ébranler.

Il pourrait se compenser, s’équilibrer, avec quelque chose qui serait - enfin, le


jour où ça sera ! - le discours analytique.
Au niveau du discours du maître, on peut parfaitement dire ce qu’il y a
entre le champ du discours, entre les fonctions du discours telles qu’elles s’articulent de
ce S1, S2, le S et le a...

et puis ce corps, ce corps qui vous représente ici, et à qui - en tant qu’analyste -
je m’adresse.

Parce que quand quelqu’un vient me voir dans mon cabinet pour la 1ère fois et
que je scande notre entrée dans l’affaire
de quelques entretiens préliminaires, ce qui est important c’est ça, c’est la
confrontation de corps.
C’est justement parce que c’est de là que ça part, cette rencontre de corps,
qu’à partir du moment où on entre dans le discours analytique, il n’en sera plus
question.

350
Mais il reste qu’au niveau où le discours fonctionne...
qui n’est pas le discours analytique
...la question se pose de comment ça a réussi, ce discours, à attraper des corps.

Au niveau du discours du maître, c’est clair.


Au niveau du discours du maître dont vous êtes, comme corps, pétris, ne vous le
dissimulez pas,
quelles que soient vos gambades, c’est ce que j’appellerai « les sentiments » et très
précisément les « bons sentiments ».

Entre le corps et le discours, il y a ce dont les analystes se gargarisent en


appelant ça prétencieusement les « affects ».
C’est bien évident que vous êtes affectés dans une analyse, c’est ça qui fait une
analyse,
c’est ce qu’ils prétendent évidemment, faut bien qu’ils tiennent la corde quelque
part pour être sûrs de ne pas glisser.

Les bons sentiments, avec quoi ça se fait ?


Ben on est bien forcé d’en venir là, au niveau du discours du maître c’est clair : ça
se fait avec de la jurisprudence.
Il est quand même bon de ne pas l’oublier au moment où je parle, où je suis
l’hôte de la Faculté de Droit,
de ne pas méconnaître que les bons sentiments, c’est la jurisprudence et rien
d’autre, qui les fonde.

Et quand quelque chose comme ça vient tout d’un coup vous tourner le cœur
parce que vous savez pas très bien
si vous n’êtes pas un peu responsifs de la façon dont une analyse a mal tourné.
Écoutez ! hein ? soyons clairs quand même !
S’il n’y avait pas de déontologie, s’il n’y avait pas de jurisprudence, où serait ce
mal au cœur, cet affect comme on dit ?

Faudrait même essayer de temps en temps de dire un peu la vérité.


Un peu, ça veut dire que ça n’est pas exhaustif ce que je viens de dire.
Je pourrais aussi dire autre chose d’incompatible avec ce que je viens de dire, ça
serait aussi la vérité.

Et c’est bien ce qui se passe quand simplement par le fait non pas d’1/4 de
tour, mais d’une moitié de tour complet,

351
de 2/4 quarts de tour de glissement de ces éléments fonction du discours, il se
trouve,
il se trouve parce qu’il y a quand même dans cette tétrade des vecteurs, des
vecteurs dont on peut très bien établir
la nécessité, ils tiennent pas à la tétrade, ni à la vérité, ni au semblant, ni à quoi
que ce soit de cette espèce,
ils tiennent au fait que la tétrade c’est 4.

À cette seule condition d’exiger qu’il y ait des vecteurs dans les deux sens, à
savoir que ça soit 2 qui arrivent ou 2 qui partent, ou 1 qui arrive ou 1 qui parte,
vous êtes absolument nécessités à trouver la façon dont ici ils sont accrochés,
ça tient au nombre 4, à rien d’autre.

Naturellement, le semblant, la vérité, la jouissance et le plus de jouir ne s’additionnent


pas. Alors ils peuvent pas faire 4 à eux tout seuls, c’est justement en ça que
consiste le réel, c’est que le nombre 4, lui, existe tout seul. C’est aussi une chose
que je dis le 11 avril 1956, mais très précisément j’avais pas encore sorti tout ça.
D’ailleurs j’avais même pas construit tout ça.

352
Seulement c’est ce qui me prouve que je suis dans la bonne veine, puisque le
fait que j’ai dit à ce moment-là
que le nombre 4 était là un nombre essentiel à ce qu’on s’en souvint, prouve
que j’étais quand même dans le bon fil,
puisque maintenant, je ne trouve pas de superflu autour de ça. Je l’ai dit au
moment où il fallait,
au moment où il est question de la psychose. Bon !

Alors, la question est celle-ci : si les sentiments, si...

Ne vous agitez pas pour les personnes qui s’en vont, elles ont à faire à cette heure, elles ont à
aller aux obsèques
de quelqu’un dont je salue ici la mémoire, et qui était quelqu’un de notre École, que je
chérissais vraiment.
Je suis au regret, vu mes engagements, de ne pouvoir m’y joindre moi-même

...oui, qu’est-ce qu’il y a dans le discours analytique, entre les fonctions de discours
et ce support,
qui n’est pas la signification du discours, qui ne tient à rien de ce qui est « dit » ?
Tout ce qui est « dit » est semblant.
Tout ce qui est « dit » est vrai par dessus le marché.
Tout ce qui est « dit » fait jouir.

« Ce qui est dit », et comme je le répète, comme je l’ai récrit au tableau


aujourd’hui :

« Qu’on dise comme fait - le dire - reste oublié derrière ce qui est dit. »
« Ce qui est dit » n’est pas ailleurs que dans ce qui s’entend, et c’est ça la parole.

Seulement « le dire », c’est un autre truc, c’est un autre plan, c’est le discours.
C’est ce qui de relations, de relations qui vous tiennent tous et chacun
ensemble,
avec des personnes qui sont pas forcément celles qui sont là, ce qu’on appelle
la relation, la religio, l’accrochage social,
ça se passe au niveau d’un certain nombre de « prises » qui ne se font pas au
hasard,
qui nécessitent - à très peu d’errance près - ce certain ordre dans l’articulation
signifiante.

353
Et pour que quelque chose y soit dit, il y faut autre chose que ce que vous
imaginez sous le nom de réalité.
Parce que « la réalité » découle très précisément du dire.

Le dire a ses effets dont se constitue ce qu’on appelle le fantasme, c’est-à-dire ce


rapport entre l’objet petit(a)...
qui est ce qui se concentre de l’effet du discours pour causer le désir
...et ce quelque chose qui autour et comme une fente, se condense, et qui s’appelle le
sujet.

C’est une fente parce que l’objet petit(a), lui, il est toujours entre chacun des
signifiants et celui qui suit,
et c’est pour ça que le sujet, lui, était toujours non pas entre, mais au contraire
béant.

Oui ! Enfin pour revenir à Rome, j’ai pu saisir, toucher du doigt l’effet, l’effet
assez saisissant, l’effet où je me reconnaissais très bien, des plaques de cuivre
qu’un nommé Fontana, défunt paraît-il, et qui après avoir montré
de grandes capacités de constructeur, de sculpteur, etc., consacrait ses dernières
années à faire...
en italien ça se dit « squarcio » paraît-il, mais je sais pas l’italien, je me le suis fait
expliquer
...c’est une fente, comme ça, il faisait une fente dans une plaque de cuivre.

Ça fait un certain effet. Ça fait un certain effet pour ceux qui sont un peu
sensibles,
mais il n’y a pas besoin d’avoir entendu mon discours sur la Spaltung du sujet
pour y être sensible.
La première personne venue, surtout si elle est du sexe féminin, peut avoir une
petite vacillation comme ça.
Faut croire que Fontana n’était pas de ceux qui méconnaissaient totalement la
structure,
354
[de ceux]qui croyaient que c’était trop ontologique.

Alors de quoi s’agit-il dans l’analyse ?

Parce que si on m’en croit, on doit penser que c’est bien comme je l’énonce,
que c’est au titre de ce que « en corps », avec toute l’ambiguïté de ce terme qui est
motivé, c’est parce que l’analyste « en corps » installe l’objet petit(a) à la place du
semblant, qu’il y a quelque chose qui existe et qui s’appelle le discours analytique.

Qu’est-ce que ça veut dire ?


Au point où nous en sommes, c’est-à-dire à avoir commencé de voir prendre
forme ce discours, nous voyons
que comme discours, et pas dans ce qui est dit, dans son dire, il nous permet
d’appréhender ce qui en est du semblant.

C’est là qu’il est frappant de voir qu’au terme d’une tradition...


comme on nous l’a bien fait sentir la dernière fois
...cosmologique, comment est-ce que l’univers a pu naître ?

Est-ce que ça ne vous semble pas un peu dater ? Mais dater du fond des âges, ça
n’en reste pas moins daté.
Ce qui est frappant, c’est que ça amène Peirce à une articulation purement
logique voire logicienne.

C’est un point de détachement du fruit sur l’arbre d’une certaine articulation - illusoire,
je l’appellerai - qui du fond des âges
avait abouti à cette cosmologie jointe à une psychologie, à une théologie, à tout
ce qui s’ensuit.

Nous voilà là, touchant du doigt...


tel qu’on vous l’a énoncé la dernière fois
...touchant du doigt qu’il n’y a discours sur l’origine qu’à traiter de l’origine d’un
discours.

Qu’il n’y a pas d’autre origine attrapable que l’origine d’un discours, et que c’est
ça qui nous importe
quand il s’agit de l’émergence d’un autre discours [disc. A], d’un discours qui,
par rapport au discours du maître [disc. M]...
dont je vais vite là retracer les termes et leur disposition
...comporte la double inversion précisément des vecteurs obliques.
355
Et ceci a toute son importance.

M A

Ce que Peirce ose nous articuler est là au joint d’une antique cosmologie,
c’est la plénitude de ce dont il s’agit dans le semblant de corps, c’est le discours
dans son rapport, dit-il, au « rien ».
Ça veut dire ce autour de quoi nécessairement tourne tout discours.

Par cette voie, ce qu’à promouvoir cette année la théorie des ensembles, j’essaie...
à ceux qui tiennent la fonction de l’analyste
...de suggérer, c’est que ce soit dans cette veine...
celle qu’exploitent ces énoncés qui se formalisent de la logique
...c’est que ce soit à cette veine qu’ils se rompent pour se former.

Se former à quoi ?

À ce qui doit distinguer ce que j’ai appelé tout à l’heure la bourre, l’intervalle, le
tamponnement, la béance qu’il y a entre :

le niveau du corps, de la jouissance et du semblant,

et le discours,

...pour s’apercevoir que c’est là qu’ils se posent la question de ce qui est à


mettre, et qui n’est pas les bons sentiments
ni la jurisprudence, qui a affaire à autre chose, qui a un nom, qui s’appelle
l’interprétation.

Ce qui l’autre jour vous a été mis au tableau sous la forme du triangle dit
sémiotique,
sous la forme du representamen, de l’interprétant et ici de l’objet :

356
pour montrer que la relation est toujours ternaire, à savoir que le couple
représentamen-objet qui est toujours à réinterpréter, c’est cela dont il s’agit dans
l’analyse. L’interprétant, c’est l’analysant.
Ça veut pas dire que l’analyste soit pas là pour l’aider, pour le pousser un peu
dans le sens de l’interprété.

Il faut bien le dire, ça ne peut pas se faire au niveau d’un seul analyste, pour la simple
raison
que si ce que je dis est vrai, à savoir que ce n’est que de la veine de la logique,
de l’extraction des articulations de ce qui est « dit », et pas du « dire »,
que si pour tout dire l’analyste dans sa fonction ne sait pas, je veux dire en corps,
en recueillir assez de ce qu’il entend de l’interprétant
qu’est celui à qui, sous le nom d’analysant, il donne la parole,
eh bien ce discours analytique en reste à ce qui en effet, a été dit par Freud sans
bouger d’une ligne.

Mais à partir du moment où ça fait partie du discours commun, ce qui est le cas
maintenant,
ça rentre dans l’armature des bons sentiments. Pour que l’interprétation progresse,
soit possible, selon le schéma de Peirce qui vous a été avancé la dernière fois,
c’est en tant que cette relation interprétation et objet...
remarquez, de quoi s’agit-il ?
Quel est cet objet dans Peirce ?
...c’est de là que la nouvelle interprétation, il n’y a pas de fin à ce à quoi elle peut
venir,
sauf à ce qu’il y ait une limite précisément :

...qui est bien ce à quoi le discours analytique doit advenir, à condition qu’il ne
croupisse pas dans son piétinement actuel.

Qu’est-ce qu’il faut, au schéma de Peirce, substituer pour que ça colle avec mon
articulation du discours analytique ?
357
C’est simple comme bonjour : à l’effet de ce dont il s’agit dans la cure analytique, il
n’y a pas d’autre representamen que l’objet(a).
L’objet(a) dont l’analyste se fait le representamen justement, lui-même, à la place du
semblant.

L’objet dont il s’agit, ce n’est rien d’autre que ce que j’ai interrogé ici de mes
deux formules,
ce n’est rien d’autre que ceci, comme oublié : le fait du dire. [cf. « L’étourdit » :
« Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend]

C’est ça qui est l’objet de ce qui pour chacun est la question : où suis-je dans le
dire ?
Parce que s’il est bien clair que la névrose s’étale, c’est très précisément en ceci
qui nous explique le flottement
de ce que Freud a avancé concernant le désir, et spécialement le désir dans le
rêve.

C’est bien vrai qu’il y a des rêves de désir, mais quand Freud analyse un de ses
rêves, on voit bien de quel désir il s’agit, c’est du désir de poser l’équation du
désir avec « = zéro ».

À une époque qui n’était pas de beaucoup postérieure à celle du 11 avril 1956,
en 1957 précisément,
j’ai analysé le rêve « de l’injection d’Irma ». Ça a été transcrit comme vous pouvez
l’imaginer d’un universitaire,
dans une thèse où ça se ballade actuellement.

La façon dont ça a été, je ne dirai pas « entendu », car la personne n’était pas là,
elle a travaillé sur des notes,
elle a travaillé sur des notes et elle a cru possible d’en rajouter de son cru.

Mais il est tout de même clair que s’il y a une chose que le rêve de cette injection
d’Irma, sublime, divin, permet de montrer, c’est ce qui est évident, qui devrait
être...
depuis le temps que j’ai annoncé cette chose
...qui devrait avoir été exploitée par n’importe qui dans l’analyse.

358
J’ai laissé ça traîner, parce qu’après tout comme vous allez le voir, la chose n’a
pas tellement de conséquences.

Si, comme je le rappelais récemment, l’essence du sommeil c’est justement la


suspension du rapport du corps à la jouissance,
il est bien évident que le désir, qui lui se suspend au plus de jouir, ne va pas pour
autant être là mis entre parenthèses.

Ce que le rêve travaille, ce sur quoi il tricote, et l’on voit bien comment et avec
quoi : avec les éléments de la veille comme dit Freud, c’est-à-dire avec ce qui
est là encore tout à fait à la surface de la mémoire, pas dans la profondeur.

La seule chose qui relie le désir du rêve à l’inconscient, c’est la façon dont il faut
travailler
pour résoudre la solution,
pour résoudre le problème d’une formule avec « = zéro »,
pour trouver la racine grâce à quoi la façon dont ça fonctionne, ça s’annule.

Si ça ne s’annule pas, comme on dit, il y a le réveil. Moyennant quoi bien sûr le


sujet continue à rêver dans sa vie.

Si le désir a de l’intérêt dans le rêve, Freud le souligne, c’est pour autant qu’il y a des
cas où le fantasme, on ne peut pas le résoudre, c’est-à-dire de s’apercevoir que le
désir...
permettez-moi de m’exprimer - puisque je suis à la fin - ainsi
...n’a pas de raison d’être, c’est que quelque chose s’est produit qui est la
rencontre, la rencontre d’où procède la névrose,
la tête de Méduse, la fente de tout à l’heure, directement vue, c’est en tant qu’elle, elle
n’a pas de solution.

C’est bien pour ça que, dans les rêves de la plupart, il s’agit en effet de la
question du désir.
La question du désir pour autant qu’elle se reporte à bien plus loin, à la
structure,
à la structure grâce à quoi c’est le (a) qui est la cause de la Spaltung du sujet.

Oui ! Alors, qu’est-ce qui nous lie à celui avec qui nous nous embarquons,
franchie la première appréhension du corps ?
Et est-ce que l’analyste est là pour lui faire grief de ne pas être assez sexué, de
jouir assez bien ? Et quoi encore ?
359
Qu’est-ce qui nous lie à celui qui, avec nous s’embarque dans la position qu’on
appelle celle du patient?

Est-ce qu’il ne vous semble pas, que si on le conjoint à ce lieu, le terme


« frère »...
qui est sur tous les murs : « Liberté, Égalité, Fraternité »
...je vous le demande, au point de culture où nous en sommes, de qui sommes-
nous frères ?
De qui sommes-nous frères dans tout autre discours que dans le discours
analytique ?

Est-ce que le patron est le frère du prolétaire ?


Est-ce qu’il ne vous semble pas que ce mot « frère », c’est justement celui auquel
le discours analytique donne sa présence,
ne serait-ce que de ce qu’il ramène ce qu’on appelle ce barda familial ?

Vous croyez que c’est simplement pour éviter la lutte des classes ?
Vous vous trompez, ça tient à bien d’autres choses que le bastringue familial.
Nous sommes frères de notre patient en tant que comme lui, nous sommes les fils du discours.

Pour représenter cet effet que je désigne de l’objet(a), pour nous faire à ce
désêtre d’être le support, le déchet, l’abjection
à quoi peut s’accrocher ce qui va, grâce à nous, naître de dire, de dire qui soit
interprétant,
bien sûr, avec l’aide de ceci, qui est ce à quoi j’invite l’analyste à se supporter de
façon à être digne du transfert,
à se supporter de ce savoir qui peut, d’être à la place de la vérité [S2], s’interroger
comme tel
sur ce qu’il en est depuis toujours de la structure des savoirs, depuis les savoir-
faire jusqu’au savoir de la science.

De là bien sûr nous interprétons.


Mais qui peut le faire si ce n’est celui-là lui-même qui s’engage dans le dire et
qui, du frère, certes, que nous sommes,

360
va nous donner l’exaltation ? Je veux dire que ce qui naît d’une analyse, ce qui
naît au niveau du sujet, du sujet qui parle, de l’analysant, c’est quelque chose
qui, « avec », « au moyen »...
« L’homme pense - disait Aristote - avec son âme »
...l’analysant analyse avec cette merde que lui propose, en la figure de son
analyste, l’objet(a).

C’est avec cela que quelque chose, cette chose fendue [S], doit naître qui n’est rien
d’autre en fin de compte...
pour reprendre quelque chose qui vous a été avancé l’autre jour à propos de
Peirce
...que le fléau dont une balance peut s’établir et qui s’appelle justice.

Notre frère transfiguré, c’est cela qui naît de la conjuration analytique


et c’est ce qui nous lie à celui qu’improprement on appelle notre patient.

Ce discours « parasexal » - hein ? - il faut bien dire, comme ça, qu’il peut avoir
de ces retours de bâton.
Je voudrais pas vous laisser uniquement sur du susucre.
La notion de « frère », si solidement tamponnée grâce à toutes sortes de
jurisprudences pendant des âges,
de revenir à ce niveau, au niveau d’un discours, elle aura ce que j’appelai à
l’instant « ces retours » au niveau du support.

Je vous ai pas du tout parlé dans tout ça du « père » parce que j’ai considéré
qu’on vous en a déjà assez dit, assez expliqué
à vous montrer que c’est autour de celui qui « unie », de celui qui dit non,
que peut se fonder,
que doit se fonder,
que ne peut que se fonder,
...tout ce qu’il y a d’universel.

Et quand nous revenons à la racine du corps, si nous revalorisons le mot


« frère »,
il va rentrer à pleine voile au niveau des bons sentiments.

Puisqu’il faut bien quand même ne pas vous peindre uniquement l’avenir en
rose,
sachez que celui qui monte, qu’on n’a pas encore vu jusqu’à ses dernières
conséquences,
361
et qui lui s’enracine dans le corps, dans la fraternité de corps, c’est le racisme, dont
vous n’avez pas fini d’entendre parler.

Voilà !

[Applaudissements]

362
LACAN 1971-72. Le savoir du psychanalyste

363
Table des matières

Leçon 1 04 novembre 1971

Leçon 2 02 décembre 1971

Leçon 3 06 janvier 1972

Leçon 4 03 février 1972

Leçon 5 03 mars 1972

Leçon 6 04 mai 1972

Leçon 7 01 juin 1972

364
Jeudi 4 Novembre 1971
« Entretiens de Sainte-Anne »
Table des matières

En revenant parler à Sainte-Anne, ce que j’aurai espéré c’est qu’il y eût là des
« internes » qu’on appelle ça,
qui s’appelaient de mon temps les internes des asiles, ce sont maintenant « des
hôpitaux psychiatriques », sans compter le reste.
C’est ce public-là qu’en revenant à Sainte-Anne je visais. J’avais l’espoir que
certains d’entre eux se dérangeraient.
Est-ce que s’il y en a ici - je parle d’internes en exercice - ils me feraient le plaisir
de lever la main ?
C’est une écrasante minorité, mais enfin ils me suffisent tout à fait.
À partir de là - et pour autant que je pourrais soutenir ce souffle - je vais
essayer de vous dire quelques mots.
Il est évident que ces mots, comme toujours, je les fais improvisés, ce qui ne veut
pas dire que je n’aie pas là
quelques petites notes, mais ils sont improvisés depuis ce matin, parce que je
travaille beaucoup.
Mais faut pas vous croire obligés d’en faire autant.

Un point sur lequel j’ai insisté, c’est sur la distance qu’il y a entre le travail et le
savoir,
car n’oublions pas que ce soir, c’est du savoir que je vous promets, donc pas
tellement besoin de vous fatiguer.
Vous allez voir pourquoi, certains le soupçonnent déjà, pour avoir assisté à ce
qu’on appelle mon séminaire.

Pour en venir au savoir, j’ai fait remarquer dans un temps déjà lointain ceci : que
l’ignorance puisse être considérée
- dans le bouddhisme - comme une passion. C’est un fait qui se justifie avec un
peu de méditation,
mais comme c’est pas notre fort - la méditation - il n’y a pour le faire connaître
qu’une expérience.
C’est une expérience que j’ai eue - marquante ! - il y a longtemps, justement, au
niveau de la salle de garde.

365
Parce que ça fait une paye que je fréquente ces murailles - pas spécialement
celles-là à cette époque - et ça devrait être, c’est inscrit quelque part du côté de
25-26, et les internes à cette époque...
je ne parle pas de ce qu’ils sont maintenant
...les internes aussi bien « des hôpitaux » que de ce qu’on appelait « les asiles », c’était
sans doute un effet de groupe,
mais pour ce qui est d’en tenir à l’ignorance, ben ils étaient un peu là, semble-t-il !
On peut considérer que c’est lié à un moment de la médecine,
ce moment devait forcément être suivi de la vacillation présente.

À cette époque, après tout cette ignorance...


n’oubliez pas que quand je parle d’ignorance, je viens de dire que c’est une
passion,
c’est pas pour moi une moins value, c’est pas non plus un déficit, c’est autre
chose
...l’ignorance est liée au savoir. C’est une façon de l’établir, d’en faire un savoir
établi.

Par exemple quand on voulait être médecin dans une époque, qui bien sûr était la
fin d’une époque,
eh bien c’est normal qu’on ait voulu...
enfin à cette époque on avait un peu encore d’orientation
...qu’on ait voulu bénéficier, montrer, manifester, une ignorance si je puis dire
consolidée.

Ceci dit, après ce que je viens de vous dire de l’ignorance, vous ne vous étonnerez
pas que je fasse remarquer
que l’« ignorance docte », comme s’exprimait un certain cardinal...
au temps où ce titre n’était pas un certificat d’ignorance,
...un certain cardinal appelait « ignorance docte » le savoir le plus élevé. C’était Nicolas
De Cues, pour le rappeler en passant.

De sorte que la corrélation de l’ignorance et du savoir est quelque chose dont il


nous faut partir essentiellement,
et voir qu’après tout, que l’ignorance, comme ça, à partir d’un certain moment,
dans une certaine zone,
porte le savoir à son niveau le plus bas, ce n’est pas la faute à l’ignorance, c’est
même le contraire.

366
Depuis quelques temps dans la médecine, l’ignorance n’est plus assez docte pour
que la médecine survive d’autre chose que de superstitions. Sur le sens de ce mot,
et précisément concernant à l’occasion la médecine,
je reviendrai peut-être tout à l’heure, si j’ai le temps.

Mais enfin, pour pointer quelque chose qui est de cette expérience avec laquelle je
tiens beaucoup à nouer le fil
après ces - mon Dieu ! - ces quelques 45 ans de fréquentation de ces murailles...
c’est pas pour m’en vanter, mais depuis que j’ai livré quelques uns de
mes Écrits à la poubellication,
tout le monde sait mon âge, c’est un des inconvénients
...à ce moment, je dois dire que le degré d’ignorance passionnée qui régnait à la salle
de garde de Ste Anne,
je dois dire que c’est irrévocable.
C’est vrai que c’étaient des gens qui avaient la vocation, et à ce moment-là avoir la
vocation des asiles
c’était quelque chose d’assez particulier. Dans cette même salle de garde
arrivèrent en même temps quatre personnes
dont je ne trouve pas à dédaigner de réévoquer les noms, puisque je suis l’un
d’entre eux.
L’autre que je me plairai à faire resurgir ce soir c’était Henri Ey.

On peut bien dire, n’est-ce pas, avec l’espace de temps parcouru, que cette
ignorance, Ey en fut le civilisateur.
Et je dois dire que je salue son travail. La civilisation, enfin ça ne débarrasse
d’aucun malaise,
comme l’a fait remarquer Freud, bien au contraire, Unbehagen, le pas-bon aise, mais
enfin, ça a un côté précieux.

Si vous croyiez qu’il devait y avoir le moindre degré d’ironie dans ce que je viens
de dire,
vous vous tromperiez lourdement, mais vous ne pouvez que vous tromper, parce
que vous ne pouvez pas imaginer
ce que c’était dans le milieu des asiles, avant que Ey y ait eu mis la main.
C’était quelque chose d’absolument fabuleux !

Maintenant l’histoire a avancé et je viens de recevoir une circulaire marquant


l’alarme qu’on a dans une certaine zone
du dit milieu, eu égard à ce mouvement prometteur de toutes sortes de
flammèches qu’on appelle « l’anti-psychiatrie ».
367
On voudrait bien qu’on prenne position là-dessus, comme si on pouvait prendre
position sur quelque chose
qui est déjà une opposition. Alors je dois dire, je ne sais pas s’il conviendrait de
faire là-dessus quelques remarques,
quelques remarques inspirées de ma vieille expérience, celle que je viens
d’évoquer précisément,
et de distinguer à cette occasion entre la Psychiatrie et la psychiatrerie.

La question des malades mentaux ou de ce qu’on appelle, pour mieux dire les
psychoses,
c’est une question pas du tout résolue par l’anti-psychiatrie, quelles que puissent
être là-dessus les illusions qu’entretiennent quelques entreprises locales.

L’anti-psychiatrie est un mouvement dont le sens est la libération du psychiatre, si


j’ose m’exprimer ainsi.
Et il est bien certain que ça n’en prend pas le chemin. Ça n’en prend pas le
chemin parce qu’il y a une caractéristique qu’il ne faudrait quand même pas
oublier dans ce qu’on appelle les révolutions,
c’est que ce mot est admirablement choisi de vouloir dire : retour au point de
départ.

Le cercle de tout ceci était déjà connu, mais est amplement démontré dans le livre
qui s’appelle « Naissance de la Folie »,
de Michel Foucault : le psychiatre a en effet un service social. Il est la création
d’un certain tournant historique.
Celui que nous traversons n’est pas près d’alléger cette charge, ni de réduire sa
place, c’est le moins qu’on en puisse dire. De sorte que ça laisse les questions de
l’anti-psychiatrie un peu en porte à faux.

Enfin, ceci est une indication introductive, mais je voudrais faire remarquer que
pour ce qui est des salles de garde,
il y a quelque chose tout de même de frappant qui fait à mes yeux leur continuité
avec les plus récentes,
c’est à quel point la psychanalyse n’a - au regard des biais qu’y prennent les
savoirs - la psychanalyse n’a rien amélioré.
Le psychanalyste...
au sens où j’en ai posé la question, dans l’année 67-68, où j’avais introduit la
notion « du psychanalyste »,
précédé de l’article défini, au temps où j’essayais devant un auditoire - à ce
moment-là assez large -
368
de rappeler la valeur logique, celle de l’article défini. Enfin passons...
...le psychanalyste ne semble pas avoir rien changé à une certaine assiette du
savoir.

Après tout, tout cela est régulier. C’est pas des choses qui arrivent d’un jour à
l’autre, qu’on change l’assiette du savoir.
L’avenir est à Dieu, comme on dit, c’est-à-dire à la bonne chance de ceux qui ont eu
la bonne inspiration de me suivre. Quelque chose sortira d’eux, si les petits
cochons ne les mangent pas. C’est ce que j’appelle la bonne chance.
Pour les autres il n’est pas question de bonne chance. Leur affaire sera réglée par
l’automatisme,
qui est tout à fait le contraire de la chance, bonne ou mauvaise37.

Ce que je voudrais ce soir, c’est ceci : c’est que ceux-là, ceux que je voue à ce à
quoi ils se trouvent bons,
pour ce que la psychanalyse dont ils usent ne leur laisse aucune chance, je
voudrais éviter que pour ceux là s’établisse un malentendu, au nom, comme ça,
de quelque chose qui est l’effet de la bonne volonté de certains de ceux qui me
suivent.

Ils ont assez bien entendu - enfin comme ils peuvent - ce que j’ai dit du savoir
comme fait de ce corrélat d’ignorance,
et alors ça les a comme ça un peu, un peu tourmentés. II y en a parmi eux... je ne
sais pas quelle mouche a piqué,
une mouche littéraire comme ça, des trucs qui traînent dans les écrits de Georges
Bataille par exemple,
parce qu’autrement, je pense que ça leur serait venu... il y a le « non-savoir ». Je dois
dire que Georges Bataille
a fait un jour une « conférence sur le non-savoir », et que ça traîne peut-être dans deux
ou trois coins de ses écrits.

Enfin, Dieu sait qu’il n’en faisait pas des gorges chaudes et que tout spécialement
le jour de sa conférence,
là à la salle de Géographie à St Germain des Prés...
que vous connaissez bien parce que vous êtes de culture
...il n’a pas sorti un mot, ce qui n’était pas une mauvaise façon de faire l’ostension
du non-savoir. On a ricané.

37
Cf. τύχη [týksi] et αύτόματον [áftómaton], εὐτυχία [eftyksia] et δυστυχία [dystyksia].
369
On a tort parce que maintenant ça fait chic, le non savoir. Ça traîne, n’est-ce pas,
un peu partout dans les mystiques,
c’est même d’eux que ça vient, c’est même chez eux que ça a un sens.

Et puis alors enfin, on sait que j’ai insisté sur la différence entre savoir et vérité.
Alors si la vérité c’est pas le savoir, c’est que c’est le non-savoir.
Logique aristotélicienne : « tout ce qui n’est pas noir, c’est le non-noir », comme je l’ai
fait remarquer quelque part.
Je l’ai fait remarquer, c’est certain : j’ai articulé que cette frontière sensible entre la
vérité et le savoir,
c’est là précisément que se tient le discours analytique.

Alors voilà, la route est belle pour proférer, lever le drapeau du « non-savoir ».
C’est pas un mauvais drapeau.
Ça peut servir justement de ralliement à ce qu’est quand même pas excessivement
rare à recruter comme clientèle : l’ignorance crasse par exemple. Ça existe aussi,
enfin c’est de plus en plus rare.

Seulement il y a d’autres choses, il y a des versants à la paresse par exemple, dont


j’ai pas parlé depuis très longtemps.
Et puis il y a certaines formes d’institutionnalisation, de camps de concentration
du Bon Dieu,
comme on disait autrefois à l’intérieur de l’université, où ces choses-là sont bien
accueillies parce que ça fait chic.
Bref on se livre à toute une mimique n’est ce pas, « passez la première Madame la
Vérité »,
le trou est là n’est-ce pas, c’est votre place. Enfin, c’est une trouvaille, ce non-
savoir...

Pour introduire une confusion définitive sur un sujet délicat, celui qui est
précisément le point en question
dans la psychanalyse, ce que j’ai appelé « cette frontière sensible entre vérité et savoir », on
ne fait pas mieux. J’ai pas besoin de dater. Enfin, 10 ans avant, on avait fait une autre
trouvaille qui n’était pas mauvaise non plus, à l’endroit de ce qu’il faut bien que
j’appelle mon discours. Je l’avais commencé en disant que « l’inconscient était structuré
comme un langage ».

On avait trouvé un machin formidable : les deux types les mieux qui auraient pu
travailler dans cette trace,

370
filer ce fil, on leur avait donné un très joli travail : Vocabulaire de la Philosophie.
[lapsus]
Qu’est-ce que je dis ? Vocabulaire de la psychanalyse ! Vous voyez le lapsus, hein ?
Enfin ça vaut le Lalande 38.

« Lalangue » comme je l’écris maintenant - j’ai pas de tableau noir - ben écrivez :
Lalangue en un seul mot,
c’est comme ça que je l’écrirai désormais. Voyez comme ils sont cultivés ! [Rires]
Alors on n’entend rien ! C’est l’acoustique ?
Vous voulez bien faire la correction ? C’est pas un « d » c’est un « gu »
[Lalande/Lalangue].

Je n’ai pas dit l’inconscient est structuré comme « Lalangue », mais est structuré comme « un
langage », et j’y reviendrai tout à l’heure. Mais quand on a lancé les « responsifs »
dont je parlais tout à l’heure sur le Vocabulaire de la Psychanalyse,
c’est évidemment parce que j’avais mis à l’ordre du jour ce terme saussurien : «
Lalangue »,
que - je le répète - j’écrirai désormais en un seul mot. Et je justifierai pourquoi.

Eh bien Lalangue n’a rien à faire avec le dictionnaire, quel qu’il soit. Le
dictionnaire...
comme déjà il suffirait d’entendre le mot pour le comprendre
...le dictionnaire a affaire avec la diction, c’est-à-dire avec la poésie et avec la
rhétorique par exemple.
C’est pas rien, hein ? Ça va de l’invention à la persuasion, enfin c’est très important.
Seulement, c’est justement pas ce côté-là qui a affaire avec l’inconscient.

Contrairement à ce que - je pense - la masse des candidats pense, mais qu’une


part importante sait déjà,
sait déjà s’il a écouté les termes dans lesquels j’ai essayé de faire passage à ce que
je dis de l’inconscient :
l’inconscient a affaire d’abord avec la grammaire.

Il a aussi un peu à faire avec - beaucoup à faire, tout à faire - avec la répétition,
c’est-à-dire le versant tout contraire

38
André Lalande : « Vocabulaire technique et critique de la philosophie », PUF.

371
à ce à quoi sert un dictionnaire. De sorte que c’était une assez bonne façon de
faire comme ceux qui auraient pu m’aider à ce moment-là à faire ma trace, de les
dériver. La grammaire et la répétition, c’est un tout autre versant
que celui que j’épinglais tout à l’heure de l’invention, qui n’est pas rien sans doute,
ni la persuasion non plus.

Contrairement à ce qui est - je ne sais pourquoi - encore très répandu, le versant


utile dans la fonction de « Lalangue »,
le versant utile pour nous psychanalystes, pour ceux qui ont affaire à
l’inconscient, c’est la logique.
Ceci est une petite parenthèse qui se raccorde à ce qu’il y a de risque de perte dans
cette promotion absolument improvisée et mythique, à laquelle je n’ai vraiment
prêté nulle occasion qu’on fasse erreur, celle qui se propulse du non-savoir.
Est-ce qu’il y a besoin de démontrer qu’il y a dans la psychanalyse - fondamental
et premier - le savoir.
C’est ce qu’il va me falloir vous démontrer.

Approchons-le par un bout, ce caractère premier massif, la primauté de ce savoir


dans la psychanalyse. Faut-il vous rappeler que quand Freud essaie de rendre
compte des difficultés qu’il y a dans le frayage de la psychanalyse...
un article de 1917 dans Imago, si mon souvenir est bon, et en tout cas
qui a été traduit,
il est paru dans le 1er numéro de l’International journal of Psychoanalysis :
« Une difficulté sur la voie de la Psychanalyse », comme cela que ça s’intitule
...c’est que le savoir dont il s’agit, ben il passe pas aisément comme ça.

Freud l’explique comme il peut, et c’est même comme ça qu’il prête à malentendu
- c’est pas de hasard - ce fameux terme de « résistance » dont je crois être arrivé au
moins dans une certaine zone, qu’on ne nous en rebatte plus les oreilles, mais il
est certain qu’il y en a une où - je n’en doute pas - il fleurit toujours ce fameux
terme de « résistance »
qui est évidemment pour lui d’une appréhension permanente.

Et alors je dois dire - pourquoi ne pas oser le dire - que nous avons tous nos
glissements, c’est surtout les « résistances » qui favorisent les glissements. On en
découvrira dans quelques temps dans ce que j’ai dit, mais après tout, c’est pas si
sûr.
Enfin bref, il tombe dans un travers, Freud.

Il pense que contre la résistance il n’y a qu’une chose à faire, c’est la révolution.
372
Et alors, il se trouve masquer complètement ce dont il s’agit, à savoir la difficulté
très spécifique
qu’il y a à faire entrer en jeu une certaine fonction du savoir.

Il le confond avec « le faire », ce qui est épinglé de « révolution dans le savoir ». C’est là
dans ce petit article...
il le reprendra ensuite dans « Malaise dans la civilisation »
...qu’il y a le premier grand morceau sur la révolution copernicienne.

C’était un bateau du savoir universitaire de l’époque. Copernic - pauvre Copernic


! - avait fait la révolution.
C’était lui - qu’on dit dans les manuels - qu’avait remis le soleil au centre et la
Terre à tourner autour.
Il est tout à fait clair que malgré le schéma qui montre bien ça en effet dans « De
revolutionnibus etc. »,
Copernic là-dessus n’avait strictement aucun parti pris et personne n’eût songé à
lui là-dessus chercher noise.

Mais c’est un fait en effet, que nous sommes passés du géo à l’héliocentrisme et que
ceci est censé avoir porté un coup,
un « blow » comme on s’exprime dans le texte anglais, à je ne sais quel prétendu
narcissisme cosmologique.
Le deuxième « blow », qui lui est biologique, Freud nous l’évoque au niveau de
Darwin sous prétexte que,
comme pour ce qui est de la terre, les gens ont mis un certain temps à se remettre
de la nouvelle annonce :
celle qui mettait l’homme en relation de cousinage avec les primates modernes.

Et Freud explique « résistance » à la psychanalyse par ceci : c’est que ce qui est
atteint, c’est à proprement parler
cette consistance du savoir qui fait que quand on sait quelque chose, le minimum
qu’on en puisse dire,
c’est qu’on sait qu’on le sait. Laissons ce qu’il évoque à ce propos, car c’est là l’os,
ce qu’il ajoute, à savoir la peinturlure en forme de moi qui est faite là autour, c’est
à savoir que celui qui sait qu’il sait,
ben c’est « moi ». Il est clair que cette référence au moi est seconde par rapport à
ceci :
– qu’un savoir se sait,
– et que la nouveauté c’est que ce que la psychanalyse révèle c’est un savoir insu
à lui-même.
373
Mais je vous le demande, qu’est-ce qu’il y aurait là de nouveau, voire de nature à
provoquer la résistance,
si ce savoir était de nature de tout un monde - animal précisément - où personne
ne songe à s’étonner
qu’en gros l’animal sache ce qu’il lui faut, à savoir que si c’est un animal à vie
terrestre,
il ne s’en va pas plonger dans l’eau plus d’un temps limité : il sait que ça ne lui
vaut rien.

Si l’inconscient est quelque chose de surprenant, c’est que ce savoir c’est autre chose :
c’est ce savoir dont nous avons l’idée, combien d’ailleurs peu fondée depuis
toujours, puisque c’est pas pour rien qu’on a évoqué l’inspiration, l’enthousiasme,
ceci depuis toujours, c’est à savoir que le savoir insu dont il s’agit dans la
psychanalyse, c’est un savoir qui bel et bien s’articule, est structuré comme un langage. En
sorte qu’ici, la révolution si je puis dire, mise en avant par Freud,
tend à masquer ce dont il s’agit : c’est que ce quelque chose qui ne passe pas,
révolution ou pas,
c’est une subversion qui se produit - où ? - dans la fonction, dans la structure du savoir.

Et c’est ça qui ne passe pas, parce qu’à la vérité la révolution cosmologique, on


peut vraiment pas dire,
mis à part le dérangement que ça donnait à quelques Docteurs de l’Église, que ce
soit quelque chose qui d’aucune façon
soit de nature à ce que l’homme, comme on dit, s’en sente d’aucune façon
humilié.

C’est pourquoi l’emploi du terme de révolution est aussi peu convainquant,


car le fait même qu’il y ait eu sur ce point révolution, est plutôt exaltant pour ce qui
est du narcissisme.
Il en est tout à fait de même pour ce qui est du darwinisme : il n’y a pas de
doctrine qui mette plus haut
la production humaine que l’évolutionnisme, il faut bien le dire. Dans un cas comme
dans l’autre, cosmologique ou biologique, toutes ces révolutions n’en laissent pas
moins l’homme à la place de la fleur de la création.

C’est pourquoi on peut dire que cette référence est véritablement mal inspirée.
C’est peut-être elle qui est faite justement pour masquer, pour faire passer ce dont
il s’agit,
374
à savoir que ce savoir, ce nouveau statut du savoir, c’est cela qui doit entraîner un tout
nouveau type de discours,
lequel n’est pas facile à tenir et - jusqu’à un certain point - n’a pas encore
commencé.

L’inconscient - ai-je dit - est structuré comme un langage, un langage lequel ? Et pourquoi
ai-je dit un langage ?
Parce qu’en fait de langage, nous commençons d’en connaître un bout :
– on parle de langage-objet dans la logique, mathématique ou pas,
– on parle de métalangage,
– on parle même de langage depuis quelque temps au niveau de la biologie,
– on parle de langage à tort et à travers,

Pour commencer, je dis que si je parle de langage c’est parce qu’il s’agit de traits
communs à se rencontrer dans lalangue,
lalangue étant elle-même sujette à une très grande variété, il y a pourtant des
constantes.
Le langage dont il s’agit, comme j’ai pris le temps, le soin, la peine et la patiente
de l’articuler,
c’est le langage où l’on peut distinguer le code, du message, entre autres.

Sans cette distinction minimale, il n’y a pas de place pour la parole.


C’est pourquoi quand j’introduis ces termes, je les intitule de « Fonction et champ de
la parole...
pour la parole, c’est la fonction
...et du langage...
pour le langage, c’est le champ.

La parole définit la place de ce qu’on appelle la vérité.


Ce que je marque dès son entrée, pour l’usage que j’en veux faire, c’est sa structure
de fiction, c’est-à-dire aussi bien de mensonge.

À la vérité, c’est le cas de le dire, la vérité ne dit la vérité - pas à moitié ! - que dans
un cas : c’est quand elle dit « je mens ». C’est le seul cas où l’on est sûr qu’elle ne
ment pas, parce qu’elle est supposée le savoir.
Mais Autrement, c’est à dire Autrement avec un grand A, il est bien possible qu’elle
dise tout de même la vérité sans le savoir.

C’est ce que j’ai essayé de marquer de mon grand S, parenthèse du grand A


précisément, et barré : S(A).
375
Ça au moins,ça vous pouvez pas dire que c’est pas en tout cas un savoir...
pour ceux qui me suivent
...qui ne soit pas à ce qu’il faille en tenir compte pour se guider, fût-ce à la petite
semaine.
C’est le 1er point de « l’inconscient structuré comme un langage ».

Le 2ème, vous ne m’avez pas attendu - je parle aux psychanalystes - vous ne


m’avez pas attendu pour le savoir
puisque c’est le principe même de ce que vous faites dès que vous interprétez.
Il n’y a pas une interprétation qui ne concerne - quoi ? - le lien de ce qui, dans ce
que vous entendez,
se manifeste de parole, le lien de ceci à la jouissance.

Il se peut que vous le fassiez en quelque sorte innocemment, à savoir sans vous
être jamais aperçu
qu’il n’y a pas une interprétation qui veuille jamais dire autre chose, mais enfin
une interprétation analytique
c’est toujours ça : que le bénéfice soit secondaire ou primaire, le bénéfice est de
jouissance.

Et ça, il est tout à fait clair que la chose a émergé sous la plume de Freud, pas
tout de suite car il y a une étape,
il y a le principe du plaisir, mais enfin il est clair qu’un jour ce qui l’a frappé, c’est
que quoi qu’on fasse,
innocent ou pas, ce qui se formule...
de ce jeu, une vérité s’énonce
...ce qui se formule quoi qu’on y fasse, est quelque chose qui se répète.

« L’instance - ai-je dit - de la lettre », et si j’emploie « instance » c’est, comme pour


tous les emplois que je fais des mots,
non sans raison, c’est qu’instance
– résonne aussi bien : au niveau de la juridiction,
– il résonne aussi au niveau de l’insistance, où il fait surgir ce module que j’ai
défini de l’instant, au niveau d’une
certaine logique.

Cette répétition, c’est là que Freud découvre « l’Au-delà du principe du plaisir ».


Seulement voilà, s’il y a un au-delà, ne parlons plus du « principe », parce qu’un
principe où il y a un au-delà,

376
c’est plus un principe, et laissons de côté du même coup le principe de réalité. Tout
ça est très clairement à revoir.

Il n’y a tout de même pas 2 classes d’êtres parlants :


– ceux qui se gouvernent selon le principe du plaisir et le principe de réalité,
– et ceux qui sont Au-delà du principe du plaisir, surtout que comme on dit -
c’est le cas de le dire - cliniquement ce sont bien les
mêmes.

Le processus primaire s’explique dans un premier temps par cette approximation


qu’est l’opposition, la bipolarité
principe du plaisir - principe de réalité.
Il faut bien le dire, cette ébauche est intenable et seulement faite pour faire gober
ce qu’elles peuvent
aux oreilles contemporaines de ces premiers énoncés, qui sont...
je ne veux pas abuser de ce terme
...des oreilles bourgeoises, à savoir qui n’ont absolument pas la moindre idée de ce
que c’est que le principe du plaisir.

Le principe du plaisir est une référence de la morale antique :


dans la morale antique, le plaisir, qui consiste précisément à en faire le moins
possible « otium cum dignitate »,
c’est une ascèse dont on peut dire qu’elle rejoint celle des pourceaux, mais c’est pas
du tout dans le sens où l’on l’entend.

Le mot « pourceau » ne signifiait pas dans l’Antiquité, être cochon, ça voulait dire
que ça confinait à la sagesse de l’animal. C’était une appréciation, une touche, une
note, donnée de l’extérieur par des gens qui ne comprenaient pas
de quoi il s’agissait, à savoir du dernier raffinement de la morale du Maître.

Qu’est-ce que ça peut bien avoir à faire avec l’idée que le bourgeois se fait du
plaisir,
et d’ailleurs, il faut bien le dire, de la réalité ?

Quoi qu’il en soit - c’est le 3ème point - ce qui résulte de l’insistance avec laquelle
l’inconscient nous livre ce qu’il formule, c’est que si d’un côté notre
interprétation n’a jamais que le sens de faire remarquer ce que le sujet y trouve,
qu’est-ce qu’il y trouve ? Rien qui ne doive se cataloguer du registre de la
jouissance. C’est le 3ème point.

377
4ème point : où est-ce que ça gîte, la jouissance ? Qu’est ce qu’il y faut ?
Un corps ! Pour jouir, il faut un corps.
Même ceux qui font promesse des béatitudes éternelles ne peuvent le faire
qu’à supposer que le corps s’y véhicule : glorieux ou pas, il doit y être.
Faut un corps. Pourquoi ?

Parce que la dimension de la jouissance, pour le corps, c’est la dimension de la


descente vers la mort.
C’est d’ailleurs très précisément en quoi le principe du plaisir dans Freud annonce
qu’il savait bien, dès ce moment-là,
ce qu’il disait, car si vous le lisez avec soin, vous y verrez que le principe du plaisir
n’a rien à faire avec l’hédonisme,
même s’il nous est légué de la plus ancienne tradition, il est en vérité le principe du
déplaisir.
Il est le principe du déplaisir, c’est au point qu’à l’énoncer à tout instant, Freud
dérape.

« Le plaisir en quoi consiste-t-il ? », nous dit-il, c’est à abaisser la tension. Mais qu’est
ce que c’est que cette tension, si ce n’est le principe même de
tout ce qui a le nom de jouissance, de quoi jouir, sinon qu’il se produise une
tension ?

C’est bien en quoi, alors que Freud est sur le chemin du « Jenseits », de l’Au-delà du
principe du plaisir,
qu’est-ce qu’il nous énonce dans Malaise dans la civilisation, sinon que très
probablement,
bien au-delà de la répression dite sociale, il doit y avoir une répression - il l’écrit
textuellement - organique.

Il est curieux, il est dommage qu’il faille se donner tant de peine pour des choses
dites avec tant d’évidence,
et pour faire percevoir ceci : c’est que la dimension dont l’être parlant se distingue
de l’animal,
c’est assurément qu’il y a en lui cette béance par où il se perdait, par où il lui est permis
d’opérer sur le ou les corps...
que ce soit le sien ou celui de ses semblables, ou celui des animaux qui
l’entourent,
...pour en faire surgir, à leur ou à son bénéfice, ce qui s’appelle à proprement
parler la jouissance.

378
Il est assurément plus étrange que les cheminements que je viens de souligner...
ceux qui vont de cette description sophistiquée du principe du plaisir
à la reconnaissance ouverte de ce qu’il en est de la jouissance fondamentale
...il est plus étrange de voir que Freud, à ce niveau, croit devoir recourir à quelque
chose qu’il désigne de l’instinct de mort.

Non que ce soit faux, seulement le dire ainsi, de cette façon tellement savante,
c’est justement ce que les savants qu’il a engendrés sous le nom de psychanalystes
ne peuvent absolument pas avaler.

Cette longue cogitation, cette rumination autour de l’instinct de mort, qui est ce qui
caractérise, on peut le dire, enfin, l’ensemble de l’institution psychanalytique
internationale, cette façon qu’elle a de se cliver, de se partager, de se répartir :
— admet-elle, n’admet-elle pas,
— « là, je m’arrête, je ne le suis pas jusque là... »
...ces interminables dédales autour de ce terme qui semble choisi pour donner
l’illusion que dans ce champ
quelque chose a été découvert qu’on puisse dire analogue à ce qu’en logique on
appelle paradoxe,
il est étonnant que Freud, avec le chemin qu’il avait déjà frayé, n’ait pas cru devoir
le pointer purement et simplement.

La jouissance qui est vraiment, dans l’ordre de l’érotologie, à la portée de n’importe


qui - il est vrai qu’à cette époque les publications du marquis de Sade étaient
moins répandues, c’est bien pourquoi j’ai cru devoir, histoire de prendre date,
marquer quelque part dans mes Écrits la relation de « Kant avec Sade ». Si à
procéder ainsi pourtant, je pense tout de même qu’il y a une réponse, il n’est pas
forcé que pour lui, plus que pour aucun d’entre nous, il ait su tout ce qu’il disait.

Mais au lieu de raconter des bagatelles autour de l’instinct de mort primitif...


– venu de l’extérieur ou venu de l’intérieur,
– ou se retournant de l’extérieur sur l’intérieur,
– et engendrant sur le tard, enfin se rejetant sur l’agressivité et la bagarre,
...on aurait peut-être pu lire ceci dans l’instinct de mort de Freud, qui porte peut-être
à dire que le seul acte somme toute,
s’il y en a un, qui serait un acte achevé...
entendez bien que je parle, comme l’année dernière je parlais « D’un
discours qui ne serait pas du semblant » dans un cas comme dans l’autre il
n’y en a pas, ni de discours ni d’acte tel
379
...cela donc serait, s’il pouvait être, le suicide.

C’est ce que Freud nous dit.


Il nous le dit pas comme ça, en cru, en clair, comme on peut le dire maintenant,
maintenant que la doctrine a un tout petit peu frayé sa voie et qu’on sait qu’il n’y
a d’acte que raté
et que c’est même la seule condition d’un semblant de réussir.

C’est bien en quoi le suicide mérite objection : c’est qu’on n’a pas besoin que ça
reste une tentative
pour que ce soit de toute façon raté, complètement raté du point de vue de la
jouissance.
Peut-être que les bouddhistes, avec leurs bidons d’essence - car ils sont à la page

on n’en sait rien car ils ne reviennent pas porter témoignage.

C’est un joli texte, le texte de Freud.


C’est pas pour rien s’il nous ramène le soma et le germen.
Il sent, il flaire que c’est là qu’il y a quelque chose à approfondir.

Oui, ce qu’il y a à approfondir, c’est le 5ème point que j’ai énoncé cette année dans
mon séminaire et qui s’énonce ainsi :

« il n’y a pas de rapport sexuel ».

Bien entendu, ça paraît comme ça un peu zinzin, un peu éffloupi.


Suffirait de baiser un bon coup pour me démontrer le contraire.

Malheureusement c’est la seule chose qui ne démontre absolument rien de pareil


parce que la notion de rapport
ne coïncide pas tout à fait avec l’usage métaphorique que l’on fait de ce mot tout
court « rapport » :
ils ont eu des rapports, c’est pas tout à fait ça.

On peut sérieusement parler de rapport non seulement quand l’établit un discours, mais
quand on l’énonce, le rapport.
Parce que c’est vrai que le réel est là avant que nous le pensions, mais le rapport
c’est beaucoup plus douteux :
non seulement il faut le penser, mais il faut l’écrire. Si vous êtes pas foutus de
l’écrire, il n’y a pas de rapport.
380
Ce serait peut-être très remarquable s’il s’avérait, assez longtemps pour que ça
commence à s’élucider un peu,
qu’il est impossible de l’écrire ce qu’il en serait du rapport sexuel.
La chose a de l’importance parce que justement nous sommes, par le progrès de
ce qu’on appelle « la science »,
en train de pousser très loin un tas de menues affaires qui se situent au niveau du
gamète, au niveau du gène,
au niveau d’un certain nombre de choix, de tris, qu’on appelle comme on veut,
méiose ou autre,
et qui semblent bien élucider quelque chose, quelque chose qui se passe au niveau
du fait que la reproduction,
au moins dans une certaine zone de la vie, est sexuée.

Seulement ça n’a pas absolument rien à faire avec ce qu’il en est du rapport
sexuel, pour autant qu’il est très certain que, chez l’être parlant, il y a autour de ce
rapport, en tant que fondé sur la jouissance, un éventail tout à fait admirable
en son étalement et que deux choses en ont été, par Freud - par Freud et le
discours analytique - mises en évidence,
c’est toute la gamme de la jouissance, je veux dire tout ce qu’on peut faire à
convenablement traiter un corps, voire son corps, tout cela à quelque degré participe
de la jouissance sexuelle.

Seulement la jouissance sexuelle elle-même, quand vous voulez mettre la main


dessus, si je puis m’exprimer ainsi,
elle n’est plus sexuelle du tout, elle se perd.

Et c’est là qu’entre en jeu tout ce qui s’édifie du terme de Phallus qui est bien là ce
qui désigne un certain signifié,
un signifié d’un certain signifiant parfaitement évanouissant,
car pour ce qui est de définir ce qu’il en est de l’homme ou de la femme, ce que la
psychanalyse nous montre,
c’est très précisément que c’est impossible et que jusqu’à un certain degré, rien
n’indique spécialement que ce soit
vers le partenaire de l’autre sexe que doive se diriger la jouissance, si la jouissance
est considérée, même un instant,
comme le guide de ce qu’il en est de la fonction de reproduction.

Nous nous trouvons là devant l’éclatement de la, disons notion de sexualité.


La sexualité est au centre, sans aucun doute, de tout ce qui se passe dans
l’inconscient.
381
Mais elle est au centre en ceci qu’elle est un manque.

C’est-à-dire qu’à la place de quoi que ce soit qui pourrait s’écrire du rapport
sexuel comme tel,
se substituent les impasses qui sont celles qu’engendre la fonction de la jouissance
précisément sexuelle,
en tant qu’elle apparaît comme cette sorte de point de mirage,
dont quelque part Freud lui-même donne la note comme de la jouissance
absolue.

Et c’est si près que précisément elle ne l’est pas, absolue. Elle ne l’est dans aucun
sens,
d’abord parce que comme telle elle est vouée à ces différentes formes d’échec que
constituent
– la castration pour la jouissance masculine,
– la division pour ce qu’il en est de la jouissance féminine,
et que d’autre part, ce à quoi la jouissance mène n’a strictement rien à faire avec la
copulation,
pour autant que celle-ci est, disons le mode usuel - ça changera - par où se fait
dans l’espèce de l’être parlant, la reproduction.

En d’autres termes :

– il y a une thèse : « il n’y a pas de rapport sexuel » c’est de l’être parlant que je
parle.

– Il y a une antithèse qui est la reproduction de la vie. C’est un thème bien connu.
C’est l’actuel drapeau de l’Église catholique, en quoi il faut
saluer son courage. L’Église catholique affirme qu’il y a un rapport sexuel :
c’est celui qui aboutit à faire de petits enfants. C’est une affirmation qui est
tout à fait tenable, simplement elle est
indémontrable. Aucun discours ne peut la soutenir, sauf le discours
religieux, en tant qu’il définit la stricte
séparation qu’il y a entre la vérité et le savoir.

– Et troisièmement, il n’y a pas de synthèse, à moins que vous n’appeliez


« synthèse » cette remarque qu’il
n’y a de jouissance que de mourir.

382
Tels sont les points de vérité et de savoir dont il importe de scander ce qu’il en est
du savoir du psychanalyste,
à ceci près qu’il n’y a pas un seul psychanalyste pour qui ce ne soit lettre morte.
Pour la synthèse, on peut se fier à eux pour en soutenir les termes et les voir tout
à fait ailleurs que dans l’instinct de mort. Chassez le naturel - comme on dit, n’est ce
pas - il revient au galop.

Il conviendrait tout de même de donner son vrai sens à cette vieille formule
proverbiale.
Le naturel, parlons-en, c’est bien de ça qu’il s’agit.
Le naturel, c’est tout ce qui s’habille de la livrée du savoir - et Dieu sait que ça ne
manque pas -
et un discours qui est fait uniquement pour que le savoir fasse « livrée », c’est le
discours universitaire.
Il est tout à fait clair que l’habillement dont il s’agit, c’est l’idée de la nature.
Elle n’est pas prête de disparaître du devant de la scène.

Non pas que j’essaie de lui en substituer une autre.


Ne vous imaginez pas que je suis de ceux qui opposent la culture à la nature.
D’abord ne serait-ce que parce que la nature, c’est précisément un fruit de la
culture.

Mais enfin ce rapport le savoir/la vérité ou comme vous voudrez : la vérité/le savoir,
c’est quelque chose à quoi nous n’avons même pas commencé d’avoir le plus
petit commencement d’adhésion,
comme de ce qu’il en est de la médecine, de la psychiatrie et d’un tas d’autres
problèmes.

Nous allons être submergés avant pas longtemps, avant 4-5 ans,
– de tous les problèmes ségrégatifs qu’on intitulera ou qu’on fustigera du terme
de « racisme »,
– tous les problèmes qui sont précisément ceux qui vont consister à ce qu’on
appelle simplement le contrôle de ce qui se
passe au niveau de la reproduction de la vie,
chez des êtres qui se trouvent - en raison de ce qu’ils parlent - avoir toutes
sortes de problèmes de conscience.

Ce qu’il y a d’absolument inouï, c’est qu’on ne se soit pas encore aperçu


que les problèmes de conscience sont des problèmes de jouissance.
Mais enfin, on commence seulement à pouvoir les dire.
383
Il n’est pas sûr du tout que ça ait la moindre conséquence, puisque nous savons
en effet
que l’interprétation ça demande pour être reçue, ce que j’appelais, en commençant,
du travail.
Le savoir lui, est de l’ordre de la jouissance. On ne voit absolument pas pourquoi il
changerait de lit.

Ce que les gens attendent, dénoncent du titre d’intellectualisation, ça veut


simplement dire ceci qu’ils sont habitués
par expérience à s’apercevoir qu’il n’est nullement nécessaire, il n’est nullement
suffisant,
de comprendre quelque chose pour que quoi que ce soit change.

La question du savoir du psychanalyste n’est pas du tout que ça s’articule ou pas,


la question est de savoir à quelle place il faut être pour le soutenir.

C’est évidemment là-dessus que j’essaierai d’indiquer quelque chose


dont je ne sais pas si j’arriverai à lui donner une formulation qui soit transmissible.
J’essaierai pourtant.

La question est de savoir dans quelle mesure ce que la science...


la science à laquelle la psychanalyse, actuellement tout autant qu’au
temps de Freud
ne peut rien faire de plus que faire cortège,
...ce que la science peut atteindre qui relève du terme de réel.

Le symbolique, l’Imaginaire et le Réel.


Il est très clair que la puissance du Symbolique n’a pas à être démontrée.
C’est la puissance même. Il n’y a aucune trace de puissance dans le monde avant
l’apparition du langage.

Ce qu’il y a de frappant dans ce que Freud esquisse de l’avant Copernic,


c’est qu’il s’imagine que l’homme était tout heureux d’être au centre de l’univers
et qu’il s’en croyait le roi.
C’est vraiment une illusion absolument fabuleuse !

S’il y a quelque chose dont il prenait l’idée dans les sphères éternelles, c’était
précisément que là était le dernier mot du savoir. Ce qui sait, dans le monde,
quelque chose -
384
il faut du temps pour que ça passe
...ce sont les sphères éthérées : elles savent. C’est bien en quoi le savoir est associé dès
l’origine à l’idée du pouvoir.

Et dans cette petite annonce qu’il y a au dos du gros paquet de mes Écrits, vous le
voyez...
parce que - pourquoi ne pas l’avouer - c’est moi qui l’ai écrite, cette petite
note.
Qui d’autre que moi aurait pu le faire, on reconnaît mon style, ben c’est pas
mal écrit !
...j’invoque les Lumières.

Il est tout à fait clair que les Lumières ont mis un certain temps à s’élucider.
Dans un premier temps, elles ont bien raté leur coup.
Mais enfin, comme l’Enfer, elles étaient pavées de bonnes intentions.
Contrairement à tout ce qu’on en a pu dire,
les Lumières avaient pour but d’énoncer un savoir qui ne fût hommage à aucun
pouvoir.

Seulement, on a bien le regret de devoir constater que ceux qui se sont employés
à cet office étaient un peu trop
dans des positions de valets par rapport à un certain type...
je dois dire assez heureux et florissant
...de maîtres, les nobles de l’époque, pour qu’ils aient pu d’aucune façon aboutir à
autre chose
qu’à cette fameuse Révolution française qui a eu le résultat que vous savez,
à savoir l’instauration d’une race de maîtres plus féroces que tout ce qu’on avait vu
jusque là à l’œuvre.

Un savoir qui n’en peut mais, le savoir de l’impuissance voilà ce que le


psychanalyste...
dans une certaine perspective, une perspective que je ne qualifierai pas
de progression
...voilà ce que le psychanalyste pourrait véhiculer.

Et pour vous donner le ton de la trace dans laquelle cette année j’espère
poursuivre mon discours,
je vais vous donner le titre, la primeur...
pourléchez-vous les babines

385
...je vais vous donner le titre du séminaire que je vais donner, à la même place que
l’année dernière,
cela par la grâce de quelques personnes qui ont bien voulu s’employer à nous la
préserver.

Ça s’écrit comme ça, d’abord avant de le prononcer :


— ça c’est un O,
— et ça un U,
— … trois points, vous mettrez ce que vous voudrez, comme ça je vais le livrer à
votre méditation.

Ce ou, c’est le ou qu’on appelle vel ou aut en latin : « ...Ou pire ».

386
Jeudi 02 Décembre 1971
« Entretiens de Sainte-Anne » Table
des matières

Ce que je fais avec vous ce soir, ce n’est évidemment pas...


pas plus ça ne le sera, que ça ne l’a été la dernière fois
...ce n’est évidemment pas ce que je me suis proposé, cette année, de donner
comme pas suivant de mon séminaire.
Ça sera comme la dernière fois, un entretien.

Chacun sait - beaucoup l’ignorent - l’insistance que je mets auprès de ceux qui me
demandent conseil,
sur les entretiens préliminaires dans l’analyse.
Ça a une fonction bien sûr, pour l’analyse, essentielle.
Il n’y a pas d’entrée possible dans l’analyse sans entretiens préliminaires.

Mais il y a quelque chose qui en approche sur le rapport entre ces entretiens et ce
que je vais vous dire cette année,
à ceci près que ça ne peut absolument pas être le même, étant donné que comme
c’est moi qui parle,
c’est moi qui suis ici dans la position de l’analysant.

Alors ce que j’allais vous dire...


j’aurais pu prendre bien d’autres biais mais en fin de compte
c’est toujours au dernier moment que je sais ce que je choisis de dire
...et pour cet entretien d’aujourd’hui, l’occasion m’a semblée propice d’une
question qui m’a été posée hier soir
par quelqu’un de mon École.

C’est une des personnes qui prennent un peu à cœur leur position et qui m’a posé
la question suivante
qui a, bien sûr, à mes yeux l’avantage de me faire entrer tout de suite dans le vif
du sujet.
Chacun sait que ça m’arrive rarement, j’approche à pas prudents.

387
La question qui m’a été posée est la suivante : « L’incompréhension de Lacan est-elle un
symptôme ? »

Je la répète donc textuellement.


C’est une personne à qui en l’occasion je pardonne aisément pour avoir mis mon
nom...
ce qui s’explique puisqu’elle était en face de moi
...à la place de ce qui eût convenu, à savoir de « mon discours ».

Vous voyez que je ne me dérobe pas, je l’appelle « mon ».


Nous verrons tout à l’heure si ce mon mérite d’être maintenu. Qu’importe.
L’essentiel de cette question était dans ce sur quoi elle porte, à savoir si
l’incompréhension de ce dont il s’agit,
que vous l’appeliez d’une façon ou d’une autre, est un symptôme.

Je ne le pense pas. Je ne le pense pas, d’abord parce que, en un sens, on ne peut


pas dire que quelque chose...
qui a quand même un certain rapport avec mon discours,
qui ne se confond pas, qui est ce qu’on pourrait appeler ma parole,
...on ne peut pas dire quelle soit absolument incomprise, on peut dire, à un niveau
précis, que votre nombre en est la preuve.
Si ma parole était incompréhensible, je ne vois pas bien ce que, en nombre, vous
feriez là.

D’autant plus qu’après tout ce nombre est fait en grande partie de gens qui
reviennent et puis que, comme ça,
au niveau d’un échantillonnage qui me parvient quand même, il arrive que des
personnes qui s’expriment de cette façon qu’elles ne comprennent pas toujours
bien ou tout au moins qu’elles n’ont pas le sentiment de comprendre...
pour reprendre enfin un des derniers témoignages
que j’en ai reçus, de la façon dont chacun exprime ça
...eh bien, malgré ce sentiment un peu « de ne pas y être », il n’empêche...
me disait-on dans le dernier témoignage
...que ça l’aidait, la personne en question à se retrouver dans ses propres idées, à
s’éclaircir, à s’éclaircir elle-même
sur un certain nombre de points.

On ne peut pas dire qu’au moins pour ce qui en est de ma parole...


qui est bien évidemment à distinguer du discours nous allons tâcher de
voir en quoi
388
...il n’y a pas à proprement parler ce qu’on appelle incompréhension. Je souligne
tout de suite que cette parole est une parole d’enseignement. L’enseignement donc, en
l’occasion je le distingue du discours.

Comme je parle ici à Sainte-Anne...


et peut-être à travers ce que j’ai dit la dernière fois on peut sentir ce
que ça signifie pour moi
...j’ai choisi de prendre les choses au niveau, disons de ce qu’on appelle
l’élémentaire.
C’est complètement arbitraire, mais c’est un choix.

Quand j’ai été à la Société de Philosophie faire une communication sur ce que
j’appelais à l’époque mon enseignement,
j’ai pris le même parti. J’ai parlé comme en m’adressant à des gens très en retard :
ils ne le sont pas plus que vous,
mais c’est plutôt l’idée que j’ai de la philosophie qui veut ça. Et je ne suis pas le
seul.

Un de mes très bons amis qui en a fait une récente - à la Société de Philosophie - de
communication,
m’a passé un article sur le fondement des mathématiques où je lui ai fait observer
que son article était d’un niveau
dix fois ou vingt fois plus élevé que ce qu’il avait dit à la Société de Philosophie.

Il m’a dit qu’il ne fallait pas que je m’en étonne, vu les réponses qu’il en avait
obtenu.
C’est bien ce qu’il m’a prouvé aussi, parce que j’ai eu des réponses du même
ordre au même endroit,
c’est bien ce qui m’a rassuré d’avoir articulé certaines choses que vous pouvez
trouvez dans mes Écrits, au même niveau.

Il y a donc dans certains contextes un choix moins arbitraire que celui que je
soutiens ici.
Je le soutiens ici en fonction d’éléments mémoriaux qui sont liés à ceci :
c’est qu’en fin de compte, si à un certain niveau, mon discours est encore
incompris, c’est parce que,
disons pendant longtemps, il a été dans toute une zone interdit, non pas de
l’entendre...
ce qui aurait été, comme l’expérience l’a prouvé, à la portée de
beaucoup
389
...mais interdit de venir l’entendre.

C’est ce qui va nous permettre de distinguer cette incompréhension d’un certain


nombre d’autres : il y avait de l’interdit. Et que, ma foi, cet interdit soit provenu
d’une institution analytique est sûrement significatif.
Significatif veut dire quoi ?

J’ai pas du tout dit signifiant.


Il y a une grande différence entre le rapport signifiant-signifié et la signification.
La signification ça fait signe, un signe n’a rien à faire avec un signifiant.

Un signe est...
j’expose ça dans un coin, quelque part dans le dernier numéro de ce
Scilicet
...un signe est, quoi qu’on en pense, toujours le signe d’un sujet.

Qui s’adresse à quoi ? C’est également écrit dans ce Scilicet, je ne peux pas
maintenant m’y étendre, mais ce signe,
ce signe d’interdiction venait assurément de vrais sujets, dans tous les sens du
mot, de sujets qui obéissent en tout cas. Que ce soit un signe venu d’une
institution analytique est bien fait pour nous faire faire le pas suivant.

Si la question a pu m’être posée sous cette forme, c’est en fonction de ceci :


que l’incompréhension en psychanalyse est considérée comme un symptôme.
C’est reçu dans la psychanalyse, c’est - si on peut dire - généralement admis.
La chose en est au point que c’était passé dans la conscience commune.

Quand je dis que c’est généralement admis, c’est au-delà de la psychanalyse, je


veux dire de l’acte psychanalytique.
Les choses dans une certaine conscience...
il y a quelque chose qui donne le mode de la conscience commune
...en sont au point où on se dit, où on s’entend dire : « Va te faire psychanalyser »
quand… quand quoi ?
Quand la personne qui le dit, considère que votre conduite, vos propos sont,
comme dirait M. de Lapalisse, symptôme.

Je vous ferai remarquer que tout de même à ce niveau, par ce biais, « symptôme » a
le sens de « valeur de vérité ».

390
C’est en quoi ce qui est passé dans la conscience commune est plus précis que
l’idée qu’arrivent à avoir - hélas - beaucoup de psychanalystes. Disons qu’il y en a
trop peu à savoir l’équivalence de « symptôme » avec « valeur de vérité ».

C’est assez curieux, mais d’ailleurs ça a ce répondant historique, que ça démontre


que ce sens du mot symptôme
a été découvert, énoncé, avant que la psychanalyse entre en jeu. Comme je le
souligne souvent,
c’est à très proprement parler le pas essentiel fait par la pensée marxiste que cette
équivalence.
Valeur de vérité : pour traduire le symptôme en une Valeur de vérité nous devons ici
toucher du doigt, une fois de plus,
ce que suppose de savoir chez l’analyste le fait qu’il faille bien que ce soit à son
« su » qu’il interprète.

Et pour faire ici une parenthèse, simplement en passant...


ça n’est pas dans le fil de ce que j’essaie de vous faire suivre
...je dois marquer, je marque pourtant que ce savoir est à l’analyste, si je puis dire,
présupposé.

Ce que j’ai accentué du sujet supposé savoir comme fondant les phénomènes du
transfert, j’ai toujours souligné
que ça n’emporte aucune certitude chez le sujet analysant que son analyste en
sache long, bien loin de là.

Mais c’est parfaitement compatible avec le fait que soit par l’analysant envisagé
comme fort douteux le savoir de l’analyste, ce qui d’ailleurs, il faut l’ajouter, est
fréquemment le cas pour des raisons fort objectives :
les analystes somme toute n’en savent pas toujours autant qu’ils devraient pour
cette simple raison
que souvent ils ne foutent pas grand chose.

Ça ne change absolument rien au fait que le savoir est présupposé à la fonction de


l’analyste
et que c’est là-dessus que reposent les phénomènes de transfert. La parenthèse est
close.

Voici donc le symptôme avec sa traduction comme valeur de vérité. Le symptôme est valeur
de vérité et...
je vous le fais remarquer au passage
391
...la réciproque n’est pas vraie : la valeur de vérité n’est pas symptôme.

Il est bon de le remarquer en ce point pour la raison que la vérité n’est rien dont je
prétende que la fonction soit isolable. Sa fonction - et nommément là où elle
prend place : dans la parole - est relative.
Elle n’est pas séparable d’autres fonctions de la parole. Raison de plus pour que
j’insiste sur ceci :
que même à la réduire à la valeur, elle ne se confond en aucun cas avec le symptôme.

C’est autour de ce point de ce qu’est le symptôme qu’ont pivoté les premiers temps
de mon enseignement, car les analystes sur ce point étaient dans un brouillard tel
que le symptôme...
et après tout peut-être doit-on à mon enseignement que ça ne s’étale plus si
aisément
...que le symptôme s’articule - j’entends : dans la bouche des analystes - comme le
refus de la dite valeur de vérité.

Ça n’a aucun rapport avec cette équivalence à un seul sens - je viens d’y insister -
du symptôme à une valeur de vérité.
Ça fait entrer en jeu ce que j’appellerai...
ce que j’appellerai comme ça parce qu’on est entre soi et que j’ai dit
que c’était un entretien
ce que j’appellerai sans plus de forme, sans me soucier que les termes
que je vais pousser
en avant en soient déjà usités à la pointe la plus avancée de la
philosophie
...ça fait entrer en jeu l’être d’un étant.

Je dis l’être...
parce que il me semble clair, il semble acquis - depuis le temps –
que la philosophie tourne en rond sur un certain nombre de points
...je dis l’être parce qu’il s’agit de l’être parlant.

C’est d’être parlant...


excusez-moi du 1er être
...qu’il vient à l’être, enfin qu’il en a le sentiment. Naturellement il n’y vient pas,
il rate.
Mais cette dimension ouverte tout d’un coup de « l’être », on peut dire que
pendant un bon bout de temps,
elle a porté sur le système, des philosophes tout au moins.
392
Et on aurait bien tort d’ironiser, parce que si elle a porté sur le système des
philosophes,
c’est qu’ils portent sur le système de tout le monde,
et que ce qui se désigne dans cette dénonciation par les analystes de ce qu’ils
appellent « la résistance »,
ce autour de quoi j’ai fait pendant toute une étape de cet enseignement...
dont mes Écrits portent la trace,
...j’ai fait pendant tout une étape bagarre, c’est bien pour les interroger sur s’ils
savaient ce qu’ils faisaient
en faisant entrer dans l’occasion ce qu’on pourrait donc appeler ceci : que l’être de
ce sacré étant dont ils parlent...
pas tout à fait à tort et à travers, ils appellent ça « l’homme » de temps en
temps, en tout cas
on l’appelle de moins en moins [ainsi] depuis que je suis de ceux qui
font là-dessus quelques réserves
...cet être n’a pas à l’endroit de la vérité de tropisme spécial. N’en disons pas plus.

Donc il y a deux sens du symptôme : le symptôme est valeur de vérité, c’est la fonction
qui résulte de l’introduction,
à un certain temps historique - que j’ai daté suffisamment - de la notion de
symptôme.
Il ne se guérit pas le symptôme, de la même façon dans la dialectique marxiste et
dans la psychanalyse.
Dans la psychanalyse, il a affaire à quelque chose qui est la traduction en paroles
de sa valeur de vérité.

Que ceci suscite ce qui est par l’analyste ressenti comme un être de refus,
ne permet nullement de trancher si ce sentiment mérite d’aucune façon d’être
retenu,
puisque aussi bien dans d’autres registres, celui précisément que j’ai évoqué tout à
l’heure,
c’est à de tout autres procédés que doit céder le symptôme.

Je ne suis pas en train de donner à aucun de ces procédés la préférence et ceci


d’autant moins
que ce que je veux vous faire entendre, c’est qu’il y a une autre dialectique que
celle qu’on impute à l’histoire.

Entre les questions :


393
– « l’incompréhension psychanalytique est-elle un symptôme ? »,
– et « l’incompréhension de Lacan est-elle un symptôme ? »,
j’en placerai une 3ème :

– « L’incompréhension mathématique...
c’est quelque chose qui se désigne, il y a des gens - et même des jeunes
gens, parce que ça n’a d’intérêt
qu’auprès des jeunes gens - pour qui cette dimension de
l’incompréhension mathématique, ça existe
...est-elle un symptôme ? ».

Il est certain que quand on s’intéresse à ces sujets qui manifestent


l’incompréhension mathématique,
assez répandue encore à notre temps, on a le sentiment...
j’ai employé le mot sentiment tout à fait comme tout à l’heure,
pour ce dont les analystes ont fait la résistance
...on a le sentiment qu’elle provient, chez le sujet en proie à l’incompréhension
mathématique,
de quelque chose qui est comme une insatisfaction, un décalage,
quelque chose d’éprouvé dans le maniement précisément de la valeur de vérité.

Les sujets en proie à l’incompréhension mathématique attendent plus de la vérité que la


réduction à ces valeurs qu’on appelle...
au moins dans les premiers pas de la mathématique
...des valeurs déductives. Les articulations dites démonstratives leur paraissent
manquer de quelque chose
qui est précisément au niveau d’une exigence de vérité.

Cette bivalence : vrai ou faux, sûrement - et disons-le : non sans raisons - les laisse
en déroute, et jusqu’à un certain point on peut dire qu’il y a une certaine distance
de la vérité à ce que nous pouvons appeler dans l’occasion le chiffre.
Le chiffre ce n’est rien d’autre que l’écrit, l’écrit de sa valeur.

Que la bivalence s’exprime selon les cas par 0 et 1 ou par V et F, le résultat est le
même.
Le résultat est le même en raison de quelque chose qui est exigé ou paraît exigible
chez certains sujets,
dont vous avez pu voir ou entendre que tout à l’heure je n’ai pas parlé, que ce soit
d’aucune façon un contenu.

394
Au nom de quoi l’appellerait-on de ce terme, puisque contenu ne veut rien dire tant
qu’on ne peut pas dire de quoi il s’agit ?
Une vérité n’a pas de contenu, une vérité qu’on dit une : elle est vérité ou bien elle
est semblant, distinction qui n’a rien
à faire avec l’opposition du vrai et du faux, car si elle est semblant, elle est semblant
de vérité précisément,
et ce dont procède l’incompréhension mathématique, c’est que justement la
question se pose
de savoir si vérité ou semblant, ce n’est pas...
permettez moi de le dire, je le reprendrai plus savamment dans un
autre contexte
...ce n’est pas tout un.

En tout cas sur ce point, ce n’est certainement pas l’élaboration logicienne qui
s’est faite des mathématiques
qui ici viendra s’opposer, car si vous lisez en n’importe quel point de ses textes
M. Bertrand Russell,
qui d’ailleurs a pris soin de le dire en propres termes :

« La mathématique c’est très précisément ce qui s’occupe d’énoncés dont il est impossible
de dire s’ils ont une vérité,
ni même s’ils signifient quoi que ce soit ».

[Bertrand Russell : « Mysticisme et logique », Paris, Vrin, 2007 :


« Ainsi les mathématiques peuvent être définies comme la matière dans laquelle nous ne
savons jamais de quoi nous parlons ni si ce que nous disons est vrai. »]

C’est bien une façon un peu poussée de dire que tout le soin précisément qu’il a
prodigué à la rigueur de la mise en forme de la déduction mathématique, est
quelque chose qui assurément s’adresse à tout autre chose que la vérité,
mais a une face qui n’est tout de même pas sans rapport avec elle,
sans ça il n’y aurait pas besoin de l’en séparer d’une façon si appuyée !

Il est certain que - non identique à ce qu’il en est de la mathématique - la logique,


qui s’efforce précisément de justifier l’articulation mathématique au regard de la
vérité, aboutit ou plus exactement s’affirme, s’affirme à notre époque
dans cette logique propositionnelle, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il paraît
étrange que la vérité étant posée comme valeur, comme valeur qui fait la dénotation
d’une proposition donnée, de cette proposition il est posé dans la même logique
qu’elle ne saurait engendrer qu’une autre proposition vraie. Que l’implication pour tout dire
395
y est définie de cette étrange généalogie d’où résulterait que le vrai une fois atteint
ne saurait d’aucune façon par rien de ce qu’il implique retourner au faux.

Il est tout à fait clair que, si minces que soient les chances de ce qu’une
proposition fausse...
ce qui par contre est tout à fait admis
...engendre une proposition vraie, depuis le temps qu’on propose dans cette
« aller » qu’on nous dit être « sans retour »,
il ne devrait plus depuis longtemps y avoir que des propositions vraies !

À la vérité il est singulier, il est étrange, il n’est supportable, qu’en raison de


l’existence des mathématiques,
de leur existence indépendamment de la logique, que pareil énoncé puisse même
un instant tenir.
Il y a quelque part ici une embrouille, celle qui fait qu’assurément les mathématiciens
eux-mêmes sont là-dessus si peu en repos, que tout ce qui a effectivement stimulé
cette recherche logicienne concernant les mathématiques, tout, en tous ses points,
cette recherche a procédé du sentiment que la non contradiction ne saurait d’aucune
façon suffire à fonder la vérité,
ce qui ne veut pas dire qu’elle ne soit souhaitable, voir exigible. Mais qu’elle soit
suffisante, assurément pas.

Mais ne nous avançons pas là-dessus - ce soir - plus loin puisqu’il ne s’agit que
d’un entretien introductif
à un maniement qui est précisément celui dont je me propose cette année de vous
faire suivre le chemin.
Cette embrouille autour de l’incompréhension mathématique est de nature à nous
mener à cette idée qu’ici le symptôme, l’incompréhension mathématique, c’est en somme
l’amour de la vérité - si je puis dire - pour elle-même qui le conditionne.

C’est autre chose que ce refus dont je parlais tout à l’heure, c’est même le
contraire en un point où si l’on peut dire,
on aurait réussi à en escamoter tout à fait le pathétique.
Seulement ça se passe pas comme ça au niveau d’une certaine façon d’exposer les
mathématiques,
qui pour illustrer que je l’ai faite de l’effort dit logicien, n’en est pas moins
présentée d’une façon maniable, courante,
et sans autre introduction logique, d’une façon simple et élémentaire où
l’évidence, comme on dit,
permet d’escamoter beaucoup de pas.
396
Il est curieux que...
au point, chez les jeunes, où se manifeste l’incompréhension
mathématique
...ce soit sans doute d’un certain vide senti sur ce qu’il en est du véridique de ce
qui est articulé,
que se produisent les phénomènes d’incompréhension et qu’on aurait tout à
fait tort de penser que la mathématique
c’est quelque chose qui en effet a réussi à vider tout ce qu’il en est du rapport à
la vérité, de son pathétique.

Parce qu’il n’y a pas que la mathématique élémentaire et que nous savons assez
d’histoire pour savoir la peine,
la douleur qu’a engendrées au moment de leur ex-cogitation les termes et les
fonctions du calcul infinitésimal,
pour simplement nous en tenir là.

Voire - plus tard - la régularisation, l’entérinement, la logification des mêmes


termes et des mêmes méthodes,
voire l’introduction d’un nombre de plus en plus élevé, de plus en plus élaboré de
ce qu’ilnous faut bien à ce niveau appeler mathème. Et pour savoir qu’assurément
les dits mathèmes ne comportent nullement une généalogie rétrograde,
ne comportent aucun exposé possible pour lequel il faudrait employer le terme
d’historique.

La mathématique grecque montre très bien les points où même là où elle avait la
chance, par les procédés dits d’exhaustion, d’approcher ce qu’il en est advenu au
moment de la sortie du calcul infinitésimal : elle n’y est pourtant pas parvenue,
elle n’a pas franchi le pas.

Et que s’il est aisé, à partir du calcul infinitésimal - ou pour mieux dire, de sa
réduction parfaite - de situer, de classer,
mais après coup, ce qu’il en était à la fois des procédés de démonstration de la
mathématique grecque
et aussi des impasses qui leur étaient à l’avance données comme parfaitement
repérables après coup,
s’il en est ainsi, nous voyons qu’il n’est absolument pas vrai de parler du mathème
comme de quelque chose
qui d’aucune façon serait détaché de l’exigence véridique.

397
C’est bien au cours d’innombrables débats, de débats de paroles, que le
surgissement en chaque temps de l’histoire…
et si j’ai parlé de Leibniz et de Newton implicitement, voire de ceux qui...
avec une incroyable audace dans je ne sais quel élément de rencontre ou
d’aventure
à propos de quoi le terme de « tour de force » ou de « coup de chance » s’évoque
...les ont précédés, un Isaac Barrow par exemple.
Et ceci s’est renouvelé dans un temps très proche de nous, avec l’effraction
cantorienne quand rien assurément n’est fait pour diminuer ce que j’ai appelé tout
à l’heure la dimension du pathétique, qui a pu aller chez Cantor jusqu’à la folie,
dont je ne crois pas qu’il suffise non plus de nous dire que c’était ensuite des
déceptions de carrière,
des oppositions, voire des injures que le dit Cantor recevait des universitaires
régnant à son époque,
nous n’avons pas l’habitude de trouver la folie motivée par des persécutions
objectives - assurément tout est fait pour nous faire nous interroger sur la
fonction du mathème.

L’incompréhension mathématique doit donc être autre chose que ce que j’ai
appelé cette exigence,
cette exigence qui ressortirait en quelque sorte d’un vide formel. Bien loin de là, il
n’est pas sûr,
à en juger par ce qui se passe dans l’histoire des mathématiques, que ce ne soit
pas de quelque rapport du mathème
- fût-il le plus élémentaire - avec une dimension de vérité que l’incompréhension ne
s’engendre.

Ce sont peut-être les plus sensibles qui comprennent le moins. Nous avons déjà
une espèce d’indication, de notion de ça, au niveau des dialogues - de ce qui nous en
reste, de ce que nous pouvons en présumer - des dialogues socratiques.
Il y a des gens après tout pour qui peut-être, la rencontre justement avec la vérité,
ça joue ce rôle que les dits grecs empruntaient à une métaphore, ça a le même
effet que la rencontre avec la torpille : ça les engourdit.

Je vous ferai remarquer que cette idée qui procède - je veux dire dans la
métaphore elle-même - de l’apport,
l’apport confus sans doute, mais c’est bien à ça que ça sert la métaphore, c’est à
faire surgir un sens qui en dépasse
de beaucoup les moyens : la torpille et puis celui qui la touche et qui en tombe
raide, c’est évidemment...
398
on ne le sait pas encore au moment où on fait la métaphore
...c’est évidemment la rencontre de deux champs non accordés entre eux,
« champ » étant pris au sens propre de champ magnétique.

Je vous ferai remarquer également que tout ce que nous venons de toucher et qui
aboutit au mot champ...
c’est le mot que j’ai employé quand j’ai dit : Fonction et champ de la parole
et du langage...
...le champ est constitué par ce que j’ai appelé l’autre jour avec un lapsus : « lalangue
». Ce champ considéré ainsi,
en y faisant clé de l’incompréhension comme telle, c’est précisément cela qui nous
permet d’en exclure toute psychologie.

Les champs dont il s’agit sont constitués de Réel, aussi réel que la torpille et le doigt - qui
vient de la toucher - d’un innocent.
Le mathème, ce n’est pas parce que nous y abordons par les voies du Symbolique
pour qu’il ne s’agisse pas du Réel.

La vérité en question dans la psychanalyse, c’est ce qui au moyen du langage...


j’entends par la fonction de la parole
...approche, mais dans un abord qui n’est nullement de connaissance, mais je dirai
de quelque chose comme d’induction...
au sens que ce terme a dans la constitution d’un champ
...d’induction de quelque chose qui est tout à fait réel, encore que nous n’en puissions
parler que comme de signifiant.
Je veux dire qui n’ont pas d’autre existence que celle de signifiant.

De quoi est-ce que je parle ? Eh bien, de rien d’autre que ce qu’on appelle en
langage courant des hommes et des femmes.
Nous ne savons rien de réel sur ces hommes et ces femmes comme tels, car c’est
de ça qu’il s’agit :
– il ne s’agit pas des chiens et des chiennes,
– il s’agit de ce que c’est réellement ceux qui appartiennent à chacun des sexes
à partir de l’être parlant.

Il n’y a pas là l’ombre de psychologie.


Des hommes et des femmes, c’est réel, mais nous ne sommes pas,
à leurs propos, capables d’articuler la moindre chose dans la langue qui ait le
moindre rapport avec ce Réel.

399
Si la psychanalyse ne nous apprend pas ça, mais qu’est-ce qu’elle dit ?
Parce qu’elle ne fait que ressasser !
C’est ça que j’énonce quand je dis qu’il n’y a pas de rapport sexuel pour les êtres qui
parlent.

Parce que leur parole telle qu’elle fonctionne, dépend, est conditionnée comme
parole par ceci :
que ce rapport sexuel, il lui est très précisément, comme parole, interdit d’y
fonctionner
d’aucune façon qui permette d’en rendre compte.

Je ne suis pas en train de donner à rien, dans cette corrélation, la primauté :

— je ne dis pas que la parole existe parce qu’il n’y a pas de rapport sexuel, ce
serait tout à fait absurde,

— je ne dis pas non plus qu’il n’y a pas de rapport sexuel parce que la parole
est là.
Mais il n’y a certainement pas de rapport sexuel parce que la parole fonctionne à
ce niveau qui se trouve,
de par le discours psychanalytique, être découvert comme spécifiant l’être parlant,
à savoir l’importance, la prééminence, dans tout ce qui va faire - à son niveau - du
sexe le semblant,
semblant de « bonshommes » et de « bonnes femmes », comme ça se disait après la
dernière guerre.
On ne les appelait pas autrement : les bonnes-femmes.
C’est pas tout à fait comme ça que j’en parlerai parce que je ne suis pas
existentialiste.

Quoi qu’il en soit, la constitution de par le fait que l’étant, dont nous parlions tout
à l’heure, que cet étant parle,
le fait que ce n’est que de la parole que procède ce point essentiel...
qui est tout à fait, dans l’occasion, à distinguer du rapport sexuel
...qui s’appelle la jouissance, la jouissance qu’on appelle sexuelle, et qui seule
détermine chez l’étant dont je parle
ce qu’il s’agit d’obtenir, à savoir l’accouplement.

La psychanalyse nous confronte à ceci : que tout dépend de ce point pivot qui
s’appelle la jouissance sexuelle
et qui se trouve...
400
c’est seulement les propos que nous recueillons dans l’expérience
psychanalytique
qui nous permettent de l’affirmer
...qui se trouve ne pouvoir s’articuler dans un accouplement un peu suivi, voire
même fugace,
qu’à exiger de rencontrer ceci, qui n’a dimension que de la langue et qui s’appelle
la castration.

L’opacité de ce noyau qui s’appelle jouissance sexuelle...


et dont je vous ferai remarquer que l’articulation dans ce registre à explorer
qui s’appelle la castration
ne date que de l’émergence historiquement récente du discours psychanalytique
...voilà, me semble-t-il, ce qui mérite bien qu’on s’emploie à en formuler le
mathème,
c’est-à-dire à ce que quelque chose se démontre autrement que de subi, subi dans
une sorte de secret honteux,
qui pour avoir été par la psychanalyse publié, n’en demeure pas moins aussi
honteux, aussi dépourvu d’issue.

C’est à savoir que la dimension entière de la jouissance, à savoir le rapport de cet


être parlant avec son corps,
car il n’y a pas d’autre définition possible de la jouissance, personne ne semble
s’être aperçu
que c’est à ce niveau-là qu’est la question.

Qu’est ce qui, dans l’espèce animale, jouit de son corps et comment ?


Certainement nous en avons des traces chez nos cousins les chimpanzés qui se
déparasitent l’un l’autre
avec tous les signes du plus vif intérêt. Et après ?

À quoi est-ce que tient que chez l’être parlant ce soit beaucoup plus élaboré, ce
rapport de la jouissance qu’on appelle sexuelle,
au nom de ceci qui est la découverte de la psychanalyse :
que la jouissance sexuelle émerge plus tôt que la maturité du même nom.

Ça semble suffire à faire « infantile » tout ce qu’il en est de cet éventail...


court sans doute, mais non sans variété
...des jouissances que l’on qualifie de perverses.

Que ceci soit en relation étroite avec cette curieuse énigme qui fait
401
qu’on ne saurait en agir avec ce qui semble directement lié à l’opération à quoi est
supposée viser la jouissance sexuelle,
qu’on ne saurait d’aucune façon s’engager dans cette voie dont la parole tient les
chemins sans qu’elle s’articule en castration.

Il est curieux, il est curieux que jamais, jamais avant...


je ne veux pas dire un essai, parce que comme disait Picasso
« Je ne cherche pas, je trouve, je n’essaie pas, je tranche »
...avant que j’aie tranché que le point-clé, que le point-nœud, c’était lalangue, et dans
le champ de lalangue : l’opération de la parole.

Il n’y a pas une interprétation analytique qui ne soit pour donner à quelque
proposition qu’on rencontre
sa relation à une jouissance.

Qu’est-ce que veut dire la psychanalyse ?


Que cette relation à la jouissance c’est la parole qui assure la dimension de vérité.

Et encore n’en reste-t-il pas moins assuré qu’elle ne peut d’aucune façon la dire
complètement, elle ne peut
- comme je m’exprime - que la mi-dire cette relation, et en forger du semblant, très
précisément ce qu’on appelle...
sans pouvoir en dire grand-chose, justement on en fait quelque chose mais
on ne peut pas en dire long sur le type
...le semblant de ce qui s’appelle un homme ou une femme.

Si, il y a quelques deux ans, je suis arrivé dans la voie que j’essaie de tracer, à
articuler ce qu’il en est de 4 discours,
pas des discours historiques, pas de la mythologie...
la nostalgie de Rousseau, voire du néolithique, c’est des choses qui
n’intéressent que le discours universitaire.
Il n’est jamais si bien, ce discours, qu’au niveau des savoirs qui ne veulent
plus rien dire pour personne,
puisque le discours universitaire se constitue de faire du savoir, un semblant
...il s’agit de discours qui constituent là d’une façon tangible quelque chose de réel.
Ce rapport de frontière entre le Symbolique et le Réel, nous y vivons, c’est le cas de
le dire.

Le discours du Maître, ça tient toujours et encore ! Vous pouvez le toucher, je


pense, suffisamment du doigt pour que
402
je n’aie pas besoin de vous indiquer ce que j’aurais pu faire si ça m’avait amusé,
c’est-à-dire si je cherchais la popularité : vous montrer le tout petit tournant
quelque part qui en fait le discours du capitaliste. C’est exactement le même truc,
simplement c’est mieux foutu, ça fonctionne mieux, vous êtes plus couillonnés ! De
toute façon, vous n’y songez même pas.

De même que pour le discours universitaire vous y êtes à plein tube, en croyant faire
l’émoi, l’émoi de Mai !
Ne parlons pas du discours hystérique, c’est le discours scientifique lui-même.
C’est très important à connaître pour avoir des petits pronostics. Ça ne diminue
en rien les mérites du discours scientifique.

S’il y a une chose qui est certaine, c’est que je n’ai pu, ces trois discours [H,U,M]
les articuler en une sorte de mathème
que parce que le discours analytique [A] est surgi. Et quand je parle du discours
analytique, je ne suis pas en train de vous parler de quelque chose de l’ordre de la
connaissance, il y a longtemps qu’on aurait pu s’apercevoir
que le discours de la connaissance est une métaphore sexuelle et lui donner sa
conséquence,
à savoir que puisqu’il n’y a pas de rapport sexuel, il n’y a pas non plus de connaissance.

On a vécu pendant des siècles avec une mythologie sexuelle, et bien entendu, une
grande part des analystes
ne demande pas mieux que de se délecter à ces chers souvenirs d’une époque
inconsistante. Mais il ne s’agit pas de ça.
Ce qui est dit...
écris-je à la première ligne de quelque chose
que je suis en train de cogiter pour vous le laisser dans quelques temps
...ce qui est dit est de fait, du fait de le dire. Seulement il y a l’achoppement,
l’achoppement : tout est là, tout en sort.

Ce que j’appelle l’Hachose...


j’ai mis un H devant pour que vous voyez qu’il y a une apostrophe,
mais justement
je ne devrais pas en mettre, ça devrait s’appeler la Hachose
...bref l’objet(a) : l’objet(a), c’est un objet certes, seulement en ce sens qu’il se
substitue définitivement
à toute notion de l’objet comme supporté par un sujet. Ça n’est pas le rapport dit de
la connaissance.

403
Il est assez curieux, quand on l’étudie en détail, de voir que ce rapport de la
connaissance, on avait fini par faire
que l’un des termes, le sujet en question [S], n’était plus que l’ombre d’une ombre, un
reflet parfaitement évanoui.

L’objet(a) n’est un objet qu’en ce sens qu’il est là pour affirmer que rien de l’ordre
du savoir n’est sans le produire. [S1→ S2 ↓a]
C’est tout à fait autre chose que de le connaître.
Que le discours psychanalytique ne puisse s’articuler qu’à montrer que cet objet(a),
pour qu’il y ait chance d’analyste,
il faut qu’une certaine opération, qu’on appelle l’expérience psychanalytique, ait fait
venir l’objet(a) à la place du semblant :

Bien entendu, il ne pourrait absolument pas occuper cette place si les autres
éléments, réductibles dans une chaîne signifiante, n’occupaient pas les autres
[places]. Si le sujet [S], et ce que j’appelle signifiant-maître [S1],
et ce que je désigne du corps du savoir [S2], n’étaient pas répartis aux quatre points
d’un tétraèdre qui est ce que pour
votre repos je vous ai dessiné au tableau sous la forme de petites choses qui se
croisent comme ça, à l’intérieur d’un carré dont il manque un
côté, il est évident qu’il n’y aurait absolument pas de discours.

Et ce qui définit un discours, ce qui l’oppose à la parole, je dis...


parce que c’est cela qui est le mathème
...je dis que c’est ce que détermine, pour l’approche parlante, ce que détermine le
Réel.

Et le Réel dont je parle est absolument inapprochable sauf par une voie
mathématique, c’est à savoir en repérant...
pour cela il n’y a pas d’autre voie que ce discours, dernier venu des 4, celui que je
définis comme le discours analytique et qui permet d’une
façon dont il serait excessif de dire qu’elle est consistante, tout au contraire
404
...d’une béance - et proprement celle qui s’exprime de la thématique de la castration -
qu’on peut voir d’où s’assure le Réel dont tient tout ce discours.

Le Réel dont je parle et ceci conformément à tout ce qui est reçu...


mais comme si c’était par des sourds
...reçu dans l’analyse, à savoir que rien n’est assuré de ce qui semble la fin, la
finalité de la jouissance sexuelle,
à savoir la copulation, sans ces pas...
très confusément aperçus mais jamais dégagés dans une structure
comparable à celle d’une logique
...et qui s’appelle la castration.

C’est très précisément en cela que l’effort logicien doit nous être un modèle, voire
un guide.
Et ne me faites pas parler d’isomorphisme, hein.
Et qu’il y ait quelque part un brave petit coquin de l’université qui trouve mes
énoncés sur la vérité, le semblant, la jouissance et le plus-de jouir, seraient formalistes,
voire herméneutiques, pourquoi pas ?

Il s’agit de ce qu’on appelle en mathématique plutôt - chose curieuse, c’est une


rencontre - une opération de générateur.
Nous essaierons cette année, et ailleurs qu’ici, d’approcher comme ça
prudemment, de loin et pas à pas,
parce qu’il ne faut pas trop attendre, en cette occasion, de ce qu’il pourrait se
produire d’étincelles, mais ça viendra.

L’objet(a) dont je vous ai parlé tout à l’heure c’est pas un objet,


c’est ce qui permet de tétraédrer ces 4 discours, chacun de ces discours à sa façon.

Et c’est bien entendu ce que ne peuvent pas voir - que ne peuvent pas voir qui ? -
chose curieuse : les analystes,
c’est que l’objet(a)...
ce n’est pas un point qui se localise quelque part dans les 4 autres ou
les 4 qu’ils forment ensemble
...c’est la construction, c’est le mathème tétraédrique de ces discours.

La question est donc celle-ci : d’où les êtres « achosiques », les a incarnés que nous
sommes tous à des titres divers,
sont-ils le plus en proie à l’incompréhension de mon discours ? Ça, c’est vrai que
la question peut être posée.
405
Qu’elle soit un symptôme ou qu’elle ne le soit pas, la chose est secondaire.

Mais ce qui est très certain, c’est que théoriquement c’est au niveau du
psychanalyste
que doit dominer l’incompréhension de mon discours.
Et justement parce que c’est le discours analytique.

Peut-être n’est-ce pas le privilège du discours analytique.


Après tout, même ceux qui ont fait... celui qui a fait, qui a poussé le plus loin...
qui a évidemment loupé parce qu’il ne connaissait pas l’objet(a)
...mais qui a poussé le plus loin le discours du Maître avant que j’amène l’objet(a) au
monde : Hegel, pour le nommer.

Il nous a toujours dit que s’il y avait quelqu’un qui ne comprenait rien au discours
du Maître, c’était le Maître lui-même.
En quoi, bien sûr, il reste dans la psychologie, parce qu’il n’y a pas de Maître,
il y a le signifiant-Maître et que le Maître suit comme il peut.

Ça ne favorise pas du tout la compréhension du discours du Maître chez le Maître.


C’est en ce sens que la psychologie de Hegel est exacte.

Il serait également, bien sûr, très difficile de soutenir que l’hystérique, au point où
elle est placée,
c’est-à-dire au niveau du semblant, c’est là qu’elle soit le mieux pour comprendre
son discours.
Il n’y aurait pas besoin du virage de l’analyse sans ça.

Ne parlons pas, bien sur, des universitaires ! Personne n’a jamais cru qu’ils avaient
le front
de soutenir un alibi aussi prodigieusement manifeste que l’est tout le discours
universitaire.

Alors pourquoi les analystes auraient-ils le privilège d’être accessibles à ce qui, de


leur discours, est le mathème ?
Il y a toutes les raisons au contraire pour qu’ils s’installent dans une sorte de
statut dont justement l’intérêt...
mais ce ne sont pas des choses qui peuvent se faire en un jour
...dont l’intérêt en effet pourrait être de démontrer ce qu’il en résulte dans ces
inconcevables élucubrations théoriques
qui sont celles qui remplissent les revuesdu monde psychanalytique.
406
L’important n’est pas là.
L’important est de s’intéresser, et j’essaierai sans doute de vous dire en quoi peut
consister cet intérêt.
Il faut absolument l’épuiser sous toutes ses faces.

Je viens de donner l’indication de ce qu’il peut en être du statut de l’analyste au


niveau du semblant,
et il n’est, bien sûr, pas moins important de l’articuler dans son rapport à la vérité.

Et le plus intéressant...
c’est le cas de le dire, c’est un des seuls sens qu’on puisse donner au
mot d’intérêt
...c’est le rapport qu’a ce discours à la jouissance. La jouissance en fin de compte, qui
le soutient, qui le conditionne, qui le justifie,
le justifie très précisément de ceci que la jouissance sexuelle...

Je voudrais pas terminer en vous donnant l’idée que je sais ce que c’est que
l’homme.
Il y a sûrement des gens qui ont besoin que je leur jette ce petit poisson.
Je peux le leur jeter après tout, parce que ça ne connote aucune espèce de
promesse de progrès « …ou pire ».

Je peux leur dire que c’est très probablement ça, en effet, qui spécifie cette espèce
animale :
c’est un rapport tout à fait anomalique et bizarre avec sa jouissance.
Ça peut avoir quelques petits prolongements du côté de la biologie, pourquoi pas
?

Ce que je constate simplement, c’est que les analystes n’ont pas fait faire le
moindre progrès à la référence biologisante de l’analyse, je le souligne très
souvent. Ils n’y ont pas fait faire le moindre progrès, pour la simple raison que
c’est
très précisément le point anomalique où une jouissance, dont, chose incroyable, il
s’est trouvé des biologistes pour...
au nom de ceci, de cette jouissance boiteuse et combien amputée, la
castration elle-même
qui a l’air chez l’homme d’avoir un certain rapport à la copulation, à la
conjonction donc,

407
de ce qui biologiquement, mais sans bien sûr que ça ne conditionne
absolument rien dans le semblant,
ce qui chez l’homme donc aboutit à la conjonction des sexes
...il y a eu donc des biologistes pour étendre ce rapport parfaitement
problématique et nous étaler...
on a fait tout un gros bouquin là-dessus, qui a reçu tout de suite
l’heureux patronage de mon cher camarade Henry Ey, dont je vous ai
parlé avec la sympathie que vous avez pu toucher la dernière fois
...la perversion chez les espèces animales.

Au nom de quoi ? Que les espèces animales copulent, mais qu’est-ce qui nous
prouve que ce soit au nom
d’une jouissance quelconque, perverse ou pas ?
Il faut vraiment être un homme pour croire que copuler, ça fait jouir !

Alors il y a des volumes entiers là-dessus pour expliquer qu’il y en a qui font ça
avec des crochets, avec leurs pa-pattes, et puis
il y en a qui s’envoient les machins, les trucs, les spermatos à l’intérieur de la cavité
centrale comme chez la punaise, je crois. Et alors on s’émerveille : qu’est-ce qu’ils
doivent jouir à des trucs pareils !
Si nous, on se faisait ça avec une seringue dans le péritoine, ça serait voluptueux !
C’est avec ça qu’on croit qu’on construit des choses correctes.

Alors que la première chose à toucher du doigt, c’est très précisément la


dissociation,
et qu’il est évident que la question, la seule question, la question enfin très
intéressante, c’est de savoir comment
– quelque chose que nous pouvons, momentanément, dire corrélatif de cette
disjonction de la jouissance sexuelle,
– quelque chose que j’appelle « lalangue », évidemment que ça a un rapport
avec quelque chose du réel,
mais de là que ça puisse conduire à des mathèmes qui nous permettent
d’édifier la science, alors ça, c’est bien
évidemment la question.

Si nous regardions d’un peu plus près comment c’est foutu la science,
j’ai essayé de faire ça une toute petite fois, une toute petite approche : « La Science
et la vérité ».

408
Il y avait un pauvre type une fois, dont j’étais l’hôte à ce moment là, qui en a été
malade de m’avoir entendu là-dessus,
et après tout c’est bien là que l’on voit que mon discours est compris, c’est le seul
qui en ait été malade !
C’est un homme qui s’est démontré de mille façons pour être quelqu’un de pas
très fort.

Enfin moi je n’ai aucune espèce de passion pour les débiles mentaux,
je me distingue en cela de ma chère amie Maud Mannoni.

Mais comme les débiles mentaux on les rencontre aussi à l’Institut, je ne vois pas
pourquoi je m’émouvrais.
Enfin La Science et la vérité ça essayait d’approcher un petit quelque chose comme
ça.

Après tout, c’est peut être fait avec presque rien du tout, cette fameuse science.
Auquel cas on s’expliquerait mieux comment les choses, l’apparence aussi
conditionnée par un déficit
que « lalangue », peut y mener tout droit.

Voilà, ce sont des questions que peut-être j’aborderai cette année. Enfin, je ferai
de mon mieux, …Ou pire !

409
Jeudi 06 janvier 1972
« Entretiens de Sainte-Anne » Table des
matières

On ne sait pas si la série est le principe du sérieux.


Néanmoins je me trouve devant cette question de ce qu’évidemment je ne peux
pas ici continuer
ce qui ailleurs se définit de mon enseignement, de ce qu’on appelle mon séminaire.

Ne serait-ce que parce que tout le monde n’est pas averti que je fais une petite
conversation par mois ici,
et comme il y a des gens qui se dérangent quelquefois d’assez loin pour suivre ce
que je dis ailleurs
sous ce nom de « séminaire », et bien ça ne serait pas correct, je veux dire avec eux,
de continuer ici.

Alors en somme il s’agit de savoir ce que je fais ici.


Il est certain que ce n’est pas tout à fait ce que j’attendais.
Je suis infléchi par cette affluence qui fait que ceux qu’en fait je convoquais à
quelque chose
qui s’appelait « Le savoir du psychanalyste », ne sont pas du tout forcément absents
d’ici, mais sont un peu noyés.

À ceux qui sont ici même, je ne sais pas si en faisant allusion à ce séminaire, je
parle de quelque chose qu’ils connaissent. Il faut aussi qu’ils tiennnent compte
que, par exemple depuis la dernière fois - ceux que je rencontre ici s’y sont
trouvés - justement, je l’ai ouvert ce séminaire.

Je l’ai ouvert, si on est un peu attentif et rigoureux, on ne peut pas dire que ça
puisse se faire en une seule fois. Effectivement, il y en a eu 2, et c’est pour ça que
je peux dire que je l’ai ouvert,
parce que s’il n’y avait pas eu de 2ème fois, ben il n’y en aurait pas de 1ère.

410
Ça a son intérêt pour rappeler quelque chose que j’ai introduit il y a un certain temps à
propos de ce qu’on appelle la répétition.

La répétition ne peut évidemment commencer qu’à la 2ème fois, qui se trouve...


du fait que si il n’y en avait pas de 2ème, il n’y en aurait pas de 1ère
...qui se trouve donc être celle qui inaugure la répétition : c’est l’histoire du 0 et du
1.

Seulement avec le 1, il ne peut pas y avoir de répétition, de sorte que pour qu’il y ait
répétition, pour pas que ça soit ouvert,
il faut qu’il y en ait une 3ème. C’est ce dont on semble s’être aperçu à propos de
Dieu : il ne commence, on a mis le temps à s’en apercevoir ou bien on le savait
depuis toujours mais ça n’a pas été noté, parce que après tout, on ne peut jurer de
rien dans ce sens, mais enfin mon cher ami Kojève insistait beaucoup sur cette
question de la Trinité chrétienne.

Quoi qu’il en soit il y a évidemment un monde, du point de vue de ce qui nous


intéresse...
et ce qui nous intéresse est analytique
...entre la 2ème fois qui est ce que j’ai cru devoir souligner du terme de « nachträg » :
l’après-coup.

C’est évidemment des choses que je ne reprendrai - pas ici - qu’à mon séminaire,
j’essaierai d’y revenir cette année.
C’est important parce que c’est en ça qu’il y a un monde entre ce qu’apporte la
psychanalyse
et ce qu’a apporté une certaine tradition philosophique qui n’est certes pas
négligeable,
surtout quand il s’agit de Platon qui a bien souligné la valeur de la dyade. Je veux
dire qu’à partir d’elle, tout dégringole.
Qu’est-ce qui dégringole, il devait le savoir, mais il ne l’a pas dit

Quoi qu’il en soit, ça n’a rien à faire avec le nachträg analytique, le 2nd temps.
Quant au 3ème dont je viens de souligner l’importance, ça n’est pas seulement
pour nous qu’il le prend,
c’est pour Dieu lui-même.

411
Dans un temps, et à propos d’une certaine tapisserie39 qui étaient étalée au Musée
des Arts Décoratifs, qui était bien belle, que j’ai vivement incité tout le monde à aller
voir, on y voit Le Père et Le Fils et Le Saint Esprit qui étaient représentés
strictement sous la même figure, la figure d’un personnage assez noble et barbu,
ils étaient 3 à s’entre-regarder,
ça fait beaucoup plus d’impression que de voir quelqu’un en face de son image.
À partir de 3 ça commence à faire un certain effet.

De notre point de vue de sujets, qu’est-ce qui peut bien commencer à 3 pour
Dieu lui-même ?
C’est une vieille question que j’ai posée très vite du temps que j’ai commencé
mon enseignement.
Je l’ai posée très vite et puis je ne l’ai pas renouvelée, je vous dirai tout de suite
pourquoi :
c’est que ça n’est évidemment qu’à partir de 3 qu’il peut croire en lui-même.

Parce que c’est assez curieux, c’est une question qui n’a jamais été posée à ma
connaissance « Est-ce que Dieu croit en lui ? ».
Ça serait pourtant un bon exemple pour nous. C’est tout à fait frappant que cette
question...
que j’ai posée assez tôt et que je ne crois pas vaine
...n’ait soulevé, apparemment au moins, aucun remou, au moins parmi mes
corréligionnaires,
je veux dire ceux qui se sont instruits à l’ombre de la Trinité.

Je comprends que pour les autres, ça ne les ait pas frappés, mais pour ceux-là,
vraiment, ils sont « incorreligionigibles »,
il n’y a rien à en faire. Pourtant j’avais là quelques personnes notoires de la
hiérarchie qu’on appelle « chrétienne ».

39
« La création du monde », exposition « Le XVIe siècle européen, Tapisseries ». Paris, Mobilier
National, d'Octobre 1965 à Janvier 1966.
412
La question se pose de savoir si c’est parce qu’ils y sont ci-dedans...
ce que j’ai peine à croire
...qu’ils n’entendent rien, ou...
ce qui est de beaucoup plus probable
...qu’ils sont d’un athéisme assez intégral pour que cette question ne leur fasse
aucun effet.
C’est la solution pour laquelle je penche.

On ne peut pas dire que ce soit ce que j’appelais tout à l’heure une garantie de
sérieux
puisque ça ne peut être qu’un athéisme, en quelque sorte une somnolence, ce qui
est assez répandu.
En d’autres termes, ils n’ont pas la moindre idée de la dimension du milieu dans
lequel il y a à nager :
ils surnagent - ce qui n’est pas tout à fait pareil - ils surnagent grâce au fait qu’ils
se tiennent la main.

Alors comme ça, ça finit par faire ce qu’on appelle un réseau, et à se tenir tous
comme ça par la main.
Il y a un poème de Paul Fort dans ce genre là 40 :

« Si toutes les filles du monde - ça commence comme ça –


...se tenaient par la main, elles pourraient faire le tour du monde... ».

C’est une idée folle parce qu’en réalité les filles du monde n’ont jamais songé à ça, les
garçons par contre...
il en parle aussi
...les garçons pour ça s’y entendent : ils se tiennent tous par la main.

Ils se tiennent tous par la main d’autant plus que s’ils ne se tenaient pas par la
main,

40
Paul Fort : « La Ronde autour du monde ».
« Si toutes les filles du monde voulaient s’donner la main,
tout autour de la mer, elles pourraient faire une ronde.
Si tous les gars du monde voulaient bien êtr’ marins,
ils f’raient avec leurs barques un joli pont sur l'onde.
Alors on pourrait faire une ronde autour du monde,
si tous les gars du monde voulaient s’ donner la main. »

413
il faudrait que chacun affronte la fille tout seul, et ça ils aiment pas.
Il faut qu’ils se tiennent par la main.

Les filles, c’est une autre affaire.


Elles y sont entraînées dans le contexte de certains rites sociaux,
conférez Les danses et légendes de la Chine ancienne, ça c’est chic, c’est même Chou King
- pas schoking - Chou King.
Ce Chou King ça été écrit par un nommé Granet, qui avait une espèce de génie qui
n’a absolument rien à faire
– ni avec l’ethnologie, il était incontestablement ethnologue,
– ni avec la sinologie, il était incontestablement sinologue,
alors le nommé Granet donc, avançait que dans la chine antique, les filles et les
garçons s’affrontaient à nombre égal : pourquoi ne pas le croire ?

Dans la pratique, dans ce que nous connaissons de nos jours :

— les garçons se mettent toujours un certain nombre, au delà de la dizaine,


pour la raison que je vous ai exposée tout à l’heure [Rires], parce que, être
tout seul, chacun à chacun en face de sa chacune, je vous l’ai expliqué :
c’est trop plein de risques.

– Pour les filles, c’est tout autre chose. Comme nous ne sommes plus au
temps du Chou King, elles se groupent
deux par deux, elles font amie-amie avec une amie,
jusqu’à ce qu’elles aient, bien entendu, arraché un gars à son régiment. Oui,
monsieur ! [Rires]

Quoi que vous en pensiez et même si superficiels que vous paraissent ces propos,
ils sont fondés, fondés sur mon expérience d’analyste. Quand elles ont détourné
un gars de son régiment, naturellement elles laissent tomber l’amie,
qui d’ailleurs ne s’en débrouille pas plus mal pour autant.

Oui ! Enfin tout ça, je me suis laissé un peu entraîner. Où est-ce que je me crois !
[Rires]
C’est venu comme ça de fil en aiguille, à cause de Granet et de cette histoire
étonnante de ce qui alterne dans les poèmes du Chou King : ce chœur de garçons
opposé au chœur des filles. Je me suis laissé entraîner comme ça à parler
de mon expérience analytique, sur laquelle j’ai fait un flash, ça n’est pas le fond des
choses.

414
C’est pas ici que j’expose le fond des choses.
Mais où est-ce que je suis, que je me crois, pour parler en somme, pour parler du
fond des choses.
Je me croirais presque avec des êtres humains ou cousus main, même !
C’est comme ça, c’est pourtant comme ça que je m’adresse à eux.

Mais c’est ça, c’est de parler de mon séminaire qui m’a entraîné. Comme après
tout vous êtes peut-être les mêmes,
j’ai parlé comme si je parlais à eux, ce qui m’a entraîné à parler comme si je parlais
de vous et - qui sait ? -
ça entraîne à parler comme si je parlais à vous. Ce qui n’était quand même pas
dans mes intentions. [Rires]

C’était pas du tout dans mes intentions parce que, si je suis venu parler à Sainte-
Anne, c’était pour parler aux psychiatres, et très évidemment vous n’êtes pas tous
psychiatres. Alors, enfin ce qu’il y a de certain c’est que c’est un acte manqué.
C’est un acte manqué qui donc à tout instant risque de réussir,
c’est-à-dire qu’il se pourrait bien que je parle quand même à quelqu’un.

Comment savoir à qui je parle ?


Surtout qu’en fin de compte vous comptez dans l’affaire...
quoique je m’efforce
...vous comptez au moins pour ceci que je ne parle pas de là où je comptais parler
puisque je comptais parler à l’amphithéâtre Magnan et que je parle à la chapelle.

Quelle histoire ! Vous avez entendu ? Vous avez entendu ? Je parle à la chapelle !
C’est la réponse. Je parle à la chapelle, c’est à dire aux murs ! [Rires] De plus en
plus réussi, l’acte manqué !
Je sais maintenant à qui je suis venu parler : à ce à quoi j’ai toujours parlé à Sainte-
Anne, aux murs !

J’ai pas besoin d’y revenir, ça fait une paye.


De temps en temps, je suis revenu avec un petit titre de conférence sur « Ce que
j’enseigne... » par exemple,
et puis quelques autres, je vais pas faire la liste. J’y ai toujours parlé aux murs.

X - ...

Lacan - Qui a quelque chose à dire ?

415
X - On devrait tous sortir si vous parlez aux murs.

Lacan - Qui... qui me parle là ? [Rires]

X - Les murs.

Lacan

C’est maintenant que je vais pouvoir faire commentaire de ceci qu’à parler aux
murs, ça intéresse quelques personnes.
C’est pourquoi je demandais à l’instant qui parlait.
Il est certain que les murs dans ce qu’on appelle, dans ce qu’on appelait au temps
où on était honnête « un asile »,
« l’asile clinique » comme on disait, les murs tout de même, c’est pas rien.

Mais je dirais plus : cette chapelle ça me paraît bien un lieu extrêmement bien fait
pour que nous touchions de quoi il s’agit quand je parle des murs. Cette sorte de
concession de la laïcité aux internés :
une chapelle avec sa garniture d’aumôniers, bien sûr.

C’est pas qu’elle soit formidable - hein ? - du point de vue architectural,


mais enfin c’est une chapelle, une chapelle avec la disposition qu’on en attend.

On omet trop que l’architecte, quelque effort qu’il fasse pour en sortir, il est fait
pour ça, pour faire des murs.
Et que les murs, ma foi...
c’est quand même très frappant que depuis, ce dont je parlais tout à l’heure,
à savoir le christianisme, penche peut-être par là un peu trop vers l’hégélianisme
...mais c’est fait pour entourer un vide.

Comment imaginer qu’est-ce qui remplissait les murs du Parthénon et de


quelques autres babioles de cette espèce
dont il nous reste quelques murs écroulés, c’est très difficiles à savoir.
Ce qu’il y a de certain, c’est que nous n’en avons absolument aucun témoignage.

Nous avons le sentiment que pendant toute cette période que nous épinglons de
cette étiquette moderne du paganisme,
il y avait des choses qui se passaient dans diverses fêtes qu’on appelle [païennes],
on a conservé les noms de ce que c’était parce qu’il y a des Annales qui dataient
les choses comme ça :
416
« C’est aux grandes Panathénées qu’Adymante et Glaucon - vous savez la suite - ont
rencontré le nommé Céphale ».

Qu’est-ce qui s’y passait ? C’est absolument incroyable que nous n’en n’ayons pas
la moindre espèce d’idée !
Par contre pour ce qui est du vide, nous en avons une grande, parce que tout ce
qui nous est resté légué,
légué par une tradition qu’on appelle philosophique, ça fait une grande place au
vide.

Il y a même un nommé Platon qui a fait pivoter autour de là toute son Idée du
monde, c’est le cas de le dire,
c’est lui qui a inventé « la caverne ». Il en a fait une chambre noire : il y avait quelque
chose qui se passait à l’extérieur,
et tout ça en passant par un petit trou faisait toutes les ombres.

C’est curieux, c’est là que peut-être on aurait un petit fil, un petit bout de trace.
C’est manifestement une théorie qui nous fait toucher du doigt ce qu’il en est de
l’objet(a).
Supposez que la caverne de Platon, ça soit ces murs où se fait entendre ma voix.

Il est manifeste que les murs, ça me fait jouir !


Et c’est en ça que vous jouissez tous, et tout un chacun, par participation.
Me voir parler aux murs est quelque chose qui ne peut pas vous laisser
indifférents.

Et réfléchissez, supposez que Platon ait été structuraliste : il se serait aperçu de ce


qu’il en est de la caverne vraiment,
à savoir que c’est sans doute là qu’est né le langage.
Il faut retourner l’affaire, parce que bien sûr, il y a longtemps que l’homme vagit,
comme n’importe lequel des petits animaux, enfin ils piaillent pour avoir le lait
maternel.

Mais pour s’apercevoir qu’il est capable de faire quelque chose que bien entendu
il entend depuis longtemps,
dans le babillage, le bafouillage, tout se produit, mais pour choisir, il a dû
s’apercevoir
– que les « K » ça résonne mieux du fond, le fond de la caverne, du dernier
mur,
417
– et que les « B » et les « P » ça jaillit mieux à l’entrée, c’est là qu’il en a
entendu la résonance.

Je me laisse entraîner ce soir, puisque je parle aux murs.

Il ne faut pas croire que ce que je vous dis, ça veut dire que j’ai rien tiré d’autre de
Sainte-Anne.
À Sainte-Anne je ne suis arrivé à parler que très tard, je veux dire que ça ne
m’était pas venu à l’idée
sauf à accomplir quelques devoirs de broutille.

Quand j’étais chef de clinique, je racontais quelques petites histoires aux


stagiaires,
c’est même là que j’ai appris à me tenir à carreau sur les histoires que je raconte.

Je racontais un jour l’histoire d’une mère de patient, un charmant homosexuel


que j’analysais, et n’ayant pas pu faire autrement que de la voir arriver - la tordue
en question - elle avait eu ce cri : « Et moi qui croyait qu’il était impuissant ! ».
Je raconte l’histoire, dix personnes parmi les - il n’y avait pas que des stagiaires -
ils la reconnaissent tout de suite !

Ça ne pouvait être qu’elle ! Vous vous rendez compte de ce que c’est qu’une
personne mondaine !
Ça a fait une histoire naturellement, parce qu’on me l’a reproché, alors que je
n’avais absolument rien dit d’autre
que ce cri sensationnel. Ça m’inspire depuis beaucoup de prudence pour la
communication des cas.
Mais enfin, c’est encore une petite digression, reprenons le fil.

Avant de parler à Sainte-Anne, enfin j’y ai fait bien d’autres choses, ne serait-ce
que d’y venir et d’y remplir ma fonction et bien entendu, pour moi, pour mon
discours, tout part de là.

Parce qu’il est évident que si je parle aux murs, je m’y suis mis tard, à savoir
qu’avant d’entendre ce qu’ils me renvoient, c’est-à-dire ma propre voix prêchant
dans le désert...
c’est une réponse à la personne – [cf. supra, la personne X : « On devrait tous
sortir si vous parlez aux murs »]
...bien avant ça j’ai entendu, j’ai entendu des choses tout à fait décisives, enfin qui
l’on été pour moi.
418
Mais ça c’est mon affaire personnelle.
Je veux dire que les gens qui sont ici au titre d’être entre les murs, sont tout à fait
capables de se faire entendre,
à condition qu’on ait les esgourdes appropriées !

Pour tout dire, et lui rendre hommage de quelque chose où en somme elle n’est
personnellement pour rien,
c’est, comme chacun sait, autour de cette malade que j’ai épinglée du nom
d’Aimée...
qui n’était pas le sien bien sûr
...que j’ai été aspiré vers la psychanalyse.

Il n’y a pas qu’elle bien sûr.


Il y en a eu quelque autres avant et puis il y en a encore pas mal à qui je laisse la
parole.
C’est en ça que consiste ce qu’on appelle mes « présentations de malades ».

Il m’arrive après d’en parler avec quelques personnes qui ont assisté à cette sorte
d’exercice...
enfin cette présentation qui consiste à les écouter,
ce qui évidemment ne leur arrive pas à tous les coins de rue
...il arrive qu’en en parlant après...
avec quelques personnes qui étaient là pour m’accompagner, pour en
attraper ce qu’elles pouvaient
...il m’arrive en en parlant après, d’en apprendre, parce que c’est pas tout de suite,
il faut évidemment qu’on accorde sa voix à la renvoyer sur les murs.

C’est bien autour de ça que va tourner ce que je vais essayer peut-être cette année,
de mettre en question,
c’est le rapport de quelque chose à quoi je donne beaucoup d’importance, c’est à
savoir la logique.
J’ai appris très tôt ce que la logique pouvait rendre « odieux au monde ».

C’était dans un temps où je pratiquais un certain Abélard 41, Dieu sait attiré par je
ne sais quelle odeur de mouche !

41
Abélard : « Odium mundo me fecit logica : la logique m’a valu la haine du monde », Cf. « Pierre Abélard,
Correspondance », par R. Oberson, Hermann, 2007.
419
Moi, la logique, je peux pas dire qu’elle m’ait rendu absolument odieux à
quiconque sauf à quelques psychanalystes,
parce que malgré tout c’est peut-être parce que j’arrive à sérieusement en
« tamponner » le sens.
J’y arrive d’autant plus facilement, que je ne crois absolument pas au sens commun.

Il y a du sens, mais il n’y en a pas de commun.


Il n’y a probablement pas un seul d’entre vous qui m’entendiez dans le même sens.
D’ailleurs je m’efforce que de ce sens, l’accès ne soit pas trop aisé, de sorte que
vous deviez en mettre du vôtre,
ce qui est une secrétion salubre, et même thérapeutique :
secrétez le sens avec vigueur et vous verrez combien la vie devient plus aisée !

C’est bien pour ça que je me suis aperçu de l’existence de l’objet(a) dont chacun de
vous a le germe en puissance.
Ce qui fait sa force, et du même coup la force de chacun de vous en particulier,
c’est que l’objet(a) est tout à fait étranger à la question du sens.

Le sens est une petite peinturlure rajoutée sur cet objet(a) avec lequel vous avez
chacun votre attache particulière.
Ça n’a rien à faire, ni avec le sens ni avec la raison.

La question à l’ordre du jour c’est ce que la raison a affaire avec ce à quoi, enfin je
dois dire que beaucoup penchent
à la réduire à la « réson ». Écrivez : r.é.s.o.n. Écrivez, faites moi plaisir.
C’est une orthographe de Francis Ponge qui, étant poète et étant ce qu’il est, un
grand poète,
n’est pas tout à fait sans qu’on doive en cette question tenir compte de ce qu’il
nous raconte.
Il n’est pas le seul.

C’est une très grave question, que je n’ai vu sérieusement formulée que - outre ce
poète - au niveau des mathématiciens, c’est à savoir ce que la raison...
dont nous nous contenterons pour l’instant de saisir qu’elle part de
l’appareil grammatical
...a à faire avec quelque chose qui s’imposerait, je veux pas dire d’intuitif...
car ce serait retomber sur la pente de l’intuition, c’est-à-dire de quelque
chose de visuel
...mais avec quelque chose justement de résonnant.

420
Est-ce que ce qui résonne, c’est l’origine de la « res », de ce qu’on fait la réalité ?
C’est une question qui touche à très proprement parler à tout ce qu’il en est qu’on puisse
extraire du langage au titre de la logique.
Chacun sait qu’elle ne suffit pas et qu’il lui a fallu depuis quelques temps...
on aurait pu le voir venir depuis un bout de temps, depuis Platon
précisément
...mettre en jeu la mathématique.

Et c’est là, c’est là que la question se pose d’où centrer ce réel à quoi
l’interrogation logique nous fait recourir
et qui se trouve être au niveau mathématique.

Il y a des mathématiciens pour dire


– qu’on ne peut point s’axer sur cette jonction dite formaliste, ce point de
jonction mathético-logique,
– qu’il y a quelque chose au-delà, auquel après tout ne fait que rendre
hommage toutes les références intuitives dont on a cru pouvoir, cette
mathématique, la purifier,
...et qui cherchent au-delà, à quelle réson - r.é.s.o.n - recourir pour ce dont il s’agit, à
savoir du Réel.
Ce n’est pas ce soir bien sûr, que je vais pouvoir aborder la chose.

Ce que je peux dire, c’est que par un certain biais qui est celui d’une logique, que
j’ai pu...
dans un parcours qui pour partir de ma malade Aimée, a abouti à -
l’avant-dernière année de séminaire -
énoncer sous le titre de « quatre discours », vers quoi converge le crible
d’une certaine actualité
...que j’ai pu, par cette voie - quoi faire ? - donner au moins la raison des murs.

Car quiconque y habite dans ces murs, ces murs-ci, les murs de l’asile clinique,
il convient de savoir que ce qui situe et définit le psychiatre en tant que tel, c’est sa
situation par rapport à ces murs,
ces murs par quoi la laïcité a fait en elle exclusion de la folie et de ce que ça veut
dire.

Ce qui ne s’aborde que par la voie d’une analyse du discours.


À vrai dire, l’analyse a été si peu faite avant moi, qu’il est vrai de dire qu’il n’y a
jamais eu de la part des psychanalystes
la moindre discordance qui s’élevât à l’endroit de la position du psychiatre.
421
Et que pourtant dans mes « Écrits » on voit recueilli quelque chose que j’ai fait
entendre dès avant 1950
sous le titre de « Propos sur la causalité psychique », je m’y élevais contre toute
définition de la maladie mentale
qui s’abritât de cette construction faite d’un semblant qui, pour s’épingler de
l’« organodynamisme »,
ne laissait pas moins entièrement à côté ce dont il s’agit dans la ségrégation de la
maladie mentale,
à savoir quelque chose qui est Autre, qui est lié à un certain discours, celui que j’é-
pingle du discours du Maître.

Encore l’histoire montre-t-elle qu’il a vécu pendant des siècles ce discours d’une
façon profitable pour tout le monde, jusqu’à un certain détour où il est devenu,
en raison d’un infime glissement qui est passé inaperçu des intéressés eux-mêmes, ce
qui le spécifie dès lors comme « le discours du capitaliste »,
dont nous n’aurions aucune espèce d’idée si Marx ne s’était pas employé à le
compléter, à lui donner son sujet : le prolétaire.

Grâce à quoi le discours du capitalisme, s’épanouit partout où règne la forme d’état


marxiste...

Ce qui distingue le discours du capitalisme est ceci :


la Verwerfung, le rejet, le rejet en dehors de tous les champs du symbolique avec ce que j’ai
déjà dit que ça a comme conséquence. Le rejet de quoi ? De la castration.

Tout ordre, tout discours, qui s’apparente du capitalisme laisse de côté ce


que nous appellerons simplement les choses de l’amour, mes bons amis.
Vous voyez ça, hein, c’est un rien !

C’est bien pour ça que deux siècles après ce glissement...


appelons-le « calviniste », après tout pourquoi pas ?
...la castration a fait enfin son entrée irruptive sous la forme du discours analytique.

Naturellement le discours analytique n’a pas encore été foutu d’en donner même une
ébauche d’articulation,
mais enfin il en a multiplié la métaphore et il s’est aperçu que toutes les
métonymies en sortaient.

Voilà au nom de quoi...


422
porté par une sorte, une espèce de brouhaha qui s’était produit quelque
part du côté des psychanalystes
...j’ai été amené à introduire ce qu’il y avait d’évident dans la nouveauté
psychanalytique,
à savoir qu’il s’agissait de langage et que c’était un nouveau discours.

Comme je vous l’ai dit, enfin l’objet(a) en personne, c’est-à-dire cette position dans
laquelle on ne peut même pas dire
que se porte le psychanalyste : il y est porté, il y est porté par son analysant.
La question que je pose c’est : comment est-ce qu’un analysant peut jamais avoir
envie de devenir psychanalyste.
C’est impensable !

Ils y arrivent...
comme les billes de certains jeux de tric-trac
comme ça que vous connaissez bien, qui finissent par tomber dans le
machin
...ils y arrivent sans avoir la moindre idée de ce qui leur arrive. Enfin, une fois
qu’ils sont là, ils y sont,
et il y a à ce moment-là, tout de même quelque chose qui s’éveille, c’est pour ça
que j’en ai proposé l’étude.

Quoi qu’il en soit, à l’époque où s’est produit ce tourbillon parmi les billes,
on peut pas dire dans quelle gaîté j’ai écrit ce « Fonction et champ de la parole et du
langage ».

Comment se fait-il que j’ai accueilli comme ça...


parmi toutes sortes d’autres choses sensées
...une sorte d’exergue du genre ritournelle, que vous trouverez dans... vous n’avez
qu’à regarder au niveau de la partie IV, pour autant que je me souvienne, un truc
que j’avais trouvé dans un almanach, ça s’appelait : Paris en l’an 2000.

C’est pas sans talent ! C’est pas sans talent encore qu’on ait jamais plus entendu
parler du nom du type,
dont je cite le nom - je suis honnête - et qui raconte cette chose qui n’a... enfin
qui vient là dans cette histoire
de « Fonction et champ... » comme des cheveux sur la soupe, ça commence comme
ça :

« Entre l’homme et la femme, il y a l’amour,


423
Entre l’homme et l’amour,...

Vous l’avez jamais remarqué, hein, ce truc-là, dans son machin !

...il y a un monde.
Entre l’homme et le monde, il y a un mur. » [Antoine Tudal in « Paris en
l’an 2000 »]

Vous voyez, j’avais prévu ce que je vous dirai ce soir : « je parle aux murs ! ».
Vous verrez, ça n’a aucun rapport avec le chapitre qui suit [Rires], mais j’ai pas pu
y résister.

Comme ici je parle aux murs, je fais pas de cours, alors je vais pas vous dire ce
qui dans Jakobson suffit à justifier
que ces six vers de mirliton soient quand même de la poésie, de la poésie
proverbiale, parce que ça ronronne :

« Entre l’homme et la femme, il y a l’amour...

- Mais bien sûr ! Il n’y a que ça, même, !

...Entre l’homme et l’amour, il y a un monde...

C’est toujours ce qu’on dit : « il y a un monde », comme ça « il y a un monde » ça veut


dire : Vous ! vous y arriverez jamais !
Mine de rien, au début : « Entre l’homme et la femme, il y a l’amour », ça veut dire que
[Lacan frappe dans ses mains] ça colle,
un monde ça flotte, hein !

Mais avec « il y a un mur » alors là vous avez compris que « entre » veut dire
« interposition ».
Parce que c’est très ambigu, le « entre ».

Ailleurs, à mon séminaire, nous parlerons de la mésologie, qu’est-ce qui a fonction


d’entre,
mais là nous sommes dans l’ambiguité poétique et il faut le dire, ça vaut le coup.
Réson ! Effacez réson ! [du tableau] Amour.

424
L’amour il est là : là le petit rond [en bleu]. Bon !
Ce que je viens de vous tracer là au tableau, ce tableau qui tourne,
c’est une façon comme une autre, de représenter la bouteille de Klein.

C’est une surface qui a certaines propriétés topologiques sur lesquelles ceux qui
n’en sont pas informés se renseigneront, ça ressemble beaucoup à une bande de Mœbius,
c’est-à-dire à simplement ce qu’on fait en tordant une petite bande de papier,
et en collant la chose après un demi-tour.

Seulement-là ça fait tube, c’est un tube qui à un certain endroit, se rebrousse.


Je veux pas vous dire que ce soit la définition topologique de la chose, c’est une
façon de l’imager
dont j’ai fait déjà assez d’usage pour qu’une partie des personnes qui sont ici
sachent de quoi je parle.

Alors voyez-vous, comme tout de même l’hypothèse c’est que, entre l’homme et la
femme ça devrait faire là,
comme disait Paul Fort tout à l’heure, un rond, alors j’ai mis l’homme à gauche,
pure convention, la femme à droite, j’aurais pu le faire inversement.

Essayons de voir topologiquement ce qui m’a plu dans ces six petits vers
d’Antoine Tudal pour le nommer.

« Entre l’homme et la femme, il y a l’amour ».

Ça communique à plein tube. Là, vous voyez, ça circule !


C’est mis en commun, le flux, l’influx et tout ce qu’on y rajoute quand on est
obsessionnel,
par exemple l’oblativité, cette sensationnelle invention d’obsessionnel.

Bon ! Alors l’amour il est là : le petit rond, le petit rond qui est là partout,
à part qu’il y a un endroit où ça va se rebrousser, et vachement !

425
Mais restons-en au premier temps : entre l’homme (à gauche), la femme (à
droite), il y a l’amour, c’est le petit rond.
Ce personnage dont je vous ai dit qu’il s’appelait Antoine, ne croyez pas du tout
que je dise jamais un mot de trop,
c’est pour vous dire qu’il était du sexe masculin, de sorte qu’il voit les choses de
son côté.

Il s’agit de voir ce qu’il va y avoir maintenant...


comment on peut l’écrire
...ce qu’il va y avoir entre l’homme, c’est-à-dire lui, le « pouète »...
le « pouète de Pouasie », comme disait le cher Léon-Paul Fargue
...qu’est-ce qu’il y a entre lui et l’amour ?

Est-ce que je vais être forcé de remonter au tableau ?


Vous avez vu que c’était un exercice un peu vacillant.
Bon ! eh ben, pas du tout, pas du tout... parce que quand même, à gauche, il
occupe toute la place.
Donc ce qu’il y a entre lui et l’amour, c’est justement ce qui est de l’autre côté, c’est-à-
dire que c’est la partie droite du schéma.

« Entre l’homme et l’amour, il y a un monde »

C’est-à-dire que ça recouvre le territoire d’abord occupé par la femme, là où j’ai


écrit F dans la partie droite.
C’est pour ça que celui que nous appellerons l’homme dans l’occasion, il s’imagine
qu’il « connaît » le monde
- au sens biblique comme ça - qu’il « connaît » le monde, c’est-à-dire tout
simplement cette sorte de rêve de savoir
qui vient là à la place de ce qui était là dans ce petit schéma, marquée de l’F de la
femme.

Ce qui nous permet de voir topologiquement tout à fait ce dont il s’agit, c’est que
ensuite quand on nous dit :
« entre l’homme et le monde » ce monde substitué à la volatilisation du partenaire
sexuel...
comment est-ce que c’est arrivé, c’est ce que nous verrons après
...ben « il y a un mur », c’est-à-dire l’endroit où se produit ce rebroussement,
ce rebroussement que j’ai introduit un jour comme signifiant la jonction entre vérité
et savoir.

426
J’ai pas dit, moi, que c’était coupé, c’est un poète de Papouasie qui dit que c’est un
mur.

C’est pas un mur : c’est simplement le lieu de la castration.


Ce qui fait que le savoir laisse intact le champ de la vérité, et réciproquement.
Seulement ce qu’il faut voir c’est que ce mur il est partout, car c’est ce qui définit
cette surface, c’est que le cercle
ou le point de rebroussement, disons le cercle puisque là je l’ai représenté par un
cercle, il est homogène sur toute la surface.

C’est même ce qui fait que vous auriez tort de vous la représenter comme une
surface intuitivement représentable.
Si je vous montrais tout de suite la sorte de coupure qui suffit à la volatiliser cette
surface...
en tant que spécifique, topologiquement définie
...la volatiliser instantanément, vous verriez que c’est pas une surface qu’on se
représente,
mais que c’est quelque chose qui se définit par certaines coordonnées...
appelons-les si vous voulez, vectorielles
...telles qu’en chacun des points de la surface le rebroussement soit toujours là, en
chacun de ses points.

De sorte que, quant au rapport entre l’homme et la femme et tout ce qui en résulte
au regard de chacun des partenaires,
à savoir sa position comme aussi bien son savoir, la castration elle est partout.
L’amour, l’amour, que ça communique, que ça flue, que ça fuse, que c’est l’amour,
quoi !

L’amour, le bien que veut la mère pour son fils, l’« (a)mur »,
il suffit de mettre entre parenthèses le (a) pour retrouver ce que nous trouvons du
doigt tous les jours :
c’est que même entre la mère et le fils, le rapport que la mère a avec la castration, ça
compte pour un bout !

427
Peut-être, pour se faire une saine idée de ce qu’il en est de l’amour, il faudrait
peut-être partir de ce que,
quand ça se joue, mais sérieusement entre un homme et une femme, c’est
toujours avec l’enjeu de la castration.
C’est ce qui est châtrant. Et qu’est-ce qui passe par ce défilé de la castration, c’est
quelque chose que nous essaierons d’approcher par des voies qui soient un peu
rigoureuses : elles ne peuvent l’être que logiques, et même topologiques.

Ici je parle aux murs voire aux « (a)murs » et aux (a)murs-sements, ailleurs j’essaie
d’en rendre compte.
Et quelque que puisse être l’usage des murs pour le maintien en forme de la voix,
il est clair que les murs,
pas plus que le reste, ne peuvent avoir de support intuitif, même avec tout l’art
de l’architecte à la clé.

Chose curieuse, quand j’ai défini ces 4 discours, dont je parlais tout à l’heure et qui
sont si essentiels pour repérer ce dont, quoi que vous fassiez, vous êtes toujours
en quelque façon les sujets, et des sujets, je veux dire des « supposés »,
supposés à ce qui se passe d’un signifiant dont il est clair que c’est lui le maître du jeu,
et que vous n’en êtes...
au regard de quelque chose qui est autre, pour ne pas dire l’Autre
...que vous n’en êtes que le supposé. Vous ne lui donnez pas de sens, vous n’en avez
pas assez vous-mêmes pour ça,
mais vous lui donnez un corps à ce signifiant qui vous représente, le signifiant-
Maître !

Eh bien ce que vous êtes là-dedans, ombres d’ombre, ne vous imaginez pas que la
substance,
qu’il est du rêve de toujours de vous attribuer, soit autre chose que cette
jouissance dont vous êtes coupés.

Comment ne pas voir ce qu’il y a de semblable dans cette invocation


« substantielle » et cet incroyable mythe,
dont Freud lui-même s’est fait le reflet, de la jouissance sexuelle qui est bien cet objet
qui court,
qui court comme dans le jeu du furet mais dont personne n’est capable d’énoncer
le statut
si ce n’est comme le statut suprême, précisément : il est le suprême d’une courbe à
laquelle il donne son sens,
et très précisément aussi dont le suprême échappe.
428
Et c’est de pouvoir articuler l’éventail des jouissances entre guillemets « sexuelles »
que la psychanalyse fait son pas décisif.
Ce qu’elle démontre, c’est justement que la jouissance qu’on pourrait dire sexuelle...
qui ne serait pas du semblant du sexuel
...celle-là se marque de l’indice...
rien de plus jusqu’à nouvel ordre
...de ce qui ne s’énonce, de ce qui ne s’annonce, que de l’indice de la castration.

Les murs, avant de prendre statut, de prendre forme, c’est logiquement que je les
reconstruis :

→ → →

Ces S, S1, S2 et ce a dont j’ai fait - pour vous pendant quelques mois - joujou, c’est
tout de même ça le mur.
Derrière lequel bien sûr, vous pouvez mettre le sens de ce qui nous concerne,
de ce dont nous croyons que nous savons ce que ça veut dire : la vérité et le
semblant, la jouissance, le plus de jouir.

Mais tout de même, par rapport à ce qui aussi bien n’a pas besoin de murs pour
s’écrire,
ces termes comme 4 points cardinaux par rapport auxquels vous avez à situer ce
que vous êtes,
il pourrait bien après tout, le psychiatre, s’apercevoir que les murs auxquels il est
lié par une définition de discours...
Car ce dont il a à s’occuper c’est quoi ? Ça n’est pas d’autre maladie que celle qui
se définit par la loi du 30 Juin 1838,
à savoir : « quelqu’un de dangereux pour soi-même et pour les autres ».

C’est très curieux, cette introduction du danger dans le discours dont s’assied
l’ordre social.
Qu’est-ce que ce danger ?

– « Dangereux pour eux-mêmes », enfin, la société ne vit que de ça,

429
– et « dangereux pour les autres » Dieu sait que toute liberté est laissée à chacun
dans ce sens.

Quand je vois s’élever de nos jours des protestations contre l’usage qu’on fait...
pour appeler les choses par leur nom et aller vite, il est tard
...en U.R.S.S. des asiles, ou de quelque chose qui doit avoir un nom plus
prétentieux, pour y mettre à l’abri,
disons les opposants, mais il est bien évident qu’ils sont dangereux pour l’ordre
social où ils s’insèrent.

Qu’est ce qui sépare, quelle distance, entre la façon d’ouvrir les portes de l’hôpital
psychiatrique
dans un endroit où le discours capitaliste est parfaitement cohérent avec lui-même,
et dans un endroit comme le nôtre où il en est encore aux balbutiements ?

La première chose que peut être les psychiatres...


s’il en est quelques uns ici
...pourraient recevoir, je ne dis pas de ma parole, qui n’a rien à voir en l’affaire,
mais de la réflexion de ma voix sur ces murs, c’est de savoir d’abord ce qui les
spécifie comme psychiatres.

Ça ne les empêche pas, dans les limites de ces murs, d’entendre autre chose que
ma voix.
La voix par exemple, de ceux qui y sont internés puisque après tout ça peut
conduire quelque part,
jusqu’à se faire une idée juste de ce qu’il en est de l’objet(a).
Pourquoi pas ?

Je vous ai fait part, ce soir, en somme de quelques réflexions, et bien sûr ce sont
des réflexions auxquelles ma personne comme telle ne peut pas être étrangère.
C’est ce que je déteste le plus chez les autres.
Parce qu’après tout, parmi les gens qui m’écoutent de temps en temps et qu’on
appelle pour ça - Dieu sait pourquoi - « mes élèves », on peut pas dire qu’ils se
privent de se réfléchir.

Le mur ça peut toujours faire « muroir ».


C’est sans doute pour ça que je suis revenu comme ça, raconter des trucs à Saite-
Anne.
C’est pas à proprement parler pour délirer, mais quand même que ces murs, j’en
gardais quelque chose sur le cœur.
430
Si je peux, avec le temps, avoir réussi à édifier...
avec mon S barré [S],
mon S indice 1 [S1],
mon S indice 2 [S2],
et l’objet(a),
...la « réson » d’être...
de quelque façon que vous l’écriviez
...peut-être qu’après tout vous ne prendrez pas la réflexion de ma voix sur ces murs
pour une simple réflexion personnelle.

[la réson de ce qui cloche dans la raison]

431
Jeudi 03 Février 1972
« Entretiens de Sainte-Anne » Table des matières

Je vais donc continuer un peu sur le thème du Savoir du Psychanalyste.


Je ne le fais ici que dans la parenthèse que j’ai déjà, les deux premières fois,
ouverte.

Je vous ai dit que c’est ici que j’avais accepté...


à la prière d’un de mes élèves
...de reparler cette année pour la première fois depuis 63.

Je vous ai dit la dernière fois quelque chose qui s’articulait en harmonie avec ce
qui nous enserre : « je parle aux murs ! ».

Il est vrai que de ce propos, j’ai donné un commentaire : un certain petit schéma,
celui repris de la bouteille de Klein,
qui devait rassurer ceux qui, de par cette formule [« je parle aux murs » ], pouvaient
se sentir exclus.

Comme je l’ai longtemps expliqué, ce qu’on adresse aux murs a pour propriété de
se répercuter.
Que je vous parle ainsi indirectement n’était fait certes pour offenser personne,
puisque après tout, on peut dire que ce n’est pas là un privilège de mon discours !

Je voudrais aujourd’hui éclairer à propos de ce mur...


qui n’est pas du tout une métaphore
...éclairer ce que je peux dire ailleurs.

Car évidemment, ça se justifiera, pour parler de Savoir, que ça ne soit pas à mon
séminaire que je le fasse.
Il ne s’agit pas en effet de n’importe lequel, mais du Savoir du psychanalyste. Voilà !

Pour introduire un peu les choses, suggérer une dimension à certains, j’espère, je
dirai :
qu’on ne puisse pas « parler d’amour »...
comme on dit, sinon de manière imbécile ou abjecte, ce qui est une
aggravation :
432
« abjecte » c’est comme on en parle dans la psychanalyse
...qu’on ne puisse donc « parler d’amour » mais qu’on puisse en écrire : ça devrait
frapper.

La lettre, la lettre « d’(a)mur »...


pour donner suite à cette petite ballade en six vers que j’ai commentée
ici la dernière fois
...il est clair qu’il faudrait que ça se morde la queue, et que si ça commence :

« Entre l’homme...
dont personne ne sait ce que c’est
Entre l’homme et l’amour, il y a la femme »

et puis comme vous le savez ça continue...


je ne vais pas recommencer aujourd’hui
...et ça devrait se terminer à la fin, à la fin il y a le mur :

« entre l’homme et le mur, il y a... »

...justement l’(a)mur, la lettre d’amour.

Ce qu’il y a de mieux dans ce qui s’écrase quelque part, ce curieux élan qu’on
appelle l’amour, c’est la lettre.
C’est la lettre qui peut prendre d’étranges formes.

Il y a un type, comme ça, il y a 3000 ans, qui était certainement à l’acmé de ses
succès, de ses succès d’amour,
qui a vu apparaître sur le mur quelque chose que j’ai déjà commenté...
je m’en vais pas reprendre
...« Mené, Mené... » - que ça se disait - « ...Tékel, Upharsîn. » [‫]מנא מנא תקל ופרסין‬,
ce que d’habitude - je ne sais pas pourquoi - on articule : « Mené,Thécel,Pharès ».42

42
Sur le mur de son palais, Balsazar, le dernier roi de Babylone vit s’inscrire en lettres de feu, trois
avertissements « Mené - Thécel – Pharès »,
« Mené - Tekel - Parsîn » en hébreu, soit : « pesé, jugé et condamné ». Le prophète Daniel traduisit : «
Tes jours sont comptés, tu as été trouvé trop léger
dans la balance, ton royaume sera partagé ». La Bible : Le Livre de Daniel, V, 25 à 28.

433
Quand la lettre d’amour nous parvient...
Car, comme je l’ai expliqué quelquefois, les lettres viennent toujours à
destination,
heureusement elles arrivent trop tard, outre qu’elles sont rares.
Il arrive aussi qu’elles arrivent à temps : c’est les cas rares où les rendez-vous ne
sont pas ratés.
Il n’y a pas beaucoup de cas dans l’histoire où ça soit arrivé, comme à ce
Nabuchodonosor quelconque.

Comme entrée en matière, je ne pousserai pas la chose plus loin, quitte à la


reprendre.
Car cet (a)mur, tel que je vous le présente, ça n’a rien de très amusant.

Or moi je ne peux pas me soutenir autrement que d’amuser, amusement sérieux


ou comique :
ce que j’avais expliqué la dernière fois, c’est que les amusements sérieux ça se
passerait ailleurs,
dans un endroit où l’on m’abrite, et que pour ici je réservais les amusements
comiques.

Je ne sais si je serai ce soir tout à fait à la hauteur, en raison peut-être de cette


entrée sur la lettre d’(a)mur.
Néanmoins, j’essaierai.

J’ai expliqué il y a 2 ans quelque chose qui, une fois passé comme ça dans la grande voie
poubellique, a pris le nom de quadripode. C’est moi qui avait choisi ce nom et vous
ne pourrez que vous demander pourquoi je lui ai donné un nom aussi étrange :
pourquoi pas « quadripède » ou « tétrapode », ça aurait eu l’avantage de ne pas être
bâtard.

434
Mais en vérité je me le suis demandé moi-même en l’écrivant, je l’ai maintenu, je
ne sais pas pourquoi,
puis je me suis demandé ensuite comment on appelait dans mon enfance ces termes
bâtards comme ça : mi-latins, mi-grecs.
Je suis sûr d’avoir su comment les puristes appellent ça, et puis je l’ai oublié 43.

Est-ce qu’il y a ici une personne qui sait comment on désigne les termes faits par
exemple comme le mot « sociologie »
ou « quadripode », d’un élément latin et d’un élément grec ? Je l’en supplie, que
celui qui le sait l’émette !
Eh bien, c’est pas encourageant !

Parce que depuis hier - hier, c’est-à-dire que c’était avant-hier - que j’ai
commencé à le chercher
et comme je ne trouvais pas toujours, depuis hier j’ai téléphoné à une dizaine de
personnes
qui me paraissaient les plus propices à me donner cette réponse. Bon, eh bien
tant pis !

→ → →

Mes « quadripode » en question, je les appelés ainsi pour vous donner l’idée qu’on
peut s’asseoir dessus...
histoire, puisque j’étais dans les mass-média 44, de rassurer un peu les
personnes
...mais en réalité, j’explique à l’intérieur ceci à propos de ce que j’ai isolé des 4
discours :
ces 4 discours résultent de l’émergence du dernier venu, du discours de l’analyste.

Le discours de l’analyste apporte en effet...

43
Isidore nomme les hybrides gréco-latins « notha », d’un terme grec qui signifiait : « bâtard par la
mère ». Mais ici il s’agit d’un hybride latino-grec.
Cf. « Bilinguisme et terminologie grammaticale gréco-latine » par Louis Basset..., éd. Peeters, 2007.
44
Cf. « Radiophonie », in Scilicet N°2-3, pp. 55-99, Seuil 1970.

435
dans un certain état actuel des pensées
...un ordre dont s’éclairent d’autres discours qui ont émergé bien plus tôt.

Je les ai disposés selon ce qu’on appelle une topologie.


Une topologie des plus simples mais qui n’en est pas moins une topologie, en ce
sens qu’elle est mathématisable.
Et elle l’est de la façon la plus rudimentaire, à savoir qu’elle repose sur le
groupement de pas plus de 4 points
que nous appellerons « monades ».

Ça n’a l’air de rien, néanmoins c’est si fortement inscrit dans la structure de notre
monde
qu’il n’y a pas d’autre fondement au fait de l’espace que nous vivons. Remarquez
bien ceci :
que mettre 4 points à égale distance l’un de l’autre c’est le maximum de ce que
vous pouvez faire dans notre espace.
Vous ne mettrez jamais cinq points à égale distance l’un de l’autre.

Cette menue forme que je viens de rappeler là, est là pour faire sentir de quoi il
s’agit : si les quadripodes sont, non pas tétraèdre, mais tétrade, que le nombre des
sommets soit égal à celui des surfaces est lié à ce même « triangle arithmétique »
que j’ai tracé à mon dernier séminaire [19-01-1972].

Comme vous le voyez, pour s’asseoir ça n’est pas de tout repos : ni l’un, ni l’autre.

La position de gauche vous y êtes habitués, de sorte que vous ne la sentez même
plus,
mais celle de droite n’est pas plus confortable : imaginez-vous assis sur un
tétraèdre posé sur la pointe.
C’est pourtant de là qu’il faut partir pour tout ce qu’il en est de ce qui constitue ce
type d’assiette sociale qui repose
sur ce qu’on appelle un discours. Et c’est cela que j’ai proprement avancé dans mon
avant-avant-dernier séminaire.

Le tétraèdre - pour l’appeler par son aspect présent - a de curieuses propriétés :


436
c’est que s’il n’est pas comme celui-là, régulier...
l’égale distance n’est là que pour vous rappeler les propriétés du
nombre quatre, eu égard à l’espace
...s’il est quelconque, il vous est proprement impossible d’y définir une symétrie.

Néanmoins il a ceci de particulier que si ses côtés, à savoir ces petits traits que
vous voyez qui joignent ce qu’on appelle en géométrie des sommets, si ces petits
traits vous les vectorisez, c’est-à-dire que vous y marquiez un sens, il suffit que
vous posiez comme principe qu’aucun des sommets ne sera privilégié de ceci...
qui serait forcément un privilège, puisque si ça se passait,
il y en aurait au moins deux qui ne pourraient pas en bénéficier
...si donc vous posez :
– que nulle part il ne peut y avoir convergence de trois vecteurs,
– ni nulle part divergence de trois vecteurs du même sommet,
vous obtenez alors nécessairement la répartition :
– deux arrivants, un partant,
– deux arrivants, un partant,
– un arrivant, deux partants,
– un arrivant, deux partants.

C’est-à-dire que tous les dits tétraèdres seront strictement équivalents, et que dans
tous les cas vous pourrez
par suppression d’un des côtés, obtenir la formule par laquelle j’ai schématisé mes
4 discours :

→ → →

Selon ceci qui a une propriété, d’un des sommets : la divergence, mais sans aucun
vecteur qui arrive pour le nourrir,
mais qu’inversement, à l’opposé vous avez ce trajet triangulaire. Ceci suffit à
permettre de distinguer en tous les cas,
par un caractère qui est absolument spécial, ces quatre pôles que j’énonce des
termes de la Vérité, du Semblant,
de la jouissance et du Plus-de-jouir.

Ceci est la topologie fondamentale d’où ressort toute fonction de la parole et


mérite d’être commenté.
437
C’est en effet une question que le discours de l’analyste est bien fait pour faire surgir,
que de savoir quelle est la fonction de la parole.

« Fonction et champ de la parole et du langage... », c’est ainsi que j’ai introduit ce qui
devait nous mener jusqu’à ce point présent de la définition d’un nouveau discours.
Non pas certes que ce discours soit le mien :
à l’heure où je vous parle, ce discours est bel et bien, depuis près de trois quarts de
siècle, installé.

Ce n’est pas une raison parce que l’analyste lui-même est capable, dans certaines
zones, de se refuser à ce que j’en dis, qu’il n’est pas support de ce discours. Et à la
vérité « être support » ça veut dire seulement dans l’occasion « être supposé ».
Mais que ce discours puisse prendre sens de la voix même de quelqu’un qui y est -
c’est mon cas –
tout autant sujet qu’un autre, c’est justement ce qui mérite qu’on s’y arrête, afin
de savoir d’où se prend ce sens.

À entendre ce que je viens d’avancer, la question du sens bien sûr peut vous
sembler ne pas poser de problèmes,
je veux dire qu’il semble que le discours de l’analyste fait assez appel à l’interprétation
pour que la question ne se pose pas.

Effectivement, sur un certain gribouillage analytique, il semble qu’on peut lire...


et ce n’est pas surprenant, vous allez voir pourquoi
...tous les « sens » que l’on veut jusqu’au plus archaïque, je veux dire y avoir
comme l’écho,
la sempiternelle répétition de ce qui, du fond des âges nous est venu sous ce
terme de « sens »,
sous des formes dont il faut bien dire qu’il n’y a que leur superposition qui fasse
sens.

Car à quoi doit-on que nous comprenons quoi que ce soit du symbolisme usité
dans l’Écriture sainte par exemple ?
Le rapprocher d’une mythologie, quelle qu’elle soit, chacun sait que c’est là une
sorte de glissement des plus trompeurs.
Personne, depuis un temps, ne s’y arrête. Que quand on étudie d’une façon
sérieuse ce qu’il en est des mythologies,
ce n’est pas à leur sens qu’on se réfère, c’est à la combinatoire des mythèmes.
Référez vous là-dessus à des travaux dont je n’ai pas, je pense, à vous évoquer

438
une fois de plus l’auteur. La question est donc bien de savoir d’où ça vient, le
« sens ».

Je me suis servi...
parce que c’était bien nécessaire
...je me suis servi...
pour introduire ce qu’il en est du discours analytique,
...je me suis servi sans scrupule du frayage dit linguistique.

Et pour tempérer des ardeurs qui autour de moi auraient pu s’éveiller trop tôt, vous
faire retourner dans la fange ordinaire, j’ai rappelé que ne s’est soutenu quelque
chose...
digne de ce titre « linguistique » comme science
...que ne s’est soutenu quelque chose qui semble avoir la langue comme telle,
voire la parole, pour objet,
que ça ne s’est soutenu qu’à condition de se jurer entre soi, entre linguistes, de ne
jamais plus jamais...
parce qu’on n’avait fait que ça pendant des siècles
...plus jamais, même de loin, faire allusion à l’origine du langage. C’était, entre autres,
un des mots d’ordre que j’avais donné à cette forme d’introduction qui s’est
articulée de ma formule « L’inconscient est structuré comme un langage ».

Quand je dis que c’était pour éviter à mon audience le retour à une certaine
équivoque fangeuse, ce n’est pas moi
qui me sers de ce terme, c’est Freud lui-même, et nommément justement à
propos des archétypes dits « jungiens »,
ça n’est certainement pas pour lever maintenant cet interdit : il n’est nullement
question de spéculer
sur quelque origine du langage, j’ai dit qu’il est question de formuler la fonction de la
parole.

La fonction de la parole - il y a très longtemps que j’ai avancé ça - c’est d’être la seule
forme d’action qui se pose comme vérité.
Qu’est-ce que c’est, non pas que la parole, c’est une question superflue, non
seulement je parle, vous parlez
et même ça parle comme je l’ai dit ça va tout seul, c’est un fait, je dirai même que
c’est l’origine de tous les faits,
parce que quoi que ce soit ne prend rang de fait que quand c’est dit.

439
Il faut dire que je n’ai pas dit « quand c’est parlé », il y a quelque chose de distinct
entre parler et dire.
Une parole qui fonde le fait, ça c’est un dire, mais la parole fonctionne même
quand elle ne fonde aucun fait :
quand elle commande, quand elle prie, quand elle injurie, quand elle émet un
vœu, elle ne fonde aucun fait.
Nous pouvons aujourd’hui ici...
c’est pas des choses que j’irais produire là-bas, à l’autre place
où heureusement je dis des choses plus sérieuses
...ici parce que c’est impliqué dans ce sérieux je développe toujours plus en
pointe,
et en restant toujours à la-dite pointe comme à mon dernier séminaire...
j’espère qu’il se fera qu’au prochain il y aura moins de monde : ce
n’était pas rigolo
...mais enfin ici on peut rigoler un peu, c’est des amusements comiques.

Dans l’ordre de l’amusement comique, la parole, c’est pas pour rien que dans les
dessins animés on vous la chiffre
sur des banderoles : la parole c’est comme là où ça bande... rôle ou pas !

C’est pas pour rien que ça instaure la dimension de la vérité, parce que la vérité, la
vraie, la vraie vérité,
la vérité telle qu’il se fait qu’on a commencé à l’entrevoir seulement avec le discours
analytique,
c’est que ce que révèle ce discours à tout un chacun, qui simplement s’y engage
d’une façon axante comme analysant, c’est que...
excusez-moi de reprendre ce terme, mais puisque j’ai commencé, je ne
l’abandonne pas
...c’est que de bander...
c’est ce que là-bas, place du Panthéon, j’appelle !
...c’est que de bander, ça n’a aucun rapport avec le sexe, pas avec l’autre en tout cas !

Bander - on est ici entre des murs - « bander pour une femme », il faut tout de même
appeler ça par son nom,
ça veut dire lui donner la fonction, ça veut dire la prendre comme phallus. C’est
pas rien le phallus !

Je vous ai déjà expliqué, là-bas où c’est sérieux, je vous ai expliqué ce que ça fait.
Je vous ai dit que « la signification du phallus » c’est le seul cas de génitif pleinement
équilibré,
440
ça veut dire que le phallus...
c’est que ce que vous expliquait ce matin, je dis ça pour ceux qui sont
un peu avertis
...c’est que ce que vous expliquait ce matin Jakobson :
le phallus c’est la signification, c’est ce par quoi le langage signifie. Il n’y a qu’une seule
Bedeutung, c’est le phallus.

Partons de cette hypothèse, ça nous expliquera très largement l’ensemble de la


fonction de la parole.
Car elle n’est pas toujours appliquée à dénoter des faits...
c’est tout ce qu’elle peut faire, on ne dénote pas des choses, on dénote
des faits
...mais c’est tout à fait par hasard, de temps en temps.

La plupart du temps elle supplée à ceci que la fonction phallique est justement ce qui
fait qu’il n’y a chez l’Homme
que les relations que vous savez, mauvaises, entre les sexes.
Alors que partout ailleurs, au moins pour nous, ça semble aller « à la coule ».

Alors c’est pour ça que dans mon petit quadripode vous voyez au niveau de la
vérité 2 choses, 2 vecteurs qui divergent :
– ce qui exprime que la jouissance, qui est tout au bout de la branche de droite,
c’est une jouissance certes phallique, mais qu’on ne peut dire jouissance sexuelle,
– et que pour que se maintienne quiconque de ces drôles d’animaux, ceux qui
sont proie de la parole, il faut qu’il y ait ce pôle là,
qui est corrélatif du pôle de la jouissance en tant qu’obstacle au rapport sexuel
: c’est ce pôle que je désigne du semblant.

C’est aussi clair pour un partenaire, enfin si nous osons, comme ça se fait tous les
jours, les épingler de leur sexe, il est éclatant que l’homme comme la
femme, ils font semblant, chacun, dans ce rôle.
Mais enfin, c’est des histoires qu’ils se donnent.

Mais l’important au moins quand il s’agit de la fonction de la parole, c’est que les
pôles soient définis :

441
– celui du semblant,

– et celui de la jouissance.

S’il y avait chez l’homme...


ce que nous imaginons de façon purement gratuite
...qu’il y ait une jouissance spécifiée de la polarité sexuelle, ça se saurait !
Ça s’est peut-être su, des âges entiers s’en sont vantés et après tout nous avons de
nombreux témoignages, malheureusement purement ésotériques, qu’il y a eu
des temps où on croyait vraiment savoir comment tenir ça.

Un nommé Van Gulik 45 dont le livre m’a paru excellent, qui pique par-ci par-là...
bien sûr il fait comme tout le monde, il pique plus près de ce
qu’il y a de la tradition écrite chinoise
...dont le sujet est « le savoir sexuel », ce qui n’est pas très étendu, je vous assure, ni
non plus très éclairé !
Mais enfin, regardez ça si ça vous amuse : « La vie sexuelle dans la Chine ancienne ».
Je vous défie d’en tirer rien qui puisse vous servir [Rires] dans ce que j’appelais
tout à l’heure l’état actuel des pensées !

L’intérêt de ce que je pointe, ce n’est pas de dire que depuis toujours les choses
en sont de même
que le point où nous en sommes venus. Il y a peut-être eu, il y a peut-être encore
même quelque part,
mais c’est curieux, c’est toujours dans des endroits où il faut vraiment
sérieusement montrer patte blanche pour entrer, des endroits où il se passe entre
l’homme et la femme cette conjonction harmonieuse qui les ferait être au septième
ciel,
mais c’est tout de même très curieux qu’on n’en entende jamais parler que du
dehors.

Par contre, il est bien clair qu’à travers une des façons que j’ai de définir que c’est
plutôt avec grand Φ
que chacun a rapport qu’avec l’autre, ça devient pleinement confirmé dès qu’on
regarde ce qu’on appelle
d’un terme qui tombe si bien, comme ça, grâce à l’ambiguïté du latin ou du grec,
ce qu’on appelle des « homos »...
45
Robert Hans Van Gulik : « La Vie sexuelle dans la Chine ancienne », Gallimard 1971.

442
ecce homo comme je disais [Rires]
...il est tout à fait certain que les « homos », ça bande bien mieux et plus souvent, et
plus ferme.

C’est curieux mais enfin c’est tout de même un fait auquel pour une personne qui
depuis un certain temps
a un peu entendu parler, ça ne fait pas de doute. Ne vous y trompez pas quand
même : il y a homo et « homo », hein ! [Rires] Je ne parle pas d’André Gide ! Faut
pas croire qu’André Gide était un homo !

Ça nous introduit à la suite. Ne perdons pas la corde, il s’agit du « sens ».


Pour que quelque chose ait du sens dans l’état actuel des pensées,
c’est triste à dire mais il faut que ça se pose comme normal.

C’est bien pour ça qu’André Gide voulait que l’homosexualité fût normale.
Et comme vous pouvez peut-être en avoir des échos, dans ce sens il y a foule :
en moins de deux ça va tomber comme ça sous la cloche du normal,
à tel point qu’on aura de nouveaux clients en psychanalyse qui viendront nous
dire :
« je viens vous trouver parce que je ne pédale pas normalement ! » [Rires] Ça va devenir un
embouteillage ! [Rires]

Et l’analyse est partie de là !


Si la notion de normal n’avait pas pris, à la suite des accidents de l’histoire, une pareille
extension, elle n’aurait jamais vu le jour. Tous les patients, non seulement qu’a
pris Freud mais c’est très clair à le lire que c’est une condition :
pour entrer en analyse, au début le minimum c’était d’avoir une bonne formation
universitaire.
C’est dit dans Freud en clair. Je dois le souligner, parce que le discours universitaire
dont j’ai dit beaucoup de mal,
et pour les meilleures raisons, mais quand même c’est lui qui abreuve le discours
analytique.

Vous comprenez, vous ne pouvez plus vous imaginer...


c’est pour vous faire imaginer quelque chose si vous en êtes capables,
mais qui sait, à l’entraînement de ma voix
...vous pouvez même pas imaginer ce que c’était une zone du temps qu’on
appelle à cause de ça « antique »,
où la δοχα [doxa], vous savez la célèbre δοχα dont on parle dans le « Ménon »,
« mais non, mais non » [Rires],
443
il y avait de la δοχα qui n’était pas universitaire.

Actuellement, mais il n’y a pas une δοχα, si futile, si boiteuse cahin-caha voire
conne, soit-elle
qui ne soit rangée quelque part dans un enseignement universitaire !
Il n’y a pas d’exemple d’une opinion, aussi stupide soit-elle, qui ne soit repérée,
voire...
à l’occasion de ce qu’elle est repérée
...enseignée. Ben ça fausse tout !

Parce que quand Platon parle de δοχα [doxa] comme de quelque chose dont il ne
sait littéralement que faire,
lui, philosophe qui cherche à fonder une science, il s’aperçoit que la δοχα,
la δοχα qu’il rencontre à tous les coins de rue, il y en a de vraies.

Naturellement, il n’est pas foutu de dire pourquoi, non plus qu’aucun philosophe,
mais personne ne doute qu’elles soient vraies, parce que la vérité ça s’impose.
Cela faisait un contexte, mais complètement différent à quoi que ce soit qui s’appelle
philosophie, que la δοχα ne soit pas normée. Il n’y a pas trace du mot « norme » nulle
part dans le discours antique.
C’est nous qui avons inventé ça, et naturellement en allant chercher un nom grec
d’usage rarissime !

Il faut quand même partir de là pour voir que le discours de l’analyste, c’est pas
apparu par hasard !
Il fallait qu’on soit au dernier état d’extrême urgence pour que ça sorte.

Bien entendu puisque c’est un discours de l’analyste, ça prend...


comme tous mes discours, les quatre que j’ai nommés
...le sens du génitif objectif :
– le discours du Maître c’est le discours sur le Maître, on l’a bien vu à l’acmé de
l’épopée philosophique dans Hegel.
– Le discours de l’analyste c’est la même chose : on parle de l’analyste, c’est lui
l’objet(a), comme je l’ai souvent souligné. Ça ne lui rend pas facile,
naturellement, de bien saisir quelle est sa position,
mais d’un autre côté, elle est de tout repos puisque c’est celle du semblant.

Alors notre Gide...


pour continuer la tresse : je prends le Gide,
puis je le relaisserai, puis on le reprendra ensemble, et ainsi de suite
444
...notre Gide là, parce qu’il est quand même exemplaire, il ne nous sort pas de
notre petite affaire, bien loin de là !

Son affaire c’est une affaire d’être désiré, comme nous trouvons ça couramment
dans l’exploration analytique.
Il y a des gens à qui ça a manqué dans leur petite enfance, d’être désiré.
Ça les pousse à faire des trucs pour que ça leur arrive sur le tard. C’est même très
répandu.

Mais il faut tout de même bien cliver les choses.


C’est pas sans rapport, pas du tout, avec le discours.
C’est pas de ces paroles comme il en sort un peu partout quand on est au
Carnaval.
Le discours et le désir, là ça a le plus étroit rapport.

C’est même pour ça que je suis arrivé à isoler - enfin, du moins je le pense - la
fonction de l’objet(a).
C’est un point-clé dont on n’a pas encore beaucoup tiré parti je dois dire, ça
viendra tout doucement.
L’objet(a) c’est ce par quoi l’être parlant, quand il est pris dans un discours, se
détermine.

Il ne sait pas du tout que ce qui le détermine, c’est l’objet(a).


En quoi il est déterminé ?
Il est déterminé comme sujet, c’est-à-dire qu’il est divisé comme sujet : il est la proie
du désir.

Ça a l’air de se passer au même endroit que les paroles subvertissantes, mais c’est
pas du tout pareil,
c’est tout à fait régulier, ça produit - c’est une production ! - ça produit
mathématiquement, c’est le cas de le dire,
cet objet(a) en tant que cause du désir.

C’est encore celui que j’ai appelé, comme vous le savez, l’objet métonymique :
ce qui court tout au long de ce qui se déroule comme discours, discours plus ou
moins cohérent,
jusqu’à ce que ça bute et que toute l’affaire se termine en eau de boudin.

445
Il n’en reste pas moins que c’est de là, et c’est ça l’intérêt, que nous prenons l’idée de la
cause. Nous croyons que dans la nature, il faut que tout ait une cause, sous
prétexte que nous sommes causés par notre propre bla-bla-bla. Ouais !

Il y a tous les traits chez André Gide que les choses sont bien telle que je vous l’ai
dit.
C’est d’abord sa relation avec l’Autre suprême : il ne faut pas croire du tout, du
tout, comme ça,
malgré tout ce qu’il a pu dire, que ça n’avait pas d’incidence, le grand Autre.

Là où ça prend forme, le (a) il en avait même une notion tout à fait spécifiée,
c’est à savoir que le plaisir de ce grand Autre, c’était de déranger celui de tous les
petits [autres] !
Moyennant quoi il pigeait très bien qu’il y avait là un point de tracas qui le sauvait
évidemment du délaissement de son enfance. Toutes ses taquineries avec Dieu, c’était
quelque chose de fortement compensatoire
pour quelqu’un qui avait si mal commencé. C’est pas son privilège [sic]. Ouais...

J’avais commencé autrefois...


j’en ai fait qu’une leçon, un « séminaire » ce qu’on appelle
...quelque chose sur le Nom du Père.

Naturellement, j’ai commencé par le Père même.


J’ai parlé pendant une heure, une heure et demie, de la jouissance de Dieu.
Si j’ai dit que c’était un « badinage mystique » c’était pour ne plus jamais en parler.

Il est certain que depuis qu’il y a un Dieu, seul et unique, enfin le Dieu qu’a fait
émerger une certaine ère historique,
c’est justement celui-là celui qui dérange le plaisir des autres. Il n’y a même que ça
qui compte.

– Il y a bien les Épicuriens qui ont tout fait pour enseigner la méthode pour ne
pas se laisser déranger dans le plaisir de chacun : et
ben ça a foiré !

– Il y en avait d’autres qui s’appelaient les Stoïciens et qui ont dit : « Mais il faut
au contraire se ruer dans le plaisir divin ». Mais ça rate aussi vous savez, ça ne
joue qu’entre les deux.

C’est la tracasserie qui compte ! Avec ça vous êtes tous dans votre aire naturelle.
446
Vous jouissez pas bien sûr, ça serait exagéré de le dire, d’autant plus que de toute
façon c’est trop dangereux,
mais enfin, on peut pas dire que vous n’avez pas du plaisir, hein !
C’est même là-dessus qu’est fondé le processus primaire.

Tout ça nous remet au pied du mur : qu’est-ce que c’est que le « sens » ?
Eh ben, il vaut mieux repartir au niveau du plaisir, du plaisir que l’autre vous fait,
c’est courant, on appelle ça même - dans une zone plus noble - de l’art (l,
apostrophe) [Rires].

C’est là qu’il faut attentivement considérer le mur, parce qu’il y a une zone du
« sens » bien éclairée.
Bien éclairée par exemple par le nommé Léonard De Vinci, comme vous le savez,
qui a laissé quelques manuscrits
et menues babioles, pas tellement - il n’a pas peuplé les musées - mais il a dit de
profondes vérités,
dont tout le monde devrait toujours se souvenir.

Il a dit : « Regardez le mur » - comme moi...


puis, depuis ce temps, il est devenu le Léonard des familles, on fait
cadeau de ses manuscrits.
Il y a un ouvrage de luxe - même à moi, on m’en a donnée une paire,
vous vous rendez compte, mais ça ne veut pas dire que c’est pas lisible
[Rires]
...alors il vous explique : « Regardez bien le mur » comme ici, c’est un peu sale.

Si c’était mieux entretenu il y aurait des tâches d’humidité et peut-être même des
moisissures.
Eh bien si vous en croyez Léonard : s’il y a une tache de moisissure,
c’est une belle occasion pour la transformer en madone ou bien en athlète
musculeux...
ça, ça se prête encore mieux, parce que dans la moisissure, il y a
toujours des ombres, des creux
...c’est très important ça : s’apercevoir qu’il y a une classe de choses sur les murs,
qui prête à la figure, à la création d’art, comme on dit. C’est le figuratif même, la
tache en question.

Il faut tout de même savoir le rapport qu’il y a entre ça et quelque chose d’autre
qui peut venir sur le mur,
c’est à savoir les ravinements, non pas seulement de la parole...
447
encore que ça arrive, c’est bien comme ça que ça commence toujours
...mais du discours. Autrement dit : si c’est du même ordre la moisissure sur le mur
ou l’écriture ?

Ça devrait intéresser ici un certain nombre de personnes qui, je pense, il n’y a pas
très longtemps, ça commence à vieillir, se sont beaucoup occupés d’écrire des
choses, des lettres d’amour sur les murs. C’était un vachement beau temps.
Il y en a qui ne s’en sont jamais consolés du temps où on pouvait écrire sur les
murs et où d’un truc dans Publicis
on déduisait que « les murs avaient la parole ». Comme si ça pouvait arriver !

Je voudrais simplement faire remarquer qu’il vaudrait mieux qu’il n’y ait jamais
rien d’écrit sur les murs.
Ce qui y est déjà écrit, il faudrait même l’en retirer.
– « Liberté - Égalité - Fraternité » par exemple, c’est indécent !
– « Défense de fumer », c’est pas possible, d’autant plus que tout le monde fume,
il y a là une erreur de tactique.

Je l’ai déjà dit tout à l’heure pour la lettre d’(a)mur : tout ce qui s’écrit renforce le mur.
C’est pas forcément une objection.
Mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’il ne faut pas croire que ce soit absolument
nécessaire.
Mais ça sert quand même parce que si on n’avait jamais rien écrit sur un mur -
quel qu’il soit, celui-là ou les autres –
eh bien, c’est un fait : on n’aurait pas fait un pas dans le sens de ce qui peut-être
est à regarder au-delà du mur.

Voyez-vous, il y a quelque chose dont je serai amené un peu à vous parler cette
année :
c’est les rapports de la logique et de la mathématique. Au-delà du mur...
pour vous le dire tout de suite
...il n’y a, à notre connaissance, que ce Réel qui se signale justement de l’impossible,
de l’impossible de l’atteindre au-delà du mur.
Il n’en reste pas moins que c’est le Réel.

Comment est-ce qu’on a pu faire pour en avoir l’idée ? Il est certain que le
langage y a servi pour un bout.
C’est même pour ça que j’essaie de faire ce petit pont dont vous avez pu voir
dans mes derniers séminaires l’amorce,
à savoir : comment est-ce que l’Un fait son entrée ?
448
C’est ce que j’ai exprimé déjà depuis trois ans avec des symboles : S1 et S2 :
– le premier, je l’ai désigné comme ça pour que vous y entendiez un petit
quelque chose du signifiant-Maître
– et le second, du savoir.

Mais est-ce qu’il y aurait S1 s’il n’y avait pas S2 ? C’est un problème, parce qu’il faut
qu’ils soient 2 d’abord pour qu’il y ait S1.
J’ai abordé la chose, là au dernier séminaire, en vous montrant que de toutes
façons ils sont au moins 2
même pour qu’un seul surgisse : 0 et 1, comme on dit : ça fait 2. Mais ça c’est au
sens où l’on dit que c’est infranchissable.

Néanmoins ça se franchit quand on est logicien, comme je vous l’ai déjà indiqué à
me référer à Frege.
Mais enfin, il vous en est j’espère pas moins apparu que c’était franchi d’un pied
allègre,
et que je vous indiquais à ce moment - j’y reviendrai - qu’il y avait peut-être plus
d’un petit pas. L’important n’est pas là.

Il est très clair que quelqu’un dont vous avez entendu - sans doute, certains -
parler pour la première fois ce matin :
René Thom qui est mathématicien. Il n’est pas pour ceci : que la logique...
c’est-à-dire le discours qui se tient sur le mur
...soit quelque chose qui suffise même à rendre compte du nombre, premier pas de la
mathématique.

Par contre il lui semble pouvoir rendre compte, non seulement de ce qui se trace
sur le mur...
ça n’est rien d’autre que la vie même, ça commence à la moisissure comme vous
savez
...rendre compte par le nombre, l’algèbre, les fonctions, la topologie, rendre compte de ce
qui se passe dans le champ de la vie.

J’y reviendrai ! Je vous expliquerai que le fait qu’il retrouve dans telle fonction
mathématique
le tracé même de ces courbes que fait la prime moisissure avant de s’élever
jusqu’à l’homme,
que ce fait le pousse jusqu’à cette extrapolation de penser que la topologie peut
fournir une typologie des langues naturelles.
449
Je ne sais pas si la question est actuellement tranchable.
J’essaierai de vous donner une idée d’où est son incidence actuelle, rien de plus.

Ce que je peux dire c’est qu’en tout cas le clivage du mur :


— le fait qu’il y ait quelque chose d’installé devant, que j’ai appelé : parole et langage,
— et que c’est d’un autre côté que ça travaille, peut-être mathématiquement,
...il est certain que nous ne pouvons pas en avoir d’autre idée.
Que la science repose, non comme on le dit sur la quantité, mais sur le nombre, la
fonction et la topologie,
c’est ce qui ne fait pas de doute. Un discours qui s’appelle « la Science », a trouvé le
moyen de se construire derrière le mur.

Seulement ce que je crois devoir nettement formuler et ce en quoi je crois être


d’accord avec tout ce qu’il y a
de plus sérieux dans la construction scientifique, c’est qu’il est strictement
impossible de donner à quoi que ce soit
qui s’articule en termes algébriques ou topologiques, l’ombre de sens.

Il y a du sens pour ceux qui, devant le mur, se complaisent de taches de moisissures


qui se trouvent si propices à être transformées
en madone ou en dos d’athlète, mais il est évident que nous ne pouvons pas nous
contenter de ces sens confusionnels.
Cela ne sert en fin de compte qu’à retentir sur la lyre du désir, sur l’érotisme pour
appeler les choses par leur nom.

Mais devant le mur il se passe d’autres choses, et c’est ce que j’appelle des discours.
Il y en a eu d’autres que ces miens quatre, que j’ai énumérés et qui ne se spécifient
d’ailleurs
qu’à devoir vous faire apercevoir tout de suite qu’ils se spécifient comme tels :
comme n’étant que 4.
Il est bien sûr qu’il y en a eu d’autres dont nous ne connaissons plus rien que ce
qui se converge dans ceux-là
qui sont les 4 qui nous restent, ceux qui s’articulent de la ronde du a, du S1 et du
S2, et même du sujet [S]
qui paye les pots cassés et qui de cette ronde, à se déplacer selon ces 4 sommets à
la suite,
nous ont permis de détacher quelque chose pour nous repérer.

450
→ → → ...

C’est quelque chose qui nous donne l’état actuel de ce qui - de lien social - se fonde du
discours,
c’est-à-dire quelque chose où, quelque place qu’on y occupe...
du maître, de l’esclave, du produit, ou de ce qui supporte toute l’affaire
...quelque soit la place qu’on y occupe, on n’y entrave jamais que pouic.

Le sens, d’où surgit-il ?


C’est en ça qu’il est très important d’avoir fait ce clivage - maladroit sans doute -
qu’a fait Saussure,
comme le rappelait ce matin Jakobson, du signifiant et du signifié. Chose d’ailleurs
qu’il héritait - c’est pas pour rien –
des Stoïciens dont tout à l’heure, je vous ai dit la position bien particulière dans ces
sortes de manipulations.

Ce qu’il y a d’important, bien sûr,


– c’est pas que le signifiant et le signifié s’unissent et que ce soit le signifié qui
nous permette de distinguer ce qu’il y a de
spécifique dans le signifiant, bien au contraire,
– c’est que le signifié d’un signifiant...
ce que j’articule des petites lettres que je vous ai dit tout à l’heure
[S2, S1]
...le signifié [S2] d’un signifiant [S1]...
là où on accroche quelque chose qui peut ressembler à un sens
...ça vient toujours de la place que le même signifiant occupe dans un autre discours.

451
C’est bien ça qui leur est à tous monté à la tête quand le discours analytique s’est
introduit :
il leur a semblé qu’ils comprenaient tout, les pauvres !
Heureusement que grâce à mes soins, ce n’est pas votre cas...

Si vous compreniez ce que je raconte ailleurs - là où je suis sérieux - vous n’en


croiriez pas vos oreilles.
C’est même pour ça que vous n’en croyez pas vos oreilles.
C’est parce qu’en réalité vous le comprenez, mais enfin vous vous tenez à
distance.

Et c’est bien compréhensible puisque, dans la grande majorité, le discours analytique


ne vous a pas encore attrapé.
Ça viendra malheureusement, car il a de plus en plus d’importance.

Je voudrais quand même dire quelque chose sur le savoir de l’analyste, à condition
que vous ne vous en teniez pas là.
Si mon ami René Thom arrive si aisément à trouver par des coupes de surfaces
mathématiques compliquées,
quelque chose comme un dessin, une zébrure, enfin quelque chose qu’il appelle
aussi bien une pointe, une écaille,
une fronce, un pli, et à en faire un usage véritablement captivant...
– si, en d’autres termes, il y a entre telle tranche d’une chose qui n’existe qu’à
ce qu’on puisse écrire : il existe X : : qui satisfait à
la fonction F(X),
– s’il fait ça avec tellement d’aisance,
...il n’en reste pas moins que tant que ça n’aura pas rendu raison d’une façon
exhaustive de ce avec quoi, malgré tout,
il est bien forcé de vous l’expliquer, à savoir le langage commun et la grammaire
autour,
il restera là une zone que j’appelle « zone du discours » et qui est celle sur laquelle
l’analytique des discours jette un vif jour.

Qu’est-ce qui là-dessus peut se transmettre d’un savoir ? Enfin, il faut choisir !
Ce sont les nombres qui savent, qui savent parce qu’ils ont fait s’émouvoir cette
matière organisée en un point,
bien sûr immémorial, et qui continuent de savoir ce qu’ils font.
Il y a une chose bien certaine, c’est que c’est de la façon la plus abusive que nous
mettons là-dedans un « sens ».

452
Que toute idée d’évolution, de perfectionnement, alors que dans la chaîne
animale supposée
nous ne voyons absolument rien qui atteste cette adaptation soi-disant continue,
à tel point qu’il a bien fallu tout de même qu’on y renonce et qu’on dise qu’après
tout,
ceux qui passent, alors là ce sont ceux qui ont pu passer. On appelle ça « la
sélection naturelle ».
Ça ne veut strictement rien dire. Ça a comme ça un petit sens emprunté à un
discours de pirate,
et puis pourquoi pas celui-là ou un autre ?

La chose la plus claire qui nous apparaît, c’est qu’un être vivant ne sait pas
toujours très bien quoi faire d’un de ses organes. Et après tout c’est peut-être un cas
particulier de la mise en évidence par le discours analytique du côté embarrassant du
phallus. Qu’il y ait un corrélat entre ça...
comme je l’ai souligné au début de ce discours
...un corrélat entre ça et ce qui se fomente de la parole, nous ne pouvons rien dire
de plus.

Qu’au point où nous en sommes de l’état actuel des pensées...


ça fait la sixième fois que je viens d’employer cette formule, il est bien clair
que ça n’a pas l’air de tracasser personne, c’est pourtant bien quelque chose
qui vaudrait qu’on y revienne, parce que l’état actuel des pensées,
j’en fais un meuble, c’est pourtant vrai, hein ? C’est pas de l’idéalisme de dire
que les pensées sont aussi strictement déterminées que le dernier gadget
...enfin, dans l’état actuel des pensées, on a le discours hystérique qui, quand on veut bien
l’entendre pour ce qu’il est,
se montre lié à une curieuse adaption. Parce qu’enfin, si c’est vrai cette histoire de
castration,
ça veut dire que chez l’homme la castration c’est le moyen d’adaptation à la survie.
C’est impensable mais c’est vrai.

Tout cela n’est peut-être qu’un artifice, un artefact de discours.


Que ce discours...
si savant à compléter les autres
...que ce discours se soutienne, c’est peut-être seulement une phase historique.

La vie sexuelle de la Chine ancienne va peut-être refleurir, elle aura un certain


nombre de sales ruines à engloutir

453
avant que ça se passe. Mais pour l’instant, qu’est-ce que ça veut dire, ce sens que
nous apportons ?
Ce sens, en fin de compte est énigme, et justement parce qu’il est sens.

Il y a quelque part, dans la 2nde édition d’un volume, de ce volume là que j’ai laissé
dans un temps sortir, qui s’appelle Écrits
il y a un petit ajout qui s’appelle « La métaphore du sujet ». J’ai joué longtemps sur la
formule dont se régalait
mon cher ami Perelman : « un océan de fausse science »…
On n’est jamais bien sûr, et je vous conseille de partir de là,
de ce que j’ai derrière la tête quand je m’amuse justement !
...« un océan de fausse science », c’est peut-être le savoir de l’analyste, pourquoi pas ?

Pourquoi pas, si justement c’est seulement de sa perspective que se décante ceci :


que la science n’a pas de sens,
mais qu’aucun sens de discours, à ne se soutenir que d’un autre, n’est que sens partiel.
Si la vérité ne peut jamais que se mi-dire, c’est là le noyau, c’est là l’essentiel du savoir
de l’analyste.

C’est qu’à cette place là...


dans ce que j’ai appelée tétrapode ou quadripède
...à la place de la vérité se tient S2. Ce savoir, c’est un savoir lui-même qui est donc
toujours à mettre en question.

De l’analyse, il y a une chose par contre à prévaloir : c’est qu’il y a un savoir qui se tire
du sujet lui-même.
À la place, pôle, de la jouissance, le discours analytique met S :
c’est dans le trébuchement, dans l’action ratée, dans le rêve, dans le travail de
l’analysant que résulte ce savoir.

Ce savoir qui, lui, n’est pas supposé, il est savoir caduque, rogaton de savoir, surrogaton de
savoir : c’est cela l’inconscient.

Ce savoir-là c’est ce que j’assume, je définis pour ne pouvoir se poser...


trait nouveau dans l’émergence
454
...que de la jouissance du sujet.

455
Jeudi 03 mars 1972
« Entretiens de Sainte-Anne » Table
des matières

Je m’excuse, c’est la première fois que je suis en retard. Je vous avertis : je suis
malade.
Vous êtes là, j’y suis aussi, c’est bien pour vous.
Je veux dire par là que je me sens anormalement bien sous l’influence d’une petite
température et de quelques drogues, de sorte que si jamais, tout d’un coup cette
situation changeait j’espère que ceux qui m’entendent depuis longtemps
expliqueraient aux nouveaux que c’est la première fois que ça m’arrive.

Alors, je vais essayer ce soir, donc d’être au niveau de ce que vous attendez,
ce que vous attendez ici où j’ai dit que je m’amuse.
Ça n’est pas forcé que ça reste toujours du même ton.
Vous voudrez bien m’excuser, ça ne sera certainement pas dû à mon état
anormal.
Ça sera bien selon la ligne de ce que j’ai, ce soir, l’intention de vous dire.

Ailleurs, évidemment je ne ménage guère mon auditoire.


Si quelques uns qui sont là - j’en aperçois quelques uns - se souviennent de ce
dont j’ai parlé la dernière fois :
j’ai parlé en somme de cette chose que j’ai résumée dans le noeud borroméen, je
veux dire une chaîne de 3,
et telle qu’à détacher un des anneaux de cette chaîne, les deux autres ne peuvent
plus un seul instant tenir ensemble.
De quoi ça relève ?

Je suis bien forcé de vous l’expliquer, puisque après tout je ne suis pas sûr que
donné tout brut,
tout simple, comme ça, ça suffise pour tous.
Ça veut dire une question concernant ce qui est la condition de l’inconscient.
Ça veut dire une question posée à ce qu’est le langage.
En effet, c’est là une question qui n’est pas tranchée.
Le langage doit-il être abordé dans sa grammaire, auquel cas - c’est certain - il
relève d’une topologie...

456
X - Qu’est-ce que c’est une topologie ?

Lacan

Ah, qu’est-ce que c’est qu’une topologie ? Comme cette personne est gentille !
Une topologie c’est une chose qui a une définition mathématique.
La topologie, c’est ceci qui s’aborde d’abord par des rapports non métriques...

X - Qu’est-ce que ça veut dire ?

...par des rapports déformables. C’est à proprement parler le cas de ces sortes de cercles
souples qui constituaient mon :

« je te demande - de me refuser - ce que je t’offre »

Chacun était une chose fermée, souple et qui ne tient qu’à être enchaînée aux
autres. Rien ne se soutient tout seul.
Cette topologie, du fait de son insertion mathématique, est liée à des rapports...
justement c’est ce que servait à démontrer mon dernier séminaire
...est liée à des rapports de pure signifiance, c’est-à-dire que c’est en tant que ces
trois termes sont trois,
que nous voyons que de la présence du troisième s’établit entre les deux autres
une relation.
C’est cela que veut dire le nœud borroméen.

Il y a une autre façon d’aborder le langage, et bien sûr la chose est actuelle.
Elle est actuelle pour le fait que quelqu’un que j’ai nommé...
il se trouve que je l’ai nommé après que l’ait fait Jakobson,
mais que - comme il arrive - je l’avais connu dès avant, c’est à savoir
un nommé René Thom
...et ce quelqu’un tente en somme...
certainement non sans en avoir déjà frayé certaines voies
...d’aborder la question du langage sous le biais sémantique, c’est-à-dire non pas
de la combinaison signifiante...
en tant que la mathématique pure peut nous aider à la concevoir
comme telle
...mais sous l’angle sémantique, c’est-à-dire non pas sans recourir aussi à la
mathématique, à trouver dans certaines courbes, dirais-je, certaines formes,
ajouterais-je, qui se déduisent de ces courbes, quelque chose qui nous permettrait

457
de concevoir le langage comme - dirais-je - quelque chose comme l’écho des
phénomènes physiques.

C’est à partir, par exemple : dans ce qui est purement et simplement


communication de phénomènes de résonance
que seraient élaborées des courbes, qui pour valoir dans un certain nombre de
relations fondamentales,
se trouveraient secondairement se rassembler, s’homogénéiser si l’on peut dire,
être prises dans une même parenthèse d’où résulteraient les diverses fonctions
grammaticales. Il me semble qu’il y a déjà un obstacle à concevoir les choses ainsi
: c’est qu’on est forcé de mettre sous le même terme « verbe » des types d’action
fort différentes.

Pourquoi le langage aurait-il - en quelque sorte - rassemblé dans une même


catégorie
des fonctions qui ne peuvent se concevoir d’origine que sous les modes
d’émergence très différents ?
Néanmoins la question reste en suspens.

Il est certain qu’il y aurait quelque chose d’infiniment satisfaisant à considérer que
le langage est en quelque sorte modelé sur les fonctions supposées être de la
réalité physique, même si cette réalité n’est abordable que par le biais
d’une fonctionnalisation mathématique.

Ce que je suis - pour moi - en train pour vous d’avancer, c’est quelque chose qui
foncièrement s’attache à l’origine purement topologique du langage. Cette origine
topologique, je crois pouvoir en rendre compte
à partir de ceci : qu’elle est liée essentiellement à quelque chose qui arrive sous le
biais - chez l’être parlant - de la sexualité.
L’être parlant est-il parlant à cause de ce quelque chose qui est arrivé à la sexualité,
ou ce quelque chose est-il arrivé à la sexualité parce qu’il est être parlant,
c’est une affaire où je m’abstiens de trancher, vous en laissant le soin.

Le schème fondamental de ce dont il s’agit, et que ce soir je vais tenter de pousser


devant vous un peu plus avant,
est ceci : la fonctions dite « sexualité » est définie...
pour autant que nous en sachions quelque chose,
nous en savons quand même un bout, ne serait-ce que par expérience
...de ceci que les sexes sont deux.

458
Quoi qu’en pense un auteur célèbre, qui je dois dire, dans son temps...
avant qu’elle eût pondu ce livre qui s’appelle « Le deuxième sexe »
...avait cru, en raison de je ne sais quelle orientation
car à la vérité, je n’avais encore commencé de rien enseigner
...avait cru devoir en référer à moi avant de pondre « Le deuxième sexe ».
Elle m’appela au téléphone pour me dire qu’assurément elle avait besoin de mes
conseils
pour l’éclairer sur ce qui devait être l’affluent psychanalytique à son ouvrage.

Comme je lui faisais remarquer qu’il faudrait bien au moins...


c’est un minimum puisque j’en parle depuis 20 ans et que ce n’est pas
par hasard
...qu’il faudrait bien 5 ou 6 mois pour que je lui débrouille la question, elle me fit
observer qu’il n’était pas question,
bien sûr, qu’un livre qui était déjà en cours d’exécution, attendît si longtemps.
Les lois de la production littéraire étant telles qu’il lui semblait exclu d’avoir avec
moi plus de 3 ou 4 entretiens.
À la suite de quoi, je déclinais cet honneur.

Le fondement de ce que je suis depuis un moment en train de sortir pour vous,


très précisément depuis l’année dernière, est très précisément ceci : qu’il n’y a pas
de deuxième sexe !
Il n’y a pas de deuxième sexe à partir du moment où entre en fonction le langage.

Ou pour dire les choses autrement concernant ce qu’on appelle l’hétérosexualité,


c’est très précisément en ceci :
c’est que le mot ετερος [étéros], qui est le terme qui sert à dire « autre » en grec,
est très précisément dans cette position, pour le rapport que chez l’être parlant on
appelle sexuel,
de se vider en tant qu’être et c’est précisément de ce vide qu’il offre à la parole ce
que j’appelle « le lieu de l’Autre »,
à savoir ce lieu où s’inscrivent les effets de la dite parole.

Je ne vais pas nourrir ceci, parce qu’après tout ça nous retarderait, de quelques
références étymologiques :

– comment ετερος [eteros] se dit, dans certain dialecte grec,


que je vous épargnerais même de vous nommer - ἅτερος [àteros],

– comment cet ετερος [eteros] se rallie à δεύτερος [dèfteros]


459
et très précisément marque que ce δεύτερος [dèfteros], dans l’occasion est si
je puis dire, élidé.

Il est clair que ceci peut paraître surprenant, comme il est évident que depuis des
temps une telle formule...
la vérité c’est que je ne sache pas qu’il y ait un repère d’un temps où
elle aurait été formulée
...une telle formule est très précisément ce qui est ignoré.
Je le prétends néanmoins, et je le soutiens de ce que vous voyez au tableau,
que c’est là ce qu’apporte l’expérience psychanalytique :

Pour ceci, rappelons sur quoi repose ce que nous pouvons avoir de la conception,
– non pas de l’hétérosexualité, puisqu’elle est en somme fort bien nommée,
si vous suivez ce que je viens d’avancer à l’instant,
– mais de la bisexualité.
Au point où nous en sommes de nos énoncés concernant ladite sexualité,
qu’avons nous ?

Ce à quoi nous nous référons...


et ne croyez pas que ça aille de soi
...ce à quoi nous nous référons, c’est au modèle, si je puis dire supposé animal.

Il y a donc un rapport entre les sexes et l’image animale de la copulation, qui nous
semble fournir un modèle suffisant
de ce qu’il en est du rapport, et du même coup que ce qui est sexuel est considéré
comme besoin.
Ce n’est pas là - loin de là, croyez-le - ce qui a été de toujours.
Je n’ai pas besoin de rappeler ce que veut dire « connaître » au sens biblique du
mot.

Depuis toujours le rapport du νοῦς [nouss] à quelque chose qui en subirait


l’empreinte passive,
qu’on appelle diversement, mais assurément dont la dénomination grecque la plus
usuelle est celle de la ὕλη [ýli : substance], depuis toujours le mode de relation qui
s’engendre de l’esprit a été considéré comme modelant,

460
non pas du tout simplement la relation animale, mais le mode fondamental d’être
de ce qu’on tenait pour être le monde.

Les chinois ont dans l’occasion fait appel à quelque chose qui s’écrit ainsi :

yīn : 陰
yáng : 陽

Les chinois depuis longtemps font appel à deux essences fondamentales qui sont
respectivement l’essence féminine
qu’ils appellent le Yin pour l’opposer au Yang qu’il se trouve que j’ai écrit - pas par
hasard sans doute - au-dessous.

S’il y avait rapport articulable sur le plan sexuel,


s’il y avait rapport articulable chez l’être parlant, devrait-il - c’est là la question -
s’énoncer
– de « tous ceux » d’un même sexe,
– à « tous ceux » de l’autre.

C’est évidemment l’idée que nous suggère, au point où nous en sommes, la


référence à ce que j’ai appelé le modèle animal :
– aptitude si je puis dire, de chacun, d’un côté,
– à valoir pour tous les autres, de l’autre.

Vous voyez donc que l’énoncé se promulgue selon la forme, la forme sémantique
significative de l’Universelle.
À remplacer dans ce que j’ai dit, « chacun » par « quiconque » ou par « n’importe qui » -
n’importe qui d’un de ces côtés -
nous serions tout à fait dans l’ordre de ce que suggère ce qui s’appellerait...
reconnaissez dans ce conditionnel quelque chose à quoi fait écho mon
Discours qui ne serait pas du semblant
...eh bien à remplacer « chacun » par « quiconque » nous serions bien dans cette
indétermination de ce qui est choisi
dans chaque « tous » pour répondre à « tous les autres ».

Le « chacun » que j’ai employé d’abord, a tout de même cet effet de vous rappeler
qu’après tout,
si j’ose dire, le rapport effectif n’est pas sans évoquer l’horizon du « un à un », de
l’« à chacun sa chacune ».
461
Ceci : correspondance biunivoque, fait écho à ce que nous savons qui est essentiel à
présentifier le nombre.

Remarquons ceci, c’est que nous ne pouvons dès l’abord éliminer l’existence de
ces 2 dimensions
et que l’on peut même dire que le modèle animal est justement ce qui suggère le
fantasme « animique ».
Si nous n’avions pas ce modèle animal...
même si le choix est de rencontre, l’accouplement bi-univoque est ce qui
nous en apparaît,
à savoir qu’il y a que deux animaux qui copulent ensemble
...eh bien, nous n’aurions pas cette dimension essentielle qui est très précisément
que la rencontre est unique.

Ce n’est pas hasard si je dis que c’est de là - de là seulement - que se fomente le


modèle animique :
appelons ça « la rencontre d’âme à âme » !

Celui qui sait la condition de l’être parlant n’a en tout cas pas à s’étonner que la
rencontre, à partir de ce fondement,
sera justement à répéter en tant qu’unique. Il n’y a là besoin de faire rentrer en jeu
aucune dimension de vertu.
C’est la nécessité même de ce qui, chez l’être parlant se produit d’unique : c’est qu’il
se répète.

C’est bien en quoi ce n’est que du modèle animal que se soutient et se fomente le
fantasme que j’ai appelé « animique »,
il y a des enfantesques [29’] là-dessous qui est là de dire « le langage n’existe pas », mais
ce n’est évidemment pas
ce qui nous intéresse dans le champ analytique. Ce qui nous donne l’illusion du
rapport sexuel chez l’être parlant
c’est tout ce qui matérialise l’Universel dans un comportement qui est effectivement de
« troupe » dans les rapports entre les sexes.

J’ai déjà souligné que dans la quête - ou la chasse, comme vous voudrez –
sexuelle :
– les garçons s’encouragent,
– et que pour les filles, elles aiment à se redoubler tant que cela les avantage,
bien sûr !

462
C’est une remarque éthologique que j’ai faite, à l’occasion, mais qui ne tranche
rien,
car il suffit d’y réfléchir pour y voir un miracle assez équivoque pour qu’il ne
puisse pas se soutenir longtemps.

Pour être ici plus insistant et m’en tenir au niveau de l’expérience la plus rase - je
veux dire à ras de terre -
l’expérience analytique, je vous rappellerai que l’imaginaire qui est ce que nous
reconstituons dans le modèle animal...
que nous reconstituons à notre idée bien sûr,
car il est clair que nous ne pouvons le reconstruire que par
l’observation
...mais l’imaginaire par contre, nous en avons une expérience, une expérience qui
n’est pas aisée
mais que la psychanalyse nous a permis d’étendre.

Et pour dire les choses crûment, il ne sera, me semble-t-il, pas difficile de me


faire entendre si j’avance...
j’ai appelé ça : « crûment », c’est pas si « cru », c’est « cruel » qu’il faut dire
...eh bien mon Dieu qu’en toute rencontre sexuelle, s’il y a quelque chose que la
psychanalyse permet d’avancer,
c’est bien je ne sais quel profil d’autre présence pour lequel le terme vulgaire de «
partouze » n’est pas absolument exclu.

Cette référence en elle-même n’a rien de décisif, puisqu’après tout, on pourrait


prendre l’air sérieux
de dire que c’est justement là « le stigmate de l’anomalie », comme si la normale - en
deux mots - était situable quelque part.

Il est certain qu’à avancer ce terme, celui que je viens d’épingler de ce nom
vulgaire,
je n’ai certainement pas cherché à faire vibrer chez vous la lyre érotique, et que si
simplement ça a une petite valeur d’éveil, que ça vous donne au moins cette
dimension, non pas celle qui peut ici faire écho d’Éros,
mais simplement la dimension pure du réveil. Je ne suis certes pas là pour vous
amuser dans cette corde !

Tâchons maintenant de frayer ce qu’il en est de la parenté de « l’Universelle » avec


notre affaire,

463
à savoir l’énoncé par quoi les objets devraient se répartir en deux « tous »
d’équivalence opposée.
Je viens de vous faire remarquer qu’il n’y a nullement lieu d’exiger
l’équinuméricité des individus
et je suis resté - comme j’ai pu - soutenir ce que j’avais à en avancer simplement
de la bi-univocité de l’accouplement.

Ce sont... ce seraient si c’était possible, deux « Universelles »,


définies donc par le seul établissement de la possibilité d’un rapport de « l’un à
l’autre » ou de « l’autre à l’un ».

Le dit rapport n’a absolument rien à faire avec ce qu’on appelle couramment des
« rapports sexuels ».
On a des tas de rapports à ces rapports, et sur ces rapports on a aussi quelques petits
rapports : ça occupe notre vie terrestre.
Mais au niveau où je le place, il s’agit de fonder ce rapport dans des Universels :
comment l’Universel « Homme » se rapporte à l’Universel « Femme » ? C’est là la
question.
Et c’est la question qui s’impose à nous du fait que le langage très précisément
exige que ce soit par là qu’il soit fondé.
S’il n’y avait pas de le langage, il n’y aurait pas non plus de question, nous n’aurions
pas à faire entrer en jeu l’Universel.

Ce rapport...
pour préciser : rendre l’Autre absolument étranger
à ce qui pourrait être ici purement et simplement secondant
...est ce qui peut-être ce soir, me force d’accentuer le « A » dont je marque cet
Autre comme vide,
de quelque chose de supplémentaire : un « H », le Hautre, ce qui ne serait pas une
si mauvaise manière de faire entendre la dimension de « Hun » qui peut ici entrer
en jeu, soit de nous apercevoir par exemple,
que tout ce que nous avons d’élucubrations philosophiques n’est peut-être pas
par hasard sorti d’un nommé Socrate, manifestement hystérique, je veux dire
cliniquement : enfin, nous avons le rapport de ses manifestations cataleptiques,
le nommé Socrate, s’il a pu soutenir un discours dont c’est pas pour rien qu’il est
à l’origine du discours de la science,
c’est très précisément pour avoir fait venir, comme je le définis, à la place du
semblant : le sujet.

464
Et ceci il l’a pu, très précisément en raison de cette dimension qui pour lui
présentifiait le « Hautre » comme tel,
à savoir cette haine de sa femme, pour l’appeler par son nom [Xanthippe], cette
personne qu’était sa femme
au point qu’elle « s’affemmait » à tel point, que lui, il a fallu au moment de sa mort
qu’il la prie poliment de se retirer
pour laisser à la dite mort, toute sa signification politique.
C’est simplement une dimension d’indication concernant le point où gît la question
que nous sommes en train de soulever.

J’ai dit que si nous pouvons dire qu’il n’y a pas de rapport sexuel, ce n’est assurément
pas en toute innocence,
c’est parce que l’expérience, à savoir un mode de discours qui n’est point absolument
celui de l’hystérique,
mais celui que j’ai inscrit sous une répartition quadripodique comme étant le discours
analytique :

Et que ce qui ressort de ce discours, c’est la dimension jamais jusqu’à présent


évoquée de la fonction phallique,
c’est à savoir ce quelque chose par quoi ce n’est pas du rapport sexuel que se
caractérise au moins l’un des deux termes...
et très précisément celui auquel s’attache ici ce mot : l’Hun,
c’est non pas de sa position d’Hun qui serait réductible à ce quelque
chose qu’on appelle soit « le mâle », soit dans la terminologie chinoise
l’essence du Yang
...c’est très précisément au contraire en raison de ce qui après tout mérite d’être
rappelé pour accentuer le sens...
le sens voilé parce qu’il nous vient de loin
...du terme d’organe, c’est justement ce qui n’est organe - pour accentuer les choses -
que comme un « ustensile ».

465
C’est autour de l’« ustensile » que l’expérience analytique nous incite à voir tourner
tout ce qui s’énonce du rapport sexuel. Ceci est une nouveauté, je veux dire [ceci]
répond à l’émergence d’un discours, qui assurément n’était jamais venu encore au jour,
et qui ne saurait se concevoir sans la préalable émergence du discours de la science
en tant qu’il est insertion du langage sur le réel mathématique.

J’ai dit que ce qui stigmatise ce rapport, d’être dans le langage profondément
subverti, est très précisément ceci :
qu’il n’y a plus moyen...
comme ça s’est fait pourtant, mais dans une dimension qui me paraît
être de mirage
...il ne peut plus s’écrire en termes d’essences mâle et femelle.

Que ce « ne pouvoir s’écrire » qu’est-ce que ça veut dire, puisque après tout ça s’est
déjà écrit ?

Si je repousse cette ancienne écriture au nom du discours analytique, vous pourriez


m’objecter une objection bien plus valable : que je l’écris moi aussi, puisque aussi
bien...
c’est ce que je viens de remettre une fois de plus au tableau
...c’est quelque chose qui prétend supporter d’une écriture - quoi ? - le réseau de
l’affaire sexuelle.

Néanmoins cette écriture ne s’autorise, ne prend sa forme que d’une écriture très
spécifiée, à savoir ce qu’a permis d’introduire dans la logique l’irruption
précisément de ce qu’on me demandait tout à l’heure, à savoir une topologie
mathématique.
Ce n’est qu’à partir de l’existence de la formulation de cette topologie que nous
avons pu, de toute proposition,
imaginer que nous fassions fonction propositionnelle, c’est-à-dire quelque chose qui se
spécifie de la place vide qu’on y laisse,
et en fonction de laquelle se détermine l’argument.

Ici je veux vous faire remarquer que très précisément ce que j’emprunte, à
l’occasion, à l’inscription mathématique,

466
en tant qu’elle se substitue aux premières formes - je ne dis pas formalisations -
aux formes ébauchées par Aristote
dans sa syllogistique, que donc cette inscription sous le terme fonction argument
pourrait, semble-t-il,
nous offrir un terme aisé à spécifier l’opposition sexuelle.

Qu’y faudrait-il ?
Il y suffirait que les fonctions respectives du mâle et de la femelle se distinguassent très
précisément comme le Yin et le Yang. C’est très précisément de ce que la fonction
est unique, il s’agit toujours de !, que s’engendre, comme vous le savez...
comme il n’est pas possible, du seul fait que vous soyez ici,
que vous n’en n’ayez pas au moins une petite idée
...que s’engendre la difficulté et la complication.

! affirme qu’il est vrai...


c’est le sens qu’a le terme de fonction
...qu’il est vrai que ce qui se rapporte à l’exercice, au registre de l’acte sexuel,
relève de la fonction phallique.

C’est très précisément en tant qu’il s’agit de fonction phallique, de quelque côté que
nous regardions, je veux dire : d’un côté ou de l’autre, que quelque chose nous
sollicite de demander alors en quoi les deux partenaires diffèrent.
Et c’est très précisément ce qu’inscrivent les formules que j’ai mises au tableau.

S’il s’avère que du fait de dominer également les deux partenaires, la fonction
phallique ne les fait pas différents,
il n’en reste pas moins que c’est d’abord ailleurs que nous devons en chercher la
différence.
C’est en quoi ces formules - celles inscrites au tableau - méritent d’être
interrogées sur les deux versants :
– le versant de gauche s’opposant au versant de droite,
– le niveau supérieur s’opposant au niveau inférieur.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

467
Ce que cela veut dire mérite d’être ausculté, si je puis dire, c’est à savoir d’être
interrogé,
je dirais d’abord sur ce en quoi elles peuvent faire montre d’un certain abus.
Il est clair que ce n’est pas parce que j’ai usé d’une formulation faite de l’irruption
des mathématiques dans la logique, que je m’en sers tout à fait de la même façon.

Et mes premières remarques vont consister à montrer qu’en effet la façon dont
j’en use est telle
qu’elle n’est aucunement traductible en termes de logique des propositions.

Je veux dire que le mode sous lequel la variable...


ce qu’on appelle la variable, à savoir ce qui fait place à l’argument
...est quelque chose qui est ici tout à fait spécifié par la forme quadruple
sous laquelle la relation de l’argument à la fonction est posée.

Pour simplement introduire ce dont il s’agit, je vous rappellerai qu’en logique des
propositions, nous avons de premier plan,
- il y en a d’autres - les 4 relations fondamentales qui en quelque sorte sont le
fondement de la logique des propositions,
qui sont respectivement : la négation, la conjonction, la disjonction et l’implication.

Il y en a d’autres, mais ce sont les premières, et toutes les autres s’y ramènent.
J’avance que la façon dont sont écrites nos positions d’argument et de fonction est
telle que la relation dite de négation,
par quoi tout ce qui est posé comme vérité ne saurait nier que passer au « faux », est
très précisément ce qui ici est insoutenable.

Car vous pouvez voir qu’au niveau, quel qu’il soit...


je veux dire le niveau inférieur et le niveau supérieur
...où l’énoncé de la fonction - à savoir qu’elle est phallique - où l’énoncé de la
fonction est posé :
– soit comme une vérité,
– soit précisément comme à écarter,
puisque après tout la vraie vérité ça serait justement ce qui ne s’écrit pas, ce qui ici
ne peut s’écrire que sous la forme
qui conteste la fonction phallique, à savoir : « Il n’est pas vrai que la fonction phallique soit
ce qui fonde le rapport sexuel ».

Que dans les deux cas, à ces deux niveaux qui sont comme tels indépendants,
dont il ne s’agit pas du tout de faire de l’un la négation de l’autre,
468
mais au contraire de l’un l’obstacle à l’autre, par contre ce que vous voyez se
répartir, c’est justement :

– un « il existe » [: §],
et un « il n’existe pas » [/ §]

– c’est un « Tout » d’un côté : « Tout x » [; !]


à savoir le domaine de ce qui est là ce qui se définit par la fonction phallique,
et la différence de la position de l’argument dans la fonction phallique,
c’est très précisément que ce n’est « Pas toute » femme qui s’y inscrit [; §].

Vous voyez bien que, loin que l’un s’oppose à l’autre comme sa négation, c’est
tout au contraire de leur subsistance,
ici très précisément comme niée :
– il y a un x qui peut se soutenir dans cet au-delà de la fonction phallique [: §],
– et de l’autre côté il n’y en a pas [/ §], pour la simple raison qu’une femme ne
saurait être châtrée pour les meilleures raisons.

C’est un certain niveau, c’est le niveau de ce qui justement nous est barré dans le
rapport sexuel
tandis qu’au niveau de la fonction phallique, c’est très précisément en ce qu’au « Tout
» s’oppose le « Pas Toute »
qu’il y a chance d’une répartition de gauche à droite de ce qui se fondera comme
mâle et comme femelle.

Loin donc, que la relation de négation nous force à choisir, c’est au contraire en
tant que loin d’avoir à choisir
nous avons à répartir, que les deux côtés s’opposent légitimement l’un à l’autre.

J’ai parlé - après la négation - de la conjonction. La conjonction, je n’aurai besoin pour


lui régler son compte, dans l’occasion,
que de faire la remarque, la remarque dont j’espère qu’il y a ici assez de gens qui
auront, comme ça, vaguement broutillé un livre de logique pour que j’aie pas
besoin d’insister, c’est à savoir que la conjonction est fondée très précisément sur
ceci qu’elle ne prend valeur que du fait que deux propositions peuvent être toutes
deux vraies.

Et c’est justement ce que d’aucune façon ne nous permet ce qui est inscrit au
tableau, puisque vous voyez bien

469
que de droite à gauche, il n’y a aucune identité et que très précisément là où il
s’agit de ce qui est posé comme vrai,
à savoir c’est justement à ce niveau que les Universelles ne peuvent se conjoindre :
l’Universelle du côté gauche ne s’opposant - de l’autre côté, du côté droit - qu’au
fait qu’il n’y a pas d’Universelle articulable, c’est à savoir que la femme, au regard
de la fonction phallique, ne se situe que de « pas toute » y être sujette.

L’étrange est que pour autant la disjonction ne tient pas plus. Si vous vous rappelez
que la disjonction ne prend valeur
que du fait que deux propositions ne peuvent... c’est impossible qu’elles soient
fausses en même temps.

C’est assurément la relation - dirons-nous la plus forte ou la plus faible ? - c’est


assurément la plus forte
en ceci que c’est celle qui est la plus dure à cuire, puisqu’il faut un minimum pour
qu’il y ait disjonction
– que la disjonction rend valable qu’une proposition soit vraie, l’autre fausse,
– que bien sûr toutes les deux soient vraies,
– à ceci s’ajoutant à ce que j’ai appelé « l’une vraie, l’autre fausse », ça peut-être «
l’une fausse, l’autre vraie ».
Il y a donc au moins 3 cas combinatoires où la disjonction se soutient.

La seule chose qu’elle ne puisse pas admettre, c’est que toutes les deux soient
fausses. Or nous avons ici deux fonctions qui sont posées comme n’étant pas - je
l’ai dit tout à l’heure - la vraie vérité, à savoir celles qui sont en haut. Nous
semblons ici tenir quelque chose qui donne espoir, à savoir qu’à tout le moins nous
aurions articulé une véritable disjonction.

Or remarquez ce qui est écrit, qui est quelque chose que j’aurai bien sûr l’occasion
d’articuler d’une façon qui le fasse vivre,
c’est qu’il n’y a très précisément d’un côté de ce § avec le signe de la négation au-
dessus,
à savoir que c’est en tant que la fonction phallique ne fonctionne pas qu’il y a chance
de rapport sexuel,
que nous avons posé qu’il faut qu’il existe un x pour cela [: §].
470
Or de l’autre côté qu’avons nous ? Qu’il n’en existe pas ! [/ §]

De sorte qu’on peut dire que le sort de ce qui serait un mode sous lequel se
soutiendrait la différenciation
du mâle et de la femelle, de l’homme et de la femme chez l’être parlant, cette chance que
nous avons qu’il y ait ceci,
c’est que si à un niveau il y a discorde…
et nous verrons ce que tout à l’heure j’entends dire par là, je veux dire au
niveau des Universels
qui ne se soutiennent pas du fait de l’inconsistance d’un d’entre eux
…que se passe-t-il là où nous écartons la fonction elle-même, c’est que :
– si d’un côté il est supposé qu’il existe un x qui satisfasse à ! nié [: §],
– de l’autre nous avons l’expresse formulation que aucun x [/ §].

Ce que j’ai illustré de dire que la femme, pour les meilleures raisons, ne saurait
être châtrée,
mais il n’y a justement que l’énoncé « aucun x ».
C’est-à-dire qu’au niveau où la disjonction aurait chance de se produire, nous ne
trouvons :
– d’un côté que 1, ou tout au moins ce que j’ai avancé de l’« au-moins-un »,
– et de l’autre très précisément la non existence, c’est-à-dire le rapport de 1 à
0.

Très précisément au niveau où le rapport sexuel aurait chance, non pas du tout
d’être réalisé,
mais simplement d’être espéré au-delà de l’abolition par l’écart de la fonction
phallique,
nous ne trouvons plus comme présence, oserais-je dire, que l’un des deux sexes.

C’est très précisément ceci qui est évidemment ce qu’il nous faut rapprocher de
l’expérience
telle que vous êtes habitués à la voir s’énoncer sous cette forme que la femme
suscite
de ce que l’Universel pour elle ne sache surgir de la fonction phallique, où elle ne
participe comme vous le savez...
ceci est l’expérience, hélas trop quotidienne pour ne pas voiler la
structure
...où elle ne participe qu’à la vouloir,
– soit la ravir à l’homme,
– soit - mon Dieu - qu’elle lui en impose le service, pour le cas « …ou pire »,
471
c’est le cas de le dire, qu’elle le lui rende.

Mais très précisément ceci ne l’universalise pas, ne serait-ce que de ceci, qui est
cette racine du « pas toute »,
qu’elle recèle une autre jouissance que la jouissance phallique :
la jouissance dite proprement féminine qui n’en dépend nullement.

Si la femme n’est « pas toute », c’est que sa jouissance, elle, est duelle.
Et c’est bien ce qu’a révélé Tirésias quand il est revenu d’avoir été par la grâce de
Zeus, Thérèse pour un temps,
avec naturellement la conséquence que l’on sait, et qui était là enfin comme
étalée, si je puis dire visible,
c’est le cas de le dire pour Œdipe, pour lui montrer ce qui l’attendait comme
d’avoir existé justement, lui,
comme homme de cette possession suprême qui résultait de la duperie où sa
partenaire le maintenait,
de la véritable nature de ce qu’elle offrait à sa jouissance, ou bien disons-le
autrement :
faute que sa partenaire lui demandât de refuser ce qu’elle lui offrait.

Ceci évidemment manifestant, mais au niveau du mythe, ceci :


que pour exister comme homme à un niveau qui échappe à la fonction phallique,
il n’avait d’autre femme que celle-là qui pour lui n’aurait justement pas dû exister.
Voilà !

Pourquoi ce « n’aurait pas dû », pourquoi la théorie de l’inceste, ça rendrait


nécessaire que je m’engage
sur cette voie des Noms du Père où précisément j’ai dit que je ne m’engagerai plus
jamais ?
C’est comme ça !

Parce qu’il s’est trouvé que j’ai relu...


parce que quelqu’un m’en a prié
...cette première conférence de l’année 1963, ici même - hein ! - à Sainte Anne.

C’est bien pour ça que j’y suis revenu, parce que j’aimais m’en rappeler, j’ai relu
ça, ça se lit,
ça a même une certaine dignité, de sorte que je la publierai si je publie encore, ce
qui ne dépend pas de moi !
Il faudrait que d’autres publient un peu avec moi, ça m’encouragerait.
472
Et si je le publie, on verra avec quel soin j’ai repéré alors...
mais je l’ai déjà dit depuis cinq ans sur un certain nombre de registre
...la métaphore paternelle notamment, le nom propre, il y avait tout ce qu’il fallait pour
que, avec la Bible,
on donne un sens à cette élucubration mythique de mes dires.

Mais je ne le ferai plus jamais, je ne le ferai plus jamais parce qu’après tout je peux
me contenter de formuler les choses au niveau de la structure logique qui, après
tout, a bien ses droits. Voilà !

Ce que je veux vous dire, c’est que cet /, à savoir « qu’il n’existe pas », rien d’autre
qui à un certain niveau,
celui où il y aurait chance qu’il y ait le rapport sexuel, que cet ετερος [eteros] en
tant qu’absent [/ §],
c’est pas du tout forcément le privilège du sexe féminin.

C’est simplement l’indication de ce qui est dans mon graphe...


je dis ça parce que ça a eu son petit sort
...de ce que j’inscris du signifiant de A barré [A], ça veut dire :
l’Autre, d’où qu’on le prenne, l’Autre est absent à partir du moment où il s’agit du
rapport sexuel.

Naturellement au niveau de ce qui fonctionne...


c’est-à-dire la fonction phallique
...il y a simplement cette discorde que je viens de rappeler, à savoir que d’un côté et
de l’autre,
là pour le coup on n’est pas dans la même position, à savoir que :
– d’un côté on a l’Universelle fondée sur un rapport nécessaire à la fonction
phallique,
– et de l’autre côté un rapport contingent parce que la femme n’est « pas toute ».

Je souligne donc qu’au niveau supérieur le rapport fondé sur la disparition,


l’évanouissement de l’existence
de l’un des partenaires qui laisse la place vide à l’inscription de la parole, n’est pas à ce
niveau-là le privilège d’aucun côté. Seulement pour qu’il y ait fondement du sexe,
comme on dit, il faut qu’ils soient deux : 0 et 1 assurément ça fait 2,
ça fait deux sur le plan symbolique, à savoir pour autant que nous accordons que
l’existence s’enracine dans le symbole.
C’est ce qui définit l’être parlant.
473
Assurément il est quelque chose. Peut-être bien, qui est-ce qui n’est pas ce qu’il
est ?
Seulement cet « être », il est absolument insaisissable.
Et il est d’autant plus insaisissable qu’il est forcé pour se supporter de passer par
le symbole.
Il est clair qu’un être, qui en vient à n’être, que du symbole, est justement cet être
sans être,
auquel - du seul fait que vous parliez - vous participez tous.

Mais par contre il est bien certain que ce qui se supporte c’est l’existence, et pour
autant qu’exister c’est pas être,
c’est-à-dire c’est dépendre de l’Autre.

Vous êtes bien là, tous par quelque côté, à exister, mais pour ce qui est de votre
être, vous n’êtes pas tellement tranquilles ! Autrement vous ne viendriez pas en
chercher l’assurance dans tant d’efforts psychanalytiques.

C’est évidemment là quelque chose qui est tout à fait originel dans la première
émergence de la logique.
Dans la première émergence de la logique il y a quelque chose qui est tout à fait
frappant,
c’est la difficulté, la difficulté et le flottement, qu’Aristote manifeste à propos du
statut de la proposition particulière.

Ce sont des difficultés qui ont été soulignées ailleurs, que je n’ai pas découvertes,
et pour ceux qui voudront s’y reporter, je leur conseille le cahier n° 10 des
« Cahiers pour l’analyse » où un premier article d’un nommé Jacques Brunswig
est là-dessus excellent. Ils y verront parfaitement pointée la difficulté qu’Aristote
a avec la Particulière.

C’est qu’assurément il perçoit que l’existence d’aucune façon ne saurait s’établir


que hors l’Universel, c’est bien en quoi
il situe l’existence au niveau de la Particulière, laquelle Particulière n’est nullement
suffisante pour la soutenir,
encore qu’il en donne l’illusion grâce à l’emploi du mot « quelque ».
Il est clair qu’au contraire ce qui résulte de la formalisation dite des quanteurs, dite
des quanteurs en raison d’une trace
laissée dans l’histoire philosophique, par le fait qu’un nommé Apulée qui était un
romancier pas de très bon goût
474
et un mystique certainement effréné, et qui s’appelait - je vous l’ai dit - Apulée. Il
a fait « L’âne d’or ».
C’est cet Apulée qui un jour a introduit que dans Aristote, ce qui concernait le «
tous » et le « quelque »
était de l’ordre de la quantité.

Ce n’est rien de tel, c’est au contraire simplement deux modes différents de ce


que je pourrais appeler,
si vous me passez ça qui est un peu improvisé, l’incarnation du symbole,
à savoir que le passage dans la vie courante, qu’il y ait des « tous » et des « quelque »
dans toutes les langues,
c’est bien là ce qui assurément nous force à poser que le langage doit tout de
même avoir une racine commune, et que...
comme les langues sont très profondément différentes dans leur
structure,
...il faut bien que ce soit par rapport à quelque chose qui n’est pas le langage.

Bien sûr, on comprend ici que les gens glissent, et que sous prétexte que ce qu’on
pressent être que cet au-delà du langage
ne peut-être que mathématique, on s’imagine, parce que c’est le nombre, qu’il s’agit de
la quantité.

Mais peut-être justement n’est-ce pas à proprement parler le nombre dans toute sa
réalité auquel le langage donne accès, mais seulement d’être capable d’accrocher
le 0 et le 1.
Ce serait par là que se serait faite l’entrée de ce réel, ce réel seul à pouvoir être l’au-
delà du langage,
à savoir le seul domaine où peut se formuler une impossibilité symbolique.

Ce fait que, du rapport, lui accessible au langage, accessible au langage s’il est fondé
très justement du non-rapport sexuel,
qu’il ne puisse donc qu’affronter le 0 et le 1, ceci trouverait aisément son reflet
dans l’élaboration par Frege de sa genèse logique des nombres.

Je vous ai dit - indiqué tout au moins - ce qui fait difficulté dans cette genèse
logique, à savoir justement la béance...
la béance que je vous ai soulignée du triangle mathématique
...entre ce 0 et ce 1, béance que redouble leur opposition d’affrontement.

475
Que déjà ce qui peut intervenir, ne soit là que du fait que ce soit là l’essence du 1er
couple, que ce ne puisse être
qu’un 3ème et que la béance comme telle soit toujours laissée du 2, c’est là quelque
chose d’essentiel à rappeler,
en raison de quelque chose de bien plus dangereux à laisser subsister dans l’analyse,
que les aventures mythiques d’Œdipe,
qui sont en elles-mêmes sans aucun inconvénient pour autant qu’elles structurent
admirablement
la nécessité qu’il y ait quelque part « au moins Un » qui transcende ce qu’il en est de
la prise de la fonction phallique.

Le mythe du « Père primitif » ne veut rien dire d’autre. Ceci y est très suffisamment
exprimé
pour que nous puissions en faire aisément usage, outre que nous le trouvons
confirmé par la structuration logique
qui est celle que je vous rappelle de ce qui est inscrit au tableau.

Par contre, assurément rien de plus dangereux que les confusions sur ce qu’il en
est de l’Un.
L’Un, comme vous le savez, est fréquemment évoqué par Freud comme
signifiant ce qu’il en est d’une essence de l’Éros qui serait celle justement de la
fusion, à savoir que la libido serait de cette sorte d’essence qui des 2 tendrait à faire
Un,
et qui - mon Dieu - selon un vieux mythe...
qui assurément n’est pas du tout de bonne mystique
...serait ce à quoi tiendrait une des tensions fondamentales du monde, à savoir de
ne faire qu’Un.
Ce mythe qui est véritablement quelque chose qui ne peut fonctionner qu’à un
horizon de délire
et qui n’a à proprement parler rien à faire avec quoi que ce soit que nous
rencontrions dans l’expérience.

S’il y a quelque chose qui est bien patent dans les rapports entre les sexes...
et que l’analyse non seulement articule, mais est faite pour faire jouer
dans tous les sens
...s’il y a bien quelque chose qui dans les rapports fait difficulté, c’est très précisément
les rapports entre les femmes et les hommes et que rien ne saurait y ressembler à je ne
sais quoi de spontané, hors précisément cet horizon dont je parlais tout à l’heure
comme étant à la limite fondé sur je ne sais quel mythe animal et que d’aucune
façon l’Éros, soit une tendance à l’Un. Bien loin de là!
476
C’est dans cette mesure, c’est dans cette fonction que toute articulation précise de
ce qu’il en est des deux niveaux...
de ce où ce n’est que dans la discorde que se fonde l’opposition entre les
sexes
en tant qu’ils ne pourraient d’aucune façon s’instituer d’un Universel
...qu’au niveau de l’existence - au contraire - c’est très précisément dans une
opposition qui consiste dans l’annulation,
le vidage, d’une des fonctions comme étant celle de l’autre, que recèle la possibilité de
l’articulation du langage,
c’est cela qui me paraît essentiellement à mettre en évidence.

Observez que tout à l’heure, vous ayant parlé successivement de la négation, de la


conjonction et de la disjonction,
je n’ai pas poussé jusqu’au bout de ce qu’il en était de l’implication.

Il est clair qu’ici encore l’implication, elle, ne saurait fonctionner qu’entre les deux
niveaux :
– celui de la fonction phallique,
– et celui qui l’écarte.

Or, rien de ce qui est disjonction, au niveau inférieur, au niveau de l’insuffisance de


la spécification universelle,
rien n’implique pour autant, rien n’exige, que ce soit si et si seulement la syncope
d’existence...
qui se produit au niveau supérieur
...effectivement se produise, pour que la discorde du niveau inférieur soit exigible,
et très précisément réciproquement.

Par contre ce que nous voyons, c’est une fois de plus fonctionner...
d’une façon, mais distincte, mais séparée
...la relation du niveau supérieur au niveau inférieur.

L’exigence qu’il existe « au-moins-un-homme »...

477
qui est celle qui paraît émise au niveau de ce féminin qui se spécifie
d’être un « pas-toute », une dualité
...le seul point où la dualité a chance d’être représentée, il n’y a là qu’un réquisit, si je
puis dire, gratuit.

Cet « au-moins-un », rien ne l’impose sinon la chance unique - encore faut-il qu’elle
soit jouée - de ce que quelque chose fonctionne sur l’autre versant, mais comme un
point idéal, comme possibilité pour tous les hommes d’y atteindre.
Par quoi ? Par identification ! Il n’y a là qu’une nécessité logique qui ne s’impose
qu’au niveau du pari.

Mais observez par contre ce qu’il en résulte concernant l’Universelle barrée…


et c’est en quoi cet au-moins-un dont se supporte le Nom du Père, le Nom du
Père mythique, est indispensable
…c’est ici que j’avance un aperçu qui est celui qui manque à la fonction, à la notion
de l’espèce ou de la classe.
C’est en ce sens que ce n’est pas par hasard que toute cette dialectique dans les
formes aristotéliciennes a été manquée.

Où fonctionne enfin cet :, cet « il en existe au-moins-un » qui ne soit pas serf de la
fonction phallique ?
Ce n’est que d’un requisit, je dirais du type désespéré, du point de vue de quelque chose
qui même ne se supporte pas d’une définition universelle.

Mais par contre observez qu’au regard de l’Universelle marquée ; !, tout mâle est
serf de la fonction phallique.
Cet au-moins-un comme fonctionnant d’y échapper, qu’est-ce à dire ? Je dirai que
c’est l’exception.

C’est bien la fois où ce que dit - sans savoir ce qu’il dit - le proverbe que «
l’exception confirme la règle »,
se trouve pour nous supportée. Il est singulier que ce ne soit qu’avec le discours
analytique que ceci, qu’un Universel
puisse trouver, dans l’existence de l’exception, son fondement véritable. Ce qui fait
qu’assurément nous pouvons
en tout cas distinguer l’Universel ainsi fondé de tout usage rendu commun par la
tradition philosophique du dit Universel.

Mais il est une chose singulière que je retrouve par voie d’enquête...

478
et parce que d’une formation ancienne je n’ignore pas tout à fait le
chinois
...j’ai demandé à un de mes chers amis de me rappeler ce qu’évidemment je
n’avais gardé plus ou moins que comme trace
et ce qu’il a fallu que je me fasse confirmer par quelqu’un dont c’est la langue
maternelle,
il est assurément très étrange que dans le chinois la dénomination du « tout homme
»,
– qu’il s’agisse de l’articulation de dōu, que je ne vous écris pas au tableau
parce que je suis fatigué,
– ou de l’articulation plus ancienne qui se dit quán...

Enfin si ça vous amuse, je vais quand même vous l’écrire :


dōu : 都, quán : 全
Est-ce que vous vous imaginez qu’on peut dire, par exemple : « Tous les hommes
bouffent », eh bien ça se dit :

měi gèrén dōu chī : 每个人都吃

« Měi » insiste sur le fait qu’il est bien là, et si vous en doutiez, la numérale « gè »
montre bien qu’on les compte.
Mais ça ne les fait pas « tous », on ajoute « dōu » ce qui veut dire « sans exception »46.
Je pourrais vous citer bien sûr, d’autres choses, je peux vous dire que « Tous les
soldats ont péri »,
ils sont tous morts, en chinois ça se dit : « Soldats sans exception caput ».

Le « tout » que nous voyons pour nous s’étaler de l’intérieur et ne trouver sa limite
que de l’inclusion,
d’être pris dans des ensembles de plus en plus vastes.
En langue chinoise, on ne dit jamais « měi » ni « dōu » qu’en pensant la totalité
dont il s’agit comme contenu.
Vous me direz : « sans exception », mais bien sûr ce que nous, nous découvrons
dans ce que je vous articule
comme relation ici de l’existence unique par rapport au statut de l’universel, prend
figure d’une exception.
Mais aussi bien n’est-ce, cette idée-là, que le corrélat de ce que j’ai appelé tout à
l’heure « le vide de l’Autre ».

46
Cf. sur le site « Lacanchine » les articles de Guy Flecher, Guy Sizaret...
479
Ce en quoi nous avons progressé dans la logique des classes, c’est que nous avons
créé la logique des ensembles.
La différence entre la classe et l’ensemble, c’est que :
– quand la classe se vide il n’y a plus de classe,
– mais que quand l’ensemble se vide, il y a encore cet élément de l’ensemble vide
[Ø].
C’est bien en quoi, une fois de plus, la mathématique fait faire un progrès à la
logique.

Et c’est ici que nous pourrons...


puisque nous continuons à nous entretenir, mais que ça va finir
bientôt, je vous l’assure
...c’est de voir alors là où reprendre l’unilatérité de la fonction existentielle pour
ce qui est de l’autre,
de l’autre partenaire en tant qu’il est « sans exception ».

Ce « sans exception », qu’implique la non-existence de X [/ §] dans la partie droite du


tableau,
à savoir qu’il n’y a pas d’exception et que c’est là quelque chose qui n’a plus ici de
parallélisme,
de symétrie avec l’exigence que j’ai appelée tout à l’heure « désespérée » de l’au-
moins-un,
c’est une exigence autre et qui repose sur ceci : c’est qu’en fin de compte
l’Universel masculin peut prendre son assiette dans l’assurance qu’il n’existe pas de
femme qui ait à être châtrée, et ceci pour des raisons qui lui paraissent évidentes.

Seulement ceci n’a en fait, vous le savez, pas plus de portée pour la raison que
c’est une assurance tout à fait gratuite,
à savoir que ce que j’ai rappelé tout à l’heure du comportement de la femme,
montre assez que sa relation à la fonction phallique est tout à fait active.

Seulement là comme tout à l’heure, si la supposition fondée sur, en quelque sorte,


l’assurance qu’il s’agit bien d’un impossible...
ce qui est le comble du réel
...ceci n’ébranle pas pour autant la fragilité, si je puis dire, de la conjecture
parce qu’en tout cas la femme n’en est pas plus assurée dans son essence universelle,
pour la simple raison de ceci : c’est que le contraire de la limite, à savoir : qu’il n’y
en ait pas, qu’ici il n’y ait pas d’exception,
le fait qu’il n’y ait pas d’exception n’assure pas plus l’Universel...
480
déjà si mal établi en raison de ceci qu’il est discordant
...n’assure pas plus l’Universel de la femme.

Le « sans exception », bien loin de donner à quelque « Tout » une consistance,


naturellement en donne encore moins à ce qui se définit comme « pas-tout », comme
essentiellement duel.
Voilà ! Je souhaite que ceci vous reste comme cheville nécessaire à ce que nous
pourrons tenter ultérieurement
comme grimpette, si assurément nous sommes portés sur la voie où doit
sévèrement s’interroger
l’irruption de cette chose la plus étrange, à savoir la fonction de l’Un.

On se demande bien des choses sur ce qu’il en est de la mentalité animale qui ne
nous sert après tout ici
que de référence en miroir, un miroir devant lequel - comme devant tous les
miroirs - on dénie purement et simplement.

Il y a quelque chose qu’on pourrait se demander : pour l’animal, y-a-t-il de l’Un ?


Le côté exorbitant de l’émergence de cet Un, c’est ce que nous serons amenés
ailleurs à tenter de frayer,
et c’est bien pour cela que depuis longtemps je vous ai invités à relire, avant que
je l’aborde, le « Parménide » de Platon.

481
Jeudi 04 mai 1972
« Entretiens de Sainte-Anne »
Table des matières

C’est un drôle d’emploi du temps, mais enfin pourquoi pas : pendant le week-end
il m’arrive de vous écrire.
C’est une façon de parler, j’écris parce que je sais que dans la semaine on se verra.
Enfin le week-end dernier, je vous ai écrit. Naturellement, dans l’intervalle, j’ai eu
tout à fait le temps d’oublier
cette écriture et je viens de la relire pendant le dîner hâtif que je fais pour être là à
l’heure. Je vais commencer par là.

Naturellement c’est un peu difficile, mais peut-être que vous prendrez des notes.
Puis après ça, je dirai les choses que j’ai pensées depuis, en pensant plus
réellement à vous.

J’avais écrit ceci...


que bien sûr je ne livrerai jamais à la poubellication,
je ne vois pas pourquoi j’augmenterai le contenu des bibliothèques
...il y a deux horizons du signifiant.

Là-dessus écrit, je fais une accolade...


comme c’est écrit, il faut que vous fassiez attention, je veux dire que
vous ne croyiez pas comprendre
...alors dans l’accolade :
– il y a le maternel, qui est aussi le matériel,
– et puis il y a écrit le mathématique.

J’y serai forcé, je le sais, mais enfin je ne peux pas me mettre tout de suite à
parler, sans ça je ne vous lirai jamais
ce que j’ai écrit. Peut-être que dans la suite, j’aurai à revenir sur cette distinction
dont je souligne qu’elle est d’horizon.

Les articuler, je veux dire comme tels...


ça c’est une parenthèse, je l’ai pas écrit
482
...je veux dire les articuler dans chacun de ces deux horizons, c’est donc...
ça, je l’ai écrit
...c’est donc procéder selon ces horizons eux-mêmes, puisque la mention de leur
« au-delà » - au-delà de l’horizon –
ne se soutient que de leur position...
quand ça vous ennuiera vous me le direz
et je vous raconterai les choses que j’ai à vous raconter ce soir
...de leur position - écris-je - en un discours de fait.

Pour le discours analytique ce « de fait » m’implique assez dans ses effets


pour qu’on le dise être de mon fait, qu’on le désigne par mon nom.

L’a-mur - ce que j’ai désigné ici pour tel - le répercute diversement avec les
moyens de ce qu’on appelle justement
« le bord », de ce « bord-homme ». Le « bord-homme » ça m’a inspiré - je l’ai écrit ça - : «
brrom ‘brrom -ouap - ouap ».
C’était une trouvaille d’une personne qui dans l’ancien temps m’a donné des
enfants.

C’est une indication concernant :


– la voix - l’(a)-voix - qui comme chacun sait aboie,
– et l’(a)-regard aussi, qui n’y « (a)regarde pas de si près »,
– et l’(a)stuce qui fait l’astuce,
– et puis l’(a)merde aussi, qui fait de temps en temps graffito
d’intentions plutôt injurieuses dans les pages journalistiques, à mon nom.
Bref, c’est l’(a)vie, comme dit une personne qui se divertit pour l’instant, c’est gai !
C’est vrai, en somme.

Ces effets n’ont rien à faire avec la dimension qui se mesure de mon fait,
c’est à savoir que c’est d’un discours qui n’est pas le mien propre que je fais la
dimension nécessaire.
C’est du discours analytique qui pour n’être pas encore - et pour cause ! -
proprement institué,
se trouve avoir besoin de quelques frayages à quoi je m’emploie.
Á partir de quoi ? Seulement de ceci en fait que ma position en est déterminée.

Bon. Alors maintenant, parlons de ce discours et du fait qu’y est essentielle la


position comme telle du signifiant.
Je voudrais quand même, vu ce public que vous constituez, vous faire une
remarque :
483
c’est que cette position du signifiant se dessine d’une expérience qu’il est à la portée
de chacun de vous, de faire,
pour vous apercevoir de quoi il s’agit et combien c’est essentiel.

Quand vous connaissez imparfaitement une langue et que vous lisez un texte,
eh bien vous comprenez, vous comprenez toujours. Ça devrait vous mettre un
peu en éveil.
Vous comprenez dans le sens où - d’avance - vous savez ce qui s’y dit.
Bien sûr, il en résulte que le texte peut se contredire.

Quand vous lisez par exemple un texte sur la Théorie des Ensembles,
on vous explique ce qui constitue l’ensemble infini des nombres entiers.
À la ligne suivante on vous dit quelque chose que vous comprenez, parce que
vous continuez de lire :
« Ne croyez pas que c’est parce que ça continue toujours qu’il est infini ».

Comme on vient de vous expliquer que c’est pour ça qu’il l’est, vous sursautez.
Mais quand vous y regardez de près, vous trouvez le terme qui désigne qu’il s’agit
de « deem » [juger, estimer],
c’est-à-dire que ce n’est pas sur ça que vous devez juger, parce qu’ils savent
qu’elle ne s’arrête pas cette série des nombres entiers, qu’elle est infinie, c’est pas
parce qu’elle est indéfinie.

De sorte que vous vous apercevez que c’est parce que,


– soit vous avez sauté « deem »,
– soit vous n’êtes pas assez familier avec l’anglais, que vous avez compris trop
vite,
c’est-à-dire que vous avez sauté cet élément essentiel qui est celui d’un signifiant
qui rend possible ce changement de niveau, grâce auquel vous avez eu un instant le
sentiment d’une contradiction.

II ne faut jamais sauter un signifiant.


C’est dans la mesure où le signifiant ne vous arrête pas que vous comprenez.
Or comprendre, c’est être toujours compris soi-même dans les effets du discours,
lequel discours en tant que tel ordonne les effets du savoir déjà précipités par le
seul formalisme du signifiant.

Ce que la psychanalyse nous apprend, c’est que : tout savoir naïf...


ça c’est écrit, et c’est pour ça que je le lis

484
...est associé à un voilement de la jouissance qui s’y réalise et pose la question de ce
qui s’y trahit des limites de la puissance, c’est-à-dire - quoi ? - du tracé imposé à la
jouissance.

Dès que nous parlons - c’est un fait ! nous supposons quelque chose à ce qui se
parle,
ce quelque chose que nous imaginons pré-posé, encore qu’il soit sûr que nous ne
le supposions jamais qu’après-coup.

C’est seulement au fait de parler que se rapporte, dans l’état actuel de nos
connaissances,
que puisse s’apercevoir que ce qui parle - quoi que ce soit - est ce qui jouit de soi comme
corps.

Ce qui jouit d’un corps qu’il vit comme...


ce que j’ai déjà énoncé
...du « tu-able », c’est-à-dire comme tutoyable, d’un corps qu’il tutoie et d’un corps à
qui il dit « tue-toie » dans la même ligne.

La psychanalyse, qu’est-ce ?
C’est le repérage de ce qui se comprend d’obscurci, de ce qui s’obscurcit en
compréhension,
du fait d’un signifiant qui a marqué un point du corps.

La psychanalyse, c’est ce qui reproduit...


vous allez retrouver les rails ordinaires
...c’est ce qui reproduit une production de la névrose.

Là-dessus tout le monde est d’accord.


Il n’y a pas un psychanalyste qui ne s’en soit aperçu.
Cette névrose qu’on attribue - non sans raison - à l’action des parents,
n’est atteignable que dans toute la mesure où l’action des parents s’articule
justement...
c’est le terme par quoi j’ai commencé la troisième ligne
...de la position du psychanalyste.

C’est dans la mesure où elle converge vers un signifiant qui en émerge, que la
névrose va s’ordonner selon le discours
dont les effets ont produit le sujet : tout parent traumatique est en somme dans la
même position que le psychanalyste.
485
La différence c’est que :
– le psychanalyste, de sa position, reproduit la névrose
– et que le parent traumatique, lui, la produit innocemment.

Ce dont il s’agit c’est - ce signifiant - de le reproduire à partir de ce qui d’abord a été


son efflorescence.
Faire un « modèle » de la névrose, c’est en somme l’opération du discours analytique.
Pourquoi ?

Dans la mesure où il y ôte la « cote » de jouissance !


La jouissance exige en effet le privilège : il n’y a pas deux façons d’y faire pour
chacun.
Toute reduplication la tue : elle ne survit qu’à ce que la répétition en soit vaine, c’est-à-
dire toujours la même.

C’est l’introduction du « modèle » qui, cette répétition vaine, l’achève.


Une répétition achevée la dissout, de ce qu’elle soit une répétition simplifiée.
C’est toujours bien sûr du signifiant que je parle quand je parle du « yadl’un ».

Pour étendre ce « dl’un » à la mesure de son empire...


puisqu’il est assurément le signifiant-maître
...il faut l’approcher là où on l’a laissé à ses talents, pour le mettre lui, au pied du
mur.

Voilà ce qui rend utile comme incidence, le point où j’en suis arrivé cette année,
n’ayant le choix que de ça « ...Ou pire »,
cette référence mathématique, ainsi appelée parce que c’est l’ordre où règne le
mathème,
c’est-à-dire ce qui produit un savoir qui, de n’être que produit, est lié aux normes
du plus-de-jouir, c’est-à-dire du mesurable.

Un mathème c’est ce qui proprement - et seul - s’enseigne.


Ne s’enseigne que l’Un. Encore faut-il savoir de quoi il s’agit.
Et c’est pour ça que cette année, je l’interroge.

Je ne poursuivrai pas plus loin ma lecture, que j’ai lue - je pense - assez lentement
- et qui est assez difficile pour que,
sur chacun de ses termes que j’ai bien épelés, quelques questions pour vous
s’accrochent.
Et c’est pour ça que maintenant, je vais vous parler plus librement.
486
Il y a quelqu’un, l’autre jour, qui au sortir du dernier truc au Panthéon...
il est peut-être là encore
...est venu m’interpeller sur le sujet de savoir « si je croyais à la liberté ».

Je lui ai dit qu’il était drôle, et puis comme je suis toujours assez fatigué, j’ai
rompu avec lui,
mais ça ne veut pas dire que je ne serai pas prêt, là-dessus, à lui faire
personnellement quelques confidences.

Il est un fait que j’en parle rarement.


En sorte que cette question est de son initiative.
Je ne déplorerai pas de savoir pourquoi il me l’a posée.

Ce que je voudrais alors plus librement dire, c’est que faisant allusion dans cet
écrit à ce en quoi,
à ce par quoi je me trouve en position, ce discours analytique, de le frayer,
c’est bien évidemment en tant que je le considère comme constituant, au moins
en puissance, cette sorte de structure
que je désigne du terme de discours, c’est-à-dire ce par quoi, par l’effet pur et
simple du langage, se précipite un lien social.

On s’est aperçu de ça sans avoir besoin pour autant de la psychanalyse.


C’est même ce qu’on appelle couramment « idéologie ».

La façon dont un discours s’ordonne de façon telle qu’il précipite un lien social
comporte, inversement,
que tout ce qui s’y articule s’ordonne de ses effets.

C’est bien ainsi que j’entends ce que pour vous j’articule du discours de la
psychanalyse :
c’est que s’il n’y avait pas de pratique psychanalytique,
rien de ce que je puis en articuler n’aurait d’effets que je puisse attendre.

Je n’ai pas dit « n’aurait de sens ».


Le propre du sens c’est d’être toujours confusionnel, c’est-à-dire de faire le pont, de
croire faire le pont, entre
– un discours en tant que s’y précipite un lien social,
– avec ce qui, d’un autre ordre, provient d’un autre discours.

487
L’ennuyeux c’est que quand vous procédez, comme je viens de dire dans cet écrit
« qu’il est question de procéder »,
c’est-à-dire de viser d’un discours ce qui y fait fonction de l’Un, qu’est-ce que je
fais en l’occasion ?
Si vous me permettez ce néologisme, je fais de l’unologie. Avec ce que
j’articule n’importe qui peut faire une ontologie,
d’après ce qu’il suppose au-delà justement de ces deux horizons, que j’ai marquée
être définis comme horizons du signifiant.

On peut se mettre, dans le discours universitaire, à reprendre de ma construction le


modèle, en y supposant
en un point arbitraire je ne sais quelle essence qui deviendrait - on ne sait
d’ailleurs pourquoi - la valeur suprême.
C’est tout particulièrement propice à ce qui s’offre au discours universitaire dans
lequel ce dont il s’agit c’est,
selon le diagramme que j’en ai dessiné, de mettre S2 - où ? - à la place du semblant.

Avant qu’un signifiant soit vraiment mis à sa place, c’est-à-dire justement repéré de
l’idéologie pour laquelle il est produit,
il a toujours des effets de circulation. La signification précède dans ses effets la
reconnaissance de sa place, sa place instituante.
Si le discours universitaire se définit de ce que le savoir y soit mis en position de
semblant, c’est ce qui se contrôle, c’est ce qui se confirme de la nature même de
l’enseignement où, qu’est-ce que vous voyez ?

C’est une fausse mise en ordre de ce qui a pu « s’éventailler », si je puis dire, au


cours des siècles, d’ontologies diverses.
Son sommet, son culmen c’est ce qui s’appelle glorieusement L’histoire de la
philosophie, comme si la philosophie n’avait pas...
et c’est amplement démontré
...son ressort dans les aventures et mésaventures du discours du Maître, qu’il faut
bien de temps en temps renouveler.

La cause des chatoiements de la philosophie est, comme c’est suffisamment


affirmé à partir des points d’où justement est sortie la notion d’idéologie, comme
si donc la cause dont il s’agit ne gisait pas ailleurs.
488
Mais il est difficile que tout procès d’articulation d’un discours - surtout s’il ne
s’est pas encore repéré –
donne prétexte à un certain nombre de soufflures prématurées de nouveaux
« êtres ».

Je sais bien que tout ça n’est pas facile et qu’il faut quand même...
ce dans la bonne tradition de ce que je fais ici
...que je vous dise des choses plus amusantes.

Alors parlons de « L’analyste et l’amour ». L’amour dans l’analyse...


et bien entendu c’est du fait de la position de l’analyste
...l’amour on en parle. Toutes proportions gardées, on n’en parle pas plus qu’ailleurs,
puisqu’après tout l’amour c’est à ça que ça sert.

Ce n’est pas ce qu’il y a de plus réjouissant, mais enfin dans le siècle, on en parle
beaucoup.
Il est même prodigieux - depuis le temps ! - qu’on continue à en parler, parce
qu’enfin depuis le temps,
on aurait pu s’apercevoir que ça ne réussit pas mieux pour autant.

Il est donc clair que c’est en parlant qu’on fait l’amour.


Alors l’analyste, quel est son rôle là-dedans ?
Est-ce que vraiment une analyse peut faire réussir un amour ?
Je dois vous dire, quant à moi... [Rires], que je n’en connais pas d’exemple. Et
pourtant j’ai essayé ! [Rires]

C’était pour moi - bien sûr, parce que je ne suis pas complètement né des
dernières pluies - une gageure.
J’espère que la personne dont il s’agit n’est pas là, j’en suis quasiment sûr [Rires] !
J’ai pris quelqu’un, Dieu merci, que je savais d’avance avoir besoin d’une
psychanalyse, mais sur la base de cette demande...
vous vous rendez compte de ce que je peux faire comme saloperies
pour vérifier mes affirmations
...sur la base de ceci : qu’il fallait à tout prix qu’il ait le conjugo avec la dame de son
cœur.

Naturellement, bien sûr ça a raté - Dieu merci ! - dans les plus brefs délais !
Bon, abrégeons, parce que tout ça ce sont des anecdotes.

489
C’est une autre histoire, mais comme ça, un jour où je serai en veine et où je me
risquerai à faire du La Bruyère,
je traiterai la question des rapports de l’amour avec le semblant.
Mais nous ne sommes pas là ce soir pour nous attarder à ces babioles !

Il s’agit de savoir ceci, sur quoi je reviens parce qu’il me semblait avoir frayé la
chose,
c’est le rapport de tout ça que je suis en train de ré-énoncer, que je vous rappelle
d’une brève touche des vérités d’expérience, c’est de savoir la fonction dans la
psychanalyse, du sexe.

Je pense quand même là-dessus avoir frappé les oreilles, même les plus sourdes,
par l’énoncé de ceci qui mérite d’être commenté : qu’il n’y a pas de rapport sexuel.
Bien sûr cela mérite d’être articulé.

Pourquoi est-ce que le psychanalyste s’imagine que ce qui fait le fond de ce à quoi il
se réfère, c’est le sexe ?
Que le sexe ça soit réel, ceci ne fait pas le moindre doute.
Et sa structure même, c’est le duel, le nombre « deux ».

Quoi qu’on en pense, il y en a deux : les hommes, les femmes, dit-on, et on


s’obstine à y ajouter les auvergnats ! [Rires] C’est une erreur ! Au niveau du réel il
n’y a pas d’auvergnats.
Ce dont il s’agit quand il s’agit de sexe c’est de l’autre, de l’autre sexe, même quand
on y préfère le même.

C’est pas parce que j’ai dit tout à l’heure que pour ce qui est de la réussite d’un
amour, l’aide de la psychanalyse est précaire, qu’il faut croire que le psychanalyste
s’en foute, si je puis m’exprimer ainsi.
Que le partenaire en question soit de l’autre sexe et que ce qui est en jeu ce soit
quelque chose qui ait rapport à sa jouissance, parle de l’autre, du tiers, à propos
duquel il est énoncé ce « parlage » autour de l’amour, l
e psychanalyste ne saurait y être indifférent, parce que celui qui n’est pas là, pour lui
c’est bien ça le réel.

Cette jouissance-là, celle qui n’est pas en analyse, si vous me permettez de


m’exprimer ainsi, elle fait fonction pour lui de réel.
Ce qu’il a par contre en analyse - c’est-à-dire le sujet - il le prend pour ce qu’il est,
c’est-à-dire pour effet de discours.

490
Je vous prie de remarquer au passage qu’il ne le subjective pas.
Ça ne veut pas dire que tout ça c’est ses petites idées, mais que comme sujet il est
déterminé par un discours
dont il provient depuis longtemps, et c’est ça qui est analysable.

L’analyste, je précise, n’est nullement nominaliste. Il ne pense pas aux


représentations de son sujet,
mais il a à intervenir dans son discours, en lui procurant un supplément de
signifiant.
C’est ce qu’on appelle l’interprétation.

Pour ce qu’il n’a pas à sa portée, c’est-à-dire ce qui est en question, à savoir la
jouissance de celui qui n’est pas là,
en analyse, il la tient pour ce qu’elle est, c’est-à-dire assurément de l’ordre du réel,
puisqu’il ne peut rien y faire.

Il y a une chose frappante c’est que le sexe comme réel...


je veux dire duel, je veux dire qu’il y en ait deux
...jamais personne, même l’évêque Berkeley, n’a osé énoncer que c’était une
petite idée que chacun avait en tête,
que c’était une représentation. Et c’est bien instructif que dans toute l’histoire de
la philosophie,
jamais personne ne se soit avisé d’étendre jusque là l’idéalisme.

Ce que je viens de vous définir à ce propos c’est ceci :


que surtout depuis quelque temps, le sexe, nous avons vu ce que c’était au
microscope...
je ne parle pas des organes sexuels, je parle des gamètes
...rendez-vous compte qu’on manquait de ça jusqu’à Leeuwenhoek et
Swammerdam.

Pour ce qui est du sexe, on en était réduit à penser que le sexe c’était partout :
[55’...]
la nature, le νοῦς [nouss], tout le bastringue, tout ça c’était le sexe... et les vautours
femelles faisaient l’amour avec le vent.47

47
Cf. « Dictionnaire de la fable ou mythologie grecque, latine, égyptienne » par François-Joseph-Michel Noël
(1803) :

491
Le fait que nous sachions d’une façon certaine que le sexe ça se trouve là :
dans deux petites cellules qui ne se ressemblent pas, de ceci et sous prétexte du
sexe...
bien sûr, depuis bien avant qu’on ait su qu’il y a deux espèces de
gamètes
...au nom de ça le psychanalyste croit qu’il y a rapport sexuel.

On a vu des psychanalystes...
dans la littérature, dans un domaine dont on ne peut pas dire qu’il soit
très filtré
...trouver dans l’intrusion du gamète mâle...
du « spermato » comme on dit, et « zoïde » encore
...dans l’enveloppe de l’ovule, trouver là le modèle de je ne sais quelle effraction
redoutable.

Comme s’il y avait le moindre rapport...


entre cette référence qui n’a pas le moindre rapport, si ce n’est de la plus
grossière métaphore,
avec ce dont il s’agit dans la copulation
...comme s’il pouvait y avoir là quoi que ce soit qui se réfère avec ce qui entre
en jeu dans les rapports dits « de l’amour », à savoir - comme je l’ai dit et tout
d’abord - beaucoup de paroles. C’est bien là toute la question.

Et c’est bien là que l’évolution des formes du discours est pour vous bien plus
indicative dans ce dont il s’agit - c’est d’effets du discours - bien plus indicative
que toute référence à ce qui totalement, même s’il est sûr que les sexes soient
deux,à ce qui totalement reste en suspens, c’est à savoir si ce que ce discours est
capable d’articuler, comprend
oui ou non, le rapport sexuel. C’est ça qui est digne d’être mis en question.

Les petites choses que je vous ai déjà écrites au tableau, à savoir :

« Le vautour est employé pour désigner la mère, parce que selon les Égyptiens, il n’y a que des
vautours femelles. Voici, disent-ils, de quelle
manière cet oiseau est engendré : lorsqu’il est en amour, il ouvre au vent du nord les parties
génitales et en est comme fécondé pendant cinq
jours, durant lesquels il ne mange ni ne boit, tout occupé du soin de se reproduire. »

492
– l’opposition d’un : et d’un /, d’un « il existe » et d’un « non il existe » au même
niveau,
– celui d’« il n’est pas vrai que Φx », et d’autre part d’un « tout x est conforme à la
fonction Φx » et de « pas tout » - qui est une formule
nouvelle - « pas tout », et rien de plus, « n’est susceptible » - dans la colonne de
droite - « de satisfaire à la fonction dite phallique »,
c’est cela autour de quoi...
comme je tâcherai de l’expliquer dans les séminaires qui vont suivre,
c’est-à-dire ailleurs
...c’est cela, c’est-à-dire dans une série de béances qui se trouvent en tous les points de
présumer qu’en fonction
de ces termes - c’est-à-dire ici, ici, ici, ici - des béances diverses, pas toujours les
mêmes,

...c’est cela qui mérite d’être pointé pour donner son statut à ce qu’il en est autour
du sujet, du rapport sexuel.

Ceci nous montre assez à quel point le langage trace, dans sa grammaire même,
les effets dits de sujet,
ceci recouvre assez ce qui s’est découvert d’abord de la logique, pour que nous
puissions dès maintenant nous attacher comme je le fais depuis quelques-uns de
ces appels que je fais, à l’audition d’un signifiant,
pour que je puisse tenter d’y donner sens, car c’est le seul cas - et pour cause - où
ce terme « sens » soit justifié,
à l’énoncer : « y a d’l’Un ».

Parce qu’il y a une chose qui doit quand même vous apparaître,
c’est que s’il n’y a pas de rapport, c’est que - des deux - chacun reste un.
L’inouï c’est que les psychanalystes, dont à plus ou moins juste titre on dénonce
la mythologie,
il est drôle que justement celle qu’on manque à dénoncer, soit la plus à portée de
la main.

Quand les gamètes se conjoignent, ce qui en résulte, c’est pas la fusion des deux.

493
Avant que ça se réalise il y faut une vache d’évacuation : la méiose qu’on appelle
ça !
Et ce qui est Un, nouveau, ça se fait avec ce que nous pouvons appeler assez
justement...
pourquoi pas, je ne veux pas aller trop loin
...je ne dirai pas des débris de chacun d’eux, mais enfin un « chacun d’eux » qui a lâché
un certain nombre de débris.

Trouver - et mon Dieu sous la plume de Freud - l’idée que l’Éros se fonde...
au subjonctif [donc : fondre] : voyez l’équivoque, mais je ne vois pas
pourquoi
je ne me servirai pas de la langue française, entre fondation et fusion
...que l’Éros se fonde de faire de l’Un avec les deux, c’est évidemment une idée
étrange,
à partir de laquelle, bien sûr, procède cette idée absolument exorbitante
qui s’incarne dans la prêcherie à laquelle pourtant le cher Freud répugne de tout
son être...
il nous la lâche de la façon la plus claire dans « L’avenir d’une illusion »,
dans bien d’autres choses encore, dans bien d’autres endroits, dans
« Malaise dans la civilisation »
...sa répugnance à cette idée de l’amour universel.

Et pourtant la force fondatrice de la vie, de « l’instinct de vie », comme il s’exprime,


serait tout entière dans cet Éros qui serait principe d’union !

C’est pas seulement pour des raisons didactiques que je voudrais produire devant
vous, sur le sujet de l’Un,
ce qui peut être dit pour contrebattre cette mythologie grossière, outre qu’elle
nous permettra peut-être,
non seulement d’exorciser l’Éros, j’entends l’Éros de doctrine freudienne, mais la
chèreThanatos aussi
avec laquelle on nous emmerde depuis assez longtemps.

Et il n’est pas vain à cet endroit, de nous servir de quelque chose dont ce n’est
pas par hasard que c’est venu au jour depuis quelques temps. J’ai déjà introduit la
dernière fois une considération sur ce qui se repère comme la théorie des ensembles. Bien
sûr, ne vous précipitez pas comme ça !

Pourquoi pas aussi... parce qu’on peut aussi un peu rigoler :

494
les hommes et les femmes, ils sont « ensemble » eux aussi. Ça ne les empêche pas
d’être chacun de son côté.
Il s’agit de savoir si, sur ce « y a d’l’Un » dont il est question, nous ne pourrions
pas de « l’ensemble »...
d’un « ensemble » bien sûr, qui n’a jamais été fait pour ça
...tirer quelque lumière.

Alors puisqu’ici je fais des ballons d’essai, je propose simplement de tâcher de voir
avec vous ce qui là-dedans peut servir, je ne dirai pas d’illustration, il s’agit de
bien autre chose : il s’agit de ce que le signifiant a à faire avec l’Un.
Parce que bien sûr l’Un c’est pas d’hier qu’il est surgi.

Mais il est surgi quand même à propos de deux choses tout à fait différentes :
– à propos d’un certain usage des instruments de mesure,
– et en même temps de quelque chose qui n’avait absolument aucun rapport,
à savoir de la fonction de l’individu.

L’ individu, c’est Aristote.


Aristote, ces êtres qui se reproduisent, toujours les mêmes, ça le frappait.
Ça en avait frappé déjà un autre, un nommé Platon, dont à la vérité je crois que
c’est parce qu’il n’avait rien de mieux
à s’offrir pour nous donner l’idée de la forme qu’il en arrivait à énoncer que la forme
est réelle.
Il fallait bien qu’il illustre comme il le pouvait, son idée de « l’Idée ».

L’autre [Aristote] bien sûr, fait remarquer que quand même, « la forme » c’est très
joli mais que ce en quoi elle se distingue
c’est ceci : c’est que c’est simplement elle que nous reconnaissons dans « un certain
nombre d’individus qui se ressemblent ».
Nous voilà partis sur des pentes métaphysiques diverses. Ceci ne nous intéresse à
aucun degré, la façon dont l’Un s’illustre :
– que ce soit de l’individu
– ou que ce soit d’un certain usage pratique de la géométrie.

Quels que soient les perfectionnements que vous puissiez ajouter à la dite
géométrie...
par la considération des proportions, de ce qui se manifeste de différence
entre la hauteur d’un pieu et celle de son ombre
...Il y a beau temps que nous nous sommes aperçus que l’Un pose d’autres
problèmes,
495
et ceci pour le simple fait que la mathématique a un tant soit peu progressé.

Je ne vais pas revenir sur ce que j’ai énoncé la dernière fois, à savoir sur le calcul
différentiel,
les séries trigonométriques et, d’une façon générale, la conception du nombre
comme défini par une séquence.

Ce qui apparaît très clairement, c’est que la question est là posée tout autrement
de ce qu’il en est de l’Un,
parce qu’une séquence ça se caractérise de ceci : que c’est foutu comme la suite
des nombres entiers.
Il s’agit de rendre compte de ce que c’est que le nombre entier.

Je ne vais pas bien sûr vous faire d’énoncé de la théorie des ensembles. Je veux
simplement pointer ceci :
– que premièrement il a fallu attendre assez tard, la fin du dernier siècle, ça
n’est pas depuis plus de cent ans qu’il a été tenté de
rendre compte de la fonction de l’Un,
– qu’il est remarquable que « l’ensemble » se définisse d’une façon telle que le
premier aspect sous lequel il
apparaisse soit celui de « l’ensemble vide », et que d’autre part ceci constitue un
« ensemble », à savoir celui dont le dit « ensemble
vide » [Ø] est le seul élément : ça fait un « ensemble à un élément ».

C’est de là que nous partons, et la dernière fois...je le dis pour ceux qui n’y étaient
pas au Panthéon, là où j’ai commencé d’aborder ce sujet glissant - que le fondement
de l’Un, de ce fait-là, s’avère être proprement constitué de la place d’un manque.
Je l’ai illustré grossièrement de l’usage pédagogique dans ce dont il s’agit de faire
entendre de la dite théorie des ensembles, pour faire sentir que la dite théorie n’a
d’autre objet direct que de faire apparaître comment peut s’engendrer la notion
propre de nombre cardinal par la correspondance biunivoque. Je l’ai illustré la
dernière fois : c’est au moment où manque - dans les deux séries comparées - un
partenaire, que la notion de l’Un surgit : il y en a un qui manque.

Tout ce qui s’est dit du nombre cardinal ressortit de ceci, c’est que si la suite des
nombres comporte toujours nécessairement un,
et un seul, successeur, si pour autant que ce que, dans le cardinal se réalise - de l’ordre
du nombre - ce dont il s’agit :
c’est proprement la suite cardinale en tant que commençant à zéro, elle va jusqu’au
nombre qui précède immédiatement le successeur.
496
En vous énonçant ainsi - d’une façon improvisée - j’ai fait dans mon énoncé une
petite faute :
celle par exemple de parler d’une suite comme si elle était d’ores et déjà
ordonnée.
Retirez ceci que je n’ai point affirmé : c’est simplement que chaque nombre -
cardinalement - correspond au cardinal
qui le précède en y ajoutant l’ensemble vide.

L’important de ce que je voudrais ce soir vous faire sentir, c’est que si l’Un surgit
comme de l’effet du manque,
la considération des ensembles prête à quelque chose, qui je crois est digne d’être
mentionné et que je voudrais mettre en valeur, de la référence à ceci que la théorie
des ensembles a permis de distinguer dans l’ordre de ce qu’il en est de l’ensemble,
deux types :
– l’ensemble fini,
– et d’admettre l’ensemble infini.

Dans cet énoncé ce qui caractérise l’ensemble infini est proprement de pouvoir être
posé
comme équivalent à l’un quelconque de ses sous-ensembles. Comme l’avait déjà remarqué
Galilée...
qui n’avait pas pour cela attendu Cantor
...la suite de tous les carrés est en correspondance biunivoque avec chacun des
nombres entiers.
Il n’y a en effet aucune raison jamais de considérer qu’un de ces carrés serait trop
grand pour être dans la suite des entiers.
C’est ceci qui constitue l’ensemble infini, au moyen de quoi on dit qu’il peut être
réflexif.

Par contre, dans ce qu’il en est de l’ensemble fini il est dit, comme étant sa propriété
majeure,
qu’il est propice à ce qui s’exerce dans le raisonnement proprement
mathématique...
c’est-à-dire dans le raisonnement qui s’en sert
...à ce qu’on appelle « l’induction ».

« L’induction » est recevable quand un ensemble est fini.


Ce que je voudrais vous faire remarquer, c’est que dans la théorie des ensembles, il est
un point que quant à moi
497
je considère comme problématique. C’est celui qui relève de ce qu’on appelle « la
non-dénombrabilité des parties »,
entendez par là sous-ensembles, telles qu’elles peuvent se définir à partir d’un
ensemble.

Il est très facile si vous partez de ceci : pour prendre le nombre cardinal :
vous avez un ensemble composé par exemple de cinq éléments.
– Si vous appelez « sous-ensemble » la saisie en 1 ensemble de chacun de ces
cinq éléments,
– puis des groupes que forment 2 de ces éléments sur cinq, il vous est facile de
calculer combien ceci fera de sous-ensemble : il y a en a très
exactement dix.
– Puis vous les prenez par 3 : il y en aura encore dix.
– Puis vous les prenez par 4. Il y en aura cinq.
– Et vous arriverez à la fin à l’ensemble en tant qu’il n’y en a qu’un, là présent,
à comprendre 5 éléments. Ce à quoi il convient d’ajouter
l’ensemble vide qui, en tout cas, sans être élément de l’ensemble, est manifestable
comme une de ses parties. Car les parties, ça n’est pas l’élément.

Ce qui s’en ordonne...


si quelqu’un voulait écrire à ma place au tableau ça me reposerait
...ceci s’écrit comme ça : 1, 5, 10, 10, 5, 1.

Qu’est-ce qu’il se trouve que nous avons défini comme partie de l’ensemble ?
– L’ensemble vide est là.
– Les 5 éléments α, β, γ, δ, ε, par exemple sont là.
– Ce qui est ensuite, c’est αβ, αγ, αδ , αε. Vous pouvez en faire autant à partir
de β,
vous pouvez le faire à partir de γ, etc. Vous verrez qu’il y en a 10.
– Et ensuite ici vous avez (αβγδ) avec le manque d’ε. Et vous pouvez, en faisant
manquer chacune de ces lettres, obtenir le nombre nécessaire de 5 pour le
regroupement comme parties des éléments.

Moyennant quoi vous trouvez, ce qui est certain… il suffirait que je complète cet
énoncé d’un ensemble à cardinal 5
par la suite, qu’on va mettre à côté, qui est celle qui se réfère à un ensemble à 4
éléments.
Autrement dit, imagez-le d’un tétraèdre. Vous verrez que vous avez une tétrade :
que vous avez 6 arêtes, que vous avez 4 sommets, que vous avez 4 faces, et que vous
avez aussi l’ensemble vide.
498
La remarque que je fais, a ceci qui en résulte : je n’ai fait allusion à l’autre cas que
pour montrer que dans les deux cas
« la somme des parties » est égale à 2N, N étant précisément « le nombre cardinal des
éléments de l’ensemble ».
Il ne s’agit pas ici, en quoi que ce soit, de quelque chose qui ébranle la théorie des
ensembles.

Ce qui est énoncé à ce propos de la dénombrabilité, a toutes ses applications, par


exemple dans la remarque
que rien ne change à « la catégorie d’infini d’un ensemble » si en est retirée une « suite
quelconque dénombrable ».
Néanmoins l’apport qui est fait de la non-dénombrabilité, en ceci qu’assurément et
en tout cas,
on ne saurait appliquer sur un ensemble, un ensemble fini, la somme de ses
parties définie telle qu’elle vient de l’être,
est-ce - j’interroge - la meilleure façon d’introduire « la non-dénombrabilité d’un
ensemble infini » ?

Il s’agit d’une introduction didactique.


Je le conteste à partir du moment où la propriété de réflexivité telle qu’elle est affectée
à l’ensemble infini
et qui comporte que lui manque l’inductivité caractéristique des ensembles finis,
laisse écrire pourtant, comme j’ai pu le voir en certains lieux, que « la non-dénom-
brabilité des parties de l’ensemble fini » ressortirait - je le souligne - par induction,
de ceci que ces parties s’écriraient comme s’écrit l’ensemble infini des nombres entiers :
2‫א‬0. 48 [soit 2 puissance cardinal de ]

Je le conteste ! Et comment fais-je pour le contester ? Je le conteste à partir de


ceci, c’est qu’il y a quelque artifice,
quand il s’agit des parties de l’ensemble, à les prendre dans leur échelle dont
l’addition donne en effet le 2 puissance N. Mais il est clair que si vous avez d’un
côté : a, b, c, d, e - pour franciser les lettres grecques que j’ai écrites au tableau,
j’avais une raison pour ça - et si vous y apportez ce qui leur répond :
– a, b, c, d, correspondent à e,
48
Une classe des ensembles infinis est la classe des ensembles infinis dits dénombrables (équipotents à ). Une
autre classe d’ensembles infinis est la classe des ensembles
équipotents à qui sont appelés ensembles continus. Se pose alors le problème de l’hypothèse du continu :
existe-t-il un ensemble dont le cardinal est strictement compris
entre ‫א‬0, qui est le cardinal de , et 2‫א‬0 qui est le cardinal de ?
499
– a, b, d, e, correspondent à c.

Vous voyez que le nombre des parties, si vous y substituez une partition, aboutit
à une formule qui est très différente, mais dont vous verrez pourquoi elle
m’intéresse : c’est que le nombre, c’est 2N-1. Je ne puis ici, vu l’heure
et puis le fait qu’après tout ceci n’intéresse pas ici absolument tout le monde,
mais j’aimerais là-dessus, je sollicite...
je sollicite je dois dire comme je le fais d’habitude, d’une façon
désespérée
...je sollicite des grammairiens de temps en temps de me donner un petit tuyau...
ils m’en envoient : c’est toujours les mauvais
...j’ai sollicité des mathématiciens - très nombreux déjà - de me répondre là-
dessus, et à la vérité ils font la sourde oreille.

Il faut vous dire que cette « dénombrabilité des parties de l’ensemble », ils y tiennent
comme la tique à la peau du chien.
Néanmoins, je propose ceci qui a son petit intérêt, je vais droit là à un but qui va
laisser de côté
un point sur lequel j’aimerais finir après, mais je vais droit à un but qui a son
intérêt.

Son intérêt est ceci : c’est que, à substituer à la notion des « parties » celle de la
« partition », il est nécessaire…
de la même façon que nous avons admis que les parties de l’ensemble
infini, ce serait 2‫א‬0 c’est-à-dire le plus petit des transfinis, celui constitué
par l’ensemble, le cardinal de l’ensemble des entiers[ ]
…au lieu d’avoir 2‫א‬0, nous avons : 2‫א‬0-1.
Je soupçonne que ceci - à quiconque - peut faire sentir ce qu’il y a d’abusif à
supposer la bipartition d’un ensemble infini.

Si, comme la formule en porte elle-même la trace, ce qu’on appelle « ensemble des
parties » aboutit à une formule
qui contient le nombre 2 porté à la puissance [du cardinal] des éléments de l’ensemble, est-
ce qu’il est tout à fait recevable...
et surtout à partir du moment où nous mettons en question l’induction
quand il s’agit de l’ensemble infini
...comment est-il recevable que nous acceptions une formule qui manifeste aussi
clairement qu’il s’agit,
non pas de parties de l’ensemble, mais de sa partition.

500
J’y ajouterai quelque chose qui a bien son intérêt : c’est que ‫א‬0, bien sûr n’est
qu’un index...
index qui n’est pas pris au hasard, et index forgé pour désigner...
car il y en a toute la série des autres en principe admis, toute la série
des nombres entiers peuvent servir d’index à ce
qu’il en est de l’ensemble en tant qu’il fonde le transfini
...néanmoins, à partir du moment où ce dont il s’agit c’est la fonction de la puissance,
et qu’il semble que nous ayons abusé de l’induction en nous permettant d’y trouver
test de la non-dénombrabilité des parties de l’ensemble infini, est-ce que,
à y regarder de près, nous ne trouverions pas ici, à ce zéro, une autre fonction,
celui qu’il a dans la puissance exponentielle, c’est à savoir que quelque nombre que ce
soit, l’exposant zéro quant à ce qui est de la puissance, l’égale à 1,
quel que soit ce nombre.

Je souligne : un nombre quelconque puissance 1, c’est lui-même [n1= n], mais un


nombre puissance zéro, c’est toujours 1,
pour la raison très simple, c’est qu’un nombre puissance -1, c’est son inverse. [1/n =
n-1, n1. n-1 = n0 = 1]
C’est donc 1 qui sert ici d’élément pivot.

À partir de ce moment la partition de l’ensemble transfini aboutit à ceci, à savoir que


si nous égalons l’aleph zéro dans cette occasion à 1, nous avons pour ce qu’il en
est de la partition de l’ensemble, ce qui paraît en effet bien recevable, à savoir
que la suite des nombres entiers n’est supportée par rien d’autre que par la
réitération de l’1, le 1 sorti de l’ensemble vide.

C’est de se reproduire qu’il constitue ce que j’ai donné la dernière fois comme
étant au principe manifesté dans
« le triangle de Pascal », de ce qu’il en est au niveau du cardinal des monades, et que
derrière les appuis ce que j’ai appelé...
je le dis pour les sourds qui se sont interrogés sur ce que j’avais dit
...la « nade », c’est-à-dire le 1 en tant qu’il sort de l’ensemble vide, qu’il est la réitération du
manque.

Je souligne très précisément ceci que l’1 dont il s’agit, c’est très proprement ce à
quoi la théorie des ensembles
ne substitue comme réitération, que l’ensemble vide, ce en quoi elle manifeste - elle, la
théorie des ensembles -
la vraie nature de la « nade ».

501
Ce qui est en effet affirmé au principe de l’ensemble, ceci sous la plume de Cantor...
certes comme on le dit : « naïve » au moment où elle a frayé cette voie
vraiment sensationnelle
...ce que la plume de Cantor affirme, c’est que pour ce qui est des éléments de
l’ensemble...
ceci veut dire qu’il s’agit de quelque chose d’aussi divers qu’on le
voudra, à cette seule condition
que nous posions chacune de ces choses, qu’il va jusqu’à dire objets de
l’intuition ou de la pensée,
c’est ainsi qu’il s’exprime. Et en effet pourquoi le lui refuser, ça ne veut
rien dire d’autre
que quelque chose d’aussi éternel qu’on voudra
...il est tout à fait clair qu’à partir du moment où on mêle l’intuition avec la pensée, ce
dont il s’agit c’est de signifiants,
ce qui est bien entendu manifesté par le fait que ça s’écrit a, b, c, d.

Mais ce qui est dit, c’est très sûrement proprement ceci : que ce qui est exclu...
donc dans l’appartenance à un ensemble comme élément
...c’est qu’un élément quelconque soit répété comme tel.
C’est donc en tant que distinct que subsiste quelque élément que ce soit d’un ensemble.

Et pour ce qu’il en est de l’ensemble vide il est affirmé au principe de la Théorie des
Ensembles qu’il ne saurait être qu’1.
Cet 1, « la nade », en tant qu’elle est au principe du surgissement de l’Un numérique,
de l’Un dont est fait le nombre entier,
est donc quelque chose qui se pose comme étant d’origine l’ensemble vide lui-
même.

Cette notion est importante parce que si nous interrogeons cette structure, c’est
dans la mesure où pour nous
dans le discours analytique, l’1 se suggère comme étant au principe de la répétition, et
que donc ici il s’agit justement
de l’espèce d’1 qui se trouve marqué de n’être jamais, dans ce qu’il en est de la
théorie des nombres,
– que d’un manque,
– que d’un ensemble vide.

Mais il y a, à partir du moment où j’ai introduit cette fonction de la partition, un


point du « triangle de Pascal »

502
que vous me permettrez d’interroger. Avec les deux colonnes que je viens de
faire,
j’en ai assez pour vous montrer où porte mon point d’interrogation. Voici ce que
j’énonce.

S’il est vrai que nous n’avons comme nombre de partitions que le nombre qui
précédemment était affecté à l’ensemble (n-1),
à l’ensemble dont le nombre cardinal est inférieur d’une unité au cardinal d’un
ensemble, regardez comment, à engendrer à partir de ce nombre qui correspond
aux « présumées » parties de l’ensemble que nous appellerons plus brièvement inférieur,
inférieur d’1, comme élément, pour trouver, comme le triangle de Pascal nous l’a déjà
appris, les parties qui vont composer...
elles se trouveront dans une bipartition
...qui vont composer comme partie, selon le premier énoncé, l’ensemble
supérieur,
nous avons à chaque fois à faire l’addition de ce qui correspond dans la colonne de
gauche aux 2 nombres qui sont situés :
– [1)] immédiatement à gauche,
– et [2)] au-dessus du premier,
pour obtenir dans l’occasion : ici le chiffre 10, ici le chiffre 4.

Qu’est-ce à dire, si ce n’est que pour obtenir le premier chiffre, celui des monades
de l’ensemble, des éléments,
du nombre cardinal de l’ensemble, c’est uniquement du fait d’avoir, je dirai : par un
abus d’office, mis l’ensemble vide au rang
des éléments monadiques. C’est-à-dire que c’est en additionnant l’ensemble vide
avec chacune des quatre monades
de la colonne précédente que nous obtenons le nombre cardinal des monades, des
éléments, de l’ensemble supérieur.

Essayons maintenant simplement, pour vous rendre la chose figurable, de voir ce


que ceci donne sur un schéma.
503
Et prenons pour être plus simple la colonne encore d’avant, prenons ici 3
monades et non plus 4.

L’ensemble, nous le figurons de ce cercle. Mais l’ensemble vide, je ne tiens pas à ce


qu’il soit du tout forcément au centre, mais à seulement le figurer nous l’avons là :

Nous avons dit que cet ensemble vide, quand il s’agira de faire l’ensemble tétradique,
cet ensemble vide viendra au rang
des monades du précédent, c’est-à-dire que pour le représenter comme ceci, par un
tétraèdre...
bien entendu, il ne s’agit pas de tétraèdre, il s’agit de nombres
...si c’est désigné par les lettres grecques α, β, γ, nous aurons ici, comme 4ème
élément à « un élément » dans l’ordre de ces sous-ensembles, nous aurons l’ensemble vide.
Mais il n’en reste pas moins que l’ensemble vide, au niveau de ce nouvel ensemble, il
existe toujours, et que c’est au niveau de ce nouvel ensemble que ce qui vient
d’être extrait de l’ensemble vide,
nous l’appellerons autrement, et puisque nous avons déjà α, β, γ, nous
l’appellerons δ.

Qu’est-ce que ceci nous conduit à voir ?


C’est qu’au niveau de l’élément des sous-ensembles antépénultième [n-1] c’est-à-dire
pour désigner celui-ci, à savoir celui...
disons, pour rester dans l’intuition des cinq quadrangles
...qu’on peut mettre en évidence dans, disons aussi, un polyèdre à 5 sommets.

Là aussi nous avons à prendre - quoi ? - les 4 triangles de la tétrade.


En tant que quoi ? En tant que dans ces 4 triangles, nous allons pouvoir faire trois
soustractions différentes,
ceci y étant additionné, ce qui le constitue comme ensemble, ou plus exactement
comme sous-ensemble.

Comment pouvons nous avoir notre compte...


sauf à ce même niveau, où nous aurions trois sous-ensemble
...d’y ajouter les éléments seuls de l’ensemble, c’est-à-dire α, β, γ, δ, comme non
pris en un ensemble,
c’est-à-dire en tant que définis comme éléments ils ne sont pas des ensembles,
504
mais qu’isolés de ce qui les inclut dans l’ensemble ils doivent être comptés, pour
que nous ayons notre compte de quatre,
à fournir la partie du chiffre 5 au niveau de l’ensemble à 5 éléments, il nous faut faire
intervenir les éléments au nombre de 4 comme simplement juxtaposés, mais non
pas pris en un ensemble, « sous-ensemble » à l’occasion, c’est-à-dire quoi ?

Nous apercevoir de ceci, que dans la théorie des ensembles tout élément se vaut.
Et c’est bien ainsi que peut en être engendrée l’unité.
C’est justement en ce qu’il est dit que le concept de « distinct » et de « défini » en
l’occasion représente ceci,
c’est que « distinct » ne veut dire que « différence radicale » puisque rien ne peut se
ressembler, il n’y a pas d’espèces.
Tout ce qui se distingue de la même façon est le même élément. C’est ceci que ça veut
dire.

Mais qu’est-ce que nous voyons ? Nous voyons ceci : qu’à ne prendre l’élément
que de pure différence, nous pouvons
le voir aussi comme mêmeté de cette différence, je veux dire pour l’illustrer, qu’un
élément dans la théorie des ensembles...
comme c’était déjà démontré à la deuxième ligne
...est tout à fait équivalent à un ensemble vide, puisque l’ensemble vide peut aussi jouer
comme élément.
Tout ce qui se définit comme élément est équivalent de l’ensemble vide.

Mais à prendre cette équivalence, cette « mêmeté de la différence absolue », à la prendre


comme isolable...
et ceci non prise dans cette inclusion ensembliste, si je puis dire, qui la
ferait sous-ensemble
...ça veut dire que la mêmeté comme telle est, en un point, comptée !

Ceci me paraît d’une extrême importance, et très précisément par exemple, au niveau
du jeu platonicien qui fait de la similitude une idée de substance, dans la perspective
réaliste, un universel en tant que cet universel est la réalité.

Ce que nous voyons, c’est qu’il n’est pas du même niveau, et c’est à ça que j’ai fait
allusion dans mon dernier discours
du Panthéon, ce n’est pas au même niveau que l’idée de semblable s’introduit.
La mêmeté des éléments de l’ensemble est comme telle comptée comme jouant son rôle
dans les parties de l’ensemble.

505
La chose a certainement pour nous son importance, puisque de quoi s’agit-il au
niveau de la théorie analytique ?
La théorie analytique voit pointer l’Un à deux de ses niveaux. L’Un est l’Un qui se
répète.
Il est au fondement de cette incidence majeure dans le parler de l’analysant, qu’il
dénonce d’une certaine répétition,
eu égard - à quoi ? - à une structure signifiante.

Quel est d’autre part...


à considérer le schéma que j’ai donné du discours analytique
...ce qui se produit de la mise en place du sujet au niveau de « la jouissance de parler »
?

Ce qui se produit et ce que je désigne à l’étage dit du plus-de-jouir, c’est S1,


c’est-à-dire une production signifiante que je propose...
quitte à me donner le devoir de vous en faire sentir l’incidence
...que je propose de reconnaître dans ce qu’il en est de quoi ?

– Qu’est-ce que « la mêmeté de la différence » ?


– Qu’est-ce que veut dire que quelque chose que nous désignons dans le signifiant par
des lettres diverses, c’est les-mêmes ?
– Que peut vouloir dire « les-mêmes » , si ce n’est justement que c’est unique,
à partir même de l’hypothèse dont part, dans la théorie des ensembles, la
fonction de l’élément ?

L’Un dont il s’agit...


celui que produit le sujet, disons « point idéal » dans l’analyse
...c’est très précisément, au contraire de ce dont il s’agit dans la répétition,
– l’Un comme un seul,
– l’Un en tant que - quelle que soit quelque différence qui existe - toutes les
différences se valent : il n’y en a qu’une, c’est la
différence.

C’est ceci sur lequel je voulais ce soir achever ce discours, outre que l’heure et ma
fatigue m’en pressent incidemment.
506
L’illustration de cette fonction du S1 telle que je l’ai mise dans la formule
statuante du discours analytique,
je la donnerai dans les séances qui viendront.

507
Jeudi 01 juin 1972
« Entretiens de Sainte-Anne » Table
des matières

Vous le savez, ici je dis ce que je pense.


C’est une position féminine, parce qu’en fin de compte, penser c’est très particulier.

Alors comme je vous écris de temps en temps, j’ai...


comme ça, pendant un petit voyage que je viens de faire
...inscrit un certain nombre de propositions, dont la 1ère c’est qu’il faut reconnaître que
le psychanalyste est mis, par le discours...
c’est un terme à moi
...par le discours qui le conditionne...
qu’on appelle, depuis moi, le discours du psychanalyste
...dans une position, disons difficile, Freud disait impossible : unmöglich, c’est peut-
être un peu forcé, il parlait pour lui.

Bon ! D’autre part - 2ème proposition : il sait...


ceci d’expérience, ce qui veut dire que si peu qu’il ait pratiqué la
psychanalyse,
il en sait assez pour ce que je vais dire
...il sait dans tous les cas avoir une commune mesure avec ce que je dis.

C’est tout à fait indépendant du fait qu’il soit - de ce que je dis - informé, puisque
ce que je dis aboutit...
comme je l’ai, il me semble, démontré cette année
...à situer son savoir [S2].

Ça, c’est l’histoire du savoir sur la vérité :


– ça, c’est la place de la vérité - pour ceux qui viennent pour la première fois.
– ça, celle du semblant,
– ça, celle de la jouissance [de parler],

508
– et ça, du plus-de-jouir, ce que j’écris en abrégé ainsi : « + de jouir ». Pour la
jouissance, nous mettrons un J.

C’est son rapport au savoir qui est difficile, non - bien sûr - à ce que je dis,
puisque dans l’ensemble du no man’land psychanalytique on ne sait pas que je le
dis.
Ça ne veut pas dire que de ce que je dis, on n’en sache rien, puisque ça sort de
l’expérience [i.e. analytique].

Mais on a, de ce qu’on en sait, horreur !


Ce dont je peux dire, comme ça, vraiment simplement, que je les comprends...
« je peux dire », c’est à dire : « je peux dire, si on y tient... »
...mais je les comprends...
je me mets à leur place, d’autant plus facilement que j’y suis.

Mais je le comprends d’autant plus facilement que comme tout le monde,


j’entends ce que je dis.
Néanmoins ça ne m’arrive pas tous les jours, parce que ce n’est pas tous les jours
que je parle.
En réalité je le comprends - c’est-à-dire que j’entends ce que je dis - les quelques
jours, mettons un ou deux,
qui précèdent immédiatement mon séminaire, parce qu’à ce moment-là je
commence à vous écrire.

Les autres jours, la pensée de ceux à qui j’ai eu affaire, me submerge.


Il faut que je vous l’avoue, parce qu’à ce moment-là, l’impatience de ce que j’ai
déjà appelé...
et donc que je peux encore appeler, parce que c’est rare, comme ça,
que je revienne
...de ce que j’ai appelé « mon échec » dans Scilicet, me domine. Voilà...

Oui... ils savent ! Je rappelle ça parce que le titre de ce que j’ai à traiter ici c’est Le
savoir du psychanalyste.
« Du » dans ce cas-là, ça évoque le « le », article défini en français, enfin c’est ce
qu’on appelle défini.
Oui ! Pourquoi pas« des psychanalystes », après ce que je viens de vous dire ?
Ça serait plus conforme à mon thème de cette année, c’est-à-dire « y a d’l’un ».
« Y en a des » qui se disent tels.

Je suis d’autant moins à discuter leur dire qu’il y en a pas d’autres.


509
Je dis « du », pourquoi ? C’est parce que c’est à eux que je parle, malgré la
présence d’un très grand nombre de personnes qui ne sont pas psychanalystes,
ici.

Le psychanalyste donc sait ce que je dis.


Ils le savent - je vous l’ai dit - d’expérience, si peu qu’ils en aient,
même si ça se réduit à la didactique qui est l’exigence minimale pour que
« psychanalystes » ils se disent.

Car même si ce que j’ai appelé « La passe » est manquée, eh bien, ça se réduira à
ça :
qu’ils auront eu une « psychanalyse didactique », mais en fin de compte, ça suffit pour
qu’ils sachent ce que je dis.

La passe...
c’est toujours dans Scilicet que tout ça traîne, c’est plutôt l’endroit
indiqué [Scilicet : « à savoir »]
...quand je dis que « la passe » est manquée, ça ne veut pas dire qu’ils ne se sont
pas offerts à l’expérience de la passe.

Comme je l’ai souvent marqué, cette expérience de « la passe » est simplement ce


que je propose
à ceux qui sont assez dévoués pour s’y exposer, à de seules fins d’information sur
un point très délicat,
et qui consiste à... en somme ce qui s’affirme de la façon la plus sûre c’est que :
c’est tout à fait (a)normal - objet(a) normal - que quelqu’un qui fait une psychanalyse
veuille être psychanalyste.

Il faut vraiment une sorte d’aberration qui vaut, qui valait la peine d’être offerte à
tout ce qu’on pouvait recueillir
de témoignage. C’est bien en ça que j’ai institué provisoirement cet essai de
recueil pour savoir pourquoi
quelqu’un qui sait ce que c’est que la psychanalyse par sa didactique, peut encore
vouloir être analyste.

Alors je n’en dirai pas plus sur ce qu’il en est de leur position, simplement parce
que j’ai choisi cette année
Le savoir du psychanalyste comme étant ce que je proposais pour mon retour à
Sainte Anne. C’est pas pour ménager du tout les psychanalystes, ils n’ont pas

510
besoin de moi pour avoir le vertige de leur position, mais je ne l’augmenterai pas à le
leur dire.

Ce qui pourrait être fait...


et je le ferai peut-être à un autre moment
...ce qui pourrait être fait d’une manière piquante dans une certaine référence que
je n’appellerai « historique »
qu’entre guillemets...
enfin, vous verrez ça quand ça viendra, si je subsiste
...pour ceux qui sont des fins finauds je leur parlerai du mot « tentation ».

Là je ne parle que du savoir et je remarque qu’il ne s’agit pas de la « vérité sur le


savoir », mais du « savoir sur la vérité »,
et que ceci « le savoir sur la vérité », ça s’articule de la pointe de ce que j’avance cette
année sur le « Y a d’l’un ! »,
« Y a d’l’un » et rien de plus : c’est un Un très particulier celui qui sépare le Un de
Deux, et que c’est un abîme.

Je répète : la vérité - je l’ai déjà dit - ça ne peut que se mi-dire.


Quand le temps de battement sera passé, qui fera que je peux en respecter l’alternance,
je parlerai de l’autre face : du « mi-vrai ». Il faut toujours séparer le bon grain et la «
mi-vraie » !

Comme je vous l’ai dit tout à l’heure peut-être, je reviens d’Italie où je n’ai jamais
eu qu’à me louer de l’accueil,
même de mes collègues psychanalystes ! Grâce à l’un d’entre eux, j’en ai
rencontré un 3ème qui est tout à fait « à la page », enfin à la mienne, bien entendu.
[Rires]

Il opère avec Dedekind, et il a trouvé ça tout à fait sans moi.


Je peux pas dire, à la date où il a commencé de s’y mettre, que je n’y étais pas déjà,
mais enfin c’est un fait que j’en ai parlé plus tard que lui, puisque je n’en parle que
maintenant et que lui avait déjà écrit là-dessus tout un petit ouvrage.
Il s’est aperçu de la valeur en somme des éléments mathématiques, pour faire
émerger quelque chose qui vraiment,
notre expérience d’analyste, la concerne.

Eh ben, comme il est tout à fait bien vu, il a tout fait pour ça, il a réussi à se faire
entendre dans des endroits très bien placés de ce qu’on appelle l’I.P.A. - l’Institution
Psychanalytique Avouée, je traduirais - donc il a réussi à se faire entendre.
511
Mais ce qu’il y a de très curieux, c’est qu’on ne le publie pas !

On ne le publie pas en disant : « Vous comprenez, personne ne comprendra ! ».


Je dois dire que je suis surpris parce que, en somme, du « Lacan », entre
guillemets bien sûr,
enfin des choses de la veine que je suis censé représenter auprès des incompé-
tents d’une certaine linguistique,
on est plutôt pressé d’en bourrer l’International journal.

Plus il y a des trucs dans la poubelle, naturellement, moins ça se discerne ! Alors


pourquoi diable, est-ce que dans ce cas on a cru devoir faire obstacle, puisque
pour moi, il me semble que c’est un obstacle et que le fait qu’on dise
que les lecteurs ne comprendront pas, c’est secondaire : il n’est pas nécessaire que
tous les articles de l’International journal soient compris. Il y a donc quelque chose
qui là-dedans ne plaît pas.

Mais il est évident que, comme celui que je viens, non pas de nommer...
parce que vous ignorez profondément son nom, il n’a encore rien
réussi à publier
...est parfaitement repérable, je ne désespère pas que, à la suite de ce qui filtrera
de mes propos aujourd’hui...
et surtout si on sait que je ne l’ai pas nommé
...on le publiera [Rires]. Vraiment, ça a l’air de lui tenir assez à cœur pour que je
l’aide à ça volontiers.
Si ça ne vient pas, je vous en parlerai un peu plus !

Revenons au temps.
Le psychanalyste a donc un rapport à ce qu’il sait, complexe. Il le renie, il le
« réprime »...
pour employer le terme dont en anglais se traduit le refoulement, la
Verdrängung
...et même il lui arrive de n’en rien vouloir savoir.

Et pourquoi pas ?
Qui est-ce que ça pourrait épater ?
La psychanalyse - me direz-vous - alors quoi ?

J’entends d’ici le bla-bla-bla de quiconque n’a pas de la psychanalyse la moindre


idée.

512
Je réponds à ce qui peut surgir de ce floor - comme on dit - je réponds : est-ce le
savoir qui guérit...
que ce soit celui du sujet ou celui supposé dans le transfert
...ou bien est-ce le transfert, tel qu’il se produit dans une analyse donnée ?

Pourquoi le savoir...
celui dont je dis qu’a dimension tout psychanalyste
...pourquoi le savoir serait-il, comme je disais tout à l’heure, « avoué » ?
C’est de cette question que Freud a pris en somme la Verwerfung, il l’appelle :
« un jugement qui dans le choix rejette ». Il ajoute « qui condamne », mais je le condense.

Ce n’est pas parce que la Verwerfung rend fou un sujet, quand elle se produit dans
l’inconscient, qu’elle ne règne pas...
la même et du même nom d’où Freud l’emprunte
...qu’elle ne règne pas sur le monde comme un pouvoir rationnellement justifié.

« Des psychanalystes » ...


vous allez le voir, à la différence avec « le »
... « des psychanalystes » ça se préfère, ça se préfère soi, voyez-vous !
C’est pas les seuls, il y a une tradition là-dessus : la tradition médicale.

Pour se préférer, on n’a jamais fait mieux, sauf les saints - les saints (s.a.i.n.t.s)...
Oui, on vous parle tellement des autres [Rires] que je précise, parce
que les autres... enfin, passons
...les saints (s.a.i.n.t.s) ils se préfèrent eux-aussi, ils ne pensent même qu’à ça, ils se
consument de trouver la meilleure façon de se préférer, alors qu’il y en a de si
simples, comme le montrent les « méde-saints », eux aussi [Rires].
Enfin, ceux-là ne sont pas des saints. Ça, ça va de soi...

Il y a peu de choses aussi abjectes à feuilleter que l’histoire de la médecine :


ça peut-être conseillé comme vomitif [Rires] ou comme purgatif, ça fait les deux.
Pour savoir que le savoir n’a rien à faire avec la vérité, il n’y a vraiment rien de plus
convaincant.
On peut même pas dire que ça va jusqu’à faire du médecin une sorte de pro-
vocateur.

Ça n’empêche pas que les médecins se soient arrangés...


et pour des raisons qui tenaient à ce que leur plate-forme avec le
discours de la science devenait plus exiguë
...que les médecins se soient arrangés à mettre la psychanalyse à leur pas.
513
Et ça, ils s’y connaissaient !
Ceci naturellement d’autant plus que le psychanalyste étant fort embarrassé...
comme je suis parti là-dessus
...fort embarrassé de sa position, il était d’autant plus disposé à recevoir les conseils
de l’expérience.

Je tiens beaucoup à marquer ce point d’histoire qui est dans mon affaire...
pour autant qu’elle ait de l’importance
...tout à fait un point-clé : grâce à cette conjuration...
contre laquelle est dirigé un article exprès de Freud sur la Laïernanalyse 49
...grâce à cette conjuration qui a pu se produire peu après la guerre, j’avais déjà
perdu la partie avant de l’avoir engagée.

Simplement je voudrais qu’on me croie là-dessus, parce que - pourquoi, je le


dirai ? - si ce soir je témoigne...
et je ne le fais pas par hasard à Sainte Anne puisque je vous dis que
c’est là que je dis ce que je pense
...si je déclare que c’est très précisément à ce titre de savoir très bien l’avoir, à l’époque,
perdue, que cette partie je l’ai engagée.

Ça n’a rien d’héroïque vous savez !


Il y a un tas de parties qui s’engagent dans ces conditions. C’est même un des
fondements de la « condition humaine », comme dit l’autre, et ça réussit pas plus mal
que n’importe quelle autre entreprise. La preuve, hein !

Le seul ennui - mais il n’est que pour moi - c’est que ça ne vous laisse pas très
libre,
je dis ça en passant pour la personne qui m’a...
il y a je ne sais pas quoi, le 2ème séminaire avant
...qui m’a interrogé sur le fait si je croyais ou non à la liberté.

Une autre déclaration que je veux faire...


et qui a bien son importance, puisque après tout, je ne sais pas, c’est
mon penchant ce soir
...une autre déclaration qui celle-là alors est tout à fait prouvée, là je vous
demande de me croire,
que je m’étais très bien aperçu que la partie était perdue...

49
S. Freud : « Psychanalyse et médecine », ou « La question de l’analyse profane » (1925), Gallimard 1985.
514
après tout je n’étais pas si malin, j’ai peut-être cru qu’il fallait foncer
et que je foutrais en l’air l’Internationale Psychanalytique Avouée
...et là personne ne peut dire le contraire de ce que je vais dire :
c’est que je n’ai jamais lâché aucune des personnes que je savais devoir me
quitter, avant qu’elles s’en aillent elles-mêmes.

Et c’est vrai aussi du moment où la partie était en somme - pour la France -


perdue,
qui est celle à laquelle j’ai fait allusion tout à l’heure : ce petit brouhaha dans une
conjuration médecins-psychanalystes d’où est sorti en 53 le début de mon
enseignement.

Les jours où l’idée de devoir poursuivre le dit enseignement ne m’habite pas -


c’est-à- dire un certain nombre -
il est évident que j’ai, comme tous les imbéciles, l’idée de ce que ça aurait pu être
pour la Psychanalyse Française (!)
si j’avais pu enseigner là où, pour la raison que je viens de dire, je n’étais
nullement disposé à lâcher quiconque.

Je veux dire que si scandaleuses que fussent mes propositions sur Fonction et
Champ... et patati et patata... de la parole
et du langage, j’étais disposé à couvrir le sillon pendant des années pour les gens
même les plus durs de la feuille
et - au point où nous en sommes - personne n’y aurait perdu parmi les psychana-
lystes.

Je vous ai dit que j’avais fait un petit tour en Italie.


Dans ces cas-là, je vais aussi - pourquoi pas ? - parce que il y a beaucoup de gens
qui m’aiment...
À propos : il y a quelqu’un qui m’a envoyé un verre à dents !
Je voudrais savoir qui c’est, pour la remercier cette personne.
Il y a une personne qui m’a envoyé un verre à dents !
Je dis ça pour ceux qui étaient là au Panthéon la dernière fois.
C’est une personne que je remercie d’autant que ce n’est pas un verre à
dents.
C’est un merveilleux petit verre rouge, long et galbé, dans lequel je
mettrai une rose,
qui que ce soit qui me l’ait envoyé. Mais je n’en ai reçu qu’un, ça je
dois le dire. Enfin passons...

515
...il y a des personnes qui m’aiment un peu dans tous les coins, mêmes dans les
couloirs du Vatican.
Pourquoi pas, hein ? Il y a des gens très bien.

Il n’y a que là...


ceci pour la personne qui m’interroge sur la liberté
...il n’y a qu’au Vatican que je connaisse des libres-penseurs.
Moi je suis pas un libre-penseur, je suis forcé de tenir à ce que je dis, mais là-bas :
quelle aisance ! [Rires]
Ah on comprend que la Révolution Française ait été véhiculée par les abbés.
Si vous saviez quelle est leur liberté, mes bons amis, vous auriez froid dans le dos.
Moi j’essaie de les ramener au dur, il n’y a rien à faire, ils débordent : la
psychanalyse, pour eux, est dépassée !
Vous voyez à quoi ça sert la libre-pensée : ils voient clair...
C’était pourtant un bon métier, hein [Rires] ? Ça avait des bons côtés.
Quand ils disent que c’est dépassé, ils savent ce qu’ils disent, ils disent : « c’est foutu, parce
que quand même on doit faire un peu mieux ! ».

Je dis ça quand même pour avertir les personnes...


les personnes qui sont « dans le coup », et particulièrement bien sûr,
celles qui me suivent
...qu’il faut y regarder à 2 fois avant d’y engager ses descendants, parce que c’est très
possible qu’au train où vont les choses, ça tombe tout d’un coup sec, comme ça.
Enfin c’est uniquement pour ceux qui ont à y engager leur descendance,
je leur conseille la prudence.

J’ai déjà parlé, comme ça, de ce qui se passe dans la psychanalyse...


il faut quand même bien spécifier certains points que j’ai déjà abordés,
par conséquent que je crois pouvoir traiter brièvement au point où
nous en sommes
...c’est que c’est le seul discours...
et rendons-lui hommage
...c’est le seul discours...
au sens où j’ai catalogué 4 discours,
...c’est le seul discours qui soit tel que la canaillerie y aboutisse nécessairement à la
bêtise.

Si on savait tout de suite que quelqu’un qui vient vous demander une psychanalyse
didactique est une canaille, mais on lui dirait :
« pas de psychanalyse pour vous, mon cher ! Vous en deviendrez bête comme chou ».
516
Mais on ne le sait pas !

C’est justement soigneusement dissimulé.


On le sait quand même au bout d’un certain temps dans la psychanalyse, la
canaillerie étant toujours, non pas héréditaire, c’est pas d’hérédité qu’il s’agit, c’est
du désir, désir de l’Autre d’où l’intéressé a surgi.
Je parle du désir : c’est pas toujours le désir de ses parents, ça peut être celui de ses
grands-parents,
mais si le désir dont il est né est le désir d’une canaille, il est une canaille
immanquablement.

Je n’ai jamais vu d’exception, et c’est même pour ça que j’ai toujours été si tendre
pour les personnes dont je savais qu’elles devaient me quitter, au moins pour les
cas où c’était moi qui les avais psychanalysées, parce que je savais bien qu’elles
étaient devenues tout à fait « bêêêtes ». Je peux pas dire que je l’avais fait exprès :
comme je vous l’ai dit,
c’est nécessaire. C’est nécessaire quand une psychanalyse est poussée jusqu’au
bout, ce qui est la moindre des choses pour la psychanalyse didactique.

Si la psychanalyse n’est pas didactique, alors c’est une question de tact : vous
devez laisser au type assez de canaillerie pour qu’il se démerde
désormais convenablement. C’est proprement thérapeutique, vous devez le laisser
surnager.
Mais pour la psychanalyse didactique, vous pouvez pas faire ça, parce que Dieu
sait ce que ça donnerait.

Supposez un psychanalyste qui reste une canaille : ça hante la pensée de tout le


monde !
Soyez tranquille, la psychanalyse - contrairement à ce qu’on croit - est toujours
vraiment didactique,
même quand c’est quelqu’un de bête qui la pratique, et je dirai même : d’autant
plus !

Enfin tout ce qu’on risque c’est d’avoir des psychanalystes bêtes. Mais c’est, comme je
viens de vous le dire, en fin de compte sans inconvénient, parce que quand
même, l’objet(a) à la place du semblant, c’est une position qui peut se tenir.
Voilà ! On peut être bête d’origine aussi. C’est très important à distinguer.

Bon ! Alors je n’ai rien trouvé de mieux, quant à moi, je n’ai rien trouvé de mieux
que ce que j’appelle « le mathème »
517
pour approcher quelque chose concernant le savoir sur la vérité, puisque c’est là en
somme,
qu’on a réussi à lui donner une portée fonctionnelle.

C’est beaucoup mieux quand c’est Pierce qui s’en occupe, il met les fonctions 0 et
1 qui sont les deux valeurs de vérité.
Il ne s’imagine pas, par contre, qu’on peut écrire V ou F pour désigner la vérité et
le faux. J’ai déjà indiqué ça,
comme ça en quelques phrases, j’ai déjà indiqué ça au Panthéon, c’est à savoir
qu’autour du Y’a d’l’un, il y a deux étapes :
– le « Parménide »,
– et puis ensuite il a fallu arriver à la théorie des ensembles,
…pour que la question d’un tel savoir, qui prend la vérité comme simple fonction
et qui est loin de s’en contenter,
qui comporte un réel qui avec la vérité n’a rien à faire - ce sont les mathématiques -
néanmoins pendant des siècles
il faut croire que la mathématique se passait là-dessus de toute question, puisque
c’est sur le tard et par l’intermédiaire d’une interrogation logique, qu’elle a fait faire
un pas à cette question qui est centrale pour ce qui est de la vérité, à savoir :
comment et pourquoi « Y a d’l’un » - vous m’excuserez, je suis pas le seul ! - « Y a
d’l’un » :
autour de cet Un tourne la question de l’existence.

J’ai déjà fait là-dessus des remarques, à savoir


– que l’existence n’a jamais été abordée comme telle avant un certain âge
– et qu’on a mis beaucoup de temps à l’extraire de l’essence.
J’ai parlé du fait qu’il n’y ait pas en grec, très proprement quelque chose de
courant qui veuille dire « exister »,
non pas que j’ignorasse ἐξίστημι [existémi], ἐξίσταμαι [existamai]50,
mais plutôt que je constatasse qu’aucun philosophe ne s’en était jamais servi.

Pourtant c’est là que commence quelque chose qui puisse nous intéresser : il
s’agit de savoir ce qui existe.
Il n’existe que de l’Un...
avec ce qui se presse autour de nous, je suis forcé aussi également de
me presser -
...la théorie des ensembles, c’est l’interrogation : pourquoi « Y a d’l’un » ?

50
ἐξίστημι (à la voix moyenne ἐξίσταμαι) : je suis différent, je m’écarte...
518
L’Un ça ne court pas les rues, quoi que vous en pensiez, y compris cette certitude
tout à fait illusoire,
et illusoire depuis très longtemps - ça n’empêche pas qu’on y tienne - que vous en
êtes Un, vous aussi.
Vous en êtes Un, il suffit que vous essayiez même de lever le petit doigt pour
vous apercevoir
que non seulement vous n’êtes pas Un, mais que vous êtes, hélas, innombrables,
innombrables chacun pour vous.

Innombrables jusqu’à ce qu’on vous ait appris...


ce qui peut être un des bons résultats de l’affluent psychanalytique
...que vous êtes selon les cas : tout à fait finis
ça, je vous le dis très vite parce que je ne sais pas combien de temps je
vais pouvoir continuer
...tout à fait finis :
– pour ce qui est des hommes, ça c’est clair : finis, finis, finis !
– pour ce qui est des femmes : dénombrables !

Je vais tâcher de vous expliquer brièvement quelque chose qui commence à vous
frayer là-dessus la voie,
puisque bien entendu, ce n’est pas des choses qui sautent aux yeux,
surtout quand on ne sait pas ce que ça veut dire « fini » et « dénombrable » ! Mais si
vous suivez un peu mes indications, vous lirez n’importe quoi, parce que ça
pullule les ouvrages maintenant sur la théorie des ensembles, même pour aller contre.

Il y a quelqu’un de très gentil que j’espère bien voir tout à l’heure pour m’excuser
de ne pas lui avoir apporté ce soir
un livre que j’ai tout fait pour trouver et qui est épuisé, qu’il m’a passé la dernière
fois, et qui s’appelle « Cantor a tort » 51.
C’est un très bon livre.

C’est évident que Cantor a tort d’un certain point de vue, mais il a
incontestablement raison pour le seul fait
que ce qu’il a avancé a eu une innombrable descendance dans la mathématique,
et que tout ce dont il s’agit c’est ça, c’est que ce qui fait avancer la mathématique,
ça suffit à ce que ça se défende.

51
Georges Antoniadès Métrios : « Cantor a tort », éd. Sival-Presse, 1968.
519
Même si Cantor a tort du point de vue de ceux qui décrètent - on ne sait pourquoi
- que le nombre ils savent ce que c’est :
toute l’histoire des mathématiques bien avant Cantor a démontré qu’il n’y a pas
de lieu où il soit démontrable,
qu’il n’y a pas de lieu où il soit plus vrai que « l’impossible c’est le réel ».

Ça a commencé aux Pythagoriciens à qui un jour a été asséné ce fait patent...


qu’ils devaient bien savoir, parce qu’il ne faut pas non plus les prendre
pour des bébés
...que √2 n’est pas commensurable.

C’est repris par des philosophes, et ce n’est pas parce que ça nous est parvenu par
le « Théétète »
qu’il faut croire que les mathématiciens de l’époque n’étaient pas à la hauteur et
incapables de répondre,
que justement de s’apercevoir que de ce que l’incommensurable existait,
on commençait à se poser la question de ce que c’était que le nombre.
Je ne vais pas vous faire toute cette histoire !

Il y a une certaine affaire de √-1, qu’on a appelé depuis, on ne sait pourquoi,


« imaginaire ».
Il n’y a rien de moins imaginaire que √-1 comme la suite l’a prouvé, puisque c’est
de là qu’est sorti
ce qu’on peut appeler « le nombre complexe », c’est-à-dire une choses des plus utiles
et des plus fécondes
qui aient été crées en mathématiques.

Bref, plus se fait d’objections à ce qu’il en est de cette entrée par l’Un, c’est-à-dire
par le nombre entier,
plus il se démontre que c’est justement de l’impossible qu’en mathématique
s’engendre le Réel.
C’est justement de ce que, par Cantor, ait pu être engendré quelque chose...
qui n’est rien de moins que toute l’œuvre de Russell,
voire infiniment d’autres points qui ont été extrêmement féconds dans
la théorie des fonctions
...il est certain que, au regard du Réel, c’est Cantor qui est dans le droit fil de ce
dont il s’agit.

Si je vous suggère - je parle aux psychanalystes - de vous mettre un peu à cette


page,
520
c’est justement pour la raison qu’il y a quelque chose à en tirer dans ce qui est,
bien sûr, votre péché mignon.
Je dis ça parce que vous avez affaire à des êtres qui pensent...
qui pensent bien sûr, parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement
...qui pensent comme Télémaque, comme tout au moins le Télémaque que décrit
Paul-Jean Toulet52 : « ils pensent à la dépense ».
Eh bien ce dont il s’agit c’est de savoir si vous analystes, et ceux que vous
conduisez, dépensent ou non en vain leur temps.

Il est clair qu’à cet égard, le pathos de pensée qui peut pour vous résulter d’une
courte initiation...
encore qu’il faut pas non plus qu’elle soit trop brève
...à la théorie des ensembles, est quelque chose bien de nature à vous faire réfléchir sur
des notions comme l’existence, par exemple.

Il est clair qu’il n’y a qu’à partir d’une certaine réflexion sur les mathématiques,
que l’existence a pris son sens.
Tout ce qu’on a pu dire avant, par une sorte de pressentiment...
religieux notamment, à savoir : que Dieu existe
...n’a strictement de sens qu’en ceci : qu’à mettre l’accent...
je dois y mettre l’accent parce qu’il y a des gens qui me prennent pour un
« maître à penser »
...sur ceci : que vous y croyiez ou pas...
gardez ça dans votre petit creux d’oreille :
moi je n’y crois pas mais on s’en fout,
ceux qui y croient c’est la même chose
...que vous y croyiez ou pas à Dieu, dites-vous bien qu’avec Dieu dans tous les cas,
qu’on y croit ou qu’on n’y croit pas, il faut compter.

C’est absolument inévitable. C’est pour ça que je réécris au tableau ce autour de


quoi j’ai essayé de faire tourner
quelque chose sur ce qu’il en est du prétendu rapport sexuel.

52
Paul-Jean Toulet : « Contrerimes » :
« Comme les dieux gavant leur panse, Les Prétendants aussi.
Télémaque en est tout ranci : Il pense à la dépense.
Neptune soupe à Djibouti, (Près de la mer salée).
Pénélope s’est en allée. Tout le monde est parti.
Un poète, que nuls n’écoutent, Chante Hélène et les œufs.
Le chien du logis se fait vieux : Ces gens-là le dégoûtent ! »
521
Je recommence :
il existe un x tel que ce qu’il y a de sujet déterminable par une fonction qui est ce
qui domine le rapport sexuel...
à savoir la fonction phallique - c’est pour ça que je l’écris !
...il existe un x qui se détermine de ceci : qu’il ait dit non à la fonction [:§].

Vous voyez que de là d’où je parle, vous voyez d’ores et déjà la question de
l’existence liée à quelque chose
dont nous ne pouvons pas méconnaître que ce soit un dire. C’est un dire non, je
dirai même plus : c’est un dire que non.

Ceci est capital.


Ceci est justement ce qui nous indique le point juste où doit être prise pour notre
formation - formation d’analyste –
ce qu’énonce la théorie des ensembles : il y en a Un, « au-moins-Un » qui « dit que non ».

C’est un repère ! C’est un repère, bien entendu qui ne tient pas même un instant,
qui n’est d’aucune façon enseignant
ni enseignable, si nous ne le conjoignons pas à cette inscription quantificatrice
des 4 autres termes, à savoir :
le quanteur dit universel : ; !, c’est-à-dire le point d’où il peut être dit, comme cela
s’énonce dans la doctrine freudienne,
qu’il n’y a de désir, de libido - c’est la même chose - que masculine. C’est à la vérité
une erreur.

Il n’en reste pas moins que c’est une erreur qui a tout son prix de repère.
Que les trois autres formules, à savoir :

— il n’existe pas cet X [/ §], pour dire qu’il n’est pas vrai que la fonction phallique
soit ce qui domine le rapport sexuel,
— et que d’autre part nous devions - je ne dis pas nous puissions écrire - qu’à un
niveau complémentaire de ces 3 termes nous devions écrire la fonction du « pas-
tout » [.] comme étant essentielle à un certain type de rapport à la fonction phallique en

522
tant qu’elle fonde le rapport sexuel, c’est là évidemment ce qui fait de ces
quatre inscriptions un ensemble.

Sans cet ensemble, il est impossible de s’orienter correctement dans ce qu’il en est
de la pratique de l’analyse
pour autant qu’elle a affaire avec ce quelque chose qui couramment se définit
comme étant
– « l’homme » d’une part,
– et d’autre part ce correspondant généralement qualifié de « femme », qui le laisse
seul.

S’il le laisse seul, c’est pas la faute du correspondant, c’est la faute de « l’homme ».
Mais faute ou pas faute...
c’est une affaire que nous n’avons pas à trancher immédiatement, je le signale au
passage
...ce qu’il importe pour l’instant c’est d’interroger le sens de ce que peuvent avoir
à faire ces 4 fonctions...
qui ne sont que deux :
– l’une négation de la fonction,
– l’autre : fonction opposée
...ces 4 fonctions pour autant que les diversifie leur accouplement « quanté ».

Il est clair que ce que veut dire le : §, c’est-à-dire négation de !, est quelque chose
qui depuis longtemps...
et depuis assez à l’origine pour qu’on puisse dire
qu’on est absolument confondu que Freud l’ait ignoré
...:négation de ! à savoir cet au-moins-Un, cet Un tout seul qui se détermine d’être l’effet du
dire que non à la fonction phallique, c’est très précisément le point sous lequel il faut
que nous mettions tout ce qui s’est dit jusqu’à présent de l’œdipe,
pour que l’œdipe soit autre chose qu’un mythe.

Et ceci a d’autant plus d’intérêt qu’il ne s’agit pas là de genèse, ni d’histoire, ni de


quoi que ce soit qui ressemble,
comme il semble à certains moments dans Freud que ç’ait pu être énoncé par lui,
à savoir un événement.
Il ne saurait s’agir d’événement à ce qui nous est représenté comme étant avant
toute histoire.
Il n’y a d’événement que ce qui se connote dans quelque chose qui s’énonce.

Il s’agit de structure.
523
Qu’on puisse parler de « Tout-homme » comme étant sujet à la castration [; !],
c’est ce pourquoi, de la façon la plus patente, le mythe d’Œdipe est fait.

Est-il nécessaire de se mettre à retourner aux fonctions « mythéme-atiques » pour


énoncer un fait logique qui est celui-ci : c’est que s’il est vrai que l’inconscient est
structuré comme un langage, la fonction de la castration y est nécessitée,
c’est exactement en effet ce qui implique quelque chose qui y échappe.

Et quoi que ce soit qui y échappe, même si ce n’est pas...


pourquoi pas, car c’est dans le mythe
...quelque chose d’humain : après tout pourquoi ne pas voir le père du meurtre
primitif comme un orang-outang, beaucoup de choses qui coïncident dans la
tradition...
la tradition d’où tout de même il faut dire que la psychanalyse surgit :
de la tradition judaïque
...dans la tradition judaïque, comme j’ai pu l’énoncer l’année où je n’ai pas voulu
faire plus que mon premier séminaire sur Les Noms du Père, j’ai quand même eu le
temps d’y accentuer que dans le sacrifice d’Abraham,
ce qui est sacrifié c’est effectivement le père, lequel n’est autre qu’un bélier.

Comme dans toute lignée humaine qui se respecte, sa descendance mythique est
animale.
De sorte qu’en fin de compte, ce que je vous ai dit l’autre jour 53 de la fonction de la
chasse chez l’homme, c’est de ça qu’il s’agit. Je ne vous en ai pas dit bien long bien
sûr.

J’aurai pu vous en dire plus sur le fait que le chasseur aime son gibier.
Tels les fils, dans l’évènement dit « primordial » dans la mythologie freudienne : ils
ont tué le père...
comme ceux dont vous voyez les traces sur les grottes de Lascaux
...ils l’ont tué - mon Dieu - parce qu’ils l’aimaient bien sûr, comme la suite l’a
prouvé, la suite est triste.

La suite est très précisément que tous les hommes, ;, que l’universalité des hommes est
sujette à la castration.
Qu’il y ait « Une exception », nous ne l’appellerons pas, du point d’où nous parlons,
« mythique ».
Cette exception c’est la fonction inclusive : quoi énoncer de l’universel [; !],

53
Cf. « ...Ou pire », Séance du 17 mai 1972.
524
sinon que l’universel soit enclos, enclos précisément par la possibilité négative [:
§].
Très exactement, l’existence ici joue le rôle du complément, ou pour parler plus
mathématiquement, du bord.

Ce qui inclut ceci : qu’il y a quelque part un « tout x » : ;, un « tout x » qui devient
un « tout a », je veux dire un (a), chaque fois qu’il s’incarne, qu’il s’incarne dans ce
qu’on peut appeler « Un être », « Un être » au moins qui se pose comme être, et à
titre d’homme nommément.

C’est très précisément ce qui fait que ce soit dans l’autre colonne...
et avec un type de rapport qui est fondamental,
que puisse s’articuler quelque chose...
dans quoi se range, puisse se ranger pour quiconque sache penser avec
ces symboles
...au titre de la femme.

Rien que de l’articuler ainsi, ceci nous fait sentir qu’il y a quelque chose de
remarquable, de remarquable pour vous,
que ce qui s’en énonce, c’est qu’il n’y en a pas une qui dans l’énoncé...
dans l’énoncé qu’il n’est pas vrai que la fonction phallique domine ce qu’il
en est du rapport sexuel
...s’inscrive en faux [/ §].

Et pour vous permettre de vous y retrouver au moyen de références qui vous


sont un petit peu plus familières,
je dirai - mon Dieu, puisque j’ai parlé tout à l’heure du père - je dirai que ce que
concerne ce :
« Il n’existe pas de x qui se détermine comme sujet dans l’énoncé du « dire que non » à la
fonction phallique »,
c’est à proprement parler « la vierge ».

Vous savez que Freud en fait état : le tabou de la virginité etc., et d’autres histoires
follement folkloriques
autour de cette affaire, et le fait qu’autrefois les vierges étaient baisées pas par
n’importe qui,
il fallait au moins un grand prêtre ou un petit seigneur, enfin qu’importe,
l’important n’est pas ça.

525
L’important en effet, c’est qu’on puisse dire autour de cette fonction du « vir »54,
cette fonction du « vir » si frappante en ceci qu’il n’y ait jamais que d’une femme,
après tout qu’on dise qu’elle soit virile. Si vous avez jamais entendu parler, au
moins de nos jours, d’un type qui le soit, vous me le montrerez, ça m’intéressera !

Là par contre, si l’homme est tout ce que vous voulez dans le genre :
virtuose, vire à bâbord, parer à virer, vire ce que tu veux, le viril c’est du côté de la
femme, c’est la seule à y croire !
Elle pense ! C’est même ce qui la caractérise.

Je vous expliquerai tout à l’heure...


il faut que je vous le dise tout de suite
...que c’est pour ça...
je vous expliquerai dans le détail pourquoi
...que la virgo n’est pas dénombrable, parce qu’elle se situe...
contrairement à l’Un qui est du côté du père
...elle se situe entre l’Un et le Zéro.

Ce qui est entre l’Un et le Zéro, c’est très connu et ça se démontre, même quand
on a tort,
ça se démontre dans la théorie de Cantor, ça se démontre d’une façon que je
trouve absolument merveilleuse.

Il y en a au moins ici quelques-uns qui savent de quoi je parle, de sorte que je vais
l’indiquer brièvement.
Il est tout à fait démontrable que ce qui est entre l’Un et le Zéro...
ça se démontre grâce aux décimales, on se sert de décimales dans le
système du même nom : décimal
...il est très facile de montrer que : « supposez » ...
il faut le supposer
... « supposez » que ce soit dénombrable, la méthode dite « de la diagonale » peut
permettre de forger toujours une nouvelle suite décimale telle qu’elle ne soit
certainement pas inscrite dans ce qui a été dénombré.

Il est strictement impossible de construire ce dénombrable, de donner même une fa-


çon - si mince soit-elle - de le ranger,

54
Vir : homme, mâle. Étymologie : de la racine indo-européenne wihrós « homme » ou
« guerrier ».
526
ce qui est bien la moindre des choses, parce que le dénombrable se définit de
correspondre à la suite des nombres entiers.

C’est donc purement et simplement d’un « supposez... » et là-dessus on accusera


très volontiers...
comme il se fait dans ce livre : « Cantor a tort »
...Cantor d’avoir tout simplement forgé un cercle vicieux.

Un cercle vicieux, mes bon amis, mais pourquoi pas ! Plus un cercle est vicieux,
plus il est drôle,
surtout si on peut en faire sortir quelque chose comme ce petit oiseau qui
s’appelle le non-dénombrable,
qui est bien une des choses les plus éminentes, les plus astucieuses, les plus
collant au Réel du nombre,
qui ait jamais été inventeés. Enfin, laissons !

Les « onze mille Vierges », comme il se dit dans La Légende Dorée 55, c’est la façon
d’exprimer le non-dénombrable.
Parce que les onze mille, vous comprenez, c’est un chiffre énorme, c’est surtout un
chiffre énorme pour des Vierges, et pas seulement par les temps qui
courent ! Donc, nous avons pointé ces faits.

Tâchons maintenant de comprendre ce qu’il en advient, de ce « pas toute » [.]


qui est vraiment le point vif, le point original de ce que j’ai inscrit au tableau.
Car nulle part jusqu’à présent dans la logique, n’a été mise, promue, mise en avant,
la fonction du « Pas-Tous » comme telle.

Le mode de la pensée...
pour autant qu’il est, si je puis dire, « subverti » par le manque du
rapport sexuel
...pense et ne pense qu’au moyen de l’Un.

L’Universel, c’est le quelque chose qui résulte de l’enveloppement d’un certain champ par
quelque chose qui est de l’ordre de l’Un,
à ceci près, qui est la véritable signification de la notion de l’ensemble, c’est très
précisément ceci :

55
La Légende dorée (Legenda aurea), œuvre de Jacques De Voragine rédigée de 1261 à 1266 qui
décrit la vie de 180 saints, saintes et martyrs chrétiens.
527
c’est que l’ensemble, c’est la notation mathématique de ce quelque chose - où hélas,
je ne suis pas pour rien -
qui est une certaine définition, celle que je note du S, c’est à savoir du sujet,
du sujet pour autant qu’il n’est rien d’autre que l’effet de signifiant, autrement dit :
« ce que représente un signifiant pour un autre signifiant. »

L’ensemble c’est la façon dont, à un tournant de l’histoire, les gens les moins faits pour
mettre au jour ce qu’il en est du sujet,
s’y sont trouvés si l’on peut dire nécessités. « L’ensemble » n’est rien d’autre que le sujet.
C’est bien pour cela qu’il ne saurait même se manier sans l’addition de l’ensemble
vide.

Jusqu’à un certain point, je dirai que l’ensemble vide se démarque dans sa nécessité,
de ceci :
qu’il peut être pris pour un élément de l’ensemble, à savoir que l’inscription de la
parenthèse qui désigne l’ensemble
avec comme élément l’ensemble vide : {Ø}, est quelque chose sans quoi est
absolument impensable
tout maniement de cette fonction qui...
je vous le répète, je pense vous l’avoir suffisamment indiqué
...est faite très précisément à un certain tournant pour interroger...
interroger au niveau du langage commun, je souligne commun,
parce que ce n’est nullement ici aucun - de quelque sorte que ce soit -
métalangage qui règne
...pour interroger du point de vue logique, interroger avec le langage de tous,
ce qu’il en est de l’incidence dans le langage lui-même, du nombre, c’est-à-dire
– de quelque chose qui n’a rien à faire avec le langage,
– de quelque chose qui est plus réel que n’importe quoi, le discours de la science l’a
suffisamment manifesté.

« Pas-Tout » [.] c’est très précisément ce qui résulte de ceci :


non pas que rien ne le limite, mais que la limite est autrement située.

Ce qui fait le « Pas-Tout » [.], si je puis dire et je le dirai pour aller vite, c’est ceci,
c’est que...
contrairement à l’inclusion dans :§
« il existe le Père dont le dire-non le situe par rapport à la fonction phallique »
...inversement, c’est en tant qu’il y a le vide, le manque, l’absence de quoi que ce
soit qui dénie la fonction phallique

528
au niveau de la femme, qu’inversement il n’y a rien d’autre que ce quelque chose
que le « Pas-Tout » formule
dans la position de la femme à l’endroit de la fonction phallique. Elle est en effet
pour elle, « Pas-Toute ».

Ce qui ne veut pas dire que, sous quelque incidence que ce soit, elle le nie. Je ne
dirai pas qu’elle est autre, parce que
très précisément le mode sous lequel elle n’existe pas dans cette fonction - de la
nier - ce qui est très précisément
ce mode, c’est qu’elle est ce qui dans mon graphe s’inscrit du signifiant de ceci :
que l’Autre est barré : S(A).
La femme n’est pas le lieu de l’Autre, et plus encore elle s’inscrit très précisément
comme n’étant pas l’Autre
dans la fonction que je donne au grand A, à savoir comme étant le lieu de la vérité.

Et ce qui s’inscrit dans « la non-existence de ce qui pourrait nier la fonction phallique » ...
de même qu’ici j’avais traduit par la fonction de l’ensemble vide,
l’existence du « dire que non »,
de même c’est de s’absenter et même c’est d’être ce « jouiscentre »,
ce « jouiscentre » qui est conjugué à ce que je n’appellerai pas une
absence, mais une dé-sence : s.e.n.c.e.
...que la femme se pose pour ce fait signifiant, non seulement que le grand Autre
n’est pas là - ce n’est pas elle -
mais qu’il est tout à fait ailleurs : au lieu où il situe la parole.

Il me reste - puisqu’après tout vous avez la patience à une heure qui est déjà onze,
de continuer à m’entendre - à pointer ceci qui est capital...
dans ce qu’après tout ici - pour vous - je force
à la fin de l’année, un certain nombre de thèmes qui sont des thèmes
cristallisants
...c’est de dénoter la béance qui sépare chacun de ces termes en tant qu’ils sont
énoncés.

Il est clair qu’entre le :: « il existe », et le / : « il n’existe pas », on n’a pas à


baragouiner, c’est l’existence.
529
Il est clair qu’entre : § : « il existe un qui ne… » et ;! : « il n’y en a pas Un qui ne soit…
», il y a la contradiction :

Quand Aristote fait état des propositions particulières pour les opposer aux universelles,
c’est entre une particulière positive par rapport à une universelle négative qu’il institue la
contradiction.
Ici, c’est le contraire : c’est la particulière qui est négative et c’est l’universelle qui est
positive.

Ici, ce que nous avons entre ce / §, qui est la négation d’aucune universalité,
et ce . ! ce que nous avons, je ne fais ici que vous l’indiquer, je le justifierai par la
suite, c’est l’indécidable :

Entre les deux...


dont toute notre expérience nous montre, je pense, assez que la
situation n’est pas simple
...ce dont il s’agit, c’est quoi ?
– Nous l’appellerons le manque,
– nous l’appellerons la faille,
– nous l’appellerons si vous voulez, le désir,
– et pour être plus rigoureux nous l’appellerons l’objet(a).

Alors il s’agit de savoir comment, au milieu de tout ça...


j’espère que certains tout au moins, l’auront pris en
note
...comment au milieu de tout ça fonctionne quelque chose qui pourrait ressembler
à une circulation.
530
Pour ça, il faut s’interroger sur le mode dont sont posés ces quatre termes :

Le : en haut et à gauche, c’est littéralement le nécessaire.


Rien n’est pensable, c’est surtout pas notre fonction de penser à nous autres
hommes.
Enfin, une femme ça pense, ça pense même de temps en temps « donc je suis », en
quoi bien sûr elle se trompe.

Mais enfin, pour ce qui est du nécessaire, il est absolument nécessaire...


et c’est ça que nous dit Freud avec cette histoire à dormir debout
de « Totem et... Debout »
...il est absolument nécessaire de penser quoi que ce soit aux rapports...
qu’on appelle humains, on ne sait pas pourquoi
...dans l’expérience qui s’instaure de ce discours analytique, il est absolument
nécessaire de poser qu’il en existe Un
pour qui la castration : à la gare !

La castration, ça veut dire quoi ?


Ça veut dire que « tout laisse à désirer », ça ne veut rien dire d’autre. Ben voilà !
Pour penser ça, c’est-à-dire à partir de la femme, il faut qu’il y en ait un pour qui
rien ne laisse à désirer.

C’est l’histoire du mythe d’Œdipe, mais c’est absolument nécessaire, c’est


absolument nécessaire.
Si vous perdez ça, je vois absolument pas ce qui peut vous permettre de vous y
retrouver d’une façon quelconque.
C’est très important de se retrouver.

Alors voilà, cet : je vous ai déjà dit que c’est le nécessaire.


Le nécessaire à partir de quoi ? À partir justement de ce que, ma foi, je vous ai écrit
là tout à l’heure : l’indécidable.
Enfin on ne pourrait absolument rien dire qui ressemble à quoi que ce soit qui
puisse faire fonction de vérité,
531
si on n’admet pas ce nécessaire [:§] : il y en a « au moins Un » qui dit non...

J’insiste un peu. J’insiste parce que je n’ai pas pu ce soir - on a été dérangés - vous
raconter toutes les gentillesses
que j’aurai voulu vous dire à ce propos. Mais j’en avais une bien bonne et puis-
qu’on me taquine,
je m’en vais vous la sortir quand même : c’est la fonction de l’é-Pater.

On s’est beaucoup interrogé sur la fonction du « pater familias ».


Il faudrait mieux centrer ce que nous pouvons exiger de la fonction du père :
cette histoire de carence paternelle, qu’est-ce qu’on s’en gargarise !
Il y a une crise, c’est un fait, c’est pas tout à fait faux : l’é-Pater ne nous épate plus.
C’est la seule fonction véritablement décisive du père.

J’ai déjà marqué que ce n’était pas l’œdipe, que c’était foutu, que si le père était un
législateur,
ça donnait le Président Schreber comme enfant. Rien de plus.
Sur n’importe quel plan, le père c’est celui qui doit épater la famille.

Si le père n’épate plus la famille, naturellement... mais on trouvera mieux !


C’est pas forcé que ce soit le père charnel, il y en a toujours un qui épatera la
famille,
dont chacun sait que c’est un troupeau d’esclaves. Il y en aura d’autres qui l’épa-
teront.

Vous voyez comme la langue française peut servir à bien des choses. Je vous ai
déjà expliqué ça la dernière fois,
j’avais commencé par un truc : fondre ou fonder d’eux un Un, au subjonctif c’est le
même truc, pour fonder il faut fondre.
Il y a des choses qui ne peuvent s’exprimer que dans la langue française, c’est jus-
tement pour ça qu’il y a l’inconscient. Parce que ce sont les équivoques qui fondent,
dans les deux sens du mot, il n’y a même que ça...

Si vous vous interrogez sur le « Tous » en cherchant comment c’est exprimé en


chaque langue,
vous trouverez des tas de trucs, des trucs absolument sensationnels.
Personnellement je me suis beaucoup enquis
du Chinois parce que je ne peux pas faire un catalogue des langues du monde
entier.

532
J’ai aussi interrogé quelqu’un, grâce à la charmante trésorière de notre École
[Nicole Sels],
qui a fait écrire par son père comme on disait « Tous » en Yoruba. Mais c’est fou,
vous comprenez !
Je fais ça pour l’amour de l’art, mais je sais bien que de toute façon je trouverai
que dans toutes les langues,
il y a un moyen pour dire « Tous ».

Moi ce qui m’intéresse c’est le signifiant « comme Un », c’est de quoi on se sert dans
chaque langue.
Et le seul intérêt du signifiant, c’est les équivoques qui peuvent en sortir...
c’est-à-dire quelque chose de l’ordre du « fonde d’eux un Un » et d’autres
conneries de cette espèce
...c’est la seule chose intéressante, parce que pour nous ce qui est du « Tous »,
vous trouverez toujours ça exprimé, le « Tous » est forcément sémantique.

Le seul fait que je dise que je voudrais interroger « Toutes » les langues résout la
question,
puisque les langues justement ne sont « pas toutes », c’est leur définition,
par contre si je vous interroge sur le « Tous », vous comprenez.
Voilà ! Ouais, enfin la sémantique ça revient à la traductibilité.

Qu’est-ce que je pourrais en donner d’autre comme définition ?


La sémantique c’est ce grâce à quoi un homme et une femme ne se comprennent
que s’ils ne parlent pas la même langue. Enfin, je vous dis tout ça pour vous faire
des exercices, et parce que je suis là pour ça, et puis aussi peut-être
pour vous ouvrir un petit peu la comprenoire sur l’usage que je fais de la
linguistique.

Ouais... Je veux en finir, n’est-ce-pas ?

Alors pour ce qui est de ce qui nécessite l’existence, nous partons justement de ce
point que j’ai tout à l’heure inscrit :
de la béance de l’indécidable, c’est-à-dire entre le « pas-tout » et le « pas-une ». Et
après ça va là, à l’existence.
Puis après ça, ça va là. À quoi ? Au fait que tous les hommes sont en puissance de
castration, ça va au possible,
car l’universel n’est jamais rien d’autre que ça. Quand vous dites que « Tous les hommes
sont mammifères »,
ça veut dire que « tous les hommes possibles » peuvent l’être.
533
Et après ça, où ça va ? Ça va là : à l’objet(a). C’est avec ça que nous sommes en
rapport.

Et après ça, ça va où ? Ça va là, où la femme se distingue de n’être pas unifiante.


Voilà ! Il ne reste plus qu’à compléter ici pour aller vers la contradiction,
et à revenir du « Pas-Toutes », qui est en somme rien d’autre que l’expression de la
contingence.

Vous voyez ici...


comme je l’ai déjà signalé en son temps56
...l’alternance de la nécessité, du contingent, du possible et de l’impossible ne sont pas dans
l’ordre qu’Aristote donne.
Car ici c’est de l’impossible qu’il s’agit, c’est-à-dire en fin de compte du réel.

Alors suivez bien ce petit chemin, parce qu’il nous servira par la suite, vous en
verrez quelque chose.
Voilà ! Il faudrait indiquer les 4 triangles dans les coins comme ça, la direction des
flèches est également indiquée.
Vous y êtes ? Voilà !

Je trouve que j’en ai assez fait pour ce soir.


Je ne désire pas finir sur une péroraison sensationnelle, mais la question que...
oui, c’est assez bien écrit.
Nécessaire, impossible...

X - On n’entend pas !

Lacan - Hein ? Nécessaire, impossible, possible et contingent.

56
Cf. le séminaire 1961-62 : « L’identification » séance du 17-01-1962.
534
X - On n’entend rien !

Lacan

Je m’en fous ! Voilà ! C’est un frayage.

Vous entendrez la suite dans presque quinze jours, puisque c’est le 14 que je ferai
mon prochain séminaire au Panthéon.

Je ne suis pas sûr que ce ne sera pas le dernier.

535
LACAN 14-07-1972.L’ étourdit

536
Ce document de travail a pour sources principales :
– L’étourdit, sur le site de l’E.L.P.
– L’étourdit, (Lecture…) de Christian FIERENS.

Ce texte nécessite l’installation de la police de caractères dite « Lacan », disponible


ici :
http://fr.ffonts.net/LACAN.font.download (placer le fichier Lacan.ttf dans le
répertoire c:\windows\fonts)
Les références bibliographiques privilégient les éditions les plus récentes. Les
schémas sont refaits.
N.B. Ce qui s’inscrit entre crochets droits [ ] n’est pas de Jacques LACAN.

(Contact)

– Les liens aux pages de l’édition Scilicet n° 4 (pp. 5-52) sont en bleu, en gras
et entre crochets : [5] (haut de la page 5)

[05] [06] [07] [08] [09] [10] [11] [12] [13] [14] [15] [16] [17] [18] [19] [20] [21] [22]
[23] [24] [25] [26]
[27] [28] [29] [30] [31] [32] [33] [34] [35] [36] [37] [38] [39] [40] [41] [42] [43] [44]
[45] [46] [47] [48] [49] [50] [51] [52]

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MŒBIUS VIDEO

537
[05] En contribuant au 50ème anniversaire de l’Hôpital Henri-Rousselle pour la
faveur que les miens et moi y avons reçue
dans un travail dont j’indiquerai ce qu’il savait faire, soit passer la présentation 57, je
rends hommage au Dr DAUMÉZON
qui me l’a permis. Ce qui suit ne préjuge - selon ma coutume - rien de l’intérêt qu’y
prendra son adresse :
mon dire à Sainte-Anne fut vacuole, tout comme Henri-Rousselle et – l’imagine-t-
on ? – depuis presque le même temps,
y gardant en tout état de cause le prix de cette lettre que je dis parvenir toujours où elle doit
[cf. séminaire sur « La lettre volée », Écrits p. 11].

Je pars de miettes, certes pas philosophiques [Cf. Kierkegaard], puisque c’est de mon
séminaire de cette année (à Paris I [Panthéon-Sorbonne])
qu’elles font relief [Séminaire 1971-72 : « …Ou pire »]. J’y ai inscrit à deux reprises au
tableau – une troisième à Milan où, itinérant,
j’en avais fait banderole pour un flash sur Le discours psychanalytique – ces deux
phrases [les « miettes »] :

– « Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend. »

– « Cet énoncé qui paraît d’assertion [absolu, catégorique], pour se produire dans une forme
universelle, est de fait modal 58, existentiel comme tel :
le subjonctif dont se module son sujet [« Qu’on dise... »], en témoignant. »

Si le « bienvenue », qui de mon auditoire me répond assez pour que le terme de


« séminaire » ne soit pas trop indigne de ce que
j’y porte de parole, ne m’avait de ces phrases détourné, j’eusse voulu de leur rapport de
signification démontrer le sens qu’elles prennent

57
C’est à Henri-Rousselle - consultation ambulatoire de Sainte-Anne - que Lacan faisait ses
« présentations de malades », où il s’agit de passer la « présentation »
(1er tour du dit) pour la re-présentation (2ème tour du dit → les tours dits) et la coupure
mœbienne en double boucle [Cf. infra « Un peu de topologie vient maintenant. » p. 15,
et avant-dernière ligne, page 30 : « ce jeu du dit au dire »].
58
Proposition modale : Les logiciens appellent ainsi - par opposition aux propositions
absolues ou catégoriques dans lesquelles l’attribution est
simplement énoncée - celles dont l’attribut est modifié par une des quatre conditions
suivantes : possible, impossible, contingent, nécessaire.
La théorie des propositions modales, de leurs oppositions et des syllogismes qui en sont
formés (Barbara, Celarent, Darii, Ferio...), a été développée par Aristote
dans « De l’interprétation » et dans les chapitres 8-22 du premier livre des « Premiers
Analytiques ».
538
du discours psychanalytique [discours A : a → S ↓S1 ◊ S2]. L’opposition qu’ici j’évoque
[signification-sens] devant être plus loin accentuée.

Je rappelle que c’est de la logique que ce discours [psychanalytique] touche au réel à le


rencontrer comme impossible,
[la logique pose que du faux peut résulter le vrai (stoïciens), ici que de l’impossible : a → S, départ
du discours A, puisse résulter une vérité sur S1◊ S2]
en quoi c’est ce discours [psychanalytique] [06] qui la porte à sa puissance dernière [ronde des
discours] : science - ai-je dit - du réel [« le réel c’est l’impossible »].
[Le discours analytique – quatrième et dernier venu – prend son départ de la butée du discours du
maître (formule du fantasme : a ◊ S), il montre, par la production de S1 asémantiques
en « essaim » et la butée sur S1◊ S2, l’impossibilité de tout discours, car « ça n’est pas ça » : la
production n’atteint jamais la vérité→ renversement du discours et passage au discours suivant
→ « la ronde des discours » démontre l’impossible de tout discours sous ses 4 formes : Inconsistance
(discours H), incomplétude (discours M), indémontrable (discours U), indécidable (discours A).]
Qu’ici me pardonnent ceux qui d’y être intéressés, ne le savent pas. Les ménagerais-je encore,
qu’ils l’apprendraient bientôt des événements.

La signification, d’être grammaticale, entérine d’abord que la seconde phrase porte


sur la première, à en faire son sujet
sous forme d’un particulier. Elle dit : « cet énoncé », puis qualifie celui-ci de l’« assertif »
de se poser comme vrai,
l’en confirmant d’être sous forme de proposition dite universelle en logique : c’est en tout
cas que le dire reste oublié derrière le dit.

Mais d’antithèse – soit du même plan – en un second temps elle en dénonce le


semblant : à l’affirmer du fait que son sujet soit modal,
et à le prouver de ce qu’il se module grammaticalement comme : « qu’on dise ». Ce
qu’elle rappelle non pas tant à la mémoire
que, comme on dit, à l’existence. La 1ère phrase n’est donc pas de ce plan thétique
de vérité que le premier temps de la 2nde assure comme d’ordinaire au moyen de
tautologies (ici deux)[le réel comme impossible n’est pas du registre de la vérité à laquelle il ex-
siste]. Ce qui est rappelé

539
– c’est que son énonciation est moment d’ex-sistence, [cette énonciation fait réponse d’un
réel ex-sistant]
– c’est que située du discours, elle « ex-siste » à la vérité. [le dire ex-siste à la parole, la
vérité ne peut être qu’un mi-dit]

Reconnaissons ici la voie par où advient le nécessaire - en bonne logique s’entend


[« modale » donc] - celle qui ordonne ses modes de procéder
d’où elle accède - soit cet impossible, modique sans doute, quoique dès lors incommode
- que pour qu’un dit soit vrai encore faut-il qu’on le dise [cf. la1ère phrase (Qu’on dise...), et
« La Chose freudienne » (Écrits p. 409): « Moi la vérité, je parle.], que dire il y en ait. En quoi
la grammaire mesure déjà forces
et faiblesses des logiques qui s’en isolent, pour - de son subjonctif - les cliver, et s’indique
en concentrer la puissance de toutes les frayer.
[Le subjonctif est le mode de l’incertitude, il montre le caractère « possible » d’une action → valeur
modale du subjonctif]

Car, j’y reviens une fois de plus, il n’y a pas de métalangage tel qu’aucune des logiques, à
s’intituler de la proposition, puisse s’en faire béquille, qu’à chacune [des logiques] reste
son imbécillité 59, et si l’on croit le retrouver [le métalangage] dans ma référence, plus
haut, au discours,
je le réfute de ce que la phrase qui a l’air là de faire objet pour la 2nde[phrase], ne s’en
applique pas moins significativement à celle-ci.
Car cette 2nde, qu’on la dise, reste oublié derrière ce qu’elle dit. Et ceci de façon d’autant
plus frappante qu’assertive, elle sans rémission,
au point d’être tautologique en les preuves qu’elle avance [07] : à dénoncer dans la
1ère son semblant, elle pose son propre dire
comme inexistant, puisqu’en contestant celle-ci comme dit de vérité, c’est l’existence
qu’elle fait répondre de son dire,
ceci non pas de faire ce dire exister puisque seulement elle le dénomme, mais d’en
nier la vérité, sans le dire.

À étendre ce procès, naît la formule, mienne : qu’il n’y a pas d’« universelle » qui ne doive
se contenir d’une existence qui la nie [l’universelle :; ! ne permet la consistance de « l’univers »
qu’elle pose qu’à exclure (ex-sistence) l’impossible qui y fait exception : : §]. Tel le stéréotype
que « tout homme soit mortel »,

59
Imbecillus : faible. Les Scolies de Leyde sur Juvenal III, 28 : « porto meis nullo dextram
subeunte bacillo », donnent « quasi sine bacillo »→ imbécile : sans béquille, sans bâton].
540
ne s’énonce pas de « nulle part ». La logique qui le date, n’est que celle d’une philosophie
qui feint cette « nullibiquité »60,
ce pour faire alibi à ce que je dénomme « discours du maître ». Or ce n’est pas de ce
seul discours [M (S1)], mais de la place [semblant]
où font « tour » d’autres (d’autres discours) [H(S), U(S2), A(a)] - celle que je désigne du
« semblant » - qu’un dire prend son sens.

Cette place n’est pas pour tous, mais elle leur ex-siste, et c’est de là que s’hommologue que
tous soient mortels. Ils ne peuvent que l’être tous, parce qu’à la mort on les délègue de
cette place [: §], « tous » il faut bien, puisque c’est là qu’on veille à la merveille du Bien de
tous [; !].
Et particulièrement quand ce qui y veille y fait « semblant » du signifiant-maître [S1 dans
le discours M ] ou du savoir [S2 dans le discours U ].
D’où la ritournelle de la logique philosophique. [Cf. supra : « le stéréotype que «tout
homme soit mortel » »]

Il n’y a donc pas d’universelle qui ne se réduise au possible [Cf. supra : « qui ne doive se contenir
d’une existence qui la nie »]. Même la mort, puisque c’est là la pointe [; !a pour condition de
consistance l’exclusion de :§] dont seulement elle s’articule, si universelle qu’on la pose, elle ne reste
jamais que possible [car :§].
Que la loi s’allège [par ce : §] de s’affirmer comme formulée de nulle part [ex-sistence de
: § source des rêves, lapsus, witz...], c’est-à-dire
d’être sans raison [non-sens] [« sans rime ni raison », discours M : S1 « ex-sistant » → sans lien
avec S2, S1 « asémantique »], confirme encore d’où part son dire.

60
Cf. « nullibiété » : séminaire 1954-55 : Le moi... séance du 26 avril 1955 (« séminaire sur
La lettre volée »)ou « nullibiquité », de « nulle part » et « ubiquité » :
séminaire 1968-69 : D’un Autre... séance du 21 mai 1969, (cf. Wilkins, évêque de Chester
(An Essay towards a Real Character and a Philosophical Language).
En 1955, dans Le séminaire sur « La lettre volée » la nullibiété désigne le sans lieu de la
lettre, son lieu de « nulle part », son atopisme. En 1969 la nullibiquité désigne
le lieu du signifiant (l’Autre) comme non lieu de la jouissance : « Par [...] ce qui permet
l’émergence du savoir, la jouissance est exclue : le cercle se ferme. Cette exclusion [...]
c'est par là qu’elle s’affirme comme réel [...]du système même qui l’exclut. « Nulle part »,
la voici redevenue « partout ». » (D’un autre à l’Autre : séance du 21 mai 1969).

541
Avant de rendre à l’analyse le mérite de cette aperception, acquittons-nous envers nos
phrases, à remarquer que le « dans ce qui s’entend »
de la 1ère [Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend.], se branche
également sur l’ex-sistence du « reste oublié » que relève la 2nde,
[« Cet énoncé qui paraît d’assertion, pour se produire dans une forme universelle, est de fait modal,
existentiel comme tel : le subjonctif dont se module son sujet, en témoignant. »]
et sur le « ce qui se dit » qu’elle-même dénonce comme, ce reste, le couvrant. Où je
note au passage le défaut de l’essai transformationnel de faire logique d’un recours à une
structure profonde qui serait un arbre à étages [Chomsky] [« Il n’y a aucun espoir d’atteindre
le réel par la représentation »].

Et je reviens au sens pour rappeler la peine qu’il faut à la philosophie - la dernière à en


sauver l’honneur d’être à la page dont [08]l’analyste fait l’absence [ab-sens : l’analyste absent de la
page philosophique : impuissance de la signification (S1◊ S2)] - pour apercevoir ce qui est sa
ressource, à lui, de tous les jours : que rien ne cache autant que ce qui dévoile, [symptômes, lapsus,
rêves…], que la vérité, ἀλήθεια [alèthéia] = Verborgenheit [dissimulation…] [cf.
Heidegger].
Ainsi ne renié-je pas la fraternité de ce dire [Heidegger] puisque je ne le répète qu’à
partir d’une pratique qui, se situant d’un autre discours [A] le rend incontestable [l’impossible
du discours analytique relève de l’indécidable → non contestable, non réfutable (au sens de Popper),
cf. Godel : théorèmes d’incomplétude].

Pour ceux qui m’écoutent …Ou pire, cet exercice n’eût fait que confirmer la logique
dont s’articulent dans l’analyse castration et Œdipe.
FREUD nous met sur la voie de ce que l’ab-sens désigne le sexe : c’est à la gonfle [sphère]
de ce sens-absexe [le soutien dans la fonction phallique du rapport
de signification S1→ S2 comme rapport sexuel : jouissance du (a) et non jouissance de l’Autre]
qu’une topologie se déploie [sphérique, des discours M, U, H, dans la fonction phallique] où c’est
le mot qui tranche [l’avoir ou pas : le mot du symptôme].
Partant de la locution « ça ne va pas sans dire », on voit que c’est le cas de beaucoup de
choses, de la plupart même, y compris
542
de la Chose freudienne telle que je l’ai située d’être le dit de la vérité. « N’aller pas sans » c’est
faire couple, ce qui comme on dit « ne va pas tout seul ».
C’est ainsi que le dit ne va pas sans dire [l’indicible]. Mais si le dit se pose toujours en vérité, fût-
ce à ne jamais dépasser un « midit » comme je m’exprime,
le dire ne s’y couple que d’y ex-sister, soit de n’être pas de la dit-mension de la vérité. [La
suspension du rapport de signification S1◊ S2 (A) permet la « monstration »
de l’ab-sens dans le surgissement du dire (S1 : non-sens), mais non son écriture dans le symbolique
comme savoir (S2)].


Il est facile de rendre cela sensible dans le discours de la mathématique où constamment
le dit se renouvelle de prendre sujet d’un dire [postulat] plutôt que d’aucune réalité, quitte - ce
dire - à le sommer de la suite proprement logique qu’il implique comme dit [suite des
implications logiques].
Pas besoin du dire de CANTOR pour toucher cela. Ça commence à EUCLIDE. Si
j’ai recouru cette année au premier
– soit à la théorie des ensembles – c’est pour y rapporter la merveilleuse efflorescence [des
formes de l’« impossible »] qui, d’isoler dans la logique :
– l’incomplet [M] de l’inconsistant [H],
– l’indémontrable [U] du réfutable [cf. Karl Popper],
– voire d’y adjoindre l’indécidable [A] [i.e. les 4formes de l’impossibles], de ne pas
arriver à s’exclure de la démontrabilité,
…nous met assez au pied du mur de l’impossible pour que s’évince le « ce n’est pas ça ! »,
qui est le vagissement de l’appel au réel.

J’ai dit « discours » de la mathématique, non « langage » de la même [opposition


langage/discours]. Qu’on y prenne garde, pour le moment
où je reviendrai à l’inconscient [09], structuré comme un langage ai-je dit de toujours, car
c’est dans l’analyse qu’il s’ordonne en discours.
Reste à marquer que le mathématicien a, avec son langage, le même embarras que nous
avec l’inconscient, à le traduire de cette pensée : qu’il ne sait pas de quoi il parle, fût-ce
à l’assurer d’être vrai (RUSSELL). Pour être le langage le plus propice au discours
scientifique,
543
la mathématique est la « science sans conscience » dont fait promesse notre bon RABELAIS, celle
à laquelle un philosophe 61 ne peut que rester bouché : « la gaye science » se réjouissait d’en
présumer « ruine de l’âme » [La « gaye science » ruine « l’âme » - objet sous-jacent du discours
philosophique - en dévoilant l’objet(a) vérité du discours H]. Bien sûr, la névrose y survit. [ce
« dévoilement » ne suffit pas à résoudre la névrose]

Ceci remarqué, le dire se démontre, et d’échapper au dit. [se « dé-montre » : sens anti-horaire du
passage de la place de l’Autre à la place du Semblant ]
Dès lors ce privilège, il ne l’assure qu’à se formuler en « dire que non », si - à aller au
sens :
– c’est le contien [M] qu’on y saisit, non la contradiction [H],
– la réponse [U], non la reprise en négation,
– le rejet [A], non la correction.

Répondre ainsi suspend ce que le dit a de véritable. Ce qui s’éclaire du jour rasant
que le discours analytique [A] apporte aux autres,
y révélant les [4] lieux modaux [nécessaire, impossible, contingent, possible(impuissance)]
dont leur ronde s’accomplit.

Je métaphoriserai pour l’instant de l’inceste, le rapport que la vérité entretient avec le réel. Le dire
vient d’où il [le réel : l’impossible] la commande [la vérité].

61
. Le philosophe s’inscrit (au sens où on le dit d’une circonférence) dans le discours du maître. Il y joue le
rôle du fou. Ça ne veut pas dire que ce qu’il dit soit sot ; c’est même plus qu’utilisable. Lisez
Shakespeare. Ça ne dit pas non plus - qu’on y prenne garde - qu’il sache ce qu’il dit. Le fou de
cour a un rôle :
celui d’être le tenant-lieu de la vérité. Il le peut à s’exprimer comme un langage, tout comme
l’inconscient. Qu’il en soit, lui, dans l’inconscience est secondaire,
ce qui importe est que le rôle soit tenu. Ainsi Hegel, de parler aussi juste du langage
mathématique que Bertrand Russell, n’en loupe pas moins la commande : c’est que Bertrand
Russell est dans le discours de la science. Kojève - que je tiens pour mon maître, de m’avoir initié
à Hegel - avait la même partialité à l’égard des mathématiques, mais il faut dire qu’il en était au
temps de Russell, et qu’il ne philosophisait qu’au titre du discours universitaire où il s’était rangé par
provision, mais sachant bien que son savoir n’y fonctionnait que comme semblant et le traitant
comme tel : il l’a montré de toutes manières, livrant ses notes à qui pouvait en faire profit et
posthumant sa dérision de toute l’aventure. Ce mépris qui fut le sien, se soutenait de son discours
de départ qui fut aussi celui où il retourna : le grand commis [de l’État] sait traiter les bouffons
aussi bien que les autres, soit en sujets - qu’ils sont - du souverain.
544
[le réel (l’impossible) dé-montre (rotation antihoraire) chaque discours par son produit : « ce n’est
pas ça ! » → renversement : l’Autre vient prendre la place du semblant, et le semblant fait vérité...]

[10] Mais ne peut-il y avoir aussi « dire direct » ? « Dire ce qu’il y a », ça ne vous dit rien,
chers petits de la salle de garde...
sans doute dite ainsi de ce qu’elle se garde bien de contrarier le patronat où
elle aspire, et quel qu’il soit
...« dire ce qu’il y a », pendant longtemps ça vous haussa son homme jusqu’à cette
profession qui ne vous hante plus que de son vide :
le médecin, qui dans tous les âges et sur toute la surface du globe, sur « ce qu’il y a », se
prononce. Mais c’est encore à partir de ceci : que ce qu’il y a n’a d’intérêt qu’à devoir
être conjuré. Au point où l’histoire a réduit cette fonction sacrale, je comprends
votre malaise. Pas même possible pour vous - le temps n’y étant plus - de jouer au
philosophe qui fut la mue dernière où, de faire la valetaille
des empereurs et des princes, les médecins se survécurent - lisez FERNEL.

Sachez pourtant - quoique l’analyse soit d’un autre sigle, mais qu’elle vous tente, ça se comprend
[l’impuissance de U pousse à A]- ce dont je témoigne d’abord.
Je le dis de ce que ce soit démontré sans exception de ceux que j’ai appelés mes
« dandys » : il n’y a pas le moindre accès au dire de Freud qui ne soit forclos - et sans retour dans
ce cas - par le choix de tel analyste.

C’est qu’il n’y a pas de formation de l’analyste, concevable hors du maintien de ce


dire, et que FREUD, faute d’avoir forgé
- avec le discours de l’analyste - le lien dont auraient tenu les « sociétés de psychanalyse », les
a situées d’autres discours [Maître, Universitaire]
qui barrent son dire nécessairement. Ce que tous mes écrits démontrent.

Le dire de FREUD s’infère de la logique qui prend de source le dit de l’inconscient. [symptômes,
rêves, lapsus… : a → S ↓ S1 → « non sens » (S1◊ S2)] :
c’est en tant que FREUD a découvert ce dit, qu’il [le dire] ex-siste. En restituer ce dire,
est nécessaire à ce que le discours se constitue
de l’analyse - c’est à quoi j’aide - ce à partir de l’expérience où il s’avère ex-sister.

545
On ne peut - ce dire - le traduire en termes de vérité puisque de vérité il n’y a que mi-dit
[S2 dans A], bien coupé [du dire],
mais qu’il y ait ce mi-dit net [de l’Hystérique] - il se conjugue en remontant : « tu m’édites
[M], je médis [U] » [ordre des renversements de la ronde des discours] -
ne prend son sens que de ce dire [A] [11]. Ce dire n’est pas libre, mais se produit d’en relayer
d’autres, qui proviennent d’autres discours.

C’est à se fermer dans l’analyse [A boucle la ronde des discours] – cf. ma Radiophonie, le numéro
juste d’avant de cet apériodique [i.e. Scilicet 2/3, Paris, Seuil, 1970] – que leur ronde situe les
lieux dont se cerne ce dire. Ils le cernent comme réel, c’est-à-dire de l’impossible, lequel s’annonce :
« il n’y a pas de rapport sexuel ». [l’impossible rapport « Semblant → Autre » aboutit dans
chaque discours à l’impuissance du produit à rejoindre la vérité d’où s’appuie le semblant, et en
provoque le renversement
parce que « ce n’est pas ça » → appel au réel (cf. supra)]

Ceci suppose que de rapport [semblant → Autre : S1 → S2 (M), S → S1 (H), S2 → a (U), a


→ S (A)], de rapport « en général » il n’y a qu’énoncé,
et que le réel ne s’en assure qu’à se confirmer de la limite qui se démontre des suites
logiques de l’énoncé [impuissance].
[le « rapport » Semblant → Autre (impossible), a pour suite logique l’impuissance du Produit de
chaque discours à rejoindre la Vérité, les 4 « apories » du mur de l’impossible
– M : a ◊ S (incomplétude),
– H : S2 ◊ a (inconsistance),
– U : S ◊ S1 (indémontrable)
– A : S1 ◊ S2 (indécidable)]

Ici [discours A] limite immédiate [S1◊ S2], de ce que « n’y a » rien à faire rapport d’un
énoncé.
De ce fait, nulle suite logique, ce qui n’est pas niable, mais que ne suffit à supporter nulle
négation : seulement le dire que « nya ».

« Nia » n’y apportant que juste d’homophonie ce qu’il faut en français pour :
– du passé qu’il signifie, [: § il exista un X qui nia !(♂)]
546
d’aucun présent dont s’y connote l’existence [/§, il n’existe pas un X qui nie !→ X n’y a

(♀)]
…marquer que « nya » la trace.

Mais de quoi s’agit-il ?

Du rapport de l’homme et de la femme en tant justement qu’ils seraient propres - de ce qu’ils


habitent le langage - à faire énoncé de ce rapport [sexuel donc].
Est-ce l’absence de ce rapport qui les exile en stabitat [le langage : « maison du père », etc.] ?
Est-ce d’labiter que ce rapport ne peut être qu’inter-dit ?

Ce n’est pas la question : bien plutôt la réponse, et la réponse qui la supporte - d’être ce
qui la stimule à se répéter - c’est le réel. Admettons-le où il est-là. Rien à attendre de
remonter au déluge, alors que déjà celui-ci se raconte de rétribuer le rapport de la
femme aux anges [dans la Genèse (VI, 1-4)le déluge est la conséquence des rapports sexuels de
certains anges avec des femmes].

Illustrons pourtant cette fonction [la répétition] de la réponse d’un apologue, « logue »
aux abois d’être fourni par le psychologue,
puisque l’âme est « aboi », et même - à prononcer (a) : petit a - (a)boi.

Le malheur est que le psychologue - pour ne soutenir son secteur que de la


théologie [l’âme] - veut que le psychique soit « normal »,
moyennant quoi il élabore ce qui le supprimerait, l’« Innenwelt » et l’« Umwelt »
notamment [norme adaptative],
alors qu’il ferait mieux de s’occuper de l’« homme-volte » [l’homme dans la ronde des
discours] qui fait le labyrinthe dont l’homme ne sort pas.

[12] Le couple stimulus-réponse passe à l’aveu de ses inventions. Appeler « réponse » ce


qui permettrait à l’individu de se maintenir
en vie est excellent, mais que ça se termine vite et mal [la mort] ouvre la question qui se
résout de ce que la vie reproduit l’individu,
donc reproduit aussi bien la question, ce qui se dit dans ce cas qu’elle se ré-pète. C’est
bien ce qui se découvre de l’inconscient,

547
lequel dès lors s’avère être réponse, mais de ce que ce soit elle, qui stimule. C’t’aussi
en quoi - quoi qu’il en ait - le psychologue rentre dans « l’homme-volte » de la répétition,
celle qu’on sait se produire de l’inconscient.

La vie sans doute reproduit, Dieu sait quoi et pourquoi. Mais la réponse ne fait
question que là où il n’y a pas de rapport
à supporter la reproduction de la vie, sauf à ce que l’inconscient formule : « Comment
l’homme se reproduit-il ? ». Ce qui est le cas.
« À reproduire la question ! ». C’est la réponse - ou « pour te faire parler » autrement-dit -
qu’a l’inconscient, d’ex-sister.
C’est à partir de là [il n’y a pas de rapport sexuel] qu’il nous faut obtenir deux universels, deux
« tous » [♂ :; ! et ♀ :. !] suffisamment consistants pour séparer [par la fonction
phallique] chez des êtres parlants - qui d’« être des », se croient « des êtres » - deux
moitiés
telles qu’elles ne s’embrouillent pas trop dans la coïtération quand ils y arrivent.

« Moitié », dit en français que c’est une affaire de moi, la moitié de poulet qui ouvrait
mon premier livre de lecture m’ayant
en outre frayé la division du sujet. Le corps des parlants est sujet à se diviser des organes,
assez pour avoir à leur trouver fonction.
Il y faut parfois des âges : pour un prépuce qui prend usage de la circoncision, voyez
l’appendice l’attendre pendant des siècles de la chirurgie.
C’est ainsi que du discours psychanalytique, un organe se fait le signifiant [Φ le phallus].
Celui qu’on peut dire s’isoler, dans la réalité corporelle, comme appât, d’y
fonctionner (la fonction lui étant déléguée d’un discours) :

a) en tant que phanère à la faveur de son aspect de plaquage amovible qui


s’accentue de son érectilité,

b) pour être « attrape », où ce dernier accent contribue, dans les [13] diverses pêches
[(a)] qui font discours [(a) oral comme vérité (H), (a) anal
comme produit (M), (a) scopique comme Autre (U), (a) vocal comme semblant (A)] des
voracités [pulsions partielles] dont se tamponne [cf. chimie]
l’inexistence du rapport sexuel.

On reconnaît - même de ce mode d’évacuation [par la fonction phallique] - bien sûr


l’organe qui d’être, disons « à l’actif » du mâle,
fait à celui-ci, dans le dit de la copulation [(a oral), (a anal), (a scopique), (a vocal) : →
copule-action], décerner l’actif du verbe.

548
C’est le même que ses noms divers - dans la langue dont j’use - bien
symptomatiquement féminisent [Cf. La lettre volée].
Il ne faut pourtant pas s’y tromper : pour la fonction qu’il tient du discours, il est passé
au signifiant.
Un signifiant peut servir à bien des choses tout comme un organe, mais pas aux
mêmes.

– Pour la castration [; !] par exemple, s’il fait usage, ça n’a - bonheur, en général - pas
les mêmes suites que si c’était l’organe.

– Pour la fonction d’appât, si c’est l’organe qui s’offre, hameçon aux voracités que
nous situions à l’instant, disons : d’« origyne », le signifiant au
contraire est le poisson à engloutir, ce qu’il faut aux discours pour s’entretenir.

Cet organe, passé au signifiant [S1], creuse la place d’où prend effet pour le parlant
[impuissance de chaque discours]
- suivons-le à ce qu’il se pense être [S1 : Semblant (M), Vérité (U), Produit (A), Autre
(H)] - l’inexistence du rapport sexuel [impossible].

L’état présent des discours [H,U,M,A] qui s’alimentent donc de ces « êtres » [a
oral (H), a anal (M), a scopique (U), a vocal (A)],
se situe de ce fait d’inexistence, de cet impossible, non pas à dire, mais qui - serré de tous les
dits - s’en démontre pour le réel.

Le dire de FREUD ainsi posé :


– se justifie de ses dits d’abord - dont il se prouve : ce que j’ai dit,
– se confirme à s’être avoué de la stagnation de l’expérience analytique : ce que je
dénonce,
– se développerait de la ressortie du discours analytique : ce à quoi je m’emploie,
puisque - quoique sans ressource - c’est de mon ressort 62.

62
Ici s’arrête ce qui paraît concurremment dans le mémorial d’Henri Rousselle.
549
Dans la confusion où l’organisme parasite [I.P.A.] que FREUD a greffé sur son dire,
fait lui-même greffe de ses dits, ce n’est pas petite affaire qu’une chatte y retrouve ses
petits, ni le lecteur un sens. Le fouillis est insurmontable de ce qui s’y épingle : de la
castration, des défilés par où l’amour s’entretient de l’inceste, de la fonction du père, du mythe où
l’Œdipe se redouble de la comédie du Père-Orang, du pérorant Outang.
[14] On sait que j’avais - dix ans [séminaires du 18-11-53 au 20-11-63] - pris soin de
faire jardin à la française de ces voies à quoi FREUD
a su coller dans son dessin - le premier - quand pourtant de toujours ce qu’elles ont
de tordu était repérable
pour quiconque eût voulu en avoir le cœur net, sur ce qui supplée au rapport sexuel
[fonction phallique].

Encore fallait-il que fût venue au jour la distinction du symbolique, de l’imaginaire et du


réel, ceci pour que l’identification à la moitié « homme »
et à la moitié « femme » [résolution de l’œdipe] - où je viens d’évoquer que l’affaire du moi
[a] domine - ne fût pas avec leur rapport [sexuel] confondue.
Il suffit que l’affaire de moi [a], comme l’affaire de phallus [Φ] - où l’on a bien voulu me
suivre à l’instant - s’articulent dans le langage, pour devenir affaire de sujet [S◊a] et
n’être plus du seul ressort de l’imaginaire.

Qu’on songe que c’est depuis l’année 56 que tout cela eût pu passer pour acquis, y
eût-il eu consentement du discours analytique. Car c’est dans « la question préalable
63 » de mes Écrits - laquelle était à lire comme la réponse donnée par le perçu dans la

psychose -
que j’introduis le Nom du Père, et qu’aux champs - dans cet écrit mis en graphe - dont il
[le Nom du Père] permet d’ordonner la psychose elle-même, on peut mesurer sa
puissance. Il n’y a rien d’excessif, au regard de ce que nous donne l’expérience, à
mettre au chef
de l’« être ou avoir » le phallus - cf. ma Bedeutung 64 des Écrits - la fonction [phallique] qui
supplée au rapport sexuel.
D’où une inscription possible - dans la signification où le possible est fondateur -
leibnizienne, de cette fonction comme !, à quoi les êtres
vont répondre par leur « mode » d’y faire argument [moi (a)→ ♂ et ♀]. [Semblant (langage)→
Jouissance (parole)→/Plus-de-jouir (inscription) ◊Vérité (jouissance de l’Autre)]

63
Jacques Lacan : D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose, in Écrits, Seuil,
1966, p. 531.
64
Jacques Lacan : La signification du phallus (Die Bedeutung des Phallus), in Écrits, Seuil, 1966, p. 685.
550
Cette articulation de la fonction [; !] comme proposition est celle de FREGE. Il est
seulement de l’ordre du complément
- que j’apporte plus haut à toute position de l’universel comme tel - qu’il faille qu’en un
point du discours une existence [:], comme on dit, s’inscrive en faux contre la fonction phallique
[: §], pour que la poser soit « possible », ce qui est le peu de quoi elle peut prétendre à
l’existence. C’est bien à cette logique [; !(universelle), : §(complément)] que se résume tout
ce qu’il en et du complexe d’Œdipe.
Tout peut en être maintenu à se développer autour de ce que j’avance de la
corrélation logique de deux formules qui,
à s’inscrire mathématiquement ; ! et : §, s’énoncent :

– [15] la première : pour tout X ! est satisfait, ce qui peut se traduire d’un V notant
valeur de vérité. Ceci, traduit dans le discours analytique dont c’est la pratique de faire
sens, veut dire que tout sujet en tant que tel, puisque c’est là l’enjeu de ce discours,
s’inscrit dans la fonction phallique pour parer à l’absence du rapport sexuel, la pratique de
faire sens [S1→S2], c’est justement de se référer à cet ab-sens, [dans le discours
analytique l’ ἐποχή [épockhé] du dit - libre association et attention flottante - permet le
dire : faire sens de l’ab-sens]

– la seconde : il y a par exception le cas - familier en mathématique : l’argument x = 0


dans la fonction hyperbolique 1/x - le
cas où il existe un x pour lequel ! - la fonction - n’est pas satisfaite, c’est-à-dire - ne
fonctionnant pas - est exclue de fait.

C’est précisément d’où je conjugue le « tous » de l’universelle...


plus modifié qu’on ne s’imagine dans le « pour tout » [;] du quanteur
...à l’« il existe un » [:] que le quantique lui apparie, sa différence étant patente avec ce
qu’implique la proposition qu’Aristote dit « particulière ».
[la particulière d’Aristote s’inscrit de façon homogène dans l’universelle, tandis qu’ici elle fait
contradiction, exception, et donc limite l’universelle au « possible »]
Je les conjugue de ce que l’« il existe un » [:] en question, à faire limite au « pour tout »
[;], est ce qui l’affirme ou le confirme,
ce qu’un proverbe objecte déjà au « contradictoire » d’ARISTOTE [« l’exception qui
confirme la règle »].

551
La raison en est que ce que le discours analytique concerne c’est le sujet, qui comme effet
de signification [et uniquement ainsi], est réponse du réel.
Cela je l’articulai dès le 11 Avril 56, en ayant texte recueilli d’une citation du signifiant
asémantique, ce pour des gens qui y eussent pu prendre intérêt à s’y sentir appelés
à une fonction de déjet [a→ les analystes]. [Cf. Séminaire 1955-56 : Les psychoses…,
(11-04-1956) : « Ad usum autem orationis incredibile est, nisi diligenter adtenderis, quanta
opera machinata natura sit. », que Lacan traduisait : « Combien de merveilles recèle la fonction
du langage si vous vouliez
y prendre garde diligemment. ». « Incroyable, quand on y regarde de prés, est le soin pris par
la nature pour permettre l'usage de la parole » (Cicéron : De la nature des dieux).]

Frayage certes pas fait pour qui que ce soit qui, à se lever du discours universitaire, le
dévie en cette dégoulinade herméneutique,
voire sémiologisante dont je m’imagine répondre [est ici visé Paul Ricœur : « De
l’interprétation »], ruisselante qu’elle est maintenant de partout,
faute de ce que l’analyse en ait fixé la déontologie.

Que j’énonce l’ex-sistence d’un sujet [: §] à la poser d’un « dire que non » à la fonction
propositionnelle !, implique qu’elle s’inscrive
d’un quanteur [;] dont cette fonction se trouve coupée [en un point], de ce qu’elle
n’ait en ce point aucune valeur [cf. 1/x ] qu’on puisse noter de vérité, ce qui veut dire
d’erreur, pas plus, le faux seulement à entendre « falsus » comme du « chu », ce où j’ai déjà
mis l’accent.

En logique classique - qu’on y pense - le faux ne s’aperçoit pas qu’à être de la vérité
l’envers, il la désigne aussi bien.
Il est donc juste d’écrire comme je le fais : : §.

L’un qui [16] ex-siste, c’est le sujet supposé de ce que la fonction phallique y fasse forfait [e.g. 0
pour 1/x ]. Ce n’est au rapport sexuel que mode d’accès
sans espoir, la syncope [: §] de la fonction [; !] qui ne se soutient que d’y sembler – que de s’y
embler dirai-je – [S1 → S2] ne pouvant suffire,
ce rapport, à seulement l’inaugurer, mais étant par contre nécessaire à achever la consistance [1/x
consistante sur R* (ou mieux ici : R+*) ]
du supplément qu’elle en fait, et ce de fixer la limite [exclue] où ce semblant n’est plus que dé-sens
[a-sémantisme, aucun sens, e.g. x = 0 pour 1/x ].

Rien n’opère donc que d’équivoque signifiante, soit de l’astuce par quoi l’ab-sens du
rapport se tamponnerait au point de suspens [l’exception]
552
de la fonction [les 4 objets(a) : oral (H), anal (M), scopique (U), vocal (A)]. C’est bien le dé-
sens, qu’à le mettre au compte de la castration [« ex- sistence » de : §], je dénotais du
symbolique dès 56 aussi, à la rentrée : « Relation d’objet, structures freudiennes » : il y en a
compte-rendu
[séminaire 1956-57 : « La relation d’objet et les structures freudiennes »], le démarquant par là
de la frustration imaginaire, de la privation réelle.

Le sujet s’y trouvait déjà supposé, rien qu’à le saisir du contexte que SCHREBER - par
FREUD - m’avait fourni de l’exhaustion de sa psychose.
C’est là que le Nom du Père [: §], à faire lieu [Autre] de sa plage [littoral], s’en démontrait
le responsable selon la tradition.
Le réel de cette plage [l’impossible du rapport du Semblant à l’Autre], à ce qu’y échoue le
semblant [S1→S2 → a↓ : mais a est chu→ a échoue à atteindre la vérité de S1 : a ◊ S ],
« réalise » sans doute le rapport dont le semblant fait le supplément [S1 comme « : § »] mais ce
n’est pas plus que le fantasme [S ◊ a] ne soutient notre réalité - pas peu non plus
puisque c’est toute - aux cinq sens près - si l’on m’en croit. [S1→S2 ne se réalise que dans
l’imaginaire du fantasme : a ◊ S ]
La castration [: §] relaie de fait, comme lien au père, ce qui dans chaque discours se
connote de virilité [; !].
Il y a donc deux dit-mensions du « pourtouthomme » [formules ♂de la sexuation] :

– celle du discours [dits] dont il se « pourtoute »[; !],

– et celle des lieux [dires] dont ça se « thomme » [: §].

Le discours psychanalytique s’inspire du dire de FREUD à procéder de la seconde


d’abord, et d’une dé-sens établie à prendre départ
de ces (-)[ex-sistence de §comme lieu du dire, lieu du thommmage] à qui l’héritage biologique
[pénis] fait largesse du semblant. Le hasard qui semble
ne devoir pas se réduire de sitôt en cette répartition, se formule de la sexe-ratio de
l’espèce, stable, semble-t-il, sans qu’on puisse savoir pourquoi, ces (-) valent donc pour une
moitié : mâle heur à moi.

Les lieux de ce « thommage » se repèrent :


– de faire sens du semblant [soutenir S1→S2 comme possibilité du rapport sexuel, avec S1 ex-
sistant comme § ],
– par lui : de la vérité qu’il n’y a pas de rapport, [le « rapport » S1→S2 aboutit à a ◊
S→ l’impuissance de a à atteindre la vérité démontre des prémisses fausses]

553
– d’une jouissance qui y supplée [S2 comme jouissance de la parole],
– voire du produit de leur complexe [S1→S2→ a], de l’effet dit - par mon office - du
« plus-de-jouir ».

[17] Sans doute le privilège de ces allées élégantes serait-il gain à répartir d’un dividende
plus raisonné que ce jeu de pile ou face - dosage de la sex-ratio - s’il ne se prouvait pas de
l’autre dimension [♀] dont ce « thommage » [: §] se « pourtoute » [. !], que ça en aggraverait le
cas.
Le semblant d’heur [: §→ fantasme], pour une moitié [cf. supra « mâle heur à moi »], s’avère
en effet être d’un ordre strictement inverse
à l’implication qui la promet à l’office d’un discours [; !]. Je m’en tiendrai à le
prouver de ce qu’en pâtisse l’organe lui-même.
Pas seulement de ce que son thommage soit un dommage a priori, d’y faire sujet dans le
dire de ses parents, car pour la fille ça peut être pire.

C’est plutôt que : tant plus de l’a posteriori des discours qui l’attendent, il est happé - la
« happiness » qu’on dit ça aux U.S.A. -
tant plus l’organe a-t-il d’affaires à en porter :
– on lui impute d’être émotif [H]...
– « Ah ! n’eût-on pu mieux le dresser » [M]...
– Je veux dire l’éduquer [U]...
[l’« american way » dans chacun de ces discours réduit le Φ de la fonction phallique [; !] à
l’organe, cf. l’ego-psychology et le « génital »]

Pour ça on peut toujours courir. On voit bien dans le Satyricon que d’être commandé,
voire imploré, surveillé dès le premier âge,
mis à l’étude in vitro, ne change rien à ses humeurs, qu’on se trompe de mettre au
compte de sa nature, quand au contraire
ce n’est que du fait que ne lui plaise pas [« ce n’est pas ça ! »] ce qu’on lui fait dire, qu’il
se bute [« Ce n’est pas ça ! »].

Mieux vaudrait pour l’apprivoiser avoir cette topologie dont relèvent ses vertus, pour
être celle que j’ai dite à qui voulait m’entendre pendant que se poursuivait la trame
destinée à me faire taire - année 61-62 sur l’identification. Je l’ai dessinée d’un cross-cap,
ou mitre qu’on l’appelle encore. Que les évêques s’en chapotent, n’étonne pas. Il
faut dire qu’il n’y a rien à en faire, si on ne sait pas

554
d’une coupure circulaire - de quoi ? qu’est-elle ? pas même surface - de ne rien -
d’espace - séparer : comment pourtant ça se défait !

Il s’agit de structure, soit de ce qui ne s’apprend pas de la pratique, ce qui explique -


pour ceux qui le savent - qu’on ne l’ait su
que récemment. Oui, mais comment ? - Justement comme ça : mécomment.

C’est bien du biais de cette fonction, que la bâtardise de l’organo-dynamisme éclate,


plus encore que d’ailleurs. Croit-on que ce soit [18] par l’organe même que l’Éternel
féminin vous attire en haut, et que ça marche mieux (…ou pire) à ce que la moelle le
libère de signifier ?

Je dis ça pour le bon vieux temps d’une salle de garde qui dans tout cela se laisse
paumer, avoue que sa réputation de foutoir
ne tient qu’aux chansons qui s’y glapissent. « Fiction et chant de la parole et du langage »,
pourtant n’en eussent-ils pu - garçons et filles -
se permettre - contre les « Pères-maîtres » dont il faut dire qu’ils avaient le pli - les
deux cents pas à faire [à l’intérieur de l’hôpital Sainte-Anne]
pour se rendre là où je parlai dix ans durant [Sainte-Anne du 18-11-1953 au 20-11-
1963]. Mais pas un ne le fit de ceux à qui j’étais interdit.
Après tout qui sait ? La bêtise a ses voies qui sont impénétrables. Et si la
psychanalyse la propage, l’on m’a entendu m’en assurer à professer qu’il en résulte
plus de bien que de mal.

Concluons qu’il y a maldonne [mâle-donne] quelque part. L’Œdipe est ce que je dis [; !,:
§], pas ce qu’on croit.
Ce d’un glissement que FREUD n’a pas su éviter à impliquer…
dans l’universalité des croisements dans l’espèce où ça parle, soit dans le
maintien, fécond semble-t-il,
de la sex-ratio (moitié-moitié) chez ceux qui y font le plus grand nombre, de leurs
sangs mêlés
…la signifiance [S1→S2]qu’il découvrait à l’organe, universelle chez ses porteurs [la
confusion de la fonction phallique avec l’organe].

555
Il est curieux que la reconnaissance - si fortement accentuée par FREUD - de la
bisexualité des organes somatiques, où d’ailleurs
lui fait défaut la sexualité chromosomique, ne l’ait pas conduit à la fonction de
couverture du phallus [Φ] à l’égard du germen [soma].
Mais sa « touthommie » avoue sa vérité du mythe qu’il crée dans « Totem et Tabou » -
moins sûr que celui de la Bible [la côte d’Adam]
bien qu’en portant la marque - pour rendre compte des voies tordues par où
procède - là où ça parle - l’acte sexuel.

Présumerons-nous que de « touthomme », s’il reste trace biologique, c’est qu’il n’y en
ait

– que d’« race » à se « thommer » [se poser comme exception : : § ]

– et qu’dale à se « pourtouter ». [ignorer l’universalité : ; ! ]

Je m’explique : la race dont je parle n’est pas ce qu’une anthropologie soutient de se


dire physique, celle que HEGEL a bien dénotée
du crâne et qui le mérite encore d’y trouver - bien après LAVATER et GALL - le
plus lourd de ses mensurations.

[19] Car ce n’est pas là - comme on l’a vu d’une tentative grotesque d’y fonder un
Reich dit 3ème - ce n’est pas là ce dont aucune race se constitue (ce racisme-là dans le
fait non plus). Elles se constituent du mode dont se transmettent, par l’ordre d’un discours, les
places symboliques :
– celles dont se perpétue la race « des maîtres » [S1 dans M] et pas moins des
esclaves [S2 dans M],
– des pédants [enseignants : S2 dans U] aussi bien, à quoi il faut, pour en répondre,
des pédés [enseignés : a dans U],
– des scients [« scientifiques » : S dans H] dirai-je encore, à ce qu’ils n’aillent pas sans
des sciés [S1 dans H].

Je me passe donc parfaitement


– du temps du « cervage », des Barbares rejetés d’où les Grecs se situent,
– de l’ethnographie des primitifs, et du recours aux structures élémentaires,
...pour assurer ce qu’il en est du racisme des discours en action. J’aimerais mieux
m’appuyer sur le fait que des races, ce que nous tenons
de plus sûr est le fait de l’horticulteur, voire des animaux qui vivent de notre
domestique, effets de l’art, donc du discours :
556
ces races d’homme, ça s’entretient du même principe que celles de chien et de
cheval.

Ceci avant de remarquer que le discours analytique « pourtoute », ça a contrepente, ce


qui se conçoit s’il se trouve en fermer de sa boucle le réel [le discours A boucle la ronde
des discours qui cernent le réel]. Car c’est celui où l’analyste doit être d’abord l’analysé, si -
comme on le sait -
c’est bien l’ordre dont se trace sa carrière. L’analysant...
encore que ce ne soit qu’à moi qu’il doive d’être ainsi désigné. Mais quelle
traînée de poudre s’égale au succès de cette activation !
...l’analysant est bien ce dont le cervice (ô salle de garde 65), le cou qui se ploie, devait se
redresser. [la ronde des discours empêche toute fixation asservissante]

Nous avons jusqu’ici suivi FREUD, sans plus, sur ce qui de la fonction sexuelle s’énonce
d’un « pourtout » [; !],
mais aussi bien à en rester à une moitié, des deux qu’il repère quant à lui de la même toise,
d’y reporter dit-mensions les mêmes.
Ce report sur l’autre démontre assez ce qu’il en est de l’ab-sens du rapport sexuel.
Mais c’est plutôt, cet ab-sens, le forcer.
C’est de fait le scandale du discours psychanalytique, et c’est assez dire où les choses en
sont dans la « Société » qui le supporte,
que ce scandale ne se traduise que d’être étouffé, si l’on peut dire, au jour.

[20] Au point que c’est un monde à soulever, que ce débat défunt des années 30,
non certes qu’à la pensée du Maître
ne s’affrontent pas Karen HORNEY, Hélène DEUTSCH, voire Ernest JONES,
d’autres encore. Mais le couvercle mis dessus depuis - depuis la mort de Freud - à
suffire à ce que n’en filtre plus la moindre fumée, en dit long sur la contention à
quoi FREUD
s’en est - dans son pessimisme - délibérément remis pour perdre, à vouloir le
sauver, son discours.

Indiquons seulement que les femmes ici nommées, y firent appel - c’est leur penchant
dans ce discours - de l’inconscient à la voix du corps, comme si justement ce n’était pas de
l’inconscient que le corps prenait voix. Il est curieux de constater - intacte dans le
discours analytique - la démesure qu’il y a entre l’autorité dont les femmes font effet, et le léger
des solutions dont cet effet se produit.

65
Cervice → cervical : cou, col, → licol, joug...
557
Les fleurs me touchent, d’autant plus qu’elles sont de rhétorique, dont Karen,
Hélène…
Laquelle ? - n’importe ! - j’oublie maintenant car je n’aime pas de rouvrir mes
séminaires
…dont donc HORNEY ou la DEUTSCH meublent le charmant doigtier qui leur fait
réserve d’eau au corsage tel qu’il s’apporte au dating, soit ce dont il semble qu’un rapport
s’en attende, ne serait-ce que de son dit. [les « fleurs de rhétorique » dont Karen Horney ou
Helen Deutsch
meublent le rapport sexuel comme rapport ♂→♀ : « l’avoir ou pas »]

Pour JONES, le biais de cervice…


Cf. dernière ligne avant le dernier intervalle [i.e. « la démesure qu’il y a entre l’autorité dont
les femmes font effet, et le léger des solutions dont cet effet se produit »]
…qu’il prend à qualifier la femme de la deutérophallicité, sic, soit à dire exactement le
contraire de FREUD, à savoir qu’elles n’ont
rien à faire avec le phallus, tout en ayant l’air de dire la même chose, à savoir qu’elles en
passent par la castration, c’est sans doute là
le chef-d’œuvre à quoi FREUD a reconnu que pour la cervilité à attendre d’un
biographe, il avait là son homme.
J’ajoute que la subtilité logique n’exclut pas la débilité mentale qui - comme une femme
de mon école le démontre [Maud Mannoni ?] –
ressortit du dire parental, plutôt que d’une obtusion native. C’est à partir de là que
JONES était le mieux d’entre les goym,
puisqu’avec les juifs FREUD n’était sûr de rien. Mais je m’égare à revenir au temps
où ceci je l’ai mâché, mâché pour qui ?

L’« il n’y a pas de rapport sexuel » n’implique pas qu’il n’y ait pas de rapport au sexe. C’est
bien là même ce que la castration démontre,
[21] mais non pas plus, à savoir : que ce rapport au sexe ne soit pas distinct en chaque moitié,
du fait même qu’il les répartisse.

Je souligne : je n’ai pas dit qu’il les répartisse d’y répartir l’organe, voile où se sont
fourvoyées Karen, Hélène, Dieu ait leurs âmes,
si ce n’est déjà fait. Car ce qui est important, ce n’est pas que ça parte des titillations
que les chers mignons, dans la moitié
de leur corps ressentent, qui est à rendre à son moi-haut, c’est que cette moitié y
fasse entrée en emperesse
pour qu’elle n’y rentre que comme signifiant-m’être [S1] de cette affaire de rapport au
sexe.

558
Ceci tout uniment - là en effet FREUD a raison - de la fonction phallique, pour ce que
c’est bien d’un phanère unique
qu’à procéder de supplément, elle - cette fonction - s’organise, trouve l’Organon qu’ici je
révise.
[Organon : ouvrage de logique, d’Aristote. Lacan la révise en articulant une universelle : ; ! à une
particulière : : § qui la limite, la cerne et la rend « consistante »]

Je le fais en ce qu’à sa différence - pour les femmes rien ne le guidait, c’est même ce
qui lui a permis d’en avancer autant à écouter les hystériques qui « font l’homme » - à
sa différence, répété-je, je ne ferai pas aux femmes obligation d’auner au chaussoir de la
castration
la gaine charmante qu’elles n’élèvent pas au signifiant, même si le chaussoir [le phallus]
de l’autre côté, ce n’est pas seulement au signifiant mais bien aussi au « pied » qu’il
aide.

De faire chaussure - c’est sûr - [le phallus comme signifiant : Saussure c’est sûr] à ce pied, les
femmes…
et qu’on m’y pardonne d’entre elles, cette généralité [« les femmes »] que je répudie bientôt,
mais les hommes là-dessus sont durs de la feuille
…les femmes dis-je, se font emploi à l’occasion. Que le chausse-pied s’y recommande,
s’ensuit dès lors, mais qu’elles puissent
s’en passer doit être prévu, ce, pas seulement au M.L.F. qui est d’actualité, mais de
ce qu’il n’y ait pas de rapport sexuel,
ce dont l’actuel n’est que témoignage, quoique - je le crains - momentané.

À ce titre l’élucubration freudienne du complexe d’Œdipe, qui y fait la femme « poisson


dans l’eau », de ce que la castration
soit chez elle de départ - Freud dixit -, contraste douloureusement avec le fait du
ravage qu’est chez la femme - pour la plupart -
le rapport à sa mère, d’où elle semble bien attendre, comme femme, plus de
subsistance que de son père – ce qui ne va pas avec lui, étant second dans ce ravage.

Ici j’abats mes cartes à poser le mode quantique sous lequel l’autre moitié - moitié du
sujet - se produit d’une fonction à la satisfaire,
soit à la compléter de son argument. [22] De deux modes dépend que le sujet ici se
propose d’être dit « femme ».
Les voici : / § et . !. Leur inscription n’est pas d’usage en mathématique. Nier -
comme la barre mise au-dessus

559
du quanteur le marque - nier « qu’existe un » [/] ne se fait pas, et moins encore que
« pourtout » [;] se « pourpastoute » [.].
[nier : § (♂2) → / § (♀2), et nier ; ! (♂1) → . ! (♀1) ]

C’est là pourtant que se livre le sens du dire, de ce que, s’y conjuguant le nyania qui bruit des sexes
en compagnie, [nya-nia : n’y a (/→♀ ) - nia (§→♂)]
il supplée [fonction phallique] à ce qu’entre eux, de rapport nyait pas.

Ce qui est à prendre non pas dans le sens qui, de réduire nos quanteurs à leur lecture
selon ARISTOTE, égalerait le « nexistun »
au « nulnest » de son universelle négative, ferait revenir le μή πάντες [mé pantes], le
« pas tout »…
qu’il a pourtant su formuler [Aristote « Éthique à Eudème » : 1216b ἐπειδὴ
προσάπτουσιν αὐτὰ κἂν εἰ μὴ πάντες εἰς τὴν εὐδαιμονίαν,
ἀλλ᾽ οὖν οἱ λόγου ἄξιοι τῶν ἀνθρώπων πάντες. « ...et si ce n'est pas là
l'opinion de tous les hommes sans exception... »]
…à témoigner de « l’existence - d’un sujet - à dire que non à la fonction phallique », ce à le
supposer de la contrariété dite de deux particulières.

Ce n’est pas là le sens du dire qui s’inscrit de ces quanteurs, il est : que pour s’introduire
comme moitié à dire « des femmes »,
le sujet se détermine de ce que, n’existant pas de suspens à la fonction phallique tout
puisse ici s’en dire, même à provenir du sans raison. [/ § (♀2) nie : §, qui elle-même limitait
l’universelle ; !→aboutit à un « tout » non borné, sans exception ex-sistante, donc sans
consistance (raison) ].
Mais c’est un tout d’hors-univers, lequel se lit tout de go du second quanteur comme
« pas tout » [.].

Le sujet dans la moitié où il se détermine des quanteurs niés [/ et . →♀], c’est de ce que rien
d’existant ne fasse limite de la fonction [/ § (♀2)]
que ne saurait s’en assurer quoi que ce soit d’un univers. [l’Universelle d’Aristote - sans la limite
(exception : : §) ne donne pas un univers consistant (e.g. : 1/x dans R)]
Ainsi à se fonder de cette moitié, « elles » ne sont « pas toutes », avec pour suite et du même
fait, qu’aucune non plus n’est « toute ».

Je pourrais ici, à développer l’inscription que j’ai faite par une fonction hyperbolique
[schéma I] de la psychose de Schreber, y démontrer

560
dans ce qu’il a de sardonique l’effet de « pousse-à-la-femme » qui se spécifie du premier
quanteur : ayant bien précisé que c’est de l’irruption d’Un-père comme « sans raison »
[un : § qui ne serait pas « ex-sistant »], que se précipite ici l’effet ressenti comme de
forçage, au champ d’un Autre, à se penser comme - à tout sens - le plus étranger
[pas de limite par exclusion (ex-sistence) de « : § » (Nom du Père) → pas de consistance →
pas d’univers sphérique de la signification ]. Mais à porter à sa puissance d’extrême
logique la fonction, cela dérouterait.

J’ai déjà pu mesurer la peine que la bonne volonté a prise de l’appliquer à


HÖLDERLIN66 : sans succès.

Combien plus aisé n’est-il pas - voire délice à se promettre - de [23] mettre au compte de l’autre
quanteur [;] le singulier d’un « confin » [« limite » : .],
à ce qu’il fasse la puissance logique du « pas tout » s’habiter du recès de la jouissance que la
féminité dérobe, même à ce qu’elle vienne à se conjoindre
à ce qui fait « thomme » [de la semblance fonctionnelle de . ! (♀1) avec : § (♂2)].

Car ce « confin » de s’énoncer ici de logique, est bien le même dont s’abrite OVIDE67 à le
figurer de TIRÉSIAS en mythe. Dire qu’une femme n’est « pas toute » [. !], c’est ce que le
mythe nous indique de ce qu’elle soit « la seule » à ce que sa jouissance dépasse celle qui se fait du
coït.
C’est aussi bien pourquoi, c’est comme « la seule » qu’elle veut être reconnue de
l’autre part : on ne l’y sait que trop.
Mais c’est encore où se saisit ce qu’on y a à apprendre, à savoir qu’y satisfît-on à l’exigence
de l’amour, la jouissance qu’on a d’une femme la divise, lui faisant de sa solitude partenaire,
tandis que l’union reste au seuil.

Car à quoi l’homme s’avouerait-il servir de mieux pour la femme dont il veut jouir,
qu’à lui rendre cette jouissance sienne
qui ne la fait « pas toute » à lui : d’en elle la re-susciter. Ce qu’on appelle « le sexe » - voire le
deuxième, quand c’est une sotte - est proprement,
à se supporter de « pas toute » [. !], l’Ἕτερος [hétéros] qui ne peut s’étancher d’univers [cf.
« étancher sa soif » mais aussi « rendre étanche » → fermer ].
[. !→ pas d’univers « consistant » (« rien d’existant ne fait limite de la fonction ») → pas d’unité
possible, pas de Un→ « incompatibilité de l’Un à l’Être » (cf. infra)]

66
Cf. la thèse de Jean Laplanche : Hölderlin et la question du père (1959), P.U.F. 1961.
67
Ovide : Les Métamorphoses, Tirésias (III, 316-338).
561
Disons hétérosexuel - par définition - ce qui aime les femmes, quel que soit son sexe propre.
Ce sera plus clair.
J’ai dit « aimer », non pas : à elles être promis d’un rapport qu’il n’y a pas. C’est même ce qui
implique l’insatiable de l’amour,
lequel s’explique de cette prémisse. Qu’il ait fallu le discours analytique [et la ronde des
discours qu’il montre] pour que cela vienne à se dire, montre assez que ce n’est pas en tout
discours qu’un dire vient à ex-sister. [discours A : S2 ex-siste→ ab-sens]

Car la question en fut des siècles rebattue en termes d’intuition du sujet, lequel était
fort capable de le voir, voire d’en faire des gorges chaudes, sans que jamais ç’ait été pris
au sérieux. C’est la logique de l’ Ἕτερος [hétéros] qui est à faire partir - y étant
remarquable
qu’y débouche le Parménide - à partir de l’incompatibilité de l’Un à l’Être. Mais comment
commenter ce texte devant 700 personnes ?

Reste la carrière toujours ouverte à l’équivoque du signifiant :


– l’Ἕτερος [hétéros], de se décliner en l’Ἕτερα [hétéra : différente], s’éthérise, voire
s’hétaïrise.
– [24] L’appui du deux à faire d’eux - que semble nous tendre ce « pas tout » - fait illusion,
mais la répétition qui est en somme le transfini [ℵ0], montre qu’il s’agit d’un inaccessible, à
partir de quoi, l’énumérable en étant sûr, la réduction le devient aussi.
– C’est ici que s’emble, je veux dire : s’emblave, le semblable dont moi seul ai tenté de dénouer
l’équivoque, de l’avoir fouillée de l’hommosexué, soit de ce qu’on appelait
jusqu’ici « l’homme » en abrégé, qui est le prototype du semblable - cf. mon stade du miroir.

C’est l’Ἕτερος [hétéros], remarquons-le, qui - à s’y embler de discord - érige l’homme
dans son statut qui est celui de l’hommosexuel.
[le « tous semblables » (; !) a sa condition de possibilité (consistance) dans le discord (: §)→ le
« pastout » est déjà opérant ]
Non de mon office, je le souligne : de celui de Freud qui cet appendice le lui rend, et en toutes
lettres.
[résolution de l’œdipe par l’identification au père → mise en place du signifiant paternel (Nom du
père→ ex-sistence de : §) et de la fonction phallique]

Il ne s’emble ainsi pourtant que d’un dire à s’être déjà bien avancé. Ce qui frappe
d’abord, c’est à quel point l’hommodit a pu se suffire du tout-venant de l’inconscient,
jusqu’au moment où, à le dire « structuré comme un langage », j’ai laissé à penser qu’à
tant parler,

562
ce n’est pas lourd ce qui en est dit : que ça cause, que ça cause, mais que c’est tout ce que ça
sait faire.
On m’a si peu compris - tant mieux ! - que je peux m’attendre à ce qu’un jour on
m’en fasse objection.

Bref on flotte de l’îlot phallus [« pourtoute » : ; ! et « thommage » : : §] à ce qu’on s’y retranche


de ce qui s’en retranche [le « pastoute ». !].
Ainsi l’histoire se fait de manœuvres navales [« on flotte… »] où les bateaux font leur ballet d’un
nombre limité de figures. [limité aux 2 formules ♂]
Il est intéressant que des femmes ne dédaignent pas d’y prendre rang [d’exception],
c’est même pour cela que la danse est un art
qui florit quand les discours tiennent en place, y ayant le pas ceux qui ont de quoi
pour le signifiant congru(sic) [Φ].

Mais quand le « pas toute » vient à dire qu’il ne se reconnaît pas dans celles-là, que dit-il, sinon ce
qu’il trouve dans ce que je lui ai apporté, soit :

– le quadripode de la vérité et du semblant, du jouir et de ce qui d’un plus de (-) s’en défile à
se démentir de s’en défendre, [4 : le matin]
[discours A : l’analyste est en place de a comme « semblant », l’analysant est dans la
« jouissance » (de la parole) et produit des S1 comme « plus-de-jouir »
dont il se « défile à se démentir de s’en défendre » comme « jouir » ( S1 ◊ S2), → S1
« plus de (-) », signifiant privé de sens, a-sémantique]

– et le bipode dont l’écart montre l’ab-sens du rapport, [2 : le mi-dit] [; ! et : § (la route


perdue)]

– puis le trépied 68 qui se restitue de la rentrée du phallus sublime [25] qui guide
l’homme vers sa vraie couche, de ce que
sa route, il l’ait perdue. [3 : le soir] [du phallus imaginaire de la relation duelle : « ϕ »,
au signifiant phallus : « Φ » (le phallus sublime) se
restitue le destin humain dans le « pas tout » : . ! et sa voie dans le / § ]

« Tu m’as satisfaite, petit homme. Tu as compris, c’est ce qu’il fallait. Vas, d’étourdit il n’y en a
pas de trop, pour qu’il te revienne l’après midit.

68
« Quadripode, bipode, tripode », « 4, 2, 3 » » renvoient à l’énigme posée par la Sphynge à Œdipe :
« Quel est l’être qui marche : à quatre pattes le matin, à deux pattes à midi, à trois pattes le soir ? ».
563
Grâce à la main qui te répondra à ce qu’Antigone tu l’appelles, la même qui peut te déchirer de ce
que j’en sphynge mon « pas toute »,
tu sauras même vers le soir [3] te faire l’égal de Tirésias et comme lui, d’avoir fait l’Autre, deviner
ce que je t’ai dit ».
[Tirésias est aveugle mais « devin » → il ne voit pas le chemin mais peut - comme devin -
dire la vérité dans un mi-dit « oraculaire »]
C’est là surmoitié [♀ : / §] qui ne se surmoite [. !] pas si facilement que la conscience
universelle [;!, surmoi : : §].
Ses dits ne sauraient se compléter, se réfuter, s’inconsister, s’indémontrer, s’indécider qu’à partir de
ce qui ex-siste des voies de son dire.
[cf. les 4 formes de l’impossible : inconsistance (H), incomplétude (M), indémontrable (U),
indécidable (A)]

D’où l’analyste - d’une autre source que de cet Autre, l’Autre de mon graphe, et signifié
de S de A barré [S(A)] : « pas toute » -
d’où saurait-il trouver à redire à ce qui foisonne de la chicane logique dont le rapport au sexe
s’égare, à vouloir que ses chemins aillent à l’autre moitié ?
[le discours A, à soutenir le rapport du Semblant à la Jouissance (a→S) aboutit à la production
de S1 (« ce qui foisonne » : un essaim de S1) comme « Plus-de-jouir »
et à S1◊ S2 où « le rapport au sexe s’égare » : S1 comme Plus-de-jouir ne peut atteindre la
Vérité ni provoquer la jouissance du corps de l’Autre : S2 (cet essaim est-ce d’eux ?),
→ pas de continuité (pas de rapport sexuel) mais une chicanne logique entre « la moitié
masculine » (;!, : §) et « la moitié féminine » (. !, / §)]

– Qu’une femme ici ne serve à l’homme qu’à ce qu’il cesse d’en aimer une
autre, [cf. le « mille et tre » de Don Juan]

564
– que de n’y pas parvenir soit, de lui, contre elle retenu alors que c’est bien d’y
réussir qu’elle le rate,
– que maladroit, le même s’imagine que d’en avoir deux [cf. « La maman et la
putain »] la fait « toute »,
– que la femme dans le peuple soit « la bourgeoise », qu’ailleurs l’homme veuille
qu’elle ne sache rien : d’où saurait-il s’y retrouver en ces gentillesses - il y en a d’autres -
sauf de la logique qui s’y dénonce et à quoi je prétends le rompre ?
[la logique du ;!, : § maintient la femme - du côté masculin - comme objet du fantasme : S
◊ a, → le dépassement de cette logique par le deuxième tour de L’étourdit

(les tours dits) et le passage (chicane) aux formules dites « féminines » : .!, / §]

Il m’a plu de relever qu’ARISTOTE y fléchit curieusement de nous fournir les termes
que je reprends d’un autre déduit [la fonction phallique]. Cela n’eût-il pas eu son intérêt
pourtant qu’il aiguillât son monde du « pastout » à en nier l’universel ? [pas d’univers du
langage]

L’existence du même coup ne s’étiolait plus de la particularité [solitude de l’exception


: §], et pour ALEXANDRE - son maître - l’avertissement eût pu être bon : si c’est
d’un ab-sens comme « pas-un » [nya : / §] dont se nierait l’univers,
[le : § - exception « ex-sistante » - permet la consistance d’un univers sphérique et consistant, le
/ § nie la possibilité d’un univers fermé et consistant ],
que se dérobe le « pas tout » qui ex-siste [si le :§ (qui est déjà un « pas tout ») se « dérobe » (se
dénude) en / § ], il aurait ri tout le premier [S1],
c’est le cas de le dire, de son dessein [d’S1] de l’univers « empirer »69.

[26] C’est là justement que passifou, le philosophe joue d’autant mieux l’air du midit qu’il
peut le faire en bonne conscience.
[le philosophe (Aristote) comme « fou du roi », lieu de la vérité dans le discours du maître :
il n’y a de vérité que du discours → un mi-dit de vérité].

69
« Empirer » : empire, en pire, …ou pire. Cf. aussi « Empyrée » : sphère céleste la plus élevée
de la cosmologie antique.
565
On l’entretient pour dire la vérité : comme le fou, il sait que c’est tout à fait faisable, à
condition qu’il ne suture 70(Sutor 71…) pas outre sa semellité 72.

70
Cf. Jacques-Alain Miller : La suture in Cahiers pour l’analyse n°1, pp. 43-60, S.E.R. 1966.
71
D’après Pline l'Ancien, Apelle aurait dit : « Sutor, ne supra crepidam » (« Cordonnier, pas
plus haut que la chaussure »).
72
À la fois la semelle du cordonnier et le « semel » latin : « une seule fois ».
566
Un peu de topologie vient maintenant.

→ → →

Prenons un tore - une surface formant « anneau ». Il saute aux yeux qu’à le pincer
entre deux doigts tout de son long à partir
d’un point pour y revenir - le doigt d’en haut d’abord étant en bas enfin, c’est-à-dire
ayant opéré un demi-tour de torsion durant l’accomplissement du tour complet du
tore - on obtient une bande de Mœbius : à condition de considérer la surface ainsi
aplatie
comme confondant les deux lames produites de la surface première. C’en est à ce que
l’évidence s’homologue de l’évidement.

Il vaut de la démontrer de façon moins grossière. Procédons d’une coupure suivant le


bord de la bande obtenue (on sait qu’il est unique).
Il est facile de voir que chaque lame, dès lors séparée de celle qui la redouble, se
continue pourtant justement dans celle-ci.
De ce fait, le bord pris d’une lame en un point est le bord de l’autre lame quand un
tour l’a mené en un point conjugué
d’être du même « travers », et quand, d’un tour supplémentaire, il revient à son
point de départ, il a, d’avoir fait une double boucle répartie sur deux lames, laissé de
côté une autre double boucle qui constitue un second bord. La bande obtenue a
donc deux bords, ce qui suffit à lui assurer un endroit et un envers.

Son rapport à la bande de Mœbius qu’elle figurait avant que nous y fassions coupure
[« médiane »], est... que la coupure l’ait produite.
Là est le tour de passe-passe : ce n’est pas à recoudre la même coupure que la bande de
Mœbius sera reproduite puisqu’elle n’était
que « feinte » d’un tore aplati, mais c’est par un glissement des deux lames l’une sur
l’autre - et aussi bien dans les deux sens -
que la double boucle d’un des bords étant affrontée à elle-même, sa couture
constitue la bande de Mœbius « vraie ».

567

bande de Mœbius bipartie bande de Mœbius

Où la bande obtenue du tore se révèle être la bande de Mœbius bipartie - d’une coupure non
pas à double tour, mais à se fermer d’un seul (faisons-là médiane pour le saisir…
imaginairement) [cf. Mœbius-video : experiment 2]. Mais du même coup ce qui apparaît,
c’est que la bande de Mœbius [27] n’est rien d’autre que cette coupure même, celle par quoi
de sa surface elle disparaît. Et la raison en est qu’à procéder d’unir
à soi-même, après glissement d’une lame sur l’autre de la bande bipartie, la double
boucle d’un des bords de cette même bande, c’est tout au long la face envers de cette
bande que nous cousions à sa face endroit.

Où il se touche que ce n’est pas du travers idéal dont une bande se tord d’un demi-tour que la
bande de Mœbius est à imaginer,
c’est tout de son long qu’elle fait n’être qu’un son endroit et son envers. Il n’y a pas
un de ses points où l’un et l’autre ne s’unissent.
Et la bande de Mœbius n’est rien d’autre que la coupure à un seul tour, quelconque -
bien qu’imagée de l’impensable « médiane » -
qui la structure d’une série de lignes sans points.

Ce qui se confirme à imaginer cette coupure se redoubler (d’être plus proche de son
bord) : cette coupure donnera une bande de Mœbius,
elle vraiment médiane, qui, abattue, restera faire chaîne avec la Mœbius bipartie [cf.
Mœbius-video : experiment 3] qui serait applicable sur un tore
(ceci de comporter deux rouleaux de même sens et un de sens contraire ou, de
façon équivalente : d’être obtenus de la même,
trois rouleaux de même sens) : on voit là que l’ab-sens qui résulte de la coupure simple,
fait l’absence de la bande de Mœbius.

D’où : cette coupure = la bande de Mœbius. Reste que cette coupure n’a cette
équivalence que de bipartir une surface que limite
l’autre bord : d’un double tour précisément, soit ce qui fait la bande de Mœbius. La
bande de Mœbius est donc ce qui,
d’opérer sur la bande de Mœbius, la ramène à la surface torique.

568
Le trou de l’autre bord peut pourtant se supplémenter autrement, à savoir d’une
surface qui, d’avoir la double boucle pour bord,
le remplit… d’une autre bande de Mœbius, cela va de soi, et cela donne la bouteille de
Klein.

+ : →

Il y a encore une autre solution : à prendre ce bord de la découpe en rondelle qu’à


le dérouler il étale sur la sphère [« la gonfle »].
À y faire cercle, il peut se réduire au point : point hors-ligne qui, de supplémenter la
ligne sans points [bande de Mœbius] se trouve composer
ce qui dans la topologie se désigne du cross-cap.

+ → =

C’est l’asphère, à l’écrire : L, apostrophe. Le plan projectif autrement dit, de


DESARGUES, plan dont la découverte comme réduisant son horizon à un point, se
précise de ce que ce point soit tel que [28] toute ligne tracée d’y aboutir ne le
franchit qu’à passer
de la face endroit du plan, à sa face envers.

Ce point aussi bien s’étale-t-il de la ligne insaisissable dont se dessine dans la


figuration du cross-cap, la traversée nécessaire
de la bande de Mœbius par la rondelle dont nous venons de la supplémenter à ce qu’elle
s’appuie sur son bord.
Le remarquable de cette suite est que l’asphère - écrit L, apostrophe - à commencer au
tore – elle s’y présente de première main –
ne vient à l’évidence de son a-sphéricité qu’à se supplémenter d’une coupure
sphérique.
569
Ce développement est à prendre comme la référence - expresse, je veux dire déjà
articulée - de mon discours où j’en suis : contribuant au discours analytique. Référence
qui n’est en rien métaphorique. Je dirais : c’est de l’étoffe qu’il s’agit - de l’étoffe de ce
discours -
si justement ce n’était pas dans la métaphore tomber là. Pour le dire, j’y suis tombé, c’est
déjà fait, non de l’usage du terme
à l’instant répudié, mais d’avoir – pour me faire entendre d’à qui je m’adresse – fait image, tout
au long de mon exposé topologique.

Qu’on sache qu’il était faisable d’une pure algèbre littérale, d’un recours aux
vecteurs dont d’ordinaire se développe de bout en bout cette topologie. La topologie,
n’est-ce pas ce n’espace où nous amène le discours mathématique et qui nécessite révision de
l’esthétique de Kant ?
Pas d’autre étoffe à lui donner que ce langage de pur mathème, j’entends par là ce qui
est seul à pouvoir s’enseigner :
ceci sans recours à quelque expérience, qui d’être toujours - quoi qu’elle en ait -
fondée dans un discours, permet les locutions
qui ne visent en dernier ressort rien d’autre qu’à - ce discours - l’établir.

Quoi m’autorise dans mon cas à me référer à ce pur mathème ? Je note d’abord que si
j’en exclus la métaphore, j’admets qu’il puisse
être enrichi et qu’à ce titre il ne soit, sur cette voie, que récréation, soit ce dont toute
sorte de champs nouveaux mathématiques
se sont de fait ouverts. Je me maintiens donc dans l’ordre - que j’ai isolé - du symbolique,
à y inscrire ce qu’il en est de l’inconscient,
pour y prendre référence de mon présent discours [« structuré comme un langage, etc. »].

[29] Je réponds donc à ma question : qu’il faut d’abord avoir l’idée - laquelle se prend
de mon expérience [analytique] - que n’importe quoi
ne peut pas être dit. Et il faut « le dire ». Autant dire qu’il faut « le dire » d’abord.

Le « signifié » du dire n’est, comme je pense l’avoir de mes phrases d’entrée fait sentir [Qu’on dise
reste oublié…], rien qu’« ex-sistence » au dit - ici à ce dit :
que tout ne peut pas se dire. Soit : que ce n’est pas le sujet, lequel est effet de dit. Dans nos
asphères, la coupure, coupure fermée, c’est le dit.

570
Elle, fait sujet : quoi qu’elle cerne. Notamment...[dans la topologie sphérique (coupure
simple, discours M) : S1→S2→ a ◊ S]
comme le figure la sommation de Popilius [coupure circulaire simple] d’y répondre par oui ou
par non [« c’est le mot qui tranche »]
...notamment dis-je, si ce qu’elle cerne c’est le concept [a], dont se définit l’être même
[S1] : d’un cercle autour, à se découper
d’une topologie sphérique, celle qui soutient l’universel, le quant-au-tout : topologie de
l’univers.

L’ennui est que l’être [S1] n’a, par lui-même, aucune espèce de sens [a-sémantique, il lui faut
un S2]. Certes là où il est, il est le signifiant « m’être », comme le démontre le discours
philosophique qui, pour se tenir à son service [du maître : vérité dans M], peut être
brillant, soit : être beau, mais quant au sens, le réduit au signifiant « m’être » [Cf. cogito
ergo sum]. M’être sujet le redoublant à l’infini dans le miroir.
[S1 (cogito) →S2 (cogito : ergo sum) → cogito : cogito ergo sum…]

J’évoquerai ici la survivance magistrale - combien sensible quand elle s’étreint aux faits
« modernes » - la survivance de ce discours...
celui d’Aristote et de saint Thomas [cf. l’οὐσἰα [oussia](Aristote) et l’« actus essendi »
(Thomas d’Aquin) irréductibles au « concept »]
...sous la plume d’Étienne GILSON73, laquelle n’est plus que plaisance : m’est
« plus-de-jouir ». C’est aussi bien que je lui donne sens d’autres discours, l’auteur aussi -
comme je viens de le dire. [cf. séminaire 1960-61 : L’identification, 06-12]
J’expliquerai cela - ce qui produit le sens - un peu plus loin. L’être se produit donc
« notamment ».

73
Cf. Étienne Gilson : L’être et l’essence, PUF, 1948 (Vrin, 2002), p.335 : « sens » comme participe
présent de « sum » (→ « absens », « praesens »…)
Cf. « Ernoult et Meillet » : Dictionnaire étymologique de la langue latine (Klincksieck 2001) p. 665.
571
Mais notre asphère sous tous ses avatars témoigne que si le dit se conclut d’une coupure qui se
ferme, il est certaines coupures fermées qui de cette asphère ne font pas deux parts - deux parts à se
dénoter du oui et du non [comme le fait la coupure circulaire simple] pour ce qu’il en est - de l’être -
de l’une d’elles. L’important est que ce soit ces autres coupures qui ont effet de subversion
topologique. Mais que dire du changement par elles survenu ?
[30] Nous pouvons le dénommer topologiquement : cylindre, bande, bande de Mœbius.
Mais y trouver ce qu’il en est dans
le discours analytique, ne peut se faire qu’à y interroger le rapport du dire au dit.

Je dis qu’un dire s’y spécifie de la demande [dire de l’analysant] dont le statut logique est
de l’ordre du modal [possible, impossible, contingent, nécessaire],
et que la grammaire le certifie.

Un autre dire [dire de l’analyste] selon moi, y est privilégié : c’est l’interprétation, qui, elle,
n’est pas modale mais apophantique74.
J’ajoute que dans le registre de la logique d’ARISTOTE, elle est particulière,
d’intéresser le sujet des dits particuliers, lesquels
ne sont pas tous (association libre) des dits modaux (demande entre autres). L’interprétation -
ai-je formulé en son temps - porte sur la cause du désir,
cause qu’elle révèle, ceci de la demande qui de son modal enveloppe l’ensemble des dits
[l’interprétation coupe l’enveloppe modal des dits et révèle (a)].

Quiconque me suit dans mon discours, sait bien que cette cause je l’incarne de
l’objet(a), et cet objet le reconnaît...
pour ce que l’ai énoncé dès longtemps, dix ans, le séminaire 61-62 sur
l’identification, où cette topologie, je l’ai introduite
...l’a - je l’avance - déjà reconnu dans ce que je désigne ici de la rondelle supplémentaire dont se
ferme la bande de Mœbius, à ce que s’en compose le cross-cap.

C’est la topologie sphérique de cet objet dit (a) qui se projette sur l’autre du composé,
hétérogène, que constitue le cross-cap.

74 Le discours apophantique : du grec αποϕαντικός apophantikos : qui affirme → assertif,


il implique le « vrai ou faux » Cf. Aristote « De l’interprétation ».

572
« Imaginons » encore selon ce qui s’en figure graphiquement de façon usuelle, cette
autre part. Qu’en voyons-nous ? Sa gonfle [induite par la topologie sphérique de (a)]. Rien
n’est plus de nature à ce qu’elle se prenne pour sphérique. Ce n’en est pas moins - si mince
qu’on en réduise la part torse d’un demi-tour - une bande de Mœbius, soit la mise en valeur de
l’asphère du « pastout » : c’est ce qui supporte l’impossible de l’univers,
soit - à prendre notre formule - ce qui y rencontre le réel. L’univers n’est pas ailleurs que dans
la cause du désir, l’universel non plus.

C’est de là que procède l’exclusion du réel, de ce réel : qu’il n’y a pas de rapport sexuel,
ceci du fait
– qu’un animal a stabitat qu’est le langage,
– que d’labiter c’est aussi bien ce qui pour son corps fait organe, organe qui, pour
ainsi lui ex-sister, le détermine de sa fonction, ce dès avant qu’il la
trouve.
C’est même de là qu’il est réduit à trouver
– que son corps n’est pas-sans autres organes,
– et que leur fonction à chacun, lui fait problème, [31] ce dont le dit schizophrène
se spécifie d’être pris sans le secours d’aucun discours établi
[fonction phallique].

J’ai la tâche de frayer le statut d’un discours, là où je situe qu’il y a... du discours, et je le
situe du lien social à quoi se soumettent les corps qui,
ce discours, labitent. Mon entreprise paraît désespérée - l’est du même fait, c’est là le fait du
désespoir - parce qu’il est impossible
que les psychanalystes forment un groupe. [à la différence des trois autres discours où des paires
ordonnées et stables peuvent se former (cf supra p. 14 : M → « maître-esclave »,
U → « pédants-pédés », H → « sciants-sciés ») pas de « rapport » stable de l’analyste (a) à
l’analysant (S) → pas de paires ordonnées → pas de loi de composition des groupes]

Néanmoins le discours psychanalytique - c’est mon frayage - est justement celui qui peut
fonder un lien social nettoyé d’aucune nécessité de groupe. [lien social fondé sur l’impossible, sur le
réel] Comme on sait que je ne ménage pas mes termes quand il s’agit de faire relief
d’une appréciation qui, méritant un accès plus strict, doit s’en passer, je dirai que je
mesure l’effet de groupe à ce qu’il rajoute d’obscénité imaginaire à l’effet de discours.
D’autant moins s’étonnera-t-on, je l’espère, de ce dire qu’il est historiquement vrai
que ce soit l’entrée en jeu du discours analytique qui
a ouvert la voie aux pratiques dites « de groupe » et que ces pratiques ne soulèvent
qu’un effet, si j’ose dire, purifié du discours même qui en a permis l’expérience.
Aucune objection là, à la pratique dite « de groupe », pourvu qu’elle soit bien indiquée
(c’est court).
573
La remarque présente de l’impossible du groupe psychanalytique est aussi bien ce qui en
fonde, comme toujours, le réel. Ce réel, c’est cette obscénité même : aussi bien en « vit-
il » - entre guillemets - comme groupe. Cette vie de groupe est ce qui préserve l’institution
dite internationale, et ce que j’essaie de proscrire de mon École, contre les
objurgations que j’en reçois de quelques personnes douées pour ça.

Ce n’est pas là l’important, ni qu’il soit difficile à qui s’installe d’un même discours, de
vivre autrement qu’en groupe, c’est qu’y appelle - j’entends : à ce rempart du groupe
- la position de l’analyste telle qu’elle est définie par son discours même. Comment l’objet (a) - en
tant qu’il est d’aversion, au regard du semblant où l’analyse le situe - comment se
supporterait-il d’autre confort [conforter et réconforter] que le groupe ?
[32] J’y ai déjà perdu pas mal de monde : d’un cœur léger, et prêt à ce que d’autres y
trouvent à redire. Ce n’est pas moi qui vaincrai, c’est le discours que je sers. Je vais
dire maintenant pourquoi. Nous en sommes au règne du discours scientifique et je vais le
faire sentir.

Sentir de là où se confirme ma critique, plus haut, de l’universel de ce que « l’homme


soit mortel ». Sa traduction dans le discours scientifique, c’est l’assurance-vie. [le produit du
discours scientifique est un S2 : savoir statistique sur la mort] La mort, dans le dire scientifique,
est affaire de calcul des probabilités. C’est, dans ce discours, ce qu’elle a de vrai.

Il y a néanmoins, de notre temps, des gens qui se refusent à contracter une assurance-
vie.
C’est qu’ils veulent de la mort une autre vérité qu’assurent déjà d’autres discours :
– celui du maître par exemple qui, à en croire HEGEL, se fonderait de la mort
prise comme risque,
– celui de l’universitaire, qui jouerait de « mémoire éternelle » du savoir.

Ces vérités - comme ces discours - sont contestées, d’être contestables éminemment.
[a dans H, S dans M, S1 dans U, → la vérité de la mort comme « probabilité », comme
« risque », comme « mémoire éternelle » est contestable]
574
Un autre discours est venu au jour, celui de FREUD, pour quoi la mort c’est l’amour
[cf. Freud : Roma - amor].
[la vérité de la mort c’est l’amour→ le discours A ferme la boucle des trois autres (ronde des
discours) et révèle que l’amour surgit au renversement de chaque discours]

Ça ne veut pas dire que l’amour ne relève pas aussi du calcul des probabilités, lequel
ne lui laisse que la chance infime que le poème de DANTE a su réaliser. Ça veut dire
qu’il n’y a pas d’assurance-amour [aucune certitude de savoir sur l’amour], parce que ça serait
l’assurance-haine aussi.
L’amour-haine, c’est ce dont un psychanalyste, même non lacanien ne reconnaît à
juste titre que l’ambivalence,
soit la face unique de la bande de Mœbius, avec cette conséquence…
liée au comique qui lui est propre [dans la ronde des discours, comme dans la comedia
(Dante), l’amour est renversé à chaque basculement d’un discours dans un autre]
…que dans sa « vie de groupe », il n’en dénomme jamais que la haine.

Je renchaîne d’avant : d’autant moins de motif à l’assurance-amour qu’on ne peut


qu’y perdre, comme fit DANTE,
qui dans les cercles de son Enfer, omet celui du conjungo [union, mariage] sans fin.

Donc déjà trop de « commentaire » dans l’imagerie de ce dire qu’est ma topologie.


[l’image c’est aussi « comment taire » le dire : seule l’absence de sens permet de révéler le dire → le
sens (métaphore) masque, couvre, voile, l’émergence du dire]
Un analyste véritable n’y entendrait pas plus que de faire, à ce dire - jusqu’à meilleure à
se prouver - tenir la place du réel.

La place du dire est en effet l’analogue dans le discours mathématique de ce réel que
d’autres discours serrent de l’impossible de leurs dits [l’impossible à dire]. [33] Cette dit-
mension d’un impossible qui va incidemment jusqu’à comprendre l’impasse proprement
logicienne,
c’est, ailleurs [A, mais aussi « le structuralisme »], ce qu’on appelle « la structure ». La structure
c’est le réel [l’impossible] qui se fait jour dans le langage.
[les « impasses » logiques : Inconsistance (H), incomplétude (M), indémontrable (U), indécidable
(A), c’est-à-dire « le mur de l’impossible »].
575
Bien sûr n’a-t-elle aucun rapport avec la « bonne forme ». [la structure ne relève pas de la
« bonne forme », de l’état d’équilibre harmonieux de la dit-mension du monde]
Le rapport d’organe [le phallus et les (a)] du langage à l’être parlant, est métaphore [métaphore
paternelle].
Il est encore stabitat qui - de ce que labitant y fasse parasite - doit être supposé lui
porter le coup d’un réel.

Il est évident qu’à « m’exprimer ainsi » - comme sera traduit ce que je viens de dire - je
glisse à une « conception du monde »,
soit au déchet de tout discours. C’est bien de quoi l’analyste pourrait être sauvé, de
ce que son discours le rejette lui-même,
à l’éclairer comme rebut du langage [chute du a de la fin de l’analyse]. C’est pourquoi je
pars d’un fil idéologique - je n’ai pas le choix -
celui dont se tisse l’expérience instituée par FREUD. Au nom de quoi - si ce fil provient
de la trame la mieux mise à l’épreuve, de faire tenir ensemble les idéologies [H,U,M] d’un temps
qui est le mien - le rejetterais-je ? Au nom de la jouissance ?

Mais justement, c’est le propre de mon fil de s’en tirer : c’est même le principe du discours
psychanalytique [jouissance de la parole], tel que lui-même il s’articule.
Ce que je dis vaut la place où je mets le discours dont l’analyse se prévaut : parmi les autres
[H,U,M] à se partager l’expérience de ce temps.
Le sens - s’il y en a un à trouver - pourrait-il me venir d’un temps autre : je m’y
essaie - toujours en vain.

Ce n’est pas sans raison que l’analyse se fonde du sujet supposé savoir : oui, certes elle le
suppose mettre en question le savoir, ce pour quoi
c’est mieux qu’il en sache un bout. [la vérité de l’analyste (S2) n’est pas un « savoir naturel »→
« ex-siste » au plus-de-jouir de l’analysant (S1)]
J’admire là-dessus les airs pincés que prend la confusion, de ce que [le savoir] je
l’élimine [il n’y a pas de « savoir naturel » de l’analyste].

Il reste que la science a démarré, nettement du fait de laisser tomber la


supposition…
que c’est le cas d’appeler « naturelle » [cf. par exemple la « théorie des signatures », ou
la congruence postulée du « mot » à « la chose »]
576
…de ce qu’elle implique que les prises du corps sur la « nature » le soient, ce qui - de
se controuver - entraîne à une idée du réel
[comme impossible] que je dirais bien être vraie. Hélas ! ce n’est pas le mot qui au réel
convienne. On aimerait mieux pouvoir la prouver fausse,
si par là s’entendait : chue (falsa), soit glissant des bras du discours qui l’étreint. [(S1→ S2) :
→ a↓ «+» S]

Si mon dire s’impose, non comme on dit : d’un modèle, mais [34] du propos d’articuler
topologiquement le discours lui-même,
c’est du défaut dans l’univers 75qu’il procède, [ce qui en a chu, ex-siste : :§, et permet la
consistance d’un « univers » : ;!] à condition que, pas lui non plus
ne prétende à le suppléer [le discours A ne peut remplacer les autres discours, il ne peut par son
instabilité (production de S1) qu’en révéler la structure par la ronde des discours].

De cela « réalisant la topologie », je ne sors pas du fantasme même à en rendre comp

te, [le discours A (a → S) élucide le discours M : S◊a, → « cerne » (a)


et révèle S]

mais la recueillant en fleur de la mathématique, cette topologie…

75
Cf. Paul Valéry : Charmes, « Ébauche d’un serpent » : « L’univers est un défaut dans la pureté du non-être ».

577
soit de ce qu’elle s’inscrive d’un discours, le plus vidé de sens qui soit [discours
mathématique : purement littéral, sans image ni « comment-taire »]
de se passer de toute métaphore, d’être métonymiquement d’ab-sens
…je confirme que c’est du discours dont se fonde la réalité du fantasme [« mathèmes » du discours
A], que de cette réalité, ce qu’il y a de réel se trouve inscrit.

[« ce qu’il y a de réel » : le « poinçon » ◊ inscrit le trajet au long du mur de l’impossible, la


ronde des quatre discours, le parcours de la structure]

Pourquoi ce réel ne serait-ce pas le nombre - et tout cru après tout [idéalité arithmétique] -
que véhicule bien le langage ?
Mais ce n’est pas si simple, c’est le cas de le dire [car le Un est incompatible à l’Être
(Parménide), car le 1 se fonde du 0 (Frege)…]...
cas que je me hâte toujours de conjurer en disant que « c’est le cas » [du latin
« casus » traduit du grec πτῶσις (ptôsis : chute)]
...car ce qui se profère du dire de CANTOR, c’est que la suite des nombres ne
représente rien d’autre dans le transfini
que l’inaccessibilité qui commence au 2, par quoi d’eux se constitue l’énumérable à
l’infini. [cf. puissance du continu, ℵ1=2ℵ0…]
Dès lors une topologie se nécessite de ce que le réel ne lui revienne [à Cantor] que du
discours de l’analyse, pour - ce discours - le confirmer,
et que ce soit de la béance que ce discours ouvre, à se refermer au-delà des autres discours
[H,U,M, : A ferme le circuit et provoque la ronde des discours],
que ce réel se trouve ex-sister. C’est ce que je vais faire maintenant toucher.

Ma topologie n’est pas d’une substance à poser au-delà du réel ce dont une pratique
[analytique] se motive. Elle n’est pas théorie.
Mais elle doit rendre compte de ce que, coupures du discours, il y en a de telles, qu’elles
modifient la structure qu’il accueille d’origine.

578
[subversion de la coupure simple (1er tour) qui révèle le dire dans le dit (interprétation), subversion
topologique de la coupure en double boucle (2ème tour) sur le cross-cap→ subversion du sujet]

[la « formation » d’un analyste nécessite d’avoir mené l’analyse à son terme (double tour), jusqu’au
« saut périlleux » du décollement entre a et S (S◊a → S◊a↓→ S↔◊, cf. infra),
la dérobade devant ce saut consiste à lui substituer une hiérarchie de gradus standards, sur le mode
universitaire (I. P. A.)]
C’est pure dérobade que d’en extérioriser ce réel de standards, standards dits « de vie »
dont primeraient des sujets dans leur existence,
à ne parler que pour exprimer leurs sentiments des choses, la pédanterie du mot « affect » n’y
changeant rien. [« la pédanterie » se réfère au domaine des « pédants », à la pédagogie et au
discours universitaire] Comment cette secondarité mordrait-elle sur le primaire qui là se substitue à
la logique de l’inconscient ?
Serait-ce effet de la sagesse [= double tour mœbien (sans dérobade) ? ] qui y interviendra ?
Les standards à quoi l’on recourt, y contredisent justement.

Mais à argumenter dans cette banalité, déjà l’on passe à la théologie [35] de l’être [la
psychologie universitaire], à la « réalité psychique »,
soit à ce qui ne s’avalise analytiquement que du fantasme [Cf. cross-cap ↔ S◊a].

Sans doute l’analyse même rend-elle compte de ce piège et glissement, mais n’est-il
pas assez grossier pour se dénoncer partout
où un discours sur ce qu’il y a [S2 comme « savoir naturel »] décharge la responsabilité de le
produire [le discours analytique]. Car « il faut » le dire, [↓a] l’inconscient est un fait, en tant
qu’il se supporte du discours même qui l’établit [c’est la théorie qui permet de « saisir » l’objet, à
l’inverse d’une démarche phénoménologique],
et si seulement des analystes sont capables d’en rejeter le fardeau [d’en établir le
discours], c’est d’éloigner d’eux-mêmes la promesse de rejet
qui les y appelle, ce à mesure de ce que leur voix y aura fait effet. [la fin de l’analyse
suppose la chute du a → le rejet de l’analyste en place du a,
d’où la question fondamentale du désir de l’analyste sur « la promesse de rejet qui les y appelle »]

Qu’on le sente du « lavage des mains » [Ponce Pilate] dont ils éloignent d’eux le dit
« transfert », à refuser le surprenant de l’accès qu’il offre sur l’amour.

579
[se « laver les mains » de fonder la théorie du transfert permet de le méconnaitre et « d’éloigner
d’eux-mêmes la promesse de rejet... »]
À se passer dans son discours - selon la ligne de la science - de tout savoir-faire des corps

[S2◊a dans A, de tout « s

avoir naturel », de tout « dire ce qu’il y a »,


car « il n’y a pas de rapport sexuel » seulement une sexualité « métaphorique » supportée
par la métonymie des objets(a) ],
mais pour un discours autre [celui de la jouissance de la parole, qui permet le
surgissement des S1, signifiants d’ab-sens, asémantiques],
l’analyse...
d’évoquer une sexualité de métaphore, métonymique à souhait par ses accès les plus
communs, ceux dits prégénitaux, à lire « extra » [génitaux]
...prend figure de révéler la torsion de la connaissance.[tout savoir vise le savoir sur la
jouissance sexuelle de l’impossible rapport sexuel : le S2, vérité du discours A]

Y serait-il déplacé de faire le pas du réel qui en rend compte, à le traduire d’une absence
situable parfaitement, celle du « rapport » sexuel,
dans aucune mathématisation ? C’est en quoi les mathèmes... [Semblant → Autre→ ↓Prod ◊
V : soutenir comme p

ossible l’impossible du rapport du Semblant à l’Autre,


aboutit à l’impuissance du Produit à rejoindre la Vérité (aporie logique), et déclenche le
renversement du discours (quel qu’il soit) → un nouvel amour, et la ronde des discours]
dont se formule en impasses le mathématisable [écriture de l’impossible écriture],
lui-même à définir comme ce qui de réel s’enseigne
...sont de nature à se coordonner à cette absence prise au réel.

Recourir au « pastout » [. !], à « l’hommoinsun » [: §], soit aux impasses de la logique, c’est…
à montrer l’issue hors des fictions de la mondanité [; ! nécessite : § pour faire un monde
(consistance) fondé sur le fantasme : S◊a],

580
…faire fixion autre [autre que la rondelle (a) qui fait le complément du S mœbien] du réel : soit
de l’impossible qui le fixe de la structure du langage.

C’est aussi bien tracer la voie [◊] dont se retrouve en chaque discours le réel [◊ : le mur des
impossibles→ la ronde des discours] dont il s’enroule,
et renvoyer les mythes dont il se supplée ordinairement.

Mais de là proférer qu’il s’en faut du réel que rien ne soit tout, ce dont l’incidence à
l’endroit de la vérité [aucune vérité possible]
irait tout droit à aphorisme plus scabreux, ou - à la prendre d’autre biais - émettre que
le réel se nécessite de vérifications sans objet,
est-ce là seulement prendre la relance de la sottise à s’épingler du noumène : soit que
[36] « l’être fuit la pensée »…

Rien ne vient à bout de cet « être »76 [(a)]qu’un peu plus je daphnise, voire laurifice en ce
« noumène », [Cf. mythe de Daphné, le laurier, etc., et les orifices des objets(a)]
dont vaut mieux dire que pour qu’il se soutienne, faut qu’il y en ait plusieurs
couches [les 4 objets(a) : oral, anal, scopique, vocal ].
Mon tracas est que les aphorismes - qu’au reste je me contente de présenter en
bouton - fassent refleurs des fossés de la métaphysique,
car le noumène c’est le badinage, la subsistance futile.

Je parie qu’ils se prouveront être de plus-de-nonsense - plus drôles pour le dire - que ce
qui nous mène [(a)] ainsi… à quoi ?
Faut-il que je sursaute, que je jure que je ne l’ai pas vu tout de suite alors que vous,
déjà… ces vérités premières, mais c’est le texte même
dont se formulent les symptômes des grandes névroses, des deux [hystérique et obsessionnelle]
qui - à prendre au sérieux le normal - nous disent

76
Cf. S. Freud : Traumdeutung, L’interprétation des rêves, ch. 7, c, note 1 : « caractère... indestructible... des
ombres des Enfers qui renaissent à la vie dès qu’elles ont bu
du sang » « ...Charakter der Unzerstörbarkeit... die Schatten der odysseischen Unterwelt, die zum neuen
Leben erwachen, sobald sie Blut getrunken haben. »
581
que c’est plutôt norme mâle [Hystérique :; !, obsessionnel : : §, →fonction phallique et soutien
de la signification : S1→S2 sur différents modes (discours M,U,H)].
Voilà qui nous ramène au sol, peut-être pas le même, mais peut-être aussi que c’est
le bon et que le discours analytique
y fait moins pieds de plomb [en s’allégeant de la signification : S1◊S2].

Mettons en train ici l’affaire du sens, plus haut promise, de sa différence d’avec la
signification. Nous permet de l’accrocher,
l’énormité de la condensation entre « ce qui pense » de notre temps77 - avec les pieds que
nous venons de dire - et la topologie inepte
à quoi KANT 78 a donné corps de son propre établissement, celui du bourgeois qui
ne peut imaginer que de la transcendance : l’esthétique comme la dialectique. Cette
condensation en effet nous devons la dire - à entendre « au sens analytique » selon la
formule reçue.

Quel est ce sens, si justement les éléments qui s’y condensent, se qualifient univoquement d’une
imbécillité semblable [S1 signifiant asémantique]…
voire sont capables de s’en targuer du côté de « ce qui pense » [Heidegger],
le masque de KANT par contre paraissant de bois devant l’insulte79, à sa
réflexion près de SWEDENBORG
...autrement dit : « Y a-t-il un sens de l’imbécillité ? ». À ceci se touche que le sens ne se produit
jamais que de la traduction d’un discours en un autre.
[Parménide → Heidegger ; Swedenborg → Kant, cf. basculement d’un discours à l’autre dans la
ronde des discours]

Pourvus que nous voilà de cette petite lumière, l’antinomie tressaille qui se produit de
« sens » à « signification » :
qu’un faible sens vienne à surgir à jour rasant des dites « Critiques » : « de la raison
pure », et « du jugement »…

77
Martin Heidegger : « Qu’appelle-t-on penser ? » consacré à l’énoncé de Parménide (Fragment VI) :
« Χρὴ τὸ λέγειν τε νοεῖν τ’ἐὸν ἔμμεναι· ἔστι γὰρ εἶναι, μηδὲν δ’οὐκ ἔστιν· »
(« Il faut dire et penser l’étant être ; car il y a être, et rien il n’y a pas ». trad. Marcel Conche
« Il faut que la parole et la pensée soient de l’être; car l’être existe, et le non-être n’est rien
» trad. Francis Riaux)
Martin Heidegger : « Kant et le problème de la métaphysique ».
78
Emanuel Kant : « Critique de la raison pure ».
79
Emanuel Kant : - « Critique de la raison pratique », la singularité subjective /l’universalité de la loi
morale.
- « Rêves d’un visionnaire expliqués par des rêves métaphysiques »
582
pour la raison pratique, j’en ai dit le folâtre [37] en le mettant du côté de Sade, lui pas plus
drôle, mais logique [Kant avec Sade]
…dès que leur sens donc se lève, les dits de Kant n’ont plus de signification.
[la signification du « dit » fait taire le sens, la suspension de la signification (imbécilité) permet
l’émergence d’un « dire » et du sens]
La signification, ils ne la tiennent donc que du moment où ils n’avaient pas de sens,
pas même le sens commun.

Ceci nous éclaire les ténèbres qui nous réduisent aux tâtons. Le sens ne manque pas aux
vaticinations dites présocratiques [Parménide] :
impossible de dire lequel, mais çasysent [ça s’y sent]. Et que FREUD s’en pourlèche
[Ἔρως (Éros) et Θάνατος (Tanathos)]...
pas des meilleures [vaticinations] au reste puisque c’est d’Empédocle
...n’importe, il avait - lui - le sens de l’orientation, ça nous suffit à voir que l’interprétation
est du sens et va contre la signification.
Oraculaire, ce qui ne surprend pas de ce que nous savons lier d’oral à la voix, du déplacement
sexuel.
[de l’oral au vocal : déplacement des 4 objets(a) : oral (H), cul (M), oculaire (U), oraculaire (A),
qui suppléent, par la fonction phallique, à l’absence du rapport sexuel].

C’est la misère des historiens : de ne pouvoir lire que le sens, là où ils n’ont d’autre
principe que de s’en remettre aux documents
de la signification. Eux aussi donc en viennent à la transcendance, celle du
matérialisme par exemple, qui - « historique » - l’est hélas... l’est au point de le devenir
irrémédiablement.

Heureusement que l’analyse est là pour regonfler l’historiole : mais n’y parvenant que de ce qui
est pris dans son discours, dans son discours de fait,
elle nous laisse le bec dans l’eau pour ce qui n’est pas de notre temps, ne changeant par là rien
de ce que l’honnêteté force l’historien
à reconnaître dès qu’il a à situer le moindre sacysent 80 [le sens s’y dérobe mais ça s’y sent].
Qu’il ait charge de la science de l’embarras,

80
Cf. Lemaistre de Sacy dont la traduction - (du latin au français) de la Bible à partir de la
traduction de Saint Jérôme (du grec au latin) –
583
c’est bien l’embarrassant de son apport à la science.

Il importe donc à beaucoup - à ceux-ci [les historiens] comme à beaucoup d’autres [les
analystes, etc.] - que l’impossibilité de dire vrai du réel
se motive d’un mathème [d’une écriture, d’une lettre] - l’on sait comment je le définis -
d’un mathème dont se situe le rapport du dire au dit.
Le mathème se profère du seul réel [impossible] d’abord reconnu dans le langage : à
savoir le nombre.
[Frege - « Die Grundlagen der Arithmetik » - engendre la suite des nombres à partir du zéro
comme concept contradictoire : premier « impossible » (réel) ]

Néanmoins l’histoire de la mathématique démontre - c’est le cas de le dire - [dé-montre : en


retire l’image] qu’il peut s’étendre à l’intuition,
à condition que ce terme soit aussi châtré qu’il se peut, de son usage métaphorique [l’image
qui fait sens].
Il y a donc là un champ, dont le plus frappant est que son développement - à
l’encontre des termes dont on l’absorbe - ne procède pas de généralisation, mais de
remaniement topologique [évidement, coupure, révélation de (a)], d’une rétroaction sur le
commencement telle qu’elle en efface l’histoire [comme le nombre 1 efface l’expérience contradictoire
du 0 comme rencontre du réel].

[38] Pas d’expérience plus sûre à en résoudre l’embarras [écriture d’un trait unaire et
renversement du discours dans un autre, etc.]. D’où son attrait
[de la mathématique pour le discours scientifique (H)] pour la pensée qui y trouve le
« nonsense » propre à l’être, soit au désir d’une parole sans au-delà [a].
Rien pourtant, à faire état [univers sphérique de « stabitat »] de l’être qui - à ce que nous
l’énoncions ainsi - ne relève de notre bienveillance.

Tout autre est le fait de l’indécidable, pour en prendre l’exemple de pointe dont se
recommande pour nous le mathème : c’est le réel
du dire du nombre qui est en jeu, quand de ce dire est démontré qu’il n’est pas
vérifiable, ceci à ce degré second qu’on ne puisse même l’assurer
- comme il s’en fait d’autres déjà dignes de nous retenir - d’une démonstration de son
indémontrabilité, des prémisses mêmes qu’il suppose,

traduction de traduction, laisse filer le sens (Sacysens).


584
entendons bien d’une contradiction inhérente à le supposer démontrable.

On ne peut nier qu’il y ait là progrès sur ce qui du Ménon en reste à questionner de
ce qui fait l’enseignable.
[n’est enseignable que ce qui du réel émerge dans le symbolique, de buter sur l’impossible dans
chacun des discours (H,U,M,A) : l’enseignable c’est le chemin qui longe « le mur de
l’impossible »]
C’est certes la dernière chose à dire qu’entre les deux il y a un monde 81 [monde de significations →
imaginaire] : ce dont il s’agit étant qu’à cette place vient le réel, dont le monde n’est
que chute dérisoire [a].

C’est pourtant le progrès qu’il faut restreindre là, puisque je ne perds pas de vue le
regret qui y répond, à savoir que l’opinion vraie
[ὀρθὴ δόξα (orthé doxa)] dont au Ménon fait sens PLATON, n’a plus pour nous
qu’ab-sens de signification, ce qui se confirme de la référer à celle de nos bien-pensants
[I.P.A.].Un mathème l’eut-elle porté, que notre topologie nous fournit ? Tentons-la.

Ça nous conduit à l’étonnement de ce que nous évitions à soutenir de l’image notre bande de
Mœbius, cette imagination rendant vaines
les remarques qu’eût nécessitées un dit autre [ἕτερος hétéros] à s’y trouver articulé :
mon lecteur ne devenait autre que de ce que le dire passe le dit [coupure double sur le cross-cap
(double boucle du bord unique de la bande de Mœbius), deuxième tour de L’étourdit, passage du
dit (« dit-mension » des 2 formules ♂ : ;!et :§)
au dire par le « pas tout » des 2 formules ♀ : . ! et /§], ce dire [celui qui ne passe pas le dit]
étant à prendre d’au dit ex-sister [:§], par quoi le réel m’en ex-sist(ait) sans que
quiconque, de ce qu’il fût vérifiable [S1◊S2→ indécidable], le pût faire passer au
mathème.

L’opinion vraie, est-ce la vérité dans le réel en tant que c’est lui qui en barre le dire ? [cf
supra : « l’impossibilité de dire vrai du réel »]
Je l’éprouverai du redire que je vais en faire. Ligne sans points, ai-je dit de la coupure, en
tant qu’elle est - elle - la bande de Mœbius,
à ce qu’un de ses bords, après le tour dont elle se ferme, se poursuit dans l’autre bord. [39]
Ceci pourtant ne peut se produire que d’une surface

81
Cf. le poème d’Antoine Tudal : « Entre l’homme et la femme il y a l’amour,
entre l’homme et l’amour il y a un monde,
entre l’homme et le monde il y a un mur. », in « Paris en l’an 2000 »
585
déjà piquée d’un point que j’ai dit hors ligne [ce point est de topologie sphérique], de se spécifier
d’une double boucle pourtant étalable sur une sphère :
de sorte que ce soit d’une sphère qu’il se découpe, mais de son double bouclage
qu’il fasse de la sphère une asphère ou cross-cap.

Ce qu’il fait passer pourtant dans le cross-cap à s’emprunter de la sphère, c’est qu’une
coupure, qu’il fait mœbienne
dans la surface qu’il détermine à l’y rendre possible, la rend - cette surface - au
mode sphérique :
car c’est de ce que la coupure lui équivaille, que ce dont elle se supplémentait en
cross-cap « s’y projette », ai-je dit.

Mais comme de cette surface, pour qu’elle permette cette coupure, on peut dire qu’elle
est faite de lignes sans points par où partout sa face endroit se coud à sa face envers, c’est
partout que le point supplémentaire à pouvoir se sphériser, peut être fixé dans un
cross-cap.
Mais cette fixion doit être choisie comme unique point hors ligne, pour qu’une
coupure, d’en faire un tour et un unique,
y ait effet de la résoudre en un point sphériquement étalable.

Le point [a] donc est l’opinion [le « particulier »] qui peut être dite vraie, de ce que le dire
qui en fait le tour [le dire en cerne le réel]
la vérifie en effet, mais seulement de ce que le dire soit ce qui la modifie d’y introduire la δόξα
[doxa] comme réel.
Ainsi un dire tel que le mien, c’est d’ex-sister au dit qu’il en permet le mathème, mais il ne fait
pas pour moi mathème et se pose ainsi :
– comme non-enseignable avant que le dire s’en soit produit,
– comme enseignable seulement après que je l’ai mathématisé selon les critères
ménoniens qui pourtant ne me
l’avaient pas certifié. [mathématisé par les impossibilités logiques (apories) de chaque
discours tout au long du « mur de l’impossible »]

586
Le non-enseignable, je l’ai fait mathème de l’assurer de la fixion de l’opinion vraie, fixion écrite
avec un x mais non [Ménon, Ménon…] sans ressource d’équivoque [fiction]. Ainsi un
objet aussi facile à fabriquer que la bande de Mœbius en tant qu’elle s’imagine,
met à portée de toutes mains ce qui est inimaginable [le dire du a, le non spéculaire] dès
que son dire à s’oublier, fait le dit s’endurer.
D’où a procédé ma fixion de ce point δόξα [doxa] que je n’ai pas dit [→non pas le dit
mais le dire], je ne le sais pas et ne peux donc
- pas plus que FREUD - en rendre compte de ce que j’enseigne, sinon à suivre ses effets
dans le discours [40] analytique,
effet de sa mathématisation qui ne vient pas d’une machine, mais qui s’avère tenir du
machin [S◊a] une fois qu’il l’a produite.

Il est notable que CICÉRON ait su déjà employer ce terme :


« Ad usum autem orationis incredibile est, nisi diligenter adtenderis, quanta opera machinata
natura sit. » ( De natura deorum, II, 59, 149.),
mais plus encore que j’en aie fait exergue aux tâtonnements de mon dire dès le 11
Avril 1956.

La topologie n’est pas faite pour nous guider dans la structure. Cette structure, elle l’est - comme
rétroaction de l’ordre de chaîne dont consiste le langage.
La structure, c’est l’asphérique recelé dans l’articulation langagière en tant qu’un effet de sujet s’en
saisit. Il est clair que, quant à la signification,
ce « s’en saisit » de la sous-phrase, pseudo-modale, se répercute de l’objet même que
comme verbe il enveloppe dans son sujet grammatical, et qu’il y a faux effet de sens,
résonance de l’imaginaire induit de la topologie, selon que :

– l’effet de sujet fait tourbillon d’asphère [ronde « mœbienne » des renversements des discours
tout au long du « mur de l’impossible »] ,

– ou que le subjectif de cet effet s’en « réfléchit » [S◊a].

587
Il y a ici à distinguer :
– l’ambiguïté qui s’inscrit de la signification, soit de la boucle de la coupure [S1→S2
→ (a ◊ S) (fantasme)],
– et la suggestion de trou [l’« impossible » - ex-sistant donc - de chaque discours], c’est-à-
dire de structure qui de cette ambiguïté fait sens 82.

Ainsi la coupure, la coupure instaurée de la topologie - à l’y faire, de droit, fermée, qu’on
le note une bonne fois, dans mon usage
au moins - c’est « le dit » du langage, mais à ne plus « le dire » en oublier.

Bien sûr y a-t-il les dits qui font l’objet de la logique prédicative et dont la
supposition universalisante ressortit seulement à la sphère, je dis « la », je
dis « sphère », soit que justement la structure [S : mœbien →: §] n’y trouve qu’un
supplément [a : sphérique→; !]
qui est celui de la fiction du vrai [le fantasme : S ◊ a → cross-cap].

[41] On pourrait dire que la sphère, c’est ce qui se passe de topologie. La coupure certes y
découpe - à se fermer - le concept sur quoi repose
la foire du langage [(a) comme manque], le principe

– de l’échange [objets substitutifs, mais « ce n’est pas ça » → renouvellement],


– de la valeur [+ de jouir],
– de la concession universelle [à concéder l’ex-sistence de l’exception :§, on obtient un univers
« consistant » d’objets substitutifs dont le renouvellement

82
Il paraîtra, j’espère ici, que de l’imputation de structuralisme, à entendre comme « compréhension
du monde », une de plus au guignol sous lequel
nous est représentée l’« histoire littéraire » (c’est de cela qu’il s’agit), n’est malgré la gonfle de
publicité qu’elle m’a apportée et sous la forme la plus plaisante
puisque j’y étais embarqué dans la meilleure compagnie, n’est peut-être pas ce dont j’aie lieu
d’être satisfait. Et de moins en moins dirais-je, à mesure
qu’y fait montée une acception dont la vulgate s’énoncerait assez bien de ce que les routes
s’expliquent de conduire d’un panneau Michelin à un autre :
« Et voilà pourquoi votre carte est muette ».
588
(parce que « ce n’est pas ça ») produit un amoncellement d’objets « morts », de déchets, de
rebuts, cimetière de l’échange marchand].

Disons qu’elle n’est que « matière » [production de a substitutifs] pour la dialectique [S1→S2],
affaire de discours du maître [S1→S2 ↓a].

Il est très difficile de soutenir cette dit-mension pure, de ce qu’étant partout, « pure »
elle ne l’est jamais, mais l’important
est qu’elle n’est pas la structure. Elle est la fiction de surface [sphérique : a] dont la structure
[mœbienne : S] s’habille. Que le sens y soit étranger,
que « l’homme est bon » - et aussi bien le dit contraire - ça ne veuille dire strictement
rien qui ait un sens, on peut à juste titre s’étonner que personne n’ait de cette
remarque - dont une fois de plus l’évidence renvoie à l’être comme évidement - fait référence
structurale.

Nous risquerons-nous au dire que la coupure en fin de compte n’ex-siste pas de la


sphère ? Pour la raison que rien ne l’oblige à se fermer, puisqu’à rester ouverte elle y produit le
même effet, qualifiable du trou, mais de ce qu’ici ce terme ne puisse être pris que dans
l’acception imaginaire de « rupture de surface » : évident certes, mais de réduire ce qu’il
peut cerner au vide d’un quelconque possible dont la substance n’est que corrélat
(compossible oui ou non : issue du prédicat dans le propositionnel avec tous les
faux pas dont on s’amuse).

Sans l’homosexualité grecque, puis arabe, [logique sphérique ♂ : ; !] et le relais de l’eucharistie


[action de grâce→ salut] tout cela eût nécessité
un Autre-recours [: §] bien avant. Mais on comprend qu’aux grandes époques que
nous venons d’évoquer, la religion seule
en fin de compte, de constituer l’opinion vraie, l’ὀρθὴ δόξα [orthé doxa], pût à ce
mathème donner le fonds dont il se trouvait de fait investi [; !, a : complément sphérique
à la structure mœbienne]. Il en restera toujours quelque chose même si l’on croit le contraire,
et c’est pourquoi rien
ne prévaudra contre l’Église jusqu’à la fin des temps. Puisque les études bibliques n’en
ont encore sauvé personne. Seuls ceux pour qui ce bouchon [X] n’a aucun intérêt, les
théologiens par exemple, travailleront dans la structure... si le cœur leur en dit, mais gare
à la nausée.

589
Ce que la topologie enseigne, c’est le lien nécessaire qui s’établit de la coupure au nombre de tours
qu’elle comporte [1 ou 2] pour qu’en soit obtenue
une modification de la structure ou de l’asphère [42] (L, apostrophe), seul accès
concevable au réel, et concevable de l’impossible
en ce qu’elle le démontre. [seule la coupure mœbienne met la structure en évidence]

– Ainsi du tour unique [le dit] qui dans l’asphère fait lambeau sphériquement stable [le
résultat est un lambeau sphérique de type (a) et le sujet S disparait ] ày
introduire l’effet du supplément qu’elle prend du point hors ligne [a], l’ὀρθὴ δόξα
[orthé doxa].

– Le boucler double, ce tour [coupure mœbienne], obtient tout autre chose : chute de la
cause du désir [a] d’où se produit la bande mœbienne du sujet [: a↓ «+»
S], cette chute le démontrant [le S] n’être qu’ex-sistence [: §] à la coupure à double
boucle [le dire] dont il résulte. [qui le fait apparaître]

Cette ex-sistence est « dire » [coupure mœbienne] et elle le prouve de ce que le sujet reste à la
merci de son dit [coupure simple] s’il se répète,
soit - comme la bande mœbienne - d’y trouver son fading (évanouissement).

Point-nœud [« point-hors-ligne » (a) et nœud mœbien (S)] - cas de le dire - c’est le tour [unique]
dont se fait le trou, mais seulement en ce sens que du tour,
ce trou s’imagine, ou s’y machine [S◊ a], comme on voudra. L’imagination du trou [fiction]
a des conséquences certes :
est-il besoin d’évoquer sa fonction « pulsionnelle » [les orifices des 4 objets(a)] ou, pour
mieux dire, ce qui en dérive (Trieb) ?
590
C’est la conquête de l’analyse que d’en avoir fait mathème, quand la mystique auparavant ne
témoignait de son épreuve qu’à en faire l’indicible. Mais d’en rester à ce trou-là
[coupure simple], c’est la fascination qui se reproduit, dont le discours universel [discours
U→ sphère des significations] maintient son privilège - bien plus elle lui rend corps - du discours
analytique.

Avec l’image [S◊a : l’imaginaire qui vient « remplir » le trou] rien jamais n’y fera. Le semblable
s’oupirera même de ce qui s’y emblave.
[répétition du dit de l’objet et perte du dire du sujet : le dit de l’objet (coupure simple → a) oublie le
dire du sujet (coupure mœbienne → (a)↓ «+» S)].
Le trou ne se motive pas du clin d’œil, ni de la syncope mnésique, ni du cri [les objets (a)
substitutifs tenant lieu de « bouche trou »].
Qu’on l’approche de s’apercevoir que le mot s’emprunte du motus, n’est pas de mise
là d’où la topologie s’instaure.
Un tore n’a de trou - central ou circulaire - que pour qui le regarde en objet, non pour
qui en est le sujet,
soit d’une coupure qui n’implique nul trou, mais qui l’oblige à un nombre précis de tours
de dire pour que ce tore se fasse…
« se fasse » s’il le demande, car après tout un tore vaut mieux qu’un travers
…se fasse - comme nous nous sommes prudemment contentés de l’imager - bande de Mœbius, ou
contrebande si le mot vous plaît mieux.

Un tore, comme je l’ai démontré il y a dix ans à des gens en mal de m’envaser de leur
contrebande à eux,
c’est la structure de la névrose en tant que le désir peut, de la ré-pétition indéfiniment énumérable
de la demande, se boucler en deux tours.
[deux tours du désir (enlacement de deux tores : « le désir de l’homme c’est le désir de l’Autre »)]

C’est à [43] cette condition du moins que s’en décide la contrebande du sujet - dans ce
dire qui s’appelle l’interprétation.
Je voudrais seulement faire un sort à la sorte d’incitation que peut imposer notre
topologie structurale.

591
J’ai dit numérable dans ses tours. Il est clair que si le trou n’est pas à imaginer, le tour
n’ex-siste que du nombre
dont il s’inscrit dans la coupure dont seule la fermeture compte. [le trou est « imaginé », un
tore n’a de trou qu’observé de l’extérieur, le sujet ne rencontre jamais de trou
sur le tore→ « le tour n’est pas comptable » : pas besoin de « 2 tours du désir + un tour de
demande »].

J’insiste : le tour en soi n’est pas comptable, répétitif, il ne ferme rien, il n’est ni dit ni à dire, c’est-
à-dire nulle proposition.
[pour le sujet sur le tore les demandes ne se ferment pas, il y a continuité non dénombrable, pas
« coupure »]
D’où ce serait trop dire qu’il ne relève pas d’une logique, qui reste à faire à partir de
la [logique] modale.
[montrer la structure : la coupure en double boucle révèle le sujet S (mœbien : logique modale)
quand chute le a (logique sphérique) ]

Mais si - comme l’assure notre figuration première de la coupure dont du tore se fait la bande de
Mœbius [cf. supra] - une demande
y suffit [et deux tours du désir] - mais qui peut se ré-péter d’être énumérable - autant
dire qu’elle ne s’apparie au double tour,
dont se fonde la bande, qu’à se poser du transfini (cantorien) [la demande qui se répète
révèle le transfini du désir].

Reste que la bande ne saurait se constituer qu’à ce que les tours de la demande soient de
nombre impair [pour que le tour se ferme].
Le transfini en restant exigible, de ce que rien - nous l’avons dit - ne s’y compte qu’à
ce que la coupure s’en ferme,
le dit transfini - tel Dieu lui-même dont on sait qu’il s’en félicite [trinité] - y est sommé d’être
impair. [oubli, acte manqué, lapsus… : le dit « renversant »]

Voilà qui ajoute une dit-mension à la topologie de notre pratique du dire.


Ne doit-elle pas rentrer dans le concept de la répétition en tant qu’elle n’est pas
laissée à elle-même,
mais que cette pratique la conditionne, comme nous l’avons aussi fait observer de
l’inconscient ?

Il est saisissant - encore que déjà vu pour ce que je dis, qu’on s’en souvienne - que
l’ordre - entendons : l’ordinal - dont j’ai effectivement frayé la voie dans ma définition
de la répétition et à partir de la pratique, est passé tout à fait - dans sa nécessité -
inaperçu de mon audience. J’en marque ici le repère pour une reprise à venir.
592
Disons pourtant la fin de l’analyse du tore névrotique. L’objet(a), à choir du trou de la
bande, s’en projette après coup
dans ce que nous appellerons - d’abus imaginaire - le trou central [44] du tore, soit
autour de quoi le transfini impair de la demande se résout
du double tour de l’interprétation [qui montre le sujet (mœbien)]. Cela, c’est ce dont le
psychanalyste a pris fonction à le situer de son semblant [a].

L’analysant ne termine qu’à faire de l’objet(a) le représentant de la représentation de son analyste.


C’est donc autant que son deuil dure, de l’objet(a) auquel il l’a enfin réduit, que le
psychanalyste persiste à causer son désir :
plutôt maniaco-dépressivement. C’est l’état d’exultation que BALINT, à le prendre
à côté, n’en décrit pas moins bien :
plus d’un « succès thérapeutique » trouve là sa raison, et substantielle éventuellement.

Puis le deuil s’achève. Reste le stable de la mise à plat du phallus, soit de la bande, où
l’analyse trouve sa fin,
celle qui assure son sujet supposé, du savoir :

– que le dialogue d’un sexe à l’autre étant interdit de ce qu’un discours, quel qu’il soit
[H,U,M,A],
se fonde d’exclure ce que le langage y apporte d’impossible, à savoir le rapport
sexuel [du Semblant à l’Autre],
il en résulte pour le dialogue à l’intérieur de chaque (sexe) quelque
inconvénient,

– que rien ne saurait se dire « sérieusement » (soit pour former de série limite [donc ex-
sistance]) qu’à prendre sens de l’ordre comique,
à quoi pas de sublime (voire DANTE là encore) qui ne fasse révérence,

– et puis que l’insulte, si elle s’avère par l’ἔπος [épos] être du dialogue le premier
mot comme le dernier (conféromère [Iliade]),
le jugement de même, jusqu’au « dernier », reste fantasme [S◊a], et pour le dire,
ne touche au réel qu’à perdre toute signification.

De tout cela il saura se faire une conduite. Il y en a plus d’une, même des tas, à
convenir aux trois dit-mensions de l’impossible
telles qu’elles se déploient : dans le sexe, dans le sens, dans la signification. S’il est sensible
au beau - à quoi rien ne l’oblige - il le situera

593
de l’entre-deux-morts, et si quelqu’une de ces vérités lui parest bonne à faire entendre,
ce n’est qu’au « mi-dire » du tour simple qu’il se fiera.

Ces bénéfices à se soutenir d’un second-dire, n’en sont pas moins établis, de ce qu’ils
le laissent oublié. Là est le tranchant de notre énonciation de départ. [« Qu’on dise reste
oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend. »] Le dit premier, idéalement de prime-saut
de l’analysant,
n’a ses effets de structure qu’à ce que « parsoit » le dire, autrement dit que l’interprétation
fasse parêtre [S1→ S2→ a↓ «+» S → « l’être » (a) et le parêtre (S)].

[45] En quoi consiste le parêtre ? En ce que produisant les coupures « vraies » : à


entendre strictement des coupures fermées [→ mœbiennes]
à quoi la topologie ne permet pas de se réduire au point-hors-ligne [a] ni - ce qui est la même
chose - de ne faire que trou imaginable.

De ce parêtre [S], je n’ai pas à exposer le statut autrement que de mon parcours
même,
m’étant déjà dispensé de connoter son émergence au point - plus haut - où je l’ai
permise.
En faire arrêt(re) dans ce parcours serait du même coup le pén-êtrer, le faire « être », et
même « presque » est encore trop.
[(a)↓ «+» S : (a) est fiction d’être, porter S à l’être (quand S ne se révèle qu’à ce que a chute)
c’est régresser à la logique sphérique du a au moment même où l’on en sort]

Ce dire que je rappelle à l’ex-sistence, [Qu’on dise reste oublié…], ce dire à ne pas oublier, du
dit primaire, c’est de lui que la psychanalyse peut prétendre
à se fermer. Si l’inconscient est structuré comme un langage, je n’ai pas dit « par ». L’audience
- s’il faut entendre par là quelque chose
comme une acoustique mentale - l’audience que j’avais alors était mauvaise, les
psychanalystes ne l’ayant pas meilleure que les autres.

Faute d’une remarque suffisante de ce choix…


évidemment pas un de ces traits qui les touchaient, de les é-pater [Nom du Père] -
sans plus d’ailleurs
…il m’a fallu auprès de l’audience universitaire - elle qui dans ce champ ne peut que
se tromper - faire étal de circonstances
de nature à m’empêcher de porter mes coups sur mes propres élèves, pour
expliquer que j’aie laissé passer une extravagance

594
telle que de faire de l’inconscient « la condition du langage », quand c’est
manifestement par le langage que je rends compte
de l’inconscient : « Le langage - fis-je donc transcrire dans le texte revu d’une thèse 83
- est la condition de l’inconscient. »

Rien ne sert à rien, quand on est pris dans certaines fourchettes mentales, puisque me
voici forcé de rappeler la fonction - spécifiée en logique - de l’article qui porte au réel
de l’unique, l’effet d’une définition, - un article, lui « partie du discours » c’est-à-dire
grammatical, faisant usage de cette fonction dans la langue dont je me sers, pour y
être défini « défini ».

Le langage ne peut désigner que la structure dont il y a effets de langages, ceux-ci plusieurs,
ouvrant l’usage de l’un entre autres
qui donne à mon « …comme… » sa très précise portée, celle du « …comme un langage »,
dont justement diverge de l’inconscient
le sens commun. Les langages tombent sous le coup du « pastous » de la façon la
plus certaine puisque la structure
n’y a pas d’autre sens, et que c’est en [46] quoi elle relève de ma récréation topologique
d’aujourd’hui.

Ainsi la référence dont je situe l’inconscient est-elle justement celle qui à la


linguistique échappe, pour ce que comme science elle n’a que faire du parêtre [S], pas
plus qu’elle ne noumène [(a)]. Mais elle nous mène bel et bien, et Dieu sait où, mais
sûrement pas à l’inconscient, qui de la prendre dans la structure, la déroute quant au réel
dont se motive le langage : puisque le langage, c’est ça même, cette dérive [trieb].
[chaque discours se « fonde » d’un impossible qui a pour conséquence dérivée son renversement → la
structure est la ronde des discours, elle s’origine du « mur de l’impossible ]

La psychanalyse n’y accède, elle, que par l’entrée en jeu d’une Autre dit-mention [le
pas tout] laquelle s’y ouvre de ce que le meneur (du
jeu) « fasse semblant » d’être l’effet de langage majeur, l’objet dont s’(a)nime la coupure
qu’elle permet par là :
c’est l’objet (a) pour l’appeler du sigle que je lui affecte. Cela, l’analyste le paye de devoir
représenter la chute d’un discours [(S1→ S2) → a↓ «+» S],
après avoir permis au sens de s’enserrer autour de cette chute à quoi il se dévoue. Ce que
dénonce la déception que je cause
à bien des linguistes, sans issue possible pour eux, bien que j’en aie, moi, le démêlé.

83
Cf. la préface rédigée par Lacan à la thèse d’Anika Lemaire : « Jacques Lacan », éditée chez
Mardaga.
595
Qui ne peut voir en effet à me lire - voire à me l’avoir entendu dire en clair - que
l’analyste est - dès Freud - très en avance là-dessus
sur le linguiste, sur SAUSSURE par exemple qui en reste à l’accès stoïcien, le même
que celui de saint AUGUSTIN ?
(cf. entre autres le « De magistro » dont à en dater mon appui, j’indiquai assez la
limite : la distinction « signans-signatum »).
[Cf. séminaire 1953-54 : « Les écrits techniques de Freud », séance du 23-06-1954]

596
Très en avance... j’ai dit en quoi : la condensation et le déplacement antécédant la
découverte - JAKOBSON aidant - de l’effet de sens
de la métaphore et de la métonymie. Pour si peu que l’analyse se sustente de la chance
que je lui en offre, cette avance elle la garde,
et la gardera d’autant de relais que l’avenir veuille apporter à ma parole.

Car la linguistique - par contre - pour l’analyse ne fraye rien, et le soutien même que
j’ai pris de JAKOBSON, n’est…
à l’encontre de ce qui se produit pour effacer l’histoire dans la mathématique
…pas de l’ordre de l’après-coup, mais du contrecoup, au bénéfice - et second-dire - de la
linguistique.

Le dire de l’analyse en tant qu’il est efficace, réalise l’apophantique qui de sa seule ex-
sistence se distingue de la proposition.
C’est ainsi qu’il met à sa place la fonction propositionnelle, en [47] tant que, je pense l’avoir
montré [;!, :§, .!, /§],
elle nous donne le seul appui à suppléer à l’ab-sens du rapport sexuel.

Ce dire s’y renomme [le deuxième tour du dit : les tours dits : 2ème de la coupure en double boucle,
etc. ]…
de l’embarras que trahissent des champs aussi éparpillés que l’oracle [parole ésotérique] et
l’hors-discours de la psychose [délire]
…par l’emprunt qu’il leur fait du terme d’interprétation. C’est le dire dont se
ressaisissent - à en fixer le désir -
les coupures qui ne se soutiennent comme non-fermées que d’être demandes.

Demandes qui d’apparier :


– l’impossible au contingent, [/ §, . ! (♀)]
– le possible au nécessaire, [; !, : § (♂)]
…font semonce aux prétentions de la logique qui se dit modale.

Ce dire ne procède que du fait que l’inconscient, d’être « structuré comme un langage »,
c’est-à-dire lalangue qu’il habite, est assujetti
à l’équivoque dont chacune se distingue. Une langue entre autres n’est rien de plus que
l’intégrale des équivoques que son histoire y a laissé persister.
C’est la veine dont le réel - le seul pour le discours analytique à motiver son issue : le réel qu’il n’y
a pas de rapport sexuel - y a fait dépôt au cours des âges.

Ceci dans l’espèce que ce réel introduit à l’Un, soit à l’unique du corps qui en prend
organe, et de ce fait y fait organes écartelés
597
d’une disjonction par où sans doute d’autres réels viennent à sa portée, mais pas sans
que la voie quadruple de ces accès
[les 4 objets(a) : oral, anal, scopique, vocal, chacun spécifique à un discours] ne s’infinitise à ce
que s’en produise le « nombre réel ».

Le langage donc, en tant que cette espèce y a sa place, n’y fait effet de rien d’autre
que de la structure dont se motive cette incidence du réel. Tout ce qui en parest d’un
semblant de communication est toujours rêve, lapsus ou joke.
Rien à faire donc avec ce qui s’imagine et se confirme en bien des points d’un
langage animal.
Le réel là n’est pas à écarter d’une communication univoque dont aussi bien les animaux,
à nous donner le modèle,
nous feraient leurs dauphins : une fonction de code s’y exerce par où se fait la
néguentropie de résultats d’observation.

Bien plus, des conduites vitales s’y organisent de symboles en tout semblables aux
nôtres : érection d’un objet au rang de signifiant du maître dans l’ordre du vol de
migration, symbolisme de la parade tant amoureuse que du combat, signaux de
travail,
marques du territoire, à ceci près que ces symboles ne sont jamais équivoques.

[48] Ces équivoques dont s’inscrit l’à-côté d’une énonciation, se concentrent de trois points-nœuds
où l’on remarquera
non seulement la présence de l’impair - plus haut jugé indispensable - mais qu’aucun
ne s’y imposant comme le premier,
l’ordre dont nous allons les exposer s’y maintient et d’une double boucle [S1→ S2→
a↓ «+» S] plutôt que d’un seul tour.

Je commence par l’homophonie, d’où l’orthographe dépend.


– Que dans la langue qui est la mienne, comme j’en ai joué plus haut, « 2 » soit
équivoque à « d’eux », garde
trace de ce jeu de l’âme par quoi faire d’eux deux-ensemble trouve sa limite à « faire
2 » d’eux.
– On en trouve d’autres dans ce texte, du « parêtre » au « s’emblant »…

Je tiens que tous les coups sont là permis pour la raison que quiconque étant à leur
portée sans pouvoir s’y reconnaître,
ce sont eux qui nous jouent. Sauf à ce que les poètes en fassent calcul et que le
psychanalyste s’en serve là où il convient.

598
Où c’est convenable pour sa fin : soit pour - de son dire qui en rescinde le sujet -
renouveler l’application qui s’en représente
sur le tore, sur le tore dont consiste le désir propre à l’insistance de sa demande.

Si une gonfle imaginaire peut ici aider à la transfinitisation phallique, rappelons pourtant
que la coupure ne fonctionne pas moins
à porter sur ce « chiffonné », dont au dessin girafoïde du petit Hans j’ai fait gloire en
son temps.
Car l’interprétation se seconde ici de la grammaire, à quoi - dans ce cas comme dans les autres -
Freud ne se prive pas de recourir.

Je ne reviens pas ici sur ce que je souligne de cette pratique avouée en maints
exemples. Je relève seulement que c’est là ce que
les analystes imputent pudiquement à FREUD d’un glissement dans
l’endoctrination. Ce, à des dates (cf. celle de L’homme aux rats) où il n’a pas plus
d’arrière-monde à leur proposer que le système Ψ en proie à des « incitations
internes ».

Ainsi les analystes qui se cramponnent au garde-fou de la « psychologie générale », ne


sont même pas capables de lire dans ces cas éclatants, que FREUD fait aux sujets
« répéter leur leçon », dans leur grammaire. À ceci près qu’il nous répète que du dit de
chacun d’eux, nous [49] devons être prêts à réviser les « parties du discours » que nous
avons cru pouvoir retenir des précédents.

Bien sûr est-ce là ce que les linguistes se proposent comme idéal, mais si la langue
anglaise parest propice à CHOMSKY,
j’ai marqué que ma première phrase s’inscrit en faux d’une équivoque contre son arbre
transformationnel. « Je ne te le fais pas dire ».
N’est-ce pas là le minimum de l’intervention interprétative ?

Mais ce n’est pas son sens qui importe dans la formule que lalangue dont j’use ici permet
d’en donner, c’est que l’a-morphologie d’un langage
ouvre l’équivoque entre « Tu l’as dit », et « Je le prends d’autant moins à ma charge que, chose
pareille, je ne te l’ai par quiconque fait dire ».

Chiffre 3 maintenant : c’est la logique, sans laquelle l’interprétation serait imbécile, les
premiers à s’en servir étant bien entendu
ceux qui - pour de l’inconscient transcendantaliser l’existence - s’arment du propos de
FREUD : qu’il soit insensible à la contradiction.

599
Il ne leur est sans doute pas encore parvenu que plus d’une logique s’est prévalue de
s’interdire ce fondement [principe de non-contradiction],
et de n’en pas moins rester « formalisée », ce qui veut dire propre au mathème.

Qui reprocherait à FREUD un tel effet d’obscurantisme et les nuées de ténèbres qu’il a
aussitôt - de JUNG à ABRAHAM - accumulées
à lui répondre ? Certes pas moi qui ai aussi, à cet endroit (de mon envers), quelques
responsabilités [sic].

Je rappellerai seulement qu’aucune élaboration logique - ce à partir d’avant


SOCRATE et d’ailleurs que de notre tradition [Inde et chine] -
n’a jamais procédé que d’un noyau de paradoxes - pour se servir du terme, recevable
partout, dont nous désignons les équivoques -
qui se situent de ce point qui - pour venir ici en tiers - est aussi bien premier ou second.

À qui échoué-je cette année de faire sentir que le bain de Jouvence dont le mathème dit
logique a retrouvé pour nous sa prise et sa vigueur, ce sont ces paradoxes pas
seulement rafraîchis d’être promus en de nouveaux termes par un RUSSELL, mais
encore inédits
de provenir du dire de CANTOR ?

Irai-je à parler de la pulsion génitale comme du cata-logue des pulsions prégénitales en


tant qu’elles ne se contiennent pas elles-mêmes, mais qu’elles ont leur cause ailleurs,
soit dans cet Autre à quoi la « génitalité » n’a accès qu’à ce qu’il prenne « barre » [S(A)]
[50] sur elle
de la division qui s’effectue de son passage au signifiant majeur, le phallus ?

Et pour le transfini de la demande, soit la ré-pétition, reviendrai-je sur ce qu’elle n’a


d’autre horizon que de donner corps à ce que le 2
ne soit pas moins qu’elle, inaccessible à seulement partir de l’1 qui ne serait pas celui
de l’ensemble vide ?
Je veux ici marquer qu’il n’y a là que recueil - sans cesse alimenté du témoignage
que m’en donnent ceux-là bien sûr dont j’ouvre l’oreille - recueil de ce que chacun peut,
aussi bien que moi et eux, tenir de la bouche même des analysants pour peu qu’il se
soit autorisé
à prendre la place de l’analyste [soit celle du semblant : a et non celle de l’Autre pontifiant de
son « savoir » (discours U)].

Que la pratique avec les ans m’ait permis d’en faire dits et redits, édits, dédits, c’est bien
la bulle dont tous les hommes se font la place qu’ils méritent dans d’autres discours
600
[M, U] que celui que je propose. À s’y faire d’race guidants [M] à qui s’en remettent des
guidés, pédants [U]...
(cf. plus haut). Au contraire, dans l’accession au lieu d’où se profère ce que j’énonce,
la condition tenue d’origine pour première
c’est d’être l’analysé, soit ce qui résulte de l’analysant.

Encore me faut-il, pour m’y maintenir au vif de ce qui m’y autorise, ce procès
toujours le recommencer.
Où se saisit que mon discours est - par rapport aux autres - à contrepente, ai-je dit déjà,
et se confirme mon exigence de la double boucle
pour que l’ensemble s’en ferme. Ceci autour d’un trou de ce réel dont s’annonce ce
dont après-coup il n’y a pas de plume
qui ne se trouve témoigner : qu’il n’y a pas de rapport sexuel.

Ainsi s’explique ce mi-dire dont nous venons à bout, celui par quoi la femme de
toujours serait leurre de vérité. Fasse le ciel
- enfin rompu de la voie que nous ouvrons lactée - que certaines de n’être « pastoutes »,
pour l’hommodit en viennent à faire l’heure du réel.
Ce qui ne serait pas forcément plus désagréable qu’avant. Ça ne sera pas un progrès,
puisqu’il n’y en a pas qui ne fasse regret,
regret d’une perte. Mais qu’on en rie [rien → rie en → en rie], la langue que je sers s’y trouverait
refaire le « joke » de Démocrite sur le μηδέν [mèden : zéro] : à l’extraire par chute du μή
[mè] de la négation, du rien qui semble l’appeler - telle notre bande le fait d’elle-même - à
sa rescousse.

[51] DÉMOCRITE en effet nous fit cadeau de l’ἄτομος [atomos], du réel radical
[a], à en élider le « pas », μή [mè],
mais dans sa subjonctivité, soit ce modal dont la demande refait la considération.
Moyennant quoi le δέν [den]
fut bien le passager clandestin dont le clam [()]fait maintenant notre destin. [S◊a]

Pas plus matérialiste [Démocrite] en cela que n’importe qui de sensé, que moi ou que
MARX par exemple.
Pour FREUD je n’en jurerais pas : qui sait la graine de « mots ravis » [Freud naît en
Moravie] qui a pu lever dans son âme,
d’un pays où la Kabbale cheminait. À toute matière, il faut beaucoup d’esprit, et de
son cru, car sans cela d’où lui viendrait-il ?

601
C’est ce que FREUD a senti, mais non sans le regret dont je parlais plus haut [pour
montrer le sens, il faut la perte de la signification].
Je ne déteste donc pas du tout certains symptômes, liés à l’intolérable de la vérité
freudienne.
Ils la confirment, et même à croire prendre force de moi.

Pour reprendre une ironie de POINCARÉ sur CANTOR84, mon discours n’est pas
stérile, il engendre l’antinomie, et même mieux :
il se démontre pouvoir se soutenir même de la psychose. Plus heureux que FREUD - qui,
pour en aborder la structure, a dû recourir
à l’épave des mémoires d’un défunt - c’est d’une reprise de ma parole 85 que naît mon
SCHREBER (et même ici bi-président, aigle à deux têtes).

Mauvaise lecture de mon discours sans doute, c’en est une bonne : c’est le cas de
toutes, à l’usage.
Qu’un analysant en arrive tout animé à sa séance, suffit pour qu’il enchaîne tout
droit sur sa matière œdipienne, comme de partout
m’en revient le rapport.

Évidemment mon discours n’a pas toujours des rejets aussi heureux. Pour le
prendre sous l’angle de l’« influence »,
chère aux thèses universitaires, cela semble pouvoir aller assez loin, au regard
notamment d’un tourbillon de sémantophilie
dont on le tiendrait pour précédent alors d’une forte priorité, c’est ce que je
centrerais du « mot-valise »...

On movalise depuis un moment à perte de vue et ce n’est - hélas - pas sans m’en
devoir un bout. Je ne m’en console ni ne m’en désole.
C’est moins déshonorant pour le discours analytique que ce qui se produit de la
formation des sociétés de ce nom. Là, c’est de tradition
le philistinisme qui donne le ton, et les récentes sorties contre les sursauts de la
jeunesse [Mai 68] ne font rien de plus que s’y conformer.

[52] Ce que je dénonce, c’est que tout est bon aux analystes de cette filière pour se
défiler d’un défi dont je tiens qu’ils prennent existence, car c’est là fait de structure à

84
Poincaré parla de la théorie de Cantor comme d’« une maladie, une affection perverse dont les
mathématiciens guériront un jour. »
85
Jacques Lacan : De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Seuil,
1975 – parole reprise par le séminaire 1955-56 : Les psychoses...
602
les déterminer. Le défi, je le dénote de l’abjection. On sait que le terme d’absolu a
hanté
le savoir [Hegel] et le pouvoir [Louis XIV], - dérisoirement il faut le dire : là semblait-il,
restait espoir, que les saints ailleurs représentent.
Il faut en déchanter. L’analyste déclare forfait.

Quant à l’amour dont le surréalisme voudrait que les mots le fassent 86, est-ce à dire que
ça en reste là ?
Il est étrange que ce que l’analyse y démontre de recel, n’y ait pas fait jaillir ressource
de semblant.

Pour terminer - selon le conseil de Fenouillard concernant la limite 87 - je salue Henri-


Rousselle dont à prendre ici occasion,
je n’oublie pas qu’il m’offre lieu à - ce jeu du dit au dire - en faire démonstration
clinique.

Où mieux ai-je fait sentir qu’à l’impossible à dire se mesure le réel - dans la pratique ?

Et date la chose de : BELŒIL, le 14 Juillet 72

BELŒIL où l’on peut penser que CHARLES Ier


- quoique pas de ma ligne - m’a fait défaut, mais non - qu’on le sache -
COCO - forcément « bel œil » - d’habiter l’auberge voisine, soit l’ara tricolore que...
sans avoir à explorer son sexe
...j’ai dû classer comme hétéro, de ce qu’on le dise être parlant. [52]

86
André Breton : « Les pas perdus », Gallimard, 1924.
87
Cf. « La famille Fenouillard » : « Quand la borne est franchie, il n’est plus de limite. » (Cité de F.
Ponsard : L’honneur et l’argent - 1853.)
603
604

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