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2023.09.22.

Despre Unul

„Il y a de l’Un”
„Y’a de l’Un”
„Y’a d’l’Un”
„Y a d’l’Un”
„Yad’l’Un”

1
1972.03.15. …Ou pire. Leçon 7
Séminaire : Panthéon-Sorbonne
La dernière fois, je vous ai raconté quelque chose qui était centré
sur l’Autre.
Ce qui est plus commode que ce dont je vais parler aujourd’hui,
dont je vous ai déjà caractérisé ce qu’on pourrait appeler le rapport,
le rapport à l’Autre, très précisément en ceci qu’il n’est pas
inscriptible, ce qui ne rend pas les choses plus faciles.

Il s’agit de l’Un.

De l’Un pour autant que déjà je vous ai indiqué, vous indiquant


aussi comment la trace s’en est frayée dans le Parménide de Platon,
dont le premier pas pour y comprendre quelque chos, c’est de vous
apercevoir que tout ce qu’il en énonce - comme dialectisable,
comme se développant - de tout discours possible au sujet de l’Un,
c’est d’abord
- et à ne le prendre qu’à ce niveau qui n’est rien en dire d’autre,
comme il s’exprime - que « c’est Un ».

Et peut-être y en a-t-il un certain nombre d’entre vous à avoir, sur


mes adjurations, ouvert ce livre
et de s’être aperçu que c’est pas la même chose que de dire que
« l’Un est » :
« C’est Un », c’est la première hypothèse,
et « l’Un est », c’est la seconde.

Elles sont distinctes. Naturellement pour que ceci porte, faudrait


que vous lisiez Platon avec un petit bout de quelque chose qui
viendrait de vous, faudrait pas que Platon soit pour vous comme ce
qu’il est : un auteur.
Vous êtes formés depuis votre enfance à faire de l’« auteur-stop ».
Depuis le temps que c’est passé dans les mœurs, cette façon de
vous adresser aux machins là, comme autorisés :
2
vous devriez savoir que ça ne mène nulle part, encore bien sûr que
ça puisse vous mener très loin.

Ces observations étant faites, c’est de l’Un donc...


pour des raisons dont il va falloir encore que je m’excuse,
car au nom de quoi est-ce que je vous occuperais avec ça ?
...c’est de l’Un que je vais vous parler aujourd’hui.
C’est même pour ça que j’ai inventé un mot qui sert de titre à ce
que je vais vous en dire.

Je suis pas très sûr, je suis même sûr du contraire : je n’ai pas
inventé « l’unaire ».
Le trait unaire qu’en 62 j’ai cru pouvoir extraire de Freud qui
l’appelle einzig, en le traduisant ainsi.
Ce qui a paru à l’époque miraculeux à quelques-uns.

C’est bien curieux que l’einziger Zug, la 2ème forme d’identification


distinguée par Freud, ne les ait jamais retenus jusque là.
Par contre le mot, dont je ferai accolade à ce que je vais vous dire
aujourd’hui, est tout à fait nouveau,
et il est fait comme d’une précaution, parce qu’à la vérité il y a
beaucoup de choses qui sont intéressées à l’Un.

De sorte qu’il n’est pas possible... je vais essayer pourtant de frayer


tout de suite quelque chose qui situe
l’intérêt que mon discours...
pour autant qu’il est lui-même frayage du discours analytique
...l’intérêt que mon discours a à passer par l’Un.

Mais d’abord prenez-en le champ, en gros désigné donc de


« l’unien » : u.n.i.e.n.
C’est un mot qui ne s’est jamais dit, qui a pourtant son intérêt
d’amener une note - une note d’éveil - pour vous

3
chaque fois que l’Un sera intéressé et qu’à le prendre ainsi, sous une
forme épithète,
ça vous rappellera ce que Freud... [lapsus]ce que Platon d’abord
promeut : c’est que de sa nature il a des pentes diverses.

Dans l’analyse qu’il en soit parlé, ce qui ne vous échappe pas je


pense, à vous souvenir de ce qu’il préside à cette bizarre
assimilation de l’éros à ce qui tend à coaguler. Sous prétexte que le
corps c’est très évidemment une des formes de l’Un,
que ça tient ensemble, que c’est un individu sauf accident, il est -
c’est singulier - promu par Freud.
Et c’est bien, à vrai dire, ce qui met en question la dyade avancée par
lui d’Ἔρως [Éros] et de Θάνατος [Tanathos].

Si elle n’était pas soutenue d’une autre figure, qui est très
précisément celle où échoue le rapport sexuel,
à savoir celle de l’Un et de « pas-un », c’est à savoir zéro, on voit mal
la fonction que pourrait tenir ce couple stupéfiant.
Il est de fait qu’il sert, il sert au profit d’un certain nombre de
malentendus, d’épinglages de la pulsion de mort,
ainsi dite à tort et à travers. Mais il est certain qu’en tout cas l’Un ne
saurait, dans ce discours sauvage qui s’institue
de la tentative d’énoncer le rapport sexuel, il est strictement
impossible de considérer la copulation de deux corps comme n’en
faisant qu’un.

Il est extraordinaire qu’à cet égard, le « Banquet » de Platon...


alors que les savants ricanent du « Parménide »
...le « Banquet » de Platon soit pris au sérieux comme représentant
quoi que ce soit qui concerne l’amour.

Certains se souviennent peut-être encore que j’en ai usé dans une


année...

4
exactement celle qui précède celle que j’ai avancée tout à l’heure,
l’année 61-62
...c’est en 60-61 que j’ai pris Le Banquet pour terrain d’exercice
et je n’ai rien songé à en faire d’autre qu’à en fonder le transfert 1.

Jusqu’à nouvel ordre - le transfert - qu’il y ait quelque chose de


l’ordre du 2, peut-être, à son horizon,
ne peut pas passer pour une copulation. Je pense tout de même
avoir un petit peu indiqué alors
le mode de dérision sur lequel se déroule cette scène à très pro-
prement parler désignée comme bachique.

Que ce soit Aristophane qui promeut, qui invente, la fameuse


« bipartition de l’être » qui de prime abord n’eût été
que « bête à deux dos » qui se tient serrée, et dont c’est la jalousie de
Zeus qui en fait deux à partir de là,
c’est assez dire dans quelle bouche [Aristophane] est mis cet
énoncé pour indiquer qu’on s’amuse, on s’amuse bien d’ailleurs.

Le plus énorme, c’est qu’il n’apparaisse pas que celle qui couronne
tout le discours, la nommée Diotime,
ne joue pas un autre rôle puisque ce qu’elle enseigne, c’est que
l’amour ne tient qu’à ce que l’aimé
- qu’il soit homo ou hétéro - on n’y touche pas, qu’il n’y a que
l’Aphrodite Uranienne qui compte.

Ça n’est pas précisément dire que ce soit l’Un qui règne sur l’ Ἔρως
[Éros].
Ce serait déjà à soi tout seul une raison d’avancer quelques proposi-
tions - déjà frayées d’ailleurs - sur l’Un,

1
Cf. Séminaire 1960-61 : « Le transfert dans sa disparité subjective, sa
prétendue situation, ses excursions techniques ». Seuil 2001.
5
s’il n’y avait pas en outre ceci : c’est que dans l’expérience
analytique le premier pas c’est d’y introduire Un,
en analyste qu’on est, on lui fait faire le pas d’entrée.

Moyennant quoi l’analysant dont il s’agit - cet Un - le premier mode


de sa manifestation,
est évidemment de vous reprocher de n’être qu’« Un entre autres »,
mais bien sûr sans s’en apercevoir.
Moyennant quoi ce qu’il manifeste, c’est très précisément que ces
autres, il n’a rien à faire avec eux,
et que c’est pour ça qu’avec vous - l’analyste - il voudrait être le seul
pour que ça fasse deux,
et qu’il ne sait pas que ce dont il s’agit c’est justement qu’il
s’aperçoive que deux,
c’est cet Un qu’il se croit et où il s’agit qu’il se divise.

Alors donc « Yad’lun ».


Faudrait écrire ça, aujourd’hui je ne suis pas très porté à écrire mais
enfin pourquoi pas : Yad’lun.
Pourquoi pas l’écrire comme ça ?

L’écrire comme ça, vous allez le voir, ça a un certain intérêt qui n’est
pas sans justifier le choix de cet Unien de tout à l’heure. C’est
qu’« Yad’lun » écrit comme ça, ça met en valeur une chose propice
de la langue française,
et dont je ne sais pas si on peut tirer le même avantage du « there is »
ou du « es gibt ».

Les gens qui en ont le maniement pourront peut-être me l’indiquer.


Es gibt commande l’accusatif, n’est-ce pas ?
On dit :
es gibt einen… quelque chose, quand c’est au masculin,
there is, on peut dire there is one, there is a… quelque chose.

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Je sais bien qu’il y a le there qui est une amorce de ce côté là, mais
c’est pas simple.
En Français on peut dire : Y’en a.

Chose très étrange, je n’ai pas réussi...


ça ne veut pas dire que ça ne soit pas trouvable, mais enfin comme
ça, à la façon assez hâtive
dont je procède malgré tout, la fonction de la hâte en logique j’en
sais un petit quelque chose,
faut bien que je me presse, le temps me presse
...je n’ai pas réussi à voir, à trouver quelque chose, ni à
simplement...

Je vais vous dire ce que j’ai consulté :


le « Littré »,
le « Robert », pendant que j’y étais,
le « Damourette et Pichon » et quelques autres quand même.

L’émergence historique...
tout ce qu’un dictionnaire comme le « Bloch et von Wartburg » est fait
pour vous donner
...l’émergence d’une formule aussi capitale que « il y a » qui veut dire
ça : « y en a ».

C’est sur le fond de l’indéterminé que surgit ce que désigne et


pointe à proprement parler l’« il y a »,
dont curieusement, « y a » - je vais dire n’y a pas - n’y a pas
d’équivalent - c’est vrai - d’équivalent courant
dans ce que nous appellerons les langues antiques.

Au nom de quoi, justement se désigne que le discours...


eh bien comme dit et comme le démontre le « Parménide »
...le discours, ça change.

7
C’est bien en ça que le discours analytique peut représenter une
émergence et qu’il s’agirait peut-être que vous en fassiez quelque
chose, si tant est que dès ma disparition...
aux yeux de beaucoup d’esprits, bien sûr toujours présente comme
possible sinon imminente
...dès ma disparition on s’attend, dans le même champ, à la
véritable pluie d’ordures qui déjà s’annonce
parce qu’on croit que ça ne peut plus tarder. [Rires]

Dans la trace de mon discours, il vaudrait peut-être mieux que se


confortent ceux qui pourraient donner à ce frayage une suite, dont
heureusement aussi, j’ai dans un endroit, un endroit bien précis,
quelques prémisses, mais rares.

Parce qu’on passe son temps à me casser les pieds et les oreilles
avec le fait de savoir « le rapport du discours analytique avec
la révolution ». C’est peut-être justement lui qui porte le germe
d’aucune révolution possible, de ce qu’il faut pas confondre
la révolution avec le vague à l’âme qui peut vous prendre comme ça à
tout bout de champ sous cette étiquette.
C’est pas tout à fait la même chose.

« Y en a » donc, c’est sur fond de quelque chose qui n’a pas de


forme.
Quand on dit « y en a » ça veut dire d’habitude « y en a du...» ou « y en
a des...».
On peut même ajouter de temps en temps à ce « des », « des qui » :
des qui pensent, des qui s’expriment, des qui racontent,
des machins comme ça... ça reste un fond d’indétermination.

La question commence sur ce que ça veut dire « de l’Un ».


Car dès que l’Un est énoncé, le « de » n’est plus là que comme un
mince pédicule sur ce qu’il en est de ce fond.

8
D’où est-ce que cet Un surgit ? C’est très précisément ce que dans
la première hypothèse, Platon essaie d’avancer,
à dire comme il peut, faute qu’il ait à sa disposition d’autres mots,
ἓν εἰ ἔστιν : s’il est Un ?

Car ἔστιν a manifestement là la fonction de suppléance de ce qui ne


s’accentue pas comme en français de l’« il y a ».
Et ce qu’il faudrait sûrement traduire...
je comprends le scrupule qui y arrête les traducteurs
...faudrait sûrement traduire : « s’il y a Un » ou l’Un, c’est à vous de
choisir.
Mais ce qui est certain, c’est que Platon choisit, et que son Un n’a
rien à faire avec ce qui englobe.

Il y a même quelque chose de remarquable, c’est que ce qu’il en


démontre immédiatement, c’est que il ne saurait avoir aucun
rapport avec quoi que ce soit dont il a fait sous mille formes la
recension métaphysique et qui s’appelle la dyade
en tant que dans l’expérience - dans l’expérience de pensée - elle est
partout :

le plus grand - le plus petit,


le plus jeune - le plus vieux etc., etc.,
l’incluant - l’inclus,
et tout ce que vous voudrez de cette espèce.

Ce qu’il commence par démontrer est très précisément ceci, qu’à


prendre l’Un par le moyen d’une interrogation discursive.
Et qui est là interrogé ?
Ce n’est évidemment pas le pauvre petit, le cher mignon, le
dénommé Aristote si mon souvenir est bon,
dont il semble difficile de croire que ça puisse être à ce moment-là
celui qui nous a laissé sa mémoire,

9
il est bien clair que comme dans tout dialogue, dans tout dialogue
platonicien, il y a pas trace d’interlocuteur.

Ça semble ne s’appeler dialogue que pour illustrer ce que j’ai depuis


longtemps énoncé, que le dialogue justement, y en a pas.
Ça ne veut pas dire qu’il n’y ait pas, présente au fond du dialogue
platonicien, une bien autre présence
- présence humaine disons-le - que dans bien d’autres choses qui se
sont écrites depuis.

Il ne nous en faudrait pour témoignage que ceci que dans les


premières approches, la façon dont se prépare
ce qui constitue l’os du dialogue, ce que j’appellerai l’entretien
préliminaire.

Celui qui nous explique, comme dans tous les dialogues, comment c’est
arrivé que cette chose folle qui ne ressemble en rien
à quoi que ce soit qu’on puisse appeler « dialogue »...
c’est là que vraiment on peut le sentir si déjà on ne savait pas par le
commun de la vie
qu’on n’a jamais vu un dialogue aboutir à quoi que ce soit
...il s’agit dans ce qu’on appelle « dialogue », dans cette littérature qui
a sa date, justement de serrer quel est le réel
qui peut faire croire, qui donne l’illusion qu’on peut parvenir à
quelque chose en dialoguant avec quelqu’un.

Alors ça vaut qu’on prépare le truc, qu’on dise de quel zinzin il


s’agissait.
Le vieux Parménide et sa clique qui est là, fallait rien moins que ça
pour que puisse s’énoncer quelque chose
qui fait parler - qui ? - eh bien, justement : l’Un.

Et à partir du moment où vous le faites parler l’Un ,

10
ben ça vaut la peine de regarder à quoi ça sert celui qui tient l’autre
crachoir, qui ne peut que dire des trucs comme ça :

« ταυτο ἀνάγκη οὐ γὰρ οὐν τί δέ αληθή »


ho, là, là, encore trois fois plus vrai que vous ne le disiez, n’est-ce pas ?

C’est ça le dialogue naturellement, quand c’est l’Un qui parle. Ce qui


est curieux c’est la façon dont Parménide l’introduit.
L’Un, il lui passe la main dans le dos, il lui explique

« cher mignon allez-y, parlez cher petit Un, tout cela n’est que bavardage ».

Parce que ne me traduisez pas ἀδολεσχὶα par l’idée qu’il s’agit


d’adolescents, je dis ça pour ceux qui ne sont pas avertis, surtout que
comme en face de la page on vous dit qu’il s’agit de se conduire
comme des innocents, comme des jeunots, vous pourriez
confondre. Ils ne sont pas nommés comme ça, les jeunots, dans le
texte grec,
ἀδολεσχὶα [adoleskia] ça veut dire bavardage.

Mais on peut considérer que c’est là quelque chose de l’amorce, de


la préfiguration
de ce que nous appelons dans notre rude langage...
tressé par ce qu’on a pu, la phénoménologie qu’on pouvait à ce
moment-là avoir à la portée de sa main
...ce qu’on a traduit par « associations libres ».

Naturellement l’association n’est pas libre, si elle était libre, elle


n’aurait aucun intérêt, n’est-ce pas,
mais c’est la même chose que le bavardage : c’est fait pour
apprivoiser le moineau.
L’association, il est bien entendu qu’elle est liée, je ne vois pas quel
serait son intérêt si elle était libre.

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Le bavardage en question, il est certain que - il ne fait aucun doute -
comme c’est pas quelqu’un qui parle
mais que c’est l’Un, on peut voir là, à quel point c’est lié. Parce que
c’est très démonstratif.

À mettre les choses dans ce relief, ça permet de situer pas mal de


choses,
et en particulier le pas qui se franchit de Parménide à Platon.

Parce qu’il y avait déjà un pas franchi par Parménide dans ce milieu
où il s’agissait en somme de savoir ce qu’il en est du réel. Nous en
sommes toujours tous là.
Après qu’on ait dit que c’était l’air, l’eau, la terre, le feu, et qu’après ça
on n’avait plus qu’à recommencer,
il y a quelqu’un qui s’est avisé que le seul facteur commun de toute
cette substance dont il s’agissait, c’était d’être « dicible ». C’est ça le pas
de Parménide.

Seulement le pas de Platon c’est différent :


c’est de montrer que dès que on essaie de dire d’une façon articulée
ce qui se dessine de « la structure »...
comme on dirait dans ce que j’ai appelé tout à l’heure « notre rude
langage »
...le mot « structure » ne vaut pas mieux que le mot d’« associations
libres »,
mais ce qui se dessine fait difficulté, et que le réel c’est dans cette
voie qu’il faut le chercher.

Εἰδος [Eidos], qu’on traduit improprement « la forme », est quelque


chose qui déjà nous promet le serrage,
le cernage de ce qui fait béance dans le dire. En d’autres termes Platon
était pour tout dire lacanien. [Rires]
Naturellement il pouvait pas le savoir.
En plus, il était un peu débile. [Rires]
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Ce qui ne facilite pas les choses, mais ce qui sûrement l’a aidé.
J’appelle débilité mentale le fait d’être un être parlant
qui ne soit pas solidement installé dans un discours, c’est ce qui fait le
prix du débile. Il n’y a aucune autre définition
qu’on puisse lui donner sinon d’être ce qu’on appelle un peu à côté de
la plaque, c’est-à-dire qu’entre deux discours, il flotte.

Pour être solidement installé comme sujet il faut s’en tenir à un


[discours], ou bien alors savoir ce qu’on fait.
Mais c’est pas parce qu’on est en marge qu’on sait ce qu’on dit.
De sorte que pour ce qui est de son cas, ça lui a permis
solidement... après tout il avait des cadres,
il faut pas croire qu’en son temps, les choses fussent pas prises
dans un très solide discours et il en montre le bout de l’oreille quelque
part dans les entretiens préliminaires de ce Parménide. C’est tout de
même lui qui l’a écrit.

On ne sait pas si il se marre ou non, mais enfin il n’a pas attendu Hegel
pour nous faire « la dialectique du Maître et de l’Esclave »,
et je dois dire que ce qu’il en énonce est d’une autre assiette que ce
qu’avance toute la « Phénoménologie de l’Esprit ».
Non pas qu’il conclue, mais qu’il donne les éléments matériels.

Il avance, il avance, il le peut parce que de son temps c’est pas du


chiqué.
On se demande si c’était mieux, plutôt que pire, de penser que les
maîtres et les esclaves, c’était là affirmé,
ça permettait de s’imaginer que ça pouvait changer à tout instant, et
en effet ça changeait à tout instant :
quand les maîtres étaient faits prisonniers ils devenaient esclaves,
et quand les esclaves étaient affranchis, ben ils devenaient maîtres.

Grâce à quoi Platon s’imagine, et il le dit dans les préliminaires de


ce dialogue, que l’essence-maître, l’εἰδος [eidos],
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et celle de l’esclave, ben on peut considérer qu’elles n’ont rien à
faire avec ce qu’il en est réellement.
Le Maître et l’esclave sont entre eux dans des rapports qui n’ont rien à
faire avec le rapport de l’essence-maître et de l’essence-esclave.

C’est bien en ça qu’il est un peu débile.


C’est que nous avons vu faire le grand mélange, n’est-ce pas, qui
s’opère toujours, par une certaine voie,
dont il est curieux qu’on ne voie pas à quel point elle promet la
suite : c’est qu’on est tous frères !

Il y a une région comme ça de l’histoire, du mythe historique, je


veux dire du mythe en tant qu’il est histoire,
ça ne s’est vu qu’une fois, chez les Juifs, où on sait la fraternité à
quoi ça sert, ça a donné le grand modèle.
Elle est faite pour qu’on vende son frère, ce qui n’a pas manqué de
se produire dans la suite de toutes les subversions
qui sont dites tourner autour du discours du Maître.

Il est tout à fait clair que l’effort dont Hegel s’exténue au niveau de
la « Phénoménologie... » :
« la crainte de la mort », « la lutte à mort de pure prestance » ... et j’t’en
raconte, et j’t’en remets...
Moyennant quoi - c’est l’essentiel à obtenir - y a un esclave.

Mais, je le demande...
à tous ceux qui ont des frémissements comme ça de changer les
rôles
...je le demande : qu’est-ce qui peut faire - puisque l’esclave survit -
qu’il devienne pas tout de suite...
après « la lutte à mort de pure prestance », aujourd’hui, et « la crainte de la
mort »
...qu’il change de camp, que tout ça ne subsiste, n’a chance de
subsister qu’à condition qu’on voie très précisément
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ce que Platon écarte.

Ce que Platon écarte...


mais qui saura jamais au nom de quoi, parce qu’on ne peut pas,
mon Dieu, sonder son cœur,
c’est peut-être débilité mentale simplement
...il est clair au contraire, que c’est là la plus belle occasion de
marquer ce qu’il en est
de ce qu’il appelle le μετέχειν [metékein] la participation.

Jamais l’esclave n’est esclave que de l’essence du Maître. De même que


le Maître...
j’appelle ça « l’essence », appelez-le comme vous voudrez,
j’aime beaucoup mieux l’écrire S1, le signifiant-maître,
...et quant au Maître, s’il n’y avait pas S2, le savoir de l’esclave
qu’est-ce qu’il en ferait ?

Je m’attarde, je m’attarde, pour vous dire l’important de cette chose


invraisemblable : qu’il y en ait, de l’Un.
C’est là le point à mettre en relief. Car dès qu’on interroge cet Un,
ce qu’il devient, enfin comme une chose qui se défait,
c’est qu’il est impossible de le mettre en rapport avec quoi que ce
soit,
hors la série des nombres entiers, qui n’est rien d’autre que cet Un.

Bien sûr ceci ne survient, n’arrive, ne surgit, qu’à la fin d’une longue
élaboration de discours.
Dans la logique de Frege, celle qui s’inscrit dans les « Grundlagen der
Arithmetik »,
vous verrez à la fois l’insuffisance de toute déduction logique du 1,
puisqu’il faut qu’elle passe par le 0 dont on ne peut tout de même
pas dire que ce soit l’Un,
et pourtant tout se déroule : que c’est de ce 1 qui manque au niveau
du 0 que procède toute la suite arithmétique.
15
Alors que déjà, parce que déjà de 0 à 1 ça fait 2, dès lors ça en fera
3 parce qu’il y aura 0, 1, et 2 avant, et ainsi de suite.
Et ceci très précisément jusqu’au 1er des ‫[ א‬aleph] qui, curieusement et
pas pour rien, qui ne peut se désigner que d’0‫[ א‬aleph zéro].

Bien sûr ceci peut vous paraître à une distance savante.


C’est bien pour ça qu’il faut l’incarner, et que j’ai mis d’abord
« Yad’lun ».
« Yad’lun ! » et que vous, vous ne sauriez trop vous exclamer de
cette annonce, d’autant de points d’exclamation
à la suite, que précisément l’aleph zéro [0‫ ]א‬sera juste suffisant pour
sonder ce qu’il peut en être,
si vous l’approchez suffisamment, de l’étonnement que mérite qu’il
y ait de l’Un.

X dans la salle – « ouille ! »

Oui ! Ça mérite bien d’être salué de cet ouille ! hein, puisque nous parlons
en langue d’ouille, je veux dire « hoc est ille » [c’est ainsi].

Ici, eh bien celui-là dont il s’agit, l’Un, le responsable...


car c’est à l’attraper par les oreilles, n’est-ce pas, que « y en a »
montre bien le fond dont il ex-siste
...le fond dont il ex-siste tient en ceci, qui ne va pas de soi, c’est
que...
pour prendre d’abord le premier meuble que j’avais à la portée de ma
main
...l’Un débile mental, vous pouvez y ajouter : une grippe, un tiroir, un
pied de nez, une fumée, un « bonjour de ta Catherine ! »,
une civilisation, et - voire ! - une jarretière dépareillée, ça fait 8. Si épars
que ça vous paraisse, hein ?
Il y en a, comme ça à la pelle, mais ils viennent tous à l’appel : petits
! petits ! petits ! petits !…
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Et l’important...
parce qu’il faut évidemment vous rendre sensible une chose,
les choses autrement que par un 0,1et par l’aleph [‫]א‬, n’est-ce pas ?
...l’important c’est que ça suppose toujours le même Un, l’Un qui ne
se déduit pas,
contrairement à la poudre aux yeux que peut nous jeter John-Stuart
Mill, simplement de prendre des choses distinctes,
à les tenir pour identiques.

Parce que ça, c’est simplement quelque chose qu’illustre, dont


donne le modèle, le boulier. Mais le boulier a été fait exprès pour
que ça se compte et qu’à l’occasion se comptent les 8 épars que je
vous ai fait surgir tout à l’heure.
Seulement ce que le boulier ne vous donnera pas, c’est ceci qui se
déduit directement et sans aucun boulier du Un,
c’est à savoir qu’entre ces 8 « meubles » dont je vous ai parlé tout à
l’heure,
il y a - parce qu’ils sont 8 - 28 combinaisons 2 par 2, pas une de
plus.
Et que ça c’est comme ça, du fait de l’Un.

Naturellement, j’espère que ça vous frappe et comme j’en ai pris 8,


rien ne vous empêche...
Ça vous sidère !
Vous ne saviez pas d’avance que ça ferait 28 combinaisons ?

Encore que ce soit facile : c’est je ne sais pas quoi : n(n-1)/2


8 fois 7 : 42 [lapsus] voyez-vous, ça fait pas 28, ça fait 21...
Bon, et alors, ça change rien, le chiffre, on peut le connaître, voilà
ce dont il s’agit.

Si j’en avais mis moins, c’est quelque chose qui vous aurait porté à
travailler, à me dire que peut-être,
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que même il faudrait aussi que je compte les rapports de chacun à
l’ensemble.
Pourquoi je le fais pas ? C’est ce que je serai forcé d’attendre la
prochaine fois pour vous expliquer.
Parce que les rapports de chacun à l’ensemble ça n’élimine pas
justement que y a Un ensemble
et que de ce fait, ça veut dire que vous en remettez un.

Ce qui aboutirait à, en effet, augmenter considérablement le


nombre des combinaisons 2 par 2.
Au niveau du triangle, si je vous avais mis seulement trois 1, ça
aurait fait 3 combinaisons seulement.
Vous en avez tout de suite 6 si vous prenez l’ensemble pour 1.

Mais justement ce dont il s’agit, c’est de s’apercevoir là d’une autre


dimensions de l’Un,
que j’essaierai de vous illustrer la prochaine fois du triangle
arithmétique.

En d’autres termes l’Un donc, n’a pas toujours le même sens.


Il a le sens, par exemple, de ce 1 de l’ensemble vide qui, chose
curieuse, à notre numération d’éléments ajouterait deux,
je démontrerai pourquoi et à partir d’où.

Néanmoins nous approchons déjà de quelque chose, qui à ne pas


partir du tout de l’Un comme « Tout »,
nous montre que l’Un dans son surgissement n’est pas univoque. En d’autres
termes, nous renouvelons la dialectique platonicienne.

C’est bien ainsi que je prétends vous mener quelque part à


poursuivre, par cette bifidité de l’Un...
encore faut-il voir si elle tient
...cet Un que Platon si bien distingue de l’Être. C’est assurément
que l’Être, lui, est Un, toujours, en tous les cas,
18
mais que l’Un sache être comme être, voilà qui est dans le
« Parménide » parfaitement démontré.

C’est bien historiquement d’où est sortie la fonction de l’existence.


Ce n’est pas parce que l’Un n’est pas qu’il ne pose pas la question,
et il la pose d’autant plus qu’où que ce soit - à jamais - qu’il doive
s’agir d’existence, ce sera toujours autour du Un que la question
tournera.

La chose dans Aristote ne s’approche que timidement au niveau


des propositions particulières.
Aristote s’imagine qu’il suffit de dire que « quelques » - quelques
seulement, pas tous - sont comme-ci ou comme-ça,
pour que ça les distingue. Que c’est en les distinguant de ce qui, lui,
est comme ça, si celles-ci ne le sont pas par exemple, ça suffit à
assurer leur existence. C’est bien en quoi l’existence déjà, dès sa
première émergence, s’amorce tout de suite, s’énonce de son
inexistence corrélative. Il n’y a pas d’existence sinon sur fond
d’inexistence et inversement :
ex-sistere ne peut tenir son soutien que d’un dehors qui n’est pas.

Et c’est bien là ce dont il s’agit dans l’Un. Car, à la vérité, d’où


surgit-il ? En un point où Platon arrive à le serrer.
Il ne faut pas croire que ce soit, comme il semble, seulement à
propos du temps : il l’appelle τὸ εξαίφνης [to ekxaifnés].
Traduisez ça comme vous voudrez c’est l’instant, c’est le soudain,
c’est le seul point où il peut le faire subsister
et c’est bien en effet toujours où toute élucidation du nombre, et
Dieu sait qu’elle a été poussée assez loin pour nous donner l’idée
qu’il y a d’autres aleph [‫ ]א‬que celui des nombres, et celui-là, cet
instant, ce point, car c’est ça qui en serait
la véritable traduction, c’est bien ce qui ne se trouve décisif qu’au
niveau d’un aleph [‫ ]א‬supérieur, au niveau du continu.

19
L’Un donc, ici précisément semble se perdre et porter à son
comble ce qu’il en est de l’existence jusqu’à confiner
à l’existence comme telle, en tant que surgissant du plus difficile à
atteindre, du plus fuyant dans l’énonçable,
et c’est ce qui m’a fait trouver...
à me reporter à cet εξαίφνης [ekxaifnés]
...dans Aristote lui-même, à m’apercevoir qu’en fin de compte il y a
eu émergence de ce terme d’« exister »
quelque part dans la « Physique » où vous pourrez le trouver...
où vous pourrez le trouver surtout si je vous le donne
...c’est quelque part au Livre IV de la « Physique » d’Aristote2...
je ne le vois pas ici dans mes papiers, mais à la vérité il doit y être
...Aristote le définit comme justement ce quelque chose qui...
ἀναίσ θήτω χρόνω [anais onto krono],
dans un temps qui ne peut pas être senti,
διὰ μικροτητα [dia microteta]
en raison de son extrême petitesse,
...est το ἐξτάν [to extan].
[24 : Τὸ δ’ἐξαίφνης τὸ ἐν ἀναισθήτῳ χρόνῳ διὰ μικρότητα ἐκστάν :
Tout à coup s’emploie pour exprimer que la chose survient par un dérangement
subit dans un temps qui, par sa petitesse, est imperceptible. (trad.
Barthélémy Saint-Hilaire)]

Je ne sais pas si ailleurs qu’en cet endroit, en cet endroit du Livre


IV de la « Physique »,
le terme ἐξτάν [extan] est proféré dans la littérature antique, mais il
est clair qu’il vient de...
C’est un participe passé, le participe passé de l’aoriste second
d’ἴστημι [istemi], de cet aoriste qui se dit ἕστην [esten],
c’est σταν [stan], mais je ne sache pas qu’il y ait de verbe ἐξίστημι
[existemi], c’est à contrôler.

2
Aristote : « Physique », Livre IV : Le lieu, le vide, le temps, 222b (24).
20
Quoiqu’il en soit, le « sistere » est déjà là l’être stable, être stable à
partir d’un dehors : το ἐξτάν [to extan], ce qui n’existe qu’à n’être pas,
c’est bien de cela qu’il s’agit, c’est cela que j’ai voulu ouvrir
aujourd’hui sous le chapitre général de l’Unien.
Et je vous en demande pardon, si j’ai choisi l’Unien,
pardonnez-moi, c’est que c’est l’anagramme d’ennui.

21
1972.05.04. Le savoir du psychanalyste. Leçon 6
« Entretiens de Sainte-Anne »
C’est un drôle d’emploi du temps, mais enfin pourquoi pas : pendant
le week-end il m’arrive de vous écrire.
C’est une façon de parler, j’écris parce que je sais que dans la semaine
on se verra.
Enfin le week-end dernier, je vous ai écrit. Naturellement, dans
l’intervalle, j’ai eu tout à fait le temps d’oublier
cette écriture et je viens de la relire pendant le dîner hâtif que je fais
pour être là à l’heure. Je vais commencer par là.

Naturellement c’est un peu difficile, mais peut-être que vous


prendrez des notes.
Puis après ça, je dirai les choses que j’ai pensées depuis, en pensant
plus réellement à vous.

J’avais écrit ceci...


que bien sûr je ne livrerai jamais à la poubellication,
je ne vois pas pourquoi j’augmenterai le contenu des
bibliothèques
...il y a deux horizons du signifiant.

Là-dessus écrit, je fais une accolade...


comme c’est écrit, il faut que vous fassiez attention, je veux
dire que vous ne croyiez pas comprendre
...alors dans l’accolade :
il y a le maternel, qui est aussi le matériel,
et puis il y a écrit le mathématique.

J’y serai forcé, je le sais, mais enfin je ne peux pas me mettre tout de
suite à parler, sans ça je ne vous lirai jamais
ce que j’ai écrit. Peut-être que dans la suite, j’aurai à revenir sur cette
distinction dont je souligne qu’elle est d’horizon.

22
Les articuler, je veux dire comme tels...
ça c’est une parenthèse, je l’ai pas écrit
...je veux dire les articuler dans chacun de ces deux horizons, c’est
donc...
ça, je l’ai écrit
...c’est donc procéder selon ces horizons eux-mêmes, puisque la
mention de leur « au-delà » - au-delà de l’horizon –
ne se soutient que de leur position...
quand ça vous ennuiera vous me le direz
et je vous raconterai les choses que j’ai à vous raconter ce
soir
...de leur position - écris-je - en un discours de fait.

Pour le discours analytique ce « de fait » m’implique assez dans ses effets


pour qu’on le dise être de mon fait, qu’on le désigne par mon nom.

L’a-mur - ce que j’ai désigné ici pour tel - le répercute diversement


avec les moyens de ce qu’on appelle justement
« le bord », de ce « bord-homme ». Le « bord-homme » ça m’a inspiré - je l’ai
écrit ça - : « brrom ‘brrom -ouap - ouap ».
C’était une trouvaille d’une personne qui dans l’ancien temps m’a
donné des enfants.

C’est une indication concernant :


la voix - l’(a)-voix - qui comme chacun sait aboie,
et l’(a)-regard aussi, qui n’y « (a)regarde pas de si près »,
et l’(a)stuce qui fait l’astuce,
et puis l’(a)merde aussi, qui fait de temps en temps graffito
d’intentions plutôt injurieuses dans les pages journalistiques, à
mon nom.
Bref, c’est l’(a)vie, comme dit une personne qui se divertit pour
l’instant, c’est gai ! C’est vrai, en somme.

23
Ces effets n’ont rien à faire avec la dimension qui se mesure de mon
fait,
c’est à savoir que c’est d’un discours qui n’est pas le mien propre que je
fais la dimension nécessaire.
C’est du discours analytique qui pour n’être pas encore - et pour cause !
- proprement institué,
se trouve avoir besoin de quelques frayages à quoi je m’emploie.
Á partir de quoi ? Seulement de ceci en fait que ma position en est
déterminée.

Bon. Alors maintenant, parlons de ce discours et du fait qu’y est


essentielle la position comme telle du signifiant.
Je voudrais quand même, vu ce public que vous constituez, vous
faire une remarque :
c’est que cette position du signifiant se dessine d’une expérience qu’il est
à la portée de chacun de vous, de faire,
pour vous apercevoir de quoi il s’agit et combien c’est essentiel.

Quand vous connaissez imparfaitement une langue et que vous lisez


un texte,
eh bien vous comprenez, vous comprenez toujours. Ça devrait vous
mettre un peu en éveil.
Vous comprenez dans le sens où - d’avance - vous savez ce qui s’y
dit.
Bien sûr, il en résulte que le texte peut se contredire.

Quand vous lisez par exemple un texte sur la Théorie des Ensembles,
on vous explique ce qui constitue l’ensemble infini des nombres
entiers.
À la ligne suivante on vous dit quelque chose que vous comprenez,
parce que vous continuez de lire :
« Ne croyez pas que c’est parce que ça continue toujours qu’il est infini ».

24
Comme on vient de vous expliquer que c’est pour ça qu’il l’est, vous
sursautez.
Mais quand vous y regardez de près, vous trouvez le terme qui désigne
qu’il s’agit de « deem » [juger, estimer],
c’est-à-dire que ce n’est pas sur ça que vous devez juger, parce qu’ils
savent qu’elle ne s’arrête pas cette série des nombres entiers, qu’elle
est infinie, c’est pas parce qu’elle est indéfinie.

De sorte que vous vous apercevez que c’est parce que,


soit vous avez sauté « deem »,
soit vous n’êtes pas assez familier avec l’anglais, que vous avez
compris trop vite,
c’est-à-dire que vous avez sauté cet élément essentiel qui est celui
d’un signifiant qui rend possible ce changement de niveau, grâce auquel
vous avez eu un instant le sentiment d’une contradiction.

II ne faut jamais sauter un signifiant.


C’est dans la mesure où le signifiant ne vous arrête pas que vous
comprenez.
Or comprendre, c’est être toujours compris soi-même dans les effets
du discours,
lequel discours en tant que tel ordonne les effets du savoir déjà
précipités par le seul formalisme du signifiant.

Ce que la psychanalyse nous apprend, c’est que : tout savoir naïf...


ça c’est écrit, et c’est pour ça que je le lis
...est associé à un voilement de la jouissance qui s’y réalise et pose la
question de ce qui s’y trahit des limites de la puissance, c’est-à-dire - quoi
? - du tracé imposé à la jouissance.

Dès que nous parlons - c’est un fait ! nous supposons quelque chose
à ce qui se parle,
ce quelque chose que nous imaginons pré-posé, encore qu’il soit sûr
que nous ne le supposions jamais qu’après-coup.
25
C’est seulement au fait de parler que se rapporte, dans l’état actuel de
nos connaissances,
que puisse s’apercevoir que ce qui parle - quoi que ce soit - est ce qui
jouit de soi comme corps.

Ce qui jouit d’un corps qu’il vit comme...


ce que j’ai déjà énoncé
...du « tu-able », c’est-à-dire comme tutoyable, d’un corps qu’il tutoie et
d’un corps à qui il dit « tue-toie » dans la même ligne.

La psychanalyse, qu’est-ce ?
C’est le repérage de ce qui se comprend d’obscurci, de ce qui
s’obscurcit en compréhension,
du fait d’un signifiant qui a marqué un point du corps.

La psychanalyse, c’est ce qui reproduit...


vous allez retrouver les rails ordinaires
...c’est ce qui reproduit une production de la névrose.

Là-dessus tout le monde est d’accord.


Il n’y a pas un psychanalyste qui ne s’en soit aperçu.
Cette névrose qu’on attribue - non sans raison - à l’action des parents,
n’est atteignable que dans toute la mesure où l’action des parents
s’articule justement...
c’est le terme par quoi j’ai commencé la troisième ligne
...de la position du psychanalyste.

C’est dans la mesure où elle converge vers un signifiant qui en émerge,


que la névrose va s’ordonner selon le discours
dont les effets ont produit le sujet : tout parent traumatique est en
somme dans la même position que le psychanalyste.
La différence c’est que :
le psychanalyste, de sa position, reproduit la névrose
26
et que le parent traumatique, lui, la produit innocemment.

Ce dont il s’agit c’est - ce signifiant - de le reproduire à partir de ce qui


d’abord a été son efflorescence.
Faire un « modèle » de la névrose, c’est en somme l’opération du discours
analytique.
Pourquoi ?

Dans la mesure où il y ôte la « cote » de jouissance !


La jouissance exige en effet le privilège : il n’y a pas deux façons d’y
faire pour chacun.
Toute reduplication la tue : elle ne survit qu’à ce que la répétition en soit
vaine, c’est-à-dire toujours la même.

C’est l’introduction du « modèle » qui, cette répétition vaine, l’achève.


Une répétition achevée la dissout, de ce qu’elle soit une répétition
simplifiée.
C’est toujours bien sûr du signifiant que je parle quand je parle du «
yadl’un ».

Pour étendre ce « dl’un » à la mesure de son empire...


puisqu’il est assurément le signifiant-maître
...il faut l’approcher là où on l’a laissé à ses talents, pour le mettre lui,
au pied du mur.

Voilà ce qui rend utile comme incidence, le point où j’en suis arrivé
cette année, n’ayant le choix que de ça « ...Ou pire »,
cette référence mathématique, ainsi appelée parce que c’est l’ordre où
règne le mathème,
c’est-à-dire ce qui produit un savoir qui, de n’être que produit, est lié
aux normes du plus-de-jouir, c’est-à-dire du mesurable.

Un mathème c’est ce qui proprement - et seul - s’enseigne.


Ne s’enseigne que l’Un. Encore faut-il savoir de quoi il s’agit.
27
Et c’est pour ça que cette année, je l’interroge.

Je ne poursuivrai pas plus loin ma lecture, que j’ai lue - je pense -


assez lentement - et qui est assez difficile pour que,
sur chacun de ses termes que j’ai bien épelés, quelques questions
pour vous s’accrochent.
Et c’est pour ça que maintenant, je vais vous parler plus librement.

Il y a quelqu’un, l’autre jour, qui au sortir du dernier truc au Pan-


théon...
il est peut-être là encore
...est venu m’interpeller sur le sujet de savoir « si je croyais à la liberté ».

Je lui ai dit qu’il était drôle, et puis comme je suis toujours assez
fatigué, j’ai rompu avec lui,
mais ça ne veut pas dire que je ne serai pas prêt, là-dessus, à lui faire
personnellement quelques confidences.

Il est un fait que j’en parle rarement.


En sorte que cette question est de son initiative.
Je ne déplorerai pas de savoir pourquoi il me l’a posée.

Ce que je voudrais alors plus librement dire, c’est que faisant allusion
dans cet écrit à ce en quoi,
à ce par quoi je me trouve en position, ce discours analytique, de le
frayer,
c’est bien évidemment en tant que je le considère comme
constituant, au moins en puissance, cette sorte de structure
que je désigne du terme de discours, c’est-à-dire ce par quoi, par l’effet
pur et simple du langage, se précipite un lien social.

On s’est aperçu de ça sans avoir besoin pour autant de la


psychanalyse.
C’est même ce qu’on appelle couramment « idéologie ».
28
La façon dont un discours s’ordonne de façon telle qu’il précipite un
lien social comporte, inversement,
que tout ce qui s’y articule s’ordonne de ses effets.

C’est bien ainsi que j’entends ce que pour vous j’articule du discours de
la psychanalyse :
c’est que s’il n’y avait pas de pratique psychanalytique,
rien de ce que je puis en articuler n’aurait d’effets que je puisse
attendre.

Je n’ai pas dit « n’aurait de sens ».


Le propre du sens c’est d’être toujours confusionnel, c’est-à-dire de faire le
pont, de croire faire le pont, entre
un discours en tant que s’y précipite un lien social,
avec ce qui, d’un autre ordre, provient d’un autre discours.

L’ennuyeux c’est que quand vous procédez, comme je viens de dire


dans cet écrit « qu’il est question de procéder »,
c’est-à-dire de viser d’un discours ce qui y fait fonction de l’Un,
qu’est-ce que je fais en l’occasion ?
Si vous me permettez ce néologisme, je fais de l’unologie. Avec ce que
j’articule n’importe qui peut faire une ontologie,
d’après ce qu’il suppose au-delà justement de ces deux horizons, que
j’ai marquée être définis comme horizons du signifiant.

On peut se mettre, dans le discours universitaire, à reprendre de ma


construction le modèle, en y supposant
en un point arbitraire je ne sais quelle essence qui deviendrait - on ne
sait d’ailleurs pourquoi - la valeur suprême.
C’est tout particulièrement propice à ce qui s’offre au discours
universitaire dans lequel ce dont il s’agit c’est,
selon le diagramme que j’en ai dessiné, de mettre S2 - où ? - à la place
du semblant.
29
Avant qu’un signifiant soit vraiment mis à sa place, c’est-à-dire
justement repéré de l’idéologie pour laquelle il est produit,
il a toujours des effets de circulation. La signification précède dans ses
effets la reconnaissance de sa place, sa place instituante.
Si le discours universitaire se définit de ce que le savoir y soit mis en
position de semblant, c’est ce qui se contrôle, c’est ce qui se confirme
de la nature même de l’enseignement où, qu’est-ce que vous voyez ?

C’est une fausse mise en ordre de ce qui a pu « s’éventailler », si je puis


dire, au cours des siècles, d’ontologies diverses.
Son sommet, son culmen c’est ce qui s’appelle glorieusement L’histoire
de la philosophie, comme si la philosophie n’avait pas...
et c’est amplement démontré
...son ressort dans les aventures et mésaventures du discours du Maître,
qu’il faut bien de temps en temps renouveler.

La cause des chatoiements de la philosophie est, comme c’est


suffisamment affirmé à partir des points d’où justement est sortie la
notion d’idéologie, comme si donc la cause dont il s’agit ne gisait pas
ailleurs.
Mais il est difficile que tout procès d’articulation d’un discours -
surtout s’il ne s’est pas encore repéré –
donne prétexte à un certain nombre de soufflures prématurées de
nouveaux « êtres ».

Je sais bien que tout ça n’est pas facile et qu’il faut quand même...
ce dans la bonne tradition de ce que je fais ici
...que je vous dise des choses plus amusantes.

30
Alors parlons de « L’analyste et l’amour ». L’amour dans l’analyse...
et bien entendu c’est du fait de la position de l’analyste
...l’amour on en parle. Toutes proportions gardées, on n’en parle pas plus
qu’ailleurs, puisqu’après tout l’amour c’est à ça que ça sert.

Ce n’est pas ce qu’il y a de plus réjouissant, mais enfin dans le siècle,


on en parle beaucoup.
Il est même prodigieux - depuis le temps ! - qu’on continue à en
parler, parce qu’enfin depuis le temps,
on aurait pu s’apercevoir que ça ne réussit pas mieux pour autant.

Il est donc clair que c’est en parlant qu’on fait l’amour.


Alors l’analyste, quel est son rôle là-dedans ?
Est-ce que vraiment une analyse peut faire réussir un amour ?
Je dois vous dire, quant à moi... [Rires], que je n’en connais pas
d’exemple. Et pourtant j’ai essayé ! [Rires]

C’était pour moi - bien sûr, parce que je ne suis pas complètement né
des dernières pluies - une gageure.
J’espère que la personne dont il s’agit n’est pas là, j’en suis quasiment
sûr [Rires] !
J’ai pris quelqu’un, Dieu merci, que je savais d’avance avoir besoin
d’une psychanalyse, mais sur la base de cette demande...
vous vous rendez compte de ce que je peux faire comme
saloperies pour vérifier mes affirmations
...sur la base de ceci : qu’il fallait à tout prix qu’il ait le conjugo avec la
dame de son cœur.

Naturellement, bien sûr ça a raté - Dieu merci ! - dans les plus brefs
délais !
Bon, abrégeons, parce que tout ça ce sont des anecdotes.

C’est une autre histoire, mais comme ça, un jour où je serai en veine
et où je me risquerai à faire du La Bruyère,
31
je traiterai la question des rapports de l’amour avec le semblant.
Mais nous ne sommes pas là ce soir pour nous attarder à ces babioles
!

Il s’agit de savoir ceci, sur quoi je reviens parce qu’il me semblait


avoir frayé la chose,
c’est le rapport de tout ça que je suis en train de ré-énoncer, que je
vous rappelle d’une brève touche des vérités d’expérience, c’est de savoir la
fonction dans la psychanalyse, du sexe.

Je pense quand même là-dessus avoir frappé les oreilles, même les
plus sourdes,
par l’énoncé de ceci qui mérite d’être commenté : qu’il n’y a pas de
rapport sexuel.
Bien sûr cela mérite d’être articulé.

Pourquoi est-ce que le psychanalyste s’imagine que ce qui fait le fond de


ce à quoi il se réfère, c’est le sexe ?
Que le sexe ça soit réel, ceci ne fait pas le moindre doute.
Et sa structure même, c’est le duel, le nombre « deux ».

Quoi qu’on en pense, il y en a deux : les hommes, les femmes, dit-on,


et on s’obstine à y ajouter les auvergnats ! [Rires] C’est une erreur ! Au
niveau du réel il n’y a pas d’auvergnats.
Ce dont il s’agit quand il s’agit de sexe c’est de l’autre, de l’autre sexe,
même quand on y préfère le même.

C’est pas parce que j’ai dit tout à l’heure que pour ce qui est de la
réussite d’un amour, l’aide de la psychanalyse est précaire, qu’il faut
croire que le psychanalyste s’en foute, si je puis m’exprimer ainsi.
Que le partenaire en question soit de l’autre sexe et que ce qui est en jeu
ce soit quelque chose qui ait rapport à sa jouissance, parle de l’autre, du
tiers, à propos duquel il est énoncé ce « parlage » autour de l’amour, l

32
e psychanalyste ne saurait y être indifférent, parce que celui qui n’est
pas là, pour lui c’est bien ça le réel.

Cette jouissance-là, celle qui n’est pas en analyse, si vous me permettez


de m’exprimer ainsi, elle fait fonction pour lui de réel.
Ce qu’il a par contre en analyse - c’est-à-dire le sujet - il le prend
pour ce qu’il est, c’est-à-dire pour effet de discours.

Je vous prie de remarquer au passage qu’il ne le subjective pas.


Ça ne veut pas dire que tout ça c’est ses petites idées, mais que
comme sujet il est déterminé par un discours
dont il provient depuis longtemps, et c’est ça qui est analysable.

L’analyste, je précise, n’est nullement nominaliste. Il ne pense pas aux


représentations de son sujet,
mais il a à intervenir dans son discours, en lui procurant un
supplément de signifiant.
C’est ce qu’on appelle l’interprétation.

Pour ce qu’il n’a pas à sa portée, c’est-à-dire ce qui est en question, à


savoir la jouissance de celui qui n’est pas là,
en analyse, il la tient pour ce qu’elle est, c’est-à-dire assurément de
l’ordre du réel, puisqu’il ne peut rien y faire.

Il y a une chose frappante c’est que le sexe comme réel...


je veux dire duel, je veux dire qu’il y en ait deux
...jamais personne, même l’évêque Berkeley, n’a osé énoncer que
c’était une petite idée que chacun avait en tête,
que c’était une représentation. Et c’est bien instructif que dans toute
l’histoire de la philosophie,
jamais personne ne se soit avisé d’étendre jusque là l’idéalisme.

Ce que je viens de vous définir à ce propos c’est ceci :

33
que surtout depuis quelque temps, le sexe, nous avons vu ce que
c’était au microscope...
je ne parle pas des organes sexuels, je parle des gamètes
...rendez-vous compte qu’on manquait de ça jusqu’à Leeuwenhoek et
Swammerdam.

Pour ce qui est du sexe, on en était réduit à penser que le sexe c’était
partout : [55’...]
la nature, le νοῦς [nouss], tout le bastringue, tout ça c’était le sexe... et
les vautours femelles faisaient l’amour avec le vent.3

Le fait que nous sachions d’une façon certaine que le sexe ça se trouve
là :
dans deux petites cellules qui ne se ressemblent pas, de ceci et sous
prétexte du sexe...
bien sûr, depuis bien avant qu’on ait su qu’il y a deux
espèces de gamètes
...au nom de ça le psychanalyste croit qu’il y a rapport sexuel.

On a vu des psychanalystes...
dans la littérature, dans un domaine dont on ne peut pas
dire qu’il soit très filtré
...trouver dans l’intrusion du gamète mâle...
du « spermato » comme on dit, et « zoïde » encore
...dans l’enveloppe de l’ovule, trouver là le modèle de je ne sais quelle
effraction redoutable.

3
Cf. « Dictionnaire de la fable ou mythologie grecque, latine, égyptienne » par François-Joseph-Michel Noël
(1803) :
« Le vautour est employé pour désigner la mère, parce que selon les Égyptiens, il n’y a que des
vautours femelles. Voici, disent-ils, de quelle
manière cet oiseau est engendré : lorsqu’il est en amour, il ouvre au vent du nord les parties
génitales et en est comme fécondé pendant cinq
jours, durant lesquels il ne mange ni ne boit, tout occupé du soin de se reproduire. »

34
Comme s’il y avait le moindre rapport...
entre cette référence qui n’a pas le moindre rapport, si ce n’est
de la plus grossière métaphore,
avec ce dont il s’agit dans la copulation
...comme s’il pouvait y avoir là quoi que ce soit qui se réfère avec ce
qui entre en jeu dans les rapports dits « de l’amour », à savoir - comme
je l’ai dit et tout d’abord - beaucoup de paroles. C’est bien là toute la
question.

Et c’est bien là que l’évolution des formes du discours est pour vous
bien plus indicative dans ce dont il s’agit - c’est d’effets du discours -
bien plus indicative que toute référence à ce qui totalement, même
s’il est sûr que les sexes soient deux,à ce qui totalement reste en
suspens, c’est à savoir si ce que ce discours est capable d’articuler,
comprend
oui ou non, le rapport sexuel. C’est ça qui est digne d’être mis en
question.

Les petites choses que je vous ai déjà écrites au tableau, à savoir :


l’opposition d’un : et d’un /, d’un « il existe » et d’un « non il existe »
au même niveau,
celui d’« il n’est pas vrai que Φx », et d’autre part d’un « tout x est conforme
à la fonction Φx » et de « pas tout » - qui est une
formule nouvelle - « pas tout », et rien de plus, « n’est susceptible » -
dans la colonne de droite - « de satisfaire à la
fonction dite phallique »,
c’est cela autour de quoi...
comme je tâcherai de l’expliquer dans les séminaires qui
vont suivre, c’est-à-dire ailleurs
...c’est cela, c’est-à-dire dans une série de béances qui se trouvent en tous
les points de présumer qu’en fonction
de ces termes - c’est-à-dire ici, ici, ici, ici - des béances diverses, pas
toujours les mêmes,
35
...c’est cela qui mérite d’être pointé pour donner son statut à ce qu’il
en est autour du sujet, du rapport sexuel.

Ceci nous montre assez à quel point le langage trace, dans sa gram-
maire même, les effets dits de sujet,
ceci recouvre assez ce qui s’est découvert d’abord de la logique, pour
que nous puissions dès maintenant nous attacher comme je le fais
depuis quelques-uns de ces appels que je fais, à l’audition d’un
signifiant,
pour que je puisse tenter d’y donner sens, car c’est le seul cas - et pour
cause - où ce terme « sens » soit justifié,
à l’énoncer : « y a d’l’Un ».

Parce qu’il y a une chose qui doit quand même vous apparaître,
c’est que s’il n’y a pas de rapport, c’est que - des deux - chacun reste
un.
L’inouï c’est que les psychanalystes, dont à plus ou moins juste titre
on dénonce la mythologie,
il est drôle que justement celle qu’on manque à dénoncer, soit la plus
à portée de la main.

Quand les gamètes se conjoignent, ce qui en résulte, c’est pas la


fusion des deux.
Avant que ça se réalise il y faut une vache d’évacuation : la méiose
qu’on appelle ça !
Et ce qui est Un, nouveau, ça se fait avec ce que nous pouvons appeler
assez justement...
pourquoi pas, je ne veux pas aller trop loin

36
...je ne dirai pas des débris de chacun d’eux, mais enfin un « chacun d’eux »
qui a lâché un certain nombre de débris.

Trouver - et mon Dieu sous la plume de Freud - l’idée que l’Éros se


fonde...
au subjonctif [donc : fondre] : voyez l’équivoque, mais je ne
vois pas pourquoi
je ne me servirai pas de la langue française, entre fondation
et fusion
...que l’Éros se fonde de faire de l’Un avec les deux, c’est évidemment
une idée étrange,
à partir de laquelle, bien sûr, procède cette idée absolument
exorbitante
qui s’incarne dans la prêcherie à laquelle pourtant le cher Freud
répugne de tout son être...
il nous la lâche de la façon la plus claire dans « L’avenir d’une
illusion »,
dans bien d’autres choses encore, dans bien d’autres
endroits, dans « Malaise dans la civilisation »
...sa répugnance à cette idée de l’amour universel.

Et pourtant la force fondatrice de la vie, de « l’instinct de vie », comme


il s’exprime,
serait tout entière dans cet Éros qui serait principe d’union !

C’est pas seulement pour des raisons didactiques que je voudrais


produire devant vous, sur le sujet de l’Un,
ce qui peut être dit pour contrebattre cette mythologie grossière,
outre qu’elle nous permettra peut-être,
non seulement d’exorciser l’Éros, j’entends l’Éros de doctrine
freudienne, mais la chèreThanatos aussi
avec laquelle on nous emmerde depuis assez longtemps.

37
Et il n’est pas vain à cet endroit, de nous servir de quelque chose
dont ce n’est pas par hasard que c’est venu au jour depuis quelques
temps. J’ai déjà introduit la dernière fois une considération sur ce qui
se repère comme la théorie des ensembles. Bien sûr, ne vous précipitez pas
comme ça !

Pourquoi pas aussi... parce qu’on peut aussi un peu rigoler :


les hommes et les femmes, ils sont « ensemble » eux aussi. Ça ne les
empêche pas d’être chacun de son côté.
Il s’agit de savoir si, sur ce « y a d’l’Un » dont il est question, nous ne
pourrions pas de « l’ensemble »...
d’un « ensemble » bien sûr, qui n’a jamais été fait pour ça
...tirer quelque lumière.

Alors puisqu’ici je fais des ballons d’essai, je propose simplement de


tâcher de voir avec vous ce qui là-dedans peut servir, je ne dirai pas
d’illustration, il s’agit de bien autre chose : il s’agit de ce que le
signifiant a à faire avec l’Un.
Parce que bien sûr l’Un c’est pas d’hier qu’il est surgi.

Mais il est surgi quand même à propos de deux choses tout à fait
différentes :
à propos d’un certain usage des instruments de mesure,
et en même temps de quelque chose qui n’avait absolument aucun
rapport, à savoir de la fonction de l’individu.

L’ individu, c’est Aristote.


Aristote, ces êtres qui se reproduisent, toujours les mêmes, ça le
frappait.
Ça en avait frappé déjà un autre, un nommé Platon, dont à la vérité je
crois que c’est parce qu’il n’avait rien de mieux
à s’offrir pour nous donner l’idée de la forme qu’il en arrivait à
énoncer que la forme est réelle.
Il fallait bien qu’il illustre comme il le pouvait, son idée de « l’Idée ».
38
L’autre [Aristote] bien sûr, fait remarquer que quand même, « la
forme » c’est très joli mais que ce en quoi elle se distingue
c’est ceci : c’est que c’est simplement elle que nous reconnaissons
dans « un certain nombre d’individus qui se ressemblent ».
Nous voilà partis sur des pentes métaphysiques diverses. Ceci ne nous
intéresse à aucun degré, la façon dont l’Un s’illustre :
que ce soit de l’individu
ou que ce soit d’un certain usage pratique de la géométrie.

Quels que soient les perfectionnements que vous puissiez ajouter à la


dite géométrie...
par la considération des proportions, de ce qui se manifeste de
différence
entre la hauteur d’un pieu et celle de son ombre
...Il y a beau temps que nous nous sommes aperçus que l’Un pose
d’autres problèmes,
et ceci pour le simple fait que la mathématique a un tant soit peu
progressé.

Je ne vais pas revenir sur ce que j’ai énoncé la dernière fois, à savoir
sur le calcul différentiel,
les séries trigonométriques et, d’une façon générale, la conception du
nombre comme défini par une séquence.

Ce qui apparaît très clairement, c’est que la question est là posée tout
autrement de ce qu’il en est de l’Un,
parce qu’une séquence ça se caractérise de ceci : que c’est foutu
comme la suite des nombres entiers.
Il s’agit de rendre compte de ce que c’est que le nombre entier.

Je ne vais pas bien sûr vous faire d’énoncé de la théorie des ensembles. Je
veux simplement pointer ceci :

39
que premièrement il a fallu attendre assez tard, la fin du dernier
siècle, ça n’est pas depuis plus de cent ans qu’il
a été tenté de rendre compte de la fonction de l’Un,
qu’il est remarquable que « l’ensemble » se définisse d’une façon telle
que le premier aspect sous
lequel il apparaisse soit celui de « l’ensemble vide », et que d’autre
part ceci constitue un « ensemble », à
savoir celui dont le dit « ensemble vide » [Ø] est le seul élément : ça
fait un « ensemble à un élément ».

C’est de là que nous partons, et la dernière fois...je le dis pour ceux


qui n’y étaient pas au Panthéon, là où j’ai commencé d’aborder ce
sujet glissant - que le fondement de l’Un, de ce fait-là, s’avère être
proprement constitué de la place d’un manque.
Je l’ai illustré grossièrement de l’usage pédagogique dans ce dont il
s’agit de faire entendre de la dite théorie des ensembles, pour faire sentir
que la dite théorie n’a d’autre objet direct que de faire apparaître
comment peut s’engendrer la notion propre de nombre cardinal par la
correspondance biunivoque. Je l’ai illustré la dernière fois : c’est au
moment où manque - dans les deux séries comparées - un partenaire,
que la notion de l’Un surgit : il y en a un qui manque.

Tout ce qui s’est dit du nombre cardinal ressortit de ceci, c’est que si la
suite des nombres comporte toujours nécessairement un,
et un seul, successeur, si pour autant que ce que, dans le cardinal se réalise
- de l’ordre du nombre - ce dont il s’agit :
c’est proprement la suite cardinale en tant que commençant à zéro, elle va
jusqu’au nombre qui précède immédiatement le successeur.

En vous énonçant ainsi - d’une façon improvisée - j’ai fait dans mon
énoncé une petite faute :
celle par exemple de parler d’une suite comme si elle était d’ores et
déjà ordonnée.

40
Retirez ceci que je n’ai point affirmé : c’est simplement que chaque
nombre - cardinalement - correspond au cardinal
qui le précède en y ajoutant l’ensemble vide.

L’important de ce que je voudrais ce soir vous faire sentir, c’est que si


l’Un surgit comme de l’effet du manque,
la considération des ensembles prête à quelque chose, qui je crois est digne
d’être mentionné et que je voudrais mettre en valeur, de la référence
à ceci que la théorie des ensembles a permis de distinguer dans l’ordre de
ce qu’il en est de l’ensemble,
deux types :
l’ensemble fini,
et d’admettre l’ensemble infini.

Dans cet énoncé ce qui caractérise l’ensemble infini est proprement de


pouvoir être posé
comme équivalent à l’un quelconque de ses sous-ensembles. Comme l’avait
déjà remarqué Galilée...
qui n’avait pas pour cela attendu Cantor
...la suite de tous les carrés est en correspondance biunivoque avec
chacun des nombres entiers.
Il n’y a en effet aucune raison jamais de considérer qu’un de ces
carrés serait trop grand pour être dans la suite des entiers.
C’est ceci qui constitue l’ensemble infini, au moyen de quoi on dit qu’il
peut être réflexif.

Par contre, dans ce qu’il en est de l’ensemble fini il est dit, comme étant
sa propriété majeure,
qu’il est propice à ce qui s’exerce dans le raisonnement proprement
mathématique...
c’est-à-dire dans le raisonnement qui s’en sert
...à ce qu’on appelle « l’induction ».

« L’induction » est recevable quand un ensemble est fini.


41
Ce que je voudrais vous faire remarquer, c’est que dans la théorie des
ensembles, il est un point que quant à moi
je considère comme problématique. C’est celui qui relève de ce qu’on
appelle « la non-dénombrabilité des parties »,
entendez par là sous-ensembles, telles qu’elles peuvent se définir à partir
d’un ensemble.

Il est très facile si vous partez de ceci : pour prendre le nombre


cardinal :
vous avez un ensemble composé par exemple de cinq éléments.
Si vous appelez « sous-ensemble » la saisie en 1 ensemble de chacun de
ces cinq éléments,
puis des groupes que forment 2 de ces éléments sur cinq, il vous est facile
de calculer combien ceci fera de sous-ensemble :
il y a en a très exactement dix.
Puis vous les prenez par 3 : il y en aura encore dix.
Puis vous les prenez par 4. Il y en aura cinq.
Et vous arriverez à la fin à l’ensemble en tant qu’il n’y en a qu’un, là
présent, à comprendre 5 éléments. Ce à quoi il
convient d’ajouter l’ensemble vide qui, en tout cas, sans être élément
de l’ensemble, est manifestable comme une de ses parties. Car les
parties, ça n’est pas l’élément.

Ce qui s’en ordonne...


si quelqu’un voulait écrire à ma place au tableau ça me
reposerait
...ceci s’écrit comme ça : 1, 5, 10, 10, 5, 1.

Qu’est-ce qu’il se trouve que nous avons défini comme partie de


l’ensemble ?
L’ensemble vide est là.
Les 5 éléments α, β, γ, δ, ε, par exemple sont là.
Ce qui est ensuite, c’est αβ, αγ, αδ , αε. Vous pouvez en faire autant
à partir de β,
42
vous pouvez le faire à partir de γ, etc. Vous verrez qu’il y en a
10.
Et ensuite ici vous avez (αβγδ) avec le manque d’ε. Et vous pouvez,
en faisant manquer chacune de ces lettres, obtenir le nombre
nécessaire de 5 pour le regroupement comme parties des éléments.

Moyennant quoi vous trouvez, ce qui est certain… il suffirait que je


complète cet énoncé d’un ensemble à cardinal 5
par la suite, qu’on va mettre à côté, qui est celle qui se réfère à un
ensemble à 4 éléments.
Autrement dit, imagez-le d’un tétraèdre. Vous verrez que vous avez
une tétrade :
que vous avez 6 arêtes, que vous avez 4 sommets, que vous avez 4 faces,
et que vous avez aussi l’ensemble vide.

La remarque que je fais, a ceci qui en résulte : je n’ai fait allusion à


l’autre cas que pour montrer que dans les deux cas
« la somme des parties » est égale à 2N, N étant précisément « le nombre
cardinal des éléments de l’ensemble ».
Il ne s’agit pas ici, en quoi que ce soit, de quelque chose qui ébranle
la théorie des ensembles.

Ce qui est énoncé à ce propos de la dénombrabilité, a toutes ses


applications, par exemple dans la remarque
que rien ne change à « la catégorie d’infini d’un ensemble » si en est retirée
une « suite quelconque dénombrable ».
Néanmoins l’apport qui est fait de la non-dénombrabilité, en ceci
qu’assurément et en tout cas,
on ne saurait appliquer sur un ensemble, un ensemble fini, la somme
de ses parties définie telle qu’elle vient de l’être,
est-ce - j’interroge - la meilleure façon d’introduire « la non-
dénombrabilité d’un ensemble infini » ?

Il s’agit d’une introduction didactique.


43
Je le conteste à partir du moment où la propriété de réflexivité telle
qu’elle est affectée à l’ensemble infini
et qui comporte que lui manque l’inductivité caractéristique des
ensembles finis, laisse écrire pourtant, comme j’ai pu le voir en certains
lieux, que « la non-dénombrabilité des parties de l’ensemble fini »
ressortirait - je le souligne - par induction, de ceci que ces parties
s’écriraient comme s’écrit l’ensemble infini des nombres entiers : 2‫א‬0. 4 [soit 2
puissance cardinal de ]

Je le conteste ! Et comment fais-je pour le contester ? Je le


conteste à partir de ceci, c’est qu’il y a quelque artifice,
quand il s’agit des parties de l’ensemble, à les prendre dans leur
échelle dont l’addition donne en effet le 2 puissance N. Mais il est
clair que si vous avez d’un côté : a, b, c, d, e - pour franciser les lettres
grecques que j’ai écrites au tableau, j’avais une raison pour ça - et si
vous y apportez ce qui leur répond :
a, b, c, d, correspondent à e,
a, b, d, e, correspondent à c.

Vous voyez que le nombre des parties, si vous y substituez une


partition, aboutit à une formule qui est très différente, mais dont
vous verrez pourquoi elle m’intéresse : c’est que le nombre, c’est 2N-1.
Je ne puis ici, vu l’heure
et puis le fait qu’après tout ceci n’intéresse pas ici absolument tout le
monde, mais j’aimerais là-dessus, je sollicite...
je sollicite je dois dire comme je le fais d’habitude, d’une
façon désespérée
4
Une classe des ensembles infinis est la classe des ensembles infinis dits
dénombrables (équipotents à ). Une autre classe d’ensembles infinis est la
classe des ensembles
équipotents à qui sont appelés ensembles continus. Se pose alors le
problème de l’hypothèse du continu : existe-t-il un ensemble dont le
cardinal est strictement compris
entre ‫א‬0, qui est le cardinal de , et 2‫א‬0 qui est le cardinal de ?
44
...je sollicite des grammairiens de temps en temps de me donner un
petit tuyau...
ils m’en envoient : c’est toujours les mauvais
...j’ai sollicité des mathématiciens - très nombreux déjà - de me
répondre là-dessus, et à la vérité ils font la sourde oreille.

Il faut vous dire que cette « dénombrabilité des parties de l’ensemble », ils y
tiennent comme la tique à la peau du chien.
Néanmoins, je propose ceci qui a son petit intérêt, je vais droit là à
un but qui va laisser de côté
un point sur lequel j’aimerais finir après, mais je vais droit à un but
qui a son intérêt.

Son intérêt est ceci : c’est que, à substituer à la notion des « parties »
celle de la « partition », il est nécessaire…
de la même façon que nous avons admis que les parties de
l’ensemble infini, ce serait 2‫א‬0 c’est-à-dire le plus petit des
transfinis, celui constitué par l’ensemble, le cardinal de
l’ensemble des entiers[ ]
…au lieu d’avoir 2‫א‬0, nous avons : 2‫א‬0-1.
Je soupçonne que ceci - à quiconque - peut faire sentir ce qu’il y a
d’abusif à supposer la bipartition d’un ensemble infini.

Si, comme la formule en porte elle-même la trace, ce qu’on appelle


« ensemble des parties » aboutit à une formule
qui contient le nombre 2 porté à la puissance [du cardinal] des éléments de
l’ensemble, est-ce qu’il est tout à fait recevable...
et surtout à partir du moment où nous mettons en question
l’induction quand il s’agit de l’ensemble infini
...comment est-il recevable que nous acceptions une formule qui
manifeste aussi clairement qu’il s’agit,
non pas de parties de l’ensemble, mais de sa partition.

45
J’y ajouterai quelque chose qui a bien son intérêt : c’est que ‫א‬0, bien
sûr n’est qu’un index...
index qui n’est pas pris au hasard, et index forgé pour
désigner...
car il y en a toute la série des autres en principe admis, toute
la série des nombres entiers peuvent
servir d’index à ce qu’il en est de l’ensemble en tant qu’il
fonde le transfini
...néanmoins, à partir du moment où ce dont il s’agit c’est la fonction de
la puissance, et qu’il semble que nous ayons abusé de l’induction en nous
permettant d’y trouver test de la non-dénombrabilité des parties de
l’ensemble infini, est-ce que,
à y regarder de près, nous ne trouverions pas ici, à ce zéro, une autre
fonction, celui qu’il a dans la puissance exponentielle, c’est à savoir que
quelque nombre que ce soit, l’exposant zéro quant à ce qui est de la
puissance, l’égale à 1,
quel que soit ce nombre.

Je souligne : un nombre quelconque puissance 1, c’est lui-même [n1=


n], mais un nombre puissance zéro, c’est toujours 1,
pour la raison très simple, c’est qu’un nombre puissance -1, c’est son
inverse. [1/n = n-1, n1. n-1 = n0 = 1]
C’est donc 1 qui sert ici d’élément pivot.

À partir de ce moment la partition de l’ensemble transfini aboutit à ceci, à


savoir que si nous égalons l’aleph zéro dans cette occasion à 1, nous
avons pour ce qu’il en est de la partition de l’ensemble, ce qui paraît
en effet bien recevable, à savoir que la suite des nombres entiers
n’est supportée par rien d’autre que par la réitération de l’1, le 1 sorti
de l’ensemble vide.

C’est de se reproduire qu’il constitue ce que j’ai donné la dernière


fois comme étant au principe manifesté dans

46
« le triangle de Pascal », de ce qu’il en est au niveau du cardinal des
monades, et que derrière les appuis ce que j’ai appelé...
je le dis pour les sourds qui se sont interrogés sur ce que
j’avais dit
...la « nade », c’est-à-dire le 1 en tant qu’il sort de l’ensemble vide, qu’il est
la réitération du manque.

Je souligne très précisément ceci que l’1 dont il s’agit, c’est très
proprement ce à quoi la théorie des ensembles
ne substitue comme réitération, que l’ensemble vide, ce en quoi elle
manifeste - elle, la théorie des ensembles -
la vraie nature de la « nade ».

Ce qui est en effet affirmé au principe de l’ensemble, ceci sous la plume


de Cantor...
certes comme on le dit : « naïve » au moment où elle a frayé cette
voie vraiment sensationnelle
...ce que la plume de Cantor affirme, c’est que pour ce qui est des
éléments de l’ensemble...
ceci veut dire qu’il s’agit de quelque chose d’aussi divers
qu’on le voudra, à cette seule condition
que nous posions chacune de ces choses, qu’il va jusqu’à
dire objets de l’intuition ou de la pensée,
c’est ainsi qu’il s’exprime. Et en effet pourquoi le lui refuser,
ça ne veut rien dire d’autre
que quelque chose d’aussi éternel qu’on voudra
...il est tout à fait clair qu’à partir du moment où on mêle l’intuition
avec la pensée, ce dont il s’agit c’est de signifiants,
ce qui est bien entendu manifesté par le fait que ça s’écrit a, b, c, d.

Mais ce qui est dit, c’est très sûrement proprement ceci : que ce qui
est exclu...
donc dans l’appartenance à un ensemble comme élément
...c’est qu’un élément quelconque soit répété comme tel.
47
C’est donc en tant que distinct que subsiste quelque élément que ce soit d’un
ensemble.

Et pour ce qu’il en est de l’ensemble vide il est affirmé au principe de la


Théorie des Ensembles qu’il ne saurait être qu’1.
Cet 1, « la nade », en tant qu’elle est au principe du surgissement de
l’Un numérique, de l’Un dont est fait le nombre entier,
est donc quelque chose qui se pose comme étant d’origine l’ensemble
vide lui-même.

Cette notion est importante parce que si nous interrogeons cette


structure, c’est dans la mesure où pour nous
dans le discours analytique, l’1 se suggère comme étant au principe de la
répétition, et que donc ici il s’agit justement
de l’espèce d’1 qui se trouve marqué de n’être jamais, dans ce qu’il en
est de la théorie des nombres,
que d’un manque,
que d’un ensemble vide.

Mais il y a, à partir du moment où j’ai introduit cette fonction de la


partition, un point du « triangle de Pascal »
que vous me permettrez d’interroger. Avec les deux colonnes que je
viens de faire,
j’en ai assez pour vous montrer où porte mon point d’interrogation.
Voici ce que j’énonce.

S’il est vrai que nous n’avons comme nombre de partitions que le
nombre qui précédemment était affecté à l’ensemble (n-1),
à l’ensemble dont le nombre cardinal est inférieur d’une unité au
cardinal d’un ensemble, regardez comment, à engendrer à partir de ce

48
nombre qui correspond aux « présumées » parties de l’ensemble que nous
appellerons plus brièvement inférieur, inférieur d’1, comme élément,
pour trouver, comme le triangle de Pascal nous l’a déjà appris, les
parties qui vont composer...
elles se trouveront dans une bipartition
...qui vont composer comme partie, selon le premier énoncé,
l’ensemble supérieur,
nous avons à chaque fois à faire l’addition de ce qui correspond dans
la colonne de gauche aux 2 nombres qui sont situés :
[1)] immédiatement à gauche,
et [2)] au-dessus du premier,
pour obtenir dans l’occasion : ici le chiffre 10, ici le chiffre 4.

Qu’est-ce à dire, si ce n’est que pour obtenir le premier chiffre, celui


des monades de l’ensemble, des éléments,
du nombre cardinal de l’ensemble, c’est uniquement du fait d’avoir, je
dirai : par un abus d’office, mis l’ensemble vide au rang
des éléments monadiques. C’est-à-dire que c’est en additionnant
l’ensemble vide avec chacune des quatre monades
de la colonne précédente que nous obtenons le nombre cardinal des
monades, des éléments, de l’ensemble supérieur.

Essayons maintenant simplement, pour vous rendre la chose figura-


ble, de voir ce que ceci donne sur un schéma.
Et prenons pour être plus simple la colonne encore d’avant, prenons
ici 3 monades et non plus 4.

L’ensemble, nous le figurons de ce cercle. Mais l’ensemble vide, je ne


tiens pas à ce qu’il soit du tout forcément au centre, mais à seulement
le figurer nous l’avons là :

49
Nous avons dit que cet ensemble vide, quand il s’agira de faire
l’ensemble tétradique, cet ensemble vide viendra au rang
des monades du précédent, c’est-à-dire que pour le représenter comme
ceci, par un tétraèdre...
bien entendu, il ne s’agit pas de tétraèdre, il s’agit de
nombres
...si c’est désigné par les lettres grecques α, β, γ, nous aurons ici,
comme 4ème élément à « un élément » dans l’ordre de ces sous-ensembles,
nous aurons l’ensemble vide. Mais il n’en reste pas moins que l’ensemble
vide, au niveau de ce nouvel ensemble, il existe toujours, et que c’est
au niveau de ce nouvel ensemble que ce qui vient d’être extrait de
l’ensemble vide,
nous l’appellerons autrement, et puisque nous avons déjà α, β, γ,
nous l’appellerons δ.

Qu’est-ce que ceci nous conduit à voir ?


C’est qu’au niveau de l’élément des sous-ensembles antépénultième [n-1]
c’est-à-dire pour désigner celui-ci, à savoir celui...
disons, pour rester dans l’intuition des cinq quadrangles
...qu’on peut mettre en évidence dans, disons aussi, un polyèdre à 5
sommets.

Là aussi nous avons à prendre - quoi ? - les 4 triangles de la tétrade.


En tant que quoi ? En tant que dans ces 4 triangles, nous allons
pouvoir faire trois soustractions différentes,
ceci y étant additionné, ce qui le constitue comme ensemble, ou plus
exactement comme sous-ensemble.

Comment pouvons nous avoir notre compte...

50
sauf à ce même niveau, où nous aurions trois sous-ensemble
...d’y ajouter les éléments seuls de l’ensemble, c’est-à-dire α, β, γ, δ,
comme non pris en un ensemble,
c’est-à-dire en tant que définis comme éléments ils ne sont pas des
ensembles,
mais qu’isolés de ce qui les inclut dans l’ensemble ils doivent être
comptés, pour que nous ayons notre compte de quatre,
à fournir la partie du chiffre 5 au niveau de l’ensemble à 5 éléments, il nous
faut faire intervenir les éléments au nombre de 4 comme simplement
juxtaposés, mais non pas pris en un ensemble, « sous-ensemble » à l’occa-
sion, c’est-à-dire quoi ?

Nous apercevoir de ceci, que dans la théorie des ensembles tout élément se
vaut.
Et c’est bien ainsi que peut en être engendrée l’unité.
C’est justement en ce qu’il est dit que le concept de « distinct » et de «
défini » en l’occasion représente ceci,
c’est que « distinct » ne veut dire que « différence radicale » puisque rien ne
peut se ressembler, il n’y a pas d’espèces.
Tout ce qui se distingue de la même façon est le même élément. C’est ceci
que ça veut dire.

Mais qu’est-ce que nous voyons ? Nous voyons ceci : qu’à ne prendre
l’élément que de pure différence, nous pouvons
le voir aussi comme mêmeté de cette différence, je veux dire pour
l’illustrer, qu’un élément dans la théorie des ensembles...
comme c’était déjà démontré à la deuxième ligne
...est tout à fait équivalent à un ensemble vide, puisque l’ensemble vide
peut aussi jouer comme élément.
Tout ce qui se définit comme élément est équivalent de l’ensemble vide.

Mais à prendre cette équivalence, cette « mêmeté de la différence absolue »,


à la prendre comme isolable...

51
et ceci non prise dans cette inclusion ensembliste, si je puis dire,
qui la ferait sous-ensemble
...ça veut dire que la mêmeté comme telle est, en un point, comptée !

Ceci me paraît d’une extrême importance, et très précisément par


exemple, au niveau du jeu platonicien qui fait de la similitude une idée
de substance, dans la perspective réaliste, un universel en tant que cet
universel est la réalité.

Ce que nous voyons, c’est qu’il n’est pas du même niveau, et c’est à ça
que j’ai fait allusion dans mon dernier discours
du Panthéon, ce n’est pas au même niveau que l’idée de semblable
s’introduit.
La mêmeté des éléments de l’ensemble est comme telle comptée comme
jouant son rôle dans les parties de l’ensemble.

La chose a certainement pour nous son importance, puisque de quoi


s’agit-il au niveau de la théorie analytique ?
La théorie analytique voit pointer l’Un à deux de ses niveaux. L’Un est
l’Un qui se répète.
Il est au fondement de cette incidence majeure dans le parler de
l’analysant, qu’il dénonce d’une certaine répétition,
eu égard - à quoi ? - à une structure signifiante.

Quel est d’autre part...


à considérer le schéma que j’ai donné du discours analytique
...ce qui se produit de la mise en place du sujet au niveau de « la
jouissance de parler » ?

52
Ce qui se produit et ce que je désigne à l’étage dit du plus-de-jouir, c’est
S 1,
c’est-à-dire une production signifiante que je propose...
quitte à me donner le devoir de vous en faire sentir
l’incidence
...que je propose de reconnaître dans ce qu’il en est de quoi ?

Qu’est-ce que « la mêmeté de la différence » ?


Qu’est-ce que veut dire que quelque chose que nous désignons dans le
signifiant par des lettres diverses, c’est les-mêmes ?
Que peut vouloir dire « les-mêmes » , si ce n’est justement que c’est
unique, à
partir même de l’hypothèse dont part, dans la théorie des ensembles,
la fonction de l’élément ?

L’Un dont il s’agit...


celui que produit le sujet, disons « point idéal » dans l’analyse
...c’est très précisément, au contraire de ce dont il s’agit dans la
répétition,
l’Un comme un seul,
l’Un en tant que - quelle que soit quelque différence qui existe -
toutes les différences se valent : il n’y
en a qu’une, c’est la différence.

C’est ceci sur lequel je voulais ce soir achever ce discours, outre que
l’heure et ma fatigue m’en pressent incidemment.
L’illustration de cette fonction du S1 telle que je l’ai mise dans la
formule statuante du discours analytique,
je la donnerai dans les séances qui viendront.

53
1972.05.10. …Ou pire. Leçon 9
Séminaire : Panthéon-Sorbonne
Il m’est difficile de vous frayer la voie dans un discours qui ne vous
intéresse pas tous.
Je vais dire comme « pas tous » et même j’ajoute : que comme « pas
tous ».
Une chose est évidente, c’est le caractère clé dans la pensée de
Freud, du « tous ».

La notion de foule qu’il hérite de cet imbécile qui s’appelait


Gustave Le Bon lui sert à entifier ce tous.
Il n’est pas étonnant qu’il y découvre la nécessité d’un « il existe »
dont, à cette occasion,
il ne voit que l’aspect qu’il traduit comme « le trait unaire », der
einziger Zug.

Le trait unaire n’a rien à faire avec l’« Yad’lun » que j’essaie de serrer
cette année au titre qu’il n’y a pas mieux à faire,
ce que j’exprime par : …ou pire, dont ce n’est donc pas pour rien
que j’ai dit le dire adverbialement.
J’indique tout de suite, le trait unaire est ce dont se marque la répéti-
tion comme telle.
La répétition ne fonde aucun « tous » ni n’identifie rien, parce que
tautologiquement, si je puis dire, il ne peut pas y en avoir de 1ère.

C’est en quoi toute cette psychologie de quelque chose qu’on


traduit par « des foules » : « psychologie des foules »,
loupe ce qu’il s’agirait d’y voir avec un peu plus de chance, la nature
du « pas tous » qui la fonde,
nature qui est celle justement de « la femme » à mettre entre
guillemets, qui pour le père Freud a constitué jusqu’à la fin
le problème, problème de « ce qu’elle veut ». Je vous ai déjà parlé de
ça.

54
Mais revenons à ce que j’essaie cette année de filer pour vous.
N’importe quoi - c’est vrai - peut servir à écrire l’ 1de répétition.
Ce n’est pas qu’il ne soit rien, c’est qu’il s’écrit avec n’importe quoi
pour peu que ça soit facile à répéter en figures.

Rien de plus facile à figurer...


pour l’être qui se trouve en charge de faire que dans le langage, ça
parle
...rien de plus facile à figurer que ce qu’il est fait pour reproduire
naturellement, à savoir, comme on dit, son semblable ou son type.
Non pas qu’il sache d’origine faire sa figure, mais elle le marque, et
ça il peut lui rendre,
lui rendre la marque qui justement est le trait unaire.

Le trait unaire est le support de ce dont je suis parti sous le nom de


stade du miroir, c’est-à-dire l’identification imaginaire.

Mais non seulement ce pointage d’un support typique c’est-à-dire


imaginaire...
la marque comme telle, le trait unaire
...ne constitue pas un jugement de valeur, comme il m’est revenu -
on l’a dit - que je faisais, jugement de valeur du type :
imaginaire : « caca !
symbolique : miam ! miam ! ».

Mais tout ce que j’ai dit, écrit, inscrit, dans les graphes, schématisé
dans le modèle optique à l’occasion,
où le sujet se réfléchit dans le trait unaire, et où c’est seulement à
partir de là qu’il se repère comme moi-idéal,
tout cela insiste justement sur ce que l’identification imaginaire s’opère
par une marque symbolique.

55
De sorte que, qui dénonce ce manichéisme : « le jugement de valeur, pouah
! », dans ma doctrine, démontre seulement ce qu’il est, pour m’avoir
entendu ainsi depuis le début de mon discours dont il est pourtant
contemporain.
Un porc, pour se dresser sur ses pattes et faire le porc debout, n’en
reste pas moins le porc qu’il était de souche,
mais il n’y a que lui pour s’imaginer qu’on s’en souvient.

Pour revenir à Freud dont je n’ai fait là que commenter la fonction


qu’il a introduite sous le nom de narcissisme,
c’est bien de l’erreur qu’il a commise en liant le moi sans relais à sa
Massenpsychologie que relève l’incroyable de l’institution
dont il a projeté ce qu’il appelle « l’économie du psychisme », c’est à
savoir l’organisation à quoi il a cru devoir confier
la relance de sa doctrine. Il l’a voulue telle pourquoi ? Pour
constituer la garde d’un noyau de vérité.

C’est ainsi que Freud l’a pensé et c’est bien ainsi aussi que ceux qui
s’avèrent être les fruits de cette conception s’expriment pour -
même s’ils déclarent modeste ce noyau - s’en attirer la
considération.
Ce qui, du point où les choses en sont maintenant dans l’opinion,
est comique.
Il suffit pour le faire apparaître d’indiquer ce qu’implique cette
sorte de garant : une école de sagesse.
Voilà comment, de toujours, on aurait appelé ça. L’est-ce ? Point
d’interrogation.
56
La sagesse...
comme il apparaît du livre même de la patience…[lapsus] de la
sapience qu’est l’« Ecclésiaste »
...c’est quoi ? C’est, comme il est dit là clairement, c’est le savoir de la
jouissance.

Tout ce qui se pose comme tel se caractérise comme ésotérisme et


l’on peut dire que il n’y a pas de religion
- hors la chrétienne - qui ne s’en pare, avec les deux sens du mot.

Dans toutes les religions...


la bouddhique et aussi bien la mahométane, sans compter les autres
...il y a cette parure et cette façon de se parer, je veux dire de
marquer la place de ce savoir de la jouissance.
Ai-je besoin d’évoquer les tantras pour l’une de ces religions, les soufis
pour l’autre ?

C’est ce dont s’habilitent aussi les philosophies présocratiques et


c’est ce avec quoi rompt Socrate,
qui y substitue - et l’on peut dire nommément - la relation à
l’objet(a), qui n’est rien d’autre que ce qu’il appelle « âme ».
L’opération s’illustre suffisamment du partenaire qui lui est donné
dans le « Banquet » sous l’espèce parfaitement historique
d’Alcibiade, autrement dit de la frénésie sexuelle, à quoi aboutit
normalement le discours du maître,
si je puis dire absolu, c’est-à-dire qui ne produit rien que la castration
symbolique.

Je rappelle « la mutilation des Hermès », je l’ai fait en son temps quand


de ce « Banquet » je me suis servi pour articuler le transfert.
Le savoir de la jouissance à partir de Socrate ne survivra plus qu’en
marge de la civilisation,

57
non bien entendu sans qu’elle en ressente ce que Freud appelle
pudiquement son « malaise ».

Un dingue de temps en temps mugit à s’y retrouver, dans le fil de


cette subversion.
Ça ne fait date qu’à ce qu’il soit capable de la faire entendre dans le
discours même qui a produit ce savoir...
le discours chrétien, pour mettre les points sur les i
...puisque, n’en doutons pas, c’est l’héritier du discours socratique.

C’est le discours du maître « up to date », du maître dernier modèle et


des petites filles modèles-modèles 5 qui sont sa progéniture. On m’assure
que dans ce genre, celui que j’appelle le « modèle-modèle »...
qui maintenant se pare d’initiales diverses mais qui commencent
toujours par « M »
...il en vient ici à la pelle.

Je le sais parce qu’on me le dit. Car moi d’où je suis, il ne me suffit


pas pour les voir de vous regarder,
parce que justement de départ elles ne sont « pas toutes » modèles-
modèles. Oui, remarquons-le.

Ça fait de l’effet évidemment, quand cette remarque qu’il y a eu


subversion, et j’ai dit que ça fait date,
c’est un Nietzsche qui la profère. Je fais simplement remarquer qu’il
ne peut la proférer - je veux dire se faire entendre –
qu’à l’articuler dans le seul discours audible, c’est-à-dire celui qui
détermine le maître up to date, comme sa descendance.

Tout ce beau monde s’en régale, naturellement, mais ça n’y change


rien.

5
Allusion aux mouvements féministes et particulièrement ici au MLF
(cf. « mais qui commencent toujours par M »)
58
Tout ce qui s’est produit en fait partie depuis le départ, et bien
entendu que les initiales elles-mêmes,
dont il était tout à l’heure question, y soient aussi depuis le départ,
ne se découvre que nachträdglich.
Je ne crois pas inutile de marquer ici que le « pas tous » vient de glisser
comme il est naturel en « pas toutes ». C’est fait pour ça.

Tout le bla-bla dont je ne produis aujourd’hui qu’on peut pointer


quelque mouvement dans l’émergence du discours,
qu’à marquer que le sens en reste problématique, notamment de ce
qu’il ne faut pas entendre dans ce que je viens de dire,
à savoir un sens de l’histoire, puisque comme tout autre sens il ne
s’éclaire que de ce qui arrive,
et que ce qui arrive ne dépend que de la « fortune ».

Pourtant ceci ne veut pas dire qu’il ne soit pas calculable. À partir
de quoi ? De l’1 qu’on y trouve.
Seulement, il ne faut pas se tromper sur ce qu’on trouve d’1. Ce
n’est jamais celui qu’on cherche.
C’est pourquoi, comme je l’ai dit après un autre qui est dans mon
cas : « Je ne cherche pas - qu’il a dit - je trouve 6 »,
la manière, la seule, de ne pas se tromper c’est, à partir de la
trouvaille, de s’interroger sur ce qu’il y avait
- si on l’avait voulu - à chercher.

Qu’est-ce que la formule dont j’ai un jour articulé le transfert ?


Ce - depuis fameux – « sujet supposé savoir », mes artefacts d’écriture
y démontrent un pléonasme.
On y peut écrire sujet de : S, ce qui rappelle qu’un sujet n’est jamais
qu’un supposé, ὑποχείμενον [upokeimenon],
je n’use de la redondance qu’à partir de la surdité de l’Autre.

6
Pablo Picasso : « Le désir attrapé par la queue », Paris, Gallimard, 1995.
59
Il est clair que c’est le savoir qui est supposé et personne ne s’y est
jamais trompé. Supposé à qui ?
Certainement pas à l’analyste mais à sa position. Ce sur quoi on peut
consulter mes séminaires, car c’est bien ce qui frappe à les relire,
pas de bavures, à la différence de mes « Écrits ». Ouais c’est comme
ça ! C’est parce que j’écris vite.
Je me l’étais jamais dit. Mais je m’en suis aperçu parce qu’il est
arrivé que je parle récemment à quelqu’un.

Je l’ai fait depuis la dernière fois où certains d’entre vous m’ont


entendu à Sainte-Anne. J’ai avancé des choses
à partir de la théorie des ensembles, ici invoquée pour mettre en
question cet Un dont je parlais tout à l’heure, à l’instant.
Je prends toujours mes risques, on ne peut pas dire que cette fois-
là, je les ai pas pris avec tout l’humour nécessaire.

2 1- 0‫א‬, deux puissance aleph indice zéro, moins un.


Je crois vous avoir suffisamment souligné la différence qu’il y a de
l’indice... [lapsus] de l’index 0 à la fonction du 0
quand elle est utilisée dans une échelle exponentielle.

Bien sûr ce n’est pas dire que je n’aie chatouillé là la sensibilité de


mathématiciens qui pouvaient être ce soir-là
dans mon auditoire. Ce que je voulais dire...
et attendant que quelque chose m’en revienne, c’était une
interpellation
...ce que je voulais dire c’est que, soustrait l’1, tout cet édifice des
nombres devrait...
à l’entendre comme produit d’une opération logique,
nommément celle qui procède de la position du 0 et de la définition
du successeur
...se défaire de toute la chaîne, jusqu’à revenir à son départ.

60
Il est curieux qu’il m’ait fallu convoquer expressément quelqu’un
pour que de sa bouche je retrouve le bien-fondé
de ce qu’aussi la dernière fois j’ai énoncé, à savoir que ceci
comporte non pas seulement l’1 qui se produit du 0
mais un autre, que comme tel j’ai marqué repérable dans la chaîne,
du passage d’un nombre à l’autre
quand il s’agit de compter ses parties. C’est là-dessus que j’espère
conclure.

Mais dès maintenant je me contente de noter que la personne qui


ainsi me confirmait...
c’est elle qui dans une dédicace qu’elle m’a fait l’honneur de me faire
à propos d’un article où elle-même s’était énoncée
...que j’écrivais vite. Ça ne m’était pas venu à l’idée parce que ce que
j’écris, je le refais dix fois,
mais c’est vrai que la dixième fois, je l’écris très vite.

C’est pour ça qu’il y reste des bavures, parce que c’est un texte.
Un texte, comme le nom l’indique, ça ne peut se tisser qu’à faire des
nœuds.
Quand on fait des nœuds, il y a quelque chose qui reste et qui pend.

Je m’en excuse, je n’ai jamais écrit que pour les gens censés m’avoir
entendu et quand, par exception, j’écrivais d’abord
- le rapport du congrès par exemple - je n’y ai jamais donné qu’un
discours sur mon rapport. Qu’on consulte ce que j’ai dit
à Rome, pour le congrès ainsi nommé, j’ai fait le rapport écrit qu’on
sait et ça a été publié en son temps,
ce que j’ai dit je ne l’ai pas repris dans mon écrit mais on y sera
certainement plus à l’aise que dans le rapport lui-même.

Ceux pour qui donc, en somme, j’avais fait ce travail de reprise


logique, ce travail qui part du Discours de Rome,

61
dès qu’ils abandonnent la ligne critique qui en résulte, de ce travail,
pour retourner aux « êtres »...
dont je démontre précisément que ce discours doit s’abstenir
...pour retourner à ces « êtres » et en faire le support du discours de
l’analysant, ne font que revenir au bavardage.
C’est pourquoi ceux-là même qui ont pris le large de ce discours -
aussitôt dit, aussitôt fait ! -
en ont complètement perdu le sens.
C’est bien pourquoi, à propos de mon « sujet supposé savoir », il s’est
trouvé, enfin qu’ils émettent,
voire qu’ils impriment noir sur blanc, ce qui est plus fort...
justement à s’apercevoir de décoller de ce où je les conduisais, de la
ligne où je les maintenais
...qu’ils ne savaient plus rien. À partir de quoi je le répète, ils ont été
à dire qu’à le supposer ce savoir,
à la position de l’analyste, « c’est très vilain », parce que c’est dire que
l’analyste fait semblant.

Il n’y a à ça qu’une petite paille que j’ai déjà pointée tout à l’heure,
c’est que l’analyste ne fait pas semblant, il occupe...
il occupe avec quoi : c’est ce que je laisse à y revenir
...il occupe la position du semblant. Il l’occupe légitimement parce que,
par rapport à la jouissance...
à la jouissance telle qu’ils ont à la saisir dans les propos de celui qu’au
titre d’analysant,
ils cautionnent dans son énonciation de sujet
...il n’y a pas d’autre position tenable, qu’il n’y a que de là que s’aperçoit
jusqu’où la jouissance de cette énonciation autorisée, peut se mener
sans dégâts trop notoires.

Mais le semblant ne se nourrit pas de la jouissance...


qu’il bafouerait, au dire de ceux qui reviennent au discours de
l’ornière

62
...il donne, ce semblant, à autre chose que lui-même, son porte-voix
et justement de se montrer comme masque...
je dis ouvertement porté, comme dans la scène grecque
...le semblant prend effet d’être manifeste : quand l’acteur porte le
masque, son visage ne grimace pas, il n’est pas réaliste.

Le πάθος [pathos] est réservé au « Chœur » qui s’en donne - c’est le


cas de le dire - à cœur joie. Et pourquoi ?
Pour que le spectateur - je dis celui de la scène antique - y trouve
son plus-de-jouir communautaire, à lui.
C’est bien ce qui fait pour nous le prix du cinéma. Là le masque est
autre chose, c’est l’irréel de la projection.

Mais revenons à nous. C’est de donner voix à quelque chose, que


l’analyste peut démontrer que cette référence à la scène grecque est
opportune. Car qu’est-ce qu’il fait, d’occuper comme telle cette
position du semblant ? Rien d’autre que
de démontrer justement, de le pouvoir démontrer, que la terreur
ressentie du désir dont s’organise la névrose,
ce qu’on appelle défense, n’est - au regard de ce qui s’y produit de
travail en pure perte - que conjuration à faire pitié.

Vous retrouvez aux deux bouts de cette phrase ce qu’Aristote


désigne de l’effet de la tragédie sur l’auditeur.
Et où ai-je dit que le savoir dont procède cette voix soit de semblant ?
Doit-elle même le paraître ? Prendre un ton inspiré ?

Rien de pareil, ni l’air ni la chanson du semblant ne lui conviennent,


à l’analyste.
Seulement voilà, comme il est clair que ce savoir n’est pas l’ésotérique de
la jouissance, ni seulement le savoir-faire de la grimace, il faut se
résoudre à parler de la vérité comme position fondamentale, même
si de cette vérité on ne sait pas tout,

63
puisque je la définis par son mi-dire, par le fait qu’elle ne peut plus
que se mi-dire.

Mais qu’est-ce alors que le savoir qui s’assure de la vérité ?


Il n’est rien que ce qui provient de la notation qui résulte du fait de
la poser à partir du signifiant
- maintien assez rude à soutenir - mais qui se confirme de fournir
un savoir non-initiatique parce que procédant
- n’en déplaise à quelqu’un - du sujet [S] qu’un discours [U] assujettit
comme tel à la production :

Ce sujet, qu’il se trouve des mathématiciens pour qualifier de créatif


et à préciser que c’est bien de sujet qu’il s’agit,
ce qui se recoupe de ce que le sujet, dans ma logique, s’exténue à se
produire comme effet de signifiant,
bien entendu en en restant aussi distinct qu’un nombre réel d’une
suite dont la convergence est assurée rationnellement.

Dire « savoir non-initiatique », c’est dire savoir qui s’enseigne par


d’autres voix que celles, directes, de la jouissance,
lesquelles sont toutes conditionnées de l’échec fondateur de la
jouissance sexuelle.
Je veux dire de ce par où la jouissance constitutive de l’être parlant se
démarque de la jouissance sexuelle.

Séparation et démarquage dont certes l’efflorescence est courte et


limitée, et c’est pourquoi on en a pu faire le catalogue, précisément

64
à partir du discours analytique dans la liste parfaitement finie des
pulsions.
Sa finitude est connexe de l’impossibilité qui se démontre dans le
questionnement véritable du rapport sexuel comme tel.
Plus exactement, c’est dans la pratique même du rapport sexuel que
s’affirme le lien que nous promouvons
- nous, comme êtres parlants - promouvons partout ailleurs, de
l’impossible et du réel.
À savoir que le réel n’a pas d’autre attestation.

Toute réalité est suspecte d’être, non pas imaginaire comme on me


l’impute...
car à la vérité il est assez patent que l’imaginaire
tel qu’il surgit de l’éthologie animale, c’est une articulation du Réel
...ce que nous avons à suspecter de toute réalité, c’est qu’elle soit
fantasmatique.

Et ce qui permet d’y échapper c’est qu’une impossibilité...


dans la formule symbolique qu’il nous est permis d’en tirer
...en démontre le réel, et dont ce n’est pas pour rien qu’ici pour
désigner le symbolique en question, on se servira du mot terme.

L’amour, après tout, pourrait être pris pour l’objet d’une


phénoménologie.
L’expression littéraire de ce qui en est émis est assez profuse pour
qu’on puisse présumer qu’on en pourrait tirer quelque chose.

C’est tout de même curieux que, mis à part quelques auteurs,


Stendhal, Baudelaire...
et laissons tomber la phénoménologie amoureuse du surréalisme
dont le moralisme coupe les bras, c’est le cas de le dire
...il est curieux que cette expression littéraire soit si courte, pour
qu’il ne puisse même pas nous en apparaître

65
que la seule chose qui nous intéresserait c’est l’étrangeté, et que si
ceci suffit à désigner tout ce qui s’en inscrit
dans le roman du XIXème siècle, pour tout ce qui est d’avant c’est le
contraire.

C’est - reportez-vous à L’Astrée, qui pour les contemporains n’était


pas rien - c’est que nous y comprenons si peu
ce qu’elle pouvait être justement pour les contemporains, que nous
n’en ressentons plus qu’ennui.
De sorte que cette phénoménologie, il nous est bien difficile de la
faire et qu’à reprendre ce qui y ferait inventaire,
on ne puisse en déduire d’autre chose que la misère de ce sur quoi
elle s’appuie.

La psychanalyse, elle, est partie là-dedans en toute innocence.


Bien entendu c’est pas très gai ce qu’elle a rencontré d’abord.

Il faut reconnaître qu’elle ne s’y est pas limitée, et ce qui lui en reste
de ce qu’elle a frayé d’abord d’exemplaire,
c’est ce modèle d’amour en tant qu’il est donné par les soins donnés
de la mère au fils,
à ce qui s’inscrit encore dans le caractère chinois hǎo, qui veut dire
« le bien », ou ce qui est bien.
C’est rien d’autre que ça : qui veut dire « le fils », tseu, et ça nǚ : qui
veut dire la femme.

好子女
hǎo tseu nǚ

À étendre ça de la fille chérissant le père sénile, et même à ce à quoi


je fais allusion à la fin de ma « Subversion du sujet »,
à savoir au mineur que sa femme frictionne avant qu’il la baise,
c’est pas ça qui nous éclairera beaucoup le rapport sexuel.
66
Le savoir sur la vérité est utile à l’analyste pour autant qu’il lui permet
d’élargir un peu son rapport à ces effets de sujet justement, et dont j’ai
dit qu’il les cautionne en laissant le champ libre au discours de
l’analysant.

Que l’analyste doive comprendre le discours de l’analysant, ça


semble en effet préférable.
Mais savoir d’où, est une question qui ne semble pas s’imposer aux
yeux,
de la seule notation de ce qu’il lui faille être dans le discours [A] à
occuper la position du semblant.

Il faut bien sûr accentuer que c’est en tant que (a) que cette
position du semblant, il l’occupe.
L’analyste ne peut rien comprendre sinon au titre de ce que dit
l’analysant,
à savoir de se voir, non comme cause mais effet de ce discours, ce qui ne
l’empêche pas en droit de s’y reconnaître.
Et c’est pour cela qu’il vaut mieux qu’il soit passé par là, dans
l’analyse didactique,
qui ne peut être sûre qu’à n’avoir pas été engagée à ce titre.

Il y a une face du savoir sur la vérité qui prend sa force d’en négliger
totalement le contenu,
d’asséner que l’articulation signifiante est tellement son lieu et son
heure que quelque chose qui n’est rien que cette articulation, dont la
monstration au sens passif se trouve prendre un sens actif et
s’imposer comme démonstration à l’être,
à l’être parlant qui ne peut faire à cette occasion que de reconnaître
- le signifiant - non seulement l’habiter,
mais n’en être rien que la marque.

Car la liberté de choisir ses axiomes, c’est-à-dire le départ choisi


pour cette démonstration,
67
ne consiste qu’à en subir - comme sujet - les conséquences qui
elles, ne sont pas libres.
À partir seulement de ceci que la vérité peut se construire à partir
seulement de 0 et 1, ce qui s’est fait seulement
au début du dernier siècle, quelque part entre Boole et Morgan,
avec l’émergence de la logique mathématique.

En quoi il ne faut pas croire que 0 et 1 ici notent l’opposition de la


vérité et de l’erreur.
C’est la révélation qui ne prend sa valeur que « nachträglich », par
Frege et Cantor,
de ce que ce 0, dit de l’erreur, qui encombrait les Stoïciens, pour qui
c’était ça, et que ça conduisait
à cette charmante folie de l’implication matérielle dont ce n’est pas
pour rien qu’elle était refusée par certains,
de ce qu’elle pose que l’implication est véritable qui fait résulter la
vérité formulée de l’erreur formulée.

L’erreur impliquant la vérité est une implication vraie. Il n’est rien de


pareil dans la position de ceci :
(0 → 1) → 1 avec la logique mathématique. Que « 0 implique 1 » est
une implication notable de 1, c’est-à-dire du vrai.
0 a tout autant de valeur véridique que 1, parce que 0 n’est pas la
négation de la vérité 1, mais la vérité du manque
qui consiste en ce qu’à 2, il en manque 1. Ce qui veut dire, sur le
seul plan de la vérité, que la vérité ne puisse parler
qu’à s’affirmer à l’occasion, comme ça s’est fait pendant des siècles,
être la double vérité, mais jamais à être la vérité complète.

0 n’est pas la négation de quoi que ce soit - notamment d’aucune mul-


titude - il joue son rôle dans l’édification du nombre.
Il est tout à fait arrangeant, comme chacun sait. S’il n’y avait que
des 0, comme on se la coulerait douce !

68
Mais ce qu’il indique, c’est que quand il faudrait qu’il y en ait 2, il
n’y en a jamais qu’1, et ça, c’est une vérité.
0 implique 1, le tout impliquant 1 [(0 → 1) → 1], est à prendre non
comme le faux impliquant le vrai, mais comme deux vrais, l’un
impliquant l’autre. Mais aussi d’affirmer que le vrai ne soit jamais
qu’à manquer de son partenaire.

La seule chose à quoi le 0 s’oppose, mais résolument, c’est à avoir


une relation à 1 telle que 2 puisse en résulter.
Il n’est pas vrai - ce que je marque de la barre qui convient - que 0
impliquant 1, implique 2.

Comment donc saisir ce qu’il en est de ce 2, sans quoi il est clair


que ne peut se construire aucun nombre ?
Je n’ai pas parlé de les numérer, mais de les construire.

C’est bien pour ça que la dernière fois je vous ai mené jusqu’à


l’aleph [‫]א‬, c’était pour au passage vous faire sentir
que dans la génération d’un nombre cardinal à l’autre, dans le
comptage des sous-ensembles,
quelque chose quelque part se compte comme tel qui est un autre Un,
ce que j’ai marqué du triangle de Pascal,
en faisant remarquer que chaque chiffre qui se trouve, à droite,
marquer le nombre des parties,
se fait de l’addition de ce qui y correspond comme parties dans
l’ensemble précédent.

C’est ce 1, ce 1 que j’ai caractérisé quand il s’agit du 3 par exemple,


à savoir l’ab opposé au c, et du ba qui vient de même. Pour qu’il y
69
en ait 4, il faut qu’à l’ab, au ba, à l’ac, il y ait l’abc, la juxtaposition des
éléments de l’ensemble précédent,
leur juxtaposition comme telle, qui vienne en compte au seul titre
de 1.

C’est ce que j’ai appelé « la mêmeté de la différence ». Parce que c’est en


tant que rien d’autre dans leur propriété
n’est que d’être différence, que les éléments qui viennent ici
supporter les sous-ensembles, que ces éléments sont comptés
eux-mêmes dans la génération des parties qui vont suivre.
J’insiste, ce qui est en question c’est ce dont il s’agit quant au
dénombré, c’est « l’Un en plus » en tant qu’il se compte comme tel
dans le dénombré, dans l’aleph [‫ ]א‬de ses parties à chaque passage
d’un nombre à son successeur.

C’est de se compter comme tel de la différence comme propriété,


que la multiplication qui s’exprime dans l’exponentielle 2n-1 des
parties de l’ensemble supérieur, de sa bipartition, que s’avère dans l’aleph
[‫ ]א‬- quoi ? - à être mis à l’épreuve du dénombrable.
Que c’est là que se révèle en tant que d’un Un, de l’Un qu’il s’agit,
c’est d’un autre qu’il s’agit, que ce qui se constitue
à partir de l’1 et du 0 comme inaccessibilité du 2 ne se livre qu’au
niveau de l’aleph zéro [0‫ ]א‬c’est à dire de l’infini actuel.

Je vais pour terminer, vous le faire sentir, et sous une forme tout à
fait simple qui est celle-ci :
de ce qu’on peut dire quant à ce qu’il en est des entiers concernant
une propriété qui serait celle de l’accessibilité.

70
Définissons là de ceci : qu’un nombre est accessible de pouvoir être
produit
soit comme somme,
soit comme exponentiation,
des nombres qui sont plus petits que lui.

À ce titre, le début des nombres se confirme de n’être pas


accessible et très précisément jusqu’à 2.
La chose nous intéresse tout spécialement quant à ce 2, puisque du
rapport de l’1 à 0, j’ai suffisamment souligné
que l’1 s’engendre de ce que le 0 marque de manque.

Avec 0 et 1, que vous les additionniez, ou que vous les mettiez l’un à l’autre
- voire l’un à lui-même - dans une relation exponentielle, jamais le 2 ne
s’atteint. Le nombre 2 au sens où je viens de le poser, qu’il puisse
d’une sommation ou d’une exponentiation s’engendrer des nombres
plus petits, le test s’avère négatif : il n’y a pas de 2 qui s’engendre au
moyen du 1 et du 0.

Une remarque de Gödel est ici éclairante :


c’est très précisément que l’aleph zéro [0‫]א‬, à savoir l’infini actuel, est
ce qui se trouve réaliser le même cas.
Alors que pour tout ce qu’il en est des nombres entiers à partir de
2, commencez à 3 :
3 se fait avec 1 et 2,
4 peut se faire d’un 2 mis à sa propre exponentiation,
et ainsi de suite,
il n’y a pas un nombre qui ne puisse se réaliser par une de ces deux
opérations à partir des nombres plus petits que lui. C’est précisément
ce qui fait défaut et ce en quoi au niveau de l’aleph zéro [0‫ ]א‬se
reproduit cette faille que j’appelle de l’inaccessibilité.

Il n’y a proprement aucun nombre qui...

71
qu’on s’en serve à en faire l’addition indéfinie, voire avec tous ses
successeurs,
ni non plus à le porter à un exposant aussi grand que vous voudrez
...qui jamais accède à l’aleph.

Il est singulier...
et ceci est ce qu’aujourd’hui je dois laisser de côté,
quitte à le reprendre si ça intéresse quelques-uns, dans un cercle
plus étroit
...il est tout à fait frappant que de la construction de Cantor,
il résulte qu’il n’y a pas d’aleph qui, à partir de l’aleph zéro [0‫]א‬, ne
puisse être tenu pour accessible.

Il n’est pas moins vrai que, de l’avis de ceux qui ont fait progresser
cette difficulté de la théorie des ensembles,
c’est seulement de la supposition que dans ces aleph, il y en a
d’inaccessibles,
que peut se réintroduire dans ce qu’il en est des nombres entiers, ce
que j’appellerai la consistance.

Autrement dit, que sans cette supposition : l’inaccessible quelque


part se produisant dans les aleph [‫]א‬,
ce dont il s’agit et ce dont je suis parti, est ce qui est fait pour vous
suggérer l’utilité de ce qu’il « y ait d’l’Un »,
à ce que vous sachiez entendre ce qu’il en est de cette bipartition à
chaque instant fuyante,
de cette bipartition de l’homme et de la femme.

Tout ce qui n’est pas homme est-il femme ? On tendrait à l’admettre.


Mais puisque la femme n’est pas « tout », pourquoi tout ce qui n’est
pas femme serait-il homme ?

Cette bipartition, cette impossibilité d’appliquer en cette matière du


genre, quelque chose qui soit le principe de contradiction,
72
qu’il ne faille rien de moins que d’admettre l’inaccessibilité de
quelque chose au-delà de l’aleph pour
que la non contradiction soit consistante,
qu’il soit fondé de dire que ce qui n’est pas 1 soit 0, et que ce qui
n’est pas 0 soit 1,
c’est cela que je vous indique comme étant ce qui doit permettre à
l’analyste d’entendre...
un peu plus loin qu’à travers les verres de lunettes de l’objet(a)
...ce qui ici se produit d’effet, ce qui se crée de Un, par un discours
qui ne repose que sur le fondement du signifiant.

73
1972.05.12. DU DISCOURS PSYCHANALYTIQUE
Discours de Jacques Lacan à l’Université de Milan le 12 mai 1972, paru dans
l’ouvrage bilingue : Lacan in Italia 1953-1978. En Italie Lacan, Milan,
La Salamandra, 1978, pp. 32-55.
(32)
Je remercie beaucoup M. Cesa Bianchi de nous avoir donné ces
quelques repères, ces quelques mots d’information qui étaient fort
exacts sur ce qui peut constituer un certain nombre d’étapes.
Donc, ce que j’ai fait au cours de ces années a mené à dire…
Mon embarras tient à ce que je ne sais pas… je ne peux pas
apprécier d’aucune façon le degré d’audition du français que
représente votre assemblée. Je suis très heureux d’y voir un très
grand nombre de figures jeunes puisque c’est sur… enfin, c’est dans
elles je veux dire, ces figures, que je mets mon espoir.
Je dois dire que je n’aime pas du tout parler français devant des
gens dont je sais qu’ils ne sont pas familiers avec cette langue. Alors,
j’espère que je vais sentir jusqu’où je peux aller dans cet ordre
d’émissions.
J’ai rappelé à déjeuner à quelques amis une expérience qui m’est
arrivée à John Hopkins University.
C’était tellement manifeste que mon assemblée n’entendrait rien si
je parlais français que, ayant pris d’abord, comme ça… à la prière
générale, la résolution de parler français, j’ai commencé par
m’excuser en anglais de ne pas pouvoir continuer, c’est-à-dire de
parler français, et puis cette excuse a duré une heure et demie, en
anglais bien sûr… C’est affreux quand on m’entend parler anglais.
Mais les américains sont si complaisants, on peut se permettre de
telles dérogations, n’est-ce pas ? … Je vois que vous comprenez le
français – bon – alors ça m’encourage.
Donc je ne continuerai pas à parler des américains : là je suis tout
à fait incapable de vous parler italien, c’est pour ça que je parle
français.

74
Alors, j’ai annoncé que je parlerais Du discours psychanalytique – ce
(33)

n’est pas un terme que j’ai avancé depuis longtemps, mais quand
même depuis trois ans.
Ce n’est pas commode, devant un auditoire qui n’est pas de mes
élèves, qui n’est pas formé, rompu à quelque chose… (vous voyez,
je commence à ouvrir des parenthèses)… qui n’est pas rompu à
quelque chose qui est mon enseignement, mon Séminaire comme on
appelle ça : ce n’est pas un séminaire du tout, puisque il n’y a que
moi qui parle.
Enfin, c’est devenu comme ça. Pendant des années j’ai fait parler
d’autres personnes à mon séminaire, ça me reposait, mais enfin peu
à peu, peut être parce que le temps presse, j’y ai renoncé.
Alors, cet enseignement qui dure depuis vingt ans, dont les
Écrits… – enfin, je suis bien forcé de parler des Écrits puisqu’ils
viennent de paraître, au moins un premier morceau – il y en aura
peut-être d’autres, ceci grâce à Giacomo Contri qui a bien voulu y
consacrer un très grand soin et un très grand temps.
Je suis bien forcé de parler un peu des Écrits qui, paraît-il, ne vous
paraissent pas faciles.
Ça c’est vrai : ils ne le sont pas, pas du tout même.
C’est qu’ils n’ont jamais été faits, ces fameux écrits… ils n’ont
jamais été faits pour remplacer mon enseignement.
Il y en a d’abord une bonne moitié qui ont été écrits avant que je
le commence, c’est-à-dire que ça n’est pas d’hier puisque je vous ai
dit qu’il y a vingt ans que je fais ce qu’on appelle mon séminaire.
Il y en a une bonne moitié qui sont d’avant, et en particulier ceux
dont beaucoup en sont encore à faire le pivot de ce que j’ai pu
apporter au discours psychanalytique, dont Le stade du miroir. Le stade
du miroir, c’était une communication que j’ai faite dans un congrès
aux temps où je faisais encore partie de ce qu’on appelle IPA –
International Psychanalytique Avouée - ou avouable, comme vous
voudrez. Enfin, c’est une façon de traduire ces mots.
Puis, la seconde partie de ces Écrits consiste dans une série
d’articles où je me suis trouvé, disons chaque année à partir d’un
75
certain moment, entre un certain moment et un autre… où je me
suis trouvé chaque année donner une sorte de repère, qui permettait
à ceux qui m’avaient entendu au séminaire de trouver là, enfin,
condensé, en somme concentré, ce que j’avais pu (34)apporter ou ce
que je croyais moi-même pouvoir repérer comme étant axial dans ce
que j’avais énoncé.
Ça n’empêche pas que c’est une très mauvaise façon, en somme,
de rassembler un public.
C’est très difficile d’abord, la notion de public. Je vais me risquer à
rappeler que lors de cette publication, je me suis livré au jeu de mots
de l’appeler poubellication – je vois qu’il y a des gens qui savent ce
que c’est le mot poubelle. Il y a une trop grande confusion en effet,
de nos jours, entre ce qui fait public et ce qui fait poubelle ! C’est
même pour ça que je refuse les interviews, parce que malgré tout, la
publication des confidences, c’est ça qui fait l’interview.
Ça consiste alors tout à fait à attaquer le public au niveau de la
poubelle.
Il ne faut pas confondre la poubelle avec le pubis – ce n’est pas du
tout pareil.
Le pubis a beaucoup de rapports avec la naissance du mot public.
C’est vrai, hein ?
Ça ne se discute pas, enfin… je pense.
C’était un temps où le public, ce n’était pas la même chose que le
déballage du privé, et où quand on passait au public on savait que
c’était un dévoilement, mais maintenant ça ne dévoile plus rien
puisque tout est dévoilé.
Enfin, évidemment je ne suis pas porté à vous faire des
confidences, et pourtant je suis forcé quand même de dire quelque
chose qui, étant donné que je ne vous verrai qu’une fois – enfin, ça
m’étonnerait de vous revoir d’ici peu – je suis forcé de vous dire
quelque chose tout de même qui est de l’ordre de cette confidence.
À savoir, comment je peux me sentir actuellement dans cette
position que j’occupe auprès de gens qui ne font pas partie de mon
auditoire.
76
Ce que je peux bien marquer, n’est-ce pas, c’est ce que j’ai dit
d’abord, c’est que les Écrits, ça me semble difficile que exportés,
comme ça, hors du contexte d’un certain effort que je fais et dont je
vais vous dire sur quoi il est centré, que les Écrits, enfin, ça suffise du
tout à ce qu’on puisse là dessus élucubrer quoi que ce soit qui
corresponde vraiment à mon discours.
L’auditoire et l’éditoire, si je peux m’exprimer ainsi, ce n’est pas du
tout du même niveau, vous le voyez.
Nous jouons enfin là, éditoire, comme ça… poubellication… ça
fait obscène et du même coup auditoire se contamine.
(35)
Tout ça, c’est une façon en somme de voir ce que je peux dire
et de vous introduire comme ça, tout doucement, à ce qui est très
important.
Ce que j’appellerai le jeu des signifiants.
Le jeu des signifiants, ça glisse au sens.
Mais l’important dans ce que j’énonce c’est que ça ne glisse jamais
qu’à la manière d’un dérapage.
Pour ceux qui sont tout à fait inaccoutumés à ces termes, je dis
simplement ceci : les signifiants ou le jeu des signifiants, c’est lié au
fait de la langue, du langage – ce n’est pas équivalent. La langue c’est
quelque chose d’assez spécifié pour chacun, c’est la langue
maternelle, l’italien pour la plupart d’entre vous.
C’est ça qui fait la langue.
Il se trouve qu’il y a quelque chose qu’on peut repérer, comme
étant déterminé vers une même fin, pour toutes les langues, et c’est
en généralisant, comme on s’exprime, qu’on parle du langage :
comme caractérisant l’homme.
(Rumore nell’aula)
Qu’est-ce qu’il y a ?… Je ne demanderais pas mieux que de laisser
la parole à quelqu’un, qui me prouverait par là que moi-même je ne
parle pas en vain…
Alors, le langage, on a le sentiment que ça définit un être, qu’on
appelle généralement l’homme, et après tout, en se contenant
strictement de le définir ainsi, pourquoi ?
77
Il est certain qu’il y a un animal sur qui le langage est descendu, si
je puis dire, et que cet animal en est vraiment marqué.
Il en est marqué au point que je ne sais pas jusqu’où je peux aller
pour bien le dire.
C’est pas seulement que la langue fasse partie de son monde, c’est
que c’est ça qui soutient son monde de bout en bout.
C’est pour ça que… N’essayez pas de chercher quelle est ma
Weltanschauung – je n’ai aucune Weltanschauung, pour la raison que ce
que je pourrais à la rigueur en avoir, ça consiste à dire que le Welt…
le monde, c’est bâti avec du langage.
Ce n’est pas une vue sur le monde, ça ne laisse place à aucune vue –
ce qu’on s’imagine être vu, être intuitif, est évidemment lié à quelque
chose qui est le fait que nous avons les yeux, et que le regard, c’est
vraiment une passion de l’homme.
La parole aussi, bien sûr. Il s’en aperçoit moins.
(36)
Puis il y a d’autres éléments qui sont tout à fait cause de son
désir.
Mais c’est un fait que la psychanalyse, la pratique psychanalytique
nous a montré le caractère radical de l’incidence signifiante dans
cette constitution du monde.
Je ne dis pas pour l’être qui parle, parce que ce que j’ai appelé tout
à l’heure ce dérapage, cette glissade qui se fait avec l’appareil du
signifiant… c’est ça qui détermine l’être chez celui qui parle. Le mot
d’être n’a aucun sens au dehors du langage.
On a fini quand même par s’apercevoir que ce n’est pas à méditer
sur l’être qu’on fera en rien le moindre pas.
On a fini par s’en apercevoir par la conséquence… conséquence
un peu poussée… les suites de cette pratique que j’ai appelée le
glissement avec le signifiant.
La façon qu’on a, plus ou moins savante, de déraper à la surface de
ce qu’on appelle les choses… de ce qu’on appelle les choses jusqu’au
moment où on commence à considérer que les choses, ce n’est pas
très sérieux.

78
On arrive vraiment à concentrer la puissance du signifiant d’une
façon telle qu’une part de ce monde finit par, simplement, s’écrire
dans une formule mathématique.
Formules mathématiques auxquelles, bien sûr pour les écoliers, on
essaye de conjoindre un sens.
En effet on y parvient : la formule d’Einstein et même
d’Heisenberg, enfin, sont des petits termes qui désignent la masse.
Et la masse, ça fait toujours de l’effet, n’est-ce pas, on s’imagine
qu’on sait ce que c’est. Et en effet on ne se l’imagine pas toujours –
quelques fois quand on a des notions physiques précises, on sait
comment ça se calcule, mais on aurait tort de croire que la masse
c’est ça ou ça… par le sentiment.
Ce n’est pas seulement parce que nous pesons un petit peu qu’on
peut s’imaginer qu’on sait ce que c’est que la notion de masse.
C’est seulement à partir du moment où l’on commence à faire
tourner quelque chose, que l’on voit que les corps ont une masse.
Mais ça reste toujours tellement contaminé par quelque chose qui
est lié au fait qu’il y a une corrélation entre la masse et le poids qu’en
réalité on fait mieux de ne pas chercher à comprendre, et simplement
de s’en tenir aux formules.
(37)
C’est en ça que la mathématique démontre vraiment quel est le
point de l’usage du signifiant. Bien sûr, nous sommes arrivés à… […]
… que de fait nous sommes déjà plongés dans le langage.
Vous le voyez, je ne dis pas : nous sommes des êtres parlants.
Nous sommes dans le langage, et je ne me crois pas du tout en
mesure de vous dire pourquoi nous y sommes, ni de dire comment
ça a commencé.
C’est même comme ça qu’on a pu commencer à dire sur le langage
quelque petite chose, débarrassés du préjugé que c’est essentiel que
ça ait un sens : ce n’est pas essentiel que ça ait un sens, et c’est même
là-dessus qu’est fondée cette nouvelle pratique qui s’appelle la
linguistique.
Ce qu’il faut – c’est là que la linguistique se centre bien – c’est se
centrer sur le signifiant en tant que tel.
79
Il ne faut pas croire que le signifié – qui bien entendu se produit
dans le sillage du signifiant – que ça soit là quelque chose d’aucune
façon premier ; et se dire que le langage est là pour qu’il permette
qu’il y ait la signification, c’est une démarche dont le moins qu’on
puisse dire c’est qu’elle est précipitée.
Il y a quelque chose de plus primaire que les effets de signification,
et c’est là que la recherche – si tant est que jamais on cherche quelque
chose, si on ne l’a pas d’abord trouvé, hein ? – c’est là que la
trouvaille est susceptible d’avoir d’effet.
Enfin voyez-vous, pour le signifiant, tout à l’heure j’y suis arrivé
avec ce que j’ai appelé le dérapage, l’effet de glissement…
Enfin, je serai porté à vous faire la métaphore que le signifiant,
c’est comme le style : c’est déjà pareil, c’est du style qu’on aurait déjà
là.
C’est peut-être possible que l’animal humain l’ait un jour
fabriqué… Nous n’avons pas la moindre trace de ce qui pourrait
s’appeler l’invention du langage… Aussi loin dans le passé que nous
le voyons fonctionner, c’est lui qui a le dessus du pavé.
Bon, alors, vous me direz, qu’est-ce que ça à faire avec la
psychanalyse ?
Ça a à faire de la façon la plus étroite, parce que si on ne part pas
de ce niveau qui est le niveau de départ, on ne peut absolument rien
faire de plus dans l’expérience psychanalytique… on ne peut rien
faire de plus que (38)de faire de la bonne psychothérapie…
C’est à dire, comme aussi bien les psychanalystes l’avouent… ils
avouent tout, ils déballent tout…
Il y a eu un jour… Claudel… comme ça, qui a imaginé que le
châtiment de Ponce Pilate, enfin, ça devait être ceci : parce qu’il avait
demandé, très mal à propos : Qu’est-ce que la vérité ? – que chaque
fois qu’il parlait devant une idole, l’idole ouvrait son ventre, et qu’est-
ce qu’il en sortait ? C’était un formidable déballage de sous de
l’époque, des trucs qu’on mettait dans la tirelire…

80
Les psychanalystes sont comme ça, ils vous avouent tout… ils
avouent tout… et tout ce qu’ils racontent prouve qu’évidemment ils
sont des très bonnes personnes.
C’est fou ce qu’ils aiment l’être humain, qu’ils veulent son bien, sa
normalité – c’est inouï, enfin, n’est-ce pas, c’est inouï la folie de
guérir, de guérir de quoi ? C’est justement ça qu’il faut jamais mettre
en question…
Au nom de quoi est-ce qu’on se considère comme malade ? En
quoi est-ce qu’un névrosé est plus malade qu’un être normal, dit
normal ? Si Freud a apporté quelque chose, c’est justement pour
démontrer que la névrose, enfin, est strictement insérée quelque part
dans une faille qu’il nomme, qu’il désigne parfaitement, qu’il appelle
sexualité, et il en parle d’une telle façon que ce qui est clair, c’est
justement… c’est ce dans quoi l’homme n’est pas du tout à son aise.
L’homme, bien sûr, appelé au sens large, la femme non plus ; enfin,
il n’y a rien qui aille si mal que les rapports de l’homme et de la
femme.
C’est ça, ce qu’il y a d’admirable, c’est qu’il y a des gens ici qui ont
l’air d’entendre ça pour la première fois. C’est absolument sublime,
comme si vous n’étiez pas nés là dedans… À savoir que pour vous
baiser avec une fille, ça ne marche jamais. Pour la fille c’est la même
chose… et depuis que le monde est monde, il y a toute une
littérature, il y a la littérature qui ne sert qu’à dire ça.
Alors, Freud un jour parle de sexualité [in falsetto] et il suffit que ce mot
sucré soit sorti de sa bouche pour que tout le monde croie que c’est pour résoudre
la question.
C’est-à-dire qu’à partir du moment, comme je vous l’ai dit tout à
l’heure, que si l’on pose une question, c’est qu’il y a déjà la réponse,
donc s’il pose la question c’est (39)qu’il a la réponse – c’est-à-dire
qu’avec ça, ça doit marcher.
Ce qui supposerait que Freud ait l’idée de l’accord sexuel.
Or, enfin, il suffit de lire, d’ouvrir son œuvre pour voir que jusqu’à
la fin, lui, parce qu’il était homme, enfin, il est resté là.

81
Et il le dit, il l’écrit, il l’étale, enfin, à se demander : une femme,
qu’est-ce que ça peut bien vouloir ? [risa]
Il n’y a pas besoin pour ça de faire allusion à la biographie de Freud,
parce que c’est toujours comme ça qu’on rétrécit la question,
d’autant plus qu’il était névrosé comme tout le monde, puis il avait
une femme qui était une emmerdeuse… Enfin, ça c’est connu… La
vieille Madame Freud…
C’est vraiment rapetisser la question.
C’est justement pour ça que je ne me mettrais jamais à faire la
psychanalyse de Freud, d’autant plus que c’est une personne que je
n’ai pas connue.
Ce qui est dit par Freud c’est ça, ce que je viens de dire. C’est ce
dérapage du signifiant dont je parlais tout à l’heure, qui fait qu’au
nom du fait qu’il a dépeint ça* « sexualité », on suppose qu’il savait
ce que ça voulait dire : sexualité.
Mais justement ce qu’il nous explique c’est qu’il ne le sait pas.
Il ne le sait pas. La raison pour laquelle il ne le sait pas, justement,
c’est ce qui lui a fait découvrir l’inconscient.
C’est-à-dire, s’apercevoir que les effets du langage jouent à cette
place où le mot « sexualité » pourrait avoir un sens.
Si la sexualité chez l’être parlant, ça fonctionnait autrement qu’à
s’empêtrer dans ces effets du langage…
Je ne suis pas en train de vous dire que le langage est venu là pour
remplir le trou – je ne sais pas si le trou est primitif ou s’il est second :
à savoir si c’est le langage qui a tout détraqué.
Je m’étonnerais que le langage soit là pour tout détraquer.
Il y a des champs où ça réussit… mais où ça ne réussit jamais que
pour faire partage de ce qui paraît aller bien chez les animaux – à
savoir qu’ils ont l’air de baiser d’une façon bien polie.
Parce que c’est vrai, chez les animaux ça a l’air –

*
Ce mot est bien orthographié ainsi.
82
Qu’on dise comme fait reste oublié derrière ce qui est dit dans ce
qui s’entend.
Cet énoncé qui est assertif par sa forme, appartient au modal pour
ce qu’il émet d’existence.
(41)
c’est ce qui nous frappe par contraste – ça a l’air de se passer
gracieusement.
Il y a la parade. Il y a toutes sortes d’approches charmantes, et puis
ça a l’air de tourner rond jusqu’à la fin. Il n’y a pas d’apparence, chez
les animaux, ni de viols, ni non plus de toutes ces complications, tout
ce baratin qu’on fait autour.
Ça se passe chez eux d’une façon pour tout dire civilisée [risa].
Chez l’homme, ça fait ce qu’on appelle des drames […]. Par quoi
bien sûr tout le malentendu […].
Plût au ciel que les hommes fassent l’amour comme les animaux,
ça serait agréable.
Je me laisse un petit peu, comme ça, entraîner à quelque chose…
enfin, de tellement patent.
Il faut quand même bien le rappeler […] quelque chose qui est
quand même ce qui est de l’expérience du psychanalyste.
Qu’il fasse comme s’il n’en savait rien, ça tient à une nécessité de
discours qui est là écrite au tableau.

83
Il faut bien quand même que je m’en serve, puisque je suis venu
un quart d’heure à l’avance pour l’écrire au tableau.
Ça tient les caractères-clefs dans tout discours de ce point que
j’appelle le semblant.
Mon dernier séminaire – ou appelez-le comme vous voudrez, mais
ce n’est pas le dernier puisque le dernier est celui que je suis en train
de finir – mon dernier séminaire donc, celui d’avant, s’appelait : D’un
discours qui ne serait pas du semblant.
J’ai passé mon année à démontrer que c’est un discours tout à fait
exclu.
Il n’y a aucun discours possible qui ne serait pas du semblant.
Ça c’est du semblant, hein ?
Bon, alors c’est tout à fait admissible à un certain niveau que le
psychanalyste fasse semblant, comme s’il était là pour que les choses
marchent sur le plan du sexuel. L’ennuyeux c’est qu’il finit par le
croire, et alors ça le fige lui-même, complètement.
C’est-à-dire, pour appeler les choses par leur nom, il en devient
imbécile.
Je crois qu’il était, à une certaine date, nécessaire – pour lui
permettre de faire un peu de gymnastique, pour, (42)dans une
expérience telle qu’elle est instituée, qu’il puisse y faire quelque pas
de plus – qu’il fallait au moins lui rappeler ce qu’il fait : à savoir,
malgré tout, que c’est de faire parler quelqu’un en lui expliquant
comment il faut faire, c’est-à-dire pas n’importe quoi. Lui expliquer
la règle : dire à une personne comment il faut qu’elle parle… Et que
ça arrive à donner quelque chose, qu’il s’agit de comprendre
pourquoi quelque chose qui se fait avec cet appareil que j’appelle le
signifiant, ça peut avoir des effets.
Qu’il y ait un décollage nécessaire, qui consiste justement… à ne
pas comprendre trop vite, c’est ça que j’ai essayé de produire.
À une certaine époque… évidemment ce n’était pas une époque
très bien choisie, mais je n’avais pas le choix… Je suis entré dans la
psychanalyse, comme ça, un peu sur le tard. En effet jusqu’à ce
moment-là… en neurologie un beau jour… qu’est ce qu’il a pu me
84
prendre ?… j’ai eu le tort de voir ce que ça peut être ce qu’on appelle
un psychotique.
J’ai fait ma thèse là-dessus : De la psychose paranoïaque – oh
scandale ! – dans ses rapports avec la personnalité.
Personnalité, vous pensez, ce n’est pas moi qui n’en ferais jamais
des gorges chaudes.
Mais enfin, à cette époque ça représentait pour moi, comme ça,
une nébuleuse, enfin, quelque chose… qui était déjà bien
suffisamment scandaleux pour l’époque, je veux dire que ça a fait un
véritable effet d’horreur.
Enfin, ça m’a mené à faire l’expérience de la psychanalyse moi-
même. Après ça il y a eu la guerre, pendant laquelle j’ai poursuivi
cette expérience. Au sortir de la guerre j’ai commencé à dire que je
pourrais peut-être en dire un peu quelque chose.
« Surtout pas – m’a-t-on dit – personne n’y comprendrait rien…
on vous connaît, on vous a repéré déjà depuis un moment ».
Enfin, bref, il a fallu pour ça une espèce de crise, de crise politique,
politique intérieure… le micmac entre psychanalystes, pour que je
me sois trouvé dans une position extraite.
Et comme il y en avait qui avaient l’air de vouloir que je fasse
quelque chose pour eux…
(43)
Je n’aurais commencé que, comme on dit, très sur le tard : mais
moi je n’ai jamais été ennuyé d’être tard… je n’éprouvais aucun
besoin, après tout, de forcer les gens.
Pour ne pas les forcer j’ai commencé à raconter les choses au
niveau où je les avais vues.
Retour à Freud : on m’a naturellement mis cette étiquette, que je
mérite bien, parce que c’est comme ça que je l’ai d’abord moi-même
produite.
Je m’en fous de toi Freud. Simplement, c’était le procédé pour que
les psychanalystes s’aperçoivent que ce que j’étais en train de leur
dire, c’était déjà dans Freud.

85
À savoir, qu’il suffit qu’on analyse un rêve pour voir qu’il ne s’agit
que de signifiant. Et de signifiant dans toute cette ambiguïté que j’ai
appelée tout à l’heure la fonction de déparage7.
À savoir, qu’il n’y a pas un signifiant dont la signification serait
assurée. Elle peut toujours être autre chose, et même elle passe son
temps à glisser aussi loin qu’on veut dans la signification.
Tellement sensible dans La Traumdeutung, ça ne l’était pas moins
dans la La psychopathologie de la vie quotidienne… ça l’est encore plus
dans Le mot d’esprit.
Ça me paraît essentiel, c’est essentiel.
La chose qui me frappe c’est…
[Il discorso si interrompe per il cambio del nastro]
… cette priorité du signifiant.
Maintenant tout le monde est à la page. Ce que vous trouverez
dans une revue d’avant-garde, ou même pas d’avant-garde, de
n’importe quoi, quant à ce signifiant… on nous en rabat les oreilles.
Quand je pense qu’au moment où j’ai commencé, nous étions sous
le règne de l’existentialisme, et maintenant… je ne sais pas… Je ne
voudrais pas avoir l’air, enfin, d’attenter au style, à la hauteur d’un
écrivain dont j’ai la plus grande admiration : il s’agit de Sartre.
Et même Sartre… enfin, maintenant le signifiant est entré dans son
vocabulaire.
Tout le monde, enfin, sait que signifiant signifie lacanisation.
Qu’est-ce que ça veut dire ?
Ouais.
De temps en temps je m’imagine que j’y suis pour quelque chose,
et dans ce cas là, c’est bien ça qui m’a fait…
… j’ai retrouvé dans mes notes, comme ça, que (44)j’avais écrit
quelque chose le 11 avril 1956, dans un séminaire recueilli… c’est
vrai que bien avant que ce soit devenu absolument… enfin, mon
œuvre maintenant connue, bien sûr, il était tout autre…

7
. Est-ce un lapsus ? …
86
… il n’en est pas moins vrai que ce que je suis en train de dire
maintenant – qui lui bien sûr sera exploité dans vingt ans – ce que je
suis en train de vous dire maintenant, quand c’est aux structures de
la logique mathématique que je recours pour définir de quoi il s’agit
dans ce que j’appelle discours psychanalytique, je peux très bien
m’apercevoir qu’il y a des choses drôles : vous comprenez par
exemple, que si je vous ai dit, bien sûr, que de mes Écrits il ne fallait
pas vous fatiguer… mais quand même, à l’avant-dernier paragraphe
de mon « Intervention sur le transfert » il est écrit : « Le cas de Dora
paraît privilégié pour notre démonstration en ce que, s’agissant d’une
hystérique, l’écran du moi y est assez transparent pour que nulle part,
comme l’a dit Freud, ne soit plus bas le seuil entre l’inconscient et le
conscient, ou pour mieux dire, entre le discours analytique et le mot
du symptôme ».
Évidemment, c’est en 51, le discours analytique : j’ai évidemment
mis du temps à lui donner sa place. Mais enfin, je n’écris jamais les
mots au hasard, et le discours analytique c’est tout de même ce jour-
là, n’est-ce pas, que je l’ai produit.
Enfin, cinq ans plus tard, lorsque j’avais commencé mon
enseignement, la structure… la structure, écris-je alors… parce que
maintenant je ferai attention, je ne voudrais pas me rallier ou paraître
me rallier à cette salade qu’on appelle le structuralisme.
Mais enfin, la structure, j’en parlais alors parce que personne ne
connaissait ce mot. Enfin, la structure est une chose qui se présente
d’abord comme un groupe d’éléments, formant un ensemble co-
variant.
Je suis maintenant à me repérer sur quelque chose qui s’appelle
précisément la Théorie des ensembles.
Je parle tout de suite après de structures closes et de structures
ouvertes, ce qui est également tout à fait à la page de ce que j’énonce
maintenant.
Et spécialement… nous y voyons des relations de groupe fondées
sur la notion d’ensemble, je souligne : relations ouvertes ou fermées.

87
À l’époque… je ne peux pas m’exprimer autrement (45)qu’à dire que
dégager une loi naturelle, c’est dégager une formule signifiante pure.
Moins elle signifie quelque chose, plus nous pouvons la mettre du
point de vue scientifique…
Je fais remarquer […] que le pas scientifique, ça consiste justement
en ça : à couper les choses, strictement, au niveau dit signatura
rerum… […] du signifiant serait là arrangé – arrangé, bien sûr, par
qui ? par Dieu, parce que la signatura rerum c’est de Jakob Böhme… –
pour signifier quelque chose. La démarche scientifique, c’est ça.
C’est, bien sûr, ponctuer le monde de signifiants mathématiques…
mais s’arrêter justement à ceci… que ce soit pour signifier… Car
c’était bien ce qui jusque là avait empêtré toutes les terres, et ce qu’on
appelle improprement le finalisme.
Nous sommes aussi finalistes que tout ce qui a existé avant le
discours de la science.
Il est tout à fait clair que rien dans aucune loi n’est là pour autre
chose que pour aboutir à un certain point, bien sûr.
Le discours scientifique est finaliste, tout à fait, au sens du
fonctionnement […] nous ne nous rendons pas compte que ce
finalisme, ça serait le finalisme… que ce soit fait pour nous enseigner
quelque chose, par exemple pour nous inciter à la vertu, pour nous
amuser simplement […] dans un monde qui peut être tout à fait
structuré sur des causes finales… il serait facile de démontrer que la
physique moderne est parfaitement finaliste.
L’idée même de la conservation de l’énergie est une idée finaliste…
celle aussi de l’entropie, puisque justement, ce qu’elle montre, c’est
vers quel frein ça va, et ça va nécessairement.
Ce qu’il y a de changé, c’est qu’il n’y a pas de finalisme, justement
pour ça : que ça n’a aucune espèce de sens.
[…]
[…] faire décoller le sens qui est donné couramment au subjectif
et à l’objectif… le subjectif est quelque chose que nous rencontrons
dans le réel.

88
Non pas que le subjectif soit donné au sens que nous entendons
habituellement pour « réel », c’est-à-dire qui implique l’objectivité :
la confusion est sans cesse faite dans les écrits analytiques.
(46)
Il apparaît dans le réel en tant que le subjectif suppose que nous
avons en face de nous un sujet qui est capable de se servir du
signifiant comme tel… et de se servir du signifiant comme nous nous
en servons, se servir du jeu du signifiant non pas pour signifier
quelque chose, mais précisément pour nous tromper sur ce qu’il y a
à signifier… se servir du fait que le signifiant est autre chose que la
signification, pour nous présenter un signifiant trompeur.
Bref, comme vous le voyez, enfin, c’est pas d’hier.
J’insiste sur ce biais-clé.
C’est très curieux que la position d’analyste ne permette pas de s’y
soutenir indéfiniment.
Ce n’est pas seulement parce que ce qu’on appelle… ce qu’on
appelait tout à l’heure l’Internationale… pour des raisons tout à fait
contingentes, y a fait obstacle.
Et même des hommes, enfin, que j’avais formés à un moment, ils
[…].
Ce que en somme j’ai essayé d’en instituer a abouti à ce que j’ai
appelé quelque part, noir sur blanc, un échec.
Ce n’est pas là l’essentiel, parce qu’un échec, nous savons très bien
par l’expérience analytique ce que c’est : c’est une des formes de la
réussite.
On ne peut pas dire que, en fin de compte, je n’ai pas réussi
quelque chose… j’ai réussi à ce que quelques analystes se
préoccupent de ce biais que j’ai essayé de vous expliquer : quel est le
clivage entre le discours analytique et les autres.
Et puis je dirais que tout le monde depuis quelques années y est
intéressé.
Tout le monde y est intéressé au nom de ceci : qu’il y a quelque
chose qui ne tourne plus rond.
Il y a quelque part, du côté de ce qu’on appelle si gentiment, si
tendrement, la jeunesse… comme si c’était une caractéristique… au
89
niveau de la jeunesse il y a quelque chose qui ne marche plus du côté
d’un certain discours… du discours universitaire, par exemple… Je
n’aurais probablement pas le temps de vous le commenter, le
discours universitaire…
Celui-là, c’est le discours éternel, le discours fondamental.
L’homme est quand même un drôle d’animal, n’est-ce pas ? Où, dans
le règne animal, y a-t-il le discours du maître ? Où est-ce que dans le
règne animal y a-t-il un maître ?…
(47)
S’il ne vous saute pas aux yeux tout de suite, à la première
appréhension, que s’il n’y avait pas de langage il n’y aurait pas de
maître, que le maître ne se donne jamais par force ou simplement
parce qu’il commande, et que comme le langage existe vous obéissez.
Et même que ça vous rend malades, que ça ne continue pas comme
ça.
Tout ce qui se passe au niveau, comme ça, de ce qu’on appelle la
jeunesse, est très sensible parce que ce que je pense c’est que si le
discours analytique avait pris corps… ils sauraient mieux ce qu’il y a
à faire pour faire le révolution.
Naturellement il ne faut pas se tromper, hein ? Faire la révolution,
je pense que quand même, enfin, vous autres, vous qui êtes là et à
qui je m’adresse le plus… vous devez quand même avoir compris ce
que ça signifie… que ça signifie… revenir au point de départ.
C’est même parce que vous vous apercevez que c’est démontré
historiquement : à savoir qu’il n’y a pas de discours du maître plus
vache que à l’endroit où l’on a fait la révolution…
Vous voudriez que ça se passe autrement. Évidemment ça pourrait
être mieux. Ce qu’il faudrait, c’est arriver à ce que le discours du
maître soit un peu moins primaire, et pour tout dire un peu moins
con.
… [risa nel pubblico]…
… comme vous savez le français, hein ?… c’est merveilleux.
Et en effet, si vous regardez là mes petites formules tournantes,
vous devez voir que la façon dont, ce discours analytique, je le
structure… c’est exactement à l’opposé de ça qu’est le discours du
90
maître… à savoir qu’au niveau du discours du maître, ce que je vous
ai appelé tout à l’heure le signifiant-maître, c’est ça, c’est ce dont je
m’occupe pour l’instant : il y a de l’Un.
Le signifiant, c’est ce qui a introduit dans le monde l’Un, et il suffit
qu’il y ait de l’Un pour que ça… ça commence, ça… [indica le formule
alla lavagna]… ça commande à S2.
… c’est-à-dire au signifiant qui vient après… après que l’Un
fonctionne : il obéit.
Ce qu’il y a de merveilleux, c’est que pour obéir il faut qu’il sache
quelque chose.
Le propre de l’esclave, comme s’exprimait Hegel, c’est de savoir
quelque chose.
(46)
S’il ne savait rien, on ne prendrait même pas la peine de le
commander, quoi que ce soit.
Mais par ce seul privilège, cette seule primarité, cette seule
existence inaugurale qui fait le signifiant… du fait qu’il y a le langage,
le discours du maître ça marche. C’est tout ce qu’il lui faut d’ailleurs,
au maître, c’est que ça marche.
Alors, pour en savoir un peu plus sur les effets justement du
langage, pour savoir comment ça détermine ce que j’ai appelé d’un
nom qui n’est pas tout à fait celui de l’usage reçu : le sujet…
… s’il y avait eu un travail, un certain travail fait à temps dans la
ligne de Freud, il y aurait peut être eu… à cette place… à cette place
qu’il désigne, dans ce support fondamental qui est soutenu de ces
termes : le semblant, la vérité, la jouissance, le plus-de-jouir… il y
aurait peut être eu… au niveau de la production, car le plus-de-jouir
c’est ce que produit cet effet de langage… il y aurait peut être eu ce
qui s’implique du discours analytique, à savoir un tout petit peu
meilleur usage du signifiant comme Un.
Il y aurait peut être eu… mais d’ailleurs, il n’y aura pas… parce que
maintenant c’est trop tard…
… la crise, non pas du discours du maître, mais du discours
capitaliste, qui en est le substitut, est ouverte.

91
C’est pas du tout que je vous dise que le discours capitaliste ce soit
moche, c’est au contraire quelque chose de follement astucieux,
hein ?
De follement astucieux, mais voué à la crevaison.
Enfin, c’est après tout ce qu’on a fait de plus astucieux comme
discours. Ça n’en est pas moins voué à la crevaison. C’est que c’est
intenable. C’est intenable… dans un truc que je pourrais vous
expliquer… parce que, le discours capitaliste est là, vous le voyez…
[indica la formula alla lavagna]… une toute petite inversion simplement
entre le S1 et le S… qui est le sujet… ça suffit à ce que ça marche
comme sur des roulettes, ça ne peut pas marcher mieux, mais
justement ça marche trop vite, ça se consomme, ça se consomme si
bien que ça se consume.
Maintenant vous êtes embarqués… vous êtes embarqués,… mais
il y a peu de chances que quoi que ce soit se passe de sérieux au fil
du discours analytique, sauf comme ça, bon, au hasard.
À la vérité je crois qu’on ne parlera pas du (49)psychanalyste dans la
descendance, si je puis dire, de mon discours… mon discours
analytique. Quelque chose d’autre apparaîtra qui, bien sûr, doit
maintenir la position du semblant, mais quand même ça sera… mais
ça s’appellera peut être le discours PS. Un PS et puis un T, ça sera
d’ailleurs tout à fait conforme à la façon dont on énonce que Freud
voyait l’importation du discours psychanalytique en Amérique… ça
sera le discours PST. Ajoutez un E, ça fait PESTE.
Un discours qui serait enfin vraiment pesteux, tout entier voué,
enfin, au service du discours capitaliste.
Ça pourra peut être un jour servir à quelque chose, si, bien sûr,
toute l’affaire ne lâche pas totalement, avant.
Bref, il est huit heures moins le quart et ça fait une heure et demie
que je parle. Je ne vous ai dit, bien entendu, que le quart de ce que
j’avais ce soir à vous dire. Mais il n’est peut être pas impensable qu’à
partir de ce que je vous ai indiqué, de la structure du discours
capitaliste et du discours psychanalytique, que quelqu’un me pose
quelques questions.
92
[…]
De très braves gens, mais tout à fait inconscients de ce que disait
Marx lui-même… s’en marrent… sans Marx.
Et voilà que Marx leur apprend que ce dont il s’agit c’est
uniquement de la plus-value.
La plus-value c’est ça… c’est le plus-de-jouir… hein ?
[rumore nella sala]
Mais qu’est-ce que ces gens ont compris, c’est merveilleux… Ils se
sont dit : « Bien, voilà, c’est vrai ! ».
Il n’y a que ça qui fait fonctionner le système. C’est la plus-value.
Le capitalisme en a reçu enfin ce bond… ce coup d’ailes qui fait
qu’actuellement […].
C’est quelque chose, comme ça, d’un petit peu analogue, mais pas
du même sens, que je dirais qu’ils auraient pu faire si vraiment les
gens travaillaient un peu, si vraiment ils interrogeaient le signifiant,
le fonctionnement du langage. S’ils l’interrogeaient de la même façon
que l’interroge un analysant, comme je l’appelle, c’est-à-dire pas un
analysé, puisque c’est lui qui fait le travail : le type qui est en
analyse…
… s’il l’interrogeait de la même façon, peut être qu’il en sortirait
quelque chose.
(50)
C’est ça la règle analytique. Ça ne lui était jamais arrivé qu’on
[…] pas simplement le type qui a une velléité. On le force à dire
quelque chose, et là, c’est là qu’on l’attrape, parce que quand même
l’interprétation analytique, même quand elle est faite par un imbécile,
ça joue quand même sur quelque chose, au niveau de l’interprétation.
On lui montre quelques effets logiques de ce qu’il dit, qui se contredit
à la fois. Se contredire ce n’est pas de tout le monde.
Mais on ne peut pas se contredire de n’importe quelle façon. Il y a
des contradictions sur lesquelles on peut construire quelque chose,
et puis d’autres sur lesquelles on ne peut rien construire du tout.
C’est tel le discours analytique. On dit ce quelque chose, très
précisément au niveau où le signifiant est l’Un, la racine même du

93
signifiant. Ce qui fait que le signifiant, ça fonctionne, parce que c’est
là qu’on attrape l’Un, c’est là qu’il y a de l’Un.
[La trascrizione, per difetti di registrazione, subirà in alcuni punti un
andamento frammentario. Il tratto perduto sarà indicato […] ]
Nous en sommes, par ailleurs, tout de même arrivés à quelques
petites cogitations qui ne nous paraissent pas complètement
superflues du côté de l’interrogation des nombres entiers – parce que
quand même la théorie des ensembles, Cantor et tout le reste, ça
consiste juste à se demander pourquoi il y a de l’Un. C’est pas autre
chose.
Et peut-être, avec un peu d’effort, on arriverait à s’apercevoir que
les nombres entiers, qu’on appelle naturels, ils ne sont pas si naturels
que ça… comme le reste des nombres.
Bref, il y a quelque chose qui devrait survenir à un certain niveau,
qui est celui de la structure.
Ces trois-quarts de siècle, qui sont maintenant écoulés depuis que
Freud a sorti cette fabuleuse subversion de tout ce qu’il en est… il y
a une autre chose qui a cavalé, et rudement bien, qui s’appelle rien
de moins que le discours de la science, qui pour l’instant mène le
jeu… même le jeu jusqu’à ce qu’on en voie la limite : et si il y a
quelque chose qui est corrélatif de cette issue du discours de la
science, quelque chose dont il n’y avait aucune chance que ça ne
parût avant le triomphe du discours de la science, c’est le discours
analytique.
Freud est absolument impensable avant l’émergence, non
seulement du discours de la science, mais aussi de (51)ses effets, de
ses effets qui sont, bien entendu, toujours plus évidents, toujours
plus patents, toujours plus critiques, et dont après tout on peut
considérer […] on ne l’a pas encore fait, peut-être un jour il y aura
un discours appelé, comme ça : « le mal de la jeunesse ».
Mais il y a quelque chose qui crie… et une nouvelle fonction qui
ne manquera pas de surgir, n’est-ce pas, d’aborder peut-être, sauf
accident, un re-départ dans l’instauration de ce qui est… de ce que
j’appelle discours.
94
J’ai à peine dit ce que c’est qu’un discours.
Le discours c’est quoi ? C’est ce qui, dans l’ordre… dans
l’ordonnance de ce qui peut se produire par l’existence du langage,
fait fonction de lien social. Il y a peut-être un bain social, comme ça,
naturel, c’est là que se partagent, éternellement, les sociologues…
mais personnellement, je n’en crois rien.
Et il n’y en a pas trente-six possibles, il n’y en a même que quatre…
Des signifiants, il faut au moins qu’il y en ait deux.
Ça veut dire, le signifiant en tant qu’il fonctionne comme élément,
ce qu’on appelle élément justement dans la théorie des ensembles :
le signifiant en tant que c’est le mode dont se structure le monde, le
monde de l’être parlant, c’est-à-dire tout le savoir.
Il y a donc S1 et S2 – c’est d’où il faut partir pour cette définition
que […] le signifiant, c’est ce qui représente un sujet pour un autre
signifiant.
Ce sujet, ce n’est pas ce que nous croyons, ce n’est pas le rêve,
l’illusion […] c’est tout ce qu’il y a de déterminé par cet effet de
signifiant. Et ça va beaucoup plus loin que ce dont quiconque est
conscient… soit connivent.
C’est ça, la découverte de Freud : c’est que, les effets du signifiant,
il y en a toute une part qui échappe totalement à ce que nous
appelons couramment le sujet. C’est, notons-le bien, le sujet,
déterminé jusque dans tous ses détails par les effets du signifiant […].
Nous savons ce que produit le langage : il produit quoi ? Ce que j’ai
appelé là le plus-de-jouir, parce que c’est le terme qui est appliqué à
ce niveau, que nous connaissons bien, qui s’appelle le désir.
Plus exactement, il produit la cause du désir. Et c’est ça qui
s’appelle l’objet petit a.
(52)
L’objet petit a, c’est le vrai support de tout ce que nous avons
vu fonctionner et qui fonctionne de façon de plus en plus pure pour
spécifier chacun dans son désir.
Ce dont l’expérience analytique donne le catalogue sous le terme
de pulsion […] pulsion qu’on appelle orale […] un très bel objet, un

95
objet lié à ceci […] dès qu’il a pris l’habitude de sucer […]. Il y en a
qui sucent comme ça toute leur vie.
Mais pourquoi suceraient-ils toute leur vie si ce n’était pas dans
l’interstice, dans l’intervalle des effets de langage ? L’effet de langage
en tant qu’il est appris en même temps, sauf à qui reste
complètement idiot, n’est-ce pas ?…
C’est ça qui donne son essence… et son essence tellement
essentielle que c’est ça, la personnalité : c’est la façon dont quelqu’un
subsiste face à cet objet petit a… Il y en a d’autres et j’ai essayé de
dire lesquels.
Mais là-dessus la psychanalyse, autant que Freud, jamais plus que
Freud, jamais plus ni mieux que Freud… On a ajouté, bien sûr, des
détails, une structure, un statut, sur cette fonction de l’objet petit a…
Mélanie Klein a apporté largement sa contribution, et quelques
autres aussi, Winnicott… l’objet transitionnel…
C’est ça, c’est ça la véritable âme… la nouvelle subjectivité, au sens
ancien…
C’est ça, ce que nous apprend l’expérience analytique.
C’est donc là que beaucoup de psychanalystes… C’est le rôle qu’ils
jouent au niveau du semblant.
C’est ça qui les accable, c’est la cause du désir, dans celui auquel ils
ouvrent la carrière de l’analysant.
C’est de là que pourrait… pourrait peut être sortir autre chose…
quelque chose qui devrait faire un pas vers une autre construction…
C’est à savoir que ce dont il s’agit après tout, en fin de compte,
c’est que l’expérience tourne aussi court que possible – c’est-à-dire
que le sujet avec quelques interprétations s’en tient quitte et trouve
une forme de malentendu dans laquelle il puisse subsister.
Quelle est l’autre personne qui m’a posé une autre question ?

X – Quelle est la différence entre le discours du maître et le


discours du capitaliste ?

96
L – Je l’ai quand même indiquée tout à l’heure, j’ai (53)parlé latin, la
chanson de toujours n’est-ce pas, entre le sujet et le S1. Si vous
voulez nous en parlerons à la fin, en plus petit comité, mais je l’ai
indiqué.

Y – Quel est le rôle de l’appareil algorithmique dans – excusez-


moi le mot – le système ? Si nous sommes dans le langage, quel
métalangage pourrait parler la chaîne signifiante ?… et votre style
lui-même est la preuve qu’il n’y a pas de métalangage possible…

L – Il faut dire aux gens qui parlent du métalangage : alors, où est


le langage ?

Y – D’accord, sur ça vous êtes très facile… mais quel est


l’appareil algorithmique dans la mesure où il échappe au langage
naturel, qui n’a pas de métalangage, qui n’est pas soumis au
métalangage ? Du moment où vous employez un appareil
algorithmique, n’essayez-vous pas de bloquer cette fuite, ce
dérapage continuel de la chaîne signifiante dans quelque chose
qui la définit du dehors ? Sauf si la chaîne signifiante n’est pas le
langage naturel mais un appareil logique, algorithmique au-
dessus. Si vous employez l’appareil algorithmique pour la définir
et la bloquer, n’est-il pas, l’appareil algorithmique, le seul désir
finalement accompli ?

L – C’est très pertinent, à ceci près, que ce dont il s’agit dans ce


que vous appelez à très juste titre algorithme… cet algorithme ne
sort pas de l’expérience analytique elle-même.
Ce qui prend sens, je l’ai toujours expressément articulé, ce qui
prend sens valablement est toujours lié à ce que j’appellerai, si vous
le voulez, le point de contact. Et souvent est un point de contact
l’idéal, comme la théorie mathématique […].
C’est pour autant que ce S1, cet Un du signifiant, fonctionne en des
points, en des lieux différents, dans cette tentative de réduction
97
radicale, qu’il peut prendre sens d’être, si je peux dire, traduit […]
qu’il peut être traduit d’un de ces discours dans l’autre.
C’est pour autant que, dans ces quatre discours, jamais les termes
[…] ne sont à la même place fonctionnelle, qu’après tout… – pour
ce qui nous intéresse, pour ce qui est incidence actuelle des effets
subjectivants, dans ce qui nous intéresse ça se peut pour l’instant…,
je ne dis pas que ce soit la seule formule possible, mais ça peut pour
l’instant s’articuler de cette façon à l’algorithme – qu’il y ait
convergence entre la limite où se tient pour l’instant la logique
(54)
mathématique et les problèmes de nous analystes qui essayons un
tout petit peu de maîtriser ce que nous faisons.
Qu’il y a convergence… qu’il y a la même limite algorithmique […]
la fonction de la limite…
Nous ne pouvons pas dire n’importe quoi.
Même les analystes les plus traditionnels ne se permettraient pas
de dire n’importe quoi.
C’est ce que j’ai écrit là : « qu’on dise – je ne sais même pas quand
j’avais écrit ça – qu’on dise comme fait reste oublié – je dis
habituellement – derrière ce qui est dit dans ce qui s’entend ».
« Dans ce qui s’entend » : à quoi ça se rapporte ? C’est parfaitement
ambigu. Ça peut se rapporter à « reste oublié » – c’est le « qu’on
dise » qui peut rester oublié dans ce qui s’entend, – ou c’est « ce qui
est dit dans ce qui s’entend » ?
C’est un usage parfaitement exemplaire de l’ambiguïté au niveau
de la structure générale – transformationnelle, hein ?
C’est con, tout le monde le fait, à ceci près qu’on ne s’en aperçoit
pas.
Qu’est ce qu’il y a ensuite dessous ?
« Cet énoncé qui est assertif par sa forme », que j’ai qualifiée
d’universelle, « appartient au modal pour ce qu’il émet d’existence ».
J’ai à peine eu le temps d’assister aujourd’hui à ce qu’il en est de
l’existence : j’avais commencé assez clair et puis enfin, comme
d’habitude, je suis moi-même sous mon fardeau plus au moins
fléchissant.
98
Mais enfin, ce qui est tout à fait clair, c’est que nous en sommes à
ça : à interroger l’« il existe » au niveau du mathème, au niveau de
l’algorithme.
Il n’est qu’au niveau de l’algorithme que l’existence est recevable
comme telle. À partir du moment où le discours scientifique
s’instaure, ça veut dire tout savoir, il ne s’inscrit que dans le mathème.
Tout savoir est un savoir enseignable… Nous en sommes là, à poser
l’existence comme étant ce qui est lié à la structure-algorithme.
C’est un effet d’histoire que nous en sommes à nous interroger,
non pas sur notre être mais sur notre existence : que je pense « donc
je suis » – entre guillemets : « donc je suis ». Soit ce à partir de quoi
est née l’existence, c’est là que nous en sommes. C’est le fait du
« qu’on dise » – c’est le dire qui est derrière tout ce qui est dit – qui
(55)
est le quelque chose qui en vient à surgir dans l’actualité historique.
Et là vous ne pouvez aucunement dire que c’est un fait de désir
théorique, de ma part par exemple.
C’est ainsi que les choses se situent, émergent… l’émergence
comme telle de l’ordonnance du discours : c’est à partir de là qu’il y
a émission d’existence, d’existence comme de quelque chose qui est
aussi bien du niveau de ce petit a dont le sujet se divise.
C’est une question qui me paraît, enfin, parce que je viens de vous
répondre, enfin atteinte…

99
1972.05.17. …Ou pire. Leçon 10
Séminaire : Panthéon-Sorbonne
[Au tableau ]
Il n’y a pas d’autre existence de l’Un que l’existence mathématique
Voilà ! Ça tourne autour de ce que l’analyse nous conduit à for-
muler cette fonction !,
de ce par rapport à quoi il s’agit de savoir s’il existe, s’il existe un X
qui satisfasse à la fonction [:!].
Alors, naturellement, ça suppose d’articuler ce que ça peut être que
l’existence.

Il est à peu près certain que, historiquement, ça n’a surgi, cette


notion de l’existence, qu’avec l’intrusion du réel mathématique comme
tel. Mais c’est une preuve de rien parce que nous ne sommes pas ici
pour faire l’histoire de la pensée,
il ne peut y voir aucune histoire de la pensée, la pensée est une fuite
en elle-même.
Elle projette sous le nom de mémoire, n’est-ce pas, la méconnaissance de
sa moire.

Tout ça n’empêche pas que nous pouvons essayer de faire certain


repérage et...
pour partir de ce qui n’est pas par hasard que j’ai écrit en forme de
fonctions
...j’ai commencé d’énoncer quelque chose qui j’espère vous rendra
service, un dire que, si je l’écris, c’est dans un sens, dans le sens que
c’est une fonction sans rapport avec quoi que ce soit qui fonde
d’eux - d, apostrophe, e, u, x - Un.

Alors vous voyez que toute l’astuce est sur le subjonctif qui
appartient à la fois au verbe « fonder » et au verbe « fondre ».
D’eux n’est pas fondu en Un, ni 1 fondé par 2. C’est ce que dit
Aristophane dans une très jolie petite fabulette du Banquet :

100
Ils ont été séparés en deux, ils étaient d’abord en forme de « bête à deux dos »,
ou de bête à dos d’eux.

Ce qui bien sûr...


si la fable songeait le moins du monde un instant à être autre chose
qu’une fable, c’est-à-dire à être consistante
...n’impliquerait nullement qu’ils ne refassent pas des petits à deux dos,
à dos d’eux, ce dont personne ne fait la remarque
et heureusement, parce qu’un mythe est un mythe et celui-là en dit
assez, c’est celui que j’ai d’abord projeté
sous une forme plus moderne, sous la forme de !.

C’est en somme ce qui, concernant les rapports sexuels, se présente à


nous comme l’espèce de discours...
je parle de la fonction mathématique
...l’espèce de discours...
tout au moins je vous le propose comme modèle
...qui sur ce point nous permettrait de fonder autre chose : du
semblant, …ou pire.

Bon ! Ce matin moi, j’ai commencé dans le pire et malgré tout, je


trouve pas superflu de vous en faire part,
ne serait-ce que pour voir où ça peut aller. C’était à propos de cette
petite coupure de courant dont je ne sais pas jusqu’où vous l’avez
eue, mais moi je l’ai eue jusqu’à dix heures. Elle m’a énormément
emmerdé, parce que c’est l’heure où d’habitude je rassemble, je
repense à ces petites notes, et que ça ne me le facilitait pas.

En plus, à cause de la même coupure, on m’a cassé un verre à dents


auquel je tenais beaucoup.
S’il y a des gens qui m’aiment ici, ils peuvent m’en envoyer un
autre.
J’en aurais peut-être comme ça plusieurs, ce qui me permettra de
les casser tous sauf celui que je préférerai.
101
J’ai une petite cour qui est faite exprès pour ça.

Alors, je me disais, en pensant que bien sûr cette coupure, ça ne


nous venait pas de personne,
ça nous venait d’une décision des travailleurs... Moi j’ai un respect
que l’on ne peut même pas imaginer
pour la gentillesse de cette chose qui s’appelle une coupure, une
grève.
Quelle délicatesse de s’en tenir là ! Mais là il me semblait que, vu
l’heure...

Quoi ?!

X dans salle - On n’entend rien.

On n’entend pas ? On n’entend pas !


J’étais en train de dire qu’une grève c’était la chose du monde la plus
sociale qui soit,
qui représente un respect du lien social qui est quelque chose de
fabuleux.

Mais là il y avait une pointe dans cette coupure de courant qui avait
une signification d’une grève,
c’est que c’était justement l’heure où, tout comme à moi, qui
préparais ma cuisine, pour vous parler maintenant,
qu’est-ce que ça devait pouvoir enquiquiner celle qui...
malgré tout, étant à l’occasion la femme du travailleur
...s’appelle, de la bouche même du travailleur, qui - quand même,
j’en fréquente ! - s’appelle « la bourgeoise » !
C’est vrai qu’ils les appellent comme ça !

Et alors je me mettais quand même à rêver. Parce que tout ça se


tient. Ce sont des travailleurs, des exploités.

102
C’est tout de même bien parce qu’ils préfèrent encore ça à
l’exploitation sexuelle de la bourgeoise !
Voilà, ça c’est pire, c’est le …ou pire.

Vous comprenez ? Parce que, à quoi ça mène de prononcer des


articulations sur des choses à quoi on ne peut rien ?
Le rapport sexuel ne se présente, on ne peut pas dire que sous la
forme de l’exploitation,
c’est d’avant : c’est à cause de ça que l’exploitation s’organise parce
que, il n’y a même pas cette exploitation-là.
Voilà, ça c’est pire, c’est le ...ou pire.

C’est pas sérieux, c’est pas sérieux quoiqu’on voit bien que c’est là que
devrait aller « un discours qui ne serait pas du semblant », mais c’est un
discours qui finirait mal. Ça serait pas du tout un lien social, comme
c’est ce qu’il faut que soit un discours.

Bon, alors il s’agit maintenant du discours psychanalytique,


et il s’agit de faire que celui qui y fait fonction de (a) tienne une
position...
je vous ai déjà expliqué ça la dernière fois, bien sûr naturellement ça
vous est passé comme l’eau
sur les plumes d’un canard, mais enfin certains quand même en ont
paru un peu comme ça mouillés
...tienne la position du semblant.

Ceux qui sont vraiment intéressés là-dedans, j’en ai eu quand même


des échos, ça les a émus.
Il y a certains psychanalystes qui ont quelque chose qui les
tourmente, qui les angoisse de temps en temps.

103
C’est pas pour ça que je dis ça, que j’insiste sur le fait que l’objet(a)
doive tenir la position du semblant,
c’est pas pour leur foutre de l’angoisse, je préférerais même qu’ils
n’en aient pas.

Enfin, c’est pas un mauvais signe que ça la leur donne, parce que ça
veut dire que mon discours n’est pas complètement superflu, qu’il
peut prendre un sens. Mais ça ne suffit pas, ça n’assure absolument
rien qu’un discours ait un sens,
parce qu’il faut au moins que ce sens, on puisse le repérer, n’est-ce
pas.

Si vous faites ça, enfin, le mouvement brownien, à chaque instant,


ça a un sens.
C’est bien ce qui rend la position du psychanalyste difficile, c’est
parce que l’objet (a), sa fonction c’est le déplacement.
Et comme ce n’est pas à propos du psychanalyste que j’ai fait
descendre du ciel pour la première fois l’objet (a),
j’ai commencé dans un petit graphe...
qui était fait pour donner os, ou repère, aux formations de l’inconscient
...à le cerner dans un point d’où il ne pouvait pas bouger.

Dans la position du semblant c’est beaucoup moins facile d’y rester


parce que l’objet(a)
il vous fout le camp en moins de deux entre les pattes puisque
c’est...
comme je l’ai déjà expliqué quand j’ai commencé - à propos du
langage - à en parler
...c’est « il court, il court, le furet... » : dans tout ce que vous dites, il est
à chaque instant ailleurs.

Alors c’est pour ça que nous essayons d’appréhender d’où pourrait


se situer quelque chose qui serait au-delà du sens,

104
de ce sens qui fait qu’aussi bien je ne peux pas obtenir d’autre effet
que l’angoisse là où c’est pas du tout ma visée.
C’est en ça que nous intéresse que soit ancré ce réel, ce réel que je dis
- pas pour rien - être mathématique,
parce que, somme toute, à l’expérience de ce qu’il s’agit, de ce qui se
formule, de ce qui s’écrit à l’occasion, nous voyons, nous pouvons
toucher du doigt que là, il y a quelque chose qui résiste, je veux dire
dont on ne peut pas dire n’importe quoi. On ne peut pas donner au
réel mathématique n’importe quel sens.
Il est même tout à fait frappant que ceux qui se sont en somme,
dans une époque récente,
approchés de ce réel avec l’idée préconçue de lui faire rendre
compte de son sens à partir du vrai...
Il y avait comme ça un immense farfelu, que vous connaissez bien
sûr de réputation,
parce qu’il a fait son petit bruit dans le monde, qui s’appelait
Bertrand Russell,
qui est au cœur de cette aventure et c’est quand même lui qui a
formulé quelque chose comme ceci :

« que la mathématique, c’est quelque chose qui s’articule d’une façon telle
qu’en fin de compte on ne sait même pas si c’est vrai ce qui s’articule, ni si ça a
un sens ».

Ça n’empêche pas que, justement, ça prouve ceci, c’est qu’on ne


peut lui en donner n’importe lequel,
ni dans l’ordre de la vérité,
ni dans l’ordre du sens,
et que ça résiste au point que, pour aboutir à ce résultat que moi je
considère comme un succès...
le succès même, n’est-ce pas le mode sous lequel ça s’impose, que
c’est réel
...c’est que justement ni « le vrai » ni « le sens » n’y dominent, ils sont
secondaires.
105
Et que de là, la position...
cette position seconde, à ces deux machins qui s’appellent le vrai et
le sens
...leur restait inhabituelle à eux, enfin que ça donne un peu le
tournis aux gens quand ils prennent la peine de penser.
C’était le cas de Bertrand Russell, il pensait. C’était... c’est une
manie d’aristocrate, n’est-ce pas,
et il n’y a vraiment aucune raison de trouver que ce soit là une
fonction essentielle.

Mais ceux qui édifient...


je ne suis pas en train de faire de l’ironie
...la théorie des ensembles ont bien assez à faire dans ce réel pour
trouver le temps de penser à côté.
La façon dont on s’est engagé dans une voie non seulement dont
on ne peut pas en sortir,
mais dont ça mène quelque part, avec une nécessité et puis en plus
une fécondité,
fait qu’on touche, qu’on a affaire à tout autre chose [le réel] que ce
qui est pourtant employé [les « petites lettres »].

Ce qui a été la démarche dans l’initium de cette théorie, c’était


d’interroger tout ce qu’il en était de ce réel,
car c’est de là qu’on est parti parce qu’on ne pouvait pas ne pas voir
que le nombre c’était réel,
et que depuis quelque temps, enfin il y avait du rififi avec l’1.

C’était pas quand même une mince affaire de s’apercevoir que le


nombre réel,
on pouvait mettre en question si ça avait à faire quelque chose avec
l’1,
l’1 comme ça, le premier des nombres entiers, des nombres dits
naturels.
106
C’est qu’on avait eu le temps, depuis le XVIIème siècle jusqu’au
début du XIXème siècle,
d’approcher le nombre un tout petit peu autrement que les Anciens
ne l’avaient fait.

Si je pars de ça, c’est bien parce que c’est ça l’essentiel.


Non seulement « Yad’lun », mais ça se voit à ça : que l’Un, lui, il ne
pense pas.

Il pense pas : « donc je suis », en particulier.


Quand je dis : il pense pas : « donc je suis », j’espère que vous vous
souvenez que même Descartes, c’est pas ce qu’il dit.
Il dit : ça se pense « donc je suis » entre guillemets.

L’Un, ça se pense pas, même tout seul, mais ça dit quelque chose, c’est
même ça qui le distingue, et il n’a pas attendu que
des gens se posent à son propos, à propos de ses rapports, la
question de ce que ça veut dire du point de vue de la vérité.
Il n’a pas attendu même la logique. Car c’est ça la logique. La logique
c’est de repérer dans la grammaire
ce qui prend forme de la position de vérité, ce qui dans le langage le
rend adéquat à faire vérité. Adéquat, ça veut pas dire qu’il réussira
toujours, alors à bien rechercher ses formes on croit approcher ce
qu’il en est de la vérité.

Mais avant qu’Aristote s’avise de ça, à savoir du rapport à la gram-


maire, l’Un avait déjà parlé, et pas pour rien dire.
Il dit ce qu’il a à dire : dans le « Parménide » c’est l’Un qui se dit.
Il se dit - il faut bien le dire - en visant à être vrai, d’où naturellement
l’affolement qui en résulte.

Il n’y a personne, parmi les personnes qui font la cuisine du savoir, qui ne
se sente pas à chaque fois en prendre un bon coup. Ça casse le
verre à dents ! C’est bien pour ça qu’après tout...
107
encore que certains aient mis une certaine bonne volonté, un
certain courage à dire :
« qu’après tout ça peut s’admettre quoique ce soit un peu tiré par les cheveux »
...on n’en est pas encore venu à bout de cette chose qui était pour-
tant simple : de s’apercevoir que l’Un,
quand il est véridique, quand il dit ce qu’il a à dire, on voit où ça va : en
tout cas à la totale récusation d’aucun rapport à l’être.

Il n’y a qu’une chose qui en ressorte quand il s’articule, c’est très exac-
tement ceci : il y en a pas deux. Je vous l’ai dit, c’est un dire.
Et même vous, pouvez y trouver, comme ça, à la portée de la main, la
confirmation de ce que moi je dis, quand je dis que

« la vérité ne peut que se mi-dire ».

Parce que, vous n’avez qu’à casser la formule : pour dire ça il ne


peut que dire
ou bien « y en a », et comme je le dis : « Yad’lun »,
ou bien « pas deux », ce qui s’interprète tout de suite pour nous : « il
n’y a pas de rapport sexuel ».

C’est donc déjà, vous voyez bien, à la portée de notre main...


bien sûr, pas à la portée de la main unienne de l’Un
...d’en faire quelque chose dans le sens du sens.

C’est bien pour ça que je recommande à ceux qui veulent tenir la


position de l’analyste...
avec ce que ça comporte de savoir ne pas en glisser
...de se mettre à la page de ce qui bien sûr, pourrait pour eux se lire
à seulement travailler le Parménide,
mais ça serait quand même un peu court, on se casse les dents là-
dessus.

Au lieu qu’il est arrivé autre chose qui rend tout à fait clair...
108
si bien sûr on s’obstine un peu, si on s’y rompt, si on s’y brise,
même
...qui rend tout à fait claire la distinction qu’il y a
d’un réel qui est un réel mathématique,
avec quoi que ce soit de ces badinages qui partent de ce « je ne sais
quoi »,
qui est notre position nauséeuse qui s’appelle « le vrai » ou « le sens ».

Bien sûr, naturellement, ça ne veut pas dire que ça n’aura pas


d’effet...
d’effet de massage, d’effet de revigoration, d’effet de soufflage,
d’effet de nettoiement
...sur ce qui nous paraîtra exigible au regard du vrai ou bien du sens.

Mais justement, c’est bien ce que j’en attends :


c’est qu’à se former à distinguer ce qu’il en est de l’Un,
simplement à s’approcher de ce réel dont il s’agit, en ce qu’il
supporte le nombre,
déjà ça permettra beaucoup à l’analyste.

Je veux dire qu’il peut lui venir...


dans ce biais où il s’agit d’interpréter, de rénover le sens
...de dire des choses de ce fait un peu moins court-circuitées, un
peu moins « chatoiement »,
que toutes les conneries qui peuvent nous venir et dont tout à
l’heure - ...ou pire, comme ça -
je vous ai donné l’échantillon à partir simplement de ce qui pour
moi n’était que la contrariété du matin.

J’aurais pu broder comme ça sur le travailleur et sa bourgeoise et en


tirer une mythologie.
Ça vous a fait rire d’ailleurs, parce que dans ce genre il y a...
le champ est vaste, le sens et le vrai, ça ne manque pas,
c’est même devenu la mangeoire universitaire justement
109
...il y en a tellement, il y a un tel éventail qu’il s’en trouvera bien un, un
jour pour faire avec ce que je vous dis,
une ontologie, pour dire que j’ai dit que :

« la parole, c’était un effet de comblement de cette béance qui est ce que


j’articule : il n’y a pas de rapport sexuel ».

Ça va tout seul comme ça. Interprétation subjectiviste, n’est-ce pas


?
C’est parce qu’il ne peut pas la chatouiller qu’il lui fait du baratin.
C’est simple ça, c’est simple !

Moi ce que j’essaie, c’est autre chose.


C’est de faire que dans votre discours, vous mettiez moins de
conneries - je parle des analystes.
Pour ça, que vous essayiez d’aérer un peu « le sens » avec des élé-
ments qui seraient un peu nouveaux.
Alors c’est pourtant pas une exigence qui ne s’impose pas, parce
qu’il est bien clair qu’il n’y a aucun moyen de répartir deux séries
quelconques - quelconques, je dis - d’attributs qui fassent
une série mâle d’un côté,
et de l’autre côté la série femme.
Je n’ai d’abord pas dit homme pour ne pas faire de confusion, parce que je
vais broder là dessus encore pour rester dans le pire.

Évidemment c’est tentant, même pour moi. Moi, je m’amuse. Et


puis je suis sûr de vous amuser à montrer
que ce qu’on appelle « l’actif »...
si c’est là-dessus que vous vous fondez parce que, naturellement,
c’est la monnaie courante
...que c’est ça « l’homme » : il est actif le cher mignon !
Dans le rapport sexuel alors, il me semble que c’est, c’est plutôt la
femme qui, elle, en met un coup. Bon...

110
Puis il y a qu’à le voir quand même dans des positions que nous
appellerons nullement primitives,
mais c’est pas parce qu’on en rencontre dans le tiers monde...
qui est « le monde de Monsieur Thiers », n’est-ce pas ?
...que c’est pas évident que dans la vie normale...
je parle pas bien sûr naturellement des types du « Gaz et de
l’Électricité de France »
qui eux ont pris leur distance, qui se sont rués dans le travail
...mais dans une vie comme ça, appelons-la simplement ce qu’elle
est, ce qu’elle est partout...
sauf quand il y a eu une grande subversion chrétienne, notre grande
subversion chrétienne
...l’homme il se les roule, la femme elle moud, elle broie, elle coud,
elle fait les courses et elle trouve le moyen encore,
dans ces solides civilisations qui ne sont pas perdues, elle trouve
encore le moyen de tortiller du derrière après pour...
je parle d’une danse bien sûr, hein !
...pour la satisfaction jubilatoire du type qui est là!

Alors pour ce qu’il en est de l’actif et du passif permettez-moi de...


C’est vrai qu’il chasse ! [Rires] Et il y a pas de quoi rigoler mes petites,
c’est très important !
Puisque vous me provoquez, alors je continuerai à m’amuser. C’est
malheureux parce que comme ça,
je n’arriverai pas au bout de ce que j’avais à vous dire aujourd’hui
concernant l’Un. Il est deux heures !

Mais quand même puisque ça fait rigoler, la chasse...


Je sais pas, je sais pas si tout de même, malgré tout, c’est pas
absolument superflu d’y voir justement la vertu de l’homme, la vertu
justement par laquelle il se montre, il se montre ce qu’il a de
mieux : être passif.
Parce que, d’après tout ce qu’on sait, quand même, je sais pas si
vous vous rendez bien compte,
111
parce que bien sûr vous êtes tous ici des « jean foutre », et s’il y a pas
ici de paysans, personne ne chasse,
mais s’il y avait aussi ici des paysans : ils chassent mal.

Pour le paysan...
c’est pas forcément un homme, hein, le paysan, quoiqu’on en dise
...pour le paysan, le gibier ça se rabat : pan ! pan ! On lui ramène
tout ça. C’est pas ça du tout la chasse !
La chasse quand elle existe, il y a qu’à voir dans quelles transes ça
les mettait, ça, parce qu’on le sait,
enfin on en a eu des petites traces de tout ce qu’ils offraient de propi-
tiatoire à la chose - quoi ! -qui pourtant n’était plus là.

Vous comprenez ils étaient quand même pas plus dingues que
nous, une bête tuée est une bête tuée.
Seulement, s’ils avaient pas pu tuer la bête, c’est parce qu’ils
s’étaient si bien soumis à tout ce qui est de sa démarche,
de sa trace, de ses limites, de son territoire, de ses préoccupations
sexuelles, pour s’être justement, eux, substitués
à ce qui n’est pas tout ça, à la non-défense, à la non-clôture, aux
non-limites de la bête, à la vie il faut dire le mot.
Et que quand cette vie ils avaient dû la soustraire, après y être
devenus tellement, eux, cette vie même,
que ça se comprend bien sûr, qu’ils aient trouvé que non seulement
ça faisait moche mais que c’était dangereux.
Que ça pouvait bien, à eux, leur arriver aussi.

Ça pourrait être de ces choses qui ont même fait penser, comme ça,
quelques-uns, parce que ces choses-là quand même, ça continue à
se sentir, et j’ai entendu ça, moi, formulé d’une façon curieuse par
quelqu’un d’excessivement intelligent,
un mathématicien : que...
mais alors là il extrapole le gars quand même, mais enfin je vous le
fournis parce que c’est excitant
112
...que le système nerveux dans un organisme, c’était peut-être bien pas autre
chose que ce qui résulte d’une identification à la proie, hein ?

Bon, je vous lâche l’idée comme ça, je vous la donne, vous en ferez
ce que vous voudrez, bien sûr,
mais on peut déconner là-dessus une nouvelle théorie de l’évolution qui
sera un tout petit peu plus drôle que les précédentes.
Je vous la donne d’autant plus volontiers :
d’abord, [parce] qu’elle n’est pas à moi, à moi aussi on me l’a
refilée,
mais je suis sûr que ça excitera les cervelles ontologiques.

C’est vrai bien sûr aussi pour le pêcheur. Enfin dans tout ce par
quoi l’homme est femme.
Parce que la façon dont un pêcheur passe la main sous le ventre de
la truite qui est sous son rocher - faut qu’il y ait ici
un pêcheur de truite, quand même il y a des chances, il doit savoir
ce que je dis là - ça, c’est quelque chose !

Enfin tout ça ne nous met pas sur le sujet de l’actif et du passif, dans
une répartition bien claire.
Alors je ne vais pas m’étendre parce qu’il suffit que je confronte
chacun de ces couples habituels
avec un essai de répartition bisexuelle quelconque pour arriver à
des résultats aussi bouffons.
Alors qu’est-ce que ça pourrait bien être ?

Quand je dis « Yad’l’Un »...


il faut quand même que je balaie le pas de ma porte et puis je vois
pas pourquoi je n’en resterai pas là puisque je vous parlerai donc le
jeudi, le jeudi 1er Juin je crois, quelque chose comme ça.
Vous vous rendez compte, le 1er jeudi de Juin je suis forcé de
revenir des quelques jours de vacances pour ne pas manquer à
Sainte Anne !
113
...alors je vais quand même là, tout de même faire la remarque que
« Yad’l’Un », ça ne veut pas dire...
il me semble que quand même pour beaucoup ça doit être déjà su,
mais pourquoi pas ?
...ça ne veut pas dire qu’il y a de l’individu.

C’est bien pour ça, vous comprenez, que je vous demande


d’enraciner cet « Yad’l’Un » de là où il vient. C’est-à-dire

« qu’il n’y a pas d’autre existence de l’Un que l’existence mathématique ».

Il y a Un quelque chose, Un argument qui satisfait à Une formule.

Et un argument c’est quelque chose de complètement vidé de


sens, c’est simplement l’Un comme Un.
C’est ça que j’avais, au départ, l’intention de vous bien marquer
dans la théorie des ensembles.
Je vais peut-être quand même pouvoir vous l’indiquer tout au
moins avant de vous quitter.
Mais il faut liquider aussi ceci d’abord : que même pas l’idée de
l’individu, ça ne constitue en aucun cas l’Un.

Parce que, on voit bien quand même, que ça pourrait être à la


portée, pour ce qui est du rapport sexuel,
sur lequel en somme, pas mal de gens s’imaginent que ça se fonde :
il y a autant d’individus d’un côté que de l’autre...
en principe, au moins chez l’être qui parle, le nombre des hommes
et des femmes sauf exception, n’est-ce pas, je veux dire des petites
exceptions :
dans les Iles Britanniques, il y a un peu moins d’hommes que de
femmes,
il y a les grands massacres, naturellement des hommes, bon !
Mais enfin ça n’empêche pas que chacune a eu son chacun

114
...ça ne suffit pas du tout à motiver le rapport sexuel, qu’ils aillent
un par un.

C’est quand même drôle que vous l’ayez vu, qu’il y ait là une espèce
d’impureté de la théorie des ensembles
autour de cette idée de la correspondance biunivoque, on voit bien
en quoi là l’ensemble se rattache à la classe
et que la classe, comme tout ce qui s’épingle d’un attribut, c’est
quelque chose qui a affaire avec le rapport sexuel.

Seulement c’est justement ça que je vous demande de pouvoir


appréhender grâce à la fonction de l’ensemble.
C’est qu’il y a un 1 distinct de ce [Un] qui unifie, comme attribut,
une classe.

Il y a une transition par l’intermédiaire de cette correspondance


biunivoque.
Il y en a autant d’un côté que de l’autre et que certains fondent là-
dessus l’idée de la monogamie.
On se demande en quoi c’est soutenable, mais enfin c’est dans
l’Évangile.

Comme il y en a autant, jusqu’au moment où il y aura une catas-


trophe sociale,
ça, c’est arrivé parait-il au milieu du Moyen-Âge en Allemagne, on a
pu statuer parait-il à ce moment là
que le rapport sexuel pouvait être autre chose que bi-univoque.

Mais c’est assez amusant ceci, c’est que le sex-ratio, il y a des gens
qui se sont posé le problème en tant que tel :
y a-t-il autant de mâles que de femelles ?
Et il y a eu une littérature là-dessus, qui est vraiment très piquante,
très amusante, parce que ce problème

115
est en somme un problème qui est résolu le plus fréquemment par
ce que nous appellerons la sélection chromosomique.
Le cas le plus fréquent est évidemment la répartition des deux sexes
en une quantité d’individus reproduits
égaux dans chaque sexe, égaux en nombre.

Mais c’est vraiment très joli qu’on se soit posé la question de ce qui
arrive si un déséquilibre commence à se produire.
On peut très facilement démontrer que dans certains cas de ce
déséquilibre, ça ne peut aller qu’en s’accroissant ce déséquilibre, si on
s’en tient à la sélection chromosomique, que nous n’appellerons
pas de hasard puisqu’il s’agit d’une répartition.
Mais alors la solution tellement élégante qu’on y a donnée, c’est que
dans ce cas ça doit être compensé par la sélection naturelle. La
« sélection naturelle » on la voit, là, se montrer à nu.

Je veux dire que ça se résume à dire ceci : que les plus forts sont
forcément les moins nombreux
et que comme ils sont les plus forts, ils prospèrent et que donc ils
vont rejoindre les autres en nombre.
La connexion de cette idée de la sélection naturelle avec justement
le rapport sexuel,
est un des cas où se montre bien que ce qu’on risque à tout abord
du rapport sexuel, c’est de rester dans le mot d’esprit.

Et en effet, tout ce qui s’en est dit est de cet ordre.


S’il est important qu’on puisse articuler autre chose que quelque
chose qui fasse rire,
c’est bien justement ce que nous cherchons pour assurer la position
de l’analyste d’autre chose
que de ce qu’elle paraît être, dans beaucoup de cas : un gag.

Le départ se lit en ceci dans la théorie des ensembles : qu’il y a fonction


d’élément.
116
Être un élément dans un ensemble, c’est être quelque chose qui n’a rien
à faire à appartenir à un registre qualifiable d’universel, c’est-à-dire à
quelque chose qui tombe sous le coup de l’attribut.
C’est la tentative de la théorie des ensembles de dissocier, de désarticu-
ler d’une façon définitive le prédicat de l’attribut.

Ce qui, jusqu’à cette théorie, caractérise la notion justement en


cause dans ce qu’il en est du type sexuel...
pour autant qu’il amorcerait quelque chose d’un rapport
...c’est très précisément ceci : que l’universel se fonde sur un
commun attribut.

Il y a là en outre l’amorce de la distinction logique de l’attribut au


sujet,
et le sujet, de là, se fonde : c’est à quoi quelque chose qui se dis-
tingue peut être appelé attribut.
De cette distinction de l’attribut, ce qui résulte, c’est tout naturelle-
ment ceci :
qu’on ne met pas sous un même ensemble les torchons et les
serviettes par exemple.

À l’opposé de cette catégorie qui s’appelle « la classe », il y a celle de


« l’ensemble »
dans laquelle non seulement le torchon et la serviette sont
compatibles,
mais qu’il ne peut, dans un ensemble comme tel de chacune de ces
deux espèces, y en avoir qu’un.

Dans un ensemble il ne peut y avoir...


si rien ne distingue un torchon d’un autre
...il ne peut y avoir qu’un torchon, de même qu’il ne peut y avoir
qu’une serviette.

117
L’1 en tant que différence pure est ce qui distingue la notion de
l’élément.

L’Un en tant qu’attribut en est donc distinct.

La différence entre l’« 1 de différence » et l’« Un attribut » est celle-ci :


c’est que quand vous vous servez,
pour définir une classe, d’un énoncé attributif quelconque, l’attribut
ne viendra pas, dans cette définition, en surnombre.
C’est-à-dire que si vous dites : l’homme est bon, et si à ce propos...
ce qui peut se dire, car qui n’est obligé de le dire ?
...poser que l’homme est bon n’exclut pas qu’on ait à rendre compte de
ce qu’il ne réponde pas toujours à cette appellation.

On trouve d’ailleurs toujours suffisamment de raisons pour


montrer qu’à cet attribut il est capable de ne pas répondre,
d’éprouver une défaillance à le remplir. C’est la théorie qu’on fait et
où on se livre...
on n’a que vraiment... on a tout le sens à sa disposition pour, pour
y faire face, à expliquer
que de temps en temps quand même, il est mauvais mais ça change
rien à son attribut
...que si on en venait alors à devoir faire la balance du point de vue
du nombre...
combien y en a qui y tiennent,
et combien y a qui n’y répondent pas ?
...l’attribut « bon » ne viendrait pas dans la balance en plus, en plus de
chacun des hommes bons.

C’est très précisément la différence avec le « 1 de différence », c’est


que quand il s’agit d’articuler sa conséquence,
ce « 1 de différence » a comme tel, à être compté dans ce qui s’énonce
de ce qu’il fonde qui est ensemble et qui a des parties.

118
Le « 1 de différence », non seulement est comptable, mais doit être
compté dans les parties de l’ensemble.

J’arrive à l’heure, Deux précisément. Je ne peux donc que vous


indiquer ce qui sera la suite de ce pour quoi
- comme d’habitude - je suis amené à couper, c’est-à-dire très
souvent à peu près n’importe comment,
et aujourd’hui, sans doute en raison justement d’une autre coupure,
qui est celle de mon courant de ce matin,
avec ses conséquences, je suis donc amené à ne pouvoir que vous
donner l’indication de ce qui, sur cette affirmation, affirmation-
pivot, sera là repris.

C’est ceci, le rapport de cet Un qui a à se compter « en plus » avec ce


qui, dans ce que j’énonce comme, non pas suppléant, mais se
déployant en un lieu « d’à la place du rapport sexuel », se spécifie de « il
existe » [:], non pas !,
mais le dire que ce !n’est pas la vérité : :§, que c’est de là que surgit
l’Un qui fait que cet :§doit être mis...
et c’est le seul élément caractéristique
...doit être mis du côté de ce qui fonde l’homme comme tel.

Est-ce à dire que ce fondement le spécifie sexuellement ? C’est très


précisément ce qui sera dans la suite à mettre en cause,
car bien entendu il n’en reste pas moins que la relation ; !,
est ce qui définit l’homme, là attributivement, comme « tout
homme ».

Qu’est-ce que c’est que ce « tout » ou ce « tous » ?


Qu’est-ce que c’est que « tous les hommes » en tant qu’ils fondent un
côté de cette articulation de suppléance ?

C’est où nous reprendrons à nous revoir la prochaine fois que je


vous rencontrerai.
119
La question « tous » : « qu’est-ce qu’un tous », est entièrement à
reposer à partir de la fonction qui s’articule « Yad’l’Un ».

120
1972.06.01. Le savoir du psychanalyste. Leçon 7
« Entretiens de Sainte-Anne »
Vous le savez, ici je dis ce que je pense.
C’est une position féminine, parce qu’en fin de compte, penser c’est très
particulier.

Alors comme je vous écris de temps en temps, j’ai...


comme ça, pendant un petit voyage que je viens de faire
...inscrit un certain nombre de propositions, dont la 1ère c’est qu’il faut
reconnaître que le psychanalyste est mis, par le discours...
c’est un terme à moi
...par le discours qui le conditionne...
qu’on appelle, depuis moi, le discours du psychanalyste
...dans une position, disons difficile, Freud disait impossible : unmöglich,
c’est peut-être un peu forcé, il parlait pour lui.

Bon ! D’autre part - 2ème proposition : il sait...


ceci d’expérience, ce qui veut dire que si peu qu’il ait
pratiqué la psychanalyse,
il en sait assez pour ce que je vais dire
...il sait dans tous les cas avoir une commune mesure avec ce que je
dis.

C’est tout à fait indépendant du fait qu’il soit - de ce que je dis -


informé, puisque ce que je dis aboutit...
comme je l’ai, il me semble, démontré cette année
...à situer son savoir [S2].

Ça, c’est l’histoire du savoir sur la vérité :

121
ça, c’est la place de la vérité - pour ceux qui viennent pour la première
fois.
ça, celle du semblant,
ça, celle de la jouissance [de parler],
et ça, du plus-de-jouir, ce que j’écris en abrégé ainsi : « + de jouir ».
Pour la jouissance, nous mettrons un J.

C’est son rapport au savoir qui est difficile, non - bien sûr - à ce que je
dis,
puisque dans l’ensemble du no man’land psychanalytique on ne sait
pas que je le dis.
Ça ne veut pas dire que de ce que je dis, on n’en sache rien, puisque
ça sort de l’expérience [i.e. analytique].

Mais on a, de ce qu’on en sait, horreur !


Ce dont je peux dire, comme ça, vraiment simplement, que je les
comprends...
« je peux dire », c’est à dire : « je peux dire, si on y tient... »
...mais je les comprends...
je me mets à leur place, d’autant plus facilement que j’y suis.

Mais je le comprends d’autant plus facilement que comme tout le


monde, j’entends ce que je dis.
Néanmoins ça ne m’arrive pas tous les jours, parce que ce n’est pas
tous les jours que je parle.
En réalité je le comprends - c’est-à-dire que j’entends ce que je dis -
les quelques jours, mettons un ou deux,
qui précèdent immédiatement mon séminaire, parce qu’à ce moment-
là je commence à vous écrire.

Les autres jours, la pensée de ceux à qui j’ai eu affaire, me submerge.


Il faut que je vous l’avoue, parce qu’à ce moment-là, l’impatience de
ce que j’ai déjà appelé...

122
et donc que je peux encore appeler, parce que c’est rare,
comme ça, que je revienne
...de ce que j’ai appelé « mon échec » dans Scilicet, me domine. Voilà...

Oui... ils savent ! Je rappelle ça parce que le titre de ce que j’ai à traiter
ici c’est Le savoir du psychanalyste.
« Du » dans ce cas-là, ça évoque le « le », article défini en français,
enfin c’est ce qu’on appelle défini.
Oui ! Pourquoi pas« des psychanalystes », après ce que je viens de vous
dire ?
Ça serait plus conforme à mon thème de cette année, c’est-à-dire « y a
d’l’un ».
« Y en a des » qui se disent tels.

Je suis d’autant moins à discuter leur dire qu’il y en a pas d’autres.


Je dis « du », pourquoi ? C’est parce que c’est à eux que je parle,
malgré la présence d’un très grand nombre de personnes qui ne sont
pas psychanalystes, ici.

Le psychanalyste donc sait ce que je dis.


Ils le savent - je vous l’ai dit - d’expérience, si peu qu’ils en aient,
même si ça se réduit à la didactique qui est l’exigence minimale pour
que « psychanalystes » ils se disent.

Car même si ce que j’ai appelé « La passe » est manquée, eh bien, ça se


réduira à ça :
qu’ils auront eu une « psychanalyse didactique », mais en fin de compte,
ça suffit pour qu’ils sachent ce que je dis.

La passe...
c’est toujours dans Scilicet que tout ça traîne, c’est plutôt
l’endroit indiqué [Scilicet : « à savoir »]
...quand je dis que « la passe » est manquée, ça ne veut pas dire qu’ils
ne se sont pas offerts à l’expérience de la passe.
123
Comme je l’ai souvent marqué, cette expérience de « la passe » est
simplement ce que je propose
à ceux qui sont assez dévoués pour s’y exposer, à de seules fins
d’information sur un point très délicat,
et qui consiste à... en somme ce qui s’affirme de la façon la plus sûre
c’est que :
c’est tout à fait (a)normal - objet(a) normal - que quelqu’un qui fait une
psychanalyse veuille être psychanalyste.

Il faut vraiment une sorte d’aberration qui vaut, qui valait la peine
d’être offerte à tout ce qu’on pouvait recueillir
de témoignage. C’est bien en ça que j’ai institué provisoirement cet
essai de recueil pour savoir pourquoi
quelqu’un qui sait ce que c’est que la psychanalyse par sa didactique,
peut encore vouloir être analyste.

Alors je n’en dirai pas plus sur ce qu’il en est de leur position, sim-
plement parce que j’ai choisi cette année
Le savoir du psychanalyste comme étant ce que je proposais pour mon
retour à Sainte Anne. C’est pas pour ménager du tout les
psychanalystes, ils n’ont pas besoin de moi pour avoir le vertige de leur
position, mais je ne l’augmenterai pas à le leur dire.

Ce qui pourrait être fait...


et je le ferai peut-être à un autre moment
...ce qui pourrait être fait d’une manière piquante dans une certaine
référence que je n’appellerai « historique »
qu’entre guillemets...
enfin, vous verrez ça quand ça viendra, si je subsiste
...pour ceux qui sont des fins finauds je leur parlerai du mot
« tentation ».

124
Là je ne parle que du savoir et je remarque qu’il ne s’agit pas de la
« vérité sur le savoir », mais du « savoir sur la vérité »,
et que ceci « le savoir sur la vérité », ça s’articule de la pointe de ce que
j’avance cette année sur le « Y a d’l’un ! »,
« Y a d’l’un » et rien de plus : c’est un Un très particulier celui qui
sépare le Un de Deux, et que c’est un abîme.

Je répète : la vérité - je l’ai déjà dit - ça ne peut que se mi-dire.


Quand le temps de battement sera passé, qui fera que je peux en
respecter l’alternance, je parlerai de l’autre face : du « mi-vrai ». Il faut
toujours séparer le bon grain et la « mi-vraie » !

Comme je vous l’ai dit tout à l’heure peut-être, je reviens d’Italie où


je n’ai jamais eu qu’à me louer de l’accueil,
même de mes collègues psychanalystes ! Grâce à l’un d’entre eux, j’en
ai rencontré un 3ème qui est tout à fait « à la page », enfin à la mienne,
bien entendu. [Rires]

Il opère avec Dedekind, et il a trouvé ça tout à fait sans moi.


Je peux pas dire, à la date où il a commencé de s’y mettre, que je n’y étais
pas déjà, mais enfin c’est un fait que j’en ai parlé plus tard que lui,
puisque je n’en parle que maintenant et que lui avait déjà écrit là-
dessus tout un petit ouvrage.
Il s’est aperçu de la valeur en somme des éléments mathématiques,
pour faire émerger quelque chose qui vraiment,
notre expérience d’analyste, la concerne.

Eh ben, comme il est tout à fait bien vu, il a tout fait pour ça, il a
réussi à se faire entendre dans des endroits très bien placés de ce qu’on
appelle l’I.P.A. - l’Institution Psychanalytique Avouée, je traduirais - donc
il a réussi à se faire entendre.
Mais ce qu’il y a de très curieux, c’est qu’on ne le publie pas !

125
On ne le publie pas en disant : « Vous comprenez, personne ne comprendra !
».
Je dois dire que je suis surpris parce que, en somme, du « Lacan »,
entre guillemets bien sûr,
enfin des choses de la veine que je suis censé représenter auprès des
incompétents d’une certaine linguistique,
on est plutôt pressé d’en bourrer l’International journal.

Plus il y a des trucs dans la poubelle, naturellement, moins ça se


discerne ! Alors pourquoi diable, est-ce que dans ce cas on a cru
devoir faire obstacle, puisque pour moi, il me semble que c’est un
obstacle et que le fait qu’on dise
que les lecteurs ne comprendront pas, c’est secondaire : il n’est pas
nécessaire que tous les articles de l’International journal soient compris.
Il y a donc quelque chose qui là-dedans ne plaît pas.

Mais il est évident que, comme celui que je viens, non pas de nom-
mer...
parce que vous ignorez profondément son nom, il n’a
encore rien réussi à publier
...est parfaitement repérable, je ne désespère pas que, à la suite de ce
qui filtrera de mes propos aujourd’hui...
et surtout si on sait que je ne l’ai pas nommé
...on le publiera [Rires]. Vraiment, ça a l’air de lui tenir assez à cœur
pour que je l’aide à ça volontiers.
Si ça ne vient pas, je vous en parlerai un peu plus !

Revenons au temps.
Le psychanalyste a donc un rapport à ce qu’il sait, complexe. Il le
renie, il le « réprime »...
pour employer le terme dont en anglais se traduit le
refoulement, la Verdrängung
...et même il lui arrive de n’en rien vouloir savoir.

126
Et pourquoi pas ?
Qui est-ce que ça pourrait épater ?
La psychanalyse - me direz-vous - alors quoi ?

J’entends d’ici le bla-bla-bla de quiconque n’a pas de la psychanalyse la


moindre idée.
Je réponds à ce qui peut surgir de ce floor - comme on dit - je réponds
: est-ce le savoir qui guérit...
que ce soit celui du sujet ou celui supposé dans le transfert
...ou bien est-ce le transfert, tel qu’il se produit dans une analyse donnée ?

Pourquoi le savoir...
celui dont je dis qu’a dimension tout psychanalyste
...pourquoi le savoir serait-il, comme je disais tout à l’heure, « avoué » ?
C’est de cette question que Freud a pris en somme la Verwerfung, il
l’appelle :
« un jugement qui dans le choix rejette ». Il ajoute « qui condamne », mais je
le condense.

Ce n’est pas parce que la Verwerfung rend fou un sujet, quand elle se
produit dans l’inconscient, qu’elle ne règne pas...
la même et du même nom d’où Freud l’emprunte
...qu’elle ne règne pas sur le monde comme un pouvoir
rationnellement justifié.

« Des psychanalystes » ...


vous allez le voir, à la différence avec « le »
... « des psychanalystes » ça se préfère, ça se préfère soi, voyez-vous !
C’est pas les seuls, il y a une tradition là-dessus : la tradition médicale.

Pour se préférer, on n’a jamais fait mieux, sauf les saints - les saints
(s.a.i.n.t.s)...
Oui, on vous parle tellement des autres [Rires] que je
précise, parce que les autres... enfin, passons
127
...les saints (s.a.i.n.t.s) ils se préfèrent eux-aussi, ils ne pensent même
qu’à ça, ils se consument de trouver la meilleure façon de se préférer,
alors qu’il y en a de si simples, comme le montrent les « méde-saints »,
eux aussi [Rires].
Enfin, ceux-là ne sont pas des saints. Ça, ça va de soi...

Il y a peu de choses aussi abjectes à feuilleter que l’histoire de la


médecine :
ça peut-être conseillé comme vomitif [Rires] ou comme purgatif, ça
fait les deux.
Pour savoir que le savoir n’a rien à faire avec la vérité, il n’y a vraiment
rien de plus convaincant.
On peut même pas dire que ça va jusqu’à faire du médecin une sorte
de provocateur.

Ça n’empêche pas que les médecins se soient arrangés...


et pour des raisons qui tenaient à ce que leur plate-forme
avec le discours de la science devenait plus exiguë
...que les médecins se soient arrangés à mettre la psychanalyse à leur
pas.

Et ça, ils s’y connaissaient !


Ceci naturellement d’autant plus que le psychanalyste étant fort
embarrassé...
comme je suis parti là-dessus
...fort embarrassé de sa position, il était d’autant plus disposé à
recevoir les conseils de l’expérience.

Je tiens beaucoup à marquer ce point d’histoire qui est dans mon


affaire...
pour autant qu’elle ait de l’importance
...tout à fait un point-clé : grâce à cette conjuration...

128
contre laquelle est dirigé un article exprès de Freud sur la
Laïernanalyse 8
...grâce à cette conjuration qui a pu se produire peu après la guerre,
j’avais déjà perdu la partie avant de l’avoir engagée.

Simplement je voudrais qu’on me croie là-dessus, parce que - pour-


quoi, je le dirai ? - si ce soir je témoigne...
et je ne le fais pas par hasard à Sainte Anne puisque je vous
dis que c’est là que je dis ce que je pense
...si je déclare que c’est très précisément à ce titre de savoir très bien l’avoir,
à l’époque, perdue, que cette partie je l’ai engagée.

Ça n’a rien d’héroïque vous savez !


Il y a un tas de parties qui s’engagent dans ces conditions. C’est
même un des fondements de la « condition humaine », comme dit
l’autre, et ça réussit pas plus mal que n’importe quelle autre entre-
prise. La preuve, hein !

Le seul ennui - mais il n’est que pour moi - c’est que ça ne vous laisse
pas très libre,
je dis ça en passant pour la personne qui m’a...
il y a je ne sais pas quoi, le 2ème séminaire avant
...qui m’a interrogé sur le fait si je croyais ou non à la liberté.

Une autre déclaration que je veux faire...


et qui a bien son importance, puisque après tout, je ne sais
pas, c’est mon penchant ce soir
...une autre déclaration qui celle-là alors est tout à fait prouvée, là je
vous demande de me croire,
que je m’étais très bien aperçu que la partie était perdue...

8
S. Freud : « Psychanalyse et médecine », ou « La question de l’analyse
profane » (1925), Gallimard 1985.
129
après tout je n’étais pas si malin, j’ai peut-être cru qu’il fallait
foncer
et que je foutrais en l’air l’Internationale Psychanalytique Avouée
...et là personne ne peut dire le contraire de ce que je vais dire :
c’est que je n’ai jamais lâché aucune des personnes que je savais
devoir me quitter, avant qu’elles s’en aillent elles-mêmes.

Et c’est vrai aussi du moment où la partie était en somme - pour la


France - perdue,
qui est celle à laquelle j’ai fait allusion tout à l’heure : ce petit brouhaha
dans une conjuration médecins-psychanalystes d’où est sorti en 53 le
début de mon enseignement.

Les jours où l’idée de devoir poursuivre le dit enseignement ne


m’habite pas - c’est-à- dire un certain nombre -
il est évident que j’ai, comme tous les imbéciles, l’idée de ce que ça
aurait pu être pour la Psychanalyse Française (!)
si j’avais pu enseigner là où, pour la raison que je viens de dire, je
n’étais nullement disposé à lâcher quiconque.

Je veux dire que si scandaleuses que fussent mes propositions sur


Fonction et Champ... et patati et patata... de la parole
et du langage, j’étais disposé à couvrir le sillon pendant des années pour
les gens même les plus durs de la feuille
et - au point où nous en sommes - personne n’y aurait perdu parmi
les psychanalystes.

Je vous ai dit que j’avais fait un petit tour en Italie.


Dans ces cas-là, je vais aussi - pourquoi pas ? - parce que il y a
beaucoup de gens qui m’aiment...
À propos : il y a quelqu’un qui m’a envoyé un verre à dents !
Je voudrais savoir qui c’est, pour la remercier cette
personne.
Il y a une personne qui m’a envoyé un verre à dents !
130
Je dis ça pour ceux qui étaient là au Panthéon la dernière
fois.
C’est une personne que je remercie d’autant que ce n’est pas
un verre à dents.
C’est un merveilleux petit verre rouge, long et galbé, dans
lequel je mettrai une rose,
qui que ce soit qui me l’ait envoyé. Mais je n’en ai reçu
qu’un, ça je dois le dire. Enfin passons...
...il y a des personnes qui m’aiment un peu dans tous les coins,
mêmes dans les couloirs du Vatican.
Pourquoi pas, hein ? Il y a des gens très bien.

Il n’y a que là...


ceci pour la personne qui m’interroge sur la liberté
...il n’y a qu’au Vatican que je connaisse des libres-penseurs.
Moi je suis pas un libre-penseur, je suis forcé de tenir à ce que je dis,
mais là-bas : quelle aisance ! [Rires]
Ah on comprend que la Révolution Française ait été véhiculée par les
abbés.
Si vous saviez quelle est leur liberté, mes bons amis, vous auriez froid
dans le dos.
Moi j’essaie de les ramener au dur, il n’y a rien à faire, ils débordent :
la psychanalyse, pour eux, est dépassée !
Vous voyez à quoi ça sert la libre-pensée : ils voient clair...
C’était pourtant un bon métier, hein [Rires] ? Ça avait des bons côtés.
Quand ils disent que c’est dépassé, ils savent ce qu’ils disent, ils disent : « c’est
foutu, parce que quand même on doit faire un peu mieux ! ».

Je dis ça quand même pour avertir les personnes...


les personnes qui sont « dans le coup », et particulièrement
bien sûr, celles qui me suivent
...qu’il faut y regarder à 2 fois avant d’y engager ses descendants, parce
que c’est très possible qu’au train où vont les choses, ça tombe tout

131
d’un coup sec, comme ça. Enfin c’est uniquement pour ceux qui ont
à y engager leur descendance,
je leur conseille la prudence.

J’ai déjà parlé, comme ça, de ce qui se passe dans la psychanalyse...


il faut quand même bien spécifier certains points que j’ai
déjà abordés,
par conséquent que je crois pouvoir traiter brièvement au
point où nous en sommes
...c’est que c’est le seul discours...
et rendons-lui hommage
...c’est le seul discours...
au sens où j’ai catalogué 4 discours,
...c’est le seul discours qui soit tel que la canaillerie y aboutisse
nécessairement à la bêtise.

Si on savait tout de suite que quelqu’un qui vient vous demander une
psychanalyse didactique est une canaille, mais on lui dirait :
« pas de psychanalyse pour vous, mon cher ! Vous en deviendrez bête comme
chou ».
Mais on ne le sait pas !

C’est justement soigneusement dissimulé.


On le sait quand même au bout d’un certain temps dans la
psychanalyse, la canaillerie étant toujours, non pas héréditaire, c’est
pas d’hérédité qu’il s’agit, c’est du désir, désir de l’Autre d’où l’intéressé
a surgi.
Je parle du désir : c’est pas toujours le désir de ses parents, ça peut être
celui de ses grands-parents,
mais si le désir dont il est né est le désir d’une canaille, il est une
canaille immanquablement.

Je n’ai jamais vu d’exception, et c’est même pour ça que j’ai toujours


été si tendre pour les personnes dont je savais qu’elles devaient me
132
quitter, au moins pour les cas où c’était moi qui les avais
psychanalysées, parce que je savais bien qu’elles étaient devenues tout
à fait « bêêêtes ». Je peux pas dire que je l’avais fait exprès : comme je
vous l’ai dit,
c’est nécessaire. C’est nécessaire quand une psychanalyse est poussée
jusqu’au bout, ce qui est la moindre des choses pour la psychanalyse
didactique.

Si la psychanalyse n’est pas didactique, alors c’est une question de


tact : vous devez laisser au type assez de canaillerie
pour qu’il se démerde désormais convenablement. C’est proprement
thérapeutique, vous devez le laisser surnager.
Mais pour la psychanalyse didactique, vous pouvez pas faire ça, parce
que Dieu sait ce que ça donnerait.

Supposez un psychanalyste qui reste une canaille : ça hante la pensée


de tout le monde !
Soyez tranquille, la psychanalyse - contrairement à ce qu’on croit - est
toujours vraiment didactique,
même quand c’est quelqu’un de bête qui la pratique, et je dirai même :
d’autant plus !

Enfin tout ce qu’on risque c’est d’avoir des psychanalystes bêtes. Mais
c’est, comme je viens de vous le dire, en fin de compte sans
inconvénient, parce que quand même, l’objet(a) à la place du semblant,
c’est une position qui peut se tenir.
Voilà ! On peut être bête d’origine aussi. C’est très important à
distinguer.

Bon ! Alors je n’ai rien trouvé de mieux, quant à moi, je n’ai rien
trouvé de mieux que ce que j’appelle « le mathème »
pour approcher quelque chose concernant le savoir sur la vérité, puisque
c’est là en somme,
qu’on a réussi à lui donner une portée fonctionnelle.
133
C’est beaucoup mieux quand c’est Pierce qui s’en occupe, il met les
fonctions 0 et 1 qui sont les deux valeurs de vérité.
Il ne s’imagine pas, par contre, qu’on peut écrire V ou F pour
désigner la vérité et le faux. J’ai déjà indiqué ça,
comme ça en quelques phrases, j’ai déjà indiqué ça au Panthéon, c’est
à savoir qu’autour du Y’a d’l’un, il y a deux étapes :
le « Parménide »,
et puis ensuite il a fallu arriver à la théorie des ensembles,
…pour que la question d’un tel savoir, qui prend la vérité comme
simple fonction et qui est loin de s’en contenter,
qui comporte un réel qui avec la vérité n’a rien à faire - ce sont les
mathématiques - néanmoins pendant des siècles
il faut croire que la mathématique se passait là-dessus de toute
question, puisque c’est sur le tard et par l’intermédiaire d’une
interrogation logique, qu’elle a fait faire un pas à cette question qui est
centrale pour ce qui est de la vérité, à savoir : comment et pourquoi « Y a
d’l’un » - vous m’excuserez, je suis pas le seul ! - « Y a d’l’un » :
autour de cet Un tourne la question de l’existence.

J’ai déjà fait là-dessus des remarques, à savoir


que l’existence n’a jamais été abordée comme telle avant un certain
âge
et qu’on a mis beaucoup de temps à l’extraire de l’essence.
J’ai parlé du fait qu’il n’y ait pas en grec, très proprement quelque
chose de courant qui veuille dire « exister »,
non pas que j’ignorasse ἐξίστημι [existémi], ἐξίσταμαι [existamai]9,
mais plutôt que je constatasse qu’aucun philosophe ne s’en était
jamais servi.

9
ἐξίστημι (à la voix moyenne ἐξίσταμαι) : je suis différent, je
m’écarte...
134
Pourtant c’est là que commence quelque chose qui puisse nous
intéresser : il s’agit de savoir ce qui existe.
Il n’existe que de l’Un...
avec ce qui se presse autour de nous, je suis forcé aussi
également de me presser -
...la théorie des ensembles, c’est l’interrogation : pourquoi « Y a d’l’un » ?

L’Un ça ne court pas les rues, quoi que vous en pensiez, y compris
cette certitude tout à fait illusoire,
et illusoire depuis très longtemps - ça n’empêche pas qu’on y tienne -
que vous en êtes Un, vous aussi.
Vous en êtes Un, il suffit que vous essayiez même de lever le petit
doigt pour vous apercevoir
que non seulement vous n’êtes pas Un, mais que vous êtes, hélas,
innombrables, innombrables chacun pour vous.

Innombrables jusqu’à ce qu’on vous ait appris...


ce qui peut être un des bons résultats de l’affluent psychanalytique
...que vous êtes selon les cas : tout à fait finis
ça, je vous le dis très vite parce que je ne sais pas combien
de temps je vais pouvoir continuer
...tout à fait finis :
pour ce qui est des hommes, ça c’est clair : finis, finis, finis !
pour ce qui est des femmes : dénombrables !

Je vais tâcher de vous expliquer brièvement quelque chose qui


commence à vous frayer là-dessus la voie,
puisque bien entendu, ce n’est pas des choses qui sautent aux yeux,
surtout quand on ne sait pas ce que ça veut dire « fini » et «
dénombrable » ! Mais si vous suivez un peu mes indications, vous lirez
n’importe quoi, parce que ça pullule les ouvrages maintenant sur la
théorie des ensembles, même pour aller contre.

135
Il y a quelqu’un de très gentil que j’espère bien voir tout à l’heure
pour m’excuser de ne pas lui avoir apporté ce soir
un livre que j’ai tout fait pour trouver et qui est épuisé, qu’il m’a
passé la dernière fois, et qui s’appelle « Cantor a tort » 10.
C’est un très bon livre.

C’est évident que Cantor a tort d’un certain point de vue, mais il a
incontestablement raison pour le seul fait
que ce qu’il a avancé a eu une innombrable descendance dans la
mathématique,
et que tout ce dont il s’agit c’est ça, c’est que ce qui fait avancer la
mathématique, ça suffit à ce que ça se défende.

Même si Cantor a tort du point de vue de ceux qui décrètent - on ne


sait pourquoi - que le nombre ils savent ce que c’est :
toute l’histoire des mathématiques bien avant Cantor a démontré
qu’il n’y a pas de lieu où il soit démontrable,
qu’il n’y a pas de lieu où il soit plus vrai que « l’impossible c’est le réel ».

Ça a commencé aux Pythagoriciens à qui un jour a été asséné ce fait


patent...
qu’ils devaient bien savoir, parce qu’il ne faut pas non plus
les prendre pour des bébés
...que √2 n’est pas commensurable.

C’est repris par des philosophes, et ce n’est pas parce que ça nous est
parvenu par le « Théétète »
qu’il faut croire que les mathématiciens de l’époque n’étaient pas à la
hauteur et incapables de répondre,
que justement de s’apercevoir que de ce que l’incommensurable exis-
tait,
on commençait à se poser la question de ce que c’était que le nombre.

10
Georges Antoniadès Métrios : « Cantor a tort », éd. Sival-Presse, 1968.
136
Je ne vais pas vous faire toute cette histoire !

Il y a une certaine affaire de √-1, qu’on a appelé depuis, on ne sait


pourquoi, « imaginaire ».
Il n’y a rien de moins imaginaire que √-1 comme la suite l’a prouvé,
puisque c’est de là qu’est sorti
ce qu’on peut appeler « le nombre complexe », c’est-à-dire une choses
des plus utiles et des plus fécondes
qui aient été crées en mathématiques.

Bref, plus se fait d’objections à ce qu’il en est de cette entrée par l’Un,
c’est-à-dire par le nombre entier,
plus il se démontre que c’est justement de l’impossible qu’en
mathématique s’engendre le Réel.
C’est justement de ce que, par Cantor, ait pu être engendré quelque
chose...
qui n’est rien de moins que toute l’œuvre de Russell,
voire infiniment d’autres points qui ont été extrêmement
féconds dans la théorie des fonctions
...il est certain que, au regard du Réel, c’est Cantor qui est dans le droit
fil de ce dont il s’agit.

Si je vous suggère - je parle aux psychanalystes - de vous mettre un


peu à cette page,
c’est justement pour la raison qu’il y a quelque chose à en tirer dans
ce qui est, bien sûr, votre péché mignon.
Je dis ça parce que vous avez affaire à des êtres qui pensent...
qui pensent bien sûr, parce qu’ils ne peuvent pas faire
autrement
...qui pensent comme Télémaque, comme tout au moins le Télémaque
que décrit Paul-Jean Toulet11 : « ils pensent à la dépense ».

11
Paul-Jean Toulet : « Contrerimes » :

« Comme les dieux gavant leur panse, Les Prétendants aussi.


137
Eh bien ce dont il s’agit c’est de savoir si vous analystes, et ceux que
vous conduisez, dépensent ou non en vain leur temps.

Il est clair qu’à cet égard, le pathos de pensée qui peut pour vous
résulter d’une courte initiation...
encore qu’il faut pas non plus qu’elle soit trop brève
...à la théorie des ensembles, est quelque chose bien de nature à vous faire
réfléchir sur des notions comme l’existence, par exemple.

Il est clair qu’il n’y a qu’à partir d’une certaine réflexion sur les
mathématiques, que l’existence a pris son sens.
Tout ce qu’on a pu dire avant, par une sorte de pressentiment...
religieux notamment, à savoir : que Dieu existe
...n’a strictement de sens qu’en ceci : qu’à mettre l’accent...
je dois y mettre l’accent parce qu’il y a des gens qui me
prennent pour un « maître à penser »
...sur ceci : que vous y croyiez ou pas...
gardez ça dans votre petit creux d’oreille :
moi je n’y crois pas mais on s’en fout,
ceux qui y croient c’est la même chose
...que vous y croyiez ou pas à Dieu, dites-vous bien qu’avec Dieu dans tous
les cas, qu’on y croit ou qu’on n’y croit pas, il faut compter.

C’est absolument inévitable. C’est pour ça que je réécris au tableau ce


autour de quoi j’ai essayé de faire tourner
quelque chose sur ce qu’il en est du prétendu rapport sexuel.

Télémaque en est tout ranci : Il pense à la dépense.


Neptune soupe à Djibouti, (Près de la mer salée).
Pénélope s’est en allée. Tout le monde est parti.
Un poète, que nuls n’écoutent, Chante Hélène et les œufs.
Le chien du logis se fait vieux : Ces gens-là le dégoûtent ! »
138
Je recommence :
il existe un x tel que ce qu’il y a de sujet déterminable par une fonction
qui est ce qui domine le rapport sexuel...
à savoir la fonction phallique - c’est pour ça que je l’écris !
...il existe un x qui se détermine de ceci : qu’il ait dit non à la fonction
[:§].

Vous voyez que de là d’où je parle, vous voyez d’ores et déjà la


question de l’existence liée à quelque chose
dont nous ne pouvons pas méconnaître que ce soit un dire. C’est un
dire non, je dirai même plus : c’est un dire que non.

Ceci est capital.


Ceci est justement ce qui nous indique le point juste où doit être
prise pour notre formation - formation d’analyste –
ce qu’énonce la théorie des ensembles : il y en a Un, « au-moins-Un » qui «
dit que non ».

C’est un repère ! C’est un repère, bien entendu qui ne tient pas même
un instant, qui n’est d’aucune façon enseignant
ni enseignable, si nous ne le conjoignons pas à cette inscription
quantificatrice des 4 autres termes, à savoir :
le quanteur dit universel : ; !, c’est-à-dire le point d’où il peut être
dit, comme cela s’énonce dans la doctrine freudienne,
qu’il n’y a de désir, de libido - c’est la même chose - que masculine.
C’est à la vérité une erreur.

Il n’en reste pas moins que c’est une erreur qui a tout son prix de
repère.

139
Que les trois autres formules, à savoir :

il n’existe pas cet X [/ §], pour dire qu’il n’est pas vrai que la
fonction phallique soit ce qui domine le rapport sexuel,
et que d’autre part nous devions - je ne dis pas nous puissions écrire -
qu’à un niveau complémentaire de ces 3 termes nous devions écrire
la fonction du « pas-tout » [.] comme étant essentielle à un certain type
de rapport à la fonction phallique en tant qu’elle fonde le rapport
sexuel, c’est là évidemment ce qui fait de ces quatre inscriptions
un ensemble.

Sans cet ensemble, il est impossible de s’orienter correctement dans ce


qu’il en est de la pratique de l’analyse
pour autant qu’elle a affaire avec ce quelque chose qui couramment
se définit comme étant
« l’homme » d’une part,
et d’autre part ce correspondant généralement qualifié de « femme », qui
le laisse seul.

S’il le laisse seul, c’est pas la faute du correspondant, c’est la faute de


« l’homme ». Mais faute ou pas faute...
c’est une affaire que nous n’avons pas à trancher immédiatement, je
le signale au passage
...ce qu’il importe pour l’instant c’est d’interroger le sens de ce que
peuvent avoir à faire ces 4 fonctions...
qui ne sont que deux :
l’une négation de la fonction,
l’autre : fonction opposée
...ces 4 fonctions pour autant que les diversifie leur accouplement
« quanté ».

Il est clair que ce que veut dire le : §, c’est-à-dire négation


de !, est quelque chose qui depuis longtemps...

140
et depuis assez à l’origine pour qu’on puisse dire
qu’on est absolument confondu que Freud l’ait ignoré
...:négation de ! à savoir cet au-moins-Un, cet Un tout seul qui se
détermine d’être l’effet du dire que non à la fonction phallique, c’est très
précisément le point sous lequel il faut que nous mettions tout ce qui
s’est dit jusqu’à présent de l’œdipe,
pour que l’œdipe soit autre chose qu’un mythe.

Et ceci a d’autant plus d’intérêt qu’il ne s’agit pas là de genèse, ni


d’histoire, ni de quoi que ce soit qui ressemble,
comme il semble à certains moments dans Freud que ç’ait pu être
énoncé par lui, à savoir un événement.
Il ne saurait s’agir d’événement à ce qui nous est représenté comme
étant avant toute histoire.
Il n’y a d’événement que ce qui se connote dans quelque chose qui
s’énonce.

Il s’agit de structure.
Qu’on puisse parler de « Tout-homme » comme étant sujet à la cas-
tration [; !],
c’est ce pourquoi, de la façon la plus patente, le mythe d’Œdipe est
fait.

Est-il nécessaire de se mettre à retourner aux fonctions « mythéme-


atiques » pour énoncer un fait logique qui est celui-ci : c’est que s’il est
vrai que l’inconscient est structuré comme un langage, la fonction de la
castration y est nécessitée,
c’est exactement en effet ce qui implique quelque chose qui y échappe.

Et quoi que ce soit qui y échappe, même si ce n’est pas...


pourquoi pas, car c’est dans le mythe

141
...quelque chose d’humain : après tout pourquoi ne pas voir le père du
meurtre primitif comme un orang-outang, beaucoup de choses qui
coïncident dans la tradition...
la tradition d’où tout de même il faut dire que la psycha-
nalyse surgit : de la tradition judaïque
...dans la tradition judaïque, comme j’ai pu l’énoncer l’année où je n’ai
pas voulu faire plus que mon premier séminaire sur Les Noms du Père,
j’ai quand même eu le temps d’y accentuer que dans le sacrifice
d’Abraham,
ce qui est sacrifié c’est effectivement le père, lequel n’est autre qu’un
bélier.

Comme dans toute lignée humaine qui se respecte, sa descendance


mythique est animale.
De sorte qu’en fin de compte, ce que je vous ai dit l’autre jour 12 de la
fonction de la chasse chez l’homme, c’est de ça qu’il s’agit. Je ne vous en ai
pas dit bien long bien sûr.

J’aurai pu vous en dire plus sur le fait que le chasseur aime son gibier.
Tels les fils, dans l’évènement dit « primordial » dans la mythologie
freudienne : ils ont tué le père...
comme ceux dont vous voyez les traces sur les grottes de Lascaux
...ils l’ont tué - mon Dieu - parce qu’ils l’aimaient bien sûr, comme la
suite l’a prouvé, la suite est triste.

La suite est très précisément que tous les hommes, ;, que l’universalité des
hommes est sujette à la castration.
Qu’il y ait « Une exception », nous ne l’appellerons pas, du point d’où
nous parlons, « mythique ».
Cette exception c’est la fonction inclusive : quoi énoncer de l’universel
[; !],

12
Cf. « ...Ou pire », Séance du 17 mai 1972.
142
sinon que l’universel soit enclos, enclos précisément par la possibilité
négative [: §].
Très exactement, l’existence ici joue le rôle du complément, ou pour
parler plus mathématiquement, du bord.

Ce qui inclut ceci : qu’il y a quelque part un « tout x » : ;, un « tout x »


qui devient un « tout a », je veux dire un (a), chaque fois qu’il
s’incarne, qu’il s’incarne dans ce qu’on peut appeler « Un être », « Un être »
au moins qui se pose comme être, et à titre d’homme nommément.

C’est très précisément ce qui fait que ce soit dans l’autre colonne...
et avec un type de rapport qui est fondamental,
que puisse s’articuler quelque chose...
dans quoi se range, puisse se ranger pour quiconque sache
penser avec ces symboles
...au titre de la femme.

Rien que de l’articuler ainsi, ceci nous fait sentir qu’il y a quelque
chose de remarquable, de remarquable pour vous,
que ce qui s’en énonce, c’est qu’il n’y en a pas une qui dans l’énoncé...
dans l’énoncé qu’il n’est pas vrai que la fonction phallique
domine ce qu’il en est du rapport sexuel
...s’inscrive en faux [/ §].

Et pour vous permettre de vous y retrouver au moyen de références


qui vous sont un petit peu plus familières,
je dirai - mon Dieu, puisque j’ai parlé tout à l’heure du père - je dirai
que ce que concerne ce :
« Il n’existe pas de x qui se détermine comme sujet dans l’énoncé du « dire
que non » à la fonction phallique »,
c’est à proprement parler « la vierge ».

143
Vous savez que Freud en fait état : le tabou de la virginité etc., et
d’autres histoires follement folkloriques
autour de cette affaire, et le fait qu’autrefois les vierges étaient baisées
pas par n’importe qui,
il fallait au moins un grand prêtre ou un petit seigneur, enfin
qu’importe, l’important n’est pas ça.

L’important en effet, c’est qu’on puisse dire autour de cette fonction


du « vir »13,
cette fonction du « vir » si frappante en ceci qu’il n’y ait jamais que
d’une femme, après tout qu’on dise qu’elle soit virile. Si vous avez
jamais entendu parler, au moins de nos jours, d’un type qui le soit,
vous me le montrerez, ça m’intéressera !

Là par contre, si l’homme est tout ce que vous voulez dans le genre :
virtuose, vire à bâbord, parer à virer, vire ce que tu veux, le viril c’est du
côté de la femme, c’est la seule à y croire !
Elle pense ! C’est même ce qui la caractérise.

Je vous expliquerai tout à l’heure...


il faut que je vous le dise tout de suite
...que c’est pour ça...
je vous expliquerai dans le détail pourquoi
...que la virgo n’est pas dénombrable, parce qu’elle se situe...
contrairement à l’Un qui est du côté du père
...elle se situe entre l’Un et le Zéro.

Ce qui est entre l’Un et le Zéro, c’est très connu et ça se démontre,


même quand on a tort,
ça se démontre dans la théorie de Cantor, ça se démontre d’une
façon que je trouve absolument merveilleuse.

13 Vir : homme, mâle. Étymologie : de la racine indo-européenne


wihrós « homme » ou « guerrier ».
144
Il y en a au moins ici quelques-uns qui savent de quoi je parle, de
sorte que je vais l’indiquer brièvement.
Il est tout à fait démontrable que ce qui est entre l’Un et le Zéro...
ça se démontre grâce aux décimales, on se sert de décimales
dans le système du même nom : décimal
...il est très facile de montrer que : « supposez » ...
il faut le supposer
... « supposez » que ce soit dénombrable, la méthode dite « de la diagonale »
peut permettre de forger toujours une nouvelle suite décimale telle
qu’elle ne soit certainement pas inscrite dans ce qui a été dénombré.

Il est strictement impossible de construire ce dénombrable, de donner


même une façon - si mince soit-elle - de le ranger,
ce qui est bien la moindre des choses, parce que le dénombrable se
définit de correspondre à la suite des nombres entiers.

C’est donc purement et simplement d’un « supposez... » et là-dessus on


accusera très volontiers...
comme il se fait dans ce livre : « Cantor a tort »
...Cantor d’avoir tout simplement forgé un cercle vicieux.

Un cercle vicieux, mes bon amis, mais pourquoi pas ! Plus un cercle
est vicieux, plus il est drôle,
surtout si on peut en faire sortir quelque chose comme ce petit
oiseau qui s’appelle le non-dénombrable,
qui est bien une des choses les plus éminentes, les plus astucieuses,
les plus collant au Réel du nombre,
qui ait jamais été inventeés. Enfin, laissons !

145
Les « onze mille Vierges », comme il se dit dans La Légende Dorée 14,
c’est la façon d’exprimer le non-dénombrable.
Parce que les onze mille, vous comprenez, c’est un chiffre énorme,
c’est surtout un chiffre énorme pour des Vierges, et pas
seulement par les temps qui courent ! Donc, nous avons pointé ces
faits.

Tâchons maintenant de comprendre ce qu’il en advient, de ce « pas


toute » [.]
qui est vraiment le point vif, le point original de ce que j’ai inscrit au
tableau.
Car nulle part jusqu’à présent dans la logique, n’a été mise, promue,
mise en avant, la fonction du « Pas-Tous » comme telle.

Le mode de la pensée...
pour autant qu’il est, si je puis dire, « subverti » par le
manque du rapport sexuel
...pense et ne pense qu’au moyen de l’Un.

L’Universel, c’est le quelque chose qui résulte de l’enveloppement d’un


certain champ par quelque chose qui est de l’ordre de l’Un,
à ceci près, qui est la véritable signification de la notion de l’ensemble,
c’est très précisément ceci :
c’est que l’ensemble, c’est la notation mathématique de ce quelque
chose - où hélas, je ne suis pas pour rien -
qui est une certaine définition, celle que je note du S, c’est à savoir du
sujet,
du sujet pour autant qu’il n’est rien d’autre que l’effet de signifiant,
autrement dit :
« ce que représente un signifiant pour un autre signifiant. »

14
La Légende dorée (Legenda aurea), œuvre de Jacques De Voragine
rédigée de 1261 à 1266 qui décrit la vie de 180 saints, saintes et martyrs
chrétiens.
146
L’ensemble c’est la façon dont, à un tournant de l’histoire, les gens les
moins faits pour mettre au jour ce qu’il en est du sujet,
s’y sont trouvés si l’on peut dire nécessités. « L’ensemble » n’est rien d’autre
que le sujet.
C’est bien pour cela qu’il ne saurait même se manier sans l’addition
de l’ensemble vide.

Jusqu’à un certain point, je dirai que l’ensemble vide se démarque dans


sa nécessité, de ceci :
qu’il peut être pris pour un élément de l’ensemble, à savoir que
l’inscription de la parenthèse qui désigne l’ensemble
avec comme élément l’ensemble vide : {Ø}, est quelque chose sans quoi
est absolument impensable
tout maniement de cette fonction qui...
je vous le répète, je pense vous l’avoir suffisamment indiqué
...est faite très précisément à un certain tournant pour interroger...
interroger au niveau du langage commun, je souligne
commun,
parce que ce n’est nullement ici aucun - de quelque sorte que
ce soit - métalangage qui règne
...pour interroger du point de vue logique, interroger avec le langage
de tous,
ce qu’il en est de l’incidence dans le langage lui-même, du nombre, c’est-à-
dire
de quelque chose qui n’a rien à faire avec le langage,
de quelque chose qui est plus réel que n’importe quoi, le discours de la
science l’a suffisamment manifesté.

« Pas-Tout » [.] c’est très précisément ce qui résulte de ceci :


non pas que rien ne le limite, mais que la limite est autrement située.

Ce qui fait le « Pas-Tout » [.], si je puis dire et je le dirai pour aller vite,
c’est ceci, c’est que...
147
contrairement à l’inclusion dans :§
« il existe le Père dont le dire-non le situe par rapport à la fonction
phallique »
...inversement, c’est en tant qu’il y a le vide, le manque, l’absence de
quoi que ce soit qui dénie la fonction phallique
au niveau de la femme, qu’inversement il n’y a rien d’autre que ce
quelque chose que le « Pas-Tout » formule
dans la position de la femme à l’endroit de la fonction phallique. Elle
est en effet pour elle, « Pas-Toute ».

Ce qui ne veut pas dire que, sous quelque incidence que ce soit, elle
le nie. Je ne dirai pas qu’elle est autre, parce que
très précisément le mode sous lequel elle n’existe pas dans cette
fonction - de la nier - ce qui est très précisément
ce mode, c’est qu’elle est ce qui dans mon graphe s’inscrit du
signifiant de ceci : que l’Autre est barré : S(A).
La femme n’est pas le lieu de l’Autre, et plus encore elle s’inscrit très
précisément comme n’étant pas l’Autre
dans la fonction que je donne au grand A, à savoir comme étant le
lieu de la vérité.

Et ce qui s’inscrit dans « la non-existence de ce qui pourrait nier la fonction


phallique » ...
de même qu’ici j’avais traduit par la fonction de l’ensemble
vide, l’existence du « dire que non »,
de même c’est de s’absenter et même c’est d’être ce «
jouiscentre »,
ce « jouiscentre » qui est conjugué à ce que je n’appellerai pas
une absence, mais une dé-sence : s.e.n.c.e.
...que la femme se pose pour ce fait signifiant, non seulement que le
grand Autre n’est pas là - ce n’est pas elle -
mais qu’il est tout à fait ailleurs : au lieu où il situe la parole.

148
Il me reste - puisqu’après tout vous avez la patience à une heure qui
est déjà onze,
de continuer à m’entendre - à pointer ceci qui est capital...
dans ce qu’après tout ici - pour vous - je force
à la fin de l’année, un certain nombre de thèmes qui sont des
thèmes cristallisants
...c’est de dénoter la béance qui sépare chacun de ces termes en tant
qu’ils sont énoncés.

Il est clair qu’entre le :: « il existe », et le / : « il n’existe pas », on n’a


pas à baragouiner, c’est l’existence.

Il est clair qu’entre : § : « il existe un qui ne… » et ;! : « il


n’y en a pas Un qui ne soit… », il y a la contradiction :

Quand Aristote fait état des propositions particulières pour les opposer aux
universelles,
c’est entre une particulière positive par rapport à une universelle négative
qu’il institue la contradiction.
Ici, c’est le contraire : c’est la particulière qui est négative et c’est
l’universelle qui est positive.

149
Ici, ce que nous avons entre ce / §, qui est la négation d’aucune
universalité,
et ce . ! ce que nous avons, je ne fais ici que vous l’indiquer,
je le justifierai par la suite, c’est l’indécidable :

Entre les deux...


dont toute notre expérience nous montre, je pense, assez
que la situation n’est pas simple
...ce dont il s’agit, c’est quoi ?
Nous l’appellerons le manque,
nous l’appellerons la faille,
nous l’appellerons si vous voulez, le désir,
et pour être plus rigoureux nous l’appellerons l’objet(a).

Alors il s’agit de savoir comment, au milieu de tout ça...


j’espère que certains tout au moins,
l’auront pris en note
...comment au milieu de tout ça fonctionne quelque chose qui
pourrait ressembler à une circulation.

Pour ça, il faut s’interroger sur le mode dont sont posés ces quatre
termes :

Le : en haut et à gauche, c’est littéralement le nécessaire.


150
Rien n’est pensable, c’est surtout pas notre fonction de penser à nous
autres hommes.
Enfin, une femme ça pense, ça pense même de temps en temps « donc
je suis », en quoi bien sûr elle se trompe.

Mais enfin, pour ce qui est du nécessaire, il est absolument nécessaire...


et c’est ça que nous dit Freud avec cette histoire à dor-
mir debout de « Totem et... Debout »
...il est absolument nécessaire de penser quoi que ce soit aux
rapports...
qu’on appelle humains, on ne sait pas pourquoi
...dans l’expérience qui s’instaure de ce discours analytique, il est
absolument nécessaire de poser qu’il en existe Un
pour qui la castration : à la gare !

La castration, ça veut dire quoi ?


Ça veut dire que « tout laisse à désirer », ça ne veut rien dire d’autre. Ben
voilà !
Pour penser ça, c’est-à-dire à partir de la femme, il faut qu’il y en ait
un pour qui rien ne laisse à désirer.

C’est l’histoire du mythe d’Œdipe, mais c’est absolument nécessaire,


c’est absolument nécessaire.
Si vous perdez ça, je vois absolument pas ce qui peut vous permettre
de vous y retrouver d’une façon quelconque.
C’est très important de se retrouver.

Alors voilà, cet : je vous ai déjà dit que c’est le nécessaire.


Le nécessaire à partir de quoi ? À partir justement de ce que, ma foi, je
vous ai écrit là tout à l’heure : l’indécidable.
Enfin on ne pourrait absolument rien dire qui ressemble à quoi que
ce soit qui puisse faire fonction de vérité,
si on n’admet pas ce nécessaire [:§] : il y en a « au moins Un » qui dit non...

151
J’insiste un peu. J’insiste parce que je n’ai pas pu ce soir - on a été
dérangés - vous raconter toutes les gentillesses
que j’aurai voulu vous dire à ce propos. Mais j’en avais une bien
bonne et puisqu’on me taquine,
je m’en vais vous la sortir quand même : c’est la fonction de l’é-Pater.

On s’est beaucoup interrogé sur la fonction du « pater familias ».


Il faudrait mieux centrer ce que nous pouvons exiger de la fonction
du père :
cette histoire de carence paternelle, qu’est-ce qu’on s’en gargarise !
Il y a une crise, c’est un fait, c’est pas tout à fait faux : l’é-Pater ne
nous épate plus.
C’est la seule fonction véritablement décisive du père.

J’ai déjà marqué que ce n’était pas l’œdipe, que c’était foutu, que si le
père était un législateur,
ça donnait le Président Schreber comme enfant. Rien de plus.
Sur n’importe quel plan, le père c’est celui qui doit épater la famille.

Si le père n’épate plus la famille, naturellement... mais on trouvera


mieux !
C’est pas forcé que ce soit le père charnel, il y en a toujours un qui
épatera la famille,
dont chacun sait que c’est un troupeau d’esclaves. Il y en aura
d’autres qui l’épateront.

Vous voyez comme la langue française peut servir à bien des choses.
Je vous ai déjà expliqué ça la dernière fois,
j’avais commencé par un truc : fondre ou fonder d’eux un Un, au
subjonctif c’est le même truc, pour fonder il faut fondre.
Il y a des choses qui ne peuvent s’exprimer que dans la langue
française, c’est justement pour ça qu’il y a l’inconscient. Parce que ce
sont les équivoques qui fondent, dans les deux sens du mot, il n’y a
même que ça...
152
Si vous vous interrogez sur le « Tous » en cherchant comment c’est
exprimé en chaque langue,
vous trouverez des tas de trucs, des trucs absolument sensationnels.
Personnellement je me suis beaucoup enquis
du Chinois parce que je ne peux pas faire un catalogue des langues
du monde entier.

J’ai aussi interrogé quelqu’un, grâce à la charmante trésorière de notre


École [Nicole Sels],
qui a fait écrire par son père comme on disait « Tous » en Yoruba.
Mais c’est fou, vous comprenez !
Je fais ça pour l’amour de l’art, mais je sais bien que de toute façon je
trouverai que dans toutes les langues,
il y a un moyen pour dire « Tous ».

Moi ce qui m’intéresse c’est le signifiant « comme Un », c’est de quoi on


se sert dans chaque langue.
Et le seul intérêt du signifiant, c’est les équivoques qui peuvent en
sortir...
c’est-à-dire quelque chose de l’ordre du « fonde d’eux un Un »
et d’autres conneries de cette espèce
...c’est la seule chose intéressante, parce que pour nous ce qui est du
« Tous »,
vous trouverez toujours ça exprimé, le « Tous » est forcément sémantique.

Le seul fait que je dise que je voudrais interroger « Toutes » les


langues résout la question,
puisque les langues justement ne sont « pas toutes », c’est leur
définition,
par contre si je vous interroge sur le « Tous », vous comprenez.
Voilà ! Ouais, enfin la sémantique ça revient à la traductibilité.

Qu’est-ce que je pourrais en donner d’autre comme définition ?


153
La sémantique c’est ce grâce à quoi un homme et une femme ne se
comprennent que s’ils ne parlent pas la même langue. Enfin, je vous
dis tout ça pour vous faire des exercices, et parce que je suis là pour
ça, et puis aussi peut-être
pour vous ouvrir un petit peu la comprenoire sur l’usage que je fais
de la linguistique.

Ouais... Je veux en finir, n’est-ce-pas ?

Alors pour ce qui est de ce qui nécessite l’existence, nous partons


justement de ce point que j’ai tout à l’heure inscrit :
de la béance de l’indécidable, c’est-à-dire entre le « pas-tout » et le « pas-
une ». Et après ça va là, à l’existence.
Puis après ça, ça va là. À quoi ? Au fait que tous les hommes sont en
puissance de castration, ça va au possible,
car l’universel n’est jamais rien d’autre que ça. Quand vous dites que « Tous
les hommes sont mammifères »,
ça veut dire que « tous les hommes possibles » peuvent l’être.

Et après ça, où ça va ? Ça va là : à l’objet(a). C’est avec ça que nous


sommes en rapport.

Et après ça, ça va où ? Ça va là, où la femme se distingue de n’être pas


unifiante.
Voilà ! Il ne reste plus qu’à compléter ici pour aller vers la contra-
diction,
et à revenir du « Pas-Toutes », qui est en somme rien d’autre que l’ex-
pression de la contingence.

Vous voyez ici...


comme je l’ai déjà signalé en son temps15

15
Cf. le séminaire 1961-62 : « L’identification » séance du 17-01-1962.
154
...l’alternance de la nécessité, du contingent, du possible et de l’impossible ne
sont pas dans l’ordre qu’Aristote donne.
Car ici c’est de l’impossible qu’il s’agit, c’est-à-dire en fin de compte du
réel.

Alors suivez bien ce petit chemin, parce qu’il nous servira par la
suite, vous en verrez quelque chose.
Voilà ! Il faudrait indiquer les 4 triangles dans les coins comme ça, la
direction des flèches est également indiquée.
Vous y êtes ? Voilà !

Je trouve que j’en ai assez fait pour ce soir.


Je ne désire pas finir sur une péroraison sensationnelle, mais la
question que... oui, c’est assez bien écrit.
Nécessaire, impossible...

X - On n’entend pas !

Lacan - Hein ? Nécessaire, impossible, possible et contingent.

X - On n’entend rien !

Lacan

Je m’en fous ! Voilà ! C’est un frayage.

155
Vous entendrez la suite dans presque quinze jours, puisque c’est le 14
que je ferai mon prochain séminaire au Panthéon.

Je ne suis pas sûr que ce ne sera pas le dernier.

156
1972.12.19. Encore, Leçon 2
Il paraît difficile de ne pas parler bêtement du langage. C’est pourtant,
Jakobson, puisque tu es là...
vous me permettrez de le tutoyer puisque nous avons vécu déjà
un certain nombre de choses ensemble
...c’est pourtant Jakobson ce que tu réussis à faire. Et une fois de plus
dans ces entretiens que Jakobson nous a donnés [Conférences au Collège
de France, Fév. et Déc. 1972], j’ai pu l’admirer assez pour lui en faire
maintenant l’hommage.

Roman Jakobson et Claude Lévi-Strauss au Collège de France en


Février 1972

Il faut pourtant, il faut pourtant nourrir la bêtise. Non pas parce que
tous ceux qu’on nourrit soient « bêtes », si je puis dire d’un terme sur
quoi cette année nous aurons à revenir essentiellement, c’est-à-dire parce
qu’il soutient leur forme,
mais plutôt parce qu’il est démontré que se nourrir fait partie de la
bêtise. Dois-je ré-évoquer devant cette salle,
où l’on est en somme au restaurant et où l’on croit d’ailleurs, on
s’imagine, qu’on se nourrit parce qu’on n’est pas
au restaurant universitaire, mais cette dimension imaginative c’est
justement en ça qu’on se nourrit.

[la bêtise est celle du S1 (signifiant fondamental du sujet, produit, Plus-de-jouir »


du discours A) → signifiant asémantique, coupé de toute référence au sens et au
savoir : S1◊S2,

157
et qui demande à être nourri de jouissances (jouissances phalliques à répétition
visant S1 mais n’atteignant que (a), « jouissances de l’idiot » etc.) encore et
encore...]

Ce que j’évoque c’est ce que... je vous fais confiance pour vous


souvenir de ce qu’enseigne le discours analytique :
cette vieille liaison avec la nourrice, mère en plus comme par hasard,
avec derrière cette histoire infernale du désir de la mère et de tout ce qui
s’ensuit. C’est bien ça dont il s’agit dans la nourriture, c’est bien
quelque sorte de bêtise,
mais que le même discours assoit, si je puis dire, dans son droit [la
question du fondement...].

Un jour je me suis aperçu qu’il était difficile - je reprends le même mot


de la première phrase - de ne pas entrer dans
la linguistique à partir du moment où l’inconscient était découvert.
D’où j’ai fait quelque chose, qui me paraît à vrai dire la seule objection
que je puisse formuler à ce que vous avez pu entendre l’un de ces
jours, de la bouche de Jakobson...
c’est à savoir que tout ce qui est du langage relèverait de la linguistique,
c’est-à-dire en dernier terme du linguiste, non que
je ne le lui - très aisément - accorde quand il s’agit de la poésie, à
propos de laquelle il a avancé cet argument16
...mais si je prends tout ce qui s’ensuit du langage...
et nommément de ce qui en résulte dans cette fondation du sujet, si
renouvelé, si subverti,
que c’est bien là le statut dont s’assure tout ce qui de la bouche de
Freud s’est affirmé comme l’inconscient
...alors il me faudra forger quelque autre mot pour laisser à Jakobson
son domaine réservé, et si vous le voulez j’appellerai ça « la
linguisterie ». Je donne dans la linguisterie, ce qui me laisse quelque part

16
R. Jakobson : Essais de linguistique générale, Paris, éd. de Minuit, 1973,
pp. 209-248, et conférences de Fév. et Déc.1972 au Collège de France.
158
aux linguistes, non sans expliquer tant de fois que des linguistes je ne
subisse, je n’éprouve - et après tout allègrement de la part de tant de
linguistes -
plus d’une remontrance.

Certes pas de Jakobson, mais c’est parce « qu’il m’a à la bonne »


autrement dit : il m’aime [Rires], c’est la façon
dont j’exprime ça dans l’intimité. Mais si vous attendez ce que je
pourrais dire de l’amour, ceci ne fera en somme
que confirmer cette certaine disjonction que par bonheur ce matin -
enfin j’ai trouvé ça ce matin, exactement à 8 heures et demie, en
commençant à prendre des notes, c’est toujours l’heure où je le fais
pour ce que j’ai... enfin... à vous dire,
ce n’est pas que je n’y pense depuis longtemps, mais cela ne se rédige
qu’à la fin - j’ai trouvé ça : « linguisterie ».

Ça comporte des effets, nommément au niveau… pas du dit, parce


qu’après tout il y a des dits qui sont communs aux deux champs, c’est bien
là-dessus que je prends référence, et c’est de là que je peux dire que
« l’inconscient est structuré comme un langage ».
[la linguisterie a pour objet « lalangue » : ce qui des expériences de jouissance liées
à l’Autre primordial, s’inscrit comme « trait » en α, β, γ, δ et génère par la
combinatoire
une structure, (cf. l’« introduction » au séminaire sur La lettre volée), comme un
langage, un savoir inconscient qui fait irruption dans le discours courant par le
lapsus,
le mot d’esprit...]
Mais il est suffisamment clair qu’en ayant posé ce dire...
comme j’en ai depuis avancé d’autres, m’enfin c’est déjà pas
mal
qu’un certain nombre en restent à celui-là : il est important
...ce dire après tout n’est pas du champ de la linguistique, c’est une porte
ouverte sur ceci que vous verrez commenté

159
dans ce qui va paraître, développé dans le prochain numéro de mon
bien connu « a-périodique » [Scilicet n° 4],
avec pour titre « L’Étourdit » : d.i.t 17.

[Dans la séance du 21-12-1972 Lacan a rappelé « la stricte équivalence de


topologie et structure » développée dans L’étourdit (daté du 14 juillet 1972),
où il montre que cette topologie (mœbienne) du discours A permet de passer :
des « discours univoques » à topologie « sphérique » (→ H,U,M : à deux faces,
avec un intérieur et un extérieur, un signifiant support de la « distinction »
et un signifié, etc.) → qui relèvent de la linguistique
à « un discours multivoque » à topologie mœbienne qui, comme la bande de
Mœbius, n’a qu’une face (ex. de la continuité des deux topologies dans le
cross-cap),
et qui concerne S1 le signifiant sans signifié → coupé du savoir : S1◊ S2 →
asémantique, la « bêtise » de la singularité, S1 → qui relève de la
linguisterie]

J’y reprends, j’y pars de la phrase que j’ai, l’année dernière, à plusieurs
reprises écrite au tableau18
sans jamais lui donner de développement, parce que j’ai trouvé que
j’avais mieux à faire,
c’est-à-dire à entendre quelqu’un qui après avoir bien voulu prendre
la parole ici,
nommément ce Récanati que vous avez entendu une fois de plus la
dernière fois,
et grâce à quoi je peux relever la légitimité du titre de « séminaire »,
grâce à lui donc je n’ai pas donné suite à ceci que :

17
L’Étourdit in Scilicet 4, Paris, Seuil, Le champ freudien, 1973, pp. 5-52.
18
Cf. les débuts des séances des 14 et 21 Juin 1972 : « Qu’on dise, comme
fait, reste oublié derrière ce qui est dit, dans ce qui s’entend ».
160
« le dire est justement ce qui reste oublié derrière ce qui est dit dans ce
qu’on entend ».

C’est pourtant aux conséquences du dit que se juge le dire [le dire → le
dit → l’entendu : l’univocité du sens qui masque le dire].
Mais ce qu’on en fait du dire, reste ouvert : on peut faire des tas de
choses avec les meubles à partir du moment,
par exemple, où on a « essuyé » un siège ou un bombardement [→ nombreuses
équivoques].

Il y a un texte de Rimbaud dont j’ai fait état, je pense l’année dernière


[(?) séminaire 1967-68 : L’acte analytique, séance du 10-01-1968].
J’ai pas été rechercher, j’ai pas été rechercher où il se trouve
textuellement, et puis c’est parce que j’étais pressé ce matin...
c’est ce matin que j’y ai repensé, je crois quand même que c’est
l’année dernière...

Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la
nouvelle harmonie.
Un pas de toi, c’est la levée des nouveaux hommes et leur en-marche.
Ta tête se détourne : le nouvel amour !
Ta tête se retourne, - le nouvel amour !
« Change nos lots, crible les fléaux, à commencer par le temps », te chantent
ces enfants.
« Élève n’importe où la substance de nos fortunes et de nos vœux » on t’en
prie.
Arrivée de toujours, qui t’en iras partout.

C’est ce texte qui s’appelle « À une raison » qui se scande de cette


réplique qui en termine chaque verset : un nouvel amour. Et puisque je
suis censé la dernière fois avoir parlé de l’amour, pourquoi pas le
reprendre à ce niveau.
Pour ceux qui savent, qui ont déjà là-dessus un petit peu entendu
quelque chose, je le reprendrai au niveau de ce texte,
161
et toujours sur ce point de marquer la distance de la linguistique à la
linguisterie.

L’amour c’est - chez Rimbaud, dans ce texte - le signe, le signe pointé


comme tel de ce qu’on change de raison [→de discours],
c’est bien pourquoi c’est à cette raison qu’il s’adresse : « À une raison »,
on a changé de discours 19.

Je pense que quand même...


quoiqu’il y en ait qui s’en aillent dans les couloirs
en demandant qu’on leur explique ce que c’est que les 4
discours
...je pense que, comme ça, au collectif, je peux me référer à ceci que
j’en ai articulé quatre et que je n’ai pas besoin
de vous en refaire la liste. Je veux vous faire remarquer que ces 4
discours ne sont à prendre en aucun cas comme une suite d’émergences historiques,
qu’il y en ait eu un qui soit venu depuis plus longtemps que les
autres, n’est pas là ce qui importe.

[→ l’amour est le signe du changement de discours : « un nouvel amour » ↔


un autre signifiant.
Dans les 4 discours, l’impuissance du « Plus-de-jouir » à atteindre la
Vérité déclenche une rupture, un saut (quart de tour anti-horaire),
un renversement du discours précédent→ une autre « raison » → un autre
« signifiant » vient occuper la place du Semblant,
par exemple le renversement du discours Hystérique aboutit au discours du
Maître : le S1 prend la place du S.]

En disant que l’amour c’est le signe de ce qu’on change de discours, je dis


proprement ceci :

19
Cf. séminaire 1969-70 : L’Envers de la psychanalyse, séance du 17-12-
1969, Seuil, 1991, p.31.
162
que le dernier à prendre ce déploiement qui m’a permis de les faire 4...
mais ils n’existent 4 que sur le fondement de ce discours
psychanalytique que j’articule de 4 places,
et sur chacune, de la prise de quelque effet de signifiant
stipulé comme tel
...ce discours psychanalytique, y’en a toujours quelque émergence à chaque passage
d’un discours à un autre.

Ça vaut la peine d’être retenu, non pas pour faire de l’histoire


puisqu’il ne s’agit de ça en aucun cas,
mais pour si on se trouve par exemple placé dans une condition
historique, si l’on repère, si l’on s’avance,
mais c’est libre qu’on considère que la fondation de l’université au
temps de Charlemagne
c’était le passage d’un discours du Maître à l’orée d’un autre discours.

Simplement à retenir qu’à appliquer ces catégories, qui ne sont elles-


mêmes structurées que de l’existence...
qui est un terme, mais qui n’a rien de terminal
...du discours psychanalytique, il faudrait seulement dresser l’oreille à la
mise à l’épreuve de cette vérité...
qu’il y a émergence du discours analytique à chaque « passage »
...de ce que le discours analytique permet de pointer comme
franchissement d’un discours à un autre.

[chacun des discours H,U,M commence par soutenir la possibilité d’un rapport
sexuel (jouissance phallique) pour aboutir à l’aporie, à l’impuissance du « Plus-
de-jouir »
à atteindre la Vérité (la jouissance du corps de l’Autre). Le discours A interroge
la jouissance de l’Autre (a → S → S1 ◊ S2), il y a donc « émergence » du discours
A,

163
et demande d’amour, chaque fois qu’on change de discours quand on vient buter
sur la faille, sur l’impuissance du « Plus-de-jouir » à réaliser la jouissance du
corps de l’Autre
→ quand l’Autre répond « Ce n’est pas ça ! ».]

La dernière fois j’ai dit que « La jouissance de l’Autre...


je vous passe la suite, vous pouvez la reprendre
...n’est pas le signe de l’amour », et ici je dis que « l’amour est un signe ».

L’amour tient-il dans le fait que ce qui apparaît ce n’est rien d’autre,
ce n’est rien de plus que le signe ?
C’est ici que La logique de Port-Royal, l’autre jour évoquée [François
Récanati, 12 déc.1972 ], viendrait nous prêter aide.

Le signe...
avance-t-elle cette logique, et on s’émerveille toujours de ces dires
qui prennent un poids quelquefois bien longtemps après
...le signe c’est ce qui ne se définit que de la disjonction de 2 substances qui
n’auraient aucune « partie commune »,
ce que de nos jours nous appelons « intersection ». Ceci va nous
conduire à des réponses, tout à l’heure.

[il y a hétérogénéité des deux substances : substance potentielle (matérielle) ≠


substance de l’extension (prédicative).
Cf. supra « l’étroit chemin » que Lacan fraye (littoral) entre deux espaces
hétérogènes]

Ce qui n’est pas signe de l’amour...


je le reprends donc de la dernière fois - ce que j’ai énoncé de
la jouissance de l’Autre,
ce que je viens de rappeler à l’instant en commentant : « ...du
corps qui le symbolise »
...la jouissance de l’Autre...
avec le grand A que j’ai souligné en cette occasion
164
...c’est proprement celle de « l’Autre sexe », et je commentais : « du corps qui
le symbolise ».

Changement de discours : assurément c’est là qu’il est étonnant que


ce que j’articule à partir du discours psychanalytique,
eh bien ça bouge, ça noue, ça se traverse... Personne n’accuse le coup !

[C’est à partir du discours A que l’on peut « pointer » ce renversement d’un


discours dans un autre,
et le mouvement qui en résulte (« ça bouge » dit Lacan) - la « ronde des
discours » - n’est perçu que par le « bouclage » que permet le discours A]

J’ai beau dire que cette notion de « discours » est à prendre comme lien
social...
comme tel fondé sur le langage et différenciant ses fonctions à propos
de cet usage du langage [comme lien social],
il semble donc comme tel n’être pas sans rapport avec ce qui dans la
linguistique se spécifie comme grammaire
...rien ne semble s’en modifier : cet usage instituant, nul ne le soulève,
du moins à ce qui apparaît.

[la linguisterie qui se fonde du S1 (le signifiant de la jouissance, comme singulier


(odd), coupé du savoir→ la bêtise) conduit à la notion de « discours » à prendre
comme lien social (à deux dans le discours A → chaque type de discours, chaque
« raison », fonde, structure, institue, met en forme (information) un lien social,
comme une grammaire (cf. structuré comme un langage). La linguistique se fonde
du signifiant, support du trait distinctif (phonème), et du signifié comme
« message » sous réserve de conformité de la chaîne signifiante au code du langage
(d’où la grammaire) → théorie (scientifique : mathématique, génétique...) de
l’information]

Peut-être ça pose la question de savoir ce qu’il en est de la notion


d’information.

165
Est-ce qu’à prendre le langage dans la linguisterie...
la notion qui semble promue comme appareil aisé, propice à
faire fonctionner le langage dans la linguistique d’une façon pas
bête, celle qui impliquait codes et messages, transmission, sujet donc,
et aussi bien espace, distance
...est-ce que malgré le succès foudroyant de cette fonction d’information,
succès tel qu’on peut dire
que la science toute entière vient à s’en infiltrer...
nous en sommes au niveau de l’information moléculaire, du gène
et des enroulements des nucléoprotéines autour des tiges
d’ADN, elles-mêmes enroulées l’une autour de l’autre, et tout
cela est lié par des liens hormonaux, ce sont messages qui
s’envoient, qui s’enregistrent.
Qu’est-ce à dire, puisqu’aussi bien le succès de cette formule
prend sa source incontestable
dans une linguistique qui n’est pas seulement immanente mais bel
et bien formulée. Bref la notion
qui va à s’étendre jusqu’aux fondements mêmes de la pensée
scientifique,
à s’articuler comme néguentropique
...est-ce qu’il y a là quelque chose qui ne peut pas nous faire poser
question,
si c’est bien ce que d’ailleurs : de ma linguisterie, je recueille - et
légitimement - quand je me sers de la fonction du signifiant ?

Qu’est-ce que le signifiant ?

Le signifiant tel que je l’hérite d’une tradition linguistique qui, il


importe de le remarquer,

166
n’est pas spécifiquement saussurienne 20, elle remonte bien plus
haut...
ce n’est pas moi qui l’ai découvert 21
...jusqu’aux Stoïciens22, elle se reflète chez Saint-Augustin 23, elle est à
structurer en termes topologiques.

En ce qui concerne le langage, le signifiant est d’abord qu’il a effet de


signifié, qu’il importe de ne pas élider qu’entre les deux
il y a ce qui s’écrit comme une barre, qu’il y a quelque chose « de barre »
à franchir.
Il est clair que cette façon de topologiser ce qu’il en est du langage,
est illustrée...
certes sous la forme la plus admirable
...par la phonologie, au sens où elle incarne du phonème ce qu’il en est
du signifiant,
mais que le signifiant d’aucune façon ne peut se limiter à ce support
phonématique.

Qu’est-ce qu’un signifiant ?

Il faut déjà que je m’arrête à poser la question sous cette forme : « un


» mis avant le terme, est en usage d’article indéterminé,
c’est-à-dire que déjà il suppose que le signifiant peut être collectivisé,
qu’on peut en faire une collection,

20
Ferdinand de Saussure : Cours de linguistique générale, Paris, Payot,
2006.
21
Lacan fait référence à Jakobson.
22
Cf. Marc Baratin : L’identité de la pensée et de la parole dans l’ancien
stoïcisme, in Langages,1982, Volume 16, N°65, pp. 9-21.
Cf. Jacques Brunschwig : Remarques sur la théorie stoïcienne du nom
propre, in Histoire, Épistémologie, Langage, 1984,Volume 6, N° 6-1 pp. 3-
19.
23
Cf. séminaire 1953-54 : Les écrits techniques de Freud, séance du 23-06-
54.
167
c’est-à-dire en parler comme de quelque chose qui se totalise.
[l’essence du signifiant étant d’être « pure différence » d’avec tous les autres,
il n’y a aucun prédicat qui permette de tous les réunir en une collection]

Puisque le linguiste sûrement aurait de la peine, me semble-t-il, à


expliquer...
parce qu’il n’a pas de prédicat pour la fonder - cette
collection - pour la fonder sur un « le »
...comme Jakobson l’a fait remarquer, et très nommément hier, ce
n’est pas le mot qui peut le fonder ce signifiant,
le mot n’a d’autre point où s’y faire collection que le dictionnaire, où il
peut être rangé.

Pour vous faire sentir que « le » signifiant dans l’occasion...


comme très proprement de sa réflexion sémantique
Jakobson le faisait remarquer
...pour vous le faire sentir, je ne parlerai pas de la fameuse « phrase »...
qui pourtant est bien là aussi l’unité signifiante, et qu’à
l’occasion on essaiera,
dans ses représentants typiques, de collecter comme il se fait
à l’occasion pour une même langue
...je parlerai plutôt du « proverbe » auquel je ne peux pas dire qu’un
certain petit article de Paulhan 24, qui m’est tombé récemment sous la
main, ne m’ait pas fait m’intéresser, d’autant plus vivement que
Paulhan semble avoir remarqué...
dans cette sorte de dialogue tellement ambigu, qui est celui
qui se fait de l’étranger
avec une certaine « aire de compétence linguistique »
comme on dit
...s’est aperçu en d’autres termes qu’avec ses Malgaches le proverbe
avait un poids

24
Jean Paulhan, « L’expérience du proverbe » (1925), éd. L’Échoppe,
1993. Cf. notamment pp.61-66 l’histoire de Ra-Chrysalide.
168
qui lui a semblé jouer un rôle tout à fait spécifique.

Qu’il l’ait découvert à cette occasion ne m’empêchera pas de ne pas


aller plus loin,
mais de faire remarquer que dans les marges de la fonction
proverbiale il y a des choses à la limite qui vont montrer comme cette
signifiance est quelque chose qui s’éventaille - si vous me permettez ce
terme - du proverbe à la locution.

Ce que je vais vous demander... Ou vous chercherez dans le dictionnaire


l’expression « à tire-larigot » !
Faites-le, vous m’en direz des nouvelles !
Et puis dans l’interprétation, la construction, la fabulation, on va
jusqu’à inventer un Monsieur, juste pour l’occasion, qui se serait
appelé Larigot, c’est à force de lui tirer la jambe aussi qu’on aurait fini
par créer « à tire-larigot ».

Qu’est-ce que ça veut dire « à tire-larigot » ?


Il y en a bien d’autres locutions aussi extravagantes qui ne
veulent dire rien d’autre que ça :
la submersion du désir, c’est le sens d’« à tire-larigot ».
Par quoi ?
Par le tonneau percé !
De quoi ?
Mais de la signifiance elle-même, « à tire-larigot » : un bock de
signifiance.

Alors qu’est-ce que c’est, qu’est-ce que c’est que cette signifiance ? [ni le
mot, ni la phrase, ni le proverbe, ni la locution…]
Au niveau où nous sommes, c’est ce qui a des effets de signifié.

Mais n’oublions pas qu’au départ si l’on s’est attaché - et tellement - à


l’élément signifiant, au phonème,

169
c’était pour bien marquer que cette distance, qu’on a à tort qualifiée
de fondement de l’arbitraire...
c’est comme s’exprime - probablement contre son cœur -
Saussure.
Il avait affaire - comme ça arrive n’est-ce pas ? [sic] - à des
imbéciles, il pensait bien autre chose,
bien plus près du texte du Cratyle 25 quand on voit ce qu’il a
dans ses tiroirs :
des histoires d’anagrammes 26
...ce qui passe pour de l’arbitraire c’est que les effets de signifié, eux, sont
bien plus difficiles à soupeser.

C’est vrai qu’ils ont l’air de n’avoir rien à faire avec ce qui les cause.
Mais s’ils n’ont rien à faire avec ce qui les cause, c’est parce qu’on
s’attend à ce que ce qui les cause
ait un certain rapport avec du réel. Je parle : avec du réel sérieux.

Ce qu’on appelle du réel sérieux, il faut bien sûr en mettre un coup


pour l’approcher,

25
Platon : Cratyle ou De la rectitude des mots, in Œuvres complètes T.1,
p.613, Paris, Gallimard, Pléiade, 1950.
26
Ferdinand de Saussure : Anagrammes homériques, présentés et édités par
Pierre-Yves Testenoire , éd. Lambert-Lucas, 2013.
- Jean Starobinski : Les mots sous les mots. Les anagrammes de
Ferdinand de Saussure, Paris, Gallimard, 1971.
- Francis Gandon : De dangereux édifices, Saussure lecteur de
Lucrèce, éd. Peters 2002.
- Michel Arrivé : À la recherche de Ferdinand de Saussure, P.U.F.
2007.
- Federico Bravo : Anagrammes – Sur une hypothèse de Ferdinand de
Saussure, éd. Lambert-Lucas, Limoge, 2011.
170
pour s’apercevoir que le sérieux ça ne peut être que le sériel, il faut un
peu avoir suivi mes séminaires27.

En attendant, ce qu’on veut dire par là c’est que les référents, les
choses à quoi ça sert, ce signifié, à en approcher...
Eh ben justement elles restent approximatives, elles restent
macroscopiques par exemple.
C’est pourtant pas ça qui est important, c’est pas que ce soit
imaginaire, parce qu’après tout ça suffirait déjà très bien
si le signifiant nous permettait de pointer cette image qu’il nous faut
pour être heureux. Seulement c’est pas le cas.

C’est dans cette approche que le signifié a pour propriété, sauf


introduction du sériel, du sérieux, mais ça ne s’obtient qu’après un très
long temps d’extraction du langage de ce quelque chose qui y est pris,
et dont nous - au point où j’en suis de mon exposé - nous n’avons
qu’une idée lointaine,
ne serait-ce qu’à propos de ce « un » indéterminé [Un signifiant],
et de ce « le » dont nous ne savons pas - à propos du signifiant -
comment faire fonctionner pour qu’il le collectivise.
À la vérité il faut renverser : au lieu d’un signifiant qu’on interroge,
interroger le signifiant « Un ».
Mais nous n’en sommes pas encore là.

Au niveau de la distinction signifiant-signifié, ce qui caractérise le


signifié quant à ce qui est là pourtant comme tiers indispensable, à
savoir le référent - c’est proprement que le signifié le rate, c’est que le
collimateur ne fonctionne pas.
Le comble du comble c’est qu’on arrive quand même à s’en servir en
passant par d’autres trucs !

27
Cf. Séminaire 1966-67 : La logique du fantasme, séances du 22-02 au
14-06 : la série de Fibonacci, comme forme de l'incommensurabilité de (a) à
1.
171
[le signifié ne permet pas d’accéder au réel, sinon par la série qui ne l’approche
« qu’après un très long temps d’extraction » (cf. série de Fibonacci) et de façon
« approximative »
→ le collimateur ne fonctionne pas. Cf. supra : « ...après tout ça suffirait déjà très
bien si le signifiant nous permettait de pointer cette image qu’il nous faut pour être
heureux »]

En attendant, en attendant pour caractériser la fonction du signifiant,


pour le collectiviser d’une façon
qui aussi bien ressemble à une prédication, eh bien nous avons
quelque chose qui est ce d’où je suis parti aujourd’hui,
puisque Récanati - toujours de la logique de Port-Royal - vous a parlé
des adjectifs substantivés :
de la rondeur qu’on extrait du rond, [le « Beau » de la sphère du monde
phallique/l’immonde de la Chose ex-sistante]
pourquoi pas de la justice du juste, [le « Bien » du « juste ce qu’il
faut »/dangereuse Jouissance ex-sistante ]
et de la prudence de quelques autres formes substantives. [le « Vrai »
comme approche de la Vérité ex-sistante]

C’est bien tout de même ce qui va nous permettre d’avancer notre


« bêtise » [avancer S1 dans la ronde des discours],
pour trancher que peut-être bien n’est-elle pas - comme on le croit -
une catégorie sémantique,
mais un mode de collectiviser le signifiant. Pourquoi pas ? Pourquoi
pas ? Le signifiant c’est bête !

Il me semble que c’est de nature à engendrer un sourire, un sourire


bête naturellement !
Mais un sourire bête comme chacun sait, y’a qu’à aller dans les
cathédrales, un sourire bête c’est un sourire d’ange.

172
C’est même là la seule justification - vous savez - de la semonce
pascalienne 28, c’est sa seule justification.
Si l’ange a un sourire si bête c’est parce qu’il nage dans le signifiant
suprême,
se retrouver un peu au sec ça lui ferait du bien, peut-être qu’il ne
sourirait plus.

C’est pas que je ne croie pas aux anges, chacun le sait :


j’y crois inextrayablement et même inexteilhardement [Rires] [cf. séance
du 07-04-1965].

C’est simplement que je ne crois pas, par contre, qu’il apporte le


moindre message [ Ἄγγελος (angelos : messager)],
et c’est - sur ce point-là, au niveau du signifiant, n’est-ce pas - en
quoi, en quoi il est vraiment signifiant justement.

[S1, le signifiant fondamental, est « bête » car coupé du savoir : S1 ◊ S2, →


asémantique, il n’est porteur d’aucun message, d’aucun signifié, d’aucun
sens,
et c’est là dans le « non-sens » du symptôme, du lapsus, du rêve... qu’« il est
vraiment signifiant », qu’il signifie, dénote, désigne, ce qui n’est pas là,
ce qui est toujours absent, ce qui est « perdu » et éperdument visé ]

Alors il s’agirait quand même de savoir où tout ça nous mène, et de


nous poser la question de savoir pourquoi
nous mettons tant d’accent sur cette fonction du signifiant [le S1
« bête »].
Il s’agirait de la fonder, parce que quand même, c’est le fondement
du symbolique - nous le maintenons –
quelles que soient ses dimensions qui ne nous permettent d’évoquer
que le discours analytique.
28
Pascal (Pensées): « L’homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que
qui veut faire l’ange fait la bête. »
173
[ce S1 signifiant « bête » n’est pas celui de la linguistique mais celui de la
linguisterie, des bêtises, de la jouissance, de ce qui « ne se peut dire »
→ au fondement même du symbolique comme trace, écriture, d’une expérience
de jouissance]

J’aurais pu aborder les choses d’une autre façon, j’aurais pu vous dire
comment on fait pour venir me demander une analyse
par exemple. Je voudrais pas toucher à cette fraîcheur, il y en a qui se
reconnaîtraient, et Dieu sait ce qu’ils penseraient, ce qu’ils
s’imagineraient de ce que je pense. Peut-être qu’ils croiraient que je
les crois bêtes, ce qui est vraiment la dernière idée qui pourrait me
venir dans un tel cas, il n’est pas question - mais pas du tout ! - de la
bêtise de tel ou tel.

La question est de ce que le discours analytique introduit un adjectif


substantivé :
la bêtise, en tant qu’elle est une dimension en exercice, du signifiant.
Là, il faut y regarder plus près.
[la logique de Port-Royal (cf. supra l’exposé de F. Récanati) distinguait la
substance potentielle et la substance prédicative (adjectif substantivé)].

Car après tout dès qu’on substantive [un adjectif ] c’est pour supposer
une substance [potentielle, sub-posée, subjectum :
ὑποχείμενον (upokeimenon)], et les substances - mon Dieu - de nos
jours, nous n’en n’avons pas à la pelle :
d’abord « la substance pensante »,
et « la substance étendue ».
[ces 2 substances sont voisines de la substance prédicative et de la substance
potentielle de la logique de Port-Royal (à Port-Royal on défend Descartes et on
s’inspire d’Aristote)]

174
Il conviendrait peut-être d’interroger à partir de là, où peut bien se
caser de « la dimension substantielle »,
qui justement, quelque distante qu’elle soit de nous, et jusqu’à
maintenant ne nous faisant que signe,
quel peut bien être ce à quoi nous pourrions accrocher cette substance
en exercice, cette dimension...
qu’il faudrait écrire d.i.t., trait d’union, mention [« dit-mention »,
voire « dit-mansion »]
...à quoi la fonction du langage est d’abord ce qui y veille, avant tout
usage meilleur et plus rigoureux.

[lalangue comme un langage] [cette troisième dimension de la substance (dit-


mension ou dit-mention voire dit-mansion : la résidence du dit, lieu du savoir de
l’Autre,
de la vérité et de la jouissance) révèle occasionnellement la jouissance qui s’y exerce
dans un « dire » dont l’écriture reste à déchiffrer]

D’abord « la substance pensante » on peut quand même dire que nous


l’avons sensiblement modifiée. Depuis ce « je pense » qui se supposant
lui-même, en déduit l’existence, nous avons eu un pas à faire et ce pas est
très proprement celui de l’inconscient.
Si j’en suis aujourd’hui à traîner dans l’ornière « l’inconscient comme
structuré par un langage »,
eh bien tout de même qu’on le sache, c’est que ça change totalement
la fonction du sujet comme existant :
le sujet n’est pas celui qui pense,
le sujet est proprement celui que nous engageons - à quoi ? - non
pas, comme nous le lui disons,
comme ça pour le charmer, « à tout dire »...

Je sais qu’il est tard et parce que je ne veux pas fatiguer celui dont je
me considère en l’occasion comme l’hôte,
à savoir Jakobson, je sais que je n’arriverai pas aujourd’hui à dépasser
un certain champ.
175
Néanmoins si je parle du « pas tout »...
ce qui tracasse beaucoup de monde
...si je l’ai mis au premier plan pour être la visée de cette année de
mon discours,
c’est bien là l’occasion de l’appliquer : on ne peut « pas tout » dire, mais
qu’on puisse dire des bêtises, tout est là.

C’est avec ça que nous allons faire l’analyse et que nous entrons dans
le nouveau sujet qui est celui de l’inconscient.
C’est justement dans la mesure où il veut bien ne plus penser, le
bonhomme, qu’on en saura peut-être un petit peu plus long
et qu’on tirera quelques conséquences des dits, des dits justement dont
on ne peut pas se dédire, c’est ça qui est
la règle du jeu [au-delà du discours courant : l’irruption d’un « dire », d’un
Autre discours].

De là surgit un dire qui ne va pas toujours jusqu’à pouvoir ex-sister au


dit, à cause justement de ce qui vient au dit
comme conséquence, et que c’est là l’épreuve où un certain réel dans
l’analyse de quiconque - si bête [singulier, odd…] soit-il - peut être
atteint.
[cf. L’étourdit : « Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui
s’entend » : les conséquences du « dit » (ce qu’on entend : le sens univoque)
masquent le « dire »]

Statut du « dire » : il faut que je laisse tout ça de côté pour aujourd’hui.


Mais quand même je peux bien vous dire que ce qu’il va y avoir cette
année de plus emmerdant
c’est qu’il va bien tout de même falloir soumettre à cette épreuve un
certain nombre de dires de la tradition philosophique. Ce que je regrette

176
beaucoup c’est que Parménide29, je parle de Parménide : de ce que
nous en avons encore de ses dires, enfin de ce que la tradition
philosophique en extrait, de ce d’où part par exemple mon maître
Kojève :
c’est la pure position de l’être.
[au discours philosophique sur l’être, tel que le reprend Kojève de
Parménide : « l’être est, le non être n’est pas »,
Lacan oppose un être fondé sur rien (zéro) qui ex-siste et qui fonde la série
par la nomination :
le zéro porte « un nom comme 1 », premier élément, puis le 1 porte un nom
comme « 2 », etc. (cf. la fondation par Frege des entiers naturels) ]

Heureusement, heureusement que Parménide a écrit, a écrit en réalité


des poèmes.
Il s’y confirme justement ce en quoi il me semble que le témoignage
du linguiste ici fait prime.
C’est que justement à employer ces appareils, ces appareils qui
ressemblent beaucoup à ce que je vais - juste à la fin - pouvoir
pointer, à savoir l’articulation mathématique :
l’alternance après la succession,
l’encadrement après l’alternance.

Enfin c’est bien parce qu’il était poète que Parménide dit en somme
ce qu’il a à nous dire, de la façon la moins bête.
Mais autrement « que l’être soit et que le non-être ne soit pas », je ne sais pas
ce que ça vous dit à vous, mais moi je trouve ça bête.
Il faut pas croire que ça m’amuse de le dire, c’est fatigant parce que
quand même nous aurons cette année besoin de l’être, de quelque
chose que - Dieu merci - j’ai déjà avancé : le signifiant « Un », pour
lequel je vous ai, l’année dernière, suffisamment semble-t-il, frayé la

29
Parménide : Le Poème, Les Présocratiques, Paris, Gallimard, La pléiade,
1988, pp. 231- 272.
177
voie à dire : y’a d’l’Un. C’est de là que ça part le sérieux, si bête que ça
en ait l’air ça aussi.

Nous aurons donc tout de même quelques références à prendre, et à


prendre au minimum - de la tradition philosophique. Ce qui nous
intéresse c’est où nous en sommes, et où nous en sommes avec
la substance pensante [le se jouis],
et à son complément la fameuse « substance étendue » dont on ne se
débarrasse pas non plus si aisément, puisque
c’est là l’espace moderne.

Substance [pensante] contre ce pur espace si je puis dire - ce pur espace


comme on dit ça...
on peut le dire comme on dit pur esprit, et on ne peut pas
dire que ce soit prometteur
...ce pur espace se fonde sur la notion de parties à condition d’y ajouter
ceci :
que toutes sont externes : partes, extra partes, c’est à ça que nous avons
affaire.
On est arrivé même avec ça à s’en tirer, c’est-à-dire à en extraire
quelques petites choses, mais il a fallu faire de sérieux pas.
[« partes, extra partes »→ topologie sphérique ou mœbienne]

Pour situer, avant de vous quitter, mon signifiant, je vous propose, je


vous propose de soupeser ce qui, la dernière fois, s’inscrit au début
de ma première phrase qui comporte le jouir d’un corps - d’un corps
qui « l’Autre, le symbolise » -
et comporte peut-être quelque chose de nature à faire mettre au
point une autre forme de substance : la substance jouissante.

Est-ce que ce n’est pas là ce que suppose proprement - et justement


sous tout ce qui s’y signifie - l’expérience psychanalytique. [discours A :
abandon du sens (S1◊ S2) pour la signification, cf. Frege : « Sinn und
Bedeutung », Sens et dénotation]
178
Substance du corps, à condition qu’elle se définisse seulement de « ce qui
se jouit ». Seulement propriété du corps,
vivant sans doute, mais nous ne savons pas ce que c’est d’être vivant
sinon seulement en ceci qu’un corps ça se jouit.

[Descartes situait le corps dans la substance étendue, ce à quoi objecte Lacan : le


corps ne jouit que d’être « corporisé de façon signifiante » → (a) jouissance d’une
partie du corps
de l’autre. C’est là que Lacan désigne l’origine du « ratage » de Descartes
concernant sa théorie des passions : « Les passions de l’âme » (Gallimard,
pléiade, p. 691). ]

Et plus : nous tombons immédiatement sur ceci qu’il ne se jouit que


de le corporiser de façon signifiante.
Ce qui veut dire quelque chose d’autre que la partes extra partes de la
substance étendue,
comme le souligne admirablement cette sorte de... cette sorte de
kantien...
disons-le c’est un vieux bateau qui est quelque part dans
mes Écrits 30, qu’on lit plus ou moins bien
...cette sorte de kantien qu’était Sade, à savoir : qu’on ne peut jouir
que d’une partie du corps de l’autre,
comme il l’exprime très, très bien, pour la simple raison que : on n’a
jamais vu un corps s’enrouler complètement, totalement, jusqu’à
l’inclure et le phagocyter autour du corps de l’autre [Rires].

C’est même pour cela qu’on en est réduit simplement à une petite
étreinte comme ça, un avant-bras
ou n’importe quoi d’autre [Rires]. Et que jouir a cette propriété
fondamentale que c’est en somme le corps de l’un

30
Cf. « Kant avec Sade », in Écrits, Paris, Seuil, Le champ freudien, 1966,
pp. 765-790.
179
qui jouit d’une part du corps de l’autre. Qu’elle - cette part - peut jouir
aussi, ça agrée à l’autre plus ou moins,
mais enfin c’est un fait qu’il ne peut pas y rester indifférent.

Et même qu’il arrive qu’il se produise quelque chose qui dépasse ce


que je viens de décrire,
marqué de toute l’ambiguïté signifiante, à savoir que le « jouir du
corps » est un génitif,
donc selon que vous le faites objectif ou subjectif :
a cette note sadienne, sur laquelle j’ai mis juste une petite touche[génitif
subjectif : en jouir comme objet partiel ] ,
ou au contraire extatique, suggestive, qui dit qu’en somme c’est
l’Autre qui jouit [génitif objectif ].

Bien sûr il n’y a là qu’un niveau qui est bien localisé, le plus
élémentaire dans ce qu’il en est de la jouissance,
de la jouissance au sens où la dernière fois j’ai promu « qu’elle n’était pas
un signe de l’amour ».
C’est ce qui sera à soutenir, et bien sûr que cela nous mène de là,
du niveau de la jouissance phallique [jouissance de l’idiot, jouissance de
l’organe, jouissance immédiate, sadienne, jouir d’un objet partiel ],
à ce que j’appelle proprement la jouissance de l’Autre, en tant qu’elle
n’est ici que symbolisée, c’est encore
toute autre chose, à savoir ce « pas tout » que j’aurai à articuler.

Mais dans cette articulation, que veut dire... qu’est le signifiant ? Le


signifiant...
pour aujourd’hui je vais clore là-dessus, vu les motifs que
j’en ai
...je dirai : le signifiant se situe au niveau de la substance jouissante
comme étant...
bien différemment de tout ce que je vais évoquer
...en résonance de la physique et, pas par hasard, de la physique
aristotélicienne.
180
La physique aristotélicienne qui seulement de pouvoir être sollicitée
comme je vais le faire,
nous montre à quel point justement elle était une physique illusoire.

Le signifiant c’est la cause de la jouissance : sans le signifiant comment


même aborder cette partie du corps ?
Comment, sans le signifiant, centrer ce quelque chose qui de la
jouissance est la cause matérielle ?
C’est à savoir que, si flou, si confus que ce soit, c’est une partie qui,
du corps [cause matérielle], est signifiée dans cet abord.

[Aristote dans sa Physique distingue quatre types de « causes » : la cause


matérielle, la cause formelle, la cause efficiente, la cause finale]

Et après avoir pris ainsi ce que j’appellerai la cause matérielle, j’irai tout
droit - ceci sera plus tard repris, commenté -
à la cause finale, « finale » dans tous les sens du terme, proprement en
ceci qu’elle en est le terme [la fin] :

le signifiant c’est ce qui fait halte ! [cause finale] à la jouissance,

après ceux qui s’enlacent [cause formelle] si vous me permettez : hélas !

et après ceux qui sont las [cause efficiente] : holà !

L’autre pôle du signifiant, le coup d’arrêt est là, aussi à l’origine que
peut l’être le vocatif du commandement.
Et l’efficience dont Aristote nous fait la 3ème forme de la cause, n’est
rien enfin que ce projet dont se limite la jouissance.

[la cause matérielle : deux corps,


la cause formelle : l’étreinte, l’union qui vise à combler la faille de l’inexistence
du rapport sexuel,
la cause efficiente : la jouissance,
181
la cause finale : « holà ! » → ce qui fait « halte ! » à la jouissance ]

Toutes sortes de choses sans doute, qui paraissent dans le règne


animal, nous font parodie à ce chemin de la jouissance chez l’être
parlant. Justement c’est chez eux que quelque chose se dessine, qu’ils
participent beaucoup plus de la fonction du message : l’abeille
transportant le pollen de la fleur mâle à la fleur femelle, voilà qui
ressemble beaucoup plus
à ce qu’il en est de la communication.

Et l’étreinte, l’étreinte confuse d’où la jouissance prend sa cause, sa


cause dernière, qui est formelle,
est-ce que ce n’est pas beaucoup plus quelque chose de l’ordre de la
grammaire qui la commande ?

Ce n’est pas pour rien que « Pierre bat Paul » est au principe des
premiers exemples de grammaire,
ni que Pierre - pourquoi ne pas le dire comme ça - « Pierre et paule »
donne l’exemple de la conjonction,
à ceci près qu’il faut se demander après : qui épaule l’autre. [Rires]

J’ai déjà joué là-dessus depuis vingt ans. On peut même dire que le
verbe ne se définit que de ceci :
c’est d’être un signifiant pas si bête - il faut écrire ça en un mot -
passibête que les autres sans doute,
mais aussi qui fait le passage d’un sujet, d’un sujet justement à sa
propre division dans la jouissance,
et qu’il l’est encore moins qu’il devient signe, quand cette division il la
détermine en disjonction.

J’ai joué un jour autour d’un lapsus littéral, « calami » qu’on appelle ça.

182
J’ai fait toute une de mes conférences de l’année dernière31 sur le
lapsus orthographique que j’avais fait :

« Tu ne sauras jamais combien je t’ai aimé » adressé à une femme, et


terminé « mé ».

On m’a fait remarquer depuis, que pris comme lapsus, cela voulait
peut-être dire que j’étais homosexuel.
Mais ce que j’ai articulé l’année dernière c’est que, quand on aime, il
ne s’agit pas de sexe.

Voilà sur quoi, si vous le voulez bien, j’en resterai aujourd’hui.

31
Cf. séminaire 1971-72 : « ...Ou pire », séance du 09-02-72.
183
1973.02.20. Encore. Leçon 7
Je peux bien vous avouer que j’espérais que les vacances dites
« scolaires » auraient éclairci votre assistance.
Il y a trop longtemps que... que je désirerais vous parler comme ça,
en me promenant un petit peu entre vous,
ça faciliterait certaines choses me semble-t-il. Mais enfin, puisque
cette satisfaction m’est refusée
j’en reviens à ce dont je suis parti la dernière fois de ce que j’ai appelé
« une autre satisfaction », satisfaction de la parole.

Une autre satisfaction, celle...


je le répète, c’est le début de ce que j’ai dit la dernière fois
...celle qui répond à la jouissance qu’il fallait « juste », « juste » pour que ça
se passe entre ce que j’abrégerai de les appeler « l’homme et la femme »,
et qui est la jouissance phallique.

Notez ici la modification qu’introduit ce mot « juste ». Ce « juste », ce


justement est un « tout juste », tout juste réussi...
ce qui, je pense, vous est sensible
...de donner justement l’envers du raté.

Ça réussit « tout juste » et déjà nous voici là portés...


puisque la dernière fois, du moins je l’espère,
le plus grand nombre était là qui sait que j’étais parti
d’Aristote
...de voir là en somme justifié ce qu’Aristote apporte de la notion de
la justice comme « le juste milieu ».

Peut-être certains d’entre vous ont-ils vu, quand j’ai introduit ce


« tout » qui est dans le « tout juste »,

184
que j’ai fait là une sorte de contournement, de contournement qui
était pour éviter le mot de « prosdiorisme » 32
qui désigne justement ce « tout », ce « quelque » à l’occasion, qui ne
manquent dans aucune langue.

Que ce soit le prosdiorisme, le « tout » qui dans l’occasion vient à


nous faire glisser de la justice d’Aristote à la justesse,
à la « réussite de justesse », c’est bien là ce qui me légitime à avoir
d’abord produit cette entrée d’Aristote...
du fait que ça ne se comprend pas tout de suite comme ça,
et que somme toute,
Aristote s’il ne se comprend pas si aisément en raison de la
distance qui nous sépare de lui
...c’est bien là ce qui me justifiait, quant à moi, à vous dire que lire
n’est pas du tout quelque chose
qui nous oblige à comprendre, il faut le lire d’abord.

[lire c’est d’abord lire des S1 asémantiques, hermétiques comme des


hiéroglyphes parce que privés de sens → il faut lire Aristote comme on « lit »
un rêve
(Lacan disait qu’il fallait lire Descartes « comme un cauchemar »)]

Et c’est bien ce qui fait qu’aujourd’hui...


enfin peut-être d’une façon qui apparaîtra à certains de
paradoxe
...je vais vous conseiller de lire un livre dont le moins qu’on puisse
dire c’est qu’il me concerne,

32
Lacan introduit le prosdiorisme dans la séance du 12-1-72 de « ...Ou
pire ». Il s’agit des premiers « quantificateurs » tels que le « un », le
« quelque »,
le « tous ». Cf. La philosophie du langage exposée d'après Aristote, M.
Séguier, 1838.
185
ce livre s’appelle « Le titre de la lettre » 33, il est paru aux éditions
Galilée, collection « À la Lettre ».

Je ne vous en dirai pas les auteurs qui me semblent en l’occasion


jouer plutôt le rôle de sous-fifres,
mais ce n’est pas pour autant diminuer leur travail, car je dirai que
c’est, quant à moi, avec la plus grande satisfaction que je l’ai lu. Et c’est en
somme l’épreuve à laquelle je désirerais soumettre votre auditoire,
plutôt que de recommander, de faire clairon à la parution de tel ou tel
livre.

Ce livre écrit en somme dans les plus mauvaises intentions, comme vous
pourrez le constater à la trentaine de dernières pages, est quand
même un livre dont je ne saurais trop encourager la diffusion.

Je peux dire d’une certaine façon que s’il s’agit de lire, je n’ai jamais
été si bien lu,
au point de pouvoir dire que d’un certain côté je pourrais dire « avec
tellement d’amour ».
Bien sûr, comme il s’avère par la chute du livre, c’est un amour dont
le moins qu’on puisse dire
est que sa doublure habituelle dans la théorie analytique n’est pas
sans pouvoir être évoquée...

Il me semble que ça serait trop dire...


et puis peut-être même est-ce trop en dire que de mettre là-
dedans d’une façon quelconque les sujets
...ça serait peut-être là trop les reconnaître en tant que sujets, que
d’évoquer leurs sentiments.

33
Philippe Lacoue-Labarthe, Jean-Luc Nancy : « Le titre de la lettre. Une
lecture de Lacan », Paris, Galilée, 1973 et 1990.
186
C’est un modèle de bonne lecture. Au point que je peux dire que je
regrette de n’avoir obtenu,
de ceux qui me sont proches, jamais rien qui à mes yeux, soit
équivalent.

Les auteurs, puisqu’il faut bien tout de même que je les désigne, ont
cru devoir se limiter...
et mon Dieu pourquoi ne pas les en complimenter, puisque la
condition d’une lecture
c’est évidemment qu’elle soit en place, qu’elle s’impose à elle-
même des limites
...et ils se sont attachés à mon article, à cet article recueilli dans mes
Écrits qui s’appelle « L’instance de la lettre » 34.

Je peux dire que pour ponctuer par exemple ce qui me distingue de


ce qui peut être compris de Saussure,
je ne dis pas plus, ce qui m’en distingue, ce qui fait que je l’ai -
comme ils disent - « détourné »,
on ne peut vraiment pas mieux faire.

À quoi cela mène de fil en aiguille ?

À cette impasse qui est bien celle que je désigne concernant ce qu’il en
est dans le discours, dans le discours analytique,
de l’abord de la vérité et de ses paradoxes. C’est là sans doute quelque
chose où à la fin, je ne sais quoi...
et je n’ai pas autrement à le sonder
...je ne sais quoi échappe à ceux qui se sont imposés cet
extraordinaire travail,
tout se passant donc comme si ce soit justement à l’impasse où tout
mon discours est fait pour les mener,

34
L'instance de la lettre dans l'inconscient ou la raison depuis Freud, in
Écrits, Paris, Seuil, 1966, pp. 493-528.
187
qu’ils se tiennent quittes, qu’ils se déclarent ou me déclarent...
ce qui revient au même au point où ils en parviennent
...être quinauds35.

Mais justement c’est là où je trouve tout à fait indiqué que vous vous
affrontiez vous-mêmes - je le souligne -
jusqu’aux conclusions dont vous verrez que, somme toute, on peut
les qualifier de sans-gêne.
Jusqu’à ces conclusions, le travail se poursuit d’une façon où moi je
ne puis reconnaître qu’une valeur d’éclaircissement, de lumière, tout à
fait saisissant.

Si cela pouvait par hasard, enfin, éclaircir un petit peu vos rangs étant
donné ce par quoi j’ai commencé,
je n’y verrais pour moi qu’avantage. Mais après tout je ne suis pas sûr
parce que, pourquoi...
puisque vous êtes toujours ici aussi nombreux
...ne pas vous faire confiance : que rien enfin ne vous rebute
assurément [Rires].

Jusqu’à ces 30 ou 20 dernières pages, je ne les ai pas comptées parce


qu’à la vérité ce sont celles-là, celles-là seulement, que j’ai lues en
diagonale, les autres vous seront d’un confort que somme toute je
peux vous souhaiter.

Là-dessus, ce que j’ai aujourd’hui à vous dire, c’est bien ce que je


vous ai annoncé la dernière fois,
c’est à savoir de pousser plus loin ce qu’il en est quant à ce sur quoi
j’ai terminé.

C’est à savoir la conséquence de ce que j’ai cru...


non certes sans avoir longtemps cheminé pour autant

35
Quinaud : penaud, confus, honteux.
188
...de ce que j’ai cru devoir énoncer de ce qu’il y a entre les sexes, entre les
sexes chez l’être parlant, qui de rapport ne fasse pas,
et comment en somme c’est à partir de là seulement que se puisse
énoncer ce qui à ce rapport supplée.

Il y a longtemps que là-dessus j’ai scandé d’un certain « Y’a d’l’Un »36
ce qui fait le premier pas dans cette démarche.
Ce « Y’a d’l’Un », c’est le cas de le dire, ça n’est pas simple.

Bien sûr dans la psychanalyse ou plus exactement, puisqu’il faut bien


le dire, dans le discours de Freud, ceci s’annonce de l’ἔρως [éros], de
l’ἔρως défini comme fusion de ce qui du deux fait un, et à partir de
là - mon Dieu –
de proche en proche, est censé tendre à ne faire qu’Un d’une
multitude immense.

Moyennant quoi comme il est clair que même, tous tant que vous
êtes ici multitude assurément,
non seulement vous ne faites pas qu’Un mais n’avez aucune chance,
fût-ce à communier, comme on, dit dans ma parole, d’y parvenir
comme il ne se démontre que trop et tous les jours.

Il faut bien que Freud fasse surgir cet autre facteur, qui doit bien faire
obstacle à cet ἔρως universel,
sous la forme du Θάνατος [Tanathos], de la réduction à la
poussière.

C’est évidemment chose permise métaphoriquement à Freud, grâce à


cette bienheureuse découverte des 2 unités du germen : cet ovule et ce

36
Cette formule apparait dans la séance du 15-3-72 du séminaire « ...Ou
pire » .
189
spermatozoïde dont grossièrement l’on pourrait dire que c’est de leur
fusion que s’engendre – quoi ? –
un nouvel être, et aussi bien à se limiter à deux éléments qui se
conjoignent.
À ceci près qu’il est bien clair qu’à regarder les choses de plus près, la
chose ne va pas sans une méiose,
sans une soustraction tout à fait manifeste, au moins pour l’un des
deux, je veux dire juste d’avant le moment même
où la conjonction se produit, la soustraction de certains éléments qui
bien sûr ne sont pas pour rien dans l’opération finale.

Mais la métaphore biologique est assurément, ici encore beaucoup


moins qu’ailleurs, ce qui peut suffire à nous conforter.
Si l’inconscient est bien ce que je dis d’être structuré comme un langage,
c’est au niveau de la langue qu’il nous faut interroger cet Un, cet Un dont bien
entendu la suite des siècles a fait retentissement, résonance infinie,
ai-je besoin ici d’évoquer les néoplatoniciens [Porphyre de Tyr,
Plotin...] et toute la suite ?

Peut-être aurai-je encore tout à l’heure à mentionner très rapidement


cette aventure, puisque ce qu’il me faut aujourd’hui, c’est très
proprement désigner d’où la chose non seulement peut mais doit être
prise de notre discours [analytique],
de ce discours nouveau, de ce renouvellement qu’apporte dans le
domaine de l’ἔρως ce que notre expérience apporte.

Il faut bien partir de ceci, que ce « Y’a d’l’Un » est à prendre de


l’accent qu’il y a de l’Un [« tout seul »],
et justement puisqu’il n’y a pas de rapport, qu’« Y’a d’l’Un » et « d’l’Un
tout seul »,
que c’est de là que se saisit le nerf de ce qu’il en est concernant ce
qu’après tout il nous faut bien appeler
du nom dont la chose retentit tout au cours des siècles, à savoir celui
de l’amour.
190
Dans l’analyse nous n’avons affaire qu’à ça. Et ce n’est pas, ce n’est
pas par une autre voie qu’elle opère.
Voie singulière à ce qu’elle seule ait permis de dégager ce dont, moi
qui vous parle, j’ai cru devoir le supporter...
je veux dire ce transfert, et nommément en tant qu’il ne se
distingue pas de l’amour
...de la formule : « le sujet supposé savoir ».

Et là, je pense que tout au long de ce que je vais aujourd’hui avoir à


énoncer, je ne puis pas manquer de marquer
la résonance nouvelle que peut prendre pour vous, à tout ce qui va
suivre, ce terme de savoir.
Peut-être, même dans ce que tout à l’heure vous m’avez vu flotter,
reculer, hésiter, à faire verser d’un sens ou de l’autre :
de l’amour ou de ce qu’on appelle encore la haine.

Pensez qu’en somme

si, comme vous le constaterez, ce à quoi je vous invite expressément


à prendre part,
à savoir à une lecture dont la pointe est faite expressément pour
– disons – me déconsidérer,
ce qui n’est certes pas devant quoi peut reculer quelqu’un
[Derrida] qui ne parle en somme que de la désidération,
et qui ne vise rien d’autre,

qu’en somme là où cette pointe porte, ou plus exactement paraît -


aux auteurs - soutenable, c’est
justement d’une dé-supposition de mon savoir.

Et pourquoi pas ? Pourquoi pas, s’il s’avère que ce doit être là, la
condition de ce que j’ai appelé « la lecture » ?

191
Que sais-je après tout, que puis-je présumer de ce que savait Aristote
? Peut-être mieux je le lirai,
à mesure que ce savoir je le lui suppose moins. Telle est la condition
d’une stricte mise à l’épreuve de « la lecture ».
Et c’est là celle dont en somme je ne m’esquive pas.

Il est certes difficile, il serait peu conforme à ce qu’en fait, il nous est
offert de lire par ce qui du langage existe,
à savoir ce qui vient à se tramer d’effets de son ravinement, vous savez
que c’est ainsi que j’en définis l’écrit [Cf. Lituraterre].

Il serait, me semble-t-il, dédaigneux de - au moins - ne pas traverser


ou faire écho de ce qui au cours des âges...
et d’une pensée qui s’est appelée - je dois dire
improprement - philosophique
...de ce qui au cours des âges s’est élaboré sur l’amour. Je ne vais pas
faire ici une revue générale.

Mais je pense que vu le genre de têtes, enfin que je vois ici faire
flocon, vous devez quand même avoir entendu parler
que du côté de la philosophie, l’amour de Dieu, dans cette affaire a
tenu une certaine place et qu’il y a là un fait massif, dont, au moins
latéralement, le discours analytique ne peut pas ne pas tenir compte.

Comme ça, des personnes « bien intentionnées »...


c’est bien pire que celles qui le sont « mal »
...des personnes bien intentionnées...
quand, comme on dit quelque part dans ce livret, j’ai été, à ce
qu’il y a là écrit, « exclu » de Sainte-Anne,
je n’ai pas été exclu, je me suis retiré, c’est très différent, mais
enfin qu’importe, nous n’en sommes pas là, d’autant plus que
ces termes d’« exclu », d’« exclure », ont dans notre topologie toute
leur importance

192
...des personnes bien intentionnées se sont trouvées en somme surprises
d’avoir écho, ce n’était qu’un écho,
mais comme ces personnes étaient...
mon Dieu, il faut bien le dire
...de la pure tradition philosophique, et de celle qui se réclame...
c’est bien en ça que je la dis « pure »
...il n’y a rien de plus philosophique que le matérialisme, et le
matérialisme se croit obligé...
Dieu sait pourquoi, c’est le cas de le dire
...d’être en garde contre ce Dieu dont j’ai dit qu’il a dominé, dans la
philosophie, tout le débat de l’amour.

Le moins qu’on puisse dire est qu’une certaine gêne, vu le pont, le


tremplin, le maintien pour moi d’une audience,
qui m’était offert à partir de cette intervention chaleureuse, c’est que
je mettais entre l’homme et la femme un certain Autre...
avec un grand A, dont il y avait, au dire de ceux qui se
faisaient les véhicules bénévoles de cet écho
...un certain Autre qui n’avait bien l’air que d’être « le bon vieux Dieu » de
toujours.

Pour moi il me paraît sensible que pour ce qui est du « bon vieux
Dieu », cet Autre, cet Autre avancé alors...
alors au temps de « L’instance de la lettre »
...cet Autre avancé alors comme lieu où la parole ne peut s’inscrire
qu’en vérité,
cet Autre était quand même bien une façon, je ne peux même pas
dire de laïciser, d’exorciser ce « bon vieux Dieu ».

Mais qu’importe ! Après tout, qui sait ? Il y a bien des gens qui me
font compliment,
dans je ne sais quel des derniers ou avant-derniers séminaires, d’avoir
su poser enfin que Dieu n’existait pas.

193
Évidemment ils entendent, ils entendent mais hélas ils comprennent, et ce
qu’ils comprennent est un peu précipité.

Je m’en vais peut-être plutôt aujourd’hui vous montrer en quoi


justement il existe ce « bon vieux Dieu ».
Le mode sous lequel il existe [: §→ ex-siste] ne plaira peut-être
pas tout à fait à tout le monde et notamment pas
aux théologiens qui sont - je l’ai dit depuis longtemps - bien plus
forts que moi à se passer de son existence.

Malheureusement je ne vais pas tout à fait dans la même position, de


ce que justement j’ai affaire à l’Autre,
et que cet Autre...
cet Autre qui, s’il n’y en a qu’Un tout seul,
doit bien avoir quelque rapport avec ce qui alors apparaît de
l’autre sexe
...cet Autre je suis bien forcé d’en tenir compte et chacun sait
qu’après tout je ne me suis pas refusé...
dans cette même année que j’évoquais la dernière fois : de
« L’éthique de la psychanalyse »,
...de me référer à l’amour courtois.

L’amour courtois, qu’est-ce que c’est ?


C’était cette espèce... cette façon tout à fait raffinée de suppléer à
l’absence de rapport sexuel
en feignant que c’est nous qui y mettions obstacle.
Ça, c’est vraiment la chose la plus formidable qu’on ait jamais tentée,
mais comment en dénoncer la feinte ?

Bien sûr je passe sur ceci, enfin que pour ce qui est des matérialistes,
ça serait une magnifique façon...
enfin au lieu d’être là à flotter sur le paradoxe que ce soit
apparu à l’époque féodale,
de voir au contraire comment sans ça, ça s’enracine,
194
comment c’est du discours de la féalité,
de la fidélité à la personne, et pour tout dire : au dernier
terme de ce qu’est toujours « la personne »,
à savoir le discours du maître
...ce serait la plus splendide façon de voir combien était nécessaire...
à l’homme dont la Dame était entièrement - au sens le plus
servile - asservie, l’« assujette »
...comment c’était la seule façon de s’en tirer avec élégance
concernant ce dont il s’agit et qui est le fondement,
à savoir : l’absence du rapport sexuel.
[l’amour courtois reste dans le discours du maître(:§), mais c’est de
la Dame idéalisée que l’on est le « féal » → « la Dame » devient l’exception du
:§]

Mais enfin j’aurai affaire...


plus tard je le reprendrai, il faut qu’aujourd’hui je fende un
certain champ
...j’aurai affaire à cette notion de l’obstacle qui dans Aristote...
parce que malgré tout je préfère quand même Aristote à
Jaufré Rudel, hein ?
...ce qui dans Aristote s’appelle justement « l’obstacle », l’ἔνστασις
[ènstasis].
Mes lecteurs [les auteurs de « Le titre de la lettre »], mes lecteurs...
dont, je vous le répète, il faut tous que vous achetiez tout à
l’heure le livre
...mes lecteurs ont même trouvé ça, à savoir que l’instance qu’ils
interrogent avec un soin, une précaution...
je vous dis : j’ai jamais vu un seul de mes élèves faire un travail
pareil, hélas ! Personne
ne prendra jamais au sérieux ce que j’écris, sauf bien entendu
ceux dont j’ai dit tout à l’heure, comme ça
incidemment, qu’ils me haïssent sous prétexte qu’ils me dé-
supposent le savoir. Qu’importe !

195
...oui, ils ont été jusqu’à découvrir l’ἔνστασις [ènstasis], l’obstacle
logique aristotélicien
que j’avais gardé pour la bonne bouche, pour cette « Instance de la
lettre » [Rires].

Il est vrai qu’ils ne voient pas le rapport, ils ne le mettent qu’en note,
mais ils sont tellement bien habitués à travailler, surtout quand
quelque chose les anime, le désir par exemple de décrocher une
maîtrise, c’est le cas de le dire plus que jamais, et bien ils ont aussi sorti ça,
la note de je ne sais plus quelle page, à laquelle je vous prie de vous
reporter, comme ça,
ça vous permettra de consulter Aristote et vous saurez tout quand
j’aborderai enfin cette histoire de l’ἔνστασις.
[la note rappelle que « Benveniste avait proposé le concept d’instance du discours
pour désigner les actes discrets et chaque fois uniques par lesquels la langue est
actualisée en parole par un locuteur » → le locuteur se place à l’extérieur de la
langue(→ex-siste) pour produire sa propre parole→ là aussi : : §]

Bon, où il est ? où il est l’ἔνστασις ? Bien... Ah c’est tuant !


Naturellement je ne retrouverai pas la page quand c’est au moment
où il faudrait que je vous la sorte.
Bon, attendez... Oui, voilà... Voilà : Page 29... 28 et 29 [ou p. 39 de
l’édition 1990].

Vous pouvez lire à la suite de ça le morceau de la Rhétorique et celui


des... les deux morceaux des Topiques
qui vous permettront de comprendre tout de suite, de savoir en clair,
ce que je veux dire quand je relirai Aristote.
Et plus exactement quand j’essaierai de réintégrer dans Aristote mes
4 formules, vous savez le : § et la suite.
[Rhétorique, II, 25 ; Premiers analytiques, II, 26 ; Topiques, VIII,
2, 157ab, Topiques, II, 11, 115b]

196
Oui ! Enfin pourquoi les matérialistes, comme on dit, s’indigneraient-ils
que, comme de toujours,
je mette même - pourquoi pas ? - Dieu en tiers dans l’affaire de
l’amour humain ?
Je suppose que même les matérialistes, il leur arrive quand même
d’en connaître un bout sur le ménage à trois, non ?

Alors essayons d’avancer, essayons d’avancer sur ce qui résulte de ce


pas à faire,
dont en tout cas rien ne témoigne que je ne sache pas ce que j’ai à
dire encore à ce niveau, là, ici, où je vous parle.

Le moins que je puisse dire, c’est d’être au moins, de pouvoir au


moins supposer, vous avoir fait admettre,
au moins admettre que j’admets, que pour ce qui est de l’être... car le
décalage de ce livre...
décalage ouvert dès le départ et qui se poursuivra jusqu’à la
fin
...c’est de me supposer - et avec ça on peut tout faire - de me
supposer une ontologie ou ce qui revient au même, un système.

L’honnêteté, quand même, fait que dans le diagramme circulaire où soi-


disant se noue ce que j’avance de L’instance de la lettre, c’est en termes,
en lignes pointillées...
à juste titre car ils ne pèsent guère
...que sont mis - les enveloppant, enveloppant tous mes énoncés - les
noms des principaux philosophes
dans l’ontologie générale desquels j’insérerais mon prétendu système.

Eh bien, pour moi, disons qu’il ne peut pas être ambigu que, au
moins pour ce que j’ai articulé dans les dernières années, cet « être »
tel qu’il se soutient dans la tradition philosophique, c’est-à-dire qui
s’assoit dans le « penser » lui-même,
censé en être le corrélat, bon, qu’à ceci très précisément j’oppose :
197
que dans cette affaire même, nous sommes joués par la jouissance,
que la pensée est jouissance,
que ce qu’apporte le discours analytique c’est ceci qui était déjà
amorcé dans « la philosophie... - entre guillemets -
...de l’être », à savoir qu’il y a jouissance de l’être.

Je dirai même plus, si je vous ai parlé de l’« Éthique à Nicomaque »,


c’est juste parce que la trace y est,
que ce que cherche Aristote et ce qui a ouvert la voie à tout ce qui a
traîné après lui,
c’est « qu’est-ce que c’est cette jouissance de l’être ? » qu’un Saint Thomas
n’aura ensuite aucune peine à forger,
cette « théorie » comme on l’appelle, comme l’appelle l’Abbé
Rousselot 37...
dont je parlais la dernière fois
...comme l’appelle l’Abbé Rousselot : « la théorie physique de l’amour ».
C’est à savoir que, après tout, le premier être dont nous ayons bien le
sentiment, ben c’est notre être,
et que tout ce qui est pour le bien de notre être, sera de ce fait
jouissance de l’Être suprême, c’est-à-dire de Dieu.

Qu’en aimant Dieu, pour tout dire, c’est nous-mêmes que nous
aimons.
Et qu’à nous aimer d’abord nous-mêmes...
charité bien ordonnée, comme on dit
...nous faisons à Dieu l’hommage qui convient.

37
Pierre Rousselot : Pour l’histoire du problème de l’amour au Moyen-Âge,
Thèse présentée en Sorbonne, 1908. (Vrin, 1981). Il s’agit ici
de l’abbé Pierre Rousselot (1878-1915) théologien jésuite, dont la thèse en
Sorbonne portait sur « L’histoire du problème de l’amour au moyen-âge »,
qui a consacré ses recherches à l’intellectualisme thomiste et à la
philosophie de l’amour, et non de l’abbé Jean-Pierre Rousselot (1846-1924),
célèbre linguiste, fondateur de la phonétique, dont la thèse en Sorbonne
portait sur « Les limites des dialectes d’oc et d’oïl en Charente... ».
198
À ceci, ce que j’oppose comme être c’est...
si l’on veut à tout prix que je me serve de ce terme ce que...
ce dont témoigne dès... ce dont est forcé de témoigner dès
ses premières pages de lecture - simplement lecture - ce
petit volume
...c’est à savoir l’être de la signifiance.

Et l’être de la signifiance, je ne vois pas en quoi, n’est-ce pas, je déchois


aux idéaux,
aux idéaux je dis, parce que c’est tout à fait hors des limites de son
épure au matérialisme,
tout à fait en dehors des limites de son épure de reconnaître que la
raison de cet être de la signifiance
c’est la jouissance en tant qu’elle est jouissance du corps.

Seulement un corps, vous comprenez, depuis Démocrite ça paraît


pas assez matérialiste - hein - il faut trouver
les atomes, n’est-ce pas, et tout le machin, et la vision, l’odoration et tout
ce qui s’ensuit, tout ça est absolument solidaire.
Ce n’est pas pour rien qu’à l’occasion, Aristote - même s’il fait le
dégoûté - cite Démocrite, il s’appuie sur lui.

L’atome, c’est simplement un élément de signifiance volant : c’est un


στοιχεῖον [stoïkheion] tout simplement.
À ceci près que, on a toutes les peines du monde à s’en tirer quand
on ne retient que ce qui fait l’élément « élément »,
n’est-ce-pas, à savoir qu’il est unique, alors qu’il faudrait introduire un
petit peu l’Autre, à savoir la différence.
La jouissance du corps, s’il n’y a pas de rapport sexuel, il faudrait voir en
quoi ça peut y servir.

Il me semble avoir déjà scandé...


je suis pressé par le temps
199
...il me semble avoir déjà scandé que, pour prendre les choses du côté
où c’est logiquement que le quanteur ;,
c’est-à-dire « tout x », est fonction, fonction mathématique de !
[;!]
c’est-à-dire du côté où on se range, en somme par choix... Libre aux
femmes de s’y ranger aussi si ça leur fait plaisir
- hein ? - chacun sait ça, qu’il y a des femmes phalliques ! Il est clair
que la fonction phallique n’empêche pas les hommes d’être
homosexuels, mais c’est aussi bien elle [la fonction phallique] qui leur
sert à se situer comme homme et aborder la femme.

Comme ce dont j’ai à parler est d’autre chose : de la femme


précisément,
je vais vite parce que je suppose que je vous l’ai déjà assez seriné
pour que vous l’ayez encore dans la tête.

Je dis qu’à moins de castration...


c’est-à-dire de quelque chose qui dit non à cette fonction
phallique, et Dieu sait que c’est pas tout simple
...y’a aucune chance que l’homme ait jouissance du corps de la femme,
autrement dit « fasse l’amour ».
C’est le résultat de l’expérience analytique !

Ça n’empêche pas qu’il peut la désirer de toutes les façons même


quand cette condition n’est pas réalisée.
Non seulement il la désire mais il lui fait toutes sortes de choses qui
ressemblent étonnamment à l’amour.

Contrairement à ce qu’avance Freud, c’est l’homme...


je veux dire celui qui se trouve mâle sans savoir qu’en faire,
tout en étant être parlant
...qui aborde la femme, comme on dit, qui peut même croire qu’il
l’aborde,

200
parce qu’à cet égard les convictions dont je parlais la dernière fois, les
convictions ne manquent pas.

Seulement ce qu’il aborde...


parce que c’est là la cause de son désir
...c’est ce que j’ai désigné de l’objet(a), c’est là l’acte d’amour,
justement.

Faire l’amour, comme le nom l’indique, c’est de la poésie.


Mais il y a un monde entre la poésie et l’acte.

L’acte d’amour c’est la perversion polymorphe du mâle, ceci chez


l’être parlant.
Il n’y a rien de plus assuré, de plus cohérent, de plus strict, quant au
discours freudien.

Ce que j’ai encore une demi-heure pour essayer de vous introduire -


si j’ose m’exprimer ainsi - [Rires]
c’est ce qu’il en est du côté de la femme. Alors de deux choses l’une :

ou ce que j’écris n’a aucun sens, c’est la conclusion de ce petit livre


et c’est pour ça que je vous prie de vous y reporter,

ou quand j’écris ceci : . ! - qui se lit, qui se lit d’une fonction,


d’une fonction je dois dire inhabituelle, non
écrite, même dans la logique des quanteurs, à savoir la barre, la
négation portant sur le « pas tout » et pas sur
la fonction - quand je dis ceci : que se range - si je puis m’exprimer
ainsi - se range sous la bannière des femmes un être parlant
quelconque, c’est à partir de ceci qu’il se fonde de n’être pas tout
et comme tel à se ranger dans la fonction phallique.
C’est ça qui définit la - attendez ! la… la… la… la… la… la quoi ? - la
femme justement. [Rires]

201
À ceci près que « La femme » ...
mettons lui un grand L pendant que nous y sommes, ça sera
gentil [Rires]
...à ceci près que La femme, ça ne peut s’écrire qu’à barrer « ».

Il n’y a pas La femme...


article défini pour désigner l’universel
...il n’y a pas « La » femme puisque...
j’ai déjà risqué le terme, et pourquoi y regarderais-je à deux
fois ?
...puisque de son « essence », elle n’est « pas toute » [. !].

De sorte que pour accentuer quelque chose dont je vois mes élèves
beaucoup moins attachés à ma lecture
- n’est-ce pas ? - que le moindre sous-fifre quand il est animé par le
désir d’avoir une maîtrise [Rires].

Il n’y a pas un seul de mes élèves qui n’ait fait je ne sais quel
cafouillage sur... sur je ne sais pas quoi :
le manque de signifiant,
le signifiant du manque de signifiant [Rires],
et autres bafouillages à propos du phallus.

Alors que je vous désigne dans ce , « Le » signifiant [S1], malgré tout


courant et même indispensable.
La preuve c’est que déjà tout à l’heure j’ai parlé de l’homme et de la
femme : oui il est indispensable !

C’est un signifiant ce , c’est par ce que je symbolise « Le »


signifiant [S1],
« Le » signifiant dont il est tout à fait indispensable de marquer la
place qui, qui ne peut... qui ne peut pas être laissée vide,

202
de ceci que ce est « Le » signifiant dont le propre est que il est le seul
qui ne peut rien signifier [S1], mais ceci seulement : de fonder le
statut de femme dans ceci qu’elle n’est « pas toute », ce qui ne permet
pas de parler de « La femme ».

Mais par contre, s’il n’y a de femme - si je puis dire - qu’exclue, dans la
nature des choses qui est la nature des mots...
il faut bien dire, hein, que ce que j’avance là, quand même ça
peut se dire, parce que s’il y a quelque chose dont
elles-mêmes se plaignent assez pour l’instant, c’est bien de ça,
hein ! bon !
Simplement elles ne savent pas ce qu’elles disent ! C’est toute la
différence entre elles et moi [Rires]
...s’il n’y a donc de femme qu’exclue par la nature des choses comme
femme,
il n’en reste pas moins que si elle est exclue par la nature des choses
c’est justement
de ceci : que d’être « pas toute » elle s’assure comme « femme »,
de ceci : que par rapport à ce que désigne de jouissance la fonction
phallique, elles
ont - si je puis dire - une jouissance supplémentaire.

Vous remarquerez que j’ai dit « supplémentaire » parce que si j’avais dit
« complémentaire », où nous en serions ?
On retomberait dans le tout. Ouais... Elles ne s’en tiennent - aucune
s’en tient - d’être « pas toute », à la jouissance de...
dont il s’agit quand même, et mon Dieu, d’une façon générale quoi,
on aurait bien tort quand même de ne pas voir
que, contrairement à ce qui se dit, c’est quand même les femmes qui
possèdent les hommes.

Au niveau de, du populaire...


et c’est pour ça que je parle jamais enfin vraiment, sauf de temps
en temps probablement,
203
enfin je dois bien un peu baver comme tout le monde, mais
enfin en général je dis des choses importantes
...et quand je remarque que le populaire appelle...
le populaire, moi j’en connais, ils sont pas forcément ici, mais
j’en connais pas mal !
...le populaire appelle la femme « la bourgeoise », c’est bien ça que ça veut
dire, c’est que pour être à la botte - hein ? –
c’est lui qui l’est, pas elle. [cf. l’amour courtois comme discours du maître :
S1→ S2/a]

Donc le phallus - « son homme » comme elle dit - depuis Rabelais on


sait que ça lui est pas indifférent38.

Seulement toute la question est là : elle a divers modes de l’aborder


ce phallus et de se le garder, hein ?
Et même que ça joue, parce que c’est pas parce qu’elle est « pas
toute » dans la fonction phallique, qu’elle y est pas du tout.

Elle y est pas « pas du tout », elle y est à plein, mais y’a quelque chose
en plus...
cet « en plus », hein, faites attention, gardez-vous enfin d’en
prendre trop vite les échos,
je peux pas le désigner mieux ni autrement parce qu’il faut
que je tranche et que j’aille vite
...il y a une jouissance...
puisque nous nous en tenons à la jouissance, jouissance du
corps
...il y a une jouissance qui est...

38
Rabelais : Le Tiers Livre, chap. VIII, « Comment la braguette est la pièce
principale de l’armure pour les hommes de guerre » :
Celle qui vit son mari tout armé, sauf la braguette, aller en escarmouche,
lui dit : « Ami, de peur qu’on ne vous touche, Armez cela, qui est le plus
aimé. »
204
si je puis m’exprimer ainsi, parce qu’après tout pourquoi pas
en faire un titre de livre,
c’est pour le prochain de la collection Galilée : « Au-delà du
phallus » [Rires], ça serait mignon ça - hein ? - et puis ça
donnerait une autre consistance au MLF. [Rires]
...une jouissance au-delà du phallus, hein !

Si vous ne vous êtes pas encore aperçus...


- hein ? - je parle naturellement ici aux quelques semblants
d’hommes,
enfin qui... que je vois par-ci, par-là, [Rires] heureusement
que pour la plupart je ne les connais pas,
comme ça je ne préjuge de rien [Rires] pour les autres
comme... Ouais...
...il y a quelque chose que peut-être les quelques semblants d’hommes
en question ont pu remarquer...
comme ça de temps en temps, enfin entre deux portes
...enfin il y a, il y a les choses qui les secouent ou qui les secourent.
[la réponse féminine à la fonction phallique : « / § » les secoue,
mais « . ! » les secourt]

Et puis quand vous regardez en plus l’étymologie de ces deux mots


dans ce fameux Bloch et Von Wartburg,
dont je fais mes délices, et dont je suis sûr que vous ne l’avez même
pas chacun dans votre bibliothèque,
vous verrez que le rapport qu’il y a entre secouer et secourir39, c’est pas
des choses qui arrivent par hasard, quand même !

39
Oscar Bloch et Walther Von Wartburg : Dictionnaire étymologique de la
langue française, PUF, 1986 (7ème édition), p. 581 :
« Secouer : Réfection, qui date du XVIème siècle, de l’ancien secourre
[...] qui survit encore dans les parlers de l’Est et du Nord-Est. »
205
Il y a une jouissance - disons le mot - à « elle », à cette « elle » qui n’existe
pas, qui ne signifie rien.
Il y a une jouissance, il y a une jouissance à « elle » dont peut-être elle-même
ne sait rien, sinon qu’elle l’éprouve, ça elle le sait. Elle le sait bien sûr
quand ça arrive. Ça leur arrive pas à toutes.

Mais enfin sur le sujet de la prétendue frigidité, après tout faut faire la
part :
de la mode aussi, [Rires]
et des rapports entre les hommes et les femmes.
[la prétendue « frigidité » est la réponse féminine : / § à la
prétendue jouissance phallique (:§) (→ ce n’est pas ça)]

C’est très important, puisque bien entendu tout ça, comme dans
l’amour courtois,
est dans le discours - hélas - de Freud, recouvert par... recouvert
comme ça par de menues considérations [rire de Lacan]
qui ont exercé leurs ravages [sic], tout comme l’amour courtois, toutes
sortes de menues considérations sur la...
sur la jouissance clitoridienne, sur la jouissance qu’on appelle comme on
peut : « l’autre » justement,
celle que je suis, comme ça en train d’essayer de vous faire aborder
par la voie logique,
parce que jusqu’à nouvel ordre il n’y en a pas d’autre.

Il y a une chose certaine, et qui laisse quand même depuis le temps


quelque chance à ce que j’avance :
que de cette jouissance la femme elle ne sait rien, c’est que depuis le
temps quand même qu’on les supplie,
qu’on les supplie à genoux...
et je parlais la dernière fois des psychanalystes femmes
...d’essayer quand même de nous le dire, d’approcher ça, eh ben pfutt !
motus hein !

206
On n’a jamais rien pu en tirer. Alors on appelle ça comme on peut :
« vaginale »,
le... le, le, le, le, le pôle postérieur du museau de l’utérus [Rires] et
autres conneries [Rires], c’est le cas de le dire.
Mais après tout, si simplement elle l’éprouvait et si elle n’en savait
rien,
ça permettrait aussi de jeter beaucoup de doute, là du côté de la
fameuse frigidité dont je parlais tout à l’heure,
n’est-ce pas, qui est aussi un thème, un thème littéraire, enfin, n’est-ce
pas.

Enfin, bien... Ça vaudrait quand même la peine qu’on s’y arrête,


parce que figurez-vous :
depuis ces quelques jours là que je passe...
enfin ces « quelques jours », je fais que ça depuis que j’ai 20
ans, enfin passons
...à explorer les philosophes sur ce sujet de l’amour, naturellement j’ai
pas tout de suite centré ça sur cette affaire de l’amour.

Mais enfin, ça m’est venu dans un temps, avec justement l’Abbé


Rousselot dont je vous parlais tout à l’heure,
et puis toute la querelle de l’amour physique et de l’amour extatique,
comme ils disent.
[la jouissance phallique vise « L femme » comme S1 mais n’atteint que des
objets (a) (objets partiels) et s’avère impuissante à aboutir à la jouissance du
corps
de l’Autre (l’autre jouissance), ce qui amène à distinguer l’amour charnel de
l’amour extatique, l’Aphrodite « populaire » de l’Aphrodite
« Ouranienne »]

207
Enfin je comprends que Gilson40 ne l’aie pas trouvée très bonne cette
opposition,
il a trouvé que peut-être Rousselot avait fait là une découverte qui
n’en était pas une,
que ça faisait partie du problème, que l’amour est aussi extatique dans
Aristote que dans Saint Bernard,
à condition qu’on sache lire les chapitres sur la φιλία [philia], sur
l’amitié.

Vous pouvez pas savoir...


enfin si ! Vous pouvez pas savoir : ça dépend ! Il y a certains
ici qui doivent savoir quand même
...quelle débauche de littérature s’est produite autour de ça :
Denis De Rougemont 41, vous voyez ça : « L’Amour et l’Occident », ça
barde ! [Rires]
Et puis, et puis il y a un autre, qui est pas... qui n’est pas plus bête
qu’un autre, qui s’appelle Nygren42, c’est un
protestant, oui : « Éros et Agapè ».

Enfin ! C’est vrai, naturellement qu’on a fini dans le christianisme par


inventer un Dieu que c’est lui qui jouit ! [Rires]

Il y a quand même un petit pont, quand vous lisez certaines


personnes sérieuses, comme par hasard c’est des femmes !
Je vais vous en donner quand même une indication, que je dois,
comme ça, à une très gentille personne
qui l’avait lu et qui me l’a apporté. Je me suis rué là-dessus, rué !

40
Étienne Gilson : La Théologie mystique de Saint Bernard (1934), Paris,
Vrin, 2000.
41
Denis de Rougemont : L’Amour et l’Occident, Paris, Plon 10/18, 1991.
42
Anders Nygren (1890-1978) : Éros et Agapé, Aubier Montaigne, 1992.
208
Ah ! Il faut que je l’écrive parce que sans ça, ça ne vous servira à rien
et vous ne l’achèterez pas.
D’ailleurs vous l’achèterez moins facilement que le livre qui vient de
paraître sur moi.
Vous l’achèterez moins facilement parce que je crois qu’il est épuisé.
Mais enfin vous arriverez peut-être à le trouver.
On s’est donné beaucoup de mal pour me l’apporter à moi, cette
Hadewijch d’Anvers43.

C’est une Béguine, c’est une Béguine c’est-à-dire ce qu’on appelle -


comme ça tout gentiment - « une mystique ».
Moi je n’emploie pas le mot « mystique » comme l’employait Péguy :
« la mystique c’est pas tout ce qui n’est pas la politique » [Rires],
la mystique c’est quelque chose de sérieux, hein.

Il y a quelques personnes, et justement le plus souvent des femmes, ou


bien des gens doués comme Saint Jean de La Croix. Ouais, parce que
on n’est pas forcé quand on est mâle, de se mettre du côté du ;
!,
on peut aussi se mettre du côté du « pas tout » [. !], ouais...

Il y a des hommes qui sont aussi bien que les femmes - ça arrive ! - et
qui du même coup s’en trouvent aussi bien :
ils entrevoient, disons malgré... enfin je n’ai pas dit malgré leur phallus -
malgré ce qui les encombre à ce titre [Rires],
ils éprouvent l’idée enfin que quelque part il pourrait y avoir une
jouissance qui soit au-delà.
Ouais... C’est ce qu’on appelle « des mystiques ».

43
Hadewijch d’Anvers : Amour est tout, poèmes strophiques, Paris, éd.
Téqui. Livre d’or des écrits mystiques 2000,
Écrits mystiques des béguines, Paris, Seuil, Coll.
Points Sagesses 2008.
209
Et si vous lisez cette Hadewijch...
dont je sais pas comment prononcer son nom, mais enfin
quelqu’un qui est ici
et qui saura le néerlandais me l’expliquera j’espère tout à l’heure
si vous lisez cette Hadewijch...

Enfin, j’ai déjà parlé d’autres gens qui n’étaient pas si mal non plus
du côté mystique, mais qui se situaient plutôt
du côté-là, de ce que je disais tout à l’heure, à savoir du côté de la
fonction phallique [; !] : Angelus Silesius,
tout de même, malgré tout, enfin à force de confondre son œil
contemplatif avec l’œil dont Dieu le regarde,
c’est quand même un peu drôle, ça doit quand même faire partie de
la jouissance perverse.

Mais pour la Hadewijch en question, pour Sainte Thérèse, enfin


disons quand même le mot...
et puis en plus vous avez qu’à aller regarder dans une
certaine église à Rome, la statue du Bernin44
pour comprendre tout de suite
...enfin quoi : qu’elle jouit, ça fait pas de doute !

Et de quoi jouit-elle ?
Il est clair que le témoignage essentiel de la mystique c’est justement
de dire ça :
qu’ils l’éprouvent mais qu’ils n’en savent rien.

Alors ici, comme ça, pour terminer, enfin ce que je vous propose, ce
que je vous propose c’est que grâce à ce petit frayage, celui que j’essaie

44
Le Bernin : « Extase de Sainte Thérèse », église Santa Maria della
Vittoria, Rome.

210
de faire aujourd’hui, quelque chose soit fructueux, réussisse - tout
juste, hein ? –
de ce qui se tentait à la fin du siècle dernier, au temps de Freud
justement.

Ce qui se tentait c’était de ramener cette chose que j’appellerai pas du


tout du « bavardage » ni du « verbiage »,
toutes ces jaculations mystiques qui sont en somme - ouais ! - qui sont en
somme ce qu’on peut lire de mieux.
Tout à fait en bas de page, note : « Y ajouter les « Écrits » de Jacques
Lacan ! Parce que c’est du même ordre ».

Moyennant quoi naturellement vous allez être tous convaincus que je


crois en Dieu :
je crois à la jouissance de femme en tant qu’elle est en plus, à condition
que cet « en plus » là,
vous y mettiez un écran, avant que je l’aie bien expliqué.

Alors tout ce qu’ils cherchaient, là comme ça, toutes sortes de braves


gens, là dans l’entourage de n’importe qui,
de Charcot et des autres, pour expliquer que la mystique, c’est, c’était
des affaires de foutre.
Mais c’est que si vous y regardez de près, c’est pas ça, pas ça, pas ça
du tout !

C’est peut-être ça qui doit nous faire entrevoir ce qu’il en est de


l’Autre :
cette jouissance qu’on éprouve et dont on ne sait rien, mais est-ce que
c’est pas ça qui nous met sur la voie de l’ex-sistence ?

Et pourquoi ne pas interpréter une face de l’Autre, une face de


Dieu...
puisque c’était de ça, par là que j’ai abordé l’affaire tout à l’heure

211
...une face de Dieu comme supportée par la jouissance féminine,
hein ?
Comme tout ça se produit n’est-ce-pas, grâce à l’être de la signifiance,
et que cet être n’a d’autre lieu que ce lieu de l’Autre que je désigne du
grand A, on voit la biglerie de ce qui se produit : c’est comme cela
aussi, enfin, que s’inscrit la fonction du père en tant que c’est à elle
que se rapporte la castration,
alors... alors on... on voit que ça fait pas deux « Dieu », mais que ça
n’en fait pas non plus un seul.
En d’autres termes, c’est pas par hasard que Kierkegaard 45a
découvert l’ex-sistence dans une petite aventure de séducteur,
c’est à se castrer, c’est à renoncer à l’amour n’est-ce pas, qu’il pense y
accéder.
Mais peut-être qu’après tout - pourquoi pas ? - Régine elle aussi peut-
être ex-sistait ?
Ce désir d’un bien, au second degré...
qui n’est pas causé par un petit(a) celui-là
...c’est peut-être par l’intermédiaire de Régine qu’il en avait la
dimension.
Voilà j’en ai assez raconté pour aujourd’hui...
Extase de Sainte Thérèse

45
S. Kierkegaard : La Reprise, Paris, Flammarion, 1990.
212
1973.05.15. Encore. Leçon 12
On m’a averti ce matin pendant que je travaillais...
comme toujours pour tout le monde : au dernier moment
que je travaille
...on m’a averti que le 12 juin...
le 12 juin qui n’est pas, bien que ce soit le second mardi, qui
n’est pas
en principe celui auquel j’espérais vous donner rendez-vous
...on m’a averti que le 12 juin la salle serait occuppée par ce qu’on
appelle des examens oraux,
et que dès lors on ne pouvait pas me répondre de ceci qu’elle serait
libre à telle ou telle heure,
étant donné que les examens oraux on ne sait pas comment ça
s’étend, comment ça se termine, ni quand.

De toute façon je n’avais pas l’intention, comme je viens de vous le


dire, de vous donner rendez-vous le 12 Juin
puisque c’est le mardi de la Pentecôte [Rires]. J’avais par contre
l’intention de vous donner rendez-vous le 19 juin, 3ème mardi. Le 19
juin les examens continueront [Rires].

Donc je ne peux pas prévoir...


malgré que j’ai élevé, enfin... quelque objection à ce régime
...je ne peux pas prévoir donc si le 19 juin je pourrai continuer ce que
je vous énonce cette année.
Vous ferez comme vous voudrez, vous en courrerez la chance, vous
ferez une pétition, je sais pas,
vous ferez ce qu’il vous plaira. Voilà donc le point.

Il est évident que, comme c’est ce matin même qu’on m’en a averti,
je n’ai pas pu mijoter les choses d’une façon telle
que je fasse aujourd’hui ma conclusion, si tant est qu’à aucune de mes
années il y ait à proprement parler une conclusion, puisque

213
forcément ce que je vous énonce ne peut toujours que rester jusqu’à
un certain point ouvert,
ce nest pas mon privilège, les choses, comme chaque année, restent
ouvertes sur un certain nombre de points en suspens.
Ce sera d’ailleurs ce sur quoi aujourd’hui j’aurai amplement à
m’étendre.

J’avais rêvé cette nuit que quand je venais ici, il y avait personne
[Rires]. C’est où se confirme le caractère de vœu du rêve. Malgré, bien
entendu, que j’étais...
puisque j’avais déjà travaillé dans la nuit
...j’étais assez outré, puisque je me souvenais aussi dans mon rêve que
j’avais travaillé à quatre heures et demie du matin, j’étais assez outré
que tout ça ne doive servir à rien, mais c’était quand même la
satisfaction d’un vœu,
à savoir que dès lors, je n’avais plus qu’à me les rouler. Voilà !
[ce qui remplit la salle c’est un dire, ce qui viderait la salle c’est que « tout » ait
été dit, que le dit de Lacan se soit clos → vœu du rêve]

Je vais dire...
Je vais dire, c’est ma fonction...
Je vais le dire une fois de plus, je me répète...
Je vais dire une fois de plus ce qui est de mon dire, et qui s’énonce « il
n’y a pas de métalangage ».

[répétition de « dire »→ le dire est à reprendre toujours →ne peut jamais se


clore dans un dit définitif : il n’y a pas de métalangage].

Quand je dis ça, je parle apparemment « le langage de l’être » [Parménide :


penser c’est être].
À part, bien entendu, que comme je l’ai fait remarquer la dernière
fois, ce que je dis c’est ce qu’il n’y a pas.

[il n’y a « dire » que du manque]


214
« L’être est... - comme on dit - ...le non-être n’est pas » [Parménide].
Il y a, ou il n’y a pas : pour moi ce n’est qu’un fait de dit.
On suppose l’être à certains mots, « individu » par exemple, ou
« substance »,
c’est même fait pour dire ça : qu’on suppose l’être à l’individu entre
autres.

[la dit-mension de l’être c’est l’inscription de ce qui a été perdu → non-être (


le symbolique comme support de l’ex-sistence d’un dire)]

Le mot « sujet » que j’emploie...


vous allez le voir, j’y reviendrai
...prend évidemment un accent différent du fait de mon discours
[discours A].
Pour tout dire [vœu du rêve], je préviens : je me distingue du « langage de
l’être ».
Ceci implique qu’il puisse y avoir « fiction de mot », je veux dire : à
partir du « mot »

[la dit-mension offre au sujet la structure du fantasme : S ◊ a, la fiction de


mots].
Et comme certains peut-être s’en souviennent, c’est de là que je suis
parti quand j’ai parlé de l’Éthique.
Ce n’est pas parce que j’ai écrit des choses qui font fonction de formes du
langage [formalisation] que j’assure l’être du métalangage.
Car cet être il faudrait que je le présente comme subsistant par soi,
par soi tout seul : langage de l’être.

[la formalisation en mathèmes ne se résout pas en un métalangage qui


permettrait de fonder l’être, d’en dire la substance]

La formalisation mathématique...

215
qui est notre but, notre idéal - pourquoi ? - parce que seule
elle, est mathème,
c’est-à-dire capable de se transmettre intégralement
...la formalisation mathématique c’est de l’écrit, et c’est là dedans que
je vais essayer d’avancer aujourd’hui.
Or elle ne subsiste, cette formalisation mathématique, que si
j’emploie à la présenter, la langue dont j’use.
C’est là qu’est l’objection [au métalangage] : nulle formalisation de la langue
n’est transmissible sans l’usage de la langue elle-même.

[il n’y a pas de métalangage qui donnerait le principe formel exhaustif de la


langue, car même les mathématiques nécessitent le langage pour prendre sens]

C’est par mon dire que cette formalisation [cf. les α, β, γ, δ, de « La


lettre volée »] - idéal métalangage - je la fais ex-sister (ex tiret sister).
C’est ainsi que le symbolique ne se confond pas - loin de là - avec l’être,
mais qu’il subsiste comme ex-sistence du dire.

C’est ce que j’ai souligné...


dans le texte dit « L’étourdit » : d - i - t
...c’est ce que j’ai souligné de dire que le symbolique ne supporte que
l’ex-sistence.
[de cette jouissance perdue qui a fondé l’être, ne subsiste que la trace ex-
sistante, supportée du symbolique ]

En quoi ? Je l’ai rappelé la dernière fois, c’est une des choses


importantes que j’ai dites dans cet exercice
que comme d’habitude je fais, plus ou moins pour obtenir de me
faire entendre,
mais il serait peut-être quand même important que vous vous
souveniez de l’essentiel.

216
L’esssentiel, je vous l’ai rappelé encore une fois à propos de
l’inconscient : l’inconscient se distingue...
entre tout ce qui a été produit jusqu’alors de discours
...en ce qu’il énonce ceci, qui est l’os de mon enseignement, que :
Je parle sans le savoir.
Je parle avec mon corps et ceci sans le savoir.
Je dis donc toujours plus que je n’en sais.

C’est là que j’arrive au sens du mot « sujet » dans cet autre discours
[discours A] :
ce qui parle sans le savoir me fait « je », « sujet » [sujet → assujetti], sujet du
verbe [être] certes, mais ça ne suffit pas à me faire « être ».
Ça n’a rien à faire avec ce que je suis forcé de mettre dans l’être
suffisamment de savoir pour se tenir,
mais pas une goutte de plus. Et c’est ce que jusqu’alors on a appelé
« la forme ».
Dans Platon, la forme c’est ce savoir qui remplit l’être.

La forme n’en sait pas plus qu’elle ne dit. [identité de l’être à lui-même
(consistance) → « tout peut être dit »]
Elle est réelle - viens-je de dire - en ce sens qu’elle tient l’être dans sa
coupe, mais à ras bord [rien ne se perd : pas de reste].
Elle est le savoir de l’être. Le discours de l’être [Parménide] suppose que
l’être sait, et c’est ce qui le tient [discours M : S2 tient a].

Il y a du rapport d’être qui ne peut pas se savoir, c’est lui dont, dans
mon enseignement,
j’interroge la structure en tant que ce savoir - je viens de le dire
- impossible, est par là « inter-dit ».
[discours A : les S1, signifiants asémantiques, sont coupés du savoir : S1◊
S2]

217
Et c’est ici que je joue de l’équivoque, de l’équivoque qui de ce savoir
impossible nous dit qu’il est « censuré », « défendu ».
Il ne l’est pas [censuré, défendu], si vous écrivez convenablement cet
inter-dit, d’un trait d’union entre l’inter et le dit,
c’est qu’il est dit « entre » les mots [ex-sistence], entre les lignes, et que
c’est ça qu’il s’agit d’énoncer :
à quelle sorte de réel il nous permet l’accès.

Il s’agit de montrer où va sa mise en forme, ce métalangage qui n’est


pas, et que « je » [sujet du discours] fait ex-sister [par le discours]. Ce qui ne
peut être démontré suggère quelque chose qui peut en être dit de vrai
sur le sujet,
par exemple - entre autre - de l’indémontrable.

C’est ainsi que s’ouvre cette sorte de vérité, la seule qui nous soit
accessible [à l’analyste], et qui porte par exemple
sur le non-savoir-faire. Je sais pas comment m’y prendre - pourquoi pas
le dire - avec la vérité pas plus qu’avec la femme, puisque j’ai dit que
l’une et l’autre, au moins pour l’homme, c’était la même chose, ça fait
le même embarras.
Il se trouve - c’est accident - que j’ai du goût aussi bien pour l’une
que pour l’autre, malgré tout ce qu’on en dit [Rires].
Cette discordance du savoir et de l’être [discours A : S1◊ S2], c’est ce qui
est notre sujet.

Ça n’empêche pas qu’on peut dire aussi qu’il n’y en a pas de


discordance quant à ce qui mène le jeu,
selon mon titre de cette année, « Encore ». C’est l’insuffisance du
savoir par quoi nous sommes encore pris,

218
et c’est par là que ce jeu d’« en-corps » se mène, non pas qu’à en savoir
plus il nous mènerait mieux,
mais peut-être qu’il y aurait meilleure jouissance, accord de la jouis-
sance et de sa fin.

Or « la fin de la jouissance »...


c’est ce que nous enseigne tout ce qu’articule Freud de ce qu’il
appelle inconsidérément « pulsions partielles »
...« la fin de la jouissance » est « à côté » de ce à quoi elle aboutit, c’est à
savoir que nous nous reproduisions.

Le « je » n’est pas un être, c’est un « supposé à ce qui parle ». [S : sujet,


subjectum : sub-posé , ὑποχείμενον : upokeimenon]
« Ce qui parle » n’a affaire qu’avec la solitude [i.e. l’ex-sistence ::§, ce
qui parle ne trouve pas l’Autre mais des objets(a)] sur le point du rapport
[sexuel],
que je ne puis définir qu’à dire comme je l’ai fait : qu’il ne peut pas
s’écrire [« ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire »].

Cette solitude, elle, de rupture du savoir, [l’ex-sistence : :§, S1 ne trouve


pas l’Autre → coupé du savoir S2] non seulement elle peut s’écrire, mais
elle est même ce qui s’écrit par excellence : ce qui d’une rupture de l’être
laisse trace. [division de « l’être » entre S et a : S ◊ a ]
C’est ce que j’ai dit dans un texte, certes non sans imperfections, que
j’ai appelé « Lituraterre » :

« La nuée du langage - me suis-je exprimé métaphoriquement - fait


écriture. »

Qui sait si le fait que nous pouvons lire ces ruisseaux que je regardais,
au retour du Japon, sur la Sibérie [cf. 12-05-1971]
comme trace métaphorique de l’écriture, n’est pas lié...
« lier » et « lire », c’est les mêmes lettres, faites-y attention
219
...n’est pas lié à quelque chose qui va au-delà de l’effet de pluie, dont il
n’y a aucune chance que l’animal le lise comme tel ?

Bien plutôt est-il lié à cette forme d’« idéalisme » [fiction de mots] que je
voudrais vous faire entrer dans la tête :

non pas certes celui dont parle Berkeley, à vivre dans un temps où
le sujet avait pris son indépendance [discours M→ H],
non pas que tout ce que nous connaissons soit représentation,

...mais bien plutôt cet idéalisme qui ressortit à l’impossible d’inscrire la


relation sexuelle entre deux corps de sexes différents.

[fiction de mots, dit-mension, comme « rapport sexuel », rapport non à


l’Autre mais au même, aux « objets partiels » : objet(a)]

C’est par là [l’objet(a)] que se fait l’ouverture par quoi c’est « le monde »
qui vient à nous faire son partenaire.
C’est le corps parlant en tant qu’il ne peut réussir à se reproduire que
grâce à un malentendu sur sa jouissance,
et cela c’est dire qu’il ne se reproduit que grâce à un ratage de ce qu’il
veut dire.

Car ce qu’il veut dire [i.e. attrapper, saisir par la parole le corps parlant de
l’objet(a), cette « chose de jouissance » (perdue) hétérogène à tout langage],
comme le dit bien le français : son sens, est sa jouissance effective, et c’est
à la rater, c’est-à-dire à baiser,
car c’est justement ça qu’il ne veut pas faire, en fin de compte [cf. aussi
« l’amour courtois »].

La preuve c’est que, quand on le laisse tout seul, il sublime tout le


temps à tour de bras : il voit la Beauté, le Bien,
sans compter le Vrai, c’est encore là, comme je viens de le dire, qu’il
est le plus près de ce dont il s’agit.
220
Mais ce qui est vrai, c’est que le partenaire de l’autre sexe reste l’Autre,
c’est donc à la rater qu’il réussit à être encore [et en-corps] reproduit, sans
rien savoir de ce qui le reproduit.

[« ce qui le reproduit » : l’en-corps de la reproduction,


« ce qui le reproduit » : l’« encore » de la réitération du dire → « saisir »
l’impossible à « saisir »]

Notamment...
ceci est dans Freud parfaitement sensible,
bien sûr ce n’est qu’un bafouillage mais nous ne pouvons
pas faire mieux
...il ne sait pas si ce qui le reproduit, c’est la vie [« l’être de jouissance » :
existence] ou la mort [« l’être du symbolique » (écriture) : ex-sistence].
J’ai pas dit : « ce qu’il... », q.u. apostrophe i.l., j’ai dit : « ce qui le » q.u.i.
l.e., mots séparés.

Il me faut pourtant dire « ce qu’il y a de » métalangage, et en quoi il se


confond avec la trace laissée par le langage.
[par le langage, une trace s’écrit (α, β, γ, δ) de chacune des identifications
d’objet, cette trace qui ex-siste fonde une combinatoire : « lalangue »→ ce qu’il y a
de « métalangage »]

C’est par là qu’il fait retour à la révélation du corrélat de la langue, ce


savoir en plus [S2] de l’être, sa petite chance d’aller à l’Autre dont j’ai
pourtant fait remarquer la dernière fois - c’est l’autre point essentiel -
qu’il est, ce savoir en plus, passion de l’ignorance
et que justement c’est de cela qu’il ne veut rien savoir : de l’être de
l’Autre [a] il ne veut rien savoir.
[discours (H) : S2◊a, savoir inter-dit, discours (A) : S1◊ S2, savoir ignoré ].

221
C’est bien pour ça que les deux autres passions sont celles qui
s’appellent :

l’amour, qui n’a rien à faire - contrairement à ce que la philosophie a


élucubré - avec le savoir,
[la philosophie vise l’Autre, le S(A), qu’elle cherche à compléter, mais elle
n’atteint que a en lieu et place de S(A) ]

et la haine, qui est bien ce qui a le plus de rapports avec l’être, ce qui
s’en approche le plus, que j’appelle l’ex-sister. Rien
ne concentre plus de haine que ce « dire » où se situe ce que j’appelle l’ex-
sistence.

L’écriture est une trace où se lit un effet de langage...


quand vous gribouillez quelque chose - moi aussi je m’en
prive certes pas :
c’est avec ça que je prépare ce que j’ai à dire, et c’est
remarquable qu’il faille, de l’écriture, s’assurer
...c’est pas le métalangage, quoiqu’on puisse lui faire remplir une
fonction qui y ressemble, mais qui n’en reste pas moins...
au regard de l’Autre, où le langage s’inscrit comme vérité
...qui n’en reste pas moins tout à fait seconde.

Car rien de ce que je pourrais au tableau vous écrire des formules


générales qui lient, au point où nous en sommes, l’énergie à la
matière...
par exemple les dernières formules d’Heisenberg
...rien ne tiendra de tout ça, si je ne le soutiens pas
d’un dire qui est celui de la langue,
et d’une pratique qui est celle de gens qui donnent des ordres au
nom d’un certain savoir [discours U].

222
Alors quand vous gribouillez, ma foi, comme on dit c’est toujours sur
une page et c’est avec des lignes.
Et nous voilà plongés tout de suite dans l’histoire des dimensions.

Comme ce qui coupe une ligne c’est le point, et que le point a 0


dimension, la ligne
sera définie d’en avoir deux [lapsus]. Comme ce qui coupe... La
ligne sera définie d’en avoir 1 !

Comme ce que coupe la ligne c’est une surface, la surface sera définie
d’en avoir 2.

Comme ce que coupe la surface c’est l’espace, l’espace en aura 3.

Seulement c’est là que prend sa valeur le petit signe que j’ai écrit au
tableau.

Je veux dire celui qu’il faut que je distingue de celui que j’ai écrit au
dessous, ils sont séparés.

Vous pouvez remarquer que c’est une chose qui ait tous les
caractères d’écriture, ça pourrait aussi bien être une lettre. Seulement,
comme vous écrivez cursivement, il vous vient pas à l’idée d’arrêter
la ligne avant qu’elle en rencontre
une autre, pour la faire passer dessous, la supposer passer dessous,
parce qu’il s’agit dans l’écriture de tout autre chose

223
que de l’espace à 3 dimensions. Cette ligne coupée ici, ai-je dit, veut
dire qu’elle passe sous l’autre,
ici c’est au-dessus, parce que c’est l’autre qui s’interrompt.

C’est ce qui produit - encore qu’il n’y ait ici qu’une ligne - cette chose
qui se distingue de ce que serait un simple rond,
un rond de ficelle si ça existait, ça s’en distingue en ce sens que quoiqu’il
n’y ait qu’une seule ficelle, ça fait un nœud.

C’est quand même tout autre chose - cette ligne - que la définition
que nous en avons donnée tout à l’heure
au regard de l’espace, c’est-à-dire en somme une coupure : ce qui fait
un trou, un intérieur, un extérieur de la ligne.

Cette autre ligne, cette ficelle comme je l’ai appelée, ça ne s’incarne pas si
facilement dans l’espace.
La preuve, c’est que la ficelle idéale, la plus simple, ça serait un tore.

Et on a mis très longtemps à s’apercevoir, grâce à la topologie, que ce


qui s’enferme dans un tore
c’est quelque chose qui n’a absolument rien à voir avec ce qui
s’enferme dans une bulle [sphère].

Il ne s’agit pas de couper le tore, car quoi que vous fassiez avec la
surface d’un tore, vous ne ferez pas un nœud.
Mais par contre, avec le lieu du tore, comme ceci vous le démontre,
vous pouvez faire un nœud.
C’est en quoi, permettez-moi de vous le dire : le tore c’est la raison
[Rires], c’est ce qui permet le nœud.

224
C’est bien en quoi ce que je vous montre, ce tore tortillé, c’est l’image,
aussi simple, aussi sec que je peux vous la donner, que j’ai évoquée
l’autre jour comme la trinité : 1 et 3 d’un seul jet.

Il n’en reste pas moins que c’est à en refaire trois tores, par le petit truc
que je vous ai déjà montré sous le nom
de « nœud borroméen », que nous allons pouvoir opérer, dire quelque
chose sur ce qu’il en est de l’usage du premier nœud.

Naturellement, il y en a qui n’étaient pas là quand j’ai parlé - l’année


dernière, vers février - du nœud borroméen.
Nous allons tâcher aujourd’hui de vous faire sentir l’importance de
cette histoire,
et en quoi elle a affaire à l’écriture pour autant que je l’ai définie
comme « ce que laisse de trace le langage ».

Le nœud borroméen consiste en ceci : nous y avons affaire avec ce qui


ne se voit nulle part, à savoir un vrai rond de ficelle. Parce que figurez-
vous que quand on trace une ficelle, on n’arrive jamais à ce que sa
trace joigne ses deux bouts.
Pour que vous ayez un rond de ficelle, faut que vous fassiez un
nœud, nœud marin de préférence. [Rires]

Je sais pas ce que ça vous... Ah, faisons le nœud marin... si vous


croyez que c’est facile [Rires], essayez vous-même,
ça fait toujours un certain embarras. [Rires]

225
Bon, enfin, malgré tout j’ai essayé ces jours-ci d’en prendre l’habitude
[Rires], et il y a rien de plus facile que de le rater [Rires]. Voilà ! [Rires et
applaudissements]

Grâce au nœud marin, vous avez là un rond de ficelle.

Le problème qui est posé par le nœud borroméen est celui-ci : comment
faire, quand vous avez fait vos ronds de ficelle,
pour que... pour que quelque chose dans le genre de ce que vous
voyez dans le haut, à savoir un nœud,
pour que ces trois ronds de ficelle tiennent ensemble et de façon
telle, de façon telle que si vous en coupez un,
ils soient tous libres, je veux dire les trois ?
Les trois, ce qui n’est rien, car le problème c’est de faire qu’avec un
nombre quelconque, quelconque de ronds de ficelle, quand vous en
coupez un, tous les autres, sans exception, soient désormais libres,
indépendants.

Voici par exemple le cas. J’ai déjà, l’année dernière, mis ça au tableau.
Naturellement, j’ai fait une petite faute [Rires]...
Ce n’est pas tout à fait satisfaisant mais ça va le devenir, rien n’est
plus facile dans cet ordre que de faire une faute. Encore une faute...
Tel que vous le voyez là, tel que vous le voyez là inscrit, il vous est
facile de voir
que comme ces deux ronds de ficelle sont construits de telle sorte qu’ils
sont pas noués l’un à l’autre,
c’est uniquement par le 3ème qu’ils se tiennent.

226
C’est ce que curieusement, je ne suis pas arrivé à reproduire avec mes
ronds de ficelle [Rires]. Mais Dieu merci,
j’ai quand même un autre moyen de le faire que de reproduire ce que
j’ai fait au tableau, à savoir de le manquer.
Je vais tout de suite vous donner le moyen, de façon complètement
rationnelle et compréhensible...
Voilà ! Voilà donc un rond de ficelle. En voilà un autre.
Vous passez le second rond dans le premier, et vous le pliez comme
ça :

Il suffira dès lors que, d’un troisième rond vous preniez le second,
pour que ces trois soient noués, et noués de telle sorte qu’il suffit
bien évidemment que vous sectionniez un des trois pour que les
deux autres soient libres. [Rires]

Supposez, supposez cher ami [Lacan s’adresse à la personne manipulant les


ronds de ficelle] que je vous enlève celui-ci.
C’est celui-là que vous voulez ? C’est tout à fait la même chose pour
la simple raison que celui-là,
que je vous ai représenté comme plié et qui a en somme deux
oreilles, dans lequel passe le 3ème,
il est absolument symétrique de l’autre coté, à savoir que par rapport
au 3ème, il a aussi deux oreilles que prend le 1er.

Non seulement ceci, ne croyez pas, vous savez, que ce soit inutile,
n’est-ce pas, tous ces petits cafouillages,
ce n’est pas si familier que la façon dont je suis arrivé à l’expliquer,
avec des ratages justement,
227
ne soit pas ce qui peut vous le faire entrer dans la tête, car il faut que
je vous le montre parce qu’après tout,
il n’y a que comme ça que ça peut entrer !

Après le premier pliage, vous pouvez avec le troisième - à condition


ici de faire un nœud - faire un pliage nouveau,
et à celui-ci un quatrième, un quatrième qui est comme le premier,
étant ajouté. Vous voyez qu’il reste tout aussi vrai avec quatre
qu’avec trois, qu’il suffit de couper un de ces nœuds pour que tous
les autres soient libres entre eux.

Vous pouvez en mettre un nombre absolument infini, ce sera tou-


jours vrai.

Néanmoins cette histoire qui rend simple le nœud borroméen en ce sens


qu’ici par exemple, vous pouvez parfaitement toucher en quoi ce
sont les deux parties de cet élément qui font « oreilles », celle-ci et
celle-ci,
et qu’en somme en le tirant avec l’autre, c’est ce rond qui se plie en
deux, ici et ici passent, sont les deux oreilles,
que ce cercle là qui ira lui, laissant celui que nous pouvons en cette
occasion, mais uniquement dans cette occasion, appeler premier qui
restera à l’état de rond, de rond « soutien », premier rond plié.

À cette intuition sensible en quelque sorte de la fonction des ronds,


vous pouvez constater qu’il suffit d’en couper
un quelquonque - que ce soit un du milieu ou un des deux extrémités
- pour que tout ce qu’il y a de nœuds pliés,
du même coup soit d’entre-soi libérés.

228
La solution est donc absolument générale. Cela ne veut pas dire que
pour un nombre quelquonque de ronds de ficelles,
on pourra faire une disposition aussi... enfin, relativement élégante
par sa relative symétrie, que celle que j’ai faite
au tableau, à savoir que ces trois ronds soient strictement, les uns par
rapport aux autres d’une forme équivalente,
ça sera certainement plus compliqué - et ceci dès qu’on sera arrivé à
quatre, cela nous montrera bien souvent
les effets de torsion qui ne nous permettent pas de les maintenir à l’état
de rond.

Néanmoins, ce que je veux à cette occasion vous faire sentir, c’est


que partant des ronds,
nous avons affaire à quelque chose qui ne se distingue que d’être
l’Un. C’est très précisément d’ailleurs en quoi
un vrai rond de ficelle sans nœud, c’est très difficile à faire, mais c’est
certainement la plus éminente représentation
de quelque chose qui ne se soutient que de l’Un, très précisément en
ce sens que ça n’enferme rien qu’un trou !

Et que pourquoi ai-je fait intervenir dans l’ancien temps le nœud


borroméen ?
C’est très précisément pour traduire la formule :
- je te demande - quoi ? [objet(a) oral : H]
- de refuser ce que - quoi ? [objet(a) anal : M]
- ce que je t’offre [objet(a) scopique : U] »
...c’est-à-dire quelque chose qui au regard de ce dont il s’agit...
et vous savez ce que c’est : c’est à savoir l’objet(a)
...l’objet(a) n’est aucun être.

L’objet(a) c’est ce que suppose de vide une demande dont en fin de compte
ce n’est qu’à la définir comme située par la métonymie, c’est-à-dire par
la pure continuité assurée du commencement au début de la phrase,

229
que nous pouvons imaginer ce qu’il peut en être d’un désir qu’aucun être
ne supporte,
je veux dire qui est sans autre substance que celle qui s’assure des
nœuds mêmes.

Et la preuve c’est que, énonçant cette phrase « je te demande de refuser ce


que je t’offre... » je n’ai pu que la motiver de ce :
« ce n’est pas ça » dont j’ai parlé, que j’ai repris la dernière fois, et qui
veut dire que dans le désir de toute demande,
il n’y a que la requête de ce quelque chose qui au regard de la jouissance
qui serait satisfaisante,
qui serait la Lustbefriedigung supposée dans ce qu’on appelle -
également improprement dans le discours psychanalytique - « la
pulsion génitale », celle où s’inscrirait un rapport qui serait le rapport
plein, le rapport inscriptible,
entre ce qu’il en est de l’Un avec ce qui reste irréductiblement l’Autre.

C’est en quoi j’ai insisté sur ceci : c’est que le partenaire de ce « je »


qui est le « sujet », sujet de toute phrase de demande,
c’est que ce partenaire est non pas l’Autre, mais ce quelque chose qui
vient se substituer à lui sous la forme
de cette cause du désir [(a) semblant de rapport sexuel], que j’ai cru pouvoir
diversifier - ce n’est pas sans raisons - en 4,
en tant qu’ils se constituent selon la découverte freudienne, en tant
qu’ils se constituent diversement :
de l’objet de la succion,
de l’objet de l’excrétion,
du regard,
et aussi bien de la voix.
C’est en tant que substituts de ce qu’il en est de l’Autre, que ces objets
sont réclamés, sont faits cause du désir.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, il semble que le sujet se représente


les objets inanimés,
230
très précisément en fonction de ceci qu’il n’y a pas de relation sexuelle.
Il n’y a que les corps parlants - ai-je dit - qui se font une idée du monde
comme tel.

Et à cet endroit on peut le dire : le conte, le monde comme tel, le


monde de l’être plein de savoir, ce n’est qu’un rêve,
un rêve du corps en tant qu’il parle : il n’y a pas de sujet connaissant.
Il y a des sujets qui se donnent des corrélats dans l’objet(a), corrélats
de parole jouissante en tant que jouissance de parole.

Que coince-t-elle d’autre, que d’autres Uns ?


Car je vous l’ai fait remarquer tout à l’heure, il est clair que cette « bi-
lobulation », cette transformation du rond de ficelle en oreilles, il peut se
faire de façon strictement symétrique. C’est même ce qui arrive dès
qu’on arrive au niveau de 4,
’est-à-dire que les deux ronds que représentent mes doigts à
l’extrèmité de ceux-ci seraient en fonction, il y en aurait 4.

La réciprocité, pour tout dire, entre le sujet et l’objet(a) est totale. Pour tout
être parlant, la cause de son désir est strictement, quant à la structure,
équivalente si je puis dire à sa pliure, à ce que j’ai appelé sa division de
sujet.
Et c’est bien ce qui nous explique que si longtemps le sujet a pu
croire que le monde en savait autant que lui,
c’est qu’il est symétrique, c’est que le monde, ce que j’ai appelé la dernière
fois la pensée,
c’est l’équivalent, c’est l’image en miroir de la pensée.

C’est bien pourquoi le sujet pour autant qu’il fantasme, il n’y a...
jusqu’à l’avènement de la science la plus moderne
...il n’y a rien eu que fantasme quant à la connaissance.

Et c’est bien ce qui a permis cette « échelle d’êtres », grâce à quoi était
supposé dans un être, dit « être suprême »,
231
ce qui était « le bien de tous ».
Ce qui est aussi bien l’équivalent, l’équivalent de ceci, que l’objet(a)
peut être dit - comme son nom l’indique :
écrivez le a entre parenthèses : (a),
mettez sexué après : (a)sexué,
et vous avez que l’Autre ne se présente pour le sujet que sous une
forme (a)sexuée.

C’est-à-dire que tout ce qui a été le support, le support-substitut,


substitut de l’Autre sous la forme de l’objet de désir,
tout ce qui s’est fait de cet ordre est (a)sexué. Et c’est très précisément
en quoi l’Autre comme tel reste...
non sans que nous puissions y avancer un peu plus
...reste dans la doctrine, la théorie freudienne, un problème, celui qui
s’est exprimé en ceci que répétait Freud :
« Que veut la femme ? ». La femme étant dans l’occasion, l’équivalent de
la vérité.
C’est en quoi cette équivalence que j’ai produite est justifiée.

Est-ce que nous ne pouvons pas pourtant par cette voie, cette voie
de ce que j’ai distingué comme l’Un à prendre comme tel, en ce sens
qu’il n’y a rien d’autre dans cette figure du rond de ficelle, qui a pourtant
son intérêt de nous offrir,
de nous offrir le quelque chose que rejoint sans doute l’écriture.

L’exigence en effet que j’ai produite sous le nom de nœud borroméen, à


savoir de trouver une forme,
cette forme supportée par ce support mythique qu’est le rond de ficelle.
Mythique, ai-je dit, car on ne fait pas de rond de ficelle fermé, c’est
un point tout à fait important.

Quelle est cette exigence que j’ai énoncée sous le nom de nœud
borroméen ?

232
C’est très précisément ceci qui distingue ce que nous trouvons dans
le langage, dans la langue courante,
et qui supporte la métaphore très répandue de « la chaîne ».
Contrairement aux ronds de ficelle, des éléments de chaîne ça se forge.

[La chaîne : chaque anneau vient remplir le vide de l’anneau qui le précède
et donc combler le trou par « un objet du monde ».
Le nœud borroméen : les trois anneaux se nouent sans qu’aucun ne vienne
combler le trou, mais le nœud se noue]

Il n’est pas très difficile d’imaginer comment ça se fait : on tord du


métal jusqu’au moment où on peut arriver
à le souder, et la chaîne est ainsi quelque chose qui peut avoir sa
fonction pour représenter l’usage de la langue.
Sans doute n’est-ce pas un support simple, il faudrait dans cette
chaîne faire des chaînons qui iraient s’accrocher
à un autre chaînon un peu plus loin avec deux, trois chaînons
flottants intermédiaires,
et comprendre aussi pourquoi une phrase a une durée limitée.
Or tout ceci, la métaphore ne peut pas nous le donner.

Il est néanmoins frappant qu’à prendre les supports de ronds de ficelle


que je vous ai dit, il y en avait quand même,
dans ce que je vous ai rendu sensible, un premier et un dernier. Ce
premier et ce dernier étaient des ronds simples
qui franchissaient, perçaient, si je puis dire, les deux que j’appelle...
vous voyez la difficulté de parler de ces choses
...ce que j’appelle « les lobes d’oreille », des ronds repliés, c’était donc
deux nœuds simples, qui à la fin se trouvaient
faire quelque chose comme le début et la fin de la chaîne.
233
Il reste ceci, il reste ceci : c’est que ces deux ronds, initiaux et
terminaux, rien ne nous empêcherait de les confondre,
c’est à savoir que les ayant coupés...
« coupés » c’est imaginaire : de les défaire
...d’en faire passer un seul, à prendre les quatres lobes ainsi résumés
dans un cas où il n’y en a que deux,
mais la situation serait exactement la même s’il y en avait un nombre
infini.

Chose à remarquer : nous n’aurions - pour m’exprimer vite - nous


n’aurions dans ce cas quand même encore une différence.
Ce n’est pas parce que nous aurions conjoint les deux derniers nœuds
que toutes les articulations seraient les mêmes,
car ici ils sont affrontés deux par deux, il y a donc quatre brins à faire
nœuds, alors qu’ici, à prendre mon cercle unique, vous auriez le
support de ce cercle et quatre brins à passer, ce qui ferait un
affrontement non pas de 2 à 2 qui font 4, mais de 4 à 1 qui font 5.

Et donc on pourrait dire que même ce qui serait alors - puisqu’ici


vous n’avez que deux éléments - le 3ème élément,
le 3ème élément dans son rapport topologique, n’aurait pas le même
rapport avec les deux autres, que les deux autres entre eux, et comme
tel - par simple inspection des nœuds en jonction - le 3ème élément se
distinguerait des autres.

Je pense en avoir assez dit sur la symétrie des rapports du 1er et du


2ème, puisque le dernier je l’ai appelé 3ème.
Cette symétrie tient encore, cette symétrie tient encore si vous unifiez
le 3ème rond avec un quelquonque des deux autres,
simplement vous aurez alors une figure comme celle-ci, celle qui
affronte un simple rond avec ce que j’appelle le huit intérieur.

234
Vous aurez donc eu l’évanouissement de l’Autre, mais au prix de la
surgescence de quelque chose qui est le huit intérieur
et qui - comme vous le savez - est ce dans quoi je supporte la bande de
Mœbius, Autrement dit ce en quoi
- dans un strict support de cette voie que j’essaie pour vous de frayer
de la fonction du nœud - s’exprime par le huit intérieur.

Je ne peux ici que l’amorcer - pourquoi ? - parce que j’ai encore à


avancer quelque chose qui me paraît, avant que
je vous quitte, capital. Si je vous ai donné la solution des nœud
borroméens par cette enfilade de chaînes, sous la forme
de ces ronds qui redeviennent totalement indépendants pour peu que
vous en coupiez un seul, à quoi ceci peut-il servir ?
Contrairement à ce que vous voyez dans le langage, c’est à savoir ce
qui vous est très simplement matérialisé,
et ce qui n’est pas non plus très difficile... très difficile d’en trouver
un exemple - et pas pour rien - dans la psychose.

Souvenez-vous de ce qui hallucinatoirement peuple la solitude de


Schreber : « Nun will ich mich... »,
que je traduis : « maintenant je vais me... » - c’est un futur. Ou
encore « Sie sollen nämlich... » : « vous devez quant à vous... ».
Ces phrases interrompues que j’ai appelées messages de code, ces phrases in-
terrompues laissent en suspens je ne sais quelle substance.

À quoi peut nous servir cette exigence d’une phrase quelle qu’elle -
soit, qui soit telle qu’ayant sectionné l’Un,
c’est à dire retiré l’Un de chacun de ses chaînons, tous les autres du
même coup soient libres. Est-ce que ce n’est pas là
le meilleur support que nous puissions donner de ce par quoi
procède ce langage que j’ai appelé « mathématique » ?

235
Le propre du langage mathématique, une fois qu’il est suffisamment
resserré quant à ses exigences de pure démonstration, est très
précisément ceci que tout ce qui s’en avance...
s’en avance non pas tant dans le commentaire parlé, mais dans le
maniement des lettres
...suppose ceci : qu’il suffit qu’une ne tienne pas pour que tout le
reste, tout le reste des autres lettres,
non seulement ne constituent par leur agencement rien de valable,
mais se dispersent.

Et c’est très précisément en ceci que le nœud borroméen peut nous


servir de meilleure métaphore quant à ce qu’il en est d’une exigence
qui est celle-ci : c’est que nous ne procédons que de l’Un. L’Un
engendre la science, non pas au sens
[Fin de l’enregistrement] où quoique ce soit s’en mesure [l’«1»
unité de mesure], ce n’est pas ce qui se mesure dans la science,
contrairement à ce qu’on croit, qui est l’important.

Ce qui fait le nerf original, ce qui distingue la science - la science


moderne –
de la science de la réciprocité entre le νοῦς [nouss] et le monde, entre « ce
qui pense » et « ce qui est pensé »,
c’est justement cette fonction de l’Un, en tant que l’Un n’est là,
pouvons-nous supposer, que pour représenter
ce qu’il en est justement de ce que l’Un est seul,
de ce que l’Un ne se noue véritablement avec rien de ce qui ressemble à
l’Autre sexuel,
au contraire de la chaîne entre des uns qui sont tous faits de la même
façon, de n’être rien d’autre que de l’Un.
Quand j’ai dit y’a d’l’Un et que j’y ai insisté, que j’ai vraiment piétiné
ça comme un éléphant pendant toute l’année dernière, vous voyez ce
que je fraye et ce à quoi je vous introduis.

236
Comment alors quelque part mettre comme telle la fonction de
l’Autre, comment...
si jusqu’à un certain point c’est simplement des nœuds de l’Un
que se supporte ce qui reste - quand ça s’écrit - de tout langage
...comment poser une différence ? Car il est clair que l’Autre ne
s’additionne pas à l’Un, l’Autre seulement s’en différencie.

S’il y a quelque chose par quoi il [l’Autre] participe à l’Un c’est que
bien loin qu’il s’additionne,
ce dont il s’agit concernant l’Autre c’est...
comme je l’ai dit déjà, mais il n’est pas sûr que vous l’ayez
entendu
...c’est que l’Autre c’est l’Un en moins.

C’est pour ça que dans tout rapport de l’homme avec une femme, celle qui
est en cause c’est sous l’angle de l’Une en moins qu’elle doit être
prise. Je vous avais déjà indiqué ça un petit peu à propos de Don
Juan, mais bien entendu
il n’y a qu’une seule personne, je crois - ma fille nommément - qui
s’en soit aperçu.

Néanmoins pour simplement aujourd’hui amorcer ce que je pourrais


vous dire d’autre, je vais vous montrer quelque chose. Car il ne suffit
pas d’avoir trouvé une solution générale à ce qu’il en est du
problème pour un nombre infini
des nœuds borroméens, il faudrait que nous ayons le moyen de
montrer que c’est la seule solution.

Or nous en sommes à ceci que jusqu’à ce jour il n’y a aucune théorie


des nœuds.
Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire ceci : que très
précisément, au nœud ne s’applique jusqu’à ce jour
aucune formalisation mathématique qui permette...

237
en dehors de quelques petites fabrications, de petits exemples
tels que ceux que je vous ai montrés
...de prévoir qu’une solution, celle que je viens de donner, n’est pas
simplement une solution ex-sistante,
mais qu’elle est nécessaire, qu’elle ne cesse pas - comme je le dis
pour définir le nécessaire - qu’elle ne cesse pas de s’écrire.

Or il suffit que tout de suite je vous montre quelque chose que bien
sûr je n’ai pas pu écrire au tableau,
parce que vous savez pas le tintouin que ça me donne de mettre tout ça
sur le papier d’une façon que je tiens à votre disposition, qui sera
aussi bien photographié dans un prochain article, mais qui en
demande un certain [tintouin].

Il suffit que je vous fasse ça :

hein, embêtant que les autres, les autres nœuds, soient là


...regardez ça : je viens de faire passer deux de ces ronds l’un dans
l’autre, d’une façon telle qu’ils font ici,
non pas du tout ce repliage que je vous ai montré tout à l’heure,
mais simplement un nœud marin.

Comme ils sont de ce fait même...


puisque je viens de les agencer fermés
...comme ils sont de ce fait même parfaitement séparables l’un de
l’autre, vous devez penser que, si simplement...
ce qui m’est tout aussi possible
...je fais - avec un cercle qui suit - le même nœud marin, il suffit que
j’approche de ceux-là un autre...
voilà le nœud marin
238
...ici je peux faire la même chose avec un 3ème rond, j’aurai encore
un nœud marin.

Peu importe qu’il soit face à face avec le 1er ou qu’il soit strictement
dans la file, c’est-à-dire que ce qui passe devant, passe devant
également le suivant - je peux en faire un nombre infini et même
fermer le cercle que cela fera,
le fermer simplement pour le dernier.

Pour le dernier bien sûr, il ne sera pas séparable, il faudra que ce


dernier je le passe entre les deux du bout
de ce que j’aurai déjà construit, et que je le passe en faisant un
nœud,
et non pas en l’introduisant comme je viens de faire pour ces deux-
là.

Il n’en restera pas moins que voilà une autre solution tout aussi
valable que la 1ère,
car que je sectionne un quelconque de ceux que j’aurai agencés
ainsi, tous les autres du même coup seront libres,
et pourtant ce ne sera pas la même sorte de nœud.

Je vous ai passé à l’occasion ceci : que tout à l’heure, pour le nœud


que je vous ai montré ainsi,
en vous disant qu’aussi bien il y avait quelque nécessité que celui
dans lequel j’ai conjoint le 1er et le dernier rond,
quelque nécessité d’une différence, il n’en est, en réalité, rien.

Car je vous le fais remarquer, au moment où je viens de vous


montrer les autres,
à savoir ce que j’ai appelé la prise en forme de nœud marin, vous voyez
très bien à ceci que même le dernier...
ce dernier dont je vous ai dit que l’affrontement était de 1
à 4,
239
et que du même coup il y avait 5 brins dans le coup
...que même le dernier je peux le faire exactement semblable à tous
ceux-là, qu’il n’y a à ça aucune difficulté,
et qu’ainsi j’aurai aussi de cette façon résolu, sans introduire aucun
point privilégié, la question du nœud borroméen, pour un nombre
x et aussi bien infini de ronds de ficelle.

Est-ce que ce n’est pas dans cette possibilité de différence...


Car vous sentez bien qu’il n’y a aucune analogie topologique
entre l’une et l’autre de ces façons de nouer les ronds de ficelle
...est-ce que c’est dans cette topologie différente...
une que nous pouvons exprimer ici à propos des nœuds
marins comme une topologie de torsion, disons,
par rapport aux autres qui seraient simplement de flexion
...est-ce que nous pouvons user de ceci pour...
car il ne serait pas contradictoire de prendre même ceci dans
un nœud marin, c’est très facile à faire,
faites-en l’épreuve, très exactement voici la façon dont la chose
fléchie se prends comme nœud marin
...où mettre la limite de cet usage des nœuds pour arriver à la
solution de ce que ceci, la section d’un quelconque
de ces ronds de ficelle entraîne la libération de tous les autres, c’est
à dire nous donne le modèle de ce qu’il en est
à partir de cette formalisation mathématique, celle qui substitue à la
fonction d’un nombre quelconque d’Uns
ce qu’on appelle « une lettre ». Car la formalisation mathématique ce
n’est pas autre chose.

Que vous écriviez que quelque chose, que vous écriviez que
quelque chose, que l’énergie ce soit 1/2 mv2.
Qu’est que ça veut dire ? Ça veut dire que quelque soit le nombre
d’Uns que vous mettiez sous chacune de ces lettres, vous êtes
soumis à un certain nombre de lois qui sont des lois de groupe
telles que l’addition, la multiplication...
240
Voilà la question que j’ouvre et qui est faite pour vous annoncer -
s’il se peut, ce que j’espère -
ce que je peux éventuellement vous transmettre concernant ce qui
s’écrit.
Ce qui s’écrit, en somme - qu’est-ce que ça serait ? - les conditions de
la jouissance, [la lettre]
et ce qui se compte - qu’est-ce que ça serait ? - les résidus de la jouissance
! [(a)]

Car aussi bien cet a, a-sexué, est-ce que ce n’est pas de le conjoindre
avec ce qu’elle a de plus de jouir, étant l’Autre...
de ne pouvoir être dite qu’Autre
...que la femme l’offre sous l’espèce de l’objet(a) ?

L’homme croit créer...


croyez bien que je ne dis pas ça au hasard
...il croit, croit, croit, bon, il crée, crée, crée, et il crée, crée, crée la femme.

Ouais ! En réalité il la met au travail, mais au travail de l’Un [La


Femme →L femme → (a)] et c’est bien en quoi cet Autre...
pour autant que s’y inscrit l’articulation du langage, c’est-à-
dire la vérité
...l’Autre pourra être barré, barré de ceci que j’ai qualifié tout à
l’heure de « l’1 en moins »,
où le S de A, de A en tant qu’il est barré [S(A)], c’est bien cela que
ça veut dire,
et c’est en quoi nous en arrivons à poser la question de faire de
l’Un quelque chose qui se tienne,
c’est-à-dire qui se compte sans être. [« ...qualifier de l’Un [...] ce qui a 0
dimension, c’est-à-dire ce qui n’existe pas. » S20 p. 119]

La mathématisation seule atteint à un réel...

241
et c’est en quoi c’est compatible avec notre discours,
discours analytique,
...un réel qui précisément s’évade [ex-siste], qui n’a rien à faire avec ce
que la connaissance traditionnelle a supporté,
c’est-à-dire non pas ce qu’elle croit : la réalité, mais bien le fantasme.

Le réel c’est le mystère du corps parlant, c’est le mystère de


l’inconscient.

242
1973.06.26. Encore. Leçon 13
Grâce à quelqu’un qui veut bien se consacrer, comme ça, au brossage
de ce que je vous raconte - il est là au premier rang -
j’ai eu il y a quatre, cinq jours, la truffe brossée de mes élocutions ici,
je parle de celles de cette année. Ça m’intéressait parce qu’après tout,
sous ce titre d’Encore, je n’étais pas sûr d’être dans le champ que j’ai
déblayé pendant vingt ans, puisque justement ce que ça disait c’était
que ça pouvait durer encore longtemps.

À le relire, j’ai trouvé que ça n’était pas si mal, et spécialement - mon


Dieu - d’être parti de ceci,
qui me paraissait un peu mince pour le premier de mes séminaires de
cette année, c’est que :

« La jouissance de l’Autre n’était pas le signe de l’amour ».

C’était un départ. Un départ sur lequel peut-être je pourrai revenir


aujourd’hui en fermant ce que j’ouvrais là.

J’ai en effet quelque peu parlé de l’amour.


Mais le point pivot de ce que j’ai avancé cette année concerne ce qu’il
en est du savoir,
dont j’ai accentué que l’exercice ne pouvait représenter qu’une
jouissance.

C’est là la clé, le point tournant, et c’est à quoi je voudrais


aujourd’hui contribuer par une sorte de réflexion
sur ce qui se fait de tâtonnant dans le discours scientifique, au regard
de ce qui peut se produire de savoir [S2].

Je vais droit à ce dont il s’agit.


Le savoir c’est une énigme, c’est une énigme qui nous est présentifiée
par l’inconscient,
tel qu’il s’est révélé par le discours analytique [S1◊ S2] :
243
...et qui s’énonce à peu près ainsi : c’est que pour l’être parlant le savoir
c’est ce qui s’articule.
[au moins dans le langage (grammaire) voire dans la logique (mathème)]

De ça on aurait pu s’en apercevoir depuis un bon bout de temps,


puisqu’en somme, à tracer les chemins du savoir,
on ne faisait rien qu’articuler toutes sortes de choses qui pendant
longtemps se sont centrées sur l’être,
[en passant du discours du maître (M : S1→ S2→ a ◊S) pensée de l’être :
Parménide, Platon, Aristote...
au discours de la science (H : S→ S1→S2 ◊a ) : Descartes, Newton... où on
articule un savoir sur les êtres » (de la cosmologie à l’astronomie]
dont il est évident que rien n’est sinon dans la mesure où ça se dit que ça
est.
[Cf. Hegel : tout ce qui est rationnel est réel, tout ce qui est réel est
rationnel]

S2 j’appelle ça... Il faut savoir l’entendre : est-ce bien d’eux que ça


parle ? [(S2) parle-t-il de l’Un et de l’Autre (est-ce d’eux ?) →du rapport ]
Parce qu’après tout, si nous partons du langage, il est généralement
énoncé que le langage ça sert à la communication. Communication « à
propos de quoi ? » faut-il se demander, à propos de quels « eux » ?
[qu’est-ce qui se perd du discours M au discours de la science (H) sinon
l’impossible à dire→ ce qui est inter-dit, parce que « ex-sistant »]

La communication implique la référence. Seulement il y a une chose


qui est claire...

244
je prends là les choses par le tout petit bout de l’étude
scientifique du langage
...le langage c’est l’effort fait pour « rendre compte » de quelque
chose qui n’a rien à faire avec la communication,
et qui est ce que j’appelle lalangue. [cf. le séminaire sur La lettre volée,
l’« Introduction » : la combinatoire générée par les α, β, γ, δ, et le « caput
mortum »]

Lalangue sert à de toutes autres choses qu’à la communication.


C’est ce que l’expérience de l’inconscient nous a montré en tant qu’il
est fait de lalangue,
cette lalangue dont vous savez que je l’écris en un seul mot pour
désigner ce qui est notre affaire à chacun,
à l’égard de ce qui pour nous est la langue, la langue dite maternelle, et
pas pour rien dite ainsi.

La communication, elle, si on voulait un peu la rapprocher de ce qui


s’exerce effectivement dans la jouissance de lalangue,
ça serait qu’elle implique quelque chose, à savoir la réplique,
autrement dit le dialogue.
Mais comme je l’ai autrefois...
pas spécialement cette année
...comme je l’ai autrefois expressément articulé, il n’y a rien de moins
sûr que lalangue
ça serve d’abord et avant tout au dialogue.
[la construction de lalangue se fait sur la base des expériences identificatoires
qui s’inscrivent en α, β, γ, δ,
et génèrent « comme un langage », un savoir inconscient qui présentifie l’être
dans le lapsus, le rêve, le symptôme... → pas de finalité de
« communication »]

J’ai pu, comme ça, recueillir au passage...


parce qu’il arrive que me viennent sous la main

245
des choses dont j’ai entendu parler depuis bien longtemps
...j’ai donc eu sous la main le travail, un livre important d’un
nommé Bateson 46 dont on m’avait rebattu les oreilles, assez pour
m’agacer un peu, parce qu’à vrai dire ça venait de quelqu’un qui
avait été touché de la grâce
d’un certain texte de moi et qui l’avait traduit, traduit en ajoutant
autour quelques commentaires,
et qui avait cru, dans le Bateson en question, trouver quelque chose
qui allait sensiblement plus loin que ce que j’avais... j’avais cru devoir
énoncer concernant l’inconscient : l’inconscient - ai-je dit - structuré
comme un langage.

C’est pas si mal ce nommé Bateson. Ça va bientôt se traduire, Dieu


merci, ça permettra comme ça de voir
jusqu’à quel point il s’insère admirablement dans ce que je dis, dans
ce que je dis concernant l’inconscient.

L’inconscient dont l’auteur...


faute de savoir qu’il est structuré comme un langage
...dont l’auteur se démontre comme n’ayant qu’une assez médiocre
idée.

Mais il faut dire qu’il y a des choses qu’il a forgées dans de très jolis
artifices, et qu’il appelle lui-même des « métalogues ». C’est pas mal...
c’est pas mal pour autant que, comme il le dit lui-même, ces métalogues
comporteraient, s’il faut l’en croire, quelque sorte de progrès, interne,
dialectique, qui consisterait justement à ne se produire
que d’interroger l’évolution du sens d’un terme.

Il en réalise l’artifice, bien sûr...


comme il s’est toujours fait dans tout ce qui s’est intitulé
dialogue, les « dialogues platoniciens » entre autres

46
Gregory Bateson : Perceval le fou, Payot, 2002.
246
...c’est-à-dire à faire dire par l’interlocuteur supposé, tout ce qui en
somme motive la question même du locuteur,
c’est à savoir à incarner dans l’autre la réponse qui est déjà là.

C’est bien en quoi le dialogue, le dialogue classique...


dont les plus beaux sont présentés par le legs platonicien
...c’est bien en quoi le dialogue classique se démontre n’être pas un
dialogue.

Si j’ai dit que le langage c’est ce comme quoi l’inconscient est structuré, c’est
bien parce que le langage, d’abord ça n’existe pas.
Le langage c’est ce qu’on essaie de savoir concernant la fonction de
lalangue.

C’est bien ainsi que le discours scientifique l’aborde, à ceci près que
ce qui lui est difficile c’est de le réaliser pleinement,
car l’inconscient c’est le témoignage, le témoignage d’un savoir...
en tant qu’il échappe pour une grande part à l’être
...qui donne l’occasion de s’apercevoir jusqu’où vont les effets de
lalangue.

C’est en « effets » - c’est vrai - c’est en « effets » que cet être rend
compte, par toutes sortes d’affects qui restent énigmatiques,
de ce qui résulte de cette présence de lalangue, en tant que de savoir elle
articule des choses qui vont beaucoup plus loin
que tout ce que lui-même, à titre de savoir énoncé, il supporte.
[« caput mortum » du « séminaire sur La lettre volée »]

Le langage sans doute est fait de lalangue, c’est une élucubration de savoir
sur lalangue elle-même,
mais l’inconscient est un savoir, un savoir-faire avec lalangue.

Ce qu’on sait faire avec lalangue dépasse en d’autres termes de beaucoup ce


dont on peut rendre compte au titre du langage,
247
mais il pose la même question qui est posée par le terme de
« langage », il est sur la même voie,
à ceci près qu’il va déjà beaucoup plus loin, qu’il anticipe sur la
fonction du langage,
que lalangue nous affecte d’abord par tout ce qu’elle comporte comme
« effets » qui sont « affects ».

Et si l’on peut dire que l’inconscient est structuré par... comme un langage,
c’est très précisément en ceci que ces « effets » de lalangue, déjà là
comme savoir, comme savoir qui n’a rien à faire, va bien au-delà de
tout ce que l’être - l’être qui parle - est susceptible d’articuler comme
tel, c’est bien en ça que l’inconscient...
en tant qu’ici je le supporte de son déchiffrage [i.e.
l’inconscient-langage, ≠ de l’inconscient réel]
...que l’inconscient ne peut que se structurer comme un langage, comme
un langage toujours hypothétique
au regard de ce qui le soutient, à savoir lalangue, à savoir ceci même
qui fait que tout à l’heure j’ai pu de mon S2 faire une question et
demander : est-ce bien d’eux en effet qu’il s’agit dans le langage,
autrement dit le langage est-il seulement communication ?

La méconnaissance de ce fait qui a surgi de par le discours analytique,


a prêté...
a prêté à ce dont je vais faire aujourd’hui le pivot de ma
question sur le savoir
...a prêté à ceci : que dans les bas-fonds de la science il ait surgi cette
grimace qui consiste à interroger :
« comment l’être peut savoir quoi que ce soit ? ».

Il est comique de voir comment cette interrogation prétend à se


satisfaire.
J’en prendrai comme exemple ceci, que

248
puisque la limite - je l’ai posée d’abord - est faite de ceci qu’il y a des
êtres qui parlent,
on se demande ce que peut bien être le savoir de ceux qui ne parlent
pas.
On se le demande, on ne sait pas pourquoi on se le demande, mais
on se le demande quand même...
Et on fait, pour des rats, un petit labyrinthe grâce à quoi on espère
être sur le chemin de ce que c’est qu’un savoir.

Qu’est-ce qui arrive alors ?


On espère être sur ce chemin parce qu’on espère qu’il va montrer
quelle capacité il a pour apprendre.

Quelle capacité il a pour apprendre - apprendre à... quoi ? - à ce qui


l’intéresse bien sûr,
et l’on suppose que ce qui l’intéresse...
supposition qui n’est pas absolument infondée
...ce doit être, puisqu’on le prend, ce rat, non pas comme « être », mais
bel et bien comme corps,
ce qui suppose qu’on le voit comme unité, comme unité ratière.

On ne se demande absolument pas ce qui peut soutenir l’être du rat,


encore que depuis toujours on avait bien eu l’idée que l’être ça devait
contenir une sorte de plénitude qui lui soit propre, puisque c’est de là
que dans le premier abord de ce qu’il en était de l’être, on était parti, à
savoir que l’être c’est un corps.

On avait élucubré toute une hiérarchie, toute une échelle des corps,
et on était parti – mon Dieu – de cette notion
que chacun devait bien savoir ce qui le maintenait à l’être. Autrement
dit, on n’était pas allé plus loin
que cette idée qu’il y était maintenu par quelque chose qui devait être
« son Bien », qui devait lui faire plaisir.

249
Mais comment se fait-il, qu’est-ce qu’il y a eu comme changement
dans le discours pour que tout d’un coup on interroge cet être sur le
moyen qu’il aurait de se dépasser, à savoir d’en apprendre plus qu’il
n’en a besoin dans son être
pour survivre comme corps ?

Grâce au montage du labyrinthe et à quelques accessoires, c’est à


savoir que le labyrinthe n’aboutit pas seulement
à la nourriture mais à quelque chose comme un bouton ou un clapet
dont il faut que le sujet supposé de cet être
trouve le truc pour accéder à sa nourriture.

Autrement dit, on transforme la question du savoir en la question


d’un « apprendre ».

Est-ce qu’un rat, non plus considéré dans son être mais dans son
unité...
car tout va aboutir au pressage du bouton
...c’est la même chose s’il s’agit de la reconnaissance de quelque trait auquel
on concevra qu’alors l’être est susceptible de réagir...
qu’il s’agisse d’un trait lumineux ou d’un trait de couleur
...et l’on constatera qu’après une série d’essais et erreurs...
« trials and errors », comme vous savez, ça s’appelle : on a
laissé la chose en anglais
vu ceux qui se sont trouvés frayer cette voie concernant le
savoir
...on va voir si le taux des trials and errors, combien de temps ce taux
va se mettre à diminuer assez
pour que s’enregistre que l’unité ratière est capable d’apprendre
quelque chose.

Ce qui n’est posé que secondairement comme question - c’est la


question que je pose - c’est ceci :
c’est si l’unité, l’unité ratière en question, va apprendre à apprendre ?
250
C’est là que gît le vrai ressort de l’expérience : est-ce qu’un rat...
une fois qu’il a subi ou que cesse cette épreuve
...mis en présence d’une épreuve du même ordre - nous verrons tout
à l’heure ce qu’est cet ordre –
est-ce qu’il va apprendre plus vite ?

Ce qui se matérialise aisément par une décroissance du nombre


d’essais qui sont nécessaires pour que le rat sache comment il a à se
comporter dans tel montage, appelons montage l’ensemble du labyrinthe
et des clapets et des boutons
qui dans cette occasion fonctionnent.

Il est clair que la question a été si peu posée - quoi qu’elle l’ait été,
bien sûr - qu’on n’a même pas songé
à interroger la différence qu’il y a, selon que celui qui apprend à
apprendre au rat en question,
selon que celui-ci est ou non le même expérimentateur.

En d’autres termes, ce qui est laissé de côté c’est ceci, c’est que ce
qu’on propose au rat comme thème pour démontrer ses facultés
d’apprendre, si ça surgit de la même source ou de deux sources
différentes.
Car si nous nous reportons à ceci, que l’expérimentateur il est bien
évident que c’est lui qui là-dedans sait quelque chose, c’est même
avec ce qu’il sait qu’il invente le montage du labyrinthe, des boutons
et des clapets.

S’il n’était pas quelqu’un pour qui le rapport au savoir est fondé sur
un certain rapport qui est...
je l’ai dit, pourquoi ne pas le répéter
...d’habitation ou de cohabitation avec lalangue, il est clair qu’il n’y
aurait pas ce montage,

251
et que tout ce que l’unité ratière apprend en cette occasion c’est à
donner un signe, un signe de sa présence d’unité.

Que ce soit le bouton ou autre chose, l’appui de la patte sur ce signe,


que ce soit bouton ou bien clapet...
que le clapet soit reconnu, reconnu il ne l’est que par un
signe,
...c’est toujours en faisant signe que l’unité [ratière ici] accède à ce dont
on conclut qu’il y a apprentissage.

Mais ce rapport qui est en somme d’extériorité, d’extériorité telle que


rien ne confirme qu’il puisse y avoir
« saisie » du mécanisme à quoi aboutit la poussée sur le bouton,
comment ne pas saisir que la question est d’importance,
et de la plus haute importance, que c’est la seule qui compterait, c’est
à savoir : s’il n’y a, dans ces successifs mécanismes à propos de quoi
l’expérimentateur peut constater non seulement qu’il a trouvé le truc,
mais qu’il a - seule chose
qui compte - appris la façon dont ça se prend, qu’il a appris ce qui est
« à prendre », il est clair que, je dirai là, la cohérence, la symbiose que
réalise une telle expérience, si nous tenons compte de ce qu’il en est
du savoir inconscient,
ne peut pas manquer d’être interrogée à partir de ceci, que ce qu’il
faut savoir c’est comment l’unité ratière répond
à ce qui n’a pas été cogité à partir de rien par l’expérimentateur.

Qu’en d’autres termes, on n’invente pas n’importe quelle


composition labyrinthique, que le fait que ça sorte du même
expérimentateur ou de deux expérimentateurs différents ça mérite
d’être interrogé, et rien dans ce que j’ai pu recueillir jusqu’à présent
de cette littérature, n’implique que ce soit dans ce sens que la
question ait été posée.

252
Mais l’intérêt de cet exemple ne se limite pas à ce fait, à ce fait
d’interrogation qui laisse entièrement intacts et différents ce qu’il en
est du savoir et ce qu’il en est de l’apprentissage.
[le savoir renvoie à lalangue : le rapport de S1 à S2 et l’éviction de a (H :
S→ S1→/S2 ◊a) , tandis que l’apprentissage renvoie à ce qui soutient l’être : a]

Ce qu’il en est du savoir pose des questions, et nommément celle-


ci de « comment ça s’enseigne ? ».
Il est bien clair que la question de « comment ça s’enseigne ? », à savoir la
notion d’une science entièrement centrée sur ceci : du savoir qui se
transmet intégralement [pas de reste→ mathème], c’est elle qui a produit,
dans ce qu’il en est du savoir,
ce tamisage grâce à quoi un discours qui s’appelle le scientifique s’est
constitué.

Il s’est constitué non pas du tout sans de nombreuses mésaventures.


Si cette année j’ai rappelé où il a pu surgir [le discours scientifique], ça
n’est certainement pas sans qu’ait été faite...
fingere, fingo, dit Newton... non fingo, croit-il pouvoir dire :
hypotheses non fingo : « je ne suppose rien »
...et ce n’est pas par hasard que cette année j’ai spécifié que c’est bien
sur une hypothèse, au contraire, que tout tourne :
que la fameuse « révolution » - qui n’est point du tout copernicienne
mais newtonienne - a joué.

Elle a joué sur ceci qui est de substituer à un « ça tourne » un « ça


tombe ».
C’est l’hypothèse newtonienne comme telle, quand il a reconnu dans
le « ça tourne » astral, des cycles,
quand il a bien marqué que c’est la même chose que de tomber.

Mais pour le constater - ce qui une fois constaté permet d’éliminer


l’hypothèse - il a bien fallu qu’il la fasse cette hypothèse.

253
[dans le rapport S1→S2 toute production de savoir (S2) place S1 en hypothèse, en
supposé : S1←S2 en subjectum, sujet sub-posé, ὑποχείμενον
[upokeimenon]
→toute « connaissance » produit un sujet supposé, d’où la question : dans
l’inconscient pas de connaissance, mais un savoir sans sujet ?]

La question d’introduire un discours scientifique concernant le savoir


c’est de l’interroger « là où il est » ce savoir,
et ce savoir « là où il est » : ceci veut dire l’inconscient, en tant que c’est
dans le gîte de lalangue que ce savoir repose.

Je fais remarquer que l’inconscient, je n’y entre - pas plus que


Newton - sans hypothèse.
L’hypothèse que l’individu qui en est affecté de l’inconscient, c’est le
même qui fait ce que j’appelle le sujet d’un signifiant.
Ce que j’énonce sous cette formule minimale : qu’un signifiant [S1]
représente un sujet [S] pour un autre signifiant [S2] :

Je réduis, autrement dit, l’hypothèse, selon la formule même qui la


substantifie, à ceci :
que l’hypothèse est nécessaire au fonctionnement de lalangue,
dire qu’il y a un « sujet » ce n’est rien d’autre que dire qu’il y a
« hypothèse » [Sujet supposé].
[ὑπόθεσις « action de mettre dessous ». Les symptômes (hystériques,
obsessionnels, etc.) désignent un savoir non su → l’hypothèse d’un sujet (sub-posé)
de l’inconscient :
ce savoir non su (S2) est articulé comme un langage→ « un signifiant représente
un sujet pour un autre signifiant»]

254
La seule preuve que nous en ayons est ceci : que le sujet se confonde
avec cette hypothèse et que ce soit l’individu, l’individu parlant qui le
supporte, c’est que le signifiant devienne signe.
Le signifiant en lui-même n’est rien d’autre de définissable qu’une
différence, une différence avec un autre signifiant.
C’est l’introduction comme telle de la différence dans le champ qui
permet d’extraire de lalangue ce qu’il en est du signifiant.

Mais à partir de là, et parce qu’il y a l’inconscient, à savoir lalangue en


tant que c’est de cohabitation avec elle que se définit un être appelé
« l’être parlant », que le signifiant peut être appelé à faire signe, et
entendez ce signe comme il vous plaira :
soit le mot « signe »,
soit le « t.h.i.n.g » de l’anglais : « thing », à savoir la chose.

Le signifiant, si d’un sujet en tant que signifiant il fait le support


formel, il atteint quelque chose d’autre en tant qu’il l’affecte :
un autre, un autre que ce qu’il est tout crûment lui comme signifiant,
un autre fait sujet, ou du moins qui passe pour l’être.

C’est en cela qu’il est, et seulement pour l’être parlant, qu’il se trouve
être comme étant,
c’est à dire quelque chose dont l’être est toujours ailleurs, comme le
montre le prédicat.
[on n’est que « quelque chose » (signe ou thing, → prédicat) → ex-sistence de
l’être de l’étant. Le discours du maître est discours du « m’être » par production
du (a)].

Le sujet n’est jamais que ponctuel et évanouissant, il n’est sujet que


par un signifiant et pour un autre signifiant.

C’est ici que nous devons revenir à ceci : qu’après tout, par un choix
dont on ne sait pas ce qui l’a guidé,

255
Aristote a pris le parti de ne donner pas d’autre définition de l’individu
que le corps.
Le corps en tant qu’organisme, en tant que ce qui se maintient
comme Un, et non pas en tant que ce qui se reproduit.

Il est frappant de voir qu’entre l’Idée platonicienne et la définition


aristotélicienne de l’individu comme fondant l’être,
la différence est proprement celle autour de quoi nous sommes
encore,
c’est à savoir la question qui se pose au biologiste, à savoir « comment
un corps se reproduit ? ».

Car c’est bien là ce dont il s’agit dans toute tentative de chimie dite
moléculaire,
c’est à savoir comment il se fait qu’en combinant un certain nombre
de choses dans un bain unique,
quelque chose va se précipiter qui fera qu’une bactérie par exemple
se reproduira comme telle.

Le corps, qu’est-ce donc ?


Est-ce ou n’est-ce pas le savoir de l’Un ?

Le savoir de l’Un se révèle ne pas venir du corps, le savoir de l’Un...


pour le peu que nous en puissions dire
...le savoir de l’Un vient du signifiant 1 [S1].

Le signifiant 1 vient-il du fait que le signifiant comme tel ne soit


jamais que l’un entre autres,
référé comme tel à ces autres, comme en étant la différence d’avec les
autres ?
La question est si peu résolue jusqu’à présent, que j’ai fait tout mon
séminaire de l’année dernière pour interroger,
mettre l’accent sur ce « y’a d’l’Un ».

256
Qu’est-ce que veut dire y’a d’l’Un ? Ce que veut dire y’a d’l’Un est
ceci, que permet de repérer l’articulation signifiante :
que d’ 1 entre autres...
et il s’agit de savoir si c’est « quel qu’il soit »
...se lève un S1, un essaim de signifiants, un essaim bourdonnant lié à
ceci que ce 1 de chaque signifiant...
avec la question de « est-ce d’eux que je parle ? » [S1→ S2 : cet
essaim est-ce d’eux ?]
...ce S1 que je peux écrire d’abord de sa relation avec S2, eh bien c’est
ça qui est l’essaim.

(S1 (S1 (S1 (S1 → S2) ) ) )

Vous pouvez en mettre ici autant que vous voudrez, c’est l’essaim
dont je parle.
Le signifiant comme maître, à savoir en tant qu’il assure l’unité, l’unité
de cette copulation du sujet avec le savoir,
c’est cela le signifiant maître, et c’est uniquement dans lalangue, en tant
qu’elle est interrogée comme langage,
que se dégage – et pas ailleurs – que se dégage l’ex-sistence de ce dont

ce n’est pas pour rien que le terme στοιχεῖον [stékeïon] : élément


[élément premier→ élémentaire]
soit surgi d’une linguistique primitive [cf. RSI : 18-02-1975],

ce n’est pas pour rien : le signifiant Un [S1] n’est pas un signifiant


quelconque, il
est l’ordre signifiant en tant qu’il s’instaure de l’enveloppement
par où toute la chaîne subsiste.

J’ai lu récemment un travail de quelqu’un qui s’interroge à propos de


ce qu’elle prend pour une relation qui est celle

257
du S1 avec le S2, à savoir relation de représentation, le S1 serait en
relation avec le S2 pour autant qu’il représente un sujet.
La question de savoir si cette relation est asymétrique, antisymétrique,
transitive ou autre, à savoir si le sujet se transfère du S2
à un S3 et ainsi de suite, c’est une question qui est à reprendre, à
reprendre à partir du schème que j’en donne ici.

Le Un incarné dans lalangue est quelque chose qui justement reste indécis
entre le phonème, le mot, la phrase, voire toute la pensée, c’est bien ce dont il
s’agit dans ce que j’appelle « signifiant maître », c’est le signifiant Un [S1],
et ce n’est pas pour rien que l’avant-dernière de nos rencontres, j’ai
amené ici pour l’illustrer le bout de ficelle,
le bout de ficelle en tant qu’il fait ce rond, ce rond dont j’ai
commencé d’interroger le nœud possible avec un autre.
Le symptôme alors, ce n’est plus de l’ICS langage, mais de l’ICSR,
devenu réel, hors sens. Le Un du symptôme c’est dans tous les cas du
Un de jouissance, le vrai signifiant maître dont parle Lacan à la fin de
Encore. Je dis dans tous les cas, qu’il y a plusieurs cas, au moins 2.
En effet, quand il dit que ce Un va du phonème à toute la pensée, ce
qu’il faut saisir c’est que toute la pensée, qui pourtant est une chaîne, vaut
pour du Un, aussi bien que l’élément phonème. Je pourrais dire du
Un holophrasé. Dans les deux cas, que ce soit le Un de l’élément
ou de l’Une-pensée,
c’est lui, ce Un, qui pour chacun assoit son unité, son « unarité » de
jouissance, et qui le condamne à l’Un dire qui se sait tout seul.
(C. Soler, 2013 Symptômes énigmatiques)

Je n’irai pas plus loin aujourd’hui puisque nous avons...


grâce à une question en somme extérieure : question de
notre abri ici
...puisque nous avons été privés d’un de ces séminaires c’est quelque
chose que je reprendrai dans la suite, éventuellement.

258
L’important, pour virer, faire tourner ici le volet, l’important de ce
qu’a révélé le discours psychanalytique
consiste en ceci, ceci dont on s’étonne qu’on ne voie pas la fibre
partout, c’est que
ce « savoir », qui structure d’une cohabitation spécifique ce qu’il en
est de l’être qui parle,
ce « savoir » a le plus grand rapport avec l’amour.

Car ce dont se supporte tout amour est très précisément ceci, d’un
certain rapport entre 2 savoirs inconscients.
Si j’ai énoncé que le transfert c’est le sujet supposé savoir qui le motive [le
S1 ex-sistant, supposé au savoir S2],
ce n’est là que point d’application tout à fait particulier, spécifié, de
ce qui est là d’expérience,
et je vous prie de vous rapporter au texte de ce que j’ai énoncé ici sur
le choix de l’amour.
C’est au milieu de cette année que je l’ai fait [cf. fin de séance du 16-01-
1973].

Si j’ai parlé de quelque chose à ce propos, c’est en somme de la


reconnaissance, la reconnaissance à des signes
qui sont ponctués toujours énigmatiquement, de la façon dont l’être est
affecté, en tant que sujet, de ce savoir inconscient.

S’il est vrai qu’il n’y a pas de rapport sexuel parce que simplement la
jouissance, la jouissance de l’Autre prise comme corps, que
cette jouissance est toujours inadéquate :
– « perverse » d’un côté, en tant que l’Autre se réduit à l’objet(a) [le
fantasme : S ◊ a, dans les formules ♂ de la sexuation : : §],
– je dirai « folle » de l’autre [côté], pour autant que ce dont il s’agit
c’est la façon énigmatique
dont se pose cette jouissance de l’Autre comme telle.

259
Est-ce que ce n’est pas de l’affrontement à cette impasse, à cette
impossibilité définissant comme tel un Réel,
qu’est mis à l’épreuve l’amour, en tant que du partenaire il ne peut
réaliser que ce que j’ai appelé...
par une sorte de poésie pour me faire entendre
...ce que j’ai appelé « le courage au regard de ce destin fatal ».
[courage de soutenir la fonction phallique par l’exception :§ alors
même qu’« il n’y a pas de rapport sexuel », et donc « ce qui ne cesse pas de
ne pas s’écrire » → par l’amour : « ce qui cesse de ne pas de s’écrire »
(contingence de Φ)]

Est-ce bien de courage qu’il s’agit ou des chemins d’une


reconnaissance, d’une reconnaissance dont la caractéristique
ne peut être rien d’autre que ceci : que ce rapport dit sexuel devenu là
rapport de sujet à sujet [l’amour]...
à savoir du sujet en tant qu’il n’est que l’effet du savoir
inconscient
...que la façon dont ce rapport de sujet à sujet cesse de ne pas s’écrire.

Ce « cesser de ne pas s’écrire », vous le voyez, c’est pas formule que j’ai
avancée au hasard.
Si je me suis complu au nécessaire comme à « ce qui ne cesse pas de ne pas
s’écrire » [lapsus]...
pardon : qui ne cesse pas, ne cesse pas de s’écrire47 en l’occasion,
« le nécessaire » n’est pas « le réel » [ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire], c’est
« ce qui ne cesse pas de s’écrire ». [le nécessaire ne cesse...]

Le déplacement de cette négation qui pose, qui nous pose au passage


la question de ce qu’il en est de la négation,
quand elle vient prendre la place d’une inexistence. Si le rapport sexuel
répond à ceci dont je dis qu’il - non seulement -
il ne cesse pas de ne pas s’écrire...

47 Lapsus que Lacan relève et corrige peu après.


260
c’est bien de cela et de lui dans l’occasion qu’il s’agit
...qu’il ne cesse pas de ne pas s’écrire, qu’il y a là impossibilité, c’est aussi bien
que quelque chose ne peut non plus le dire,
c’est à savoir qu’il n’y a pas d’existence dans le dire, de ce rapport.

Mais que veut dire... que veut dire de le nier ? [:§→ maintenir le
rapport fantasmé à une Altérité réduite alors aux objets partiels prégénitaux]
Y a-t-il d’aucune façon légitimité de substituer une négation à
l’appréhension éprouvée de l’inexistence ?
C’est là aussi une question qu’il s’agira pour nous d’amorcer.
Le mot « interdiction » veut-il plus dire, est-il plus permis, c’est ce qui
non plus ne saurait dans l’immédiat, être tranché.

Mais l’appréhension de la contingence telle que je l’ai déjà incarnée de ce


« cesse de ne pas s’écrire »,
à savoir de ce quelque chose qui, par la rencontre [la rencontre heureuse
(εὐτυχία) mais contingente],
la rencontre, il faut bien le dire, de symptômes, d’affects,
de ce qui chez chaque individu marque la trace de son exil,
non comme sujet mais comme parlant, de son exil de ce rapport,
est-ce que ce n’est pas dire que c’est seulement par l’affect qui résulte
de cette béance,
que quelque chose...
dans tout cas où se produit l’amour
...que quelque chose...
qui peut varier infiniment quant au niveau de ce savoir,
...que quelque chose se rencontre qui, pour un instant, peut donner
l’illusion de « cesser de ne pas s’écrire ».

À savoir que :
...quelque chose non seulement s’articule mais s’inscrive, s’inscrive dans la
destinée de chacun, par quoi pendant un temps...
un temps de suspension,

261
...ce quelque chose...
qui serait le rapport,
...ce quelque chose trouve...
chez l’être qui parle
...ce quelque chose trouve sa trace et sa voie de mirage.

Qu’est-ce qui nous permettrait - cette implication - de la conforter ?


Assurément ceci : que le déplacement de cette négation, à savoir le
passage...
à ce que tout à l’heure j’ai manqué si bien d’un lapsus, lui-
même bien significatif
...à savoir le passage de la négation, au « ne cesse pas de s’écrire », à la
nécessité substituée à cette contingence,
c’est bien là le point de suspension à quoi s’attache tout amour, tout
amour de ne subsister que de « cesser de ne pas s’écrire »
tend à faire passer cette négation au « ne cesse pas, ne cesse pas, ne cessera
pas de s’écrire ».
[« ne cesse pas de ne pas s’écrire » (l’impossible du réel) → « cesse de ne pas
s’écrire » (le contingent de la rencontre) → « ne cesse pas de s’écrire » (le nécessaire
de l’amour)]

Tel est en effet le substitut qui, par la voie de l’existence, non pas du
rapport sexuel mais de l’inconscient qui en diffère, qui par cette voie
fait la destinée et aussi le drame de l’amour.

Vu l’heure où nous sommes arrivés, qui est celle où normalement je


désire prendre congé,
je ne pousserai pas ici les choses plus loin.

Je ne pousserai pas les choses plus loin sauf à indiquer que ce que j’ai
dit de la haine
est quelque chose qui ne relève pas du même plan dont s’articule la
prise du savoir inconscient,
262
mais qui, dans ce qu’il en est du sujet, du sujet dont, vous le
remarquez, il ne se peut pas qu’il ne désire pas
ne pas trop en savoir sur ce qu’il en est de cette rencontre
éminemment contingente,
qu’il en sache un peu plus, que de ce sujet il aille à l’être qui y est pris,
le rapport de l’être, de l’être à l’être,
bien loin qu’il soit ce rapport d’harmonie que depuis toujours...
on ne sait trop pourquoi
...nous ménage, nous arrange, une tradition dont il est très curieux de
constater la convergence :

la convergence d’Aristote qui n’y voit que la jouissance suprême,

avec ce que la tradition chrétienne nous reflète de cette tradition


même comme béatitude, montrant par là
son empêtrement dans quelque chose qui n’est vraiment qu’une
appréhension de mirage.

La rencontre de l’être comme tel, c’est bien là que par la voie du sujet,
l’amour vient à aborder, quand il aborde...
J’ai posé expressément la question : est-ce que ce n’est pas là que
surgit ce qui fait de l’être,
précisément quelque chose qui ne se soutient que de se « rater » ?

J’ai parlé de « rat » tout à l’heure, c’était de ça qu’il s’agissait [Rires] :


ce n’est pas pour rien qu’on a choisi le rat [Rires], c’est parce que le
rat, ça se rature [Rires], on en fait facilement une unité.
Et puis que d’un certain côté j’ai déjà vu ça, dans un temps comme
ça, j’avais un concierge quand j’habitais
rue de la Pompe : le rat, il ne le ratait - lui - jamais, il avait pour le rat
une haine égale à l’être du rat [Rires].

L’abord de l’être, est-ce que ce n’est pas là que réside ce qui en


somme s’avère être l’extrême, l’extrême de l’amour,
263
la vraie amour, la vraie amour débouche sur la haine, assurément ce n’est
pas l’expérience analytique qui en a fait la découverte : la modulation
éternelle des thèmes sur l’amour en porte suffisamment le reflet.

Voilà je vous quitte.

Est-ce que je vous dis « à l’année prochaine » ?

Vous remarquerez que je vous ai jamais, jamais, dit ça que je


remarque aujourd’hui - car c’est de cela qu’il s’agit -
je remarque aujourd’hui que je ne vous ai jamais dit ça...

Plus exactement je porte à votre connaissance cette remarque, car


moi je me suis toujours privé de la faire,
pour une très simple raison : c’est que je n’ai jamais su, depuis 20 ans
que j’articule pour vous des choses,
je n’ai jamais su si je continuerai l’année prochaine [Rires].

Ah, ça, ça fait partie de mon destin d’objet(a) !

Alors, comme après tout ces 20 ans, enfin j’en ai bouclé le cycle :

après 10 ans, on m’avait en somme retiré la parole,

et il se trouve, comme ça, que pour des raisons pour lesquelles il y


avait eu une part de destin et aussi
de ma part, une part d’inclination à faire plaisir à quelqu’un, j’ai
continué pendant 10 ans encore.

Est-ce que je continuerai l’année prochaine ? Pourquoi pas arrêter là


l’encore ?
Ce qu’il y a d’admirable c’est que personne n’a jamais douté que je
continuerai [Rires].
264
Que je fasse cette remarque en pose pourtant la question.
Il se pourrait après tout qu’à cet « Encore » j’adjoigne un « c’est assez ».

Eh bien ma foi, je vous laisse la chose à votre pari, parce qu’après


tout il y en a beaucoup qui croient me connaître
et qui pensent que je trouve là-dedans une infinie satisfaction
narcissique [Rires].
À côté de la peine que ça me donne, je dois dire que ça me paraît, ça
me paraît peu de choses.

Faites vos paris, et puis quel sera le résultat ?

Est-ce que ça voudra dire que ceux qui auront deviné juste, ceux-là
m’aiment ?

Eh bien c’est justement ça le sens que je viens de vous énoncer


aujourd’hui :
c’est que de savoir ce que le partenaire va faire, ben c’est pas une
preuve de l’amour.

[Applaudissements]

265
1976.01.13. Le Sinthome. Leçon 4
On n’est responsable que dans la mesure de son savoir-faire.
Qu’est-ce que c’est que le savoir-faire ?

Disons que c’est l’art, l’artifice, ce qui donne à l’art - à l’art dont on
est capable - une valeur remarquable.
Remarquable en quoi ?
Puisqu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre pour opérer le Jugement
Dernier, du moins est-ce moi qui l’énonce ainsi.

Ceci veut dire qu’il y a quelque chose dont nous ne pouvons jouir.
Appelons ça la jouissance de Dieu, avec le sens inclus là-dedans de
jouissance sexuelle.

L’image qu’on se fait de Dieu implique-t-elle ou non qu’il jouisse de


ce qu’il a commis ?
En admettant qu’il ex-siste... Y répondre qu’il n’ex-siste pas tranche la
question, en nous rendant la charge d’une pensée dont l’essence est
de s’insérer dans cette réalité...
première approximation du mot réel, qui a un autre sens dans
mon vocabulaire
...dans cette réalité limitée qui s’atteste de l’ex-sistence - écrite de la
même façon : e, x, trait d’union, s - de l’ex-sistence du sexe.

Voilà ! C’est le type de chose que - en fin de compte - je vous


apporte en ce début d’année, à savoir ce que j’appellerai...
c’est pas plus mal, comme ça, pour un début d’année
...ce que j’appellerai des vérités premières.

Non pas bien sûr que dans l’intervalle qui nous a séparés...
depuis quelque chose comme maintenant plus de 3
semaines
...non pas que je n’aie pas travaillé. J’ai travaillé à des trucs dont
vous voyez là, sur le tableau, un échantillon :
266
Ceci, comme vous pouvez le voir, est un nœud borroméen :

Il ne diffère de celui que - je vous le rappelle - je dessine


d’habitude, qui est foutu comme ça :

...il n’en diffère que de quelque chose qui n’est pas négligeable, c’est
que celui-ci peut se distendre
de façon telle qu’il y ait deux extrêmes comme rond, et que ce soit
celui qui est dans le milieu qui fasse le joint :

La différence est celle-ci : supposez que ce soit 3 éléments comme


celui-là - le médian - qui s’unissent de façon circulaire.
Vous voyez bien, j’espère, comment ça peut se faire. Il n’y a pas
besoin que je vous trace le truc au tableau.
Eh bien ça se simplifie comme ça :
267
...comme ça, ou comme ça parce que c’est le même :

Naturellement, c’est pas de ça seulement que je me contente : j’ai


passé mes vacances à en élucubrer bien d’autres,
dans l’espoir d’en trouver un bon qui servirait de support - de
support, j’entends : aisé –
à ce que j’ai commencé aujourd’hui de vous raconter comme vérité
première.

Eh ben - chose surprenante - ça ne va pas tout seul.


Non pas que je croie que j’ai tort de trouver dans le nœud ce qui
supporte notre consistance, seulement c’est déjà un signe que ce
nœud je ne puisse le déduire que d’une chaîne, à savoir de quelque
chose qui n’est pas du tout de la même nature : chaîne, ou link en
anglais, c’est pas la même chose qu’un nœud.

Mais reprenons le ron-ron des vérités dites premières... dites par moi
comme telles.
Il est clair que l’ébauche même de ce qu’on appelle la pensée...
tout ce qui fait sens dès que ça montre le bout de son nez
...comporte une référence, une gravitation à l’acte sexuel, si peu
évident que soit cet acte.
Le mot même d’« acte » implique la polarité : active-passive. Ce qui
déjà est s’engager dans un faux-sens.
268
C’est ce qu’on appelle « la connaissance », avec cette ambiguïté que
l’actif c’est ce que nous connaissons,
mais que nous nous imaginons que - faisant effort pour connaître –
nous sommes actifs.
La connaissance donc, dès le départ se montre ce qu’elle est :
trompeuse.
C’est bien en quoi tout doit être repris au départ, à partir de
l’opacité sexuelle.

Je dis « opacité » en ceci :

c’est que 1èrement nous ne nous apercevons pas que du sexuel ne fonde
en rien quelque rapport que ce soit. Ceci
implique, au gré de la pensée, qu’il n’y a de responsabilité...
en ce sens où « responsabilité » ça veut dire non réponse, ou
réponse à côté
...il n’y a de responsabilité que sexuelle. Ce dont tout le monde
en fin de compte a le sentiment.

Mais par contre, que ce que j’ai appelé le « savoir-faire » va bien au-delà
et y ajoute l’artifice que
nous imputons à Dieu tout à fait gratuitement, comme Joyce...
comme Joyce y insiste, parce que
c’est un truc qui lui a chatouillé quelque part ce qu’on appelle la pensée.

C’est pas Dieu qui a commis ce truc qu’on appelle l’Univers.


On impute à Dieu ce qui est l’affaire de l’artiste dont le premier
modèle est, comme chacun sait, le potier,
et qu’on dit que - avec quoi d’ailleurs ? - il a moulé, comme ça, ce
truc qu’on appelle, pas par hasard, l’Univers,
ce qui ne veut dire qu’une seule chose, c’est qu’y a d’l’Un. Yad’l’Un,
mais on ne sait pas où.
Il est plus qu’improbable que cet Un constitue l’Univers.
269
L’Autre de l’Autre Réel, c’est-à-dire impossible, c’est l’idée que
nous avons de l’artifice, en tant qu’il est un faire
f.a.i.r.e : n’écrivez pas ça f.e.r
...un faire qui nous échappe, c’est-à-dire qui déborde de beaucoup la
jouissance que nous en pouvons avoir.

Cette jouissance tout à fait mince, c’est ce que nous appelons «


l’Esprit ».

Tout ceci implique une notion du réel, bien sûr.


Bien sûr qu’il faut que nous la fassions distincte du symbolique et de
l’imaginaire.
Le seul ennui, c’est bien le cas de le dire, vous verrez tout à l’heure
pourquoi, c’est que le réel fasse sens dans cette affaire.

Alors que si vous creusez ce que je veux dire par cette notion du réel,
il apparaît que c’est pour autant que il n’a pas de sens...
qu’il exclut le sens, ou plus exactement qu’il se dépose d’en être exclu
...que le réel se fonde.

Voilà... Je vous raconte ça comme je le pense. C’est pour que vous


le sachiez, que je vous le dis.
La forme la plus dépourvue de sens de ce qui pourtant s’imagine,
c’est la consistance.
Rien ne nous force, hein, à imaginer la consistance, figurez-vous.

J’ai là un bouquin qui s’appelle Surface and Symbol 48 qui ajoute que
c’est une étude...

48
Robert Martin Adams : Surface and Symbol, The Consistency of James
Joyce’s Ulysses, Oxford University Press, 1967.

270
faut bien le savoir, car sans ce sous-titre comment le saurait-
on ?
...qui ajoute The Consistency of James Joyce’s Ulysses, par R - Robert - M.
Adams.

Il y a là comme quelque chose comme un pressentiment de la


distinction de l’imaginaire et du symbolique.
À preuve : un chapitre où après avoir intitulé le livre Surface and
Symbol, un chapitre tout entier qui s’interroge,
je veux dire qui met un point d’interrogation sur Surface or Symbol,
Surface ou Symbole.

La consistance là, qu’est-ce que ça veut dire ?

Ça veut dire ce qui tient ensemble. Et c’est bien pour ça que c’est
symbolisé, dans l’occasion, par la surface.
Parce que, pauvres de nous, nous n’avons idée de consistance que de
ce qui fait sac ou torchon.
C’est la première idée que nous en avons.

Même le corps, c’est comme peau retenant dans son sac un tas
d’organes, que nous le sentons.
En d’autres termes, cette consistance montre la corde.

Mais la capacité d’abstraction imaginative est si faible que de cette


corde...
cette corde montrée comme résidu de la consistance
...que de cette corde, elle exclut le nœud.

Or, c’est là-dessus - peut-être - que je peux apporter le seul grain de


sel dont en fin de compte
je me reconnaisse responsable : dans une corde, le nœud est tout ce
qui ex-siste...
au sens propre du terme, tel que je l’écris
271
...est tout ce qui ex-siste à proprement parler.

Ce n’est pas pour rien. Je veux dire ce n’est pas sans cause cachée
que j’ai dû - pour ce nœud y ménager un accès - commencer par la
chaîne où il y a des éléments qui sont distincts.
Éléments qui consistent alors en quelque forme de la corde, c’est-à-
dire :

ou bien en tant que c’est une droite que nous devons supposer infinie
pour que le nœud ne se dénoue pas,

ou bien en tant que ce que j’ai appelé rond de ficelle.

Autrement dit, corde qui se noue à elle-même, ou plus exactement


qui se joint d’une épissure de façon à ce que le nœud
à proprement parler, n’en constitue pas la consistance. Parce qu’il faut
tout de même distinguer consistance et nœud.
Le nœud ex-siste, ex-siste à l’élément corde, corde consistante.

Un nœud donc, ça peut se faire. C’est bien pour ça que j’en ai pris
le cheminement, de raboutages élémentaires.
J’ai procédé comme ça parce que il m’a semblé que c’était le plus
didactique.
Vu la mentalité - y a pas besoin de dire plus - la senti-mentalité
propre au parlêtre,
la mentalité en tant que, puisqu’il la sent, il en sent le fardeau. La
mentalité en tant qu’il ment. C’est un fait !

Qu’est-ce qu’un fait ? C’est justement lui qui le fait : il n’y a de fait
que du fait que le parlêtre le dise.
Il n’y a pas d’autres faits que ceux que le parlêtre reconnaît comme
tels en les disant.
Il n’y a de fait que d’artifice. Et c’est un fait qu’il ment ! C’est-à-dire
qu’il instaure dans la reconnaissance de faux faits.
272
Ceci parce qu’il a de la mentalité, c’est-à-dire de l’amour propre. C’est le
principe de l’imagination : il adore son corps.
Il l’adore parce qu’il croit qu’il l’a !
En réalité il l’a pas - mais son corps est sa seule consistance : mentale
bien entendu - son corps fout le camp à tout instant.

C’est déjà assez miraculeux qu’il subsiste durant un temps.


Le temps de cette consommation qui est de fait - du fait de le dire -
inexorable.
Inexorable en ceci que rien n’y fait, parce qu’elle n’est pas
résorptive. C’est un fait constaté même chez les animaux :
le corps ne s’évapore pas. Il est consistant. Et c’est ce qui lui est - à
la mentalité - antipathique.
Uniquement parce que, elle, elle y croit d’avoir un corps à adorer.
C’est la racine de l’imaginaire.

Je le panse - p.a.n.s.e, c’est-à-dire je le fais panse - donc je l’essuie. [Rires]


C’est à ça que ça se résume. C’est le sexuel qui ment là-dedans, de
trop s’en raconter.

Faute de l’abstraction imaginaire dite plus haut, celle qui se réduit à


la consistance, car le concret,
le seul que nous connaissions, c’est toujours l’adoration sexuelle.
C’est-à-dire la méprise. Autrement dit le mépris.
Ce qu’on adore est supposé - confer le cas de Dieu - n’avoir aucune
mentalité.

Ce qui n’est vrai que pour le corps considéré comme tel, je veux
dire adoré, puisque c’est le seul rapport que le parlêtre
a à son corps. Au point, que quand il en adore un autre - un autre
corps - c’est toujours suspect,
car cela comporte le même mépris véritable, puisqu’il s’agit de
vérité.

273
« Qu’est-ce que la vérité » comme disait l’autre ? Qu’est-ce que « dire...
comme pendant le début du temps que je déconnais, on me
reprochait de ne pas le dire
...qu’est-ce que « dire le vrai sur le vrai » ? C’est faire rien de plus que
ce que j’ai fait effectivement : suivre à la trace le réel.
Le réel qui ne consiste et qui n’ex-siste que dans le nœud.

Fonction de la hâte, hein ! Il faut que je me hâte, hein ! Naturellement


j’arriverai pas au bout. Quoique je n’ai pas musardé !
Mais boucler le nœud imprudemment, ça veut simplement dire aller
un peu vite.
Le nœud peut-être que je fais là, celui de droite ou celui de
gauche, est peut-être un peu insuffisant.

C’est même pour ça que j’en ai cherché où il y ait plus de


croisements que ça.
Mais tenons-nous en au principe. Au principe qu’il faut en somme
avoir trouvé.
J’y ai été conduit par le rapport sexuel, c’est-à-dire par l’hystérie, en
tant qu’elle est la dernière réalité perceptible...
comme Freud l’a aperçu fort bien
...la dernière ὕστερον [usteron] : réalité, sur ce qu’il en est du
rapport sexuel, précisément.
C’est là que Freud en a appris le b.a.ba. Ce qui l’a pas empêché de
poser la question WwdW : « Was will das Weib ? »
Il ne faisait qu’une erreur : il pensait qu’il y avait das Weib. Il n’y a
que ein Weib : WweW.
274
Alors maintenant quand même, je vais vous donner - comme ça -
un petit bout à manger. Voilà...
Je voudrais illustrer ça. Illustrer ça de quelque chose qui fasse
support, et qui est bien ce dont il s’agit dans la question.

J’ai déjà parlé, dans un temps, de l’énigme. J’ai écrit ça grand E indice
petit e : Ee. Il s’agit de l’énonciation et de l’énoncé.
Une énigme, comme le nom l’indique, est une énonciation telle qu’on
n’en trouve pas l’énoncé.

Dans le bouquin dont je vous parlais tout à l’heure, celui d’R.M.


Adams...
plus facile, je l’espère, à trouver que ce fameux Portrait of the Artist as
a Young Man,
que vous pouvez trouver quand même, à cette seule condition de
ne pas exiger
d’avoir au bout tout le criticisme que Chester Anderson a pris soin
d’y rajouter
...Surface and Symbol est édité à Oxford University Press, c’est facile à
avoir,
Oxford University Press a aussi un bureau à New York. Bon...

Alors là, dans ce R.M. Adams, vous y trouverez quelque chose qui
a son prix.
C’est à savoir que dans les premiers chapitres de Ulysses, quand il va
professer auprès de ce menu peuple qui constitue une classe, si
mon souvenir est bon, à Trinity Collège, Joyce...
c’est-à-dire, non pas Joyce, mais Stephen
...Stephen c’est-à-dire le Joyce qu’il imagine et - comme Joyce n’est
pas un sot - qu’il n’adore pas, bien loin de là,
il suffit qu’il parle de Stephen pour ricaner. C’est pas très loin de
ma position quand même, quand je parle de moi. Quand je parle en
tout cas de ce que je vous jaspine.
275
Alors, en quoi consiste l’énigme ?

C’est un art que j’appellerai d’entre-les-lignes pour faire allusion à la


corde.
On voit pas pourquoi les lignes de ce qui est écrit, ça ne serait pas
noué par une seconde corde.

Je me suis mis comme ça à rêver, et je dois dire que tout ce que j’ai
pu consommer d’histoire de l’écriture,
voire de théorie de l’écriture...
il y a un nommé Février qui a fait l’Histoire de l’écriture 49,
il y en a un autre qui s’appelle Gelb qui a fait une théorie de l’écriture 50
...l’écriture ça m’intéresse puisque je pense, comme ça...
qu’historiquement, historiquement c’est par des petits bouts d’écriture
qu’on est rentré dans le réel, à savoir qu’on a
cessé d’imaginer,
que l’écriture des petites lettres, des petites lettres mathématiques, c’est
ça qui supporte le réel.

Mais - bon Dieu ! - comment ça se fait ?

J’ai franchi - comme ça - quelque chose qui me semble, disons


vraisemblable :
je me suis dit que l’écriture ça devait toujours avoir quelque chose à
faire avec la façon dont nous écrivons le nœud.
Il est évident qu’un nœud ça s’écrit comme ça couramment :

49
James G. Février : Histoire de l'écriture, Payot, 1948.
50
Ignace Jay Gelb : Pour une théorie de l'écriture, Flammarion, 1973.
276
Ça donne déjà un S, c’est-à-dire quelque chose qui a tout de même
beaucoup de rapport avec L’instance de la Lettre,
telle que je la supporte. Et puis ça donne un corps, un corps
vraisemblable à la beauté.
Parce qu’il faut dire que il y avait un nommé Hogarth qui s’était
beaucoup interrogé sur la beauté,
et qui pensait que la beauté, ça avait toujours quelque chose à faire
avec cette double inflexion :

C’est une connerie, bien entendu.


Mais enfin ça tendrait à rattacher la beauté à quelque chose d’autre
qu’à l’obscène, c’est-à-dire au réel.
Il n’y aurait en somme que l’écriture de belle. Ce qui... pourquoi pas
? Bon !

Mais revenons à Stephen, qui commence aussi par un S. Stephen


c’est Joyce en tant qu’il déchiffre sa propre énigme.
Il ne va pas loin. Il ne va pas loin parce qu’il croit à tous ses
symptômes. C’est très frappant.

Il commence par... Il commence ! - il a commencé bien avant, il a


crachoté quelques petits morceaux, des poèmes même... Ses poèmes,
c’est pas ce qu’il a fait de mieux. Ma foi, il croit à des choses. Il
croit à la « conscience incréée de sa race ».
C’est comme ça que ça se termine Le Portrait de l’Artiste comme -
considéré comme - un jeune homme.
Il est évident que ça va pas loin. Mais enfin, il termine bien. Ouais !

277
Il y a Old Father, 27 Avril, c’est la dernière phrase du Portrait of an
Artist - of the Artist ! - vous voyez, j’ai fait le lapsus, hein !
Portrait d’un Artiste, as a Young Man, alors qu’il se croyait The Artist
...« Old father, old artificer, stand me now and ever in good stead » 51: « Tenez-
moi au chaud d’alors et de maintenant ».
C’est à son père qu’il adresse cette prière.
Son père qui justement se distingue d’être - bof - ce que nous
pouvons appeler un père indigne, un père carent,
celui que dans tout Ulysses il se mettra à chercher sous des espèces
où il le trouve à aucun degré.

Parce que il y a évidemment un père quelque part qui est Bloom,


un père qui se cherche un fils,
mais Stephen lui oppose un « très peu pour moi », après le père que j’ai
eu, j’en ai soupé : plus de père !
Et surtout que ce Bloom, ce Bloom en question n’est pas tentant.

Mais enfin, il est singulier qu’il y ait cette gravitation entre les
pensées de Bloom et de Stephen qui se poursuivent
pendant tout le roman, et même au point que le Adams...
dont le nom respire plus de juiverie que Broom [lapsus]...
que Bloom [rires]
...que le Adams... que le Adams soit très frappé... soit très frappé de
certains petits indices qu’il découvre,
qu’il découvre singulièrement comme étant par trop
invraisemblable d’attribuer à Bloom
une connaissance de Shakespeare que manifestement il n’a pas.

Une connaissance de Shakespeare qui d’ailleurs n’est pas, n’est pas


du tout forcément la bonne.

51
April 27 : « Old father, old artificer, stand me now and ever in good
stead ». Dublin 1904, Trieste 1914
278
Quoique ce soit celle que Stephen ait. Parce que c’est supposer à
Shakespeare des relations avec un certain herboriste
qui habitait dans le même coin que Shakespeare à Londres. Et que
malgré tout, ça c’est vraiment pure supposition.

Que la chose vienne à l’esprit de Bloom est quelque chose que...


qu’Adams souligne,
souligne comme dépassant les limites de ce qui peut être justement
imputé à Bloom.
À la vérité il y a tout un chapitre...
qui est celui dont je vous ai parlé : Surface or Symbol
...il y a tout un chapitre où il ne s’agit strictement que de ça.

C’est au point qu’il culmine dans un Blephen...


puisque tout à l’heure j’ai fait un lapsus : Blephen et Stoom
...Blephen et Stoom qui se rencontrent dans le texte du Ulysses, et
qui montrent manifestement
que c’est pas seulement du même signifiant qu’ils sont faits, c’est
vraiment de la même matière.

Ulysses, c’est le témoignage de ce par quoi Joyce reste enraciné dans


son père tout en le reniant,
et c’est bien ça qui est son symptôme. J’ai dit qu’il était le symptôme.
Toute son œuvre en est un long témoignage.
« Exiles » c’est vraiment l’approche de quelque chose qui est pour
lui, enfin, le symptôme, le symptôme central,
dont bien entendu ce dont il s’agit c’est du symptôme fait de la
carence propre au rapport sexuel.

Mais cette carence ne prend pas n’importe quelle forme. Il faut


bien que cette carence prenne une forme.
Et cette forme c’est celle de ce qui le noue à sa femme, à ladite
Nora pendant le règne de laquelle il élucubre les Exiles, les Exilés
comme on l’a traduit, alors que ça veut aussi bien dire les exils.
279
Exil, il ne peut pas y avoir de meilleur terme pour exprimer le non-
rapport.
Et c’est bien autour de ce non-rapport que tourne tout ce qu’il y a
dans Exiles.

Le non-rapport c’est bien ceci : c’est que, il y a vraiment aucune


raison pour que « Une femme entre autres »
il la tienne pour sa femme, que « Une femme entre autres » c’est aussi
bien celle qui a rapport à « n’importe quel autre homme ».
Et c’est bien de ce n’importe quel autre homme qu’il s’agit dans le
personnage qu’il imagine et pour lequel
- à cette date de sa vie - il sait ouvrir le choix de l’Une femme en
question, qui n’est autre dans l’occasion que Nora.

Le portrait qu’il a fini à l’époque, celle que j’évoquais à propos de


« la conscience incréée de sa race » à propos de laquelle
il invoque l’artificer par excellence que serait son père. Alors que
c’est lui l’artificer, que c’est lui qui sait ce qu’il a à faire,
mais qui croit qu’il y a une conscience incréée d’une race
quelconque. En quoi c’est une grande illusion.
Qui croit aussi qu’il y a un book of himself. Quelle idée de se faire être
un livre !
Ça ne peut venir vraiment qu’à un poète rabougri. À un bougre de
poète. Pourquoi ne dit-il pas plutôt qu’il est un nœud ?

Ulysses, venons-en là : qu’on puisse l’analyser, car c’est sans aucun


doute ce que réalise un certain Chechner...
comme ça, pendant que je rêvais, j’ai cru qu’il s’appelait Checher,
c’était plus facile à écrire.
Non, il s’appelle Chechner, c’est regrettable. Il n’est pas « Checher »
du tout...
...il s’imagine qu’il est analyste, il s’imagine qu’il est analyste parce
qu’il a lu beaucoup de livres analytiques...
c’est une illusion assez répandue, parmi les analystes justement
280
...et alors, il analyse Ulysses.

Ça donne... ça fait une impression absolument terrifiante -


contrairement à Surface and Symbol - cette analyse d’Ulysses.
Exhaustive naturellement ! Parce que... on peut... on peut pas
s’arrêter quand on analyse un bouquin, n’est-ce-pas ?

Freud quand même n’a fait là-dessus que des articles, et des articles
limités, n’est-ce pas...
D’ailleurs, mis à part Dostoïevski, il n’a pas - à proprement parler -
analysé de roman.
Il a fait une petite allusion à Rosmersholm d’Ibsen, mais enfin il s’est
contenu.

Ça donne vraiment l’idée que l’imagination du romancier, je veux


dire celle qui règne dans Ulysses est à jeter au panier.
C’est pas du tout - d’ailleurs - quelque chose que... qui soit mon
sentiment.
Mais il faut tout de même s’obliger à y ramasser dans cet Ulysses
quelques vérités premières.

Et c’est ce que j’abordais à propos de l’énigme.


Voilà ce qu’à ses élèves propose le cher Joyce, Joyce sous les
espèces de Stephen, comme énigme.
C’est une énonciation :

The cok crew


Le coq cria
The sky was blue
Le ciel était bleu
The bells in heaven
Les cloches dans le ciel
Were striking eleven
Étaient sonnante onze heures
281
T’is time for this poor soul
Il est temps pour cette pauvre âme
To go to heaven
D’aller au paradis

Je vous donne en mille quelle est la clé, quelle est la réponse.


C’est celle qu’après - bien sûr - que toute la classe ait donné sa
langue au chat, Joyce fournit :
The fox burrying His grand’mother Under the bush, c’est : « le renard
enterrant sa grand-mère sous un buisson ».

Ça n’a l’air de rien [rires], mais il est incontestable que, à côté de


l’incohérence de l’énonciation...
dont je vous fais remarquer qu’elle est en vers, c’est-à-dire que c’est
un poème, que c’est suivi, que c’est une création
...qu’à côté de ça, ce fox, ce petit renard qui enterre sa grand-mère
sous un buisson,
est vraiment une misérable chose, hein ! Ouais...

Qu’est-ce que ça peut avoir comme écho pour, je ne dirai pas bien
sûr pour les gens qui sont dans cette enceinte,
mais pour ceux qui sont analystes ? C’est que l’analyse, c’est ça !
C’est la réponse à une énigme.
Et une réponse - il faut bien le dire, par cet exemple - tout à fait
spécialement conne.
C’est bien pour ça que... il faut garder la corde. Je veux dire que si
on n’a pas l’idée de où ça aboutit, la corde,
au nœud du non-rapport sexuel, on risque de... on risque de bafouiller.

Le sens – Ah ! Il faudrait que je vous montre ça - le sens résulte d’un


champ entre l’imaginaire et le symbolique, cela va de soi, bien sûr.
Parce que si nous pensons qu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre, tout au
moins pas de jouissance de cet Autre de l’Autre,

282
il faut bien que nous fassions la suture quelque part. Ici
nommément : entre ce symbolique qui seul s’étend là,
et cet imaginaire qui est ici. Bien sûr, ici, le (a), la cause du désir.
Ouais...

Il faut bien que nous fassions quelque part le nœud.


le nœud de l’imaginaire et du savoir inconscient, que nous fassions ici,
quelque part, une épissure :

Tout ça pour obtenir un sens. Ce qui est l’objet de la réponse de


l’analyste à l’exposé par l’analysant tout au long
de son symptôme. Quand nous faisons cette épissure, nous en faisons
du même coup une autre, celle ici :
entre précisément ce qui est symptôme et le réel.

C’est-à-dire que, par quelque côté, nous lui apprenons à épisser -


avec deux s - à faire épissure entre son sinthome
et le réel parasite de la jouissance, ce qui est caractéristique de notre
opération.

Rendre cette jouissance possible, c’est la même chose que ce que


j’écrirai « j’ouis-sens ».

283
C’est la même chose que d’ouïr un sens. C’est de suture et d’épissure
qu’il s’agit dans l’analyse.
Mais il faut dire que les instances, nous devons les considérer
comme séparées réellement :
imaginaire, symbolique et réel ne se confondent pas.

Trouver un sens implique de savoir quel est le nœud, et de le bien


rabouter grâce à un artifice.
Faire un nœud avec ce que j’appellerai une « chaî-nœud » borroméenne,
est-ce qu’il n’y a pas là abus ?

C’est sur cette question - que je laisserai pendante - que je vous


quitte.

J’ai pas laissé le temps à ce cher Jacques Aubert...


à qui je comptais confier le crachoir pendant le reste de la séance
...de vous parler maintenant.

Il est temps que nous nous séparions, mais la prochaine fois, étant
donné ce que j’ai entendu de lui...
puisqu’il a eu la bonté de m’appeler vendredi par téléphone
...étant donné ce que j’ai entendu de lui, je crois qu’il pourra, sur ce
qu’il en est du Bloom en question...
à savoir - mon Dieu - de quelqu’un qui n’est pas plus mal placé
qu’un autre
pour piger quelque chose à l’analyse, puisque c’est un juif
...que sur ce Bloom, et sur la façon dont est ressentie la suspension,
entre les sexes, celle qui fait que le nommé Bloom
ne peut que s’interroger s’il est un père ou une mère, c’est quelque
chose qui fait le texte de Joyce.

Ce qui assurément a mille irradiations dans ce texte de Joyce, c’est à


savoir qu’au regard de sa femme,

284
il a les sentiments d’une mère, il croit la porter dans son ventre et
que c’est bien là, somme toute,
le pire égarement de ce qu’on peut éprouver vis-à-vis de quelqu’un
qu’on aime.

Et pourquoi pas ! Il faut bien expliquer l’amour, et l’expliquer par


une sorte de folie,
c’est bien la première chose qui soit à la portée de la main.

C’est là-dessus que je vous quitte, et que j’espère que pour cette
séance d’entrée, vous n’avez pas été trop déçus.

285
1976.04.13. Le Sinthome. Leçon 10
D’habitude, j’ai quelque chose à vous dire. Mais je souhaiterais
comme ça, aujourd’hui...
je souhaiterais parce que j’ai une occasion : c’est le jour de mon
anniversaire [applaudissements]
...je souhaiterais que je puisse vérifier si je sais ce que je dis. Malgré
tout, dire, ça vise à être entendu.
Je voudrais vérifier, en somme, si je ne me contente pas de parler
pour moi. Comme tout le monde le fait, bien sûr.
Si l’inconscient a un sens, c’est bien ça. Je dis : « si l’inconscient a un
sens... »

Je préférerais donc que - aujourd’hui - quelqu’un...


je ne demande pas des merveilles, je ne demande pas du tout que
l’étincelle jaillisse
...j’aurais aimé sans doute que quelqu’un écrive quelque chose qui
en somme justifierait cette peine que je me donne
depuis environ vingt-deux ans, un peu plus.

La seule façon de le justifier ça serait que quelqu’un invente


quelque chose qui puisse, à moi, me servir.
Je suis persuadé que c’est possible.

J’ai inventé ce qui s’écrit comme : « le Réel ».


Naturellement, il ne suffit pas de l’écrire Réel, parce que pas mal de
gens l’on fait avant moi.
Mais ce Réel, je l’ai écrit sous la forme de ce que on appelle le nœud
borroméen,
qui n’est pas un nœud, qui est une chaîne, une chaîne ayant
certaines propriétés.

Et sous la forme minimale sous laquelle j’ai tracé cette chaîne, il en


faut au moins trois : le Réel c’est ça.

286
C’est ça qui consiste à appeler un de ces trois : Réel. Ça veut dire là
qu’il y a trois éléments.
Et que ces trois éléments, en somme, tels qu’ils sont dits noués - en
réalité enchaînés - font métaphore.

Ça n’est rien de plus, bien sûr, que métaphore de la chaîne.


Comment se peut-il qu’il y ait une métaphore de quelque chose qui,
qui n’est que nombre ?
Cette métaphore on l’appelle, à cause de ça, « le chiffre ».
Il y a un certain nombre de façons de tracer ces chiffres, enfin, la
façon la plus simple c’est celle que j’ai appelée du trait unaire :
de faire un certain nombre de traits, ou de points d’ailleurs, et ça
suffit à indiquer un nombre.

Il y a quelque chose d’important, c’est que ce qu’on appelle


« l’énergétique », ça n’est rien d’autre que la manipulation
d’un certain nombre de nombres, un certain nombre de nombres
d’où on extrait un nombre constant. C’était ça à quoi Freud...
se référant à la science, à la science telle qu’on la concevait
de son temps
...à quoi Freud se référait, c’est-à-dire qu’il n’en faisait qu’une
métaphore.

L’idée d’une énergétique psychique, il ne l’a jamais vraiment, vraiment


fondée.
Il n’aurait même pas pu en tenir la métaphore avec quelque
vraisemblance.
L’idée d’une constante, par exemple, liant le stimulus à ce qu’il
appelle « la réponse », est quelque chose de tout à fait insoutenable.

Dans la métaphore de la chaîne, de la chaîne borroméenne, je dis


que j’ai inventé quelque chose.
Qu’est-ce que c’est qu’inventer ? Est-ce que c’est une idée ?

287
Que ceci ne vous empêche pas quand même, d’essayer dans un
instant de me poser une question qui me récompense.
Qui me récompense non pas de l’effort que je fais pour l’instant
parce que, justement ce que je pense pour l’instant,
c’est que ce que je vous dis, pour l’instant, n’a pas beaucoup de
chance d’obtenir une réponse.

Est-ce que c’est une idée, cette idée du Réel ?


J’entends : telle qu’elle s’écrit dans ce qu’on appelle le nœud
borroméen, qui - je le souligne - est une chaîne. C’est pas une idée !

C’est pas une idée qui se soutienne parce que c’est en somme là
qu’on touche que l’idée, l’idée qui vient comme ça, l’idée qui vient
quand on est couché, parce qu’en fin de compte c’est ça l’idée - au
moins réduite à sa valeur analytique - c’est une idée qui vous vient
quand on est couché. Qu’on soit couché ou debout, l’effet de
chaîne qu’on obtient par l’écriture ne se pense pas aisément.
Je veux dire que, à mon expérience tout au moins, il n’est pas du
tout aisé de dire comment une chaîne, une chaîne composée d’un
certain nombre d’éléments - même à les réduire à trois - ça ne
s’imagine pas facilement, ça ne s’écrit pas facilement.
Et il vaut mieux y être rompu d’avance pour être sûr de réussir à en
donner l’écriture.
C’est très exactement ce dont vous avez eu mille fois le témoignage
par moi-même, dans des erreurs - les lapsus de plume –
que j’ai faites cent fois devant vous en essayant de faire - quoi ? - de
faire une écriture qui symbolise cette chaîne.

Je considère que d’avoir énoncé, sous la forme d’une écriture le Réel


en question, a la valeur de ce qu’on appelle généralement
« un traumatisme ». Non pas que ç’ait été ma visée de traumatiser
quiconque, surtout de mes auditeurs,
auxquels je n’ai aucune raison d’en vouloir au point de leur causer
ce qu’on appelle généralement un traumatisme.
288
Disons que c’est un forçage. Un forçage d’une nouvelle écriture.
Une écriture qui, par métaphore, a une portée qu’il faut bien
appeler symbolique.
C’est un forçage d’un nouveau type, si je puis dire, d’idée qui n’est
pas une idée qui fleurit, en quelque sorte spontanément,
du seul fait de ce qui fait sens en somme, c’est-à-dire de l’Imaginaire.

Ce n’est pas non plus que ce soit quelque chose de tout à fait
étranger. Je dirai même plus, c’est ça qui rend sensible,
qui fait toucher du doigt - mais de façon tout à fait illusoire - ce que
peut être ce qu’on appelle « la réminiscence ».

La réminiscence consiste à imaginer à propos de quelque chose qui


fait fonction d’idée, mais qui n’en est pas une,
on s’imagine qu’on se la « réminisce », si je puis m’exprimer ainsi.
C’est en ça que les deux fonctions sont distinguées dans Freud...
parce que il avait le sens des distinctions
...c’est en ça que la réminiscence est distincte de la remémoration.

La remémoration, c’est évidemment quelque chose que Freud à


tout à fait forcé. Qu’il a forcé grâce au terme « impression ».
Il supposait que dans le système nerveux, il y avait des choses qui
s’imprimaient.
Et ces choses qui s’imprimaient dans le système nerveux, il les
pourvoit de lettres, ce qui est déjà trop dire,
parce que il n’y a aucune raison qu’une impression se figure comme ce
quelque chose de si déjà éloigné de l’impression qu’est une lettre.
Parce que une lettre, il y a déjà un monde entre une lettre et un
symbole phonologique.

L’idée dont Freud porte le témoignage dans l’Esquisse, en figurant


par des réseaux, des réseaux,

289
bien sûr que ces réseaux, c’est peut-être ce qui m’a incité à leur
donner une nouvelle forme plus rigoureuse,
c’est-à-dire à faire de ces réseaux quelque chose qui s’enchaîne, au
lieu de simplement se tresser.

La remémoration à proprement parler, c’est faire entrer...


et c’est certain que ce n’est pas facile - je pense que je vous en ai
donné le témoignage –
ce n’est pas facile de faire entrer la chaîne ou le nœud mis sous le
patronage des Borromée
...c’est pas facile de le faire entrer dans ce qui est déjà là...
les lapsus que j’ai faits, fréquents, en essayant de les tracer sur
quelque chose comme ce bout de papier, en sont la preuve
...quelque chose qui est déjà là et qui se nomme le savoir.

J’ai essayé d’être rigoureux en faisant remarquer que ce que Freud


supporte comme l’inconscient suppose toujours un savoir,
et un savoir parlé, comme tel. Que c’est le minimum que suppose
le fait que l’inconscient puisse être interprété.
Il est entièrement réductible à un savoir. Après quoi, il est clair que
ce savoir exige au minimum deux supports, n’est-ce pas,
qu’on appelle termes, en les symbolisant de lettres.

D’où mon écriture du savoir comme se supportant de S - non pas à


la deuxième puissance - de S avec cet indice qui le supporte, cet
indice d’un petit 2 dans le bas - ça n’est pas le S au carré - c’est le S
« supposé être 2 » : S2.
La définition que je donne de ce signifiant, comme tel - et que je
supporte du S indice 1 : S1 - c’est de représenter un sujet,
comme tel, et de le représenter vraiment. Vraiment veut dire dans
l’occasion : conformément à la réalité.
Le Vrai est dire conforme à la réalité. La réalité qui est dans
l’occasion ce qui fonctionne, ce qui fonctionne vraiment.

290
Mais ce qui fonctionne vraiment n’a rien à faire avec ce que je
désigne du Réel.

C’est une supposition tout à fait précaire que mon Réel...


faut bien que je me le mette à mon actif
...que mon Réel conditionne la réalité, la réalité de votre audition par
exemple.

Il y a là un abîme dont on est loin de pouvoir assurer qu’il se


franchit. En d’autres termes, l’instance du savoir...
que Freud renouvelle, je veux dire rénove sous la forme de
l’inconscient
...est une chose qui ne suppose pas du tout obligatoirement le Réel
dont je me sers.

J’ai véhiculé beaucoup de ce qu’on appelle Chose freudienne. J’ai


même intitulé une chose que j’ai écrite La Chose freudienne.
Mais dans ce que j’appelle le Réel, j’ai inventé. J’ai inventé quelque
chose, non pas parce que... Ça s’est imposé à moi,
peut-être qu’il y en a qui se souviennent comment, et à quel moment
a surgi ce fameux nœud qui est tout ce qu’il y a de plus figuratif.
C’est le maximum qu’on puisse en figurer, de dire que à l’Imaginaire
et au Symbolique, c’est-à-dire à des choses qui sont
très étrangères, le Réel - lui - apporte l’élément qui peut les faire
tenir ensemble, c’est quelque chose dont je peux dire
que je le considère comme n’étant rien de plus que mon symptôme.

Je veux dire que...


si tant est que il y ait ce qu’on puisse appeler une élucubration
freudienne
...que c’est ma façon à moi de porter à son degré de symbolisme, au
second degré, c’est dans la mesure où Freud a articulé l’inconscient
que j’y réagis, mais déjà nous voyons là que c’est une façon de
porter le sinthome lui-même au second degré.
291
C’est dans la mesure où Freud a vraiment fait une découverte...
et à supposer que cette découverte soit vraie
...qu’on peut dire que le Réel est ma réponse symptomatique.

Mais la réduire à être symptomatique n’est évidemment pas rien.


La réduire à être symptomatique, c’est aussi réduire toute « invention »
au sinthome.

Changeons de place : à partir du moment où on a une mémoire :

a-t-on une mémoire ?


Peut-on dire qu’on fasse plus à dire qu’on l’a, que d’imaginer qu’on l’a,
d’imaginer qu’on en dispose ?
Je devrais dire qu’on en « dire-s-pose » : on a à dire.

Et c’est en quoi la langue - la langue que j’ai appelée lalanglaise - a


toutes sortes de ressources : « I have to tell ».
J’ai à dire : c’est comme ça que on traduit. C’est d’ailleurs un
anglicisme. Mais qu’on puisse dire non seulement « have » mais
« awe » (a,w,e) : « I awe to tell » donne le glissement : « j’ai à dire »
devient « je dois dire ».
Et qu’on puisse, dans cette langue, mettre l’accent sur le verbe
d’une façon telle qu’on puisse dire :
« I do make », j’insiste en somme sur le fait que par ce « making », il
n’y a que fabrication.

Qu’on puisse également séparer la négation sous cette forme qu’on


dise :
« I don’t », ce qui veut dire je m’abstiens de faire quelque chose,
« I don’t talk », « Je ne choisis pas de parler »,
de parler quoi ? Dans le cas de Joyce, c’est le gaëlique !

292
Ceci suppose, implique qu’on choisit de parler la langue qu’on parle
effectivement. En fait, on ne fait que s’imaginer la choisir.
Et ce qui résout la chose, c’est que cette langue, en fin de compte
on la crée.
On crée une langue pour autant qu’à tout instant on lui donne sens.
Il n’est pas réservé aux phases où la langue se crée : à tout instant
on donne un petit coup de pouce,
sans quoi la langue serait pas vivante, elle est vivante pour autant
qu’à chaque instant on la crée.

C’est en cela qu’il n’y a pas d’inconscient collectif, qu’il n’y a que
des inconscients particuliers,
pour autant que chacun, à chaque instant, donne un petit coup de
pouce à la langue qu’il parle.

Donc, il s’agit pour moi de savoir si je ne sais pas ce que je dis


comme vrai.
C’est à chacun de ceux qui sont ici de me dire comment vous
l’entendez. Et spécialement sur ceci :
que quand je parle... parce qu’après tout ce n’est pas sûr que ce que
je dise du Réel soit plus que de parler à tort et à travers.

Dire que le Réel est un sinthome - le mien - n’empêche pas que


l’énergétique, dont j’ai parlé tout à l’heure, le soit moins.
Quel serait le privilège de l’énergétique, si ce n’est que, on l’a...
à condition de faire les bonnes manipulations, les manipulations
conformes à un certain enseignement mathématique
... on trouve toujours un nombre constant.

Mais on sent bien à tout instant que c’est une exigence, si on peut
dire, préétablie.
C’est-à-dire que... il faut qu’on obtienne la constante. Et que c’est ça
qui constitue en soi l’énergétique.
C’est que, il faut trouver un truc pour trouver la constante.
293
Le truc convenable, celui qui réussit, est supposé conforme à ce
qu’on appelle la réalité.

Mais je fais distinction de cet organe, si je puis dire...


de cet organe qui n’a absolument rien à faire avec un organe
charnel
... je fais tout à fait distinction de cet organe...
par quoi Imaginaire et Symbolique sont, comme on dit, noués,
... je fais tout à fait distinction de ce supposé Réel, par rapport à ce
qui sert à fonder la science de la réalité.

Le Réel dont il s’agit est illustré par ce nœud mis à plat, est illustré
du fait que dans ce nœud mis à plat,
j’y montre un champ comme essentiellement distinct du Réel, qui
est le champ du sens.
À cet égard, on peut dire que le Réel a et n’a pas un sens au regard de
ceci : c’est que le champ en est distinct.
Que le Réel n’ait pas de sens, c’est ce qui est figuré par ceci :

c’est que le sens est là, et que le Réel est là, et qu’ils ne sont pas...
qu’ils sont distincts comme champs notamment.

Le frappant est ceci : c’est que le Symbolique se distingue d’être


spécialisé, si l’on peut dire, comme trou.
Mais que le vrai trou est ici. Il est ici où se révèle que : il n’y a pas
d’Autre de l’Autre.
Que ça serait là la place...
de même que le sens c’est l’Autre du Réel
... que ce serait là sa place, mais qu’il n’y a rien de tel.
294
À la place de l’Autre de l’Autre, il n’y a aucun ordre d’existence. C’est
bien en quoi je peux penser
que le Réel, lui non plus, est en suspens si l’on peut dire,
que le Réel peut être ce à quoi je l’ai réduit, sous forme de question, à
savoir à n’être qu’une réponse à l’élucubration de Freud, dont on peut dire
que tout de même elle répugne à l’énergétique, qu’elle est tout à fait en
l’air au regard de cette énergétique,
et que la seule conception qui puisse y suppléer, à ladite
énergétique, c’est celle que j’ai énoncé sous le terme de Réel.

Voilà !

295
QUESTIONS

Question I

« Si la psychanalyse est un symptôme, qu’est-ce vous faites... est-ce que ce que


vous faites avec votre nœud et vos mathomes... [lapsus de Lacan]
...et vos mathèmes [Rires] ...Si la psychanalyse - me pose-t-on comme
question - est un sinthome…
je n’ai pas dit que la psychanalyse était un sinthome
...est-ce que ce que vous faites avec votre nœud et vos mathèmes, ce n’est
pas déchiffrer, avec la conséquence d’en dissiper la signification ? »

Je ne pense pas que la psychanalyse soit un sinthome.

Je pense que la psychanalyse est une pratique dont l’efficacité, malgré


tout tangible, implique que je fasse ce qu’on appelle mon nœud...
à savoir ce nœud triple
... implique ceci pour moi.

Et c’est en ça que je suspends cet abord de ce tiers qui se distingue


de la réalité et que j’appelle le Réel,
c’est en ça que je peux pas dire « je pense », puisque c’est une pensée
encore tout à fait fermée,
c’est-à-dire au dernier terme énigmatique.

La distinction du Réel par rapport à la réalité est quelque chose dont


je suis pas sûr que ça se confonde avec, je dirai
la propre valeur que je donne au terme Réel. Le Réel étant dépourvu
de sens, je ne suis pas sûr que le sens de ce Réel
ne pourrait pas s’éclairer d’être tenu pour rien moins que sinthome.
296
C’est là ce que, à la question qui m’est posée, je réponds.

C’est dans la mesure où je crois pouvoir, de quelque chose qui est


une topologie grossière, supporter ce qui est en cause,
à savoir la fonction même du Réel comme distingué - distingué par
moi - de ce que je crois pouvoir tenir avec certitude...
avec certitude parce que j’en ai la pratique
... du terme d’« Inconscient ».

C’est dans cette mesure...


et dans la mesure où l’Inconscient ne va pas sans référence au corps
... que je pense que la fonction du Réel peut en être distinguée.

Question II

« Si selon la Genèse...
je vous lis les choses qu’on a eu la bonté de m’écrire, ce qui
n’est pas plus mal qu’autre chose,
étant donné ce que j’ai dit : que le Réel tient à l’écriture
Si selon la Genèse, traduite par André Chouraqui, Dieu créa - à l’homme -
une aide, une aide contre lui,
qu’en est-il du psychanalyste comme « aide contre » ?

Je pense qu’effectivement le psychanalyste ne peut pas se concevoir


autrement que comme un sinthome.
C’est pas la psychanalyse qui est un sinthome, c’est le
psychanalyste.

C’est en ça que je répondrai à ce qui m’avait été posé comme


question tout à l’heure :
c’est que c’est le psychanalyste qui est en fin de compte une aide,
dont aux termes de la Genèse, on peut dire que c’est en somme un
retournement,
297
puisqu’aussi bien l’Autre de l’Autre, c’est ce que je viens de définir à
l’instant comme là, le petit trou.
Que ce petit trou à lui tout seul puisse fournir une aide, c’est
justement en ça que l’hypothèse de l’Inconscient a son support.

L’hypothèse de l’Inconscient, Freud le souligne, c’est quelque chose


qui ne peut tenir qu’à supposer le Nom-du-Père.
Supposer le Nom-du-Père, certes, c’est Dieu.

C’est en ça que la psychanalyse, de réussir, prouve que le Nom-du-


Père on peut aussi bien s’en passer :
on peut aussi bien s’en passer à condition de s’en servir.

298
Question III

« Chaque acte de parole, coup de force d’un Inconscient particulier, n’est-il pas
- me pose-t-on la question - n’est-il pas collectivisation de l’Inconscient ? »

Mais c’est que si chaque acte de parole est un coup de force d’un
Inconscient particulier, il est tout à fait clair que
- comme nous en avons la théorie - chaque acte de parole peut
espérer être un dire. Et le dire aboutit à ce dont il y a la théorie,
la théorie qui est le support de toute espèce de révolution, enfin,
c’est une théorie de la contradiction. On peut dire des choses
très diverses, chacune étant à l’occasion contradictoire, et que de là
il sorte une réalité qu’on présume être révolutionnaire.

Mais c’est très précisément ce qui n’a jamais été prouvé.


Je veux dire que ce n’est pas parce qu’il y a du remue-ménage
contradictoire que rien en soit jamais sorti comme constituant une
réalité. On espère qu’une réalité en sortira, mais c’est bien ce qui ne
s’est jamais avéré comme tel.

Question IV

« Quelle limite assignez-vous au champ de la métaphore ? »

Ça, c’est une très bonne question. Ça n’est pas parce que la droite
est infinie qu’elle n’a pas de limite, car la question continue par :

« Sont-ils infinis - les champs de la métaphore - sont-ils infinis comme


la droite, par exemple ? »

299
Il est certain que le statut de la droite mérite réflexion.
Qu’une droite coupée soit assurément finie, comme ayant des
limites, ne dit pas pour autant qu’une droite infinie soit sans limite.
C’est pas parce que le fini a des limites qu’une droite infinie...
puisqu’elle peut être supposée comme ayant ce qu’on appelle un
point à l’infini, c’est-à-dire en somme faisant cercle
...ça n’est pas pour autant que la droite suffise à métaphoriser
l’infini.

Ce que pose comme question cette question de la droite, c’est


justement ceci : c’est que la droite n’est pas droite.
Mis à part le rayon lumineux qui semble nous donner - et chacun
sait qu’il ne nous donne pas - une image.

Il ne nous donne pas, à condition de le supposer...


comme il semble bien, aux dernières nouvelles d’Einstein
...de le supposer flexible : il s’infléchit ce rayon lumineux, lui-même.
Il s’infléchit quoiqu’il donne à la courte portée
- à la nôtre de courte portée - quoiqu’il donne toute apparence de
ne pas l’être, à savoir de réaliser la droite.

Comment concevoir une droite qui, à l’occasion, se tord ? C’est


évidemment un problème que soulève ma question du Réel :
elle implique, en quelque sorte, qu’on puisse poser des questions
comme - mon Dieu - celle que Lénine posait.
À savoir que... il est dit, expressément formulé, qu’une droite
pouvait être tordue.

II l’a impliqué dans une métaphore qui était la sienne et qui se


supportait de ceci :
que même un bâton peut l’être, et qu’un bâton étant ce qu’on
appelle grossièrement l’image d’une droite,
un bâton peut être - du seul fait d’être bâton - tordu, et du même
coup en position de pouvoir être redressé.
300
Quel est le sens de ce « redressé » par rapport à l’usage que nous
pouvons faire dans le nœud borroméen
que j’ai déjà ici représenté comme deux droites y intervenant
expressément :

C’est en effet la question : quelle peut être la définition de la droite


en dehors du support de ce qu’on appelle - à courte portée –
le rayon lumineux ? II n’y en a aucun autre que ce qu’on appelle le
plus court chemin d’un point à un autre.
Mais comment savoir quel est le plus court chemin d’un point à un
autre ?
Question V

« Je m’attends toujours à ce que vous jouiez sur les équivoques.


Vous avez dit : « Y a d’l’Un », vous nous parlez du Réel comme impossible.
Vous n’appuyez pas sur Un-possible. À propos de Joyce vous parlez de
paroles imposées...
Vous n’appuyez pas sur le Nom-du Père, comme Un-posé. »

Lacan

Ça, c’est une chose qui est signée.


Qui est-ce qui s’attend toujours à ce que je joue sur les équivoques
saintes ?
Je ne tiens pas spécialement aux équivoques saintes. Je crois que...
il me semble que je les démystifie.

301
Yad’lun. Il est certain que cet Un m’embarrasse fort. Je ne sais qu’en
faire, puisque, comme chacun sait, l’Un n’est pas un nombre.
Et même qu’à l’occasion je le souligne. Je parle du Réel comme
impossible dans la mesure où je crois justement que le Réel...
enfin... « je crois » : si c’est mon symptôme, dites-le moi
...où je crois que le Réel est, il faut bien le dire, sans loi.

Le vrai Réel implique l’absence de loi. Le Réel n’a pas d’ordre. Et


c’est ce que je veux dire, en disant que la seule chose que
- peut-être - j’arriverai un jour à articuler devant vous, c’est quelque
chose qui concerne ce que j’ai appelé « un bout de Réel ».

Question VI

« Que pensez-vous du remue-ménage contradictoire qui s’effectue depuis quelques


années en Chine ? »

Lacan - J’attends. Mais je n’espère rien. [Rires]

Question VII

« Le point se définit de l’intersection de trois plans. Peut-on dire qu’il est réel ?
L’écriture de traits, en tant qu’alignement de points... l’écriture, le trait en
tant qu’alignement de points sont-ils réels, au sens - je suppose que ça doit
être écrit : au sens où vous l’entendez ? »

C’est écrit : « au sens que vous l’entendez ». [Rires] Non, y a pas de quoi
rire.
Il est certain que c’est une question qui vaut tout à fait la peine
d’être posée :
que le point se définit de l’intersection de trois plans, et avec la
question qui est posée à son terme : « peut-on dire qu’il est réel ? ».

302
Comme certainement l’implication de ce que j’appelle la chaîne
borroméenne est qu’il n’y ait entre tout ce qui est consistant
dans cette chaîne, qu’il n’y ait à proprement parler aucun point
commun, exclut certainement le point comme tel, du Réel.
Parce que, qu’une figuration du Réel ne puisse se supporter que de
cette hypothèse qu’il n’y ait aucun point commun,
qu’il n’y ait aucun branchement, aucun « Y » dans l’écriture,
implique certes que le Réel ne comporte pas le point comme tel.

Je suis tout à fait reconnaissant.


Question VIII

« Est-ce que le membre...


« Est-ce que le nombre - si j’ai bien compris [Rires] - le nombre constant
dont vous parlez a un rapport avec le phallus ou avec la fonction pallique ? »

Je ne pense, justement, absolument pas...


enfin « je pense » : pour autant que ma pensée est plus
qu’un symptôme
...je ne pense absolument pas en effet que le phallus puisse être un
support suffisant à ce que Freud concevait comme énergétique.
Et même, ce qui est tout à fait frappant, c’est qu’il ne l’ait jamais
lui-même identifié.

Quelqu’un m’écrit en chinois, ce qui est très très gentil. Quelqu’un


m’écrit en chinois... Non : en japonais !
Je veux dire que je reconnais des petits caractères. J’aimerais bien
que la personne qui m’a envoyé ce texte me le traduise.

Question IX

« Est-ce que vous êtes anarchiste ? »

303
Lacan - Sûrement pas !

Question X

« Quel peut être le statut d’une réponse faite à une élucubration à partir de laquelle
elle se définirait comme sinthome ? »

Il s’agit - dans ce que j’ai remarqué tout à l’heure - d’une


élucubration qui est celle de l’Inconscient.
Et vous vous êtes certainement aperçu qu’il fallait que je baisse le
sinthome d’un cran,
pour considérer qu’il était homogène à l’élucubration de l’In-
conscient.
Je veux dire qu’il se figurait comme noué avec lui. Ce que j’ai
supposé tout à l’heure, c’est ceci :

C’est que je réduisais le sinthome qui est ici à quelque chose qui
réponde, non pas à l’élucubration de l’Inconscient,
mais à la réalité de l’Inconscient. Il est certain que même sous cette
forme, ceci implique un 3ème terme.
Un 3ème terme qui - ces 2 ronds - pour les appeler de leur nom : les
ronds de ficelle - les maintiennent séparés.

Alors, ce 3ème terme peut être ce qu’on veut.


Mais si le sinthome est considéré comme étant l’équivalent du Réel, ce
3ème terme ne peut être dans l’occasion que l’Imaginaire.
Et après tout, on peut faire la théorie de Freud en faisant de cet
Imaginaire, à savoir du corps,

304
tout ce qui tient séparés les deux, l’ensemble que j’ai constitué ici
par le nœud du symptôme et du Symbolique.

Je vous remercie d’avoir envoyé... mis à part ceci :

Question XI

« Votre cigare tordu est-il un symptôme de votre Réel ? » [Rires]

Lacan

Certainement ! Certainement !
Mon cigare tordu a le plus étroit rapport avec la question que j’ai
posée sur la droite, également tordue, du même nom.

305
1977.05.10. L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre.
Leçon 11
Je me casse la tête, ce qui est déjà embêtant, parce que je me la
casse sérieusement,
mais le plus embêtant c’est que je ne sais pas sur quoi je me casse la
tête.
Il y a quelqu’un qui - un nommé Gödel [1906-78] - qui vit en
Amérique et qui a énoncé le nom d’« indécidable ».
Ce qu’il y a de solide dans cet énoncé, c’est qu’il démontre qu’il y a
de l’indécidable.

Et il le démontre sur quel terrain ? Sur quelque chose que je


qualifierai, comme ça, du plus mental de tous les mentaux...
je veux dire de tout ce qu’il y a de plus mental, le mental
par excellence, la pointe du mental
...à savoir ce qui se compte : ce qui se compte c’est l’arithmétique.
Je veux dire que c’est l’arithmétique qui développe le comptable.

La question est de savoir s’il y a des Un qui sont indénombrables,


c’est tout au moins ce qu’a promu Cantor.
Mais ça reste quand même douteux, étant donné que nous ne connais-
sons rien que de fini, et que le fini c’est toujours dénombré.

Est-ce que c’est dire la faiblesse du mental ?


C’est simplement la faiblesse de ce que j’appelle l’Imaginaire.
L’inconscient a été identifié par Freud - on ne sait pourquoi -
l’inconscient a été identifié par Freud au mental.

C’est tout au moins ce qui résulte du fait que le mental est tissé de
mots, entre quoi...
c’est expressément - me semble-t-il - la définition qu’en
donne Freud
...entre quoi il y a des bévues toujours possibles. D’où mon énoncé,
que de Réel il n’y a que l’impossible.
306
C’est bien là que j’achoppe : le Réel est-il impossible à penser ?

S’il ne cesse pas...


mais il y a là une nuance : je n’énonce pas qu’il ne cesse pas
de ne pas se dire,
ne serait-ce que parce que le Réel je le nomme comme tel,
mais je dis :
...qu’il ne cesse pas de ne pas s’écrire.

Tout ce qui est mental, en fin de compte, est ce que j’écris du nom
de « sinthome »(s.i.n.t.h.o.m.e.) c’est-à-dire signe.
Qu’est-ce que veut dire être signe ? C’est là-dessus que je me casse la
tête.
Est-ce qu’on peut dire que la négation soit un signe ?
J’ai autrefois essayé de poser ce qu’il en est de L’instance de la lettre.
Est-ce que c’est tout dire que de dire que le signe de la négation,
qui s’écrit comme ça : ┐n’a pas à être écrit ?

Qu’est-ce que nier ? Qu’est-ce qu’on peut nier ?


Ceci nous met dans le bain de la Verneinung dont Freud a promu
l’essentiel.
Ce qu’il énonce, c’est que la négation suppose une Bejahung :
c’est à partir de quelque chose qui s’énonce comme positif qu’on
écrit la négation.

En d’autres termes, le signe est à rechercher - et c’est bien ce que,


dans cette instance de la lettre, j’ai posé - est à rechercher comme
congruence du signe au Réel. Qu’est-ce qu’un signe qu’on ne pourrait
écrire ? Car ce signe, on l’écrit réellement.
J’ai mis en valeur comme ça, un temps, la pertinence de ce que
lalangue – française - touche comme adverbe.
Est-ce qu’on peut dire que le Réel ment ?

307
Dans l’analyse, on peut sûrement dire que le Vrai mente.
L’analyse est un long cheminement - on le retrouve partout - que le
chemine-ne-mente, c’est quelque chose
qui ne peut à l’occasion que nous signaler que - comme dans le fil
du téléphone - nous nous prenons les pieds.
Et alors, qu’on puisse avancer des choses pareilles pose la question
de ce que c’est que le sens.

N’y aurait-il de sens que menteur, puisque la notion de Réel, on peut


en dire qu’elle exclue...
qu’il faut écrire au subjonctif
...qu’elle exclue le sens ? Est-ce que ça indique qu’elle exclue aussi le
mensonge ?

C’est bien ce à quoi nous avons affaire quand nous parions en


somme sur le fait que le Réel exclue...
au subjonctif, mais le subjonctif est l’indication du modal
...qu’est-ce qui se module dans ce modal qui exclurait le mensonge
?

À la vérité, il n’y a - nous le sentons bien - dans tout cela que


paradoxes. Les paradoxes sont-ils représentables ?
Δόξα [doxa] c’est l’opinion, la première chose sur quoi j’ai
introduit une conférence, au temps de ce qu’on appelle
ou de ce qu’on pourrait appeler mes débuts, c’est sur le Menon où
on énonce que la δόξα [doxa], c’est l’opinion vraie.

Il n’y a pas la moindre opinion vraie, puisqu’il y a des paradoxes.


C’est la question que je soulève : que les paradoxes soient ou non
représentables, je veux dire dessinables.
Le principe du dire vrai, c’est la négation.

308
Et ma pratique - puisque pratique il y a, pratique sur quoi je
m’interroge - c’est que je me glisse, j’ai à me glisser...
parce que c’est comme ça que c’est foutu
...j’ai à me glisser entre le transfert qu’on appelle - je ne sais pourquoi -
négatif, mais c’est un fait qu’on l’appelle comme ça,
on l’appelle négatif parce qu’on sent bien qu’il y a quelque chose...
On ne sait toujours pas ce que c’est que le transfert positif, le
transfert positif, c’est ce que j’ai essayé de définir sous le nom du
sujet supposé savoir.

Qu’est-ce qui est supposé savoir ? C’est l’analyste.


C’est une attribution, comme déjà l’indique le mot de supposé.
Une attribution, ce n’est qu’un mot : il y a un sujet, quelque chose
qui est dessous, qui est supposé savoir.
Savoir est donc son attribut. Il n’y a qu’une seule chose, c’est qu’il est
impossible de donner l’attribut du savoir à quiconque.

Celui qui sait c’est - dans l’analyse - l’analysant, ce qu’il déroule, ce


qu’il développe, c’est ce qu’il sait,
à ceci près que c’est un Autre - mais y a-t-il un Autre ? - que c’est
un Autre qui suit ce qu’il a à dire, à savoir ce qu’il sait.
Cette notion d’Autre, je l’ai marquée dans un certain graphe d’une
barre qui le rompt : A.
Est-ce que ça veut dire que rompu ça soit nié ?
L’analyse, à proprement parler, énonce que l’Autre ne soit rien que
cette duplicité.

Y’a de l’Un, mais il n’y a rien d’autre.


L’Un - je l’ai dit - l’Un dialogue tout seul, puisqu’il reçoit son propre
message sous une forme inversée.
C’est lui qui sait, et non pas le supposé savoir.

J’ai avancé aussi ce quelque chose qui s’énonce de l’Universel, et ceci


pour le nier : j’ai dit « qu’il n’y a pas de tous ».
309
C’est bien en quoi les femmes sont plus homme que l’homme.
Elles ne sont pas-toutes, ai-je dit.

Ces « tous » donc, n’ont aucun trait commun.


Ils ont pourtant celui-ci, le seul trait commun : le trait que j’ai dit unaire.
Ils se confortent de l’Un.

Y’a de l’Un, je l’ai répété tout à l’heure pour dire qu’il y a de l’Un et
rien d’autre.
Y’a de l’Un mais ça veut dire qu’il y a quand même du sentiment.
Ce sentiment que j’ai appelé - selon les unarités - que j’ai appelé le
support,
le support de ce qu’il faut bien que je reconnaisse : la haine, en tant
que cette haine est parente de l’amour.

La mourre que j’écris dans...


il faut tout de même bien que je finisse là-dessus
...que j’écris dans mon titre de cette année : L’insu que sait - quoi ? -
de l’une-bévue.

Il n’y a rien de plus difficile à saisir que ce trait de l’une-bévue.


Cette bévue, c’est ce dont je traduis l’Unbewußt, c’est-à-dire
l’Inconscient.
En allemand, ça veut dire inconscient, mais traduit par l’une-bévue, ça
veut dire tout autre chose,
ça veut dire un achoppement, un trébuchement, un glissement de mot à
mot, et c’est bien de ça qu’il s’agit
quand nous nous trompons de clé pour ouvrir une porte que
précisément cette clé n’ouvre pas.

Freud se précipite pour dire qu’on a pensé qu’elle ouvrait cette


porte, mais qu’on s’est trompé.
Bévue est bien le seul sens qui nous reste pour cette conscience.
La conscience n’a pas d’autre support que de permettre une bévue.
310
C’est bien inquiétant parce que cette conscience ressemble fort à
l’inconscient, puisque c’est lui qu’on dit responsable, responsable
de toutes ces bévues qui nous font rêver. Rêver au nom de quoi ?
De ce que j’ai appelé l’objet(a), à savoir ce dont se divise le sujet, qui
d’essence est barré, à savoir plus barré encore que l’Autre.

Voilà sur quoi je me casse la tête. Je me casse la tête et je pense


qu’en fin de compte la psychanalyse, c’est ce qui fait vrai.
Mais faire vrai, comment faut-il l’entendre ? C’est un coup de sens,
c’est un « sens blanc ».
Il y a toute la distance que j’ai désignée du S indice 2 [S2], à ce qu’il
produit.
Que bien entendu l’analysant produise l’analyste, c’est ce qui ne fait
aucun doute.
Et c’est pour ça que je m’interroge sur ce qu’il en est de ce statut de
l’analyste à quoi je laisse sa place de faire vrai, de semblant :

Et dont je considère que c’est ailleurs, là où - vous l’avez vu l’autre


fois - il n’y a rien de plus facile
que de glisser dans la bévue, je veux dire dans un effet de
l’inconscient, puisque c’était bien un effet de mon inconscient,
qui fait que vous avez eu la bonté de considérer ceci comme un
lapsus, et non pas comme ce que j’ai voulu qualifier
moi-même, à savoir - la fois suivante - comme une erreur grossière.

Qu’est-ce que ce sujet - sujet divisé - a pour effet si le S1, S indice


1, le signifiant indice 1, se trouve dans notre tétraèdre, puisque ce

311
que j’ai marqué, c’est que, de ce tétraèdre, il y a toujours une de ses
liaisons qui est rompue :
c’est à savoir que le S indice 1 [S1] ne représente pas le sujet auprès
du S indice 2 [S2], à savoir de l’Autre.
Le S indice 1 [S1] et le S indice 2 [S2], c’est très précisément ce que
je désigne par le A divisé
dont je fais lui-même un signifiant : S(A).

C’est bien ainsi que se présente le fameux inconscient.


Cet inconscient, il est en fin de compte impossible de le saisir.

Il ne représente...
j’ai parlé tout à l’heure des paradoxes comme étant
représentables, à savoir dessinables
...il n’y a pas de dessin possible de l’inconscient.

L’inconscient se limite à une attribution, à une substance, à quelque


chose qui est supposé être « sous ».
Et ce qu’énonce la psychanalyse c’est précisément ceci, que ce n’est
qu’une - je dis déduction - déduction supposée, rien de plus. Ce dont j’ai
essayé de lui donner corps avec la création du Symbolique a très
précisément ce destin :
que ça ne parvient pas à son destinataire.

Comment se fait-il pourtant que ça s’énonce ?


Voilà l’interrogation centrale de la psychanalyse.

Je m’en tiens là pour aujourd’hui.


J’espère pouvoir dans huit jours, puisqu’il y aura un 17 mai, Dieu
sait pourquoi...

Enfin on m’a annoncé qu’il y aurait un 17 mai, et qu’ici je n’aurai


pas trop d’examinés,

312
si ce n’est vous, que j’examinerai moi-même et que peut-être
j’interrogerai
dans l’espoir que quelque chose passe, passe de ce que je dis.

Au revoir !

313
Colette Soler, après Lacan,
avait insisté sur le fait que la répétition n’a rien d’un
commandement du passé
Mais qu’elle est au présent. Elle est « le présent perpétué du réel ».

Colette Soler a distingué :


– la répétition des Uns dans le chiffrage,
– de la répétition en tant que concept fondamental de la
psychanalyse, celle qui vient à la charge des psychanalystes.

(J. Lacan, « D’un dessein », É. p.367 : « La répétition est unique à


être nécessaire, et celle qui vient à notre charge,
n’en viendrions-nous pas à bout, qu’il resterait de notre index le
commandement de sa boucle. »)

Suivant l’élaboration de Lacan, on peut dégager les trois temps de


la structure de la répétition :
1. le temps de la rencontre (temps 1), que l’on peut nommer
également l’expérience de jouissance
(trauma ou plaisir exquis), qui est différent de la rencontre
avec l’Autre du signifiant,
2. puis le temps de l’immixtion de la différence (temps 2), soit de
la perte,
3. et enfin le temps de la répétition de la perte (temps 3) et de la
jouissance en tant que perdue.

Il y a donc : 1) une marque,


2) l’index de cette perte,
3) la perte assurée.

– 1er temps L’essence du signifiant étant la différence, le 1er


signifiant est inaugural de la jouissance
qu’une rencontre a inscrite, mais il ne pourra être repéré
qu’après coup, c’est en effet un temps logique
314
qui inscrit le trait unaire comme mémorial de jouissance (s’il y
a commémoration, alors c’est qu’il y en a eu).

– Le 2ème temps vise la retrouvaille, nécessairement perdue,


puisque le même, d’être répété, diffère. La
2ème fois fonde la première comme perdue. Ce 2ème temps
inscrit la perte, le ratage.

– 3ème temps, le ratage se répétant inscrit l’écart entre le 1er et le


2ème.

Cette question du trait unaire est essentielle.


Le trait unaire est non pas le signifiant mais ce qui le rend possible.
(L’envers de la psychanalyse, en particulier ch. III.)
Le trait inscrit la chose, au prix de l’effacement de la chose, crée les
vertus de la soustraction.
Ce qui compte, c’est non pas le Un de la totalité mais le 1 de la
différence.
Ce trait de discrétion affecte d’une perte celui qui en subit la
marque.

Grâce à une expérience de jouissance qui transforme la perception


en représentation, le vivant devient sujet.
Cet 1 inaugural n’est pas un signifiant de l’Autre, c’est un 1 de
jouissance.
Il y a une grande différence entre construire un nombre et le
numérer.
Du même ordre que celle que l’on rencontre entre la construction
clinique et l’énumération des séances.
Le 1 qui est au principe de la répétition est fendu d’un manque.
D’où vient ce premier 1 ?

Pour les Grecs de l’Antiquité, le 1 était non pas un nombre mais ce


par quoi le nombre est.
315
Il est la matière première à faire du multiple, avant de perdre sa
singularité et de devenir le premier des nombres.
« Le signifiant Un n’est pas un signifiant entre autres, et il surmonte ce en quoi
ce n’est que de l’entre-d’eux de ces signifiants
que le sujet est supposable à mon dire 54. »

Le Un, à la fois signifiant et nombre, participe à la fois du calcul et


du langage.
Ainsi, le Un est bifide 55, permettant de distinguer l’unien de
l’unaire :
– l’unien, c’est le « y a de l’Un »,
– l’unaire, c’est le comptable qui commence avec le manque.

Que l’1 apparaisse à partir du moment où il y en a un qui manque,


c’est l’histoire du maître d’hôtel donnée par Frege. Confrontant, un
par un, chacun des éléments d’un ensemble de couteaux avec ceux
d’un ensemble de fourchettes,
c’est à partir du moment où il y en a un d’un côté et rien de l’autre
que l’1 apparaît, donc où il y en a un qui manque. Le moment où le
maître d’hôtel s’écrie : « Y en a un... qui manque » est fondamental !
Le pas de trait est ce qui permet d’en inscrire 1.

« Le statut de l’Un, à partir du moment où il s’agit de le fonder, ne peut partir


que de son ambiguïté.
À savoir que le ressort de la théorie des ensembles tient tout entier à ce que le
Un qu’il y a de l’ensemble est distinct
de l’1 qui vient de l’élément. La notion de l’ensemble repose sur ceci qu’il y a
ensemble même avec un seul élément. »

Ce qui s’écrit nécessairement et qui fait répétition est cet ensemble


vide, chaque fois que s’inscrit un trait,
s’inscrit aussi le vide qui sert à l’écrire, ce que Lacan nommera
différemment jusqu’au « rapport vide insistant ».

316
Bien sûr, dans le passage d’un nombre à un autre il y a répétition du
1 mais surtout réitération du manque,
car cette répétition du 1 n’entraîne aucune totalisation.

Cette question de l’impossibilité d’atteindre au deux est justement


ce que Lacan met au cœur de la question
de la répétition dans le séminaire ...Ou pire en 1972. En effet, ce qui
se profère du dire de Cantor,

« c’est que la suite des nombres ne représente rien d’autre dans le transfini
que l’inaccessibilité qui commence au deux,
par quoi d’eux se constitue l’énumérable à l’infini ». («
L’étourdit »)

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