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LACAN

Quatre préfaces
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Ce document de travail a pour sources principales :

– Préface à l’édition française des Écrits en livre de poche, sur le site de l’E.L.P. : « Pas-tout Lacan » 1969-12-14,
p. 7 de l’édition « Points Seuil » de 1970, p. 364 de l’édition « Points Seuil » de 1999 - tome II.

– Préface à l’édition japonaise des Écrits, sur le site de l’E.L.P. : « Pas-tout Lacan » 1972-01-27,
parue dans La lettre mensuelle de l’École de la cause freudienne, octobre 1981, n° 3, pp. 2-3.

– Introduction à l’édition allemande des Écrits, sur le site de l’E.L.P. : « Pas-tout Lacan » 1973-10-07,
parue dans Scilicet, 1975, n°5, pp. 11- 17.

– Préface à l’édition anglaise du séminaire XI, sur le site de l’E.L.P. : « Pas-tout Lacan » 1976-05-17
Parue dans « Ornicar ? », 1977, n° 12/13, pp. 124-126.

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N.B. Ce qui s’inscrit entre crochets droits [ ] n’est pas de Jacques LACAN.

(Contact)

Préface à l’édition de poche des Écrits

Préface à l’édition japonaise des Écrits

Préface à l’édition allemande des Écrits

Préface à l’édition anglaise du séminaire XI

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Préface à l’édition de poche des Écrits (p. 7 de l’édition « Points Seuil » de 1970, p. 364 de l’édition « Points Seuil » de 1999, tome II)

À quelqu’un, grâce à qui ceci est plutôt signe...

Un signifiant qui donne prise sur la Reine, que soumet-il à qui s’en empare ?
Si la dominer d’une menace vaut le vol de la lettre que Poe nous présente en exploit, c’est dire que c’est à son pouvoir
qu’il est passé la bride. À quoi enfin ? À la Féminité en tant qu’elle est toute-puissante, mais seulement d’être
à la merci de ce qu’on appelle, ici pas pour des prunes, le Roi.

Par cette chaîne apparaît qu’il n’y a de maître que le signifiant. Atout maître : on a bâti les jeux de cartes sur ce fait
du discours. Sans doute, pour jouer l’atout, faut-il qu’on ait la main. Mais cette main n’est pas maîtresse.
Il n’y a pas trente-six façons de jouer une partie, même s’il n’y en a pas seulement une. C’est la partie qui commande,
dès que la distribution est faite selon la règle qui la soustrait au moment de pouvoir de la main.

Ce que le conte de Poe démontre par mes soins, c’est que l’effet de sujétion du signifiant, de la lettre volée
en l’occasion, porte avant tout sur son détenteur d’après-vol, et qu’à mesure de son parcours, ce qu’il véhicule,
c’est cette Féminité même qu’il aurait prise en son ombre.

Serait-ce la lettre qui fait la Femme être ce sujet, à la fois tout- puissant et serf, pour que toute main à qui la Femme
laisse la lettre, reprenne avec ce dont à la recevoir, elle-même a fait lais ? « Lais » veut dire ce que la Femme lègue
de ne l’avoir jamais eu : d’où la vérité sort du puits, mais jamais qu’à mi-corps.

Voici pourquoi le Ministre vient à être châtré - châtré, c’est le mot - de ce qu’il croit toujours l’avoir cette lettre
que Dupin a su repérer de son évidence entre les jambes de sa cheminée de haute lisse. Ici ne fait que s’achever
ce qui d’abord le féminise comme d’un rêve, et j’ajoute (p.41) que le chant dont ce Lecoq voudrait - en le poulet qu’il
lui destine - faire son réveil (« un dessein si funeste... »), il n’a aucune chance de l’entendre, il supportera tout
de la Reine dès lors qu’elle va le défier.

Car la Reine redevenue gaie, voire maligne, ne fera pas pièce à sa puissance de ce qu’elle l’ait - sans qu’il le sache -
désarmée, en tout cas pas auprès du Roi dont on sait par l’existence de la lettre - et c’est même tout ce qu’on en sait -
que sa puissance est celle du Mort que chaque tour du jeu amincit. Le pouvoir du Ministre s’affermit
d’être à la mesure du masochisme qui le guette.

En quoi notre Dupin se montre égal en son succès à celui du psychanalyste, dont l’acte, ce n’est que d’une maladresse
inattendue de l’autre qu’il peut venir à porter. D’ordinaire, son message est la seule chute effective de son traitement :
autant que celui de Dupin, devant rester irrévélé, bien qu’avec lui l’affaire soit close. Mais expliquerais-je...
comme on en fera l’épreuve du texte qui ici garde le poste d’entrée qu’il a ailleurs [Écrits p.11, Le séminaire sur La lettre volée]
...ces termes toujours plus, moins ils seront entendus.

Moins entendus des psychanalystes, de ce qu’il soit pour eux aussi en vue que la lettre volée, qu’ils la voient même en
eux, mais qu’à partir de là ils s’en croient, comme Dupin, les maîtres. Ils ne sont maîtres - en fait - que d’user
de mes termes à tort et à travers. Ce à quoi plusieurs se sont ridiculisés. Ce sont les mêmes qui m’affirment
que ce dont les autres se méfient, c’est d’une rigueur à laquelle ils se sentiraient inégaux. Mais ce n’est pas ma rigueur
qui inhibe ces derniers, puisque ses pièges n’ont d’exemple que de ceux qui m’en font avis.

Que l’opinion qui reste Reine, m’en sache gré, n’aurait de sens que de lui valoir ce livre de poche,
vade-mecum qu’on l’appelait dans l’ancien temps, et rien de neuf, si je n’en profitais pour situer ce qu’elle m’apporte
de mes Écrits comme bruit. Je dois me persuader qu’ils ne soient pierre dans l’eau qu’à ce qu’elle en fut déjà l’onde,
et même l’onde de retour. Ceci m’est rendu tangible de ce que ceux ici choisis, me semblent épaves tombées au fond.
Pourquoi m’en étonnerais-je ? quand ces Écrits, ce n’est pas seulement recueillis qu’ils furent en mémoire de rebuts,
mais composés qu’ils ont été à ce titre.

Répétant dans leur sort de sonde, celui de la psychanalyse en tant qu’esquif gobé d’emblée par cette mer.
Drôle de radoub que de montrer qu’il ne nage bien qu’à atterrir. Car c’est un fait d’histoire : mettez à son banc
une chiourme éprouvée d’ahaner à la voix, et la psychanalyse s’échoue, au soulagement des gens du bord.
Jamais aucun progressisme n’a fait mieux, ni d’une façon si sûre à rassurer, ce qu’il faut faire tout de suite.

Bref on lira mon Discours dit « de Rome » en 1953, sans que puisse plus compter que j’aie été strictement empêché...
depuis le terme mis en France aux plaisirs d’une Occupation dont la nostalgie
devait encore la hanter vingt ans par la plume si juste en son exquisité de Sartre
...strictement barré, dis-je, de toute charge, si mince fut-elle, d’enseignement. L’opposition m’en étant notifiée comme
provenant d’un M. Piéron dont je n’eus au reste aucun signe direct à moi, au titre de mon incompréhensibilité.

3
On voit que je l’étais de principe, car je n’avais eu l’occasion de la démontrer qu’aux plus banaux de ses entours,
et ce que j’avais écrit alors, n’était nullement abstrus (si peu que je rougirais de republier ma thèse, même si
elle ne relève pas de ce que l’ignorance alors enseignante tenait pour le bon sens en l’illustrant de Bergson).
Je voudrais qu’on me crédite de ce que ce retard qui me fut imposé, de huit ans, me force à pousser - tout au long
de ce rapport - d’âneries, soyons exact : de paulhaneries, que je ne puis que hihaner pour les oreilles qui m’entendent.
Même le cher Paulhan ne m’en a point tenu rigueur, lui qui savait jusqu’où « Kant avec Sade » détonnerait
dans son bestiaire1 (cet écrit est ici absent).

Le ménage n’est jamais bien fait que par qui pourrait faire mieux. Le tâcheron est donc impropre à la tâche,
même si la tâche réduit quiconque à faire le tâcheron. J’appelle « tâche » : ranger ce qui traîne.
Énoncer que l’inconscient s’est rencontré d’abord dans le discours, que c’est toujours là qu’on le trouve
dans la psychanalyse, ce peut nécessiter qu’on l’articule avec appui, s’il en faut le préliminaire : avant qu’il vienne
comme second temps que le discours lui-même mérite qu’on s’arrête aux structures qui lui sont propres,
dès que l’on songe que cet effet ne semble pas y aller de soi.

C’est une idée qui se précise de relever ces structures mêmes, et ce n’est nullement s’en remettre aux lois
de la linguistique que de les prier de nous dire si elles s’en sentent dérangées. On doit s’habituer aux maniements
des schèmes, scientifiquement repris d’une éthique - la stoïcienne en l’occasion - du signifiant et du λεκτόν [lekton].
Et aussitôt on s’aperçoit que ce λεκτόν ne se traduit pas bien. On le met en réserve, et on joue un temps du signifié,
plus accessible et plus douillet à ceux qui s’y retrouvent, dans l’illusion qu’ils pensent quoi que ce soit
qui vaille plus que tripette.

Le long de la route on s’aperçoit - avec retard heureusement, c’est mieux de ne pas s’y arrêter - que s’élèvent
des protestations. « Le rêve ne pense pas... », écrit un professeur fort pertinent dans toutes les preuves qu’il en donne.
Le rêve est plutôt comme une inscription chiffonnée. Mais quand ai-je dit quoi que ce soit qui y objecte ?
Même si au « chiffonné », je n’ai – selon ma méthode de commentaire qui s’astreint à s’en tenir aux documents –
fait sort qu’au niveau de la girafe que le petit Hans en qualifie.

Outre que cet auteur ne saurait même avancer les faits dont il argue qu’à tenir pour établi ce que j’articule du rêve,
soit qu’il requiert un support textuel – ce que j’appelle proprement l’instance de la lettre avant toute grammatologie –
où peut-il prendre que j’aie dit que le rêve pense ? Question que je pose sans m’être relu.
Par contre il découvre que ce que j’inscris comme effet du signifiant, ne répond nullement au signifié
que cerne la linguistique, mais bel et bien au sujet.

J’applaudis à cette trouvaille d’autant plus qu’à la date où paraissent ses remarques, il y a beau temps que je martèle
à qui veut l’entendre, que le signifiant (et c’est en quoi je le distingue du signe) est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant.
Je dis « à qui veut l’entendre », car une telle articulation suppose un discours ayant déjà porté des effets,
effets de λεκτόν précisément.

Car c’est d’une pratique de l’enseignement où se démontre que l’insistance de ce qui est énoncé n’est pas à tenir pour
seconde dans l’essence du discours, que prend corps...
quoique je l’aie pointé de ce ressort dès sa première sortie
...mon terme du « point de capiton », par quoi λεκτόν se trouve traduit à mon gré, sans que je m’en targue,
étant, plutôt que stoïcologue, stoïque d’avance, à l’endroit de ce qui pourra s’en redire.

Ce n’est pas pour autant aller aussi loin que je pourrais, dans ce que m’apporte ma parution en livre de poche.
Elle tient pour moi d’un inénarrable que seul mesurera un jour un bilan statistique d’un matériel de syntagmes
auxquels j’ai donné cours. J’ai fourni de meilleurs emboîtages tout un marché de la culture. Mea culpa.

Il n’y a pas de métalangage. Cette affirmation est possible de ce que j’en aie ajouté un à la liste de ceux qui courent
les champs de la science. Elle sera justifiée, s’il produit l’effet dont s’assurera que l’inconscient EST un discours.
Ce serait que le psychanalyste vienne à en être le λεκτόν, mais pas démoli pour autant.

Que le lecteur du livre de poche se laisse prendre au jeu que j’ai célébré à moi tout seul, à Vienne d’abord,
puis à Paris, en l’honneur de la Chose freudienne pour le centenaire de Freud. S’il s’anime de la rigolade pincée,
dont l’a accueilli mon auditoire d’alors, il saura qu’il est déjà de mes intimes et qu’il peut venir à mon École,
pour y faire le ménage.

...de quelque chose à lire de ce 14. XII. 69.

1 La NRF, un n fût-il redoublé dans son sigle.

4
Avis au lecteur japonais
Qu’on me traduise en japonais, me laisse perplexe. Parce que c’est une langue dont je me suis approché : à la mesure
de mes moyens. J’en ai pris une haute idée. J’y reconnais la perfection qu’elle prend de supporter un lien social très raffiné
dans son discours. Ce lien, c’est celui même que mon ami Kojève - l’homme le plus libre que j’aie connu -
désignait du « snobisme ». C’était là chez lui fait d’humour 2, et fort loin de l’humeur qu’on se croit en devoir de montrer
quant à ce mode d’être, au nom de l’humain. Plutôt nous avertissait-il - j’entends : « nous » les Occidentaux -
que ce fût à partir du snobisme qu’une chance nous restât d’accéder à la chose japonaise sans en être trop indigne,
qu’il y avait au Japon matière plus sûre que chez nous à justifier le dit mode.

Note marginale : ce que j’avance ainsi, certains en France le rapprocheraient sans doute de cet « Empire des signes »3
dont Barthes nous a ravis, pour peu qu’ils en aient vent. Que ceux qui au Japon se sont agacés de cette bluette4 étonnante,
me fassent confiance : je n’en ferai part qu’à ceux qui ne peuvent pas confondre.

Ceci dit, du Japon je n’attends rien. Et le goût que j’ai pris de ses usages, voire de ses beautés, ne me fait pas en attendre plus.
Notamment pas d’y être entendu. Ce n’est certes pas que les Japonais ne tendent l’oreille à tout ce qui peut s’élucubrer
de discours dans le monde. Ils traduisent, traduisent, traduisent tout ce qui en paraît de lisible : et ils en ont bien besoin.
Autrement ils n’y croiraient pas, comme ça ils se rendent compte.

Seulement voilà : dans mon cas, la situation est pour eux différente. Justement parce que c’est la même que la leur :
si je ne peux pas y croire, c’est dans la mesure où ça me concerne. Mais ceci ne constitue, entre les Japonais et moi,
pas un facteur commun. J’essaie de démontrer à des « maîtres », à des universitaires, voire à des hystériques, qu’un autre discours
que le leur vient d’apparaître. Comme il n’y a que moi pour le tenir, ils pensent en être bientôt débarrassés à me l’attribuer,
moyennant quoi j’ai foule à m’écouter. Foule qui se leurre, car c’est le discours du psychanalyste, lequel ne m’a pas attendu pour être
dans la place. Mais ça ne veut pas dire que les psychanalystes le savent. On n’entend pas le discours dont on est soi-même l’effet.

Note marginale : ça se peut quand même. Mais alors on se fait expulser par ce qui fait corps de ce discours.
Ça m’est donc arrivé. Je reprends de cette note : les Japonais ne s’interrogent pas sur leur discours, ils le retraduisent,
et dans ceux mêmes que je viens de dire. Ils le font avec fruit, entre autres du côté du Nobel. Toujours le snobelisme.

Que peut dès lors leur faire le fait de mes difficultés avec un discours des psychanalystes auquel personne d’entre eux que j’aie
rencontré ne s’est jamais intéressé ? Sinon au titre de l’ethnologie de la peuplade américaine, où ça n’apparaît que comme détail.
L’inconscient – pour savoir ce que c’est, lire le Discours que ces Écrits consignent pour être celui de Rome – l’inconscient, dis-je,
est structuré comme un langage. C’est ce qui permet à la langue japonaise d’en colmater les formations [de l’inconscient] si parfaitement
que j’ai pu assister à la découverte par une japonaise de ce que c’est qu’un « mot d’esprit » : une japonaise adulte.
D’où se prouve que le mot d’esprit est au Japon la dimension même du discours le plus commun, et c’est pourquoi personne
qui habite cette langue, n’a besoin d’être psychanalysé, sinon pour régulariser ses relations avec les machines-à-sous,
voire avec des clients plus simplement mécaniques. Pour les êtres vraiment parlants, l’on-yomi suffit à commenter le kun-yomi.
La pince qu’ils font l’un avec l’autre, c’est le bien-être de ceux qu’ils forment à ce qu’ils en sortent aussi frais que gaufre chaude.

Tout le monde n’a pas le bonheur de parler chinois dans sa langue, pour qu’elle en soit un dialecte, ni surtout - point plus fort -
d’en avoir pris une écriture à sa langue si étrangère que ça y rende tangible à chaque instant la distance de la pensée
- soit de l’inconscient - à la parole. Soit l’écart si scabreux à dégager dans les langues internationales,
qui se sont trouvées pertinentes pour la psychanalyse. Si je ne craignais le malentendu, je dirais que pour qui parle japonais,
c’est performance usuelle que de dire la vérité par le mensonge, c’est-à-dire sans être un menteur.

On m’a demandé une préface pour mon édition japonaise. J’y dis ce que je pense pour ce dont, quant au Japon,
je n’ai aucune idée, à savoir : ce qu’est le public. De sorte que j’ai envie de l’inviter à fermer mon livre, sitôt cette préface lue !
J’aurais l’espoir de lui laisser un souvenir indulgent. Je tremble qu’il poursuive, dans le sentiment où je suis de n’avoir jamais eu,
dans son pays, de « communication » qu’à ce qu’elle s’opère du discours scientifique, ici je veux dire : par le moyen du tableau noir.
C’est une « communication » qui n’implique pas que plus d’un y comprenne ce qui s’y agite, voire même qu’il y en ait un.
Le discours de l’analyste n’est pas le scientifique. La communication y répercute un sens.
Mais le sens d’un discours ne se procure jamais que d’un autre [discours H, discours U, discours M, discours A].

Maintenant imaginons qu’au Japon comme ailleurs, le discours analytique devienne nécessaire pour que subsistent les autres,
je veux dire : pour que l’inconscient renvoie leur sens. Telle qu’y est faite la langue, on n’aurait à ma place besoin que d’un stylo.
Moi, pour la tenir cette place, il me faut un style. Ce qui ne se traduit pas, hors l’histoire d’où je parle.
Jacques Lacan, ce 27.1.72

2 Les mots en français ou en romaji sont insérés entre parenthèses dans l’édition japonaise, ils sont ici en rouge et en italiques.
3 Roland Barthes : L’empire des signes, Skira, Paris, 1970.
4 Bluette : petit ouvrage très spirituel et sans prétention; badinage. (T.L.F.)

5
Préface à l’édition allemande des Écrits
Le sens du sens (the meaning of meaning), on s’en est posé la question. Je pointerais d’ordinaire que c’était d’en avoir la réponse,
s’il ne s’agissait pas simplement là d’un « passez-muscade » universitaire. Le sens du sens dans ma pratique se saisit (Begriff)
de ce qu’il fuie : à entendre comme d’un tonneau, non d’une détalade. C’est de ce qu’il fuie (au sens : tonneau)
qu’un discours prend son sens, soit de ce que ses effets soient impossibles à calculer.

Le comble du sens, il est sensible que c’est l’énigme. Pour moi qui ne m’excepte pas de ma règle susdite, c’est de la réponse,
trouvée de ma pratique, que je pose la question du signe au signe : de comment se signale qu’un signe est signe.
Le signe du signe - dit la réponse qui fait pré-texte à la question - c’est que n’importe quel signe fasse aussi bien fonction
de tout autre, précisément de ce qu’il puisse lui être substitué. Car le signe n’a de portée que de devoir être déchiffré.
Sans doute faut-il que du déchiffrage, la suite des signes prenne sens. Mais ce n’est pas parce qu’une dit-mension
donne à l’autre son terme, qu’elle livre sa structure.

Nous avons dit ce que vaut l’aune du sens. Y aboutir ne l’empêche pas de faire trou. Un message déchiffré peut rester
une énigme. Le relief de chaque opération - l’une active, l’autre subie - reste distinct. L’analyste se définit de cette expérience.
Les formations de l’inconscient, comme je les appelle, démontrent leur structure d’être déchiffrables.

Freud distingue la spécificité du groupe : rêves, lapsus et mots d’esprit, du mode - le même - dont il opère avec eux.
Sans doute Freud s’arrête-t-il quand il a découvert le sens sexuel de la structure. Ce dont dans son œuvre on ne trouve
que soupçon, il est vrai formulé, c’est que du sexe le test ne tient qu’au fait du sens, car nulle part, sous aucun signe,
le sexe ne s’inscrit d’un rapport.

C’est à bon droit pourtant que de ce rapport sexuel l’inscription pourrait être exigée : puisque le travail est reconnu,
à l’inconscient, du chiffrage, soit de ce que défait le déchiffrage. Il peut passer pour plus élevé dans la structure de chiffrer
que de compter. L’embrouille - car c’est bien fait pour ça - commence à l’ambiguïté du mot chiffre. Le chiffre fonde l’ordre du signe.

Mais d’autre part jusqu’à 4, jusqu’à 5 peut-être, allons jusqu’à 6 maximum, les nombres - qui sont du réel quoique chiffré -
les nombres ont un sens, lequel sens dénonce leur fonction de jouissance sexuelle. Ce sens n’a rien à voir avec leur fonction
de réel, mais ouvre un aperçu sur ce qui peut rendre compte de l’entrée de réel dans le monde de l’« être » parlant
(étant bien entendu qu’il tient son être de la parole). Soupçonnons que la parole a la même dit-mension grâce à quoi
le seul réel qui ne puisse pas s’en inscrire, c’est le rapport sexuel.

Je dis : « soupçonnons », pour les personnes, comme on dit, dont le statut est si lié au juridique d’abord, au semblant de savoir,
voire à la science qui s’institue bien du réel, qu’elles ne peuvent même pas aborder la pensée que ce soit à l’inaccessibilité
d’un rapport que s’enchaîne l’intrusion de cette part au moins du reste du réel.

Ceci chez un « être » vivant dont le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il se distingue des autres d’habiter le langage,
comme dit un Allemand que je m’honore de connaître (comme on s’exprime pour dénoter d’avoir fait sa connaissance).
Cet être se distingue par ce logis lequel est cotonneux en ce « sens » qu’il le rabat, le dit être, vers toutes sortes de concepts,
soit de tonneaux, tous plus futiles les uns que les autres [cf. étymologie de « futile » : « (d’un récipient) qui laisse fuir son contenu »].
Cette futilité, je l’applique, oui, même à la science dont il est manifeste qu’elle ne progresse que par la voie de boucher les trous.
Qu’elle y arrive toujours, c’est ce qui la fait sûre. Moyennant quoi elle n’a aucune espèce de sens.
Je n’en dirai pas autant de ce qu’elle produit, qui curieusement est la même chose que ce qui sort par la fuite [un savoir]
dont la béance du rapport sexuel est responsable : soit ce que je note de l’objet(a), à lire « petit a »,

Pour mon « ami » Heidegger évoqué plus haut du respect que je lui porte, qu’il veuille bien s’arrêter un instant...
vœu que j’émets purement gratuit puisque je sais bien qu’il ne saurait le faire
...s’arrêter, dis-je, sur cette idée que la métaphysique n’a jamais rien été et ne saurait se prolonger qu’à s’occuper de boucher
le trou de la politique. C’est son ressort. Que la politique n’atteigne le sommet de la futilité, c’est bien en quoi s’y affirme
le bon sens : celui qui fait la loi, je n’ai pas à le souligner, m’adressant au public allemand qui y a ajouté traditionnellement
le sens dit « de la critique ». Sans qu’il soit vain ici de rappeler où cela l’a conduit vers 1933.

Inutile de parler de ce que j’articule du discours universitaire, puisqu’il spécule de l’insensé [ab-sens] en tant que tel et qu’en ce sens
ce qu’il peut produire de meilleur est le mot d’esprit qui pourtant lui fait peur. Cette peur est légitime, si l’on songe à celle
qui plaque au sol les analystes, soit les parlants qui se trouvent être assujettis à ce discours analytique, dont on ne peut que s’étonner
qu’il soit advenu chez des êtres - je parle des parlants - dont c’est tout dire qu’ils n’ont pu s’imaginer leur monde qu’à le supposer
abruti, soit de l’idée qu’ils ont depuis pas si longtemps de l’animal qui ne parle pas. Ne leur cherchons pas d’excuse.
Leur être même en est une. Car ils bénéficient de ce destin nouveau, que pour être, il leur faille ex-sister.
Incasables dans aucun des discours précédents, il faudrait qu’à ceux-ci ils ex-sistent, alors qu’ils se croient tenus à prendre appui
du sens de ces discours pour proférer celui dont le leur se contente, à juste titre d’être plus fuyant, ce qui l’accentue.

6
Tout les ramène pourtant au solide de l’appui qu’ils ont dans le signe : ne serait-ce que le symptôme auquel ils ont affaire,
et qui, du signe fait gros nœud, nœud tel qu’un Marx l’a aperçu même à s’en tenir au discours politique.
J’ose à peine le dire, parce que le freudo-marxisme, c’est l’embrouille sans issue.

Rien ne les enseigne, même pas que Freud fut médecin et que le médecin, comme l’amoureuse, n’a pas la vue très longue,
que c’est donc ailleurs qu’il faut qu’ils aillent pour avoir son génie : nommément à se faire sujet, non d’un ressassement,
mais d’un discours, d’un discours sans précédent [discours hystérique] dont il arrive que les amoureuses se fassent géniales à s’y retrouver,
que dis-je ? à l’avoir inventé bien avant que Freud l’établisse, sans que pour l’amour, au reste, il leur serve à rien, c’est patent.

Moi qui serais le seul, si certains ne m’y suivaient, à me faire sujet de ce discours, je vais une fois de plus démontrer pourquoi
des analystes s’en embarrassent sans recours. Alors que c’est l’inconscient, la découverte par Freud que l’inconscient travaille
sans y penser, ni calculer, juger non plus et que pourtant le fruit est là :
un savoir qu’il ne s’agit que de déchiffrer puisqu’il consiste dans un chiffrage.

À quoi sert-il ce chiffrage ? dirais-je pour les retenir, en abondant dans la manie, posée d’autres discours, de l’utilité
(dire « manie de l’utile » ne nie pas l’utile). Le pas n’est pas fait par ce recours, qui pourtant nous rappelle qu’hors ce qui sert [l’utile],
il y a le jouir. Que dans le chiffrage est la jouissance, sexuelle certes, c’est développé dans le dire de Freud,
et bien assez pour en conclure que ce qu’il implique, c’est que c’est là ce qui fait obstacle au rapport sexuel établi,
donc à ce que jamais puisse s’écrire ce rapport : je veux dire que le langage en fasse jamais trace autre que d’une chicane infinie.

Bien sûr entre les êtres qui sexués le sont (quoique le sexe ne s’inscrive que du non-rapport), il y a des rencontres.
Il y a du bon heur. Il n’y a même que ça : au petit bonheur la chance ! Les « êtres » parlants sont heureux, heureux de nature,
c’est même d’icelle [la nature] tout ce qui leur reste. Est-ce que de par le discours analytique, ça ne pourrait pas devenir un peu plus ?
Voilà la question dont - ritournelle... - je ne parlerais pas si la réponse n’était déjà.

En termes plus précis, l’expérience d’une analyse livre à celui que j’appelle l’analysant...
ah ! quel succès j’ai obtenu chez les prétendus orthodoxes avec ce mot,
et combien par là ils avouaient que leur désir dans l’analyse, c’était de n’y être pour rien
...livre à l’analysant, dis-je donc, le sens de ses symptômes.

Eh bien, je pose que ces expériences ne sauraient s’additionner. Freud l’a dit avant moi : tout dans une analyse est à recueillir
- où l’on voit que l’analyste ne peut se tirer des pattes - à recueillir comme si rien ne s’était d’ailleurs établi.
Ceci ne veut rien dire sinon que la fuite du tonneau est toujours à rouvrir. Mais c’est aussi bien là le cas de la science
(et Freud ne l’entendait pas autrement, vue courte).

Car la question commence à partir de ceci qu’il y a des types de symptôme, qu’il y a une clinique.
Seulement voilà : elle est d’avant le discours analytique, et si celui-ci y apporte une lumière, c’est sûr mais pas certain.
Or nous avons besoin de la certitude parce qu’elle seule peut se transmettre de se démontrer.

C’est l’exigence dont l’histoire montre à notre stupeur qu’elle a été formulée bien avant que la science y réponde,
et que même si la réponse a été bien autre que le frayage que l’exigence avait produite, la condition dont elle partait
- soit que la certitude en fût transmissible - y a été satisfaite. Nous aurions tort de nous fier à ne faire que remettre ça,
fut-ce avec la réserve du petit bonheur la chance. Car il y a longtemps que telle opinion a fait sa preuve d’être vraie,
sans que pour autant elle fasse science (cf. le Ménon où c’est de ça qu’il s’agite).

Que les types cliniques relèvent de la structure, voilà qui peut déjà s’écrire quoique non sans flottement.
Ce n’est certain et transmissible que du discours hystérique. C’est même en quoi s’y manifeste un réel proche du discours scientifique.
On remarquera que j’ai parlé du réel, et pas de la nature.

Par où j’indique que ce qui relève de la même structure, n’a pas forcément le même sens. C’est en cela qu’il n’y a d’analyse que
du particulier : ce n’est pas du tout d’un sens unique que procède une même structure, et surtout pas quand elle atteint au discours.
Il n’y a pas de sens commun de l’hystérique, et ce dont joue chez eux ou elles l’identification, c’est la structure,
et non le sens, comme ça se lit bien au fait qu’elle porte sur le désir, c’est-à-dire sur le manque pris comme objet,
pas sur la cause du manque. (Cf. « le rêve de la belle bouchère » - dans la Traumdeutung - devenu par mes soins, exemplaire.
Je ne prodigue pas les exemples, mais quand je m’en mêle, je les porte au paradigme.)

Les sujets d’un type sont donc sans utilité pour les autres du même type. Et il est concevable qu’un obsessionnel ne puisse
donner le moindre sens au discours d’un autre obsessionnel. C’est même de là que partent les guerres de religion :
s’il est vrai que pour la religion - car c’est le seul trait dont elles font classe, au reste insuffisant - il y a de l’obsession dans le coup.
C’est de là que résulte qu’il n’y a communication dans l’analyse que par une voie qui transcende le sens,
celle qui procède de la supposition d’un sujet au savoir inconscient, soit au chiffrage. Ce que j’ai articulé : du sujet supposé savoir.

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C’est pourquoi le transfert est de l’amour, un sentiment qui prend là une si nouvelle forme qu’elle y introduit la subversion,
non qu’elle soit moins illusoire, mais qu’elle se donne un partenaire qui a chance de répondre, ce qui n’est pas le cas
dans les autres formes [la religion et la science]. Je remets en jeu le bon heur, à ceci près que cette chance, cette fois elle vient de moi
et que je doive la fournir.

J’insiste : c’est de l’amour qui s’adresse au savoir. Pas du désir, car pour le Wisstrieb - eût-il le tampon de Freud -
on peut repasser : il n’y en a pas le moindre. C’en est même au point que s’en fonde la passion majeure chez l’être parlant,
qui n’est pas l’amour, ni la haine, mais l’ignorance. Je touche ça du doigt tous les jours.

Que les analystes...


disons ceux qui seulement de se poser comme tels en tiennent l’emploi, et je l’accorde de ce seul fait : réellement
...que les analystes...
je le dis donc au sens plein : qu’ils me suivent ou pas
...n’aient pas encore compris que ce qui fait entrée dans la matrice du discours ce n’est pas le sens mais le signe,
voilà qui donne l’idée qu’il faut de cette passion de l’ignorance.

Avant que l’être imbécile [cf. Parménide] prenne le dessus, pourtant d’autres - pas sots - énonçaient de l’oracle
qu’il ne révèle ni ne cache : σημαίνει, il fait signe 5.
C’était au temps d’avant Socrate, qui n’est pas responsable, quoiqu’il fût hystérique, de ce qui suivit : le long détour aristotélicien.
D’où Freud, d’écouter les socratiques que j’ai dits, revint à ceux d’avant Socrate,
à ses yeux seuls capables de témoigner de ce qu’il retrouvait.

Ce n’est pas parce que le sens de leur interprétation a eu des effets, que les analystes sont dans le vrai, puisque même
serait-elle juste, ses effets sont incalculables. Elle ne témoigne de nul savoir, puisqu’à le prendre dans sa définition classique,
le savoir s’assure d’une possible prévision. Ce qu’ils ont à savoir, c’est qu’il y en a un de savoir qui ne calcule pas,
mais qui n’en travaille pas moins pour la jouissance.

Qu’est-ce qui du travail de l’inconscient ne peut s’écrire ?

Voilà où se révèle une structure qui appartient bien au langage si sa fonction est de permettre le chiffrage.
Ce qui est le sens dont la linguistique a fondé son objet en l’isolant : du nom de « signifiant ».
C’est le seul point dont le discours analytique a à se brancher sur la science, mais si l’inconscient témoigne d’un réel qui lui soit propre,
c’est inversement là notre chance d’élucider comment le langage véhicule dans le nombre le réel dont la science s’élabore.

Ce qui ne cesse pas de s’écrire, c’est supporté du jeu de mots [ne cesse, nécessité] que lalangue mienne a gardé d’une autre, et non sans raison,
la certitude dont témoigne dans la pensée le mode de la nécessité 6.

Comment ne pas considérer que la contingence...


ou ce qui cesse de ne pas s’écrire
...ne soit par où l’impossibilité se démontre...
ou ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire
...et qu’un réel de là s’atteste qui, pour n’en pas être mieux fondé, soit transmissible par la fuite à quoi répond tout discours.

Le 7 octobre 1973

5 « Le maître dont l’oracle est à Delphes ne dit pas, ne cache pas, mais signifie ». Héraclite fragment 93, traduction : Simone Weil.
ὁ ἄναξ οὗ τὸ μαντεῖόν ἐστι τὸ ἐν Δελφοῖς, οὔτε λέγει οὔτε κρύπτει ἀλλὰ σημαίνει.

6 Cf. Lacan : L’étourdit (1972), théorie des 4 discours et logique modale : les 4 modalités : possible, impossible, contingent, nécessaire.
Proposition modale : Les logiciens appellent ainsi - par opposition aux propositions absolues ou catégoriques dans lesquelles l’attribution
est simplement énoncée - celles dont l’attribut est modifié par une des quatre conditions suivantes : possible, impossible, contingent, nécessaire.
La théorie des propositions modales, de leurs oppositions et des syllogismes qui en sont formés (Barbara, Celarent, Darii, Ferio...) a été développée
par Aristote dans « De l’interprétation » et dans les chapitres 8-22 du 1er livre des « Premiers Analytiques ».

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Préface à l’édition anglaise du séminaire XI

Quand l’esp d’un laps...


soit puisque je n’écris qu’en français : l’espace d’un lapsus
...n’a plus aucune portée de sens (ou interprétation), alors seulement on est sûr qu’on est dans l’inconscient.
On le sait, soi.

Mais il suffit que s’y fasse attention pour qu’on en sorte.


Pas d’amitié n’est là qui cet inconscient le supporte.
Resterait que je dise une vérité. Ce n’est pas le cas : je rate.
Il n’y a pas de vérité qui, à passer par l’attention, ne mente.
Ce qui n’empêche pas qu’on coure après.

Il y a une certaine façon de balancer stembrouille qui est satisfaisante pour d’autres raisons que formelles (symétrie par ex.).
Comme satisfaction, elle ne s’atteint qu’à l’usage, à l’usage d’un particulier.
Celui qu’on appelle dans le cas d’une psychanalyse (psych =, soit fiction d’-) : analysant.
Question de pur fait : des analysants, il y en a dans nos contrées.
Fait de réalité humaine, ce que l’homme appelle réalité.

Notons que la psychanalyse a, depuis qu’elle ex-siste, changé.


Inventée par un solitaire, théoricien incontestable de l’inconscient (qui n’est ce qu’on croit, je dis : l’inconscient,
soit réel, qu’à m’en croire), elle se pratique maintenant en couple. Soyons exact, le solitaire en a donné l’exemple.
Non sans abus pour ses disciples (car disciples, ils n’étaient que du fait que lui, ne sût pas ce qu’il faisait).

Ce que traduit l’idée qu’il en avait : peste, mais anodine là où il croyait la porter, le public s’en arrange.

Maintenant, soit sur le tard, j’y mets mon grain de sel : fait d’hystoire, autant dire d’hystérie :
celle de mes collègues en l’occasion, cas infime, mais où je me trouvais pris d’aventure pour m’être intéressé
à quelqu’un qui m’a fait glisser jusqu’à eux m’avoir imposé Freud, l’Aimée de ma thèse.

J’eusse préféré oublier ça : mais on n’oublie pas ce que le public vous rappelle.

Donc il y a l’analyste à compter dans la cure.


Il ne compterait pas, j’imagine, socialement, s’il n’y avait Freud à lui avoir frayé la voie.
Freud, dis-je, pour le nommer lui. Car nommer quelqu’un analyste, personne ne peut le faire et Freud n’en a nommé aucun.
Donner des bagues aux initiés, n’est pas nommer.
D’où ma proposition que l’analyste ne s’hystorise que de lui-même : fait patent.
Et même s’il se fait confirmer d’une hiérarchie.

Quelle hiérarchie pourrait lui confirmer d’être analyste, lui en donner le tampon ?
Ce qu’un Cht me disait, c’est que je l’étais, né.
Je répudie ce certificat : je ne suis pas un poète, mais un poème.
Et qui s’écrit, malgré qu’il ait l’air d’être sujet.

La question reste de ce qui peut pousser quiconque, surtout après une analyse, à s’hystoriser de lui-même.

Ça ne saurait être son propre mouvement puisque sur l’analyste, il en sait long, maintenant qu’il a liquidé,
comme on dit, son transfert-pour. Comment peut lui venir l’idée de prendre le relais de cette fonction ?

Autrement dit y a-t-il des cas où une autre raison vous pousse à être analyste que de s’installer,
c’est-à-dire de recevoir ce qu’on appelle couramment du fric, pour subvenir aux besoins de vos à-charge,
au 1er rang desquels vous vous trouvez vous-même, selon la morale juive (celle où Freud en restait pour cette affaire).

Il faut avouer que la question (la question d’une autre raison) est exigible pour supporter le statut d’une profession,
nouvelle-venue dans l’hystoire. Hystoire que nous ne disons pas éternelle parce que son aetas [temps, durée]
n’est sérieux qu’à se rapporter au nombre réel, c’est-à-dire au sériel de la limite.

Pourquoi dès lors ne pas soumettre cette profession à l’épreuve de cette vérité dont rêve la fonction dite inconscient,
avec quoi elle tripote ? Le mirage de la vérité, dont seul le mensonge est à attendre (c’est ce qu’on appelle la
résistance en termes polis) n’a d’autre terme que la satisfaction qui marque la fin de l’analyse.

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Donner cette satisfaction étant l’urgence à quoi préside l’analyse, interrogeons comment quelqu’un peut se vouer
à satisfaire ces cas d’urgence.

Voilà un aspect singulier de cet amour du prochain mis en exergue par la tradition judaïque.
Même à l’interpréter chrétiennement, c’est-à-dire comme jean-f...trerie hellénique, ce qui se présente à l’analyste
est autre chose que le prochain : c’est le tout-venant d’une demande qui n’a rien à voir avec la rencontre
(d’une personne de Samarie propre à dicter le devoir christique).
L’offre est antérieure à la requête d’une urgence qu’on n’est pas sûr de satisfaire, sauf à l’avoir pesée.

D’où j’ai désigné de « la passe » cette mise à l’épreuve de l’hystorisation de l’analyse,


en me gardant, cette passe, de l’imposer à tous parce qu’il n’y a pas de « tous » en l’occasion, mais des épars désassortis.
Je l’ai laissée à la disposition de ceux qui se risquent à témoigner au mieux de la vérité menteuse.

Je l’ai fait d’avoir produit la seule idée concevable de l’objet, celle de la cause du désir, soit de ce qui manque.

Le manque du manque fait le Réel, qui ne sort que là, bouchon. Ce bouchon que supporte le terme de l’impossible,
dont le peu que nous savons en matière de Réel, montre l’antinomie à toute vraisemblance.

Je ne parlerai de Joyce où j’en suis cette année, que pour dire qu’il est la conséquence la plus simple
d’un refus combien mental d’une psychanalyse, d’où est résulté que dans son œuvre il l’illustre.
Mais je n’ai fait encore qu’effleurer ça, vu mon embarras quant à l’art, où Freud se baignait non sans malheur.

Je signale que comme toujours les cas d’urgence m’empêtraient pendant que j’écrivais ça.

J’écris pourtant, dans la mesure où je crois le devoir, pour être au pair avec ces cas, faire avec eux la paire.

Paris, ce 17 mai 1976

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