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DÉMARCHE
D’AMÉLIORATION
DES CONDITIONS DE
TRAVAIL - LES PRATIQUES 3 PME/PMI
SYSTÉMIQUES DE L’ÉCOLE
3 Organisation de la prévention
3 Automobile
3 Condition de travail
PMI DE SOUS-TRAITANCE
AUTOMOBILE
h Charles PARMENTIER,
chargé de mission, ANACT, département
Santé et Travail, ex-chargé d’études,
INRS, département Homme au travail
Mener une démarche de prévention dans les petites et moyennes entreprises présente des difficultés, AN APPROACH TO IMPROVING WORKING
liées notamment à la faiblesse des moyens dont elles disposent. Nous montrons dans cet article CONDITIONS AT SME/SMI CAR INDUSTRY
comment les préventeurs peuvent tirer parti de cette taille modeste pour engager un dialogue entre SUBCONTRACTORS INSPIRED BY SYSTEMIC
les différents niveaux hiérarchiques. L’intervention présentée porte sur un collectif de 27 salariés d’une PRACTICES OF THE PALO ALTO SCHOOL
PMI de sous-traitance automobile. Nous expliquons comment, en partant du ressenti des salariés
sur différents aspects de leur activité, il a été possible de mettre en place des mesures d’amélioration Implementing a prevention approach in small
des conditions de travail dans plusieurs domaines. Pour la mener, nous nous sommes inspirés des and medium enterprises/industries prove
pratiques systémiques en entreprise développées par l’école de Palo Alto. Cette référence théorique difficult, especially because their resources
apporte un cadre méthodologique intéressant pour le développement de démarches de prévention, are restricted. In this example, we show how
notamment à destination des petites structures. prevention specialists can take advantage of
this modest size to initiate dialogue between
different management levels. The operation
described involved a group of 27 employees
at an SMI subcontractor working in the car
industry. We explain how we established
L
working condition improvement actions in
a construction d’une démarche tiques dont les professionnels de la pré- different fields, based on employee feelings on
de prévention dans des petites vention peuvent tirer parti. Nous mon- various aspects of the activity. In performing
et moyennes structures (PME/ trons dans cette intervention menée dans this operation, we drew inspiration from
PMI) présente des difficultés une PMI de sous-traitance automobile the systemic practices developed by the
spécifiques. La faiblesse des moyens que la taille modeste de l’entreprise peut Palo Alto Medical Research Institute. This
humains, matériels et financiers, ainsi notamment permettre de faciliter le dia- theoretical reference provides an interesting
que leur forte réactivité au marché sont logue entre les différents acteurs. methodological framework for developing
autant de contraintes à intégrer pour prevention actions, particularly in small
réaliser une intervention dans ces entre- Si la culture et la nature des tâches organisations.
prises. Les démarches construites autour du secteur industriel conduisent sou-
de diagnostics relativement lourds ou vent à privilégier les expertises techni-
s’appuyant sur une investigation ergono- ques et ergonomiques pour préserver la
mique impliquent que l’intervenant santé et la sécurité des opérateurs, nous
consacre un temps assez important pour décrivons ici une démarche adoptant un
comprendre la situation ; elles sont de ce angle d’attaque différent : nous verrons 3 SME/SMI
fait souvent plus facilement applicables comment en partant du ressenti des 3 Prevention organisation
dans des entreprises de grande taille. salariés sur plusieurs dimensions de 3 Car
Néanmoins, les petites et moyennes leur activité, il a été possible de mettre 3 Working condition
entreprises présentent des caractéris- en place des améliorations d’ordre orga- 3 Methodology
Selon les principes de cette école, tification des problèmes vécus par ceux Les précautions
l’intervenant doit s’interdire de désigner qui y sont confrontés et l’émergence de
lui-même les situations problématiques solutions. Nous verrons dans le déroule- Deux remarques s’imposent avant
et ne doit pas prescrire de solutions pour ment de l’intervention comment ont été de décrire le déroulement et les résultats
les résoudre. Son rôle est de faciliter la utilisées les données récoltées par ques- de l’intervention.
mise en lumière des problèmes dans un tionnaire et par entretien lors d’une
premier temps puis, dans un second phase de mise en débat des résultats. La première concerne les conditions
temps, de solliciter les acteurs pour de prévention des risques dans l’entre-
qu’ils proposent eux-mêmes des solu- prise concernée. Il est essentiel, avant de
tions. Il renonce à objectiver la situation Les recadrages s’engager dans une démarche s’appuyant
et ne compare pas la structure visée par sur les principes que nous venons de
son action à un « modèle » idéal de fonc- L’une des techniques les plus utilisées décrire, de s’assurer que les mesures
tionnement. par les praticiens de l’école de Palo Alto est élémentaires de prévention des risques
celle dite des « recadrages ». Face à un professionnels sont prises par l’entre-
Dans le même ordre d’idée, il ne problème, une personne ou une structure prise. La position basse de l’intervenant
propose pas de méthode d’intervention ont tendance à répéter les mêmes tenta- n’est déontologiquement envisageable
mais favorise la mise en place collective tives de solutions, même si elles sont que si les normes réglementaires traitant
(co-construction) de la méthode avec les inefficaces [9]. Le but d’une intervention de la santé et de la sécurité des salariés
acteurs concernés, à partir de l’objectif est de permettre aux personnes confron- sont respectées. Dans le cas contraire,
fixé et des principes méthodologiques tées à des problèmes récurrents de l’intervenant serait contraint de reprendre
qu’il a exposés [10]. Les intervenants de prendre du recul de façon à les envisager son rôle de prescripteur. L’entreprise
l’école de Palo Alto donnent à cette pos- sous un angle nouveau, pour y trouver des dans laquelle notre démarche a été appli-
ture de l’intervenant le nom de position solutions différentes de celles mises en quée pratique une politique de prévention
basse [11]. œuvre jusqu’alors. Pour atteindre ce but, active et répond à cette condition.
l’intervenant doit faire en sorte que les
problèmes se posent sous une nouvelle La seconde remarque concerne l’ac-
La place du diagnostic : forme ou dans un nouveau contexte. Le ceptation par l’entreprise d’une démarche
rôle de médiation pour engager diagnostic peut servir à cette fin si, par dans laquelle l’intervenant explique
un dialogue exemple, les résultats obtenus servent de d’emblée qu’il n’apportera pas de solu-
support à un débat sur le travail. Ce tions et ne proposera pas de méthode
Renoncer à identifier les causes des concept de recadrage peut être rapproché éprouvée. Les entreprises ont l’habitude
problèmes pour consacrer ses efforts à des processus de prise de recul sur l’acti- de faire appel à des prestataires extérieurs
la recherche des solutions est un des vité recherchés avec les techniques d’auto- pour résoudre les problèmes qu’elles ne
principes d’intervention de l’école de confrontation [14]. peuvent pas régler elles-mêmes. La qua-
Palo Alto. Son strict respect implique- lité de ces prestataires est évaluée en
rait de dédier le moins de temps possible fonction de leur capacité à apporter des
au diagnostic, voire de s’en dispenser. La brièveté solutions et à les mettre en œuvre.
Dans la pratique il est cependant diffi- Participer et consacrer un temps impor-
cile, sinon impossible, d’envisager une L’intervention systémique doit por- tant à l’élaboration de la démarche avec
intervention de prévention sans s’ap- ter sur un objectif concret (fixé par le un intervenant extérieur, sollicité pour
puyer sur des éléments concrets et dont demandeur) à atteindre dans un délai de l’accomplissement d’une mission, n’est
l’interprétation est partagée par l’ensem- quelques semaines. Une action, même généralement pas dans la culture des
ble des acteurs. La réalisation du dia- minime, ayant des effets positifs doit entreprises. Dans le cas que nous présen-
gnostic permettant de constituer et de ensuite (si les conditions sont réunies) tons ici, l’entreprise a facilement accepté
rassembler ces éléments, il reste souvent engager un cercle vertueux et participer ce principe. Une des hypothèses explica-
incontournable. à la mise en place d’autres actions d’amé- tives est que le relatif inachèvement des
lioration. En thérapie individuelle, les actions précédentes, dont la philosophie
Dans une intervention systémique, praticiens systémistes « orthodoxes » se était plus classique, a encouragé l’entre-
il ne doit cependant pas être considéré au fixent un maximum de 10 séances pour prise à tenter une action plus originale.
sens traditionnel du terme et il convient résoudre un problème. En pratique indi-
de l’envisager comme le point de départ viduelle comme en pratique institution-
de l’intervention, non comme le principal
moyen de dégager des pistes d’action. En
nelle, il est cependant difficile de fixer
une durée conventionnelle d’interven-
MÉTHODE ET
effet, le diagnostic, d’autant plus s’il est tion, puisqu’elle va dépendre des problè- DÉROULEMENT DE
LA DÉMARCHE
réalisé avec un questionnaire, est rare- mes à résoudre et de la complexité de la
ment suffisant pour dégager et mettre en structure abordée.
œuvre des mesures de prévention [12, 13].
Ce caractère bref présente en soi un
Dans cette perspective, les données avantage pour les petites structures, par L’intervention s’est déroulée sur
sur le fonctionnement de l’entreprise et définition limitées dans leurs moyens. une période de six mois, entre la pre-
la santé des salariés doivent être récol- Cela implique une autonomisation rapide mière rencontre et le dernier jour de
tées en mobilisant le plus possible les pour la prise en charge des suites à don- présence de l’intervenant dans l’entre-
acteurs et avec l’objectif d’engager un ner à l’intervention. prise. Elle a porté sur un collectif
dialogue, un débat, qui permettra l’iden- constitué de trois équipes composées
RÉSULTATS
mesures de prévention et
d’améLioration des conditions de
travaiL
Parties du corps
mes soulevés lors de cette intervention
étaient donc déjà connus par l’entreprise Douleurs dos et cou 2,86
mais les tentatives d’y remédier présen-
taient un bilan mitigé. Douleurs aux bras 2,05
semble avoir permis à l’entreprise d’aller Fréquence : de 1 (jamais) à 5 (tous les jours ou presque)
plus loin que lors des démarches précé-
dentes, en faisant émerger des mesures
qui ont été d’autant mieux acceptées ont répondu que « personne ne leur favorisé l’atteinte rapide de consensus
qu’elles émanaient des salariés eux- avait demandé leur avis ». Le DRH a pour déterminer les actions envisagea-
mêmes. Leur mise en œuvre devrait s’en reconnu que la direction avait « sûre- bles et écarter celles qui ne l’étaient pas.
trouver facilitée. Un indicateur de la ment fait cette erreur ».
réussite de l’intervention est la réalisa- Utiliser une démarche ascendante
tion d’actions avant même que l’inter- La rédaction du plan d’action par en plaçant le ressenti et l’expertise des
vention soit terminée (étude sur le rem- l’entreprise de manière autonome et la salariés au cœur de la démarche a aussi
placement des caillebotis, mise en place suite immédiate donnée à la démarche permis d’obtenir des résultats probants.
des casiers). par la réalisation d’un audit sur la ques- Plus que les résultats, c’est la manière d’y
tion de la reconnaissance montrent que parvenir qui doit retenir l’attention. Les
Les dirigeants craignaient l’appari- l’entreprise a la volonté de poursuivre expertises ergonomiques et médicales,
tion de TMS du membre supérieur alors sur la voie ouverte par l’intervention. Les menées précédemment, ont été favora-
que d’après les salariés (si l’on considère petites structures ne pouvant s’autoriser blement complétées par les discussions
les réponses aux questionnaires et la l’appui de spécialistes à titre permanent, constructives qui ont animé les débats.
confirmation lors des débats), les dou- il est primordial de proposer des métho- Les décisions sur les mesures urgentes
leurs les plus importantes étaient ressen- des adaptées à leurs moyens financiers, ont été relativement faciles à prendre,
ties dans les jambes (dues à la station humains et techniques. Leur autonomi- même si tous les problèmes ne sont pas
debout) et dans la nuque (cf. Figure 2). Les sation rapide est donc un enjeu impor- résolus et que le travail entamé n’est pas
études menées précédemment, focalisée tant. La méthodologie employée ici, en terminé. Le fait d’élargir la démarche
sur le risque présumé par la direction impliquant les acteurs internes à l’entre- aux dimensions psychosociales a enrichi
(TMS du membre supérieur), n’avaient prise dans la construction de l’interven- le débat sur les dimensions plus tech-
pas permis de mettre cette méprise en tion, devrait faciliter cette autonomisa- niques, montrant qu’il n’était pas souhai-
évidence. Cet exemple illustre le manque tion. table dans un tel contexte de dissocier les
d’efficacité des méthodes n’accordant pas problèmes psychosociaux (stress et ten-
assez de place à l’expression des salariés. sions interpersonnelles notamment) des
questions matérielles et d’organisation.
Au-delà des actions engagées, c’est
un nouveau mode de dialogue interne à
DISCUSSION/CONCLUSION La mise à l’épreuve des principes
l’entreprise qui a été expérimenté, si ce d’intervention proposés par l’Ecole de
n’est mis en place à l’occasion de cette Palo Alto a permis de tirer quelques
intervention. Les dirigeants ont pris Synthèse des résultats enseignements pour les interventions en
conscience de l’intérêt d’instaurer des prévention. La position basse de l’inter-
échanges dans un cadre non polémique Nous avons rapidement évoqué en venant, bien qu’allant à contre courant
entre les niveaux hiérarchiques, et de la introduction les spécificités des PME/ des pratiques traditionnelles, offre des
nécessité d’adopter une démarche ascen- PMI. Il ressort de cette intervention que perspectives concrètes pour impliquer et
dante pour faire de la prévention, en la taille modeste de l’entreprise a permis mobiliser dirigeants et les salariés.
partant du ressenti et de la confronta- de mobiliser rapidement tous les éche-
tion des différentes représentations. Un lons hiérarchiques, ce qui a facilité le La durée pendant laquelle s’est dérou-
dernier exemple vient illustrer ce point : passage des constats à l’action. Peu de lée l’intervention (six mois), le temps de
lors d’un débat sur le réglage en hauteur réunions ont été nécessaires pour obtenir présence de l’intervenant (environ vingt-
des postes de travail, le directeur des l’accord et l’engagement des différents cinq heures dans l’entreprise réparties
ressources humaines a fait remarquer acteurs, ce qui n’est pas toujours le cas en dix séances), ainsi que la mise en
qu’un système avait déjà été installé à dans des entreprises de plus grande application des premières actions pendant
cette fin. Un salarié est intervenu en taille. La proximité géographique et rela- l’intervention suggèrent qu’il est possible
disant que « ce système n’avait jamais tionnelle entre la direction et les opéra- d’obtenir des résultats concrets et utiles
marché car ils ne pouvaient pas s’en teurs, s’ajoutant à un nombre de strates dans un laps de temps relativement court.
servir ». Le DRH a alors demandé pour- hiérarchiques restreint (comparée à cer- Une durée de quelques semaines semble
quoi ils ne l’avaient pas dit. Les salariés tains groupes industriels), a également envisageable.
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