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Dans cette fable nouvelle on nous parle d'une demoiselle qui était extrêmement orgueilleuse 4 et perverse

et dédaigneuse: de sorte que -ma foi, j'irai jusqu'au boutelle ne pouvait entendre parler de foutre ou de
coucherie - à aucun prix - s sans en avoir mal au coeur et avoir 1' air très mécontent. Et son père l'aimait
tant -parce qu'il n'avait pas d'autres enfants- 12 qu'il faisait toutes ses volontés: il était plus à elle qu'elle à
lui. Ils vivaient seuls tous les deux, ils n'avaient ni servante ni serviteur, 16 et pourtant ils étaient riches. Et
savez-vous pourquoi ce prud'homme n'avait pas de serviteur dans sa maison? La demoiselle n'en désirait
pas, 20 parce qu'elle était de telle nature qu'elle n'aurait pas supporté un serviteur qui parlât de coucherie,
de vit, de couille ou d'autre chose. 24 Et pour cette raison son père n'osait pas avoir d:: serviteur pendant
un mois entier - quoiqu'il en ait eu grand besoin:

pour battre son blé et pour vanner, 2s pour mener sa charrue, et pour faire les autres travaux nécessaires.
Mais il redoute de prendre un serviteur à cause de sa fille envers laquelle il est trop complaisant, 32 jusqu'à
ce que, par hasard, un jeune homme - qui connaissait bien la ruse et la tromperie - ait logé dans cette ville.
Il voulait gagner son pain; 36 il entendit parler de ce vilain et de sa fille, qui haïssait les hommes et ne se
souciait ni de leurs faits ni de leurs propos. 40 Ce jeune homme s'appelait David, il allait tout seul par le
pays, pour chercher l'aventure, comme un preux! Quand il fut bien informé 44 sur la demoiselle
orgueilleuse qui était de si mauvais caractère, il alla tout droit à la maison où elle vivait avec son père: 48
elle n'avait ni soeur ni frère ni boiteux, ni bien fait, ni muet, ni sourd. Le vilain était dans la cour: il étrille et
prépare ses bêtes 52 et retourne son bois de chauffage au soleil - bref, il s'occupe de ses affaires. Et voici
David qui salue le vilain 56 en le priant de le loger pour l'amour de Dieu et de saint Nicolas. Le vilain ne
refuse pas, mais il n'ose pas non plus le lui accorder. 60 Ainsi il lui demande, après un moment, qui il est et
ce qu'il sait faire. David lui dit franchement qu'il servirait très volontiers

64 un prud'homme, s'il en trouvait un, qu'il sait bien labourer et semer, bien battre le blé et bien vanner et
tout ce qu'un valet de ferme doit faire. 68 « J'aurais grand besoin de toi, fait le vilain, par saint Alose, mais il
y a un seul obstacle: j'ai une fille difficile n qui a beaucoup de honte à l'égard des hommes quand ils parlent
de coucherie. Jamais de ma vie je n'ai eu de serviteur que j'aie pu garder longtemps, 76 car dès que ma fille
entend dire «foutre>>, un malaise la prend qui lui saisit le coeur, si bien qu'elle semble devoir en mourir 80
Et pour cette raison je n'ose pas avoir de serviteur, cher ami, parce qu'ils sont débauchés et parlent de façon
trop vulgaire: je craindrais de perdre ma fille! >> 84 David commence à essuyer sa bouche, et puis il crache
de même et se mouche comme s'il avait avalé une mouche. «Arrêtez, cher sire! dit-il au vilain, 88 vous ne
devez pas dire un mot aussi vulgaire! Taisez-vous, pour l'amour du Dieu céleste, car c'est un mot diabolique:
n'en parlez plus jamais là où je suis! n Pour cent livres je ne voudrais pas voir quelqu'un qui en parle ni qui
nomme la coucherie, sans qu'un malaise me prenne au coeur! »

96 Quand la fille du vilain entend le jeune homme qui prononce un tel discours, elle sort de la maison.
Aussitôt elle dit à son pere: 100 «Sire, fait-elle, que Dieu m'aide, vous engagerez ce jeune homme, car il se
trouvera bien avec nous. Celui-ci est tout à fait à ma manière: 104 si vous m'aimez et me chérissez retenez-
le, je vous le demande! - Douce fille, comme vous voulez! >> fait le vilain qui était très bête. 108 Ainsi ils
engagèrent avec grande joie David et le chérirent beaucoup. Quand il fut temps d'aller se coucher le vilain
appella sa fille: 112 <<Or, dites-moi, demoiselle, où est -ce que David pourra coucher? - Sire, si cela vous
plaît, il peut bien coucher avec moi: 116 il me semble qu'il est très honnête et qu'il a fréquenté de bons
endroits. - Ma fille, faites tout selon votre volonté!>> fait le prud'homme. 120 Près du feu au milieu de la
maison se coucha le vilain pour dormir et David alla coucher dans la chambre avec la demoiselle, 124 qui
était très jolie et belle: sa chair était blanche comme une fleur d'aubépinesi elle avait été la fille d'une reine,
elle aurait été belle à souhait. 128 David lui met la main tout droit sur les mamellettes et demande ce que
c'est. Elle dit: << Ce sont mes mamelles, 132 qui sont très blanches et belles: rien en elles n'est ni laid ni
sale. >>

Et David fait descendre sa main tout droit au trou, sous le ventre, 136 par lequel le vit pénètre dans le corps,
puis il sent les poils qui avaient déjà commencé à croître: ils étaient encore doux et tendres. Il tâte tout de
sa main droite, 140 puis il demande ce que cela peut être. «Ma foi, fait-elle, c'est mon pré, David, là où vous
touchez, mais il n'est pas encore en fleurs. 144 - Ma foi, dame, dit David, on n'y a pas encore planté d'herbe.
Et qu'est-ce que c'est, au milieu de ce pré, ce fossé agréable à toucher et ouvert? 148- C'est, fait-elle, ma
fontaine, qui n'a pas encore jailli jusqu'à maintenant. - Et qu'est-ce que c'est, juste après, fait David, dans ce
lieu élevé? 152 - C'est le sonneur de cor qui la garde, fait la pucele, c'est la vérité: si une bête entrait dans
mon pré pour boire à la fontaine claire, 156 aussitôt le sonneur sonnerait du cor pour lui faire honte et peur.
- Voici un sonneur de cor diabolique, fait David, et de mauvais caractère, 160 qui veut ainsi mordre les bêtes
pour que l'herbe ne soit pas gâtée! - Maintenant, fait la pucelle, tu rn' as bien tâtée partout, David! » 164
Aussitôt elle met sur lui sa main,

qui n'était ni mal faite ni courte, et dit qu'elle saura ce qu'il porte. Alors elle commença à lui poser des
questions 168 et à tâter ses choses, jusqu'à ce qu'elle l'ait saisi par le vit: «Qu'est-ce que c'est, ici, David,
demande-t-elle, si raide et si dur m qu'il pourrait bien percer un mur? - Dame, fait-il, c'est mon poulain, qui
est très fort et sain, mais il n'a plus mangé depuis hier matin.>> 176 Elle fait descendre sa main de nouveau,
et elle trouve la couille velue: elle tâte les deux couillons et les remue, puis demande de nouveau: << David,
1so qu'est-ce que c'est donc, dans ce sachet, est-ce que ce sont deux pelotes? >> David répliqua vite:
<<Dame, ce sont deux palefreniers 184 qui doivent garder mon cheval, quand il paît dans d'autres pâtures.
Ils l'accompagnent toujours: ils sont là pour garder mon poulain. 188- David, fais-le paître dans mon pré, ton
beau poulain, que Dieu te protège! >> Et celui-ci se tourne de l'autre côté et lui met le vit sur le pénil. 192
Puis il a dit à la pucelle qu'il avait tournée sous lui: << Dame, mon poulain meurt de soif: il en a eu grande
souffrance! 196- Vas-y, va l'abreuver à ma fontaine, fait elle, n'aie pas peur!

- Dame, je redoute le sonneur de cor fait David, je crains qu'il grogne 200 si le poulain entre dedans. » Elle
répond: «S'il en dit du mal les palefreniers le battront bien! >> David répond: «C'est bien dit!>> 204 Aussitôt
il lui met le vit dans le con, et fait tout ce qu'il a envie de faire, si bien qu'elle ne le tient pas pour mou, car il
la retourne quatre fois! 2os Et chaque fois que le sonneur grondait, il fut battu par deux jumeaux. Sur ce
mot prend fin le fabliau.

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