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Observatoire du Management Alternatif

Alternative Management Observatory


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Fiche de lecture
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L’intérêt souverain
Essai d’anthropologie économique spinoziste
Frédéric Lordon

Alice de Rochechouart – Janvier 2012


Majeure Alternative Management – HEC Paris – 2012-2013

De Rochechouart A. - Fiche de lecture « l’intérêt souverain » - Janvier 2012 1


L’intérêt souverain

Cette fiche a été réalisée dans le cadre du cours « Grands défis planétaires » donné
par Denis Bourgeois, David Khoudour-Castéras et Thanh Nghiem au sein de la
ème
Majeure Alternative Management, spécialité de 3 année du programme Grande
École d’HEC Paris.

Résumé : Dans cet ouvrage, Frédéric Lordon utilise la philosophie de Spinoza pour
étudier les fondements de la société politique et économique actuelle. Il crée ainsi un
nouveau paradigme lui permettant d’analyser les questions du don et de l’intérêt
dans les sociétés modernes.

Mots clés: Spinoza, Intérêt, Don

The ruling interest

This review was presented in the « Global challenges » course of Denis


Bourgeois, David Khoudour-Castéras and Thanh Nghiem. This course is part of
the “Alternative Management” specialization of the third-year HEC Paris
business school program.

Abstract: Using Baruch Spinoza’s philosophy, Frédéric Lordon studies current


political and economical society’s foundations. He creates a new paradigm that
enables him to analyze the matters of interest in modern societies.

Key words: Spinoza, Interest, Donation, Gift

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Table des matières
1. L’auteur et son œuvre .........................................................................................3
1.1. Biographie de l’auteur ................................................................................3
1.2 Place de l’ouvrage dans la vie de l’auteur....................................................4

2. Résumé de l’ouvrage ..........................................................................................4


2.2.1. Détour par la philosophie spinozienne ...............................................5
2.2.2. Réfutations des théories de l’utilitarisme et du MAUSS :
dépassement par le conatus............................................................................6
2.2.3. Conatus et régulation de la société......................................................7
2.2.4. Économie générale de la violence.......................................................8

3. Commentaires critiques ....................................................................................10


3.1. Avis d’autres auteurs sur l’ouvrage ..........................................................10
3.2. Avis de l’auteur de la fiche .......................................................................10

4. Références et Bibliographie de l’auteur............................................................11


4.1. Références.................................................................................................11
4.2. Bibliographie de l’auteur ..........................................................................11

1. L’auteur et son œuvre

1.1. Biographie de l’auteur

Frédéric Lordon, né en 1962, est diplômé de l’École Nationale des Ponts et


Chaussées et de l’Institut supérieur des affaires. Il possède également un doctorat
en sciences sociales, et est aujourd’hui directeur de recherche au CNRS et
chercheur au Centre de Sociologie Européennes. Il est également membre de

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l’association des Économistes atterrés, et collabore régulièrement avec le journal
Le Monde Diplomatique.

1.2 Place de l’ouvrage dans la vie de l’auteur

Cet ouvrage poursuit la construction d’un paradigme d’analyse spinoziste déjà


commencé par l’auteur dans des ouvrages précédents. Ici, il applique son
système d’analyse à la question du don, et de l’intérêt.

2. Résumé de l’ouvrage

2.1. Plan de l’ouvrage

Cet ouvrage comprend six parties, outre l’introduction et la conclusion :


1. Le problème des choses
2. L’économie : dangereuse et ignoble
3. Les jeux de l’intérêt
4. La tragi-comédie des « bienfaits »
5. Conatus, interesse, timesis

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6. Structures sociales et structures mentales : de l’intérêt au
désintéressement

2.2. Résumé de l’ouvrage

2.2.1. Détour par la philosophie spinozienne

Afin de mieux comprendre le prisme élaboré par Frédéric Lordon, il convient


de revenir sur la philosophie spinoziste et d’en étudier les principaux
enseignements.
Baruch Spinoza, philosophe hollandais du XVIIème siècle, a créé un tout
nouveau système philosophique s’éloignant totalement des principes cartésiens.
En effet, pour lui, l’Homme est un conatus : le conatus est ce qui nous pousse à
agir, à désirer, il est l’effort que fait chaque chose pour persévérer dans son être.
Ainsi, le conatus n’est pas une partie de nous, il est le nous tout entier.
Néanmoins, le conatus est déterminé aussi bien par des causes intérieures –
nous cherchons ce qui est bon pour nous – que par des causes extérieures qui
influent sur notre conatus. Dès lors, il s’agit de connaître et d’identifier ces
causes extérieures afin de ne pas être faussement mus par eux. Nos actions sont
ainsi l’effet de notre conatus, et nos passions sont l’effet des choses extérieures
sur nous : les premières sont la liberté, les deuxième la contrainte. En effet, il n’y
a pas de réel libre-arbitre chez Spinoza : l’Homme est déterminé par des désirs,
eux-mêmes toujours tournés vers son intérêt, ou tout du moins ce qu’il pense être
son intérêt, c’est-à-dire vers ce qui accroît sa puissance d’agir. Le problème peut
dès lors surgir lorsque les désirs sont uniquement mus par des causes extérieures,
et donc inadéquates : c’est le régime de la Servitude, lorsque l’Homme est
soumis à des contraintes. Par opposition, il existe la régime de la Fortitude, dans
lequel les désirs de l’Homme proviennent de son conatus uniquement.
Ainsi, le conatus mène l’Homme à chercher ce qui est bon pour lui. Dès lors,
chez Spinoza, la Morale, et donc le Bien et le Mal, n’existent pas : le Bien est en
fait ce qui est bon pour nous, le Mal est ce qui est mauvais pour nous. Le mal
n’exprime pas notre essence, notre conatus, mais uniquement l’ignorance des
causes extérieures qui nous poussent à désirer ce qui n’est pas bon pour nous.
C’est donc notre ignorance qui crée la Morale, puisqu’elle nous pousse à
objectiver et à systématiser ce qui n’est que relatif : il faudra donc créer une
Ethique et non une Morale, puisque la Morale supplée à notre connaissance et

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suscite l’obéissance – celle-ci pouvant être bonne, comme l’obéissance à la loi du
Christ, ou mauvaise, comme l’obéissance à la loi du tyran.
La philosophie spinoziste est donc une théorie de la connaissance pour le
bonheur de l’Homme : l’Homme est dynamisme et élan vital, il n’est ni un loup
ni un animal social, mais il peut être les deux, tour à tour, en fonction des
circonstances. Pour n’être qu’animal social, il devra accroître toujours plus sa
connaissance pour ne suivre que les désirs mus par son conatus et réaliser des
actions, plutôt que de se faire contraindre par les choses extérieures et être
soumis à ses passions.

2.2.2. Réfutations des théories de


l’utilitarisme et du MAUSS : dépassement
par le conatus

Selon Frédéric Lordon, les théories traditionnelles utilitaristes et les théories


anti-utilitaristes du MAUSS (Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales) ne
permettent pas d’appréhender la complexité du comportement de l’individu.
En effet, la première présente l’homme comme un individu rationnel,
calculant l’efficacité de ses actions et cherchant uniquement le profit matériel à
court terme. La réciprocité du don provient est donc une des formes de l’échange
marchand, puisqu’il est « donnant-donnant ». Mais ce comportement ne permet
pas de rendre compte des comportements irrationnels par exemple, et montre très
rapidement ses limites.

A l’inverse, le MAUSS propose une antinomie « intérêt à / intérêt pour », le


premier étant une forme de l’égoïsme, le deuxième de l’altruisme. Frédéric
Lordon caricature cette théorie, en montrant qu’il s’agit là d’une morale naïve du
don, coincé par cette dichotomie stérile égoïsme / altruisme, ou encore intérêt /
désintéressement.
Dès lors, Lordon utilise le conatus spinoziste comme dépassement de ces deux
théories. En effet, l’action est ainsi systématiquement mue par l’intérêt, mais un
intérêt élargi par rapport au simple intérêt économique de la théorie standard : le
conatus. Il s’agit, comme Lordon le nomme, d’un « utilitarisme de la puissance
». Le conatus est dès lors « la forme la plus fondamentale de l’intérêt […] dont
dérivent toutes les autres formes d’intérêt ». Cet intérêt-conatus est donc une

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quête de puissance « fondamentalement autocentrée et intéressée à elle-même »,
mais elle n’est pas rationnelle car guidée par les pulsions et les affects. Le
conatus est donc ici « un égocentrisme de la persévérance », c’est un intérêt
souverain, qui dépasse de beaucoup l’intérêt utilitariste – lui-même une
particularité d’un mouvement vital beaucoup plus général.

2.2.3. Conatus et régulation de la société

Par conséquent, la rencontre de ces conatus peut se faire avec beaucoup de


violence, puisque ceux-ci sont des puissances en quêtes de puissance. L’État de
Nature est donc d’une violence extrême, qui a pour motif la lutte pour les choses.
Cette rencontre des conatus pronateurs entraîne un chaos généralisé, qui doit
s’arrête avant la destruction généralisée : c’est là qu’intervient le don. En effet, le
don est un antidote à cet acte pronateur, antisocial par nature : le système du don /
contre-don permet une régulation de la violence pronatrice. Cette négociation
créatrice de droit et d’institutions va donc permettre le passage à un État de
société.
Ainsi, trois procédés vont contribuer à la régulation de la société :
- la prohibition, qui oppose une autre puissance, collective cette fois, à la
puissance individuelle des conatus : c’est le droit et les institutions. On se
rapproche ici du monopole de violence légitime de l’État.

- La sublimation ou substitution : les énergies du conatus sont redirigées


vers la quête du profit symbolique (le prestige d’avoir donné par
exemple), au détriment de l’intérêt matériel de prendre. Le don est donc
fondamentalement intéressé.
- La dissimulation : l’intérêt économique est refoulé, au profit de l’intérêt
symbolique. Il y a donc mensonge à soi-même.

Ainsi, tout motif d’action est guidé par l’intérêt – l’intérêt ayant toutefois une
définition considérablement enrichie par rapport à l’intérêt purement
économique. Comme nous l’avons dit précédemment, l’intérêt pour l’Homme est
la maximisation de sa puissance d’agir : voilà son conatus. Toutefois, celui-ci est
régulé et mis en forme par l’ordre symbolique : cette redirection des mouvements

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des conatus permet la survie du groupe, et pose la question de la régulation de
l’expression des conatus par la politique.
Enfin, pour poursuivre l’analogie avec Spinoza : il existe des causes
extérieures qui déterminent les actions de l’Homme. Il s’agit ici de la
qualification sociale des individus : en digne héritier de Pierre Bourdieu, Frédéric
Lordon évoque ainsi l’habitus. Il peut également s’agir du pouvoir normalisateur
des institutions, qui constitue un affect commun.

2.2.4. Économie générale de la violence

La régulation des conatus violents par la prohibition, la substitution et la


dissimulation vont créer ce que l’auteur nomme « une économie générale de la
violence ». En effet, les conatus, bien que maîtrisés, agissent toujours comme des
élans de puissance, et peuvent modifier les institutions et l’État. Un équilibre
existe certes, mais peut être modifié par l’action des conatus au sein des
structures. Le capitalisme n’est donc plus un système de marchés, fonctionnant
grâce à la rencontre de l’offre et la demande : en effet, l’auteur envisage le
capitalisme comme un système de rapports sociaux, comme un lieu où se
rencontrent – parfois violemment – des puissances, ou en d’autres termes, des
conatus. Nous définissions le conatus spinoziste comme « l’effort que fait
chaque chose pour persévérer dans son être », et dans la société capitaliste, il
s’agit de « grossir ou périr », enjeu vital dans « l’être du capital ».

Par ailleurs, l’auteur analyse un retour du « refoulé » dans l’économie


marchande : le calcul revient, remettant l’intérêt matériel à court terme au cœur
des désirs du conatus. C’est ce qu’il nomme « le conatus revenu au stade
méthodique » : les sociétés marchandes s’orientent de plus en plus vers la
violence et la pronation initiale, mais sont encore régulées par la prohibition sous
la forme du droit.

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3. Commentaires critiques

3.1. Avis d’autres auteurs sur l’ouvrage

L’ouvrage semble avoir été très bien reçu par la communauté des économistes
et sociologues contemporains. La seule question soulevée demeure son
intégration possible dans l’école de la régulation : en effet, Frédéric Lordon est
très actif dans cette école, mais son prisme spinoziste est-il compatible avec le
prisme traditionnellement marxien et hégélien de l’école de la régulation ?

3.2. Avis de l’auteur de la fiche

En construisant un nouveau paradigme d’analyse anthropologique et


sociologique des sociétés contemporaines, l’auteur nous permet de sortir de
l’éternel dilemme entre théorie utilitariste standard et théories du MAUSS, en
d’autres termes entre pessimisme et optimisme extrêmes dans l’analyse du
comportement humain. Comme Spinoza nous avait délivrés de l’incontournable
prisme cartésien, Frédéric Lordon dépasse l’antagonisme « L’Homme ne peut
être qu’égoïste et calculateur » et « l’Homme peut être soit égoïste soit altruiste »
en construisant un tout nouvel angle de vue. Ainsi, il fournit une analyse du
marché extrêmement intéressante, l’analysant en tant que lieux d’échanges de
rapports sociaux – et non d’intérêts matériels à court terme - où les actions ne
sont pas mues par l’efficacité économiques mais bien pas la volonté de puissance.
Cette analyse formalise ce qui peut souvent être ressenti lorsque l’on se penche
un peu sur l’économie actuelle…
Toutefois, cette analyse, par essence, nie l’existence de tout désintéressement.
L’Homme est donc finalement purement égoïste, même si cet égoïsme ne s’arrête
pas à la recherche du profit matériel mais comprend aussi le profit symbolique. Si
Spinoza nous proposait une philosophie de la joie, Lordon nous propose une
anthropologie un peu pessimiste.

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4. Références et Bibliographie de l’auteur

4.1. Références

• « Frédéric Lordon », Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9d


%C3%A9ric_Lordon
• « Spinoza », http://sos.philosophie.free.fr/spinoza.php

4.2. Bibliographie de l’auteur

• 1997 - Les Quadratures de la politique économique.


• 2000 – Fonds de pension, piège à cons. Mirage de la démocratie
actionnariale
• 2002 – La Politique du capital
• 2003 – Et la vertu sauvera le monde
• 2006 – L'intérêt souverain : Essai d'anthropologie économique
spinoziste
• 2008 – Spinoza et les sciences sociales. De l'économie des affects à
la puissance de la multitude, en collaboration avec Yves Citton
• 2008 − Jusqu'à quand ? Pour en finir avec les crises financières
• 2008 − Conflits et pouvoirs dans les institutions du capitalisme
• 2009 − La crise de trop - Reconstruction d'un monde failli
• 2010 − Capitalisme, désir et servitude. Marx et Spinoza
• 2011 − D'un retournement l'autre. Comédie sérieuse sur la crise
financière. En quatre actes, et en alexandrins

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