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Ehrard Friedberg
Author(s): JEAN LECA and BRUNO JOBERT
Source: Revue française de science politique, Vol. 30, No. 6 (DÉCEMBRE 1980), pp. 1125-1170
Published by: Sciences Po University Press
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/43121332
Accessed: 12-07-2018 06:32 UTC
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LE DÉPÉRISSEMENT DE L'ÉTAT
* Nous remercions Frédéric Bon, Michel Dobry, Pierre Favre et Georges Lavau
pour leurs observations sur une première version de ce texte.
** Les chiffres en italique mis entre parentheses indiquent les references aux pages
de L'acteur et le système (Paris, Le Seuil, 1977).
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Jean Leca et Bruno Jobert
1. Dans une littérature luxuriante, voir par exemple Wolin (Sheldon), Politics and
vision , Boston, Little, Brown, 1960, p. 1, 10, 11 ; Deutsch (Karl), « The nature of poli-
tics » in Politics and government , Boston, Houghton-Mifflin, 1974, p. 3-30 (2e éd.) ;
Lapierre (Jean William), L'analyse des systèmes politiques , Paris, PUF, 1973, p. 34-35 ;
Bergeron (Gérard), La gouverne politique , Paris, Mouton, 1977. Parmi les membres du
Groupe de sociologie des organisations, on retiendra la rapide contribution de Jean-
Pierre Worms, qui doit beaucoup à des discussions avec des politistes, « La redécouverte
du politique » in Crozier (Michel), Friedberg (Erhard) et al., Où va l'administration
française ?, Paris, Les Editions d'organisation, 1974, notamment p. 188-191.
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PRÉSENTATION
Le pouvoir
Cet « éternel blanc dans nos théories de l'action sociale » (24) est
perçu comme « une relation et non un attribut des acteurs » (56) ; rela-
tion d'un type spécifique, non pas d'abord domination mais échange,
donc négociation mise au service d'un but qui motive l'engagement de
ressources de la part des acteurs, quel que soit ce but (y compris bien
sûr la domination) et quelles que soient les formes conscientes ou
inconscientes de cet engagement (57). Relation réciproque mais déséqui-
librée : sans déséquilibre, il n'y a pas de pouvoir puisque l'échange est
égal (Crozier et Friedberg font ici une concession à la thèse classique
qui lie d'une façon ou d'une autre le pouvoir à l'inégalité des ressources et
des situations, mais ils préciseront vite que les inégalités ne sont jamais
fixées une fois pour toutes, ni pour toutes les situations). Mais aussi
pas de pouvoir sans réciprocité ; il faut citer ici intégralement, tant la
formule prend le contre-pied des idées reçues dans le sens commun :
« Si une des deux parties en présence n'a plus aucune ressource à enga-
ger dans une relation, elle n'a plus rien à échanger : elle ne peut donc
entrer dans une relation de pouvoir à proprement parler » (58, souligné
par nous). D'où cette première approximation du pouvoir : « C'est un
rapport de force dont l'un peut retirer davantage que l'autre, mais où,
également, l'un n'est jamais totalement démuni face à l'autre » (59,
souligné dans le texte). Le pouvoir est donc intrinsèquement lié à la
liberté de l'acteur, non sa liberté métaphysique mais plus simplement sa
capacité à mobiliser des ressources et à rendre les conséquences de
l'interaction (ou du « jeu », dans le langage ici adopté, au double sens
des « règles du jeu » et d'un mécanisme dont on dit qu'il « a du jeu »)
incertaines pour le partenaire-adversaire. C'est en ce sens que le pou-
voir est toujours contrôle de zones d'incertitude. Me rendre incertain
aux autres en sortant du « rôle » social qu'ils « s'attendent » à me voir
jouer, c'est me constituer « une source de pouvoir ouvrant la possibi-
lité de marchandage »2.
2. Malgré les apparences, cette proposition n'est pas contraire aux thèses classiques
de l'interaction stratégique dont Crozier et Friedberg s'inspirent très largement (Schelling
(Thomas), The strategy of conflict , Cambridge, Harvard University Press, 1960). En par-
ticulier, le « pouvoir de se lier soi-même », donc de rendre son comportement parfaite-
ment prévisible au cas où l'adversaire ferait tel mouvement revient aussi à maîtriser une
zone d'incertitude dans la mesure où l'adversaire ne sait pas quelles seront les conséquen-
ces, pour lui, de l'exécution automatique de mon mouvement en réponse à son mouve-
ment. Les cheminots-grévistes qui se ligotent sur les rails d'un train briseur de grèves sor-
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Jean Leca et Bruno Jobert
Bien entendu, du fait de leur situation sociale, les acteurs n'ont pas
les mêmes capacités stratégiques (65), mais le propre de la relation de
pouvoir est qu'on ne peut déduire nécessairement Tissue du jeu de la
distribution des capacités : il y a place pour une théorie probabiliste
mais non déterministe (77). La distribution inégale des capacités est un
fait qui contribue à constituer une relation de pouvoir, elle n'en est
jamais l'explication3. On devine dès lors dans quel sens va s'orienter le
passage de l'analyse relationnelle (seule abordée jusqu'ici) à l'analyse
sociologique des ensembles : Crozier et Friedberg refusent de déduire
des relations de pouvoir spécifiées d'une quelconque structure
d'autorité (24) :
tent décidément de leur rôle en affectant à Penjeu de la poursuite de la grève un coût (la
mort d'hommes) qui change la nature du jeu : le conducteur de train est mis « en
demeure de choisir entre les conséquences relativement prévisibles d'un arrêt de train et
les conséquences plus imprévisibles, voire proprement incalculables (émeutes, etc.), de la
mort des grévistes. C'est pourquoi il est probable que le train s'arrêtera ... » à condition
que les conséquences d'un accident mortel ne soient pas considérées comme négligeables
dans la société (61).
3. De même dans l'analyse stratégique de Schelling, « Les résultats de l'interaction
ne peuvent ... être déduits des conditions initiales de l'interaction (ordre des préférences,
paramètres, etc.) et sont dépendants de la dynamique autonome du processus » (Dobry
(Michel), « Note sur la théorie de l'interaction stratégique », Arès. Sécurité et défense, 1 ,
1977, p. 6). On verra cependant que cette position ne satisfait pas complètement Crozier
et Friedberg dans la mesure où, laissant entière « la question centrale des mécanismes
régulateurs assurant l'intégration des comportements des secteurs au sein des structures
collectives », elle ouvre la porte à deux explications contradictoires (l'ajustement mutuel
entre acteurs, la domination universelle) qui considèrent institutions et systèmes d'action
intermédiaires comme des courroies de transmission neutres (83, 84).
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Le dépérissement de ¡'Etat
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Jean Leca et Bruno Jobert
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Le dépérissement de l'Etat
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Jean Leca et Bruno Jobert
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Le dépérissement de l'Etat
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Le dépérissement de I ' Etat
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Jean Leca et Bruno Jobert
1 1 . Nous espérons ne pas être questionnés trop ironiquement sur ces « besoins
humains essentiels ». Les « vrais » besoins des hommes n'existent peut-être pas en
soi ( 368 note), ils ne sont peut-être pas révélés par le matérialisme historique ou la
psychologie sociale, mais ils existent comme construits sociaux, « arbitraires » parce que
construits, mais nullement aléatoires. C'est sur cette base que Peter Berger, difficilement
récusable par Crozier et Friedberg, fonde la « perspective humaniste » de sa sociologie.
Berger (Peter), Comprendre la sociologie , Paris, Resma, 1973.
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Le dépérissement de l'Etat
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Le dépérissement de l'Etat
13. Cf. l'exposé provocant de ce point dans Crozier (Michel), On ne change pas la
société par décret , Paris, Grasset, 1979 (chap. VII « Contre la technocratie, jouer la
connaissance », p. 173-200).
14. Hayek (F. A.). Law, legislation and liberty, Londres, Routledge and Kegan raul,
1973, vol. 1, notamment p. 35-54.
15. Rapprocher par exemple Crozier, op. cit., p. 38 et Hayek, op. cit., vol. z, iy/6,
p. 110. « ... the Great society has no common concrete purposes ... it is merely means-
connected and not ends-connected ».
16. Outre On ne change pas la société par decret, deja cite, on mentionnera, dans
les années 1960, les contributions de Michel Crozier à la revue Esprit et aux travaux du
Club Jean Moulin et, dans les années 1970, La société bloquée, Paris, Le Seuil, 1970,
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Jean Leca et Bruno Jobert
« Dialogue sur La société bloquée. La réponse de Michel Crozier », Projet , février 1971,
p. 220-221, « Pour une meilleure gestion du tissu collectif », in Où va l'administration
française ? op. cit. p. 207-222 et « Western Europe », in Crozier (Michel), Huntington
(S. P.), Watanuki (J.), The crisis of democracy : report on the governability of democra-
cies to the trilateral Commission , New York, New York University Press, 1975, p. 12-57.
17. Bendix (R.) et Lipset (S.M.), « The field of political sociology », in Coser (L.)
ed., Political sociology , New York, Harper, 1966, p. 18-19. Le texte original est de 1957.
Cf. aussi Grosser (Alfred), L'explication politique , Paris, Presses de la Fondation natio-
nale des sciences politiques, 1972, p. 83-90.
18. Bendix (R.), Lipset (S.M.), op. cit. p. 20-22.
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Le dépérissement de l'Etat
19. Critiqué par Giovanni Sartori, « From the sociology of politics to political
sociology », in Lipset (S.M.) ed., Politics and the social sciences, New York, Oxford
University Press, 1969, p. 65-100.
20. Cf., par exemple, Strauss (Leo), Droit naturel et histoire, Paris, Pion, 1954,
Introduction, What is political philosophy ? Glencoe, Free Press, 1959 ; Lefort (Claude),
Les formes de l'histoire, Paris, Gallimard, 1978, « Préface ».
21. Cf. Sartori (G.), Théorie de la démocratie, Paris, A. Colin, 1973 ; Lively (J.),
Democracy, Oxford, Blackwell, 1975 ; Birnbaum (P.), Lively (J.), Parry (G.) ed., Demo-
cracy, consensus and social contract, Londres, Sage, 1978.
22. Wolin (Sheldon), « Paradigms and political theories », in King (Preston) et
Parekh (B.C.) eds., Politics and experience : essays presented to Michael Oakeshott,
Cambridge, Cambridge University Press, 1968, p. 139-140.
23. Habermas (J.), Théorie et pratique, Paris, Payot, 1975, vol. l, p. 4^-4 j.
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Jean Leca et Bruno Jobert
24. Les références éparses à Sartre, Husserl, Foucault, sont peut-être moins périphé-
riques et accidentelles qu'elles n'en ont l'air...
25. Cf. Les principes de la philosophie du droit , Paris, Gallimard, 1940, § 257 à
270 ; Weil (Eric), Hegel et l'Etat , Paris, Vrin, 1950, p. 31-32.
26. Cf. Shils (E.), « Charisma, order and status », m Eisenstadt (S.N.) ed., Political
sociology , New York, Basic Books, 1971, p. 61-73. La « disposition civile », terme que
Shils a employé pour les sociétés démocratiques de masse, paraît assez proche du terme
plus général de « déférence » (« La théorie de la société de masse », Diogène, 39, 1962,
p. 50 sqq.).
27. Sur (et contre) le constructivisme social, cf. Hayek (F.) op. cit., vol. 1, p. 24
sqq., p. 142-143. Bien entendu, toute la théorie politique n'est pas constructiviste ni
adepte de l 'Etat-providence, mais même sa fraction la plus libérale admet (pour le redou-
ter) que l'Etat a une capacité d'édiction de règles virtuellement illimitées ; c'est justement
pourquoi elle attache une importance centrale à l'encadrement et la division du pouvoir
politique.
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Le dépérissement de l'Etat
28. D'où le refus de Crozier et Friedberg d'analyser les pratiques sociales à partir
des « choix politiques », car, ceux-ci donnant la priorité aux buts, « il ne peut plus y
avoir aucune liberté de choix au niveau des moyens, et, par un paradoxe que nous avons
plusieurs fois relevé, le mépris des moyens aboutit en fait au règne des technocrates qui
disposent seuls des secrets techniques grâce auxquels on peut découvrir le one best way
indispensable » (373) ... et toujours voué à l'échec. Cf. aussi Crozier (Michel), « Pour
une meilleure gestion du tissu collectif », in Où va l'administration française ?, op. cit.,
p. 208 : « Ce dont nous avons besoin en effet, ce n'est pas de connaître les idées régnan-
tes sur ce qui devrait être, c'est de comprendre à quoi servent réellement les pratiques
actuelles ». Ainsi le pouvoir politique officiel est cantonné dans les « buts », pendant que
les « moyens » relèvent des pratiques (c'est-à-dire des systèmes d'action) « seul domaine
qui compte » (373). Il n'en reste plus grand chose...
29. Par exemple Lavau (Georges), « Les sciences sociales mettent-eues en cause ia
spécificité du pouvoir politique ? », in Pouvoir et société. Recherches et débats du Centre
catholique des intellectuels français, Paris, Desclée de Brouwer, 1965, p. 32-34.
30. Bailey (F.G.), Les règles du jeu politique, Paris, ťvt, iwj, p. lui, 'it et pas-
sim. Nous citons, parmi d'autres, cet excellent essai parce que, bien que recherchant « un
niveau de connaissance du fonctionnement du jeu qui pourrait être ignoré de ceux qui le
jouent », et abordant nombre de questions dans un esprit très proche de celui de Michel
Crozier (cf. par exemple sa distance vis-à-vis de l'aspect mécaniste et schématique de
l'analyse d'Easton et son malaise envers les analystes qui ne donnent pas à l'homme le
rôle central en tant qu'entrepreneur (p. 23) ainsi que sa référence aux processus d'essai et
erreur pour introduire de nouvelles règles du jeu (p. 132)), il porte la plus grande atten-
tion (ironique) au langage politique et à ses « thèmes normatifs », mot à ses yeux plus
adéquat que « valeurs » « parce qu'il implique que les hommes politiques les rabâchent
continuellement » (p. 119 note).
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Le dépérissement de l'Etat
34. La façon dont Pierre Bourdieu traite le langage politique est de ce point de vue
beaucoup plus acceptable par le politiste : « Si la politique ne se situe évidemment pas
sur le seul terrain de l'opinion, c'est-à-dire du discours, comme le veut la définition
dominante de la lutte politique, il reste que, sous peine de se réduire à des flambées
aveugles, les luttes politiques ne peuvent se passer du discours politique, seul capable de
donner au groupe la conscience des objectifs communs par lesquels et pour lesquels il
peut se mobiliser » (« Questions de politique », Actes de la recherche en sciences
sociales , septembre 1977, p. 89).
35. Wolin (S.), « Political theory as a vocation », American political science review,
1969, p. 1078.
36. Weber (Max), Wirtschaft und Gesellschaft, Tübingen, J.C.B. Mohr, 1947,
3e partie, chap. 2, p. 613 ; Aron (R.), « A propos de la théorie politique », in Etudes
politiques, Paris, Gallimard, 1972, p. 154-155.
37. « Introduction », p. 22-23. Cf. aussi The crisis of democracy, op. cit., p. 39.
38. Cf. par exemple Friedberg (E.), « Insaisissable planification », Revue française
de sociologie, 1975, Supplément, p. 605-623. La planification « n'est pas ce méga-champ
central qui permettrait de saisir d'emblée les mécanismes fondamentaux de la régulation
sociale et de leur changement ». Le contexte parle clairement : il n'y a nulle part un ni
même plusieurs mécanismes centraux : seuls les systèmes d'action « peuvent enrichir
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Le dépérissement de l'Etat
donc irréductible entre ceux qui n'établissent pas de lien entre la distri-
bution globale des ressources et les relations de pouvoir (les relationa-
listes et les interactionnistes), d'une part, et ceux qui ne peuvent croire
qu'il n'y a pas quelque rapport entre la question : « Qui bénéficie dans
la structure ? » et la question : « Qui initie ? qui mobilise ? qui
l'emporte dans le processus ? », d'autre part43.
L'opposition relation-détention, que l'on a pris l'habitude de
confondre avec l'opposition pluralistes-élitistes **, semble en voie d'apai-
sement dans la mesure où la perspective stratégique, donc relationnelle,
est désormais prise en compte par ceux qui mettent d'abord l'accent
sur les structures d'inégalité45, mais où également les contraintes struc-
turelles de l'exercice du pouvoir, les formes de domination et de
contrôle social sont intégrées dans la relation de pouvoir par le biais
des phénomènes d'« ajustement déférentiel » ou d'« ajustement par
anticipation » (57) 46 . Mais cet armistice méthodologique n'a pas sup-
primé le véritable objet de la guerre : pour Crozier et Friedberg, les
théories substantives du pouvoir conduisent le plus souvent à rattacher
le fonctionnement de ce dernier à la domination sociale généralisée,
permanente et objective, d'une classe, d'un bloc ou d'un « système ».
Il s'ensuit qu'elles parlent tout le temps du pouvoir, de sa concentra-
tion et de sa distribution, sans prendre jamais la peine de l'étudier
empiriquement puisqu'elles ont déjà les réponses au moment même où
elles posent les questions : il suffit en effet d'imputer un produit social
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Jean Leca et Bruno Jobert
47. L'exposé le plus clair de cette position est présenté par S. Lukes ( Power : a radi-
cal view, Londres, Macmillan, 1974). Le pouvoir de A sur B est le fait que « A affecte
la situation de B d'une façon contraire aux intérêts de B, les intérêts étant définis par ce
que les hommes choisiraient s'ils en avaient la possibilité et non par ce qu'ils choisissent
concrètement » (p. 34).
48. Boudon (Raymond), Effets pervers et ordre social , Paris, PUF, 1977.
49. Cf. l'analyse par Robert Alford de la politique américaine de la santé et de ses
crises ( Health care politics , Chicago, University of Chicago Press, 1975). Pour lui, les
intérêts structurels sont « those interests served or not served by the way they " fit " into
the basic logic and principles by which the institutions of a society operate » (p. 14).
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Le postulat de non-hiérarchisation des systèmes d'action
ou l'absence du système politique
50. Par exemple, les « interdits religieux ou moraux, charismes de leader ... habitu-
des et coutumes, formes de raisonnement et outils intellectuels ...» (258).
51. Cf. Boudon (Raymond), «Sur les avatars sociologiques de Ihistoncisme »,
Commentaire, 9, printemps 1980, p. 32-40, notamment p. 39 : dans les processus de
changement endogènes-exogènes caractéristiques des sociétés complexes, « l'univers des
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Le dépérissement de l'Etat
54. Sur les décisions historiques, cf. Aron (Raymond), « Macht, power, puissance,
prose démocratique ou poésie démoniaque », Etudes politiques, op. cit., p. 192. Selon
Aron, toute organisation complexe comporte de temps à autre des décisions singulières,
irréversibles, développant des conséquences à long terme dont tous les membres de
l'organisation supporteront les effets ; le pouvoir demeure ici, en un sens, absolu.
33. crozier et rneaoerg utilisent ici Ainson ivjranamj, ¡ne essence oi aecision, dos-
ton, Little, Brown, 1969.
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Jean Leca et Bruno Jobert
56. Cf. par exemple Coleman (J.S.), Community conflict , New York, Free Press,
1957.
57. Deutsch (Morton), « Conflicts : productive and destructive », Journal of social
issues , 1969, p. 7-41, notamment p. 17-19.
58. Ces observations sont avant tout valables pour les idéologies « modernes » liées
au mouvement de sécuralisation et de désenchantement du monde (cf. par exemple Lich-
teim (G.), The concept of ideology and other essays , New York, Vintage Books, 1967,
Bendix (R.), « The age of ideology » in Apter (D.) ed., Ideology and discontent, New
York, Free Press, 1964, p. 295-327 ; Habermas (J.), La technique et la science comme
«idéologie », Paris, Gallimard, 1973, p. 34) mais elles peuvent être étendues sans incon-
vénient aux idéologies au sens large, entendues comme ensemble de croyances justifiant
tel principe d'allocation de ressources rares et occultant certaines dimensions de la vie
collective dont notamment les contradictions qui y sont inhérentes (voir les essais de
Pierre Ansart, Les idéologies politiques, Paris, PUF, 1974 et Idéologie, conflits et
pouvoirs, Paris, PUF, 1977).
59. Le problème des rapports structurels entre la représentation des intérêts et la
représentation politique dans les différents régimes est entièrement (et probablement
volontairement) passé sous silence. Cf., pour un traitement récent, les contributions de
Charles Maier, Alessandro Pizzorno et Philippe Schmitter in Berger (Suzanne) ed.,
Organizing interests in Western Europe, Londres, Cambridge University Press, 1980.
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Le dépérissement de l'Etat
60. On nous pardonnera ce raccourci. Ces groupes n'ont pas de demandes homogè-
nes et parfois pas de demandes du tout en dehors de celles qui sont manifestées par
l'action et articulées dans le discours de leurs multiples représentants. Une demande poli-
tique n'est jamais claire ni univoque justement parce qu'elle résulte d'une fabrication (et
pas seulement d'une réflexion de besoins sociaux déjà là).
61. Cf. par exemple Nisbet (Robert), The social philosophers, Londres, Heinemann,
1974, et la critique classique de l'utilitarisme par John Plamenatz : « How men see them-
selves is intimately connected with their mental images of the community. They are not
mere competition, however benevolent, in a market for the supply of personal wants ;
they are member of society, etc. » (Plamenatz (John), The English utilitarians , Oxford,
Blackwell, 1958, p. 173-175.
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62. D'autant mieux que ce contexte est le seul déterminisme global vraiment lourd
que Crozier ait jamais reconnu, dans la mesure où il « détermine profondément » tous
les systèmes d'action et fait qu'ils « sont interdépendants et se renforcent les uns les
autres » (Le phénomène bureaucratique, Paris, Le Seuil, 1963, p. 277). Même l'analyse
stratégique a du mal à échapper parfois au totalisme et à la globalisation...
63. Stincncombe (Arthur), « Social structure and politics », in Polsby (N.), Green-
stein (F.) eds., Handbook of political science , Londres, Addison-Wesley, 1975, tome 3,
p. 604-605.
64. bans reciprocitě specinque correspondant aux intérêts a un acteur dans un
système d'action limité. Globalement bien entendu, il n'y a pas de communauté poli
sans une réciprocité minimum des coûts et des avantages, cf. Bendix (R.), Nation bu
ding and citizenship , Londres, J. Wiley, 1964, p. 19.
63. une (Claus;, « Kiassennerrscnart und poiitiscnes system. Die Selektivität der
politischer Institutionen », in Strukturprobleme der kapitalistischen Staates, Fra
Suhrkamp, 1972. Cf. Habermas (J.) Legitimation crisis, Londres, Heinemann, 1
p. 114 sqq. Différentes formes de sélection et d'exclusion sont élaborées par A.
dans « Le due logiche dell'azione di classe » in Pizzorno (A.) et al., Lotte operaie
dacato : il ciclo 1968-1972 in Italia, Bologne, Il Mulino, 1978 et dans sa contribution à
Berger (S.), op. cit.
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Le dépérissement de l'Etat
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certain temps déjà que le réel peut ne pas revêtir la rationalité que sou-
haiterait le chercheur.
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Le dépérissement de l'Etat
Seules doivent être prises en compte les ressources qu'il peut et veut
effectivement mobiliser dans cette relation. C'est pourquoi, les détermi-
nismes globaux sont toujours infléchis par les systèmes d'action. Tel est
le premier principe explicitement affirmé tout au long de l'ouvrage :
« Si l'on prenait l'image, parfois employée pour les organisations, de la
courroie de transmission entre la société globale et le groupe primaire,
notre conclusion serait finalement que la courroie de transmission est
une matière sociale plus importante que le moteur » (258).
Mais ce choix normatif laisse entière la question de savoir s'il est
possible d'étudier le fonctionnement de la courroie de transmission
indépendamment du moteur. C'est ici qu'intervient un deuxième prin-
cipe (implicite celui-là) de recherche que tout cet ouvrage tente de justi-
fier : les systèmes d'action contiennent en eux-mêmes leurs principes
d'explication. Leur fondement réside dans les comportements largement
indéterminés d'acteurs autonomes dont il s'agit d'intégrer les stratégies
autour de la tâche commune. C'est ce second postulat, celui des
systèmes d'actions concrets comme champ d'étude autonome, qui nous
semble lourd de conséquence pour la recherche. Avec les auteurs, nous
pensons qu'il est extrêmement important de mieux définir les relations
du pouvoir dans leur spécificité. Mais nous pensons aussi que la logi-
que du pouvoir, même au niveau des systèmes d'action concrets, ne
saurait être comprise indépendamment de la logique de la domination
sociale.
Les systèmes d'action semblent avoir une sorte de logique spécifique
relativement autonome vis-à-vis de la société (/9/). Autonomiser un
objet n'est pas en soi critiquable : tout englober conduit la plupart du
temps à ne rien comprendre ou à fournir des caricatures d'explication.
Le lecteur reste cependant sur sa faim quand il s'agit de conceptualiser
ce qui rend cette autonomie relative. Nous voulons montrer ici que cet
oubli introduit un biais sensible dans les méthodes d'analyse des systè-
mes d'action concrets par les auteurs. Ce biais se manifeste aussi bien
dans l'analyse des enjeux et de la genèse des systèmes que dans la défi-
nition des acteurs pertinents et de leur consistance.
L'analyse des enjeux des systèmes d'action par Crozier et Friedberg
n'est pas dépourvue d'ambiguïté. Le système est d'abord présenté
comme ayant une tâche à accomplir, l'action collective est définie
comme « une coalition d'hommes contre la nature en vue de résoudre
des problèmes matériels » (20). L'interrogation sur l'enjeu social de la
relation du pouvoir ne semble pas une question pertinente. Ainsi, les
analyses d'entreprise se développent-elles sans référence au marché ;
l'analyse du système départemental n'indique pas clairement l'objet de
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Jean Leca et Bruno Jobert
68. Ceci s'explique en partie par le choix d'objets empiriques où le système d'action
est en quelque sorte clos sur lui-même. Cf. par exemple Grémion (Catherine), Profes-
sion : décideur. Pouvoir des hauts fonctionnaires et réforme de l'Etat , Paris, Gauthier-
Villars, 1979 (sur la réforme régionale de 1964). « L'étude du milieu administratif n'est
donc pas brouillée par la prise en compte d'interactions avec les milieux sociaux ou pro-
fessionnels particuliers » (p. 417). Mais ce choix conduit à accentuer encore l'autonomie
présumée du système dans la mesure où la description des stratégies repose presque
exclusivement sur le discours non critiqué des « réformateurs », sans analyser les idéolo-
gies qui le sous-tendent.
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Le dépérissement de l'Etat
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Le dépérissement de l'Etat
que les racines sociales des différents acteurs. Rien n'est saisi de
l'extrême diversité des cultures et des styles politiques régionaux fran-
çais pas plus que de la diversité des groupes sociaux qui ont investi les
systèmes locaux. Dans la problématique croziérienne, l'acteur est roi,
mais le roi est nu. Il est vrai que pour saisir la situation sociale
concrète d'un acteur il faut avoir recours à des concepts qui ne décou-
lent pas directement d'une analyse en termes de pouvoir. Il n'est pas
suffisant d'affirmer que la formation des groupes dans une organisa-
tion dépend principalement des opportunités et des capacités communes
sur lesquelles ils peuvent s'appuyer (44). Encore faut-il voir que ces
opportunités et ces capacités ne sont pas le produit de la relation de
pouvoir, mais plutôt la résultante d'un processus de division du travail
que le jeu de pouvoir tend seulement à réguler et à infléchir. De même
que la redéfinition sociale des problèmes par le système d'action est un
phénomène logiquement second par rapport au processus social d'émer-
gence des problèmes, de même la formation des groupes, des acteurs
est-elle un phénomène second par rapport aux processus sociaux de
division du travail qui détermine leur situation sociale.
De plus, il est extrêmement difficile de délimiter ce qui, dans une
situation sociale, est pertinent pour la relation de pouvoir dans un
système d'action concret. Dans des cas importants, la définition réci-
proque de l'acteur par le système ne tient plus dans la mesure où cer-
tains acteurs se forment non plus en fonction d'une action collective
précise mais en fonction d'une appartenance à une communauté glo-
bale, classe, région, etc. Ainsi, la relation de pouvoir que les ouvriers
du Joint Français entretenaient avec leur employeur ne peut être com-
prise, en fonction des relations de pouvoir propre à cette entreprise,
qu'aussi longtemps que ceux-ci n'ont pas réussi à faire de ce conflit un
problème politique pour l'ensemble de la Bretagne71. L'intrusion de ces
groupes non fonctionnels dans les systèmes d'action collective ne paraît
pas pouvoir être analysée par la seule référence aux jeux structurés des
systèmes d'action. Elle marque alors, comme on l'a déjà indiqué à pro-
pos du rôle de la communauté politique, la soumission des rapports
spécifiques des systèmes d'action à la logique homogénéisante de la
lutte politique et sociale. Qu'on nous entende bien, il ne s'agit pas ici
de revenir à la théorie de la politique-reflet. En réalité, la formation
d'un groupe dans l'action collective implique un travail spécifique de
structuration des problèmes et de mobilisation. Selon ses orientations,
71. Capdevielle (J.), Dupoirier (E.), Lorant (G.), La grève du Joint français , Paris,
Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1975.
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72. Voir par exemple Bakis (M.), IBM une multinationale régionale , Grenoble, Presses
universitaires de Grenoble, 1977.
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Le dépérissement de l'Etat
73. Sur cette distinction fameuse voir Cahnman (W.J.) ed., Ferdinand Toennies : a
new evaluation , Leiden, Brill, 1973, et, du même auteur, « Tönnies, Durkheim and
Weber », Informations sur les sciences sociales, 15(6), 1976 ; Dumont (Louis), Homo
aequalis, Paris, Gallimard, 1976, p. 15, 155, 173.
74. Janowitz (Morris), « Sociological theory and social control », American Journal
of sociology, 1975, p. 82-108.
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séquences, un système l'emporte sur les autres, ce qui est banalité, mais
surtout il est difficile d'admettre qu'un système fonctionne de la même
manière quelle que soit la scène où il prend place : une école que des
parents d'élèves occupent pour obtenir une crèche, ou une nation tra-
versée par la guerre civile. Le paradoxe de L'acteur et le système est
qu'il nous affirme simultanément que « tout est politique », mais qu'il
n'y a pas de centre politique. Contre les pluralistes-fonctionnalistes,
Crozier et Friedberg refusent de séparer « l'articulation » des intérêts,
réflexion « non politique » de la structure sociale, de leur « agréga-
tion », activité proprement politique90, et ils posent que la construction
et l'actualisation des intérêts sont une opération politique du système
d'action91. Mais, comme eux, ils donnent la priorité aux multiples exi-
gences autonomes et pragmatiques, propres à chaque système, sur les
exigences « idéologiques » globales qui définissent les « finalités choi-
sies » du système politique. Le politique (au sens de Crozier et Fried-
berg) n'est rien d'autre que la gestion du capital relationnel disponible
dans un système, et les stratégies visant à l'accumuler et le préserver
plus qu'à en modifier la répartition. Il en résulte deux conséquences
pour le système politique global (au sens habituel des politistes) :
1) c'est un système sans contenu propre, coincé entre les déterminants
massifs que constituent les traits culturels et les grandes régulations
économiques sur lesquels il a peu de prise, et le caractère indéterminé
et arbitraire des systèmes d'action92 ; en ce sens, les gouvernements
européens, dont parle le rapport à la Commission trilatérale, ne sont
pas très différents des maires des communes françaises ; les contraintes
qui les enserrent et les systèmes qui leur échappent sont plus impor-
tants que leurs différences politiques et les intérêts qu'ils peuvent repré-
senter ; 2) le « pouvoir politique » n'a pas de fonction propre ; si « la
solution des conflits » est prise en charge par « les individus et les
90. Almond (Gabriel), « A comparative study of interest groups and the political
process », American political science review , 1958, p. 271.
91. Les pluralistes admettent en general que la structure de la politique nationale, le
cadre dans lequel les décisions politiques sont prises et la nature de ces décisions sont des
déterminants de la structure, des exigences et du comportement de tous les groupes
d'intérêts (selon la formule d'Eckstein (H.), Pressure group politics, Stanford, Stanford
University Press, 1960, chap. 1) mais ils ne s'intéressent guère aux conditions de forma-
tion de ces déterminants. Cf. les observations de S. Berger, « Introduction », op. cit.
92. D'où les impressions contradictoires que l'on peut tirer d'une lecture rapide :
arbitraire du système d'action (236), mais nécessité dans sa gestion : un système ne peut
se réformer que si la société bénéficie d'une surabondance matérielle, relationnelle et ins-
titutionnelle (345, 346) ce qui rend certains systèmes pratiquement irréformables puisque
les capacités s'en retirent au lieu de s'y investir (233-234). En langage vulgaire, l'ingé-
nieur social ne demande jamais l'impossible et il n'intervient pas dans les cas désespérés.
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Le dépérissement de l'Etat
97. On reprend ici la formulation de Z. Bauman pour qui le paradigme n'avait pas
jusqu'ici été irréparablement atteint : « As long as this Wert is widely accepted, the only
novelty left is of the Zweck type and the existing body politic remains the accepted vehi-
cle of its handling » (Bauman (Z.), « Social dissent in the East European political
system », Archives européennes de sociologie, 1971, p. 51).
9». Dans une littérature enorme, on ne peut cnoisir qu en Jonction de ses gouts per-
sonnels, par exemple Janowitz (M.), Social control of the welfare State , New York, Else-
vier, 1976 ; Hirsch (Fred), Social limits to growth, Londres, Routledge and Kegan Paul,
1978.
99. Weber (Max), Economie et société, Paris, Pion, 1971, p. 22-23.
100. Bell (Daniel), Vers la société post-industrielle, Pans, R. Laffont, 1976 et The
cultural contradictions of capitalism, Londres, Heinemann, 1976 ; Lipset (Seymour M.),
« Social structure and social change », in Blau (Peter) ed., Approaches to the study of
social structure, Londres, Open Book, 1975, p. 195 sqq.
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