Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
A. L. M. NICOLAS
PARIS
2
AVERTISSEMENT
3
consiste pas dans une description minutieuse des
scènes qu'ils présentent ou dans une explication
détaillée des sentiments qui les animent. Il est à
remarquer qu'en général les deux distiques d'un
vers forment un sens complet et qu'on pour-rait,
comme cela se fait dans tous les manuscrits,
intervertir complètement l'ordre des vers dans une
même ode sans rien leur retirer de leur valeur ou
de leur signification. Enfermée dans ces bornes
étroites, la pensée n'a plus, pour s'exprimer, qu'un
petit nombre de mots à sa disposition. Il faut donc
que ces mots fassent jaillir avec force du cerveau
du lecteur l'idée ou l'image de la scène évoquée.
Dans ces conditions, l'obscurité eût régné en
souveraine maîtresse si le poète ne s'appuyait,
pour nous guider, sur des jeux de mots ou sur des
allusions constantes aux mœurs, aux idées, à la
religion, à l'histoire de son pays. On concevra dès
lors combien une traduction “fidèle” resterait au-
dessous du texte primitif et présenterait peu
d'agrément au lecteur européen.
Mais, d'un autre côté, une paraphrase, ou,
comme dit Voltaire, “une traduction libre d'un
texte souvent trop libre,” ne donnerait aucune idée
de l'originalité de l'œuvre et du mode de penser
des Persans.
La difficulté est donc réelle et l'écueil
inévitable. Je n'en citerai que deux exemples bien
caractéristiques, l'un emprunté à Hafiz et l'autre à
Sa'adi.
La douzième ode renferme le vers que j'ai
traduit ainsi: Oui tes lèvres, tes jolies lèvres étaient
en droit de déverser sur les blessures brûlantes de
mon cœur tout le sel dont elles sont empreintes.
Le sel est, évidemment ici, les railleries ou
le dédain qui accueillent les transports amoureux
4
du poète. Ces railleries ou ce dédain augmentent
en même temps et les douleurs et l'amour de notre
auteur comme le sel appliqué sur une plaie vive
exaspère la souffrance et empire le mal.
L'interprétation est bien dans la note persane, et
cependant j'ai trahi complètement la pensée de
Hafiz. J'ai dénaturé le sens littéral et j'ai remplacé
une image par une autre. Que j'aie eu tort, j'en
demeure convaincu, mais, cependant, je doute que
l'on accueille avec aisance la ligure que je vais
expliquer ici.
Il est d'usage courant de dire en Perse, pour
exprimer une beauté qui séduit — “mon foie
brûle,” “mon foie est un rôti,” — et encore, — j'en
demande pardon au lecteur européen, — cela veut-
il dire: “rôti à la broche,” Le rossignol de Ghiraz est
certainement, à notre point de vue, bien étrange,
puisque le sens absolu de ce vers est: “Tes lèvres de
rubis ont raison de se moquer d'un amoureux
comme moi, car l'éclat de ta radieuse beauté est
au-des-sus d'un mendiant de mon espèce; c'est
donc à juste titre que tu railles, et pour pour moi
tes railleries ont l'amertume du sel. Cependant ton
amour me brûle comme le feu cuit une pièce de
viande à la broche mise en sa présence. Tu le sais,
à ce mets ainsi préparé il faut du sel pour en
relever le goût. Ton œuvre n'eut donc pas été
complète si tu ne m'avais accablé de tes dédains:
complètement cuit et brûlé par ton amour, il ne
manquait que du sel au plat préparé par toi avec
ma personne, eh bien, ce sel, tu Tas déversé sur
moi avec tes railleries.”
Cette comparaison peut-elle être admise? Je
ne le pense pas, pas plus d'ailleurs que celle de
Sa'adi qui s'écrie dans son Terdji Bend: “Je n'avais
5
jamais vu la lune avec un chapeau, je n'avais
jamais vu un cyprès habillé.”
Réduite à ces proportions la traduction
n'évoque plus que l'idée d'une image grotesque
indigne de la renommée de notre auteur. On sait
que les Orientaux en général, et les Persans en
particulier, sont fort amateurs de beautés
plantureuses. Le critérium de leurs comparaisons
réside justement dans la rondeur d'un visage trop
bien portant rapprochée de celle de la lune à son
quatorzième jour. Ton visage ressemble à celui de
la lune, s'écrient à chaque instant nos poètes, et
Sa'adi va plus loin: “Tu es la lune même descendue
sur la terre, dit-il, et j'ai vu ce miracle, la lune
couverte des ornements d'une femme.”
La taille est toujours comparée, pour
l'élévation, la finesse et la flexibilité, à celle du
cyprès, et, là encore, Saadi, transporté
d'enthousiasme, dépasse l'exagération de ses
confrères et trouve que son amoureuse est le
cyprès lui-même fait femme et revêtue des habits
de son sexe.
L'œuvre du poète donne donc lieu à une
foule d'interprétations différentes. Le charme,
pour les Persans, réside précisément dans cette
rêverie qu'entraîne forcément la lecture d'une
oeuvre poétique. La scène à peine ébauchée, le
sentiment à peine exprimé laissent une liberté
d'allures excessive à l'imagination vagabonde. Le
lecteur se laisse entraîner aux souvenirs, aux rêves,
aux aspirations de son âme. Il est sans cesse
ramené aux scènes de la vie qu'il a vécue et entre
personnellement en jeu au milieu des larges
mailles de ce filet, alors que, d'un autre côté, les
allusions amoureuses à la Divinité s'adaptent pour
lui à chaque instant de son existence. Les lisant
6
dans un moment où ses sens parlent plus haut que
son imagination, il se soucie fort peu du
mysticisme qui les enveloppe et se laisse entraîner
sur la pente rapide de l'amour charnel; préoccupé
au contraire de pensées élevées, rassasié pour un
moment des excès ou des plaisirs de ce basmonde,
il s'exalte alors a l'idée de cet amour divin et
trouve, en réalité, dans la même page, le poison et
l'antidote.1
Et maintenant quel moyen choisir pour
rendre exactement la pensée des poètes de l'Iran?
Traduire mot à mot en rejetant en note, presque à
chaque phrase, une explication longue et par suite
pénible, serait imposer aux lecteur une double
fatigue à laquelle aucun d'entre eux ne voudrait se
soumettre; paraphraser d'une façon générale et
1
M. Anatole France exprime avec tant de précision
les idées que je tâche d'indiquer ici, que je ne puis
m'empècher de citer ce passage du Jardin d'Épicure: “Quand
on lit un livre, on le lit comme on veut, on en lit uu plutôt on
y lit ce qu'on veut. Le livre laisse tout à faire à l'imagination.
Aussi les esprits rudes et communs n'y prennent-ils, pour la
plupart, qu'un pâle et froid plaisir. Le théâtre, au contraire,
fait tout voir et dispense de rien imaginer. C'est pourquoi il
contente le plus grand nombre. C'est aussi pourquoi il plaît
médiocrement aux esprits rêveurs et méditatifs.
“Ceux-là n'aiment les idées que pour le
prolongement qu'ils leur donnent et pour l'écho mélodieux
qu'elles éveillent en eux-mêmes. Ils n'ont que faire dans un
théâtre et préfèrent au plaisir passif du spectacle le plaisir
actif de la lecture. Qu’est-ce qu’un livre? Une suite de petits
signes. Rien de plus. C’est au lecteur à tirer lui-même les
formes, les couleurs et les sentiments auxquels ces signes
correspondent. Il dépendra de lui que ce livre soit terne ou
brillant, ardent ou glacé. Je dirai, si vous préférez, que
chaque mot d'un livre est un doigt mystérieux, qui effleure
une fibre de notre cerveau comme la corde d'une harpe
éveille ainsi une note dans notre âme sonore. En vain, la
main de l'artiste sera inspirée et savante. Le son qu'elle
rendra dépend de la qualité de nos cordes intimes.”
7
continue serait s'attirer le qualificatif de traditore
du proverbe italien; j'ai pensé devoir user avec
ménagement de l'une et de l'autre méthode; j'ai
employé ou j'ai cru employer le moins de mots
possible pour rendre le sens complet; mais je
crains que mes forces ne m'aient trahi et que je
m'attire par là les reproches des deux écoles que
j'ai tenté de concilier dans cet humble essai.
A.-L.-M. NICOLAS.
8
ODE 1
2
Le musc est, d'après les Persans, du sang extrait du
nombril de la gazelle. Le poète a voulu éta blir un certain
rapport entre ce sang parfumé et celui dont les cœurs sont
inondés par la violence de l'amour qui les embrase.
3
Le Mourchid, c'est-à-dire le guide spirituel que doit
prendre tout Saleq.
4
Une variante de texte d'un autre manuscrit peut se
traduire par: “Car celui qui nous guide n'ignore pas la route
et connaît le chemin qne nous avons à suivre dans cette
voie.”
5
On peut traduire aussi: “De quelle joie, de quel
repos veut-on que je jouisse en cette demeure de ma mie
lorsqu'à chaque instant les grelots de la caravane
m'annoncent son prochain départ!” Mais je pense que la
première leçon est plus poétique et surtout plus conforme à
la philosophie du poète.
9
La nuit est profonde, le danger des vagues et des
tourbillons de la vie est pressant. Quelle idée
peuvent se faire de notre pitoyable état ceux qui,
allégés de tout, se trouvent en repos au bord de
cette mer?
10
Ode II
11
Je savais bien qu'à voir cette beauté chaque jour
plus éclatante de Joseph, l'amour soulèverait enfin
le voile sous lequel se cachait la vertu de
Zouleikha.
12
Cette ode, ô Hafiz, véritable perle que tu as percée,
viens nous la chanter de ta charmante voix, afin
que le ciel, détachant le nœud qui retient l'écrin
des pléiades, les fasse en offrande pleuvoir sur toi.
13
Ode III
10
Fossette, voir plus loin.
11
Expression qui se rencontre souvent chez les
poètes persans et qui veut dire: je meurs d'amour. c'est-à-
dire l'image méme de la multiplicité et dès lors les pensées
matérielles ont étéun rideau entre Dieu et moi: mon gibier
s'est échappé. Hafiz dit encore: Ne m'interroge pas, car j'ai
trop à me plaindre de la noirceur de tes boucles de cheveux,
elle a aussi détruit ma fortune de façon que je ne saurais dire.
Chébistery écrit: Ne me demandez pas de nouvelles de ses
boucles frisées, ne touchez pas les chaines des fous.
Maintenant que nous avons bien compris de quelle
façon on voit Dieu et ce que veut dire cette expression on
comprendra que le vers suivant de Hafiz n'enferme aucune
faute: Cette àme que mon amie m'a confiée en dépòt, le jour
où je la reverrai je la lui rendrai.
14
Notre fortune, endormie comme elle est, se
réveillera-t-elle parce que des gouttes de vos joues
vermeilles auront perlé sur nos yeux?
12
Djemchid, ancien roi de la Perse.
13
Comparez ce vers: Oh! j'étendrais mon cœur
comme un tapis sous vos pas si je ne craignais que vos pieds
ne se blessent à une des épines que vous y avez enfoncées.
15
Écoutez la prière que fait Hafez et dites: Ainsi soit-
il! Puissent vos lèvres roses, d'où découle la
douceur, me servir d'aliment!
Ode IV
16
Profite du présent pour te réjouir, ò ami, car Adam
lui-mème a renoncé au Paradis dès que ses
provisions furent épuisées.
Ode V
17
O échanson! lève-toi! remplis la coupe! jette une
poignÉe de terre21 sur les chagrins de l'avenir.
21
Idiotisme persan pour: N'aie aucun chagrin,
méprise les vicissitudes de ce monde.
22
Intelligents aux yeux du monde, mais non pas aux
yeux de l'intelligence. Ce mot doit ètre compris ici dans le
sens que donnent quelques personnes aux mots «les gens
bien pensants».
23
Ici quelques manuscrits donnent le vers suivant:
“Oh! quiconque a jeté les yeux sur cette belle au corps
argenté, à la taille de cyprès, détournera désormais ses
regards du cyprès de la prairie.”
18
Mon cœur m'échappe des mains, ô hommes
compatissants! Pour l'amour de Dieu! au secours!
hélas! mon secret le plus caché va ètre dévoilé.
24
Sorti des mains de Dieu et lancé dans le néant de
l'existence, l'homme doit aspirer à retrouver la divinité. Les
pièges de ce bas monde, les illusions ou plutôt la
fantasmagorie d'ici-bas nous trompent et cherchent à nous
égarer: perdus sur l'immensité de cet océan sans limite, le
poète appelle à lui le vent favorable qui, le poussant dans la
bonne direction, le fasse arriver au but pour lequel il a été
créé.
25
Le miroir d'Alexandre, la coupe de Djem: deux
objets magiques dans lesquels on pouvait voir ce qui se
passait dans le monde. Tu apprendras l'état de Darius, c'est-
à-dire tu te rendras compte du néant des grandeurs
humaines et de la rapidité de leur chute.
19
La paix des deux mondes repose sur ces deux
mots: bienveillance envers les amis, modération
envers les ennemis.
26
“Ne blàme pas les savants, ô dévot adorateur des
choses extérieures, ô dévot dont l'argile est pur, car on ne te
rendra pas responsable des fautes d'autrui.” On lit dans le
Koran: “On ne rend pas responsable quelqu'un d'un péché
commis par au- trui.”
“Que je sois bon ou mauvais, va, et occupe-toi de tes
affaires, chacun récoltera ce qu'il aura semé.” Ce dernier vers
est conforme au verset qui dit: “Ce bas monde est une terre
cultivée pour l'autre vie.”
27
Le vin.
28
Le texte porte «chandelle».
29
Karoun, Corée, cousin de Moїse célèbre par ses
immenses richesses: Corée et Djemchid sont les ternies de
comparaison les plus fréquents pour indiquer un homme
possédant tous les trésors de ce monde.
20
Hier, sur le soir, entre les roses et le vin le
rossignol chantait joyeusement: apportez la coupe.
Oh! vous tous qui ètes pris de vin, salut sur vous.
30
Avant ce vers un manuscrit porte celui-ci: Ces vers
persans chantés par le chanteur et par de joyeux convives,
mettraient en branle les vieux les plus dévots.
21
Ode VII
22
Oh! si c'est avec ce charme que la servante du
cabaret remplit son office, je veux désormais que
mes sourcils servent de balai au seuil de la taverne.
toi-mème.”
33
Quelques manuscrits donnent ici ce vers: “Le
royaume de la liberté et la résignation sont un trésor
qu'aucun sultan ne pourrait acquérir par la force de son
sabre.”
34
Joseph.
35
O àme du royaume d'Égypte, c'est-à-dire du
royaume des cieux ou bien encore du royaume oÀ¹ l'on a
abandonné tout désir du monde. Ce royaume t'a appartenu,
maintenant il est temps que tu sortes de cette vie corporelle.
Dans les hadis il est dit: “Ce bas monde est la prison pour les
croyants et le Paradis pour les infidèles.” C'est pour cette
raison que le marcheur dans la voie spirituelle dÉsire se
débarrasser des liens du corps. Djellal-ed-Din a dit: “Si la
mort est un homme, dites-lui de venir chez moi – pour que je
l'embrasse Étroitement. Je prendrai d'elle une À¢me
immortelle, --
elle prendra de moi un vieux vètement bariolé.”
Hatiz dit aussi: “Mon corps est un rideau pour mon àme. Il
serait bon que j'éloigne de moi ce rideau. Cette cage est
mauvaise pour moi dont la voix est mélodieuse, je veux partir
pour les jardins célestes, puisque je suis un oiseau des
bosquets du Paradis.”
23
O Hatiz, bois du vin, sois insouciant, sois joyeux,
mais ne fais pas, comme les autres, du Koran un
objet de ruse et d'hypocrisie.36
36
Allusion aux hypocrites qui cachent leurs
déportements sous le voile de la religion. On peut penser
aussi qu'il s'agisse ici des Sunnites qui, combattant les
Persans, imaginèrent de mettre le Koran au haut d'un
étendard et marchèrent ainsi à l'ennemi. Les Chiites
n'osèrent tirer sur le livre sacré et furent vaincus.
24
Ode VIII
37
Ce passage fait allusion à Medjnoun, qui,
malheureux dans son amour pour Leila, s'en alla, de
désespoir, vivre avec les bêtes féroces sur les montagnes.
38
Ta beauté est parfaite, mais tu manques, hélas! de
cette fidélité qui en rehausserait encore l'éclat. Allusion aux
difficultés qu'éprouve le Saleq pour rencontrer la Divinité,
celle-ci semble prêté à se montrer, puis disparaît tout à coup
derrière de nouveaux obstacles.
25
pour les pauvres amis qui n'ont que du vent dans
la leur.
39
Hafiz, Hatif, Saadi, l'auteur du Mesnevi, et bien
d'autres, expriment, d'une façon toujours saisissante,
l'opinion que la différence des religions n'existe pas ou tout
au moins n'a aucune importance. Juifs, Chrétiens, Guèbres,
Idolâtres, adorent Dieu; la Synagogue, l'Eglise, le Pyrée, la
Pagode sont des temples élevés à la plus grande gloire de
Dieu. Qu'y a-t-il de surprenant à ce que la planète Vénus,
applaudissant à cette pensée dont sont empreints les vers du
poète, aussi bien qu'à cette recherche continue de la Divinité
qu'il conseille à ses lecteurs, qu'y a-t-il d'étonnant à ce qu'elle
fasse partager son allégresse aux sectateurs de toutes les
religions qui, sous une autre étiquette que l'Islam, ont, eux
aussi, tendu toutes les forces vives de leur âme vers le but
que poursuivent les Soufis?
26
Ode IX
40
Qu'on n'oublie pas, dit Mohammed ibn
Mohammed Darabi, que Meï Khané, suivant les termes
techniques des Soufis, est l'état dans lequel se trouve le
marcheur dans la voie spirituelle, lorsqu'il est inondé par les
rayons divins, qui éloignent de lui les pensées de la vie
matérielle, pensées qui sont un obstacle à son arrivée à Dieu.
Il est dit dans les hadis: «En vérité, Dieu a un vin qu'il donne
à ses amis. Quand ils en boivent ils sont ivres, ivres ils sont
joyeux, joyeux ils recherchent, en recherchant ils trouvent,
ayant trouvé ils volent, quand ils volent ils fondent, fondus
ils sont purs, purs ils arrivent, arrivés ils se confondent,
confondus, il n'y a plus de différence entre ces amants et
Dieu.»
La pensée de Harlz est que le directeur de
nos consciences, et, en réalité, Ali, qui est le Mourchid des
Mourchids, celui qui nous montre la route qui conduit à
Dieu, hier soir, sortant de la Mosquée, qui est un lieu
d'intelligence et d'existence, est arrivé à la taverne qui est un
lieu d'ivresse. C'est-à- dire que notre directeur a ouvert le
rideau de son existence, et ce rideau était un mur entre Dieu
et lui : ce mur il l'a détruit. Alors, que devons-nous faire? si
ce n'est obéir et imiter notre Mourchid.
Comme un mort reste inerte entre les mains des
laveurs, livrons-nous au Mourchid, car, avoir une pensée
propre, un désir, est une offense envers notre Mourchid,
offense qui nous éloigne de Dieu.
N'allez pas croire que cette submersion en Dieu —
qui est un des dogmes de la philosophie soune, soit contraire
à la religion. Ils ne disent pas, en effet, que l'homme arrive à
l'essence de Dieu. Peutêtre pourrait-on le comprendre ainsi
que le fait Djellal-cd-Din Roumi, quand il dit: «Quelle est la
couleur de Dieu? C'est cette couleur qui ne laisse subsister
aucune tâche et qui est elle-même une teinte. Si quelqu'un se
rencontre qui soit de la couleur de Dieu et que vous
27
Nous, pauvres brebis, comment pourrions-nous
avoir la face tournée vers la Kaaba, notre pasteur
ayant la sienne tournée vers le cabaret?
28
Ton joli visage est pour nous un échantillon de la
beauté divine; voilà pourquoi, dans nos poétiques
narrations, il n'est question que de charmes et
d'attraits.
42
D'autres manuscrits offrent, à mon sens, une
meilleure leçon, en remplaçant ici les mots: O’ Hafiz, par: O’
amie. Le poète dit, en effet, que la flèche Je ses soupirs
franchit les limites du monde et il invite sa bien-aimée à ne
pas se trouver sur sa route. L'ode se termine alors par ces
vers qui rappellent le début: “A l'exemple de Hafiz, je ne veux
plus bouger du seuil de la taverne, puisque notre compagnon
de foi, notre pasteur, en est lui-même devenu le commensal.
»
29
Ode X
43
Le Chouhab est une étoile filante qui s'élance du
haut de l'éther pour empêcher le démon de monter aux cieux
et de se mêler des choses célestes. Le Suha est une petite et
mesquine étoile à laquelle, par humilité, se compare notre
poète. Il espère que le Chouhable préservera du mal que ses
rivaux, qu'il compare à des démons, pourraient taire à son
cœur enflammé d'amour.
30
Pour l'amour de Dieu, verse une gorgée de vin à
Hafiz, lui qui est si matinal, afin que sa prière du
matin puisse avoir quelque effet favorable.44
Ode XI
31
Regarde ce menton arrondi comme une pomme,
mais prends garde au puits47 creusé au milieu du
chemin. [Oh! mon cœur, dans quel sentier
périlleux tu t'es engage], où vas-tu donc avec tant
de prècipitation?48
47
Fossette, au milieu du menton.
48
Hafiz donne un conseil au Saleq. Dans un état
agrable qui t'adviendra, ne va pas sans guide. Tomber dans le
puits, c'est tomber d'un degré supérieur à un inférieur, car il
se peut que le Saleq glisse de ses pensées et tombe. O Khyzr
ne va pas sur cette route sans compagnon, car elle est pleine
de ténébres. Crains, crains le danger de te perdre. Djellal-
eddin Roumi a dit: “Oh! mon fils, la route est longue et
pleine de dangers, celui qui marche a besoin d'un
conducteur: si tu vas sans conducteur, fusses-tu comme un
lion, tu peux te perdre et tomber dans un puits.”
32
Ode XII
49
La coupe est le cœur du Souri éclairé par la lumière
spirituelle; mais c'est aussi l'univers inondé de la splendeur
de Dieu. Dieu s'y reflète, et c'est ainsi que je l'ai vu; pourquoi
vous étonner dès lors si je chante les louanges de la coupe et
si je veux y tremper mes lèvres? Vous n'y connaissez rien,
vous qui nous donnez le nom d'ivrogne et de débauché.
33
Je crains bien qu'au jour du jugement dernier le
pain licite du cheikh50 n'ait aucun mÉrite sur notre
illicite boisson.
O Zéphyr, si tu viens à passer par l'Élysée où sont
réunis nos amis, n'oublie pas notre mie51 et en lui
présentant nos saluts, dis-lui: Pourquoi, dès à
présent et de propos délibéré, nous oublier ainsi?
Assez tôt viendra le temps où tu oublieras jusqu'à
notre nom.52
50
Ainsi que nous l'avons dit, le bien et le mal
n'existent pas en ce bas-monde. Dès lors, au jugement
dernier, quelle diffèrence y aura-t-il entre le vin que nous
avons bu, et qui est impur, et le pain sans tache des docteurs
musulmans? Cela veut dire, en généralisant, que les actions
prétendues orthodoxes des docteurs musulmans ne seront
pas élevées au-dessus de notre dèbauche et de notre
ivrognerie.
51
La divinité, objet de notre unique amour.
52
Quelques manuscrits donnent ici ce vers: “Dans
son ardent désir d'atteindre l'objet de son amour, mon cœur,
semblable à la tulipe, se resserre et se trouveà l'étroit. Oh!
fortune, oiseau volage, quand nous seras-tu propice?”
53
Après les strophes précédentes si poétiquement
mystiques, le lecteur est surpris de voir Hafiz tomber dans
une banalité pareille, dans le but unique d'ètre agréable à
Hadji Qawam, son contemporain et ministre puissant à
Chiraz, en exagérant sa libéralité jusqu'à vouloir que le ciel et
la lune lui en soient reconnaissants.
34
Donne un libre cours à tes larmes, ô Hafiz, laisse
couler ces grains de perle, il se peut qu'alors, attiré
par ces appâts, l'oiseau compatissant qui
rapproche les amants vienne se prendre dans nos
filets!
Ode XIII
54
Particulièrement le vin du matin, il est
recommandé, en effet, en l'erse, de boire une ou deux coupes
devin le matin; au réveil après une nuit d'orgie. Ils se
débarrassent ainsi, disent-ils, du mal de tète qui suit les
excès; le veut du matin jouit aussi, parait-il, de propriétés
thérapeutiques du inclue genre.
55
Allusion à un passsage du Koran où Dieu est
qualifié d'ouvreur de toutes les portes.
35
Il est étrange qu'en une saison pareille l'on mette
tant d'empressement à fermer les portes de la
taverne.
36