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QUE SA I S -J E ?

La bancassurance
VERED KEREN
Enseignante à l'U niversité de Marne-la-V allée
ISBN 2 13 048596 0

Dépôt légal — 1 édition : 1997, septembre


© Presses Universitaires de France. 1997
108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
INTRODUCTION

Le terme de bancassurance, qui n'est pas encore


reconnu par les grands dictionnaires français, est pour-
tant largement adopté par les milieux financiers inter-
nationaux, où pourtant c'est la langue de Shakespeare
qui prédomine largement. Ce néologisme d'origine
française reçoit diverses acceptions, puisqu'il désigne
les différents modes de rapprochement entre les établis-
sements bancaires et les sociétés d'assurances.
L'objectif de ce phénomène peut être simplement
commercial ; dans ce cas les banques vendent des
contrats d'assurance, tandis que les assureurs distri-
buent des produits financiers. Toutefois, le rappro-
chement entre les deux institutions peut aussi être
structurel, allant jusqu'à la création de conglomérats
financiers. Dans cette perspective, la coopération entre
les deux institutions peut être bien plus élaborée, et se
traduire par la création de structures communes telles
que des organismes de placements collectifs des valeurs
mobilières (OPCVM).
Si le terme bancassurance est de création récente,
l'examen attentif des deux activités montre que leurs
contenus ont toujours été très proches. Les deux
métiers mettent le temps au profit du tiers, assuré ou
déposant. Les fonds déposés sur le compte client fruc-
tifient sans aucune intervention de la part de ce der-
nier; leur revalorisation s'opère tout naturellement
grâce aux intérêts régulièrement portés au compte.
Dans le domaine des activités industrielles,
aujourd'hui comme hier, ces deux secteurs participent
à la réalisation de grands projets qui nécessitent la
mobilisation de capitaux importants. Par définition, ce
sont les seuls métiers qui en disposent.
Ce premier et bref constat relatif aux bases com-
munes des deux secteurs nous permet de comprendre
que leur récent rapprochement s'est effectué de
manière toute naturelle. Si le développement de la
bancassurance a pris un essor considérable durant les
toutes dernières années, notamment pour la distribu-
tion des produits d'assurance, il a cependant com-
mencé discrètement dans les années 1970.
Le cas mérite d'être précisé. Lorsque un banquier
accorde un prêt, il exige toujours de son client la
souscription d'un contrat d'assurance, afin de se pré-
munir contre divers sinistres éventuels, tels que le
décès, l'accident ou le chômage. Pour ce faire, la
Fédération du Crédit mutuel d'Alsace, de Lorraine et
de Franche-Comté, à l'instar de toutes les banques,
faisait appel aux services d'un intermédiaire, courtier
en assurances. En 1970, elle décide de se passer des
services de ce dernier, et d'encaisser ainsi elle-même
la commission de courtage. Au-delà de cette commis-
sion d'apport, les contrats mêmes étaient très intéres-
sants à gérer puisqu'ils généraient d'importants béné-
fices pour la société d'assurances. La Fédération a
donc souhaité aller plus loin dans son engagement et
devenir l'assureur de ses clients afin de bénéficier de
ces résultats techniques si rémunérateurs. Aussi, la
décision de créer les Assurances du Crédit mutuel
(ACM) a-t-elle été prise.
Le 26 janvier 1971, les ACM Vie et les
ACM IARD (incendie, accidents et risques divers)
obtiennent leur agrément. Ainsi est apparue une acti-
vité encore sans appellation, qui deviendra ultérieure-
ment « la bancassurance ». De fait, cette dénomination
est bien plus récente, elle doit remonter à 1985, date à
laquelle la société d'assurances GAN a procédé à une
prise de participation dans le groupe bancaire CIC.
Quelles sont les causes de ce développement ?
A partir de 1967 les pouvoir publics ont décidé
d'encourager l'épargne en accordant des avantages
fiscaux. Cette politique a commencé avec la retraite
d'entreprise, puis s'est étendue à l'assurance vie indi-
viduelle.
Les assureurs ont toujours été spécialisés dans la
gestion de l'épargne à long et moyen terme, mais les
contrats d'assurance vie ont été conçus de façon telle
que les assurés ne bénéficiaient pas de ces perfor-
mances. Progressivement, depuis les années 1970, ils
ont considérablement amélioré leurs produits en rédui-
sant les frais de fonctionnement prélevés sur les
contrats, et en les rendant plus transparents. Depuis,
leur bonne gestion s'est traduite par une rémunération
des dépôts généralement plus avantageuse que celle
accordée par le réseau bancaire.
Depuis les années 1980 l'inflation est réduite, et les
taux d'intérêt réels obtenus sur les placements, c'est-à-
dire les intérêts restant après déduction de l'érosion
monétaire, sont des taux positifs. L'épargne est donc
devenue attrayante et cette donnée économique favo-
rise l'assurance vie (p. 25 sq.).
Des avantages fiscaux, joints à de bons produits
d'épargne, ont fait craindre aux banquiers une fuite
des dépôts vers les sociétés d'assurances. Pour enrayer
le mouvement et drainer des fonds, les banques se sont
mises à créer des compagnies d'assurance vie filiales.
Tout naturellement par la suite elles ont développé la
distribution des produits IARD.
Les résultats actuels de la bancassurance sont
impressionnants dans le domaine de l'assurance vie.
En 1995 sur un chiffre d'affaires de 470 milliards de
francs des sociétés vie et capitalisation, 56 % sont col-
lectés par l'intermédiaire des guichets des établisse-
ments financiers. Quinze années plus tôt, ce réseau
représentait seulement 17 % de la collecte générale.
Part des contrats d'assurance
distribués par les établissements financiers (en %)

S o u r c e : FFSA ( F é d é r a t i o n f r a n ç a i s e d e s s o c i é t é s d ' a s s u r a n c e s ) .

Notre étude débutera par l'analyse du fonctionne-


ment structurel des institutions (Ire partie). Avant
d'examiner la remarquable réussite commerciale du
concept bancassurance (III partie), nous étudierons le
cadre juridique qui a permis ce développement
( I I partie).
PREMIÈRE PARTIE

LES SYNERGIES
STRUCTURELLES

Les deux institutions fonctionnent selon des modali-


tés différentes, qui peuvent se révéler complémentaires,
d'où l'intérêt de leur rapprochement. Celui-ci peut se
réaliser par des prises de participation dans les entre-
prises de l'autre secteur, ou même par leur intégration
totale, c'est-à-dire, par la filialisation à 100% des
entreprises complémentaires. Ainsi, se créent des
conglomérats financiers, composés de banques et de
sociétés d'assurances.
Aux termes de l'article 85-1 du Traité de Rome, sont
incompatibles avec le Marché commun, et donc prohi-
bés, tous les accords entre entreprises ainsi que toutes
les pratiques concertées, qui sont susceptibles d'empê-
cher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concur-
rence à l'intérieur de ce marché. L'article suivant inter-
dit d'exploiter de façon abusive une position
dominante dans le Marché commun ou dans une par-
tie substantielle de celui-ci.
Cette réglementation traduit la crainte des autorités
de voir le champ des opérations financières se concen-
trer entre les mains de quelques très grands acteurs.
Une institution qui bénéficie d'une position dominante
peut imposer des règles de fonctionnement aux plus
petites entités, la concurrence est ainsi faussée et, en fin
de compte, ce sont les clients qui payent le prix d'une
situation déséquilibrée.
Cependant, malgré une certaine concentration cons-
tatée, avec l'apport des capitaux internationaux et
encore davantage avec l'ouverture du marché euro-
péen, la concurrence demeure soutenue dans le
domaine financier. On constate effectivement une forte
pénétration des banques et des sociétés d'assurances
étrangères dans le marché national.
En France, les conglomérats financiers ne bénéfi-
cient pas d'une définition légale puisque la législation
ne connaît pas cette notion. Elle reconnaît simplement
les groupes bancaires, ou les groupes d'assurances.
Des conglomérats « bancassurance » nous pouvons
donc donner la définition suivante : c'est un ensemble
de sociétés liées entre elles par des liens capitalistiques,
offrant au public une panoplie de services financiers et
notamment des activités bancaires et des opérations
d'assurances.
Cette nouvelle structure permet aux différentes enti-
tés de bénéficier de la complémentarité de leurs cycles
d'exploitation (chap. 1). Néanmoins, le fonctionne-
ment du conglomérat expose les sociétés qui le compo-
sent à des risques spécifiques, qui méritent une surveil-
lance particulière de la part des autorités compétentes
(chap. II).
Chapitre 1

COMPLÉMENTARITÉ
DU CYCLE FINANCIER

Le cycle financier de l'assurance et plus particulière-


ment celui de l'assurance vie est extrêmement long.
Entre le début de la constitution d'un capital pour la
retraite et la fin de son service effectif c'est-à-dire géné-
ralement le décès de l'assuré, plusieurs dizaines d'an-
nées peuvent s'écouler. Dans la banque, certaines opé-
rations peuvent être longues aussi, mais pas autant que
dans l'assurance. Le remboursement d'un crédit
immobilier peut s'étaler sur une vingtaine d'années.
Ces différentes durées de production manifestent une
complémentarité dans l'exploitation industrielle (sec-
tion I) : les données du marché financier ont le temps
de se modifier, et notamment les taux d'intérêt liés à
l'inflation (section II).

I. — Sensibilité complémentaire au temps

Les constituants des deux métiers étant le temps et


l'argent, nous verrons qu'ils y sont appréhendés de
façons différentes. La durée des opérations financières
représente un facteur important dans les arbitrages
de gestion de la masse monétaire. Or, l'ordre des opé-
rations est opposé dans les deux institutions (2). Par
ailleurs, dans chaque exploitation il existe toujours une
phase où les charges pèsent lourd, et une autre où les
bénéfices apparaissent. Dans nos deux secteurs ces
périodes sont plutôt complémentaires (1).

Éléments de bilan du plan comptable


des établissements de crédit (1993)
ytpe="BWD"ACTIF PASSIF

3. Créances sur établissement 2. Dettes envers les établis-


de crédit sements de crédit
4. Créances sur la clientèle 3. Comptes créditeurs de la
6. Obligations et autres titres à clientèle (dépôts)
revenu fixe 5. Autres passifs
7. Actions et autres titres à 7. Provisions
revenu variable 13. Capital
8. Promotions immobilières 15. Réserves
9. Participations et activité de
portefeuille

Éléments de bilan du plan comptable


de l'assurance (1995)
ytpe="BWD"ACTIF PASSIF

3. Placements 1. Capitaux propres


- Terrains et constructions - Capital social
- Placements dans les - Réserves
entreprises 3. Provisions techniques
- Autres placements - Provisions d assurance
6. Créances vie
- Créances nées d'opéra- - Provisions d'assurance
tions d'assurance directe non-vie
- Primes acquises non 7. Autres dettes
émises
7. Autres actifs

1. Rapports différents au temps. — Du côté du passif


du bilan, les ressources bancaires sont composées
notamment par les dépôts de la clientèle, qui sont dis-
ponibles à vue. Ces ressources, confiées pour une durée
généralement courte, sont transformées à l'actif en
emplois à moyen et long terme. Le passif de la société
d'assurances est formé par des provisions techniques,
constituées à partir de primes encaissées. Leur objectif
est de permettre à l'assureur de faire face aux charges
lors de la réalisation des risques couverts. En assu-
rance vie. les plus importantes sont. et de loin, les pro-
visions mathématiques (p. 25). Contrairement à la
banque, dans l'assurance ces réserves représentent des
ressources à long terme, et c'est encore plus le cas en
assurance vie.
Le banquier et l'assureur vie adoptent une approche
différente du facteur temps, bien que tous deux soient
théoriquement attirés par des opérations longues.
L'origine de cette divergence se trouve notamment
dans leur rapport aux charges de l'exploitation.
L'assureur individualise le coût d'acquisition de
chaque affaire, notamment parce qu'il les commis-
sionne. Ce coût est particulièrement lourd lorsque l'as-
sureur zillmérise1 les contrats vie à primes périodiques,
autrement dit, lorsque au début de la période
d'épargne l'assureur règle à rapporteur d'affaires les
commissions dues au titre de la durée statistique du
contrat. En effet, après avoir exercé des pressions
auprès des compagnies d'assurances, les intermédiaires
ont réussi à obtenir cet avantage financier, au détri-
ment des assurés. Pour ces produits les apporteurs
d'affaires sont rémunérés dans les deux premières
années qui suivent leur souscription.
Les contrats peuvent être zillmérisés lorsque les
primes sont versées régulièrement par l'assuré. Techni-
quement l'assureur vie préfinance les commissions, et il
récupère cette avance sur l'assuré au fur et à mesure du
règlement des primes. Cet escompte des commissions
réduit d'autant les provisions mathématiques.
Pour ces mêmes contrats les commerciaux de la

1. Du nom de l'actuaire suisse Zillmer.


posent certaines limites à ce mode de distribution. Les
difficultés sont dues d'une part à une appréhension
commerciale différente (1), et d'autre part, aux
contraintes imposées par le marché (2).

1. Difficultés d'ordre commercial. — Elles sont,


somme toute, limitées, relevant de l'approche au
client (A) et de l'approche au risque (B).

A) L'approche au client. — La banque et l'assurance


ont des méthodes de travail différentes. Conformément
à la formule consacrée, l'assurance vie se vend, alors
que les produits bancaires, ainsi que l'assurance
IARD, s'achètent.
Autrement dit, les commerciaux de la banque et de
l'IARD restent dans l'agence en attendant que les
clients se présentent, tandis que leurs confrères de l'as-
surance vie vont à la recherche des clients. Or les nou-
velles technologies bancaires, telles que les guichets
automatiques, la banque à domicile, etc., ont réduit les
occasions de contact avec la clientèle, et de ce fait éga-
lement, les possibilités de faire souscrire des contrats.
Une différence supplémentaire se manifeste dans le
suivi des relations. Après la première approche, les
commerciaux de l'assurance reprennent généralement
contact avec leurs clients potentiels ; cette relance ne
fait pas partie des habitudes bancaires. Pour ces rai-
sons, sur un gisement de clientèle identique, le com-
mercial de l'assurance obtient des performances supé-
rieures à celles du banquier.
Ces méthodes de travail trouvent leurs origines dans
le mode de rémunération des institutions respectives.
Dans les sociétés d'assurances les commerciaux bénéfi-
cient d'un intéressement sur les affaires qu'ils réalisent,
et cette solution aboutit à de bons résultats sur le ter-
rain, car elle est très stimulante. A l'opposé, dans la
banque les commerciaux perçoivent plutôt des primes
d'objectifs, mais elles ne pèsent pas lourd dans le total
du salaire. En réalité il est difficile de changer ce mode
de rémunération. Mis à part les questions de reven-
dications internes, si la banque accorde des commis-
sions aussi importantes que dans l'assurance, elle
risque de perdre l'avantage que lui procure un coût de
distribution réduit. Aussi, les performances des com-
merciaux bancaires restent et resteront, selon toute
probabilité, inférieures à celles des commerciaux de
l'assurance, si l'on prend pour référence un même
fichier de clientèle.
Le sujet problématique des rémunérations des com-
merciaux concerne aussi la distribution des produits
financiers par les assureurs. Le taux de commissionne-
ment sur ces contrats est loin d'être incitatif ; le haut de
la fourchette se situe en général autour de 1 %, taux
très bas par rapport aux produits d'assurances. Pour
ces commerciaux, les produits financiers sont souvent
considérés comme des produits d'appel, contribuant à
stimuler la vente de ses garanties, mais si une telle opé-
ration de promotion n'est pas suivie par la conclusion
d'un contrat d'assurance, le vendeur aura travaillé à
perte, ou presque.
Les différences d'ordre commercial s'expriment
encore dans le ciblage de la clientèle, ce qui renvoie
aux stratégies différentes des deux institutions. Par
exemple, la banque essaye d'attirer une clientèle de
jeunes, fût-elle peu fortunée, pariant ainsi sur sa fidélité
à moyen terme. Mais cette même clientèle n'est pas
attirée par l'assurance vie, et en matière d'IARD elle
souscrit notamment l'assurance automobile, où elle
souffre d'un taux de sinistralité beaucoup trop impor-
tant pour intéresser l'assureur. De la même manière, si
un banquier se montre toujours très bienveillant à
l'égard d'une clientèle fortunée, pour l'assureur l'im-
portance du patrimoine peut constituer une source de
l'aggravation du risque, objet du contrat. Statistique-
ment, les appartements dans les quartiers chics de
Paris servent souvent de cible préférée aux cambrio-
leurs ; or, l'assureur n'est pas à l'affût des risques
aggravés. Ces exemples nous montrent que les objectifs
des deux secteurs dans le ciblage de la clientèle peuvent
être divergents et parfois même incompatibles, lors-
qu'il s'agit de proposer une offre globale.
Par nature, un professionnel désire toujours fournir
à son client le plus de services possibles, afin d'aug-
menter à la fois son chiffre d'affaires et la fidélité du
client. Théoriquement, le jumelage des produits ban-
caires et d'assurances peut répondre à cette stratégie,
mais les professionnels doivent aussi prendre garde à
ne pas manquer leur objectif. Les consommateurs ont
de plus en plus tendance à comparer les produits, et à
choisir auprès de chaque fournisseur le moins cher.

B) L'approche au risque est également opposée


dans les deux institutions. Lorsque le banquier estime
qu'une affaire comporte des difficultés, il est enclin à
la refuser; à l'opposé, la gestion et la maîtrise du
risque constituent la raison d'être de l'assureur. Au-
delà du risque, objet de l'assurance, l'attitude des
professionnels à l'égard d'autres éléments futurs, par-
tiellement ou totalement méconnus, est encore diffé-
rente dans les deux secteurs : ainsi le taux de rende-
ment financier, qui représente bien évidemment un
risque pour l'épargnant.
La commercialisation des produits aux taux indéter-
minés devient une difficulté pour le commercial de la
banque. Celui-ci préfère vendre des produits dont le
taux est connu, qu'il s'agisse du taux de rendement des
comptes bloqués, ou bien des crédits à taux fixe. Cette
attitude s'explique par le fait que le commercial de la
banque n'aime pas l'incertitude ; mais aussi parce que
les produits où le taux n'est pas fixé à l'avance sont
techniquement plus complexes. Pour cette raison, lors
de la vente d'un bon de capitalisation, il arrive que le
salarié de la banque se limite à aborder avec le client le
point concernant le rendement minimal garanti, lais-
sant dans l'ombre la participation aux bénéfices sup-
plémentaires, dont il ne connaît pas encore le montant.
A l'évidence, cette revalorisation éventuelle amènera le
client à poser des questions auxquelles le vendeur aura
des difficultés à répondre.
L'implication de la même personne dans la vente des
produits qui demandent une adaptation à des straté-
gies différentes peut se révéler délicate. Ce problème se
cumule avec la question de la motivation des commer-
ciaux pour la vente des produits d'assurances, que
nous avons évoquée précédemment (p. 112 sq.). La
solution peut alors être l'affectation d'une personne
spécialisée dans l'assurance, à la vente exclusive de ces
produits, mais cette situation ne sera pas toujours
facile à conserver. Les effectifs dans les agences sont
généralement insuffisants ; si un spécialiste de l'assu-
rance est introduit dans l'équipe bancaire il risque à
moyen terme de s'y intégrer totalement, et de perdre sa
spécificité. De nouveau le même problème se posera.

2. Limites imposées par le marché. — La diffusion


des produits par le secteur complémentaire est limi-
tée, d'abord par les réseaux de commercialisation
existants déjà sur le terrain (A), puis par la capacité
du marché qui n'est à l'évidence pas indéfiniment
extensible (B).

A) Conflit d'intérêts avec les intermédiaires. — L'ex-


pansion de la bancassurance peut être bridée à cause
des intermédiaires qui opèrent déjà sur le marché, et
notamment les agents d'assurances.
Traditionnellement les contrats sont distribués en
France par les courtiers, les agents généraux d'assu-
rances, les salariés ou les mandataires de ces sociétés.
Si les courtiers sont les mandataires de leurs clients, les
agents sont les mandataires des compagnies d'assu-
rances, et les liens entre ces deux derniers corps sont
très importants. En plus, les agents d'assurances béné-
ficient souvent d'une exclusivité de vente sur un terri-
toire déterminé, en matière d'IARD. Or, selon la situa-
tion géographique, il arrive fréquemment que les
agents bancaires empiètent sur un territoire déjà attri-
bué. Cela peut constituer un véritable obstacle pour le
développement de la bancassurance. Certaines sociétés
essayent de récompenser leurs agents, justement en
offrant la possibilité de commercialiser des produits
bancaires, comme à l'UAP. Nous avons déjà vu que la
portée effective de cette mesure est limitée.
Pour cette raison, les agents généraux d'assurances
éprouvent un fort ressentiment à l'égard de la bancas-
surance, et à juste titre. Tous les avantages que repré-
sente cette nouvelle voie de diffusion pour la banque,
constituent par essence un danger pour les agents, à
savoir une puissante présence sur tout le territoire, la
connaissance et la reconnaissance du public ainsi que
le faible coût de distribution. Les conséquences néga-
tives de ces développements sur l'activité des agents
sont doubles. Ces évolutions ont contribué à déstabili-
ser la situation des agents. De 26 000 en 1980, ils sont
passés à 17 400 en 1995 S'ils veulent rester compétitifs
les agents risquent de devoir baisser leur taux de com-
missions. Ce nouveau mode de diffusion est une réelle
menace pour une profession qui accumule déjà les han-
dicaps liés à la conjoncture économique, à la concur-
rence des mutuelles sans intermédiaires, et à la distri-
bution par les grandes surfaces.
Si la société AXA ne s'est pas vraiment engagée dans
la voie de la bancassurance (sauf quelques accords
ponctuels), cela n'est pas le fruit du hasard. AXA pos-

1. Source : Lettre FNSAGA du 2 septembre 1995, n° 147, p. 11.


s é d a i t le p l u s i m p o r t a n t r é s e a u d ' a g e n t s g é n é r a u x d ' a s -
surances déjà avant l ' a b s o r p t i o n d e l'UAP, e t elle n e
p o u v a i t p a s p r e n d r e le r i s q u e d e d é g r a d e r s e s r e l a t i o n s
a v e c u n c o r p s si i m p o r t a n t d ' a p p o r t e u r s d ' a f f a i r e s . A
p r é s e n t , elle d e v r a é v i d e m m e n t c o m p o s e r a v e c la n o u -
velle d o n n e .

B) Déplacement d'épargne. — D e p u i s q u e les b a n -


q u e s s e s o n t m i s e s à v e n d r e d e s c o n t r a t s d ' a s s u r a n c e , le
chiffre d'affaires de l ' a s s u r a n c e de p e r s o n n e s s'est très
s e n s i b l e m e n t a c c r u . E n 1 9 8 7 il é t a i t d e 1 4 0 m i l l i a r d s d e
f r a n c s , e t e n 1 9 9 5 d e 4 7 0 m i l l i a r d s Il s e m b l e q u e les
é t a b l i s s e m e n t s d e c r é d i t o n t f o r t e m e n t a i d é à la d i f f u -
sion des produits d'assurance vie auprès du public.
M a i s cette expansion résulte bien é v i d e m m e n t surtout
d e la q u a l i t é d e n o u v e a u x p r o d u i t s d ' a s s u r a n c e vie, d e
la difficile c o n j o n c t u r e é c o n o m i q u e a c c o m p a g n é e p a r
la d é s i n f l a t i o n q u i à la fois b r i d e la c o n s o m m a t i o n et
pousse à l'épargne de précaution. Ce développement
s ' e x p r i m e p a r le t r a n s f e r t d e s d é p ô t s d e p r o d u i t s b a n -
caires v e r s l ' a s s u r a n c e vie, a p p e l é f a m i l i è r e m e n t la c a n -
nibalisation des produits. Récemment nous avons
encore vu une démonstration du phénomène : début
1 9 9 6 , l o r s q u e le t a u x d u L i v r e t A a b a i s s é d e 4 , 5 % à
3,5 % , ces c o m p t e s se s o n t v i d é s , et e n p a r t i e a u p r o f i t
de l'assurance vie. Cet épisode nous montre que le

P a r t de l ' a s s u r a n c e vie
d a n s le p a t r i m o i n e financier des m é n a g e s
(en % )

Source : Conseil national du crédit.

1. Source : Rapport annuel FFSA, 1995.


phénomène du transfert d'un compte à l'autre prévaut
sur la constitution d'une collecte supplémentaire opé-
rée grâce à l'assurance même, puisque chaque marché
comporte ses propres limites.
Ces réactions du marché incitent les banquiers à per-
sévérer dans le développement de la bancassurance,
puisque sans leurs filiales spécialisées ils auraient perdu
toute cette partie de l'épargne, au profit de l'assureur
classique. Même lorsque le banquier se limite à la seule
commercialisation des produits d'assurance, cette opé-
ration est encore intéressante pour lui, puisqu'il bénéfi-
cie toujours de sa commission d'apport.
CONCLUSION

Si la bancassurance a suivi un développement si


important, c'est grâce au rapprochement de deux
entités, à l'origine complètement séparées : la banque
et l'assurance. Lors de ces évolutions, des conflits
d'intérêts peuvent resurgir entre les différentes entités
et leurs obligations à l'égard des tiers, déposants ou
assurés. Cela peut se traduire par exemple par un
transfert indu des bénéfices au profit des actionnaires
de la société mère, alors que les résultats globaux du
groupe sont déficitaires. Une telle manœuvre est par-
ticulièrement répréhensible lorsque c'est l'assureur vie
du groupe qui transfère ses bénéfices à une autre
entité, puisque la majeure partie des bénéfices en
assurance vie appartient aux assurés (p. 61). Or, une
structure conglomérée favorise l'opacité des comptes.
Mais cette situation n'est pas propre à un conglomé-
rat composé de banques et de sociétés d'assurances.
Un conflit d'intérêts peut survenir à l'intérieur de tout
groupement de sociétés, quel que soit leur champ d'ac-
tivités. Admettons qu'un groupe est composé exclusi-
vement de sociétés d'assurances, un client qui bénéficie
de la garantie « protection juridique » souhaite pour-
suivre en justice son assureur multirisques habitation,
une société distincte, mais dans le même groupe. Dans
ce cas nous sommes bien en présence d'un conflit d'in-
térêts entre l'assureur et l'assuré. Le conflit peut se
produire même en l'absence de tout groupement : par
exemple, la banque peut avoir intérêt à vendre un ser-
vice financier qui n'est pas particulièrement intéressant
pour les clients, mais les commerciaux ont des objectifs
chiffrés à réaliser...
Les conflits d'intérêts peuvent exister dans tous les
domaines, mais cet antagonisme retient davantage l'at-
tention dans la finance, où ses conséquences peuvent
être particulièrement néfastes.
Mais quid de l'avenir de la bancassurance ?
En assurance vie, il semble que le chemin déjà tracé
dessine aussi l'avenir du phénomène.
En assurance dommages, deux scénarios sont théo-
riquement envisageables. Selon le premier, mini-
maliste, la bancassurance pourra vivoter, ou même
tourner court puis agoniser. Le deuxième scénario,
maximaliste, verrait les banquiers prendre des parts
de plus en plus importantes de ce marché.
Il semble que la bataille sur le domaine de l'assu-
rance vie a été gagnée par les banques. Si celles-ci arri-
vent à percer autant dans l'assurance IARD, elles
auront gagné la guerre.
BIBLIOGRAPHIE

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