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“Gilets jaunes”: «La réponse politique

doit être rapide, sans quoi un drame est


inéluctable»

Par Eugénie Bastié


Mis à jour le 09/01/2019 à 11h10 | Publié le 08/01/2019 à 19h06
FIGAROVOX/ENTRETIEN - L'avocat Thibault de Montbrial analyse avec inquiétude le
niveau toujours très élevé de violence des manifestations des «gilets jaunes». Les
mesures annoncées par le premier ministre vont dans le bon sens, mais la réponse ne
peut pas être que sécuritaire.

LE FIGARO. - Que vous inspirent les annonces faites lundi par le premier ministre?
Thibault DE MONTBRIAL. - Ces annonces techniques apporteront sans doute une plus-
value en termes de maintien de l'ordre, mais il serait illusoire de considérer qu'elles
régleront seules des violences dont la durée et l'ampleur démontrent la dimension
politique.
» LIRE AUSSI - Gilets jaunes: Édouard Philippe durcit le ton contre les casseurs
L'idée de créer un fichier des casseurs vous paraît-elle bonne?
Il existe déjà depuis 2014 le fichier de prévention des atteintes à la sécurité publique
(PASP) qui pourrait servir de base à la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions. On
peut réfléchir à des interdictions administratives avec obligation de pointage sous
réserve de leur constitutionnalité au regard de la liberté de manifester. Il existe déjà
dans notre Code pénal un certain nombre de dispositions qui permettent ce qu'on a
abusivement appelé des «interpellations préventives», en réalité opérées en répression
des appels à commettre des violences. Mais globalement, la réponse ne peut être
uniquement sécuritaire, car plus rien n'affectera la détermination des irréductibles.
» LIRE AUSSI - «Gilets jaunes»: interrogations sur l'idée d'un fichier recensant les casseurs
Deux mois après le début des manifestations, comment jugez-vous le niveau de la menace?
Depuis début décembre, il règne autour du mouvement des «gilets jaunes» une violence
de nature insurrectionnelle. L'ultradroite était très présente dès le début du
mouvement, ainsi que l'ultragauche, avec des personnalités venues de l'étranger
(Allemagne, Belgique, Hollande). On a observé sur certains ronds-points des nervis
néonazis boire des bières avec des zadistes. Les alliances improbables de ce genre se
nouent autour de la volonté commune d'atteindre le chaos institutionnel.
Il y a aussi une radicalisation de certains «gilets jaunes» eux-mêmes. On a vu des
primomanifestants s'attaquer physiquement aux forces de l'ordre: ce sont d'ailleurs
souvent eux, moins expérimentés, qui se font attraper. Je suis très frappé par la
violence à l'égard de policiers et de gendarmes qui ne sont pas des nantis et ont souvent
les mêmes problèmes que les manifestants. Je suis également très inquiet par le niveau
de la menace à l'égard des élus et des préfets. Un député LaREM m'a raconté qu'il n'avait
pas pu regagner sa circonscription car sa sécurité n'y était pendant un temps pas
assurée. La tension dans le pays est telle que la nuance devient inaudible. Or je pense
qu'il faut en même temps être intraitable à l'égard de la violence anti-institutionnelle et
demander une rupture politique majeure, devenue indispensable.
» LIRE AUSSI - «Gilets jaunes»: la cagnotte de soutien au boxeur Christophe Dettinger
clôturée sur fond de critiques
Loi anti-casseurs : est-ce trop tard ? - Regarder sur Figaro Live
Ne peut-on pas juger la violence exercée par la police sur les manifestants exagérée? De
nombreux cas de blessés au visage par des tirs de Flash-Ball ont été rapportés…
Ponctuellement, certains tirs de Flash-Ball ont pu être inappropriés, mais la grande
majorité des actes des policiers était en état de légitime défense. Il y a aussi
énormément de blessés, parfois graves, du côté des forces de l'ordre. Il se développe de
plus en plus une forme de culture de l'excuse au bénéfice des émeutiers, notamment (et
cela est nouveau) à droite, qui est le même processus intellectuel que la culture de
l'excuse de l'extrême gauche à l'égard des violences de banlieues: «Ce n'est pas bien,
mais il faut les comprendre.» Du côté de l'extrême gauche, certains propos, comme ceux
de Ruffin et de Mélenchon, sont dans une logique objective d'incitation à la violence
contre les institutions. Quant à ceux qui évoquent un «État policier», ils font preuve d'un
excès sémantique et d'une inculture politique navrants et irresponsables.
Que craignez-vous?
On a évité le pire lors de la journée du 8 décembre grâce à des dispositifs de sécurité
exceptionnels. La réponse policière est à son maximum et ne peut aller plus loin sans
rompre avec la tradition démocratique de maintien de l'ordre. Je crains, hélas, que tout
concoure vers un drame. Les forces de l'ordre sont usées moralement et physiquement,
et il devient difficile de maintenir le niveau d'exigence et de retenue, d'où des actes
parfois discutables de leur part. Certains manifestants parmi les plus organisés jouent
d'ailleurs la tension pour aboutir à un mort dans leurs rangs. La réponse n'est plus
sécuritaire mais politique. Il faut qu'elle soit rapide et spectaculaire, sans quoi un drame
est inéluctable.

*Avocat au barreau de Paris, président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure et membre
du conseil scientifique de l'École de guerre
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 09/01/2019.

http://premium.lefigaro.fr/vox/politique/2019/01/08/31001-20190108ARTFIG00290-8220gilets-
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